La lettre juridique n°936 du 23 février 2023

La lettre juridique - Édition n°936

Éditorial

[Point de vue...] Distinguer le vrai du faux

Lecture: 4 min

N4397BZU

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/93403533-edition-n-936-du-23022023#article-484397
Copier

par Matthieu Hy, Avocat au Barreau de Paris

Le 22 Février 2023

En essayant de faire juger que la complicité de tentative d’escroquerie au jugement par production d’un faux en écriture peut être commise de manière non intentionnelle, par imprudence ou inattention, quelques magistrats ont fait preuve d’une stupéfiante audace dont la raison demeurera un mystère, étant précisé par ailleurs que les mis en cause ont la qualité d’avocat.

En premier lieu, il est acquis que la complicité implique, au titre de l’élément matériel, un acte positif, antérieur ou concomitant et causal. L’inaction ou la passivité ne remplit pas la première condition [1]. Laisser se commettre un meurtre n’en rend pas l’agent complice. Existent toutefois des délits spécifiques d’abstention [2] tel que le non-empêchement de crime. À titre exceptionnel, la jurisprudence a reconnu qu’une abstention pouvait être assimilée à un acte positif lorsque l’agent, notamment en raison de sa qualité professionnelle, avait une obligation d’agir [3]. Ne faisant pas le travail qui lui incombe, il aide l’auteur à commettre l’infraction.

Toutefois, dans ce cas, le devoir d’agir affecte uniquement l’élément matériel en assimilant l’abstention à un acte positif. Il ne dispense nullement de caractériser une intention dont le contenu demeure intact [4]. Il n’a pas pour effet de rendre la complicité non intentionnelle.

En d’autres termes, celui qui s’abstient alors qu’il avait le devoir d’agir n’est pas coupable par négligence [5]. Il le sera uniquement s’il a sciemment laissé se commettre l’infraction qu’il devait empêcher, démontrant alors son intention d’y participer.

Ainsi, inventer, à la charge de l’avocat, une obligation positive d’authentifier les pièces qu’il communique [6] n’est d’aucune utilité dès lors qu’est reconnu, dans le même temps, que ledit avocat ignorait que le document produit était un faux [7].

Travestir l’élément matériel de la complicité n’a pas pour effet de modifier l’élément moral.

En second lieu, il est étonnant de prétendre caractériser aussi aisément une complicité de tentative d’escroquerie par production d’un faux alors qu’une analyse attentive de la jurisprudence permet de constater que, lorsque les faits sont commis dans un contexte judiciaire, le délit de faux en écriture est lui-même impossible à caractériser [8].

En effet, au titre de l’élément matériel, il a par exemple été jugé qu’une ordonnance de désignation d’un juge d’instruction [9] ou un soit-transmis [10] n’a pas la moindre portée juridique et ne peut donc jamais faire l’objet d’un faux [11]. Peu importe donc l’antidatage [12], le caractère erroné de certaines indications [13] ou même des « mentions mensongères » [14].

Le préjudice qu’auraient pu causer de telles falsifications ? En théorie, il peut certes n’être qu’éventuel ou même possible [15]. En pratique, il est toujours introuvable [16].

Au titre de l’élément moral, reconnaître avoir antidaté un acte de procédure est évidemment insuffisant pour conduire ne serait-ce qu’à une mise en examen [17]. Une « altération volontaire » ne caractérise aucune infraction pénale [18].

Contrairement à ce que pensent les mauvais juristes et la Chambre criminelle de la Cour de cassation, l’intention ne réside absolument pas dans la « seule conscience de l'altération de la vérité » [19].

Elle se définit comme « la volonté de dissimuler la fausseté d’un acte » [20]. Ainsi ne suffit-il pas d’avoir voulu falsifier, encore faut-il avoir voulu dissimuler sa falsification, de la même manière qu’il ne peut y avoir meurtre sans réunion d’une intention de tuer et d’une intention de dissimuler le cadavre [21].

Par ailleurs, l’erreur de droit est, comme chacun sait, une cause d’irresponsabilité facilement admise [22].

En tout état de cause, l’intention n’est jamais caractérisée [23], le mis en cause étant toujours considéré, et c’est heureux, de bonne foi [24].

La loi est la même pour tous. La jurisprudence un peu moins.

 

[1] S. Fournier, Rép. Dalloz, Complicité, § 75 : « La complicité suppose l'accomplissement d'un acte positif et ne peut s'induire d'une simple abstention, tel est le principe général affirmé par maintes décisions » ; J.-H. Robert, JCl. Pénal Code, art. 121-6 et 121-7, Fasc. 20 – Complicité, § 23 s.

[2] J.-H. Robert, JCl. Pénal Code, art. 121-6 et 121-7, Fasc. 20 – Complicité, § 24.

[3] S. Fournier, Rép. Dalloz, Complicité, § 80 ; J.-H. Robert, JCl. Pénal Code, art. 121-6 et 121-7, Fasc. 20 – Complicité, § 25.

[4] S. Fournier, Rép. Dalloz, Complicité, § 114 : « La complicité nécessite, afin d'être punissable, une intention coupable chez le complice. Cette intention coupable, c'est non seulement le caractère volontaire de l'acte de participation, mais encore la conscience et le désir de concourir ainsi à l'infraction principale. » ; J.-H. Robert, JCl. Pénal Code, art. 121-6 et 121-7, Fasc. 20 – Complicité, § 57 : « Les conditions subjectives de la responsabilité pénale sont appréciées distinctement chez chacun des deux comparses : ce sont le discernement, la liberté et, quand elle est requise, l’intention délictueuse de l’auteur principal (celle du complice l’est toujours) ».

[5] S. Fournier, Rép. Dalloz, Complicité, § 116 : « Parce qu'il faut la volonté de s'associer consciemment à l'acte principal, on ne saurait retenir la complicité de celui qui, par imprudence ou par négligence, a facilité la commission de l'infraction (Crim. 6 déc. 1989, Dr. pénal 1990. 117) ».

[6] Cette obligation n’existe pas.

[7] S. Fournier, Rép. Dalloz, Complicité, § 117 : « De même ne peut-il y avoir complicité lorsque l'agent n'a pas connaissance de l'infraction qui va s'accomplir ».

[8] Pour des illustrations s’agissant de magistrats : AFP, Accusation pour « faux » : non-lieu pour le juge C[…], 18 novembre 2004 ; T. Boutry, Justice : non-lieu définitif pour la juge K[...], qui avait antidaté un document, Le Parisien, 8 janvier 2021 [en ligne] ; T. Boutry, Non-lieu pour la juge d'instruction qui avait antidaté un document, Aujourd'hui en France, 7 mai 2018 ; J.-B. Jacquin, Sept ans après le suicide d’un détenu à la maison d’arrêt de Bar-le-Duc, deux magistrates relaxées, Le Monde, 29 octobre 2022 [en ligne] ; AFP, Accusation pour « faux » : non-lieu pour le juge C[…], préc.

[9] Cass. crim., 6 janvier 2021, n° 19-87.422, F-D N° Lexbase : A89444BU.

[10] Pour un exemple concernant un magistrat : AFP, Accusation pour « faux » : non-lieu pour le juge C[…], préc.

[11] Contrairement par exemple à une lettre de candidature à un emploi : Cass. crim., 25 février 2009, n° 08-82.797.

[12] Pour une illustration s’agissant d’un magistrat : T. Boutry, Justice : non-lieu définitif pour la juge K[...], qui avait antidaté un document, Le Parisien, préc.

[13] Pour des exemples concernant des magistrats : AFP, Accusation pour « faux » : non-lieu pour le juge C[…], préc. ; AFP, Francs-maçons : l'ex-juge niçois JP R[...] condamné à 5.000 euros d'amende, 13 janvier 2006.

[14] Pour un exemple s’agissant d’un magistrat : AFP, Francs-maçons : l'ex-juge niçois JP R[...] condamné à 5.000 euros d'amende, préc.

[15] JCl. Pénal Code, art. 441-1 à 441-12, Fasc. 20 : Faux, § 41.

[16] Pour des illustrations concernant des magistrats : AFP, Accusation pour « faux » : non-lieu pour le juge C[…], préc. ; T. Boutry, Non-lieu pour la juge d'instruction qui avait antidaté un document, Aujourd'hui en France, préc. ; T. Boutry, Une juge d'instruction devant la cour d'appel après avoir antidaté un document, Le Parisien, 27 mars 2019 [en ligne].

[17] Pour un exemple s’agissant d’un magistrat : T. Boutry, Justice : non-lieu définitif pour la juge K[...], qui avait antidaté un document, préc. ; M. Leplongeon, Le faux qui embarrasse la justice, Le Point, 28 novembre 2017 [en ligne] ; Maladroite mais pas coupable ?, Aujourd'hui en France, 5 novembre 2017 ; T. Boutry, Non-lieu pour la juge d'instruction qui avait antidaté un document, Aujourd'hui en France, préc. ; T. Boutry, Une juge d'instruction devant la cour d'appel après avoir antidaté un document, Le Parisien, 27 mars 2019.

[18] « L'altération volontaire n'est pas contestable en l'espèce », rappelle l'avocat général, qui estime qu'« il aurait été plus rigoureux de laisser la désignation incomplète subsister en l'état au dossier ». Mais, développe-t-il, cet « oubli » serait sans conséquence judiciaire » (Source : T. Boutry, Une juge d'instruction devant la cour d'appel après avoir antidaté un document, Le Parisien, 27 mars 2019).

[19] Cass. crim., 7 décembre 2022, n° 21-82.374, F-D N° Lexbase : A42378YL.

[20] Position du parquet : Maladroite mais pas coupable ?, Aujourd'hui en France, 5 novembre 2017 : « La mise en forme de l'ordonnance de désignation à une date ultérieure à celle que mentionne l'acte ne répond pas à la définition du faux en écriture publique, qui suppose la volonté de dissimuler la fausseté d'un acte ou d'une décision derrière une date ne correspondant pas à la réalité », analyse le parquet, qui se contente d'une simple remontrance : « Cette façon de procéder, si elle n'est pas formellement irréprochable, n'apparaît ainsi pas constitutive des crimes objets de la présente information ».

[21] Pour un texte affirmant le contraire : C. pén., art. 221-1 N° Lexbase : L2260AMN.

[22] Pour une illustration s’agissant d’un magistrat : J.-B. Jacquin, Sept ans après le suicide d’un détenu à la maison d’arrêt de Bar-le-Duc, deux magistrates relaxées, Le Monde, 29 octobre 2022 [en ligne] ; E. Nicolas, Suicide d’un détenu : relaxe requise pour deux magistrates, 22 septembre 2022, Le Progrès, 21 septembre 2022 [en ligne] ; S. Dechet, Jugée pour faux en écriture publique, au tribunal de Lyon, L'écho républicain, 27 octobre 2022.

[23] Pour des exemples concernant des magistrats : J.-B. Jacquin, Sept ans après le suicide d’un détenu à la maison d’arrêt de Bar-le-Duc, deux magistrates relaxées, Le Monde, 29 octobre 2022 ; E. Nicolas, Suicide d’un détenu : relaxe requise pour deux magistrates, Le Progrès, préc. ; S. Dechet, Jugée pour faux en écriture publique, au tribunal de Lyon, L'écho républicain, préc. ; T. Boutry, Non-lieu pour la juge d'instruction qui avait antidaté un document, Aujourd'hui en France, préc. ; AFP, Accusation pour « faux » : non-lieu pour le juge C[…], préc. ;

[24] Pour une illustration s’agissant d’un magistrat : J.-B. Jacquin, Sept ans après le suicide d’un détenu à la maison d’arrêt de Bar-le-Duc, deux magistrates relaxées, Le Monde, préc.

newsid:484397

Droit pénal spécial

[Jurisprudence] Adam (toujours) plus fort qu’Eve : quand un sein est un sexe ! (saison 4)

Réf. : CEDH, 13 octobre 2022, Req. 22636/19, Bouton c/ France N° Lexbase : A74738N4 ; Cass. crim., 16 février 2022, n° 21-82.392, F-D N° Lexbase : A75177NQ ; Cass. crim., 15 juin 2022, n° 21-82.392, F-D N° Lexbase : A7261773

Lecture: 32 min

N4404BZ7

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/93403533-edition-n-936-du-23022023#article-484404
Copier

par le Dr Nicolas Catelan, Maitre de conférences à l’Université Paris Cité, CEDAG – EA 1516

Le 22 Février 2023

Mots clés : exhibition sexuelle • liberté d’expression • CEDH • Femen • principe de légalité • liberté de religion • égalité • interprétation • contrôle de proportionnalité

L’année 2022 a vu la Cour européenne condamner la France en raison du prononcé d’une peine d’un mois d’emprisonnement avec sursis à l’encontre d’une Femen ayant exprimé une opinion politique pro-avortement en dévoilant sa poitrine dans l’église de la Madeleine.

La Cour de cassation a quant à elle refusé de renvoyer une QPC au Conseil constitutionnel nonobstant les lourdes défectuosités de l’article 222-32 du Code pénal N° Lexbase : L2629L47  Elle a ainsi pu confirmer la condamnation de Femen ayant agi lors des commémorations du centenaire de l’armistice de la 1ère Guerre mondiale.


 

Saison 4 (2022). Alors que pendant des décennies le délit d’exhibition sexuelle a peu retenu l’attention de la Cour de cassation et de la doctrine, il a fallu moins de cinq ans pour qu’un mouvement tel que celui des Femen fasse imploser une incrimination ne comportant aucune définition du comportement prohibé. L’histoire est connue : les Femen sont un groupement informel de femmes désirant faire passer des messages politiques en usant de leur corps. La particularité de leur mouvement tient au fait que leurs performances se réalisent seins nus, les Femen s’étant aperçues, chose étrange, que leur corps dévoilé attirait d’avantage l’attention qu’une simple parole politique. Évidemment, ce constat en dit long sur les relents nauséabonds de notre société qui peine à donner crédit à la parole politique des femmes si leur corps ne sert de vecteur. Les expériences détestables vécues par certaines femmes politiques au sein même du cœur parlementaire en témoignent [1] : la France est loin d’être sortie de sa torpeur paternaliste qui enferme les femmes pour, pense- t-on, les protéger de leur vulnérabilité [2].

Las… de nombreux procureurs ont vu dans les incursions spectaculaires des Femen contre un ordre établi l’occasion de les poursuivre entre autres du chef d’exhibition sexuelle. Une de ces affaires avait ainsi amené une Femen a être prévenue d’avoir, seins nus, dégradé une statue de Vladimir Poutine au musée Grévin afin de dénoncer le « dictateur » lors d’un de ses déplacements politiques en France. L’histoire a évidemment donné raison à cette Femen qui, ce jour-là, a eu plus de courage que tous les gouvernants s’étant succédés pour serrer la main du grand démocrate.

On sait toutefois que la Cour de cassation n’a jamais varié d’un iota au moment de dire si le fait pour une femme, et la seule femme d’ailleurs, de montrer sa poitrine pouvait consommer le délit d’exhibition sexuelle. La réponse a constamment été positive [3]. Tout au plus affirme-t-elle qu’un contrôle de proportionnalité peut permettre à la prévenue d’échapper à la condamnation au nom d’une éventuelle atteinte disproportionnée à la liberté d’expression [4]. Contrôle qui n’empêchait pas des Femen d’être sanctionnées pour une performance au sein de l’Église de la Madeleine [5] ou encore lors des manifestations du centenaire de l’armistice de 1918 [6]. C’est dire que ce contrôle est tout sauf la panacée au moment de se pencher sur leur responsabilité.

Disproportion vaut condamnation. L’arrêt rendu le 13 octobre 2022 par la Cour européenne des droits de l’Homme [7] (CEDH), et condamnant la France, revient ainsi sur l’affaire dite « de l’Église de la Madeleine ». Et la leçon infligée à la France ne doit surprendre. La Cour de cassation avait, en 2019, cautionné la motivation de la cour d’appel, cette dernière ayant, selon la Chambre criminelle, examiné « la proportionnalité de l’atteinte portée à la liberté d’expression de la Femen à la lueur du droit pour autrui, reconnu par l'article 9 de la Convention européenne des droits de l'homme, de ne pas être troublé dans la pratique de sa religion ». Nous avions à l’époque exprimé les plus grands doutes à l’endroit de la motivation développée par les juges du fond, ceux-ci ayant, sous couvert d’exhibition sexuelle, condamné la requérante au nom d’un blasphème assez mal dissimulé dans leur décision [8]. Cela n’a pas échappé à la CEDH qui, au nom de la liberté d’expression, estime que la condamnation à une peine d’emprisonnement, fût-elle assortie du sursis, est disproportionnée. La Cour note pourtant que les juges du fond ont bien mobilisé la grille d’analyse conventionnelle quant au contrôle de proportionnalité. Le résultat, purement artificiel, ne convainc toutefois pas les juges européens selon lesquels « les motifs retenus par les juridictions internes ne suffisent pas à ce qu’elle regarde la peine infligée à la requérante, compte tenu de sa nature ainsi que de sa lourdeur et de la gravité de ses effets, comme proportionnée aux buts légitimes poursuivis.

67.  Dans ces conditions, la Cour estime que l’ingérence dans la liberté d’expression de la requérante que constitue la peine d’emprisonnement avec sursis qui a été prononcée à son encontre n’était pas « nécessaire dans une société démocratique ».

68.  Dès lors, il y a eu violation de l’article 10 de la Convention ».

Caléidoscope : épisodes 1, 2 et 3. Cette condamnation discrédite la posture française (I.) qui, en fait d’exhibition sexuelle, a ici cherché à protéger la foi des croyants. La position française confine surtout à une véritable imposture (II.) comme le confirment les deux décisions rendues par la Cour de cassation en 2022 dans l’affaire du centenaire de l’armistice de 1918 [9]. L’exhibition sexuelle est un outil servant ici à régir le corps des femmes : la répression empêche le second sexe de perturber l’ordre établi au moyen de son enveloppe charnelle.

I. La posture

Épisode 3. La condamnation de la France repose sur un raisonnement à double détente : la prévenue a été concrètement retenue dans les liens de la prévention en raison de l’offense portée à la foi des chrétiens et non en raison de son exhibition (A.) ; et la peine privative de liberté est ici disproportionnée au regard de la liberté d’expression (B.).

A. Une action blasphématoire

 « (L)es juridictions internes n’avaient pas, eu égard à l’objet de l’incrimination en cause, à procéder à la mise en balance entre la liberté d’expression revendiquée par la requérante et le droit à la liberté de conscience et de religion protégé par l’article 9 de la Convention » (§ 60).

Atteinte prévisible et nécessaire. Lorsque la CEDH est confrontée à une requête fondée sur une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression, elle opère un contrôle portant sur l’existence d’un texte légal, le but légitime de la restriction ainsi que sa nécessité dans une société démocratique. La prévisibilité légale ne faisait aucun doute. La jurisprudence est ici acquise : l’exhibition par une femme de ses seins consomme le délit d’exhibition sexuelle. Sans revenir sur la pertinence de cette analyse, la Cour estime que « la requérante pouvait raisonnablement s’attendre à ce que ce comportement entraîne pour elle des conséquences pénales » (§ 39). La question relative à la légitimité de l’atteinte ne retient pas plus longtemps la Cour puisqu’il s’agit ici d’assurer « la protection de la morale et des droits d’autrui, la défense de l’ordre et la prévention des infractions pénales » (§ 41). La nécessité de l’atteinte a évidemment soulevé des interrogations et des doutes bien plus substantiels.

Nécessité dans une société démocratique. La Cour observe dès l’entame de son raisonnement que la condamnation de la requérante était fondée sur la caractérisation du délit d’exhibition sexuelle. Selon le Gouvernement, elle ne visait pas à sanctionner ses idées et opinions critiques sur la doctrine de l’Église catholique (§ 47). Certes. La Cour estime surtout que l’action de la requérante, constitue une « performance » entrant dans le champ d’application de l’article 10 N° Lexbase : L4743AQQ (§ 48). La requérante a en effet cherché à « véhiculer, dans un lieu de culte symbolique, un message relatif à un débat public et sociétal portant sur le positionnement de l’Église catholique sur une question sensible et controversée, à savoir le droit des femmes à disposer librement de leur corps, y compris celui de recourir à l’avortement ». Même si cette action était « susceptible d’offenser des convictions personnelles intimes relevant de la morale voire de la religion compte tenu du lieu choisi pour réaliser la performance », « la liberté d’expression de la requérante devait bénéficier d’un niveau suffisant de protection, allant de pair avec une marge d’appréciation des autorités nationales atténuée dès lors que le contenu de son message relevait d’un sujet d’intérêt général » (§ 49). La Cour refuse alors de se prononcer sur les éléments constitutifs du délit d’exhibition sexuelle car il ne lui appartient pas de déterminer s’il faut tenir compte des « mobiles » [10] de la personne poursuivie. Cela incombe, subsidiarité oblige, aux autorités nationales, notamment aux tribunaux. Il n’en demeure pas moins que, outre la qualification, la légitimité de la condamnation interroge. De sorte que placer le débat sur le terrain exclusif de la sanction empêche la Cour de se prononcer sur le bien-fondé de la condamnation au regard de la liberté d’expression. On peut le regretter.

Prison et liberté d’expression : principe de retenue. Si la commission d’une infraction dans une Église peut justifier une condamnation, la Cour se dit ici « frappée de la sévérité de la sanction que les juridictions internes ont infligée à l’intéressée sans pour autant exposer en quoi une peine d’emprisonnement s’imposait pour garantir la protection de l’ordre public, de la morale et des droits d’autrui dans les circonstances de l’espèce » (§ 51) : « la peine d’un mois d’emprisonnement avec sursis fixée à l’encontre de la requérante est une peine privative de liberté susceptible d’être ramenée à exécution en cas de nouvelle condamnation et qui a été inscrite à son casier judiciaire. À la gravité de la sanction pénale prononcée s’est ajouté le montant relativement élevé de la somme mise à la charge de la requérante au titre des intérêts civils » (§ 52). Or, selon la Cour, une peine de prison infligée dans le cadre d’un débat politique ou d’intérêt général n’est compatible avec la liberté d’expression garantie par l’article 10 de la Convention N° Lexbase : L4743AQQ que dans des circonstances exceptionnelles, notamment lorsque d’autres droits fondamentaux ont été gravement atteints, comme dans l’hypothèse, par exemple, de la diffusion d’un discours de haine ou d’incitation à la violence (§ 53). Cette précision est d’importance. La Cour l’a récemment rappelé dans une affaire relative à l’apologie du terrorisme [11]. Apparaît ici une réelle tendance : les abus de la liberté d’expression se marient mal, en principe, avec la prison.

En l’espèce, la juridiction strasbourgeoise rappelle que la requérante n’a eu aucun comportement injurieux ou haineux. Aussi choquante que fût l’action de la femen, « eu égard à la nudité qu’elle a imposée dans un lieu public, comportement sanctionnable en vertu du droit pénal interne », elle « avait pour seul objectif de contribuer, par une performance délibérément provocante, au débat public sur les droits des femmes, plus spécifiquement sur le droit à l’avortement ». Et la Cour de mentionner que le casier judiciaire de la prévenue était vierge et qu’elle était socialement et professionnellement intégrée. Il en résulte que la référence dans la décision d’appel à « la personnalité de l’auteur » pour justifier la peine ne renvoyait en réalité « à aucun élément précis et défavorable ni ne justifiait le choix de ne pas retenir une peine non privative de liberté » (§ 53). Quand on sait à quel point la Cour de cassation se fait le chantre de la motivation de l’emprisonnement, on peut être surpris que la Cour de Strasbourg, soit en mesure de reprocher aux juges du fond une motivation superficielle. Cela n’a en réalité rien d’étonnant tant le contrôle opéré par la Chambre criminelle est formel et ne s’attelle pas à vérifier la pertinence des arguments mobilisés par les juges du second degré. On sait donc gré à la CEDH de rappeler que la prison n’est pas une sanction banale, fût-elle courte et accompagnée du sursis. Et la Cour de réitérer son « principe de retenue » [12] : « les juridictions internes ont fait le choix d’une peine d’emprisonnement qui, même assortie d’un sursis, ne peut être considérée comme la peine la plus modérée exigée par la jurisprudence de la Cour quand est en jeu la liberté d’expression de la personne sanctionnée […], domaine dans lequel, comme il a été rappelé précédemment […], l’usage de la voie pénale ne doit être choisi qu’avec retenue par les instances nationales » (§ 54).

Justification : quelle conciliation ? Reste alors à vérifier si la peine infligée était malgré tout justifiée ; cela conduit la Cour à examiner, de manière fort « pédagogique » [13], la pertinence et la suffisance des motifs développés par les juridictions internes (§ 55). Or la Cour observe que le contrôle de proportionnalité, en l’espèce, amenait à ménager un juste équilibre entre les intérêts de l’individu et l’intérêt général (§ 56). La Cour a raison de le rappeler : l’infliction d’une peine se fait au nom de l’intérêt général et la question ici est de savoir si cela est proportionné à l’aune de la liberté d’expression de la prévenue. Il ne s’agit donc pas de mettre en balance « deux libertés également protégées par la Convention » (§ 57). Les juridictions françaises ont cependant invoqué, en première instance comme en appel, la proportionnalité de l’ingérence au nom du « besoin social impérieux de protéger autrui de la vue dans un lieu de culte, d’une action exécutée à moitié dénudée que d’aucuns peuvent considérer comme choquante ». La cour d’appel a également jugé que « ce que la prévenue estim[ait] comme étant sa liberté d’expression a[vait] eu pour effet de porter gravement atteinte à la liberté de penser d’autrui comme de la liberté religieuse en général ». La Cour de cassation a par la suite confirmé cette analyse en fondant le rejet du pourvoi de la requérante sur la nécessité de concilier deux libertés protégées par la Convention, à savoir la liberté d’expression, d’une part, et la liberté de conscience et de religion protégée par l’article 9 N° Lexbase : L4799AQS, d’autre part (décrite en l’espèce comme étant le droit « de ne pas être troublé dans la pratique de sa religion »). Ce faisant le juge pénal français a fondé la légitimité de la répression sur l’intérêt des croyants présents dans l’Église. Et c’est là, évidemment que le bât blesse [14] : l’intérêt de certains n’est pas assimilable à l’intérêt général, le droit ne saurait donner crédit à une telle perspective.

La sanction pénale a été officiellement infligée à la requérante en répression du délit d’exhibition sexuelle, pour avoir dénudé sa poitrine dans un lieu public. Il ne s’agissait pas de punir une atteinte à la liberté de conscience et de religion. Et la Cour de formuler un reproche imparable : « si les circonstances de lieu ainsi que les symboles auxquels la requérante avait eu recours devaient être nécessairement pris en compte, pour l’appréciation des intérêts divergents en jeu, en tant qu’éléments de contexte, les juridictions internes n’avaient pas, eu égard à l’objet de l’incrimination en cause, à procéder à la mise en balance entre la liberté d’expression revendiquée par la requérante et le droit à la liberté de conscience et de religion protégé par l’article 9 de la Convention ». Comme le relève la juge ŠIMÁČKOVÁ dans son opinion concordante : « L’objectif réel de la sanction de la requérante pour agression sexuelle était de la punir pour avoir exhibé sa poitrine nue à l’église et pour avoir ainsi offensé la congrégation, c’est-à-dire dans un objectif autre que celui prévu par la loi ». Et la juge de marteler : « En matière d’accusations pénales, il faut appeler les choses par leur vrai nom et ne pas cacher un objectif sous un autre » (§ 6). Cette observation est vraie ici comme dans tous les contentieux relatifs aux Femen. Les poursuites ne servent pas à punir car un individu a été choqué par la vue des seins d’une femme mais bien car la performance globale perturbe l’ordre normal des choses. La poitrine incriminée est l’arbre pénal qui cache fort mal les réelles intentions conservatrices de ceux qui réprouvent, poursuivent et condamnent ces comportements. Or, en matière d’exhibition sexuelle, c’est la bien la nudité qui est en jeu et le droit pour un individu de se servir de son corps pour exprimer une opinion. Il ne s’agit pas de savoir, en l’espèce, si l’action perturbe la foi des croyants.

Ce recadrage du débat amène logiquement la Cour à condamner la France, l’infliction de la peine d’emprisonnement étant jugée disproportionnée.

B. Une atteinte disproportionnée

Prétérition in favorem. La Cour relève que même si le débat s’était posé en termes d’atteinte aux convictions des croyants, les juges ont étrangement écarté des éléments de contexte jouant en faveur de la prévenue : la requérante avait agi en dehors de tout exercice du culte puisqu’aucune messe n’était en cours au moment des faits. Si une chorale répétait dans l’église, la requérante n'était toutefois pas à portée de vue. Au surplus, l’action s’était déroulée de manière brève, sans déclamation des slogans affichés sur son corps et l’intéressée avait quitté l’église dès que cela lui avait été demandé (§ 62).

Contrôle à opérer. La Cour se permet alors de formuler le problème de droit tel qu’il aurait dû l’être par les juges français, i.e la mise en balance des intérêts divergents que sont d’une part, le droit de la requérante de communiquer au public ses idées sur les droits devant être reconnus aux femmes, dont celui de disposer de leur corps, et, d’autre part, le droit d’autrui au respect de la morale et de l’ordre public. Selon les juges strasbourgeois « cet examen ne pouvait être valablement effectué par les juridictions internes qu’au moyen d’une analyse de l’ensemble des éléments en litige portant sur le contexte dans lequel se situait l’action litigieuse ainsi que sur les mobiles de la requérante » (§ 63). Il est évident que les juridictions internes, et plus particulièrement la cour d’appel, se sont bornées à examiner la question de la nudité de la poitrine dans un lieu de culte, et ce « isolément de la performance globale dans laquelle elle s’inscrivait sans prendre en considération, dans la balance des intérêts en présence, le sens donné à son comportement par la requérante ». Les juridictions internes ont ainsi refusé de tenir compte de la signification des inscriptions figurant sur le corps de la requérante, où se trouvait une référence au manifeste pro-avortement de 1971 dit « manifeste des 343 salopes » [15]. N’ont pas été prises en considération les explications fournies par la requérante quant au sens donné à leur nudité par les militantes des Femen, auxquelles elle appartenait, dont la poitrine dénudée sert d’« étendard politique » ni sur le lieu de son action, à savoir un lieu de culte notoirement connu du public, choisi dans le but de favoriser la médiatisation de cette action (§ 64). Les juges internes se sont ainsi concentrés sur le choc (légitime) ressenti par les personnes présentes sans donner assez d’importance à l’acte et à sa signification. Aussi une conclusion s’impose : « les motifs adoptés par les juridictions internes ne sont pas de nature à lui permettre de considérer qu’en l’espèce, elles ont procédé à la mise en balance entre les intérêts en présence de manière adéquate et conformément aux critères dégagés par sa jurisprudence » (§ 65).

Dès lors, les motifs retenus par les juridictions internes ne permettent pas à la juridiction strasbourgeoise de regarder « la peine infligée à la requérante, compte tenu de sa nature ainsi que de sa lourdeur et de la gravité de ses effets, comme proportionnée aux buts légitimes poursuivis » (§ 66) : « l’ingérence dans la liberté d’expression de la requérante que constitue la peine d’emprisonnement avec sursis qui a été prononcée à son encontre n’était pas « nécessaire dans une société démocratique » (§ 67). Il y a donc bel et bien eu violation de l’article 10 de la Convention (§ 68).

Comme le relève Yves Mayaud : « Modération, retenue, telle est la proportionnalité à respecter lorsque la liberté d'expression est en cause, et l'ingérence ne peut que ressortir affaiblie d'une sanction qui s'en éloigne » [16]. Cette condamnation n’est cependant pas aussi franche qu’elle aurait pu l’être nonobstant « l’apport décisif » [17] relatif au principe de retenue. Reprocher à la France la peine prononcée et sa motivation ne revient pas à estimer qu’une relaxe s’impose nécessairement en cas d’action politique effectuée seins nus. L’incrimination des faits et leur sanction demeurent possibles. Cette « demi-mesure » [18] invite toutefois à revenir sur la position des juges français qui, par l’intermédiaire de la Cour de cassation, ont en 2022 :

- refusé de renvoyer une QPC au Conseil constitutionnel,

- et estimé que le contrôle de proportionnalité désormais mis en place ne s’opposait pas à la condamnation pour exhibition sexuelle d’une femen ayant agi seins nus pendant les commémorations du centenaire de l’armistice de 1918…

II. L’imposture

Épisodes 1 et 2. La condamnation de la France n’aurait jamais eu lieu si les juges français ne s’entêtaient pas à estimer que la simple divulgation de la poitrine d’une femme consommait ipso jure le délit d’exhibition sexuelle. Nonobstant les critiques formulées [19], la Cour de cassation a maintenu son interprétation [20] (B) tout en refusant de renvoyer une fort légitime QPC au Conseil constitutionnel [21] (A). L’imposture est ici flagrante tant le raisonnement mobilisé est spécieux et impropre à convaincre.

A. Une discrimination « constitutionnelle »

Contexte. Le 11 novembre 2018, des militantes du mouvement dit Femen, ont été interpellées après avoir franchi une barrière de sécurité à l'approche de la délégation de nombreux chefs d'État se rendant à la cérémonie de commémoration du centenaire de l'armistice de la Première Guerre mondiale. Elles avaient dénudé leurs poitrines, sur lesquelles étaient inscrits les slogans « Hypocrisy party », « Gangsta party » et « Fake peacemakers », et ont expliqué qu'elles entendaient ainsi manifester leur opposition à l'invitation de ces chefs d'État au forum de Paris sur la Paix. La cour d'appel de Paris, le 7 avril 2021, condamne deux prévenues pour exhibition sexuelle, à un mois d'emprisonnement avec sursis [22], et une troisième, pour exhibition sexuelle, faux et usage de faux, à deux mois d'emprisonnement avec sursis, tout en ordonnant une mesure de confiscation.

Épisode 1 : questions. À l'occasion des pourvois formés contre l'arrêt d’appel, les trois prévenues ont présenté, par mémoire spécial, une question prioritaire de constitutionnalité ainsi rédigée :

« Les dispositions de l'article 222-32 du Code pénal portent-elles atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit et plus exactement :

- aux articles 5, 8 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, 34 de la Constitution ainsi qu'aux principes de légalité de la loi, de clarté de la loi, de prévisibilité juridique et de sécurité juridique en ce qu'elles ne définissent pas de façon claire et précise les éléments constitutifs de l'infraction, notamment la notion d'« exhibition sexuelle » ?

- au principe de nécessité et de proportionnalité des peines garanti par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme de 1789 en ce qu'elles permettent la répression pénale de la simple nudité des torses féminins dans tout lieu accessible aux regards du public ?

- au principe d'égalité qui découle des articles 1er, 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, du principe d'égalité homme femme, consacré par le troisième alinéa du préambule de la Constitution du 4 octobre 1946 et du principe de non-discrimination, en ce qu'elles incriminent la nudité des torses féminins, mais pas celle des torses masculins ? ».

Pertinence. Difficile de nier que le délit d’exhibition sexuelle n’est pas défini légalement. La CEDH l’a elle-même constaté dans sa décision « Bouton c/ France » : « La notion d’exhibition sexuelle n’est pas définie par l’article 222-32 du Code pénal » (§ 15). Naguère, et non jadis, la Cour de cassation a elle-même accepté de renvoyer une QPC portant sur le harcèlement sexuel, alors défini par la loi comme une agression aux fins d’obtenir des faveurs de nature sexuelle. La question fut renvoyée car « la définition du harcèlement sexuel pourrait être considérée comme insuffisamment claire et précise, dès lors que le législateur s'est abstenu de définir le ou les actes qui doivent être regardés, au sens de cette qualification, comme constitutifs de harcèlement sexuel » [23]. La Cour a également renvoyé au Conseil le texte incriminant spécifiquement le revenge porn car, entre autres, le « texte ne précise pas ce qu'il convient d'entendre par paroles ou images à caractère sexuel » [24]. La définition de l’exhibition sexuelle par référence à… une exhibition sexuelle pose les mêmes problèmes : l’absence d’éléments constitutifs clairs et précis est indéniable. Les travaux parlementaires ne permettent même pas de combler le vide notionnel de l’article 222-32 du Code pénal N° Lexbase : L2629L47 [25].

Enfin, nous avions précédemment exposé que la jurisprudence de la Cour de cassation créait une rupture d’égalité entre les femmes et les hommes [26]. Alors que l’exhibition sexuelle d’un homme n’est possible que s’il dévoile son appendice sexuel, le délit s’étend chez la femme à ses seins bien qu’ils ne soient pas un organe sexuel.

La réponse apportée par la Cour de cassation aux légitimes interrogations des prévenues est pour le moins décevante.

Aporie. La Chambre criminelle refuse de renvoyer au Conseil la QPC à tiroirs au motif qu’elle ne présente pas un caractère sérieux (§ 4) :

- « En premier lieu, l'article 222-32 du Code pénal est rédigé en termes suffisamment clairs et précis pour permettre son interprétation, qui relève de l'office du juge pénal, sous le contrôle de la Cour de cassation, sans risque d'arbitraire (§5).

- En deuxième lieu, les peines prévues par la disposition critiquée, que le juge a le pouvoir de moduler en fonction de la situation soumise à son appréciation, ont été considérées comme nécessaires par le législateur pour assurer la préservation de l'ordre public, et n'apparaissent pas manifestement disproportionnées par rapport au but recherché (§ 6).

  • En troisième lieu, le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, et l'article 222-32 du Code pénal s'applique à la fois aux hommes et aux femmes, même si leurs différences anatomiques et les représentations qui y sont associées conduisent à donner un contenu différent à la notion d'exhibition ».

Analyse. Nous ne reviendrons pas sur le premier argument qui, consistant à nier l’évidence, ne peut valablement être apprécié sur un plan strictement scientifique, seule grille d’analyse qui sied à un commentaire académique. Le second argument doit évidemment être apprécié au regard de la jurisprudence « Bouton c. France ».

Le dernier argument mérite toute notre attention car la Cour tente ici de donner un tour juridique à une allégation qui est fausse. Elle affirme en effet que le législateur peut régler de façon différente des situations différentes et déroger à l'égalité pour des raisons d'intérêt général. Or rien dans l’article 222-32 N° Lexbase : L2629L47 ne permet de discriminer les hommes et les femmes quant à leur poitrine. Le texte ne présente aucune distinction de ce type, et pour cause, puisqu’il ne définit pas le délit réprimé. La loi impose simplement de punir l’exhibition sexuelle sans expliquer quel comportement relève du délit : hommes et femmes sont logés à la même enseigne. C’est la Cour, et elle seule, qui discrimine les hommes et les femmes par son interprétation de la loi : le fait que le délit soit étendu à la poitrine des femmes est une construction purement prétorienne. La Chambre criminelle distingue donc là où la loi ne distingue pas. Dans une décision très remarquée la Cour a pourtant mobilisé le principe « Ubi lex non distinguit, nec nos distinguere debemus » pour refuser de censurer une cour d’appel [27].  La réponse à la QPC atteste que cette maxime est le principe le plus relatif qui soit, utilisé en pure opportunité quand il plait à la Cour de le mobiliser [28]. Ita est.

Sociologie ? Paternalisme ! Quant aux « différences anatomiques » et aux « représentations » « associées », qui conduisent à « donner un contenu différent à la notion d'exhibition », nul doute qu’il s’agit ici d’un hommage appuyé à la libre recherche scientifique chère à François Geny [29]. Ces précisions renvoient, on l’imagine, à des travaux sociologiques ou anthropologiques. On peut cependant s’interroger : la Cour a-t-elle parfaitement compris, au cours de ses riches lectures [30], ce que signifient la construction sociale du corps féminin [31], ses injonctions [32], le rapport entre corps et genre [33] et à quel point tout ceci est le produit de la domination masculine [34] ? La Cour a-t-elle saisi à quel point, dans certains espaces, la gêne se renverse puisqu’elle n’est plus gêne du corps nu mais gêne de ne plus pouvoir le dénuder [35] ? Si l’on se réjouit que l’argument sociologique pénètre l’argumentaire de la Cour, il serait appréciable de connaître sur quelles études reposent les « représentations » ici mobilisées [36]. Une telle information permettrait (peut-être) de comprendre pourquoi la Cour désire aggraver la stigmatisation du corps féminin dans l’espace public et consolider la discrimination à l’encontre des femmes au moyen du droit pénal. On ne dira jamais assez que le postulat d’une apparence anatomique différente « par nature » entre les corps masculins et féminins constitue un des plus puissants principes de légitimation des inégalités entre les sexes et de la domination masculine [37].

B. Un délit genré

Une erreur de raisonnement : la réciprocité agression/exhibition sexuelles. Même si la Cour de cassation se garde de l’exprimer clairement, on se doute que l’objectif consiste à protéger les femmes. Le paternalisme, qui nécessite de les rabaisser pour mieux justifier l’intervention charitable, est inexorablement à l’œuvre ici. Le raisonnement implicite est à l’évidence le suivant : ne pas reconnaître que les seins de la femme sont naturellement sexuels empêcherait de condamner tout attouchement non consenti visant cette zone du corps féminin. L’argument ne saurait convaincre. Si un homme venait à être caressé contre sa volonté au niveau de la poitrine, devrait-on repousser toute qualification pénale ?

La réciprocité imposerait en outre de réprimer l’exposition de toute partie du corps qui, si elle était touchée, permettrait une condamnation au titre de l’agression sexuelle. La Cour de cassation n’a-t-elle pas estimé qu’il pouvait y avoir agression sexuelle lorsque la cuisse [38] ou le mollet [39] était touché ? N’y-a-t-il pas agression sexuelle lorsqu’est imposé un baiser à autrui [40] ? S’il existait réellement une réciprocité entre les deux délits, alors serait retenue l’exhibition sexuelle lorsque sont révélés en public un mollet, une cuisse, ou encore une bouche [41]… À l’évidence, il n’existe aucune réciprocité automatique entre les deux délits de sorte que ne pas retenir le délit d’exhibition sexuelle lorsqu’une femme décide d’exposer sa poitrine n’offrirait pas aux hommes [42] le droit de toucher ladite poitrine. Ce qui est visible n’est pas pour autant touchable, sauf à rendre les plages ou les piscines particulièrement dangereuses. Tout est question de contexte comme se plaît à le rappeler la Cour de cassation en matière d’agression sexuelle [43].

Épisode 2. Tous les arguments mobilisés (implicites comme explicites) au soutien de la jurisprudence de la Cour de cassation sont déceptifs. Dans cette même affaire du centenaire, la Chambre criminelle a d’ailleurs confirmé la condamnation des Femen prononcée par la cour d’appel de Paris. Cette dernière a ainsi estimé que « la contestation des prévenues quant à l'intention sexuelle de leur acte est indifférente, dès lors que la seule réalisation volontaire de l'acte suffit à caractériser l'élément intentionnel » (§ 11). La proportionnalité de cette condamnation[44] est au surplus validée motif pris que la juridiction du second degré :

« 21. […] a constaté que le comportement des prévenues a causé un trouble à l'ordre public en raison de leur irruption au cours d'une cérémonie patriotique devant se dérouler dans le calme et la dignité.

22. […] a relevé que si ce trouble n'a duré que peu de temps, c'est uniquement en raison de l'intervention rapide des forces de l'ordre, alors que les prévenues s'étaient concertées pour échapper à cette intervention » [45].

Droit, science et justice. On pourrait, derechef, démontrer l’inanité de la solution retenue, tant quant à la qualification [46] qu’en ce qui concerne le contrôle de proportionnalité exercé par les juges [47]. Nous nous contenterons d’interroger la scientificité du droit en général et du droit pénal en particulier à l’aune de cette construction prétorienne. L’incohérence de la solution ne l’empêche pas, en effet, de faire jurisprudence par répétition et constance. On le sait, « le droit est la plus puissante des écoles de l'imagination. Jamais poète n'a interprété la nature aussi librement qu'un juriste la réalité » [48]. Jean Giraudoux raillait ici la contingence des raisonnements et solutions juridiques. Le principe de légalité a certes été inventé pour rendre à l’ensemble un minimum de sécurité et de prévisibilité. Le résultat ne pouvait être parfait car la légalité criminelle reconnaît au juge la possibilité d’interpréter les normes [49]. La loi a beau affirmer que cette opération doit se faire de manière « stricte », que faire si le juge ultime décide de dépasser la lettre et l’esprit d’un texte ? Le législateur pourra toujours intervenir pour rappeler les évidences. Et la Cour de cassation d’en tirer sans doute la conclusion suivante : « si la loi ne me corrige pas alors ai-je sans doute raison »…

En attendant, inutile de pousser des cris d’orfraie lorsque les femmes décident de s’exprimer et de porter leurs actions dans d’autres agoras que les enceintes judiciaires. Les cours et tribunaux n’ont pas le monopole du juste, et vu le sort réservé à cette vertu quand la féminité est au cœur des débats, ne craignons pas d’affirmer qu’il est des espaces où la place et la parole des femmes sont infiniment mieux mises en valeur.

 

[1] Cécile Duflot en robe sifflée par les députés à l'Assemblée, INA, 19 juillet 2012 [en ligne].

[2] V. Scotus, Frontiero v. Richardson, 411 U.S. 677 (1973). Dans cette décision le juge Brennan reconnaissait que les discriminations de genre étaient classiquement justifiées par un « paternalisme romantique qui, concrètement met les femmes, non sur un piédestal, mais dans une cage ».

[3] Cass. crim., 10 janvier 2018, n° 17-80.816, F-D N° Lexbase : A1903XAQ ; Cass. crim., 9 janvier 2019, n° 17-81.618, FS-P+B N° Lexbase : A9843YSD ; Cass. crim., 26 février 2020, n° 19-81.827, FS-P+B+I N° Lexbase : A39993G9 ; Cass. crim., 15 juin 2022, n° 21-82.392, F-D N° Lexbase : A7261773.

[4] Cass. crim., 26 février 2020, n° 19-81.827, FS-P+B+I N° Lexbase : A39993G9.

[5] Cass. crim., 9 janv. 2019, n° 17-81.618 , FS-P+B N° Lexbase : A9843YSD.

[6] Cass. crim., 15 juin 2022, n° 21-82.392, F-D N° Lexbase : A7261773.

[7] CEDH, 13 octobre 2022, Req. 22636/19, Bouton c/ France N° Lexbase : A74738N4.

[8] Adam (toujours) plus fort qu’Eve : quand un sein est un sexe ! (saison 2), Lexbase Pénal, février 2019 N° Lexbase : N7700BXH.

[9] Cass. crim., 16 février 2022, n° 21-82.392, F-D N° Lexbase : A75177NQ ; Cass. crim., 15 juin 2022, n° 21-82.392, F-D N° Lexbase : A7261773.

[10] Il est vrai que, de règle, les mobiles n’intègrent pas le champ intentionnel d’une infraction. Au demeurant, lorsque l’exhibition porte sur une zone non sexuelle par nature, comme les seins, comment entrer en voie de condamnation sans s’intéresser à l’intention du prévenu ? L’exhibition n’étant pas par nature sexuelle lorsqu’une poitrine est dévoilée, comment s’assurer que le comportement est sexuel ? Il ne s’agit pas de s’intéresser au mobile mais bien de découvrir l’intention réelle de la personne poursuivie puisque le geste accompli ne saurait, per se, induire une connotation sexuelle. Il en irait évidemment autrement si la zone dévoilée était sexuelle par nature (organes génitaux).

[11] CEDH, 2 septembre 2021, Req. 46883/15, Z.B. c/ France  N° Lexbase : A151143D, spé. § 67. V. également CEDH, 5e sect., 23 juin 2022, Req. 28000/19, Rouillan c/ France N° Lexbase : A198278W : v. J.-P. Marguénaud, Vers une interdiction de sanctionner les abus de la liberté d'expression par une peine privative de liberté ?, RSC, 2022. 689.

[12] V. déjà CEDH, 23 avril 1992,  Req. 2/1991/254/325, Castells c/ Espagne, § 46 N° Lexbase : A6511AW3. B. Danlos, La liberté d'expression devant la Cour européenne des droits de l'Homme », Cah. just., 2015/3 (n° 3), p. 439 à 447 [en ligne].

[13] F. Merloz, Peine de prison pour exhibition sexuelle d'une Femen : la CEDH condamne la France pour violation de la liberté d'expression, Dalloz actualité,19 octobre 2022 [en ligne].

[14] En ce sens, J.-C. Saint-Pau, Disproportion de la condamnation pénale d'une femen pour exhibition sexuelle, JCP G, 50-52, 19 décembre 2022, act. 1455. V. Contra, Ph. Conte, Dr. pén., n° 12, Décembre 2022, comm. 193.

[15] 5 avril 1971 : le manifeste des 343, INA, 4 avril 2011 [en ligne].

[16] Y. Mayaud, De la liberté d'expression par exhibition sexuelle ? Une voie ouverte, mais sous condition d'ingérence contrôlée..., RSC, 2022, p. 83.

[17] J.-C. Saint-Pau, Disproportion de la condamnation pénale d'une femen pour exhibition sexuelle, JCP G, 50-52, 19 décembre 2022, act. 1455. Commentaire par

[18] X. Pin, Légitimation des infractions expressives : neutralisation de l'incrimination ou atténuation de la peine ? c'est selon.., RSC, 2022, p. 817 .

[19] Minoritaires au demeurant. L’ordre est un puissant facteur de conservation et de dogmatique juridiques. Il est en revanche incapable d’appréhender le mouvement et l’incertitude qui caractérisent les sociétés humaines. V. ainsi G. Balandier, Le désordre, éloge du mouvement, Fayard, 1988.

[20] Cass. crim., 15 juin 2022, n° 21-82.392, F-D N° Lexbase : A7261773.

[21] Cass. crim., 16 février 2022, n° 21-82.392, F-D N° Lexbase : A75177NQ.

[22] Ce qui devrait entraîner la condamnation de la France, en application de la jurisprudence « Bouton C. France », si les Femen venaient à saisir la Cour européenne. V. L. Saenko, Activisme Femen et CEDH : la liberté d'expression à tout prix, AJ pénal, 2022, p.581.

[23] Cass. crim., 29 février 2012, n° 11-85.377, QPC, F-D N° Lexbase : A9053IDN.

[24] Cass. crim., 23 juin 2021, n° 21-80.682, F-D, § 5 N° Lexbase : A40394XU.

[25] V. ainsi Adam (toujours) plus fort qu'Ève : quand un sein est un sexe !, Lexbase Pénal, février 2018 N° Lexbase : N2680BXK.

[26] Adam (toujours) plus fort qu’Ève : quand un sein est un sexe ! (saison 2), Lexbase Pénal, février 2019, N° Lexbase : N7700BXH. V. également B. Beignier, Droit de la presse et des médias – Chronique, JCP G, n° 47, 19 novembre 2018, doctr. 1222, § 8.

[27] Cass. crim., 14 avril 2021, n° 20-80.135, F-D N° Lexbase : A25434PU : J.-C. Saint-Pau, Trouble mental, usage de stupéfiants et irresponsabilité pénale : la raison et l’émotion, Lexbase Pénal, mai 2021 N° Lexbase : N7512BYU. V. également S. Fucini, L’abolition du discernement par le fait de l’agent : l’actio libera in causa, une alternative à l’irresponsabilité pénale ?, Lexbase Pénal, juillet 2021 N° Lexbase : N8287BYL ; Ch. Dubois, Affaire Halimi : un arrêt stupéfiant, Cah. just., 2021, pp. 417-431.

[28] En ce sens v. A. Thouement, Les maximes d'interprétation, dir. D. Mainguy, thèse Montpellier, déc. 2020, p. 266 et 459.

[29] V. Méthode d'interprétation et sources en droit privé positif - Essai critique, LGDJ, Coll. Anthologie du droit, 2016. Sur cet ouvrage voir la pénétrante étude de Xavier Magnon : Commentaire sous La méthode de la libre recherche scientifique de F. Gény. Les grands discours de la culture juridique, 2017, HAL Open Science [en ligne].

[30] Seules aptes à légitimer le recours aux représentations associées aux différences anatomiques entre hommes et femmes.

[31] V. Ch. Détrez, La construction sociale du corps féminin, Labrys : études féministes/estudos feministas, 2003, n° 4, HAL SHS, halshs-00425857.

[32] V. R. Ghigi, Le corps féminin entre science et culpabilisation, Travail, genre et sociétés, 2004/2, n° 12, pp. 55 à 75 [en ligne].

[33] M.-C. Garcia, M. Fraysse et P. Bataille, Le corps sexué au prisme du genre. Nouvelles problématiques, SociologieS, 2022 [en ligne].

[34] P. Bourdieu, La domination masculine, Points, 2014. Ouvrage qui nécessite une certaine distance : v. C. Bessière, Sur la domination masculine, un pionnier contesté, Le 1 Hebdo, n° 405, 13 juillet 2022.

[35] J. C. Kaufmann, Corps de femmes, regards d'hommes : sociologie des seins nus, Paris, Nathan, Essais & recherches, 1995.

[36] Car nul ne peut concevoir que les « représentations » auxquelles la Cour de cassation fait référence soient sans fondement scientifique. Le droit impose, on le sait, rigueur et méthode. Approximations, clichés et stéréotypes messiéent à la science juridique.

[37] A. Bohuon, Le Test de féminité dans les compétitions sportives. Une histoire classée X ?, Donnemarie-Dontilly, 2012,  Éditions iXe.

[38] Cass. crim., 11 mai 2010, n° 09-84.011, F-D N° Lexbase : A0241EZX.

[39] Cass. crim., 3 mars 2021, n° 20-82.3998, FS-P+B+I N° Lexbase : A59494I8.

[40] Cass. crim., 6 janvier 2010, n° 09-82.942, F-D N° Lexbase : A6197ERX.

[41] Rappelons que si l’incrimination de la poitrine féminine reposait sur son caractère sexuel secondaire alors faudrait-il incriminer chez l’homme… l’exposition de la barbe, du tissu adipeux ventral ou encore de la pomme d’Adam. Les femmes devraient quant à elles cacher, outre leur poitrine, leurs cheveux ! V. Adam (toujours) plus fort qu'Ève : quand un sein est un sexe ! (saison 3), Lexbase Pénal, février 2020 N° Lexbase : N2385BYY.

[42] Ou à d’autres femmes.

[43] V. ainsi Cass. crim. 3 mars 2021, n° 20-82.399 , FS-P+B+I, spé. § 10 N° Lexbase : A59494I8.

[44] Sur la nature de ce contrôle v. P. Rousseau, Infraction justifiée ou répression injustifiée : une possible dualité de mécanismes de légitimation, Dr. pén., 2022, Étude 8 ; X. Pin, Légitimation des infractions expressives : neutralisation de l'incrimination ou atténuation de la peine ? c'est selon..., RSC, 2022, p. 817 ; E. Dreyer, La Convention européenne des droits de l'homme comme cause d'irresponsabilité pénale ?, D., 2023, p. 124.

[45] Cass. crim., 15 juin 2022, n° 21-82.392, F-D N° Lexbase : A7261773.

[46] Car « la poitrine féminine n’est pas un sexe » ! : E. Raschel, Liberté d'expression : condamnation de la France pour disproportion de la peine infligée à une militante Femen, Gaz. Pal., 13 décembre 2022, n° GPL443o8.

[47] Sur son caractère illusoire, v. Adam (toujours) plus fort qu'Ève : quand un sein est un sexe ! (saison 3), precit N° Lexbase : N2385BYY. Au-delà, le fait que les Femen aient été condamnées à des peines d’emprisonnement avec sursis expose la France à une condamnation quasi certaine par la Cour européenne : en ce sens v. E. Raschel, ibidem.

[48] J. Giraudoux, La Guerre de Troie n’aura pas lieu, Librio, 2022.

[49] Ce qui constitue une contradiction herméneutique. Sur cette notion v. Cachez cette faute que je ne saurais voir, D., 2022. 736, 14 avril 2022 ; Mythologie de la légalité : champ de l'interdiction de gérer, Gaz. Pal., n° 31, p. 54, n° 425z8. V. également A. Mendras, Les magistrats administratifs à la recherche d'une nouvelle identité, AJDA, 2021. 2444.

newsid:484404

Autorité parentale

[Brèves] Enlèvement international d’enfant : rappel des principes par la CEDH

Réf. : CEDH, 21 février 2023, Req. 16205/21, aff. G.K. c. Chypre, disponible en anglais ; et le communiqué

Lecture: 5 min

N4486BZ8

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/93403533-edition-n-936-du-23022023#article-484486
Copier

par Anne-Lise Lonné-Clément

Le 14 Mars 2023

► La décision de restituer un enfant enlevé à son père résidant aux États-Unis n’est pas contraire aux droits de la mère au titre de la Convention européenne ;
le but de la Convention de La Haye est d’empêcher le parent ravisseur de parvenir à obtenir une reconnaissance juridique du simple fait d’une situation qu’il a unilatéralement créée, et de ne pas permettre au parent ravisseur de tirer un bénéfice de sa propre faute.

Comme indiqué dans le communiqué de la Cour, l’affaire concernait une procédure menée devant les juridictions chypriotes et la décision à laquelle elle avait abouti de renvoyer le fils de la requérante, auprès de son père, aux États-Unis d’Amérique, où il était né en 2016, en vertu de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants.

La Cour juge en particulier que les juridictions internes n’ont pas ordonné le retour de l’enfant de manière automatique mais ont examiné tous les arguments des parties et rendu des décisions détaillées qui, selon elles, préservaient l’intérêt supérieur de l’enfant et excluaient tout risque grave pour lui.

On relèvera, en ce qui concerne l’argument de la requérante consistant à alléguer une difficulté trop importante et un caractère préjudiciable sur le plan psychologique d’un retour aux États-Unis pour son fils, que la Cour note que l’article 13 b) de la Convention de La Haye prévoit qu’un danger découlant uniquement de la séparation d’avec le parent qui est responsable du déplacement ou du non-retour illégal n’est pas une raison valable pour refuser le retour de l’enfant.

La Cour observe que, pour rendre leur décision, les juridictions internes ont tenu compte de l’adaptabilité de l’enfant, liée à sa jeunesse, des assurances données par le père quant à sa capacité à s’occuper de son fils, de l’aide fournie par le Centre pour les enfants disparus ou exploités et les autorités américaines, ainsi que du fait que l’allégation de la mère selon laquelle elle ne pouvait pas retourner aux États-Unis n’avait jamais été étayée.

En ce qui concerne le grief formulé par la requérante relativement à la durée qu’il a fallu aux juridictions internes pour se prononcer, la Cour note que ce délai résulte en grande partie du retard avec lequel les autorités ont engagé la procédure fondée sur la Convention de La Haye et du traitement de l’affaire par la juridiction de première instance. Elle constate par ailleurs que la mère a contribué à allonger ce délai dans une certaine mesure, en demandant à produire une nouvelle déclaration sous serment de manière très tardive, alors que la date de l’audience avait déjà été fixée. Cette demande a finalement été rejetée, le tribunal estimant qu’elle était tardive, injustifiée, et qu’elle ne ferait qu’accroître encore la durée de la procédure. La Cour rappelle que les procédures relatives au retour d’un enfant enlevé exigent un traitement urgent, car le passage du temps peut avoir des conséquences irrémédiables pour les relations entre l’enfant et le parent dont il a été séparé. En l’espèce, le passage du temps jouait en faveur de la mère et au détriment du père. À cet égard, la Cour souligne que le but de la Convention de La Haye est d’empêcher le parent ravisseur de parvenir à obtenir une reconnaissance juridique du simple fait d’une situation qu’il a unilatéralement créée, et que l’on ne doit pas permettre au parent ravisseur de tirer un bénéfice de sa propre faute.

Ainsi, dans l’ensemble, le processus de prise de décision n’a pas enfreint les exigences procédurales inhérentes à l’article 8 de la Convention, et la requérante n’a pas subi une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée.

Cette décision, dans laquelle la Cour européenne vient rappeler les principes de la Convention de la Haye, et notamment le principe de l’obligation au retour de l’enfant, s'inscrit dans l'approche que la Cour européenne a adopté depuis l'arrêt X. c/ Lettonie, consistant à vérifier que le juge interne a examiné de manière approfondie l'allégation d'un risque grave pour l'enfant en cas de retour (CEDH, 26 novembre 2013, Req. 27853/09, X c/ Lettonie N° Lexbase : A1422KQQ).

Pour aller plus loin : v. ÉTUDE : Les aspects civils de l'enlèvement d'enfant, in L'autorité parentale, (dir. A. Gouttenoire), Lexbase N° Lexbase : E5830EYL.

Il convient par ailleurs de renvoyer à la décision rendue quelques jours plus tôt, par la CJUE, venant rappeler l’impératif d'efficacité et de célérité tant dans le cadre de l’adoption, que dans celui de l'exécution de la décision ordonnant le retour de l’enfant (CJUE, 16 février 2023, aff. C-638/22 PPU, T.C. N° Lexbase : A23879DR ; v. notre brève, A.-L. Lonné-Clément, Enlèvement international d’enfant : impératif d'efficacité et de célérité tant dans le cadre de l’adoption, que dans celui de l'exécution de la décision ordonnant le retour de l’enfant, Lexbase Droit privé, février 2023, n° 936 N° Lexbase : N4487BZ9).

newsid:484486

Baux commerciaux

[Brèves] Droit de préférence du locataire : pas d’application en cas de vente faite d'autorité de justice

Réf. : Cass. civ. 3, 15 février 2023, n° 21-16.475, FS-B N° Lexbase : A24229D3

Lecture: 2 min

N4455BZZ

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/93403533-edition-n-936-du-23022023#article-484455
Copier

par Vincent Téchené

Le 07 Mars 2023

► Les dispositions de l’article L. 145-46-1 du Code de commerce, qui confèrent au preneur à bail commercial un droit de préférence en cas de vente du local loué, ne sont pas applicables en cas de vente de gré à gré autorisées par le juge-commissaire dans le cadre de la liquidation judiciaire du bailleur.  

Faits et procédure. Un jugement du 13 mai 2005 a placé une SCI en liquidation judiciaire. Le 16 décembre 2016, une ordonnance du juge-commissaire a autorisé le liquidateur de la SCI à vendre un ensemble immobilier à une communauté de commune (l'acquéreur). L'acte notarié de vente a été dressé le 11 avril 2018.

Se prévalant d'un bail commercial consenti en 2007 par le gérant de la SCI et d'une offre d'achat adressée au liquidateur en 2009 pour un prix supérieur à celui de la vente, le locataire de l’immeuble vendu a assigné le liquidateur et l'acquéreur pour obtenir, en réparation de la méconnaissance de son droit de préférence, d'être substitué à ce dernier.

La cour d’appel de Nîmes (CA Nîmes, 3 mars 2021, n° 18/02407 N° Lexbase : A15244LZ) a toutefois rejeté la demande du locataire au motif qu’il ne pouvait pas se prévaloir d'un droit de préemption en l'absence d'occupation légitime. Le preneur a donc formé un pourvoi en cassation.

Décision. La Cour de cassation, procédant à une substitution de motif, rejette le pourvoi.

En effet, elle relève qu’il résulte de l'article L. 642-18 du Code de commerce N° Lexbase : L7335IZP que la vente de gré à gré d'un actif immobilier dépendant d'une liquidation judiciaire est une vente faite d'autorité de justice.

Dès lors, elle en conclut que les dispositions de l'article L. 145-46-1 du Code de commerce N° Lexbase : L4529MBD, qui concernent le cas où le propriétaire d'un local commercial ou artisanal envisage de le vendre, ne sont pas applicables, de sorte qu'une telle vente ne peut donner lieu à l'exercice du droit de préférence par un locataire commercial.  

Observations. La troisième chambre civile rappelle une solution déjà énoncée par la Chambre commerciale le 23 mars 2022 (Cass. com., 23 mars 2022, n° 20-19.174, F+B N° Lexbase : A12757RN, M.-L. Besson, comm., Lexbase Affaires, avril 2022 N° Lexbase : N1134BZZ). Cette formation de la Cour de cassation l’avait d’ailleurs réitérée quelques jours avant l’arrêt ici rapporté (Cass. com., 8 février 2023, n° 21-23.211, F-D N° Lexbase : A66499CA).

Pour aller plus loin : v. ÉTUDE : Les obligations du bailleur du bail commercial, Le champ d'application du droit de préférence du locataire en cas de vente d'un local commercial, in Baux commerciaux, (dir. J. Prigent), Lexbase N° Lexbase : E4282E7Q.  

 

newsid:484455

Baux d'habitation

[Brèves] Location meublée touristique et autorisation de changement d’usage : le locataire qui sous-loue est également passible de l’amende !

Réf. : Cass. civ. 3, 15 février 2023, n° 22-10.187, FS-B N° Lexbase : A24279DA

Lecture: 4 min

N4457BZ4

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/93403533-edition-n-936-du-23022023#article-484457
Copier

par Anne-Lise Lonné-Clément

Le 22 Février 2023

► Le locataire qui sous-loue un local meublé destiné à l'habitation en méconnaissance des dispositions de l'article L. 631-7 du Code de la construction et de l'habitation est passible d'une condamnation au paiement de l'amende civile prévue à l'article L. 651-2 du même code.

Autorisation de changement d’usage. Selon l'article L. 631-7, alinéa 1er, du Code de la construction et de l'habitation N° Lexbase : L0141LNK, dans certaines communes, le changement d'usage des locaux destinés à l'habitation est soumis à autorisation préalable. Aux termes de l'alinéa 6 du même article, le fait de louer un local meublé destiné à l'habitation de manière répétée pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n'y élit pas domicile constitue un changement d'usage au sens de cet article.

Amende civile. Selon l'article L. 651-2 du même code N° Lexbase : L2308LRW, toute personne, qui enfreint les dispositions de l'article L. 631-7 ou qui ne se conforme pas aux conditions ou obligations imposées en application de cet article, est condamnée à une amende civile.

Personnes passibles de l’amende. Les propriétaires qui louent leurs résidences secondaires en meublés touristiques sont bien entendu visés en premier lieu par ces dispositions, et donc passibles de l’amende dès lors qu’ils n’ont pas sollicité et obtenu auprès de la mairie une autorisation de changement d’usage.

Mais quid du locataire qui sous-loue un local meublé destiné à l'habitation en méconnaissance des dispositions de l'article L. 631-7 précité ? Est-il également passible de l’amende ? Telle était la question soumise à la Cour de cassation dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt rendu le 15 février 2023.

La réponse est très clairement positive, selon la Haute juridiction qui rappelle ainsi les dispositions de l’article L. 651-2 précité, lequel vise en effet « toute personne qui enfreint les dispositions de l'article L. 631-7 ou qui ne se conforme pas aux conditions ou obligations imposées en application de cet article ». Or l’article L. 631-7, alinéa 6 vise « le fait de louer un local meublé … » (nous soulignons).

On comprend donc que la Cour de cassation en déduise qu’« est passible d'une condamnation au paiement d'une telle amende civile, le locataire qui sous-loue un local meublé destiné à l'habitation en méconnaissance des dispositions de l'article L. 631-7 précité ».

Elle approuve ainsi la cour d’appel de Paris qui, ayant relevé, à bon droit, qu'il appartenait à la société locataire de s'assurer de l'autorisation du changement d'usage, la cour d'appel en a exactement déduit que l'avenant au contrat de location, selon lequel le propriétaire lui aurait garanti la licéité de « la location meublée de courtes durées », ne pouvait l'exonérer de sa responsabilité.

Ayant constaté que la locataire avait, sans autorisation de changement d'usage, sous-loué le local meublé destiné à l'habitation, de manière répétée pour de courtes durées, à une clientèle de passage qui n'y élisait pas domicile, la cour d'appel a pu la condamner au paiement d'une amende civile.

On rappellera, en revanche, que le gestionnaire de l’appartement n’est pas passible de l’amende, la Cour de cassation, ayant déjà indiqué que « Celui qui se livre ou prête son concours à la mise en location, par une activité d'entremise ou de négociation ou par la mise à disposition d'une plateforme numérique, en méconnaissance de l'article L. 631-7, et dont les obligations spécifiques sont prévues par l'article L. 324-2-1 du Code du tourisme, n'encourt pas l'amende civile prévue. » (Cass. civ. 3, 9 novembre 2022, cinq arrêts : n° 21-20.464, FS-B N° Lexbase : A13028SZ, n° 21-20.467, FS-D N° Lexbase : A96328SK ; n° 21-20.466, FS-D N° Lexbase : A96498S8 ; n° 21-20.465, FS-D N° Lexbase : A96738S3 ; n° 21-20.468, FS-D N° Lexbase : A97018S4). En effet, comme relevé dans cet arrêt, cette amende civile constituant une sanction ayant le caractère d'une punition (comme elle l’a établi précédemment : Cass. civ. 3, QPC, 5 juillet 2018, n° 18-40.014, FS-D N° Lexbase : A5636XXZ), les éléments constitutifs du manquement qu'elle sanctionne sont, par application du principe de légalité des délits et des peines, d'interprétation stricte.

newsid:484457

Comité social et économique

[Pratique professionnelle] L’organisation des élections du CSE : les points de vigilance

Lecture: 20 min

N4444BZM

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/93403533-edition-n-936-du-23022023#article-484444
Copier

par Jonathan Cadot, Avocat associé et Marion Nabier, Avocat, cabinet Lepany & Associés

Le 22 Février 2023

Mots-clés : CSE • élections professionnelles • UES • établissements distincts • protocole préélectoral, effectif • vote électronique • mixité proportionnelle

Depuis déjà quelques mois, bon nombre d’entreprises ont à connaitre du 1er renouvellement des membres de leur Comité social économique (CSE). L’organisation des élections professionnelles reste, à ce jour, un exercice complexe d’un point de vue juridique et un évènement à fort enjeu pour les organisations syndicales (OS) dès lors que les résultats détermineront leur représentativité et leur capacité à négocier, mais aussi, leur faculté à gérer le CSE en fonction du nombre de sièges obtenus.

Dans ce contexte, sans prétention d’exhaustivité, nous aborderons les points de vigilance à prendre en compte dans les élections professionnelles à venir.


I. La détermination de l’effectif

La question de la détermination de l’effectif reste un élément central en ce qu’il détermine l’obligation ou non de mettre en place un comité social et économique (CSE), le nombre de représentants à élire et ses attributions.

Un CSE doit être mis en place si le seuil d’effectif de 11 salariés est atteint pendant douze mois consécutifs [1].

À l’expiration du mandat des membres du CSE, son renouvellement ne s’imposera pas si l’effectif de l’entreprise est resté en dessous de 11 salariés pendant au moins 12 mois consécutifs.

S’agissant d’un renouvellement, il s’agira d’apprécier l’effectif à la date du 1er tour.

Il convient, notamment, d’être particulièrement vigilant sur ce décompte, notamment s’agissant de la prise en compte au prorata du temps de présence des salariés à temps partiel et des CDD.

En outre, il conviendra de tenir compte des travailleurs mis à disposition par une entreprise extérieure dès lors qu’ils sont présents dans les locaux de l’entreprise utilisatrice depuis au moins un an [2].

En effet, selon l’activité de l’entreprise, le nombre des salariés mis à disposition peut impacter significativement l’effectif.

Il s’agira donc pour les organisations syndicales (OS) d’obtenir de la direction, dans le cadre d’une négociation loyale du protocole préélectoral, les éléments de nature à apprécier l’effectif.

II. La détermination de l’architecture sociale de l’entreprise

La proximité des élections professionnelles amène nécessairement les partenaires sociaux à s’interroger sur le niveau et le périmètre des instances représentatives du personnel. Il s’agit là de mener une réflexion sur l’architecture sociale de l’entreprise qui portera les contours mêmes de l’entreprise, notamment, s’agissant de l’existence d’une unité économique et sociale (UES) (A.), de l’existence ou non d’établissements distincts (B.) et de la mise en place de représentants de proximité (C.).

A. La réflexion sur l’existence d’une UES

La proximité des élections professionnelles peut être un moment propice pour s’interroger sur les contours de l’entreprise en termes de représentation du personnel et sur l’existence d’une UES et la mise en place d’un CSE à ce niveau.

En effet, lorsqu’une UES regroupant au moins 11 salariés est reconnue par accord collectif ou par décision de justice entre plusieurs entreprises juridiquement distinctes, un CSE commun est mis en place [3].

Ainsi, la reconnaissance de l’UES pourra faire l’objet d’une négociation entre l’employeur et les organisations syndicales représentatives (OSR) résultant d’un accord collectif.

S’agissant des conditions de négociation et de validité d’un tel accord, il a été jugé récemment que l’accord de configuration de l’UES constitue un accord interentreprises qui doit être négocié entre :

  • d'une part, les employeurs ;
  • et, d'autre part, les OSR à l'échelle de l'ensemble des entreprises concernées, avec une appréciation de leur représentativité syndicale au niveau de l'entreprise par addition de l'ensemble des suffrages obtenus dans les entreprises ou établissements concernés lors des dernières élections précédant l'ouverture de la première réunion de négociation [4].

En l’absence d’accord, il sera toujours possible d’envisager une saisine du tribunal judiciaire pour faire reconnaitre l’UES et demander l’organisation d’élections professionnelles en son sein.

Cela supposera de démontrer tant l’existence d’une unité économique que d’une unité sociale [5] :

  • l’unité économique se caractérise par :

- une concentration des pouvoirs [6] ;

- une similarité ou une complémentarité des activités [7].

  • l’unité sociale se définit, quant à elle, par l’existence d’une communauté de travailleurs, caractérisée par une similitude des conditions de travail, une gestion commune, ou encore une permutabilité des salariés [8].

L’enjeu de la reconnaissance d’une UES peut être de taille en termes de moyens octroyés à la représentation du personnel en fonction de l’effectif de l’UES, mais également en termes de champ d’intervention du CSE qui sera mis en place.

B. La détermination des établissements distincts

Les élections professionnelles nécessitent de réfléchir à la structuration en termes d’établissements distincts, à savoir la mise en place d’un CSE unique ou la mise en place de CSE d’établissement (CSEE) avec un CSE central (CSEC).

En effet, des CSEE et un CSEC d'entreprise sont constitués dans les entreprises d'au moins 50 salariés comportant au moins deux établissements distincts [9].

Le nombre et le périmètre des établissements distincts peuvent être définis par accord d'entreprise majoritaire (sans possibilité de validation par référendum).

En l'absence d’accord et de délégué syndical, ce périmètre peut être fixé par accord entre l'employeur et la majorité des élus titulaires du CSE, ou, en l'absence d'accord, par décision unilatérale de l'employeur [10].

Il est à noter que les partenaires sociaux ont une certaine liberté dans le cadre de la négociation sur le nombre et le périmètre des établissements distincts.

À ce sujet, la Cour de cassation est venue considérer que les signataires d'un accord d'entreprise sont libres de déterminer les critères permettant la fixation du nombre et du périmètre des établissements distincts au sein de l’entreprise, à la condition toutefois qu'ils soient de nature à permettre la représentation de l'ensemble des salariés [11].

S’agissant de la négociation sur le nombre et le périmètre des établissements distincts, elle doit bien entendu s’effectuer de manière loyale et de bonne foi.

Si tel n’était pas le cas, l’employeur ne peut décider unilatéralement du nombre et du périmètre des éventuels distincts voir d’un CSE unique [12].

Ce ne sera donc qu’à l’issue de cette négociation et, en cas d’échec, que l’employeur pourra décider unilatéralement du nombre et du périmètre des établissements compte tenu de l'autonomie de gestion du responsable de l'établissement, notamment en matière de gestion du personnel [13].

Il s’agira alors pour les OS de décider de l’opportunité de saisir l’administration qui est compétente pour statuer sur cette question, et, éventuellement de saisir le tribunal judiciaire en cas de désaccord avec la position de l’administration.

Toutefois, l’opportunité de ces démarches devra être appréciée au regard de l’autonomie ou non des établissements distincts.

À ce sujet, il a pu être jugé que la centralisation de fonctions support et l’existence de procédures de gestion définies au niveau du siège ne sont pas de nature à exclure l’autonomie de gestion des responsables d’établissement [14].

C’est dans ce sens qu’il a pu être reconnu l’existence d’établissements distincts dans les situations suivantes :

  • l’organisation autour de 6 activités, elles-mêmes réparties sur des directions régionales ayant à leur tête des responsables disposant d’une autonomie de gestion suffisante [15] ;
  • les établissements disposant d’une implantation géographique distincte, d’un budget spécifique décidé par le siège sur proposition du chef d’établissement qui participe à l’élaboration des budgets de fonctionnement et d’investissement de l’établissement avec le siège, d’une gestion autonome du personnel (le chef d’établissement dispose d’une compétence de management du personnel, est garant du respect du règlement intérieur, mène des entretiens individuels de carrière et des entretiens préalables à une éventuelle sanction, peut prononcer des avertissements, etc…) [16].

C. L’opportunité de mettre en place des représentants de proximité

Dans le cadre de la négociation portant sur l’existence d’établissements distincts dans l’entreprise, les partenaires sociaux devront garder à l’esprit la possibilité de mettre en place des représentants de proximité [17].

Il peut s’agir d’un relai utile pour le CSE, notamment en termes de santé, sécurité et de conditions de travail.

Toutefois, pour que ces derniers puissent être efficients et convenablement fonctionner, il est nécessaire de bien définir leurs missions, les conditions de leur intervention et de les doter de moyens suffisants pour qu’ils puissent être en mesure d’assurer leurs missions, notamment en termes de crédit d’heures, surtout quand leur périmètre d’intervention sera étendu.

À défaut, ils ne seront pas en mesure de valablement aider les salariés ce qui a été constat partagé pour de nombreux observateurs dans le cadre du premier mandat suivant les ordonnances Macron.

III. Les questions de la durée et le nombre de mandats successifs

A. La durée des mandats

La durée des mandats des membres du CSE est par principe de 4 ans [18] sauf prorogation des mandats. Il est toutefois toujours possible de réduire leur durée pour prévoir une durée d’au minimum de deux ans par accord de branche, de groupe ou d’entreprise.

Toutefois, il faut bien reconnaitre, qu’en pratique, les partenaires sociaux sont de moins en moins prompts à réduire la durée des mandats, s’agissant des OS, au regard de la complexité grandissante du mandat qui nécessite un temps d’apprentissage, et, s’agissant des employeurs, en raison du coût en temps et en argent de l’organisation d’un processus d’élection professionnelle.

B. Le nombre des mandats successifs

La question du nombre de mandats successifs va devenir de plus en plus un sujet.

En effet, les ordonnances Macron [19] sont venues limiter le nombre de mandats successifs des membres de la délégation du personnel du CSE à trois, hormis dans :

  • les entreprises de moins de 50 salariés ;
  • les entreprises dont l’effectif est compris entre 50 et 300 salariés si le protocole d’accord préélectoral (PAP) en stipule autrement, ce dont les négociateurs devront prendre en compte.

Si cette limitation du nombre de mandats successifs ne s’applique que pour les mandats d’élus au CSE et donc ne tiennent pas compte des mandats DP/CE/CHSCT, elle pose question notamment aux organisations syndicales qui s’interrogent légitimement sur la difficulté à trouver de nouveaux militants prêts à s’investir durablement dans la représentation du personnel avec les sacrifices qui en découlent, mais aussi aux employeurs qui s’interrogent sur leur capacité à faire face à de nouveaux interlocuteurs peu aguerris au dialogue social.

IV. La négociation du protocole préélectoral (PAP)

A. Les parties à la négociation et les conditions de signature du PAP

Au-delà de l’information des salariés, les organisations syndicales intéressées doivent être informées, par tout moyen, des élections à venir et invitées à négocier le protocole d'accord préélectoral (PAP)[20].

Il s’agira de convier par courrier :

  • les organisations syndicales (OS) représentatives dans l'entreprise ou l'établissement ;
  • les OS ayant constitué une section syndicale ;
  • les syndicats affiliés à une organisation représentative au niveau national et interprofessionnel ;

Et également, par tout moyen :

  • les OS dont le champ professionnel et géographique couvre l’entreprise ou l’établissement, qui satisfont aux critères de respect des valeurs républicaines et d’indépendance et légalement constituées depuis au moins 2 ans.

L’employeur devra être en mesure de justifier de l’invitation des OS, faute de quoi la validité du PAP pourra être discutée.

La question des OS présentes à la négociation est d’importance, car elles sont déterminantes quant à l’appréciation de la validité du PAP dès lors qu’elle requiert le respect d’une double majorité par la signature :

  • de la majorité des OS participant à la négociation ;
  • et des OSR ayant recueilli la majorité des suffrages exprimés en faveur des OSR lors des dernières élections professionnelles au sein de l’entreprise (+ 50 %).

Outre l’invitation des OS, il s’agira, naturellement, pour l’employeur, de respecter son obligation de loyauté dans la négociation en transmettant, aux organisations syndicales les informations indispensables pour valablement négocier (question des effectifs, etc.)

B. Le contenu du PAP

1) Les dispositions obligatoires

Le PAP devra venir prévoir :

  • le nombre de collèges ;

En principe, il sera prévu deux collèges : ouvriers/employés et ETAM/cadre.

Un troisième collège réservé aux cadres devra toutefois être créé en présence d’au moins 25 cadres dans l’établissement.

Dans les entreprises de moins de 25 salariés, il sera mis en place un collège unique.

Il conviendra également de prendre en compte l’existence de collèges particuliers dans certains secteurs d’activité (journaliste, personnel navigant…)

Il sera possible de déroger au nombre de collèges par accord unanime des OSR, sans possibilité toutefois de supprimer le collège réservé aux cadres.

  • la répartition des salariés et des sièges entre les collèges ;

Il s’agira pour le PAP de déterminer la répartition des sièges et du personnel entre les collèges.

S’agissant de la répartition des sièges, le législateur a laissé une liberté à la négociation collective sans qu’il soit obligatoire de respecter une stricte proportionnalité.

En revanche, en l’absence de PAP valablement conclu, l’employeur devra saisir l’administration qui sera amenée répartir les sièges et le personnel entre les collèges en respectant le principe de proportionnalité.

Une telle saisine de l’administration aura pour conséquence de proroger les mandats dans l’attente de la décision qui pourra quant à elle être contestée devant le tribunal judiciaire.

  • la proportion de femmes et d'hommes composant chaque collège, information indispensable pour permettre aux organisations syndicales de composer leurs listes de candidats (cf. VII.) ;
  • les modalités d'organisation et déroulement des opérations électorales (calendrier (date, heure), lieu de vote, moyens matériels (urnes, isoloirs)…) ;

S’agissant de l’urne, la Cour de cassation a pu juger que :

- une urne unique peut être utilisée pour rassembler les bulletins concernant les titulaires et les suppléants, dès lors que cela n'avait pas faussé les résultats du scrutin [21] ;

- l'utilisation d'une urne non transparente n'entraine pas l'annulation des élections, dans la mesure où cela ne viole pas un principe général du droit électoral et n'exerce pas une influence sur le résultat des élections, n'est pas déterminante de la qualité représentative des organisations syndicales dans l'entreprise ou du droit pour un candidat d'être désigné délégué syndical [22].

  • Le cas échéant, des dispositions facilitant, s'il y a lieu, la représentation des salariés travaillant en équipes successives ou dans des conditions qui les isolent des autres salariés.

2) Les dispositions facultatives

Le PAP pourra, notamment, venir prévoir :

  • la mention de l’accord autorisant le recours au vote électronique, et, s'il est déjà arrêté, le nom du prestataire choisi pour le mettre en place + annexe description détaillée du fonctionnement du système retenu et du déroulement des opérations électorales [23] (cf. VI)

Le PAP peut prévoir la possibilité de voter électroniquement 24 heures / 24 heures en précisant l’information précise sur les heures de vote lors de l'envoi du matériel de vote.

  • le recours au vote par correspondance ;
  • la propagande électorale et les moyens donnés aux organisations syndicales dans le cadre de la campagne, notamment, en termes de crédit d’heures et d’utilisation de moyens de communication ;
  • la possibilité de modifier le nombre d’heures de délégation dont bénéficie chaque élu sous réserve d’une augmentation concomitante du nombre d’élus titulaires. Une diminution du nombre de sièges sera possible sans pour autant diminuer le volume global d’heures délégations.

V. La constitution de la liste électorale

Deux points de vigilances notables sont à noter en matière de listes électorales :

  • d’une part, l’évolution législative issue de la Loi sur le marché du travail venant à la suite de la décision du Conseil constitutionnel, ouvrant la possibilité aux salariés assimilés à l’employeur la capacité de voter [24] (sans pouvoir être pour autant éligibles [25]) ;
  • d’autre part, une problématique qui n’est pas nouvelle, des salariés des entreprises extérieures qui sont présents dans les locaux depuis au moins un an dès lors qu’ils ont exercé leur droit d’option ce qui supposera que l’employeur leur ait permis de faire valoir leurs droits [26].

VI. Le vote électronique

Le vote électronique peut être mis en place, soit par un accord d'entreprise, soit par accord de groupe et, à défaut d'accord, par une décision unilatérale de l'employeur sous réserve d’une tentative de négociation loyale [27].

L’accord devra comporter un cahier des charges indiquant les moyens permettant d’assurer la confidentialité des données transmises ainsi que la sécurité de l’adressage des moyens d’authentification, de l’émargement, de l’enregistrement et du dépouillement des votes et la possibilité de faire appel à un prestataire extérieur.

S’agissant du PAP, il ne s’agira pas de négocier le vote électronique, ce dernier devant renvoyer à l’accord et comporter en annexe la description détaillée du fonctionnement du système retenu et du déroulement des opérations électorales [28].

Il devra être également prévu la mise en place d’une expertise préalable du système

Le vote électronique devra être encadré par différentes garanties de sécurité et de confidentialité, notamment :

  • lors de l’élection, un accès réservé aux personnes chargées de la gestion et de la maintenance du système s’agissant des fichiers comportant les éléments d'authentification des électeurs, les clés de chiffrement et de déchiffrement et le contenu de l'urne [29] ; 
  • un traitement des données par des systèmes informatiques distincts, dédiés et isolés, respectivement dénommés « fichier des électeurs » et « contenu de l'urne électronique » [30] ;
  • un système de manière à pouvoir être scellé à l'ouverture et à la clôture du scrutin [31] ;
  • une cellule d'assistance technique chargée de veiller au bon fonctionnement et à la surveillance du système de vote électronique, comprenant, le cas échéant, les représentants du prestataire [32].

La Cour de cassation a pu connaitre de la question du vote électronique dans deux arrêts récents jugeant que :

  • le test du système de vote électronique et la vérification que l'urne électronique est vide, scellée et chiffrée ne doivent pas forcément intervenir immédiatement avant l'ouverture du scrutin et publiquement en présence des représentants des listes de candidats [33] ;
  • le recours au vote électronique ne permet pas de déroger aux principes généraux du droit électoral, dont fait partie le principe d'égalité face à l'exercice du droit de vote, même pour des raisons de confidentialité et de sécurité, sous peine d'annulation des élections : les précautions appropriées doivent donc être prises pour qu'aucune personne ne disposant pas du matériel nécessaire ou résidant dans une zone non desservie par internet ne soit écartée du scrutin [34].

VII. La constitution de la liste de candidats : la nécessaire prise en compte des règles de mixité proportionnelle

Depuis l’instauration par loi dite « Rebsamen » de la règle de mixité proportionnelle femmes/hommes, également connue sous le nom de représentation équilibrée femmes/hommes, il faut bien reconnaitre que la constitution des listes électorales est devenue une question complexe pour les organisations syndicales.

L’intention du législateur était louable s’agissant de permettre aux femmes de davantage accéder à des mandats de représentants du personnel

C’est ainsi qu’il s’agira, pour constituer une liste électorale, de respecter deux règles :

  • la règle de la proportionnalité supposant que les listes présentées par les organisations syndicales soient composées d’un nombre de femmes et d’hommes correspondant à la proportion de femmes et d’hommes inscrits sur la liste électorale du collège considéré [35] ;

étant précisé que si les règles de proportionnalité, au regard du nombre de sièges à pourvoir, amènent à exclure totalement la représentation du sexe sous-représentée, les listes pourront contenir un candidat du sexe sous représenté sans pouvoir le placer en première position si plusieurs sièges sont à pourvoir dans le collège considéré ;

une vigilance toute particulière devra être portée en cas de listes incomplètes qui devront tenir compte des mêmes règles ;

  • la règle de l’alternance supposant que la liste de candidats doit être composée alternativement d'un candidat de chaque sexe jusqu'à épuisement des candidats d'un des sexes.

Les règles ainsi édictées sont d’ordre public absolu et un protocole préélectoral ne peut y déroger [36].

Quant aux sanctions de ces règles, elles sont à la hauteur de leur complexité.

C’est ainsi que lorsque le juge constate, après l'élection, que ces règles n'ont pas été respectées :

  • s’agissant du non-respect de la règle proportionnalité, cela entraîne l'annulation de l'élection d'un nombre d'élus du sexe surreprésenté égal au nombre de candidats du sexe surreprésenté en surnombre sur la liste de candidats en suivant l'ordre inverse de la liste de candidats [37] ; 
  • s’agissant de la règle de l’alternance, elle induira l'annulation de l'élection du ou des élus selon le positionnement sur la liste de candidats [38].

La sanction est d’autant plus lourde que malgré l’annulation de l’élection, l’employeur n’aura pas l’obligation d’organiser de nouvelles élections pour pourvoir les sièges restés vacants [39].

Il est à noter que de manière discutable, la Cour de cassation considère que ces règles relatives à la représentation proportionnelle ne s'appliquaient pas aux candidatures libres présentées au second tour des élections professionnelles [40].

VIII. Quelques réflexions sur le déroulement du processus électoral

A. L’accès à la liste d’émargement

Avant les élections, seul le bureau de vote a accès à la liste d’émargement.

Après la clôture du scrutin, seul le juge, saisi d'une éventuelle contestation des élections, a accès aux listes d'émargement, comme l’a récemment rappelé la Cour de cassation [41].

B. La proclamation des résultats

Immédiatement après la fin du dépouillement, le procès-verbal des élections doit être rédigé dans la salle de vote, en présence des électeurs, en deux exemplaires signés de tous les membres du bureau.

Dès l'établissement du procès-verbal, le résultat est proclamé en public par le président du bureau de vote et affiché en toutes lettres par ses soins dans la salle de vote [42].

La Cour rappelle régulièrement à ce sujet que le non-respect des modalités d'établissement du procès-verbal est de nature à affecter la sincérité des opérations électorales et peut justifier en conséquence l'annulation des élections [43]

Toutefois, la Cour de cassation a également pu juger qu'en l'absence de salle de vote, il était possible de publier le résultat des élections par tout moyen permettant l'accessibilité de ce résultat, dès sa proclamation, à l'ensemble du personnel au sein de l'entreprise [44].

Une fois les résultats proclamés par le bureau de vote, le processus électoral prend fin.

C’est donc l’ensemble de ces règles qu’il s’agira de respecter afin de garantir la régularité des élections et d’écarter tout risque de contestation ultérieure.


[1] C. trav., art. L. 2314-4 N° Lexbase : L8506LG7.

[2] C. trav., art. L. 1111-2 N° Lexbase : L3822IB8.

[3] C. trav., art. L. 2313-8 N° Lexbase : L8557LRD.

[4] CA Versailles, 20 janvier 2022, n° 21/02009 N° Lexbase : A95497II.

[5] Cass. soc., 15 mai 1990, n° 89-61521, publié N° Lexbase : A4971AHL.

[6] V. not. : Cass. soc., 28 mai 2008, n° 07-60385, F-D N° Lexbase : A7943D8P ; Cass. soc., 3 mars 1988, n° 86-60.507, publié N° Lexbase : A7830AAA ; Cass. soc., 17 mars 1998, n° 96-60.363, publié N° Lexbase : A2912ACT ; Cass. soc., 25  novembre 1998, n° 97-60.463, inédit N° Lexbase : A3517C3N.

[7] V. not. : Cass. soc., 13 juillet 2004, n° 03-60.425, F-P+B N° Lexbase : A1168DDM ; Cass. soc., 6 octobre 2004, n° 03-60.214, F-D N° Lexbase : A5797DD3  ; Cass. soc., 8 avril 1992, n° 91-60.165, publié N° Lexbase : A5366ABD ; Cass. soc., 26 novembre 1996, n° 95-60.927, inédit N° Lexbase : A8502C3B ; Cass. soc., 12 janvier 2005, n°03-60.477, F-P N° Lexbase : A0308DGI ; Cass. soc., 12 mars 1986, n° 85-60.518, publié N° Lexbase : A3541AAE.

[8] V. not. : Cass. soc., 13 juillet 2004, n° 03-60.425, F-P+B N° Lexbase : A1168DDM ; Cass. soc., 26 mai 2004, n° 02-60.935, publié N° Lexbase : A2482DCW ; Cass. soc., 8 octobre 1998, n° 97-60.383, inédit N° Lexbase : A9036CPD ; Cass. soc., 18 juillet 2000, n° 99-60.353, publié N° Lexbase : A9195AGN.

[9] C. trav., art. L. 2313-1 N° Lexbase : L1430LK8.

[10] C. trav., art. L. 2312-2 N° Lexbase : L8466LGN à L. 2313-4 N° Lexbase : L8475LGY.

[11] Cass. soc., 1er février 2023, n° 21-15.371, FS-B+R N° Lexbase : A01989BX.

[12] Cass. soc., 17 avril 2019, n° 18-22.948, FS-P N° Lexbase : A3539Y9X.

[13] C. trav., art. L. 2313-2 N° Lexbase : L8477LG3.

[14] Cass. soc., 9 juin 2021, n° 19-23.745, FS-P+R N° Lexbase : A41034UI.

[15] Cass. soc., 19 décembre 2018, n° 18-23.655, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A0670YRA.

[16] Cass. soc., 22 janvier 2020, n° 19-12.011, FS-P+B N° Lexbase : A58943CB.

[17] C. trav., art. L. 2312-2 N° Lexbase : L8466LGN.

[18] C. trav., art. L. 2314-33 N° Lexbase : L1427LK3.

[19] Ibid.

[20] C. trav., art. L. 2314-5 N° Lexbase : L8505LG4.

[21] Cass. soc., 1er juin 2022, n° 21-60.076, F-D N° Lexbase : A823274N.

[22] Cass. soc., 21 avril 2022, n° 20-23.225, F-D N° Lexbase : A49707UM.

[23] C. trav., art. R. 2314-6 N° Lexbase : L0630LI8.

[24] C. trav., art. L. 2314-18 N° Lexbase : L2123MGQ.

[25] Cons. const., décision n° 2021-947 QPC, du 19 novembre 2021 N° Lexbase : A23037CB.

[26] Cass. soc., 27 octobre 2004, n° 03-60.443, F-D N° Lexbase : A7439DDU.

[27]  C. trav., art. L. 2314-26 N° Lexbase : L8484LGC et art. R. 2314-5 N° Lexbase : L0631LI9 ; Cass. soc., 13 janvier 2021, n° 19-23.533, FS-P+R+I N° Lexbase : A23054CD.

[28] C. trav., art. R. 2314-13 N° Lexbase : L0623LIW.

[29] C. trav., art. R. 2314-7 N° Lexbase : L0629LI7.

[30] Ibid.

[31] C. trav., art. R. 2314-8 N° Lexbase : L0628LI4.

[32] C. trav., art. R. 2314-10 N° Lexbase : L0626LIZ.

[33] Cass. soc., 19 janvier 2022, n° 20-17.076, FS-B N° Lexbase : A77077IB.

[34] Cass. soc., 1er juin 2022, n° 20-22.860, F-B N° Lexbase : A58487YA.

[35] C. trav., art. L. 2314-30 N° Lexbase : L8480LG8.

[36] Cass. soc., 5 janvier 2022, n° 20-17.227, F-D N° Lexbase : A83127HC ; Cass. soc., 16 février 2022, n° 21-11.813, F-D N° Lexbase : A63757NG.

[37] C. trav., art. L. 2314-32 N° Lexbase : L8318LG8.

[38] C. trav., art. L. 2314-32.

[39] C. trav., art. L. 2314-10 N° Lexbase : L8500LGW.

[40] Cass. soc., 5 janvier 2022, n° 20-17.227, F-D N° Lexbase : A83127HC.

[41] Cass. soc., 23 mars 2022 n° 20-20.047, FS-B N° Lexbase : A12727RK.

[42] C. élec., art. R. 67 N° Lexbase : L8151I7Z.

[43] Cass. soc., 1er juin 2022, n° 21-11.623, F-D N° Lexbase : A810274T.

[44] Cass. soc., 15 juin 2022, n° 20-21.992, F-B N° Lexbase : A469277W.

newsid:484444

Contrats et obligations

[Jurisprudence] Les bonnes résolutions ne sont pas nécessairement fautives

Réf. : Cass. com., 18 janvier 2023, n° 21-16.812, F-B N° Lexbase : A6065887

Lecture: 11 min

N4494BZH

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/93403533-edition-n-936-du-23022023#article-484494
Copier

par Dimitri Houtcieff, Professeur agrégé des facultés de droit - Université Paris-Saclay

Le 24 Mars 2023

Mots-clés : crise sanitaire • covid • contrat • obligations • résolution • force majeure • restitution • acompte • faute • utilité des prestations • (in)divisibilité des prestations

Viole les articles 1217, 1227 et 1229 du Code civil, la cour d’appel qui rejette les demandes de résolution du contrat et de restitution de l'acompte, après avoir relevé que, bien que l'inexécution du contrat ait été totale et d'une gravité suffisante, elle ne pouvait être considérée comme fautive, alors qu’elle constatait que les prestations objet du contrat n'avaient pas été exécutées.


 

La résolution par-delà de la réforme. Les dispositions issues de la réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations sont jeunes encore : elles n’ont pour l’heure donné lieu qu’à peu d’arrêts de la Cour régulatrice. Cette décision rendue le 18 janvier 2023 par la Chambre commerciale ne mérite cependant pas seulement que l’on s’y arrête parce qu’elle convoque le droit nouveau : outre qu’elle s’inscrit dans le contexte particulier des difficultés d’exécution liées à la crise sanitaire, elle revient en effet sur les fondements même de la notion de résolution, en même temps qu’elle mesure pour la première fois l’étendue des restitutions à l’aune des nouveaux critères fixés par l’article 1229 du Code civil N° Lexbase : L0934KZM [1]

Dans la perspective du salon international des professionnels de l’immobilier qui devait se tenir au mois de mars 2020, une société exploitant un établissement d’hôtellerie et de restauration avait conclu avec une autre un contrat portant sur diverses prestations de traiteur et de restauration.  Comme on l’imagine, le salon fut annulé en raison de la crise sanitaire, et le traiteur ne put exécuter sa prestation. L’établissement hôtelier réclama restitution de l’acompte qu’il avait versé : son contractant refusa. Estimant que la convention n’avait pas été résiliée, il invoqua l’article 8 de celle-ci, qui prévoyait une retenue de 100 % du prix des prestations en cas d’annulation tardive de la commande. L’hôtelier assigna alors le traiteur en restitution, se prévalant tout à la fois d’une révision pour imprévision et d’un cas de force majeure, devant le tribunal de commerce de Cannes [2]. Les juges de première instance écartèrent l’imprévision, estimant que la révision ne pouvait être envisagée que pour autant que l’exécution du contrat fût encore possible. Ils estimèrent cependant que le report du salon constituait un cas de force majeure : le tribunal prononça la résolution du contrat et ordonna la restitution de l’acompte. Le traiteur interjeta appel : par un arrêt infirmatif, la cour d’appel d’Aix-en-Provence [3] jugea que la résolution ne pouvait être prononcée, ni l’acompte restitué, dès lors que l’inexécution de l’obligation avait été causée par un élément extérieur, à savoir l’annulation du salon de l’immobilier par un tiers. Cette motivation lui vaut la censure, sous le triple visa des articles 1217 N° Lexbase : L1986LKR, 1227 N° Lexbase : L0936KZP et 1229 N° Lexbase : L0934KZM du Code civil : en rejetant les demandes de résolution du contrat et de restitution de l’acompte après avoir retenu que, si l’annulation du salon avait empêché l’exécution de la prestation de traiteur, elle n’avait pas empêché la société exploitant l’hôtel de verser les sommes contractuellement prévues, et que « bien que l'inexécution du contrat ait été totale et d'une gravité suffisante, elle ne  [pouvait ] être considérée comme fautive puisqu'elle a été causée par l'annulation du salon », la cour d’appel avait violé les textes considérés.

Ainsi que le rappelle la décision rapportée, la résolution du contrat ne suppose pas la faute : elle repose sur une inexécution dont la cause est indifférente (I). La détermination de l’étendue de restitution à l’aune de l’utilité des prestations échangées, nouveau critère fixé par l’article 1229 du Code civil N° Lexbase : L0934KZM, mérite également que l’on s’y arrête (II).

I. L’inexécution, critère de la résolution

L’inexécution ne se réduit pas à la faute. – À moins que les parties ne l’aient enfermée dans une clause résolutoire, la résolution suppose une « inexécution suffisamment grave », selon les termes de l’article 1224 du Code civil N° Lexbase : L0939KZS. Rien n’indique cependant que cette inexécution doive être fautive : la gravité ne s’entend pas d’un mauvais comportement, mais des conséquences de l’inexécution sur l’éventuelle poursuite des relations contractuelles. La faute n’était d’ailleurs pas davantage évoquée par l’ancien article 1184 du Code civil, qui laissait à « la partie envers laquelle l'engagement n'a point été exécuté, (…) le choix (…) d'en demander la résolution avec dommages et intérêts ». L’article 1217 du Code civil N° Lexbase : L1986LKR reprend peu ou prou cette formulation : « la partie envers laquelle l'engagement n'a pas été exécuté, ou l'a été imparfaitement, peut [notamment], provoquer la résolution du contrat ».

L’ombre persistante de la faute. – Somme toute, la lecture des textes conduirait presque à s’étonner de la nécessité de rappeler – de loin en loin, mais de temps en temps – l’indifférence de la résolution au caractère fautif de l’inexécution : pourquoi faudrait-il donc ajouter aux dispositions rappelées ci-dessus une condition qu’elles n’exigent pas ? Plusieurs raisons participent à la vérité à expliquer cette tentation. La plasticité de la notion de faute contractuelle n’y est d’abord pas étrangère : la faute ne résulte-t-elle pas, ici d’une absence de résultat, là d’un défaut de diligence, et ailleurs d’un mauvais comportement ? Surtout, et plus profondément, les textes aux sources du Code Napoléon paraissent bien n’avoir conçu de résolution que fautive : ainsi, écrit George Ripert, pour « ceux qui concernent la lex commissoria insérée dans les ventes (…) il faut que ce soit par la faute de l’acheteur si le prix n’a pas été payé à l’échéance » [4]. Certains auteurs soutinrent donc logiquement que l’ancien article 1184 du Code civil s’était borné à recueillir la doctrine romaine [5], que Pothier admettait encore [6]. Il revint ainsi au juge de lever le doute [7] : c’est cette vénérable jurisprudence qui se réincarne, à la faveur de la décision rapportée, sous l’empire du droit nouveau.

Résolution et force majeure. – L’indifférence à la faute du débiteur conduit naturellement à poser la question de l’articulation de la résolution et de la force majeure. L’hôtelier s’était d’ailleurs prévalu de l’article 1218 du Code civil N° Lexbase : L0930KZH devant les juges du fond, faisant précisément valoir que l’annulation du salon des professionnels de l’immobilier en raison de l'état d'urgence sanitaire et la pandémie constituait un cas de force majeure. Cette voie n’avait pourtant que peu de chances d’aboutir : non seulement la jurisprudence tend à écarter le jeu de la force majeure s’agissant d’une obligation monétaire [8], mais elle n’admet guère que le créancier n’ayant pu profiter de la prestation invoque la force majeure [9]. La solution admise par l’arrêt commenté adoucit ainsi quelque peu le sort du créancier victime d’une inexécution non fautive, qui peut espérer passer par la résolution pour obtenir restitution [10]. Il restera cependant alors à en déterminer l’étendue.

II. L’utilité des prestations, mesure des restitutions

Le critère de l’utilité des prestations. – L’affirmation selon laquelle la « résolution met fin au contrat » [11] n’épuise pas les  conséquences de la disparition du lien contractuel. La réalité rend parfois difficiles les restitutions théoriquement induites par l’anéantissement rétroactif du contrat : aussi l’article 1229, alinéa 3, du Code civil N° Lexbase : L0934KZM propose-t-il une sorte de petit guide-âne des restitutions consécutives à la résolution [12]. Tout dépend ainsi de la question de savoir si « les prestations échangées ne pouvaient trouver leur utilité que par l'exécution complète du contrat résolu » : en pareil cas « les parties doivent restituer l'intégralité de ce qu'elles se sont procuré l'une à l'autre » [13]. Au contraire, si « les prestations échangées ont trouvé leur utilité au fur et à mesure de l'exécution réciproque du contrat, il n'y a pas lieu à restitution pour la période antérieure à la dernière prestation n'ayant pas reçu sa contrepartie ».  Tranchant avec le droit antérieur, l’article 1229 du Code civil érige ainsi l’utilité de prestation échangée en mesure des restitutions.  

De la divisibilité à l’utilité. – Selon une jurisprudence quarantenaire, « la résolution  inexécution partielle atteint l’ensemble du contrat ou certaines de ses tranches seulement, suivant que les parties ont voulu faire un marché indivisible ou fractionné en une série de contrats » [14]. L’étendue des restitutions dépendait ainsi de la volonté des parties d’organiser l’indivisibilité des prestations [15] : la résolution n’opérait pour l’avenir que dans l’hypothèse de prestations dissociables[16]. Le cantonnement des effets de la rétroactivité reposait ainsi sur un critère tout différent de celui que retient désormais l’article 1229 : l’utilité des prestations échangées est théoriquement indifférente à leur divisibilité.

Objectivation textuelle des critères de mesure des restitutions. – Selon le rapport au Président de la République relatif à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, l’article 1229, alinéa 3, du Code civil a entendu consommer une rupture avec le droit antérieur : à l’en croire, « l'ordonnance abandonne donc la fiction juridique de la rétroactivité traditionnellement attachée à la résolution par la doctrine et la jurisprudence, dans la mesure où la rétroactivité a en principe pour effet d'engendrer des restitutions ». L’affirmation est excessive : si rupture il y a, elle ne passe d’ailleurs pas par-là. La rétroactivité attachée à la résolution n’a en effet jamais eu la portée absolue que semble lui prêter le rapport. L’article 1229 du Code civil emporte cependant une objectivation des critères de mesure des restitutions : il ne s’agit plus de savoir si les « parties ont voulu faire un marché indivisible », mais seulement de jauger l’utilité des prestations. Faut-il en déduire que cette disposition interdit d’admettre une divisibilité conventionnelle des prestations contractuelles ? La décision rapportée paraît du moins faire peu de cas d’une telle interrogation. L’utilité réciproque des prestations n’est pas même questionnée : comme si elle était entendue, la censure est déduite de ce que la résolution avait été écartée, alors « que les prestations objets du contrat n’avaient pas été exécutées ». Sans doute faut-il se garder de conclusions hâtives : après tout, la solution aurait peut-être été différente si le traiteur avait partiellement exécuté sa prestation. Il n’en demeure pas moins que la décision rapportée néglige largement la volonté des parties.

Vers une objectivation effective des critères de mesure des restitutions. – L’objectivation induite par le recours au critère de l’utilité des prestations ne saurait étouffer tout à fait l’influence de la volonté des parties. On comprendrait difficilement que cette utilité s’apprécie sans tenir compte des finalités que les parties entendent assouvir : somme toute, il s’agit d’identifier les contreparties convenues [17] ? La méthode n’est finalement pas si éloignée de celle qu’employa parfois jadis la Cour de cassation : n’a-t-il pas été jugé autrefois que les prestations déjà effectuées devaient être restituées quand la partie qui les a reçues n’en a pas donné d’équivalentes [18] ? La portée pratique des changements par la rédaction de l’article 1229 du Code civil devrait dès lors être mesurée [19] :  comme la volonté de « faire un marché unique » se heurte parfois aux réalités pratiques [20], l’utilité des prestations s’apprécie nécessairement à l’aune de la volonté des parties.  


[1] V. également C. Hélaine, La résolution judiciaire du contrat ne suppose pas l'inexécution fautive du débiteur, Dalloz actualité 24 janvier 2023.

[2] T. com. Cannes, 10 décembre 2020, aff. n° 2020F00167.

[3] CA Aix-en-Provence, 18 mars 2021, n° 20/12607 N° Lexbase : A56694LK.

[4] M. Planiol, note sous Cass. civ., 14 avril 1891, DP 1891.1.329, spéc. p.329.

[5] Baudry-Lancantinerie et Barde écrivaient ainsi : « la clause résolutoire tacite a été envisagée par le législateur comme une garantie donnée au créancier contre le mauvais vouloir du débiteur. A ce point de vue il convient de la rapprocher de la clause pénale. Celle-ci ne s'applique pas lorsque l'inexécution ne provient pas de la faute du débiteur », in Traité théorique et pratique de droit civil ; 7. Des obligations, Tome 2, Larose 1902, n° 914, p.103. La doctrine classique était à la vérité partagée. Larombière s’en tient à la lettre du texte « l’article 1184 ne pose, en effet, aucune distinction à cet égard; et il ne devait en poser aucune », in Théorie et pratique des obligations, ou Commentaire des titres III et IV, livre III du Code civil, art. 1101 à 1386, t. III, Paris, Durand Pédone-Lauriel 1885, n°6, p. 92). Demolombe ne dit pas autre chose (v. Cours de droit civil, t. XII, Stienon 1868, n°497, p. 408).

[6] En ce sens M. Planiol préc. À la vérité, Pothier n’est pas aussi net que ne le laisse entendre Planiol. Le jurisconsulte orléanais se borne ainsi à écrire que, « quand même on n'aurait pas exprimé dans la convention l'inexécution de votre engagement comme condition résolutoire de celui que j'ai contracté envers vous, néanmoins cette inexécution peut souvent opérer le résiliement du marché, et conséquemment l'extinction de mon obligation. (…) Supposons, par exemple, que je vous aie vendu ma bibliothèque purement et simplement : si vous tardez à m'en payer le prix, l’inexécution de l'engagement, que vous avez contracté de me payer le prix convenu, donnera lieu à l'extinction de celui que j'ai contracté de vous livrer ma bibliothèque » : la faute n’est ainsi évoquée que de manière implicite. V. Œuvres de Pothier contenant les traités du droit français. Dissertation sur Pothier. Traité des obligations, Béchet aîné (Paris), 1824-1825, n°672, p.406.

[7] V. déjà, Cass., civ., 3 août 1875, D. P., 75. 1. 409 : « L’article. 1184 ne distingue point entre les causes d'inexécution des conventions » ; adde Cass. civ., 20 mars 1877, D. P., 77. 5. 379 ; Req. 30 avril 1878, S., 79. 1. 200, D. P., 78. 1. 349.

[8] Cass. com., 16 septembre 2014, n° 13-20.306, F-P+B N° Lexbase : A8468MWK, D. 2014, p. 2217, note J. François, Rev. sociétés 2015, p. 23, note C. Juillet, RTDciv. 2014, p. 890, obs. H. Barbier, JCP G 2014, 1117, note V.  Mazeaud Adde CA Grenoble, ch. com., 5 novembre 2020, n° 16/04533 N° Lexbase : A643333N, Gaz. Pal. 5 janvier 2021, n° 392w6, p. 33, obs. D. Houtcieff ; CA Nancy, 5e ch. com., 10 novembre 2021, n° 21/01022 N° Lexbase : A58657BT, GPL 11 janvier 2022, n° GPL430m9, obs. D. Houtcieff.

[9] Cass. civ. 3, 30 juin 2022, deux arrêts, n° 21-20.127, FS-B N° Lexbase : A858778K, et n° 21-19.889, F-D N° Lexbase : A194279S, Dalloz actualité, 4 juillet 2022, obs. P. Gaiardo ; D. 2022, p. 1445, note D. Houtcieff , GPL 13 sept. 2022, n° GPL439u5, obs. D. Houtcieff ; Cass. civ. 1, 25 novembre 2020, n° 19-21.060, FS-P+B+I N° Lexbase : A551737H : JCP G 2020, 1409, obs. M. Mekki ; AJCA 2020, p. 554, obs. M. Mekki, Contrats, conc. consom. 2021, comm. 1, obs. L. Leveneur, AJDI 2021, 118, note D. Houtcieff, LEDC janvier 2021, n° 113q7, p. 5, obs. M. Latina, LEDA janvier 2021, n° 113d6, p. 3, obs. T. Douville. Comp., pour des raisons largement liées à l’espèce, Cass. civ. 1, 6 juillet 2022, n° 21-11.310, F-D N° Lexbase : A49828AR, Lexbase Droit privé, n° 916, 15 septembre 2022, note D. Houtcieff N° Lexbase : N2555BZN.

[10] Encore faut-il que le créancier puisse se prévaloir d’une inexécution, sans qu’il puisse se borner à soutenir qu’il n’a pas pu profiter de la prestation : v. not. Cass. civ. 1, 25 novembre 2020, préc..

[11] C. civ., art. 1229, al. 1er N° Lexbase : L0934KZM.

[12] Sur cette disposition, M. Latina et G. Chantepie, Le nouveau droit des obligations, Dalloz hors collection, 2e éd., 2018, n° 669.

[13] C. civ., art. 1229, al. 3.

[14] Cass. civ. 1, 3 novembre 1983, n° 82-14.003, publié au bulletin N° Lexbase : A3946ARL, Rép. Defrénois, 1984, p. 1014, RTD civ., 1985, p. 166, obs. J. Mestre ; Cass. civ. 1, 13 janvier 1987, n° 85-12.676, publié au bulletin N° Lexbase : A6416AAU, JCP G, 1987, II, 20860, note G. Goubeaux ; Cass. civ. 3, 20 novembre 1991, n° 89-16.552, publié au bulletin N° Lexbase : A2709ABX.

[15] Cass. civ., 4 mai 1898, DP, 1898, 1, p. 457, note M. Planiol ; Cass. civ. 3, 30 avril 2003, n° 01-14.890, publié au bulletin N° Lexbase : A7549BSE, JCP G, 2004, II, 10031, note C. Jamin, JCP G, 2003, I, 170, n° 15, obs. A. Constantin, RTD civ., 2003, p. 501, n° 6, obs. J. Mestre et B. Fages.

[16] Par ex. Cass. civ. 3, 8 juillet 2021, n° 20-12.917, F-D N° Lexbase : A63134YH.

[17] L’article 1229, alinéa 3, du Code civil N° Lexbase : L0934KZM évoque d’ailleurs lui-même la notion de contrepartie : « Lorsque les prestations échangées ont trouvé leur utilité au fur et à mesure de l'exécution réciproque du contrat, il n'y a pas lieu à restitution pour la période antérieure à la dernière prestation n'ayant pas reçu sa contrepartie »

[18] Cass. (civ.), 4 mai 1898, DP, 1898, 1, p. 457, note M. Planiol,

[19] Comp., F. Terré, P. Simler, Y. Lequette et F. Chenedé, Droit des obligations, 13e éd., Précis Dalloz 2022, n° 823.

[20] Cass. civ. 1, 7 juin 1995, n° 93-15.485, publié au bulletin N° Lexbase : A7814ABZ , JCP G, 1996, I, n° 3914, obs. C. Jamin, selon lequel « la résiliation du contrat a pour effet, comme la résolution, d’anéantir le contrat et de remettre les parties dans l’état où elles se trouvaient antérieurement sous la seule réserve de l’impossibilité pratique ».

newsid:484494

Cotisations sociales

[Brèves] Nullité du redressement en l’absence de respect de la procédure prévue dans l’hypothèse d’un abus de droit

Réf. : Cass. civ. 2, 16 février 2023, n° 21-11.600 N° Lexbase : A24109DM, n° 21-18.322 FS-B N° Lexbase : A24139DQ et n° 21-17.207 N° Lexbase : A24199DX, FS-B

Lecture: 4 min

N4425BZW

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/93403533-edition-n-936-du-23022023#article-484425
Copier

par Laïla Bedja

Le 22 Février 2023

► Lorsque l'organisme de Sécurité sociale écarte un acte juridique synonyme d’un abus de droit dans les conditions prévues à l’article L. 243-7-2 du Code de la Sécurité sociale, il se place nécessairement sur le terrain de l'abus de droit ; il en résulte qu'il doit se conformer à la procédure prévue par le texte précité et les articles R. 243-60-1 et R. 243-60-3 du Code de la Sécurité sociale et qu'à défaut de ce faire, les opérations de contrôle et celles, subséquentes, de recouvrement sont entachées de nullité.

Les faits et procédure. La solution précitée concerne trois affaires différentes au cours desquelles différents actes ont été écartés par l’Urssaf, cette dernière procédant au redressement de la société sans mettre en place la procédure d’abus de droit.

Dans la première espèce (pourvoi n° 21-11.600), dans la lettre d’observation, l’inspecteur du recouvrement énonce qu'en l'état des informations recueillies au cours du contrôle, les procédures de licenciement présentées par l'entreprise à l'appui de l'exonération des cotisations et contributions de Sécurité sociale d'une partie des indemnités versées lors du départ de nombreux salariés sont réputées fictives. L’Urssaf avait alors décidé délibérément de ne pas appliquer la pénalité de 20 % prévue en cas d’abus de droit et de ne pas mettre en œuvre la procédure d’abus de droit.

La cour d’appel ayant annulé le redressement, l’organisme avait notamment mis en avant le fait que le comité d’abus de droit ne disposait plus de membres depuis le 12 janvier 2015, si bien que la procédure d’abus de droit, prévue à l’article L. 243-7-2 du Code de la Sécurité sociale N° Lexbase : L9267LNK ne pouvait plus être mise en œuvre.

Dans la seconde espèce (pourvoi n° 21-18.322), l’Urssaf a fondé le redressement sur la mise en place d'un habillage légal des ruptures en constatant qu'il n'existait pas de nette séparation entre les attributions techniques des emplois respectifs de directeur administratif et financier et de directeur d'exploitation des intéressés et celles relevant de leurs mandats sociaux antérieurs officiels, puisqu'ils avaient continué à présider à tour de rôle les assemblées générales et que leur rémunération au titre du contrat de travail, en l'absence de lien de subordination, était identique à celle perçue au titre du mandat social. La cour d’appel avait alors aussi déclaré la procédure irrégulière.

Dans la dernière espèce (pourvoi n° 21-17.207), l’Urssaf reprochait à la société sportive d'éluder le paiement des cotisations sociales sur la partie du salaire réglée sous forme de droits à l'image considérés comme des revenus mobiliers. La cour d’appel avait alors validé le redressement et la société a formé un pourvoi en cassation.

La décision. Énonçant la solution précitée et s’appuyant sur les conditions liées à la procédure d’abus de droit prévue à l’article L. 243-7-2 du Code de la Sécurité sociale, la Haute juridiction se prononce en faveur de la mise en œuvre obligatoire de la procédure d’abus de droit lorsque l’organisme de contrôle constate qu’un acte du cotisant est susceptible d’être constitutif d’un abus de droit. Elle rejette alors le pourvoi de l’Urssaf dans les deux premières espèces et accède à la demande de la société dans la dernière.  

La deuxième chambre civile aligne ainsi sa décision avec celle de la Chambre commerciale rendue en matière fiscale (Cass. com., 23 juin 2015, n° 13-19.486, FS-P+B N° Lexbase : A9788NL4). Les juges de cette dernière avaient ainsi décidé « que l’administration s’était nécessairement placée sur le terrain de l’abus de droit et que, faute par elle de s’être conformée à la procédure prévue par le texte visé au moyen, la procédure de redressement et celle subséquente de recouvrement étaient entachées d’irrégularité ».

Pour aller plus loin :

newsid:484425

Entreprises en difficulté

[Jurisprudence] La présomption de déclaration de créance par le débiteur pour le compte du créancier, la gentille loi et le méchant décret

Réf. : Cass. com., 8 février 2023, n° 21-19.330, F-B N° Lexbase : A97139BD

Lecture: 12 min

N4485BZ7

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/93403533-edition-n-936-du-23022023#article-484485
Copier

par Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences - HDR à l’Université Côte d’Azur, Membre du CERDP, Directrice du Master 2 Droit des entreprises en difficulté de la faculté de droit de Nice

Le 23 Février 2023

Mots-clés : déclaration de créance • présomption de déclaration par le débiteur pour le compte du créancier • mention de l'identité du créancier • mention du montant de la créance • mentions suffisantes (oui)

Les mentions de l’identité du créancier et du montant de la créance sont suffisantes pour permettre le jeu de la présomption de déclaration de créance par le débiteur pour le compte du créancier.


 

La déclaration de créance, classiquement considérée comme un acte équivalent à une demande en justice, ne peut être effectuée par n’importe qui. Elle peut l’être par le créancier lui-même, un préposé ou un mandataire de son choix. Mais, depuis l’ordonnance du 12 mars 2014 (ordonnance n° 2014-326 N° Lexbase : L7194IZH), elle peut également émaner du débiteur, qui déclare ainsi une créance à son propre passif. Il s’est agi, par cet outil juridique, d’éviter aux créanciers la forclusion.

Cette bizarrerie juridique résulte de l’effet de la présomption de déclaration par le débiteur pour le compte du créancier, lorsque le premier informe de l’existence de la créance le mandataire judiciaire ou le liquidateur. Cette information, résultera notamment, mais ce n’est pas le seul canal, de la liste que doit, en vertu de l’article L. 622-6 du Code de commerce N° Lexbase : L3680MBW, établir le débiteur et qu’il doit remettre au mandataire de justice dans les huit jours de l’ouverture de sa procédure collective (C. com., art. R. 622-5, al. 2 N° Lexbase : L5946KGC), liste que doit ensuite déposer au greffe le mandataire judiciaire.

Selon l’alinéa 2 de l’article L. 622-6, « Le débiteur remet à l'administrateur et au mandataire judiciaire, pour les besoins de l'exercice de leur mandat, la liste de ses créanciers, du montant de ses dettes et des principaux contrats en cours. Il les informe des instances en cours auxquelles il est partie ». Ainsi, en vertu de la disposition légale, il suffit que la liste mentionne les créanciers, c’est-à-dire que l’on puisse les identifier, et indique le montant des sommes dues.

Le contenu de cette liste est davantage détaillé à l’article R. 622-5 du Code de commerce. Selon l’alinéa 1 de cette disposition, « La liste des créanciers établie par le débiteur conformément à l'article L. 622-6 comporte les nom ou dénomination, siège ou domicile de chaque créancier avec l'indication du montant des sommes dues au jour du jugement d'ouverture, des sommes à échoir et de leur date d'échéance, de la nature de la créance, des sûretés et privilèges dont chaque créance est assortie. Elle comporte l'objet des principaux contrats en cours ».

Pour sa part, l’article L. 622-24, alinéa 3, du Code de commerce N° Lexbase : L8803LQ4, qui institue le mécanisme de la présomption de déclaration de créance, prévoit sobrement que « Lorsque le débiteur a porté une créance à la connaissance du mandataire judiciaire, il est présumé avoir agi pour le compte du créancier tant que celui-ci n'a pas adressé la déclaration de créance prévue au premier alinéa ». Cependant, le décret est beaucoup plus prolixe et vient ainsi ajouter considérablement au texte légal, en indiquant que « Pour l'application du troisième alinéa de l'article L. 622-24, toute déclaration faite par le débiteur, dans le délai fixé par le premier alinéa de l'article R. 622-24 N° Lexbase : L6120I33, doit comporter les éléments prévus aux deux premiers alinéas de l'article L. 622-25 N° Lexbase : L9126L77 et, le cas échéant, ceux prévus par le 2° de l'article R. 622-23 N° Lexbase : L0670L8C ». En d’autres termes, et selon le décret, pour valoir présomption de déclaration de créance, la liste doit comporter l’indication des sommes échues et à échoir, les sûretés qui garantissent la créance, la mention de la continuation du cours des intérêts et la conversion en euros au jour du jugement d’ouverture de la créance libellée en monnaie étrangère.

Le législateur s’est-il une seconde mis à la place du débiteur classique, qui n’a pas fait d’études de droit, et encore moins suivi un cours de droit des entreprises en difficulté, pour savoir, par exemple, quelles sont les créances qui continuent après jugement d’ouverture à bénéficier de la continuation du cours des intérêts, cependant que le principe posé par le Code de commerce est celui de l’arrêt du cours des intérêts par l’effet du jugement d’ouverture ?

Quoi qu’il en soit, à la lecture de la partie réglementaire du Code de commerce, on comprend que le mécanisme de la présomption de déclaration de créance par le débiteur pour le compte du créancier aura fort peu vocation à jouer, compte tenu des exigences très importantes requises du débiteur. Cela n’est pas sérieux, à moins de vouloir faire semblant de donner d’une main législative un secours aux créanciers – la présomption de déclaration de créance par le débiteur pour son compte – et de lui retirer ce secours par une autre main réglementaire.

Face à cette situation, la jurisprudence a dû trancher entre la gentille loi et le méchant décret, et, logiquement, la norme supérieure l’a emporté sur la norme inférieure. C’est ce que nous allons pouvoir constater.

En l’espèce, un jugement du 28 mars 2017, publié au BODACC le 12 avril suivant, a mis en sauvegarde un GAEC. Conformément à l'article L. 622-6 du Code de commerce, le GAEC a remis au mandataire judiciaire la liste de ses créanciers, sur laquelle figurait la société Coopérative Bourgogne (la coopérative). La créance de la coopérative a été contestée par le GAEC, qui a fait valoir que le seul fait que ce créancier apparaisse sur la liste des créanciers ne valait pas déclaration de créance faite par le débiteur pour le compte du créancier, au sens de l'alinéa 3 de l'article L. 622-24 du Code de commerce.

La coopérative n’a pas obtenu gain de cause devant les juges du fond. La cour d’appel [1] a considéré que la liste remise à ce mandataire par le GAEC ne vaut pas déclaration de créance faite pour son compte par le débiteur car cette liste ne comportait ni l'indication des sommes à échoir et la date de leur échéance, ni la nature du privilège ou de la sûreté dont la créance était éventuellement assortie, ni les modalités de calcul des intérêts dont le cours n'était pas arrêté. En d’autres termes, pour la cour d’appel, si toutes les mentions réglementaires ne figurent pas sur la liste, la  présomption de déclaration de créance par le débiteur pour le compte du créancier n’a pas joué, et il en résulte l’absence de déclaration de créance de la part du créancier qui n’a pas, dans les délais, personnellement déclaré sa créance et, qui, en conséquence, encourt la forclusion.

Le créancier forme un pourvoi. La question posée à la Cour de cassation est toute simple : est-il exigé, pour que l’indication du créancier sur la liste, par le débiteur, soit considérée comme permettant le jeu de la présomption de déclaration de créance par le débiteur pour le compte du créancier que les mentions de cette liste répondent en tous points aux exigences du décret ou suffit-il que figurent certaines mentions minimales ?

La Cour de cassation, accueillant le pourvoi, va opter pour la seconde branche de l’alternative :

« Vu l'article L. 622-24, alinéa 3, du Code de commerce, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 12 mars 2014 : Il résulte de ce texte que la créance portée à la connaissance du mandataire judiciaire par le débiteur, dans le délai fixé à l'article R. 622-24 du Code de commerce, fait présumer de la déclaration de sa créance par son titulaire, mais seulement dans la limite du contenu de l'information fournie au mandataire judiciaire par le débiteur. La liste des créanciers remise par le Gaec à son mandataire judiciaire comportait le nom de la Coopérative créancière ainsi que le montant de la créance de cette dernière, ce qui valait déclaration de créance effectuée par le débiteur pour le compte du créancier, dans la limite de ces informations ».

Ainsi, pour la Cour de cassation, il faut l’identité du créancier et l’indication du montant de sa créance. Il n’est même pas exigé que soit distingué le montant des sommes à échoir et celles échues, alors pourtant que, observons-le, cette exigence est posée par l’article L. 622-24, alinéa 3, du Code de commerce.

Ce n’est pas la première fois que la Cour de cassation a à statuer sur la question. Nous avions pu comprendre, d’un précédent arrêt [2], la solution posée aujourd’hui. Dans cet arrêt, la Cour avait jugé que « Mais attendu que, selon l'article L. 622-24, alinéa 3, du code de commerce, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 12 mars 2014, les créances portées à la connaissance du mandataire judiciaire dans le délai fixé à l'article R. 622-24 du même code font présumer de la déclaration de sa créance par son titulaire, mais seulement dans la limite du contenu de l'information fournie au mandataire judiciaire ; qu'ayant constaté que la liste remise au mandataire judiciaire par le débiteur ne mentionnait que l'identité du créancier, sans indiquer aucun montant de créance et, dès lors qu'il n'était pas allégué que le débiteur avait fourni d'autres informations au mandataire judiciaire, ce qui ne pouvait se déduire des mentions du jugement d'ouverture de la procédure, la cour d'appel a légalement justifié sa décision d'écarter l'existence d'une déclaration de créance faite par le débiteur pour le compte du créancier ; que le moyen n'est pas fondé ».

Ainsi, dans cet arrêt, parce que la liste ne mentionnait que l’identité du créancier et non le montant de la créance, la présomption de déclaration de créance par le débiteur pour le compte du créancier n’avait pu jouer. Interprétant la solution a contrario, nous en avions déduit que si la mention de l’identité du créancier et du montant de la créance figurait sur la liste, alors la présomption pouvait jouer. Mais, on le voit, il fallait interpréter les propos de la Cour de cassation. Le mérite du présent arrêt est de poser de manière claire et directe la solution, et c’est sans doute ce qui a conduit la Cour de cassation à décider de sa publication au Bulletin car certaines juridictions du fond ne semblaient pas avoir bien compris la portée de l’arrêt du 5 septembre 2018. La Cour de cassation préfère donc enfoncer le clou.

Il importe d’observer que la Cour de cassation n’a visé que l’article L. 622-24, alinéa 3, du Code de commerce, texte qui se contente d’indiquer que « Lorsque le débiteur a porté une créance à la connaissance du mandataire judiciaire, il est présumé avoir agi pour le compte du créancier tant que celui-ci n'a pas adressé la déclaration de créance prévue au premier alinéa ». Elle se garde bien de viser l’article R. 622-5, alinéa 2, qui détaille les mentions que doit contenir la liste. C’est une façon de tenir pour lettre morte le décret, sans doute parce que, estime la Cour de cassation, il n’est pas conforme au texte de loi, en y ajoutant des restrictions non contenues dans la formule législative.

Au surplus, la Cour de cassation a parfaitement compris que si elle donnait plein effet à la lettre de l’alinéa 2 de l’article R. 622-5 du Code de commerce, alors elle condamnait à mort le mécanisme de la présomption de déclaration de créance par le débiteur pour le compte du créancier.

La Cour de cassation a mille fois raison d’écarter la lettre d’un décret trop exigeant venant apporter des contraintes non prévues par le texte de la loi, pour permettre au texte de loi de vivre sa vie.

Pour terminer, nous offrons aux lecteurs l’occasion d’une petite tempête dans leur cerveau, en posant deux questions, auxquelles on s’abstiendra de répondre.

Si la présomption de déclaration de créance joue, le créancier dont la créance sera réputée déclarée dans les limites des mentions portées sur la liste, pourra-t-il obtenir un relevé de forclusion, s’il ne déclare pas personnellement dans les délais, pour faire admettre au passif les éléments non déclarés par le débiteur ?

Si la présomption de déclaration de créance joue, le créancier, dont la créance sera réputée déclarée dans les limites des mentions de la liste, pourra-t-il prétendre que le délai de déclaration de créance n’a pas couru contre lui faute d’avoir été averti personnellement d’avoir à déclarer au passif en tant que créancier titulaire d’une sûreté publiée, si le débiteur mentionne sa créance sans indication de la sûreté ? 


[1] CA Dijon, 10 juin 2021, n° 19/00841 N° Lexbase : A69044UA.

[2] Cass. com., 5 septembre 2018, n° 17-18.516, F-P+B+I N° Lexbase : A3706X3N, D., 2018, actu 1692, note A. Lienhard ; D., 2018, 2067, note Levy et de Ravel d’Esclapon et D. 2019, pan. comm. 1903 s., note P. Cagnoli ; Gaz. Pal., 15 janvier 2019, n° 2, p. 44, note P.-M. Le Corre ; Act. proc. coll., 2018/17, comm. 251, note J. Vallansan ; Rev. sociétés, 2018, 747, note L.-C. Henry ; JCP E, 2018, 1563, note Stefania ; JCP E, 2019, chron. 1000, n° 9, note Ph. Pétel ; Bull. Joly Entrep. en diff., 2018, 432, note B. Jazottes ; Rev. proc. coll., septembre/octobre 2019, comm. 138, note Legrand ; E. Le Corre-Broly, Lexbase Affaires, septembre 2018, n° 565 N° Lexbase : N5511BXE.

newsid:484485

Procédures fiscales

[Jurisprudence] L’impartialité objective du juge de la contestation des saisies effectuées au cabinet ou au domicile d’un avocat en procédure pénale fiscale

Réf. : Cons. const., décision n° 2022-1031 QPC, du 19 janvier 2023 N° Lexbase : A936488C

Lecture: 19 min

N4492BZE

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/93403533-edition-n-936-du-23022023#article-484492
Copier

par Axel Moreau, Doctorant contractuel chargé d'une mission d'enseignement chez Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Le 22 Février 2023

Mots-clés : perquisitions • droit pénal fiscal • domicile d’un avocat • saisies

Le Conseil constitutionnel reconnaît que lorsqu’une visite est réalisée au cabinet ou au domicile d’un avocat et que des saisies sont effectuées, un autre juge des libertés et de la détention peut se prononcer sur les contestations de ces saisies sans que cela ne viole le principe d’impartialité. Le respect du principe est toutefois réservé à la condition que le même juge ne puisse pas effectuer la saisie et statuer sur sa contestation.


 

Dans la décision commentée, le Conseil constitutionnel avait à se prononcer sur la constitutionnalité de l’article 56-1 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L1314MAW et de larticle L. 16 B du Livre des procédures fiscales N° Lexbase : L0419LTP en ce quils remettent au juge des libertés et de la détention la compétence pour connaître des contestations portant sur des saisies effectuées à loccasion de visites au cabinet ou au domicile d’un avocat.

Il est désormais acquis que le Conseil constitutionnel est garant du principe dimpartialité protégé par l'article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen [1], principe indissociable de l'exercice des fonctions juridictionnelles [2]. Le contrôle de constitutionnalité de la loi étant abstrait, le Conseil ne peut pas apprécier l’impartialité subjective du juge, il est cantonné à l’appréciation de son impartialité objective [3]. La décision commentée a donc pour finalité de déterminer si la procédure de visite et de saisie en matière fiscale permet au juge des libertés et de la détention, qui se prononce sur des contestations de saisies effectuées au cabinet ou au domicile dun avocat, de disposer d’une impartialité objective fonctionnelle.

La procédure dont la constitutionnalité est contrôlée doit tout d’abord être replacée dans un contexte. Dans sa décision « André et a. c/ France » [4], la CEDH a reconnu que la procédure qui était prévue à larticle L. 16 B du Livre des procédures fiscales et qui organisait la procédure de visite et de saisie en matière fiscale ne répondaient pas aux exigences de l’article 6 § 1 de la CEDH. Bien qu’il s’agisse d’une décision confirmative [5], elle dispose d’un apport propre en ce qu’elle précise que, pour ne pas violer larticle 8 de la CEDH et plus spécifiquement le secret professionnel de l’avocat qui est un corollaire du droit qu'a le client d'un avocat de ne pas contribuer à sa propre incrimination, des garanties procédurales particulières doivent être prévues lorsque les visites et saisies ont lieu dans des cabinets d’avocats. Eu égard aux faits de l’espèce et aux faibles garanties offertes par larticle L. 16 B du Livre des procédures fiscales, la Cour avait conclu que la visite et les saisies effectuées au sein du cabinet des requérants étaient disproportionnées par rapport au but visé. Bien que le contrôle soit in concreto, la procédure française était de nouveau remise en cause dès lors qu’elle autorisait des visites et des saisies dans de telles circonstances sans offrir des garanties suffisantes. Le législateur français avait donc fort à faire.

Pour qu’à l’avenir les visites et les saisies effectuées au sein de cabinets d’avocats ne portent pas atteinte, en matière fiscale, au droit de la CEDH, l’article 49 de la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice [6] a étendu le champ dapplication de larticle 56-1 du Code de procédure pénale à toute procédure de perquisitions ou visites effectuées dans un cabinet ou au domicile d’un avocat sur le fondement d'autres codes ou de lois spéciales. Cette solution se comprend puisque l’article, qui ne valait que pour la procédure pénale générale, organise une procédure plus protectrice lorsque les perquisitions et saisies sont effectuées au cabinet ou au domicile d’un avocat. Il a donc paru suffisant, pour satisfaire le droit de la CEDH, d’étendre son champ d’application aux procédures de visites et de saisies effectuées dans un cabinet d’avocats sur le fondement de l’article L. 16 B du LPF. Cette solution législative tardivement mise en place [7] a pour conséquence que lorsquil est procédé à une visite et des saisies au cabinet ou au domicile d’un avocat, la procédure applicable est le fruit de la combinaison des articles L. 16 B du LPF et 56-1 du CPP. Il résulte de cette procédure un certain système de contestation des saisies effectuées au cabinet ou au domicile d’un avocat, système dont la constitutionnalité est appréciée dans la décision commentée. Avant de le décrire, il faut toutefois en dire plus sur la procédure pénale générale de contestation des saisies effectuées au cabinet ou au domicile dun avocat.

En procédure pénale générale, c’est en principe soit le procureur de la République, soit le juge d’instruction qui demande une perquisition dans le cabinet d'un avocat ou à son domicile. Cette perquisition doit ensuite être autorisée par une décision du juge des libertés et de la détention. Conformément à l’alinéa 1er de l’article 56-1 du CPP, le « magistrat » ayant demandé la perquisition effectue la visite. Le bâtonnier ou son délégué, qui sont présents, peuvent au cours de la perquisition contester les saisies. Le juge des libertés et de la détention doit alors se prononcer sur ces contestations. Cette procédure est claire. Un premier magistrat a pour fonction de demander et de procéder à la perquisition et deux juges des libertés et de la détention ont pour fonctions d’autoriser la perquisition et de se prononcer sur les contestations de saisies. Dans cette procédure, il ne peut pas arriver que le même juge participe à la perquisition et se prononce sur les contestations de saisies. Également, le juge qui réalise la perquisition n’est pas un juge des libertés et de la détention comme celui qui se prononce sur les contestations de saisie. L’impartialité ne parait dès lors aucunement menacée dans cette procédure.

Pour les visites en matière fiscale, conformément à l’article L. 16 B du LPF, l’administration fiscale saisit l’autorité judiciaire pour que soit effectuée une visite. Cette dernière ne pourra avoir lieu qu’après que le juge des libertés et de la détention l’ait autorisée par ordonnance. L’application de l’article 56-1 du CPP impose la présence d’un « magistrat » lors de la visite. L’inconvénient est que, cette fois, son identité n’est pas explicitement déterminée étant donné qu’en matière fiscale aucun magistrat ne « saisit » le juge des libertés et de la détention. Comme l’article L. 16 B du LPF prévoit que « la visite et la saisie de documents s'effectuent sous l'autorité et le contrôle du juge qui les a autorisées […et qu] à cette fin, il donne toutes instructions aux agents qui participent à ces opérations », il semble tout indiqué que si un magistrat doit procéder à la visite, il s’agit de celui qui l’a autorisée, cest-à-dire le juge des libertés et de la détention. La combinaison des articles L. 16 B du LPF et 56-1 du CPP a donc une conséquence. Si en procédure pénale générale le juge qui perquisitionne est soit le procureur de la République, soit le juge dinstruction, en procédure pénale fiscale la visite est effectuée par le juge des libertés et de la détention. Enfin, en cas de contestation des saisies effectuées par le bâtonnier ou son délégué, le juge des libertés et de la détention se prononcera conformément à larticle 56-1 du CPP.

En matière fiscale, lorsqu’une saisie est effectuée au cabinet ou au domicile d’un avocat et que cette dernière est contestée, trois juges des libertés et de la détention interviennent donc. On sait que le juge des libertés et de la détention qui autorise la saisie est également celui qui procède à la visite conformément aux articles L. 16 B du LPF et 56-1 du CPP. Aucune disposition prévoit ou exclut que ce juge puisse, par la suite, être le juge des libertés et de la détention qui se prononce sur la contestation des saisies. Limpartialité du magistrat qui se prononce sur ces contestations est donc, cette fois, bien plus incertaine.

Le Conseil constitutionnel devait donc, dans un premier temps, déterminer si le fait que le juge qui se prononce sur la contestation d’une saisie soit un juge des libertés et de la détention, comme celui qui a procédé à la visite, est contraire au principe d’impartialité. Il résulte de sa décision que la circonstance qu’un alter ego ait été favorable à la saisie n’emporte pas la partialité du juge qui statue sur la contestation de la saisie (I). Étant donné qu’il n’était pas exclu par la loi que les deux juges aient la même identité, le Conseil devait également déterminer si, dans un tel cas de figure, le principe d’impartialité était violé. Le Conseil constitutionnel retient que, si un même juge des libertés et de la détention effectue une saisie et statue sur sa contestation, il y a une atteinte au principe (II). Une réserve d’interprétation de l’article 56-1 du CPP est donc prononcée.

I. Le juge de la contestation des saisies : un possible alter ego du juge effectuant les saisies

Lorsque le juge des libertés de la détention effectue une visite en matière fiscale, des agents de l'administration des impôts sont également présents pour rechercher des preuves conformément à l’article L. 16 B. du LPF. Le magistrat « effectue » la visite et « veille […] à ce qu'aucun document relevant de l'exercice des droits de la défense et couvert par le secret professionnel de la défense et du conseil » (CPP, art. 56-1). Il est donc amené à décider des saisies, ou à minima à les autoriser. Ce n’est qu’à la suite de cette décision que le bâtonnier ou son délégué pourra s’opposer à la saisie. La nature de cette décision est assez insaisissable, ce qui rend difficilement identifiable le régime applicable. La jurisprudence du Conseil constitutionnel varie en effet selon que l’acte attaqué soit un acte non juridictionnel ou soit une décision juridictionnelle par laquelle le juge se prononce au fond et de manière définitive.

  • Le régime applicable aux actes non-juridictionnels. Le Conseil constitutionnel a, dans une décision de 2016, reconnu que la charte de déontologie de la juridiction administrative établie par le vice-président du Conseil d’État peut être contestée devant le Conseil d’État sans porter atteinte au principe d’impartialité [8]. L’impartialité objective fonctionnelle des juges se prononçant sur le recours est donc reconnue, cela alors même que l’acte était issu d’un membre la juridiction et qu’il s’agissait de leur supérieur hiérarchique. Cette décision révèle une conception assez restrictive du principe d’impartialité lorsque l’acte contesté n’est pas un acte juridictionnel. Il ne s’agit pas dans ce commentaire de participer au débat sur ce qu’est ou non un acte juridictionnel, mais chacun comprendra la profonde différence qu’il existe entre une charte de déontologie et une décision de saisie au cours d’une visite domiciliaire.
  • Le régime applicable aux décisions juridictionnelles définitives et se prononçant sur le fond. Dans une décision de 2017, le Conseil constitutionnel a retenu que méconnaissaient le principe d’impartialité et le droit au recours effectif les « dispositions [législatives qui] attribuent au Conseil d'État statuant au contentieux la compétence d'autoriser, par une décision définitive et se prononçant sur le fond, une mesure d'assignation à résidence sur la légalité de laquelle il pourrait ultérieurement avoir à se prononcer comme juge en dernier ressort » [9]. Cette décision témoigne du fait que c’est un régime tout autre qui s’applique lorsque l’acte contesté est une décision définitive par laquelle une juridiction se prononce au fond [10]. Dans ce cas de figure, la juridiction qui prend une telle décision ne pourra pas se prononcer sur les contestations à son encontre sans violer le principe d’impartialité. C’est donc la juridiction tout entière qui est disqualifiée. Cette solution n’est toutefois pas reprise dans la décision commentée puisque le Conseil reconnaît que le principe d’impartialité n’est pas violé lorsque le juge de la contestation des saisies est, tout comme le juge effectuant la visite, un juge des libertés et de la détention. Cette solution peut s’expliquer par le fait que la décision de saisie n’est pas définitive comme l’est une décision d'assignation à résidence. Cela est révélé par le fait que le document ou objet saisi est, conformément à larticle 56-1 du CPP, mis sous scellé lorsque sa saisie est contestée. La décision de saisie est donc provisoire [11] en cas de contestation, dès lors que les pièces sont inexploitables tant que le juge ne s’est pas prononcé sur la contestation. De plus, il paraît contestable d’assimiler le juge des libertés et de la détention à une juridiction comme l’est le Conseil d’État. La solution retenue en 2017 ne s’imposait, par conséquent, pas au Conseil constitutionnel.

Le contrôle de constitutionnalité était donc inédit étant donné que le Conseil constitutionnel n’avait jamais eu à connaître de l’impartialité d’une procédure similaire. Cela peut toutefois surprendre que le Conseil ait préféré appliquer un régime proche de celui réservé aux actes non-juridictionnels. Deux explications peuvent être avancées. La première est que le juge des libertés et de la détention n’engage pas, à proprement parler, la parole d’une juridiction lorsqu’il prend une décision de saisie [12]. La seconde est que le fait que le magistrat effectuant la visite soit un juge des libertés et de la détention, cest-à-dire l’alter ego de celui qui se prononce sur la contestation, ne paraît pas avoir plus d’influence que s’il était un autre magistrat [13].

Non lié par ses décisions antérieures, le Conseil constitutionnel conclut à l’absence de partialité objective fonctionnelle du juge des libertés et de la détention qui se prononce sur la contestation d’une saisie. Cette conclusion peut surprendre, car il apparaît que cette impartialité du juge n’a pas été suffisamment démontrée. Un point précis pose, en effet, encore question. Dans la procédure organisée par larticle 56-1 du CPP, le juge des libertés et de la détention « entend le magistrat qui a procédé à la perquisition ». Or, il peut ne pas paraître souhaitable, pour l’impartialité, qu’un juge s’étant déjà prononcé rencontre son homologue qui sera amené à statuer à son tour. Pourtant, de telles procédures existent, comme l’a démontré Florence Bussy qui les combat, car elles seraient contraires au principe d’impartialité en ce qu’elles portent « une atteinte à l'autonomie de chaque degré de juridiction » [14]. Cette affirmation peut être reprise pour le cas de la procédure de saisie en matière pénale, il faut néanmoins préciser que, cette fois, le principe d’impartialité est davantage menacé par ce qui pourrait être perçu comme une atteinte au principe constitutionnel de séparation des fonctions de poursuites et d’instruction avec les fonctions de jugement [15]. Certains regretteront donc probablement que le Conseil constitutionnel n’ait pas censuré la partie de l’article 56-1 du CPP qui permet au juge ayant effectué la saisie d’être entendu par celui qui se prononce sur la contestation de cette saisie. Cependant, pour défendre la décision commentée, il napparaît pas que le juge constitutionnel avait été invité à le faire, ni même que son attention ait été attirée sur ce point. Une nouvelle question prioritaire de constitutionnalité paraît dès lors souhaitable.

II.  Le juge effectuant les saisies : un impossible juge de la contestation des saisies

Le Conseil constitutionnel retient que le principe d’impartialité s’oppose à ce « quun même juge des libertés et de la détention effectue une saisie et statue sur sa contestation ». La solution était pleinement attendue en raison d’une précédente décision du Conseil constitutionnel portant sur une procédure similaire [16]. La procédure législative était la suivante : lorsqu’une personne avait fait l’objet d’une perquisition ou d'une visite domiciliaire et que cette dernière n’avait pas donné lieu à une poursuite devant une juridiction d'instruction ou de jugement, la personne pouvait saisir le juge des libertés et de la détention d'une demande tendant à l’annulation de la perquisition. Seulement, dans certains cas de figure, la perquisition pouvait avoir été autorisée par un juge des libertés et de la détention. La question était donc de savoir si le juge de liberté et de la détention qui se prononce sur cette contestation pouvait également être celui qui avait autorisé la perquisition. Le Conseil avait alors conclu que le juge autorisant la perquisition ne pouvait, « sans méconnaître le principe d'impartialité, statuer sur la demande tendant à l'annulation de sa décision » [17]. La décision commentée paraissait dès lors assez prévisible. Il faut toutefois relever que, dans ces deux décisions, le Conseil constitutionnel n’énonce pas le raisonnement juridique l’ayant conduit à ces solutions. Ce dernier doit donc être précisé.

L’adage latin nemo iudex in causa sua du code Justinien [18] (nul ne peut être juge et partie), qui est garanti par le droit positif [19], risque de venir à l’esprit des juristes lisant ces décisions. Encore faut-il démontrer que le juge des libertés et de la détention qui effectue une saisie devient partie lorsque cette dernière est contestée. Pour cela, il est nécessaire de déterminer si ce juge a un intérêt étant donné qu’il n’y a de contentieux, donc de partie, que là où il y a une « opposition d'intérêts » [20]. S’il apparaît aisément identifiable qu’il y ait « une opposition de prétentions » [21] entre le juge des libertés et de la détention et le bâtonnier, il est plus difficile à démontrer que le juge de la saisie a, en cas  de contestation, un intérêt. Il peut toutefois être soutenu que le juge a bien ici un intérêt dès lors qu’il est garant de l’intérêt de la loi. Si le raisonnement peut convaincre, il apparaît plus opportun d’expliquer la solution du Conseil constitutionnel par un autre raisonnement.

La solution du Conseil constitutionnel paraît s’expliquer par le fait que le juge des libertés et de la détention a déjà, lors de la saisie, retenu une certaine appréciation. Le juge a donc « préjugé », ce qui a, conformément à la jurisprudence du Conseil constitutionnel [22], pour conséquence de le disqualifier pour connaître de tout recours ultérieur. Mathias Guyomar a d’ailleurs, dans ses conclusions sur la décision Dubreuil [23], élaboré une méthodologie permettant de déterminer s’il y a situation de « préjugement ». Pour que cette dernière soit constituée, trois conditions cumulatives doivent être honorées.

La première condition est que « les fonctions successivement exercées [par le juge] l'ont été à propos de la même affaire ». Pour cela, il faudrait notamment que « les faits soient identiques » et que « les questions examinées à partir de ces faits soient du même ordre ». Dans la procédure prévue à l’article 56-1 du CPP, la condition est systématiquement honorée. La seconde condition est que « l'exercice de la première fonction a révélé l'existence d'un parti-pris sur l'issue de cette affaire ». Là encore, il ne fait aucun doute que cette condition est remplie puisque le bâtonnier étant le contestataire de la saisie, le magistrat s’est forcément prononcé, en amont, favorablement à la saisie. La troisième condition est que « la part prise par les magistrats, dans l'exercice de leur première fonction, laissait légitimement penser qu'ils avaient personnellement pris position sur l’affaire ». Là encore cette condition est honorée puisqu’il n'y a qu’un magistrat qui se prononce sur la contestation de la saisie et ce dernier est celui qui a procédé à la visite. L’application de la méthodologie de Mathias Guyomar conduit donc à reconnaître que, lorsque le même juge des libertés effectue une saisie et statue sur sa contestation, il y a une situation de « préjugement ».

Il faut encore préciser que la situation de « préjugement » rend également possible un cumul des fonctions de jugement à différents degrés [24] et un cumul des fonctions de poursuite et d’instruction avec les fonctions de jugement. La procédure dont la constitutionnalité est appréciée tend d’ailleurs à confirmer ce second risque puisque si un juge effectue une saisie, il a une fonction d’instruction. Or, s’il se prononce également sur la contestation de cette saisie, il a aussi une fonction de jugement. Dès lors, lorsque le même juge des libertés effectue une saisie et statue sur sa contestation, le principe d’impartialité est également violé du fait de l’atteinte portée au principe de séparation des fonctions de poursuites et d’instruction avec les fonctions de jugement [25]. Dans ce cas précis la violation du principe d’impartialité garanti par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen est donc double.

 

[1] Cons. const., décision n° 2006-545 DC, du 28 décembre 2006, n° 2006, Loi pour le développement de la participation et de l'actionnariat salarié et portant diverses dispositions d'ordre économique et social, consid. 24 N° Lexbase : A1487DTA, Rec. Cons. const. 2006, p. 138. Le principe est également un principe général du droit (CE 1° et 4° ssr.,, 20 avril 2005, n° 261706 N° Lexbase : A9357DHZ,  AJDA 2005, p. 1732).

[2] Cons. const., 25 mars 2011, n° 2010-110 QPC, Bresson-Vigier, consid. 3, Rec. Cons. const. 2010, p. 160.

[3] Le Conseil constitutionnel a notamment déjà apprécié l’impartialité objective fonctionnelle d’une juridiction eu égard sa composition (Cons. const., 3 déc. 2010, n°  2010-76 QPC, Roger L., consid. 9, JO 4 déc. 2010, p. 21360).

[4] CEDH, 24 juillet 2008, n° 18603/03, André et a. c/ France N° Lexbase : A8281D9L, Dr. fisc. 2008, n° 43, comm. 552, note Ch. Louit.

[5] La décision confirme la décision « Ravon c/ France » (CEDH, 21 février 2008, n° 18497/03, Ravon c/ France N° Lexbase : A9979D4D, Dr. fisc. 2008, n° 12, comm. 227, note D. Ravon et C. Louit).

[6] Loi n° 2019-222, du 23 mars 2019, loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice N° Lexbase : L6740LPC.

[7] Cette réforme tardive sexplique par le fait quune précédente tentative avait échoué car larticle qui prévoyait cette évolution, dans la loi du 6 décembre 2013 (Loi n°  2013-1117, du 6 décembre 2013, loi relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière N° Lexbase : L6136IYW), avait été censurée en bloc à raison de linconstitutionnalité de certaines de ces autres disposions (Cons. const.,  décision n° 2013-679 DC, du 4 décembre 2013, loi relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière N° Lexbase : A5483KQ7, Dr. fisc. 2013, n° 51, comm. 563, note Ch. de la Mardière).

[8] Cons. const., décision n° 2017-666 QPC, du 20 octobre 2017 N° Lexbase : A1284WWH.  

[9] Cons. const., décision n° 2017-624 QPC, du 16 mars 2017 N° Lexbase : A3171T8X.

[10] Dans la décision, le Conseil constitutionnel avait relevé que la juridiction qui se prononçaient sur la contestation, le faisait en dernier ressort (Cons. const., décision n° 2017-624 QPC, du 16 mars 2017 N° Lexbase : A3171T8X). Il ne nous paraît toutefois pas qu’il faut en conclure qu’il s’agit d’une condition supplémentaire pour que l’absence d’impartialité soit retenue. Cela, parce que cette circonstance parait seulement expliquer pourquoi, en plus de conclure à l’absence d’impartialité, le Conseil a vu en cette procédure une violation du droit au recours effectif.

[11] C’est parce que la mesure d'assignation à résidence n’était pas une mesure « provisoire » que le Conseil constitutionnel a considéré qu’il s’agissait d’une décision définitive (Cons. const., décision n° 2017-624 QPC, du 16 mars 2017).

[12] Dans la décision de 2017 (Cons. const., décision n° 2017-624 QPC, du 16 mars 2017), c’est le Conseil d’État qui est reconnu compétent pour autoriser l’assignation à résidence, c’est donc la parole de la juridiction toute entière qui est engagée. Un juge des libertés et de la détention qui décide d’une saisie ne parait pas, quant à lui, engager la paroles de tous ses homologues.

[13] L’importante mobilité des magistrats judiciaires conduit à considérer que le juge des libertés et de la détention n’aura pas plus de difficultés à contredire un autre juge des libertés et de la détention qu’il en a à infirmer un autre juge judiciaire.

[14] F. Bussy, Nul ne peut être juge et partie, Recueil Dalloz 2004. Chron. 1745.

[15] Cons. const., décision n° 2011-147 QPC, du 8 juillet 2011 N° Lexbase : A9354HUY.

[16] Cons. const., décision n° 2019-778 DC, du 21 mars 2019, Loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice N° Lexbase : A5079Y4U.

[17] Cons. const., 21 mars 2019, n° 2019-778 DC, Loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, consid. 198, JO 24 mars 2019.

[18] H. Roland et L. Boyer, Adages du droit français, Paris, Litec, 4e éd., 1999.

[19] Le principe est illustré dans un décision de la Cour de cassation dans laquelle elle a consacré que, conformément à l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, « un magistrat visé par une plainte avec constitution de partie civile ne saurait statuer sur cette plainte sans faire naître un doute sur son impartialité » (Cass. crim., 16 mai 2000, Bull. crim., n° 191). Dans un sens proche, le Conseil d’État avait retenu qu’ « un membre d'une juridiction administrative ne peut pas participer au jugement d'un recours relatif à une décision administrative dont il est l'auteur ou qui a été prise par un organisme collégial dont il était membre et au cours de délibérations auxquelles il a pris part » (CE Contentieux, 2 mars 1973, n° 84740 Arbousset N° Lexbase : A1580B7N, RDP 1973, p. 1066, concl. G. Braibant). Cette solution sera d’ailleurs reprise mais sera cette fois fondée sur l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CE 1° et 4° ssr., 7 janvier 1998, n° 163581, Trany N° Lexbase : A6065ASGRec. CE 1998, p. 1). Le Conseil constitutionnel à finalement fait à son tout application de l’adage en reconnaissant que méconnaît « le principe d'impartialité la participation de membres de l'assemblée délibérante du département lorsque ce dernier est partie à l’instance » (Cons. const., décision n° 2010-110 QPC, du 25 mars 2011 N° Lexbase : A3846HHW).

[20] C.-J. B. Bonnin, Principes d'administration publique, t. 1, 3e éd., Paris, Renaudière, 1912, p. 70.

[21] Pour Sirey, c’est l’existence d’une opposition des prétentions qui fait un contentieux, chaque prétendant est donc dans cette conception une partie (J.-B. Sirey, Du Conseil d'État, selon la Charte constitutionnelle ou notions sur la justice dordre politique et administratif, Paris, Cour du Harlay, 1818, p. 237).

[22] « Considérant, toutefois, que ni les dispositions contestées ni aucune autre disposition ne fixent les garanties légales ayant pour objet d'assurer qu'en se saisissant d'office, le tribunal ne préjuge pas sa position lorsque, à l'issue de la procédure contradictoire, il sera appelé à statuer sur le fond du dossier au vu de l'ensemble des éléments versés au débat par les parties ; que, par suite, les dispositions contestées confiant au tribunal la faculté de se saisir d'office aux fins d'ouverture de la procédure de redressement judiciaire méconnaissent les exigences découlant de l'article 16 de la Déclaration de 1789 » (Cons. const., décision n° 2012-286 QPC, du 7 décembre 2012 N° Lexbase : A4918IYS, consid. 7, JO 8 déc. 2012, p. 19279).

[23] M. Guyomar, « Le principe d'impartialité et la Cour de discipline budgétaire et financière », concl. sur CE Contentieux, 4 juillet 2003, n° 234353, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A2634C9G, Dubreuil,  Dr. adm. 2003, comm. 173, note E. Glaser.

[24] Cass. civ. 2, 3 juillet 1985, n° 84-10.356 N° Lexbase : A4527AAW, D. 1986. 546, concl. Charbonnier.

[25] Cons. const., décision n° 2011-147 QPC, du 8 juillet 2011 N° Lexbase : A9354HUY, Tarek J., consid. 11, JO 9 juill. 2011, p. 11979 ; Cons. const., décision n° 2011-200 QPC, du 2 décembre 2011 N° Lexbase : A0514H3G, Banque populaire Côte d’Azur, consid. 57, D. 2012, p. 1908, D. R. Martin et H. Synvet ; CEDH, 11 juin 2009, Req. 5242/04, Dubus S.A. c/ France N° Lexbase : A1869EI3, § 57, JCP E 2009, n° 47, comm. 2081, note P. Paillier). Pour une illustration récente : Cass. crim., 28 juin 2022, n° 22-82.698, F-B {"IOhtml_internalLink": {"_href": {"nodeid": 86082152, "corpus": "sources"}, "_target": "_blank", "_class": "color-sources", "_title": "Cass. crim., 28-06-2022, n\u00b0 22-82.698, F-B, Cassation", "_name": null, "_innerText": "N\u00b0\u00a0Lexbase\u00a0: A8576787"}}.

newsid:484492

Recouvrement de l'impôt

[Brèves] Responsabilité fiscale du dirigeant sur le fondement de l’article L. 267 du LPF : inapplication du principe du contradictoire

Réf. : Cass. com., 15 février 2023, n° 21-18.395, F-B N° Lexbase : A24269D9

Lecture: 3 min

N4490BZC

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/93403533-edition-n-936-du-23022023#article-484490
Copier

par Yannis Vassiliadis, Doctorant Contractuel, Université Toulouse Capitole, Centre de Droit des Affaires

Le 01 Mars 2023

► L’engagement de l’action en responsabilité fiscale du dirigeant par le Responsable départemental des finances publiques n’est pas soumis au respect d’une procédure contradictoire préalable telle que prévue à l’article L. 121-1 du Code des relations entre le public et l’administration (CRPA).

Faits et procédure. Le dirigeant d’une société placée en redressement judiciaire le 7 septembre 2016, puis en liquidation judiciaire en novembre de la même année, a été assigné sur le fondement de l’article L. 267 du LPF N° Lexbase : L0442LTK afin qu’il soit déclaré solidairement responsable, avec la société, de la dette fiscale de cette dernière au titre de la TVA pour une période précédant le début des procédures collectives à l’endroit de la société.

Le dirigeant estime que l’engagement de la procédure de l’article L. 267 du LPF devrait être précédée d’une procédure contradictoire en application de l’article L. 121-1 du CRPA en ce que cela créerait une décision à la charge du contribuable. Cette interprétation a cependant été rejetée en appel (CA Lyon, 25 mars 2021, n° 19/01386 N° Lexbase : A39334MM).

Principe. La Cour de Cassation rappelle qu’en application de la doctrine administrative (BOBOI-REC-SOLID-10-10-30, 19 août 2020 N° Lexbase : X5194ALX), « le comptable public territorialement compétent, […] seul investi du mandat d’exercer en justice l’action prévue à l’article L.267 du livre des procédures fiscales, doit agir sur autorisation du responsable départemental des finances publiques ».

Cela s’inscrit dans la lignée de la jurisprudence de la Cour de Cassation (Cass. com., 28 juin 1988, n° 87-10.591, publié au bulletin N° Lexbase : A2643AHD) sur le mandat du comptable public territorialement compétent en représentation de l’État pour exercer en justice les actions liées au recouvrement de l’impôt ; Cass. com., 5 mai 1981, n° 79-11.292, publié au bulletin N° Lexbase : A1874CGI, Cass. com., 6 mai 1986, n° 84-14.966, publié au bulletin N° Lexbase : A4764AAP et Cass. com, 22 juillet 1986, n° 84-16.944, publié au bulletinN° Lexbase : A0800AH4 sur l’irrecevabilité à agir, sauf habilitation légale formelle, du directeur général des Finances publiques et du directeur départemental des Finances Publiques. Ladite autorisation n’a pas à être motivée mais doit être prise « en connaissance de la situation particulière du contribuable » et constitue à l’endroit de ce dernier une garantie.

Cette autorisation ne crée, en elle-même, aucune obligation à la charge du contribuable. Elle « se borne à permettre un débat devant le juge judiciaire » en permettant l’engagement de la procédure.

Solution. La Haute Juridiction confirme l’interprétation de la cour d’appel de Lyon et rappelle donc que la décision d’engager l’action prévue en l’article L. 267 du LPF n’entre pas dans le cadre des décisions soumise aux dispositions de l’article L. 121-1 du CRPA et n’est donc pas sujette à une obligation de respect d’une procédure contradictoire.

 

newsid:484490

Social général

[Brèves] Pas d’obligation de respecter la procédure de signalement en cas de dénonciation par un lanceur d’alerte d’un crime ou d’un délit

Réf. : Cass. soc., 15 février 2023, n° 21-20.342, F-B N° Lexbase : A24069DH

Lecture: 4 min

N4402BZ3

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/93403533-edition-n-936-du-23022023#article-484402
Copier

par Charlotte Moronval

Le 22 Février 2023

► La Cour de cassation apporte plusieurs précisions relatives aux procédures d’alerte engagées avant la loi n° 2022-401, du 21 mars 2022, dite loi « Waserman » :

  • le salarié qui relate ou témoigne de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime dont il aurait eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions n'est pas tenu de signaler l'alerte dans le respect de la procédure d'alerte graduée ;
  • ce salarié ne peut être licencié pour ce motif, sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter que de la connaissance de la fausseté des faits qu'il dénonce et non de la seule circonstance que les faits dénoncés ne sont pas établis.

Faits. Une salariée exerce en qualité de surveillante de nuit au sein d'une maison d'enfants à caractère social.

À la suite d'un signalement de la salariée et d'un délégué syndical, l'inspection du travail a effectué un contrôle au sein de cet établissement au cours duquel la salariée a remis la copie d'un courriel adressé par l'équipe éducative aux responsables de l’association qui gère l’établissement pour dénoncer des incidents se déroulant la nuit, notamment de possibles agressions sexuelles commises par certains enfants accueillis sur d'autres.

L'inspection du travail a ensuite adressé un courrier à l'employeur au sujet des postes de veilleurs de nuit et informé le procureur de la République de faits ne relevant pas de ses compétences mais lui paraissant mettre en danger les salariés et les enfants confiés à cette institution.

Le procureur de la République a ouvert une première enquête, pour agression sexuelle sur mineurs, classée sans suite pour absence d'infraction, puis une seconde enquête visant la salariée et un délégué syndical pour dénonciation mensongère, elle aussi classée sans suite, au motif que l'infraction était insuffisamment caractérisée.

Licenciée par la suite, la salariée estime que son licenciement est en lien avec la dénonciation des manquements constatés au sein de l'établissement. Elle saisit alors la formation de référé de la juridiction prud'homale pour obtenir sa réintégration.

La position de la cour d’appel. La cour d'appel a constaté que la lettre de licenciement faisait grief à la salariée :

  • d'avoir interpellé l'inspectrice du travail pour faire état de conditions de travail dangereuses pour elle-même et les enfants ;
  • d'avoir effectué sans autorisation une copie du cahier de liaison et transmis une copie de mails à l'inspectrice du travail ;
  • ces déclarations et ce comportement ayant eu pour conséquence l'ouverture d'une enquête pénale et l'audition des différents éducateurs de l'unité au sein de laquelle elle travaillait, ainsi que des enfants.

La cour d’appel en a déduit que la protection de la salariée licenciée pour avoir dénoncé des faits susceptibles de constituer des agressions sexuelles, n'était conditionnée qu'à sa bonne foi, les conditions supplémentaires posées par les articles 6 à 8 de la loi n° 2016-1691, du 9 décembre 2016 N° Lexbase : L6482LBP et imposées par l'alinéa 2 de l'article L. 1132-3-3 du Code du travail N° Lexbase : L0919MCZ n'étant pas exigées par l'alinéa 1er de ce texte.

La cour d’appel a ensuite relevé que si la salariée avait dénoncé des faits d'agression sexuelle sans les avoir constatés elle-même, elle s'était appuyée pour cela sur des documents internes à l'entreprise et n'avait aucun moyen de savoir si les faits qu'elle-même et ses collègues redoutaient étaient ou non avérés alors que les services de police avaient dû procéder pour cela à une enquête approfondie, laquelle, loin de porter atteinte à la réputation de l'établissement, constituait, dans un souci de protection d'enfants déjà grandement fragilisés par les causes de leur placement et leur placement lui-même, une mesure parfaitement proportionnée aux éléments dont avait eu connaissance la salariée, dans l'exercice de ses fonctions, en sorte qu'il n'était pas démontré qu'elle savait que les faits qu'elle dénonçait étaient faux.

La cour d’appel en a déduit que le licenciement constituait un trouble manifestement illicite.

La solution de la Cour de cassation. Énonçant la solution susvisée, la Chambre sociale de la Cour de cassation confirme le raisonnement des juges du fond.

Pour aller plus loin :

  • lire J. Colonna et V. Renaux-Personnic, Loi « Waserman » : un nouveau statut pour le lanceur d’alerte, Lexbase Social, mai 2022, n° 904 N° Lexbase : N1323BZZ ;
  • v. infographie, INFO535, Lanceurs d’alerte : procédure de recueil et de traitement des signalements, Droit social N° Lexbase : X5910CN9 ;
  • v. ÉTUDE : Les dispositions relatives à la protection des salariés, La protection des salariés lanceurs d’alerte, in Droit du travail N° Lexbase : E9886E9Z.

newsid:484402

Union européenne

[Chronique] Chronique de droit de l’Union européenne (juillet - décembre 2022)

Lecture: 25 min

N4435BZB

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/93403533-edition-n-936-du-23022023#article-484435
Copier

par Jean-Félix Delile, Maître de conférences en droit public à la faculté de droit de Nancy, Laboratoire IRENEE

Le 23 Février 2023

La jurisprudence de la Cour de justice du second semestre 2022 a été marquée par le prononcé d’un certain nombre d’arrêts abordant des questions politiques dites sensibles. Sont ainsi commentés dans la présente chronique l’arrêt « Sea Watch », délimitant la capacité de l’administration italienne à immobiliser un navire de sauvetage de migrants battant pavillon allemand ainsi que l’arrêt « X », précisant dans quelle mesure l’illégalité de l’administration de cannabis thérapeutique dans un Etat tiers peut constituer un motif d’interdiction du renvoi d’un demandeur d’asile. Ensuite, l’arrêt « RT France » a donné l’occasion au Tribunal d’examiner la conformité de la décision du Conseil d’interdire à ce média russe de diffuser dans l’Union à la liberté d’expression et d’information. Enfin, sur un sujet plus institutionnel, la Cour a jugé dans l’affaire « de l’Acte de Genève » que le Conseil ne peut modifier une proposition de la Commission de conclure un accord international relevant de la politique commerciale commune de manière à habiliter les Etats membres à participer à cet accord.

 

 

Sommaire

I. Délimitation des compétences d’inspection et d’immobilisation par les autorités italiennes de navires de sauvetage de migrants battant le pavillon allemand

CJUE, 1er août 2022, aff. C-14/21, C-15/21, Sea Watch 

II. Le Conseil ne peut modifier une proposition de conclure un accord international relevant de la politique commerciale commune de manière à habiliter les États membres à participer à cet accord

CJUE 22 novembre 2022, aff. C-24/20, Commission c/ Conseil (Adhésion à l’acte de Genève)

III. Interdiction des extraditions ayant pour effet l’interruption d’un traitement consistant dans l’administration de cannabis thérapeutique à des fins antalgiques

CJUE, 22 novembre 2022, aff. C-69/21, X c/ Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid (cannabis thérapeutique) 

IV. La décision du Conseil interdisant au média Russia Today de diffuser des contenus dans l’Union est conforme à la liberté d’information

TribUE, 27 juillet 2022, T-125/22, RT France c/ Conseil 


I. Délimitation des compétences d’inspection et d’immobilisation par les autorités italiennes de navires de sauvetage de migrants battant le pavillon allemand (CJUE, 1er août 2022, aff. C-14/21, C-15/21, Sea Watch N° Lexbase : A45168DM)

Le droit au libre passage inoffensif des navires garanti par l’article 17 de la Convention sur le droit de la mer du 10 décembre 1982, dite de Montego Bay N° Lexbase : L5889LM3 peut entrer en conflit avec l’exigence de protection de la santé et de la vie humaine en haute mer qui autorise l’État côtier à inspecter et à immobiliser un navire au titre de la Directive 2009/16/CE du 23 avril 2009, relative au contrôle par l’État du port N° Lexbase : L2935IEG [1], interprétée à la lumière du droit international de la mer. L’affaire « Sea Watch » en a fourni une illustration, l’organisation non gouvernementale contestant l’inspection et l’immobilisation par les autorités italiennes de deux de ses navires battant pavillon allemand et exerçant une activité systématique de sauvetage en Mer au port de Palerme [2]. Il est intéressant de relever que formellement, l’ONG n’a pas invoqué devant le juge a quo le principe de libre passage inoffensif des navires pour contester la légalité des mesures des autorités portuaires italiennes, mais bien plutôt un excès de pouvoir au regard des capacités juridiques attribués à l’autorité du port par la Directive 2009/16, interprétée à la lumière de la Convention de Montego Bay. Le défaut d’effet direct de ce principe, constaté par la Cour de justice dans l’affaire « Intertanko », peut expliquer cette stratégie contentieuse et illustre bien le fait que les personnes privées ont pris conscience de l’intérêt de réclamer l’examen de la conformité des comportements étatiques au droit dérivé interprété à la lumière de la Convention de Montego Bay, en lieu et place de l’application directe des normes que cette dernière véhicule.

La Cour de justice a à titre préliminaire rappelé que la Directive 2009/16 doit être interprétée à la lumière de cette convention qui vise à établir un « juste équilibre entre les intérêts respectifs et potentiellement opposés des États en leurs qualités d’États côtiers et d’États du pavillon » [3]. D’un côté, l’État côtier dispose de la souveraineté sur sa mer territoriale [4], de l’autre l’exercice de cette souveraineté ne doit pas porter atteinte au droit de passage inoffensif des navires dans cette mer et au monopole du pouvoir de certification détenu par l’Etat du pavillon [5]. Dans ce cadre juridique, l’État côtier peut au titre de l’article 21 de la Convention de Montego Bay exercer sa juridiction sur les navires battant pavillon d’État tiers afin de garantir la sécurité dans sa mer territoriale. Il ressort de ce propos préliminaire que l’arrêt « Sea Watch » porte formellement sur le cadre juridique européen et international régissant les compétences de l’État côtier, mais le respect du libre passage inoffensif des navires battant pavillon d’un État tiers n’en reste pas moins, en substance, un enjeu majeur de l’affaire. 

Après avoir rappelé ces principes, la Cour de justice devait déterminer si la disproportion entre le nombre de personnes effectivement transportées par les navires Sea Watch dans le cadre de ses activités de sauvetage en mer et ses capacités de transport habilitait les autorités italiennes à opérer des inspections, au titre des articles 11 et 13 de la Directive 2009/16, tendant à vérifier le respect des règles de droit dérivé et international relatives à la sécurité et à la sûreté maritimes, ainsi qu’aux conditions de vie et de travail à bord. L’article 11 de la Directive 2009/16 impose aux États membres d’opérer des contrôles périodiques des navires mouillant dans leur port, et à ces contrôles peuvent s’ajouter des contrôles dits « supplémentaires » en raison de facteurs « prépondérants » ou « imprévus » listés en son annexe I. Il convenait ainsi de déterminer si la disproportion entre le nombre de passagers effectivement transportés et les capacités des navires appartenant à Sea Watch constituait un facteur « imprévu » susceptible de justifier les contrôles supplémentaires exercés par les autorités italiennes. Il a à cet égard été relevé qu’un tel facteur imprévu ne peut être retenu « que s’il est établi qu’un navire a été exploité de manière à présenter un danger pour les personnes, les biens ou l’environnement » [6].

Il appartient ainsi à l’État du port de justifier les éléments factuels qui l’ont mené à considérer que les navires inspectés ont été exploités de manière à présenter un danger pour les personnes, les biens ou l’environnement. Selon la Cour, le seul motif que l’activité de sauvetage maritime de ces navires les conduise à transporter un nombre de personnes sans commune mesure avec leurs capacités ne saurait être considéré comme constitutif en-soi d’un tel danger sans méconnaître l’obligation d’assistance maritime consacrée à l’article 98 ainsi que l’article IV, sous b), de la Convention pour la sauvegarde de la vie humaine en mer [7]. En revanche, un élément tel que l’insuffisance des équipements de sécurité au regard du nombre de personnes susceptibles de se trouver sur ledit navire peut être considéré à lui seul comme un danger pour les personnes constitutif d’un facteur imprévu justifiant l’inspection du navire [8]. La Cour a souligné qu’une telle interprétation de l’article 11 de la Directive s’impose en ce qu’elle « contribue au respect effectif du droit international » [9]. Elle participe plus précisément à la garantie du respect de trois règles issues de la Convention sur la sauvegarde de la vie humaine en mer : un navire doit être entretenu dans des conditions garantissant qu’il reste « apte à prendre la mer sans danger pour lui-même ou pour les personnes à bord » [10] ; cette aptitude fait partie des éléments que l’État côtier est habilité à contrôler lorsqu’un navire se trouve dans l’un de ses ports [11] ; les parties contractantes doivent prendre toute les mesures nécessaire « afin de garantir que, du point de vue de la sauvegarde de la vie humaine, un navire est apte au service auquel il est destiné » [12]. La Cour a remarqué à cet égard que, selon l’article 98 de la Convention de Montego Bay, l’obligation d’assistance maritime issue de l’article 4 de la Convention SOLAS doit seulement être mis en œuvre « pour autant que [...] possible sans faire courir de risques graves au navire, à l’équipage ou aux passagers » [13]. C’est donc après avoir très largement pris en considération les règles de droit international de la mer que la Cour a conclu que l’article 11 de la Directive 2009/16 autorise les États membres à effectuer des inspections supplémentaires lorsqu’il existe des indices sérieux de nature à attester d’un danger pour la santé ou la sécurité, compte tenu des conditions d’exploitation de ces navires.

L’article 13 de la Directive 2009/16 autorise de son côté les États membres à mener des inspections détaillées sur des navires leur permettant d’opérer un contrôle à la fois plus large et plus approfondi que celui qui a été effectué dans le cadre de l’inspection initiale. Un tel contrôle peut être opéré, en conformité avec « les règles de droit international qui régissent la répartition des compétences entre cet État et l’État du pavillon » pour les mêmes motifs tirés du droit international que ceux subordonnant l’exercice d’un contrôle « supplémentaire », tenant en substance dans la démonstration factuelle qu’il existe des motifs évidents de croire qu’un navire est inapte à prendre la mer sans danger pour lui-même ou pour les personnes à bord [14].

Il appartenait ensuite à la Cour de déterminer si l’Italie pouvait, au titre de l’article 19 de la Directive 2009/16, subordonner la levée de l’immobilisation des navires au respect de mesures correctives déterminées en matière de sécurité, ainsi que de conditions de vie et de travail à bord. Or, le paragraphe 2 de cette disposition dispose que dans l’hypothèse où une anomalie susceptible de mettre à l’avenir en danger la sécurité et la santé des passagers est constatée au cours d’une inspection, les autorités portuaires immobilisent le navire tant que ledit danger n’a pas disparu [15]. Cette dernière exigence doit selon la Cour être interprétée à la lumière de la règle de droit international, issue des dispositions précitées de la convention pour la sauvegarde de la vie humaine en mer et de la Convention de Montego Bay, « selon laquelle les navires doivent être aptes au service auquel ils sont destinés, du point de vue de la sécurité en mer, ainsi qu’à prendre la mer sans danger pour eux-mêmes ou pour les personnes à bord » [16]. Il a de surcroît été relevé que l’immobilisation du navire inapte à exercer en toute sécurité son activité effective est également imposée par l’article 19 sous c), du chapitre I, partie B, de l’annexe au protocole accompagnant la Convention pour la sauvegarde de la vie humaine en mer que l’article 19 de la Directive 2009/16 ne fait que reprendre en substance. L’État du port doit dans cette circonstance informer l’État du pavillon des motifs pour lesquels il a adopté une décision d’immobilisation, ce dernier ayant la responsabilité au titre de l’article 94 de la Convention de Montego Bay, de « mener une enquête et de prendre, s’il y a lieu, les mesures nécessaires pour remédier à la situation ». Cela implique, pour l’État du pavillon, de prendre « à l’égard des navires qui battent son pavillon, toutes les mesures qui sont nécessaires pour protéger les intérêts de l’État côtier à l’origine du signalement » [17].

Cette dernière obligation revêt une importance particulière dans l’ordre juridique de l’Union dans lequel elle est une concrétisation de la dimension horizontale du principe de coopération loyale, au terme duquel les États membres doivent s’assister mutuellement dans la réalisation des missions assignées par les traités, en l’espèce la garantie de la sécurité maritime.


La principale limite aux pouvoirs d’inspection et d’immobilisation détenus par l’État côtier réside dans l’article 91 de la Convention de Montego Bay, au terme duquel l’État du pavillon est le seul habilité à certifier et classifier les navires battant son pavillon [18]. Il en résulte que l’État côtier ne peut réclamer au cours d’une inspection, ou ultérieurement, des certificats autres que ceux qui lui ont été délivrés par l’Etat du pavillon [19]. In casu, l’Italie n’a pas le pouvoir de subordonner la levée de l’immobilisation des navires Sea Watch à sa reclassification, au motif que sa certification en tant que « navire de charge » (ie : navire de transport commercial) n’est pas idoine dans la mesure où il n’exerce aucune activité commerciale, et uniquement des missions non lucratives de recherche et de sauvetage. Au total, il ressort néanmoins de l’interprétation de la Directive 2009/16 à la lumière du droit international de la mer retenue par la Cour que l’État du port dispose de pouvoir considérables d’inspection et d’immobilisation de navires battant le pavillon d’autres États membres.

II. Le Conseil ne peut modifier une proposition de conclure un accord international relevant de la politique commerciale commune de manière à habiliter les États membres à participer à cet accord (CJUE 22 novembre 2022, aff. C-24/20, Commission c/ Conseil (Adhésion à l’acte de Genève) N° Lexbase : A80508TC)

L’arrêt « Commission c/ Conseil » [20] relatif à l’adhésion de l’Union à l’acte de Genève relatif aux appellations d’origine et indications géographiques [21] a limité la capacité des États membres réunis au Conseil à dénaturer les modalités d’exercice des compétences externes de l’Union européenne. La Commission alléguait en substance, qu’en modifiant sa proposition de décision portant conclusion de l’acte de Genève [22] en y introduisant une habilitation des États membres à participer à cet Acte, le Conseil a violé les articles 13, paragraphe 2 du TUE N° Lexbase : L2114IPY et 293, paragraphe 1 du TFUE N° Lexbase : L2610IPD, imposant respectivement le respect du devoir de loyauté entre les institutions de l’Union et du principe de l’équilibre institutionnel. La Cour de justice a en premier lieu relevé que ledit acte relève d’une compétence exclusive de l’Union européenne, la politique commerciale commune, dès lors qu’en uniformisant certains aspects commerciaux de la propriété intellectuelle, il est essentiellement destiné à faciliter et à régir les échanges commerciaux entre l’Union et des États tiers [23]. La proposition de décision de la Commission adoptée sur le fondement de l’article 207 du TFUE N° Lexbase : L2515IPT réservait ainsi à l’Union la capacité de conclure l’Acte de Genève, les États membres ne pouvant ipso jure y adhérer.

La Cour a dans ce contexte jugé qu’« un amendement du Conseil tendant à habiliter les États membres à exercer une compétence exclusive de l’Union dénaturerait la finalité même d’une proposition de la Commission exprimant le choix que l’Union exerce seule cette compétence » [24]. Cet amendement porterait atteinte aux principes régissant les modalités d’exercice des compétences attribuées à titre exclusifs à l’Union dans la mesure où, « par l’utilisation de cette autorisation, les […] États membres exerceraient, en tant que sujets de droit international indépendants aux cotés de l’Union, une compétence exclusive de celle-ci, empêchant l’Union d’exercer seule cette compétence » [25]. De sorte qu’en modifiant de la sorte la proposition de la Commission, le Conseil a porté atteinte à la dimension interinstitutionnelle du principe de coopération loyale, ainsi qu’au principe d’équilibre institutionnel. Dans cet arrêt, la Cour s’est donc fondée sur le principe de coopération loyale pour interdire au Conseil d’investir les États membres du pouvoir d’exercer une compétence externe exclusive de l’Union européenne.

III. Interdiction des extraditions ayant pour effet l’interruption d’un traitement consistant dans l’administration de cannabis thérapeutique à des fins antalgiques (CJUE, 22 novembre 2022, aff. C-69/21, X c/ Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid (cannabis thérapeutique) N° Lexbase : A80528TE)

Sous l’influence de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme, la jurisprudence de la Cour de justice a élargi le champ des comportements étatiques susceptibles de neutraliser les transferts des demandeurs d’asile. L’arrêt « Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid » [26], s’inscrit dans cette dynamique. Au terme de celui-ci, la seule perspective d’une augmentation rapide et significative des douleurs liées à une maladie du fait de l’éloignement d’un particulier vers un État tiers est susceptible de constituer un traitement inhumain et dégradant. La Cour de justice a en premier lieu rappelé qu’en vertu des articles 4 et 19, paragraphe 2 de la Charte, un ressortissant d’un État tiers en séjour irrégulier ne peut être l’objet d’une décision d’expulsion tant que perdure un risque réel de traitement inhumain et dégradant dans l’État de destination [27]. L’apport de cet arrêt tient dans l’approche extensive des éléments constitutifs de traitement inhumains et dégradants, retenue au moyen d’une prise en considération de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme. En l’espèce, le requérant au principal bénéficiait aux Pays-Bas d’un traitement médical consistant dans l’administration de cannabis thérapeutique à des fins antalgiques afin de lutter contre les douleurs dont il souffrait en raison de son cancer du sang. Or, ce traitement est prohibé en Russie, État vers lequel l’administration néerlandaise entendait le reconduire. Dans la lignée de l’arrêt « CK », La Cour de justice a dans ce contexte rappelé l’importance qu’elle accorde à l’arrêt « Paposhvili c/Belgique » de la Cour européenne des droits de l’Homme, indiquant que ce dernier « pose un standard qui tient dûment compte de toutes les considérations pertinentes aux fins de l’article 3 de la CESDH N° Lexbase : L4764AQI en ce qu’il préserve le droit général pour les États de contrôler l’entrée, le séjour et l’éloignement des non-nationaux, tout en reconnaissant la nature absolue de cet article » [28]. La Cour de justice a ainsi indiqué, que selon l’arrêt « Paposhvili », dont il convient de tenir compte pour déterminer la portée de l’article 4 de la Charte, la douleur due à une maladie survenant naturellement et issue d’un traitement relevant de la responsabilité d’un État peut porter atteinte à l’article 3 de la CESDH dès lors qu’elle atteint un certain seuil de gravité [29].

Il a ensuite été précisé qu’il ressort de cet arrêt que « l’article 3 de la CESDH s’oppose à l’éloignement d’une personne gravement malade […] pour laquelle il existe des motifs sérieux de croire que, bien que ne courant pas de risque imminent de mourir, elle ferait face, en raison de l’absence de traitements adéquats dans le pays de destination ou du défaut d’accès à ceux-ci, à un risque réel d’être exposée à un déclin grave, rapide et irréversible de son état de santé entraînant des douleurs intenses » [30]. Partant du constat que le seuil de gravité de la douleur susceptible de constituer une violation de l’article 4 de la Charte est équivalent à celui retenu par la Cour européenne des droits de l’Homme au sujet de l’article 3 de la CESDH [31], la Cour de justice a jugé qu’une mesure d’éloignement ne peut être adoptée à l’encontre d’une personne dès lors que cette dernière s’en trouverait exposée « en raison de l’indisponibilité de soins appropriés dans le pays de destination, à un risque réel de réduction significative de son espérance de vie ou de détérioration rapide, significative et irrémédiable de son état de santé, entraînant des douleurs intenses » [32]. Partant, la Cour a jugé que le droit de l’Union, interprété à la lumière de la CESDH, s’oppose à l’éloignement du requérant au principal vers la Russie dès lors que l’administration du seul traitement antalgique efficace contre les douleurs causées par la maladie dont souffrait le requérant au principal, le cannabis thérapeutique, y est prohibé [33].  

IV. La décision du Conseil interdisant au média Russia Today de diffuser des contenus dans l’Union est conforme à la liberté d’information (TribUE, 27 juillet 2022, T-125/22, RT France c/ Conseil N° Lexbase : A00218D7)

Dans le contentieux des mesures restrictives adoptées pour interdire d’activité en Europe certains médias contrôlés par le régime russe, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme a influencé les raisonnements du Tribunal de l’Union européenne relatifs à la liberté d’information. Dans l’affaire « RT France » [34], le Tribunal était en effet appelé à statuer sur la légalité de différentes décisions PESC adoptées par le Conseil à la suite de l’invasion de l’Ukraine en vue de mettre un terme aux activités de diffusion dans l’Union de certains médias Russe dont RT (Russia Today) [35]. Parmi les différents moyens d’illégalité invoqués par RT France figurait une prétendue violation de la liberté d’expression et d’information garantie par la Charte des droits fondamentaux. En réponse, le Tribunal a jugé, à l’appui de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme [36], que les mesures restrictives querellées constituaient des ingérences justifiées dans la liberté garantie par l’article 11 de la Charte. Il a ainsi indiqué, par référence aux arrêts « Erbakan contre Turquie » et « Rouillan contre France » [37], que des sanctions proportionnées peuvent être adoptées à l’encontre de médias promouvant la haine ou incitant à la violence [38]. L’arrêt « NIT contre Moldavie » [39] a par la suite été abondamment mobilisé pour préciser les conditions dans lesquelles la liberté d’expression et information peut être légitimement restreinte. Selon le tribunal, il ressort de cet arrêt que le droit d’informer des médias est subordonné au respect d’une certaine éthique journalistique : « il est protégé à condition qu’ils agissent de bonne foi, sur la base de faits exacts, et fournissent des informations “fiables et précises” dans le respect de l’éthique journalistique » [40]. En d’autres termes, il est établi que la liberté d’information peut être limitée dans l’hypothèse où un média manque à ses « devoirs et responsabilités » [41], manquement qui peut être constitué par la tenue de propos justifiant la haine et la violence [42].

Le Tribunal a ensuite constaté qu’ainsi que l’exige la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme, l’ingérence dans la liberté d’expression et d’information de RT France, constituée par l’adoption des mesures restrictives contestées, a été « prévue par la loi » [43] et poursuit un objectif d’intérêt général :  mettre un terme à l’état de guerre et aux violations du droit international humanitaire [44]. Enfin, le Tribunal a indiqué qu’il convenait de tenir compte du pacte international relatif aux droits civils et politiques afin d’interpréter l’article 11 de la Charte [45]. Or, en vertu de l'article 20, paragraphe 1 du Pacte, « [t]oute propagande en faveur de la guerre est interdite par la loi ». Le Tribunal a relevé à cet égard que, peu avant et après l’invasion de l’Ukraine, RT France « a réalisé une action systématique de dissémination d’informations “sélectionnées”, y compris des informations manifestement fausses ou trompeuses, révélant un déséquilibre manifeste dans la présentation des différents points de vue opposés, dans le but précis de justifier et de soutenir ladite agression » [46], ce qui peut être analysé comme un acte de propagande prohibé par le Pacte. C’est donc au terme d’un raisonnement très largement influencé par le droit international, et tout particulièrement par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme afférente à l’article 10 de la CESDH N° Lexbase : L4743AQQ, que le Tribunal a jugé que les mesures restrictives adoptées par le Conseil ne portent pas une atteinte injustifiée à l’article 11 de la Charte [47].

Brèves :

Dans l’arrêt « Politsei », une disposition législative estonienne [48] qui habilitait les autorités de cet État membre à adopter des mesures privatives de liberté sur le seul fondement d’un critère général tiré du risque que l’exécution effective de l’éloignement soit compromise a été jugée contraire à l’article 15, paragraphe 1 de la Directive 2008/115/CE du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier (N° Lexbase : L3289ICS) (« procédures ») [49], interprété à la lumière des articles 6 de la Charte et 5 de la CESDH N° Lexbase : L4786AQC [50]. La Cour de justice a ainsi déploré que le critère du risque d’inexécution de la mesure d’éloignement « manque de précision [concernant] la détermination des éléments qui doivent être pris en considération par les autorités nationales compétentes pour apprécier l’existence du risque sur lequel il repose » [51]. Le législateur estonien a ainsi implicitement été appelé à préciser les conditions de mise en œuvre de la disposition litigieuse, en prenant en considération la jurisprudence de la Cour inspirée de l’arrêt « del Rio Prada contre Espagne » [52], afin de protéger contre l’arbitraire les ressortissants des États tiers en situation irrégulière.

À l’occasion de l’arrêt « HN Sofia » [53], la Cour de justice s’est référée, d’une part, à l’arrêt « Hermi contre Italie » [54] pour souligner que la présence du prévenu en salle d’audience constitue « un des éléments essentiels » du droit au procès équitable, mais aussi, d’autre part, à l’arrêt « Sejdovic contre Italie » [55], pour remarquer que la renonciation au droit de comparution doit être établie « de manière non équivoque » pour conclure à son absence de violation [56]. Il a à cet égard été remarqué que l’obligation d’information de la personne poursuivie sur l’organisation d’un procès à son encontre posée par la Directive 2016/343 [57] contribue à garantir l’absence d’équivoque de cette renonciation [58]. Dans l’arrêt « DD prokuratura » prononcé le même jour, la Cour a précisé que, pour se conformer à l’arrêt « Blokhin contre Russie » [59], les États membres doivent donner à l’accusé jugé par contumace « une possibilité adéquate et suffisante de contester les témoignages à charge et d’en interroger les auteurs soit au moment de leur déposition, soit à un stade ultérieur » [60]. Pour garantir le respect des droits de la défense, les États membres doivent donc permettre « la réitération de l’audition du témoin à charge » pour donner « à la personne poursuivie une possibilité adéquate de contester le témoignage à charge et d’en interroger l’auteur » [61]. Le contentieux de mandat d’arrêt européen permet ainsi de renforcer progressivement les droits de la défense des personnes condamnées par contumace.

Enfin, deux importants arrêts ont été prononcés en matière de protection des données personnelles. Dans l’arrêt « Luxembourg Business Registers » [62], la Cour de justice a invalidé l’article 30, paragraphe 5 de la Directive 2015/849 « anti-blanchiment » [63] qui imposait que les informations sur les bénéficiaires effectifs des sociétés constituées sur le territoire des États membres soient accessibles à tout membre du grand public au motif qu’elle portait une atteinte injustifiée à l’article 7 de la Charte. Dans l’arrêt « VD » [64], la Cour de justice a estimé que l’article 7 de la Charte et la Directive 2003/6 du 28 janvier 2003, sur les opérations d'initiés et les manipulations de marché N° Lexbase : L8022BBQ (« abus de marché ») [65] s’opposent à une loi française prévoyant, afin de lutter contre les infractions d’abus de marché, une conservation généralisée et indifférenciée des données de trafic pendant un an par les opérateurs de communication du numérique.


[1] JO L 131, 28 mai 2009, pp. 57–100.

[2] CJUE, 1er août 2022, Sea Watch, préc.

[3] Ibid., pt. 93 ; voy. également, CJUE, 11 juillet 2018, Bosphorus Shipping, préc., pt. 63 ; CJCE, 3 juin 2008, Intertanko, préc., pt. 58.

[4] Article 2, paragraphe 1 de la Convention de Montego Bay. Ibid., pt. 101.

[5] Article 24, paragraphe 1 de la Convention de Montego Bay. Ibid., pt. 103.

[6] CJUE, 1er août 2022, Sea Watch, préc., pt. 116.

[7] Ibid., pt. 118.

[8] Ibid., pt. 121.

[9] Ibid., pt. 122.

[10] Règle 11, sous a), figurant au chapitre I, partie B, de l’annexe du protocole accompagnant la Convention pour la sauvegarde de la vie humaine en mer (SOLAS) N° Lexbase : L9818MGQ.

[11] Règle 19 sous a) et b), du même chapitre partie B, de l’annexe du protocole accompagnant la Convention pour la sauvegarde de la vie humaine en mer.

[12] Article Ier, sous b), de la Convention pour la sauvegarde de la vie humaine en mer. Les trois règles sont présentées au point 123 de l’arrêt « Sea Watch ».

[13] CJUE, 1er août 2022, Sea Watch, préc., pt. 124.

[14] Ibid., pt.137.

[15] Ibid., pts. 142-147.

[16] Ibid., pt. 148.

[17] Ibid., pt. 155 ; voy. dans le même sens, CJUE, 3 juin 2008, Intertanko, préc., pt. 62 ; CJUE, 26 novembre 2014, aff. C‑103/12 et C‑165/12, Parlement et Commission c/ Conseil N° Lexbase : A1483M4P, EU:C:2014:2400, pt. 63.

[18] Ibid., pt. 98 ; voy. dans le même sens, CJUE, 3 juin 2008, Intertanko, préc., pt. 59 ; CJUE, 7 mai 2020, aff. C‑641/18, Rina N° Lexbase : A26053L3, EU:C:2020:349, pts. 43, 44 et 46.

[19] Dans le cadre de l’inspection : Ibid., pt. 138 ; pour la levée de l’immobilisation : Ibid., pts. 150-151.

[20] CJUE 22 novembre 2022, aff. C-24/20, préc..

[21] Acte de Genève de l’arrangement de Lisbonne sur les appellations d’origine et les indications géographiques N° Lexbase : L9817MGP, JO 2019, L 271, p. 15.

[22] Décision (UE) 2019/1754 du Conseil, du 7 octobre 2019, relative à l’adhésion de l’Union européenne à l’acte de Genève de l’arrangement de Lisbonne sur les appellations d’origine et les indications géographiques N° Lexbase : L9816MGN, JO 2019, L 271, p. 12.

[23] CJUE 22 novembre 2022, Commission contre Conseil (Adhésion à l’acte de Genève), préc., pts. 97-98. Dans le même sens, au sujet de l’arrangement de Lisbonne modifié par l’acte de Genève : CJUE, 25 octobre 2017, aff. C‑389/15, Commission/Conseil (Arrangement de Lisbonne) N° Lexbase : A6224WWG, EU:C:2017:798, pt. 74.

[24] Ibid., pt. 105. Il est à noter qu’une telle habilitation des États membres n’est pas par nature contraire au droit de l’Union, mais elle doit être le produit d’une décision de l’Union européenne et non du seul conseil : article 2, paragraphe 1 du TFUE N° Lexbase : L2506IPI. Ibid., pts. 99-100. Plus précisément, comme la relevé la Cour, « Un tel choix relève de l’appréciation de l’intérêt général de l’Union par la Commission en vue de définir les initiatives les plus appropriées pour promouvoir celui-ci », Ibid., pt. 104.

[25] Ibid., pt. 110.

[26] CJUE, 22 novembre 2022, X c/ Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid (cannabis thératpeutique), préc.

[27] CJUE, 22 novembre 2022, X c/ Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid (cannabis thératpeutique), préc., pts. 57-58.

[28] Ibid., pt. 64. Dans le même sens, dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme, voy. CEDH, 7 décembre 2021, Req. 57467/15, Savran c/ Danemark N° Lexbase : A32237E4, CE:ECHR:2021:1207JUD005746715, § 133.

[29] Ibid., pt. 61.

[30] Ibid., pt. 63. La Cour renvoie à CEDH, 13 décembre 2016, Req. 41738/10, Paposhvili c/ Belgique N° Lexbase : A4990SPI, préc., §§ 178-183. Voy. par analogie : CJUE, 24 avril 2018, aff. C‑353/16, MP (Protection subsidiaire d’une victime de tortures passées) N° Lexbase : A6080XLR, EU:C:2018:276, pt. 40.

[31] Voy. en ce sens, CJUE, 16 février 2017, CK., préc., pt. 67 ; CJUE, 24 avril 2018, MP (Protection subsidiaire d’une victime de tortures passées), préc., pt. 37.

[32] CJUE, 22 novembre 2022, X c/ Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid (cannabis thératpeutique), préc., pt. 66.

[33] La Cour de justice renvoie à la juridiction de renvoi le soin de s’assurer, à la lumière des données médicales pertinentes que l’intensité de la douleur causée par cette absence de traitement serait contraire à la dignité humaine. Il est à cet égard souligné, à l’appui de la jurisprudence Savran c/ Danemark, que l’irréversibilité de l’augmentation de la douleur est un facteur déterminant : Ibid., pt. 71 ; CEDH, 7 décembre 2021, Req. 57467/15, préc., CE:ECHR:2021:1207JUD005746715, § 138.

[34] TribUE, 27 juillet 2022, T-125/22, ECLI:EU:T:2022:483.

[35] Décision (PESC) 2022/351 du Conseil, du 1er mars 2022, modifiant la décision 2014/512/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions de la Russie déstabilisant la situation en Ukraine (JO 2022, L 65, p. 5) et Règlement (UE) 2022/350 du Conseil du 1er mars 2022, modifiant le Règlement (UE) n° 833/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions de la Russie déstabilisant la situation en Ukraine N° Lexbase : L7367MBH (JO 2022, L 65, p. 1).

[36] L’arrêt « RT » compte 25 références à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme.

[37] CEDH, 6 juillet 2006, Req. 59405/00, Erbakan c/ Turquie N° Lexbase : A2696DQW, § 56 ; CEDH, 23 juin 2022, Req. 28000/19, Rouillan c/ France N° Lexbase : A198278W, § 66.

[38] TribUE, 27 juillet 2022, T-125/22, préc., pt. 134.

[39] CEDH, 5 avril 2022, Req. 28470/12, NIT S.R.L. c/ République de Moldova N° Lexbase : A97607TN.

[40] TribUE, 27 juillet 2022, T-125/22, préc., pt. 136. Par référence à : CEDH, 5 avril 2022, Req. 28470/12, préc., § 180.

[41] L’expression est empruntée par le Tribunal à la Cour européenne des droits de l’Homme qui a remarqué que ce devoir est renforcé pour les médias audiovisuels dont la fonction « sources familières de divertissement au cœur de l’intimité du téléspectateur ou de l’auditeur » renforce l’impact chez les particuliers : CourEDH, 5 avril 2022, Req. 28470/12 préc., § 182. Le tribunal a du reste relevé qu’en vertu de l’arrêt « Sürek c/ Turquie », ce devoir de responsabilité « revêt une importance accrue en situation de conflit et de tension » : CEDH, 8 juillet 1999, Req. 26682/95, Sürek c/ Turquie N° Lexbase : A7323AW7, pt. 63.

[42] TribUE, 27 juillet 2022, RT France contre Conseil, préc., pts. 138-140. Par référence à : CEDH, 8 juillet 1999, Req. 26682/95, préc., §§ 61-62 ; CEDH 15 octobre 2015, Req. 27510/08, Perinçek c/ Suisse, n°, §§ 197 et 230.

[43] TribUE, 27 juillet 2022, RT France contre Conseil, préc., pts. 149-151. Exigence rappelée dans l’arrêt « NIT » : CEDH, 5 avril 2022, Req. 28470/12, préc., § 159.

[44] TribUE, 27 juillet 2022, RT France contre Conseil, préc., pts. 160-166. Exigence rappelée dans l’arrêt « Centra Europa » : CEDH, 7 juin 2012, Req. 38433/09, Centro Europa 7 S.r.l. et di Stefano c/ Italie N° Lexbase : A6663IN4, § 135.

[45] TribUE, 27 juillet 2022, RT France contre Conseil, préc., pts. 207-208.

[46] Ibid., pt. 211.

[47] Ibid., pt. 213.

[48] L’article 15, paragraphe 2 de la väljasõidukohustuse ja sissesõidukeelu seadus (loi relative à l’obligation de quitter le territoire et à l’interdiction d’entrée sur le territoire), du 21 octobre 1998, RT I, 1998, 98, 1575.

[49] Directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier N° Lexbase : L3289ICS, JO L 348, 24 décembre 2008, pp. 98–107.

[50] CJUE, 6 octobre 2022, aff. C-241/21, Politsei N° Lexbase : A71358M9, ECLI:EU:C:2022:753, pt. 52.

[51] Ibid., pt. 54

[52] CEDH, 21 octobre 2013, Del Río Prada c/ Espagne, préc.

[53] CJUE, 15 septembre 2022, aff. C-420/20, HN Sofia N° Lexbase : A09548I8, ECLI:EU:C:2022:679.

[54] CEDH, 18 octobre 2006, Req. 18114/02, Hermi c./ Italie N° Lexbase : A1863DSS, § 58.

[55] CEDH, 1er mars 2006, Req. 56581/00, Sejdovic c/ Italie N° Lexbase : A2232DNY, § 86 ; CEDH, 13 mars 2018, Req. 55517/14, Vilches Coronado et autres c/Espagne N° Lexbase : A7209XG4, § 36.

[56] CJUE, 15 septembre 2022, aff. C-420/20, préc., pts. 56-57.

[57] Directive (UE) 2016/343 du Parlement européen et du Conseil, du 9 mars 2016, portant renforcement de certains aspects de la présomption d’innocence et du droit d’assister à son procès dans le cadre des procédures pénales N° Lexbase : L0018K7S, JO 2016, L 65, p. 1.

[58] CJUE, 15 septembre 2022, aff. C-420/20, préc., pt. 58.

[59]  CEDH 23 mars 2016, Req. 47152/06, Blokhin c/ Russie N° Lexbase : A5880Q9N, § 200 ; CEDH, 15 décembre 2011, Req. 26766/05, Al-Khawadja et Tahery c/ Royaume-Uni  N° Lexbase : A0350NDC, § 118.

[60] CJUE, 15 septembre 2022, aff. C-347/21, DD Spetsializirana prokuratura N° Lexbase : A09528I4, ECLI:EU:C:2022:692, pt. 34.

[61] Ibid., pt. 36

[62] CJUE, 22 novembre 2022, aff. C-37/20 et C-601/20, Luxembourg Business Registers N° Lexbase : A80518TD, ECLI:EU:C:2022:912.

[63] Directive (UE) 2015/849 du Parlement européen et du Conseil, du 20 mai 2015, relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme, modifiant le Règlement (UE) n° 648/2012 du Parlement européen et du Conseil et abrogeant la Directive 2005/60/CE du Parlement européen et du Conseil et la Directive 2006/70/CE de la Commission N° Lexbase : L7601I8Z (JO 2015, L 141, p. 73), telle que modifiée par la Directive (UE) 2018/843 du Parlement européen et du Conseil, du 30 mai 2018 (JO 2018, L 156, p. 43).

[64] CJUE, 20 septembre 2022, aff. C-339/20, VD N° Lexbase : A54158IE, ECLI:EU:C:2022:703.

[65] Directive 2003/6/CE du Parlement européen et du Conseil, du 28 janvier 2003, sur les opérations d’initiés et les manipulations de marché N° Lexbase : L8022BBQ, JO 2003, L 96, p. 16.

newsid:484435

Universités

[Brèves] Comportement inapproprié d’un professeur avec une étudiante : validité de la sanction d'interdiction d'exercer pendant trois ans

Réf. : CNESER, décision n° 1574 du 23 novembre 2022

Lecture: 2 min

N4441BZI

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/93403533-edition-n-936-du-23022023#article-484441
Copier

par Yann Le Foll

Le 22 Février 2023

► Le fait pour un professeur d’avoir laissé s'installer une relation inappropriée avec une étudiante sans prendre les distances normalement requises dans une telle situation constitue une faute professionnelle de nature à justifier la sanction d'intediction d’exercer pendant une durée de trois ans.

Faits. Un Professeur de l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne a été condamné le 4 juin 2019 par la section disciplinaire du conseil académique de cet établissement à une interdiction d'exercer toutes fonctions d'enseignement ou de recherche dans tout établissement public d'enseignement supérieur pendant trois ans avec privation de la totalité du traitement, pour avoir eu un comportement inapproprié avec une étudiante, portant atteinte à l'image de l'Université. L’intéressé a fait appel de cette décision devant le CNESER.

Le conseil académique, s’il relevait que les éléments matériels dont dispose la commission ne lui permettaient pas de se prononcer sur le caractère avéré ou non du viol, constait cependant plusieurs éléments problématiques :

  • une relation de proximité ayant dépassé le strict cadre de la relation professionnelle ;
  • l’envoi de nombreux messages qui ne sont en rien justifiés par les activités d'enseignement et de recherche et ayant dépassé le cadre d'une relation amicale ;
  • le non-respect par l’intéressé d’une distance requise avec une étudiante placée sous son autorité ;
  • et la création d’une situation de promiscuité, contribuant à l'établissement d'une situation confuse et anxiogène au sein de la mission ayant eu des conséquences délétères sur le travail des étudiants et des chercheurs, troublant ainsi le bon fonctionnement de l'établissement.

Décision CNESER. Après avoir examiné les arguments des deux parties, le CNESER estime que l’intéressé n'a pas respecté les principes de la déontologie universitaire qui s'imposent dans le cadre professionnel, qu'il a laissé s'installer une relation avec son étudiante, sans prendre les distances requises dans une relation de cette nature et que ses agissements constituent à ce titre une faute professionnelle.

En outre, même si ce dernier reconnait avoir eu un comportement inapproprié dans un contexte extérieur, source d'une forte proximité et qu'il confirme avoir manqué de clairvoyance, il est coupable des faits qui lui sont reprochés.

Sanction. L’enseignant est condamné à une interdiction d'exercer toutes fonctions d'enseignement ou de recherche dans tout établissement public d'enseignement supérieur pendant trois ans avec privation de la totalité du traitement.

À ce sujet. Lire Quel contrôle du juge administratif sur le contentieux de l'enseignement supérieur ? - Questions à Didier Truchet, Professeur émérite de l’Université Paris-Panthéon-Assas, Lexbase Public, février 2023, n° 696 N° Lexbase : N4339BZQ.

newsid:484441