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par Sophie Cazaillet, Rédactrice en chef
le 27 Mars 2014
Lexbase : Aujourd'hui, comment les fonctions de parlementaire et d'avocat sont-elles rendues compatibles ? Quelles sont les sanctions au non respect de ces règles ?
Lionel Tardy : Le cumul des fonctions de parlementaire et d'avocat est permis grâce à une petite exception du Code électoral. Depuis 1995, l'article LO. 146-1 (N° Lexbase : L7634AIL) interdisait à tout député de commencer à exercer une fonction de conseil, sauf s'il exerçait déjà cette activité avant le début de son mandat. Mais cette règle ne valait pas pour les professions libérales à statut législatif ou réglementaire, notamment la profession d'avocat. Par le biais de la loi organique sur la transparence de la vie publique, votée le 17 septembre dernier et promulguée au Journal officiel du 12 octobre 2013 (loi organique n° 2013-906 du 11 octobre 2013, relative à la transparence de la vie publique N° Lexbase : L3621IYR), le Gouvernement a tenté de revenir sur cette règle. La version initiale du texte prévoyait de rendre incompatible l'exercice d'une fonction de conseil avec le mandat de député, même s'il l'exerçait avant le début de son mandat. Malheureusement, cette version n'a pas passé le cap de l'examen en commission. Le saut était visiblement trop grand pour la commission des lois de l'Assemble nationale, qui a préféré ne pas aller aussi loin et s'en tenir à l'interdiction de commencer à exercer une fonction de conseil, y compris pour les avocats. Contrairement à ce que souhaitait le Gouvernement, les parlementaires pourront donc conserver une telle fonction. Ce n'est pas vraiment étonnant quand on sait que beaucoup de députés sont également avocats. Il s'agit tout de même d'un pas important dont on ne peut que se réjouir.
NDLR : L'interdiction de commencer à exercer une activité professionnelle et certaines activités de conseil a finalement été déclarée contraire à la Constitution par le Conseil constitutionnel le 9 octobre 2013 (voir Cons. const., n° 2013-675 DC N° Lexbase : A4215KM3).
Pour ma part, j'avais proposé d'instaurer un mécanisme de sanction pour ceux qui ne respecteraient pas cette interdiction. Des sanctions existent déjà pour les députés-avocats qui plaideraient contre l'Etat, des sociétés nationales, des collectivités ou établissements publics. S'ils franchissent cette interdiction, la déchéance de leur mandat peut être prononcée par le Conseil constitutionnel. La logique aurait voulu que cette sanction soit étendue pour le commencement d'une activité de conseil au cours du mandat. Mon amendement a été repoussé, et le rapporteur m'a répondu qu'il valait mieux que d'éventuelles sanctions soient gérées en interne par le Bureau de l'Assemblée nationale... Sur la question des sanctions, on reste donc sur un statu quo, alors que ce projet de loi était une occasion intéressante de faire évoluer les choses.
Lexbase : Depuis combien de temps menez-vous votre combat pour que soient déclarées incompatibles les fonctions d'avocat et de parlementaire ? Avez-vous noté des évolutions sur la question, tant au niveau de la loi qu'au niveau de l'opinion publique ?
Lionel Tardy : Lorsque je suis arrivé à l'Assemblée en 2007, j'ai découvert cette situation qui n'avait pas l'air de choquer grand monde. Pourtant, j'y ai vu un vrai risque de conflits d'intérêts. J'ai alors profité du premier véhicule législatif approprié pour essayer d'y mettre un terme. C'était en décembre 2010, lors de l'examen du projet de loi relatif à l'élection des députés. L'amendement que j'avais déposé proposait tout simplement de supprimer l'exception réservée aux avocats, et plusieurs députés UMP l'avaient cosigné. Cette proposition n'aurait pas empêché aux députés de devenir avocat pendant leur mandat, mais de se livrer à une activité de conseil dans le cadre de l'exercice de ce métier, ce qui, de fait, restreint considérablement les avantages du cumul. Mon amendement avait fait couler beaucoup d'encre, et j'avais reçu le soutien de plusieurs personnalités de l'opposition... ce qui n'a pas empêché son rejet.
En juillet 2012, juste après ma réélection, j'ai considéré que le moment était propice pour relancer cette idée, le changement de majorité ayant pu changer la donne. J'ai donc déposé une proposition de loi organique visant à réformer les incompatibilités parlementaires. Elle contenait plusieurs propositions sur la transparence, les déclarations d'intérêts et de patrimoine, et j'y ai naturellement intégré ma proposition de 2010. Elle n'a jamais été mise à l'ordre du jour, mais l'important est que le sujet ait été soulevé. Ces débats ont bien eu lieu quelques mois plus tard à la suite de l'affaire "Cahuzac". L'interdiction du cumul du mandat parlementaire avec certaines professions est d'ailleurs devenue une annonce de François Hollande en avril 2013. Avec ce genre de scandale, il est clair que l'on ressent une attente légitime de la part des Français, et qu'il faut y répondre sans prendre de demi-mesures.
Au final, la disposition issue des lois transparence de 2013 (loi organique n° 2013-906 du 11 octobre 2013, relative à la transparence de la vie publique et loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013, relative à la transparence de la vie publique N° Lexbase : L3622IYS) allait exactement dans le même sens que ma proposition initiale, c'est pourquoi, contrairement à l'écrasante majorité de mon groupe, je l'ai votée sans problème.
Lexbase : Pourquoi est-il souhaitable, selon vous, que l'avocat ne puisse pas exercer sa profession en même temps qu'un mandat de parlementaire ?
Lionel Tardy : Je n'ai rien contre les avocats, et je considère qu'exercer une profession à côté de son mandat de parlementaire n'est pas néfaste. Etre homme politique n'est pas un métier, c'est un mandat que nous donnent les électeurs et qui n'est pas éternel. L'expérience d'un métier donne aux parlementaires une légitimité et une expertise qui peuvent être très utiles dans certains débats. Là où il y avait danger, c'est que le mandat de député (ou de sénateur) pouvait servir de tremplin à l'obtention et l'exercice d'un poste. Cela était d'autant plus vrai pour les activités de conseil. Maintenant que nous sommes arrivés à cette avancée, autant aller plus loin et interdire carrément les activités de conseil pendant le mandat, comme le proposait le Gouvernement.
Les raisons de cette interdiction sont évidentes : on ne peut pas être juge et partie, autrement dit à la fois législateur et conseil en lobbying. Ce cumul n'est pas forcément mal intentionné, mais un soupçon de collusion et de conflit d'intérêts plane nécessairement. Pour un député "de base", cette situation est insupportable. En maintenant cette exception, on tend le bâton pour se faire battre en donnant du crédit à la théorie du "tous pourris" et à l'antiparlementarisme.
Lexbase : Pourquoi les avocats tiennent-ils tant à cumuler leur statut et celui de parlementaire ?
Lionel Tardy : Certains parlementaires sont bien conscients des limites de l'exercice et abandonnent d'eux-mêmes leur activité d'avocat. Jusqu'à l'adoption des lois transparence, la question se posait selon moi en sens inverse : pourquoi certains parlementaires tenaient-ils à pouvoir devenir avocats-conseil pendant leur mandat ? On observait une dérive qui consistait pour des députés de tout bord à se faire inscrire au barreau, et ainsi utiliser leur rôle de législateur au profit de clients. Pour ceux qui en profitaient, la voie était royale. Il fallait à tout prix cesser cette situation malsaine.
Aujourd'hui, le nouveau sujet est celui du maintien de l'activité d'avocat-conseil. Comme je l'ai dit, il est délicat et excessif d'interdire à un parlementaire de cesser son activité professionnelle. En revanche, s'il doit y avoir une exception, c'est bien celle des avocats-conseils. Il y a un réel risque de conflit d'intérêts qui collera en permanence à la peau de ceux qui cumulent les fonctions. Ils peuvent rapidement se retrouver dans une situation de dépendance vis-à-vis des entreprises qui le rémunèrent en tant qu'avocat. C'est d'autant plus vrai que la plupart des avocats de l'Assemblée sont, dans les faits, avocats-conseil.
Lexbase : Pensez-vous qu'une loi de non-cumul entre les fonctions d'avocat et de parlementaire sera votée un jour ?
Lionel Tardy : Le Gouvernement avait proposé initialement de rendre incompatible toute fonction de conseil avec le mandat de député. L'intention était bonne, mais comment s'assurer qu'un avocat n'ait aucune activité de médiation, de conseil ? Comme il est très difficile de faire la part des choses et de connaître le détail des activités de conseil d'un avocat, aller vers l'interdiction absolue me semble être la meilleure solution. Dans le cas des textes sur la transparence de la vie publique, la barque est déjà bien chargée et il s'agit d'une évolution cruciale. Il faut ajouter à cela la loi sur l'interdiction du cumul du mandat. Deux étapes importantes ont été franchies, non sans mal. La question du non-cumul entre les fonctions d'avocat et de parlementaire était dans ce contexte une question annexe, et la façon dont le sujet a avancé n'est pas négligeable. Le fait qu'on ne soit pas allé au bout de la logique ne me pose donc pas de problème. Cela ne veut pas dire qu'il ne faut plus s'en préoccuper. Sur ce genre de thème, les avancées se font petit à petit. Il faut être patient, ne jamais relâcher sa vigilance, et surtout ne pas abandonner. Car, si pour l'instant il n'y a pas eu d'affaire ou de scandale lié au cumul entre les activités d'avocat et de parlementaire, il n'est pas du tout exclu que cela arrive un jour. Nous ne pourrons alors pas dire que nous n'avions pas été prévenus.
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