La lettre juridique n°934 du 9 février 2023

La lettre juridique - Édition n°934

Peines

[Brèves] Confiscations : nul besoin de soumettre le fondement de la peine au débat contradictoire

Réf. : Cass. crim., 1er février 2023, n° 22-81.085, FS-B N° Lexbase : A01899BM

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N4237BZX

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par Adélaïde Léon

Le 22 Février 2023

► Aucun texte légal ou conventionnel n’impose au juge saisi de l’action publique de soumettre au contradictoire la peine qu’il envisage de prononcer et qu’il détermine librement parmi les peines, principales et complémentaires, encourues par le prévenu ;

Lorsqu’un tribunal correctionnel a ordonné une confiscation sur le fondement de l’alinéa 6 de l’article 131-21 du Code pénal, la cour d’appel peut choisir de confirmer cette peine sur le fondement de l’alinéa 2 du même article sans avoir à soumettre au préalable ce fondement au débat contradictoire.

Rappel des faits. Un individu a été déclaré coupable des chefs de proxénétisme aggravé et blanchiment et condamné à dix-huit mois d’emprisonnement avec sursis et 18 000 euros d’amende.

Une peine de confiscation de son véhicule a également été prononcée sur le fondement des articles 131-21, alinéa 6 N° Lexbase : L7984MBC et 225-25 N° Lexbase : L1287MAW du Code pénal.

L’intéressé a relevé appel de ce jugement, en ses seules dispositions relatives au blanchiment et aux peines de confiscation. Le ministère public a formé appel incident.

En cause d’appel. La cour d’appel a confirmé la peine de confiscation du véhicule au motif que celui-ci, dont l’appelant était le propriétaire, avait servi à commettre l’infraction.

Les juges d’appel ont toutefois confirmé la confiscation sur le fondement de l’alinéa 2 de l’article 131-21 du Code pénal.

Le prévenu a formé un pourvoi contre l’arrêt d’appel.

Moyens du pourvoi. Il était fait grief à la cour d’appel d’avoir confirmé la peine de confiscation du véhicule sur des dispositions différentes de celles retenues par le tribunal correctionnel, sans avoir préalablement permis aux parties de débattre sur ce point. L’auteur du pourvoi considérait donc que les principes d’équité et du contradictoire n’avaient pas été respectés.

Décision. La Chambre criminelle rejette le pourvoi. Les hauts magistrats soulignent qu’aucun texte légal ou conventionnel n’impose au juge saisi de l’action publique de soumettre au débat contradictoire la peine qu’il envisage de prononcer. Cette peine est déterminée librement par lui parmi les peines, principales et complémentaires, encourues par le prévenu.

Dès lors, la Cour conclue que le juge peut ordonnance toute mesure de confiscation prévue par la loi sans avoir à soumettre au contradictoire le fondement légal de la peine retenue.

Pour aller plus loin : M. Hy, ÉTUDE : Les confiscations, in Droit pénal général (dir. J.-B. Perrier), Lexbase N° Lexbase : E089103E.

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Droit pénal spécial

[Focus] Les défaillances du législateur dans l’entreprise de codification à l’aune de la réforme des infractions sexuelles

Lecture: 58 min

N4012BZM

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par Florence Dequatre, Docteur en droit privé, Enseignante contractuelle à CY Cergy Paris Université, Chargée d’enseignement à l’Institut de criminologie et de droit pénal de Paris (Université Panthéon-Assas Paris II) et à l’Université Reims Champagne-Ardenne

Le 09 Février 2023

Mots-clés : infractions sexuelles • mineurs • loi du 21 avril 2021 • codification • valeurs sociales protégées

S’il est une famille d’infractions marquée par l’instabilité législative depuis l’entrée en vigueur du Code pénal en 1994, c’est bien celle des infractions sexuelles avec une accélération des réformes au cours de la dernière décennie. Alors que les modifications du corpus juridique restaient ponctuelles et désordonnées, la dernière loi du 21 avril 2021 visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l’inceste constitue une véritable rupture – le législateur ayant posé les fondations d’un nouveau droit pénal des infractions sexuelles. Porteuse d’un changement radical de paradigme axiologique, cette loi invitait à réinterroger la place des infractions sexuelles dans le Code pénal. Les défaillances du législateur dans la classification des infractions sexuelles – révélant un mauvais usage de la codification – offrent ainsi à la doctrine une opportunité de formuler des propositions pour un meilleur usage de la codification.


 

Code des lois de Hammourabi, § 130 : « Si un homme a violenté la femme d’un homme qui n’a pas encore connu le mâle et demeure encore dans la maison paternelle, s’il a dormi dans son sein, et si on le surprend, cet homme est passible de mort, et cette femme sera relâchée ». [1]

Cet extrait du Code des lois de Hammourabi témoigne, d’une part, de la réprobation qu’a toujours légitimement suscité le viol quelles que soient les époques et, d’autre part, de l’effort des législateurs à travers les âges pour rationaliser les textes de loi en les codifiant. Depuis cette disposition, il est évident que les fondements de la réprobation du viol ont été profondément bouleversés – quoi qu’extrêmement récemment à l’échelle de l’humanité. En la matière, la révolution ne s’est produite que dans le dernier quart du XXe siècle. Plus précisément, c’est la loi n° 80‑1041, du 23 décembre 1980, relative à la répression du viol et de certains attentats aux mœurs [2] qui a modifié, plus largement, le fondement des textes d’incrimination réprimant les infractions sexuelles. Dès lors, il n’était plus question de protéger ni les mœurs ni les familles d’une naissance illégitime, mais de consacrer, à une époque marquée par l’avènement de l’individualisme, la protection pénale de la liberté sexuelle de la personne [3].

Cette réforme majeure en appelait sûrement d’autres. Pour autant, c’est à un véritable « emballement » [4] que l’on assiste aujourd’hui, dénoncé à raison en doctrine depuis une dizaine d’années – le Professeur Darsonville publiait en 2012, aux archives de politique criminelle, un article consacré au « surinvestissement législatif en matière d’infractions sexuelles » [5]. En un peu moins de sept ans, c’est-à-dire depuis le printemps 2016, les infractions sexuelles ont été réformées par quatre lois – au rythme donc d’une loi tous les un à deux ans : loi du 14 mars 2016 [6] N° Lexbase : L0090K7H, du 3 août 2018 [7] N° Lexbase : L6141LLZ, du 30 juillet 2020 [8] N° Lexbase : L7970LXH et du 21 avril 2021 [9] N° Lexbase : L2442L49. Cette dernière loi a été très abondamment analysée et commentée en doctrine tant s’agissant des modifications opérées en droit pénal substantiel qu’en droit pénal processuel [10]. Dès lors, il ne s’agit pas d’inscrire la réflexion ici conduite dans le sillage de ces études techniques, indispensables à la bonne compréhension de ce qui se présente comme un nouveau droit pénal des infractions sexuelles [11]. Il s’agit plutôt de suivre une autre voie, jusqu’ici, encore peu empruntée. À partir d’un diagnostic posé en doctrine, celui d’« une perte de cohérence juridique de l’articulation des infractions sexuelles » [12], il convient de proposer un « remède » [13], celui de « la rationalisation » [14] du corpus juridique. Certains pays européens ont engagé ce travail de réforme d’ensemble des infractions sexuelles. La Belgique a ainsi adopté le 21 mars 2022 une loi modifiant le Code pénal en ce qui concerne le droit pénal sexuel [15]. Pour l’heure, le vote de la loi du 21 avril 2021 N° Lexbase : L2442L49 non plus que deux nouvelles propositions de loi déposées au Parlement français cette année [16] ne témoignent d’une telle ambition de la part du législateur. Ce dernier persistant à réformer la matière par touches successives, la loi du 21 avril 2021 N° Lexbase : L2442L49 apparaît – à l’instar de celles qui l’ont précédée – comme « l’occasion manquée d’une grande réforme des infractions sexuelles » [17]. C’est ainsi à la doctrine que revient, pour l’instant, la tâche de faire progresser la réflexion en proposant d’ouvrir le chemin de la recodification.

Une réflexion plus globale relative à la protection de l’intégrité morale en droit pénal [18] a été l’occasion de formuler des propositions de rationalisation de la codification des infractions sexuelles avant que ne soit adoptée la dernière réforme du 21 avril 2021 N° Lexbase : L2442L49. Toutefois, le changement de paradigme axiologique dont est à l’origine cette loi [19] suppose de remettre l’ouvrage sur le métier et de réinterroger la place des infractions sexuelles dans le Code pénal. Cette approche axiologique pourrait être critiquée en ce qu’elle est fortement discutée [20] – sinon contestée en droit pénal spécial par certains auteurs [21] – et a marqué un net recul dans la résolution des concours de qualifications depuis l’arrêt de la Chambre criminelle de la Cour de cassation du 15 décembre 2021 [22]. Mais, « ce qui peut paraître n’être qu’une simple question de place dans le Code pénal, a en vérité un impact fondamental dès lors que, selon le lieu où se situe une incrimination dans le code, c’est implicitement la valeur pénalement protégée qui se dessine » [23]. Puisque la codification des infractions sexuelles va apparaître perfectible au terme d’une analyse du droit positif, il va alors falloir en revenir, précisément, aux valeurs sociales protégées pour s’interroger sur la juste place de ces infractions dans le Code [24]. En effet, l’œuvre de codification repose, en partie, sur les valeurs sociales protégées qui permettent, en tant que critère de classification, de présenter de manière cohérente les infractions existantes. Dans l’introduction de leur traité de droit criminel consacré au droit pénal spécial, Merle et Vitu soulignaient l’apport que représentent les valeurs sociales protégées pour le droit pénal spécial. « Considéré dans cette optique, le droit pénal spécial n’apparaît plus comme un agglomérat disparate d’incriminations qui se succèdent sans lien, mais comme un ensemble cohérent et structuré, directement inspiré par les principes moraux et politiques proclamés ou reconnus par l’État » [25].

Une étude relative à la codification des infractions sexuelles conduite à l’aune de la réforme du 21 avril 2021 N° Lexbase : L2442L49 suppose, à partir d’une analyse du droit positif révélatrice d’un mauvais usage par le législateur de la codification en la matière (I.), de tracer la voie pour parvenir à un meilleur usage de cet outil dans le champ des infractions sexuelles (II.).

I. Du mauvais usage par le législateur de la codification en matière d’infractions sexuelles

La « perte de cohérence juridique de l’articulation des infractions sexuelles » [26], mise en évidence en doctrine, trouve son origine dans le mauvais usage par le législateur de la codification en matière d’infractions sexuelles. Avant l’adoption de la loi du 21 avril 2021 N° Lexbase : L2442L49, la codification des agressions sexuelles au sein du chapitre du Code pénal consacré aux atteintes à l’intégrité physique ou psychique de la personne [27] n’était déjà pas satisfaisante [28]. À cet état du droit positif, la loi du 21 avril 2021 N° Lexbase : L2442L49 a apporté encore un peu plus de confusion en modifiant de manière substantielle la catégorie des agressions sexuelles. Dès lors, la codification des infractions sexuelles génériques ne va pas apparaître pertinente (A.) tandis que celle des agressions sexuelles spécifiques aux mineurs traduit des hésitations de la part du législateur (B.).

A. La codification non pertinente des infractions sexuelles génériques

  1. S’interroger sur la pertinence de la codification des infractions sexuelles génériques au sein du Code pénal suppose, au préalable, d’opérer un rappel quant à la ratio legis de ces incriminations.

Si la loi du 21 avril 2021 N° Lexbase : L2442L49 est porteuse d’un changement radical dans la répression de certaines infractions sexuelles spécifiques aux mineurs [29], elle n’a en revanche pas modifié la ratio legis des infractions sexuelles génériques. Il n’est d’ailleurs pas inutile de rappeler que le viol et les agressions sexuelles autres que le viol réprimés, pour le premier, par l’article 222-23 du Code pénal N° Lexbase : L2622L4U et, pour les secondes, par les articles 222‑27 N° Lexbase : L7179ALH et 222-29-1 N° Lexbase : L2630L48 du Code pénal (selon que la victime est un mineur de plus ou de moins de quinze ans) peuvent précisément toujours avoir pour victime un mineur.

Les infractions sexuelles génériques sont le fruit d’une mutation des infractions d’attentat aux mœurs intervenue, dans la seconde moitié du XXe siècle, à la faveur d’« un recentrage sur l’individu » [30] du droit. À cet égard, c’est sans doute l’évolution de l’incrimination du viol qui apparaît la plus emblématique. Il y a encore quelque temps, elle aurait pu être retracée à grands traits dès lors que le changement jusqu’alors majeur en la matière était intervenu par la loi n° 80-1041, du 23 décembre 1980, relative à la répression du viol et de certains attentats aux mœurs [31] et était donc, depuis lors, bien connu. En deux mots, rappelons donc que, jusqu’à cette loi, le viol n’était pas défini par le Code pénal de 1810 et que la doctrine l’envisageait exclusivement comme le coït imposé par un homme à une femme [32]. Depuis cette loi, et jusqu’aux lois n° 2018-703, du 3 août 2018, renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes N° Lexbase : L6141LLZ et n° 2021-478, du 21 avril 2021, visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l’inceste N° Lexbase : L2442L49, le viol a été défini par l’article 222-23 du Code pénal N° Lexbase : L2622L4U comme « tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui par violence, contrainte, menace ou surprise ». Ainsi, cette loi était porteuse d’un changement de paradigme radical et opportun. Il ne s’agissait plus de protéger les familles d’une naissance illégitime, mais bien de protéger désormais la liberté sexuelle [33]. Le temps où « l’acte sexuel interdit prot[égeait] l’ordre moral et [où] les crimes qui en découl[ai]ent int[égraie]nt les infractions contre les mœurs […] » [34] appartenait, désormais, au passé. En pérennisant, lors de la réforme du Code pénal en 1992, l’incrimination telle qu’elle existait depuis la loi du 23 décembre 1980, puis en précisant que la qualification de viol pouvait être retenue quelles que soient les relations entretenues par l’auteur et sa victime – y compris, donc, s’ils sont unis par les liens du mariage [35], la loi pénale se conformait aux valeurs qui irriguaient la société à l’aube du XXIe siècle [36].

Au contraire, il n’est pas certain que les modifications récentes de l’article 222-23 du Code pénal N° Lexbase : L2622L4U par la loi du 3 août 2018 [37] N° Lexbase : L6141LLZ et par celle du 21 avril 2021 [38] N° Lexbase : L2442L49 constituent, en la matière, une nouvelle avancée. Elles contribuent bien plus l’une comme l’autre, par un élargissement du champ d’application de l’incrimination de viol [39], à brouiller les frontières du viol et des agressions sexuelles autres que le viol. Qualifier de viol non plus simplement les actes de pénétration sexuelle commis sur la personne d’autrui, mais également ceux réalisés sur la personne de l’auteur par la victime procède d’une confusion regrettable entre le dommage et le préjudice [40] puisqu’il s’agit de combler le « vide juridique associé à la répression pénale des fellations subies par les jeunes garçons, qui [n’étaient] considérées [avant la réforme du 3 août 2018 N° Lexbase : L6141LLZ] que comme des agressions sexuelles, alors qu’elles ont les mêmes conséquences psychologiques qu’un viol pour les victimes » [41]. De l’aveu même du législateur [42], il s’agissait de mettre fin à une jurisprudence antérieure [43] qui refusait, par exemple, de qualifier de viol les relations sexuelles imposées par une femme à un homme ou bien encore les fellations forcées [44]. Quant à la réforme issue de la loi du 21 avril 2021 N° Lexbase : L2442L49 qui a étendu le champ d’application du viol dont la matérialité peut désormais être caractérisée par la réalisation d’actes bucco-génitaux, elle emporte la conséquence radicale de faire « disparaître le critère de distinction du viol et des autres agressions sexuelles » [45]. Ainsi, ces deux réformes devraient conduire à un recul de la qualification des agressions sexuelles autres que le viol [46]. En réalité, elles semblent poursuivre un objectif « d’égalité entre les deux sexes » [47] sinon idéologique, à tout le moins artificiel [48] et, en cela, peuvent ne pas convaincre [49].

Quoi qu’il en soit de ces modifications récentes de l’article 222-23 du Code pénal N° Lexbase : L2622L4U, depuis la réforme intervenue en 1992, la société n’a plus de droit de regard sur les relations sexuelles qu’entretient une personne – tout du moins lorsque la relation intervient avec une personne qui y consent librement et qu’elle n’implique pas un mineur de quinze ans [50] ou de plus de quinze ans lorsque l’auteur majeur a une autorité de droit ou de fait sur la victime ou abuse de l’autorité que lui confèrent ses fonctions [51].

Au terme de ces développements, on ne peut alors qu’être surpris de trouver le viol et les agressions sexuelles autres que le viol codifiés au sein du chapitre rassemblant les atteintes à l’intégrité physique ou psychique de la personne [52]. Le viol et les agressions sexuelles revêtent une dimension corporelle incontestable. Pour autant, ils ne constituent pas des infractions exclusivement attentatoires à l’intégrité corporelle de la personne (comme peuvent l’être les violences [53]). Dès lors, la classification de ces infractions parmi les atteintes à l’intégrité physique ou psychique de la personne ne permet pas de valoriser la protection du consentement de la victime, au cœur de la répression des infractions sexuelles génériques depuis la loi du 23 décembre 1980. En effet, analysant ce texte, la doctrine releva, lors du vote de la loi, la place centrale qui était désormais accordée au consentement de la victime – dont l’absence était érigée en élément constitutif de l’infraction de viol [54] – analyse qui peut être étendue aux agressions sexuelles autres que le viol. La codification des infractions sexuelles génériques se révèle ainsi perfectible.

Au demeurant, la question de la codification des infractions sexuelles au sein du chapitre du Code pénal relatif aux atteintes à l’intégrité physique ou psychique [55] a été renouvelée par l’adoption de quatre nouvelles infractions d’agressions sexuelles spécifiques aux mineurs lors de la dernière réforme.

B. Les hésitations du législateur quant à la codification des agressions sexuelles spécifiques aux mineurs

L’article 1er de la loi du 21 avril 2021 N° Lexbase : L2442L49 a créé quatre nouvelles infractions sexuelles spécifiques aux mineurs. Il s’agit, d’une part, du viol et de l’agression sexuelle autre que le viol qui ne peuvent être commis que par un majeur sur un mineur de quinze ans lorsque la différence d’âge entre le majeur et le mineur est d’au moins cinq ans. Ces infractions ont été respectivement incriminées dans deux nouveaux articles 222-23-1 N° Lexbase : L2624L4X et 222-29-2 N° Lexbase : L2631L49 du Code pénal. Il s’agit, d’autre part, du viol et de l’agression sexuelle autre que le viol commis dans un contexte incestueux, c’est-à-dire par un majeur ayant la qualité d’ascendant à l’égard de la victime ou par toute autre personne mentionnée à l’article 222-22-3 dudit code N° Lexbase : L2620L4S ayant sur le mineur une autorité de droit ou de fait. Ces textes trouvent respectivement place aux articles 222-23-2 N° Lexbase : L2621L4T et 222-29-3 N° Lexbase : L2628L44 du Code pénal. Il convient, dès lors, de s’interroger sur la pertinence de la codification de ces infractions sexuelles qu’elles soient commises hors de tout contexte incestueux (1) ou dans un contexte incestueux (2).

1) La question de la pertinence de la codification des infractions sexuelles commises hors de tout contexte incestueux

La loi du 21 avril 2021 N° Lexbase : L2442L49 a créé deux nouvelles infractions sexuelles spécifiques aux mineurs – et donc autonomes [56] – commises hors de tout contexte incestueux. Deux nouveaux articles 222-23-1 N° Lexbase : L2624L4X et 222-29-2 N° Lexbase : L2631L49 ont été introduits à cet effet dans le Code pénal. Aux termes de l’article 222‑23‑1, alinéa 1er N° Lexbase : L2624L4X, « hors le cas prévu à l’article 222-23, constitue également un viol tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, ou tout acte bucco-génital commis par un majeur sur la personne d’un mineur de quinze ans ou commis sur l’auteur par le mineur, lorsque la différence d’âge entre le majeur et le mineur est d’au moins cinq ans ». Construit sur le même modèle, l’article 222-29-2, alinéa 1er N° Lexbase : L2631L49, dispose que « hors le cas prévu à l’article 222-29-1, constitue également une agression sexuelle punie de dix ans d’emprisonnement et de 150 000 euros d’amende toute atteinte sexuelle autre qu’un viol commise par un majeur sur la personne d’un mineur de quinze ans, lorsque la différence d’âge entre le majeur et le mineur est d’au moins cinq ans ».

Ces infractions se distinguent des infractions génériques dans la mesure où leur caractérisation survient en dehors du cas prévu à l’article 222-23 N° Lexbase : L2622L4U pour le viol et en dehors de celui prévu à l’article 222-29-1 N° Lexbase : L2630L48 pour les agressions sexuelles, c’est-à-dire en dehors de toute violence, contrainte, menace ou surprise. La lecture des textes d’incrimination devrait normalement conduire à retenir, lorsque les faits sont commis par un majeur sur un mineur de quinze ans avec violence, contrainte, menace ou surprise, les qualifications génériques des articles 222-23 N° Lexbase : L2622L4U et 222-24 [57] N° Lexbase : L2625L4Y pour le viol [58] et 222-29-1 N° Lexbase : L2630L48 pour l’agression sexuelle autre que le viol [59]. Pourtant, un auteur attire l’attention sur le fait que la réforme est présentée aux magistrats comme porteuse de « nouvelles incriminations [siège de] qualifications spéciales qui d[evrai]ent être préférées aux incriminations générales de viols et d’agressions sexuelles avec violence, contrainte, menace ou surprise en vertu du principe specialia generalibus derogant, “même s’il est manifeste que les faits ont été commis avec violence, contrainte, menace ou surprise” » [60]. Une telle application de ces articles s’éloignerait incontestablement de leur lettre [61]. Pour autant, elle serait en réalité plus conforme à l’esprit dans lequel cette loi a été votée – les auteurs de la proposition de loi estimant que « la notion de consentement, déjà complexe lorsque la victime est un adulte, n’a tout simplement pas sa place dans le débat lorsque la victime est particulièrement jeune ». Les articles 222-23 N° Lexbase : L2622L4U et 222-29-1 N° Lexbase : L2630L48 du Code pénal n’auraient dès lors plus vocation à être appliqués en présence d’un mineur de quinze ans.

Jusqu’à la loi du 21 avril 2021 N° Lexbase : L2442L49, les agressions sexuelles réprimaient, quel que soit l’âge de la victime, des atteintes à la liberté sexuelle [62] caractérisées par une violence, une contrainte, une menace ou une surprise. L’effacement des infractions sexuelles classiques, à l’issue de la réforme, se justifie par cette ratio legis fondée sur la liberté sexuelle. Il n’est désormais plus question d’appréhender les infractions sexuelles commises sur les mineurs de quinze ans au prisme de la liberté sexuelle. Depuis la loi du 21 avril 2021 N° Lexbase : L2442L49, l’existence d’une liberté sexuelle chez ces mineurs, exercée dans le cadre de relations entretenues avec des partenaires majeurs, est incontestablement écartée [63], conformément à l’orientation des travaux préparatoires dont Madame Hardouin-Le Goff délivrait la teneur [64]. Il s’agit désormais de fonder les infractions sexuelles commises à l’encontre des mineurs de quinze ans sur le principe d’une protection de leur intégrité physique et psychique [65] – à la double condition d’un écart d’âge d’au moins cinq ans entre l’auteur et la victime et d’une absence de contrepartie réelle ou promise. En revanche, ne nous y trompons pas, pas plus qu’hier le législateur ne consacre une majorité sexuelle qu’il fixerait à quinze ans [66].

Reste qu’à lire les alinéas 2 des articles 222-23-1 N° Lexbase : L2624L4X et 222-29-2 N° Lexbase : L2631L49 du Code pénal, rédigés en des termes strictement identiques, un doute pourrait surgir quant à la ratio legis de ces nouvelles infractions. En effet, le législateur écarte la condition de différence d’âge lorsque « les faits ont été commis en échange d’une rémunération, d’une promesse de rémunération, de la fourniture d’un avantage en nature ou de la promesse d’un tel avantage ». Le Professeur Rousseau est alors « tenté d’analyser cette condition d’écart d’âge comme une sorte de fait justificatif spécial ne jouant pas dans n’importe quelle condition » [67]. Il en conclut que « la morale sexuelle n’est donc peut-être pas totalement absente du régime de cette nouvelle infraction autonome de viol sur mineur de quinze ans […] » [68] – l’analyse pouvant être étendue aux agressions sexuelles autres que le viol. Ces deux alinéas devraient donc amener à appréhender ces infractions autonomes de viol et d’agression sexuelle commises par un majeur sur un mineur de quinze ans comme des infractions de nature mixte – attentatoires à l’intégrité physique et psychique et attentatoires à la moralité des mineurs. Toutefois, il est permis de s’interroger sur l’articulation de ces dispositions avec celles de l’article 225-12-1, alinéa 2 du Code pénal N° Lexbase : L2634L4C qui répriment le recours à la prostitution de mineur – infraction dont les peines sont aggravées lorsqu’un mineur de quinze ans en est victime [69]. L’ensemble de ces dispositions semble, en effet, se recouper en grande partie de sorte que la question de leur conformité au principe de nécessité des délits et des peines [70] se pose et qu’à tout le moins leur application ne sera pas aisée. Nous l’avons dit, les alinéas 2 des articles 222-23-1 N° Lexbase : L2624L4X et 222-29-2 N° Lexbase : L2631L49 du Code pénal doivent permettre de qualifier de viol, les pénétrations sexuelles ou actes bucco-génitaux, ou d’agression sexuelle, les atteintes sexuelles autres qu’un viol, lorsqu’ils sont commis par un majeur sur la personne d’un mineur de quinze ans [71] en échange d’une rémunération, d’une promesse de rémunération, de la fourniture d’un avantage en nature ou de la promesse d’un tel avantage et ce quel que soit l’écart d’âge entre l’auteur et la victime. Pour sa part, l’article 225-12-1, alinéa 2 du Code pénal N° Lexbase : L2634L4C réprime de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende le recours à la prostitution de mineurs [72] – les peines étant rehaussées à dix ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende lorsque la victime est un mineur de quinze ans conformément à l’article 225-12-2, alinéa 2 du Code pénal N° Lexbase : L2635L4D. Un auteur a alors pu s’interroger sur l’opportunité de supprimer l’article 225‑12‑2, alinéa 2 du Code pénal N° Lexbase : L2635L4D concluant au fait que « ce texte ne conserve d’intérêt que pour permettre la sanction d’un mineur qui s’offre les services sexuels d’un mineur de quinze ans acceptant de les fournir contre rémunération ! » [73] Pour réprimer ces clients de la prostitution, mineurs, il conviendrait alors d’en revenir à l’article 225-12-1 du Code pénal N° Lexbase : L2634L4C – ce qui emporterait un affaiblissement de la répression puisque la peine alors encourue s’élève à cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende [74]. Pourrait également être envisagée la suppression de l’alinéa 2 des articles 222-23-1 N° Lexbase : L2624L4X et 222-29‑2 N° Lexbase : L2631L49 du Code pénal. Là non plus, une telle suppression ne serait pas tout à fait satisfaisante. L’abrogation de l’alinéa 2, de l’article 222-29-2 N° Lexbase : L2631L49 n’aurait pas pour conséquence un affaiblissement de la répression dès lors que le recours à la prostitution de mineurs de quinze ans fait encourir à son auteur dix ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende [75] – c’est-à-dire des peines identiques à celles de l’agression sexuelle autre que le viol spécifique aux mineurs [76]. En revanche, alors que le viol commis par un majeur sur un mineur de quinze ans – et réalisé en échange d’une contrepartie réelle ou promise – fait encourir à son auteur vingt ans de réclusion criminelle [77], le recours à la prostitution d’un mineur de quinze ans expose son auteur, nous venons de le voir, à une peine de dix ans d’emprisonnement et de 150 000 euros d’amende. Si le fait de réprimer plus sévèrement cette infraction de viol spécifique aux mineurs apparaît a priori logique, il est, en revanche, incohérent de la part du législateur de réprimer différemment des faits qui peuvent être matériellement identiques.

Assurément, les dispositions nouvelles par lesquelles la pénétration sexuelle (ou l’acte bucco-génital) et l’atteinte sexuelle autre que le viol sont sanctionnées quel que soit l’écart d’âge entre l’auteur et la victime lorsqu’elles sont réalisées en échange d’une contrepartie ne peuvent être articulées de manière satisfaisante avec les dispositions qui leur préexistaient. Au demeurant, par l’enjeu de morale sexuelle dont elles sont porteuses, elles s’écartent de l’objectif initialement poursuivi par le législateur à l’occasion du vote de la loi du 21 avril 2021 N° Lexbase : L2442L49. Par cette loi, il s’agissait d’adapter le dispositif répressif en matière d’infractions sexuelles aux aspirations fortes qu’exprimait la société depuis quelques années au travers des différents mouvements de libération de la parole des victimes d’infractions sexuelles. À cet effet, il convenait de « changer de paradigme » [78]. En effet, « dans l’esprit de chacun et de la société, c’est la protection de l’enfant en tant que tel, la sauvegarde de son intégrité physique et psychologique [79] que l’on veut pénalement garantir ici. Sacraliser l’enfant dans son corps et dans son développement psychologique par un recours légitime au droit pénal » [80]. Relevons d’ailleurs qu’avant même le vote de cette loi, le juge avait tenté de prendre en compte l’évolution sociétale à l’œuvre. Dans une affaire dont a eu à connaître la Chambre criminelle, un individu a reconnu avoir consulté une bande dessinée érotique, ce qui l’avait excité et l’avait conduit, alors qu’il était assis à côté d’une enfant, à lui effleurer la main ainsi que la jambe, du mollet jusqu’au genou, tout en se masturbant. Renvoyé devant le tribunal correctionnel, le prévenu est condamné en première instance pour exhibition sexuelle, mais relaxé du chef d’agression sexuelle sur mineure de quinze ans. En appel, le prévenu est condamné pour agression sexuelle sur mineure de quinze ans. Pour entrer en voie de condamnation, la cour d’appel de Versailles a retenu que « ces zones du corps, sans être spécifiquement sexuelles en elles‑mêmes, ont été de nature à exciter le prévenu au niveau sexuel, alors que l’enfant n’avait ni la maturité ni le pouvoir de s’opposer de manière efficiente à ces attouchements de nature sexuelle ». La Cour de cassation n’y voit rien à redire et rejette le pourvoi par un arrêt en date du 3 mars 2021 [81]. Les juges du fond avaient ainsi justifié leur décision en considérant, « par une appréciation souveraine, que les caresses avaient un caractère sexuel en raison de la manière dont elles ont été effectuées et du contexte dans lequel les faits se sont déroulés ». La condamnation du comportement adopté dans cette affaire au prisme de l’agression sexuelle révèle la volonté de protéger les mineurs dans leur intégrité physique ou psychique – les juges reconnaissant eux-mêmes que les zones du corps sur lesquels les attouchements ont été pratiqués n’étaient pas spécifiquement sexuelles en elles-mêmes. Sous cet angle, une condamnation de ces faits au titre des violences volontaires aurait certainement été plus conforme à la légalité criminelle « pour ce qu’[ils] ont immanquablement entraîné de choc émotif et de perturbation psychique […] de la victime » [82]. Cette décision comme la loi du 21 avril 2021 N° Lexbase : L2442L49 après elle illustrent bien que c’est à la seule condition de fonder les nouvelles infractions sexuelles spécifiques aux mineurs sur la protection de leur intégrité physique et psychique que celles-ci traduiront pleinement les aspirations sociales.

Malgré les hésitations du législateur qui apparaissent en filigrane des articles 222-23-1 N° Lexbase : L2624L4X et 222‑29-2 N° Lexbase : L2631L49 du Code pénal, ces nouveaux textes ont donc toute leur place au sein du chapitre du Code pénal réprimant les atteintes à l’intégrité physique ou psychique de la personne [83]. À leur côté, ont été également insérés dans le Code pénal les nouveaux articles 222‑23-2 N° Lexbase : L2621L4T et 222‑29-3 N° Lexbase : L2628L44 qui présentent la particularité de protéger tous les mineurs – quel que soit leur âge – de relations sexuelles commises par un majeur dans un contexte incestueux. Au regard de ces spécificités, la même question relative à la pertinence de la codification de ces infractions sexuelles dans ce même chapitre II du titre II du Livre II du Code pénal doit être posée.

2) La question de la pertinence de la codification des infractions sexuelles commises dans un contexte incestueux 

Si la définition de l’inceste prend désormais place au titre des dispositions préliminaires de la section III du chapitre II du titre II du livre II du Code pénal – section consacrée au viol, à l’inceste et aux autres agressions sexuelles, le législateur persiste à n’appréhender l’inceste commis à l’encontre des victimes majeures qu’au titre d’une surqualification. Le législateur s’est ainsi contenté de réintroduire, dans un nouvel article 222‑22-3 du Code pénal N° Lexbase : L2620L4S, les dispositions de l’article 222-31-1 N° Lexbase : L6216LLS, qui ouvrait le paragraphe 3 avant l’adoption de la loi du 21 avril 2021 N° Lexbase : L2442L49, et d’étendre son champ d’application au grand-oncle et à la grand-tante. Comme auparavant, le texte prévoit simplement que « les viols et les agressions sexuelles sont qualifiés d’incestueux [84] lorsqu’ils sont commis par : 1° Un ascendant ; 2° Un frère, une sœur, un oncle, une tante, un grand-oncle, une grand-tante, un neveu ou une nièce ; 3° Le conjoint, le concubin d’une des personnes mentionnées aux 1° et 2° ou le partenaire lié par un pacte civil de solidarité à l’une des personnes mentionnées aux mêmes 1° et 2°, s’il a sur la victime une autorité de droit ou de fait ».

En revanche, la loi du 21 avril 2021 N° Lexbase : L2442L49 est porteuse d’une évolution majeure lorsque les infractions sexuelles commises dans un contexte incestueux le sont à l’encontre de victimes mineures – quel que soit leur âge (de quinze ans ou plus). En effet, les deux nouveaux articles introduits dans le Code pénal par cette loi permettent de réprimer, de manière autonome [85], le viol et les agressions sexuelles lorsque l’un et les autres sont commis par un majeur à l’encontre de mineurs dans un contexte incestueux. Le nouvel article 222-23-2 du Code pénal N° Lexbase : L2621L4T définit cette nouvelle infraction de viol incestueux en prévoyant que « hors le cas prévu à l’article 222-23, constitue un viol incestueux tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, ou tout acte bucco-génital commis par un majeur sur la personne d’un mineur ou commis sur l’auteur par le mineur, lorsque le majeur est un ascendant ou toute autre personne mentionnée à l’article 222-22-3 ayant sur le mineur une autorité de droit ou de fait » [86]. Quant à la définition de l’agression sexuelle incestueuse, elle apparaît à l’article 222-29-3 du Code pénal N° Lexbase : L2628L44 qui retient que « hors le cas prévu à l’article 222-29-1, constitue une agression sexuelle incestueuse […] toute atteinte sexuelle autre qu’un viol commise par un majeur sur la personne d’un mineur, lorsque le majeur est un ascendant ou toute autre personne mentionnée à l’article 222-22-3 ayant sur le mineur une autorité de droit ou de fait » [87].

Contrairement à l’inceste commis à l’encontre de victimes majeures qui ne constitue qu’une surqualification, les articles 222-23-2 N° Lexbase : L2621L4T et 222-29-3 N° Lexbase : L2628L44 du Code pénal sont bien porteurs d’infractions nouvelles faisant encourir à leurs auteurs vingt ans de réclusion criminelle en cas de viol incestueux [88] et dix ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende en cas d’agression sexuelle incestueuse [89]. Pour le Professeur Ghica-Lemarchand, « la loi du 21 avril 2021 rompt avec la technique juridique de la surqualification incestueuse et consacre une nouvelle catégorie autonome d’infractions sexuelles incestueuses qui se caractérisent par des éléments différents de ceux des infractions génériques auxquelles ils s’apparentent » [90].

Comme pour les infractions sexuelles commises hors de tout contexte incestueux, les viols et agressions sexuelles à caractère incestueux ne devraient être retenus qu’à défaut de violence, contrainte, menace ou surprise [91]. Il semble, pourtant, que le législateur souhaite là encore marginaliser la qualification générique de l’agression sexuelle réprimée par l’article 222-28, 2° N° Lexbase : L6221LLY lorsque les faits sont commis par un ascendant ou par toute autre personne ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait. En effet, dans cette hypothèse, l’auteur des faits encourt sur ce fondement une peine de sept ans d’emprisonnement et de 100 000 euros d’amende – la minorité de la victime ne donnant pas lieu à une aggravation de la peine. Dès lors, la nouvelle infraction d’agression sexuelle spécifique aux mineurs permet de durcir sensiblement la répression lorsque l’inceste est commis à l’encontre d’un mineur de plus de quinze ans en élevant la peine à dix ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende [92]. D’un point de vue répressif, il n’en est pas de même pour le viol puisque l’infraction générique expose son auteur – lorsque les faits sont commis dans un contexte incestueux – à la même peine que celle encourue sur le fondement de la nouvelle qualification de viol spécifique aux mineurs, à savoir vingt ans de réclusion criminelle [93]. Il ne peut, toutefois, être totalement exclu que la qualification générique soit également écartée afin de protéger les mineurs dans leur intégrité physique et non dans une liberté sexuelle dont il a été admis, nous l’avons vu, qu’elle n’a pas de sens à leur égard [94].

L’articulation de ces nouveaux textes avec le droit antérieur n’est pas évidente et a nécessité l’insertion d’un article 227-21-1 [95] N° Lexbase : L2645L4Q en tête des infractions sexuelles commises contre les mineurs réprimées au chapitre VII du titre II du livre II du Code pénal – chapitre consacré aux atteintes aux mineurs et à la famille. La précision apportée par l’article 227-21-1 du Code pénal N° Lexbase : L2645L4Q apparaît nécessaire si l’on ne fonde pas sur la même ratio legis, d’une part, les nouvelles dispositions réprimant les actes de nature sexuelle réalisés par un majeur sur un mineur (qu’ils soient commis dans un contexte incestueux ou non) [96] et, d’autre part, les infractions sexuelles commises contre les mineurs [97]. Alors que les premières protègent les mineurs de quinze ans ou de plus de quinze ans (en cas de contexte incestueux) dans leur intégrité physique et psychique, les secondes continuent de protéger la moralité sexuelle des mineurs [98].

  1. Alors que la codification des infractions sexuelles génériques est apparue dépourvue de pertinence, celle des infractions sexuelles spécifiques aux mineurs – qu’elles soient commises dans un contexte incestueux ou non – traduit donc des hésitations de la part du législateur.

Le constat d’un mauvais usage de la codification par le législateur en matière d’infractions sexuelles ayant été dressé, des remèdes doivent dès lors être proposés pour un meilleur usage de la codification en ce domaine.

II. D’un meilleur usage de la codification en matière d’infractions sexuelles

Un meilleur usage de la codification en matière d’infractions sexuelles, dont les imperfections en droit positif peuvent être mises en exergue à plusieurs égards [99], est techniquement possible et donc souhaitable. Une telle démarche présenterait de multiples vertus. En effet, la codification ne constitue pas un simple artifice de forme. Elle a une véritable utilité, car « finalement, si aucun indice ne pouvait être tiré de la localisation d’une infraction, à quoi bon bâtir un code ? Pourquoi ne pas regrouper les incriminations tout simplement par ordre chronologique d’adoption [100], par ordre croissant de gravité des sanctions ou bien encore, tout bêtement, par ordre alphabétique ? » [101] Dans le domaine des infractions sexuelles, un meilleur usage de la codification permettrait de mieux identifier les valeurs sociales protégées par les très nombreuses infractions que comporte le droit positif, de mieux articuler les textes entre eux à la faveur d’une meilleure délimitation de leurs champs d’application respectifs et donc de mieux les appliquer. La nécessité d’une codification repensée des infractions sexuelles doit, avant tout, être démontrée au regard du Code pénal en vigueur (A.). Toutefois, les contraintes du cadre normatif actuel pourraient faire naître une démarche ambitieuse de recodification des infractions sexuelles dans un titre II du livre II du Code pénal reconstruit (B.).

A. De la nécessité d’une codification repensée des infractions sexuelles dans le Code pénal actuel

Les défaillances de la codification des infractions sexuelles en droit positif rendent nécessaire une recodification des textes d’incrimination dans le Code pénal actuel.

Les analyses relatives aux infractions sexuelles génériques conduites avant l’adoption de la loi du 21 avril 2021 N° Lexbase : L2442L49 conservent toute leur pertinence. Ainsi, le viol et les agressions sexuelles autres que le viol [102], pour être attentatoires à la liberté sexuelle – c’est‑à‑dire à l’un des aspects de la liberté corporelle [103], pourraient ainsi trouver une plus juste place dans une nouvelle section III du chapitre du Code pénal consacré aux atteintes aux libertés [104].

En revanche, l’enjeu de recodification s’agissant des infractions sexuelles spécifiques aux mineurs est inédit dès lors que coexistent désormais des infractions qui n’ont pas la même ratio legis. Or « la place de certaines infractions est […] trop discutée pour n’être que le fruit du hasard » [105] et, précisément, « les atteintes sexuelles qui ont finalement été introduites au sein des infractions de mise en péril des mineurs alors que certains défendaient leur introduction dans les violences, à côté des agressions sexuelles » [106] en font partie. La réflexion, en la matière, s’avère d’autant plus nécessaire que la réforme issue de la loi du 21 avril 2021 N° Lexbase : L2442L49 a « conduit à un ensemble fort complexe qui fait craindre des difficultés d’application du côté des parquets et des juridictions » [107]. Plusieurs propositions de recodification ont été formulées en doctrine.

L’une d’entre elles, celle de Monsieur Besse, consisterait à revenir à l’articulation que connaissait le droit avant la réforme du 21 avril 2021 N° Lexbase : L2442L49 entre les agressions sexuelles et les atteintes sexuelles sur mineur en adaptant les textes pour tenir compte de la volonté (un temps exprimé) de réprimer plus sévèrement les atteintes sexuelles commises à l’encontre des mineurs de treize ans (la loi a finalement fixé le seuil d’âge à quinze ans). S’agissant des agressions sexuelles stricto sensu, c’est-à-dire du viol et des agressions sexuelles autres que le viol, l’auteur propose de rétablir ces infractions dans leur forme unique aggravée par la minorité de quinze ans de la victime – ce que permettaient déjà, avant la loi du 21 avril 2021 N° Lexbase : L2442L49, l’article 222-24, 2° N° Lexbase : L2625L4Y pour le viol et l’article 222-29-1 N° Lexbase : L2630L48 pour les agressions sexuelles autres que le viol. L’auteur insiste alors sur la nécessité de mobiliser pleinement les dispositions interprétatives de l’article 222‑22‑1 du Code pénal N° Lexbase : L2619L4R pour apprécier le consentement dans chaque affaire. Toujours, selon cet auteur, il conviendrait de conserver le délit d’atteinte sexuelle sur mineur de quinze ans. Deux innovations sont toutefois proposées qui viseraient, pour l’une, à compléter l’article 227‑26 du Code pénal N° Lexbase : L2654L43 et donc à instaurer une circonstance aggravante tenant à la minorité de treize ans et, pour l’autre, à créer une qualification criminelle en cas de pénétration sexuelle accomplie sur un mineur de treize ans sans violence, contrainte, menace ou surprise [108]. Par un tel dispositif, seraient donc réprimés comme avant la réforme du 21 avril 2021 N° Lexbase : L2442L49 « le défaut caractérisé de consentement […] aggravé par l’âge » [109], au travers des agressions sexuelles stricto sensu, et « l’attirance inappropriée manifestée dans les actes, sans que le défaut de consentement puisse être établi » [110] en application des atteintes sexuelles sur mineur. Une telle répression est présentée comme « répartie de façon cohérente dans les sections du Code pénal relatives aux violences sexuelles et à la protection des mineurs » [111].

La préservation du droit existant dans ses grands équilibres a, sans nul doute, un caractère rassurant. Pour autant, les innovations proposées ne permettent pas d’inscrire pleinement dans la législation pénale les aspirations portées par la réforme issue de la loi du 21 avril 2021 N° Lexbase : L2442L49. En effet, il a été démontré que les infractions sexuelles spécifiques aux mineurs revêtent une véritable autonomie axiologique. Poursuivant la protection exclusive de l’intégrité physique et psychique des mineurs de plus ou de moins quinze ans (selon le contexte incestueux ou non des faits commis), elles se distinguent en cela des agressions sexuelles stricto sensu – dont la ratio legis repose sur la liberté sexuelle –, mais également des atteintes sexuelles sur mineur qui poursuivent toujours l’objectif de protéger la moralité des mineurs [112].

Une autre proposition a été formulée par Madame Hardouin-Le Goff. Avant la réforme, l’auteur suggérait d’« incriminer les actes de nature sexuelle commis par un adulte sur des mineurs » [113]. Ces nouvelles infractions devaient prendre place, selon la proposition, dans un chapitre spécifique relatif à la sauvegarde du développement psychologique et physique des mineurs, l’auteur considérant que « cet emplacement exist[ait] déjà à la section 5 “De la mise en péril des mineurs” du chapitre VII du titre II du livre II du Code pénal dans sa partie législative » [114]. Le législateur a bien enrichi le Code pénal d’infractions réprimant les actes de nature sexuelle commis par un adulte sur des mineurs. Pour autant, il n’a pas fait le choix de créer un chapitre autonome dans le Code pénal accueillant ces dispositions ni même d’ailleurs de les insérer dans la partie du code relative à la mise en péril des mineurs [115]. Dans le prolongement de la proposition formulée avant l’adoption de la loi, a donc été dénoncé « un défaut de cohérence de cette réforme quant à la place conférée dans le Code pénal aux nouvelles dispositions relatives aux violences sexuelles sur mineur » [116].

En réalité, le défaut de cohérence apparaît bien plus dans la codification des infractions sexuelles dont peuvent être victimes les mineurs et qui existaient avant la réforme issue de loi du 21 avril 2021 N° Lexbase : L2442L49 que dans la codification des nouvelles infractions sexuelles spécifiques aux mineurs.

Ces infractions doivent, effectivement, être codifiées, « à part des dispositions qui incriminent actuellement les agressions sexuelles et qui concerneront toujours les mineurs victimes dont l’âge dépasse le seuil légalement fixé […], au nom de la protection, cette fois, de leur liberté sexuelle » [117]. Toutefois, ce ne sont pas les infractions sexuelles spécifiques aux mineurs nouvellement créées qui ne sont pas à leur place, mais les infractions sexuelles génériques [118]. Dès lors, la proposition doctrinale d’insertion de ces textes incriminant les infractions sexuelles spécifiques aux mineurs au titre des infractions de mise en danger des mineurs peut ne pas être partagée [119]. En effet, le législateur a codifié de manière pertinente ces nouvelles infractions spécifiques aux mineurs, au sein du chapitre II du titre II du livre II du Code pénal, dont la ratio legis repose non pas sur la mise en danger du mineur, mais sur la protection de son intégrité physique ou psychique. Seule devrait être parfaite l’articulation de ces dispositions avec l’infraction de recours à la prostitution d’un mineur de quinze ans réprimée à l’article 225‑12-2 du Code pénal N° Lexbase : L2635L4D. À cet effet, il conviendrait de réfléchir, d’une part, à la suppression des alinéas 2 des articles 222-23-1 N° Lexbase : L2624L4X et 222-29-2 N° Lexbase : L2631L49 du Code pénal qui brouillent la valeur sociale protégée par ces infractions [120] et, d’autre part, à l’aggravation des peines encourues pour recours à la prostitution d’un mineur de quinze ans lorsque les relations de nature sexuelle [121] se matérialisent par une pénétration. Ce rehaussement des peines permettrait de rendre cohérente la répression de faits qui, pour partie, peuvent être matériellement identiques [122].

Les critiques de la codification des infractions sexuelles sur mineur portent donc sur les atteintes sexuelles sur mineur [123] en raison de la structure, désormais proposée par le législateur, de la section relative à la mise en péril des mineurs. En effet, alors qu’un paragraphe rassemblant les infractions de mise en péril de la santé et de la moralité des mineurs a été créé, les infractions sexuelles commises contre les mineurs font l’objet d’un second paragraphe au sein de cette section relative à leur mise en péril. L’intitulé du premier paragraphe est donc analytique en ce qu’il regroupe des infractions partageant une même ratio legis. Au contraire, l’intitulé du second est descriptif en ce qu’il se contente d'accueillir les infractions sexuelles commises contre les mineurs sans que leur ratio legis ne soit identifiée. Cette imperfection de la codification est d’autant plus regrettable que ces infractions protègent en réalité, dans les hypothèses résiduelles [124] où elles trouveront à s’appliquer, la moralité des mineurs – moralité des mineurs expressément visée dans l’intitulé du paragraphe précédent.

À partir de l’architecture actuelle du Code pénal, ces réflexions amènent aux conclusions suivantes. Tout d’abord, les infractions sexuelles génériques [125] gagneraient à enrichir le chapitre rassemblant les atteintes aux libertés [126]. Ensuite, les infractions sexuelles spécifiques aux mineurs, issues de la réforme du 21 avril 2021 N° Lexbase : L2442L49, codifiées aux articles 222-23-1 N° Lexbase : L2624L4X et 222-23-2 N° Lexbase : L2621L4T pour le viol et aux articles 222-29-2 N° Lexbase : L2631L49 et 222-29-3 N° Lexbase : L2628L44 pour les agressions sexuelles, sont à leur juste place au sein du chapitre consacré aux atteintes à l’intégrité physique ou psychique. Enfin, une autre structure de la section V du chapitre VII consacrée à la mise en péril des mineurs devrait être envisagée. Une codification des dispositions de cette section en deux paragraphes, le premier comprenant les dispositions relatives à la mise en péril de la santé des mineurs et le second regroupant les textes visant à protéger la moralité des mineurs, permettrait de clarifier les valeurs sociales protectrices des mineurs. En l’état du droit positif, les atteintes sexuelles sur mineur relèveraient de ce second paragraphe [127]. Les valeurs sociales protégées par ces différents textes d’incrimination offrent ainsi une originalité répressive à l’ensemble de ces infractions – originalité que la codification pourrait révéler. Ainsi, il semble discutable de réduire l’ensemble des infractions sexuelles dont peuvent être victimes les mineurs à la seule incrimination des actes de nature sexuelle commis par un adulte sur des mineurs [128] – choix que le législateur n’a d’ailleurs pas opéré.

Ces conclusions restent malheureusement perfectibles pour être formulées dans le cadre contraint de l’architecture du Code pénal actuellement en vigueur. En particulier, une difficulté surgirait de l’éclatement de la codification des infractions sexuelles (génériques et spécifiques aux mineurs) dès lors que des articles communs à l’ensemble de ces infractions – entre autres définition de l’agression sexuelle [129], définition de la contrainte [130], définition de l’inceste [131] – ouvrent la section qui leur est aujourd’hui consacrée. Il devrait alors être recouru à une législation par renvoi dont on connaît les lacunes. Les multiples réformes des infractions sexuelles, et en particulier la dernière en date du 21 avril 2021 N° Lexbase : L2442L49, à l’occasion desquelles le législateur n’aurait pas dû faire l’économie d’une réflexion relative à la codification [132], donnent alors l’opportunité d’entamer une réflexion sur la place des infractions sexuelles dans un nouveau cadre, celui d’un titre II du livre II du Code pénal reconstruit.

B. De l’ambition d’une recodification des infractions sexuelles dans un titre II du livre II du Code pénal reconstruit

Les difficultés que soulève la codification des infractions sexuelles sont, en partie, liées aux imperfections de l’architecture actuelle du Code pénal. À cet égard, le Professeur Cabrillac estimait, il y a plus de dix ans déjà, que « seule une recodification permettrait de restaurer l’équilibre et l’harmonie du Code pénal comme de gommer les scories des contradictions apparues ici ou là. En outre, les lois pénales qui ont été adoptées depuis l’entrée en vigueur du code de 1992 l’ont souvent été à chaud, dans l’urgence née d’un changement de majorité ou d’un fait divers ayant sensibilisé l’opinion, dans un souci permanent de communication politique. Une recodification, en prenant un certain recul par rapport aux réactions épidermiques ou aux évolutions à court terme, permettrait une réflexion plus approfondie […] sur les questions fondamentales qui se posent aujourd’hui et les meilleures réponses susceptibles de leur être apportées demain » [133]. La nécessité de cette recodification n’a fait que s’accroître puisque, depuis la loi no 2010-121, du 8 février 2010 ; tendant à inscrire l’inceste commis sur les mineurs dans le Code pénal et à améliorer la détection et la prise en charge des victimes d’actes incestueux [134] N° Lexbase : L5319IG4, c’est une trentaine de lois qui est venue réformer de très nombreux aspects du livre II du Code pénal consacré aux crimes et délits contre les personnes, soit pour modifier des incriminations existantes, soit pour en créer de nouvelles [135]. Autant d’occasions d’entacher la qualité du Code pénal dont la recodification à tout le moins celle du titre II du livre II [136] devrait être envisagée même si rien ne permet d’affirmer aujourd’hui que le législateur en ait l’ambition [137].

L’étude systémique des infractions attentatoires à la personne humaine, au travers de leur résultat redouté, révèle la dualité de la personne faite d’un corps et d’un esprit. En miroir du concept d’intégrité corporelle qui regroupe l’ensemble des atteintes à la vie [138], à l’intégrité physique et à l’intégrité psychique [139], le Code pénal protège l’intégrité morale de la personne [140]. Ainsi, « l’homme est un tout » [141] de sorte que des interactions existent entre la dimension corporelle et la dimension morale de la personne [142]. Cette dualité de la personne humaine suppose alors de reconstruire le titre II du livre II du Code pénal. Pour plus de clarté, la codification serait organisée autour de trois types d’infractions : les infractions exclusivement attentatoires à l’intégrité corporelle, les infractions exclusivement attentatoires à l’intégrité morale et les infractions de nature mixte qui se caractérisent par une atteinte à l’intégrité corporelle et une atteinte à l’intégrité morale de la victime [143]. Dans le cadre de cette étude consacrée à la codification des infractions sexuelles à l’aune de la réforme du 21 avril 2021 N° Lexbase : L2442L49, quelques pistes de réflexion peuvent être tracées pour une meilleure classification de ces infractions dans un titre II du livre II du Code pénal reconstruit. À partir des contours présentés, qui pourraient être ceux d’une nouvelle structure de ce titre, il convient de préciser la place que les infractions sexuelles pourraient y trouver.

La place de ces infractions sexuelles doit être pensée en deux temps dès lors qu’elles ne reposent pas sur la même ratio legis. L’entreprise de recodification devrait donc être conduite à l’égard des infractions sexuelles génériques d’une part (1) et des infractions sexuelles spécifiques aux mineurs d’autre part (2).

1) La recodification des infractions sexuelles génériques

Au sein de l’architecture qui pourrait être celle de ce nouveau titre II du livre II du Code pénal, les infractions sexuelles génériques pourraient trouver une juste place parmi les infractions mixtes. La codification de ces infractions au sein de cette nouvelle catégorie présenterait un double avantage.

D’une part, elle permettrait de valoriser de manière équivalente les deux dimensions corporelle et morale que protègent les infractions sexuelles génériques – là où leur codification au titre du chapitre IV actuel relatif aux atteintes aux libertés mettrait plus en exergue la violation du consentement de la victime et donc l’atteinte à la liberté que la dimension corporelle.

D’autre part, la matière ne se trouverait pas bouleversée par une telle classification. En effet, dès le début du XXe siècle, le caractère mixte des infractions sexuelles avait été souligné par la doctrine [144]. Les atteintes à la liberté sexuelle étant relativement nombreuses et variées, exemple sera de nouveau pris de la plus emblématique d’entre elles, le viol. Le viol [145] – comme l’ensemble des atteintes sexuelles supposant un contact physique – emporte sans aucun doute une atteinte à l’intégrité physique de la victime [146]. D’ailleurs, il convient de rappeler que, jusqu’à la loi n° 2018-703, du 3 août 2018, renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes [147] N° Lexbase : L6141LLZ, la gravité de l’atteinte à l’intégrité physique était prise en compte par le législateur au travers des peines [148]. Si la loi du 3 août 2018 [149] N° Lexbase : L6141LLZ n’a pas modifié les peines encourues [150], la pénétration sexuelle de la victime n’apparaît plus symboliquement comme l’atteinte à l’intégrité physique la plus grave. En effet, le viol peut toujours être caractérisé par la pénétration sexuelle de la victime. Toutefois, il peut l’être également par la pénétration sexuelle de l’auteur – cela vise notamment à faire tomber sous cette qualification les fellations forcées. Par ailleurs, pourraient être qualifiés de violences et non d’agressions sexuelles des faits commis en l’absence de mobile lubrique [151]. Ceci démontre bien que le viol – et les agressions sexuelles en général – emporte une atteinte à l’intégrité physique même si une telle atteinte ne suffit pas à retenir une qualification de viol. À cette atteinte doit venir s’ajouter une atteinte à la liberté sexuelle pour qu’une telle infraction soit caractérisée. L’aspect corporel de l’incrimination ne doit donc pas occulter sa dimension morale dans la mesure où il est tout aussi indéniable que le viol constitue une atteinte à la liberté sexuelle de la personne. Cette réalité se trouve au cœur de l’incrimination depuis sa réécriture par la loi du 23 décembre 1980 [152]. Nous avons mentionné que, dès l’adoption de la loi, la doctrine relevait la place centrale qui était accordée au consentement de la victime – dont l’absence était érigée en élément constitutif de l’infraction [153]. Aujourd’hui, la jurisprudence prend en compte le consentement de la victime dès lors que celui-ci, sans être totalement absent, apparaît délivré par erreur [154]. Dans cette dernière hypothèse, « la victime a certes consenti, mais ce consentement n’est pas juridiquement valable car il n’était pas lucide ou éclairé » [155]. De cette nature duale de l’incrimination, les juges ont donc fait une application tout à fait fidèle au fil du temps [156]. À l’occasion de l’étude de cette incrimination, et des applications jurisprudentielles qui en sont faites, la doctrine insiste sur le fait qu’« en tant qu’il est une violation de la liberté sexuelle de la victime, le viol n’est concevable qu’en l’absence de son consentement. Il en résulte [que] le rapport sexuel consenti, à la condition qu’il procède du libre exercice de la liberté de l’intéressé, n’est évidemment pas punissable [l’auteur faisant réserve des atteintes sexuelles sur mineurs] » [157]. À condition également, depuis les arrêts de 2019, que le consentement délivré ne soit pas erroné. Le caractère déterminant de l’atteinte à la liberté sexuelle, dans les agressions sexuelles, est d’ailleurs confirmé par les effets que peut produire l’erreur de fait qui serait retenue au bénéfice d’un accusé en matière de viol. En cas d’erreur de fait – l’accusé s’étant mépris sur la réalité du consentement de son ou de sa partenaire –, l’acquittement s’impose dès lors que l’intention fait défaut, et ce, bien entendu, alors même qu’il y avait, dans les faits, une pénétration sexuelle de la victime ou de l’auteur et une absence de consentement de la victime [158].

L’ensemble de ces éléments tend donc à démontrer le caractère mixte de l’infraction de viol comme de l’ensemble des atteintes sexuelles supposant un contact physique, à la fois atteinte à l’intégrité physique et atteinte à l’intégrité morale. Ainsi, elles devraient rejoindre le sous-titre consacré aux infractions de nature mixte [159].

Avant la réforme du 21 avril 2021 N° Lexbase : L2442L49, il avait été proposé de regrouper les agressions sexuelles et les atteintes sexuelles sur mineur pour une meilleure accessibilité de la norme pénale [160]. Ce choix pouvait être justifié par la dimension sexuelle des comportements réprimés portant atteinte à la liberté sexuelle de la victime ou à la moralité sexuelle en présence d’une victime mineure. Avec la réforme du 21 avril 2021 N° Lexbase : L2442L49, l’analyse apparaît nécessairement plus complexe dès lors que la ratio legis des infractions sexuelles génériques se distingue fondamentalement de celle des infractions sexuelles spécifiques aux mineurs nouvellement créées.

2) La recodification des infractions sexuelles spécifiques aux mineurs

Les infractions sexuelles spécifiques aux mineurs existaient bien entendu avant l’adoption de la loi du 21 avril 2021. Ces atteintes sexuelles sur mineurs incriminées aux articles 227-25 et suivants du Code pénal N° Lexbase : L2651L4X actuellement en vigueur ont été conservées par le législateur lors de la réforme. Toutefois, elles entrent désormais en concours avec les nouvelles infractions sexuelles spécifiques aux mineurs – viol et autres agressions sexuelles commis dans un contexte incestueux ou non – créées par la loi du 21 avril 2021 N° Lexbase : L2442L49. Ce concours de qualifications n’a échappé ni au législateur qui a introduit un article 227-21-1 [161] N° Lexbase : L2645L4Q dans le Code pénal ayant vocation à le résoudre ni à une partie de la doctrine [162] qui analyse désormais les atteintes sexuelles sur mineur « traditionnelles » comme des qualifications résiduelles [163]. Dès lors, l’enjeu de codification des atteintes sexuelles sur mineur « traditionnelles », réprimées au titre de la mise en péril des mineurs, pourrait sembler s’effriter. En effet, par le caractère exceptionnel des hypothèses dans lesquelles les articles 227-25 et suivants du Code pénal N° Lexbase : L2651L4X seront appliqués, « cette prétendue “mise en péril” des mineurs a […] perdu l’essentiel de sa raison d’être » [164]. Pour autant, l’abrogation en particulier de l’article 227-25 du Code pénal N° Lexbase : L2651L4X n’emporterait rien de moins que « la dépénalisation des relations sexuelles consenties entre un majeur et un mineur de quinze ans en présence d’un écart d’âge inférieur à cinq ans » [165]. Il apparaît donc nécessaire de conserver cette incrimination [166] dont la réécriture par la loi du 21 avril 2021 N° Lexbase : L2442L49 pour tenir compte de l’introduction dans le Code pénal des viols et agressions sexuelles qui ne peuvent être commis qu’à l’encontre des mineurs n’a pas modifié la ratio legis.

Aujourd’hui, les mineurs peuvent ainsi être victimes d’une infraction sexuelle générique ou d’une infraction sexuelle spécifique – qu’il s’agisse des viols et autres agressions sexuelles nouvellement créés ou des atteintes sexuelles traditionnelles. L’enjeu de codification apparaît particulièrement délicat selon l’approche que l’on adopte.

Si l’on s’en tient aux textes d’incrimination, toutes les infractions sexuelles étant définies par le législateur comme des atteintes sexuelles – quel que soit l’âge de la victime – devraient être codifiées, selon la nouvelle architecture proposée, parmi les infractions de nature mixte.

Si l’on adopte une approche axiologique, une codification rigoureuse des infractions dont les mineurs sont les victimes exclusives ou non conduirait à ce que les textes qui leur sont applicables soient recherchés en trois endroits différents du Code pénal. Les infractions génériques dont les mineurs peuvent être victimes se situeraient parmi les infractions de nature mixte, les infractions nouvellement créées – viols et agressions sexuelles spécifiques aux mineurs – seraient insérées au titre des atteintes exclusivement attentatoires à l’intégrité corporelle et, plus spécifiquement, dans le chapitre relatif aux atteintes à l’intégrité physique ou psychique. Pour terminer, les atteintes sexuelles sur mineur attentatoires à leur moralité devraient être incriminées dans le sous-titre consacré aux infractions exclusivement attentatoires à l’intégrité morale.

Le caractère excessivement complexe du droit positif issu de la réforme ne rend aucune de ces deux approches pleinement satisfaisantes. D’un côté, le choix d’un groupement de l’ensemble des textes – qui, tous, sont le siège d’atteintes sexuelles – gomme la volonté du législateur de créer des infractions sexuelles spécifiques aux mineurs. En effet, la spécificité de ces infractions tient à l’effacement de leur nature sexuelle pour laisser place à la condamnation légitime – marquée du sceau de la gravité – des atteintes à l’intégrité physique et psychique qu’emportent de tels comportements sur les mineurs. D’un autre côté, la démarche axiologique conduit à un éclatement des dispositions qu’il semble plus difficile aujourd’hui qu’hier de surmonter.

Si les infractions sexuelles génériques peuvent faire l’objet d’une codification relativement rigoureuse au sein du Code pénal en vigueur ou de la nouvelle architecture qui pourrait être celle du titre II du livre II du Code pénal, il n’en est pas de même pour l’ensemble des infractions sexuelles dont seuls peuvent être victimes les mineurs. Que l’on envisage une codification au sein du Code pénal actuellement en vigueur ou au sein d’un titre II du livre II du Code pénal reconstruit, les lacunes de la dernière réforme n’ayant pas donné lieu à une approche globale ne permettent pas de parvenir à une classification rigoureuse des incriminations. Ainsi, il convient d’opérer un choix qui permette de garantir au mieux les principes fondamentaux de la matière. À cet effet, une codification rassemblant l’ensemble des infractions sexuelles parmi les infractions de nature mixte (même les infractions sexuelles spécifiques aux mineurs nouvellement créées ne sont pas tout à fait dépourvues d’une coloration morale[167]) doit être privilégiée en regard du principe de légalité (toutes les infractions sexuelles étant des « atteintes sexuelles ») et de l’accessibilité de la norme pénale. La qualité de la norme pénale serait également mieux préservée puisqu’un éclatement des textes incriminant les atteintes sexuelles nécessiterait de recourir à une législation par renvoi (certaines dispositions étant communes à l’ensemble des infractions en la matière [168]).

En matière sexuelle, les enjeux fondamentaux posés par la protection des mineurs sont au nombre de trois et devraient guider le législateur dans son travail de codification : « Proclamer l’indisponibilité du corps de l’enfant est fondamental. Aider un enfant à élaborer une sphère d’intimité physique et psychique est essentiel. Accepter également que les jeux sexuels entre enfants, lorsqu’ils ne sont que jeux, participent à leur construction » [169]. Puisse le législateur user de la codification pour faire œuvre de pédagogie en distinguant clairement, d’un côté, les infractions sexuelles qui traduisent une atteinte à la liberté sexuelle des victimes de plus de quinze ans ou à leur moralité sexuelle en deçà de quinze ans en certaines circonstances et, d’un autre côté, les infractions commises par un majeur à l’encontre des mineurs (de quinze ans ou de plus de quinze selon le contexte incestueux ou non) qui se révèlent attentatoires à leur intégrité corporelle.

Qu’il s’agisse de la nécessité de recodifier les infractions sexuelles dans le Code pénal actuel ou de l’ambition consistant à conférer aux infractions sexuelles leur juste place dans un Code pénal recodifié, l’enjeu est en réalité ailleurs. Il s’agit de « savoir si le législateur aurait le courage politique de revenir sur tel système, à moins qu’il n’y soit conduit de force par le Conseil constitutionnel… » [170].

 

[1] Loi de Hammourabi, roi de Babylone (vers 2000 av. J.-C.) – traduction littérale [en ligne].

[2] Loi n° 80-1041, du 23 décembre 1980, relative à la répression du viol et de certains attentats aux mœurs [en ligne].

[3] V. sur cette question : F. Dequatre, L’intégrité morale en droit pénal, thèse Paris 2, 2021, p. 297 et s., n° 397 et s.

[4] Ch. Dubois et M. Bouchet, De la cacophonie des propositions de lois réformant les infractions sexuelles sur mineurs, Gaz. Pal., 9 mars 2021, p. 12.

[5] A. Darsonville, Le surinvestissement législatif en matière d’infractions sexuelles, Archives de politique criminelle, Pédone, 2012, n° 34, p. 31 et s.

[6] Loi n° 2016-297, du 14 mars 2016, relative à la protection de l’enfant N° Lexbase : L0090K7H.

[7] Loi n° 2018-703, du 3 août 2018, renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes N° Lexbase : L6141LLZ.

[8] Loi n° 2020-936, du 30 juillet 2020, visant à protéger les victimes de violences conjugales N° Lexbase : L7970LXH.

[9] Loi n° 2021-478, du 21 avril 2021, visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l’inceste N° Lexbase : L2442L49.

[10] V. pour des études analysant la loi du 21 avril 2021 N° Lexbase : L2442L49 dans son ensemble (parmi d’autres) : Ph. Bonfils, Protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l’inceste – Présentation de la loi n° 2021-478 du 21 avril 2021, Dr. fam., 2021, étude 13 ; M. Bouchet, Focus sur la loi du 21 avril 2021 visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l’inceste, Lexbase Pénal, juin 2021 N° Lexbase : N7951BY7 ; C. Ghica-Lemarchand, Commentaire de la loi du 21 avril 2021 visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l’inceste, D., 2021, p. 1552 et s. ; C. Hardouin-Le Goff, La loi visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l’inceste – Une avancée attendue de longue date… au goût d’inachevé, JCP G, 2021, 513 ; A. Léon, Protection des mineurs contre les crimes, délits sexuels et l’inceste : la loi est publiée, Lexbase Pénal, avril 2021 N° Lexbase : N7285BYH ; H. Matsopoulou, Les nouvelles règles de prescription applicables aux crimes et délits sexuels commis sur des mineurs, JCP G, 2021, 514 ; B. Py, Infractions sexuelles et inceste : ce qui ne se conçoit pas bien n’a aucune chance de s’énoncer clairement, Gaz. Pal., 22 juin 2021, p. 13 et s.

[11] Il apparaît que « l’article 1er de cette loi [du 21 avril 2021 opère une modification assez significative de l’arsenal pénal relatif aux infractions sexuelles, qui tend à bouleverser radicalement l’économie du dispositif pénal en la matière ». Th. Besse, Roméo, Juliette, le sexe et le droit pénal, Gaz. Pal., 12 octobre 2021, p. 9 et s., spéc. p. 9.

[12] C. Ménabé, Le viol sans pénétration : la disparition amorcée des agressions sexuelles autres que le viol ?, Gaz. Pal., 31 août 2021, p. 71 et s., spéc. p. 73.

[13] Ibid.

[14] Ibid.

[15] Loi n° C – 2022/31330, du 21 mars 2022, modifiant le Code pénal en ce qui concerne le droit pénal sexuel [en ligne].

[16] Proposition de loi n° 5197, visant à pénaliser le viol avec plus de fermeté, présentée par Mesdames et Messieurs L. Trastour-Isnart, F. Di Filippo, I. Valentin, B. Perrut, É. Audibert, D. Quentin, M. Tabarot, É. Pauget, R. Therry et Y. Hemedinger, députés, enregistrée à la présidence de l’Assemblée nationale le 5 avril 2022 [en ligne]. Alors qu’en l’état du droit positif seul le crime de viol précédé, accompagné ou suivi de tortures ou d’actes de barbarie fait encourir à son auteur la réclusion criminelle à perpétuité (C. pén., art. 222-26, al. 1er N° Lexbase : L2627L43), cette proposition de loi vise à réprimer l’ensemble des viols, quelles que soient les circonstances dans lesquelles ils sont commis, de la réclusion criminelle à perpétuité en modifiant en ce sens les peines prévues par les articles 222-23 N° Lexbase : L2622L4U, 222-23-3 N° Lexbase : L2623L4W, 222-24 N° Lexbase : L2625L4Y et 222-25 N° Lexbase : L2626L4Z du Code pénal.

Proposition de loi n° 729, relative au consentement sexuel des adultes, présentée par Mme E. Benbassa, Sénatrice, enregistrée à la présidence du Sénat le 22 juin 2022 [en ligne]. Cette proposition prévoit de modifier la définition générique des agressions sexuelles comme celle du viol pour préciser que les faits devront être commis en l’absence de consentement libre et éclairé de la victime et qui peut se manifester notamment, selon la proposition de loi, par la violence, la contrainte, la menace ou la surprise (qui constitue en droit positif les adminicules nécessaires à la caractérisation de l’infraction). Deux questions se posent alors. D’une part, quelle(s) autre(s) circonstance(s) permettrai(en)t de caractériser une absence de consentement libre et éclairé ? D’autre part, quid des agressions sexuelles autres que le viol pour lesquelles la même précision n’est pas envisagée ? Malgré la proposition de modification de l’article 222-22 du Code pénal N° Lexbase : L2618L4Q, porteur de la définition générique des agressions sexuelles, dès lors qu’il est également proposé de modifier l’article 222-23 du Code pénal N° Lexbase : L2622L4U alors qu’une telle proposition n’est en revanche pas formulée pour l’article 222-27 du Code pénal N° Lexbase : L7179ALH, il est à craindre que l’absence de consentement ne soit pas appréciée de la même manière selon les infractions. Ce manque de cohérence est une nouvelle fois regrettable.

[17] E. Dreyer, L’agression sexuelle sans violence, contrainte, menace ou surprise, Gaz. Pal. 31 août 2021, p.66 et s., spéc. p.66.

[18] F. Dequatre, L’intégrité morale en droit pénal, Thèse Paris 2, 2021.

[19] V. à ce sujet : C. Hardouin‑Le Goff, Infractions sexuelles sur mineurs : lorsque le droit pénal retrouve sa fonction expressive et que la fixation d’un seuil d’âge devient constitutionnellement possible, Dr. pénal 2020, étude 34.

[20] V. pour un article récent : Ch. Dubois, Le plan du code pénal, outil d’interprétation des incriminations ? De la pertinence de l’argument a rubrica en droit pénal, D.2022, p.1477 et s.

[21] V. en particulier E. Dreyer, Droit pénal spécial, LGDJ – Lextenso, coll. Manuel, 1re éd., 2020.

[22] Cass. crim., 15 décembre 2021, n°21-81.864, Bull. crim. 2021 n°12, p.23 et s.

[23] C. Hardouin-Le Goff, La loi visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l’inceste - . – Une avancée attendue de longue date… au goût d’inachevé, JCP G 2021, 513.

[24] Au processus d’incrimination, faisant reposer chaque texte, pris isolément, sur un fondement axiologique, fait suite l’identification des valeurs sociales protégées permettant de procéder au regroupement des infractions dont l’analyse systématique du résultat redouté aura révélé leur parenté axiologique. Le rôle des valeurs sociales protégées en droit pénal spécial apparaît véritablement central puisque, selon un auteur, « qu’il s’agisse, en effet, de déterminer particulièrement ce qui mérite d’être préservé puis, lors d’une systématisation, de hiérarchiser ce qui a ainsi été distingué, la valeur est toujours en cause ». G. Beaussonie, La prise en compte de la dématérialisation des biens par le droit pénal : contribution à l’étude de la protection pénale de la propriété, LGDJ- Lextenso éd., coll. Bibliothèque de droit privé, Tome 532, 2012, p.130, no314.

[25] R. Merle, A. Vitu, op. cit., p.29, no22.

[26] C. Ménabé, Le viol sans pénétration : la disparition amorcée des agressions sexuelles autres que le viol ?, Gaz. Pal. 31 août 2021, p.71 et s., spéc. p.73.

[27] Chapitre II, Titre II, Livre II du Code pénal.

[28] V. infra nos7 et s.

[29] V. infra n° 13 et s.

[30] Y. Madiot, De l’évolution sociale à l’évolution individualiste du droit contemporain, Écrits en l’honneur du Pr Jean Savatier, in Les orientations sociales du droit contemporain, PUF, 1992, p. 353 et s., spéc. p. 356.

[31] Loi n° 80-1041, du 23 décembre 1980, relative à la répression du viol et de certains attentats aux mœurs, préc.

[32] Garraud définissait le viol comme « le fait de connaître charnellement une femme sans la participation de sa volonté » (R. Garraud, Traité théorique et pratique du droit pénal français, tome cinquième, Sirey, 3e éd., 1924, p. 471, n° 2083) et Garçon comme le « coït illicite avec une femme qu’on sait n’y point consentir ». É. Garçon, Code pénal annoté, Sirey 1956, tome II, art. 331 et s., p. 191 et s., spéc. p. 194, n° 15.

[33] Le Professeur Malabat relève l’évolution de la valeur sociale protégée par la répression du viol en rappelant que « la définition restrictive posée du viol avant 1980 et le classement de cette infraction parmi les attentats aux mœurs pouvaient en effet amener à considérer que l’infraction sanctionnait sans doute l’atteinte à la liberté de la femme mais peut-être davantage encore l’atteinte à son honneur et à celui de sa famille du fait du risque de la naissance d’un enfant issu de ce viol. En élargissant le domaine du viol à des actes de pénétration sexuelle inaptes à la conception, le législateur déplace ainsi la valeur protégée par l’incrimination, l’éloigne des mœurs sexuelles pour la concentrer exclusivement sur l’atteinte au corps et plus précisément au droit de disposer de son corps ». V. Malabat, Morale et droit pénal, in Droit et morale : aspects contemporains, D. Bureau, F. Drummond et D. Fenouillet (dir.), Dalloz, coll. Thèmes & commentaires. Actes, 2011, p. 219 et s., spéc. p. 223-224.

[34] A.-S. Chavent-Leclère, Le renouveau des infractions sexuelles à l’ère d’internet, in Entre tradition et modernité : le droit pénal en contrepoint, in Mélanges en l’honneur d’Yves Mayaud, Dalloz, 2017, p. 341 et s., spéc. p. 341-342.

[35] Si le législateur avait précisé, lors du vote de la loi n° 2006-399, du 4 avril 2006, renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs N° Lexbase : L9766HH8, que les liens du mariage ne constituaient pas un obstacle à la répression, la présomption de consentement des époux à l’acte sexuel a été supprimée par la loi n° 2010‑769, du 9 juillet 2010, relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants N° Lexbase : L7042IMR.

[36] À l’occasion des deux cents ans du Code pénal, le Professeur Ambroise-Castérot relève ainsi que « l’ingérence de l’État dans la sphère privée, afin de commander le respect d’une certaine morale sexuelle, a fait place à la protection pénale de la personne humaine contre les agressions sexuelles ». C. Ambroise-Castérot, Le Livre II du Code pénal : miroir de l’évolution des mœurs, in Essais de philosophie pénale et de criminologie, volume 10 : La cohérence des châtiments, 2012, Dalloz, p. 63 et s., spéc. p. 65.

[37] Loi n° 2018-703, du 3 août 2018, renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes N° Lexbase : L6141LLZ.

[38] Loi n° 2021-478, du 21 avril 2021, visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l’inceste N° Lexbase : L2442L49.

[39] Comme auparavant, est qualifié de viol tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui par violence, contrainte, menace ou surprise, mais sont également qualifiés comme tels, depuis la loi du 3 août 2018 N° Lexbase : L6141LLZ, les actes de pénétration sexuelle commis sur la personne de l’auteur par la victime dans les mêmes circonstances et, depuis celle du 21 avril 2021 N° Lexbase : L2442L49, les actes bucco-génitaux. L’ajout, au titre de l’élément matériel du viol, de ces derniers ne donne pas lieu à une analyse unanime en doctrine. Pour le Professeur Rousseau, « le législateur a profité de cette réforme pour revenir sur la définition matérielle de l’acte du viol en l’élargissant aux actes "bucco-génitaux" » (F. Rousseau, Le renforcement de la répression des infractions sexuelles contre les mineurs, RSC, 2021, p. 454 et s., spéc. p. 455). V. dans le même sens : E. Dreyer, L’agression sexuelle sans violence, contrainte, menace ou surprise, Gaz. Pal., 31 août 2021, p. 66 et s., spéc. p. 67. Le Professeur Ghica-Lemarchand est plus réservé. En effet, « il ne [lui] semble pas que cette modification affecte le droit positif puisqu’elle n’élargit pas le champ d’application de l’article. Au contraire, elle peut présenter le risque de le limiter lorsque de nouvelles dérives apparaîtront et qu’il faudra compléter la liste désormais ouverte par la loi du 21 avril 2021 ». C. Ghica‑Lemarchand, Commentaire de la loi du 21 avril 2021 visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l’inceste, D., 2021, p. 1552 et s., spéc. p. 1561.

[40] Parce que les victimes d’une fellation forcée éprouveraient un préjudice psychologique (« les mêmes conséquences ») identique à celui que subissent les victimes de viol, alors la fellation forcée devrait être qualifiée de viol. Cette confusion – volontaire ou involontaire – du dommage et du préjudice, aux termes de laquelle « être forcé à pénétrer peut être tout aussi traumatique que d’être pénétré de force » (D. Mayer, La fellation peut constituer un viol, JCP G, 1998, II, 10074 sous Cass. crim., 16 décembre 1997, n° 97‑85.455 N° Lexbase : A1451ACQ), emporte des conséquences regrettables sur la qualification (v. pour des développements généraux sur cette question : F. Dequatre, L’intégrité morale en droit pénal, thèse Paris 2, 2021, p. 131 et s., n° 120 et s.). La justification de la prise en compte de ces comportements au titre du viol, par la loi n° 2018-703, du 3 août 2018, renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes N° Lexbase : L6141LLZ, est la même que celle qui fut avancée en doctrine pour expliquer un arrêt isolé de la Chambre criminelle de la Cour de cassation du 16 décembre 1997 (Cass. crim., 16 décembre 1997, n° 97-85.455, préc.) qui admettait de qualifier de tels faits de viol.

[41] Rapport d’information n° 574, fait par Mmes Annick Billon, Laurence Cohen, Laure Darcos, Françoise Laborde, Noëlle Rauscent et Laurence Rossignol au nom de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes sur le projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes [en ligne], p. 50, nbp n° 3.

[42] V. en ce sens : Rapport n° 589, fait par Mme Marie Mercier au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d’administration générale sur le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes [en ligne], p. 47.

[43] Il y a là la manifestation, de la part du législateur, de son pouvoir de rendre concevable juridiquement ce qui – encore hier – était « inconcevable » en application du principe de l’interprétation stricte de la loi pénale (Y. Mayaud, Du viol et de ses conséquences : après le dérapage, le rattrapage, ou du retour à la légalité, D., 1999, p. 75 et s., spéc. p. 77) et l’analyse que le Professeur Mayaud faisait de l’arrêt du 21 octobre 1998 (Cass. crim., 21 octobre 1998, n° 98‑83.843 N° Lexbase : A5291ACX) pourrait apparaître aujourd’hui prophétique puisqu’il indiquait que la Cour de cassation, en s’appuyant sur l’article 111-4 du Code pénal N° Lexbase : L2255AMH, « donne par là même une portée très solide à sa position, avec pour effet de l’élever au rang d’un principe que seul le législateur est à même de remettre en cause » (ibid.). Vingt ans plus tard, c’est chose faite !

[44] Après quelques hésitations (v. en ce sens Cass. crim., 16 décembre 1997, n° 97-85.455, préc.), la Chambre criminelle avait refusé de qualifier de viol des relations sexuelles imposées par une femme à un garçon dans un arrêt en date du 21 octobre 1998 (Cass. crim., 21 octobre 1998, n° 98-83.843, préc.). Cet arrêt reçut un accueil favorable en doctrine (v. en ce sens : Y. Mayaud, comm. préc., spéc. p. 76 sous Cass. crim., 21 octobre 1998, n° 98-83.843 et dans le même sens : M. Véron, chron., JCP G, 1999, I, 112 sous Cass. crim., 16 décembre 1997, n° 97-85.455 et Cass. crim., 21 octobre 1998, n° 98‑83.843). La Cour de cassation confirma sa position par un autre arrêt du 22 août 2001 qui se prononça sur des faits au cours desquels une fellation avait été pratiquée sur la victime (Cass. crim., 22 août 2001, n° 01-84.024 N° Lexbase : A1101AWP).

[45] C. Ménabé, Le viol sans pénétration : la disparition amorcée des agressions sexuelles autres que le viol ?, Gaz. Pal., 31 août 2021, p. 71 et s., spéc. p. 71.

[46] Avec les réformes issues des lois du 3 août 2018 N° Lexbase : L6141LLZ et du 21 avril 2021 N° Lexbase : L2442L49, on assiste de facto à une criminalisation d’une part très importante des faits qui, jusqu’alors, relevaient de la qualification des agressions sexuelles – sans que l’on soit de fait en mesure de dire ce qu’il reste aujourd’hui des agressions sexuelles. En effet, les agressions sexuelles autres que le viol sont réprimées par l’article 222-27 du Code pénal N° Lexbase : L7179ALH qui ne les définit pas. Dès lors, la doctrine s’accorde pour dire que, par une application combinée des articles 222-22, alinéa premier N° Lexbase : L2618L4Q et 222-27 N° Lexbase : L7179ALH du Code pénal, les agressions sexuelles autres que le viol sont constituées par « toute atteinte sexuelle autre qu’une pénétration » (V. Malabat, Infractions sexuelles, Rép. pén., maj. mars 2020, n° 12) même si les formulations varient selon les auteurs (v. à ce sujet : Ph. Conte, Droit pénal spécial, LexisNexis, coll. Manuel, 6e éd., 2019, p. 182, n° 250 ; E. Dreyer, Droit pénal spécial, Ellipses, coll. Cours magistral, 3e éd., 2016, p. 153, n° 331 ; A. Lepage, H. Matsopoulou, Droit pénal spécial, PUF, coll. Thémis, 1re éd., 2015, p. 304, n° 439 ; J. Pradel, M. Danti-Juan, Droit pénal spécial : droit commun – droit des affaires, Cujas, coll. Référence, 8e éd., 2020, p. 499, n° 755 ou encore M.-L. Rassat, Agressions sexuelles. Viol. Autres agressions sexuelles. Exhibition sexuelle. Harcèlement sexuel, JCl Pénal Code, Art. 222-22 à 222-33-1, fasc. 20, maj. 1er juin 2020, n° 83). Ainsi, le champ d’application des agressions sexuelles – et des attentats à la pudeur commis avec violence avant elles – a toujours été modulé par celui du viol (v. pour des développements à ce sujet : M.‑L. Rassat, facs. préc., n° 83). Les lois du 3 août 2018 et du 21 avril 2021 renforcent cette analyse.

[47] S’agissant des actes de pénétration réalisés par la victime sur la personne de l’auteur, l’arrêt de la Chambre criminelle de la Cour de cassation du 21 octobre 1998 avait, selon le Professeur Mayaud, mit fin à la poursuite d’un tel objectif. En effet, il augurait la fin des « tentatives judiciaires ou doctrinales se situant à la périphérie des textes afin de donner à l’incrimination de viol un champ d’application qu’elle n’a pas, notamment destiné à en faire un instrument d’égalité entre les deux sexes », Y. Mayaud, art. préc., spéc. p. 77.

Quant à la possibilité de qualifier de viol les actes bucco-génitaux, le Professeur Rousseau note que « les parlementaires ont souhaité ainsi simplifier dans un sens répressif la caractérisation du viol tout en adoptant une conception égalitaire ou non genré de celui-ci, en assimilant la gravité de la fellation subie par une victime masculine à celle du cunnilingus subi par une victime féminine », F. Rousseau, Le renforcement de la répression des infractions sexuelles contre les mineurs, RSC, 2021, p. 454 et s., spéc. p. 456.

[48] En effet, le principe d’égalité ne gommera jamais le fait que « l’anatomie humaine est faite de telle sorte qu’un homme et une femme ne se trouvent pas dans la même configuration, pas "à égalité" face au viol », Ch. Claverie‑Rousset, Commentaire des principales dispositions de la loi n° 2018-703 du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles ou sexistes, Dr. pén., 2018, étude 23. La réforme de 2021 conduit, pour le Professeur Rousseau, à galvauder le terme de « pénétration » et l’auteur de s’interroger sur le fait de savoir si « cet élargissement du viol n’est […] pas au fond cohérent avec le précédent élargissement de l’infraction opéré par la loi du 3 août 2018 aux actes de pénétrations commis "sur la personne de l’auteur" ? », F. Rousseau, art. préc. spéc. p. 456.

[49] Les raisons qui conduisaient à critiquer, hier, l’arrêt de la Chambre criminelle de la Cour de cassation du 16 décembre 1997 (Cass. crim., 16 décembre 1997, n° 97-85.455, préc.) ne perdent rien de leur pertinence, quand bien même la solution – hier jurisprudentielle – retenant la qualification de viol pour des pénétrations sexuelles réalisées par la victime sur la personne de l’auteur est aujourd’hui légale. Toutefois, cette position n’est pas unanime en doctrine. Ainsi, pour le Professeur Bonfils par exemple, « la modification [opérée par la loi du 3 août 2018 est bienvenue : elle permet – désormais dans le respect de la loi – de punir l’auteur et de protéger la victime sur le terrain du viol, et non sur celui de l’agression sexuelle » (Ph. Bonfils, Entre continuité et rupture : la loi du 3 août 2018 sur les violences sexuelles et sexistes, JCP G, 2018, 975). V. dans le même sens : A. Darsonville, Libres propos sur la loi du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, Lexbase Pénal, octobre 2018 N° Lexbase : N5938BX9.

[50] C. pén., art. 227-25 N° Lexbase : L2651L4X.

[51] C. pén., art. 227-27 N° Lexbase : L2655L44.

[52] Chapitre II, titre II, livre II du Code pénal.

[53] L’intégrité corporelle ne se réduisant pas à l’intégrité physique et comprenant une dimension psychique (v. F. Dequatre, L’intégrité morale en droit pénal, thèse Paris 2, 2021, p. 166-167, n° 183), les violences (y compris psychologiques) constituent bien des infractions exclusivement attentatoires à l’intégrité corporelle.

[54] Ainsi, « les auteurs de la loi nouvelle ont considéré que l’absence de consentement de la victime était l’élément primordial du crime de viol : pendant les débats parlementaires, il a été, à plusieurs reprises, indiqué de façon très nette "que l’essentiel dans le crime de viol réside moins dans la réalité de l’acte sexuel que dans le viol du consentement de la victime" (intervention de Mme F. d’Harcourt, JO. déb. Ass. nat., 11 avril 1980, p. 327) ». D. Mayer, Le nouvel éclairage donné au viol par la réforme du 23 décembre 1980, D., 1981, chron. p. 283.

[55] Chapitre II du titre II du livre II du Code pénal.

[56] La doctrine est partagée sur ce point. Certains auteurs voient dans ces nouvelles infractions des qualifications autonomes. V. en ce sens : M. Bouchet, Focus sur la loi du 21 avril 2021 visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l’inceste, Lexbase Pénal, juin 2021 N° Lexbase : N7951BY7 ; F. Rousseau, Le renforcement de la répression des infractions sexuelles contre les mineurs, RSC, 2021, p. 454 et s., spéc. p. 455 et s. ; S. Pellé, Infractions sexuelles contre les mineurs : une sortie du droit commun, pour quelle efficacité ? – À propos de la loi n° 2021-478 du 21 avril 2021 visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l’inceste, D., 2021, p. 1391 et s., spéc. p. 1394. Pour sa part, le Professeur Ghica-Lemarchand dénombre désormais « trois catégories de viols et d’agressions sexuelles. La première catégorie traditionnelle se caractérise par l’absence de consentement. La deuxième catégorie est une catégorie de rapports illégaux entre mineurs de quinze [ans] et majeurs lorsqu’il y a une différence d’âge de plus de cinq ans ou une contrepartie. La troisième catégorie est la catégorie des incestes qui reposent sur la prise en compte des liens de parenté et d’autorité entre l’auteur et sa victime » (C. Ghica‑Lemarchand, Commentaire de la loi du 21 avril 2021 visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l’inceste, D., 2021, p. 1552 et s., spéc. p. 1558). N’adhérant à l’analyse voyant dans ces textes le siège d’infractions autonomes, Monsieur Detraz retient que « les textes en question ont vraisemblablement pour objet, non pas de créer de nouvelles qualifications pénales, mais d’élargir les cas d’application possibles des qualifications préexistantes. La chose est certaine pour les articles 222-23-1 et 222-29-2, qui se bornent à forger une simple variante du "viol", pour le premier, et de l’"agression sexuelle" autre que le viol, pour le second, comme le confirme l’emploi de l’adverbe "également" », S. Detraz, Le dédoublement des agressions sexuelles – Commentaire de certaines des dispositions de la loi du 21 avril 2021 visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l’inceste, Dr. pén., 2021, étude 12.

[57] L’article 222-24, 2° du Code pénal N° Lexbase : L2625L4Y élève la peine à vingt ans de réclusion criminelle lorsque les faits sont commis sur un mineur de quinze ans.

[58] V. en ce sens : Ch. Dubois, L’inceste en droit pénal ou la consécration de la famille selon Vianney – « Y a pas que les gènes qui font les familles », JCP G, 2021, doctr. 622 ; E. Dreyer, L’agression sexuelle sans violence, contrainte, menace ou surprise, Gaz. Pal., 31 août 2021, p. 66 et s., spéc. p. 68 ; C. Saas, Mineurs, sexualité et consentement en droit pénal, Les cahiers de la Justice, Dalloz, 2021, p. 601 et s., spéc. p. 609.

[59] Cette infraction fait encourir à l’auteur dix ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende.

[60] C. Saas, art. préc., spéc. p. 608.

[61] Ibid.

[62] V. supra n° 5 et s.

[63] La doctrine ne semble pas unanime dans son analyse de la loi du 21 avril 2021 N° Lexbase : L2442L49. En effet, certains auteurs considèrent que les nouvelles infractions instaurent une « exception par présomption » (Y. Mayaud, Lorsque le fantasme sexuel devient agression sexuelle ! La légalité contrariée…, RSC, 2021, p. 341 et s., spéc. p. 341) ou encore que « la nouvelle qualification autonome de viol commis par un majeur sur un mineur de 15 ans […] revient à présumer irréfragablement l’absence de consentement d’un mineur de quinze ans à un acte sexuel avec un majeur », F. Rousseau, Le renforcement de la répression des infractions sexuelles contre les mineurs, RSC, 2021, p. 454 et s., spéc. p. 456.

[64] Madame Hardouin-Le Goff indiquait en mars 2021 que « la commission de ces crimes et délits sexuels sur les mineurs de quinze ans porte en réalité atteinte à leur intégrité physique et psychique, avec de lourds traumatismes. Dès lors, c’est la sauvegarde de cette intégrité physique et psychique qui doit fonder l’incrimination, sans utilité de prendre en compte le critère de contrainte ou de consentement de cette victime puisqu’il n’est plus question de protéger une liberté », C. Hardouin-Le Goff, Pour une incrimination adéquate des violences sexuelles sur mineurs, D., 2021, p. 520.

[65] V. pour des références postérieures au vote de la loi : C. Hardouin-Le Goff, La loi visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l’inceste – Une avancée attendue de longue date… au goût d’inachevé, JCP G, 2021, 513 ; S. Zouag, Mineurs – infractions sexuelles – « On ne touche pas aux enfants » !, Juris associations, 2021, n° 639, p. 7. V. s’agissant spécifiquement du viol : C. Ghica‑Lemarchand, Commentaire de la loi du 21 avril 2021 visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l’inceste, D., 2021, p. 1552 et s., spéc. p. 1555.

[66] Analysant l’article 227-25 du Code pénal N° Lexbase : L2651L4X, le Professeur Malabat soulignait que « le texte ne sanctionnant en effet que l’auteur majeur […], il est donc difficile de considérer que le texte protègerait les mineurs de quinze ans en les empêchant de pouvoir consentir valablement à des relations sexuelles et fixerait ainsi une majorité sexuelle à quinze ans » (V. Malabat, Morale et droit pénal, in Droit et morale : aspects contemporains, D. Bureau, F. Drummond et D. Fenouillet (dir.), Dalloz, coll. Thèmes & commentaires. Actes, 2011, p. 219 et s., spéc. p. 227). L’analyse peut être transposée aux dispositions spécifiques aux mineurs de quinze ans adoptées par la loi du 21 avril 2021 N° Lexbase : L2442L49 (C. pén., art. 222-23-1 N° Lexbase : L2624L4X ; C. pén., art. 222-29-2 N° Lexbase : L2631L49). À défaut de majorité sexuelle, le législateur semble tout de même instaurer une « maturité sexuelle », le Professeur Rousseau relevant qu’« au cours des débats [relatifs à la loi du 21 avril 2021 N° Lexbase : L2442L49, les parlementaires ont […] considéré que le seuil d’âge de quinze ans était en meilleure cohérence avec les qualifications d’atteintes sexuelles sur mineurs qui sont l’expression légale du seuil de maturité sexuelle des mineurs », F. Rousseau, Le renforcement de la répression des infractions sexuelles contre les mineurs, RSC, 2021, p. 454 et s., spéc. p. 456.

[67] F. Rousseau, art. préc., spéc. p. 457.

[68] Ibid.

[69] C. pén., art. 225-12-2, al. 2 N° Lexbase : L2635L4D.

[71] Ou sur l’auteur par le mineur en cas de viol.

[72] Conformément à ce texte, « est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende le fait de solliciter, d’accepter ou d’obtenir, en échange d’une rémunération, d’une promesse de rémunération, de la fourniture d’un avantage en nature ou de la promesse d’un tel avantage, des relations de nature sexuelle de la part d’une personne qui se livre à la prostitution, y compris de façon occasionnelle, lorsque cette personne est mineure […] ».

[73] E. Dreyer, L’agression sexuelle sans violence, contrainte, menace ou surprise, Gaz. Pal., 31 août 2021, p. 66 et s., spéc. p. 70.

[74] Cet affaiblissement de la répression concernerait les mineurs de plus de treize ans (âge à partir duquel ils peuvent subir une peine privative de liberté sur le fondement de l’article L.11-4 du Code de la justice pénale des mineurs N° Lexbase : L3011L8Z). Si l’article 225-12-2 du Code pénal N° Lexbase : L2635L4D était conservé, les mineurs de plus de treize ans seraient exposés à une peine de cinq ans d’emprisonnement (peine réduite de moitié par rapport à la peine encourue par les majeurs : CJPM, art. L. 121-5, al.1er N° Lexbase : L2529L88) alors que sur le fondement de l’article 225-12-1 du Code pénal N° Lexbase : L2634L4C, ils encourent deux ans et demi d’emprisonnement.

[75] C. pén., art. 225-12-2, al. 2 N° Lexbase : L2635L4D.

[76] C. pén., art. 222-29-2 N° Lexbase : L2631L49.

[77] C. pén., art. 222-23-1 N° Lexbase : L2624L4X et 222-23-3 N° Lexbase : L2623L4W.

[78] C. Hardouin‑Le Goff, Infractions sexuelles sur mineurs : lorsque le droit pénal retrouve sa fonction expressive et que la fixation d’un seuil d’âge devient constitutionnellement possible, Dr. pén., 2020, étude 34.

[79] Nous soulignons.

[80] C. Hardouin‑Le Goff, art. préc.

[81] Cass. crim., 3 mars 2021, n° 20-82.399, FS-P+B+I N° Lexbase : A59494I8.

[82] Y. Mayaud, Lorsque le fantasme sexuel devient agression sexuelle ! La légalité contrariée…, RSC, 2021, p. 341 et s., spéc. p. 346.

[83] Chapitre II, titre II, livre II du Code pénal.

[84] Nous soulignons.

[85] V. en ce sens : C. Ghica-Lemarchand, Commentaire de la loi du 21 avril 2021 visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l’inceste, D., 2021, p. 1552 et s., spéc. p. 1557-1558 ; C. Hardouin-Le Goff, La loi visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l’inceste – Une avancée attendue de longue date… au goût d’inachevé, JCP G, 2021, 513 ; J. Leonhard, Un nouveau zeste d’inceste, Gal. Pal., 31 août 2021, p. 74 et s., spéc. p. 75-76 ; H. Matsopoulou, La répression des violences sexuelles et sexistes, in Le droit face aux violences sexuelles et sexistes, C. Duparc, J. Charruau (dir.), Dalloz, coll. Thèmes et commentaires, 2021, p. 235 et s., spéc. p. 240. La doctrine n’est pas unanime sur le sujet. V. pour une analyse différente : R. Thery, L’inceste, centaure du droit pénal, in Le droit face aux violences sexuelles et sexistes, C. Duparc, J. Charruau (dir.), Dalloz, coll. Thèmes et commentaires, 2021, p. 33 et s., spéc. p. 34.

[86] Nous soulignons afin de mettre en évidence les éléments caractéristiques du contexte incestueux.

[87] Idem.

[88] C. pén., art. 222-23-3 N° Lexbase : L2623L4W.

[89] C. pén., art. 222-29-3 N° Lexbase : L2628L44.

[90] C. Ghica-Lemarchand, art. préc., spéc. p. 1557-1558.

[91] V. pour les infractions sexuelles commises hors de tout contexte incestueux : supra, n° 13.

[92] C. pén., art. 222-29-3 N° Lexbase : L2628L44.

[93] V. pour l’infraction générique : C. pén., art. 222-24, 4° N° Lexbase : L2625L4Y et pour l’infraction de viol spécifique aux mineurs : C. pén., art. 222-23-3 N° Lexbase : L2623L4W.

[94] V. supra, n° 14, 16 et 17.

[95] Conformément à ce texte, « les infractions de nature sexuelle pouvant être commises sur des mineurs sont prévues au présent paragraphe, sans préjudice des dispositions de la section 3 du chapitre II du présent titre réprimant les viols, les agressions sexuelles, l’inceste, l’exhibition sexuelle et le harcèlement sexuel, qui peuvent être légalement commis au préjudice de victimes mineures ».

[96] C. pén., art. 222-23-1 N° Lexbase : L2624L4X ; C. pén., art. 222-23-2 N° Lexbase : L2621L4T ; C. pén., art. 222-29-2 N° Lexbase : L2631L49 et art. 222-29-3 N° Lexbase : L2628L44.

[97] C. pén., art. 227-21-1 et s. N° Lexbase : L2645L4Q.

[98] V. pour une analyse de la ratio legis de ces incriminations (que la réforme n’a pas remise en cause) : F. Dequatre, L’intégrité morale en droit pénal, thèse Paris 2, 2021, p. 327 et s., n° 439 et s.

[99] V. supra n° 5 et s.

[100] C’est à un tel regroupement que le législateur a procédé s’agissant du délit de harcèlement moral au sein du couple (C. pén., art. 222-33-2-1 N° Lexbase : L8545LXR adopté par la loi n° 2010-769, du 9 juillet 2010, relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants N° Lexbase : L7042IMR), du délit général de harcèlement moral (C. pén., art. 222-33-2-2 N° Lexbase : L7985MBD adopté par la loi n° 2014-873, du 4 août 2014, pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes N° Lexbase : L9079I3N) et du délit de harcèlement moral dans le cadre scolaire (C. pén., art. 222-33-2-3 N° Lexbase : L7986MBE adopté par la loi n° 2022-299, du 2 mars 2022, visant à combattre le harcèlement scolaire N° Lexbase : L7677MBX) et ce n’est guère heureux.

[101] Ch. Dubois, Le plan du code pénal, outil d’interprétation des incriminations ? De la pertinence de l’argument a rubrica en droit pénal, D., 2022, p. 1477 et s., spéc. p. 1483.

[102] L’exhibition sexuelle, le harcèlement sexuel et l’administration à une personne, à son insu, d’une substance de nature à altérer son discernement ou le contrôle de ses actes afin de commettre à son égard un viol ou une agression sexuelle n’ont pas été étudiés dans le cadre de cette réflexion. Toutefois, l’analyse de ces infractions sexuelles justifierait de les codifier dans une nouvelle section III du chapitre relatif aux atteintes aux libertés (v. pour des développements à ce sujet : F. Dequatre, L’intégrité morale en droit pénal, thèse Paris 2, 2021, p. 650, n° 918). Par ailleurs, l’inutilité de l’infraction d’outrage sexiste (v. pour des développements à ce sujet : F. Dequatre, op. cit., p. 628 et s., n° 884 et s.), créée par la loi du 3 août 2018 N° Lexbase : L6141LLZ, doit conduire à exclure l’insertion, dans cette nouvelle section, de l’article 621-1 N° Lexbase : L7582LPI – qui, au demeurant, relève des contraventions légales. En revanche, l’infraction de captation d’images impudiques pourrait bien, au contraire, trouver une place plus pertinente parmi les agressions sexuelles (v. pour des développements à ce sujet : F. Dequatre, op. cit., p. 650 et s., n° 919 et s.).

[103] V. supra n° 6 et s.

[104] Chapitre IV du titre II du livre II du Code pénal.

[105] Ch. Dubois, Le plan du code pénal, outil d’interprétation des incriminations ? De la pertinence de l’argument a rubrica en droit pénal, D., 2022, p. 1477 et s., spéc. p. 1483.

[106] Ch. Dubois, art. préc., spéc. note de bas de page 85.

[107] C. Hardouin-Le Goff, La loi visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l’inceste – Une avancée attendue de longue date… au goût d’inachevé, JCP G, 2021, 513.

[108] V. pour l’ensemble de ces propositions : Th. Besse, Roméo, Juliette, le sexe et le droit pénal, Gaz. Pal., 12 octobre 2021, p. 9 et s., spéc. p. 12. S’agissant de la qualification criminelle en cas de pénétration sexuelle sans contrainte, violence, menace ou surprise, l’auteur précise qu’il reprend à son compte une proposition formulée par Madame Hardouin-Le Goff.

[109] Ibid.

[110] Ibid.

[111] Ibid.

[112] V. supra, n° 24.

[113] C. Hardouin-Le Goff, Infractions sexuelles sur mineurs : lorsque le droit retrouve sa fonction expressive et que la fixation d’un seuil d’âge devient constitutionnellement possible, Dr. pén., 2020, étude 34.

[114] Ibid. L’auteur avait réitéré cette proposition un mois avant l’adoption de la loi du 21 avril 2021 N° Lexbase : L2442L49. V. à ce sujet : C. Hardouin-Le Goff, Pour une incrimination adéquate des violences sexuelles sur mineurs, D., 2021, p. 520.

[115] C. pén., art. 227-15 et s. N° Lexbase : L2636L4E.

[116] C. Hardouin-Le Goff, La loi visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l’inceste – Une avancée attendue de longue date… au goût d’inachevé, JCP G, 2021, 513.

[117] C. Hardouin-Le Goff, Infractions sexuelles sur mineurs : lorsque le droit retrouve sa fonction expressive et que la fixation d’un seuil d’âge devient constitutionnellement possible, Dr. pén., 2020, étude 34.

[118] V. supra, n° 29.

[119] C. Hardouin-Le Goff, Les agressions sexuelles : quelle place pour le consentement ? – Grandeur et décadence du consentement en droit pénal, Les cahiers de la justice, 2021, p. 573 et s., spéc. p. 582.

[120] V. supra, n° 17.

[121] Le Code pénal n’indique pas quelles sont les relations qui doivent être définies comme des relations de nature sexuelle. Des précisions ont donc été apportées en doctrine. Ces relations « doivent être entendues au sens qui leur est traditionnellement donné par la jurisprudence relative à la définition de la prostitution en matière de proxénétisme c'est-à-dire de toute activité en relation avec le plaisir sexuel », X. Samuel, Recours à la prostitution, JCl Pénal Code, art. 225-12-1 à 225-12-4, fasc. 20, MAJ 14 décembre 2017.

[122] V. supra, n° 17.

[123] Pour la critique de la codification des agressions sexuelles dans le chapitre II du titre II du livre II du Code pénal dont les mineurs peuvent être victimes : v. supra, n° 28.

[124] En ce sens, le Professeur Ghica-Lemarchard souligne que « l’article [227-25 N° Lexbase : L2651L4X] limite les atteintes sexuelles aux comportements résiduels des viols et agressions sexuelles. Le rapport de force entre ces deux catégories d’infractions change et le centre de gravité se déplace en faveur des agressions sexuelles. Les juges qualifieront, en priorité, le viol ou l’agression sexuelle et ce n’est que dans l’hypothèse dans laquelle une de ces deux qualifications ne pourrait pas être retenue qu’ils pourraient se déporter sur l’atteinte sexuelle […] », C. Ghica‑Lemarchand, Commentaire de la loi du 21 avril 2021 visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l’inceste, D., 2021, p. 1552 et s., spéc. p. 1559. V. également pour des développements relatifs au concours de qualifications avec l’article 227-25 du Code pénal N° Lexbase : L2651L4X : Th. Besse, Roméo, Juliette, le sexe et le droit pénal, Gaz. Pal., 12 octobre 2021, p. 9 et s., spéc. p. 10-11 ; v. pour une analyse des concours de qualifications entre agressions sexuelles spécifiques aux mineurs et atteintes sexuelles : E. Dreyer, L’agression sexuelle sans violence, contrainte, menace ou surprise, Gaz. Pal., 31 août 2021, p. 66 et s., spéc. p. 69-70 ; S. Pellé, Infractions sexuelles contre les mineurs : une sortie du droit commun, pour quelle efficacité ? – À propos de la loi no 2021-478 du 21 avril 2021 visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l’inceste, D., 2021, p. 1391 et s., spéc. p. 1394 ; v. pour une analyse de l’articulation des agressions sexuelles avec les atteintes sexuelles : S. Detraz, étude préc. ; F. Rousseau, Le renforcement de la répression des infractions sexuelles contre les mineurs, RSC, 2021, p. 454 et s., spéc. p. 457-458 et spéc. p. 460.

[125] C. pén., art. 222-23 et s. N° Lexbase : L2622L4U pour le viol à l’exception des articles 222-23-1 N° Lexbase : L2624L4X et 222-23-2 N° Lexbase : L2621L4T ; C. pén., art. 222-27 et s. N° Lexbase : L7179ALH pour les agressions sexuelles à l’exception des articles 222-29-2 N° Lexbase : L2631L49 et 222-29-3 N° Lexbase : L2628L44.

[126] Chapitre IV, titre II, livre II du Code pénal.

[127] V. supra, n° 31.

[128] Madame Hardouin-Le Goff proposait, avant la réforme, que « l’infraction suggérée englobe […] les actuelles atteintes sexuelles mais aussi les actuelles agressions sexuelles s’agissant de mineurs victimes de moins de treize ou quinze ans selon l’âge légalement retenu », C. Hardouin-Le Goff, Infractions sexuelles sur mineurs : lorsque le droit retrouve sa fonction expressive et que la fixation d’un seuil d’âge devient constitutionnellement possible, Dr. pén., 2020, étude 34.

[129] C. pén., art. 222-22 N° Lexbase : L2618L4Q et 222-22-2 N° Lexbase : L2617L4P.

[130] C. pén., art. 222-22-1 N° Lexbase : L2619L4R.

[131] C. pén., art. 222-22-3 N° Lexbase : L2620L4S.

[132] Après l’abrogation par le Conseil constitutionnel d’une autre infraction sexuelle – celle de harcèlement (Cons. const., décision n° 2012-240 QPC, du 4 mai 2012 N° Lexbase : Z03132YW), le Professeur Parizot alertait sur le fait que « la question [relative à la rédaction du texte incriminant le harcèlement sexuel] ne pourra[it] être résolue en faisant l’économie d’une réflexion sur le bien juridique protégé », R. Parizot, Exit le délit-tautologie de harcèlement sexuel, LPA, 24 mai 2012, p.3.

[133] R. Cabrillac, Les défis d’une recodification pénale, in Droit pénal : le temps des réformes, V. Malabat, B. de Lamy, M. Giacopelli (dir.), Litec, coll. Colloques & débats, n° 32, 2011, p. 5 et s., spéc. p. 10.

[134] JORF n° 0033, du 9 février 2010, p. 2265, texte n° 1.

[135] V. pour une vision complète des incriminations nouvelles, insérées dans l’ensemble du livre II du Code pénal, au cours de la période antérieure (c’est-à-dire de 1994 jusqu’à l’aube des années 2010) : M. Daury‑Fauveau, La pénalisation proliférante des atteintes virtuelles aux personnes, in Mélanges en l’honneur du Professeur J.-H. Robert, LexisNexis, 2012, p. 179 et s., spéc. p. 179, 180 et 181.

[136] V. pour des développements à ce sujet : F. Dequatre, L’intégrité morale en droit pénal, thèse Paris 2, 2021, p. 660 et s., n° 950 et s.

[137] La préconisation par le comité des États généraux de la justice (octobre 2021 – avril 2022), présidé par le vice-président honoraire du Conseil d’État Monsieur Jean-Marc Sauvé, de réécrire le Code de procédure pénale ne rend pas tout à fait illusoire, au regard de l’ampleur d’un tel projet, une réécriture du Code pénal. V. le rapport du comité des États généraux de la justice (Octobre 2021 – avril 2022) – Rendre justice aux citoyens, avril 2022 [en ligne].

[138] C. pén., art. 221-1 et s. N° Lexbase : L2260AMN.

[139] Si le Code pénal comprend un chapitre, au sein du titre II du livre II, intitulé « Des atteintes à l’intégrité physique ou psychique de la personne », certaines infractions codifiées au sein de ce chapitre ne semblent pas à leur juste place tandis que d’autres semblent avoir été oubliées.

[140] Le Code pénal ne comportant pas de subdivision consacrée à l’intégrité morale, l’identification des infractions attentatoires à l’intégrité morale suppose de mener une étude systémique des infractions du titre II du livre II. V. F. Dequatre, op. cit., p. 245 et s., spéc. n° 320 et s.

[141] M.-L. Rassat, Droit pénal spécialInfractions du Code pénal, Dalloz, coll. Précis, 8e éd., 2018, p. 372, n° 310.

[142] V. pour des développements relatifs à des infractions qualifiées de mixtes : F. Dequatre, op. cit., p. 176 et s., n° 201 et s.

[143] Les infractions relatives aux mineurs seraient codifiées selon qu’elles constituent une atteinte à leur intégrité corporelle, à leur intégrité morale ou à leur intégrité corporelle et morale et ne seraient plus regroupées comme aujourd’hui dans un chapitre autonome. Pour des développements relatifs à l’inutilité d’isoler les infractions relatives aux mineurs dans un chapitre autonome : v. F. Dequatre, op. cit., p. 66 et s., n° 25 et p. 677 et s., n° 984 et s.

[144] Pour Garraud, « la liberté sexuelle, c’est-à-dire la libre disposition de soi-même, quant aux rapports sexuels, demande une protection : la liberté, l’honneur et l’intégrité corporelle se trouvent engagés dans tous les actes qui l’atteignent », (R. Garraud, Traité théorique et pratique du droit pénal français, tome cinquième, Sirey, 3e éd., 1924, p. 435, n° 2067) La société ayant évolué et la ratio legis des incriminations en matière sexuelle ayant subi une profonde mutation, c’est aujourd’hui l’honneur de l’auteur de tels faits qui se trouve atteint par son propre comportement et non plus celui de la victime. La société actuelle jette l’opprobre sur les délinquants sexuels. En revanche, l’essence des incriminations en matière sexuelle subsiste et vise à protéger la liberté et l’intégrité corporelle des personnes.

[145] C. pén., art. 222-23 N° Lexbase : L2622L4U.

[146] À cet égard, le Professeur Francillon présentant, dans le Code pénal commenté, de manière générale le chapitre consacré aux atteintes à l’intégrité physique ou psychique de la personne (au sein duquel sont incriminées les infractions sexuelles) indique que « les incriminations regroupées sous cet intitulé reposent pour l’essentiel sur l’idée que la loi pénale doit assurer la protection des personnes atteintes dans leur intégrité corporelle », J. Francillon, Des atteintes à l’intégrité physique ou psychique de la personne, in G. Roujou de Boubée, J. Francillon, B. Bouloc et Y. Mayaud, Code pénal commenté – article par article, livres I à IV, Dalloz, coll. référence, 1996, p. 171 et s., spéc. p. 171.

[147] JORF n° 0179, du 5 août 2018, texte n° 7.

[148] En effet, le viol – défini jusqu’alors comme « tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui par violence, contrainte, menace ou surprise » – lorsqu’il était commis en l’absence de toute circonstance aggravante était puni de quinze ans de réclusion criminelle (C. pén., art. 222-23, al. 2 N° Lexbase : L2622L4U). Pour leur part, les agressions sexuelles autres que le viol – c’est-à-dire exclusives de toute pénétration sexuelle de la victime – commises sans que puissent être caractérisées de circonstances aggravantes faisaient encourir à leur auteur une peine de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende (C. pén., art. 222-27 N° Lexbase : L7179ALH). La pénétration sexuelle – par l’intrusion qu’elle suppose dans le corps de la victime – apparaissait ainsi comme l’atteinte à l’intégrité physique la plus grave.

[149] Loi n° 2018-703, du 3 août 2018, renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes N° Lexbase : L6141LLZ.

[150] Le viol est toujours puni de quinze ans de réclusion criminelle tandis que les agressions sexuelles autres que le viol font toujours encourir à leur auteur cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende.

[151] CA Pau, ch. corr., 6 janvier 2005, JCP G, 2005, IV, 2101 : « Doit être relaxée du chef d’agression sexuelle sur mineur de quinze ans par personne ayant autorité, l’institutrice à l’encontre de laquelle tous les éléments constitutifs du délit n’ont pu être caractérisés [...] il n’est pas démontré qu’elle ait eu conscience de commettre un acte immoral ou obscène contre la volonté des victimes. À aucun moment, il n’est ainsi prouvé que l’intéressée se soit livrée à ces caresses dans un but de lubricité ou d’impudicité ».

[152] Loi n° 80-1041, du 23 décembre 1980, relative à la répression du viol et de certains attentats aux mœurs, préc.

[153] V. supra, n° 10.

[154] Cass. crim., 23 janvier 2019, no18-82.833, FS-P+B N° Lexbase : A3070YUA : A. Darsonville, Précisions sur la définition du viol par surprise, AJ pénal, 2019, p. 153-154 ; S. Detraz, Viol à l’insu de son mal gré, Gaz. Pal., 7 mai 2019, n° 17, p. 55-56 ; E. Dreyer, Viol par tromperie sur l’apparence, D., 2019, p. 361 et s. ; Y. Mayaud, La relation sexuelle, une relation intuitu personae !, RSC, 2019, p. 88-90 ; L. Saenko, Viol par surprise : quand il y a erreur sur (les qualités physiques de) la personne, Gaz. Pal., 26 février 2019, n° 8, p. 24-27 ou encore J.-Ch. Saint-Pau, Viol par surprise : le stratagème numérique et érotique, JCP G, 2019, 203 et Cass. crim., 4 septembre 2019, no18‑85.919, F-D N° Lexbase : A6486ZM8 : Ch. Dubois, L’amour aveugle – Épisode 2, D., 2019, p. 2071-2075. Ces arrêts ont ainsi remis sur le devant de la scène la surprise constitutive des agressions sexuelles qu’un très vieil arrêt de la Chambre criminelle du 25 juin 1857 (Bull. crim., n° 240) avait retenue pour qualifier de viol le fait, par un individu, après s’être introduit dans la chambre et le lit d’une femme encore endormie, dont le mari était absent, et profitant de l’erreur de cette femme, de consommer sur elle l’acte de copulation.

[155] J.-Ch. Saint-Pau, L’agression sexuelle par surprise, in Mélanges en l’honneur du Professeur Bernard Teyssié, LexisNexis, 2019, p. 527 et s., spéc. p. 532.

[156] Ils ont, par exemple, retenu que « l’absence de consentement de la victime est l’élément caractéristique du crime de viol » (CA Lyon, ch. acc., 18 mai 1990) et que « la volonté des époux de mettre en commun et de partager tout ce qui a trait à la pudeur n’autorise nullement l’un d’entre eux à imposer à l’autre par violence un acte sexuel s’il n’y consent et que notamment doit être respectée la liberté sexuelle de la femme mariée » (ibid.). La Chambre criminelle de la Cour de cassation, saisie sur pourvoi du procureur général près la cour d’appel de Lyon, approuve la solution des juges du fond et affirme que « l’article 332 du Code pénal, en sa rédaction issue de la loi du 23 décembre 1980, qui n’a d’autre fin que de protéger la liberté de chacun, n’exclut pas de ses prévisions les actes de pénétration sexuelle entre personnes unies par les liens du mariage lorsqu’ils sont imposés dans les circonstances prévues par ce texte » (Cass. crim., 5 septembre 1990, n° 90-83.786 N° Lexbase : A3056ABS). Si cette jurisprudence traditionnelle trouve toujours application dans certains cas (Cass. crim., 20 juin 2001, n° 00-88.258 N° Lexbase : A6643CXC), la Chambre criminelle de la Cour de cassation a admis plus récemment, nous l’avons dit, que la délivrance d’un consentement erroné suffise à la caractérisation de l’infraction. Ainsi, « l’emploi d’un stratagème destiné à dissimuler l’identité et les caractéristiques physiques de son auteur pour surprendre le consentement d’une personne et obtenir d’elle un acte de pénétration sexuelle constitue la surprise » (Cass. crim., 23 janvier 2019, n° 18-82.833, FS-P+B N° Lexbase : A3070YUA : A. Darsonville, art. préc. ; S. Detraz, art. préc. ; E. Dreyer, art. préc. ; Y. Mayaud, art. préc. ; L. Saenko, art. préc. ou encore J.-Ch. Saint-Pau, Viol par surprise : le stratagème numérique et érotique, JCP G, 2019, 203 et Cass. crim., 4 septembre 2019, n° 18‑85.919, F-D N° Lexbase : A6486ZM8 : Ch. Dubois, art. préc.).

[157] Ph. Conte, Droit pénal spécial, LexisNexis, coll. Manuel, 6e éd., 2019, p. 173, n° 240. V. dans le même sens : A. Lepage, H. Matsopoulou, Droit pénal spécial, PUF, coll. Thémis, 1re éd., 2015, p. 293 et s., n° 421 et s. ou encore V. Malabat, Droit pénal spécial, Dalloz, coll. Hypercours, 9e éd., 2020, p. 189 et s., n° 317 et s. Depuis le vote de la loi n° 2021-478, du 21 avril 2021, visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l’inceste N° Lexbase : L2442L49, une seconde réserve doit être faite puisque le Code pénal comprend désormais une qualification spécifique de viol lorsque les faits sont commis par un majeur sur un mineur de quinze ans ou sur l’auteur par le mineur.

[158] Plusieurs décisions ont retenu une telle solution indiquant qu’« un acquittement du chef de viol ne postule nullement le consentement de la victime ; qu’il peut se justifier par le défaut d’intention de l’auteur ou par un simple doute sur la réalité de cette intention ; que ce défaut d’intention peut résulter de cette circonstance, prouvée ou présumée, que l’accusé se soit mépris ou a pu se méprendre sur les dispositions véritables de la femme et estimer, à tort, que sa résistance n’était pas sérieuse », (C. assises Haut-Rhin, 21 avril 1959, note Aberkane, D., 1960, p. 369 et s.). V. également : Cass. crim., 11 octobre 1978 : D., 1979, IR 120 : « A pu dénier l’existence de l’intention criminelle et écarter en conséquence la qualification de viol la cour d’appel qui […] s’est fondée sur le comportement de cette dernière [la victime] pour en déduire que le prévenu avait pu croire à son consentement aux rapports qu’il avait eus avec elle ».

[159] Elles constituent plus précisément des atteintes de nature mixte à dominante morale. V. pour des développements à ce sujet : F. Dequatre, L’intégrité morale en droit pénal, thèse Paris 2, 2021, p. 672 et s., n° 973 et s.

[160] V. à ce sujet : F. Dequatre, op. cit., 2021, p. 687 et s., n° 1006 et s.

[161] « Les infractions de nature sexuelle pouvant être commises sur des mineurs sont prévues au présent paragraphe, sans préjudice des dispositions de la section III du chapitre II du présent titre réprimant les viols, les agressions sexuelles, l’inceste, l’exhibition sexuelle et le harcèlement sexuelle, qui peuvent être également commis au préjudice de victimes mineures ».

[162] Pour Monsieur Detraz, l’introduction de l’article 227-21-1 dans le Code pénal N° Lexbase : L2645L4Q apparaît inutile « d’autant qu’aucun concours de qualifications ne peut voir le jour : les délits d’atteintes sexuelles sur mineurs sont en effet intrinsèquement définis, aux articles 227-25 et 227-27 modifiés, comme des actes commis "hors les cas de viol ou d’agression sexuelle prévus à la section 3 du chapitre II du présent titre" », S. Detraz, Le dédoublement des agressions sexuelles – Commentaire de certaines des dispositions de la loi du 21 avril 2021 visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l’inceste, Dr. pén., 2021, étude 12.

[163] V. supra, note n° 140 ??

[164] E. Dreyer, L’agression sexuelle sans violence, contrainte, menace ou surprise, Gaz. Pal., 31 août 2021, p. 66 et s., spéc. p. 70.

[165] F. Rousseau, Le renforcement de la répression des infractions sexuelles contre les mineurs, RSC, 2021, p. 454 et s., spéc. p. 458.

[166] V. en ce sens : Th. Besse, Roméo, Juliette, le sexe et le droit pénal, Gaz. Pal., 12 octobre 2021, p. 9 et s., spéc. p. 11-12.

[167] V. supra, n° 13.

[168] V. supra, n° 38.

[169] C. Saas, Mineurs, sexualité et consentement en droit pénal, in Les cahiers de la Justice, Dalloz, 2021, p. 601 et s., spéc. p. 612.

[170] Th. Besse, Roméo, Juliette, le sexe et le droit pénal, Gaz. Pal., 12 octobre 2021, p. 9 et s., spéc. p. 12.

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Actes administratifs

[Brèves] Caractère d’acte de Gouvernement de la réponse négative à une demande de suspension d'autorisations préalables d'exportation de matériels de guerre

Réf. : CE, 9°-10° ch. réunies, 27 janvier 2023, n° 436098, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A31739AR

Lecture: 2 min

N4216BZ8

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par Yann Le Foll

Le 08 Février 2023

► Le refus opposé à une demande de portée générale tendant à la suspension d'autorisations préalables d'exportation de matériels de guerre à destination d'un État étranger a le caractère d’un acte de Gouvernement.

Faits. Par lettre en date du 1er mars 2018, l'association ASER a demandé au Premier ministre « la suspension sans délai de l'ensemble des autorisations préalables d'exportation de matériels de guerre et matériels assimilés à destination de l'Arabie saoudite ».

Position CE. Le refus implicite opposé à cette demande de portée générale n'est pas détachable de la conduite des relations internationales de la France, sans que puissent être utilement invoquées à cet égard les stipulations des articles 6 et 7 du Traité sur le commerce des armes signé à New York le 3 juin 2013, de l'article 2 de la Charte des Nations unies signée à San Francisco le 26 juin 1945 et de l'article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne N° Lexbase : L0230LGM, ainsi que les dispositions des articles 1 et 2 de la position commune n° 2008/944/PESC, du Conseil, du 8 décembre 2008 et de l'article L. 2335-4 du Code de la défense N° Lexbase : L4349K9X.

Décision. Dès lors, l'auteur des ordonnances attaquées, qui ne sont pas entachées de contradiction de motifs, a pu juger, sans commettre d'erreur de droit ni inexactement qualifier les faits qui lui étaient soumis, que la juridiction administrative n'était pas compétente pour connaître de la demande tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de ce refus.

Précisions rapporteur public. Dans ses conclusions, Céline Guibé indique qu’« il ne fait pas de doute que la décision contestée est de portée générale […]. Or une telle décision, qui ne peut manquer de détériorer profondément la relation bilatérale avec l’État importateur, et qui, par ailleurs, est susceptible de peser sur les équilibres géostratégiques dans la péninsule arabique, procède directement d’un choix de politique étrangère, discrétionnaire sous réserve des engagements internationaux de la France revêtant une portée juridique contraignante ».

Rappel. Des stipulations internationales qui ont pour objet exclusif de régir les relations entre les États ne peuvent être utilement invoquées par une association pour demander la suspension des licences d’exportation de matériel de guerre et matériels assimilés à destination de pays membres de la coalition impliquée dans la guerre au Yémen (TA Paris, 8 juillet 2019, n° 1807203/6-2 N° Lexbase : A6437ZKM).

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Baux commerciaux

[Actes de colloques] La portée de l’immatriculation au RCS dans l’application du statut des baux commerciaux

Lecture: 19 min

N4253BZK

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par Jean-Pierre Legros, Professeur à l’Université de Franche-Comté

Le 08 Février 2023

Cet article est issu d’un dossier spécial consacré à la publication des actes du colloque intitulé «Les baux professionnels », qui s’est tenu le 21 octobre 2022 à Belfort, sous la direction scientifique de Sâmi Hazoug, Maître de conférences, Université de Franche-Comté.

Les propos introductifs et le sommaire de ce dossier sont à retrouver en intégralité ici : N° Lexbase : N4282BZM.


 

La loi du 30 juin 1926 régissait le renouvellement des baux à loyer et immeubles où s’exploitait depuis au moins deux années un fonds de commerce ou d’industrie[1].

Plus tard, selon l’article 1er du décret du 30 septembre 1953 [2] modifié par la loi du 5 janvier 1957 [3], le statut des baux commerciaux s’appliquait « aux baux des immeubles ou locaux dans lesquels un fonds est exploité, que ce fonds appartienne à un commerçant, à un industriel ou à un artisan régulièrement inscrit au registre des métiers accomplissant ou non des actes de commerce ».

Aucune condition relative à une immatriculation du commerçant au registre du commerce ne figurait dans ces textes.

La Cour de cassation avait jugé qu’un « propriétaire qui a donné à bail des locaux en vue de l'exploitation d'un fonds de commerce ne peut se prévaloir du défaut d'inscription de son locataire au registre du commerce pour demander la nullité du bail » alors que l’article 62 du Code de commerce (de cette époque) prévoyait que la personne non inscrite au registre du commerce ne pouvait pas se prévaloir de sa qualité de commerçant vis-à-vis des tiers [4]. Le statut avait donc vocation à s’appliquer indépendamment de toute immatriculation.

Il faut attendre la loi n° 65-356 du 12 mai 1965 pour voir apparaître la référence à l’immatriculation du locataire. Elle a modifié l’article 1er du décret de 1953 (aujourd’hui codifié à L. 145-1, I du Code de commerce N° Lexbase : L9695L79) : le statut s’applique « soit à un commerçant ou à un industriel immatriculé au RCS, soit à un chef d'une entreprise immatriculée au répertoire des métiers [au registre national des entreprises depuis le 1er janvier 2023], accomplissant ou non des actes de commerce ».

Littéralement, le texte semble n’envisager que le sort des personnes physiques. Cependant les groupements peuvent également se prévaloir du statut des baux commerciaux. Pour ces derniers, la question de l’immatriculation au RCS soulève d’autres difficultés. La portée de l’immatriculation au RCS n’est pas la même suivant que le preneur est une personne physique (I) ou un groupement (II).

I. Le cas des personnes physiques

L’immatriculation au RCS ou au RNE s’impose aux commerçants et artisans (A). Mais le statut ne peut s’appliquer à d’autres personnes qui ne peuvent pas s’inscrire à ces registres (B).

A. Le cas des commerçants et des artisans

En principe, le commerçant doit s’immatriculer dans le mois précédant le début de l’activité ou dans les 15 jours suivants celle-ci [5]. Il peut dont ne pas être immatriculé lors de la signature du bail. La règle est identique pour l’artisan (inscription au RNE).

Il se peut que l’intéressé ne soit pas encore inscrit lors de la conclusion du contrat de bail commercial et on ne pourra alors pas le lui reprocher. Mais la situation se complique lorsque l’absence d’immatriculation persiste.

La condition de l’immatriculation figure dans le premier article des textes consacrés au bail commercial. Toutefois la jurisprudence a décidé pendant longtemps que l’immatriculation ne peut être exigée du locataire que pour bénéficier du renouvellement du bail proprement dit. La Cour de cassation l’énonce clairement : l'immatriculation du preneur n'est une condition du bénéfice du statut des baux commerciaux que pour le renouvellement du bail [6].

Autrement dit, à l’entrée du bail ou pendant sa durée, le locataire occupera régulièrement les lieux même s’il n’est pas immatriculé. Ainsi lorsque le preneur a été laissé en possession à l'expiration du premier bail dérogatoire, l'inscription au RCS n'est pas nécessaire pour que s'opère un nouveau bail régi par le statut des baux commerciaux [7].

Il faut réserver l’hypothèse où l’immatriculation est imposée par une clause du contrat de bail. Faute de s’être immatriculé, le preneur manquerait alors à ses obligations contractuelles. En ce sens, une cour d’appel avait retenu que le défaut d'immatriculation au registre du commerce du preneur constituait une violation des clauses contractuelles. La décision est censurée car aucune clause du bail n'imposait cette immatriculation [8].

Pendant l’exécution du bail, le preneur a bien l’obligation de s’immatriculer mais le bailleur ne peut se prévaloir du défaut d’immatriculation. L'immatriculation n'est pas un préalable à la conclusion du bail, ni une condition de validité. Le défaut d'immatriculation ne peut justifier la résiliation que si l'obligation d'être immatriculé est conventionnellement imposée au preneur.

Une évolution jurisprudentielle se dessine notamment avec deux décisions du 22 janvier 2014 et du 24 novembre 2021. Lorsque le preneur invoque un droit qu’il tient du statut au cours du bail, le bailleur peut alors invoquer le défaut d’immatriculation. Ainsi le preneur qui revendique la propriété commerciale dans le cadre d'une action en requalification d'un bail saisonnier doit être immatriculé au RCS à la date de l'assignation [9]. L’idée selon laquelle l’immatriculation du preneur conditionne seulement le renouvellement du bail semble être remise en cause : l’immatriculation serait également nécessaire en cours de bail.

Cette orientation se confirme avec la décision du 24 novembre 2021. Dans cette affaire, le bailleur était assigné par le preneur en requalification en bail commercial de diverses conventions d'occupation et en paiement d'une indemnité d'éviction en 2011. Mais il avait cessé son activité et s’était fait radier du RCS en 2010. La Cour de cassation décide que le preneur qui revendique le statut des baux commerciaux aurait dû être immatriculé à la date de sa demande en justice [10].

L’immatriculation au RCS devient ainsi une condition de recevabilité de l'action en requalification en bail commercial. Elle n’est plus seulement exigée pour le renouvellement de ce dernier.

Une extension semble envisageable à d’autres questions en dehors de l’hypothèse de la requalification, chaque fois que le preneur invoquera le statut des baux même en cours de bail, comme par, exemple une déspécialisation. On peut également penser que le bailleur serait autorisé à invoquer le défaut d’immatriculation du preneur pour obtenir la résiliation du bail.

L’extension paraît logique dès lors que la condition de l’immatriculation figure à l’article L. 145-1, texte dont la portée n’est pas limitée à la seule question du renouvellement du bail.

B. Le cas des non-commerçants

Le statut des baux commerciaux peut concerner des personnes qui n’ont pas la qualité de commerçant ou d’artisan. Cette extension peut être soit conventionnelle, soit légale.

Les parties peuvent volontairement soumettre leur bail au statut des baux commerciaux. Il peut s’agir de non-commerçants ou de commerçants louant un local dans lequel aucune activité commerciale ne sera exercée.

Lorsque le droit au renouvellement régi par le statut est prévu par la convention, la jurisprudence décide que l’absence d’immatriculation au RCS n’est pas une condition du renouvellement [11]. Dans cette affaire, les parties avaient choisi de se soumettre à l’ensemble du statut alors que le preneur n’avait pas la qualité de commerçant. La cour d’appel avait refusé l’indemnité d’éviction au motif que le preneur n’était pas immatriculé. La décision est censurée. En cas de soumission volontaire au statut des baux commerciaux, l'immatriculation du preneur au RCS n'est pas une condition impérative de son droit au renouvellement. Le renouvellement est acquis dès l’origine. La solution semble logique dès lors que l’immatriculation est impossible pour les non-commerçants.

L’extension du statut à des non-commerçants peut aussi être l’œuvre du législateur. Il existe des exceptions posées par les textes. Les établissements d’enseignement bénéficient de cette exception depuis 1926. La liste s’est allongée depuis. Ces exceptions sont énoncées à l’article L. 145-2 du Code de commerce N° Lexbase : L5029I3N [12].

En général, ces activités ne sont pas immatriculées au RCS. Mais lorsque des autorisations administratives sont nécessaires à leur exercice, elles devront être produites lors du renouvellement.

En ce sens, il existe une jurisprudence concernant les activités d’enseignement. Pour qu’un établissement bénéficie du statut, il doit être en mesure de fournir les autorisations administratives requises. Ainsi un établissement technique d’enseignement privé qui n’a pas reçu l'approbation administrative à la date du refus de renouvellement ne peut bénéficier d’une indemnité d’éviction [13].

De même, une personne qui organisait dans les lieux loués des cours de dessin, d’arts graphiques et de peinture, invoquait l'existence d'un établissement d'enseignement et demandait la nullité d’un congé délivré par le bailleur par lettre recommandée avec AR. La cour d’appel ne pouvait pas accueillir la demande en nullité sans rechercher si l'enseignement dispensé dans les lieux était soumis à une autorisation administrative [14].

Il en va ainsi même si la réglementation est apparue postérieurement à l'ouverture de l'établissement car il appartient à son exploitant de régulariser sa situation dans les délais légaux [15].

En conclusion, le preneur doit être en règle au moment du renouvellement du bail. Son établissement doit avoir une existence légale, comme le précise l’arrêt du 6 mai 1963. La condition d’immatriculation est, en quelque sorte, remplacée par une autre exigence : l’activité exercée dans les lieux loués doit l’être régulièrement. S’agissant des commerçants, le renouvellement est aussi réservé aux commerçants de droit, c’est-à-dire ceux immatriculés au RCS, et refusé aux commerçants de fait.

II. Le cas des groupements

La question de l’immatriculation se pose différemment pour les groupements. Il faut distinguer deux catégories de groupements ceux qui doivent s’immatriculer au RCS pour jouir de la personnalité morale, à savoir les sociétés et les GIE (A) et ceux dont l’immatriculation n’est pas prévue par un texte (B).

A. Les groupements soumis à immatriculation

Depuis 1967, les sociétés commerciales et les GIE doivent être immatriculés au RCS pour jouir de la personnalité morale [16]. Le principe est devenu le droit commun du droit des sociétés lors la réforme de 1978 des dispositions du Code civil consacrées à celles-ci [17].

Pour ces groupements, le défaut d’immatriculation interdit de conclure un contrat de bail puisqu’ils n’ont pas la capacité de contracter. Mais d’autres difficultés surgissent.

1°) Les sociétés

Ces difficultés se concentrent autour de deux questions relatives à la notion de société en formation et la commercialité de la société.

  • La société en formation

Le législateur qui a retardé la jouissance de la personnalité à la date de l’immatriculation au RCS a voulu faciliter l’activité des sociétés en formation en permettant à ses membres de conclure des engagements pendant la période de formation. Ces derniers pourront ensuite être repris par la société une fois immatriculée. Cette procédure de reprise des engagements est à l’origine d’un contentieux fourni, contentieux qui n’est certes pas propre au bail commercial.

Pour que la reprise soit efficace, il est nécessaire que l’associé déclare agir au nom et pour le compte de la société en formation. En effet, le cocontractant doit être averti de la substitution de partenaire. Lorsque les conditions de la reprise sont réunies, l’associé qui a contracté est libéré de l’engagement qui est censé avoir été contracté dès l’origine par la société.

Le contentieux naît de la rédaction du contrat de bail. Si la société alors en formation est visée directement, sans autre précision, le bail est nul de nullité absolue faute de personnalité juridique lors de sa conclusion. Il n’est pas susceptible d’être repris après l’immatriculation de la société.

La solution qui vaut pour tous les actes ainsi conclus pendant la période de formation [18] concerne évidemment la conclusion du bail commercial. Un bail avait été conclu « non pas au nom et pour le compte de la société Le Secret en formation, mais au nom de trois associés fondateurs « avec la faculté de leur substituer la SARL X en formation ». Le bail est souscrit par les associés en leur nom. Il aurait fallu que l’acte soit passé par eux mais pour le compte d’une société en formation. La reprise du bail par la société dans ces conditions n'était pas opposable au bailleur qui était fondé à en demander l'exécution aux fondateurs [19].

Le formalisme prévu pour chacune des procédures de reprise doit être respecté, la Cour de cassation n’admettant pas en particulier les reprises implicites.

  • La commercialité de la société

Les sociétés peuvent être de nature civile ou commerciale.

Une société civile ne peut pas exercer une activité commerciale. Elle ne peut donc conclure de bail commercial. Toutefois il ne faut pas oublier qu’il lui est possible de se soumettre volontairement au statut des baux commerciaux avec l’accord de l’autre partie.

Une société peut être commerciale par la forme. Il en va ainsi des sociétés régies par le livre II du Code de commerce. Elles peuvent exercer aussi bien une activité commerciale que civile [20]. Elles suivent le régime réservé aux commerçants, même si leur objet est civil. La jurisprudence introduit une brèche dans ce principe de la commercialité par la forme. En effet, elle refuse avec constance aux sociétés commerciales à objet civil le bénéfice de la propriété commerciale [21]. Le bail commercial suppose l’existence réelle d’un fonds de commerce. La solution peut être discutée dès lors que le bail commercial bénéficie à d’autres personnes que les commerçants, en particulier aux artisans ainsi qu’aux personnes visées à l’article L. 145-2 du Code de commerce. Pour cette raison, cette jurisprudence est considérée par certains comme « illogique » [22].

Les sociétés d’exercice libéral à forme commerciale créées par la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990 N° Lexbase : L3046AIN ne pourront pas non plus bénéficier du statut en raison de leur objet civil, bien que soumises par principe aux dispositions du livre II du Code de commerce. Il faut cependant faire une exception pour les sociétés de pharmaciens d’officine constituées sous forme de SELARL dès lors que l’exploitation d’une pharmacie est une activité commerciale. Cette exception est d’ailleurs admise par une réponse ministérielle [23].

Il faut relever le cas particulier de la société commerciale exerçant une activité d’enseignement. Une SNC exploitait un établissement d’enseignement de langues. Il s’agit d’une société commerciale à objet civil, exclue de l’application du statut des baux commerciaux à ce titre. Mais l’activité d’enseignement fait partie des exceptions de L. 145-2 du Code de commerce. Les baux des locaux abritant des établissements d’enseignement sont, de plein droit, soumis au statut des baux commerciaux, quelle que soit la forme juridique sous laquelle le preneur exerce son activité. La SNC exploitait un établissement secondaire dans les lieux loués qui n’était l’objet d’aucune immatriculation secondaire ou complémentaire au RCS. Cette immatriculation n'est pas une condition pour bénéficier du statut des baux commerciaux lors du renouvellement en raison de l’activité exercée [24].

Enfin, certaines exceptions énumérées à l’article L. 145-2 du Code de commerce concernent des sociétés. Le statut s’applique aux baux d'immeubles abritant soit des sociétés coopératives ayant la forme commerciale ou un objet commercial, soit des sociétés coopératives de crédit, soit des Caisses d'épargne et de prévoyance. La société coopérative peut, en principe, avoir la forme d’une société commerciale ou civile :

- si elle a choisi la forme commerciale, le statut s’applique (peu importe la nature de son activité).

- si elle a choisi une forme civile mais que son objet est commercial, le statut s’applique également.

En revanche, si elle a une forme civile et un objet civil, le statut ne s’applique pas. Le cas de figure n’entre pas dans les prévisions légales.

  • Les GIE

Les GIE ont été institués par l’ordonnance n° 67-821 du 23 septembre. 1967. L’immatriculation est exigée pour bénéficier de la personnalité morale. La loi prévoit un mécanisme de reprise des engagements passés par un membre du GIE en formation, ce qui appelle les mêmes observations que celles formulées à propos des sociétés en formation.

L’article L. 251-4 du Code de commerce N° Lexbase : L6484AIY précise que l’immatriculation au RCS n’emporte aucune présomption de commercialité mais seulement la jouissance de la personnalité morale à compter de celle-ci. Sa nature sera civile ou commerciale suivant son objet.

Il est certain que le GIE de nature civile ne peut pas bénéficier du statut des baux commerciaux. Mais la jurisprudence avait considéré qu’il en allait de même du GIE de nature commerciale au motif qu’il n’a pas d’activité distincte de celle de ses membres, donc pas d’exploitation autonome et pas de fonds de commerce propre. La loi n° 89-377 du 13 juin 1989 a brisé cette jurisprudence : « le groupement d'intérêt économique dont l'objet est commercial peut faire de manière habituelle et à titre principal tous actes de commerce pour son propre compte. Il peut être titulaire d'un bail commercial ».

Il ne suffit cependant pas que le caractère commercial du GIE soit mentionné au RCS. Le groupement doit établir qu’il a une clientèle propre distincte de celle des membres qui le compose et donc d’un fonds de commerce.

Un GIE avait pour objet de « faciliter et de développer l'activité économique de ses membres, d'améliorer ou d'accroître les résultats de cette activité et notamment l'organisation de services administratifs, techniques et comptables ». Il avait pris à bail des locaux à usage de bureaux 103, rue Réaumur à Paris, communiquant avec ceux de son siège sis au 101 de la même rue pour lequel il est immatriculé au RCS. Le bénéfice du statut lui est refusé. Le GIE n'exploitait aucun fonds de commerce caractérisé par l'existence d'une clientèle propre puisqu’il n'avait pour clients que ses propres membres [25].

B. Les groupements ne pouvant s’immatriculer

La question de l’application du statut des baux commerciaux se pose en pratique pour les associations.

Les arrêts qui se prononcent directement et clairement sur cette possibilité sont rares et déjà anciens. Ils émanent de cours d’appel. La cour de Lyon a permis à une association de militaires de bénéficier du statut alors qu’elle n’avait aucune activité commerciale [26]. Celle de Paris s’est prononcée en sens inverse. Une association ne peut se prévaloir du statut faute d’exploiter un fonds de commerce régulièrement enregistré eu RCS [27].

La Cour de cassation n’a pas été amenée à prendre parti sur la question mais l’évolution de sa jurisprudence laisse supposer une réponse négative de sa part.

En 1988, elle a dénié la qualité de commerçant à une association qui exploitait un bar-restaurant depuis 1947. Le contrat de location-gérance n’était pas valable car, à cette époque, la possibilité de donner un fonds en location-gérance supposait que le loueur ait la qualité de commerçant dans les sept années précédant le contrat de location [28].

Par la suite, elle a décidé qu'une association ne peut s'inscrire au RCS. Elle a rejeté l'analyse selon laquelle l'immatriculation serait une obligation pour les personnes physiques et morales visées à l'article L. 123-1, actuel, du Code de commerce et constituerait une faculté pour les autres, notamment pour les associations qui exercent une activité commerciale [29]. Ultérieurement, un autre arrêt a fermé la porte à l’immatriculation d’une association au RCS en relevant que ce groupement n’entre dans aucune des catégories visées à l’article L. 123-1 [30].

Une association ne peut en conséquence revendiquer l'exercice des droits réservés aux commerçants. Elle ne peut en particulier se prévaloir du renouvellement des baux commerciaux. La doctrine est généralement en ce sens [31].

Pour certains auteurs, le texte de l’article L. 145-1 ne s’appliquerait pas à des locataires qui ne sont pas susceptibles d’immatriculation au RCS, ce qui est le cas des associations dont la publicité des formalités de constitution s’accomplit à la préfecture. Ils pourraient conclure un bail commercial dès lors que les autres conditions sont remplies [32]. Il faudrait encore que la jurisprudence admette qu’une association puisse exploiter régulièrement un fonds de commerce.

Par ailleurs, l'article L. 123-1, 5°, du Code de commerce réserve les hypothèses dans lesquelles d'autres personnes morales que celles déjà citées (essentiellement sociétés et GIE) doivent être immatriculées. Deux catégories d'associations sont concernées, celles effectuant habituellement des opérations de change manuel [33] et celles des associations ayant une activité économique et voulant émettre des valeurs mobilières.

S'agissant de ces dernières, l'immatriculation au RCS est un préalable à l'émission d'obligations [34]. L’immatriculation est précaire et la radiation doit intervenir dans l'année suivant le remboursement des obligations, au besoin d'office. Même si l'association conserve, par la suite, son activité, il semble qu'elle ne puisse plus être immatriculée.

Une association peut également exercer une activité relevant des exceptions posées à l’article L.145-2 du Code de commerce, par exemple, en exerçant une activité d’enseignement. Elle pourra ainsi invoquer le statut mais le droit à renouvellement est subordonné à la régularité de l’exploitation [35].

En l’état actuel du droit, il reste aux associations la possibilité d’une soumission volontaire au statut, soumission qui suppose évidemment l’accord du cocontractant.


[1] Loi du 30 juin 1926, art. 1er, JORF du 1er juillet 1926, p. 7210. L’article 18 visait également les établissements d’enseignement ainsi que les artisans et façonniers que les lois fiscales du 31 juillet 1917 et du 30 juin 1923 avaient exonérés de l’impôt sur les BIC.

[2] Décret n° 53-960, du 30 septembre 1953, art. 1er N° Lexbase : L9107AGE.

[3] La loi n° 57-6 du 5 janvier 1957 étendant le statut à tous les artisans a été insérée dans les dispositions du décret de 1953, JORF du 6 janvier 1957, p. 354.

[4] Cass. com., 15 juin 1964 N° Lexbase : A90669BE, Bull. civ., n° 306.

[5] C. com., art. R. 123-32 N° Lexbase : L8240L3L.

[6] Cass. civ. 3, 1er octobre 1997, n° 95-15.842, publié N° Lexbase : A1903ACH. Dans le même sens, Cass. civ. 3, 7 novembre 2001, n° 00-12.453, FS-P+B+I N° Lexbase : A0423AXX.

[7] Cass. civ. 3, 25 octobre 2018, n° 17-26.126, F-P+B+I N° Lexbase : A5407YI4, Loyers et copr., décembre 2018, comm. 253, note E. Chavance. Dans le même sens, Cass. civ. 3, 30 avril 1997, n° 94-16.158 N° Lexbase : A9908ABL – Cass. civ. 3, 1er octobre 1997, préc.

[8] Cass. civ. 3, 29 avril 1997, n° 95-11.785, inédit N° Lexbase : A6891AHP, RDI, 1997, p 499, note J. Dérruppé. Dans le même sens, Cass. civ. 3, 15 mai 1996, n° 94-16.908, publié N° Lexbase : A9941ABS.

[9] Cass. civ. 3, 22 janvier 2014, n° 12-26.179, FS-P+B N° Lexbase : A9846MCN, RTD com., 2014, p 311, note F. Kendérian ; Loyers et copr., n° 3, mars 2014, comm. 80, note E. Chavance.

[10] Cass. civ. 3, 24 novembre 2021, n° 19-25.251, FS-D N° Lexbase : A50717D8, D., 2022, p 1375, note F. Dumont ; AJDI, 2022, p 357, note P. Haas.

[11] Cass. civ. 3, 9 février 2005, n° 03-17.476, FS-P+B N° Lexbase : A6927DGN, AJDI, 2005, p. 658. Dans le même sens, Cass. civ. 3, 28 mai 2020, n° 19-15.001, FS-P+B+I N° Lexbase : A23013M8, Loyers et copr., 2020, comm. 85, note E. Marcet.

[12] Parfois en dehors de ce texte. Ainsi l’article R. 4322-88 du Code de la santé publique N° Lexbase : L5931LZP autorise le pédicure-podologue à se prévaloir du statut des baux commerciaux.

[13] Cass. com., 6 mai 1963, Bull. civ., n° 220.

[14] Cass. civ. 3, 16 février 2000, n° 98-15.842, publié eu bulletin N° Lexbase : A9341AT7.

[15] CA Versailles, 23 novembre 2000.

[16] C. com., art. L. 210-6 N° Lexbase : L5793AIEet L. 251-4 N° Lexbase : L6484AIY.

[17] C. civ., art. 1843 N° Lexbase : L2014AB9.

[18] Cass. com., 19 janvier 2022, n° 20-13.719, F-D N° Lexbase : A19517KH, Dr. sociétés, 2022, comm. 39, note R. Mortier ; JCP E, 2022, 1102, note J.­-D. Pellier – Cass. com., 21 octobre 2014, n° 13-22.428, F-D N° Lexbase : A0598MZ8, Dr. sociétés, 2015, comm. 23, obs. R. Mortier – Cass. com., 13 novembre 2013, n° 12-26.158, F-D N° Lexbase : A6189KPW, Bull. Joly Sociétés, 2014/2, p 67, note A. Constantin – Cass. com., 21 février 2012, n° 10-27.630, F-P+B N° Lexbase : A3197IDR, Bull. Joly Sociétés, 2012, [§ 270], p. 472, note B. Dondero ; Dr. sociétés, 2012, comm. 58 et JCP E, 2012, 1349, note R. Mortier

[19] Cass. com., 15 mai 2012, n° 11-16.069, F-D N° Lexbase : A6898IL3, RJDA, 2012/10, 854 ; JCP E, 2013, 1003, no 3, obs. P. Mousseron. En outre, la clause avait été maladroitement rédigée puisqu’elle faisait état d’une possibilité de substitution, mécanisme qui relève du droit commun des contrats. Dans le même sens, CA Douai, 17 mars 2022, n° 20/04258 N° Lexbase : A78257QU, Loyers et copr., 2022, n° 5, comm. 83, note E. Chavance

[20] Il s’agit des sociétés visées à l’article L. 210-1 du Code de commerce N° Lexbase : L5788AI9 : SNC, SCS, SARL, SA, SCA et SAS et SE.

[21] Cass. civ. 3, 5 mars 1971, n° 69-13.118, publié au bulletin N° Lexbase : A8347AHM, D., 1971, somm. p. 154 ; RTD com., 1971, p 1034, note R Houin. V. W. Jeandidier, L'imparfaite commercialité des sociétés à objet civil et à forme commerciale, D., 1979, chron. II, p. 7 et s., n° 10 et s.

[22]  F- X Vincensini, La commercialité, PUAM, 1998, n° 511.

[23] QE n° 14364 de M. Lapp Harry, JOANQ 23 mai 1994, réponse publ. 8 août 1994, p. 4063, 10ème législature N° Lexbase : L4366K89.

[24] Cass. civ. 3e, 21 février 2007, n° 06-11-832, FS P+B N° Lexbase : A4188DUN.

[25] CA Paris, 16ème ch., sect. B, 11 octobre 2002, AJDI, 2003, p. 262, obs. J.-P. Blatter. Dans le même sens, CA Paris, 16ème ch., sect. B, 24 mai 1995  – CA Paris, 16 ème ch., sect. B, 5 juillet 1990, D., 1991, somm. p. 371.

[26] CA Lyon, 1er mars 1972, Gaz. Pal., 1972, I, p 417.

[27] CA Paris, 16ème, sect. A, 7 mars 1989.

[28] Cass. com., 19 janvier 1988, n° 85-18.443, publié au bulletin N° Lexbase : A6708AAP, RTD com., 1988, p. 420, n°  2, obs. J. Derruppé ; RTD com., 1988, p. 465, n°  8, obs. E. Alfandari et M. Jeantin.

[29] Cass. com., 1er mars 1994, n° 92-13.529, publié au bulletin N° Lexbase : A6885ABM, JCP G, 1995, II, 22418, note J.-F. Kamdem ; Rev. sociétés, 1994, p. 502, note Y. Guyon ; D., 1994, jurispr. p. 528, note F. Coutant.

[30] Cass. com., 15 novembre 1994, n° 93-10.193, publié au bulletin N° Lexbase : A4914ACY, LPA, 26 juillet 1995, p. 47, note D. Gibirila ; RTD com., 1995, p. 155, obs. E. A. ; Dr. sociétés, 1995, comm. 24, obs. Th. Bonneau ; RJDA, 12/1994. V. J.‑F. Kamdem, Réflexions sur le registre du commerce et les associations exerçant une activité économique, D., 1996, chron. p. 213.

[31] F Dekeuwer-Défossez et E. Blary-Clément, Droit commercial, 12ème éd., LGDJ, 2019, n° 486 ; A. Reygrobellet et alii, La pratique des baux commerciaux, Dalloz Action, 6ème éd., 2021/2022, n° 741-43 ; M. -P. Dumont, Rép. Dalloz, Baux commerciaux, n° 62.

[32] Y. Guyon, Droit des affaires, tome 1, 11ème éd., Economica, 2002, n° 664 ; M. -P. Dumont, Rép. Dalloz, Baux commerciaux, n° 73.

[33] Qui doivent obtenir une autorisation délivrée par l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, C. mon. fin., art. L. 524-3 N° Lexbase : L2568IXE.

[34] C. mon. fin., art. L. 213-10, 1° N° Lexbase : L9902DYE et R. 213-21 N° Lexbase : L5112HCC.

[35] C’est-à-dire, à l’époque, à la déclaration prévue à l'article 5 de la loi n° 89-468 du 10 juillet 1989 relative à l'enseignement de la danse, Cass. civ. 3, 14 janvier 2004, n° 01-17.687, FS-P+B N° Lexbase : A7756DAI.

newsid:484253

Consommation

[Brèves] Charge de la preuve de l’accomplissement des obligations d’informations du Code de la consommation

Réf. : Cass. civ. 1, 1er février 2023, n° 20-22.176, F-B N° Lexbase : A01949BS

Lecture: 2 min

N4298BZ9

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par Claire-Anne Michel, Maître de conférences, Université Grenoble-Alpes, Centre de recherches juridiques (CRJ)

Le 08 Février 2023

► La preuve de l’accomplissement des obligations d’information incombant au professionnel en présence d’un contrat de démarchage à domicile (aujourd’hui contrat conclu hors établissement) incombe, en vertu de l’ancien article L. 121-17 du Code de la consommation (actuel article L. 221-7), au professionnel.

Pas un mois ne passe sans qu’au moins un arrêt traitant du formalisme informatif du Code de la consommation exigé à peine de nullité lorsque le contrat est conclu hors établissement ne soit publié. Le mois de février 2023 n’y fait pas exception.

Certes, en l’espèce, était en cause le formalisme en cause celui des anciens articles L. 121-18 et suivants du Code de la consommation, mais nul doute que la solution sera pleinement transposable sous l’empire des nouveaux textes (C. consom., art. L. 221-5 N° Lexbase : L1253MAN). En effet, la technique du formalisme ad validitatem demeure et, hier comme aujourd’hui, le législateur fait peser la charge de la preuve du respect de cette obligation sur le professionnel (C. consom., art. L. 221-7 N° Lexbase : L1578K7L ; anc. art. L. 121-17), dérogeant ainsi au principe posé par l’article 1353 du Code civil N° Lexbase : L1013KZK.

Faits et procédure. En l’espèce, invoquant la nullité du bon de commande pour non-respect de ce formalisme, l’acheteur avait produit devant les juges une copie incomplète du bon de commande. En conséquence, considérant ne pas pouvoir vérifier la conformité du bon avec les dispositions légales, les juges du fond avaient rejeté la demande en nullité (CA Agen, 3 juin 2020, n° 17/01573 N° Lexbase : A78283MU). Le pourvoi invoquait donc un renversement de la charge de la preuve contraire à la disposition légale prévue par le Code de la consommation.

Solution. La cassation de l’arrêt d’appel intervient non seulement au visa de la disposition spéciale contenue dans le Code de la consommation relatif à la question, mais également de l’ancien article 1315 du Code civil (dont l’article 1353 est l’héritier) : il incombe au professionnel « de rapporter la preuve de la régularité d’un (…) contrat (conclu hors établissement) au regard des mentions devant y figurer ».

Il ne s’agit là que d’une simple application de la disposition spéciale issue du Code de la consommation qui déroge au principe du droit commun. Eu égard à la fréquence du contentieux en matière de contrat conclu hors établissement, le rappel des principes gravés dans le marbre de la loi n’est pas inutile.

newsid:484298

Électoral

[Brèves] Membre du CA de la FDJ : pas d’incompatibilité avec le mandat de député !

Réf. : Cons. const., décision n° 2022-44 I, du 2 février 2023 N° Lexbase : A15929BL

Lecture: 2 min

N4236BZW

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par Yann Le Foll

Le 08 Février 2023

Les fonctions de membre du conseil d’administration de la fondation d’entreprise de La Française des jeux ne sont pas incompatibles avec un mandat de député.

Rappel. Aux termes du deuxième alinéa du paragraphe I de l’article L.O. 145 du Code électoral N° Lexbase : L7402LGA : « Sauf si le député y est désigné en cette qualité, sont incompatibles avec le mandat de député les fonctions de membre de conseil d’administration exercées dans les entreprises nationales et établissements publics nationaux … ».

En établissant une incompatibilité entre le mandat parlementaire et les fonctions de membre de conseil d’administration d’« entreprises nationales », le législateur a entendu interdire aux membres du Parlement d’exercer des fonctions dirigeantes au sein de ces entreprises.

En application de l’article 19 de la loi n° 87-571, du 23 juillet 1987, sur le développement du mécénat N° Lexbase : L8334AGR, « les sociétés civiles ou commerciales (…) peuvent créer, en vue de la réalisation d’une œuvre d'intérêt général, une personne morale, à but non lucratif, dénommée fondation d’entreprise ».

Position CConst. Dès lors, la fondation d’entreprise de La Française des jeux qui, aux termes de ses statuts, a pour objet « de favoriser l’égalité des chances », notamment en soutenant « des projets d’intérêt général destinés à des personnes en difficulté », n’a pas le caractère d’une entreprise nationale au sens de l’article L.O. 145 du Code électoral.

Décision. Dès lors, les fonctions de membre du conseil d’administration de la fondation d’entreprise de La Française des jeux exercées par la requérante ne sont pas incompatibles avec son mandat de députée (v. également Cons. const., décision n° 2018-37 I, du 12 avril 2018, pour la même solution concernant les fonctions de membre du conseil de surveillance de la société Aéroport de La Réunion Roland Garros N° Lexbase : A8015XK3).

Pour aller plus loin : v. ÉTUDE, Les élections parlementaires, Les incompatibilités du mandat de député avec certaines fonctions économiques, in Droit électoral (dir. G. Prunier), Lexbase N° Lexbase : E62947HL.

newsid:484236

Emploi

[Focus] Réforme de l’assurance chômage : les mesures issues de la loi « Marché du travail » et du décret d’application

Lecture: 31 min

N4273BZB

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par Laure Camaji, Maîtresse de conférences à l’IETL, Université Lyon 2, CERCRID

Le 08 Février 2023

Mots clés : assurance chômage • gouvernance • allocation d’aide au retour à l’emploi (ARE) • durée d’indemnisation • modulation • présomption de démission • refus de CDI • offres d’emploi

Issues de la loi « Marché du travail » du 21 décembre 2022 et du décret d’application du 26 janvier 2023, les règles de l’assurance chômage sont modifiées à compter du 1er février 2023. Elles actent l’autorisation temporaire donnée au Gouvernement de déterminer la réglementation du régime d’assurance chômage, par dérogation à la compétence des partenaires sociaux. La principale mesure consiste en la réduction de la durée de service de l’allocation d’aide au retour à l’emploi (ARE) de 25 %, sur la base d’une modulation en fonction du taux de chômage. Le « bonus-malus » sur la contribution patronale d’assurance chômage est prorogé jusqu’au 31 août 2024.  Enfin, l’allocation est supprimée dans deux nouvelles situations, à la parution d’un prochain décret : en cas de deux refus de CDI et en cas de jeu d’une « présomption de démission » à la suite d’un abandon volontaire de poste.


En matière d’assurance chômage, l’activité normative n’aura jamais été aussi intense que depuis le premier quinquennat d’Emmanuel Macron [1]. L’élan de « l’universalisation » [2] s’est rapidement essoufflé au profit d’un renforcement des sanctions et de mesures de réduction des droits aussi bien générales que ciblées sur les salariés en contrats courts [3].

Assumant une conception purement incitative des allocations chômage, le pouvoir exécutif entend orienter les comportements des salariés et des employeurs sur le marché du travail.

La réforme de 2019, pleinement mise en œuvre au 1er octobre 2021, se voulait en lutte contre le « choix » des salariés en faveur des contrats de courte durée.

La loi Marché du travail récemment adoptée [4], validée par le Conseil constitutionnel [5] et suivie d’un décret d’application [6], réduit les droits des demandeurs d’emploi au nom de l’objectif du « plein emploi » [7].

De l’avis de tous les commentateurs, cette accélération des réformes est au service d’un profond changement de logique. Elle produit une réglementation volumineuse et complexe, qui contribuera très probablement au maintien d’un taux élevé de non-recours aux allocations chômage [8].  

Au niveau institutionnel, l’État s’est imposé dans la gouvernance du régime au détriment des partenaires sociaux. La reprise en main par l’autorité politique a été aussi profonde que rapide : après un cadrage financier de la négociation de la convention d’assurance chômage [9] et la suppression de la cotisation sociale des salariés [10], le pilotage étatique s’affirme plus encore aujourd’hui avec l’autorisation temporaire donnée au Gouvernement de fixer les règles d’assurance chômage [11].  

Sur un plan plus substantiel, la logique assurantielle de cette couverture sociale a en grande partie disparu [12]. Selon l’Unédic, la réforme menée entre 2019 et 2021 a accentué la baisse du nombre de chômeurs indemnisés et la diminution du montant de l’allocation. En juin 2022, seuls 36,6 % des inscrits à Pôle emploi étaient indemnisés au titre de l’assurance chômage, contre 40,4 % en décembre 2021 ; quant au montant moyen des allocations versées, il est constaté une baisse de 16 % [13]. L’institution gestionnaire projette une nouvelle dégradation des droits résultant de la mise en œuvre de la réduction de la durée d’indemnisation nouvellement adoptée [14].

Les mesures issues de la loi « Marché du travail » et du décret d’application sont donc fidèles à la voie tracée depuis 2018.

Si elles se démarquent, c’est par la méthode dont usent les parlementaires et le pouvoir exécutif. L’approche instrumentale de l’assurance chômage est poussée jusqu’à bousculer des principes juridiques structurants du droit social. La réduction de la durée de service de l’allocation est orchestrée au moyen d’une modulation en fonction d’un indicateur économique, le taux de chômage. Quant à la limitation de l’accès à l’assurance chômage, elle passe par un infléchissement des règles encadrant la rupture du contrat de travail.

I. La nouvelle gouvernance de l’assurance chômage

En principe, la réglementation d’assurance chômage relève de la compétence des partenaires sociaux : les mesures d’application sont déterminées par voie d’accord collectif national interprofessionnel agréé par le Premier ministre [15]. Depuis la loi « Avenir professionnel » du 5 septembre 2018, cette négociation collective est devenue un exercice très encadré : un document de cadrage gouvernemental communiqué en amont impose aux organisations syndicales et patronales d’inscrire leur négociation dans une trajectoire financière, de respecter les objectifs d'évolution des règles qui leur sont fixés et d’aboutir dans un temps déterminé. Placée sous contraintes, la négociation interprofessionnelle a davantage de chances d’échouer : l’échec de la renégociation de la convention d’assurance chômage en 2019 a ainsi conduit le Gouvernement à établir la réglementation par voie de décret [16].

Au motif de l’urgence, le législateur n’a pas souhaité laisser les partenaires sociaux reprendre la main.

La réglementation issue du décret de 2019 prenait fin au 1er novembre 2022. Prolongée à l’identique jusqu’au 31 janvier 2023 durant l’examen du projet de loi « Marché du travail » [17], elle a fait l’objet d’une nouvelle prolongation [18]. Des modifications substantielles ont également été adoptées (v. ci-dessous).  

En ce qu’elle dérogeait aux règles de compétence exposées ci-dessus, l’intervention de l’exécutif devait être autorisée par le législateur : c’est l’objet de l’article 1er de la loi « Marché du travail », qui prévoit que, par dérogation aux dispositions du Code du travail, un décret en Conseil d'État détermine les mesures d'application des dispositions législatives relatives à l'assurance chômage pour la période allant du 1er novembre 2022 au 31 décembre 2023 au plus tard. Le décret du 26 janvier 2023 use pleinement de cette possibilité, en prorogeant les règles actuellement en vigueur jusqu’au 31 décembre 2023.

L’autorisation est censément temporaire, mais la rupture avec l’ère du paritarisme dans le domaine de l’assurance chômage semble bel et bien consommée. Théoriquement, les partenaires sociaux détiennent encore la capacité juridique de renégocier une nouvelle convention. Cela sera-t-il le cas ? Les prochains mois seront décisifs à cet égard.

Quoi qu’il en soit, l’autonomie des partenaires sociaux n’est déjà plus de mise. Aux termes de la loi « Marché du travail », le Gouvernement engagera dans l’année une concertation avec les partenaires sociaux sur la gouvernance de l'assurance chômage, suivie le cas échéant d'une négociation. Cette concertation s'appuiera sur un document d'orientation qui invitera les partenaires sociaux à négocier « notamment sur les conditions de l'équilibre financier du régime et sur l'opportunité de maintenir le document de cadrage ». Il découlera de cette concertation à venir la nouvelle organisation de l’assurance chômage, au sein de laquelle, à n’en pas douter, le rôle de l’État sera consolidé [19].

II.  Réduction de la durée d’indemnisation de l’allocation d’assurance chômage

Restreindre le droit à l’allocation chômage lorsque le taux de chômage est faible, le renforcer lorsqu’il est élevé : cette mesure phare souhaitée par le Gouvernement exigeait une modification législative. Le nouvel article L. 5422-2-2 du Code du travail N° Lexbase : L2126MGT autorise une modulation de l’indemnisation en fonction d’indicateurs économiques liés au marché du travail [20].

C. trav., art. L. 5422-2-2, nouveau N° Lexbase : L2126MGT : Les conditions d'activité antérieure pour l'ouverture ou le rechargement des droits et la durée des droits à l'allocation d'assurance peuvent être modulées en tenant compte d'indicateurs conjoncturels sur l'emploi et le fonctionnement du marché du travail.

Les modalités de mise en œuvre relèvent de la compétence réglementaire.

Les conditions retenues par le Gouvernement dans le décret du 26 janvier 2023 produisent une nouvelle réduction des droits à l’allocation d’assurance chômage par rapport à la réforme entrée en vigueur en 2021.

Bien que le texte autorise la variation de plusieurs paramètres d’indemnisation, le Gouvernement a finalement retenu son application à la seule durée de service de l’allocation. Contrairement à ce qui était attendu, le décret ne met pas en place une véritable modulation de la durée en fonction de l’état du marché du travail : il opère une baisse des droits, via un coefficient de conversion de 0,75 correspondant à une diminution de 25 % de la durée d’indemnisation initiale [21]. L’incidence de la conjoncture économique n’intervient que dans un second temps : un « complément de fin de droits » rétablit la durée d’indemnisation prévue par la réglementation de 2019 pour les allocataires dont l’indemnisation prend fin, dans le cas où la situation sur le marché du travail se dégrade au-delà d’un seuil [22]. En d’autres termes, ce complément supprime l’effet de la minoration vue ci-dessus.

Le complément de fin de droits est octroyé lorsque le chômage dépasse le niveau de 9 % durant un trimestre ou si le taux de chômage connaît une variation trimestrielle de 0,8 point ou plus à la hausse [23]. Il cesse d’être dû lorsque ces conditions ne sont plus satisfaites sur trois trimestres consécutifs (hausse trimestrielle de moins de 0,8 point ou taux de chômage inférieur à 9 %). Le taux de chômage retenu par le décret est celui du chômage pour la France (hors Mayotte) au sens du BIT, que l’INSEE publie chaque trimestre avec son évolution trimestrielle [24]. Un arrêté ministériel constate la réalisation des conditions dans les dix jours suivant la publication de l’INSEE.

Combien de chômeurs en France ?

Selon l’INSEE, au troisième trimestre 2022, le nombre de chômeurs au sens du BIT diminue de 17 000 par rapport au trimestre précédent, à 2,3 millions de personnes. Le taux de chômage au sens du BIT est ainsi quasi stable (- 0,1 point) à 7,3 % de la population active en France (hors Mayotte). Il oscille entre 7,3 % et 7,4 % depuis le quatrième trimestre 2021, à un niveau inférieur de 0,7 point à celui du troisième trimestre 2021 et de 0,9 point à celui d’avant la crise sanitaire (fin 2019) [25].

Selon la Dares-Pôle emploi, au quatrième trimestre 2022, en France métropolitaine, le nombre de personnes inscrites à Pôle emploi et tenues de rechercher un emploi (catégories A, B, C) s'établit à 5 113 400. Parmi elles, 2 834 000 personnes sont sans emploi (catégorie A) et 2 279 300 exercent une activité réduite (catégories B, C) [26].

Concrètement, une durée d’affiliation de 24 mois ouvrira droit à 18 mois d’indemnisation au lieu de 24 mois.

En adéquation avec la condition minimale d’affiliation de 6 mois nécessaire pour l’ouverture du droit, le plancher minimal de 6 mois d’indemnisation est conservé.

La mesure concerne les travailleurs privés d'emploi dont la fin de contrat de travail intervient à compter du 1er février 2023, à l'exception de ceux dont la date d'engagement de la procédure de licenciement est antérieure à cette date.

Elle ne distingue pas selon la situation du demandeur d’emploi : elle s’applique de manière générale à toutes les nouvelles ouvertures de droits, y compris concernant les seniors, pour lesquels la durée d’indemnisation maximale est plus longue (24 mois pour les moins de 53 ans, 30 mois pour les 53-54 ans et 36 mois pour les 55 ans et plus, durées désormais minorées de 25 %). Ces derniers sont donc parmi les personnes les plus impactées par la réforme, avec les travailleurs en emploi continu qui peuvent prétendre à la durée d’indemnisation maximale en raison de la stabilité de leur ancien emploi.

La mesure s’applique également de manière uniforme sur le territoire métropolitain, en dépit des fortes inégalités territoriales face au chômage. La seule exception concerne les départements et collectivités d’Outre-mer (en Guadeloupe, en Guyane, en Martinique, à la Réunion, à Saint-Barthélemy, à Saint-Martin ou à Saint-Pierre-et-Miquelon), où la mesure a été écartée [27].

Par exception aussi, les demandeurs d’emploi relevant des régimes spécifiques des intermittents du spectacle, des ouvriers dockers occasionnels, des marins-pêcheurs et des expatriés, ainsi que les bénéficiaires du contrat de sécurisation professionnelle, ne sont pas concernés.

III. Le « bonus-malus » sur la contribution patronale d’assurance chômage

Dans l’optique de lutter contre le recours abusif aux contrats courts, un dispositif de « bonus-malus » modulant le taux de contribution patronale d’assurance chômage en fonction du nombre de fin de contrats a été introduit par la loi « Avenir professionnel de 2018 » [28], sous l’impulsion des partenaires sociaux, eux aussi convaincus de la pertinence du modèle de la modulation des cotisations [29]. Les modalités, définies par décret [30], sont entrées en vigueur depuis le 1er septembre 2022[31]. Le dispositif arrivait à échéance le 31 janvier 2023 [32]. La loi Marché du travail autorise sa prolongation par décret en Conseil d’État jusqu’au 31 août 2024 (loi précitée, art 1 ; D. n°2023-33, 26 janv. 2023, art. 2).

La première modulation des contributions au titre du bonus-malus s’est appliquée à compter du 1er septembre 2022. Elle a été calculée à partir des fins de contrat de travail ou de missions d’intérim constatées entre le 1er juillet 2021 et le 30 juin 2022. Le nouveau décret fait courir cette période jusqu’au 31 août 2023.

Une deuxième période de modulation sera applicable du 1er septembre 2023 au 31 août 2024 et sera calculée à partir des fins de contrat de travail ou de missions d’intérim constatées entre le 1er juillet 2022 et le 30 juin 2023 [33]. Les taux modulés seront notifiés aux entreprises concernées au début du mois de septembre 2023 par l’URSSAF ou la MSA.

À noter

Le taux de la contribution chômage à la charge de l’employeur reste fixé à 4,05 % jusqu’au 31 décembre 2023. Le « bonus-malus » consiste à moduler ce taux à la hausse (malus), ou à la baisse (bonus), en fonction du taux de séparation des entreprises concernées. Ce taux de séparation correspond au nombre de fins de contrats de travail ou de missions d’intérim assorties d’une inscription à Pôle emploi, rapporté à l’effectif annuel moyen. Le montant du bonus ou du malus est calculé en fonction de la comparaison entre le taux de séparation des entreprises concernées et le taux de séparation médian de leur secteur d’activité, dans la limite d’un plancher (3 %) et d’un plafond (5,05 %).

Le décret ne modifie pas les contours du dispositif : il reste applicable aux entreprises de 11 salariés et plus, dont le taux de séparation moyen est supérieur à 150% et relevant des sept secteurs d’activité définis dans l’arrêté du 28 juin 2021.

Pour accompagner les entreprises éligibles au dispositif bonus-malus de l'assurance chômage, un guide du déclarant a été publié par l’URSSAF au printemps 2022. Il détaille les règles d'assujettissement, de calcul du taux modulé, de calendrier et de déclaration en DSN.

Bug informatique

Une erreur informatique a affecté les données relatives au taux de séparation de certaines entreprises concernées par le dispositif de bonus-malus. Cette erreur a faussé le calcul des taux médians par secteur publiés dans l’arrêté du 18 août 2022, ainsi que des taux de contribution d’assurance chômage notifiés à certains employeurs. Afin de les corriger, l’arrêté du 17 novembre 2022, abroge l’arrêté du 18 août 2022 et fixe de nouveaux taux médians par secteur applicables à compter du 1er décembre 2022 [34].

Afin de permettre aux entreprises de vérifier le calcul de la modulation, il est créé un droit de communication par l’URSSAF aux employeurs des données nécessaires à la détermination du nombre de fins de contrat de travail et de contrat de mise à disposition [35]. Les conditions seront établies dans un décret à paraître.

À ce titre, les données personnelles des demandeurs d’emploi inscrits à Pôle emploi seront transmises aux employeurs.

Cette nouvelle disposition est applicable aux taux notifiés aux employeurs pour les périodes courant à compter du 1er septembre 2022.

IV. Présomption de démission, fin de CDD : nouveautés concernant la rupture du contrat de travail

La loi « Marché du travail » acte la suppression du bénéfice de l’allocation d’assurance chômage dans deux nouveaux cas de rupture du contrat de travail.

Cependant, en l’absence de décret d’application, ces mesures ne sont pas encore applicables.

A. Présomption de démission en cas d’abandon de poste

Introduite dans le projet de loi par un amendement des députés Les Républicains (LR), une « présomption simple de démission » est désormais inscrite dans le Code du travail en cas d’abandon de poste [36].

Ce dispositif a un caractère incitatif assumé : selon les débats parlementaires, l’objectif est de limiter la pratique des abandons de poste en dissuadant les salariés de rechercher l’indemnisation d’assurance chômage par cette voie.

Toutefois, comme le résume parfaitement notre collègue Alexandre Fabre, « censée mettre fin à une pratique prétendument grandissante, cette mesure présente tous les inconvénients des dispositifs construits « en réaction » : intellectuellement, elle bouscule les repères ; techniquement, elle soulève moult interrogations, et pratiquement, elle risque de rester lettre morte » [37].

Elle remet en cause une règle jurisprudentielle solidement ancrée selon laquelle la démission exige une manifestation claire et non équivoque de volonté de mettre fin au contrat de travail.

Nous détaillons ici ce nouveau dispositif, bien qu’il ne soit pas encore applicable faute de décret d’application.

La présomption ne jouera que dans l’hypothèse d’un abandon volontaire de son poste par le salarié [38].

La difficulté consistera à apprécier le caractère « volontaire ». 

La loi n’en donnant pas de définition, les critères dégagés par la jurisprudence de la Cour de cassation trouveront à s’appliquer [39].

Ainsi, en cas d’absence « subie » par le salarié (en raison de son état de santé ou d’une situation familiale par exemple), ou d’absence « provoquée » par l’employeur (du fait d’un manquement de ce dernier à ses obligations, par exemple le non-paiement du salaire, une modification unilatérale du contrat de travail ou une dégradation des conditions de travail portant atteinte à la santé ou à la sécurité du salarié) ou encore en cas d’absence « légitime » (correspondant à l’exercice d’un droit : droit à congés, droit de grève, droit de retrait, etc.) [40], la volonté claire et non équivoque du salarié de démissionner ne pourra pas être retenue. Il paraît évident, dans ces situations, que le juge ne confirmera pas la démission et jugera au contraire qu’il s’agit d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

La loi prévoit des garanties de procédure.

L’employeur devra mettre en demeure le salarié de justifier son absence et de reprendre son poste, dans un délai fixé par ses soins qui ne pourra être inférieur à un délai minimal fixé par décret.

La mise en demeure devra prendre la forme d’une lettre recommandée avec accusé de réception ou d’une lettre remise en mains propres contre décharge.

À l’expiration du délai, sans reprise de son poste ni justification de l’absence, le salarié sera présumé démissionnaire.

Le contrat étant considéré comme rompu à cette date, l’employeur n’aura pas à engager une procédure de licenciement. Il devra simplement remettre les documents de fin de contrat.

Attention

En d’autres termes, en remettant les documents de fin de contrat, l’employeur « prendra acte » de la démission du salarié. S’il tarde à le faire, il n’est pas exclu que le juge considère qu’il a renoncé à se prévaloir de la présomption de démission.

Puisqu’il s’agit d’une démission, le salarié n’aura pas droit à un préavis [41] et il ne bénéficiera d’aucune indemnité de licenciement.

En toute logique et bien que le texte ne le précise pas, la qualification légale de « présomption de démission » autorisera l’employeur à sélectionner la « démission » comme motif de rupture du contrat de travail dans l’attestation Pôle emploi, sous réserve des précisions du futur décret.

Dès lors, ce mode de rupture privera le salarié de l’allocation chômage, sauf à démontrer qu’il entre dans l’une des situations de démission légitime au sens de la réglementation d’assurance chômage. 

À noter que l’article étant inséré dans un titre du Code du travail consacré à la rupture du CDI, ce dispositif ne pourra pas s’appliquer aux ruptures de contrat à durée déterminée.

Présomption de démission ou licenciement disciplinaire ?

Ce nouveau dispositif n’aura rien d’obligatoire : face à un abandon de poste sans juste motif, un employeur aura parfaitement le droit de privilégier la voie du licenciement pour faute grave. Toutefois, qu’en sera-t-il après le lancement de la procédure décrite ci-dessus ? La mise en demeure du salarié de justifier son absence et de reprendre le travail fera-t-elle obstacle à l’engagement d’une procédure de licenciement disciplinaire pour les mêmes faits ? Le texte n’apporte pas de précisions. On est enclin à penser que l’employeur aura tout de même la possibilité de prononcer un licenciement. Dans cette hypothèse, il ne pourra plus invoquer ultérieurement la démission de son salarié. 

La présomption est simple, ce qui signifie qu’elle pourra être renversée par le salarié.

La loi lui octroie expressément la possibilité de contester la rupture de son contrat de travail sur le fondement de cette présomption en saisissant le conseil de prud'hommes.

L'affaire sera directement portée devant le bureau de jugement (sans passage préalable devant le bureau de conciliation), qui statuera sur la nature de la rupture et les conséquences associées. D’après le texte, le conseil des prud’hommes se prononcera dans un délai d'un mois à compter de sa saisine [42]. Toutefois, vu l’encombrement des juridictions prud’homales, il est peu probable que ce délai soit tenu.    

Dans le cas où le juge considèrerait que la volonté du salarié de démissionner n’est pas caractérisée (par exemple, dans le cas d’un abandon de poste involontaire ou résultant de manquements avérés de l’employeur, ou d’un salarié empêché de justifier son absence), la rupture du contrat sera requalifiée et produira les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse. L’employeur sera donc condamné au paiement des sommes afférentes, a minima le préavis et les dommages-intérêts dans la limite du barème d’indemnisation. La sanction pourrait être bien plus lourde : on pense par exemple à l’invocation d’un préjudice pour perte de chance de bénéficier de l’allocation chômage [43] ou à la réintégration liée à un licenciement nul. Quant au salarié, il serait alors éligible aux indemnités versées par l’assurance chômage.

En l’absence de précision textuelle spécifique, il faut considérer que le salarié disposera d’un an à compter de la rupture du contrat de travail pour saisir le conseil des prud’hommes [44].

Ainsi, l’apparente simplicité de ce dispositif ne doit pas faire illusion :  il est source d’insécurités juridiques pour l’employeur

Selon Me Laure Mercier et Mme Gabrielle de Wailly :

« Il conviendra donc d’être particulièrement vigilant dans la mise en œuvre de ce dispositif, notamment dans certaines situations où :

  • l’employeur n’aurait pas nécessairement tous les éléments en sa possession pour apprécier le caractère volontaire de l’absence non autorisée du salarié. Tel serait notamment le cas du salarié hospitalisé pour une longue durée, qui serait dans l’incapacité de contacter son employeur et a fortiori de lui transmettre son arrêt de travail,
  • dans l’hypothèse où le salarié invoquerait un manquement de son employeur de nature à légitimer son absence à son poste » [45].

Les employeurs qui souhaiteront se saisir de la présomption de démission sont donc invités à la plus grande prudence.

B. Suppression de l’allocation d’assurance chômage en cas de refus de deux CDI

Selon la même logique d’incitation/sanction, le droit à l’allocation d’assurance chômage est (de nouveau) restreint pour les salariés en CDD [46].

Le demandeur d’emploi qui aura refusé deux propositions de CDI au cours des 12 mois précédents à l’issue d’un CDD ou d’un contrat d’intérim, pour le même emploi ou un emploi similaire, ne pourra pas prétendre à l’allocation d’assurance chômage sauf dans le cas où il aura été employé en CDI au cours de la même période [47].

Afin de permettre à Pôle emploi de vérifier ces refus, deux nouvelles obligations sont imposées à l’employeur :

  • la proposition d’emploi en CDI devra être communiquée par écrit au salarié à l’échéance du CDD ;
  • en cas de refus de la proposition, l’employeur devra en informer Pôle emploi en justifiant du caractère similaire de l’emploi proposé.

La loi impose les mêmes obligations à l’entreprise utilisatrice qui propose un CDI à l’issue d’un contrat d’intérim.

Le texte renvoie les modalités d’application à un décret qui n’est pas encore paru à ce jour. Dès lors, la mesure n’est pas encore applicable.

Bien que contraignante, cette procédure ne concernera que certaines hypothèses.

À l’issue d’un CDD, elle ne s’appliquera que si l’emploi en CDI proposé par l’employeur est :

  • « le même » ou « similaire » ;
  • assorti d’une rémunération au moins équivalente pour une durée de travail équivalente ;
  • relevant de la même classification ;
  • et sans changement du lieu de travail [48].

À l’issue d’un contrat d’intérim, elle ne s’appliquera que si l’emploi proposé par l’entreprise utilisatrice est : 

  • « le même » ou « similaire » ;
  • sans changement du lieu de travail [49].

La différence de rédaction peut laisser penser que le périmètre de l’obligation imposée à l’entreprise utilisatrice est plus large, car aucune condition de rémunération ou de classification n’est mentionnée dans l’article L. 1251-33-1 du Code du travail. Cependant, selon la jurisprudence, un emploi n’est pas « similaire » s’il modifie des éléments essentiels du contrat de travail (cf. encadré ci-dessous). On en conclut que l’obligation patronale est la même, qu’il s’agisse de salariés en CDD ou en intérim.

Ce nouveau dispositif appelle plusieurs remarques.

Du côté de l’employeur ou de l’entreprise utilisatrice, une exigence de transparence est posée. Les propositions de CDI répondant aux critères ci-dessus devront être formalisées par écrit. Sauf dispositions contraires du futur décret, le courrier devra donc mentionner les éléments principaux de l’emploi envisagé (poste, rémunération, durée du travail, classification, lieu de travail).

Pour des raisons de preuve, il sera conseillé d’adresser cette proposition par lettre recommandée avec accusé de réception.

Attention

Une difficulté pourra surgir à propos du caractère « similaire » de l’emploi proposé. La notion n’est pas inconnue du droit du travail (cf. le droit de retrouver le même emploi ou un emploi similaire au retour de congé maternité, congé parental d’éducation, congé sabbatique, etc.). La lettre du texte laisse toutefois songeur : la classification et le lieu de travail ne participeraient pas de la définition de l’« emploi similaire » au sens du présent dispositif. Or, d’après la jurisprudence, ils en sont des éléments, au même titre que la rémunération et la durée du travail. Il s’agit probablement d’une maladresse rédactionnelle, mais on peut aussi en conclure que le législateur attache une importance particulière à l’identité ou la similarité des fonctions proposées au salarié. Rappelons que dans les cas où le périmètre du poste est réduit ou accru, où le niveau de responsabilités est modifié, il ne s’agit pas d’un emploi similaire.   

Par ailleurs, ce nouveau régime cohabitera avec la règle classique selon laquelle « lorsque la relation contractuelle de travail se poursuit après l'échéance du terme du contrat à durée déterminée, celui-ci devient un contrat à durée indéterminée » [50]. La situation d’emploi est très proche puisque dans ladite situation, par hypothèse, le salarié continue d’occuper le même emploi. La seule différence avec le nouveau dispositif issu de l’article L. 1243-11-1 du Code du travail N° Lexbase : L2120MGM est qu’une proposition de CDI n’est pas expressément formulée : la transformation en CDI découle du seul fait de la continuation des relations contractuelles.

Comment articuler les deux régimes ? À notre sens, un employeur ne pourra pas se prévaloir de l’absence de proposition expresse de CDI pour échapper à la reconnaissance d’un CDI en cas de poursuite des relations contractuelles à l’issue du CDD. 

Du côté du salarié, la privation de l’allocation d’assurance chômage sera encourue en cas de deux refus de propositions de CDI dans les conditions décrites ci-dessus dans les 12 derniers mois. À s’en tenir à une lecture littérale du texte, les refus à la suite d’un CDD et à la suite d’un contrat d’intérim seront comptabilisés séparément. 

Le texte prévoit deux garde-fous :

  • Le droit à l’ARE demeurera ouvert si le salarié a été employé en CDI au cours de la même période de 12 mois.

Le législateur vise probablement des situations de cumul d’emplois à temps partiel (CDD/CDI) : le refus d’une proposition de CDI se comprend dans la mesure où il est déjà employé en CDI par ailleurs. Toutefois, en l’absence de toute autre précision dans l’article de loi, cela pourra aussi concerner un salarié qui aurait connu une alternance entre des contrats de très courte durée et un CDI rompu pour un quelconque motif, au cours des 12 derniers mois précédant la demande d’ouverture de droits à l’assurance chômage.

  • Le bénéfice de l’allocation sera aussi maintenu dans le cas où la dernière proposition d’emploi reçue ne sera pas conforme aux critères prévus par le projet personnalisé d’accès à l’emploi (PPAE) conclu avec Pôle emploi, à condition que ce projet ait été élaboré avant la date du dernier refus pris en compte [51].

Le renvoi au PPAE est bienvenu. Il est même essentiel pour garantir le respect du droit constitutionnel à l’emploi. En effet, le PPAE contient des indications déterminantes relatives au type d’emploi recherché, qui ne figurent pas dans les propositions de CDI décrites ci-dessus : en particulier, le demandeur d’emploi peut préciser s’il recherche un temps complet ou un temps partiel.

Ainsi, le PPAE devient la protection principale. Il permettra au demandeur d’emploi d’attester du caractère légitime du refus d’une proposition de CDI reçue à l’issue d’un contrat court accepté « faute de mieux », et qui ne correspondrait pas du tout à ses aspirations professionnelles quant au secteur d’activité, au poste, au niveau de rémunération, en particulier.

Néanmoins, il faut souligner que ce garde-fou est en réalité de faible efficacité.

D’une part, le texte impose que le PPAE ait été élaboré avant la date du dernier refus de proposition de CDI. Implicitement, cette garantie ne concernera donc que les demandeurs d’emploi déjà inscrits à Pôle emploi. En d’autres termes, elle vise les demandeurs d’emploi en catégorie B et C, qui continuent à s’actualiser auprès de Pôle emploi en parallèle de leurs contrats courts. C’est une première limite majeure.

D’autre part, dans la pratique, de nombreux demandeurs d’emploi n’ont pas connaissance de ce PPAE et ils n’ont jamais été invités à l’élaborer avec leur conseiller Pôle emploi, contrairement à ce qu’exige le Code du travail.

Finalement, la loi « Marché du travail » impose donc aux demandeurs d’emploi de veiller scrupuleusement au respect de leurs droits : il leur faudra demeurer inscrits à Pôle emploi (même s’ils ne peuvent prétendre à aucune indemnisation), contester une éventuelle désinscription et mettre en cause la responsabilité de Pôle emploi en cas de manquement dans l’élaboration du PPAE.  

En conclusion, on peut se demander si ce nouveau régime produira les effets incitatifs escomptés. Les salariés en contrats courts sont-ils souvent destinataires de propositions de CDI ? Les employeurs suivront-ils cette procédure assez contraignante, pour laquelle ils n’encourent aucune véritable sanction et dont la seule finalité est la privation de l’allocation d’assurance chômage de leur ancien salarié ?

La loi « Marché du travail » comprend d’autres dispositions relatives aux CDD.

Outre la prolongation du « bonus-malus » (voir ci-dessus), le texte réactive le CDD « multi-remplacements », prévu à titre expérimental par la loi « Avenir professionnel » de 2018.

Dans des secteurs définis par décret, les entreprises pourront conclure un seul CDD ou un seul contrat de mission pour remplacer plusieurs salariés absents, soit simultanément soit successivement. L’expérimentation est prévue pour deux ans à compter de la parution du décret définissant les secteurs concernés [52].

V. Offres d’emploi : rapports et modifications à venir

Enfin, la loi prévoit la remise de deux rapports en matière d’offres d’emploi, ce qui laisse présager de futures modifications législatives.

Le premier concerne l'application des dispositions relatives à l'offre raisonnable d'emploi et les évolutions constatées depuis l'entrée en vigueur de la loi « Avenir professionnel » de 2018. Établi par Pôle emploi, il devra être remis au Parlement dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la loi [53].

Le second porte sur le caractère conforme des offres d'emploi diffusées par Pôle emploi. Incombant au Gouvernement, il devra être remis au Parlement dans un délai d'un an à compter de la promulgation de la loi [54].


[1] Pour un aperçu des évolutions réglementaires depuis 1990, principalement issues des renégociations de la convention d’assurance chômage, voir Unédic, Evolution réglementaire. Convention d’assurance chômage 1990-2022, Références, 11 janvier 2023 [en ligne].

[2] La référence à l’« universalisation » est une facilité de langage employée par le pouvoir exécutif : en réalité, les mesures adoptées par les interlocuteurs sociaux (ANI, 22 février 2018) et intégrées au Code du travail par la loi « Avenir professionnel » (loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018, pour la liberté de choisir son avenir professionnel N° Lexbase : L9567LLW, art. 50 et art. 51) ont opéré une extension très limitée de la prise en charge par l’assurance chômage des salariés démissionnaires en reconversion professionnelle (sous la forme d’une ouverture du droit à l’ARE sous conditions) et des travailleurs indépendants (sous la forme d’une allocation forfaitaire financée par l’impôt, l’ATI). Sur la thématique de l’universalité en droit de la protection sociale, voir L. Isidro, L’universalité en droit de la protection sociale. Des usages aux visages, Droit social, 2018, p. 378.

[3] Décret n° 2018-1335 du 28 décembre 2018, relatif aux droits et aux obligations des demandeurs d'emploi et au transfert du suivi de la recherche d'emploi N° Lexbase : L6259LN7 ; décret n° 2019-797 du 26 juillet 2019, relatif au régime d'assurance chômage N° Lexbase : Z295748Q, modifié par décret n° 2021-346 du 30 mars 2021, portant diverses mesures relatives au régime d'assurance chômage N° Lexbase : L8885L3H ; décret n° 2021-843 du 29 juin 2021, portant diverses mesures relatives au régime d'assurance chômage N° Lexbase : L0225L7H et décret n° 2021-1251 du 29 septembre 2021, fixant la date d'entrée en vigueur de certaines dispositions du régime d'assurance chômage N° Lexbase : Z28828TL.

[4] Loi n° 2022-1598 du 21 décembre 2022, portant mesures d'urgence relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi N° Lexbase : L1959MGN.

[5] Cons. const., décision n° 2022-844 DC du 15 décembre 2022 N° Lexbase : A60038ZD.

[6] Décret n° 2023-33 du 26 janvier 2023, relatif au régime d'assurance chômage N° Lexbase : L6647MGB.

[7] La loi « Marché du travail » comporte également des dispositions relatives aux élections professionnelles et à la validation des acquis de l’expérience, non détaillées ici.

[8] Selon la DARES, entre 25 % et 42 % des salariés éligibles ne recourent pas à l’assurance chômage, un taux comparable à celui observé pour d’autres prestations sociales. C. Hentzgen, C. Pariset, K. Savary, E. Limon, Quantifier le non-recours à l’assurance chômage, DARES, document d’études n° 263, octobre 2022 [en ligne].

[9] Loi « Avenir professionnel », préc. ; C. trav., art. L. 5422-20-1 N° Lexbase : L9775LLM.

[10] Loi n° 2017-1836 du 30 décembre 2017, de financement de la Sécurité sociale pour 2018, art. 8 N° Lexbase : L7951LHX, substitution par des points de CSG.

[11] Loi « Marché du travail », art. 1.

[12] En ce sens, voir not. : en droit, J.-Y. Kerbourc’h, Indemnisation du chômage et déclin de la logique assurantielle, Droit social, 2018, p. 607 ; L. Camaji, Le délitement de la logique salariale de l’assurance chômage, Droit ouvrier, 2020, p. 284 ; L. Isidro, La réforme de l’assurance chômage, en trois dimensions, RDT, 2021, p. 581 ; S. Tournaux, La profonde déstabilisation du droit du chômage, RDSS, 2022, p. 147 ; L. Joly, La libéralisation de l'assurance chômage, RDT, 2022, p. 619 ; en économie et sociologie : M. Grégoire, Réforme de l'assurance chômage : vers la fin de la couverture assurancielle de la privation d'emploi, RDT, 2021, p. 364 ; H. Sterdyniak, Défendre et développer l’assurance chômage, Note des économistes atterrés, janvier 2021 ; C. Carbonnier, Moduler l’assurance chômage, un nouvel exemple des méfaits du faux bon sens, billet de blog, 27 septembre 2022 [en ligne] ;

[13] Assurance chômage : les allocations s'effondrent avec la dernière réforme, latribune.fr, 22 décembre 2022 [en ligne]. Le montant moyen de l’allocation d’aide au retour à l’emploi, 960 euros mensuels, est aujourd’hui inférieur au seuil de pauvreté. La réforme de 2019 est constitutive d’un effondrement historique de l’indemnisation pour les salariés à l’emploi discontinu, selon M. Grégoire, C. Vivès, J. Deyris, Quelle évolution des droits à l’assurance chômage ? (1979-2020), IRES, mai 2020 [en ligne].

[14] Réforme de l’assurance chômage : « Le Gouvernement n’a aucune préoccupation des conditions de travail et de rémunération des salariés », interview de Claire Vivès, Libération, 29 décembre 2022 [en ligne].

[15] C. trav., art. L. 5422-20 N° Lexbase : L0240LMT et suiv..

[16] Décret n° 2019-797 du 26 juillet 2019, préc..

[17] Décret n° 2022-1374 du 29 octobre 2022, préc., art. 1.

[18] Décret n° 2023-33 du 26 janvier 2023, préc., art. 1.

[19] Sur les fondements constitutionnels de l’intervention des partenaires sociaux dans l’assurance chômage, voir l’avis rendu par le Conseil d’État sur le projet de loi Marché du travail (CE, avis, 5 sept. 2022, n°405.699).

[20] Loi n° 2022-1598 du 21 décembre 2022, préc., art. 2.

[21] Décret n° 2023-33 du 26 janvier 2023, préc., art. 2 ; décret n° 2019-797 du 26 juillet 2019, préc., annexe A, art. 9, § 1, 1°, al. 2.

[22] Décret n° 2023-33 du 26 janvier 2023, préc., art. 2 ; décret n° 2019-797 du 26 juillet 2019, préc., annexe A, art. 9, §1, 2°, modif.

[23] Décret n° 2023-33 du 26 janvier 2023, préc., art. 2 ; décret n° 2019-797 du 26 juillet 2019, préc., annexe A, art. 9 bis, nouveau.

[24] Le choix de cet indicateur favorise la réduction des droits. En effet, en France, le taux de chômage au sens du BIT est très largement inférieur au nombre d’inscrits sur la liste des demandeurs d’emploi, c’est-à-dire au taux de chômage au sens de la Dares-Pôle emploi.

[25] Au troisième trimestre 2022, le taux de chômage reste quasi stable, à 7,3 %, INSEE, Informations rapides n° 295, 15 novembre 2022 [en ligne].

[26] Demandeurs d'emploi inscrits à Pôle emploi au 4e trimestre 2022, Dares indicateurs n° 4, 25 janvier 2023 [en ligne].

[27] Décret n° 2023-33 du 26 janvier 2023, préc., art. 2 ; décret n° 2019-797 du 26 juillet 2019, préc., annexe A, art. 9, § 1, 3°, modif.

[28] Loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018, préc., art. 52 ; C. trav., art. L. 5422-12, al. 2 N° Lexbase : L2127MGU.

[29] Contrairement à ce que le traitement médiatique le laissait entendre, cette réforme n’a pas constitué une innovation majeure en rupture avec le régime antérieur : voir C. Willmann, « Nouveau régime des cotisations d’assurance chômage : la modulation, une vraie fausse rupture », Lexbase n°793 du 5 sept. 2019.

[30] Décret n° 2019-797 du 26 juillet 2019, préc., spéc. art. 50-9 de l'annexe A.

[31] Le bonus-malus issu du décret du 26 juillet 2019 a été annulé par le Conseil d’État pour des raisons procédurales : CE, 1° et 4° ch.-r., 15 décembre 2021, n° 452209, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A52827GQ. Il a été réintroduit par le décret n° 2021-346 du 30 mars 2021 N° Lexbase : L8885L3H.

[32] Décret n° 2022-1374 du 29 octobre 2022, prorogeant temporairement les règles du régime d'assurance chômage N° Lexbase : L7239MET.

[33] Décret n° 2023-33 du 26 janvier 2023, préc., art. 2 ; décret n° 2019-797 du 26 juillet 2019, art. 51 de l'annexe A, modif.

[35] Loi n° 2022-1598 du 21 décembre 2022, préc., art. 5 ; C. trav., art. L. 5422-12, al. 8, nouveau N° Lexbase : L2127MGU.

[36] Loi n° 2022-1598 du 21 décembre 2022, préc., art. 4 ; C ; trav., art. L. 1237-1-1, nouveau N° Lexbase : L2119MGL.

[37] A. Fabre, Abandon de poste = présomption de démission. Une équation à plusieurs inconnues, JCP S, 2023, étude n° 1000. V. aussi L. Bento de Carvalho, Démission sur un coup de texte,  SSL, n° 2018, 24 octobre 2022 ; Ch. Radé, La peur de l’abandon, Droit social, 2022, p. 857 ; A. Lyon-Caen, Démission, RDT, 2022, p. 611 ; G. Duchange, I. Meftah, La démission sans volonté de démissionner : quels effets aura cet Objet Juridique Non Identifié ?, RDT, 2022, p. 685.

[38] C. trav., art. L. 1237-1-1, al. 1, nouveau N° Lexbase : L2119MGL.

[39] Le Conseil constitutionnel l’indique expressément dans sa décision (Cons. const., décision n° 2022-844 DC du 15 décembre 2022 N° Lexbase : A60038ZD).

[40] A. Fabre, étude précitée.

[41] Le salarié restera-t-il débiteur d’un préavis ? En l’absence d’exclusion expresse, il est probable qu’il le sera. L’employeur serait ainsi fondé à agir en justice afin d’être indemnisé du préjudice résultant de sa non-exécution. En revanche, il ne pourra en aucun cas retenir la somme correspondante sur le solde de tout compte.

[42] C. trav., art. L. 1237-1-1, al. 2, nouveau N° Lexbase : L2119MGL.

[43] A. Fabre, étude précitée.

[44] C. trav., art. L. 1471-1 N° Lexbase : L1453LKZ.

[45] L. Mercier, G. de Wailly, « La présomption de démission en cas d’abandon de poste volontaire du salarié : un nouvel outil pour l’employeur », Lexbase Social n°930, 12 janvier 2023.

[46] Le droit à l’ARE des salariés en emploi discontinu a déjà été lourdement affecté par le changement du mode de calcul du SJR issu de la réforme de 2019-2021. Sur cet aspect, voir L. Camaji, étude précitée ; M. Grégoire, étude précitée. 

[47] Loi n° 2022-1598 du 21 décembre 2022, préc., art. 2 ; C. trav., art. L. 5422-1, al. 5, nouveau N° Lexbase : L2125MGS.

[48] C. trav., art. L. 1243-11-1, nouveau N° Lexbase : L2120MGM.

[49] C. trav., art. L. 1251-33-1, nouveau N° Lexbase : L2121MGN.

[50] C. trav., art. L. 1243-11 N° Lexbase : L1475H9I.

[51] C. trav., art. L. 5422-1, al. 5, nouveau N° Lexbase : L2125MGS.

[52] Loi n° 2022-1598 du 21 décembre 2022, préc., art. 6.

[53] Loi n° 2022-1598 du 21 décembre 2022, préc., art. 13.

[54] Loi n° 2022-1598 du 21 décembre 2022, préc., art. 14.

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Expropriation

[Chronique] Chronique de droit de l’expropriation – Janvier 2023

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N4242BZ7

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par Pierre Tifine, Professeur de droit public à l’Université de Lorraine, Directeur scientifique de Lexbase Public, Doyen de la faculté de droit, économie et administration de Metz

Le 06 Février 2023

Lexbase Public vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique d’actualité de droit de l’expropriation rédigée par Pierre Tifine, Professeur à l’Université de Lorraine et Doyen de la faculté de droit économie et administration de Metz. Dans la première décision commentée, le Conseil d’Etat apporte des précisions utiles sur le traitement fiscal de l’indemnité provisionnelle d’expropriation (CE, 9°-10° ch. réunies, 3 juin 2022, n° 452708, mentionné aux tables du recueil Lebon). La Cour de cassation rappelle les règles applicables afin de déterminer la date de référence pour l’évaluation des biens soumis à un droit de préemption (Cass. civ. 3, 12 octobre 2022, n° 21-19.070, F-D). Elle précise ensuite que la promesse de l’Etat de rétablir un accès ne doit pas conduire à écarter l’existence d’un préjudice de dépréciation des reliquats des parcelles partiellement expropriées (Cass. civ. 3, 12 octobre 2022, n° 21-21.506, F-D). Elle rappelle certaines modalités du contrôle opéré par le juge de l’expropriation sur les pièces qui lui sont transmises par le préfet dans le cadre de la procédure de transfert de propriété des bien expropriés (Cass. civ. 3, 14 décembre 2022, n° 21-24.404, F-D). Elle rappelle enfin qu’un procès-verbal d’arpentage doit être préalablement réalisé en cas d’expropriation partielle impliquant de modifier les limites des terrains (Cass. civ. 3, 14 décembre 2022, n° 21-23.034, F-D).

Sommaire

I. Traitement fiscal d’une indemnité provisionnelle d’expropriation

CE, 9°-10° ch. réunies, 3 juin 2022, n° 452708, mentionné aux tables du recueil Lebon

II. Détermination de la date de référence pour l’évaluation des biens soumis à un droit de préemption

Cass civ. 3, 12 octobre 2022, n° 21-19.070, F-D

III. La promesse de l’Etat de rétablir un accès ne doit pas conduire à écarter l’existence d’un préjudice de dépréciation des reliquats des parcelles partiellement expropriées

Cass. civ. 3, 12 octobre 2022, n° 21-21.506, F-D

IV. Contrôle du juge de l’expropriation sur les pièces qui lui sont transmises par le préfet dans le cadre de la procédure de transfert de propriété des bien expropriés

Cass. civ. 3, 14 décembre 2022, n° 21-24.404, F-D

V. Un procès-verbal d’arpentage doit être préalablement réalisé en cas d’expropriation partielle impliquant de modifier les limites des terrains

Cass. civ. 3, 14 décembre 2022, n° 21-23.034, F-D


I. Traitement fiscal d’une indemnité provisionnelle d’expropriation (CE, 9°-10° ch. réunies, 3 juin 2022, n° 452708, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A99777Y8)

Les articles L. 232-1 N° Lexbase : L7964I4Q et suivants du Code de l’expropriation organisent une procédure d’urgence qui permet au juge de l’expropriation d’autoriser l’expropriant à prendre immédiatement possession des biens. Dans ce cas, le juge peut fixer le montant des indemnités, conformément aux règles de droit commun visées par l’article L. 321-3 du même code N° Lexbase : L7989I4N. Toutefois, « s’il ne s’estime pas suffisamment éclairé » il a la possibilité de « fixer le montant d’indemnités provisionnelles et autoriser l’expropriant à prendre possession moyennant le paiement ou, en cas d’obstacle au paiement, la consignation des indemnités fixées ».

En l’espèce, la société concessionnaire Autoroutes du sud de la France avait pour projet la réalisation du dédoublement de l’autoroute A9. Par un jugement du 16 octobre 2012, le juge de l’expropriation avait fixé le montant de l’indemnité provisionnelle due par l’expropriante à la société D3P et autorisé celui-ci à prendre immédiatement possession des biens expropriés. Le montant définitif de l’indemnité d’expropriation avait été fixé amiablement entre les parties par un accord intervenu le 10 avril 2013.

La société D3P avait ensuite déduit extra comptablement le montant de cette indemnité du résultat imposable de son exercice clos le 31 décembre 2013, estimant qu'elle n’était pas imposable. Mais à l’issue d'une vérification de comptabilité, l’administration fiscale avait retenu le caractère imposable de cette indemnité d’expropriation au titre des plus-values professionnelles, ce qui avait conduit au redressement de la société.

La question se posait en l’espèce du traitement fiscal de l’indemnité provisionnelle versée à la société : convient-il de prendre en compte l’exercice au cours duquel intervient le jugement fixant cette indemnité ou celui au titre duquel intervient, le cas échéant, la détermination de l’indemnité définitive ? Le Conseil d’Etat considère ici que le caractère provisionnel de l’indemnité est sans incidence, eu égard à la portée de la décision du juge de l’expropriation, sur le fait qu’il s’agit d’une créance acquise pour un montant déterminé à la date du jugement en ordonnant le paiement. Il s’ensuit qu’en se fondant sur son caractère provisoire et non définitif pour juger que l’indemnité provisionnelle fixée par la décision du juge de l’expropriation du 16 octobre 2012 n’était pas rattachable à l'exercice 2012, la cour administrative de Marseille a commis une erreur de droit.

II. Détermination de la date de référence pour l’évaluation des biens soumis à un droit de préemption (Cass civ. 3, 12 octobre 2022, n° 21-19.070, F-D N° Lexbase : A56528PZ)

Pour le calcul des indemnités, la détermination de la date de référence revêt une importance particulière dans la mesure où elle permet de déterminer l’usage effectif des biens expropriés. Cette notion d’usage effectif permet d’éviter que l’évaluation faite au jour du jugement de première instance prenne en compte les hausses spéculatives que peut provoquer la perspective d’un changement d’utilisation de l’immeuble. L’usage du bien est en conséquence apprécié à une date dite « de référence », où l’on présume que le projet n’était pas connu. Le principe défini par l’article L. 322-2 du Code de l’expropriation N° Lexbase : L9923LMH est que seul est pris en considération l’usage effectif des immeubles et droits réels immobiliers un an avant l’ouverture de l'enquête.

Ce principe général connaît toutefois un certain nombre d’exceptions, notamment dans le cas où le bien est soumis à un droit de préemption. L’article L. 213-6 du Code de l’urbanisme N° Lexbase : L1310LDU précise que dans cette hypothèse, la date de référence est celle prévue à l’article L. 213-4 du Code de l’urbanisme N° Lexbase : L8209I4S, c’est-à-dire la date à laquelle est devenu opposable aux tiers le plus récent des actes rendant public, approuvant, révisant ou modifiant le plan d’occupation des sols ou approuvant, modifiant ou révisant le plan local d’urbanisme et délimitant la zone dans laquelle est situé le bien [1].

Il faut toutefois préciser que pour la Cour de cassation « la modification de la délimitation de la zone dans laquelle se situe le bien exproprié n’est pas une condition nécessaire à la prise en considération comme date de référence de la date de modification d’un plan d’occupation des sols concernant cette zone ». En d’autres termes, la seule modification des caractéristiques de la zone dans laquelle est situé le bien exproprié, sans rapport avec sa délimitation géographique, doit être prise en compte pour déterminer la date de référence [2]. Il a ainsi été jugé que la modification du plan local d’urbanisme permettant la détermination de la date de référence est « celle qui affecte une ou plusieurs caractéristiques de la zone dans laquelle sont situés les biens expropriés, y compris lorsqu’elle n’affecte pas leur classement » [3]. A l’opposé, un acte modificatif du plan local d’urbanisme ne peut être retenu pour déterminer la date de référence s’il apparaît que même si cette modification a modifié le périmètre de la zone dans laquelle était située la parcelle expropriée, elle n’a pas affecté les « caractéristiques » de cette zone [4].

Dans la présente affaire, pour fixer la date de référence au 22 octobre 2007, date d’approbation du plan local d’urbanisme, la cour d’appel avait retenu que l’acte révisant le plan local d’urbanisme du 13 février 2019 ne délimite pas la zone d’aménagement concerté de « l’écoquartier des Orfèvres » où sont situées les parcelles expropriées, traitée comme un secteur à part entière déjà délimité, cette modification s’inscrivant dans la suite de l’aménagement de la zone d’aménagement concerté, de sorte que cet acte modificatif ne peut être retenu pour fixer la date de référence.

La Cour de cassation considère que « alors que la modification du plan local d’urbanisme à prendre en compte pour déterminer la date de référence est celle qui affecte une ou plusieurs caractéristiques de la zone dans laquelle sont situés les biens expropriés, y compris lorsqu’elle n’en affecte pas la délimitation, la cour d’appel, qui avait constaté que la révision du plan local l’urbanisme du 13 février 2019 modifiait les caractéristiques de la zone dans laquelle étaient situées les parcelles expropriées » a violé les dispositions susvisées du Code de l’urbanisme

III. La promesse de l’Etat de rétablir un accès ne doit pas conduire à écarter l’existence d’un préjudice de dépréciation des reliquats des parcelles partiellement expropriées (Cass. civ. 3, 12 octobre 2022, n° 21-21.506, F-D N° Lexbase : A57278PS)

L’article L. 321-1 du Code de l’expropriation N° Lexbase : L7987I4L précise que « les indemnités allouées couvrent l’intégralité du préjudice direct, matériel et certain causé par l’expropriation ». Le caractère intégral de la réparation du préjudice implique qu’en dehors de l’indemnité principale, qui représente la valeur patrimoniale de l’élément du bien qui fait l’objet de la procédure, l’exproprié perçoive des indemnités accessoires, correspondant aux divers chefs de préjudice annexes subis par lui.

En l’espèce, pour limiter l’indemnité allouée à l’exproprié, une cour d’appel avait retenu qu’il n’était pas justifié d’un préjudice de dépréciation des reliquats des parcelles partiellement expropriées, dès lors que l’Etat avait pris l’engagement de rétablir la RD 220 donnant accès à l’une des parcelles et de rétablir l’accès d’une autre parcelle par un ouvrage de franchissement. En statuant ainsi, pour conclure à l’absence de préjudice, motif pris du seul engagement de l’expropriant d’exécuter des travaux futurs destinés à réparer en nature le préjudice de dépréciation subi par l’exproprié, la cour d’appel a violé l'article L. 321-1 du Code de l’expropriation.

IV. Contrôle du juge de l’expropriation sur les pièces qui lui sont transmises par le préfet dans le cadre de la procédure de transfert de propriété des bien expropriés (Cass. civ. 3, 14 décembre 2022, n° 21-24.404, F-D N° Lexbase : A98438ZL)

La métropole de Lyon conteste l’ordonnance du juge de l’expropriation du département du Rhône qui a refusé de prononcer l’expropriation d’un immeuble appartenant à une société civile immobilière [5]. On rappellera que le juge de l’expropriation, dans le cadre de cette procédure de transfert de propriété opère un contrôle purement formel des pièces qui lui sont transmises par le préfet, telles que ces pièces sont énumérées par l’article R. 221-1 du Code de l’expropriation N° Lexbase : L2104I73, ce qui implique notamment qu’il n’a pas à se prononcer sur la légalité des actes administratifs visés par ce texte [6].

Selon cet article le dossier transmis au greffe de la juridiction compétente par les services préfectoraux contient :

- l’acte déclarant l’utilité publique de l’opération et, éventuellement, de l’acte le prorogeant ;

- le plan parcellaire des terrains et bâtiments ;

- l’arrêté préfectoral d’ouverture de l’enquête parcellaire ;

- les pièces justifiant de l’accomplissement des formalités tendant aux avertissements collectifs et aux notifications individuelles prévues aux articles R. 131-5 N° Lexbase : L2083I7B, R. 131-6 N° Lexbase : L2084I7C et R. 131-11 N° Lexbase : L2089I7I, sous réserve de l’application de l'article R. 131-12 N° Lexbase : L2090I7K ;

- le procès-verbal établi à la suite de l'enquête parcellaire ;

- L’arrêté de cessibilité ou de l'acte en tenant lieu, pris depuis moins de six mois avant l’envoi du dossier au greffe.

Dans la présente affaire, ce qui est en cause, ce sont les avertissements collectifs relatifs à l’enquête parcellaire qui démontreraient, comme le précise l’ordonnance contestée, une insuffisance des mesures mises en œuvre par l’expropriant. Plus précisément, ce qui est soulevé, c’est la violation des dispositions de l’article R. 131-5 du Code de l’expropriation qui précise que l’avis relatif à l’ouverture de l’enquête parcellaire est « inséré en caractères apparents dans l’un des journaux diffusés dans le département ».

Sur ces questions, il a par exemple déjà été jugé qu’encourrait la cassation une ordonnance d’expropriation visant un exemplaire d’un journal publié dans le département contenant l’avis de l’enquête parcellaire, dès lors qu’aucun exemplaire de ce journal ne figurait au dossier, ce qui ne permettait pas à la Cour de vérifier si l’avis ainsi inséré comporte les mentions essentielles prévues par l’actuel article R. 131-5 du Code de l’expropriation N° Lexbase : L2083I7B [7].

En l’espèce, après avoir visé les avis parus dans le journal « Le Progrès » les 13 et 27 mars 2018, l’ordonnance avait retenu qu’en matière d’expropriation, une annonce légale doit paraître dans deux journaux départementaux différents. En statuant ainsi, alors qu’est seulement exigée l’insertion d’un avis dans l’un des journaux diffusés dans le département, et non dans deux journaux différents, le juge de l’expropriation a violé les textes susvisés. Visiblement, le juge de l’expropriation avait opéré une confusion entre les mesures de publicité qui doivent être accomplies au moment de l’ouverture de l’enquête parcellaire et celles prévues dans le cadre de l’ouverture de l’enquête publique préalable à la déclaration d’utilité publique, l’article R. 112-14 du Code de l’expropriation N° Lexbase : L2055I7A exigeant une publication de l’avis au public l’informant de l’ouverture de l’enquête dans « deux journaux régionaux ou locaux diffusés dans tout le département ou tous les départements concernés ».

V. Un procès-verbal d’arpentage doit être préalablement réalisé en cas d’expropriation partielle impliquant de modifier les limites des terrains (Cass. civ. 3, 14 décembre 2022, n° 21-23.034, F-D N° Lexbase : A96218ZD)

Il résulte des dispositions combinées de l’article R. 223-1 du Code de l’expropriation N° Lexbase : L2112I7D et de l’article 7 du décret n° 55-22 du 4 janvier 1955, portant réforme de la publicité foncière N° Lexbase : L9182AZ4, que lorsqu’un arrêté de cessibilité déclare cessibles des parties de parcelles, ce qui implique de modifier les limites des terrains concernés, un document d’arpentage doit être préalablement réalisé afin que l’arrêté de cessibilité désigne les parcelles concernées conformément à leur numérotation issue de ce document. Le défaut d’accomplissement de cette obligation, qui constitue une garantie pour les propriétaires concernés par la procédure d’expropriation, entache d’irrégularité l’arrêté de cessibilité qui doit désigner les parcelles concernées conformément à leur numérotation issue de ce document [8].

En cas d’expropriation partielle impliquant de modifier les limites des terrains, un état parcellaire annexé à l’ordonnance d’expropriation n’est pas donc pas suffisant. En l’absence de document d’arpentage, l’ordonnance d’expropriation est entachée d’un vice de forme et doit être cassée [9]. C’est cette solution qui est confirmée dans la présente affaire par la Cour de cassation. Elle juge qu’en ordonnant l’expropriation au profit de la commune d’une partie d’une parcelle cadastrée en l’absence de document d’arpentage désignant la parcelle issue de cette division et faisant l’objet de l’expropriation partielle, le juge de l’expropriation a violé les articles R. 221-4 N° Lexbase : L2107I78, R.132-2 N° Lexbase : L2094I7P, R.132-3 N° Lexbase : L2095I7Q du Code de l’expropriation et l’article 7 du décret n° 55-22 du 4 janvier 1955, portant réforme de la publicité foncière.

 

[1] Cass. civ. 3, 10 juillet 2002, n° 01-70.229, FP-B N° Lexbase : A0931AZI, Bull. civ. III, n° 166, AJDI, 2002, p. 871, note R. Hostiou, JCP éd. G, 2002, IV, comm. 2560 et II, comm. 10196, note A. Bernard. ; Cass. civ. 3, 11 octobre 2006, n° 05-13.053, FS-P+B N° Lexbase : A7768DR7 et n° 05-13.595, FS-P+B N° Lexbase : A7768DR7, Bull. civ. III, n° 197, AJDA, 2006, p. 2301 ; Cass. civ. 3, 10 mai 2007, n° 05-20.623, FS-P+B N° Lexbase : A1099DWM, Bull. civ. III, n° 76, AJDI, 2008, p. 135, note F. Lévy ; Cass. civ. 3, 28 janvier 2009, n° 08-10.333, FS-P+B N° Lexbase : A9610ECW, RD imm., 2009, p. 223 et 348, obs. X. Morel.

[2] Cass. civ. 3, 17 septembre 2014, n° 13-20.076, FS-P+B N° Lexbase : A8529MWS, AJDA, 2014, p. 1797, obs. R. Grand, D. 2014, act. 1877, Constr.-Urb., 2014, comm. 142, note P. Cornille, Bull. Cass. civ. III, n° 109, p. 97.

[3] Cass. civ. 3, 19 septembre 2019, n° 18-18-834, F-D N° Lexbase : A3203ZPC, JCP éd. N, 2019, comm. 832, obs. R.H., AJDI, 2019, p. 916, obs. S. Porcheron.

[4] Cass. civ. 3, 13 juin 2019, n° 18-18.445, FS-P+B+I N° Lexbase : A5685ZEB, RD imm., 2019, p. 503, note R. Hostiou, AJDI, 2020, p. 128, note F. Lévy, Constr.-Urb., 2019, comm. 106, note X. Couton, JCP éd. A, 2019, act. 432, obs. L. Erstein, JCP éd. G, 2019, comm. 697, AJDI, 2020, p. 128, note F. Lévy.

[5] V. le même jour, Cass. civ. 3, n° 21-25.003, F-D N° Lexbase : A98988ZM et n° 21-24.402, F-D N° Lexbase : A99168ZB.

[6] Cass. civ. 3, 9 janvier 1985, n° 83-70.230, FP-B N° Lexbase : A0648AHH, Bull. civ. III, n° 8 ; Cass. civ. 3, 5 mars 1986, n° 85-70.038, FP-B N° Lexbase : A3552AAS, Bull. civ. III, n° 21 ; Cass. civ. 3, 1er avril 1987, n° 86-70.080, FP-B  N° Lexbase : A7053AAH ; Cass. civ. 3, 14 février 2019, n° 17-28.090, F-D N° Lexbase : A3358YXN.

[7] Cass. civ. 3, 16 juin 1982, n° 81-70.489 N° Lexbase : A7353CHS, Bull. civ. III, n° 159.

[8] CE 6° et 5° ch.-r., 9 juillet 2018, n° 406696 N° Lexbase : A6535XXC ; CAA Nantes, 5 juin 2020, n° 19NT01622 N° Lexbase : A40497HG.

[9] Cass. civ. 3, 13 juin 2019, n° 18-14.225, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A5849ZED ; Cass. civ. 3, 19 mars 2020, n° 19-14.253, F-D N° Lexbase : A49343KX.

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Finances publiques

[Focus] L’adoption des lois de finances et de financement de la Sécurité sociale pour 2023 par le recours à l’article 49 alinéa 3 de la Constitution

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N4243BZ8

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par Laurine Dominici, Docteure en droit public - Élève-avocate

Le 08 Février 2023

Mots-clés : responsabilité du gouvernement • gouvernement • parlement • loi de finances • loi de financement de la sécurité sociale

La cheffe du gouvernement, Élisabeth Borne, a fait usage de dispositions exceptionnelles pour adopter la loi de finances pour 2023 et la loi de financement de sécurité sociale pour 2023. Elle a en effet eu recours au 49 alinéa 3 de la Constitution. Ceci a été très mal perçu par les oppositions et l’opinion publique. Ils dénoncent « un coup de force » de l’exécutif qui « bafoue les droits du Parlement ». Bien que l’utilisation de ces dispositions fasse toujours l’objet de vives critiques, il convient de mettre en évidence que le recours à cet article répond à l’orthodoxie de la Vème République, et de constater des innovations depuis 1958 dans l’utilisation dudit article.


 

« En responsabilité, nous devons donner un budget à notre pays ». C’est en ces termes que la cheffe du gouvernement s’est exprimée le 19 octobre 2022 à l’Assemblée nationale.

L’article 20 de la Constitution du 4 octobre 1958 dispose que le Gouvernement est « responsable devant le Parlement dans les conditions et suivant les procédures prévues aux articles 49 et 50 ». Les conditions d’engagement de la responsabilité politique du Gouvernement ont fortement été encadrées par ce texte. L’article 49 de ladite Constitution distingue trois dispositifs différents pour mettre en œuvre cette responsabilité politique. L’alinéa premier prévoit l’engagement de la responsabilité du Gouvernement sur son programme ou sur une déclaration de politique générale couramment dénommée « question de confiance ». Le second alinéa prévoit le dépôt d’une motion de censure à l’initiative des députés. Enfin, l’article 49 alinéa 3 de la Constitution consiste à ce que, après délibération du Conseil des ministres, le Premier ministre engage la responsabilité du gouvernement devant l’Assemblée nationale, sur le vote d’un texte de loi [1]. À ce titre, la décision n° 2016-736 DC du 4 août 2016 précise davantage la portée des pouvoirs du chef du gouvernement en la matière, en prévoyant que la mise en œuvre de ces dispositions ne soit soumise à aucune condition particulière, et que, partant, « une seule délibération du conseil des ministres suffit pour engager, lors des lectures successives d’un même texte, la responsabilité du Gouvernement qui en a ainsi délibéré » [2]. Le Conseil des ministres ne délibère qu’une seule fois pour l’utilisation du 49-3 et ce même si le Premier ministre recourt plusieurs fois à celui-ci lors de plusieurs lectures successives [3]. Dès lors que cette condition est remplie, cet article peut être mis en œuvre, devant la seule Assemblée nationale, pour tout ou partie d’un texte de loi, quel que soit l’avancement de sa discussion. Une fois la procédure engagée, il est mis un terme au processus de délibération parlementaire du texte concerné et pendant 24 heures, tout débat sur la question est suspendu. Si aucune motion de censure n’est adoptée, le texte est considéré comme adopté. Cet article a donc pour vocation de permettre au gouvernement de faire adopter ses projets de loi même s’il ne dispose pas d’une véritable majorité [4].

L’usage de cet article n’a pas toujours été le même depuis le début de la Vème République. En effet, au départ cet article était peu mobilisé. Par la suite, des gouvernements comme ceux de Raymond Barre, Michel Rocard, Édith Cresson ou encore Pierre Bérégovoy ont dû recourir à plusieurs reprises à cette disposition. Cette situation s’explique par la majorité étroite dont disposaient ces gouvernements à l’Assemblée nationale. Pour la première fois de l’histoire sous la Vème République, l’absence d’une majorité absolue à l’Assemblée nationale a contraint ces trois Premiers ministres successifs à recourir davantage à l’engagement de la responsabilité de leur gouvernement [5]. Si l’on analyse le recours à ces dispositions exceptionnelles sous la Vème République, Michel Rocard peut être considéré comme le « recordman en la matière ». [6]

Avant la révision constitutionnelle de 2008 [7], le recours à l’article 49 alinéa 3 de la Constitution n’était pas limité [8]. L’Assemblée nationale se voyait alors privée du pouvoir de discuter et d’amender, voire de voter la loi. Cet article suscitait en conséquence d’innombrables critiques [9]. Le Conseil constitutionnel s’est refusé à en limiter l’exercice [10]. La réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008 devait donc permettre de rééquilibrer les institutions de la Ve République et ce, en empruntant la voie d’une « reparlementarisation [11] » du régime. De fait, des propositions ont été faites pour limiter l’utilisation de l’article 49 alinéa 3 de la Constitution [12], voire pour supprimer celui-ci [13]. La révision du 23 juillet 2008 est finalement venue encadrer le recours à cet article puisqu’il ne peut plus être utilisé, en dehors des lois de finances et de financement, que sur un autre projet ou proposition par session [14].

L’usage de ces dispositions a été cantonné en 2008, car la « brutalité de l’engagement de responsabilité » [15] paraissait inutile en raison du fait majoritaire, de l’instauration du quinquennat [16] et d’un changement des calendriers électoraux ayant permis d’aligner les élections législatives sur les élections présidentielles. La XVIe législature démontre au contraire l’intérêt de disposer de ces dispositions lorsque le gouvernement n’a pas de majorité absolue à l’Assemblée nationale.

La question est donc de savoir si l’usage actuel du 49 alinéa 3 de la Constitution présente une originalité. Pour répondre à cette problématique, il sera dans un premier temps constaté que le recours au 49 alinéa 3 répond à l’orthodoxie de la Vème République (I) mais qu’il est également possible d’observer des innovations dans le recours à ces dispositions exceptionnelles (II).

I. Un recours au 49 alinéa 3 répondant à l’orthodoxie de la Ve République

L’emploi de l’article 49 alinéa 3 de la Constitution par la cheffe du gouvernement Élisabeth Borne répond à l’orthodoxie de la Ve République. En effet, l’usage récent de cette disposition par la Première ministre correspond à ce qui était attendu lors de l’instauration de la Vème République en 1958 (A). En raison de la composition de l’Assemblée nationale à la suite des élections législatives de juin 2022, mais aussi du comportement des oppositions, l’utilisation de ces dispositions exceptionnelles était un impératif pour sortir d’une situation de blocage (B).

A. Un usage en adéquation avec l’esprit de la Ve République

L’article 49 alinéa 3 de la Constitution est un élément caractéristique de la Ve République. En effet, il fait partie de ces instruments juridiques visant d’une part, à rationaliser les pouvoirs du Parlement et, d’autre part, à renforcer les pouvoirs de l’exécutif, « trop longtemps concurrencés et fragilisés par la domination d’un Parlement omnipotent » [17]. Simon-Louis Formery qualifie même cet article « d’arme la plus brutale » parmi celles dont dispose le gouvernement dans le cadre du parlementarisme rationalisé [18]. L’objet de cette disposition est de maintenir une majorité et d’assurer la stabilité gouvernementale [19].

Il apparaît donc que cet article trouve son origine dans les erreurs et les errements de la IVe République [20]. Il illustre ce que l’on a appelé le « parlementarisme rationalisé » [21]. Le Doyen Georges Vedel estime que cette procédure constitue avec l’élection du président de la République au suffrage universel direct (1962) et la création du Conseil constitutionnel (1958) l’un des trois grands traits majeurs de la Constitution de la Ve République [22].

Cette disposition a été insérée dans la Constitution de 1958 pour permettre au Gouvernement d’avoir une maîtrise de la procédure législative et de ne plus rencontrer les difficultés connues lors de la IIIe et IVe Républiques. Le fait majoritaire « désigne la présence, dans une assemblée parlementaire, d’une majorité d’élus appartenant au même parti ou à une coalition de partis, et se comportant (au premier chef à travers leurs votes) de manière disciplinée » [23]. Celui-ci s’est imposé sous la Ve République rendant alors inutile le recours à l’article 49 alinéa 3 de la Constitution.

Cette disposition a du sens dès lors que le Gouvernement est confronté à une majorité fragile ou divisée. C’est ainsi que sous le gouvernement de Raymond Barre ou encore de Michel Rocard, cet article s’est avéré très utile. Aujourd’hui cette disposition a encore montré son intérêt pour le gouvernement en fonction. En juin 2022, la coalition « Ensemble ! », laquelle soutient la politique d’Emmanuel Macron, a obtenu que 245 sièges aux élections législatives, soit une majorité relative [24]. Une telle situation vient en conséquence compliquer le vote et l’adoption de certaines lois. Pour dépasser cette difficulté, le Premier ministre peut engager la responsabilité du gouvernement devant l’Assemblée nationale, sur le vote d’un texte.

En conséquence, l’emploi du 49-3 par la cheffe du gouvernement Élisabeth Borne répond à l’orthodoxie de la Ve République.

 

B. Un impératif pour sortir d’une situation de blocage

Sous la IIIème et IVe République, le Parlement s’est souvent trouvé dans l’incapacité d’adopter définitivement le projet de budget avant l’ouverture de l’exercice. Afin de ne pas connaître ce type de situation sous la Vème République, les rédacteurs de la Constitution ont élaboré des dispositions garantissant que le budget sera adopté avant le 1er janvier de l’année d’exécution. De cette façon, le respect du principe d’annualité et la continuité de la vie nationale sont assurés [25]. Ainsi les alinéas 2 et 3 de l’article 47 de la Constitution énoncent que le Parlement a un délai global de soixante-dix jours pour se prononcer sur les projets de loi de finances. Pour les lois de financement de la sécurité sociale, l’article 47-1 de la Constitution prévoit un délai de cinquante jours pour se prononcer. La discussion budgétaire est donc strictement encadrée.

Pour garantir l’adoption d’un texte jugé indispensable pour le fonctionnement de la société, le gouvernement peut s’appuyer sur des dispositions exceptionnelles [26]. Il s’avère que les projets de lois de finances ou de financement de la sécurité sociale sont considérés comme inhérents à la continuité de la vie nationale. La révision de 2008 vise à limiter l’usage du 49 alinéas 3 à ces types de texte. Cette limitation n’a pas eu de grandes incidences dans la mesure où les dispositions constitutionnelles précitées sont en majeure partie utilisées pour voter des textes financiers [27]. Si l’on analyse les engagements de responsabilité du Gouvernement et les motions de censure depuis 1958, il est possible de constater que les lois de finances apparaissent depuis toujours comme la « terre d’élection de l’article 49 alinéa 3 » [28]. D’ailleurs la première utilisation de cet article a été le fait de Michel Debré pour la loi de finances pour 1960 [en ligne].

La cheffe du gouvernement, Élisabeth Borne, a dû aussi recourir à ces dispositions exceptionnelles en octobre 2022 pour donner un budget à la France et éviter une situation de blocage. La mise en œuvre de ces dispositions semblait être une suite logique compte tenu de la composition de l’assemblée nationale, mais aussi de l’impossibilité à trouver un consensus avec l’opposition. Cette situation contraint donc l’exécutif à gouverner sans majorité absolue à l’Assemblée nationale. De plus, elle met en évidence l’importance de disposer de mesures exceptionnelles pour sortir d’une situation de blocage.

L’usage fait de ces dispositions par la cheffe du gouvernement pour adopter les lois de finances et de financement de la sécurité sociale pour 2023 nous porte à observer les innovations dans le recours au 49 alinéas 3 de la Constitution. Il sera ainsi possible de savoir si l’usage actuel présente ou non une originalité.

II. Des innovations dans le recours au 49 alinéa 3 de la Constitution

Depuis 1958, il est possible de constater des évolutions dans l’utilisation du 49 alinéa 3 de la Constitution (A). Néanmoins, l’usage actuel de ces dispositions par la cheffe du gouvernement n’a jamais été observé sous la Vème République. Il en ressort une utilisation abusive, laquelle dévalorise la fonction législative (B).

A. Les évolutions dans l’utilisation du 49 alinéa 3

Sous la Ve République, il est possible de constater que le recours à l’article 49 alinéa 3 a changé de signification. Le 49 alinéa 3 a été conçu et utilisé au départ pour discipliner des majorités rétives [29]. Ainsi, cette procédure devait mettre la majorité rétive devant ses responsabilités en l’obligeant, si elle refuse d’accorder au gouvernement son soutien pour le vote de la législation qu’il estime indispensable à sa politique, à en tirer les conséquences en renversant le gouvernement [30]. C’est-à-dire en adoptant une motion de censure. Avec l’apparition du fait majoritaire, l’usage de cette disposition a décliné jusqu’à retrouver un regain d’intérêt lors de la IXème législature avec une utilisation record pour Michel Rocard [31].

Cet article est finalement devenu avec les années « une précieuse arme pour le Gouvernement afin, d’une part, de lutter contre l’obstruction des parlementaires et, d’autre part, de hâter l’œuvre législative en limitant le débat et le droit d’amendement, seuls moyens d’expression des parlementaires » [32].

L’obstruction parlementaire se définie comme « une tactique consistant à paralyser les débats » [33], une « manœuvre par laquelle des parlementaires usent de tous les moyens à leur disposition pour retarder l’adoption d’une loi voire, si possible, y faire obstacle » [34] ou encore comme une « tactique de retardement consistant à utiliser au maximum toutes les prérogatives reconnues aux parlementaires dans le cadre de la discussion législative, non pour améliorer le texte soumis à la discussion mais pour en retarder – faute de pouvoir l’empêcher – l’adoption » [35]. C’est le second cas de figure dans lequel peut être utilisé le 49 alinéa 3 de la Constitution. La première fois où cet article a été mis en œuvre dans ce but précis c’était le 26 janvier 1982, par le Gouvernement de Pierre Mauroy, lors de l’examen du projet de nationalisation [36], et depuis trente ans, pour reprendre les termes de Jean-Éric Schoettl, cette disposition sert à contrer l’obstruction parlementaire [37]. C’est pourquoi nous pouvons légitimement considérer que l’article 49 alinéa 3 constitue « une arme fatale souvent détournée de sa vocation originale » [38].

Lorsque cette procédure est mise en œuvre pour contrer l’obstruction parlementaire, la brutalité de l’usage se manifeste notamment lors du moment de son utilisation. Ainsi, l’utilisation de cet article ne sera pas perçue de la même façon selon qu’il est utilisé dès l’ouverture de la discussion ou avant le passage à la discussion des articles, ou encore au terme de la délibération [39]. De fait, l’utilisation actuelle de ces dispositions par la cheffe du gouvernement participe à la dévalorisation de la fonction législative. La procédure a été mise en œuvre d’une part, dès le début des débats et, d’autre part, utilisée plusieurs fois dans un laps de temps relativement court.

B. Une utilisation abusive dévalorisant la fonction législative

L’article 49 alinéa 3 de la Constitution est « celui qui pousse jusqu’à l’extrême la logique du parlementarisme rationalisé et vient contredire l’article 34 de la Constitution selon lequel ‘’la loi est votée par le Parlement’’ » [40]. Pourtant, l’utilisation de ces dispositions par le Gouvernement ne peut pas être perçue comme antidémocratique. En effet ce dispositif a été adopté par le peuple et ses représentants [41].

Néanmoins, même si cette disposition se présente comme un utile moyen garantissant l’efficacité gouvernementale, l’utilisation de cette dernière ne doit pas aboutir à « bafouer » les droits du Parlement [42]. D’ailleurs, il convient de rappeler que dans l’esprit de Michel Debré, l’usage de cette disposition devait être exceptionnelle [43]. Or force est de constater que l’usage fait de cet article par le gouvernement Borne invite à se questionner.

En effet, il semblerait que cette disposition ait été mise en œuvre pour contourner le débat parlementaire. Maurice Duverger a souligné qu’ « une telle procédure n’est pas scandaleuse si elle intervient après un large débat, où toutes les opinions ont pu s’exprimer librement. L’abus vient seulement quand la discussion parlementaire est supprimée » [44]. En l’occurrence, le gouvernement actuel n’a pas laissé de temps aux débats parlementaires [45]. Aussi, l’application de cet article a été répétée à maintes reprises, et ce, dans un court laps de temps [46]. Élisabeth Borne l’a utilisé 10 fois pour faire adopter le projet de loi de finances pour 2023 et le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2023 [47]. La première utilisation a été le 19 octobre 2022 sur la première partie du projet de loi de finances pour 2023 et en à peine quinze jours, cette disposition a été utilisée quatre fois [48]. Un tel usage en si peu de temps invite donc à se questionner.

De plus, contrairement à ce qu’avait énoncé la cheffe du gouvernement pour justifier le recours à ces dispositions exceptionnelles à la mi-octobre, il restait du temps pour permettre un véritable débat parlementaire. Aussi, il convient de noter que limiter le périmètre de l’article 49 alinéa 3 aux lois de finances et de financement de la sécurité sociale peut paraître superfétatoire. En effet, il existe des dispositions constitutionnelles permettant de passer outre le blocage du Parlement sans recourir au 49 alinéa 3 de la Constitution. Rappelons que l’article 47 de la Constitution a été conçu pour faire face aussi bien à la défaillance du Parlement qu’à la carence du Gouvernement. De fait, l’alinéa 3 de cet article donne la faculté au Gouvernement, si le Parlement ne s’est pas prononcé à l’issue de la période de soixante-dix jours, de mettre en œuvre par ordonnance les dispositions du projet de loi de finances. Cette même faculté se retrouve également à l’alinéa 3 de l’article 47-1 de la Constitution [49]. Cette disposition permet de mettre en œuvre par ordonnance les dispositions du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Enfin, l’article 45 de la loi organique relative aux lois de finances prévoit deux procédures (projet de loi spécial et projet de loi partiel) si le dépassement du délai global de 70 jours est imputable au gouvernement [50].

Ces différentes procédures attestent donc des possibilités offertes pour assurer la continuité de la vie nationale. Ainsi, comme le souligne le Professeur Stéphanie Damarey « en raison des particularités de la matière et des procédures budgétaires, le Gouvernement avait la possibilité de ne pas écourter, prématurément, les débats parlementaires » [51]. Un tel constat fait donc apparaître des inquiétudes sur la capacité du gouvernement à mettre en œuvre sa politique de compromis pour faire adopter les réformes prochaines (immigration et retraites). Devons-nous craindre un ultime usage du 49 alinéa 3 lors de la prochaine session parlementaire ? Bien que pour l’heure la question reste entière, gageons d’un consensus et d’une véritable discussion parlementaire.

 

[1] M. De Villiers, A. Le Divellec, Dictionnaire du droit constitutionnel, Paris, Sirey, 13ème éd., 2022, p. 315 ; v. aussi.

[2] Cons. const., décision n° 2016-736 DC, du 4 août 2016, Loi relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels N° Lexbase : A3540RYR.

[3] G. Carcassonne, M. Guillaume, La Constitution, Paris, Points, coll. « Points », 16ème éd., 2022, p. 253

[4] B. François, Le régime politique de la Ve République, Paris, La Découverte, coll. « Repères », 5ème éd., 2010, p. 56.

[5] F. Satchivi, « L’avenir mouvementé de l’article 49, alinéa 3 », LPA, n°84, 15 juillet 1994, p. 18

[7] Loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Ve République N° Lexbase : L7298IAK.

[8] L. Favoreu, [dir.], et al., Droit constitutionnel, Paris, Dalloz, coll. « Précis Dalloz », 25ème éd., 2022, p. 902

[9] Ibid.

[10] Le Conseil constitutionnel refuse de contrôler les motifs politiques de recours à cet article, estimant que « que l’exercice de la prérogative conférée au Premier ministre par le troisième alinéa de l’article 49 n’est soumis à aucune condition autre que celles résultant de ce texte » : Conseil constitutionnel, décision n° 89-269 DC du 22 janvier 1990, Loi portant diverses dispositions relatives à la sécurité sociale et à la santé, considérant 4, Rec. p. 33, JO du 24 janvier 1990, p. 972. La même position a été reprise après la révision de 2008 : Conseil constitutionnel, décision n° 2015-715 DC du 5 août 2015, Loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, considérant 13, JORF n° 0181 du 7 août 2015, p. 13616, texte n° 2. Cette position vient encore d’être rappelée dans la décision n° 2022-847 DC du 29 décembre 2022, Loi de finances pour 2023, considérant 7.

[11] Sur ce point v. J. Gicquel, « La reparlementarisation : une perspective d’évolution », Pouvoirs, 2008/3, n° 126, pp. 47-60

[12]J.-P., Camby, Le travail parlementaire sous la Ve République, Paris, LGDJ, coll. « Systèmes », 6ème éd., 2021, p. 144.

[13] S.-L. Formery, La Constitution commentée : article par article, Vanves, Hachette supérieur, coll. « Les Fondamentaux », 25ème éd., 2022, p. 114.

[14] J.-P., Camby, op. cit., p. 144.

[15] SCHOETTL (J.-E.), « Article 49.3 : face à l’obstruction, quelle autre parade ? », Revue politique et parlementaire, 14 octobre 2022.

[16] Loi constitutionnelle n° 2000-964, du 2 octobre 2000, relative à la durée du mandat du Président de la République N° Lexbase : O8600BDU.

[17] L. Audouy, « La révision de l’article 49 alinéa 3 de la Constitution à l’aune de la pratique », RFDC, n° 107, 2016/3, p. 2.

[18] S.-L. Formery, op. cit., p. 113

[19] P. Avril, « La majorité parlementaire ? », Pouvoirs, 1984, n° 68, p. 45 ; G. Tusseau, « La réactivation du 49-3 », D., 2015, p. 560.

[20] M. Lascombe, « Le premier ministre, clef de voûte des institutions ? L’article 49, alinéa 3 et les autres… », RDP, n° 1, 1981, p. 109 ; v. aussi G. Toulemonde, Le droit constitutionnel de la Ve République, Paris, L’Harmattan, coll. « Logiques juridiques », 14ème éd., 2020, p. 193 et s.

[21] Sur ce point v. M. De Villiers, A. Le Divellec, Dictionnaire du droit constitutionnel, Paris, Sirey, 13ème éd., 2022, pp. 277-279.

[22] J. Gicquel, « Sauvegarder l’article 49, alinéa 3 ! », LPA, n° 254, 19 décembre 2008, p. 90.

[23] M. De Villiers, A. Le Divellec, op. cit., p. 173

[24] Sur ce point v. A. Levade, « Absence de majorité absolue à l’Assemblée nationale : défis à relever et leçons à tirer pour Emmanuel Macron », Le Monde du droit, 24 juin 2022 [en ligne].

[25] J.-C. Colliard, « Article 49 50 51 », in F. Luchaire, G. Conac, X. Prétot [dir.], La Constitution de la République française : analyse et commentaires, Paris, Economica, 3ème éd., 2008, p. 1151

[26] J.-J., Urvoas, « Usage de l’article 49.3 : un recours attendu et conforme à l’intention des constituants », le club des juristes, 20 octobre 2022 [en ligne].  

[27] L. Audouy, « La révision de l’article 49 alinéa 3 de la Constitution à l’aune de la pratique », RFDC, n° 107, 2016/3, p. 6 et s.

[28] S. Gallot, Bilan de l’utilisation de l’article 49 alinéa 3 de la Constitution depuis le 16 mars 1986, Mémoire de DEA, Université de Bordeaux I, 1987, p. 8.

[29] Sur ce point v. H. Alcaraz, « L’article 49, alinéa 3, de la Constitution du 4 octobre 1958 : antidote ou « coup de force » ? », Revista catalana de dret public, n° 53, 2016, p. 10

[30] C. Luquiens, « Faut-il encadrer les discussions en séance publique ? », Revue ICP, n° 203, Kampala, 2012, p. 64.

[31] J.-E., Schoettl, « Article 49.3 : face à l’obstruction, quelle autre parade ? », Revue politique et parlementaire, 14 octobre 2022.

[32] Cité par L. Audouy, « La révision de l’article 49 alinéa 3 de la Constitution à l’aune de la pratique », RFDC, n°107, 2016/3, p. 17

[33] C. Nimmo [dir.], Le Lexis : le dictionnaire érudit de la langue française, Paris Larousse, nouvelle éd., 2014, p. 1261

[34] O. Nay [dir.], Lexique de science politique, Paris, Dalloz, coll. « Lexique », 4ème éd., 2017, p. 414

[35] C. Bigaut, Lexique de la Ve République, Paris, Ellipses, coll. « Optimum », 2009, p. 153

[36] JOAN, Débats, 2ème séance du 26 janvier 1982, p. 552

[37] J.-E., Schoettl, « Article 49.3 : face à l’obstruction, quelle autre parade ? », Revue politique et parlementaire, 14 octobre 2022. 

[38] M. Mauguin Helgeson, L’élaboration parlementaire de la loi : étude comparative : Allemagne, France, Royaume-Uni ; Paris, Dalloz, coll. « Thèmes et commentaires », 2006, p. 312

[39] Ibid. p. 315

[40] Ibid. p. 312

[41] G. Tusseau, « La réactivation du 49-3 », D., 2015, p. 560

[42] L. Audouy, « La révision de l’article 49 alinéa 3 de la Constitution à l’aune de la pratique », RFDC, n° 107, 2016/3, p. 2.

[43] Sur ce point v. le discours de Michel Debré devant l’Assemblée générale du Conseil d’État en date du 27 août 1958.

[44] M. Duverger, « Politique : centre ou marais ? », Le Monde, 5 juillet 1988, p. 2.

[45] S. Damarey,, « L’usage par le Gouvernement Borne du 49 alinéa 3 dans le domaine budgétaire, une question de timing », Dalloz Actu Étudiant, 21 novembre 2022 [en ligne].

[46] Sur ce point v. C. Geynet-Dussauze, L’obstruction parlementaire sous la Ve République : étude de droit constitutionnel, Paris, LGDJ, coll. « collection des thèses », 2020, p. 340.

[48] S. Damarey, « L’usage par le Gouvernement Borne du 49 alinéa 3 dans le domaine budgétaire, une question de timing », Dalloz Actu Étudiant, 21 novembre 2022 [en ligne].

[50] Pour des détails de ces deux procédures [en ligne].

[51] S. Damarey, « L’usage par le Gouvernement Borne du 49 alinéa 3 dans le domaine budgétaire, une question de timing », Dalloz Actu Étudiant, 21 novembre 2022 [en ligne].

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Fiscalité internationale

[Brèves] La France met à jour sa liste de paradis fiscaux

Réf. : Arrêté du 3 février 2023, modifiant l'arrêté du 12 février 2010 pris en application du deuxième alinéa du 1 de l'article 238-0 A du Code général des impôts N° Lexbase : L7441MGP

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par Marie-Claire Sgarra

Le 14 Février 2023

L’arrêté du 3 février 2023, publié au Journal officiel du 5 février 2023, modifie la liste des États et territoires non coopératifs (ETNC) en matière fiscale.

Rappel. Sont considérés comme non coopératifs, les États et territoires dont la situation au regard de la transparence et de l'échange d'informations en matière fiscale a fait l'objet d'un examen par l'Organisation de coopération et de développement économiques et qui, à cette date, n'ont pas conclu avec la France une convention d'assistance administrative permettant l'échange de tout renseignement nécessaire à l'application de la législation fiscale des parties, ni signé avec au moins douze États ou territoires une telle convention (CGI, art. 238-0 A N° Lexbase : L6050LMZ).

La liste des ETNC :

  • est fondée sur des critères exclusivement français d’échange d’informations (CGI, art. 238-0 A 2) ;
  • intègre (CGI, art. 238-0 A 2 bis) les États ou territoires qui figurent sur la liste européenne des États et territoires non coopératifs (dite « liste noire ») pour l’un des motifs suivants :
    • ces États ou territoires sont considérés par le Conseil de l’UE comme facilitant la création de structures ou de dispositifs offshore destinés à attirer des bénéfices sans substance économique réelle,
    • ces États ou territoires ne respectent pas au moins un des autres critères définis par le conseil de l’UE relatifs à la transparence fiscale, à l'équité fiscale et à la mise en œuvre des mesures anti-BEPS que les États membres de l'UE s'engagent à promouvoir, et figurant à l’annexe V de la liste de l’UE.

La liste des ETNC est mise à jour au moins une fois par an.

L’arrêté du 3 février 2023 ajoute à la liste de ces ETNC les Bahamas et les Îles Turques et Caïques.

Liste complète des paradis fiscaux :

  • Îles Vierges britanniques ;        
  • Seychelles ;
  • Anguilla ;       
  • Panama ;        
  • Bahamas ;      
  • Îles Turques et Caïques ;
  • Vanuatu ;
  • Fidji ;   
  • Guam ;
  • Îles Vierges américaines ;
  • Palaos ;
  • Samoa américaines ;
  • Samoa ;
  • Trinité et Tobago.

 

Pour aller plus loin, V. Pradel, Les paradis fiscaux, Lexbase fiscal, décembre 2021, n° 886 N° Lexbase : N9568BYZ.

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Procédure civile

[Panorama] Actualité 2022 de la procédure civile

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par Etienne Vergès, Professeur à l’Université Grenoble Alpes, directeur scientifique Lexbase de la revue « Droit privé » et de l’ouvrage de procédure civile

Le 25 Juillet 2023

Mots-clés : tentative de règlement amiable • principe du contradictoire • principe de concentration • principe de collégialité • la preuve • mesure d’instruction • communication électronique • procédure orale • appel •annexe à la déclaration d’appel • effet dévolutif •écritures • conclusions • défenseur syndical

L’actualité 2022 de la procédure civile a été riche de près de deux cents décisions. Ce panorama présente une sélection des décisions les plus marquantes. Elle déborde parfois sur l’année 2023 pour signaler des évolutions jurisprudentielles importantes.


 

Sommaire

I. Procédures amiables

- Cass. com., 11 mai 2022, n° 20-23.298, F-B
- Cass. civ. 2, 12 janvier 2023, n° 20-20.941, F-B
- CE, 5e-6e ch. réunies, 22 septembre 2022, n° 436939
- Cass. civ. 2, 14 avril 2022, n° 20-22.886, F-B
- Cass. avis, 14 juin 2022, n° 22-70.004, FS-B

II. Les principes du procès

A. Le principe du contradictoire

- Cass. civ. 2, 13 janvier 2022, n° 20-19.978, F-B
- Cass. civ. 2, 8 décembre 2022, n° 21-10.744, FS-B
- Cass. civ. 2, 19 mai 2022, n° 21-14.616, F-B
- Cass. civ. 2, 9 juin 2022, n° 20-12.190, F-B

B. Le principe de concentration

- Cass. civ. 2, 19 mai 2022, n° 20-21.585, F-B
- Cass. civ. 2, 19 mai 2022, n° 21-13.062, F-B

C. Le principe de collégialité

- Cass. civ. 2, 20 octobre 2022, n° 20-22.099, F-B

III. La preuve

A. Droit à la preuve et demande d’une mesure d’instruction – un contrôle étroit de la Cour de cassation

- Cass. civ. 2, 24 mars 2022, n° 20-21.925, F-B

B. Pouvoir discrétionnaire du juge d’apprécier l’utilité de la mesure d’instruction

- Cass. civ. 2, 14 avril 2022, n° 20-22.578, F-B

C. Intrusion dans le disque dur personnel d’un salarié par un concurrent de l’employeur

- Cass. civ.2, 30 juin 2022, n° 21-10.276, F-D

D. Mesures d’instruction in futurum sur requête : la motivation doit être circonstanciée

- Cass. civ. 2, 3 mars 2022, n° 20-22.349, F-B

IV. La communication électronique

- Cass. civ. 2, 19 mai 2022, n° 21-10.423, F-B
- CEDH, 9 juin 2022, Req. 15567/20, Xavier Lucas c/ France

V. Procédure orale

- Cass. civ. 2, 19 mai 2022, n° 21-23.249, F-B
- Cass. civ. 2, 3 février 2022, n° 20-18.715, F-B
- Cass. soc., 19 octobre 2022, n° 21-13.060, FS-B

VI. Appel

A. La saga de l’annexe à la déclaration d’appel

- Cass. civ. 2, 13 janvier 2022, n° 20-17.516, FS-B
- Cass. avis, 8 juillet 2022, n° 22-70.005, FS-B
- Cass. civ. 2, 12 janvier 2023, n° 21-16.804, FS-B

B. Formalisme de la déclaration d’appel et effet dévolutif

- Cass. civ. 2, 19 mai 2022, n° 21-10.685, F-B
- Cass. civ. 2, 30 juin 2022, n° 21-12.720, F-B

C. L’effet dévolutif dans la procédure sans représentation obligatoire

- Cass. civ. 2, 30 juin 2022, n° 21-15.003, F-B
- Cass. civ. 2, 29 septembre 2022, n° 21-23.456, FS-B

D. Formalisme des écritures

- Cass. civ. 2, 3 mars 2022, n° 20-20.017, F-B
- Cass. civ. 2, 29 septembre 2022, n° 21-14.681, F-B
- Cass. civ. 2, 8 septembre 2022, n° 21-12.736, F-B
- Cass. civ. 2, 20 octobre 2022, n° 21-15.942

E. Le formalisme devant la cour d’appel et le défenseur syndical

- Cass. civ. 2, 8 décembre 2022, n° 21-16.186, FS-B+R
- Cass. civ. 2, 8 décembre 2022, n° 21-16.487, FS-B


I. Procédures amiables

De mémoire de processualiste, on n’avait jamais vu autant d’arrêts rendus par la Cour de cassation à propos des procédures amiables. Il faut y voir ici un signe des temps, et du changement de culture qui est en train de s’opérer. En effet, d’un côté, les procédures amiables prennent une place de plus en plus importante dans les textes et dans la conduite du procès, mais d’un autre côté, ces procédures sont instrumentalisées par les parties, notamment pour poser des remparts aux actions menées par leurs adversaires. Ainsi, au fur et à mesure que l’amiable devient procédure (et non plus concorde), il revêt des habits de justice pour s’immiscer dans le contentieux sous forme d’irrecevabilité, de prescription ou de forclusion.

Deux arrêts portent d’abord sur les effets des procédures amiables sur les délais. Le premier, rendu par la chambre commerciale (Cass. com., 11 mai 2022, n° 20-23.298, F-B N° Lexbase : A56287WD), concerne l’effet de la saisine du médiateur d’une entreprise sur le cours de la prescription civile. En effet, l’article 2238 du Code civil N° Lexbase : L1053KZZ dispose que la prescription est suspendue du jour où les parties à un litige conviennent de recourir à la médiation ou à la conciliation. En l’espèce, une société en litige avec la poste avait saisi le médiateur institutionnel de ce groupe et la question se posait de savoir si cette saisine suffisait à caractériser une entente entre les parties pour recourir à la médiation. La Cour de cassation confirme l’analyse selon laquelle la mise en place d’un médiateur au sein d’une entreprise caractérise sa volonté de recourir par principe à la médiation. La prescription est donc suspendue à compter du jour de la saisine de ce médiateur par un cocontractant.

Le second arrêt, rendu en 2023 (Cass. civ. 2, 12 janvier 2023, n° 20-20.941, F-B N° Lexbase : A56287WD), aborde la question plus sensible encore de l’effet d’une médiation sur le délai pour conclure devant la cour d’appel. Dans cette affaire, le conseiller de la mise en état a ordonné une médiation pour une durée totale de six mois. Ce délai étant écoulé, des pourparlers se sont poursuivis entre les parties, le médiateur n’a pas remis de note au juge et l’affaire n’a pas été rappelée à l’audience. Par conséquent, l’appelant a attendu dix mois pour déposer des conclusions aux fins de reprise de l’instance après médiation. La question se posait donc de savoir à quel moment le processus de médiation avait pris fin, entraînant par voie de conséquences la reprise du cours des délais octroyés aux parties pour conclure. La deuxième chambre civile répond fermement à cette question en affirmant que le terme fixé par le conseiller de la mise en état « marque la reprise de l’instance ». La médiation avait donc pris fin au bout des six mois octroyés par le juge, même si l’affaire n’avait pas été rappelée à l’audience. La solution présente le mérite de la clarté. À l’issue du délai fixé par le juge pour s’entendre, les parties doivent reprendre d’elles-mêmes l’initiative de l’instance et conclure dans les délais Magendie.

Plusieurs arrêts portent ensuite sur les procédures amiables obligatoires. Il faut souligner l’importance et l’ambiguïté de l’arrêt rendu par le Conseil d’État, qui annule l’article 750-1 du Code de procédure civile N° Lexbase : L5912MBL (CE, 5e-6e ch. réunies, 22 septembre 2022, n° 436939 N° Lexbase : A16328KN). Cette disposition imposait comme préalable à la saisine du juge, une tentative de résolution amiable pour les litiges portant sur une somme n’excédant pas 5 000€. Cette obligation faisait l’objet d’une dérogation lorsqu’une partie devait faire face à l’indisponibilité de conciliateurs de justice « dans un délai manifestement excessif ». Cette expression a été jugée ambiguë par le Conseil d’État alors même qu’était en jeu l’exercice du droit à un recours effectif devant une juridiction. Le Conseil d’État a donc annulé l’article 750-1 du Code de procédure civile « en tant qu'il ne précise pas suffisamment les modalités selon lesquelles cette indisponibilité doit être regardée comme établie » (il s’agit de l’indisponibilité des conciliateurs de justice). La portée de l’annulation semblait donc limitée, mais dans son dispositif, le juge administratif annule l’article 750-1 du code précité sans la nuance précisée dans les motifs. Au regard du seul dispositif, il faut donc considérer que cette disposition a disparu du code de procédure civile, au moins provisoirement. On demeure en ce début d’année 2023, dans l’attente du décret qui devrait en toute logique rétablir ce préalable obligatoire, tout en précisant le délai de saisine du conciliateur.

Les procédures amiables obligatoires sont encore à l’honneur à propos de la procédure de référé. L’arrêt rendu le 14 avril 2022 concerne l’article 750-1 du Code de procédure civile désormais annulé par le Conseil d’État, mais sa portée demeure, dans la mesure où cette disposition n’a certainement pas disparu définitivement du code de procédure civile (Cass. civ. 2, 14 avril 2022, n° 20-22.886, F-B N° Lexbase : A44707TQ). Dans sa rédaction initiale, le texte prévoyait une dispense de règlement amiable tenant à l’urgence manifeste. Cette situation paraissait correspondre notamment à la procédure de référé. Cette hypothèse est confirmée par la deuxième chambre civile, laquelle affirme que « la tentative de résolution amiable du litige n'étant pas, par principe, exclue en matière de référé, l'absence de recours à un mode de résolution amiable dans une telle hypothèse peut, le cas échéant, être justifiée par un motif légitime au sens de l'article 750-1, alinéa 2, 3° ».

Le caractère obligatoire de la procédure amiable peut également provenir d’une clause de règlement amiable insérée dans un contrat. La chambre sociale a rendu un avis qui permet d’articuler une telle clause avec l’existence d’une procédure amiable obligatoire devant la juridiction (Cass. avis, 14 juin 2022, n° 22-70.004, FS-B N° Lexbase : A090977S). Lorsque le contrat de travail contient une clause instituant une procédure de médiation préalable, les parties peuvent outrepasser cette clause et saisir directement le juge prud’homal « en raison de l’existence en matière prud'homale d'une procédure de conciliation préliminaire et obligatoire ». Autrement dit, les parties ne peuvent se voir imposer de rechercher une solution amiable à deux reprises. Il s’agit là d’une dérogation importante à la force obligatoire de la clause.

Enfin, la dernière question abordée concerne le principe de confidentialité qui caractérise les procédures amiables conduites avec l’aide d’un tiers (médiation ou conciliation). L’article 21-3 de la loi n° 95-125 du 8 février 1995 N° Lexbase : Z06405LG dispose de façon générale que la médiation est soumise au principe de confidentialité et plus précisément que les constatations du médiateur et les déclarations recueillies au cours de la médiation ne peuvent être divulguées aux tiers ni invoquées ou produites dans le cadre d'une instance judiciaire ou arbitrale sans l'accord des parties. Dans l’espèce étudiée, une partie avait agi en justice en produisant plusieurs pièces issues de la procédure de médiation préalable. L’une de ces pièces était l’avis du médiateur. Dans une formule de principe, la Cour de cassation affirme que « l'atteinte à l'obligation de confidentialité de la médiation impose que les pièces produites sans l'accord de la partie adverse, soient, au besoin d'office, écartées des débats par le juge. ». Elle en déduit que « le tribunal aurait dû, au besoin d'office, écarter des débats celles des pièces produites par M. [R], issues de la procédure de médiation, qui étaient couvertes par l'obligation de confidentialité ». L’arrêt est important, car il précise la sanction de la violation du principe de confidentialité, laquelle est déduite de l’article 9 du Code de procédure civile N° Lexbase : L1123H4D. Les pièces couvertes par le secret sont des preuves illicites qui doivent, en tant que telles, être écartées des débats. Toutefois, la Cour utilise, une formule générale et pour le moins ambiguë. En effet, en affirmant que « les pièces produites » doivent être écartées des débats, elle semble indiquer que cette sanction concerne toutes les pièces de la procédure amiable, et pas seulement celles visées par la loi (les constatations du médiateur et les déclarations recueillies au cours de la médiation). Or, durant la phase de médiation, il peut être nécessaire, voire indispensable pour les parties, de produire des pièces (factures, photographies, etc.) pour justifier leurs demandes. Or, la loi n’intègre pas ces pièces dans le champ de la confidentialité. Autrement dit, l’application stricte de la loi devrait conduire à estimer que seules les constatations du médiateur et les déclarations (des parties, des témoins), sont couvertes par le secret et non les autres pièces dont disposent les parties pour se défendre. C’est en ce sens, à notre avis, qu’il faut interpréter l’arrêt commenté.

II. Les principes du procès

A. Le principe du contradictoire

Le principe du contradictoire est, cette année encore, le lieu de litiges récurrents sur la production des pièces et écritures en temps utile. Les solutions sont aujourd’hui bien établies et plusieurs arrêts permettent à la Cour de cassation de rappeler les principes essentiels qui dominent la matière.

La Cour de cassation renvoie l’appréciation du critère du « temps utile » au pouvoir souverain des juges du fond, mais elle contrôle étroitement l’existence d’une motivation. Elle confirme ainsi un arrêt qui a écarté des débats des pièces et conclusions qui ont été communiquées trois heures avant l’audience de plaidoiries, jugeant ainsi que ce comportement était contraire à la loyauté des débats et au principe du contradictoire. La Cour de cassation ajoute que la juridiction du fond n’avait pas à rechercher si la partie en cause avait été en mesure de s’expliquer sur la demande de recherche des écritures et pièces, mais qu’elle devait seulement apprécier si son adversaire avait disposé d’un temps utile pour prendre connaissance de ces documents (Cass. civ. 2, 13 janvier 2022, n° 20-19.978, F-B N° Lexbase : A14907IZ).

Dans un autre arrêt, la deuxième chambre civile a statué sur la délicate question de la partie qui n’a pas été informée de la date de la clôture (Cass. civ. 2, 8 décembre 2022, n° 21-10.744, FS-B N° Lexbase : A91838XE). Au visa de l’article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (CEDH) N° Lexbase : L7558AIR, la Cour de cassation affirme que « des conclusions déposées après l'ordonnance de clôture ne peuvent être déclarées irrecevables lorsque leur auteur n'a pas été préalablement informé de la date à laquelle celle-ci devait être rendue. » Toutefois, c’est à la partie qui a remis ces conclusions après la clôture qu’il appartient de solliciter la révocation de l’ordonnance. Ainsi, la Cour précise que le juge n’est pas tenu de vérifier d’office que les parties ont été avisées de la date de clôture.

Dans une situation plus ordinaire, un arrêt rendu le 19 mai 2022 rappelle que l’obligation de communiquer les pièces simultanément aux conclusions dans la procédure écrite devant la cour d’appel (CPC art. 906 N° Lexbase : L7238LES) n’est assortie d’aucune sanction (Cass. civ. 2, 19 mai 2022, n° 21-14.616, F-B N° Lexbase : A41057XC). L’obligation de communication simultanée est donc pour le moins fictive et la Cour de cassation se contente de rappeler que le juge est simplement tenu de recherche si les pièces ont été communiquées en temps utile. Ce principe s’applique, même dans la procédure à bref délai de l’article 905-1 du Code de procédure civile N° Lexbase : L7035LEB.

En dernier lieu, la Cour de cassation rappelle une règle bien connue, selon laquelle le juge qui constate que des pièces visées par une partie ne figurent pas au dossier, ne peut fonder sa décision sur cette absence de pièce. Le principe du contradictoire, qui s’impose au juge, oblige ce dernier à provoquer l’explication de la partie qui a oublié de produire ces pièces en justice, notamment lorsque la communication des pièces à l’adversaire n’a pas été contestée par ce dernier (Cass. civ. 2, 9 juin 2022, n° 20-12.190, F-B N° Lexbase : A792974G).

B. Le principe de concentration

Plusieurs années après sa consécration par l’Assemblée plénière, le principe de concentration est encore marqué par une forte ambiguïté [1]. Deux arrêts rendus par la deuxième chambre civile illustrent ce phénomène qui conduit la Cour de cassation à osciller entre une conception stricte du principe, ne visant que l’obligation pour une partie de concentrer tous ses moyens dans une même instance, et la conception large du principe, qui réside dans l’obligation de concentrer également les défenses qui sont liées par une même « cause » (Cass. civ. 1, 28 mai 2008, n° 07-13.266, FS-P+B+I N° Lexbase : A7685D87). Cette évolution, initiée par la première chambre civile, a rencontré un temps la résistance de la deuxième (Cf. ÉTUDE : Les principes directeurs du procés civil, § Principe de concentration des demandes, in Procédure civile, (dir. E. Vergès), Lexbase N° Lexbase : E026703B). Puis, on a eu l’impression d’un revirement de jurisprudence, lorsque cette même deuxième chambre a jugé qu’une caution ne pouvait solliciter dans une première instance des délais de paiement et agir par la suite contre la banque en responsabilité, car cette action tendait à remettre en cause une condamnation irrévocable à payer les sommes dues au titre du cautionnement (Cass. civ. 2, 1er juillet 2021, n° 20-11.706, F-B N° Lexbase : A20304YT). Deux arrêts rendus le 19 mai 2022 par la deuxième chambre civile entretiennent à nouveau la confusion. Dans la première espèce (Cass. civ. 2, 19 mai 2022, n° 20-21.585, F-B N° Lexbase : A41147XN), les héritiers d’un artiste avaient engagé une première action contre un marchant d’art en lui reprochant d’avoir vendu trois tableaux de l’artiste en violation du contrat de dépôt. Puis, une seconde action était dirigée contre le même marchant, portant cette fois sur la responsabilité de ce dernier dans la dégradation d’un autre tableau. La deuxième chambre affirme alors, comme elle l’a fait par le passé que « s'il incombe au demandeur de présenter dès l'instance relative à la première demande l'ensemble des moyens qu'il estime être de nature à fonder celle-ci, il n'est pas tenu de présenter dans la même instance toutes les demandes fondées sur les mêmes faits ». La solution s’entend ici aisément, car on voit mal comment les deux demandes auraient pu être liées entre elles. Dans la seconde espèce (Cass. civ. 2, 19 mai 2022, n° 21-13.062, F-B N° Lexbase : A41127XL), les faits étaient plus ambigus, puisqu’un créancier avait agi une première fois pour obtenir la condamnation conjointe de deux débiteurs et qu’il exerçait une seconde action contre l’un d’entre eux pour obtenir une condamnation solidaire. Les deux prétentions étaient, certes, différentes, mais elles portaient sur la même créance. Ici, la différence entre la notion de moyen et celle de prétention apparaissait ténue. Dans son arrêt, la Cour de cassation affirme qu’il appartenait au créancier de solliciter, dès la première instance, la condamnation solidaire des débiteurs.

Le louvoiement de la Cour de cassation à l’égard du principe de concentration est le signe d’un changement profond dans l’esprit de la procédure civile. Les parties ne disposent plus du litige, comme c’était le cas à l’origine du nouveau Code de procédure civile. Prises par l’impératif d’efficacité de la justice, elles doivent concentrer dans une même instance toutes les stratégies qui peuvent soutenir leur action. Ce faisant, cette nouvelle conception du procès remet en cause la traditionnelle distinction entre les prétentions et les moyens et la Cour de cassation peine à trouver une ligne de démarcation claire pour discerner ce qui doit être concentré et ce qui échappe à cette obligation.

C. Le principe de collégialité

Définir la collégialité comme un principe de procédure est osé, tant les prétoires ont été envahis par les juges uniques.

Toutefois, un arrêt récent de la Chambre commerciale vient nous rappeler l’importance du droit à la collégialité, dont bénéficient les parties devant certaines juridictions (Cass. civ. 2, 20 octobre 2022, n° 20-22.099, F-B N° Lexbase : A50778Q4). Cette affaire concernait une procédure sans représentation obligatoire devant la cour d’appel. L’article 945-1 du Code de procédure civile N° Lexbase : L1034H43 dispose à cet égard que le magistrat chargé d’instruire l’affaire peut, si les parties ne s’y opposent pas, tenir seul l’audience pour entendre les plaidoiries. En l’espèce, l’appelant avait formulé, au moment de l’audience de plaidoiries, un renvoi en audience collégiale. Ce renvoi avait été rejeté au motif que les parties avaient été avisées au moment de la fixation, que l’affaire serait inscrite au rôle devant le magistrat rapporteur. Les juges d’appel ajoutaient que la demande de renvoi se heurtait au principe de loyauté. Entre d’autres termes, ils reprochaient à la partie de formuler cette demande par surprise. L’arrêt est cassé et la Cour de cassation affirme de façon générale qu’une partie ne peut être privée de son droit à ce que l'affaire soit débattue en audience collégiale. Elle précise ensuite que l’opposition d’une partie à la tenue de l’audience devant le juge rapporteur peut être présentée le jour même de l’audience. Le principe du droit à l’audience collégiale prend ici toute sa mesure, et constitue un ultime rempart contre l’extension du juge unique.

III. La preuve

Plusieurs arrêts rendus en 2022 reviennent sur les grandes questions contemporaines qui intéressent le droit de la preuve civile. Il s’agit en particulier des décisions qui ordonnent des mesures d’instruction et des droits antinomiques qui peuvent être atteints par ces mesures probatoires.

A . Droit à la preuve et demande d’une mesure d’instruction – un contrôle étroit de la Cour de cassation

Après avoir été formulé initialement à propos d’une offre de preuve (détenue par une partie), le droit à la preuve concerne désormais les demandes de preuves formulées par les parties. À cet égard, un contentieux se développe particulièrement dans le domaine des activités de concurrence déloyale. Pour établir les agissements illicites de concurrents, les entreprises qui s’estiment victimes de ces agissements ont fréquemment recours à l’article 145 du Code de procédure civile N° Lexbase : L1497H49 qui permet d’obtenir des preuves sur requête avant tout procès. La Cour de cassation définit le cadre de cette demande de preuve en prenant en compte d’une part le droit à la preuve et, d’autre part, la nécessité de respecter le secret des affaires. Elle fixe pour cela un double impératif qui s’impose aux juges du fond : la mesure doit être circonscrite dans le temps et dans son objet. À cet égard, les juges du fond doivent être particulièrement attentifs à la formulation de la décision qui ordonne la mesure d’instruction. Ainsi dans une affaire ayant donné lieu à un arrêt du 24 mars 2022 (Cass. civ. 2, 24 mars 2022, n° 20-21.925, F-B N° Lexbase : A27717R3) une société avait sollicité sur requête une mesure d’instruction pour des faits de parasitisme, détournement de clientèle, débauchage de personnel commis par une entreprise créée par un ancien salarié. L’ordonnance autorisant une telle mesure avait été rétractée en appel, au motif que par sa formulation, la décision permettait à l’huissier d’accéder à des informations se rapportant à l’intégralité de l’activité de l’entreprise. Cette décision est cassée et l’espèce permet à la Cour de cassation de préciser la portée de sa jurisprudence. En effet, la haute juridiction affirme que l’huissier était autorisé à appréhender des documents à partir de mots-clés prédéfinis, soit encore à partir de mots-clés renvoyant aux marques, produits et couleurs utilisés par la société requérante, à ses fournisseurs et à ses collaborateurs. Par ailleurs, la Cour de cassation constate que la mesure était circonscrite dans le temps (entre le 4 février et le 9 juillet 2014). Elle en déduit que l’ordonnance instituait des « mesures légalement admissibles proportionnées à l’objectif poursuivi ». L’arrêt est riche en enseignement, notamment car il fait suite à une autre décision rendue dans un contentieux similaire, dans lequel la Cour de cassation avait jugé que les mots-clés « Google », « accord », « entente » et « salariés » étaient génériques et ne permettaient pas de circonscrire la mesure (Cass. civ. 2, 10 juin 2021, n° 20-11.987, F-P N° Lexbase : A92944UR). Au contraire, dans l’arrêt commenté, les mots-clés faisant référence à des marques ont été jugés suffisamment précis. On mesure ici, non seulement la précision qui s’impose aux juges de l’article 145 du Code de procédure civile, mais également l’étroitesse du contrôle que la Cour de cassation exerce sur les décisions des juridictions du fond lorsqu’il s’agit d’apprécier l’opportunité et la licéité de ces demandes de preuve.

B. Pouvoir discrétionnaire du juge d’apprécier l’utilité de la mesure d’instruction

Dans un arrêt du 14 avril, la deuxième chambre civile vient dire à nouveau que l’appréciation de l’utilité d’une mesure d’instruction relève du pouvoir discrétionnaire du juge (Cass. civ. 2, 14 avril 2022, n° 20-22.578, F-B N° Lexbase : A44717TR). Cette formule, presque sibylline, semble s’inscrire dans un mouvement jurisprudentiel bien établi. En réalité, elle révèle une certaine inconstance de la deuxième chambre civile, et surtout, elle laisse perdurer une conception dépassée du droit de la preuve.

L’inconstance provient du fait que la Cour de cassation varie sur la nature du pouvoir confié aux juges du fond (souverain ou discrétionnaire). Elle a ainsi reconnu un pouvoir souverain de ne pas ordonner une expertise (Cass. civ. 1, 9 septembre 2015, n° 14-15.957, F-P+B N° Lexbase : A9376NNL) ou un complément d’expertise (Cass. civ. 2, 26 juin 2008, n° 07-13.875, FS-P+B+R N° Lexbase : A3655D9A), mais elle a aussi reconnu par le passé que ce pouvoir pouvait être discrétionnaire (Cass. civ. 2, 8 avril 2004, n° 02-18.838, F-D N° Lexbase : A8343DBM). Or, la distinction entre pouvoir souverain et pouvoir discrétionnaire est bien connue. Le premier s’exerce à condition que le juge motive sa décision, alors que le second échappe à toute exigence de motivation.

La conception traditionnelle que traduisent ces arrêts tranche avec la reconnaissance plus récente d’un droit à la preuve au bénéfice des parties. Ce droit oblige le juge à procéder à un examen d’utilité de la preuve et de proportionnalité vis-à-vis de droits antinomiques en présence (par ex. Cass. soc. 16 novembre 2016, n°15-17.163, F-D N° Lexbase : A2420SIH). La Cour affirme ainsi que le juge doit rechercher si la mesure d’instruction sollicitée n’est pas « nécessaire » ou « indispensable » à l’exercice du droit à la preuve. Si la Cour de cassation ne précise pas dans ces arrêts ce qu’elle entend par « nécessaire » ou « indispensable », il n’en reste pas moins qu’elle attend du juge qu’il s’expliquer avec précision sur la raison qui le conduit à admettre ou rejeter une mesure d’instruction, notamment dans les contentieux dans lesquels une telle mesure serait de nature à porter atteinte aux droits d’autrui (droit au respect de la vie privée, droit au secret des affaires, etc.). Cette conception rénovée du droit de la preuve n’est pas compatible avec le maintien d’un pouvoir discrétionnaire.

C. Intrusion dans le disque dur personnel d’un salarié par un concurrent de l’employeur

Il y a quelques années, le débat entre le droit au respect de la vie privée des salariés et le droit de l’employeur de contrôler leur activité s’est soldé par un compromis, qui permet à l’employeur d’accéder aux fichiers professionnels du salarié. À cet égard, la Cour de cassation a institué une présomption de caractère professionnel des fichiers lorsqu’ils sont contenus sur un support fourni par l’employeur (ordinateur, disque dur, etc. - Cass. soc., 12 février 2013, n° 11-28.649, FS-P+B N° Lexbase : A0485I8H). La question s’est posée à nouveau dans un contexte différent. À la demande d’une société commerciale, un juge avait ordonné sur requête qu’un huissier réalise une mesure d’instruction au sein d’une entreprise concurrente. A cet effet, l’huissier avec consulté le contenu de l’ordinateur d’un des salariés de cette société et il avait également appréhendé le contenu d’un disque dur qui appartenait au salarié. La question qui se posait dans cette espèce était de savoir si la présomption de caractère professionnel des fichiers informatiques était cantonnée aux relations entre employeur et employés, ou si elle avait une portée plus générale. La Cour de cassation opte pour la portée générale (Cass. civ.2, 30 juin 2022, n° 21-10.276, F-D N° Lexbase : A215879S). Elle affirme ainsi que le disque dur était relié à l’ordinateur professionnel du salarié et que l’huissier de justice « n’avait fait qu’appréhender des documents réputés être de nature professionnelle ». Il appartenait donc au salarié (ou à son employeur) de démontrer que « des documents strictement personnels auraient été saisis ». On déduit de cet arrêt que la présomption de caractère professionnel des fichiers ou des supports utilisés par un salarié n’est pas une règle qui découle du pouvoir de contrôle de l’employeur. Il s’agit d’une présomption attachée au fait qu’en général, le salarié utilise du matériel professionnel dans l’exercice de son activité professionnelle.

D. Mesures d’instruction in futurum sur requête : la motivation doit être circonstanciée

Nous signalons ce dernier arrêt intéressant (Cass. civ. 2, 3 mars 2022, n° 20-22.349, F-B N° Lexbase : A24687P4) dans lequel la deuxième chambre civile revient sur le particularisme de la mesure d’instruction de l’article 145 du Code de procédure civile lorsqu’elle est sollicitée sur requête. Dans cette espèce, le juge ayant ordonné la mesure avait motivé trop succinctement sa décision en affirmant qu’il était « établi que la requérante justifie de circonstances exigeant que la mesure soit ordonnée sans débat contradictoire préalable ». Une formule aussi générale n’est pas satisfaisante aux yeux de la Cour de cassation. Cette dernière exige que l’ordonnance énonce « les circonstances justifiant que la mesure ne soit pas prise contradictoirement » et elle précise également que ce défaut de motivation ne peut faire l’objet d’une régularisation a posteriori devant le juge de la rétractation.

IV. La communication électronique

L’actualité de la communication électronique, après avoir été très dense, se tarit un peu, signe probable que les difficultés liées à cette communication se réduisent doucement. L’évolution de la jurisprudence traduit d’ailleurs un retour a plus de souplesse (comme nous le verrons plus loin également à propos de l’annexe à la déclaration d’appel).

Un premier arrêt reprend une solution déjà posée selon laquelle « aucune disposition n'impose aux parties de limiter la taille de leurs envois à la juridiction et de transmettre, par envois séparés » les différents actes et pièces du dossier (Cass. civ. 2, 19 mai 2022, n° 21-10.423, F-B N° Lexbase : A41047XB). Il s’agissait, en l’espèce, d’une procédure à jour fixe devant la Cour d’appel. Cette procédure relève du régime de la communication électronique obligatoire. Le demandeur avait transmis dans un même envoi l’assignation, ses annexes ainsi que les pièces. La taille de l’envoi dépassait 11 Mo et avait été rejetée par le système informatique. Le plaideur avait alors remis au greffe l’ensemble des documents sur support papier, justifiant de la « cause étrangère » prévue à l’article 930-1 al. 2 du Code de procédure civile N° Lexbase : L7249LE9.  La cour d’appel avait pourtant retenu que les fichiers correspondant à l’assignation et à ses annexes atteignaient 2,8 Mo, et que le dépassement de la taille des fichiers n’était dû qu’au volume représenté par les pièces. De façon implicite, la juridiction du fond considérait que le plaideur aurait dû transmettre dans des envois séparés d’un côté l’assignation et ses annexes, et de l’autre côté les pièces du dossier. C’est cette analyse qui est censurée par la Cour de cassation. Les parties ne sont pas tenues de limiter la tailler de leur envoi, et si les « tuyaux » de communication entre RPVA et RPVJ ne permettent pas de transmettre des fichiers numériques dépassant 4 Mo, cette limitation technique constitue une cause étrangère qui autorise les parties à remettre leurs actes au greffe sur support papier.

Cette souplesse dont fait preuve la deuxième chambre civile peut être rapprochée d’un arrêt récent de la CEDH, qui condamne la France pour le formalisme excessif dans la mise en œuvre de la communication électronique (CEDH, 9 juin 2022, Req. 15567/20, Xavier Lucas c/ France N° Lexbase : A07327Z7). Dans cette affaire, un plaideur avait exercé un recours en annulation d’une sentence arbitrale devant une cour d’appel, alors que la plate-forme e-barreau ne lui permettait de transmettre ce recours par voie électronique et que ni l’arrêté technique, ni la convention conclue entre le barreau et la cour d’appel de Douai ne mentionnaient le recours en annulation parmi les actes relevant de la communication électronique obligatoire. Le plaideur avait alors remis au greffe les documents liés à ce recours sur support papier. Face à l’impossibilité technique d’exercer le recours par voie électronique et au silence des textes, la cour d’appel jugea que le recours en annulation était recevable. À l’inverse, la Cour de cassation jugea que le recours en annulation d'une sentence arbitrale devait être formé, instruit et jugé selon les règles relatives à la procédure en matière contentieuse prévues aux articles 900 N° Lexbase : L0916H4P à 930-1 du Code de procédure civile, laquelle imposait une communication électronique. Elle ajouta que les conventions passées entre une cour d’appel et un barreau ne pouvaient déroger aux dispositions de l’article 930-1 du Code de procédure civile (Cass. civ. 2, 26 septembre 2019, n° 18-14.708, F-P+B+I N° Lexbase : A7137ZPZ).

L’affaire fut portée devant la CEDH, au motif que la décision de la Cour de cassation portait atteinte au droit au procès équitable et en particulier le droit d’accès au juge. En particulier, le requérant faisait valoir devant la Cour européenne l’impossibilité matérielle de saisir son recours sur la plate-forme e-barreaux. Plus précisément, pour utiliser la voie électronique, ce dernier aurait dû utiliser des « notions juridiques impropres ». La Cour relève également que l’article 930-1 al. 2 CPC semblait autoriser l’usage du support papier à titre exceptionnel. Elle conclut en affirmant que le requérant ne pouvait être tenu responsable de l’erreur procédurale en cause et qu’« il serait donc excessif de la mettre à sa charge ».

En rappelant sa jurisprudence selon laquelle « les tribunaux doivent éviter, dans l’application des règles de procédure, un excès de formalisme qui porterait atteinte à l’équité du procès », la CEDH juge dans cette affaire que les conséquences qui s’attachent au raisonnement tenu par la Cour de cassation sont particulièrement rigoureuses. En ne tenant pas compte des obstacles pratiques, la haute juridiction française a fait preuve d’un formalisme que la garantie de sécurité juridique n’imposait pas. Ce formalisme doit donc être considéré comme excessif.

Cet arrêt de la CEDH s’inscrit dans une tendance jurisprudentielle importante, qui cherche à établir un équilibre entre le formalisme justifié par la sécurité juridique et la bonne administration de la justice, et l’excès du même formalisme, susceptible de constituer une entrave injustifiée au droit au juge.

V. Procédure orale

Plusieurs arrêts rendus en 2022 témoignent de la grande souplesse formelle qui règne dans la procédure orale.

En premier lieu, dans un arrêt du 19 mai 2022, la Cour de cassation rappelle que le greffier avise le demandeur par tous moyens, alors que le défendeur, lui est convoqué par lettre recommandée avec demande d’avis de réception (Cass. civ. 2, 19 mai 2022, n° 21-23.249, F-B N° Lexbase : A41067XD). Cette règle, applicable également en appel (CPC, art. 937 N° Lexbase : L1431I8I), a été opposée à un appelant qui alléguait n’avoir pas été touché par sa convocation qui avait été communiquée par lettre simple. La Cour de cassation profite de cette espèce pour préciser que c’est à l’appelant de s’enquérir du sort de l’appel qu’il a interjeté et elle en déduit que la cour d’appel n’avait pas à rechercher si l’appelant, absent le jour de l’audience, avait effectivement reçu l’avis.

Cette souplesse dans le formalisme de la procédure dite « orale » s’applique également aux parties. On sait que dans la procédure orale pure, les parties ont la possibilité de saisir le juge de leurs écritures lorsqu’elles sont présentes à l’audience et qu’elles s’y réfèrent expressément (Cf. ÉTUDE : La procédure orale, Les principes applicables à la procédure orale, in Procédure civile, (dir. E. Vergès), Lexbase N° Lexbase : E8635B4L).

La question se pose toutefois de savoir quel est le sort de ces écritures, lorsque le juge ordonne des renvois d’audience. Dans un arrêt du 3 février 2022, la deuxième chambre civile rappelle opportunément que « en matière de procédure orale, la cour d'appel demeure saisie des écritures, dont elle constate qu'elles ont été déposées par une partie ayant comparu, même si celle-ci ne comparaît pas, ou ne se fait pas représenter, à l'audience de renvoi pour laquelle elle a été à nouveau convoquée » (Cass. civ. 2, 3 février 2022, n° 20-18.715, F-B N° Lexbase : A32137LL). Concrètement, cela signifie que lorsqu’une partie est présente à une audience et qu’elle se réfère à ses écritures, le juge est saisi par lesdites écritures et la partie est, de fait, dispensée de se présenter à une audience ultérieure. Il s’agit là d’une fausse dispense, puisque la procédure ne bascule pas dans sa forme « orale /écrite » (CPC, art.  446-1, al. 2 N° Lexbase : L1138INH), mais l’effet est le même.

On trouve à nouveau une illustration du formalisme atténué de la procédure orale à propos des demandes additionnelles dans un arrêt rendu le 19 octobre 2022 (Cass. soc., 19 octobre 2022, n° 21-13.060, FS-B N° Lexbase : A01988QE). En l’espèce, un salarié avait formulé des demandes additionnelles relatives à des notes de frais et des rappels de salaire. Ces demandes avaient été présentées dans des conclusions écrites soutenues oralement et déposées le jour de l’audience. Son adversaire alléguait que ces demandes additionnelles étaient irrecevables, car elles n’avaient pas été présentées dans la requête initiale. Cette espèce soulevait une question technique résultant du caractère mixte de la procédure orale lorsque les parties sont toutes assistées ou représentées par un avocat et que les demandes sont formulées par écrit. Le Code du travail impose alors aux parties de récapituler ces demandes sous forme de dispositifs dans les dernières conclusions (C. trav. art. R. 1453-5 N° Lexbase : L2615K8D). Il s’agit ici d’imposer aux parties le formalisme des conclusions récapitulatives et structurées. La question qui se posait dans cette espèce était de savoir comment concilier la souplesse de la procédure orale, qui permet de présenter des prétentions à l’audience, et le formalisme des écritures. La chambre sociale affirme ainsi que « la procédure étant orale, le requérant est recevable à formuler contradictoirement des demandes additionnelles qui se rattachent aux prétentions originaires, devant le juge lors des débats, ou dans ses dernières conclusions écrites réitérées verbalement à l'audience lorsqu'il est assisté ou représenté par un avocat ». Autrement dit, le formalisme des écritures n’empêche pas le requérant assisté d’un avocat de présenter le jour de l’audience des demandes additionnelles, à condition que ces demandes figurent dans le dispositif du dernier jeu de conclusions et qu’elles soient soutenues à l’audience.

VI. Appel

Comme chaque année, la jurisprudence sur la procédure devant la cour d’appel s’avère très fournie. L’année 2022 a été marquée par la saga de l’annexe à la déclaration d’appel, dont nous rappellerons les grandes lignes, pour nous concentrer ensuite sur les autres nouveautés.

A. La saga de l’annexe à la déclaration d’appel

Cette saga débute bien avant l’année 2022, puisqu’elle est concomitante à la réforme de 2017 qui a imposé aux plaideurs de préciser dans leur déclaration d’appel l’ensemble des chefs de jugements critiqués. Une difficulté technique s’est vite présentée, puisque la plate-forme e-barreaux ne permettait pas d’inscrire dans le message de la déclaration d’appel plus de 4080 caractères. Incités par une circulaire ministérielle, les avocats avaient développé la pratique de l’annexe à la déclaration d’appel. Toutefois, l’usage de cette annexe était peu réglementé, de sorte que cette technique fut utilisée de façon parfois systématique, même lorsque les chefs de jugements critiqués ne dépassaient pas le volume des 4 080 caractères. C’est cette situation qui a donné lieu à l’arrêt du 13 janvier 2022, dans lequel la deuxième chambre civile limitait le recours à l’annexe aux « cas d’empêchement technique » (Cass. civ. 2, 13 janvier 2022, n° 20-17.516, FS-B N° Lexbase : A14867IU). Cette décision posait donc une contrainte formelle nouvelle, à laquelle s’ajoutait une certaine confusion. En effet, l’annexe était autorisée pour « compléter » la déclaration d’appel dans le cas d’un empêchement technique. Il fallait donc comprendre que les chefs de jugements devaient être inscrits par priorité dans la déclaration d’appel et pour le surplus dans l’annexe, situation qui apparaissait quelque peu ubuesque.

Souhaitant résoudre cette difficulté, le gouvernement profita du décret n° 2022-245 du 25 février 2022 N° Lexbase : L5564MBP (d’application de la loi sur la confiance dans l’institution judiciaire) pour modifier l’article 901 du Code de procédure civile en précisant que « la déclaration d'appel est faite par acte, comportant le cas échéant une annexe ». En réalité, ce texte n’apportait aucune précision utile, puisqu’il ne remettait pas en cause la règle selon laquelle l’annexe était réservée à l’hypothèse de l’empêchement technique.

La délivrance est arrivée de l’avis rendu par la deuxième chambre civile le 8 juillet 2022. La Cour de cassation affirme sans ambiguïté qu’une « interprétation téléologique du décret aboutit à considérer que cet ajout vise à permettre l'usage de l'annexe, même en l'absence d'empêchement technique ». Elle en déduit que « qu'une déclaration d'appel à laquelle est jointe une annexe comportant les chefs de dispositif du jugement critiqués constitue l'acte d'appel conforme aux exigences de l'article 901 du Code de procédure civile, dans sa nouvelle rédaction et ce, même en l'absence d'empêchement technique ». Par ailleurs, le décret du 25 février 2022, tel qu’interprété par l’avis, est jugé applicable immédiatement aux instances en cours, même lorsque la déclaration d’appel est antérieure à son entrée en vigueur (pourvu que cette déclaration n’ait pas été annulée). L’avis du 8 juillet 2022 (Cass. avis, 8 juillet 2022, n° 22-70.005, FS-B N° Lexbase : A72698AH ne constitue pas l’épilogue de cette saga. En effet, dans un arrêt du 12 janvier 2023, la Cour de cassation a dû préciser les règles d’application dans le temps du décret du 25 février 2022 en présence d’un pourvoi en cassation. Elle a ainsi affirmé que l'instance devant une cour d'appel, introduite par une déclaration d'appel, prend fin avec l'arrêt que rend cette juridiction. Elle ne se poursuit pas devant la Cour de cassation, devant laquelle est introduite une instance distincte. En d’autres termes, le décret du 25 février 2022 s’applique aux instances en cours devant la cour d’appel, mais pas aux instances qui se sont achevées par une décision de la cour d’appel avant cette date et qui ont ensuite fait l’objet d’un pourvoi en cassation (Cass. civ. 2, 12 janvier 2023, n° 21-16.804, FS-B N° Lexbase : A646887P).

B. Formalisme de la déclaration d’appel et effet dévolutif

Le décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 N° Lexbase : L2696LEL relatif à l’appel en matière civile a transformé l’effet dévolutif de la déclaration d’appel en imposant aux plaideurs de mentionner les chefs du jugement critiqué. Par la suite, la Cour de cassation a dû préciser quelles étaient les conséquences d’une déclaration irrégulière. Plusieurs arrêts rendus en 2022 viennent rappeler les différents principes applicables en la matière :

- l’indication des chefs de jugement critiquées est une formalité requise à peine de nullité. La première sanction est donc celle qui concerne les irrégularités de forme. Elle ne peut être encourue qu’à la condition de démontrer l’existence d’un grief.

- la nécessité d’établir un grief rend la sanction de la nullité peu efficace, puisque l’intimé ne subit, en réalité, aucun préjudice lié à cette irrégularité. La Cour de cassation affirme ainsi, de façon constante, que lorsque la déclaration d’appel ne mentionne pas les chefs de jugement critiqués, « l’effet dévolutif n’opère pas » et ce, même si la déclaration d’appel n’a pas été annulée. La cour d’appel n’est donc saisie d’aucune demande (Cass. civ. 2, 19 mai 2022, n° 21-10.685, F-B N° Lexbase : A41087XG).

- toutefois, s’agissant d’un vice de forme, la déclaration d’appel peut être régularisée. Elle doit l’être, non pas par des conclusions ou par un simple message RPVA de l’appelant, mais uniquement par une nouvelle déclaration d’appel dans le délai imparti à l’appelant pour conclure (Cass. civ. 2, 30 juin 2022, n° 21-12.720, F-B N° Lexbase : A8574783).

- enfin, la Cour de cassation précise que seule la cour d’appel dans sa formation collégiale a le pouvoir de statuer sur l’absence d’effet dévolutif. A contrario, le conseiller de la mise en état, dont la compétence est limitativement définie par le code de procédure civile, ne dispose pas du pouvoir pour se prononcer sur l’effet dévolutif de l’appel (Cass. civ. 2, 19 mai 2022, n° 21-10.685, F-B).

C. L’effet dévolutif dans la procédure sans représentation obligatoire

La Cour de cassation reconnaît la spécificité de la procédure sans représentation obligatoire. Le formalisme rigoureux de la déclaration d’appel ne correspond pas à cette procédure ouverte à tous les justiciables. Dans un important arrêt dont la motivation est enrichie, la deuxième chambre civile a affirmé « qu'en matière de procédure sans représentation obligatoire, la déclaration d'appel qui mentionne que l'appel tend à la réformation de la décision déférée à la cour d'appel, en omettant d'indiquer les chefs du jugement critiqués, doit s'entendre comme déférant à la connaissance de la cour d'appel l'ensemble des chefs de ce jugement » (Cass. civ. 2, 30 juin 2022, n° 21-15.003, F-B N° Lexbase : A857378Z). La solution s’éloigne de la lettre de l’article 562 du Code de procédure civile N° Lexbase : L7233LEM, qui s’applique dans les procédures avec et sans représentation obligatoire. Toutefois, la Cour de cassation est ici sensible au risque de l’excès de formalisme et donc de condamnation par la CEDH. Elle motive donc sa décision en expliquant qu’un « tel degré d'exigence dans les formalités à accomplir par l'appelant en matière de procédure sans représentation obligatoire constituerait une charge procédurale excessive ».

La formulation de l’arrêt est suffisamment générale pour s’étendre à l’hypothèse dans laquelle l’appelant serait tout de même assisté ou représenté par un avocat. Cette analyse est confirmée par un arrêt du 29 septembre 2022, dans lequel la Haute juridiction précise que lorsque la déclaration omet les chefs de jugement critiqués, la dévolution s’opère pour le tout « y compris lorsque les parties ont choisi d'être assistées ou représentées par un avocat » (Cass. civ. 2, 29 septembre 2022, n° 21-23.456, FS-B N° Lexbase : A34268LH).

Enfin, pour ajouter à la souplesse de la procédure sans représentation obligatoire, la Cour de cassation admet que l’appel doit être considéré comme total, même si la déclaration omet de préciser que l’appel tend à l’annulation ou à la réformation du jugement (même arrêt).

D. Formalisme des écritures

Le formalisme des écritures en appel traduit la technicité de cette procédure. À cet égard, la structuration des écritures doit se combiner avec les règles sur l’effet dévolutif de l’appel. Une charte de présentation des écritures vient d’ailleurs d’être publiée le 30 janvier 2023 sur le site de la Cour de cassation pour guider les plaideurs dans cet exercice délicat [en ligne]. Cette volonté de pédagogie s’accorde avec une tendance vers un formalisme allégé en la matière.

Dans un arrêt du 3 mars 2022, la Cour de cassation revient sur le dispositif des conclusions de l’appelant. On se souvient qu’elle avait imposé, à plusieurs reprises (Cass. civ. 2, 17 septembre 2020, n° 18-23.626, FS-P+B+I N° Lexbase : A88313TA ; 1er juillet 2021, n° 20-10.694 N° Lexbase : A20054YW) que l’appelant demande, dans le dispositif de ses conclusions, soit l’infirmation, soit l’annulation du jugement. À défaut, la cour d’appel ne peut que confirmer le jugement. Une cour d’appel a cru pouvoir ajouter à ce formalisme déjà très précis, l’obligation de reprendre dans le dispositif l’énoncé des chefs de jugement dont l’infirmation était demandée. La Cour de cassation ne suit pas ce raisonnement. Au contraire, elle juge que l’appelant n’est pas tenu de reprendre dans le dispositif les chefs de jugement dont il demande l’infirmation (Cass. civ. 2, 3 mars 2022, n° 20-20.017, F-B N° Lexbase : A24677P3).

La Cour de cassation vient aussi préciser que le défaut de mention d’une demande d’annulation ou d’infirmation dans le dispositif des conclusions peut être sanctionné par la caducité de la déclaration d’appel. Cette sanction peut être prononcée, à la demande d’une partie, soit par le conseiller de la mise en état, soit par la cour d’appel statuant sur déféré (Cass. civ. 2, 29 septembre 2022, n° 21-14.681, F-B N° Lexbase : A34038LM).

D’autres arrêts traduisent une certaine souplesse dans le formalisme des écritures. Par exemple, si aux termes de l’article 954 du Code de procédure civile N° Lexbase : L7253LED, les conclusions doivent comprendre une discussion des prétentions et des moyens, les dispositions de cet article « n’exigent pas que les prétentions et les moyens contenus dans les conclusions d'appel figurent formellement sous un paragraphe intitulé “discussion’’. La Cour de cassation impose seulement que « ces éléments apparaissent de manière claire et lisible dans le corps des conclusions » (Cass. civ. 2, 8 septembre 2022, n° 21-12.736, F-B N° Lexbase : A24628HN). Dans le même esprit, la Cour affirme que sont recevables, des conclusions adressées à la cour, mais qui comportent dans leur dispositif une référence erronée au conseiller de la mise en état, dès lors que ces conclusions contiennent une demande de réformation, ainsi que des prétention et moyen de fond (Cass. civ. 2, 20 octobre 2022, n° 21-15.942, F-B N° Lexbase : A50978QT).

E. Le formalisme devant la cour d’appel et le défenseur syndical

La place du défenseur syndical dans la procédure civile crée de nouvelles difficultés liées à son statut mixte. En effet, d’un côté, le défenseur syndical reçoit une formation pour représenter ou assister les parties dans la conduite du procès, mais d’un autre côté, le défenseur syndical n’est pas un professionnel du droit et, à ce titre, il ne maîtrise pas toujours l’ensemble des finesses liées à la complexité de la procédure devant la cour d’appel et à l’évolution de la jurisprudence. Par ailleurs, il n’a pas accès aux outils de communication électronique sécurisés, tel que le RPVA et il doit transmettre ses actes, soit par remise au greffe, soit par lettre recommandée avec demande d’avis de réception.

Ce particularisme de la situation du défenseur syndical a donné lieu à deux arrêts importants rendus le 8 décembre 2022.

Le premier arrêt concernait la question désormais classique d’une déclaration d’appel dépourvue des chefs de jugement critiqués. Cette déclaration avait été formée par un défenseur syndical et elle avait été sanctionnée par le constat d’une absence d’effet dévolutif de l’appel. Dans son pourvoi, la partie déboutée de son appel invoquait le particularisme des circonstances de l’espèce, qui tenait au fait qu’elle n’était pas représentée par un professionnel du droit. Elle reprochait ainsi à la Cour d’appel de n’avoir pas recherché si le formalisme procédural qui lui était imposé ne portait pas atteinte à son droit d’accès au juge. La Cour de cassation rejette cette argumentation (Cass. civ. 2, 8 décembre 2022, n° 21-16.186, FS-B+R N° Lexbase : A91828XD). Elle affirme au contraire que s’il n’est pas un professionnel du droit, le défenseur syndical « n'en est pas moins à même d'accomplir les formalités requises par la procédure d'appel avec représentation obligatoire sans que la charge procédurale en résultant présente un caractère excessif de nature à porter atteinte au droit d'accès au juge garanti par l'article 6, § 1 Conv. EDH ».

Le second arrêt concernait les modalités de la communication du défenseur syndical. Le moyen du pourvoi invoquait une rupture de l’égalité des armes résultant du fait que le défenseur syndical n’avait pas accès aux outils de communication électronique rapide dont bénéficiaient les avocats. En particulier, était en cause l’impossibilité pour le défenseur syndical d’utiliser le courriel ou la télécopie. À nouveau, la Cour de cassation rejette le pourvoi (Cass. civ. 2, 8 décembre 2022, n° 21-16.487, FS-B N° Lexbase : A10298YR) en affirmant que les modalités de transmission des actes par le défenseur syndical « ne crée pas de rupture dans l'égalité des armes, dès lors qu'il n'en ressort aucun net désavantage au détriment des défenseurs syndicaux auxquels sont offerts, afin de pallier l'impossibilité de leur permettre de communiquer les actes de procédure par voie électronique ».

Ces deux arrêts tranchent avec la jurisprudence adoptée dans la procédure sans représentation obligatoire. En effet, vis-à-vis du défenseur syndical, la Cour de cassation exige le respect du formalisme tel qu’il est énoncé par le Code de procédure civile. La deuxième chambre civile suit ainsi une certaine cohérence, qui consiste à établir une ligne de démarcation entre les procédures avec et sans représentation obligatoire. Les premières étant très formelles, même à l’égard du défenseur syndical, les secondes étant moins formelles, même à l’égard de la partie représentée ou assistée par un avocat.

Nous signalons également quelques décisions importantes rendues en 2022 :

  • 5 arrêts rendus le 9 juin 2022 ayant fait l’objet d’un panorama Lexbase, portant notamment sur l’indivisibilité du litige et la déclaration d’appel (Y. Joseph-Ratineau, Panorama de jurisprudence : remettre toujours le métier sur l’ouvrage, Lexbase Droit privé, juin 2022, n° 912  N° Lexbase : N1989BZP) ;
  • les délais pour conclure de l’intimé à l’occasion d’un appel incident ultérieurement formé par une autre partie (Cass. civ. 2, 9 juin 2022, n° 20-15.827, FS-B N° Lexbase : A793174I);
  • l’autorisation d’un appel réitéré (un nouvel appel principal) lorsque la caducité a été prononcée sur le fondement de l’article 85 du Code de procédure civile N° Lexbase : L1423LGS (appel sur la compétence) (Cass. civ. 2, 19 mai 2022, n° 21-10.422, F-B N° Lexbase : A41117XK);
  • la répartition des compétences entre le conseiller de la mise en état et la cour d’appel en matière d’évolution du litige (Cass. avis, 11 octobre 2022, n° 22-70.010, FS-B N° Lexbase : A40718N4).
 

[1] Cf. M. Mignot, Concentration des moyens et des prétentions : le grand désordre ! JCP G, 2022, 875.

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Procédure civile

[Brèves] Ne constitue pas une défense au fond l’opposition du défendeur à une demande de jonction d’instances !

Réf. : Cass. civ. 2, 2 février 2023, n° 21-15.924, F-B N° Lexbase : A26009BW

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N4301BZC

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par Alexandra Martinez-Ohayon

Le 10 Février 2023

La deuxième chambre civile de la Cour de cassation énonce que l’opposition à une demande de jonction d’instances ne constitue pas une défense au fond de nature à rendre irrecevable une exception de procédure soulevée postérieurement.

Faits et procédure. Dans cette affaire, une société a confié à un chantier naval des travaux sur un bateau, et notamment l’installation d’un moteur. Constatant des avaries sur ce moteur, et après expertise ordonnée en référé, la demanderesse a assigné au fond la société française fabriquant le moteur et son assureur en paiement de diverses sommes sur le fondement de la garantie des vices cachés. La société française a assigné en garantie une société autrichienne en sa qualité de fabricant des injecteurs du moteur.

Le pourvoi. La demanderesse fait grief à l’arrêt (CA Versailles, 12e ch., 18 février 2021, n° 20/04243 N° Lexbase : A71694HY), de dire que l’exception d’incompétence soulevée est irrecevable. L’intéressée fait valoir la violation des articles 74 N° Lexbase : L1293H4N et 71 N° Lexbase : L1286H4E et 368 N° Lexbase : L2215H4S du Code de procédure civile. En l’espèce, l’arrêt a retenu pour déclarer l’exception d’incompétence irrecevable, que la protestation de la société autrichienne relative à sa mise en cause, du fait d'une éventuelle inopposabilité de l'expertise, constituait bien un moyen ayant comme but de faire rejeter comme non justifiée la prétention de la société française demanderesse tendant à sa garantie. Les juges d’appel ont retenu que cette exception de procédure était irrecevable dès lors qu’elle n’avait pas été présentée in limine litis.

Solution. Énonçant la solution précitée au visa des articles 74 et 71 du Code de procédure civile, la Cour de cassation censure le raisonnement de la cour d’appel, et casse et annule en toutes ses dispositions l’arrêt rendu par la cour d’appel de Versailles. Les Hauts magistrats rappellent au titre du premier texte que les exceptions de procédure doivent, à peine d'irrecevabilité, être soulevées avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir. Il ressort du second texte, que constitue une défense au fond tout moyen qui tend à faire rejeter comme non justifiée, après examen au fond du droit, la prétention de l'adversaire.

La Haute juridiction retient que la société fabriquant les injecteurs ne sollicitait pas que l’expertise judiciaire lui soit déclarée inopposable et qu’elle s’était bornée à défendre la demande de jonction de l'instance en garantie la concernant à celle sur le fondement des vices cachés intentée contre la société fabriquant le moteur, sans faire valoir de défense sur le fond du droit.

newsid:484301

Procédure prud'homale

[Brèves] Licenciement du lanceur d’alerte : possibilité d'obtenir une décision rapide devant le juge des référés

Réf. : Cass. soc., 1er février 2023, n° 21-24.271, FS-B N° Lexbase : A01919BP

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N4235BZU

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par Lisa Poinsot

Le 20 Février 2023

Après avoir apprécié si les éléments qui lui sont soumis permettent de présumer que la salariée a relaté ou témoigné de bonne foi de faits constitutifs d’un délit ou d’un crime, ou qu’elle a signalé une alerte, il appartient à la formation des référés de la juridiction prud’homale de rechercher si l’employeur rapporte la preuve que sa décision de licenciement est justifiée par des éléments objectifs étrangers à la déclaration ou témoignage de l’intéressée.     

Faits et procédure. Une salariée saisit le comité d’éthique du groupe dans lequel appartient la société qui l’emploie pour signaler des faits susceptibles d’être qualifiés de corruptions, mettant en cause l’un de ses anciens collaborateurs et son employeur. Elle informe également ce même comité de la situation de harcèlement dont elle estime faire l’objet à la suite de cette alerte.

Licenciée par son employeur, elle saisit la formation des référés de la juridiction prud’homale afin que soit constatée la nullité de son licenciement intervenu en violation des dispositions protectrices des lanceurs d’alertes.

La cour d’appel (CA Versailles, 16 septembre 2021, n° 21/00016 N° Lexbase : A699444S) relève, tout d’abord, qu’aucun élément ne permet de remettre en cause la bonne foi de la salariée à l’occasion des alertes données successivement à sa hiérarchie puis au comité d’éthique du groupe, de sorte que la salariée détient la qualité de lanceur d’alerte en application des articles 6 N° Lexbase : Z91750TZ et 8 N° Lexbase : Z91755TZ de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016.

Ensuite, elle retient que le lien entre la réelle détérioration de la relation de travail et l’alerte donnée par la salariée ne ressort pas, de façon manifeste, des évaluations professionnelles de celle-ci. En outre, l’employeur, qui n’a pas eu la volonté d’éluder les termes de l’alerte, apporte un certain nombre d’éléments objectifs afin d’expliciter les faits présentés par la salariée comme étant constitutifs de représailles.

Enfin, elle constate que la lettre de licenciement décline les griefs portant exclusivement sur le travail de la salariée, de sorte que l’examen du caractère réel et sérieux de tels griefs relève du juge du fond.

Par conséquent, la cour d’appel dit n’y avoir lieu à référé.

La salariée forme alors un pourvoi en cassation.

La solution. Énonçant la solution susvisée, la Chambre sociale de la Cour de cassation casse et annule la décision de la cour d’appel sur le fondement des articles L. 1132-3-3 du Code du travail N° Lexbase : L0919MCZ, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2022-401 du 21 mars 2022 N° Lexbase : L0484MCW, L. 1132-4 N° Lexbase : L0920MC3 et R. 1455-6 N° Lexbase : L0819IAL du même code.

En application du statut protecteur du lanceur d’alerte, cette décision permet de rappeler la vigilance dont doit faire preuve l’employeur en cas de décision de licencier un salarié ayant lancé une alerte ou ayant aidé le lanceur d’alerte. En méconnaissance de ce statut protecteur, toute mesure prise à l'égard de l'intéressé est nulle, de sorte que pèse sur l’employeur un risque financier.

Ainsi, faire débuter une procédure de licenciement à l’encontre d’un salarié bénéficiant d’un statut de lanceur d’alerte, quelques semaines après que le service compétent ait conclu sur l’alerte, peut être un indice de violation du statut protecteur.

En outre, la Haute juridiction rappelle les principes relatifs à la compétence de la formation de référé. Il appartient en effet au juge des référés, même en présence d'une contestation sérieuse, de mettre fin au trouble manifestement illicite que constitue la rupture d'un contrat de travail consécutive au signalement d'une alerte.

Pour aller plus loin :

  • v. infographie, INFO535, Lanceurs d’alerte : procédure de recueil et de traitement des signalements, Droit social N° Lexbase : X5910CN9 ;
  • lire J. Colonna et V. Renaux-Personnic, Loi « Waserman » : un nouveau statut pour le lanceur d’alerte, Lexbase Social, mai 2022, n° 904 N° Lexbase : N1323BZZ.
  • v. ÉTUDE : Les dispositions relatives à la protection des salariés, La protection des salariés lanceurs d’alerte, in Droit du travail, Lexbase N° Lexbase : E9886E9Z ;
  • v. aussi : ÉTUDE : Le référé prud’homal, Les principes relatifs à la compétence de la formation de référé, in Droit du travail, Lexbase N° Lexbase : E3824ETS.

 

newsid:484235

Propriété intellectuelle

[Brèves] Saisie-contrefaçon : seul le placement sous séquestre provisoire peut être utilisé pour protéger le secret des affaires du saisi

Réf. : Cass. com., 1er février 2023, n° 21-22.225, FS-B+R N° Lexbase : A01909BN

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N4267BZ3

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par Vincent Téchené

Le 08 Février 2023

► Afin d'assurer la protection du secret des affaires de la partie saisie, le président, statuant sur une demande de saisie-contrefaçon, ne peut que recourir, au besoin d'office, à la procédure spéciale de placement sous séquestre provisoire.

Faits et procédure. La société Teoxane est titulaire d’un brevet européen portant sur un procédé qui a été délivré le 19 juin 2019.

Le 9 octobre 2019, la société Vivacy a assigné la société Teoxane en annulation des revendications 1 à 4 de la partie française du brevet européen devant le tribunal de grande instance, devenu tribunal judiciaire, de Paris. Au soutien de cette action, la demanderesse exposait commercialiser une composition mettant en œuvre son propre brevet déposé le 23 décembre 2014 et délivré le 4 janvier 2017. De son côté, la société Teoxane, soutenant que ce produit contrefaisait son brevet, a obtenu, sur requêtes, deux ordonnances l'autorisant à faire procéder à des opérations de saisie-contrefaçon au siège de la société Vivacy et dans une unité de production.

Le 6 février 2020, la société Vivacy a assigné la société Teoxane devant le juge ayant autorisé les opérations de saisie-contrefaçon en rétractation des deux ordonnances et, subsidiairement, afin que soient déterminées les modalités de divulgation des pièces saisies.

La cour d’appel (CA Paris, 5-2, 25 juin 2021, n° 20/09994 N° Lexbase : A16214XC) ayant refusé de rétracter les ordonnances litigieuses, la société Vivacy a formé un pourvoi en cassation.

Décision. En premier lieu, la Cour de cassation rappelle qu’il résulte de l'article 845, alinéa 3, du Code de procédure civile N° Lexbase : L9340LT4, dans sa rédaction issue du décret n° 2019-1333, du 11 décembre 2019 N° Lexbase : L8421LT3, que les requêtes afférentes à une instance en cours relèvent de la seule compétence du président de la chambre saisie ou à laquelle l'affaire a été distribuée ou au juge déjà saisi. En outre, selon l'article 74 du même code N° Lexbase : L1293H4N, les exceptions doivent, à peine d'irrecevabilité, être soulevées simultanément et avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir.

Or, la Haute juridiction constate que, dans ses conclusions, la société Vivacy a soulevé une fin de non-recevoir, tirée du défaut de pouvoir du président de la chambre à laquelle l'affaire avait été distribuée, avant de développer une défense au fond.

Dès lors, la Cour de cassation en déduit qu'elle n'est pas recevable à soulever, pour la première fois, devant elle, sous le couvert d'une violation de l'article 845, alinéa 3, du Code de procédure civile, l'incompétence de ce magistrat.

Mais en second lieu, la Cour de cassation censure l’arrêt d’appel au visa des articles R. 615-2, dernier alinéa, du Code de la propriété intellectuelle N° Lexbase : L2351LKB et R. 153-1 du Code de commerce N° Lexbase : L3347LNB. Elle relève qu’il ressort du premier de ces textes, qu'afin d'assurer la protection du secret des affaires, le président, qui autorise une mesure de saisie-contrefaçon, peut ordonner d'office le placement sous séquestre provisoire des pièces saisies, dans les conditions prévues au second de ces textes.

Or, pour rejeter la demande de rétractation des ordonnances ayant autorisé la saisie réelle ou par voie de photocopie ou de photographie de documents « sous réserve de placement sous scellés en cas d'atteinte au secret des affaires », l'arrêt d’appel a considéré que si une procédure spécifique de placement sous séquestre provisoire est prévue aux articles R. 615-2, dernier alinéa, du Code de la propriété intellectuelle et R. 153-1 du Code de commerce, une telle procédure était facultative et le juge n'était pas tenu d'y recourir. Ainsi, l’arrêt d’appel a-t-il retenu que c'est le choix fait par le magistrat, qui a décidé de prononcer la mesure, différente et plus protectrice du saisi, de placement sous scellés des pièces de nature à violer le secret des affaires.

Mais pour la Haute juridiction, en statuant ainsi, alors qu'afin d'assurer la protection du secret des affaires de la partie saisie, le président, statuant sur une demande de saisie-contrefaçon, ne peut que recourir, au besoin d'office, à la procédure spéciale de placement sous séquestre provisoire, la cour d'appel a violé les textes visés.

newsid:484267

Représentation du personnel

[Brèves] Contrôle du juge sur l’accord collectif fixant le nombre et le périmètre des établissements distincts au sein du CSE

Réf. : Cass. soc., 1er février 2023, n° 21-15.371, FS-B+R N° Lexbase : A01989BX

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N4231BZQ

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par Charlotte Moronval

Le 08 Février 2023

► Les signataires d'un accord d'entreprise sont libres de déterminer les critères permettant la fixation du nombre et du périmètre des établissements distincts au sein de l’entreprise, à la condition toutefois qu'ils soient de nature à permettre la représentation de l'ensemble des salariés.

Faits et procédure. Une compagnie aérienne signe avec un ensemble de syndicats un accord d’entreprise relatif à la mise en place des CSE d'établissement et du CSE central d'entreprise. Cet accord prévoit la division de l’entreprise en 7 établissements, dont un établissement dénommé « Exploitation aérienne », regroupant la direction générale des opérations aériennes, laquelle assure la gestion des pilotes, et la direction générale service en vol, compétente pour la gestion des personnels navigants commerciaux et des personnels commerciaux sédentaires.

Le syndicat des pilotes de la compagnie aérienne saisit la juridiction prud’homale pour demander l’annulation de cet accord. Il sollicite également la reconnaissance d'un établissement distinct ne comprenant que le personnel navigant technique.

La cour d’appel (CA Paris, 6-2, 18 février 2021, n° 19/14084 N° Lexbase : A69564H4) le déboute de ses demandes. Le syndicat des pilotes forme alors un pourvoi en cassation.

La solution. Enonçant la solution susvisée, la Chambre sociale de la Cour de cassation rejette le pourvoi.

L’arrêt de la cour d’appel ayant énoncé que les critères retenus pour déterminer le nombre et le périmètre des établissements distincts relèvent de la seule liberté des partenaires sociaux est confirmé.

Pour aller plus loin :

  • lire la notice relative à l’arrêt ;
  • à rappr. dernièrement de : Cass. soc., 14 décembre 2022, n° 21-19.551, FS-B+R N° Lexbase : A49598ZP ;
  • sur ce sujet, lire E. Peskine, L’établissement distinct dans la jurisprudence de la Cour de cassation : bref état des lieux, Lexbase Social, juin 2022, n° 912 N° Lexbase : N1994BZU ;
  • v. ÉTUDE : Les conditions de mise en place du comité social et économique, La détermination du périmètre de mise en place du comité social et économique, in Droit du travail, Lexbase N° Lexbase : E9046ZQ4.

 

newsid:484231