La lettre juridique n°545 du 24 octobre 2013 : Éditorial

Jusnaturalisme vs positivisme juridique : des concepts barbares, une réalité civilisationnelle

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 27 Mars 2014


Il suffit de lire Sophocle pour s'apercevoir que l'histoire est toujours la même ! Au Vème siècle avant JC, la transgression d'Antigone célébrant les rites funéraires pour son frère Polynice, contre la volonté de son royal oncle, au nom d'un droit naturel et universel, au-delà de la loi des hommes ; aujourd'hui, la transgression présidentielle proposant à une jeune collégienne de poursuivre ses études en France, après avoir été expulsée sommairement. Le rapport officiel aura beau montrer la légalité de la mesure au regard du droit des étrangers et de la circulaire en cause, comme souvent en France, certains courants de pensées n'auront que faire de la suprématie législative, préférant suivre la voie d'une loi, pas même constitutionnelle, mais supérieure, non écrite, souvent celle de leur conscience.

Il n'est point à discuter de la méthode orchestrée pour procéder à l'expulsion litigieuse ; le rapport du ministère de l'Intérieur avoue lui-même que les forces de l'ordre "n'ont pas fait preuve du discernement nécessaire" en prenant en charge la collégienne lors d'une sortie scolaire. Il sera question, ici, chacun l'aura compris, d'une lutte éternelle, depuis la Révolution française pour être plus exact, entre le jusnaturalisme, c'est-à-dire le droit naturel, et le positivisme juridique, qui place la hiérarchie des normes, et donc la loi, comme génératrice de toute source de droit.

Soit le droit est la source de la loi, c'est le jusnaturalisme ; soit c'est l'inverse, et c'est le positivisme juridique de Kelsen qui l'emporte. Et, si l'on analyse bien la vie politique française, encore aujourd'hui, c'est cet affrontement philosophique qui se joue au quotidien. Et, vouloir en faire une synthèse comme a tenté de le faire l'autorité présidentielle, en proposant à la jeune collégienne de revenir, seule, en France, c'est-à-dire sans sa famille est une gageure. C'est non seulement contra legem, parce que contraire au droit positif français ; et, si toutefois c'est conforme à une règle supérieure d'humanité et d'hospitalité chère à la France, la proposition est également contra conventionnelle puisqu'elle méprise l'intérêt supérieur de l'enfant qui prescrit le droit à une vie familiale (CESDH, art. 8).

Mais attention, ce conflit de normes transcende les clivages ; en aucun cas, l'on pourrait taxer un bord politique d'être plus respectueux de la loi qu'un autre, et ne pas être inféodé au droit naturel plus volontiers qu'à la loi démocratique. L'épisode législatif du "mariage pour tous" est bien l'exemple même que le droit naturel, plus singulièrement en l'espèce, une certaine morale religieuse s'avérait aux yeux d'une partie de la population supérieur à la loi de la République ; au point que certains réclament encore l'exercice d'une liberté de conscience... Après, il est évident que la source de ce droit naturel n'est nécessairement pas la même selon le courant de pensée politique qui s'en prévaut : Pascal et Kant ne sont pas Hobbes et Léo Strauss. Si les opposants au droit naturel peinent à identifier la source même de ce jusnaturalisme, excluant de la limiter à la seule essence divine, il est un fait que l'universalité du droit naturel trouve également sa source dans l'Homme lui-même... Bien que Marx lui-même soit perplexe face à ce droit supérieur à la loi.

Et ce conflit entre jusnaturalisme et positivisme juridique n'est pas non plus réservé à la seule controverse politique ; encore fait-elle surface dans les prétoires, lorsque les juges du fond, le tribunal de grande instance de Lille en l'occurrence, accordent à deux femmes nouvellement mariées l'adoption plénière des deux enfants dont seule l'une d'elle était titulaire de l'autorité parentale jusqu'à présent. Or, chacun sait que la Cour de cassation y est farouchement opposée. "Justifie légalement sa décision de rejet de la requête en adoption simple formée par la partenaire d'un pacte civil de solidarité, la cour d'appel qui retient, à juste titre, que la mère biologique perdrait son autorité parentale sur ses enfants en cas d'adoption par sa compagne alors qu'il y a communauté de vie, puis relève que la délégation de l'autorité parentale ne peut être demandée que si les circonstances l'exigent, ce qui n'est ni établi, ni allégué et qu'en l'espèce une telle délégation ou son partage sont, à l'égard d'une adoption, antinomique et contradictoire, l'adoption d'un enfant mineur ayant pour but de conférer l'autorité parentale au seul adoptant" indiquait-elle en 2007. "Ainsi, le refus d'accorder à une femme le droit d'adopter l'enfant de sa compagne ne constitue ni une violation de l'article 14, relatif à l'interdiction de la discrimination, ni une violation de l'article 8, relatif au droit au respect de la vie privée et familiale, de la CESDH" enchérissait la Cour européenne des droits de l'Homme en 2012. Mais là encore, c'est sans doute au nom d'une conception de la famille supérieure à celle que la loi définit qui aura poussé certains juges à franchir le pas vers l'adoption plénière par un couple homosexuel, décision qui ne manquera pas de faire couler beaucoup d'encre.

En somme, c'est encore l'exception culturelle française qui s'exprime ; les anglos-saxons étant parfaitement inféodés au positivisme juridique kelsenien, du moins en matière de politique intérieure... Le tropisme gaulois oblige une querelle permanente entre les philosophies juridiques, et la synthèse s'avère bien difficile au pays des Lumières, concepteurs du droit naturel universel transcendant les lois de Nations à travers la Déclaration des droits de l'Homme. Il est certain que choisir le positivisme juridique comme nous y encourage l'ensemble des autres Nations démocratiques serait nous renier nous-mêmes. C'est pourquoi le conflit est éternel, tout juste pourrions-nous en limiter les dommages collatéraux... sur une collégienne de quinze ans, notamment.

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