La lettre juridique n°545 du 24 octobre 2013 : Taxe sur la valeur ajoutée (TVA)

[Chronique] Chronique de TVA - Octobre 2013

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par Laurence Vapaille, Maître de conférences à l'Université d'Evry-Val-d'Essonne

le 21 Juin 2016

Lexbase Hebdo - édition fiscale vous propose de retrouver, cette semaine, la chronique de Laurence Vapaille, Maître de conférences à l'Université d'Evry-Val-d'Essonne, retraçant l'essentiel de l'actualité juridique rendue en matière de TVA. Ce mois-ci, notre auteur a choisi de s'arrêter sur trois arrêts rendus par la CJUE, une cour administrative d'appel et le Conseil d'Etat, traitant de points rarement abordés. Dans le premier arrêt, en date du 12 septembre 2013, la Cour de justice de l'Union européenne se prononce, après 25 ans de procédure, sur la question de savoir si un prorata de déduction de la TVA "mondialisé" peut être mis en oeuvre (CJUE, 12 septembre 2013, aff. C-388/11). Dans la deuxième décision, rendue le 1er août 2013, la cour administrative d'appel de Nancy traite des conditions de forme applicables pour l'exonération de la TVA dans le cadre d'opération réalisée par un intermédiaire. Enfin, dans le troisième arrêt sélectionné, en date du 25 juillet 2013, le Conseil d'Etat rendu une décision relative à la notion de livraison de biens dans le cadre intracommunautaire.
  • La CJUE n'admet pas l'application d'un prorata de déduction de la TVA "mondialisé" (CJUE, 12 septembre 2013, aff. C-388/11 N° Lexbase : A9611KK8)

Cette décision fort attendue permet de donner une réponse sur des faits qui datent aujourd'hui de 25 ans. Elle porte sur un problème de droit -les modalités de détermination du prorata de déduction de TVA-, qui a été débattu et dont il est nécessaire de rappeler le contexte juridique. Dans un second temps, les différentes étapes de ce contentieux seront exposées au regard des différentes décisions -nationales et de la CJCE- intervenues en la matière. Enfin, seront examinées les réponses de la CJUE qui ne correspondent pas nécessairement à la solution qui était attendue, voire espérée sur cette question de prorata.

1 - Le droit à déduction est essentiel dans le mécanisme de la TVA et permet de mettre en oeuvre le principe de neutralité. Aux termes du second alinéa de l'article 2 de la 1ère Directive-TVA (Directive 67/227 du Conseil du 11 avril 1967, en matière d'harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires N° Lexbase : L7913AUM), il est prévu que pour "chaque transaction, la TVA calculée sur le prix du bien ou du service au taux applicable à ce bien ou à ce service est exigible, déduction faite du montant de la taxe qui a grevé directement le coût des divers éléments constitutifs du prix". Le droit à déduction vise à soulager l'opérateur de la totalité de la TVA qu'il a réglé dans le cadre de toutes ses activités économiques.

Cependant certains opérateurs, notamment les établissements bancaires et financiers, réalisent à la fois des opérations soumises à TVA et des opérations qui en sont exonérées, enfin certaines peuvent faire l'objet d'un droit d'option à la TVA (1). Dans ce cas, l'entreprise n'est pas en droit de déduire la totalité de la TVA qui lui a été facturée. Selon l'article 17-5 de la 6ème Directive-TVA (2) "en ce qui concerne les biens et services utilisés par un assujetti pour à la fois des opérations ouvrant droit à déduction [...] et des opérations n'ouvrant pas droit à déduction, la déduction n'est admise que pour la partie de la TVA qui est proportionnelle au montant afférent aux premières opérations".

Le droit de l'Union européenne laisse le choix aux Etats membres entre deux méthodes afin de déterminer la proportionnalité de la TVA déductible. Il peut s'agir, soit de la mise en oeuvre d'un "prorata" de recettes avec éventuellement la création de "secteurs d'activité" (3) ; soit de l'application de la règle d'affectation qui permet de déterminer la quote-part de TVA relative aux opérations ouvrant droit à déduction en fonction de critères propres à l'entreprise.

La décision commentée est relative à la notion de prorata. Il faut noter que les faits en cause dans ce litige sont anciens puisqu'ils datent de 1988 et 1989. A l'époque, la législation applicable est celle de la 6ème Directive-TVA (4), bien que soit intervenue la Directive 2006/112/CE (5), qui a mis en place une refonte à droit quasi constant de la 6ème Directive-TVA, les modifications ne remettent pas en cause la pertinence des réponses données par la CJUE. Ainsi, les dispositions du CGI en matière de droit à déduction sont reprises pratiquement intégralement par le décret du 16 avril 2007 (6). Aux termes de cette modification, le prorata a été remplacé par le coefficient de taxation (7). Cependant, dans l'affaire commentée, ce changement n'emporte pas d'incidence (8).

Le droit à déduction résultant du prorata est égal au résultat d'une fraction qui comprend, au numérateur, le chiffre d'affaires des opérations taxées et, au dénominateur, ce chiffre d'affaires auquel sont ajoutés le chiffre d'affaires de certaines opérations exonérées, de certaines opérations immobilières ou financières sauf si elles sont accessoires.

Cette question du prorata emporte des conséquences financières importantes pour le secteur bancaire. Eu égard aux montants en jeu, la détermination du prorata est essentielle. Cependant, ce mécanisme est critiqué, car il est considéré comme un "instrument de mesure rigide qui conduit à une application approximative et parfois déformée du principe de neutralité" (9).

2 - Les faits du litige sont relativement simples. Par ailleurs, ils ne présentent pas une grande particularité, donc la solution donnée par la CJUE n'intéressera pas seulement le contribuable en cause mais l'ensemble de ce secteur des activités bancaires et financières. A la suite d'une vérification de comptabilité, l'administration fiscale a remis en cause les modalités utilisées par le Crédit Lyonnais pour le calcul de son prorata de déduction de TVA (10). L'administration a estimé que l'établissement bancaire n'aurait pas dû inscrire au numérateur, comme au dénominateur, les intérêts des prêts consentis par le siège sis en France à ses succursales établies à l'étranger.

Si, dans un premier temps, le Crédit Lyonnais a contesté ce redressement, par deux réclamations en date du 20 juillet 1994, en considérant que les recettes réalisées avec les succursales devaient être traitées comme celles réalisées avec des tiers ; dans un second temps, il a complètement modifié ses arguments. Dans une réclamation du 31 décembre 1996, la banque estime que les succursales et le siège ne constituaient qu'un seul et même assujetti et, en conséquence, pour déterminer le prorata applicable, il était nécessaire d'y inclure les intérêts versés par les succursales étrangères par leurs clients. Le tribunal administratif de Paris (11) a rejeté la demande de décharge de la société ; la cour administrative d'appel de Paris a confirmé la décision des premiers juges (12).

Le Crédit Lyonnais s'est pourvu en cassation contre cet arrêt de la cour administrative d'appel de Paris. A l'appui de son pourvoi, la société a développé plusieurs moyens (13) dont le principal porte sur la question de savoir si le calcul du prorata peut être mondialisé. Plus précisément, il s'agit de savoir si, pour le calcul du prorata, la société établie dans un Etat membre doit prendre en compte les recettes réalisées par ses succursales établies dans un autre Etat membre ou dans un Etat tiers à l'UE.

Dans une décision de 1981 (14), le Conseil d'Etat avait jugé que les subventions d'exploitation versées par le siège à ses établissements n'étaient pas des opérations soumises à la TVA. Plus récemment, en 2001 (15), la Haute juridiction administrative avait considéré que les mouvements de fonds en provenance d'une succursale à destination du siège constituaient des opérations internes ; dès lors, elles n'entraient pas dans le champ d'application de la TVA et étaient donc exclues des éléments pris en compte pour la détermination du prorata (16). On peut noter qu'à l'époque, le commissaire du Gouvernement avait conclu à l'inintérêt de saisir la CJCE (17). Enfin, dans une décision de 2006 (18), la Cour de justice des communautés européennes a conclu à l'inexistence au plan de la TVA des opérations entre un siège et ses succursales. Cependant, dans cette décision, il n'avait pas été abordé le droit à déduction, mais seulement le point de savoir si ces opérations relevaient ou on du champ d'application de la TVA (19).

3 - La décision de la CJUE était pour le moins attendue car la question des éléments à prendre en compte pour le calcul du prorata a fait l'objet d'un intérêt certain (20), non seulement dans le cadre du droit français mais aussi pour d'autres législations (21). Cependant, il ressort que, de manière générale, par application du principe de neutralité, la plupart des auteurs s'accordaient à espérer que la décision du juge européen soit favorable à la mise en oeuvre d'un prorata mondialisé. Néanmoins, il était nécessaire de régler les questions d'ordre pratique découlant de cette admission du prorata mondial notamment celle "de savoir quel droit devront appliquer le siège et chacune des succursales pour déterminer si une opération ouvre droit ou non à déduction" (22).

Or, la CJUE n'a pas répondu positivement aux différentes questions préjudicielles concernant la possibilité de déterminer le prorata de déduction de la TVA au niveau mondial. Dans un premier temps, elle a déjà décidé de reformuler la première question posée par le Conseil d'Etat. En effet, ce dernier posait une question qui portait non pas sur l'existence ou non d'un prorata mondialisé, mais sur les modalités à mettre en oeuvre pour le calcul d'une part, du prorata applicable au siège et, d'autre part, au prorata applicable aux succursales établies hors de France. Or, pour les juges de l'Union européenne, la question ne porte que sur "la détermination du prorata de déduction de TVA applicable au siège de la société assujettie" (23). Après avoir rappelé les objectifs du droit à déduction, notamment la garantie du principe de neutralité, la CJUE mentionne aussi que les modalités du droit à déduction relèvent de la "sphère d'application de la législation nationale" (24) sur le fondement de l'article 17, § 5 de la 6ème Directive-TVA.

La CJUE rappelle une décision en date du 16 juillet 2009 (25), aux termes de laquelle elle a jugé que l'établissement stable situé dans un Etat membre et l'établissement principal situé dans un autre Etat membre sont considérés comme étant un seul et unique assujetti. Dès lors, cet assujetti "est soumis, à côté du régime applicable dans l'Etat de son siège, à autant de régimes de déduction nationaux que d'Etat membre dans lesquels ils disposent d'établissement stables" (26). En revanche, il n'est absolument pas fait mention de l'arrêt "FCE Bank" (27), elle suit sur ce point les conclusions de l'avocat général pour lequel cette décision n'apporte aucun élément pertinent quant à la question de savoir si une entreprise doit prendre en considération le chiffre d'affaires de ses succursales situées dans un autre Etat (28).

Selon la CJUE, le principe de neutralité n'est pas remis en cause par cette position. A noter que ce principe ne constitue pas une "règle de droit primaire, mais plutôt un principe d'interprétation qui doit guider les Etats dans l'adoption de leur législation" (29). Cette appréciation du principe de neutralité est déjà apparue dans un arrêt récent de 2012 (30), et permet à la CJUE de faire prévaloir d'autres principes qui peuvent être analysés de manière contraire à la neutralité. En l'espèce, la CJUE fait prévaloir la souveraineté fiscale des Etats membres en retenant le caractère territorial de l'imposition et ne remet pas en cause l'emprise territoriale de ces Etats au regard de la TVA qui, même harmonisée, reste un impôt national. En reconnaissant la possibilité d'un prorata "mondialisé", la CJUE viendrait ainsi limiter le pouvoir d'appréciation laissé aux Etat membre, en l'espèce quant aux règles applicables pour la détermination du prorata de déduction de la TVA.

La deuxième question préjudicielle portait sur une demande relative à la détermination du prorata d'une société dont le siège est sis dans un Etat membre, à savoir si elle pouvait prendre en compte le chiffre d'affaires réalisé par ses succursales situées dans des Etats tiers. Sans surprise, eu égard à sa réponse à la première question préjudicielle, la CJUE estime qu'il n'existe aucun élément de droit qui permette de considérer que lorsqu'un assujetti dispose d'un établissement stable dans un Etat tiers, cette situation puisse avoir une incidence sur le régime de déduction auquel il est soumis dans l'Etat où est situé son siège (31).

Enfin, sur la troisième question préjudicielle au terme de laquelle le Conseil d'Etat demandait si l'article 17 de la 6ème Directive-TVA permettait à un Etat membre "de retenir une règle de calcul du prorata de déduction par secteur d'activité d'une société assujettie autorisant celle-ci à prendre en compte le chiffre d'affaires réalisé par une succursale établie dans un autre Etat membre ou un Etat tiers" (32). Pour la CJUE, comme précédemment, la réponse est négative. Elle considère que la notion de secteur d'activité ne peut s'entendre au sens de territoire géographique, mais qu'il doit s'agir de différents genres d'activités économiques.

Par cette décision, très clairement, la CJUE a entendu réaffirmer le caractère prégnant de la souveraineté des Etats, même dans le cadre d'une imposition ayant été harmonisée. La défense du prorata "mondialisé" se fondait principalement sur le principe de neutralité, dont le droit à déduction est la clé de voûte. Cependant, il est important de noter que dans cette affaire, la CJUE a tenu à relativiser ce principe, au point qu'étant en contradiction avec d'autres principes tels que la souveraineté fiscale des Etats, il pouvait être battu en brèche.

  • Exonération de TVA des sommes perçues par un intermédiaire : nécessité de comptabiliser les sommes dans un compte de passage (CAA Nancy, 2ème ch., 1er août 2013, n° 11NC01582, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A5649KKG)

La décision commentée aborde un point de droit qui fait l'objet de peu de jurisprudence et présente un intérêt certain en nous permettant d'analyser une question rarement évoquée. Il s'agit de savoir à quelles conditions -notamment comptables- l'opération accomplie par un intermédiaire peut bénéficier de l'exonération de TVA sur le fondement de l'article 267 du CGI (N° Lexbase : L5338HLB). Cet arrêt porte aussi sur une question qui n'est pas relative à la TVA, mais qui intéresse la mise en oeuvre des pénalités dues en cas de manquement délibéré par application de l'article 1729 du CGI (N° Lexbase : L4733ICB), plus particulièrement au regard de la profession exercée par le contribuable.

1 - Les faits à l'origine du litige sont simples. Une société a adressé le 24 avril 2004 une facture d'un montant de 2 270,10 euros à une contribuable personne physique. Cette somme correspondrait à des "frais d'enregistrement" qu'elle a réglé en tant que mandataire pour le compte de la contribuable, mandante. En vue de justifier cette exonération, elle indique que les frais en cause sont inclus dans la rubrique "honoraires" de la note d'honoraires qu'elle a produite. La société demanderesse considère que cette somme représente des débours et, en conséquence, elle estime ne pas être imposable au titre de la TVA. Cependant, la société ne peut justifier avoir porté en comptabilité -sur un compte de passage- les dépenses litigieuses. N'ayant pas rempli cette condition, l'administration fiscale a estimé à bon droit que cette somme ne devait pas être maintenue hors de la base imposable à la TVA.

En effet, aux termes du 2° du II de l'article 267 du CGI, ne sont pas comprises dans la base d'imposition à la TVA "les sommes remboursées aux intermédiaires, autres que les agences de voyages et organisateurs de circuits touristiques, qui effectuent des dépenses au nom et pour le compte de leurs commettants dans la mesure où ses intermédiaires rendent compte à leurs commettants, portent ces dépenses dans leur comptabilité dans des comptes de passage et justifient auprès de l'administration des impôts de la nature ou du montant exact de ces débours".

Le principe est que doivent être exclues de la base imposable les sommes remboursées aux intermédiaires qui effectuent des dépenses au nom et pour le compte de leurs commettants. Cette exclusion ressort de la logique de l'imposition à la TVA au terme de laquelle le remboursement de frais ne peut s'analyser comme la rémunération d'un service rendu. Cependant, cette exclusion de la base imposable à la TVA ne doit être faite que si certaines conditions sont remplies :

- il doit exister un mandat préalable. Le mandataire doit intervenir sur le fondement d'un mandat préalable et explicite. La doctrine administrative admet le mandat tacite "dès qu'il est suffisamment vraisemblable pour n'être pas mis en doute" (33) ;

- les sommes dont il est demandé le remboursement doivent correspondre aux sommes versées à des tiers par le mandataire, au nom et pour le compte du mandant. Ainsi, si l'intermédiaire obtient une remise, même postérieure à la transaction, il doit en faire bénéficier son mandant (34) ;

- l'intermédiaire doit rendre compte exactement à son commettant de l'engagement et du montant de ces dépenses. Il n'existe aucune condition de forme attachée à la reddition des comptes. En l'espèce, la SELARL avait produit une facture adressée à son mandant qui mentionnait des "frais d'enregistrement" qu'elle analysait comme des débours et à ce titre en réclamait la non imposition à la TVA. A l'égard du mandant -et de l'administration fiscale-, le mandataire doit pouvoir justifier par "tous moyens appropriés (facture des fournisseurs de biens ou services, copie des comptes rendus ou factures détaillées adressées aux mandants, etc.), du montant ou de la nature des débours', exclus de la base d'imposition" (35) ;

- les dispositions de l'article 267-II-2° du CGI indiquent une condition relative aux règles de comptabilisation ; l'intermédiaire doit porter les débours dans "des comptes de passage" (36). En pratique, pour les redevables soumis aux règles de la comptabilité commerciale, ce sont des comptes de tiers, et pour les autres redevables de comptes spécifiques (37). Par exemple, si un intermédiaire achète des biens pour le compte et au nom d'un mandant, il ne sera imposable à la TVA qu'au titre de sa commission. En revanche, n'est pas compris dans l'assiette le remboursement du prix des biens engagés pour le compte et au nom du commettant (38).

Dans l'affaire commentée, c'est précisément du fait du non respect de cette condition relative à l'inscription sur un compte de passage que l'administration fiscale a considéré que les sommes ne constituaient pas le remboursement de débours et qu'en conséquence elles devaient être incluses dans la base imposable à la TVA. Cette solution a été confirmée par les juges du tribunal administratif (39), puis de la cour administrative d'appel. La règle de comptabilisation imposant d'inscrire les frais dont les intermédiaires font l'avance sur un compte de passage est liée à la nécessité de pouvoir différencier de distinguer entre la rémunération de service rendu et le remboursement des frais avancés ; "ce régime permet aux mandataires de n'être imposables que sur leur rémunération propre, à l'exclusion des frais dont ils ont fait l'avance" (40).

La mention d'inscrire les sommes exclues de la base de la TVA, en vertu de l'article 267-II-2° du CGI, sur un compte de passage est donc obligatoire et la seule constatation de son absence permet à l'administration de remettre en cause l'exclusion des sommes remboursées, même si, par ailleurs, elles remplissaient toutes les autres conditions mentionnées par la loi.

2 - Cette décision de la cour administrative d'appel de Nancy aborde un point important dans le cadre de l'application de l'article 1729 du CGI quant aux critères à prendre en compte afin de déterminer s'il existe ou non un manquement délibéré. En l'espèce, l'administration fiscale avait considéré que l'intention délibérée de la SELARL était constituée au regard de la profession du gérant de ladite société qui était avocat.

Les critères définis par la jurisprudence afin de caractériser le manquement délibéré -antérieurement la mauvaise foi- sont l'existence de l'insuffisance de déclaration et le caractère délibéré du comportement du contribuable (41). "Le caractère délibéré du manquement résulte de l'ensemble des éléments de fait de nature à établir les erreurs, inexactitudes ou omissions commises par le contribuable n'ont pu l'être de bonne foi" (42). Notamment, le Conseil d'Etat prend en considération la profession du contribuable (43). Ainsi, l'exercice de la profession d'expert-comptable (44), de conseil juridique et fiscal (45), ou d'avocat fiscaliste (46) a été considéré comme un élément qui permettait à l'administration fiscale de retenir le manquement délibéré et suffisait à en apporter la preuve (47).

En l'espèce, si les juges de première instance avaient estimé que la profession du gérant était suffisante pour établir qu'il y avait bien eu un manquement délibéré, en revanche la cour administrative d'appel a considéré que la seule mention de la profession ne suffisait pas à apporter la preuve qu'il y avait bien eu une intention délibérée de la part du contribuable. En conséquence, elle a déchargé la société des pénalités dues sur le fondement de l'article 1729 du CGI. On peut noter que, dans une affaire portant sur le même point de droit, la cour administrative d'appel de Paris avait considéré que la fonction d'un contribuable, président du conseil d'administration et associé d'une société spécialisée en droit des sociétés et en droit fiscal, était suffisante pour fonder la preuve de l'intention délibérée en vue de l'application des pénalités mentionnées à l'article 1729 du CGI (48).

Il n'est pas mentionné si le gérant exerçant la profession d'avocat était spécialisé ou non dans le domaine de la fiscalité. Si cela était le cas, cette décision viendrait en contradiction, non seulement avec d'autres arrêts de cour administrative tel que celui mentionné ci-avant mais aussi au regard de la ligne de jurisprudence de la Haute juridiction administrative. En effet, il semble possible de pouvoir déduire des différents décisions connues que le Conseil d'Etat n'accepte de prendre en compte la profession du contribuable comme élément de preuve d'un manquement délibéré que lorsqu'il existe un lien très étroit entre les connaissances mobilisées par cette profession et le droit fiscal (expert-comptable, avocat ou conseil fiscaliste). En revanche, si dans l'espèce commentée, l'avocat n'était pas spécialiste de la matière fiscale, elle s'inscrit dans le "droit fil" des décisions antérieures.

  • Le Conseil d'Etat saisit la CJUE d'une question préjudicielle portant sur le lieu de livraison d'une marchandise expédiée depuis l'Italie vers la France pour des travaux à façon et distribués à la cliente française depuis le lieu des travaux (CE 10° et 9° s-s-r., 25 juillet 2013, n° 345103, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A1199KKM)

Les règles relatives à la territorialité de la TVA sont "complexes car inabouties" (49). Bien que le marché européen soit censé fonctionner comme un marché unique, pour le moment, cela n'est toujours pas le cas et le régime transitoire est appelé à perdurer (50).

L'affaire présentement commentée est intéressante car elle permet de s'interroger sur des éléments essentiels de la TVA intracommunautaire, les notions d'acquisitions et de livraisons intracommunautaires de biens. Pour rappel, l'entreprise assujettie bénéficie d'une exonération de TVA à raison des livraisons de biens effectuée sur le territoire d'un autre Etat membre. Réciproquement, sera considérée comme une acquisition intracommunautaire l'obtention du pouvoir de disposer comme un propriétaire d'un bien meuble corporel, expédié ou transporté en France par le vendeur, l'acquéreur ou pour leur compte à partir d'un autre Etat membre.

Les faits sont les suivants. Une société, sise en Italie, a fabriqué des pièces métalliques dans cet Etat qu'elle a vendu à une entreprise française. Ces pièces ont fait l'objet de travaux à façon de peinture par une autre entreprise française. Le prix de ces travaux à façon -TVA comprise- a été inclus dans le prix de vente facturé à la première société française. La société de peinture a envoyé directement les pièces métalliques à la société française. Donc, les biens reçus par cette dernière ne provenaient pas -directement- d'un autre Etat membre, mais de la société elle-même située en France qui avaient effectué des travaux de peinture sur lesdits biens. Selon la société défenderesse, la livraison des biens entre elle, société italienne vendeuse, et une entreprise française acquéreuse s'analyse pour une livraison intracommunautaire pour la société italienne et une acquisition intracommunautaire pour la société française. A ce titre, elle s'estime en droit de pouvoir réclamer le remboursement de la TVA qu'elle a réglé pour les travaux de peinture réalisés par la société en France.

En revanche, l'administration fiscale considère qu'au moment de leur expédition vers la société française, les biens en cause se trouvaient sur le territoire français, donc il ne s'agissait pas d'une opération intracommunautaire mais d'une opération interne. En conséquence, l'administration n'a pas répondu favorablement à cette demande de remboursement de la société italienne. La société italienne a saisi le tribunal administratif de Paris qui a rejeté sa demande par une décision en date du 3 juillet 2008 (51) ; la cour administrative d'appel de Paris a confirmé la décision des juges du fond (52). Les juges du tribunal administratif puis la cour administrative d'appel ont considéré que les biens en cause ont été livrés à la société française pour le compte du vendeur -la société italienne- par l'intermédiaire de l'autre société située en France ; en conséquence le lieu de livraison des biens doit être regardé comme situé en France, dès lors la demande de remboursement n'est pas justifiée

La Haute juridiction administrative a décidé de surseoir à statuer en adressant une question préjudicielle aux juges de Bruxelles. Aux termes des dispositions du droit de l'UE, doit-on considérer que la livraison d'un bien par une société à un client situé dans un autre Etat membre, après transformation du bien subie dans l'établissement d'une autre société sise dans l'Etat membre du client, est une livraison de bien entre le pays du vendeur (Italie) et le pays du destinataire final (France) ou une livraison de bien au sein du même Etat membre (France) du destinataire final à partir de l'établissement de transformation (France) ?

Pour rappel, le travail à façon est une opération qui implique que le façonnier ne devient pas propriétaire des biens que lui a confié le donneur d'ouvrage (53), dès lors le façonnier ne réalise pas une acquisition intracommunautaire ; en revanche, il réalise une prestation de service pour le compte du fabricant. En se gardant bien d'anticiper sur la possible solution que pourrait donner la CJUE à ce litige, il paraît intéressant de revenir à l'application de règles essentielles quant à la notion de transfert de propriété. Aux termes du II, 1° de l'article 256 du CGI (N° Lexbase : L0374IWR) "est considéré comme livraison d'un bien, le transfert de pouvoir disposer d'un bien meuble corporel comme un propriétaire". Or, il ne semble pas que l'on puisse considérer la remise des pièces métalliques par la société italienne à la société française de peinture afin qu'elle puisse effectuer un travail à façon comme le "transfert de pouvoir disposer d'un bien meuble comme un propriétaire". La société de peinture n'est pas devenue propriétaire desdits biens et a seulement effectué une prestation de services sur ces biens avant de les réexpédier à l'acquéreur, l'autre société française.


(1) CGI, art. 260 B (N° Lexbase : L7107IGC).
(2) Disposition reprise à l'identique par l'article 173-1 de la Directive du Conseil du 28 novembre 2006, relative au système commun de TVA (Directive 2006/112 du Conseil du 28 novembre 2006, relative au système commun de TVA N° Lexbase : L7664HTZ).
(3) Directive du Conseil du 17 mai 1977 en matière d'harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de la TVA : assiette uniforme, art. 19 (Directive 77/388 du Conseil du 17 mai 1977 N° Lexbase : L9279AU9).
(4) Directive du Conseil du 17 mai 1977, op. cit..
(5) Directive du Conseil du 28 novembre 2006, op. cit..
(6) Décret n° 2007-566 du 16 avril 2007, relatif aux modalités de déduction de la TVA et modifiant l'annexe II du CGI (N° Lexbase : L0074HWN). Ce décret a été commenté par l'instruction du 9 mai 2007 (BOI 3 D-1-07 N° Lexbase : X8574ADW), DF, 2007, n° 24, instr. 13728.
(7) CGI Ann. II, art. 206-III (N° Lexbase : L4430IQ7).
(8) C. Legras, Le prorata de TVA peut-il être mondialisé ?, concl. sous CE, Plén., 11 juillet 2011, n° 301849, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A0224HW9), RJF, 10/11, pp. 917-929, p. 917.
(9) J.-C. Bouchard, O. Courjon, Le prorata et le principe de neutralité, DF, 2006, n° 48, pp. 2058-2063, p. 2063.
(10) On peut noter que l'administration fiscale avait aussi redressé la société pour le même motif quant à l'inscription du même élément au dénominateur du rapport déterminant l'assujettissement à la taxe sur les salaires.
(11) TA Paris, 5 octobre 2004, n° 9815466/1.
(12) CAA Paris, 2ème ch., 8 décembre 2006, n° 04PA03905, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A4319DT7).
(13) C. Legras, Le prorata de TVA peut-il être mondialisé ? Concl. sous CE, 11 juillet 2011, n° 301849, publié au recueil Lebon, op. cit..
(14) CE, Plén., 9 janvier 1981, n° 10145, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A5641AK7), DF, 1981, n° 23, comm. 1237.
(15) CE 9° et 10° s-s-r., 29 juin 2001, n° 176105, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A4795AU7), DF, 2001, n° 46, comm. 1056, concl. G. Goulard.
(16) Cette solution était identique à celle dégagée par une décision du 9 janvier 1981 : CE, Plén., n° 10145, op. cit..
(17) Concl. G. Goulard sous CE, 29 juin 2001, n° 176105, op. cit..
(18) CJCE, 23 mars 2006, aff. C-210/04, (N° Lexbase : A6395DN8), RJF, 2006, n° 806. Pour un commentaire de cette décision cf. : M. Gunichard et W. Stemmer, Prestations intra-entreprises et TVA, DF, 2007, n° 11, Etudes 273, pp. 9-13.
(19) CJCE, 23 mars 2006, aff. C-210/04, op. cit..
(20) Outre les articles déjà cités : C. Amand et V. Lenoir, Prorata de déduction de la TVA par les intermédiaires financiers : le chiffre d'affaires des opérations de crédit est-il constitué par les intérêts bruts ou la marge brute ?, Banque et droit, 2005, n° 101, p. 10 ; Prorata mondial : entre le marteau et l'enclume !, DF, 2011, n° 30, act. 241 ; C. Sniadower, Faut-il craindre la mondialisation ? A propos de la décision Sté Crédit Lyonnais sur le calcul du prorata de déduction de la TVA, DF, 2011, n° 44, comm. 573.
(21) V. Gundt et R. Hamacher, Le prorata de déduction de TVA par les organismes financiers en Allemagne, DF, 2007, n° 15, Etude 404.
(22) C. Legras, Le prorata de TVA peut-il être mondialisé ? Concl. sous CE, Plén., 11 juillet 2011, n° 301849, op. cit..
(23) Point 21.
(24) Point 30.
(25) CJUE, 16 juillet 2009, aff. C-244/08 (N° Lexbase : A9696EIX), DF, 2009, n° 30-35, act., 256.
(26) Point 34.
(27) CJCE, 23 mars 2006, aff. C-210/04, op. cit..
(28) Point 40. Conclusions de l'avocat général, M. P. Cruz Villalon, présentées le 13 février 2013.
(29) Point 51. Conclusions de l'avocat général, M. P. Cruz Villalon, présentées le 13 février 2013, op. cit..
(30) CJUE, 19 juillet 2012, aff. C-44/11(N° Lexbase : A0045IR4).
(31) Point 43.
(32) Point 50.
(33) BOI-TVA-BASE-10-10-30-20120912, § 220 (N° Lexbase : X6525ALA).
(34) Gestion de la TVA, Dossiers pratiques Francis Lefebvre, 2002, 665 pages, § 11260.
(35) BOI-TVA-BASE-10-10-30-20120912, § 230, op. cit..
(36) Classe 4.
(37) Gestion de la TVA, op. cit., § 11267.
(38) Gestion de la TVA, op. cit., § 11270.
(39) TA Strasbourg, 22 juillet 2011, n° 00900245.
(40) M. Cozian, F. Deboissy, Précis de fiscalité des entreprises 2012/2013, 36ème édition, 2012, 871 pages, § 1172.
(41) CE 9° et 8° s-s-r., 3 mai 1993, n° 116269, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A9448AMU), RJF 6/1993, n° 774.
(42) T. Lambert, Procédures fiscales, Montchrestien, coll. Domat droit public, 2013, 658 pages, § 595.
(43) T. Lambert, Procédures fiscales, op. cit., § 595.
(44) CE 7° et 8° s-s-r., 24 novembre 1976, n° 94105, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A6876B88), DF, 1976, comm. 1888.
(45) Pour exemple : CE, 27 juillet 2001, n° 2113143, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A5040AU9) et n° 211314 (N° Lexbase : A5041AUA) et n° 211315 (N° Lexbase : A5042AUB), inédits au recueil Lebon, DF, 2001, n° 50, comm. 1156, concl. G. Goulard.
(46) CE 8° et 3° s-s-r., 8 février 2012, n° 336125, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A3385ICD), RJF, 5/12, n° 480.
(47) La bonne foi du contribuable est toujours présumée, c'est donc sur l'administration que pèse la charge de la preuve ; CE 9° et 7° s-s-r., 16 avril 1982, n° 17218, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A1670ALG), RJF, 6/1982, n° 568.
(48) CAA Paris, 2ème ch., 11 mai 2011, n° 09PA00372, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A3861HSS).
(49) M. Cozian, F. Deboissy, Précis de fiscalité des entreprises 2012/2013, op. cit., § 1348.
(50) M. Cozian, F. Deboissy, Précis de fiscalité des entreprises 2012/2013, op. cit., § 1348.
(51) TA Paris, 3 juillet 2008, n° 0206926/2.
(52) CAA Paris, 5ème ch., 21 octobre 2010, n° 08PA04741, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A8115GKR).
(53) Gestion de la TVA, S 4952, op. cit..

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