Réf. : Décret n° 2023-72, du 6 février 2023, portant création d'un traitement de données à caractère personnel dénommé « Témoignages CIIVISE » N° Lexbase : L7452MG4
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N4297BZ8
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par Adélaïde Léon
Le 22 Février 2023
► Le traitement de données à caractère personnel « Témoignages CIIVISE » créé par le décret n° 2023-72, du 6 février 2023, a pour vocation de recevoir les témoignages volontaires des victimes d’inceste ou d’autres violences sexuelles subies alors qu’elles étaient mineures. Outre ses finalités, le décret fixe les données susceptibles d’être enregistrées dans le traitement, les destinataires et la durée de conservation de ces données ainsi que les droits des personnes concernées et leurs modalités d’exercice.
Créée en 2021, la Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (CIIVISE) a pour mission d’ organiser le recueil de témoignages de victimes afin de répondre à deux principaux objectifs :
Le décret n° 2021-72, du 6 février 2023 N° Lexbase : L7452MG4, crée un traitement de données à caractère personnel dénommé « Témoignages CIIVISE » et destiné à recueillir les témoignages volontaires des personnes suivantes :
Conformément aux objectifs de la CIIVISE, ce traitement doit à la fois permettre aux victimes de trouver un espace d’écoute adapté et d’améliorer la connaissance des mécanismes des violences sexuelles sur mineurs ainsi que la connaissance qualitative et quantitative de ces violences.
Le décret du 6 février 2023 encadre la création et l’existence de ce traitement et fixant :
* Mission de la commission, ciivise.fr [en ligne].
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Réf. : CE, 9°-10° ch. réunies, 8 février 2023, n° 452521, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A18249CK
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N4311BZP
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par Yann Le Foll
Le 15 Février 2023
► Doivent être communiqués la copie des documents retraçant les frais de restauration de la maire de la Ville de Paris et des membres de son cabinet et les autres frais de représentation de la maire.
Principe. Des notes de frais et reçus de déplacements ainsi que des notes de frais de restauration et reçus de frais de représentation d'élus locaux ou d'agents publics constituent des documents administratifs, communicables à toute personne qui en fait la demande dans les conditions et sous les réserves prévues par les dispositions de l’article L. 311-6 du Code des relations entre le public et l'administration N° Lexbase : L7092MAW (protection de la vie privée, au secret médical et au secret des affaires, par exemple) (voir pour l'incommunicabilité de documents dont la divulgation porterait atteinte à la sécurité des personnes, CE, 9°-10° s.-sect. réunies, 11 juillet 2016, n° 392586, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A0790RXK).
Position CE. Or, la communication des documents demandés, qui ont trait à l'activité de la maire de Paris dans le cadre de son mandat et des membres de son cabinet dans le cadre de leurs fonctions, ne saurait être regardée comme mettant en cause la vie privée de ces personnes.
En outre, contrairement à ce que soutient la Ville de Paris, la communication des mentions faisant, le cas échéant, apparaître l'identité et les fonctions des personnes invitées ne porte pas davantage atteinte, par principe, à la protection de vie privée de ces autres personnes.
Il appartient à l'autorité administrative d'apprécier au cas par cas, à la date à laquelle elle se prononce sur une demande de communication, si, eu égard à certaines circonstances particulières tenant au contexte de l'événement auquel un document se rapporte, la communication de ces dernières informations ou celle du motif de la dépense serait de nature, par exception, à porter atteinte aux secrets et intérêts protégés par les articles L. 311-5 N° Lexbase : L6819LAS et L. 311-6 du Code des relations entre le public et l'administration, justifiant alors leur occultation.
Décision. La décision de la Ville de Paris refusant la communication des documents demandés doit donc être annulée. Il y a lieu d'enjoindre à la Ville de Paris de réexaminer la demande du requérant dans un délai d'un mois à compter de la notification de la présente décision, sans qu'il soit besoin d'assortir cette injonction d'une astreinte.
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newsid:484311
Réf. : CEDH, 9 février 2023, Req. 58951/18, C8 (Canal 8) c/ France N° Lexbase : A22959CY
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N4357BZE
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par Yann Le Foll
Le 15 Février 2023
► Les sanctions prononcées par le CSA à l’encontre la chaîne de télévision C8 en raison de séquences diffusées dans l’émission « Touche pas à mon poste » n’ont pas méconnu sa liberté d’expression.
Faits. Sont en causes deux séquences : l’une reposant la mise en scène du jeu obscène entre l’animateur vedette et une de ses chroniqueuses ainsi que les commentaires graveleux que celui-ci a suscités, véhiculant, selon le CSA une image stéréotypée négative et stigmatisante des femmes ; l’autre, un canular téléphonique véhiculant, toujours selon le CSA, une image stéréotypée négative et stigmatisante des personnes homosexuelles. Dans les deux cas, la Cour de Strasbourg adopte le point de vue de l’autorité française ayant adopté des sanctions.
Position CEDH. La Cour reconnaît que les sanctions prononcées par le CSA contre la société requérante constituent des ingérences d’une autorité publique dans l’exercice du droit garanti par l’article 10 § 1 de la CESDH N° Lexbase : L4743AQQ (liberté d’expression). Pareilles ingérences enfreignent la Convention si elles ne remplissent pas les exigences du paragraphe 2 de l’article 10 (défense de la sécurité nationale, l’intégrité territoriale ou la sûreté publique…). Il y a donc lieu de déterminer si elles étaient « prévues par la loi », inspirée par un ou des buts légitimes au regard dudit paragraphe et « nécessaires, dans une société démocratique, pour les atteindre » (pour une ingérence non justifiée concernant l’action militante d’une Femen dans l’église de la Madeleine, CEDH, 13 octobre 2022, Req. 22636/19 N° Lexbase : A74738N4).
Le droit à l’humour, protégé par l’article 10 de la CESDH, ne permet pas tout, et quiconque se prévaut de la liberté d’expression assume « des devoirs et des responsabilités » énoncés par le même article 10. En outre, il est manifeste que la diffusion à la télévision de propos d’une personne relatifs à ses préférences ou pratiques sexuelles ou à son anatomie intime, sans son consentement préalable et sans dispositif destiné à prévenir son identification, constitue une atteinte à sa vie privée.
En outre, la même émission avait déjà précédemment multiplié les manquements à ses obligations déontologiques et passé outre aux mises en garde et mises en demeures qui lui avaient été subséquemment adressées.
Sévérité des sanctions. Pour la CEDH, la suspension pendant deux semaines de la diffusion des séquences publicitaires au sein de l’émission « Touche pas à mon poste », ainsi que pendant les quinze minutes précédant et les quinze minutes suivant l’émission, cette sanction s’appliquant aux émissions diffusées en direct comme aux émissions rediffusées, prononcée par le CSA le 7 juin 2017 en raison de l’émission du 7 décembre 2016 et le prononcé d’une sanction pécuniaire de trois millions d’euros, prononcée par le CSA le 26 juillet 2017 en raison de l’émission du 18 mai 2017, sont parfaitement adaptées aux manquements relevés.
Rappel. Le CSA a la possibilité de sanctionner le titulaire d'une autorisation d'exploiter des services audiovisuels ayant failli à son devoir d'assurer la maîtrise de l'antenne, notamment en cas de propos répétés attentatoires à la dignité humaine (CE, 5°-6° ch. réunies, 17 décembre 2018, n° 416311, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A9174YQT).
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Réf. : TJ Nancy 17 novembre 2022 n° 22/01315 N° Lexbase : A79069CS
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N4341BZS
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par Jean-Pierre Dumur, MRICS, Expert agréé par la Cour de cassation, Expert près la Cour supérieure de justice de Luxembourg
Le 15 Février 2023
Mots-clés : bail commercial • déplafonnement du loyer • révision triennale • renouvellement du bail • mission de l’expert
Dans la série « les pièges du statut », les actions en déplafonnement du loyer tiennent une place privilégiée : selon que l’action sera engagée dans le cadre du renouvellement d’un bail commercial ou dans le cadre d’une révision triennale, on va passer de la promenade de santé au parcours du combattant !
Dans un billet paru ici-même le 5 janvier dernier [1], j’avais évoqué les dispositions légales permettant de faire varier le loyer au cours d’un bail commercial, en l’espèce l’article L. 145-37 du Code de commerce N° Lexbase : L5765AID qui prévoit expressément la faculté, pour l’une ou l’autre des parties, d’obtenir une révision du loyer en cours de bail : « Les loyers des baux d'immeubles ou de locaux régis par les dispositions du présent chapitre, renouvelés ou non, peuvent être révisés à la demande de l'une ou de l'autre des parties sous les réserves prévues aux articles L. 145-38 N° Lexbase : L5034I3T et L. 145-39 N° Lexbase : L5037I3X et dans des conditions fixées par décret en Conseil d'État ».
J’avais indiqué qu’il s’agissait d’une disposition d’ordre public, mais que, pour autant, la révision légale n'était ni une révision de plein droit, ni une révision automatique, l’article R. 145-20 du Code de commerce N° Lexbase : L7054I4Z disposant que, « la demande de révision des loyers prévue à l'article L. 145-37 est formée par acte extrajudiciaire ou par lettre recommandée avec demande d'avis de réception. Elle précise, à peine de nullité, le montant du loyer demandé ou offert ».
J’avais ajouté qu’en outre la demande de révision n'avait pas d’effet contraignant et n’avait pas le pouvoir d'entraîner la modification automatique du loyer : en cas de contestation de la part de l'autre partie, il appartient à la partie qui entend obtenir la révision du loyer à la hausse ou à la baisse de faire fixer le nouveau loyer judiciairement [2]. Dans cette hypothèse, le nouveau loyer prendra effet rétroactivement à la date de la demande de révision, mais pendant la durée des négociations ou de la procédure l'ancien loyer restera applicable et, sur la période considérée, il y aura lieu, le cas échéant, au versement d'un rappel assorti des intérêts au taux légal.
J’avais précisé enfin que la demande de révision du loyer pourrait prospérer plus ou moins aisément selon qu’on la mettrait en œuvre en application de l’une ou l’autre des dispositions du statut visées par l’article L. 145-37 du Code de commerce : l’article L. 145-38, applicable à la révision triennale légale, ou l’article L. 145-39, qui concerne la révision du loyer par le jeu de la clause d’échelle mobile.
Et j’avais conclu que, si la mise en œuvre de l’article L. 145-39 pouvait constituer aujourd’hui, compte tenu de la forte hausse des indices et notamment de l’Indice du coût de la construction (ICC), une opportunité pour les enseignes de faire baisser leur loyer en cours de bail, il n’en allait pas de même de la mise en œuvre de l’article L. 145-38 que j’avais qualifiée de « parcours du combattant » !
Mais comme nul n’est prophète en son pays, c’est avec une certaine surprise que j’ai pris connaissance le 8 janvier dernier, soit moins d’une semaine après la parution de mon billet, d’un article publié dans la revue professionnelle « La Correspondance de l’Enseigne » intitulé « Nancy ouvre la voie à la révision triennale », ci-après littéralement rapporté :
« Le tribunal judiciaire de Nancy reçoit la demande de S0STRENE GRENE de révision triennale du loyer. Le magasin de la place Maginot, placé en procédure de sauvegarde et par ailleurs en délicatesse pour loyers impayés devant le tribunal d'Évry, estime que la fermeture du VAPIANO mitoyen, dont la présence était une condition essentielle à la signature du contrat, et la médiocre situation du plateau marchand de Nancy, justifient de passer le loyer du bail, signé en 2018, de 85 000 € (86 289 indexés) à 45 000 €. IMMORENTE, le propriétaire, n'est pas du même avis... Mais l'expertise ordonnée pour cause de déplafonnement en triennale marque en soi un accueil favorable de la démarche du commerçant face à une convention antérieure à la crise sanitaire ».
À la lecture de cet article, j’ai cherché en vain où pouvait bien se nicher, dans le cas d’espèce, une application des règles draconiennes et cumulatives permettant un déplafonnement du loyer en matière de révision triennale, au visa de l’article L. 145-38 du Code de commerce.
Qu’on en juge :
En application de l'article L. 145-38 du Code de commerce, « La demande en révision ne peut être formée que trois ans au moins après la date d'entrée en jouissance du locataire ou après le point de départ du bail renouvelé. La révision du loyer prend effet à compter de la date de la demande en révision. De nouvelles demandes peuvent être formées tous les trois ans à compter du jour où le nouveau prix sera applicable ».
C’est ainsi que ce n’est que lorsque le loyer est applicable depuis au moins trois ans que l'une ou l'autre des parties peut solliciter sa révision.
En outre, si en principe le loyer révisé devrait être fixé à la valeur locative en application de l’article L. 145-33 N° Lexbase : L5761AI9, en réalité il n’en est rien : le troisième alinéa de l'article L. 145-38 limite en effet ce principe : « Par dérogation aux dispositions de l’article L. 145-33 et à moins que ne soit rapportée la preuve d'une modification matérielle des facteurs locaux de commercialité ayant entraîné par elle-même une variation de plus de 10 % de la valeur locative, la majoration ou la diminution de loyer consécutive à une révision triennale ne peut excéder la variation de l’indice trimestriel des loyers commerciaux ou de l’indice trimestriel des activités tertiaires mentionnés aux premier et deuxième alinéas de l’article L. 112-2 du Code monétaire et financier N° Lexbase : L3110IQA, intervenue depuis la dernière fixation amiable ou judiciaire du loyer […] ».
Il en résulte qu’une révision du loyer à la valeur locative dans le cadre d’une révision triennale légale n’est envisageable que sous réserve de justifier de la réunion, sur la période considérée, de trois conditions cumulatives.
Je me suis donc procuré copie du jugement en objet (TJ Nancy 17 novembre 2022 n° 22/01315).
On y relève d’abord une confusion entre les articles L. 145-38 et L. 145-34 du Code de commerce.
On peut lire en effet : « […] La fermeture du restaurant VAPIANO et la disparition de clientèle de ce dernier constituent nécessairement une perte pour le magasin de décoration d’intérieur qui perd ainsi également de nombreux clients potentiels. Sans qu’il soit besoin de produire les chiffres d’affaires annuels de l’enseigne, la disparition du restaurant entraine une perte d’attrait du local considéré et affecte la commercialité de l’enseigne SOSTENE GRENE. Par ailleurs, la société locataire démontre, en s’appuyant sur des chiffres précis, que de nombreux locaux aux alentours de la Place Maginot sont vacants, et ce notamment en raison de la hausse des prix du loyer. Elle évoque aussi une baisse du nombre d’usagers des transports en commun nancéiens et conclut, de l’ensemble de ces éléments, à une véritable baisse des flux humains gravitant autour de l’enseigne SOSTENE GRENE et que la présence du restaurant VAPIANO aurait contribué à dynamiser. Enfin, les modifications alléguées par la société IMMORENTE, si elles peuvent apparaître favorables à la société locataire, n’en demeurent pas moins susceptibles de constituer également des modifications des facteurs locaux de commercialité, lesquelles justifient dès lors le déplafonnement du loyer en application des dispositions de l’article L. 145-38 du Code de commerce. Le loyer du bail révisé sera donc déplafonné et fixé à la valeur locative, dans la limite des seuils fixés aux articles susmentionnés ».
Bien qu’ayant préalablement énoncé in extenso les dispositions de l’article L. 145-38 relatives aux règles de déplafonnement du loyer en matière de révision triennale légale, le jugement applique les règles de déplafonnement fixées par l’article L. 145-34 en matière de renouvellement du bail :
On y relève ensuite une confusion dans les termes de la mission confiée à l’expert :
On peut lire en effet : « Pour établir la valeur locative du bien, il convient de faire application des dispositions de l’article L. 145-33 du Code de commerce et de la déterminer, à défaut d’accord entre les parties, en prenant en compte les éléments suivants :
1° Les caractéristiques du local considéré ;
2° La destination des lieux ;
3° Les obligations respectives des parties ;
4° Les facteurs locaux de commercialité ;
5° Les prix couramment pratiqués dans le voisinage…
Par ces motifs […] ordonne une expertise et désigne pour y procéder Madame XXX, avec pour mission de […] déterminer la valeur locative à la date du 23 juillet 2021, en précisant s’il y a lieu à pondération et, le cas échéant, selon quels critères ».
Il résulte de ce qui précède que :
Aussi, si l’on s’en tient aux termes de la mission confiée à l’expert, il est à craindre que le jugement final constate le taux de variation entre le loyer contractuel à la date de prise d’effet du bail et la valeur locative à la date de la révision, aux lieu et place du taux de variation entre la valeur locative à la date de prise d’effet du bail et la valeur locative à la date de la révision, ce qui constitue un contresens fréquent dans la lecture de l’article L. 145-38 du Code de commerce.
[1] J.-P. Dumur, Hausse des indices : article L. 145-39… Le retour ?, Lexbase Affaires, janvier 2023, n° 740 N° Lexbase : N3796BZM.
[2] Cass. civ. 3, 12 avril 1995, n° 93-12.849 N° Lexbase : A7647ABT.
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Réf. : Cass. com., 8 février 2023, n° 21-16.874, F-B N° Lexbase : A97009BU
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N4356BZD
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par Claire-Anne Michel, Maître de conférences, Université Grenoble-Alpes, Centre de recherches juridiques (CRJ)
Le 15 Février 2023
► En cas de restitution en valeur d’une prestation de services, il faut prendre en compte le coût de la prestation, ainsi que la TVA.
Jusqu’à l’ordonnance du 10 février 2016, le Code civil ne contenait pas de droit commun des restitutions, seules des dispositions spéciales éparses (v. par exemple l’ancien article 1312 N° Lexbase : L1423ABC sur les restitutions dues au mineurs) envisageaient ce « contrat à l’envers » (Ph. Malaurie, L. Aynès et Ph. Stoffel-Münck, Les obligations, n° 723). Les principes étaient donc jurisprudentiels. Le nouvel article 1352 du Code civil N° Lexbase : L1003KZ8 constitue donc l’une des innovations majeures de la réforme. Si, ces nouvelles dispositions ont progressivement vocation à prendre le relais des solutions dégagées auparavant par la jurisprudence, ces dernières trouvent encore à s’appliquer. Ainsi en est-il de l’arrêt rendu le 8 février 2023, lequel relevait du droit antérieur.
Faits et procédure. En l’espèce, étaient en cause les restitutions consécutives à la résolution d’un contrat par lequel l’une des parties s’engageait à prendre en charge des appels téléphoniques d’une société de dépannage d’ascenseur. Seule une restitution en valeur était possible. Mais cette restitution en valeur due à la société ayant pris en charge les appels devait-elle non seulement inclure le coût des appels proposé par la société, mais également la TVA à laquelle la prestation fournie était assujettie ? Les juges du fond avaient limité les restitutions au seul coût des appels, sans inclure le montant de la TVA (CA Paris, 28 janvier 2022, n° 21/00618 N° Lexbase : A77827KG).
Solution. C’est au visa de l’ancien article 1184 N° Lexbase : L1286ABA, consacré à la résolution, et de l’article 256 du CGI N° Lexbase : L5704MAI que l’arrêt est cassé : « la restitution en valeur d’une prestation accomplie sur le fondement d’un contrat résolu doit inclure la taxe sur la valeur ajoutée à laquelle cette prestation est assujettie ». La solution tient ainsi compte du coût objectif de la prestation fournie (rappr. Cass. civ. 1, 12 juillet 2012, n° 11-17.587, FS-P+B+I N° Lexbase : A7510IQ9). Reste à savoir quelle sera la pérennité de la solution sous l’empire du nouvel article 1352-8 du Code civil N° Lexbase : L0742KZI qui dispose que « la restitution d’une prestation de service à lieu en valeur. Celle-ci est appréciée à la date à laquelle elle a été fournie ».
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Réf. : Décret n° 2023-25 du 23 janvier 2023 pris pour l'application de règlements européens en matière familiale, d'obtention des preuves et de signification ou notification des actes et portant diverses dispositions relatives au divorce, aux sûretés et à la légalisation et l'apostille N° Lexbase : L6265MG7
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N4334BZK
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par Aude Lelouvier, Docteur en droit, Avocat à la cour
Le 15 Février 2023
Mots-clés : droit international privé • famille • divorces internationaux • responsabilité parentale • Règlement « Bruxelles II ter • ; circulation des décisions • actes authentiques • accords • divorces privés • reconnaissance • exécution • motifs de refus • inconciliabilité de décisions • certificats • requête aux fins de certification • effets du divorce • obligations alimentaires • régimes matrimoniaux • sécurité juridique • ordre public international • droit au procès équitable • procédure • compétence
Par son décret d’application du 23 janvier 2013, le Gouvernement a entendu faciliter le travail des praticiens du droit en déterminant précisément les règles procédurales applicables en matière de circulation des actes judiciaires et extrajudiciaires soumis au champ d’application du Règlement « Bruxelles II ter » applicable en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale. C’est ainsi que le Président du tribunal judiciaire devient l’un des acteurs principaux garantissant l’effectivité des décisions mais aussi des actes et surtout des accords sur le territoire des autres États membres de l’Union.
Le 23 janvier 2023, Madame la Première ministre a pris un décret d’application afin de préciser les contours des règles procédurales qui régissent, notamment les décisions prises en matière familiale sur le fondement de Règlements européens. De nombreux points ont été abordés, tels que la modification de l'article 1107 CPC concernant la procédure des divorce contentieux ou l’information des mineurs sur leur droit à être entendu [1], la délivrance de certificats préalables à la circulation des actes judiciaires et extrajudiciaires au sein de l’Union européenne, ou encore les règles applicables aux demandes de refus de reconnaissance ou d’exécution des décisions.
L’occasion nous est ainsi donnée de faire le point sur les nouvelles dispositions intégrées dans le Code de procédure civile et d’effectuer quelques rappels sur les règles applicables en matière de reconnaissance et exécution des décisions en vertu du Règlement (UE) n° 2019/1111 du Conseil du 25 juin 2019 surnommé « Bruxelles II ter » N° Lexbase : L9432LQE.
I. Dispositions communes à la reconnaissance et à l’exécution des décisions judiciaires prises en matière familiale
Absence de procédure spéciale en matière de reconnaissance. Le Règlement « Bruxelles II ter » consacre une section propre aux dispositions générales applicables en matière de reconnaissance et d’exécution. C’est ainsi que, communément à la politique de l’Union, est retenu un principe de reconnaissance de plein droit entre États membres pour les décisions qui émaneraient de leurs juridictions. Ainsi, aucune procédure spéciale ne doit être mise en œuvre.
Pièces à fournir. Néanmoins, afin d’assurer la reconnaissance d’une décision, l’article 31 du Règlement précise que la partie qui souhaite invoquer ladite décision dans un autre État membre doit fournir une copie de la décision réunissant les conditions nécessaires pour en établir l’authenticité mais aussi un certificat délivré par la juridiction de l’Etat membre d’origine permettant de certifier la décision demandant à être reconnue.
Suppression totale d’une procédure d’exequatur. Au-delà de la reconnaissance, et afin de faciliter la libre circulation des décisions en matière familiale, le Règlement supprime toute procédure préalable d’exequatur en matière de responsabilité parentale et rend donc les décisions émanant des États membres directement exécutoires dans les autres États membres.
Pièces à communiquer. Identiquement, celui qui entend se prévaloir de l’exécution de la décision dans un autre État membre doit communiquer à l’autorité chargée de l’exécution une copie de la décision réunissant les conditions nécessaires pour en établir l’authenticité et le même certificat que celui requis en matière de reconnaissance [2].
Or, la procédure permettant d’obtenir ce certificat est spécialement prévue à l’article 36 du Règlement qui retient qu’il appartient à la juridiction de l’État membre d’origine de délivrer, à la demande d’une partie, un certificat qui concernerait une décision en matière matrimoniale, une décision en matière de responsabilité parentale, une décision ordonnant le retour d’un enfant, et le cas échéant, toute mesure provisoire ou conservatoire accompagnant la décision.
En toute hypothèse, le Règlement met à disposition des juridictions des formulaires qui figurent en annexe pour faciliter la délivrance de ces certificats.
Toutefois une question demeurait… Celle de savoir quel juge était compétent pour délivrer ce certificat devant les juridictions françaises et par quelle voie ?
Délivrance des certificats par le Directeur de greffe de la juridiction auteure de la décision. Le décret apporte une réponse à cette question et indique que désormais, les demandes de certificats visés à l’article 36 du Règlement doivent être présentées par le biais d’une requête aux fins de certification laquelle doit être présentée au directeur de greffe de la juridiction qui a rendu la décision.
Rien de bien surprenant à ce que le juge destine la délivrance du certificat à la direction du greffe de la juridiction dont la décision émane puisqu’un nouveau contrôle de sa part ne présenterait pas un immense intérêt. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle, une règle similaire est prescrite s’agissant des décisions « privilégiées ».
II. Dispositions spéciales à la reconnaissance et l’exécution de certaines décisions privilégiées en matière d’autorité parentale
Extension des règles communes applicables en matière de reconnaissance et d’exequatur. Le Règlement « Bruxelles II ter » prévoit des dispositions particulières en matière de reconnaissance et d’exécution pour les décisions accordant un droit de visite et les décisions au fond en matière de droit de garde qui impliquent le retour de l’enfant à la suite d’un enlèvement international.
Pour ces décisions, les règles de principe applicables aux dispositions communes en matière de reconnaissance et d’exequatur sont identiques, et les documents à produire sont alors nécessairement les mêmes. Néanmoins, la procédure permettant d’obtenir le certificat exigé est cette fois-ci prévue à l’article 47 du Règlement qui retient en réalité la même procédure de délivrance que celle applicable aux décisions communes et prévue à l’article 36.
Certification soumise à la compétence du juge auteur de la décision. Sans surprise, le décret d’application a, en toute logique, opté pour un encadrement relativement proche à celui énoncé précédemment. Ainsi, à la lettre de l’article 509-1, II, du Code de procédure civile N° Lexbase : L6489MGG, les demandes de certificats visés à l’article 47 du Règlement doivent également être présentées par l’intermédiaire d’une requête aux fins de certification laquelle doit cette fois-ci être présentée directement devant le juge qui a rendu la décision.
Ainsi, semble-t-il, dans la mesure où ces décisions sont considérées comme « privilégiées » en ce qu’elles affectent la garde de l’enfant, elles doivent être nécessairement certifiées par le juge qui a rendu la décision même si l’on voit mal pourquoi un juge refuserait de certifier une décision qui émane de son propre chef…
Quoi qu’il en soit, le choix opéré par le décret quant à l’autorité compétente au sein des juridictions pour certifier des titres exécutoires français paraît somme toute cohérent puisque ce rôle revenait implicitement à l’auteur de ces titres exécutoires. En revanche, cette cohérence disparaît lorsqu’il est question de la circulation des accords privés… Et notamment de la question des divorces extrajudiciaires. Heureusement, le décret d’application s’est prononcé sur ce point, ce qui ne manquera pas de réjouir les professionnels du droit.
III. Dispositions propres à la circulation des actes authentiques et accords en matière familiale
Accords relatifs à la séparation de corps et au divorce, et accords en matière de responsabilité parentale. Le Règlement « Bruxelles II ter » a été particulièrement opportun en ce qu’il a permis la circulation des « accords », et notamment en droit privé des divorces par consentement mutuel qui résultent d’actes sous signature privée contresignés par avocats.
Circulation des nouveaux divorces privés. C’est ainsi, que ce Règlement permet notamment aux divorces privés conclus postérieurement au 1er août 2022 de circuler librement au sein de l’Union européenne sans qu’il soit nécessaire de recourir à une procédure particulière en matière de reconnaissance et/ou d’exécution [3].
Exclusion de l’aspect patrimonial du divorce. La vigilance doit rester de mise dans la mesure où le champ d’application du texte ne concerne que les accords relatifs à la séparation de corps et au divorce, ainsi que les accords en matière de responsabilité parentale. Une chose est donc sûre, l’aspect patrimonial de la désunion n’est pas concerné. Dès lors, tous les effets concernant les obligations alimentaires demeurent soumis au Règlement européen (CE) n° 4/2009 du 18 décembre 2008 [4], qui ne permet pas la circulation des accords privés en la matière.
Conseils de rédaction de la convention en matière d’obligations alimentaires. Ainsi, on invitera tout praticien à insérer dans la convention de divorce une clause attributive de juridiction dans l’hypothèse où un contentieux s’élèverait à ce propos, ainsi que d’une clause de choix de lois pour déterminer la loi applicable en la matière. Bien entendu, si le divorce a été conclu sur le territoire français à l’aide de conseils français, il serait pertinent de désigner les juridictions françaises et de retenir la compétence de la loi française puisque sans doute, la question des obligations alimentaires aura été réglée selon le droit français. On pense notamment à la prestation compensatoire qui ne trouve pas forcément son homologue dans l’ensemble des territoires de l’Union.
Liquidation du régime matrimonial par acte authentique. En outre, un autre aspect patrimonial de la désunion n’est donc pas intégré au champ d’application du Règlement « Bruxelles II ter », et c’est celui de la liquidation et du partage du régime matrimonial. C’est pourquoi, et ce, même en l’absence de bien immobilier, il est préférable de s’adresser à un notaire pour qu’il dresse par acte authentique la liquidation et l’éventuel partage du régime matrimonial des époux. Pourquoi ? Parce que les actes authentiques ont vocation à circuler librement au sein de l’Union [5], ce qui permettra de garantir aux époux une sécurité juridique en la matière.
Pièces nécessaires à la circulation du divorce privé. Conseils juridiques présentés, doivent être abordées les règles à suivre pour se prévaloir de son divorce privé sur le territoire d’un autre État membre.
Copie de l’acte ou de l’accord. Pour ce faire, l’article 65 renvoyant à la section 1 relative à la circulation des décisions, impose donc de fournir de nouveau une copie de l’acte ou l’accord réunissant les conditions nécessaires pour en établir l’authenticité mais aussi un certificat de l’acte ou accord demandant à être reconnu.
Certificat. Pour obtenir ce certificat, l’article 66 du Règlement « Bruxelles II ter » retient que le certificat concernant un acte authentique ou un accord en matière matrimoniale ou en matière de responsabilité parentale est délivré par la juridiction ou l’autorité compétente d’un État membre d’origine à la demande d’une partie. Toutefois, il est spécifiquement précisé que le certificat ne peut être délivré que si certaines conditions sont remplies, à savoir :
Vérification de la compétence du juge français. Ainsi, l’avocat qui souhaite proposer à son client un divorce par consentement mutuel devra au préalable vérifier que les juridictions françaises étaient bien compétentes avant de se lancer dans cette voie…
Contradiction avec l’intérêt supérieur de l’enfant : refus de délivrance du certificat. Le Règlement n’a pas manqué d’ajouter que le certificat ne saurait être délivré si des éléments permettent de considérer que le contenu de l’acte authentique ou de l’accord est contraire à l’intérêt supérieur de l’enfant. D’où l’intérêt finalement de subordonner la délivrance du certificat à une autorité judiciaire…
Autorité compétente pour procéder à la délivrance du certificat. Quoi qu’il en soit, si le texte a prévu qu’il fallait solliciter ce certificat auprès des juridictions de l’État membre d’origine, il n’a pas répondu à la question de savoir quelle était l’autorité compétente au sein de chaque État membre. C’est la raison pour laquelle, par son décret du 23 janvier 2023, le Gouvernement a choisi d’insérer à l’article 509-1 du Code de procédure civile N° Lexbase : L6489MGG un « III » qui permettra maintenant aux avocats de savoir vers qui se tourner !
Compétence reconnue au Président du tribunal judiciaire ou son délégué. Désormais, il est donc prévu que les requêtes aux fins de certifications des titres exécutoires français en vue de leur reconnaissance et exécution à l’étranger en application de l’article 66 du Règlement (UE) 2019/1111 du Conseil du 25 juin 2019 sont présentées au Président du tribunal judiciaire ou son délégué. En sus, cet article a même inclus des règles de compétence territoriale.
Compétence territoriale. Dès lors, la requête doit être présentée au Président du tribunal judiciaire dans le ressort duquel l’acte authentique a été reçu, ou dans le ressort duquel l’acte sous signature privée contresignée par avocats a été déposé au rang des minutes d’un notaire, ou dont la greffe a apposé la formule exécutoire sur l’accord.
On ne peut donc que se féliciter de cette nouvelle disposition dans le Code de procédure civile qui facilitera le travail des praticiens du droit et qui permettra une circulation plus aisée et plus sécurisée des divorces privés à l’aide d’un certificat émanant d’une autorité judiciaire.
IV. Précisions sur les demandes relatives au refus de reconnaissance et d’exécution en matière familiale
Demande d’opposition à l’exécution : recours à la procédure accélérée au fond. Il est également important de noter que le décret du 23 janvier 2023 est venu préciser le cadre procédural dans lequel il devait être procédé aux demandes tendant à s’opposer à l’exécution d’une décision et ce pour diverses raisons. En effet, le nouvel article 509-10 du Code de procédure civile N° Lexbase : L6476MGX précise que les demandes formées en application des articles 41 [6], 50 [7], 56 § 6, 57 ou 68 § 2 et 3 du Règlement « Bruxelles II ter » doivent être faites devant le Président, ou son délégué, du tribunal judiciaire, et surtout selon les règles de la procédure accélérée au fond.
Le recours à une procédure d’urgence. En d’autres termes, chaque fois qu’un motif de refus peut être invoqué, ou bien que la décision serait inconciliable avec une décision rendue précédemment, la demande tendant à s’opposer à l’exécution de la décision peut donc faire l’objet d’une procédure d’urgence. On ne peut que s’accorder avec ce choix dans la mesure où il est parfaitement cohérent de faire primer l’urgence dans une hypothèse où la décision ne respecterait pas les dogmes imposés par le Règlement dont les filtres n’ont que pour objet de respecter l’ordre public international français, tant de fond que de procédure, et surtout d’assurer au justiciable le respect de ses droits à un procès équitable.
Option de compétence territoriale. En outre, afin de parfaire cette disposition, le Gouvernement a pensé à retenir des règles de compétence territoriale et entendu ajouter à cette disposition que la demande doit être portée devant le Président du tribunal judiciaire dans le ressort duquel demeure le demandeur, se trouve le lieu de résidence habituelle de l’enfant, doit s’exercer le droit de visite fixé par la décision, ou encore, se situe le bien concerné par la décision dont le refus d’exécution est demandé.
Spécificités applicables aux demandes relatives au refus de reconnaissance. Le décret va encore plus loin puisqu’il crée également un article 509-11 dans le Code de procédure civile N° Lexbase : L6478MGZ, dans lequel il se prononce aussi sur le sort des demandes aux fins de constat de l’absence de motifs de refus de reconnaissance et aux fins de refus de reconnaissance respectivement formées en application des articles 30 [8] et 40 [9] du Règlement « Bruxelles II ter ».
Précision sur la compétence territoriale du Président du tribunal judiciaire. En tout état de cause, si cette fois la demande concerne la reconnaissance et non pas l’exécution, la nouvelle disposition précise que la demande doit, encore une fois, être portée devant le Président du tribunal judiciaire, ou son délégué, dans le ressort duquel se trouve le domicile du demandeur ou du défendeur. Néanmoins, le décret a prévu l’hypothèse dans laquelle aucune des parties n’aurait son domicile en France, dans ce cas la demande doit être portée devant le Président du tribunal judiciaire de Paris ou son délégué.
Conclusion. Ainsi, ce décret a vocation à faire l’apanage des règles procédurales liées à l’application du Règlement « Bruxelles II ter » afin de garantir au justiciable ses droits même dans le cas où il se déplacerait d’un État membre à un autre, ce qui est vraisemblablement fréquent dans le contentieux touchant au droit international privé.
En toute hypothèse, ces nouvelles règles vont indubitablement faciliter le travail des professionnels du droit lesquels pourront notamment se procurer des certificats directement auprès du Président du tribunal judiciaire afin de faire valoir ce que de droit sur l’ensemble du territoire de l’Union européenne. Reste à ne pas oublier que ces règles ne valent que pour la circulation des décisions au sein de l’Union européenne, il en est tout autrement de la circulations des actes judiciaires et extrajudiciaires sur le territoire d’un État tiers.
[1] En effet, l'article 1107 CPC a été modifié comme suit : « Lorsque le demandeur n'a pas indiqué le fondement de la demande en divorce dans l'acte introductif d'instance, le défendeur ne peut lui-même le faire avant les premières conclusions au fond du demandeur ou, à défaut, avant l'expiration du délai fixé par le juge de la mise en état par injonction de conclure. » (sur ce point, v. J. Casey, Sommaires de droit du divorce 2022-2, Lexbase Droit privé, n° 935, 16 février 2023 N° Lexbase : N4385BZG. Par ailleurs, l’article 338-1 du Code de procédure civile N° Lexbase : L1389LCG a été complété comme suit : « Dans toute décision concernant un mineur capable de discernement, mention est faite que le ou les titulaires de l’exercice de l’autorité parentale, le tuteur ou, le cas échéant, la personne ou le service à qui il a été confié, se sont acquittés de leur obligation d’information prévue au premier alinéa ». De plus, à la suite de l’article 1568 du Code de procédure civile N° Lexbase : L5926MB4 qui permet à toute partie de demander qu’un accord issu d’une médiation, conciliation ou procédure participative soit revêtu de la formule exécutoire, est inséré un nouvel article. Ce dernier retient que « Lorsque l’accord porte sur les modalités d’exercice d’autorité parentale, il est fait mention dans l’acte de ce que le mineur capable de discernement a été avisé de son droit à être entendu et, le cas échéant, qu’il pas souhaité faire usage de cette faculté. À défaut le greffier rejette la demande » (CPC art. 1568-1 N° Lexbase : L6495MGN).
[2] À titre indicatif, en matière de reconnaissance et d’exequatur, la juridiction ou l’autorité compétente devant laquelle la décision rendue dans un autre État membre est invoquée peut exiger de la partie qui l’invoque une traduction de cette décision.
[3] Art. 65 du Règlement : « 1. Les actes authentiques et les accords relatifs à la séparation de corps et au divorce qui ont un effet juridique contraignant dans l’État membre d’origine sont reconnus dans les autres États membres sans qu’il soit nécessaire de recourir à aucune procédure. (…) 2. Les actes authentiques et les accords en matière de responsabilité parentale ont un effet juridique contraignant et qui sont exécutoires dans l’État membre d’origine sont reconnus et exécutés dans les autres États membres sans qu’une déclaration constatant leur force exécutoire ne soit nécessaire. (…) ».
[4] Règlement (CE) n°4/2009 du 18 décembre 2008 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions et la coopération en matière d’obligations alimentaires N° Lexbase : L5102ICX.
[5] Pour aller plus loin, v. notamment : Règlement (UE) n° 2016/1103 du Conseil du 24 juin 2016 mettant en œuvre une coopération renforcée dans le domaine de la compétence, de la loi applicable, de la reconnaissance et de l’exécution des décisions en matière de régimes matrimoniaux N° Lexbase : L2357K98.
[6] « Sans préjudice de l’article 56 § 6, l’exécution d’une décision en matière de responsabilité parentale est refusé lorsque l’existence de l’un des motifs de refus de reconnaissance visés à l’article 39 est constatée » ; Art. 39 du Règlement : « La reconnaissance d’une décision en matière de responsabilité parentale est refusée : a) si la reconnaissance est manifestement contraire à l’ordre public de l’État membre dans lequel la reconnaissance est invoquée, eu égard à l’intérêt supérieur de l’enfant ; b) si, lorsque la décision a été rendue par défaut, l’acte introductif d’instance ou un acte équivalent n’a pas été signifié ou notifié à la personne défaillante en temps utile et de telle manière que celle-ci puisse pourvoir à sa défense, à moins qu’il ne soit établi que cette personne a accepté la décision de manière non équivoque ; (…) ».
[7] « La reconnaissance et l’exécution d’une décision visée à l’article 42§1, est refusée si et dans la mesure où la décision est inconciliable avec une décision en matière de responsabilité parentale rendue ultérieurement à l’égard du même enfant : a) dans l’État membre dans lequel la reconnaissance est invoquée ou b) dans un autre État membre ou dans l’État tiers où l’enfant réside habituellement, dès lors que la décision ultérieure réunit les conditions nécessaires à sa reconnaissance dans l’État membre dans lequel la reconnaissance est invoquée. »
[8] Art. 30 § 3 : « Toute partie intéressée peut faire constater, (…), l’absence de motifs de refus de reconnaissance visés aux articles 38 et 39 ».
[9] À titre indicatif, l’article 40 renvoie aux procédures prévues en matière de demande de refus d’exécution prévue aux articles 59 et 62 du Règlement et indique que ces règles s’appliquent aussi aux demandes de refus de reconnaissance.
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par Ghizlane Loukili, Docteur en droit privé, spécialité droit du numérique
Le 14 Mars 2023
Mots-clés : oeuvre d'art • droit privé • fiscalité • propriété littéraire
La notion d’œuvre d’art [1] est, d’une part, évolutive dans l’espace et dans le temps, et, d’autre part, polymorphe en ce qu’elle recouvre un éventail de diverses formes créatives. Voici les deux grandes caractéristiques qui régissent la notion et qui se dégagent lors de son étude de prime abord.
Quant à la question de qualification et de l’appréhension d’une œuvre, en tant qu’œuvre d’art, ces dernières sont empreintes d’une grande subjectivité [2] qui résulte d’une idéologie sociologique et esthétique propre à chacun. Ces difficultés se répercutent, de facto, sur la question de l’œuvre d’art numérique [3].
Dans le cadre de l’œuvre d’art numérique, les difficultés juridiques à l’appréhension des biens numériques et la difficulté de qualification de l’œuvre d’art qui ne connaît pas de définition en droit positif se cumulent.
C’est donc sans difficulté et dans la stricte lignée des éléments exposés supra que la définition de l’œuvre d’art peut être qualifiée de problématique, car l’esprit de cette dernière reste difficile à sonder, en ce qu’elle se prête difficilement à la systématisation ou à la catégorisation.
En droit privé, la définition de la notion d’œuvre d’art a été si laborieuse à trancher que ce sont ses caractéristiques qui sont appréhendées à la défaveur du recours à une définition rigide [4]. En effet, la notion d’œuvre d’art n’est pas invoquée par le Code civil, et le Code de la propriété intellectuelle ne se penche que sur les œuvres de l’esprit, notion plus large.
La Directive (CE) n° 2006/12, du Parlement européen et du Conseil, du 5 avril 2006, relative aux déchets N° Lexbase : L4374HIT, quant à elle, déroule une liste d’œuvres d’art, laquelle est codifiée à l’article 98 A, II de l’annexe III du Code général des impôts N° Lexbase : L2271HM3, rappelons ici que cette liste consiste en une énumération limitative qui doit faire l’objet d’une interprétation restrictive.
Via l’étude des éléments présentés par cette liste, on peut conclure que l’œuvre d’art n’est pas une œuvre de l’esprit, mais, qu’elle a en commun un certain nombre d’éléments avec cette dernière, notamment le critère de création originale.
D’aucuns soutiennent que l’œuvre d’art se distingue de l’œuvre de l’esprit par la rareté, cette conception est remise en cause par certaines formes d’art numérique [5].
En droit fiscal, la notion d’œuvre d’art se trouve définie à l’article 98 A de l’annexe III du Code général des impôts N° Lexbase : L2271HM3, sous forme d’une liste limitative. Cette définition est issue de l’article 2 du décret n° 95-172, du 17 février 1995, relatif à la définition des biens d'occasion, des œuvres d'art, des objets de collection et d'antiquité pour l'application des dispositions relatives à la taxe sur la valeur ajoutée [6] N° Lexbase : O4085BRQ. Cette définition en provenance du système commun de TVA est critiquable sous différents aspects, tout d’abord, elle enclave la notion dans un certain nombre d’exemples qui agissent comme des limites, de plus, elle ne prend pas en compte le principe de spécificité de chaque impôt, ainsi que celui de non-autonomie du droit fiscal à l’égard de droit privé.
Malgré ces lacunes avérées, la doctrine a fait de cet article un pilier de l’application de dispositions fiscales, en subordonnant la mise en œuvre de certaines dispositions aux œuvres visées par l’article 98 A N° Lexbase : L2271HM3. Voir en ce sens, les dispositions fiscales de l’article 238 bis AB du Code général des impôts [7] N° Lexbase : L3994LYL, mais aussi les dispositions de l’article 150 VI du même code [8] N° Lexbase : L1871L3P.
Dans un autre ordre d’idées, le droit privé a souvent fait appel à l’article 98 A N° Lexbase : L2271HM3 dans le cas d’œuvres d’art statuaires et plus particulièrement dans le cas de la refonte et la question de savoir s’il s’agit d’une œuvre originale ou d’une reproduction.
Dans ce cas de figure, l’article 9 du décret Marcus [9] N° Lexbase : L1604AZG qui trouve application et qui fait application de l’article 71 A [10], ancêtre de l’article 98 A N° Lexbase : L2271HM3, en matière de limite quantitative pour distinguer l’œuvre originale de la reproduction, affirme dans sa rédaction que : « Tout fac-similé, surmoulage, copie ou autre reproduction d’une œuvre d’art originale au sens de l’article 71 de l’annexe III du Code général des impôts, exécuté postérieurement à la date d’entrée en vigueur du présent décret, doit porter de manière visible et indélébile la mention “Reproduction” ».
Quant à l’œuvre d’art numérique, elle n’entre pas dans le champ des œuvres d’art listées au Code général des impôts, cette vision passéiste est la résultante d’un droit fiscal européen et national totalement figé dans le temps. Au-delà de ce constat, une définition de l’œuvre d’art numérique n’est pas chose aisée, car la notion englobe des expressions artistiques extrêmement variées.
Cette étude se propose d’établir les contours de la notion d’œuvre d’art en droit fiscal (I), mais aussi de mettre en exergue les obstacles doctrinaux et pratiques à ce droit propre (II).
I. La définition de l’œuvre d’art en droit fiscal
La définition de l’œuvre d’art en matière fiscale est logée dans l’article 98 A du Code général des impôts N° Lexbase : L2271HM3 (A), son champ d’application rend compte de ses limites (B).
A. La définition de l’œuvre d’art de l’article 98 A de l’annexe III du Code général des impôts
Cette définition est considérée comme désuète pour de multiples raisons. En effet, cette définition est décrite comme vieillissante, de facto, en raison de la date de son entrée en vigueur, mais aussi par sa forme.
Ainsi, il est légitimement soutenable que : cette définition est énumérative et donc limitative, mais aussi parce qu’elle est la résultante d’une codification des usages existants dans le marché de l’art à l’heure de son adoption.
En ce sens, elle reste en cohérence avec la définition du décret de 1991 [11] N° Lexbase : O9568B7I. Elle ne vise donc que les formes de création les plus classiques et ignore les formes créatives contemporaines, comme celles réalisées avec le concours de l’intelligence artificielle [12], à moins d’y rajouter des éléments relatifs aux œuvres d’art numériques dans le futur, par exemple.
Par ailleurs, la spécificité de la définition se loge dans une lecture étroite de la notion d’authenticité de Desbois [13] qui devient dans ce cadre un critère exclusif, celui « de la main de l’auteur [14] ». Cette dépendance exclusive à ce critère est une des raisons principales d’une conception gravée dans le temps qui ne connaît aucune souplesse, contrairement au droit privé dans lequel le critère n’est pas exclusif, en effet, dans cette matière, deux critères distincts se côtoient, celui de l’originalité [15] de l’œuvre de l’esprit au sens de l’article L. 111-1 du Code de propriété intellectuelle N° Lexbase : L3636LZP et celui de l’authenticité. Ainsi, ce double critère jumelé au jeu des qualifications qui découle des nombreux régimes applicables permet une prise en charge plus large de la notion en droit privé.
La notion d’œuvre d’art en droit fiscal est donc autonome du droit privé de la propriété littéraire et artistique [16] ,mais aussi, de la définition de l’objet d’art en droit du marché de l’art [17].
En effet, l’article de 98 A N° Lexbase : L2271HM3 réserve la qualification d’œuvre et l’éligibilité au taux réduit de la TVA, aux œuvres visées par les dispositions de ce dernier, donc à celles créées de la main d’un auteur qui ne peut être qu’une personne physique [18] ou dans le cas d’œuvre à originaux multiples, aux exemplaires tirés en quantité limitée spécifiée par le texte.
Or la rédaction de l’article 98 A N° Lexbase : L2271HM3 est issue de la transposition de la Directive TVA N° Lexbase : L7664HTZ, sa version initiale provient du décret n° 91-1326, du 23 décembre 1991 N° Lexbase : O9568B7I qui a été codifié sous l’article 71 A de l’annexe III N° Lexbase : L2119HMG qui n’a pas été transformée depuis.
Quant à la question du droit de suite, l’ancien article 71 A de l’annexe III N° Lexbase : L2119HMG vise la codification des usages de marché de l’art au moment de son adoption. C’est la codification des usages professionnels qui transparaît dans l’interprétation administrative relative aux estampes et lithographies.
B. Le champ d’application de la définition
L’article 98 A N° Lexbase : L2271HM3 ne saurait dépasser ces bornes établies lors de sa rédaction, sauf dispositions légales contraires. Si, dans les faits, cette situation se produit, elle serait en opposition avec le principe de spécificité de l’impôt et celui de non-autonomie du droit fiscal par rapport au droit privé.
Petite parenthèse, la définition de l’article 98 A N° Lexbase : L2271HM3 s’étend au régime de taxation sur la marge. Ce système dérogatoire est prévu aux articles 297 A N° Lexbase : L5697HLL et 297 F N° Lexbase : L5703HLS du Code général des impôts, il permet aux assujettis – revendeurs d’œuvres d’art d’asseoir la TVA sur la marge, c’est-à-dire, sur la différence entre le prix de vente et d’achat. Cet article 297 N° Lexbase : L5697HLL renvoi au pouvoir réglementaire la responsabilité de définir ce qui est une œuvre d’art. Voir l’article 297 A, I, 1°, alinéa 2 du Code général des impôts N° Lexbase : L5697HLL sur cette question.
Ici encore, le texte fixant cette définition est le décret de 1995 N° Lexbase : O4085BRQ ayant établi l’article 98 A N° Lexbase : L2271HM3 : les œuvres qui peuvent donc bénéficier de ce régime de faveur sont ceux limitativement définies par l’article 98 A N° Lexbase : L2271HM3. La doctrine administrative en étend l’application à d’autres pièces [19].
Le principe de spécificité de l’impôt exige que l’interprétation et l’application de notions spécifiques à chaque impôt se fassent selon des critères propres. Dans la pratique, on peut sans danger soutenir qu’il y a une irrégularité à opérer une qualification dans le cadre d’une situation précise par application de critères qui appartiennent à un autre impôt sans vérifier que cette situation soit transposable à l’impôt concerné [20]. Par application de ce principe, l’interprétation administrative qui consiste à transposer les critères de l’œuvre d’art fixés dans la liste de l’article 98 A N° Lexbase : L2271HM3 mène à l’application de textes qui relèvent d’autres impositions que la TVA, ce qui s’inscrit dans une opposition frontale au principe de spécificité de l’impôt.
Notion d’œuvre d’art dans l’imposition sur les revenus des particuliers et des bénéfices des entreprises. L’article 238 bis AB du Code général des impôts N° Lexbase : L3994LYL met en place un régime dérogatoire en matière de charges déductibles du bénéfice imposable des entreprises. Il permet à ces dernières de déduire de son bénéfice imposable une partie du prix d’acquisition pour les œuvres originales d’artistes vivants, et cela, dans la limite de 20 000 euros ou de 5 pour 1000 du chiffre d’affaires, à condition que l’exposition soit dans un lieu public ou dans un endroit accessible par les salariés hors bureaux [21].
Ce régime provient de l’article 7 de la loi n° 87-571, du 23 juillet 1997, sur le développement du mécénat N° Lexbase : L8334AGR ayant pour vocation première la dynamisation du marché de l’art. Ce dispositif n’ayant pas réalisé l’objectif escompté a subi un double assouplissement : le premier en provenance de la loi du 1er aout 2003 [22] N° Lexbase : L3710BLY qui réduit la durée de réduction de déduction du prix d’acquisition, mais aussi un aménagement des conditions d’exposition des œuvres au public. Dans ce cadre Valérie Varnerot soutient en guise conclusion ici qu’« il résulte de la doctrine administrative, qui, pour être dépourvue de toute portée normative, n’en forme pas moins un “écran” entre la loi fiscale et le contribuable, que la notion “d’œuvres originales d’artistes vivants”, visée par l’article 238 bis AB, devrait être ici entendue dans le sens que donne à la notion d’œuvre d’art l’article 98 A de l’annexe III [23] » [24].
L’interprétation administrative de l’article 150 VI du Code général des impôts N° Lexbase : L1871L3P agit sensiblement dans le même sens. Le dispositif en vigueur soumet selon l’article 150 VK du Code général des impôts N° Lexbase : L9367LHE à une taxe forfaitaire de 6 % le prix de cessions réalisées à titre onéreux par des particuliers d’objets d’art ou d’objets précieux visés par le texte, cette dernière étant considérée comme une imposition sur la plus-value [25].
La notion d’objet d’art ne faisant l’objet d’aucune définition légale, la doctrine tente de combler ce manque en dégageant deux traits majeurs : une définition commune avec celle des objets d’antiquité, d’une part, et, d’autre part, la mise à disposition de la formule de l’article R. 122-3 du Code de la propriété intellectuelle N° Lexbase : L3359ADR qui liste des exemples éligibles de manière non exhaustive [26].
« Poids juridique » de l’interprétation administrative de la notion d’œuvre d’art dans le cadre dans l’imposition du bénéfice et du revenu du particulier. Les interprétations administratives de la notion d’œuvre d’art en matière de dispositions relatives à l’impôt sur le revenu des particuliers ou à l’impôt des bénéfices des entreprises, qui reposent sur des critères relatifs à la notion dans le cadre de l’imposition sur la TVA sont en opposition frontale au principe de spécificité de l’impôt, car ces deux types d’impôts précités sont indépendants de l’impôt sur la TVA. Dans ce sens, l’arrêt Amirkhanian [27] N° Lexbase : A8478DHH abonde vers cette affirmation en précisant que les critères de la notion d’œuvre d’art qui régissent l’application des règles relatives à l’imposition sur la TVA ne peuvent être exportés dans une autre matière d’imposition, si elles ne sont pas transposables à cette forme d’imposition.
II. Les freins à la prise en charge légale plénière de la notion d’œuvre d’art en droit fiscal
Les obstacles à cette prise en charge indépendante et autonome sont en provenance de deux corps de règles, le principe doctrinal de non-autonomie du droit fiscal par rapport au droit privé (A) et l’absence de procédure pratique de calcul de droits de mutation des œuvres numériques pour l’administration fiscale (B).
A. Le principe de non-autonomie du droit fiscal par rapport au droit privé
Symbole de sécurité juridique le principe de non-autonomie du droit fiscal à l’égard du droit privé signifie qu’en l’absence de dispositions dérogatoires, c’est le droit privé qui permet de dégager les critères applicables à l’œuvre d’art lorsque l’imposition est autre que la TVA. C’est donc l’acceptation du droit civil de l’œuvre d’art qui s’impose en droit fiscal, or la définition de cette dernière en droit privé est polysémique, elles se répercutent en ces termes en droit fiscal.
Cette absence d’autonomie du droit fiscal quant à la définition de la notion d’œuvre d’art, en dehors des règles applicables à la TVA souligne la dépendance extrême du droit fiscal à l’égard du droit privé en la matière et explique l’impossibilité de former un droit fiscal propre à la question de l’œuvre d’art.
Néanmoins, certains traits communs peuvent être dégagés avec la notion voisine d’œuvre de l’esprit codifiée à l’article L. 111-1 du Code de la propriété intellectuelle N° Lexbase : L3636LZP. Rappelons que l’article L. 111-1, alinéa 1er et 2 N° Lexbase : L3636LZP affirme que : « L’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous. Ce droit comporte des attributs d’ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d’ordre patrimonial, qui sont déterminés par les livres Ier et III du présent code ». Cet article insiste sur le critère de création originale, propre à son auteur, [28] qui implique des choix créatifs et libres [29]. Cette ressemblance intervient dans le cas où la loi fiscale fait recours à l’expression « droits de l’auteur ». Cette dernière est reprise dans l’article 92, 2, 2° du Code général des impôts N° Lexbase : L5856LT3 au sujet des BNC.
Cette similarité avec l’œuvre de l’esprit est amenée à disparaitre dans certaines situations, comme en témoigne l’article 238 bis AB N° Lexbase : L3994LYL qui fait utilisation de l’expression « d’œuvre originale d’artiste vivant », car le droit privé n’exige pas la réalisation de l’œuvre par la main de l’auteur, ce qui signe ici une différence majeure. En effet, « le droit privé ne fait plus du critère de l’exécution par la main de l’auteur l’alpha et l’oméga de l’originalité de l’œuvre, que celle-ci soit entendue comme la manifestation de l’arbitraire créateur ou comme synonyme d’authenticité. C’est donc avec cette souplesse, à rebours de la rigidité de l’article 98 A de l’annexe III, que la notion “d’œuvre originale” doit être entendue ici [30] ».
Suivant un raisonnement similaire, l’article 150 VI N° Lexbase : L1871L3P fait appel à la notion « d’objet d’art » concept dont la signification est à rechercher en droit privé, et plus particulièrement dans le droit du marché de l’art, plus précisément dans le décret Marcus de 1981 N° Lexbase : L1604AZG, qui ne définit pas la notion, mais pose le critère de rattachement à l’auteur comme central, mais ne le lie pas strictement « à la main de l’auteur », sauf dans certains cas comme les tableaux [31].
B. Les obstacles à l’évaluation par l’administration fiscale des œuvres d’art numériques
D’un point de vue pratique, l’évaluation des œuvres d’art par l’administration fiscale est essentielle pour le calcul des droits de mutation. Cette évaluation des œuvres d’art s’opère classiquement en vertu d’un système dit en tiroirs conformément aux dispositions des articles 764 N° Lexbase : L7320MBQ et 805 N° Lexbase : L0544IHM du Code général des impôts. La première question ou écueil à surmonter est de savoir si ces œuvres seront assurées, comment et pour quelle valeur ?
Cette valeur d’assurance sera prise en compte par l’administration fiscale pour fixer sa valeur dans la succession, mais pour l’heure, ces œuvres ne sont généralement pas assurées. Ce prérequis doit être inscrit dans la loi comme une obligation afin d’éviter les conséquences sur la question de calcul des droits de mutation.
En cas d’absence d’assurance, la question se pose de savoir si l’œuvre peut ou non être qualifiée de meuble meublant. En effet, les meubles peuvent être évalués, à l’occasion du règlement d’une succession, forfaitairement à 5 % en ce compris les œuvres d’art dès lors qu’elles ne forment pas une collection et qu’il s’agit uniquement d’objets de décoration comme le préconise l’article 764 du Code général des impôts N° Lexbase : L7320MBQ. L’administration fiscale peut écarter l’application de ce forfait, dans le cas où elle rapporte la preuve de l’acquisition des biens peu avant le décès pour un prix supérieur au forfait notamment.
Quand l’œuvre d’art ne dispose pas d’un support, il est possible de considérer qu’elle est constitutive d’un élément de décoration, c’est le cas pour les photographies numériques. Il demeure cependant extrêmement délicat d’argumenter devant l’administration fiscale pour que les NFTs puissent intégrer la classification de meubles meublants.
En guise de démarche efficiente à adopter pour une évaluation des œuvres d’art numériques pour le calcul de droits de mutation, deux cas de figure sont à distinguer : « En matière de succession : Il faudra donc recourir :
– soit à une déclaration estimative des parties dans la déclaration de succession, le cas échéant appuyée par une expertise d’un homme de l’art ;
– soit à l’intégration de l’œuvre d’art numérique et de sa valorisation dans l’inventaire des meubles meublants conduit par le notaire avec le concours d’un commissaire-priseur judiciaire ;
– soit à l’intégration dans la déclaration de succession du prix d’acquisition de l’œuvre si celle-ci a été acquise peu avant le décès. Face à un actif dont l’évaluation est complexe, il est toujours possible de recourir à une mention expresse dans la déclaration fiscale prévue à l’article 1727 du CGI.
On peut par exemple révéler l’existence de cet actif, mais réserver sa valeur lors d’une déclaration complémentaire. Les intérêts de retard sur les droits de mutation exigibles ne sont pas dus en application de cet article.
En matière de donation de la même manière, il faudra annexer à l’acte de donation l’avis d’un expert qui pourra être un commissaire-priseur ou, à tout le moins, le conserver à son dossier numérique jusqu’au terme du délai de contrôle des valeurs, contrôle que l’administration fiscale peut opérer au cours des trois années civiles qui suivent l’enregistrement de l’acte de donation. » [32]
[1] V. G. Goffaux Callebaut, Quelques réflexions autour de la définition des œuvres d’art, in Mélanges en l’honneur de Jérôme Fromageau, Un patrimoine vivant, entre nature et culture, Mare & Martin, 2019, p. 369.
[2] S. Travers de Faultrier, Les mots du droit sur et dans l’œuvre, Les cahiers de la justice 2012, p. 25.
[3] M. Jacquet, Christie’s, première maison à vendre une œuvre d’art digitale, n° 1, 17 février 2021 [en ligne] (dernière consultation le 3 mars 2021).
E. Couchot et N. Hillaire, L’art numérique – Comment la technologie vient au monde de l’art, Flammarion, coll. Champs arts, 2003, p. 38.
[4] M. Cornu, La notion juridique d’œuvre d’art, Dr. & patr., 2016, n° 264 – G. Goffaux et F. Burneau, La transmission des œuvres d’art numériques, JCP N, 2022, 1087.
[5] Le concept de NFT va dans le sens de cette rareté : Vol au-dessus des enchères pour le Nyan Cat, le plus célèbre des GIFs animés, Courrier international, 23 février 2021 [en ligne] (dernière consultation le 2 mars 2021).
[6] Décret n° 95-172, du 17 février 1995, relatif à la définition des biens d’occasion, des œuvres d’art, des objets de collection et d’antiquité pour l’application des dispositions relatives à la taxe sur la valeur ajoutée N° Lexbase : O4085BRQ.
[7] BOI-BIC-CHG-70-10, 3 février 2021 N° Lexbase : X7779ALP – et déjà, Instr. 1er septembre 1980 (BOI-A-18-80) – interprétant CGI, art. 71, annexe III N° Lexbase : L7931LWN – adde QE n° 6086 de M. Jacques Blanc, JOANQ 27 septembre 1993, réponse publ. 24 janvier 1994, p. 363, 10e législature [en ligne] ; Dr. fisc., 1994, n° 15, comm. 727.
[8] BOI-RPPM-PVBMC-20-10, 31 décembre 2018, § 40 N° Lexbase : X4795AL8. La liste des œuvres visées n’est pas limitative en raison du recours à l’adverbe notamment. Toutefois, elle emprunte à l’article 98 A N° Lexbase : L2271HM3 auquel elle renvoie par ailleurs expressément.
[9] Décret n° 81-255, du 3 mars 1981, sur la répression des fraudes en matière de transactions d'œuvres d'art et d'objets de collection N° Lexbase : L1604AZG.
[10] Décret n° 91-1326, du 23 décembre. 1991, pris en application du 3 du i de l'article 4 de la loi n° 91-716 du 26 juillet 1991et relatif à la définition des œuvres d'art originales visées a l'article 291 du Code général des impôts N° Lexbase : O9568B7I modifiant le décret n° 92-953, du 7 septembre 1992 N° Lexbase : O2874B3T – ajoutant à la liste limitative des œuvres d’art répertoriées, les pièces d’ébénisterie de plus de cent ans d’âge dont la rareté et l’estampille ou l’attribution établissent l’originalité du travail de l’artiste, à l’exclusion des articles d’orfèvrerie et de joaillerie, QE n° 2017, JO Sénat, 5 novembre 1992, p. 2480.
[11] Le décret n° 91-1326, du 23 décembre 1991, pris en application du 3 du I de l'article 4 de la loi n° 91-716, du 26 juillet 1991, et relatif à la définition des œuvres d'art originales visées à l'article 291 du Code général des impôts N° Lexbase : O9568B7I qui a été codifié sous l'article 71 A de l'annexe III N° Lexbase : L7931LWN qui n'a pas été transformée depuis.
[12] R. Demichelis, Une œuvre générée par une intelligence artificielle adjugée 350 000 dollars, Les Échos, 25 octobre 2018. R. Azimi, Que valent les œuvres d’art créées par intelligence artificielle ?, Le Monde, 27 janvier 2020.
[13] H. Desbois, Le droit d’auteur en France, Dalloz, 3e éd., 1978, n° 68.
[14] A. Tricoire, Le droit pénal au secours du ready-made : n’est pas Duchamp qui veut, D., 2006, p. 1827.
[15] V. not. J. Chatelain, La notion d’œuvre d’art originale, in Le marché commun et le marché de l’art, 1982, p. 19 – J.-M. Pontier, La notion d’œuvre d’art, RDP, 1990, p. 1403, n° 5 – N. Heinich, « C’est un oiseau ! » Brancusi vs États-Unis, ou quand la loi définit l’art, Dr. et société, 1996, p. 649 – B. Edelman, L’adieu aux arts, 1926 : l’affaire Brancusi, Aubier Flammarion, 2001 – A. Raynouard, L’inutile définition de l’œuvre d’art, exemple de réalisme juridique, RLDC, 2012, p. 98 – M. Cornu, La notion juridique d’œuvre d’art et le marché, in Dossier « Le marché de l’art », Dr. & patr., décembre 2016, p. 56 – G. Goffaux Callebaut, Quelques réflexions autour de la définition des œuvres d’art, in Mélanges en l’honneur de Jérôme Fromageau, Un patrimoine vivant, entre nature et culture, Mare & Martin, 2019, p. 369.
[16] A. Lucas et P. Sirinelli, L’originalité en droit d’auteur, JCP G, 1993, I, 3681. CJUE, 4e ch., 16 juillet 2009, aff. C-5/08, Infopaq International A/S c/ Danske Dagblades Forening [LXB= A9796EIN], JurisData n° 2009-010992 ; Comm. com. électr., 2009, comm. 97, note Ch. Caron ; JCP G, 2009, 272, note L. Marino ; Propr. intell., 2009, n° 33, p. 379, note V.-L. Bénabou ; RTDE, 2010, p. 944, obs. E. Treppoz. – V. GAPI : Dalloz, 3e éd., 2020, n° 41, note V.-L. Benabou. 15. CJUE, 3e ch., 1er décembre 2011, aff. C-145/10, Eva-Maria Painer c/ Standard VerlagsGmbH N° Lexbase : A4925H3S, Comm. com. électr., 2012, comm. 26, note C. Caron ; Propr. intell. 2012, p. 30, obs. A. Lucas ; RTD com., p. 109, obs. F. Pollaud Dulian ; Légipresse, 2012, p. 161, note J. Antippas. 16. TGI Paris, 3 juin 1969, D., 1970, p. 136, note J.-P. – G. Loiseau, Le corps, objet de création, JAC, 2015, n° 22, p. 30. QE n° 987 de M. Franck Marlin, JOAN Q, 29 août 2006, réponse publ. 23 janvier 2007, p. 9077, 12e législature [en ligne]. CE, 8e-3e s.-sect. réunies, 21 octobre 2013, n° 358183, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A4467KNR, Auville ; Dr. fisc., 2014, n° 3, comm. 80 ; BDCF 1/2014, n° 4, concl. B. Bohnert – L. Valette, LPA, 25 mai 2012, n° 105, p. 19 à 22. CE, 3e-8e ch. réunies, 7 juillet 2022, n° 448012, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A10528A9, Dr. fisc., 2022, n° 42, comm. 373 ; Dalloz Actualité, 15 septembre 2022, obs. O. Wang.
[17] F. Mattatia, Œuvres créées par intelligence artificielle et droit d’auteur, Rev. pratique de la prospective et de l’innovation, 2019, dossier 9, p. 42 – F. Pollaud-Dulian, L’humanisme de la propriété intellectuelle au défi des objets produits par l’intelligence artificielle, RTD com., 2022, p. 2051 – adde, A. Bensamoun et J. Farchy, Rapport CSPLA, Mission Intelligence artificielle et Culture, 27 janvier 2020 [en ligne].
[18] CAA Paris, 2e, 1er juin 2022, n° 21PA00400 N° Lexbase : A61417Y4, Dalloz actualités, 23 juin 2022, note O. Wang.
[19] BOI-TVA-SECT-90-40, 4 mars 2015, § 200 N° Lexbase : X4086ALW.
[20] Concl. P. Collin sous CE, 8e-3e s.-sect. réunies, 13 avril 2005, n° 265562, min. c/ Amirkhanian N° Lexbase : A8478DHH ; Dr. fisc., 2005, n° 52, comm. 847 – v. JCP A, 2006, 106 ; RJF 7/2005, n° 709 – jugeant que commet une erreur de droit l’arrêt qui apprécie la notion de « vacance indépendante de la volonté du contribuable » en matière de taxe foncière à la lumière des critères applicables à la taxe sur les logements vacants sans rechercher si ces critères étaient transposables à un impôt de nature différente.
[21] V. J Fingerhut, Le régime fiscal des déductions des achats d’œuvres d’art contemporain, Dr. et patr., 1er mai 1998, n° 280.
[22] Loi n° 2003-709, du 1er août 2003, relative au mécénat, aux associations et aux fondations N° Lexbase : L3710BLY, art. 6.
[23] CE, 9e-10e s.-sect. réunies, avis, 1er avril 2010, n° 334465, publié au recueil Lebon N° Lexbase : O8476AA8 ; Dr. fisc., 2010, n° 17-18, comm. 299, concl. P. Collin ; RJEP, 2010, comm. 42, note M. Collet ; Dr. adm., 2010, comm. 102, note F. Melleray ; Procédures, 2010, comm. 256, note L. Ayrault ; RJF 6/2010, n° 632 ; AJDA, 2010, p. 1327, note H. Belrhali-Bernard ; Gaz. Pal., 2010, n° 185 à 187, p. 19, obs. B. Seiller.
Sur « l’effet écran de la doctrine administrative », v. Ph. Marchessou, L’interprétation des textes fiscaux, thèse, Economica, 1980.
BOI-BIC-CHG-70-10, 3 février 2021, § 20 N° Lexbase : X7779ALP – énonçant que « Les œuvres concernées sont celles qui sont définies à l’article 98 A de l’annexe III au CGI ».
[24] V. Varnerot, La notion d’œuvre d’art en droit fiscal, Revue de droit fiscal, n°51-52, 22 décembre 2022, p 3.
[25] É. Mirieu de Labarre, Le statut fiscal de l’objet d’art, Dr. fisc. 2006, n° 20, étude 20 – P. Schiele et E. Le Talec, La taxe sur les œuvres d’art : une législation elliptique qui nécessitait une « consolidation législative », Dr. fisc., 2006, n° 26, étude 4 – G. de la Taille, Peinture jurisprudentielle de la taxe forfaitaire sur les objets précieux, RJF, 5/2022, p. 7.
[26] BOI-RPPM-PVBMC-20-10, 31 décembre 2018, § 40 N° Lexbase : X4795AL8 : « Il s’agit notamment des articles suivants : – tableaux et peintures entièrement réalisés à la main (y compris les aquarelles, gouaches et dessins à la main) ; – gravures, estampes, lithographies originales ; – tapisseries et textiles muraux faits à la main, sur la base de cartons originaux fournis par les artistes, à condition qu’il n’existe pas plus de huit exemplaires de chacun d’eux ; – tapis et tapisseries de plus de cent ans d’âge ; – statues et sculptures originales, émaux et céramiques originaux. Constituent notamment des objets d’art au sens de ces dispositions, les productions originales de l’art statuaire ou de la sculpture en toutes matières, dès lors que ces productions sont exécutées par l’artiste. Il en est de même des fontes de sculptures contrôlées par l’artiste lui-même ou ses ayants droit. Ne sont pas considérées comme des objets d’art, même lorsqu’elles ont été conçues par des artistes, les sculptures ayant un caractère commercial (reproductions en série, moulages et œuvres artisanales notamment) ; – photographies d’art. Constituent notamment des objets d’art au sens de ces dispositions, les photographies prises par l’artiste, tirées par lui ou sous son contrôle, signées et numérotées dans la limite de trente exemplaires, tous formats et supports confondus (CGI, art. 278 septies). Sur la définition des œuvres concernées, il convient de se reporter au III § 70 du BOI-TVA-LIQ-30-10-60 ; – œuvres d’art audiovisuelles sur support analogique ou numérique, ainsi que les biens mobiliers constitutifs de l’installation dans laquelle ils s’intègrent lorsqu’ils font l’objet d’une facturation globale, sous réserve que le tirage de celles-ci soit contrôlé par l’artiste ou ses ayants droit et limité au plus à douze exemplaires, et qu’elles soient signées et numérotées par l’artiste ou, à défaut, accompagnées d’un certificat d’authenticité signé par lui ; – meubles meublants et objets d’antiquité de plus de cent ans d’âge. En présence d’un meuble ou d’un objet de moins de cent ans et dont le prix de cession ou la valeur en douane excède 5 000 euros, il convient de s’assurer qu’il ne revêt pas le caractère d’un objet de collection (v. I-B-3 § 70) ; – livres et manuscrits ; – éléments faisant partie intégrante de monuments artistiques, historiques ou religieux et provenant du démembrement de ceux-ci, ayant plus de cent ans d’âge ».
[27] CE, 8e-3e s.-sect. réunies, 13 avril 2005, n° 265562, min. c/ Amirkhanian N° Lexbase : A8478DHH ; Dr. fisc., 2005, n° 52, comm. 847, concl. P. Collin ; JCP A, 2006, 106 ; RJF, 7/2005, n° 709.
[28] CJUE, 4e ch., 16 juillet 2009, aff. C-5/08, Infopaq International A/S c/ Danske Dagblades Forening N° Lexbase : A9796EIN ; Comm. com. électr., 2009, comm. 97, note Ch. Caron ; JCP G, 2009, 272, note L. Marino ; Propr. intell., 2009, n° 33, p. 379, note V.-L. Bénabou ; RTDE, 2010, p. 944, obs. E. Treppoz – V. GAPI, Dalloz, 3e éd., 2020, n° 41, note V.-L. Benabou – v. aussi, V.-L. Benabou, L’originalité, un Janus juridique. Regards sur la naissance d’une notion autonome en droit de l’Union, in Mélanges en l'honneur du professeur André Lucas, 2014.
[29] CJUE, 3e ch., 1er décembre 2011, aff. C-145/10, Eva-Maria Painer c/ Standard VerlagsGmbH N° Lexbase : A4925H3S, Comm. com. électr., 2012, comm. 26, note C. Caron ; Propr. intell., 2012, p. 30, obs. A. Lucas ; RTD com., p. 109, obs. F. Pollaud Dulian ; Légipresse, 2012, p. 161, note J. Antippas.
[30] V. Varnerot, La notion d’œuvre d’art en droit fiscal, Revue de droit fiscal, n° 51-52, 22 décembre 2022, p 3.
[31] Cass. civ. 1, 5 février 2002, D., 2003, p. 436, chron., B. Edelman – Cass. civ. 1, 15 novembre 2005, n° 03-20.597, FS-P+B N° Lexbase : A5484DLP ; Bull. civ. I, n° 412 ; JCP G, 2006, II, 10092, note J. Ickowicz ; Contrats, conc. consom., 2006, comm. 44, note L. Leveneur ; D., 2006, p. 1116, note A. Tricoire ; RDLC, 2006/28, note J.-M. Bruguiere ; LPA, 9 août 2007, p. 12, note E. Mouial Bassilana – Cass. civ. 1, 10 juillet 2013, n° 12-23.773, F-P+B N° Lexbase : A8946KI8 ; Bull. civ. I, n° 156 ; D., 2013, 1895 ; RTD com., 2013, 794, obs. B. Bouloc.
[32]. G. Goffaux Callebaut et F. Burneau, La transmission des œuvres d’art numériques, Revue droit du patrimoine, juillet 2022, p 7.
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Réf. : Cass. soc., 8 février 2023, n° 21-16.258, FS-B N° Lexbase : A97179BI
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par Charlotte Moronval
Le 16 Février 2023
► Une fois l'inaptitude prononcée par le médecin du travail, l’employeur ne peut prononcer le licenciement pour un motif autre que l'inaptitude, peu important qu'il ait engagé antérieurement une procédure de licenciement pour une autre cause.
Faits et procédure. Un salarié, placé en arrêt maladie depuis le 21 octobre 2016, est convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement, fixé au 7 février 2017. À l'issue d'une visite de reprise du 6 février 2017 (veille de l’entretien préalable), le médecin du travail le déclare inapte à son poste en un seul examen et précise que son reclassement au sein de l'entreprise ou du groupe n'était pas envisageable.
Par lettre du 16 février 2017, l’employeur procède au licenciement du salarié pour faute lourde. Le salarié décide de saisir la juridiction prud'homale pour contester ce licenciement.
Pour débouter le salarié de ses demandes indemnitaires et salariales au titre de la mise à pied conservatoire et de la rupture du contrat de travail, la cour d’appel retient que la circonstance que l'inaptitude définitive du salarié à occuper son emploi ait été constatée par le médecin du travail le 6 février 2017, ne privait pas l’employeur de se prévaloir d'une faute lourde de son salarié au soutien du licenciement qu'elle a estimé devoir prononcer à l'issue de la procédure disciplinaire, qu'elle avait initiée le 24 janvier précédent.
Le salarié forme un pourvoi en cassation.
La solution. Énonçant la solution susvisée, la Chambre sociale de la Cour de cassation casse et annule l’arrêt rendu par la cour d’appel.
Au visa des articles L. 1226-2 N° Lexbase : L8714LGT et L. 1226-2-1 N° Lexbase : L6778K9W du Code du travail (dispositions qui régissent le licenciement du salarié inapte à la suite d'une maladie ou d'un accident non professionnel et qui sont d'ordre public), la Haute juridiction retient que le salarié, déclaré inapte, ne pouvait pas être licencié pour un motif autre que l'inaptitude.
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par Jérôme Giusti, Avocat associé, Géraldine Salord, Avocate associée et Docteur en droit privé et Alexandre Philipponneau, Avocat, Cabinet Metalaw
Le 15 Février 2023
Mots-clés : RGPD • CSE • faille de sécurité • violation de données à caractère personnel • cyberattaque • délégué à la protection des données • DPO • protection contre la rupture des relations de travail • RGPD, art. 38, § 3
Nous ouvrons, en 2023, une chronique sur les rapports qu’entretiennent le droit du travail et le droit des données à caractère personnel, avec deux sujets d’actualité, celui des cyberattaques qui entraînent des violations de plus en plus graves de données personnelles, touchant notamment les salariés et celui du licenciement d’un délégué à la protection des données (DPO), ayant récemment donné lieu à une décision du Conseil d’État venant confirmer une décision de la CJUE.
Dans le cadre de son activité économique, un employeur est amené à collecter et traiter de nombreuses données à caractère personnel des salariés, ce qui peut être une source de risque pour celui-ci, notamment en cas de cyberattaques des serveurs informatiques de son entreprise. Dans une telle hypothèse, il n’est fait aucune obligation à l’employeur d’informer et de consulter le comité social et économique, ce dernier disposant néanmoins de pouvoirs légaux pour obtenir des informations et enquêter sur les causes et les conséquences d’une telle cyberattaque pour l’entreprise et les salariés.
Le Conseil d’État juge que l’article 38, § 3 du RGPD ne fait pas obstacle au licenciement d’un délégué à la protection des données (DPO) qui n’exercerait pas ses missions conformément aux dispositions du RGPD ou qui ne respecterait pas les règles internes de l’entreprise. La protection spécifique accordée au DPO par le RGPD n’est pas absolue !
Le Règlement général sur la protection des données relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données (RGPD) N° Lexbase : L0189K8I est entré en vigueur depuis maintenant bientôt cinq ans.
Si cette législation n’est pas nouvelle puisque l’ensemble des principes de protection des données à caractère personnel est déjà intégré dans la loi dite « Informatique et libertés » du 6 janvier 1978 N° Lexbase : L8794AGS, elle est novatrice en ce qu’elle a entraîné une modification en profondeur de la place accordée à ces questions dans l’organisation et le développement de la stratégie des entreprises. Au-delà d’une prise de conscience, cette réglementation a imposé un changement de point de vue et a contribué à permettre aux entreprises de passer d’une stratégie centrée sur le produit à une stratégie centrée sur les individus et ainsi à remettre l’humain au cœur des préoccupations des entreprises. Tel était bien son objectif.
Or, quoi de plus humain dans une entreprise que son personnel. Comme tout domaine économique, les ressources humaines n’ont pas échappé au processus de modernisation de l’organisation des entreprises, sous l’étendard du RGPD. Et après cinq ans de mise en application, d’ajustements et souvent de tâtonnements, il apparaît que la mise en conformité des services de ressources humaines avec les dispositions relatives à la protection des données à caractère personnel des salariés a ouvert au sein des entreprises, un dialogue constructif et instructif concernant les interactions entre le RGPD et les règlementations encadrant les relations de travail, ce qui permet de questionner, sous un angle nouveau, les rapports sociaux et les droits et obligations de chacun.
C’est ce qui nous a poussés à lancer cette chronique dédiée à l’analyse des interactions entre la législation sociale et la législation relative aux données à caractère personnel. Notre ambition est ainsi d’offrir aux lecteurs une meilleure compréhension des enjeux de la protection des données à caractère personnel appliquée à la relation de travail.
Cette première chronique s’intéresse, en premier lieu, au cas de la survenance d’une violation de données à caractère personnel dans l’entreprise et les moyens dont dispose le comité social et économique pour enquêter et obtenir des informations de la part de l’employeur en cas de fuites de données à caractère personnel des salariés de l’entreprise (I.). En deuxième lieu, nous proposons une actualisation de notre article relatif à la protection spécifique du délégué à la protection des données contre la rupture des relations de travail [1]. En effet, le Conseil d’État a récemment rendu un arrêt par lequel il confirme l’analyse rendue par la Cour de justice de l’Union européenne en la matière (II.).
I. Violation de données à caractère personnel des salariés de l’entreprise, procédure à suivre par l’employeur et moyens à la disposition des élus du comité pour enquêter et obtenir des informations sur cette violation
En fin d’année 2022, la société Adecco informait ses salariés et anciens salariés qu’elle avait été victime d’un piratage ayant entraîné une fuite massive de données à caractère personnel concernant ses collaborateurs. Cette fuite concernait les « noms, prénoms, adresses e-mails, numéros de sécurité sociale et coordonnées bancaires » desdits salariés.
Adecco précisait alors avoir « pris les mesures nécessaires pour pallier cette situation et sécuriser encore davantage les données qui [lui] sont confiées ». La société ajoutait avoir informé la Commission nationale de l’informatique et des libertés (la CNIL), déposé plainte et transmis le dossier à la police judiciaire.
Cette actualité récente nous permet de rappeler qu’un employeur, dans sa relation de travail avec ses salariés, est amené à traiter de nombreuses données à caractère personnel les concernant et qu’il est tenu à cet égard à une obligation générale de sécurité, en sa qualité de responsable du traitement. Celle-ci se traduit notamment par l’obligation pour l’employeur de réagir de manière appropriée en cas de faille de sécurité dans ses systèmes d’information entraînant une violation des données de ses employés et d’informer la CNIL et/ou les personnes concernées de l’existence de cette violation et du risque encouru en découlant. Dans ce cadre, si le RGPD et le Code du travail ne prévoient aucune obligation pour l’employeur d’informer et de consulter le comité social et économique (CSE) en cas de violation de données, on peut légitiment s’interroger sur les moyens mis à disposition du CSE pour enquêter sur les conséquences de cette violation pour les salariés et assurer sa mission de protection des intérêts collectifs des salariés.
Commençons par un petit rappel utile concernant les données qu’un employeur est susceptible de collecter et traiter sur les membres de son personnel.
L’article 4, § 1 du RGPD N° Lexbase : L0189K8I définit les données à caractère personnel comme « toute information se rapportant à une personne physique identifiée ou identifiable ». Il est essentiel de bien comprendre qu’une donnée personnelle ne s’entend pas seulement de la donnée qui permet d’identifier une personne (un nom, un prénom, un identifiant unique), mais que la notion englobe la donnée qui est relative à une personne déjà identifiée ou identifiable, ce qui couvre une réalité bien plus large.
À titre d’illustration, la liste des salariés d’une entreprise précise le plus souvent le genre des salariés. Le fait de savoir qu’un salarié est un homme sans connaître son nom ne permet pas de l’identifier. En revanche, le fait de savoir que tel salarié est un homme constitue une donnée personnelle de ce salarié.
Ainsi, toute donnée qui contient une information sur une personne précise constitue une donnée personnelle. À cet égard, l’expression « toute information » manifeste clairement la volonté du législateur de retenir une conception large de la notion de donnée personnelle, qui désigne tout type de renseignements sur une personne sans limitation d’aucune sorte, que ce soient des informations relatives à la personne elle-même, sa santé, ses opinions politiques, religieuses, syndicales, ou à ses activités, son comportement économique et social, sa situation financière ou familiale, ses interactions avec des tiers ou ses habitudes de vie.
La notion de donnée à caractère personnel ne se limite pas aux informations d’ordre privé, mais s’étend à toute sorte d’informations, tant objectives que subjectives, publiques ou privées, professionnelles ou personnelles, qui concernent la personne en cause.
En outre, si la notion de personne identifiée est simple d’appréhension dès lors qu’elle désigne la personne dont l’identité est clairement connue, il apparaît que la notion de personne identifiable est plus complexe. En effet, une personne est identifiable si elle peut être « identifiée, directement ou indirectement », c’est-à-dire s’il est possible de l’identifier à partir des informations que l’on possède, notamment par recoupement entre plusieurs données relatives à une personne ou par référence à un identifiant. L’article 4, § 1 précité précise ainsi qu’« est réputée être une ‘‘personne physique identifiable’’ une personne physique qui peut être identifiée, directement ou indirectement, notamment par référence à un identifiant, tel qu’un nom, un numéro d’identification, des données de localisation, un identifiant en ligne, ou à un ou plusieurs éléments spécifiques propres à son identité physique, physiologique, génétique, psychique, économique, culturelle ou sociale ».
Une personne est identifiable lorsqu’il est possible de l’identifier par l’intermédiaire d’informations présentant un lien étroit avec cette personne et communiquant suffisamment d’éléments sur celle-ci pour la distinguer au milieu d’autres personnes.
À titre d’illustration, l’ensemble des données enregistrées dans le dossier personnel d’un employé et concernant sa situation personnelle sont des données permettant par recoupement d’identifier le salarié en question, de manière indirecte.
De ce fait, il semble que toute information, en l’espèce sur un salarié, est susceptible, d’une manière ou d’une autre, de constituer une donnée personnelle dès lors qu’elle se rattache à une personne physique. Le RGPD prévoit cependant certaines limites à l’interprétation très extensive qu’il sous-tend lui-même.
À cet égard, le RGPD précise, dans son considérant 26, que « pour déterminer si une personne est identifiable, il faut donc prendre en considération l’ensemble des moyens qui peuvent raisonnablement être utilisés par le responsable du traitement ou par toute autre personne, pour identifier la personne physique, directement ou indirectement », ce qui implique de prendre en compte des facteurs objectifs tels que le coût de l’identification, le temps nécessaire au regard des technologies disponibles pour identifier une personne et la finalité du traitement.
La simple possibilité abstraite de distinguer une personne n’est ainsi pas suffisante pour considérer qu’une personne est identifiable. Elle doit l’être de manière raisonnable au regard de l’état de l’art disponible. Une entreprise ne pourrait donc pas prétendre ne pas être en mesure d’identifier un salarié à partir de l’adresse IP dynamique de son ordinateur, au seul motif qu’elle a décidé de ne pas tenir de registre de dotation de matériel. Dès lors que la technologie existe et est couramment utilisée, la CNIL considèrerait dans un tel cas de figure que, peu important les pratiques internes de l’entreprise, le salarié est bien identifiable par l’adresse IP dynamique de son ordinateur professionnel.
Ceci étant rappelé, il apparaît qu’un employeur est donc amené à traiter de manière habituelle de très nombreuses données personnelles relatives à ses collaborateurs, dans le cadre des différents traitements qu’il réalise dans l’organisation des relations de travail. Il est en effet traditionnellement admis qu’un employeur, de par ses obligations légales découlant du Code du travail, traite les données de ses collaborateurs notamment aux fins de recrutement, de gestion administrative des personnels, de gestion de la paie, d’organisation du travail, d’accès aux locaux, de mise à disposition d’outils informatiques et matériels, de suivi des carrières et de la mobilité, de formation, de communication interne, de tenue des registres obligatoires, de gestion des aides sociales, de procédure disciplinaire et de contentieux prud’homal.
Dans ce cadre, il est amené à collecter des données variées (identification du salarié, évaluation des compétences, maladie professionnelle, dotation de matériels, activités sociales ou culturelles, réseau social d’entreprise, géolocalisation de véhicules de fonction, gestion des amendes, lanceur d’alerte, enregistrement des appels, etc.) dont certaines constituent d’ailleurs des données sensibles.
En d’autres termes, l’un des postes les plus importants de collecte de données dans une entreprise, si ce n’est le plus important pour les entreprises au-delà de 50 salariés, est le traitement de données aux fins de gestion des relations sociales. L’employeur détient ainsi des jeux de données très complets sur ses salariés, qui constituent un véritable trésor en termes de potentialités d’analyse stratégique de big data. En effet, le nouveau paradigme économique des entreprises est désormais de centrer toute leur stratégie d’entreprise sur l’humain et non plus sur la technologie, stratégie dans laquelle les données salariales occupent une place de choix.
De ce fait, on a pu constater une augmentation significative des cyberattaques menées contre les systèmes d’information des entreprises ayant pour objet le détournement des données salariales. Le cas d’Adecco en témoigne. Les entreprises sont ainsi de plus en plus vulnérables sur leurs données internes relatives à leur personnel et exposées au risque de violation de ces données.
Que peut et que doit faire une entreprise victime d’une cyberattaque entraînant une faille de sécurité de ses systèmes d’information ?
Toute attaque menée contre un système d’information n’entraîne pas nécessairement une violation de données. Ainsi, le RGPD définit, dans son article 4, § 12, la violation de données comme « une violation de la sécurité entraînant, de manière accidentelle ou illicite, la destruction, la perte, l’altération, la divulgation non autorisée de données à caractère personnel transmises, conservées ou traitées d’une autre manière, ou l’accès non autorisé à de telles données. ».
Ainsi que le précise la CNIL une violation de données s’entend de « tout incident de sécurité, d’origine malveillante ou non et se produisant de manière intentionnelle ou non, ayant comme conséquence de compromettre l’intégrité, la confidentialité ou la disponibilité de données personnelles ».
À titre d’illustration, constituent une violation de données salariales la suppression des données permettant à un salarié d’accéder à certaines aides sociales, le vol de données relatives à des lanceurs d’alerte et la diffusion des noms des lanceurs d’alerte sur tous les emails de l’entreprise ou encore la perte d’une clé USB sur laquelle se trouve une copie de la grille des salaires de l’entreprise.
Dès lors qu’une cyberattaque entraîne l’une des trois violations précitées, l’employeur est dans l’obligation de respecter une procédure particulière prévue aux articles 33 et 34 du RGPD N° Lexbase : L0189K8I et ce, sous peine d’une forte amende (jusqu’à 4 % du chiffre d’affaires mondiales de la société) et de sanctions pénales.
L’employeur doit, dans un premier temps, déterminer la nature de l’incident et la probabilité qu’une violation de données en découle. Dans ce cadre, l’employeur doit analyser et évaluer la gravité et la vraisemblance du risque envisagé. De ce fait, l’employeur doit, dans des délais les plus brefs, déterminer la nature du risque (destruction des données, modification non désirée, atteinte à la confidentialité), la source du risque (un autre salarié, un cyberattaquant, etc.), l’impact potentiel pour le salarié (perte d’emploi, discrimination, agression d’un lanceur d’alerte), la gravité de la menace pour le salarié et la vraisemblance compte tenu des mesures de sécurité déjà mises en place.
Cette appréciation nécessite notamment de prendre en compte la nature de la violation, la sensibilité des données atteintes, la facilité d’identifier les personnes victimes de la violation, les conséquences possibles pour elles, les caractéristiques propres à ces personnes (salarié protégé, lanceur d’alerte, salarié handicapé, alternant mineur) et le volume de personnes concernées par la violation.
Dans un deuxième temps, l’employeur doit documenter l’incident dans un registre de faille, qui doit être tenu à disposition de la CNIL, en précisant la nature de la violation de données, les catégories et le nombre de personnes concernées par la violation, le nombre de données concernées, les conséquences probables et les mesures prises ou envisagées pour pallier ou limiter les conséquences négatives de cette violation.
Dans tous les cas, l’employeur doit mettre en place toutes les mesures possibles afin d’atténuer l’impact de la violation (confinement des réseaux touchés pour empêcher l’expansion de l’incident, arrêter l’usage de tous matériels impliqués dans la violation pour ne pas augmenter le risque, éradiquer les virus éventuels, désactiver les comptes utilisateurs corrompus, modifier les identifiants d’accès à la messagerie et/ou aux outils impliqués dans la faille, etc).
L’évaluation des risques doit intervenir dans un délai de 48 heures au maximum, ce délai débutant à compter de la notification au responsable de traitement, c’est-à-dire à l’employeur, de la faille de sécurité.
Dans un troisième temps, l’employeur doit, sur la base de l’analyse de risque qu’il a menée, déterminer s’il doit ou non notifier la violation de données à la CNIL. Selon les termes de l’article 33 du RGPD, cette notification n’est obligatoire que s’il existe un risque, même minime, que cette violation puisse entraîner une atteinte aux droits et libertés fondamentales des personnes concernées. Il repose donc sur l’employeur la responsabilité d’apprécier correctement, et avec raison, la nature et la gravité du risque encouru par ses employés en cas de violation de données. En cas de doute, il est évidemment recommandé de le notifier à la CNIL.
La notification à la CNIL, si elle est nécessaire, doit intervenir dans un délai maximum de 72 heures à compter de la connaissance de la faille de sécurité. En l’absence de notification, l’employeur encourt une peine de 5 ans d’emprisonnement et de 300 000 euros [2].
Dans un quatrième temps, s’il existe un risque élevé de dommages pour les personnes, l’employeur doit notifier l’existence de l’incident aux personnes dont les données ont été violées, soit dans le cas qui nous intéresse, à ses salariés [3].
Dans les deux cas, une fois la notification réalisée, l’employeur est tenu de mettre en place toutes les mesures propres à faire cesser la violation de données et tenir informé la CNIL et/ou les salariés de l’évolution du risque encouru.
Le respect de cette procédure par l’employeur est essentiel pour garantir aux membres de son personnel la protection de leurs données personnelles et leur permettre d’anticiper par eux-mêmes les conséquences négatives d’une telle violation. Cette procédure a été mise en place dans l’intérêt des personnes concernées et donc, en l’espèce, des salariés.
Dès lors que son objet même est de protéger l’intérêt des salariés, on peut légitimement s’interroger sur l’obligation pour l’employeur d’informer ou de consulter le CSE de l’entreprise, dès lors qu’il est en charge d’une mission de protection des intérêts collectifs des salariés, dans le cadre d’une cyberattaque.
Quels sont les moyens mis à disposition du CSE pour enquêter et interroger l’employeur en cas de violation de données personnelles des salariés ?
Comme précédemment indiqué, ni la réglementation sur les données à caractère personnel ni le Code du travail n’imposent à l’employeur aucune obligation d’informer ou de consulter le CSE de l’entreprise dans une telle situation.
Pourtant, une violation massive de données à caractère personnel des salariés de l’entreprise, qui peut être source d’importants préjudices pour ces derniers, est un sujet de préoccupation légitime pour les élus du CSE, dès lors qu’elle concerne la sécurité informatique de l’entreprise et des données détenues par celle-ci.
Toutefois, le comité dispose de moyens juridiques pour permettre qu’une information lui soit délivrée de la part de l’employeur sur ce sujet, mais également pour enquêter sur les causes et les conséquences, pour l’entreprise et ses salariés, d’une telle violation de données.
Ces moyens juridiques peuvent être classés en plusieurs catégories :
A. Les réunions du comité social et économique
En l’absence d’un accord d’entreprise, le CSE se réunit [4] :
L’ordre du jour de chaque réunion du comité est établi par le président et le secrétaire [5], étant considéré que l’employeur, ou son représentant, est de droit président du CSE. Quant au secrétaire, celui-ci est désigné parmi les membres de la délégation du personnel du comité [6].
Ainsi, le secrétaire du CSE, issu de la délégation du personnel, peut demander que la cyberattaque, dont pourrait découler une violation de données personnelles, soit inscrite à l’ordre du jour de la prochaine réunion, et ce, afin d’obtenir de l’employeur des informations sur cette faille de sécurité.
Au demeurant, les élus du CSE peuvent s’emparer du paragraphe II de l’article L. 2315-27 du Code du travail N° Lexbase : L1424LKX qui dispose que : « le comité est en outre réuni à la suite de tout accident ayant entraîné ou ayant pu entraîner des conséquences graves, ainsi qu'en cas d'événement grave lié à l'activité de l'entreprise, ayant porté atteinte ou ayant pu porter atteinte à la santé publique ou à l'environnement ou à la demande motivée de deux de ses membres représentants du personnel, sur les sujets relevant de la santé, de la sécurité ou des conditions de travail ».
Ainsi, deux élus au minimum pourraient motiver une demande de réunion extraordinaire du CSE en raison d’une violation de données à caractère personnel dès lors que cette violation d’une part, peut-être source de préjudices pour les salariés, et d’autre part, en ce que l’existence de cette violation remet en cause la sécurité informatique de l’entreprise.
B. Le droit d’alerte en cas d’atteinte aux droits fondamentaux
Rappelons que le RGPD a pour vocation de protéger « les libertés et droits fondamentaux des personnes physiques, et en particulier leur droit à la protection des données à caractère personnel » (RGPD, art. 1.2), mais également le droit des personnes au respect de leur vie privée [7].
À cet égard, le préjudice encouru par le salarié en raison d’une faille de sécurité entraînant une violation des données à caractère personnel des salariés s’entend de toute atteinte potentielle à sa vie privée.
Ce qui pourrait caractériser une atteinte disproportionnée aux libertés fondamentales précitées et justifier ainsi le droit d’alerte fondée sur l’article L. 2312-59 du Code du travail N° Lexbase : L1771LRZ [8].
Concernant ce droit d’alerte, relevons que celui-ci peut être mobilisé à la fois dans les entreprises d’au moins 11 salariés [9] et dans les entreprises de plus de 50 salariés.
Les élus du comité pourraient donc s’emparer de ce moyen pour obtenir des informations de l’employeur et enquêter conjointement avec celui-ci sur cette faille de sécurité, dès lors qu’il est allégué que celle-ci porte atteinte aux libertés et droits fondamentaux des salariés et plus spécifiquement à leur droit à la protection de leurs données à caractère personnel et au respect de leur vie privée.
C. Le droit de présenter des réclamations concernant le respect de la législation en vigueur
Au terme de l’article L. 2312-15 du Code du travail N° Lexbase : L1768LRW, le CSE a comme mission générale de présenter des réclamations individuelles et collectives relatives à l’application du Code du travail ou à d’autres dispositions légales.
Cette mission générale peut être mobilisée par le CSE dans l’hypothèse d’une violation de données à caractère personnel.
En effet, une violation de données à caractère personnel pourrait caractériser un manquement, par l’employeur, aux dispositions du RGPD, et notamment à son obligation générale de sécurité. Dans cette hypothèse, les élus du CSE sont fondés à réclamer le respect de la réglementation RGPD par l’employeur.
Les élus du CSE disposent également de moyens de contrôle et d’enquête, qui peuvent être mobilisés dans l’hypothèse d’une violation de données à caractère personnel.
D. Des moyens de contrôle
Les élus du CSE disposent de deux pouvoirs particuliers pour enquêter sur une faille de sécurité.
Premièrement, les élus du CSE et les délégués syndicaux disposent d’une liberté de circulation dans l’entreprise pour rencontrer les salariés et visiter les locaux [10]. À cette occasion, les élus et délégués syndicaux pourraient souhaiter rencontrer les salariés concernés par la violation de leurs données, ou encore l’auteur du signalement ayant mené à la découverte de la faille de sécurité si celui-ci est un salarié de l’entreprise.
Deuxièmement, le CSE peut également choisir de prendre attache avec le délégué à la protection des données pour le questionner sur la faille de données et ses conséquences.
E. Les moyens d’inspection du CSE
Relevons que le CSE dispose d’un droit à procéder à des inspections en matière de santé, de sécurité et de conditions de travail [11].
Au regard du développement important des outils numériques au sein des entreprises et des risques attachés à un tel développement, par exemple un vol massif de données à caractère personnel des salariés comme dans le cas de la société Adecco, l’on peut considérer qu’une telle violation caractérise une atteinte au droit à la sécurité dont l’employeur est débiteur à l’égard des salariés de son entreprise.
Il découle de ce qui précède que si l’employeur n’a pas l’obligation légale d’informer ou de consulter le CSE en cas de cyberattaque, le CSE a néanmoins le pouvoir de contrôler la manière dont l’employeur gère une cyberattaque et met en œuvre les mesures adéquates pour palier ou limiter les effets négatifs de cette faille sur la vie privée de ses salariés.
Rappelons à cet égard que l’esprit du RGPD est de construire un système collaboratif vertueux dans lequel chacun intervient en fonction de ses compétences pour servir l’intérêt de tous de manière équilibrée. Ainsi que le relève le législateur européen dans son considérant 4, « le droit à la protection des données à caractère personnel n’est pas un droit absolu ; il doit être considéré par rapport à sa fonction dans la société et être mis en balance avec d’autres droits fondamentaux, conformément au principe de proportionnalité (…) [les] évolutions [technologiques] requièrent un cadre de protection des données solide et plus cohérent dans l'Union, assorti d'une application rigoureuse des règles, car il importe de susciter la confiance qui permettra à l'économie numérique de se développer dans l'ensemble du marché intérieur ».
En ce sens, il apparaît parfaitement conforme tant à l’esprit même du RGPD que de ce nouveau paradigme économique consistant à remettre l’humain au centre de la stratégie de développement de l’entreprise, que de renforcer la collaboration entre l’employeur et les organes représentatifs des salariés dans le meilleur intérêt de tous.
II. Actualisation (CE, 10e-9e ch. réunies, 21 octobre 2022, n° 459254, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A33578QE)
Suite à l’arrêt rendu par la Cour de Justice de l’Union européenne le 22 juin dernier, le Conseil d’État a lui aussi eu à connaître d’un contentieux opposant une ancienne salariée, exerçant les fonctions de déléguée à la protection des données (DPO), à son employeur et relatif à la protection spécifique du délégué à la protection des données contre la rupture des relations de travail.
Dans cette affaire, l’employeur licencia la salariée sur le fondement de défaillances dans l’exercice de ses fonctions en lui reprochant notamment, l’absence de production d’une feuille de route pour la conformité RGPD, des alertes répétées de non-conformité non motivées et non documentées, une absence de réponse aux sollicitations des salariés de la société, une absence de disponibilité délibérée ainsi que le non-respect de processus internes à la société.
Puis, la salariée déposa une plainte contre son employeur, auprès de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), reprochant notamment à celui-ci d’avoir violé les dispositions de l’article 38, § 3 du RGPD N° Lexbase : L0189K8I qui instaurent une protection à l’égard du délégué à la protection des données contre toutes décisions défavorables à son encontre, dès lors que celles-ci sont justifiées par l’exercice des missions de DPO.
En effet, l’article 38, § 3 du RGPD dispose que « le délégué à la protection des données ne peut être relevé de ses fonctions ou pénalisé par le responsable du traitement ou le sous-traitant pour l’exercice de ses missions ».
La CNIL décida de clôturer la plainte dirigée contre l’employeur en retenant notamment que l’exigence de protection de l’indépendance fonctionnelle du délégué à la protection des données ne fait pas obstacle à ce que l’employeur puisse reprocher à la déléguée à la protection des données des carences dans l’exercice de ses fonctions, ainsi que le non-respect de règles internes à la société employeuse.
La salariée interjeta devant le Conseil d’État un recours en excès de pouvoir contre la décision du président de la CNIL de clôturer sa plainte dirigée contre son ancien employeur.
Le Conseil d’État devait donc répondre à la question de savoir si un employeur peut légitimement prononcer une décision défavorable, en l’espèce un licenciement, contre une déléguée à la protection des données pour des motifs tirés d’une part, de carences dans l’exercice de ses fonctions, et d’autre part, du non-respect des règles internes à l’entreprise applicables à tous ses salariés.
Le Conseil d’État confirma la décision de CNIL de clôturer l’enquête en retenant, premièrement, que la protection accordée au DPO par les dispositions de l’article 38, § 3 du RGPD, telles qu’éclairées par la Cour de justice de l’Union européenne dans son arrêt du 22 juin 2022 [12], vise « essentiellement à préserver l’indépendance fonctionnelle du délégué à la protection des données et, partant, à garantir l’effectivité des dispositions du RGPD. En revanche, ces dispositions ne font pas obstacle au licenciement d’un délégué qui ne posséderait plus les qualités professionnelles requises pour exercer ses missions ou qui ne s’acquitterait pas de celles-ci conformément aux dispositions du RGPD » [13].
Deuxièmement et concernant le motif tiré des manquements aux règles internes de l’entreprise applicables à tous les salariés, le Conseil d’État rappela que les dispositions de l’article 38 du RGPD ne font pas obstacle à ce que le délégué à la protection des données soit sanctionné en cas de non-respect desdites règles « sous réserve que ces dernières ne soient pas incompatibles avec l’indépendance fonctionnelle qui lui est garantie par le RGPD » [14].
Le Conseil d’État aligne donc, en la matière, sa jurisprudence sur celle de la Cour de justice de l’Union européenne issue de l’arrêt « Leistritz AG c/ LH [15] » en retenant que la protection accordée au DPO, contre les décisions défavorables pour un motif tiré de l’exercice de ses fonctions, n’est pas absolue et qu’il est possible de sanctionner un délégué qui n’exécuterait pas ses missions conformément au RGPD ou qui manquerait encore au respect des règles internes de l’entreprise.
[1] J. Giusti, G. Salord et A. Philipponneau, Le délégué à la protection des données n’est pas un salarié protégé, mais est soumis à une protection spécifique dans la rupture de son contrat de travail, Lexbase Social, octobre 2022, n° 919 N° Lexbase : N2814BZA.
[2] C. pén., art. 226-17-1 N° Lexbase : L4523LNT.
[3] RGPD, art. 34 N° Lexbase : L0189K8I.
[4] C. trav., art. L. 2315-28 N° Lexbase : L8339LGX.
[5] C. trav., art. L. 2315-29 N° Lexbase : L8340LGY.
[6] C. trav., art. L. 2315-23 N° Lexbase : L8334LGR.
[7] L’article 1er de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978, relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés N° Lexbase : L8794AGS dispose que : « l’informatique doit être au service de chaque citoyen. Son développement doit s’opérer dans le cadre de la coopération internationale. Elle ne doit porter atteinte ni à l’identité humaine, ni aux droits de l’homme, ni à la vie privée, ni aux libertés individuelles ou publiques ».
[8] L’article L. 2312-59 du Code du travail N° Lexbase : L1771LRZ dispose que « si un membre de la délégation du personnel au comité social et économique constate, notamment par l’intermédiaire d’un travailleur, qu’il existe une atteinte aux droits des personnes [...] ou aux libertés individuelles dans l’entreprise qui ne serait pas justifiée par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnée au but recherché, il en saisit immédiatement l’employeur. […]
En cas de carence de l’employeur ou de divergence sur la réalité de cette atteinte, et à défaut de solution trouvée avec l’employeur, le salarié, ou le membre de la délégation du personnel au comité social et économique […] saisit le bureau de jugement du conseil de prud’hommes qui statue selon la procédure accélérée au fond.
Le juge peut ordonner toutes mesures propres à faire cesser cette atteinte et assortir sa décision d’une astreinte qui sera liquidée au profit du Trésor ».
[9] C. trav., art. article L. 2312-5, § 3 N° Lexbase : L4409L7G.
[10] C. trav., art. L. 2315-14 N° Lexbase : L8325LGG et L. 2143-20 N° Lexbase : L2212H9S.
[11] C. trav., art. L. 2312-13 N° Lexbase : L8246LGI.
[12] CJUE, 22 juin 2022, aff. C-534/20 N° Lexbase : A168278S. Lire J. Giusti, G. Salord et A. Philipponneau, Le délégué à la protection des données n’est pas un salarié protégé, mais est soumis à une protection spécifique dans la rupture de son contrat de travail, Lexbase Social, octobre 2022, n° 919 N° Lexbase : N2814BZA.
[13] CE, 10e-9e ch. réunies, 21 octobre 2022, n° 459254, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A33578QE, considérant 10.
[14] Ibid.
[15] CJUE, 22 juin 2022, précité.
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Réf. : Cass. crim., 23 novembre 2022, n° 22-80.950, F-B N° Lexbase : A10668UZ
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par Matthieu Hy, Avocat au barreau de Paris, ancien secrétaire de la Conférence
Le 16 Février 2023
Mots-clés : destruction • bien meuble saisi • arme
À l’occasion de la contestation d’une décision de destruction d’un bien saisi, le fondement de la saisie ne peut être critiqué, cette question relevant du contentieux de la saisie. En outre, la chambre de l’instruction peut substituer ses propres motifs à ceux du procureur de la République et tout contrôle de proportionnalité est exclu.
Contexte : Cass. crim., 15 septembre 2021, n° 21-80.813, F-D N° Lexbase : A915044N, n° 21-80.814, FS-B N° Lexbase : A5652444, n° 21-80.815, F-D N° Lexbase : A9138449, n° 21-80.816, F-D N° Lexbase : A921344Y, n° 21-80.817, F-D N° Lexbase : A913244Y, n° 21-80.818, F-D N° Lexbase : A916744B
Dans le cadre d’une enquête ouverte du chef de menace de mort, trois fusils détenus sans déclaration ont été saisis au domicile du suspect. Le procureur de la République en a ordonné la destruction. Cette décision a été notifiée oralement au mis en cause qui en a interjeté appel. La chambre de l’instruction de la cour d’appel a confirmé la décision de destruction. L’appelant s’est pourvu en cassation. Il reprochait d’une part à la cour d’avoir refusé de prononcer la nullité de la saisie. Il lui faisait d’autre part grief d’avoir confirmé la décision de saisie malgré son caractère irrégulier qui interdisait qu’elle substitue ses motifs à ceux du procureur, en ne s’expliquant pas sur l’absence d’utilité des biens à la manifestation de la vérité et sur le caractère dangereux de ceux-ci, et en ne se prononçant pas au regard du principe de proportionnalité. La Cour de cassation n’a été sensible à aucun de ces arguments.
L’article 41-5, alinéa 4, du Code de procédure pénale N° Lexbase : L7279LZM, prévoit qu’au cours de l’enquête, « le procureur de la République peut ordonner la destruction de biens saisis » lorsque deux conditions sont remplies.
D’une part, la conservation du bien ne doit plus être nécessaire à la manifestation de la vérité. Reprenant une formule déjà employée par la Chambre criminelle dans des arrêts relatifs à l’article 99-2 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L7286LZU, qui prévoit les conditions dans lesquelles le juge d’instruction peut ordonner la destruction de biens saisis [1], les juges du quai de l’Horloge rappellent que « la manifestation de la vérité ne se réduit pas à la seule caractérisation des infractions mais s’étend aux circonstances de leur commission susceptibles d’avoir une influence sur l’appréciation de la gravité des faits ». En l’espèce, la Haute juridiction estime pouvoir conclure à l’absence de nécessité du bien à la manifestation de la vérité dans la mesure où il n’est pas reproché au mis en cause d’en avoir fait usage et où les conditions de leur détention n’éclairent en rien la gravité des faits.
D’autre part, les biens dont la destruction est ordonnée doivent être soit des objets qualifiés par la loi de dangereux ou nuisibles, soit des objets dont la détention est illicite. En l’espèce, la chambre de l’instruction, approuvée par la Chambre criminelle, a considéré que les armes appartenaient à la première catégorie. L’article L. 311-2 du Code de la sécurité intérieure N° Lexbase : L4391LIH procède en effet à un classement fondé sur la dangerosité des armes qui interdit leur acquisition ou leur détention, les soumet à autorisation ou à déclaration, ou permet leur acquisition et leur détention libres. Même si les armes concernées étaient uniquement soumises à déclaration, il n’en restait pas moins que le requérant ne remplissait pas les conditions. À cette disposition du Code de la sécurité intérieure, la Cour de cassation ajoute celle de l’article 132-75, alinéa 1er, du Code pénal N° Lexbase : L0429DZW qui dispose qu’« est une arme tout objet conçu pour tuer ou blesser ».
Il est permis de s’interroger sur ce qui a conduit les juges à ne pas préférer considérer qu’ils avaient affaire à un objet dont la détention était illicite faute pour son propriétaire d’avoir procédé à la déclaration imposée par la loi. En effet, en qualifiant les fusils de dangereux au seul motif qu’ils relèvent du classement de l’article L. 311-2 du Code de la sécurité intérieure N° Lexbase : L4391LIH et de la définition de l’article 132-75, alinéa 1er, du Code pénal N° Lexbase : L0429DZW, la conséquence est que toutes les armes saisies sont susceptibles de voir leur destruction ordonnée, y compris lorsque leur acquisition ou leur détention se révèle licite. Toutefois, la solution de l’arrêt commenté semble cohérente au regard de la jurisprudence antérieure qui qualifie de dangereux des stupéfiants [2], dont la détention peut dans certaines circonstances être licite, tandis qu’elle qualifie d’illicite la détention de vêtements contrefaits [3] ou de spécimens d’animaux protégés [4].
Une fois ces conditions réunies, la destruction peut être ordonnée et la Chambre criminelle de la Cour de cassation demeure indifférente à tout autre argument.
En premier lieu, la Haute juridiction expose que la question du fondement de la saisie relève du seul contentieux de la saisie proprement dite en réponse au requérant qui reprochait à la chambre de l’instruction d’avoir refusé de prononcer la nullité de la saisie.
Il sera donc loisible au requérant de contester la validité de la saisie dans le cadre soit d’une requête en annulation de pièces s’il est mis en examen [5], soit de conclusions de nullité devant la juridiction répressive [6].
Ainsi, au moment de décider de la destruction, par définition irréversible, du bien placé saisi, l’irrégularité de la saisie serait indifférente, alors même que la Cour de cassation a jugé récemment que l’annulation de la saisie conduisait au constat de l’inexistence de tout titre permettant de conserver le bien sous main de justice et emportait restitution, y compris avant une nouvelle saisie [7].
En deuxième lieu, la Chambre criminelle rappelle que la chambre de l’instruction de la Cour d’appel pouvait substituer ses motifs à ceux du procureur de la République, puisqu’elle indique que « la contestation prévue au quatrième alinéa de l’article 41-5 du Code de procédure pénale a la nature et les effets de l’appel ». Cette disposition prévoit que les personnes à qui les décisions de destruction sont notifiées « peuvent contester devant la chambre de l’instruction afin de demander, le cas échéant, la restitution du bien saisi » et que « cette contestation doit intervenir dans les cinq jours qui suivent la notification de la décision, par déclaration au greffe du tribunal ou à l’autorité qui a procédé à cette notification ». En l’espèce, le requérant contestait l’absence de motivation de la décision du procureur de la République qui avait fait l’objet d’une notification purement orale.
En troisième lieu, la Haute juridiction qualifie d’inopérant le grief « qui invoque une atteinte disproportionnée au droit de propriété ».
Bien que le mécanisme en jeu concerne des objets dangereux ou nuisibles ou dont la détention est illicite, il semble critiquable d’exclure radicalement toute invocation du principe de proportionnalité. En effet, en l’espèce, le requérant soulignait la valeur sentimentale des fusils qu’il disait avoir hérités de son père. Par ailleurs, l’infirmation aurait pu conduire à maintenir la saisie dans l’attente de la déclaration requise et d’une éventuelle restitution. Enfin, la valeur vénale de certains biens pourrait conduire les juridictions à substituer une remise pour aliénation à la décision de destruction. Ainsi, le caractère disproportionné d’une décision de destruction est tout à fait envisageable.
[1] Cass. crim., 15 septembre 2021, n° 21-80.813, F-D N° Lexbase : A915044N, n° 21-80.814, FS-B N° Lexbase : A5652444, n° 21-80.815, F-D N° Lexbase : A9138449, n° 21-80.816, F-D N° Lexbase : A921344Y, n° 21-80.817, F-D N° Lexbase : A913244Y, n° 21-80.818, F-D N° Lexbase : A916744B ; M. Hy, Rappel des conditions de destruction pendant l’information judiciaire d’un bien placé sous main de justice, Lexbase Pénal, novembre 2021 N° Lexbase : N9393BYK.
[2] Cass. crim., 22 mai 1997, n° 96-83.014 N° Lexbase : A5659CIG.
[3] Cass. crim., 11 février 2009, n° 08-83.516, F-P+F N° Lexbase : A6447ED7.
[4] Cass. crim., 11 septembre 2018, n° 17-84.545, F-D N° Lexbase : A7856X4Q.
[5] C. proc. pén., art. 170 N° Lexbase : L0918DYN.
[6] C. proc. pén., art. 385, al. 1er N° Lexbase : L3791AZG.
[7] Cass. crim., 23 février 2022, n° 21-82.588, F-B N° Lexbase : A75097NG.
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Réf. : CE 9°-10° ch. réunies, 3 février 2023, n° 451052, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A25729BU
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N4342BZT
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par Marie-Claire Sgarra
Le 17 Février 2023
► Une foire aux questions peut faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir.
Les faits. Un requérant conteste le point 12 de la partie « Puis-je en bénéficier ? » d’une « foire aux questions » relative au fonds de solidarité en faveur des entreprises institué par l’ordonnance n° 2020-317, du 25 mars 2020, publiée sur le site du ministère de l’Économie, apportant – à la question : « Les loueurs en meublés non professionnels sont-ils éligibles au fonds de solidarité ? » – la réponse suivante : « Non, les loueurs en meublés non professionnels ne sont pas éligibles au fonds ».
Rappel. Les documents de portée générale émanant d'autorités publiques, matérialisés ou non, tels que les circulaires, instructions, recommandations, notes, présentations ou interprétations du droit positif peuvent être déférés au juge de l'excès de pouvoir lorsqu'ils sont susceptibles d'avoir des effets notables sur les droits ou la situation d'autres personnes que les agents chargés, le cas échéant, de les mettre en œuvre. Ont notamment de tels effets ceux de ces documents qui ont un caractère impératif ou présentent le caractère de lignes directrices.
Solution du CE. Par cette question-réponse, les services du ministre de l’Économie, ont fait part de leur interprétation de l’ordonnance du 25 mars 2020, instituant un fonds de solidarité à destination des personnes physiques et morales de droit privé exerçant une activité économique particulièrement touchées par les conséquences économiques, financières et sociales de la propagation du Covid-19 et des mesures prises pour en limiter la propagation.
Cette interprétation du droit positif, émise par les services chargés d’instruire les demandes d’aides au titre du fonds de solidarité puis de procéder, le cas échéant, au versement de ces aides, est susceptible de produire des effets notables sur la situation des personnes qui souhaitent bénéficier des mesures de soutien mises en place. La réponse litigieuse est susceptible de faire l’objet d’un REP.
Le requérant est fondé à demandé l’annulation du point 12 de la partie « Puis-je en bénéficier » de la FAQ.
Précisions. ► Le Conseil d’État a par une décision du 12 juin 2020 ouvert le REP à l’ensemble des « documents de portée générale émanant d'autorités publiques, matérialisés ou non, tels que les circulaires, instructions, recommandations, notes, présentations ou interprétations du droit positif […] lorsqu'ils sont susceptibles d'avoir des effets notables sur les droits ou la situation d'autres personnes que les agents chargés, le cas échéant, de les mettre en œuvre » (CE Contentieux, 12 juin 2020, n° 418142, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A55233NU). ► Le Conseil d’État a, par un arrêt rendu le 8 avril 2022, admis la recevabilité d’un recours pour excès de pouvoir dirigé contre une réponse publiée par la CNIL, au sein d’une foire aux questions (FAQ) (CE 9°-10° ch. réunies, 8 avril 2022, n° 452668, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A06317TK). Lire en ce sens, A. Bron, Droit souple : de nouveaux horizons contentieux, Lexbase Public, mai 2022, n° 667 N° Lexbase : N1490BZ9. |
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Réf. : Cass. soc., 8 février 2023, n° 20-23.312, FP-B+R N° Lexbase : A97049BZ
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N4316BZU
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par Laïla Bedja
Le 15 Février 2023
► Les dispositions des articles R. 4511-4, R. 4511-5 et R. 4511-6 du Code du travail, qui mettent à la charge de l'entreprise utilisatrice une obligation générale de coordination des mesures de prévention qu'elle prend et de celles que prennent l'ensemble des chefs des entreprises intervenant dans son établissement, et précisent que chaque chef d'entreprise est responsable de l'application des mesures de prévention nécessaires à la protection de son personnel, n'interdisent pas au salarié de l'entreprise extérieure de rechercher la responsabilité de l'entreprise utilisatrice, s'il démontre que celle-ci a manqué aux obligations mises à sa charge par le Code du travail et que ce manquement lui a causé un dommage ; partant, un salarié, exposé à l’amiante dans l’entreprise utilisatrice, peut demander la réparation de son préjudice d’anxiété à cette dernière, dès lors qu’elle n’a pas respecté son obligation générale de coordination des mesures de prévention.
Les faits et procédure. Un salarié a travaillé à compter du 27 mars 1978 en qualité de manutentionnaire pour le compte de plusieurs employeurs, dont le dernier, une société ayant conclu un marché avec la SNCF, pour effectuer des travaux au sein des différents établissements de cette dernière.
La SNCF a mis fin à cette prestation de service. Le salarié, licencié pour motif économique, a saisi la juridiction prud’homale de demandes au titre de la réparation du préjudice d’anxiété, dirigées tant contre la société employeur que la SNCF, en tant qu’entreprise utilisatrice.
La cour d’appel (CA Paris, 6-7, 8 octobre 2020, n° 15/02375 N° Lexbase : A11383XG), après avoir débouté le salarié de sa demande à l’encontre de son employeur, a déclaré l’entreprise utilisatrice responsable du préjudice du salarié et condamné cette dernière à une certaine somme à titre de dommages et intérêts.
La SNCF a alors formé un pourvoi en cassation selon le moyen notamment que l'action en réparation du préjudice d'anxiété ainsi subi par le salarié se rattachant à l'exécution du contrat de travail, ne peut être dirigée que contre son employeur, en cas de manquement de ce dernier à son obligation de sécurité.
La décision. Énonçant la solution précitée, la Haute juridiction rejette le pourvoi. Si la responsabilité de la SNCF ne pouvait être recherchée sur le fondement de l’obligation de sécurité à la charge de l’employeur définie par les articles L. 4121-1 N° Lexbase : L8043LGY et L. 4121-2 N° Lexbase : L6801K9R du Code du travail, c’est à bon droit que la cour d’appel a décidé que la responsabilité de l’entreprise utilisatrice pouvait être recherchée au titre de la responsabilité extracontractuelle, dès lors qu’étaient établies des fautes ou négligences de sa part dans l’exécution des obligations légales et réglementaires mises à sa charge en sa qualité d’entreprise utilisatrice, qui ont été la cause du dommage allégué.
Il convient de souligner l’importance de cet arrêt qui permet une protection des travailleurs intervenant sous des statuts divers dans les locaux d’entreprises utilisatrices.
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N4339BZQ
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Le 26 Juillet 2023
Mots clés : enseignement supérieur • enseignants chercheurs • dignité • impartialité • intégrité
Si les enseignants chercheurs sont soumis au droit de la fonction publique, leur statut particulier leur assure également une grande indépendance ayant pu les mener, du moins selon le juge administratif, à sortir de leur devoir de réserve dans deux affaires jugées par la Haute juridiction administrative à la fin de l'année 2022. Cette dernière peut en outre, régulièrement être amenée à avoir des relations conflictuelles avec les structures internes à la vie universitaire, chargées de faire respecter par les enseignants les obligations (impartialité, intégrité) qui leur incombent dans l'exercice de leurs fonctions. Pour faire le point sur cette thématique, Lexbase Public a interrogé Didier Truchet, Professeur émérite de l’Université Paris-Panthéon-Assas.
Lexbase : Pouvez-vous nous rappeler les grands principes auxquels doivent se conformer les enseignants chercheurs dans l'exercice de leurs fonctions ?
Didier Truchet : L’architecture des grands principes ressemble à un comprimé multi-couches. La première vient du droit de la fonction publique. Fonctionnaires de l’État, les enseignants-chercheurs sont soumis aux obligations désormais codifiées dans le Code général de la fonction publique : dignité, impartialité, intégrité, probité, neutralité, prévention des conflits d’intérêts, discrétion professionnelle, non-cumul. Ils bénéficient de la liberté d’expression, de la liberté syndicale, des droits de grève, à la non-discrimination, à la protection fonctionnelle. La deuxième couche vient de leur statut particulier d’enseignant-chercheur (Code de l’éducation et décret n° 84-431 du 6 mai 1984 N° Lexbase : L7889H3L) : bénéficiant d’un principe constitutionnel d’indépendance statutaire, ils « jouissent d'une pleine indépendance et d'une entière liberté d'expression dans l'exercice de leurs fonctions d'enseignement et de leurs activités de recherche, sous les réserves que leur imposent, conformément aux traditions universitaires et aux dispositions du présent code, les principes de tolérance et d'objectivité » (C. éduc, art. L. 952-2 N° Lexbase : L5715LZP). Les règles relatives au temps de travail (partagé par moitié entre l’enseignement et la recherche), au cumul d’activités, à l’auto-administration des Universités et des corps de Professeurs et de maîtres de conférences sont spécifiques. Une troisième couche concerne leur activité de recherche : il s’agit surtout, en l’état actuel des textes, de l’intégrité scientifique (C. rech., art. L. 221-2 N° Lexbase : L2190IC4).
Mais les textes ne disent pas tout : les traditions jouent aussi un grand rôle, chaque discipline ayant d’ailleurs les siennes. Mais l’attachement aux « libertés universitaires » (mentionnées dans l’article L. 952-2 du Code de l’éducation depuis la loi n° 2020-1674 du 24 décembre 2020, de programmation de la recherche N° Lexbase : L2694LZS) est général, même si le contenu et l’évolution de celles-ci ne font pas l’unanimité [1]. Les enseignants-chercheurs se méfient par nature du pouvoir exercé par le ministère ou par les Universités dont l’autonomie croissante accroît considérablement les pouvoirs de leurs présidents. Le principe d’obéissance hiérarchique n’a souvent pas beaucoup de sens pour eux. Ils sont d’ailleurs parmi les rares fonctionnaires à n’être pas notés par leur « supérieur » (qui est avant tout, un pair) et ne sont pas soumis à une obligation d’entretien déontologique avec lui. Et ils sont totalement libres de leur expression en cours et dans leurs publications, sauf bien sûr, à ne pas enfreindre la loi pénale. Si cette liberté qui est au cœur de nos fonctions, paraît aujourd’hui menacée, ce n’est pas tant par le pouvoir politique ou administratif que par certains étudiants, quelques associations, voire des entreprises tentées de leur intenter des « procédures bâillon ».
Lexbase : Le juge administratif en a-t-il jusqu’ici plutôt fait une interprétation extensive ou restrictive selon vous ?
Didier Truchet : Entre les universitaires (les juristes, particulièrement) et le « Palais Royal », plane un grand malentendu. En conférant une valeur constitutionnelle à la « garantie de l’indépendance » des enseignants-chercheurs, la célèbre décision du Conseil constitutionnel n° 84-165 DC du 20 janvier 1984 N° Lexbase : A8085ACG leur avait donné l’impression que ce principe les protégerait contre toute atteinte du législateur au libre exercice de leurs fonctions. Or le Conseil constitutionnel et le Conseil d’État en ont réduit la portée à quelques aspects seulement du statut : une représentation propre dans les conseils des Universités et une évaluation scientifique par leurs pairs (ce qui revenait surtout à les rendre indépendants des étudiants). En revanche, le principe constitutionnel ne s’applique pas aux fonctions des enseignants-chercheurs ; envers celles-ci, l’indépendance n’est qu’une règle législative, qui ne s’impose donc pas au législateur.
De nombreux membres de la juridiction administrative connaissent assez bien sinon l’Université, du moins les facultés de droit dans lesquelles ils enseignent comme « PAST ». L’influence du Conseil d’État ne se borne pas à sa jurisprudence : le Conseil national de l’enseignement et de la recherche statuant en formation disciplinaire et le Collège de déontologie de l’enseignement supérieur et de la recherche sont présidés par des conseillers d’État désignés par le vice-président du Conseil d’Etat. En outre, sans que cela soit obligatoire, un conseiller d’État siège presque toujours dans le jury d’agrégation de droit public. On peut imaginer que cette connaissance de l’université sert à éclairer le délibéré lorsque le Conseil d’État connaît du contentieux universitaire [2]. Ce contentieux n’est pas considérable [3]. S’agissant des enseignants-chercheurs, il porte surtout sur les recrutements dans les deux corps et sur la jurisprudence du CNESER.
Synthétiser la jurisprudence n’est pas facile. De manière générale, je pense qu’elle applique les principes à l’enseignement supérieur comme elle le fait à l’égard de tout service public, avec en outre le souci implicite (que le Conseil constitutionnel partage) de ne pas compliquer la tâche du Parlement et du Gouvernement lorsqu’ils entreprennent de le réformer, ce qui est souvent explosif. Cependant, la jurisprudence reconnaît aux universitaires des espaces spécifiques d’indépendance, notamment en refusant de contrôler les appréciations souveraines des jurys d’examen et de concours (notamment de recrutement). Elle se montre également réaliste et nuancée en admettant que certaines règles soient appliquées souplement lorsque l’Université ne peut pas faire autrement. Par exemple, alors que les Professeurs doivent normalement être recrutés par des Professeurs, le Conseil d’État n’a pas censuré la participation de maîtres de conférences au processus dans un cas où l’unité de recherche de rattachement ne comportait aucun Professeur [4]. De même, il juge que « la nature hautement spécialisée du recrutement et le faible nombre de spécialistes de la discipline » peuvent conduire à apprécier avec souplesse l’impartialité des membres d’un comité de sélection en admettant qu’ils aient eu inévitablement des liens scientifiques avec des candidats [5].
Lexbase : Plusieurs décisions récentes ont fait l'objet d'un certain retentissement. Pouvez-vous nous les présenter ?
Didier Truchet : Deux décisions ont retenu l’attention. Elles ont pour points communs d’avoir été rendues par le Conseil d’État statuant comme juge de cassation des décisions du CNESER (qui ont une nature juridictionnelle et non pas administrative), aux conclusions (disponibles sur la base « Ariane ») de M Raphaël Chambon et de porter sur le comportement reproché par leur Université à des enseignants-chercheurs à l’occasion d’actions menées dans les locaux universitaires par des étudiants opposés à la loi n° 2018-166 du 8 mars 2018, relative à l’orientation et à la réussite des étudiants N° Lexbase : L4718LIL. Mais elles n’ont pas la même portée.
La première, qui sera mentionnée dans les Tables du Recueil Lebon, est la décision n° 451523 du 15 novembre 2022 N° Lexbase : A13068TK. L’Université de Nantes reprochait à un maître de conférences de sociologie, M. B…, de s’être associé par ses paroles et sa posture à l’attitude menaçante d’étudiants envers le personnel administratif de l’Université. En première instance, la section disciplinaire lui avait infligé un retard de six mois dans l’avancement d’échelon, ramené à trois mois, en appel, par le CNESER, lequel a considéré qu’en n’ayant pas contribué à apaiser la situation, M. B… avait manqué à son obligation de neutralité qui s’imposait tout particulièrement dans de telles situations. Le Conseil d’État annule la décision du CNESER, au motif que le comportement de M. B… ne constituait pas un manquement à l’obligation de neutralité telle qu’elle s’impose aux universitaires par combinaison des articles que j’ai cités plus haut du Code général de la fonction publique et du Code de l’Éducation. M. B… n’en est pas quitte pour autant : l’affaire est renvoyée au CNESER. La tâche de ce dernier sera délicate : osera-t’il ignorer en pratique (comme il en a le droit en tant que juge du fond) les propos du rapporteur public qui après l’avoir invité à « prendre position clairement position sur les faits établis, ce qu’il s’est abstenu de faire […] », déclare douter que M. B… ait commis une faute disciplinaire ?
La seconde décision, non mentionnée au Recueil, est la décision n° 465304 du 30 décembre 2022 N° Lexbase : A152487L. Les faits avaient été amplement médiatisés à l’époque : ils avaient en effet de quoi surprendre ! En compagnie du doyen, un Professeur d’histoire du droit, M. CB…, avait participé à un commando qui avait brutalement expulsé des étudiants et des personnes étrangères à l’université qui occupaient un amphithéâtre de la Faculté de droit de Montpellier. Il a été condamné par le tribunal correctionnel à 14 mois de prison (dont huit avec sursis) et à l’interdiction de tout emploi public pendant un an, par un jugement [6] intervenu entre la décision disciplinaire de première instance et celle d’appel. La première a prononcé sa révocation (la plus grave des sept peines prévues par le CGFP) avec interdiction définitive d’exercer toute fonction dans un établissement d’enseignement supérieur public. En appel, le CNESER a choisi la cinquième sanction : interdiction d’exercer pendant quatre ans, avec privation du traitement. Saisi d’un pourvoi de la ministre, le Conseil d’État a cassé la décision du CNESER au motif qu’elle prononçait « une sanction hors de proportion avec les fautes commises » (autrement dit, trop faible). L’affaire est renvoyée au CNESER qui en pratique, n’aura le choix qu’entre la mise à la retraite d’office (la sixième sanction) et la révocation.
Lexbase : Quelle philosophie se dégage de ces arrêts ? En approuvez-vous l'orientation ?
Didier Truchet : À mes yeux, la leçon la plus intéressante concerne les pouvoirs que le Conseil d’État, plus que jamais maître de son office, exerce comme juge de cassation. Je ne suis pas surpris de voir le Conseil d’État aller plus loin dans le contrôle du juge du fond que ce que faisait traditionnellement un juge de cassation : c’est sa jurisprudence depuis la décision « Bonnemaison » [7]. Mais je le suis, dans ces deux affaires, par son degré d’intrusion dans la liberté de jugement du CNESER ! Ce dernier n’a sans doute pas bonne presse au Palais Royal, comme en témoigne le nombre très élevé de ses décisions qui ont été cassées pour des vices de procédure. C’est probablement l’une des raisons pour lesquelles la loi n° 2019-828 du 6 août 2019, de transformation de la fonction publique N° Lexbase : L5882LRB, en a confié la présidence à un conseiller d’État lorsqu’il statue en matière disciplinaire (C. éduc., art. L. 232-3 N° Lexbase : L6803LRE). Une partie de la communauté universitaire a vu dans cette réforme un nouveau recul des libertés universitaires puisque les enseignants-chercheurs ne se jugent plus exclusivement entre eux. Mais il n’est pas illogique qu’une juridiction administrative soit présidée par un conseiller d’État, comme c’est par exemple le cas des juridictions disciplinaires des professions de santé. Et contrairement à ces dernières, la section disciplinaire des conseils académiques reste présidée par un Professeur.
Dans l’affaire montpelliéraine, les faits justifient-ils que leur auteur soit exclu à vie de l’Université, comme le pense manifestement le Conseil d’État ? Chacun peut avoir son opinion ! La mienne est que cette sanction (outre la sanction pénale) est vraiment très lourde, même si le comportement de l'intéressé me semble inadmissible et ahurissant. C’est à l’autorité de police compétente d’expulser des étudiants qui empêchent le service public de fonctionner, pas aux universitaires, avec violence qui plus est ! La loi de programmation de la recherche avait tenté de créer un délit d’intrusion et de maintien illicite dans une enceinte universitaire, mais cette disposition a été censurée par le Conseil constitutionnel non au fond, mais parce qu’elle était un « cavalier législatif » (décision n° 2020-810 DC du 21 décembre 2020, N° Lexbase : A71724AU, § 38).
L’affaire nantaise est plus riche d’enseignements, non pas tant dans la décision elle-même que dans les conclusions. La neutralité qui s’impose à tout agent public doit être corrélée avec la liberté d’expression particulièrement forte et l’obligation de réserve particulièrement faible des enseignants-chercheurs. Au demeurant, fonder la sanction sur un manquement à la neutralité n’était pas une bonne idée : elle impose de traiter les agents et les usagers indépendamment de toute considération politique, religieuse, idéologique etc. Je comprends bien que le président de l’Université ait en engageant une action disciplinaire, entendu montrer sa solidarité avec le personnel, choqué par l’attitude de M. B … mais je vois mal en quoi celui-ci aurait manqué à la neutralité en manifestant par sa présence un soutien à un mouvement collectif d’étudiants : ce comportement (que je n’approuve pas !) ne préjuge pas son attitude ou ses décisions lors d’un cours ou d’un examen. Je lui fais crédit de faire alors preuve de la tolérance qui est au cœur de notre métier, si malmenée qu’elle puisse être aujourd’hui.
On peut donc lire ces deux décisions comme un condamnation des violences commises par un universitaire (comme par tout agent public) et comme un hommage à la liberté universitaire. « Un universitaire n’est pas un fonctionnaire comme les autres » lit-on dans les conclusions sur l’affaire nantaise. Elles ont bien raison sur ce point !
*Propos recueillis par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Public.
[1] V. pour une critique de leur état en France (dont je ne partage pas intégralement l’analyse), O. Beaud, Le savoir en danger – Menaces sur le savoir académique, PUF, 2021.
[2] V. Le Conseil d’État et l’Université (J. Caillosse et O. Renaudie, dir.), Dalloz, Thèmes et commentaires, 2015.
[3] Pour une analyse détaillée, v. Droit de l’enseignement supérieur (B. Beignier et D. Truchet, dir.), Lextenso, 2018, partie VIII p. 389, « Contentieux de l’enseignement supérieur » (par C. Moreau).
[4] CE, 12 mai 2017, n° 377887 N° Lexbase : A9176WCT.
[5] CE, 29 mai 2019, n° 424367 N° Lexbase : A56413MU.
[6] Le rapporteur public indique que la décision en appel de ce jugement interviendra le 28 février 2023.
[7] À propos d’un médecin : CE, ass, 30 décembre 2014, n° 381245 N° Lexbase : A8359M84 ; v. pour un cas d’application à un enseignant-chercheur, dont la peine avait déjà été jugée trop légère, CE, 6 avril 2016, n° 389821 N° Lexbase : A8804RBP.
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