Réf. : Cass. civ. 3, 23 novembre 2022, deux arrêts, n° 21-21.867, FS-B N° Lexbase : A10758UD et n° 22-12.753, FS-B N° Lexbase : A10768UE
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N3986BZN
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par Dimitri Houtcieff, Agrégé des Facultés de droit
Le 19 Janvier 2023
Mots-clés : bail commercial • covid-19 • interdiction de recevoir du public • destination contractuelle du local • imputabilité aux bailleurs (non) • obligation de délivrance • perte de la chose louée (non) • clauses de suspension des loyers
Les deux décisions rapportées réitèrent les solutions admises par les trois arrêts rendus le 30 juin 2022. La troisième chambre civile y affirme à nouveau que l'effet de la mesure gouvernementale d'interdiction de recevoir du public, générale et temporaire et sans lien direct avec la destination contractuelle du local loué, ne peut être, d'une part, imputable aux bailleurs, de sorte qu'il ne peut leur être reproché un manquement à leur obligation de délivrance, d'autre part, assimilé à la perte de la chose, au sens de l'article 1722 du Code civil. Ces décisions vont cependant au-delà, écartant l’espoir de certains locataires d’invoquer les clauses ordinaires de suspension des loyers pour échapper à leur paiement ne serait-ce que pour un temps.
Bis repetita placent. Trois arrêts estivaux avaient étouffé les espoirs des preneurs aspirant à réduire les loyers commerciaux afférents aux périodes où il leur avait été impossible d’accueillir le moindre client [1] : les deux décisions rapportées réaffirment cette position, précisant certains de ses contours.
Les faits de ces deux arrêts peuvent être brièvement résumés. À chaque fois, des preneurs de baux commerciaux portant sur des appartements situés dans des résidences de tourisme n’avaient pas réglé les loyers correspondant aux périodes d’application des mesures gouvernementales d’interdiction d’accueillir du public. Leurs bailleurs les assignèrent en paiement de provisions correspondant à l’arriéré locatif. Le juge des référés ayant accueilli ces demandes dans l’une et l’autre espèce, les locataires se pourvurent en cassation. Sans surprise, la troisième chambre civile rejette ces pourvois. S’appuyant expressément sur les arrêts du 30 juin 2022, la première décision affirme ainsi que « l’effet de la mesure gouvernementale d'interdiction de recevoir du public, générale et temporaire et sans lien direct avec la destination contractuelle du local loué, ne peut être, d'une part, imputable aux bailleurs, de sorte qu'il ne peut leur être reproché un manquement à leur obligation de délivrance, d'autre part, assimilé à la perte de la chose, au sens de l'article 1722 du Code civil N° Lexbase : L1844ABW (3e Civ., 30 juin 2022, pourvoi n° 21-20.127, publié au bulletin) » [2]. Ainsi, ajoute la Cour régulatrice, « après avoir relevé que seuls les exploitants se sont vu interdire de recevoir leurs clients pour des raisons étrangères aux locaux loués qui n'avaient subi aucun changement, la cour d'appel a retenu, à bon droit, que les mesures d'interdiction d'exploitation, qui ne sont ni du fait ni de la faute du bailleur, ne constituent pas une circonstance affectant le bien, emportant perte de la chose louée ». La position des bailleurs n’est plus seulement fortifiée par trois arrêts : elle est désormais défendue par une jurisprudence.
Cette position est si favorable que la Cour régulatrice approuve en outre le juge des référés de n’avoir pas abdiqué sa compétence malgré la stipulation de clauses de suspension du loyer destinées à s’appliquer en cas de « circonstances exceptionnelles ». Dans la première espèce, la troisième chambre civile affirme ainsi que « la cour d'appel statuant en matière de référé ne tranche aucune contestation sérieuse en allouant une provision au bailleur d'un logement situé dans une résidence de tourisme sur les loyers impayés par le locataire qui se prévalait, suite aux mesures sanitaires relatives à la lutte contre la propagation du virus covid-19, d'une stipulation du bail commercial selon laquelle le paiement des loyers est suspendu dans les cas où "l'indisponibilité du bien" résulterait "soit du fait ou d'une faute du bailleur, soit de l'apparition de désordres de nature décennale soit de la survenance de circonstances exceptionnellement graves (telles qu'incendie de l'immeuble, etc.) affectant le bien et ne permettant pas une occupation effective et normale" ». En effet, dit encore cet arrêt, « c'est sans interpréter cette clause, claire et précise, que la cour d'appel a constaté qu'elle ne pouvait recevoir application que dans les cas où le bien était indisponible soit par le fait ou la faute du bailleur, soit en raison de désordres de nature décennale ou de la survenance de circonstances exceptionnelles affectant le bien loué lui-même ». La seconde décision est plus tranchée encore : « ayant relevé, d'une part, que la clause précise de suspension du loyer prévue au bail ne pouvait recevoir application que dans les cas où le bien était indisponible soit par le fait ou la faute du bailleur, soit en raison de désordres de nature décennale ou de la survenance de circonstances exceptionnelles affectant le bien loué lui-même, d'autre part, que la locataire ne caractérisait pas en quoi les mesures prises pendant la crise sanitaire constituaient une circonstance affectant le bien, la cour d'appel, qui n'a pas interprété le contrat, n'a pu qu'en déduire que l'obligation de payer le loyer n'était pas sérieusement contestable ».
La Cour de cassation persiste et signe donc (I), tirant le fil des conséquences de sa volonté d’éteindre le contentieux des « loyers covid » (II).
I. Persistance
La motivation qui décore la première décision rapportée est promise à devenir systématique. Elle précipite en une seule phrase celle qu’avaient adoptée les arrêts du 30 juin 2022 : « l'effet de la mesure gouvernementale d'interdiction de recevoir du public, générale et temporaire et sans lien direct avec la destination contractuelle du local loué, ne peut être, d'une part, imputable aux bailleurs, de sorte qu'il ne peut leur être reproché un manquement à leur obligation de délivrance, d'autre part, assimilé à la perte de la chose, au sens de l'article 1722 du Code civil ». Au-delà de la réitération, l’arrêt permet de préciser le sens de cette formule. Deux séries de considérations paraissent fonder le refus d’admettre la contestation du loyer dû par le preneur : les mesures d’interdiction d’accueillir du public sont en effet étrangères, d’une part au bailleur (A) et, d’autre part, au local (B).
A. Des mesures étrangères au bailleur
La réaffirmation de ce que l’interdiction d’accueillir du public ne peut être reprochée au bailleur n’étonne pas et peut être approuvée [3] . Si l’obligation de délivrance impose au bailleur de s’assurer de ce que rien n’empêche l’exploitation conformément à sa destination [4], elle n’implique pas pour autant, selon la jurisprudence, la garantie de la « commercialité » des lieux, c’est-à-dire du niveau de leur fréquentation [5]. Il aurait donc été surprenant que la désertion des commerces liée à la crise sanitaire puisse être reprochée au propriétaire.
L’exception d’inexécution – qu’invoquait le preneur dans la première espèce – est dès lors mécaniquement hors-jeu [6]. Le bailleur n’étant tenu de rien à cet égard, le locataire ne saurait tirer argument de l’inexécution de l’obligation de délivrance pour suspendre ses paiements : l’un des arrêts du 30 juin 2022 avait d’ailleurs déjà approuvé une cour d’appel d’avoir considéré que l’obligation de payer le loyer n’était pas sérieusement contestable sur ce terrain. À la vérité, la finalité même de l’exception d’inexécution suffirait à fonder sa mise à l’écart. Ce mécanisme consiste en effet à refuser de s’acquitter de sa prestation tant que l’autre partie ne s’est pas exécutée : on voit mal comment il pourrait être convoqué dès lors que le bailleur n’est pas en mesure d’exaucer les vœux de fréquentation du preneur.
B. Des mesures étrangères aux locaux
Les arrêts du 30 juin ayant déjà considéré que l’interdiction de recevoir du public ne pouvait être assimilée à une destruction de la chose au sens de l’article 1722, la réaffirmation de cette solution ne surprend pas non plus. Elle est cependant plus discutable. Comme on s’en souvient, certains auteurs avaient en effet opiné en faveur d’une « redécouverte » de cette disposition [7], observant que la doctrine classique admettait que la perte de la chose puisse être « juridique » [8]. La jurisprudence s’était d’ailleurs rangée jadis à une telle conception, admettant notamment l’application de cette disposition dans des circonstances où le locataire avait été privé de la jouissance de son local en raison de son occupation par l’ennemie durant la guerre [9]. La Cour de cassation n’a cependant pas voulu faire profiter les locataires du miracle de la résurrection de cette ancienne jurisprudence : reprenant la motivation déjà utilisée en juin, la première décision rapportée affirme à nouveau que « l’effet de la mesure gouvernementale d'interdiction de recevoir du public, générale et temporaire et sans lien direct avec la destination contractuelle du local loué, ne peut être […] assimilé à la perte de la chose, au sens de l'article 1722 du Code civil ».
Cette formule presque incantatoire peine à convaincre à elle seule, tant elle est sibylline [10] : ne peut-on après tout considérer que l’interdiction d’accueillir du public entretient « un lien direct » avec la destination de locaux où le locataire exerce des activités d’hôtellerie ou de restauration ? À cet égard, l’interprète peut au moins se satisfaire des éclaircissements apportés par la Cour régulatrice par le premier arrêt. Les juges sont en effet approuvés, d’avoir à « bon droit » retenu que les mesures d'interdiction d'exploitation ne constituaient pas « une circonstance affectant le bien », « après avoir relevé que seuls les exploitants se sont vu interdire de recevoir leurs clients pour des raisons étrangères aux locaux loués qui n'avaient subi aucun changement ». Pour ainsi dire, les mesures d’interdiction touchaient l’exploitant et son exploitation, mais ne portaient pas, à proprement parler, sur le local. La précision est opportune, même si elle témoigne d’un glissement insidieux. Alors que l’évocation de la destination contractuelle invite à une conception juridique de l’utilité du local, la Cour de cassation semble en effet finalement réduire l’hypothèse de la perte de la chose à une destruction matérielle : n’appuie-t-elle pas sur le fait que les locaux loués « n’avaient subi aucun changement » ? Somme toute, le preneur ne paraît rien pouvoir espérer sur le fondement de l’article 1722 si son local n’est pas matériellement et spécifiquement touché par les mesures contestées. Sans doute l’hypothèse n’est-elle pas purement théorique, comme en témoignent les arrêts rendus à propos de l’occupation des locaux par l’ennemie : elle est cependant – heureusement – peu fréquente.
Cette conception étriquée de l’article 1722 du Code civil est regrettable. Elle conduit presque inéluctablement à prendre le parti des bailleurs. La Cour régulatrice prive ainsi le juge d’un instrument de rééquilibrage pragmatique des contrats, qui leur aurait permis de tenir compte du poids des difficultés rencontrées par le preneur en même temps que des aides éventuellement reçues par les parties. La volonté d’assécher un contentieux débordant aura finalement accouché d’une solution particulièrement âpre aux locataires, renversant la table des négociations éventuelles entre les parties en donnant systématiquement raison aux bailleurs.
II. Conséquences
Au-delà de la réaffirmation des solutions admises le 30 juin dernier, ces deux décisions décevront aussi les preneurs qui espéraient gagner un peu de temps en opposant au bailleur les clauses admettant la suspension des loyers en cas de circonstances exceptionnelles : ces stipulations étant ordinairement claires, elles n’emportent pas même une contestation sérieuse devant le juge des référés (A). Au-delà même du contentieux des loyers covid, les débiteurs qui se sont trouvés en peine d’exécuter leur prestation paraissent ainsi n’avoir que peu à espérer, tant la volonté de la Cour de cassation d’éteindre le contentieux en réaffirmant la force obligatoire du contrat paraît nette (B).
A. Des clauses claires
Ces deux arrêts se prononcent encore sur la question de savoir si le locataire peut envisager de se fonder sur les clauses de suspension du loyer figurant dans le contrat de bail pour temporiser. Ces stipulations ordinaires en matière de baux commerciaux font en effet volontiers référence à d’éventuelles « circonstances exceptionnelles » : il pourrait dès lors être tentant de considérer qu’elles sont caractérisées dans l’hypothèse de la brusque survenance d’une épidémie débouchant sur un confinement quasi mondial. Ces clauses sont cependant rarement rédigées de manière si large : la notion de « circonstances exceptionnelles » est en effet trop incertaine pour que le bailleur se contente naïvement de leur seule évocation par le contrat. Elles sont ainsi généralement assorties de certaines précisions et conditions qui suffisent à écarter leur invocation dans le contexte particulier de la crise sanitaire.
Tel était d’ailleurs le cas dans le second arrêt présenté. Le preneur invoquait en l’espèce une clause du bail selon laquelle le loyer ne serait pas payé jusqu'au mois suivant la fin du trouble « dans le cas où la non-sous-location du bien résulterait : - soit du fait ou d'une faute du bailleur ; - soit de l'apparition de désordres de nature décennale ; - soit de la survenance de circonstances exceptionnelles et graves (telles qu'un incendie de l'immeuble, etc.) affectant le bien et ne permettant pas une occupation effective et normale après la date de livraison ». Le juge des référés avait écarté le jeu de cette stipulation, considérant que les circonstances exceptionnelles visées devaient être intrinsèques au bien lui-même, « c'est-à-dire à l'immeuble ou bâtiment, entendu stricto sensu ». La Cour de cassation l’en approuve sans réserve : après avoir relevé « d’une part, que la clause précise de suspension du loyer prévue au bail ne pouvait recevoir application que dans les cas où le bien était indisponible soit par le fait ou la faute du bailleur, soit en raison de désordres de nature décennale ou de la survenance de circonstances exceptionnelles affectant le bien loué lui-même, d'autre part, que la locataire ne caractérisait pas en quoi les mesures prises pendant la crise sanitaire constituaient une circonstance affectant le bien, la cour d'appel, qui n'a pas interprété le contrat, n'a pu qu'en déduire que l'obligation de payer le loyer n'était pas sérieusement contestable ».
Le premier arrêt repose sur des considérations du même ordre. La clause envisageait l’hypothèse de « circonstances exceptionnellement graves (telles qu'incendie de l'immeuble , etc.) affectant le bien et ne permettant pas une occupation effective et normale après la date de livraison ». Elle affirmait que le loyer serait suspendu et dans ces cas « serait couvert soit par le garantie perte de loyers souscrite par le syndic de l'immeuble dans le contrat multirisque immeuble soit par la garantie perte d'exploitation souscrite par le preneur ». La cour d’appel en avait déduit que la clause ne jouait pas, dès lors qu’elle « ne visait que des manquements personnels du bailleur, ou des circonstances affectant le bien, ce qui n'était pas le cas, et qu'elle mentionnait clairement que la suspension des loyers était conditionnée par la couverture des loyers par les assureurs et que cette condition n'était pas remplie ». Ici encore, la Cour régulatrice rejette le pourvoi : en constatant « sans interpréter le contrat, que la clause de suspension du loyer prévue au bail ne pouvait recevoir application que dans les cas où le bien était indisponible par le fait ou la faute du bailleur ou en raison d'un désordre ou d'une circonstance exceptionnelle affectant le bien loué et que la condition de suspension, clairement exigée, de couverture des loyers par les assureurs, n'était pas remplie […] elle n'a pu qu'en déduire que l'obligation de payer le loyer n'était pas sérieusement contestable ».
Cette position peut sans doute être approuvée. Il s’évince assez nettement des deux clauses considérées qu’une destruction matérielle du local était envisagée : les stipulations considérées n’évoquaient-elles pas l’une et l’autre l’incendie de l’immeuble ? Ces arrêts témoignent cependant aussi de ce qu’en l’absence de précisions des parties, les « circonstances affectant le bien » doivent s’entendre seulement de circonstances matérielles, dans le prolongement de l’interprétation désormais admise de l’article 1722 du Code civil. Ainsi la référence à une « occupation normale » par ces clauses ne suffit-elle pas à permettre une interprétation plus favorable au preneur, les juges paraissant de toute façon peu enclins à laisser la moindre porte ouverte à la contestation du loyer par le locataire.
B. Une volonté claire
La messe était déjà dite. Ces deux décisions ensevelissent les derniers espoirs que les preneurs pouvaient fonder sur l’obligation de délivrance, la perte de la chose et l’ordinaire des clauses de suspensions des loyers. Quelques voies subsistent encore, qui n’ont pas été condamnées par la Cour régulatrice. Le recours à la réduction du prix régie par l’article 1223 du Code civil N° Lexbase : L1984LKP pourrait par exemple être envisagé. À supposer que le loyer puisse être assimilé à un prix au sens de cette disposition, il faudra cependant aussi que le preneur démontre que la prestation du bailleur a été imparfaitement exécutée : voilà qui n’est pas simple, dès lors que l’absence de fréquentation du local ne relève pas de son obligation de délivrance. Ceci explique peut-être que cette disposition n’ait pas suscité, pour l’heure, beaucoup de contentieux [11].
L’interdiction d’accueillir du public pourrait-elle aussi être assimilée à un « changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat [qui] rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie » [12] ? Le statut des baux commerciaux ne suffit pas, par lui-même, à écarter une telle argumentation [13]. La jurisprudence est cependant hésitante à l’admettre : la cour d’appel de Paris a ainsi froidement affirmé que « dès lors que le montant du loyer contractuellement convenu est resté le même pendant la crise sanitaire et n’est pas devenu plus onéreux », l’imprévision était exclue [14]. Cette conception de l’imprévision est plus que contestable, tant elle est étriquée. Elle ne dépare cependant pas avec la rigueur de la Cour régulatrice à l’endroit des preneurs.
Comme les trois arrêts rendus l’été dernier, ces deux décisions sont largement portées par des considérations de politique juridique [15] : la publication au Bulletin des deux arrêts atteste de la volonté de les asseoir définitivement. La détermination de la Cour régulatrice ne s’arrête d’ailleurs pas aux portes de la troisième chambre civile et déborde les baux commerciaux : la deuxième chambre civile de la Cour de cassation n’a-t-elle pas admis que les clauses d’exclusion subordonnant la garantie des pertes financières dues à la fermeture pour épidémie à ce qu’aucun autre établissement n’ait fermé dans le même département étaient « formelles et limitées », et qu’elles pouvaient dès lors être opposées à l’assuré [16] ? Dans un tel contexte, il serait surprenant que la Cour régulatrice permette aux plaideurs d’obtenir par d’autres voies ce qu’elle leur a pour l’instant refusé. Il n’est pas certain que la résistance éventuelle des cours d’appel suffise à la faire vaciller : au-delà des critiques auxquelles elle prête le flanc, la position de la Cour de cassation se ramène après tout à une défense de la force obligatoire des contrats.
[1] Cass. civ. 3, 30 juin 2022, trois arrêts, n° 21-20.127, FS-B N° Lexbase : A858778K ; n° 21-20.190, FS-B N° Lexbase : A859678U et n° 21-19.889, FS-D N° Lexbase : A194279S, Dalloz Actualité, 4 juillet 2022, obs. P. Gaiardo ; D., 2022, 1445 , note D. Houtcieff ; ibid., 1398, point de vue S. Tisseyre ; AJDI, 2022, 605, obs. J.-P. Blatter ; AJCT, 2022, 579, obs. D. Lovato ; JT, 2022, n° 255, p. 11, obs. X. Delpech ; RTD com., 2022, 435, étude F. Kendérian ; B. Brignon, Lexbase Affaires, juillet 2022, n° 726 N° Lexbase : N2205BZP.
[2] Cass. civ. 3, 23 novembre 2022, n° 21-21.867, FS-B
[3] Comp. TJ Paris, 18ème ch., 25 février 2021, n° 18/02353 N° Lexbase : A40574I4, AJDI, 2021, 210, obs. J.-P. Blatter ; Dalloz Actualité, 9 mars 2021, obs. J. Monéger ; Gaz. Pal., 2021, n° 14, p. 29, obs. D. Houtcieff – CA Grenoble, 5 novembre 2020, n° 16/04533 N° Lexbase : A643333N, Gaz. Pal., 5 janv. 2021, n° 392w6, p. 33, obs. D. Houtcieff.
[4] Cass. civ. 3, 3 février 2009, n° 08-10.293, F-D N° Lexbase : A9608ECT.
[5] Cass. civ. 3, 15 décembre 2021, n° 20-14.423, FS-B N° Lexbase : A17347GC, M.-L. Besson, Lexbase Affaires, janvier 2022, n° 701 N° Lexbase : N0022BZT.
[6] Contra L. Perreau-Saussine, Le sort des loyers dans les baux commerciaux à l'épreuve de la crise du covid-19 : quid de l'exception d'inexécution ?, JCP N, n° 18, 1er mai 2020. Act. 415.
[7] N. Dissaux, L’épidémie, cette perte, D., 2020, 887 : l’auteur s’appuie notamment M. Planiol et G. Ripert, Traité pratique de droit civil français, Tome X, LGDJ, 1932, spéc. n° 639. F. Kendérian, Le droit civil des contrats et le bail commercial en temps de crise : l’exemple de la Covid-19, RTD com., 2020, 265, spéc. n° 31. L’auteur cite Louis Josserand, Cours de droit civil positif français - Théorie générale des obligations, Les principaux contrats du droit civil, Les sûretés, Sirey, 3e éd., 1939, n° 1238, p. 734, spéc. p. 735. V. aussi A. et J.-Ph. Confino, Les baux commerciaux malades de la peste…, AJDI, 2020, p. 322
[8] V par ex. L. Josserand, Cours de droit civil positif français, Sirey, 1939, n° 1239, p.735.
[9] Cass. civ., 14 janvier 1941, DA, 1941, 66 – Cass. civ., 8 mars 1946, Rev. Loyers, 1946, 3, 742 – Cass. civ., 8 mars 1946, Rev. loyers, 1947, 3, 742. Adde CA Poitiers, 12 juillet 1915, Gaz. Trib., 1915, 2, 191 – CA Caen, 13 juillet et 14 décembre 1871, S, 72, 2, 235. Adde pour d’autres exemples plus récent et sans lien avec le précédent, Cass. civ. 3, 30 octobre 2007, n° 07-11.939, F-D N° Lexbase : A2476DZQ – Cass. com., 19 juin 1962, Gaz. Pal., 1962, 2, 276.
[10] V. notre note sous Cass. civ. 3, 30 juin 2022, préc.
[11] V. en référé et y voyant dans cette question une contestation sérieuse, CA Paris, 1-2, 23 juin 2022, n° 21/19784 N° Lexbase : A642978M.
[12] C. civ., art. 1195 N° Lexbase : L0909KZP.
[13] V. pourtant, CA Versailles, 12 décembre 2019, n° 18/07183 N° Lexbase : A9242Z7G, Gaz. Pal., 2020, n° 14, p. 36, obs. D. Houtcieff.
[14] CA Paris, 1-2, 4 novembre 2021, n° 21/05272 N° Lexbase : A00277BM, Gaz. Pal., 11 janvier 2022, n° 430m7, obs. D. Houtcieff. Comp. CA Nancy, 10 novembre 2021, n° 21/01022 N° Lexbase : A58657BT, Gaz. Pal., 11 janvier 2022, préc. et nos obs.
[15] V. notre note.
[16] Cass. civ. 2, 1er décembre 2022, quatre arrêts, n° 21-15.392, FS-B+R N° Lexbase : A45218WD ; n° 21-19.341, FS-B+R N° Lexbase : A45408W3 ; n° 21-19.342, FS-B+R N° Lexbase : A54888W8 et n° 21-19.343, FS-B+R N° Lexbase : A54858W3, Dalloz Actualité, 16 décembre 2022, obs. S. Porcher ; R. Bigot et A. Cayol, in Chron., Lexbase Droit privé, décembre 2022, n° 928, spéc. II N° Lexbase : N3666BZS.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
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Réf. : CJUE, 12 janvier 2023, aff. C-396/21 N° Lexbase : A644287Q
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par Vincent Téchené
Le 18 Janvier 2023
► Un voyageur a droit à une réduction du prix de son voyage à forfait lorsqu’une non-conformité des services de voyage compris dans son forfait est due à des restrictions qui ont été imposées sur son lieu de destination pour lutter contre la propagation d’une maladie infectieuse et que de telles restrictions ont également été imposées sur le lieu de résidence de celui-ci ainsi que dans d’autres pays en raison de la propagation mondiale de cette maladie. Pour être appropriée, cette réduction de prix doit s’apprécier au regard des services compris dans le forfait concerné et correspondre à la valeur des services dont la non-conformité a été constatée.
Faits et procédure. Deux voyageurs ont acheté auprès d’un organisateur de voyages allemand un voyage à forfait de deux semaines à la Grande Canarie à partir du 13 mars 2020. Ils ont demané une réduction du prix de 70 % en raison des restrictions qui ont été imposées sur cette île le 15 mars 2020, afin de lutter contre la propagation de la pandémie de Covid-19, et de leur retour anticipé.
Estimant qu’il ne pouvait être tenu pour responsable de ce qui constituait un « risque général de la vie », l’organisateur a refusé de leur accorder cette réduction de prix. Les deux voyageurs l’ont alors attrait devant les juridictions allemandes.
Dans le cadre d’un renvoi préjudiciel, le tribunal régional de Munich, saisi du litige en seconde instance, a demandé à la CJUE d’interpréter la Directive relative aux voyages à forfait (Directive (UE) n° 2015/2302, du Parlement européen et du Conseil, du 25 novembre 2015 N° Lexbase : L6878KUB). Celle-ci prévoit que le voyageur a droit à une réduction de prix appropriée pour toute période de non-conformité des services fournis, sauf si l’organisateur prouve que la non-conformité est imputable au voyageur.
Décision. La CJUE répond qu’un voyageur a droit à une réduction du prix de son voyage à forfait lorsqu’une non-conformité des services de voyage compris dans son forfait est due à des restrictions qui ont été imposées sur son lieu de destination pour lutter contre la propagation d’une maladie infectieuse, telle que la covid-19.
En effet, la cause de la non-conformité des services de voyage et, notamment, son imputabilité à l’organisateur, est sans pertinence, étant donné que la Directive prévoit, pour ce qui concerne le droit à une réduction du prix, une responsabilité sans faute de l’organisateur. Il n’en est libéré que lorsque l’inexécution ou la mauvaise exécution des services de voyage sont imputables au voyageur, ce qui n’est pas le cas en l’occurrence. En revanche, il importe peu que des restrictions telles que celles en cause aient également été imposées sur le lieu de résidence du voyageur ainsi que dans d’autres pays en raison de la propagation mondiale de la covid-19. Pour être appropriée, la réduction de prix doit s’apprécier au regard des services compris dans le forfait concerné et correspondre à la valeur des services dont la non-conformité a été constatée.
La Cour précise que les obligations de l’organisateur résultant du contrat de voyage à forfait comprennent non seulement, celles qui sont explicitement stipulées au contrat, mais également celles qui y sont liées résultant du but de ce contrat.
Il appartiendra à la juridiction nationale d’apprécier, sur la base des services que l’organisateur concerné devait fournir, conformément au contrat, si, notamment, la fermeture des piscines de l’hôtel concerné, l’absence de programme d’animations dans cet hôtel ou encore l’impossibilité d’accéder aux plages de la Grande Canarie et de visiter cette île à la suite de l’adoption des mesures prises par les autorités espagnoles pouvaient constituer des inexécutions ou des mauvaises exécutions de ce contrat par cet organisateur. Une fois cette appréciation réalisée, la réduction de prix dudit forfait doit correspondre à la valeur des services de voyage qui sont non conformes.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:483964
Réf. : Cass. civ. 1, 11 janvier 2023, n° 21-14.032, F-P+B N° Lexbase : A6455879
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N4017BZS
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par Claire-Anne Michel, Maître de conférences, Université Grenoble-Alpes, Centre de recherches juridiques (CRJ)
Le 18 Janvier 2023
► En présence d’un contrat conclu hors établissement, l’exigence légale du « prix du bien ou du service » peut s’entendre d’un prix global, sans qu’il ne soit besoin de procéder à une décomposition du prix.
Conçues pour protéger le cocontractant en situation de faiblesse, les mentions exigées à titre de validité sont devenues une source de contentieux important. Comment ne pas se souvenir de celui fondé sur l’ancien article L. 331-1 Code de la consommation N° Lexbase : L1165K7B imposant à la caution personne physique de reproduire de sa main une formule sacramentelle (comp. C. civ., nouv. art. 2297 N° Lexbase : L0171L8T) ? En la matière, la Cour de cassation avait toujours refusé d’aller au-delà de ce qui était imposé par la loi, se cantonnant à l’application stricte des exigences légales. Il en est aujourd’hui de même s’agissant du formalisme imposé dans les contrats conclus hors établissement, héritiers des anciennes opérations de démarchages à domicile (C. consom., anc. art. L. 121-23). À leur égard, la loi impose, à peine de nullité du contrat et du prêt finançant l’opération, que le bon de commande mentionne un certain nombre d’information, et notamment « le prix du bien ou du service ».
Question. La mention d’un prix global répond-t-elle à cette exigence ou faut-il distinguer en fonction des différents éléments ? Telle était la question posée à la Cour de cassation en présence d’un contrat de fourniture et d’installation de panneaux photovoltaïques.
Réponse CA. La cour d’appel avait prononcé la nullité du contrat de vente, et par conséquent du prêt, considérant que la seule mention du prix global ne répondait pas aux exigences légales et qu’une décomposition de ce prix s’imposait (CA Douai, 4 mars 2021, n° 18/06988), ce que contestait la banque et le vendeur.
Cassation. L’arrêt est cassé au visa de l’article L. 111-1, 2° du Code de consommation N° Lexbase : L2106L8I, lequel impose au titre des mentions impératives la précision du « prix du bien ou du service ». La Cour de cassation considère qu’en annulant les contrats pour non-respect des exigences légales au motif que « les bons de commande ne comportent qu’un prix global sans indication de la part respective du coût des matériels, des travaux de pose, des démarches administratives et du raccordement au réseau ERDF », les juges du fond ont ajouté à la loi une condition qu’elle ne porte pas. Ainsi, l’exigence du prix du bien ou du service peut s’entendre du seul prix global, sans qu’une ventilation de ce prix ait à être opérée. La solution doit être rapprochée de celle qui prévalait sous l’empire du droit antérieur (C. consom., anc. art. L. 121-23). À l’époque, la loi exigeait la mention d’un « prix global », ce dont la Cour de cassation avait déduit qu’il n’y avait là aucune obligation de procéder à une décomposition du prix (Cass. civ. 1, 2 juin 2021, n° 19-22.607, F-P N° Lexbase : A23414UA). Ainsi, la substitution à l’exigence d’un « prix global » du « prix du bien ou du service » est sans incidence : hier comme aujourd’hui, un prix global suffit sans qu’une décomposition du prix ne s’impose.
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Réf. : Cass. civ. 3, 11 janvier 2023, n° 21-11.053, FS-B N° Lexbase : A646487K
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par Juliette Mel, Docteur en droit, Avocat associé, M2J Avocats, Chargée d’enseignements à l’UPEC, Responsable de la commission Marchés de Travaux, Ordre des avocats
Le 19 Janvier 2023
► La retenue de garantie a pour objet de protéger le maître d’ouvrage contre les risques d’inexécution ou de mauvaise exécution des travaux de levée des réserves à la réception ; la caution est libérée à l’expiration du délai d’une année à compter de la réception des travaux sauf si le maître d’ouvrage notifie, par LR/AR, son opposition motivée par l’inexécution des obligations de l’entrepreneur.
En application de l’article 1er de la loi n° 71-584, du 16 juillet 1971 N° Lexbase : Z80616RR, la retenue de garantie a pour objet de garantir l’exécution des travaux destinés à satisfaire les réserves faites à la réception. Par ailleurs, selon l’article 2 de cette même loi, la caution est libérée et la somme consignée remise à l’entrepreneur lorsque celui-ci a satisfait aux réserves et, de toutes façons, dans le délai d’un an à compter de la réception, qu’elle soit assortie de réserve ou non, sauf opposition du maître d’ouvrage (Cass. civ. 3, 15 avril 1980, n° 78-16.161, publié au bulletin N° Lexbase : A5521CHX). L’arrêt rapporté est l’occasion de revenir sur ces principes, qui posent d’importantes difficultés en pratique.
En l’espèce, à l’occasion d’un programme de construction de logements, une société civile de construction vente confie à une entreprise le lot plomberie sanitaire désenfumage. La banque délivre à l’entrepreneur un engagement de caution personnelle et solidaire au titre de la retenue de garantie de 5 % du marché de travaux, au bénéfice du maître d’ouvrage. L’entrepreneur est placé en redressement judiciaire puis en liquidation judiciaire. Le maître d’ouvrage résilie le contrat et convoque le liquidateur judiciaire à un constat de l’état des travaux exécutés. Après avoir mis en demeure la banque de lui verser une somme au titre de l’engagement de caution, le maître d’ouvrage lui notifie son opposition à la libération de la caution. Une décision de justice a fixé la date de réception. Il s’ensuit une autre procédure à l’encontre de la banque.
Aux termes d’un arrêt rendu le 19 novembre 2020, la cour d’appel de Caen déclare la demande du maître d’ouvrage contre la banque recevable et la condamne à lui payer une certaine somme au titre de son engagement de caution (CA Caen, 19 novembre 2020, n° 19/00613 N° Lexbase : A099537Y). Elle forme un pourvoi en cassation.
Elle articule, d’une part, que la retenue de garantie de 5 % à laquelle peut se substituer une caution personnelle et solidaire ne peut être utilisée que s’il y a réception des travaux. En l’espèce, il n’y aurait pas eu de réception amiable contradictoire, ce qui fait obstacle à l’application de ces dispositions.
Elle expose, d’autre part, qu’aucune opposition à la libération de la caution remplaçant la retenue de garantie de 5 % ne peut régulièrement intervenir avant que les travaux n’aient fait l’objet d’une réception amiable contradictoire ou qu’une réception judiciaire n’ait été fixée. En l’espèce, la position d’opposition du maître d’ouvrage est antérieure à la date de réception judiciaire.
Le pourvoi est rejeté. Par sa nouvelle technique de motivation enrichie, la Haute juridiction rappelle que l’article 2 de la loi précitée a pour objet de protéger le maître d’ouvrage contre les risques d’inexécution ou de mauvaise exécution des travaux de levée de réserves (Cass. civ. 3, 22 septembre 2004, n° 03-12.639, FS-P+B N° Lexbase : A4209DDA). Les juges du fond ont justement estimé que les conditions d’application de cet article, notamment quant à l’opposition du maître d’ouvrage s’apprécient le jour où le juge statue.
Cette position, in favorem pour le maître d’ouvrage, est assez critiquable en ce qu’elle laisse l’entreprise en risque sur 5 % de son marché pendant un an de façon quasi-systématique finalement.
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Réf. : CJUE, 12 janvier 2023, aff. C-356/21 N° Lexbase : A6644879
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N3992BZU
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par Lisa Poinsot
Le 24 Janvier 2023
► L’orientation sexuelle du travailleur indépendant ne saurait être une raison pour refuser de conclure un contrat avec lui.
Faits et procédure. Pendant sept ans, un travailleur indépendant a conclu une série de contrats d’entreprise consécutifs de courte durée avec une société exploitant une chaîne de télévision publique nationale.
Ce travailleur indépendant a publié une vidéo visant à promouvoir la tolérance envers les couples de personnes du même sexe. Quelques jours plus tard, il est informé par la société de la décision d’annulation de ses périodes de service, sans qu’aucun nouveau contrat d’entreprise soit conclu.
S’estimant victime d’une discrimination, il introduit un recours devant la juridiction nationale compétente qui saisit la CJUE d’une question préjudicielle : « si l’article 3, paragraphe 1, sous a) et c), de la Directive n° 2000/78 N° Lexbase : L3822AU4 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale ayant pour effet d’exclure, au titre du libre choix du contractant, de la protection contre les discriminations devant être conférée en vertu de cette Directive, le refus, fondé sur l’orientation sexuelle d’une personne, de conclure ou de renouveler avec cette dernière un contrat ayant pour objet la réalisation, par cette personne, de certaines prestations dans le cadre de l’exercice d’une activité indépendante ».
La solution. Énonçant la solution susvisée, la CJUE affirme qu’une réglementation nationale ne peut pas, au nom de la liberté contractuelle, priver le travailleur indépendant de la protection contre les discriminations prévue par la Directive (CE) n° 2000/78, du Conseil, du 27 novembre 2000, portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail N° Lexbase : L3822AU4.
Elle justifie sa position en soutenant que :
Pour aller plus loin :
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N3982BZI
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par Aurélia Farine, Avocat à la Cour - Associée du Cabinet EXPANSI et Julian Crochet, Avocat à la Cour - Docteur en droit fiscal - Associé du Cabinet EXPANSI
Le 18 Janvier 2023
Mots-clés : projet de loi de finances • budget • finances publiques • démocratie • article 49.3
L’adoption quelque peu secouée du projet de loi de finances pour 2023 n’aura échappé à personne et - pourtant - rien n’apparait plus calme au sein de l’espace démocratique.
Par le recours - quatre fois répété au commencement de cet article et dix fois lors de sa terminaison - à l’article 49.3 de la Constitution, la pratique empruntée par le Gouvernement soulève - à défaut d’un débat relatif aux finances publiques - une question de taille quant à la légitimité démocratique qu’il convient d’attacher au texte législatif.
En effet, si la stabilité de l’État oblige à la fixation d’un budget clarifié en un temps raisonnable, elle semble également questionner l’existence de cette même « raison » lorsqu’il revient aux représentants du peuple français d’y prendre part tout en respectant l’application de l’article susvisé.
À ce titre, un tel constat interroge nécessairement la nature de l’objectif défendu par la loi de finances lorsque l’on sait que seul incombe à l’Assemblée nationale le devoir d’assurer la préservation de l’intérêt général.
Pour mémoire, l’article 14 de la Déclaration des droits de l’Hommes et du Citoyen précise que « Tous les Citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement d'en suivre l'emploi, et d'en déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée ».
Rappelons à ce titre que ladite contribution publique est destinée - par l’article 13 du texte - « à l’entretien de la force publique » et aux « dépenses d'administration ».
Il n’apparaît donc rien de plus « général » que l’intérêt devant être servi par l’ambition régissant la loi de finances.
Aussi et afin de confirmer ce nécessaire principe quant aux réflexions devant préserver la Nation, l’article 34 de la Constitution du 4 octobre 1958 confère au législateur un « vraisemblable » monopole au sujet de l’affectation des finances de l’État.
À la lecture de ces dispositifs, l’expression polycéphale exigée par la démocratie occasionne donc une véritable incertitude quant aux effets de l’article 49.3.
De ce fait et dans le but de combler (ou non) cette dite incertitude, il apparaît nécessaire de décrire l’urgence caractérisant l’élaboration de la loi de finances (I).
En outre et à l’aune de cette même urgence, il convient d’analyser la fréquence ayant illustré le recours à l’article 49.3 au cours de cette dernière année (II).
Enfin et compte tenu de la lecture conférée à cette dite fréquence, l’intérêt poursuivi par le projet de loi devra être mis en balance avec la contrainte générée par ces deux conditions que sont « urgence » et « fréquence » (III).
I. L’urgence attachée au vote de la loi de finances
Conformément au principe d’annualité, l’autorisation conférée au pouvoir exécutif afin qu’il puisse prélever les deniers publics n'est valable qu’au titre d’une seule année.
À cet égard, le site « Vie publique » précise - fort opportunément - que « Ce principe garantit la pérennité des attributions parlementaires et évite que l’exécutif, ayant sollicité une fois l’autorisation, ne s’abstienne de revenir devant le Parlement pour formuler ses demandes financières ».
Force est donc de constater que le rôle du législateur ne subit aucune vraisemblable fracture à la simple lecture des textes les plus “accessibles” pour les citoyens.
Toutefois, le suivi plus approfondi des dispositions de la loi organique n° 2001-692, du 1 août 2001, relative aux lois de finances N° Lexbase : L1295AXA (article 40) rappelle les délais au sein desquels paraît s’enfermer le débat démocratique.
Pour rappel, « L'Assemblée nationale doit se prononcer, en première lecture, dans le délai de quarante jours après le dépôt d'un projet de loi de finances. Le Sénat doit se prononcer en première lecture dans un délai de vingt jours après avoir été saisi. Si l'Assemblée nationale n'a pas émis un vote en première lecture sur l'ensemble du projet dans le délai prévu au premier alinéa, le Gouvernement saisit le Sénat du texte qu'il a initialement présenté, modifié le cas échéant par les amendements votés par l'Assemblée nationale et acceptés par lui. Le Sénat doit alors se prononcer dans un délai de quinze jours après avoir été saisi. Si le Sénat n'a pas émis un vote en première lecture sur l'ensemble du projet de loi de finances dans le délai imparti, le Gouvernement saisit à nouveau l'Assemblée du texte soumis au Sénat, modifié, le cas échéant, par les amendements votés par le Sénat et acceptés par lui. Le projet de loi de finances est ensuite examiné selon la procédure accélérée dans les conditions prévues à l'article 45 de la Constitution. Si le Parlement ne s'est pas prononcé dans le délai de soixante-dix jours après le dépôt du projet, les dispositions de ce dernier peuvent être mises en vigueur par ordonnance ».
Ainsi, le texte confère au pouvoir exécutif un certain rôle dans l’entretien du rythme devant animer les décisions parlementaires.
En outre, le silence - quasi impossible - de ce même Parlement contraint le débat démocratique à l’emploi d’une mesure conférant autorité au Gouvernement - en ultime recours.
Il ressort donc des principes quasi fondamentaux animant l’impôt une volonté claire de protéger le monopole législatif quant au sort des contribuables.
Aussi et selon toute vraisemblance, rien ne semble transmettre une autorité - initiale ou nécessaire - au pouvoir exécutif aux premières heures des discussions budgétaires.
Cette hypothèse se confirme lorsque l’on souhaite apprécier la notion « d’urgence parlementaire » animant l’adoption de la loi de finances, et ce, à la lecture de l’article 40 de la loi organique.
Pour rappel, le Parlement dispose d’un délai de 70 jours à compter du dépôt du projet afin de l’adopter.
Or, au-delà dudit délai, l’article 47 de la Constitution prévoit que « Si le Parlement ne s'est pas prononcé dans un délai de soixante-dix jours, les dispositions du projet peuvent être mises en vigueur par ordonnance. Si la loi de finances fixant les ressources et les charges d'un exercice n'a pas été déposée en temps utile pour être promulguée avant le début de cet exercice, le Gouvernement demande d'urgence au Parlement l'autorisation de percevoir les impôts et ouvre par décret les crédits se rapportant aux services votés ».
Le texte confère donc au Gouvernement un pouvoir « souverain » - en dernière chance - afin d’assurer la continuité des finances de l’État au terme de la susmentionnée durée de 70 jours (le Parlement avait donc jusqu’aux alentours de la mi-décembre 2022 pour rendre son ultime décision).
De ce fait, en l’absence de silence parlementaire, les débats ne devraient subir - en théorie - aucune contrainte au sein de cette « parenthèse temporelle », si ce n’est celles régissant l’organisation des échanges entre les deux chambres et autres modalités inhérentes au fonctionnement de l’Institution.
De manière subséquente, la « confiance » en la démocratie prend pleinement et primairement sa place avant « l’urgence » gouvernementale.
En l’état et sachant ladite « confiance », il s’impose de porter subséquemment la question du présent propos sur l’intérêt pouvant être servi par l’intermédiaire de l’article 49.3, ce dernier conférant au Gouvernement un pouvoir vraisemblablement « hybride » suivant les observations présentées ci-après.
II. Le rythme constitutionnel des finances de l’État
L’emploi du terme « rythme constitutionnel » est délibérément choisi puisqu’il semble à lui seul recouper le phasage consacré par la loi organique décrite plus haut, les rebonds d’urgence (si ledit phasage est insuffisant) mais aussi - et surtout - un « contre rythme » par les traits de l’article 49.3 de la Constitution.
Suivant ce dernier texte, « Le Premier ministre peut, après délibération du conseil des ministres, engager la responsabilité du Gouvernement devant l'Assemblée nationale sur le vote d'un projet de loi de finances ou de financement de la sécurité sociale. Dans ce cas, ce projet est considéré comme adopté, sauf si une motion de censure, déposée dans les vingt- quatre heures qui suivent, est votée dans les conditions prévues à l'alinéa précédent. Le Premier ministre peut, en outre, recourir à cette procédure pour un autre projet ou une proposition de loi par session ».
Entre « confiance » et « urgence » serait donc prévue une « méfiance » éventuelle du Gouvernement, lequel peut miser sur sa propre longévité en pariant contre la cohérence du dialogue parlementaire.
Sous réserve d’un certain goût du risque, la Constitution permettrait d’estimer le jeu démocratique plus faible que celui de l’exécutif.
Aussi et sous réserve que le Gouvernement gagne ce pari, celui-ci serait quasiment certain d’assurer l’adoption forcée de son texte.
Sur ce point, il convient de noter que le terme « pari » comporte dans ce cadre un risque modéré et largement appréciable en amont.
Cela n’est d’ailleurs pas sans rappeler la doctrine suivant laquelle « l’utilisation de l’article entraîne, presque systématiquement, la mise au vote d’une motion de censure, condamnée, en pratique, à échouer » (R. Lanneau – Le Gouvernement – Fiche pratiques – LexisNexis).
Le climat de « méfiance » - qui n’était jusqu’alors qu’une hypothèse - semble ainsi pouvoir faire l’objet d’une démonstration à l’aune des procédures activées au profit du projet de loi de finances pour 2023.
En effet et pour mémoire, le terme signifie « Disposition d’une personne qui se méfie ; crainte d’être trompé ou d’être pris en défaut » (Dictionnaire de l’Académie française).
Aussi, cette vraisemblable « crainte » - comportant donc son lot de dangerosité - doit pouvoir s’analyser dans la réaction du Gouvernement face à un sensible danger.
Justement, si l’on s’attache à la récurrence ayant caractérisé le recours au texte, il semble que les impératifs et répétitifs recours à l’article 49.3 traduisent cette dite crainte. La question est alors d’en apprécier l’origine au regard de la chronologie liée à son utilisation suivant le recensement des données ci-dessous.
Date - Engagement de responsabilité du Gouvernement (Art. 49.3) | Durée des débats depuis le dépôt du PLF 2023 (26 septembre 2022) | Délai restant au Parlement (en toutes hypothèses jusqu’au 16 décembre 2022) |
19.10.2022 (PLF) | 23 jours | 47 jours |
20.10.2022 (PLFSS) | 24 jours | 46 jours |
27.10.2022 (PLFSS) | 31 jours | 39 jours |
02.11.2022 (PLF) | 37 jours | 33 jours |
21.11.2022 (PLFSS) | 56 jours | 14 jours |
25.11.2022 (PLFSS) | 60 jours | 10 jours |
30.11.2022 (PLFSS) | 65 jours | 5 jours |
09.12.2022 (PLF) | 74 jours | -4 jours |
11.12.2022 (PLF) | 76 jours | -6 jours |
15.12.2022 (PLF) | 80 jours | -10 jours |
Selon le présent tableau, les recours à l’article 49.3 apparaissent - à défaut de l’être pleinement - en partie justifiable à partir du 21 novembre 2022.
En effet, ne restant plus qu’une quinzaine de jours afin de faire adopter le projet, il est possible de supposer que le Gouvernement ait eu pour problématique centrale la gestion du facteur « temps ».
Or, une telle observation oblige à s’interroger sur le visible renoncement à l’emploi du texte constitutionnel prévoyant une telle éventualité dans son article 47. Pourquoi privilégier l’article 49.3 ?
À titre de rappel, ledit article 47 précise que « Si le Parlement ne s'est pas prononcé dans un délai de soixante-dix jours, les dispositions du projet peuvent être mises en vigueur par ordonnance ».
Sur ce point et si l’on s’attache à la procédure visant la possibilité de légiférer par ordonnance, l’article 38 du texte dispose que « Le Gouvernement peut […] demander au Parlement l’autorisation de prendre par ordonnance, pendant un délai limité, des mesures qui sont normalement du domaine de la loi ».
Le Parlement est ainsi - toujours - maître de la décision législative puisqu’il doit autoriser le Gouvernement à l’entreprise de ladite procédure au moyen d’une loi d’habilitation.
Par ailleurs, la valeur juridique de l’ordonnance ne franchit la marche législative qu’après ratification par le Parlement.
En conséquence, de sa mise en œuvre à la consécration de sa force, l’ordonnance dépend totalement des volontés du pouvoir législatif.
Rien de plus classique dans un système démocratique prônant le partage des pouvoirs.
Toutefois, un tel processus ne semble fonctionner qu’en vertu de la « confiance » susvisée en ladite démocratie puisque - tel qu’observé – celle-ci conserve sa place cardinale.
En effet, le climat de « méfiance » évoqué précédemment ne rend vraisemblablement pas opportun un tel recours.
Il s’agit donc ici d’un point capital puisque l’article 49.3 exonère de l’intermédiaire parlementaire, ce dernier n’étant plus décideur mais simplement garde-fou par la motion de censure à sa disposition - prévention modérément efficace.
Ainsi et en guise de conclusion primaire, l’emploi de l’article 49.3 apparaît comme la meilleure solution à partir du 21 novembre 2022 en présence d’un environnement combinant « méfiance » et « temps ».
Cependant, l’interrogation persiste si l’on porte attention à la période s’étalant du 19 octobre 2022 au 2 novembre 2022 (soit entre 47 et 33 jours restant au Parlement pour prendre sa décision).
Le facteur « temps » n’étant alors pas un sujet au regard de tels délais, seule la volonté de s’affranchir de la position législative dans un climat de « méfiance » s’identifie comme la plus envisageable des justifications.
Or et quand bien même le discours entre gouvernement et Parlement serait contrarié, une telle situation rend-elle admissible l’exonération démocratique employée par l’article 49.3 ?
Ceci, dans un système qui – pourtant – fonde sa propre légitimité (législatif comme exécutif) sur la voie démocratique – incarnation de l’expression générale en vue de la défense de ses intérêts.
L’impériosité décisionnelle des finances et le rythme constitutionnel doivent donc être mis en contraste avec lesdits intérêts.
III. Qualification de l’intérêt suivi par le projet de loi
Comme décrit précédemment, la vertu initiale du projet de loi de finances est la préservation de l’intérêt général par une affectation adaptée des richesses de l’État.
L’expression démocratique étant - a priori - la méthode la plus appropriée en vue d’assurer l’extraction la plus « généralisée » de l’échantillon dont l’intérêt est recherché, « démocratie » et « intérêt général » semblent suivre le même objectif.
En effet, tandis que le premier renvoie à la notion de « souveraineté collective », le second se rapporte - selon la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen - à la « nécessité publique ».
Le Parlement - dont l’expression collective apparaît comme la plus significative - est donc clairement désigné comme le seul organe à pouvoir légitimement définir les contours de ladite loi.
À cet égard, le Conseil constitutionnel emploie la formule suivante : « l’appréciation de l’intérêt général appartient au législateur » (Décision n° 83-162 DC du 20 juillet 1983 N° Lexbase : A8073ACY).
Or, si le recours à l’article 49.3 de la Constitution permet de s'absoudre de la position démocratique, permet-il tout de même de poursuivre la quête d'intérêt général ?
Si la réponse est positive, il convient alors d’admettre que le Gouvernement soit en mesure de discerner par lui-même ledit intérêt - par ailleurs, reconnu comme comportant un « caractère éminemment politique » selon Guillaume Merland (L'intérêt général, instrument efficace de protection des droits fondamentaux - Cahier du Conseil constitutionnel n° 16 - juin 2004).
Dans ce cas, le rôle du Conseil constitutionnel et sa position hiérarchique doivent être redéfinis puisque la Juridiction elle-même ne se confère pas la compétence d’apprécier l’intérêt général poursuivi par le législateur (H. Roussillon, Le Conseil constitutionnel, Dalloz, 4ème éd., 2000, p. 94).
Suivant un tel paradigme, le Gouvernement devrait se voir logiquement conférer un statut purement législatif et hiérarchiquement indépendant du Président de la République - lequel ne serait plus alors que le seul représentant du pouvoir exécutif.
Si la réponse est négative, l’article 49.3 pourrait apparaître comme le vecteur d’un vide démocratique dans un système où - d’une part - la préservation de l’intérêt général ne pourrait plus être totalement déterminée par le législateur et - d’autre part - son contrôle ne serait pas assuré par le Conseil constitutionnel soucieux de préserver des droits dont le Parlement aurait pourtant été initialement privé.
La matière ayant horreur du vide, il se pose alors la question de la nature illustrant l’intérêt poursuivi lorsque celui-ci ne peut être décrit comme « général ». Au-delà de toute présomption quelque peu raccourcie, il semble judicieux d’avoir recours au caractère « politique » de la quête poursuivie par le Gouvernement.
À cet égard et alors que la notion d’intérêt général semble s’inscrire sur une période plus longue en raison de « l’abstraction » qui le caractérise, la notion « d’intérêt politique » paraît davantage illustrer une prise de décision dont les impacts sont attendus à court terme.
La position politique étant par sa nature même dépendante des tendances, conditions et fluctuations de l’environnement encadrant la décision, il est possible de supposer que l’article 49.3 soit un moyen de raccrocher la loi de finances à la sauvegarde des intérêts immédiats de la Nation - tandis que le recours au Parlement s’inscrirait dans une vision plus lointaine en raison de la « stabilité institutionnelle » que peut garantir sa multitude.
En comparaison, les 41 membres du Gouvernement traduisent une stabilité plausiblement plus fragile lui conférant ainsi la capacité d’apprécier de façon plus immédiate la juste continuité de l’État.
Il demeure alors une interrogation quant à la valeur de la « sensibilité » entretenue par le Gouvernement à l’égard du peuple au regard de celle régissant la mission des Parlementaires.
Suivant cette distinction, l’intérêt général serait alors une position défendue au nom d’une vision subjectivement institutionnelle de la démocratie.
Parlement et gouvernement feraient ainsi valoir leur vision propre dudit intérêt selon les facilités au sein desquels s’inscriraient les débats.
En conséquence et constatant cette versatilité démocratique, une autre question s’identifie donc et tend à simplifier le raisonnement : l’intérêt général existe-t-il encore ? (J.-M. Pontier, L’intérêt général existe-t-il encore ?, D, 1998, chron. p.327).
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Réf. : Cass. soc., 7 décembre 2022, n° 21-18.114, F-D N° Lexbase : A42158YR
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N4022BZY
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par Charlotte Moronval
Le 18 Janvier 2023
► L’employeur n’a pas manqué à son obligation de sécurité dès lors que la directrice du magasin, le jour même où elle a été informée par la salariée des agissements de harcèlement de sa supérieure hiérarchique, a organisé une réunion avec un représentant du personnel pour évoquer les faits dénoncés par l’intéressée et lui a proposé de changer de secteur, que la salariée s’est rapidement entretenue avec le responsable des ressources humaines et qu’une enquête a été menée dans la foulée par des représentants du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail.
Faits et procédure. Une salariée, conseillère de vente, saisit la juridiction prud’homale en résiliation judiciaire de son contrat de travail, invoquant un harcèlement moral et un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité. Elle estime avoir été critiquée, dénigrée y compris en présence de tiers, mise à l’écart de réunions et a vu son périmètre d’intervention réduit par sa supérieure hiérarchique.
La cour d’appel la déboute de sa demande. Elle forme alors un pourvoi en cassation.
La solution. Énonçant la solution susvisée, la Chambre sociale de la Cour de cassation confirme l’arrêt d’appel.
Elle rappelle qu’il n’y a pas manquement à l’obligation de sécurité dès lors que l'employeur justifie avoir pris toutes les mesures de prévention prévues par les articles L. 4121-1 N° Lexbase : L8043LGY et L. 4121-2 N° Lexbase : L6801K9R du Code du travail et, informé de l'existence de faits susceptibles de constituer un harcèlement moral, a pris les mesures immédiates propres à le faire cesser.
En l'espèce, l'employeur a notamment organisé rapidemment une réunion avec la salariée, a fait une proposition de changement de sectueur et a procédé à une enquête avec les représentants du personnel.
Pour aller plus loin : v. ÉTUDE : Le harcèlement moral, Les obligations de l'employeur, in Droit du travail, Lexbase N° Lexbase : E9486YUU. |
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Réf. : CAA Bordeaux, 1re ch., 12 janvier 2023, n° 22BX01113 N° Lexbase : A7263877
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N3958BZM
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par Yann Le Foll
Le 18 Janvier 2023
► Le fait qu’une statue de la Vierge Marie soit située à un croisement de rues qui relève du domaine de la commune constitue une violation du principe d’interdiction par les personnes publiques, d'un signe ou emblème manifestant la reconnaissance d'un culte ou marquant une préférence religieuse dans un « emplacement public ».
Principe. Les dispositions de l’article 28 de la loi du 9 décembre 1905 N° Lexbase : L0978HDL, qui a pour objet d'assurer la neutralité des personnes publiques à l'égard des cultes, s'opposent à l'installation par celles-ci, dans un emplacement public, d'un signe ou emblème manifestant la reconnaissance d'un culte ou marquant une préférence religieuse, sous réserve des exceptions qu’elles ménagent.
Application. En l’espèce, la statue de la Vierge Marie, dont elle retrace l’histoire commencée en 1955 par l’acquisition du monument dont l’actuel édifice n’est qu’une copie, est érigée sur un promontoire portant la mention « Vœux de Guerre » et la commune n’avait pas, selon les juges, l’intention d’exprimer une préférence religieuse en l’y installant en 2020 à la suite de l’accident de circulation qui avait endommagé l’original.
Toutefois, elle constate également que la figure de la Vierge Marie est un personnage important de la religion chrétienne, en particulier catholique, et que la statue présente par elle‑même un caractère religieux.
Décision. La cour administrative d’appel de Bordeaux confirme le jugement du tribunal administratif de Poitiers qui avait annulé la décision de refus du maire de déplacer cette statue et enjoint à cette autorité de procéder à son enlèvement dans un délai de six mois (voir, pour une décision similaire, CE, 3°-8° ch. réunies, 11 mars 2022, n° 454076, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A38327QY).
À ce sujet. Lire Quelle présence (ou pas) des emblèmes religieux sur le domaine des personnes publiques ? Questions à Clément Benelbaz, Maître de conférences en droit public, Université Savoie Mont Blanc, Lexbase Public, mars 2022, n° 899 N° Lexbase : N0877BZI. |
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par Pierre Tifine, Professeur de droit public à l’Université de Lorraine, Directeur scientifique de Lexbase Public, Doyen de la faculté de droit, économie et administration de Metz
Le 19 Janvier 2023
Dans une première décision, le Conseil constitutionnel précise les conditions d’utilisation des drones par les forces de l’ordre (Cons. const., décision n° 2021-834 DC du 20 janvier 2022, Loi relative à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure). Le Conseil d’État sanctionne fortement google en raison d’une information insuffisante sur l’utilisation des cookies publicitaires (CE, 28 février 2022, n° 449209). Il encadre également la possibilité pour l’administration de mettre en place un recours obligatoire à des téléservices, de façon à ménager un accès effectif des usagers aux services publics (CE, 3 juin 2022, n°s 452798, 452806 et 454716 ; CE, avis, 3 juin 2022, n°s 461694, 461695 et 461922). La CNIL a eu l’occasion de préciser son sont point de vue sur le déploiement des caméras « augmentées » dans l’espace public (CNIL Caméras dites « intelligentes » ou « augmentées » dans les espaces publics, Position sur les conditions de déploiement, 19 Juillet 2022). Elle également lourdement sanctionné la société CLEARVIEW AI qui commercialise un logiciel de reconnaissance faciale en méconnaissance des dispositions du RGPD (CNIL, délibération n° SAN-2022-019 du 17 octobre 2022).
Sommaire
Cons. const., décision n° 2021-834 DC du 20 janvier 2022, Loi relative à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure
CE, 28 février 2022, n° 449209
III. Recours obligatoire aux téléservices et accès aux services publics
CE, 3 juin 2022, n°s 452798, 452806 et 454716 ; CE, avis, 3 juin 2022, n°s 461694, 461695 et 461922
IV. Position de la CNIL sur le déploiement des caméras « augmentées » dans l’espace public
Caméras dites « intelligentes » ou « augmentées » dans les espaces publics, position sur les conditions de déploiement, 19 juillet 2022
V. Reconnaissance faciale : sanction de 20 millions d’euros à l’encontre de CLEARVIEW AI
CNIL, délibération n° SAN-2022-019 du 17 octobre 2022
I. Les conditions de l’utilisation des drones par les forces de l’ordre précisées par le Conseil constitutionnel (Cons. const., décision n° 2021-834 DC du 20 janvier 2022, Loi relative à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure N° Lexbase : A83077II)
La loi n° 2021-646 du 25 mai 2021, pour une sécurité globale préservant les libertés N° Lexbase : L5930L4E, avait été censurée dans plusieurs de ses dispositions concernant l’utilisation des drones par les forces de l’ordre [1]. Certes, le Conseil constitutionnel avait jugé que « pour répondre aux objectifs de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l’ordre public et de recherche des auteurs d’infractions, le législateur pouvait autoriser la captation, l’enregistrement et la transmission d’images par des aéronefs circulant sans personne à bord aux fins de recherche, de constatation ou de poursuite des infractions pénales ou aux fins de maintien de l’ordre et de la sécurité public ». Toutefois, il avait estimé que les dispositions litigieuses n’étaient pas suffisamment protectrices des droits fondamentaux. En effet, « eu égard à leur mobilité et à la hauteur à laquelle ils peuvent évoluer, ces appareils sont susceptibles de capter, en tout lieu et sans que leur présence soit détectée, des images d’un nombre très important de personnes et de suivre leurs déplacements dans un vaste périmètre. Dès lors, la mise en œuvre de tels systèmes doit être assortie de mesures garantissant le droit au respect de la vie privée ».
La loi n° 2022-52 du 24 janvier 2022, relative à la responsabilité pénale et la sécurité intérieure N° Lexbase : L7812MAL, donne l’occasion pour le Conseil constitutionnel de se prononcer à nouveau sur ce sujet. Les sages ont validé à cette occasion l’essentiel des dispositions sur l’utilisation des drones notamment par la police et la gendarmerie, tout en émettant plusieurs réserves d’interprétation en vue de mieux cadrer le recours à ces dispositifs en censurant deux dispositions précises.
1. Validation de l’essentiel des dispositions relatives au recours aux drones par les forces de l’ordre
Les juges relèvent d’abord que si ce recours porte atteinte au droit au respect de la vie privée « en adoptant les dispositions contestées, le législateur a poursuivi l'objectif de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l'ordre public ».
Le législateur a précisément circonscrit les finalités justifiant le recours à ces dispositifs. S’agissant des services de police nationale et de gendarmerie nationale ainsi que les militaires déployés sur le territoire national, ils ne peuvent être autorisés à en faire usage « qu’aux fins d’assurer la prévention des atteintes à la sécurité des personnes et des biens dans des lieux particulièrement exposés à des risques de commission de certaines infractions, la protection des bâtiments et installations publics et de leurs abords immédiats particulièrement exposés à des risques d’intrusion ou de dégradation, la sécurité des rassemblements de personnes sur la voie publique ou dans des lieux ouverts au public lorsque ces rassemblements sont susceptibles d’entraîner des troubles graves à l’ordre public, la prévention d’actes de terrorisme, la régulation des flux de transport aux seules fins du maintien de l’ordre et de la sécurité publics, la surveillance des frontières et le secours aux personnes. » Quant aux agents des douanes, ils ne peuvent être autorisés à recourir à ces dispositifs « qu’afin de prévenir les mouvements transfrontaliers de marchandises prohibées ».
2. Les réserves d’interprétation
Les Sages relèvent que le recours aux drones ne peut être autorisé par le préfet que s’il est proportionné au regard de la finalité poursuivie. Les services compétents doivent en conséquence préciser cette finalité et justifier, au regard de celle-ci, la nécessité de recourir aux dispositifs aéroportés.
Sur ce point précis, le Conseil constitutionnel énonce deux réserves d’interprétation. Tout d’abord, l’autorisation du préfet ne saurait être accordée qu’après qu’il se soit assuré que le service ne peut employer d'autres moyens moins intrusifs au regard du droit à la vie privée ou que l’utilisation de ces autres moyens serait susceptible d’entraîner des menaces graves pour l’intégrité physique des agents.
Ensuite, l’autorisation accordée par le préfet ne pas être permanente. Ainsi « elle ne peut être délivrée, lorsqu’il s'agit d’assurer la sécurité d’un rassemblement public, que pour la durée de ce dernier et, pour les autres finalités, que pour une durée maximale de trois mois ». Elle ne peut être renouvelée que si les conditions de sa délivrance continuent d’être réunies, étant précisé qu’un « tel renouvellement ne saurait, sans méconnaître le droit au respect de la vie privée, être décidé par le préfet sans qu’il soit établi que le recours à ces dispositifs aéroportés demeure le seul moyen d’atteindre la finalité poursuivie ».
Enfin, si la loi précise que « ces dispositifs aéroportés ne peuvent procéder à aucun rapprochement, interconnexion ou mise en relation automatisé avec d’autres traitements de données à caractère personnel », le Conseil constitutionnel énonce que ces « dispositions ne sauraient, sans méconnaître le droit au respect de la vie privée, être interprétées comme autorisant les services compétents à procéder à l’analyse des images au moyen d’autres systèmes automatisés de reconnaissance faciale qui ne seraient pas placés sur ces dispositifs aéroportés ».
3. Les dispositions censurées
La loi déférée au contrôle du Conseil constitutionnel prévoyait que, en cas d’urgence résultant d’« une exposition particulière et imprévisible à un risque d’atteinte caractérisée aux personnes ou aux biens », ces mêmes services peuvent recourir immédiatement à des dispositifs aéroportés, pour une durée pouvant atteindre quatre heures et à la seule condition d’en avoir préalablement informé le préfet. Il est donc possible, en application de ces dispositions de permettre le déploiement de caméras aéroportées sans autorisation du préfet, sans le réserver à des cas précis et d’une particulière gravité, et sans définir les informations qui doivent être portées à la connaissance de ce dernier. Ces dispositions, qui n’assurent pas la conciliation entre le droit au respect de la vie privée et l’objectif de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l’ordre public, sont invalidées par le Conseil constitutionnel.
Enfin, le Conseil constitutionnel invalide les dispositions de la loi organisant une expérimentation de l’utilisation des drones par les policiers municipaux pour une durée de cinq ans. Ce dispositif devait être utilisé pour assurer « la régulation des flux de transport » ainsi que « les mesures d’assistance et de secours aux personnes », mais également « la sécurité des manifestations sportives, récréatives ou culturelles ». Les sages ont considéré que le législateur n’avait pas limité cette utilisation « aux manifestations particulièrement exposées à des risques de troubles graves à l’ordre public ». En outre, si le législateur a prévu que le préfet devait donner son autorisation, « il n’a pas prévu que ce dernier puisse y mettre fin à tout moment, dès lors qu’il constate que les conditions ayant justifié sa délivrance ne sont plus réunies ».
II. Information insuffisante sur l’utilisation des cookies publicitaires : le Conseil d’État confirme la sanction infligée à Google (CE,28 février 2022, n° 449209 N° Lexbase : A92167KK)
Le 7 décembre 2020, la CNIL avait condamné la société Google à payer deux amendes d’un montant total de 100 millions d’euros, notamment au motif qu’elle n’avait pas recueilli le consentement des utilisateurs avant tout dépôt de cookies ou autres traceurs, en violation de l’article 82 de la loi n° 78-17 du 6 juillet 1978 N° Lexbase : L8794AGS, dite « loi informatique et libertés » [2], transposant l’article 5 de la Directive « ePrivacy » du 13 juillet 2002 [3].
On rappellera ici qu’un cookie « est un petit fichier stocké par un serveur dans le terminal (…) d’un utilisateur et associé à un domaine web (…) Ce fichier est automatiquement renvoyé lors de contacts ultérieurs avec le même domaine » [4]. Il permet notamment à des tiers de collecter des informations sur les utilisateurs, principalement à des fins publicitaires.
Si cette pratique est légale elle est étroitement encadrée par les textes. Plus précisément, l’article 82 de la loi « informatique et libertés » prévoit que tout abonné ou utilisateur d’un service de communications électroniques doit être informé de manière claire et complète à la fois de la finalité de l’utilisation des cookies et des moyens dont il dispose pour s’y opposer.
Saisi d’un recours dirigé contre la délibération du 7 décembre 2020, le Conseil d’État reconnait dans un premier temps la compétence de la CNIL en matière de dépôt de cookies y compris lorsqu’est en cause un traitement de données transfrontalier (A), avant de confirmer la sanction infligée à Google en raison du manquement à l’obligation d’information préalable des utilisateurs (B).
A. La CNIL est compétente en matière de dépôt de cookies lorsqu’est en cause un traitement de données transfrontalier
En principe, en application de l’article 56 du RGPD, concernant un traitement de données transfrontalier, c’est « l’autorité de contrôle de l’établissement principal ou de l’établissement unique du responsable du traitement ou du sous-traitant » qui est compétente pour agir « en tant qu’autorité de contrôle chef de file ». Les sociétés Google LLC et Google Ireland Limited ayant leur siège en Irlande, c’est donc a priori l’autorité de protection des données irlandaise qui devrait être compétente.
Le Conseil d’État confirme toutefois la compétence de la CNIL pour prendre des sanctions sur le dépôt de cookies en dehors du mécanisme de guichet unique. En effet, le système du guichet unique prévu par le RGPD n’est pas applicable en matière de dépôts de cookies. C’est donc aux Etats membres qu’il appartient de déterminer leurs règles de compétence en matière de sanction comme le précise l’article 5 bis de la Directive 2002/58/CE du 12 juillet 2002, concernant le traitement des données à caractère personnel et la protection de la vie privée dans le secteur des communications électroniques (directive vie privée et communications électroniques) N° Lexbase : L6515A43, dite « vie privée et communications électroniques », qui prévoit un régime juridique particulier pour les cookies. C’est cette interprétation qui a été retenue par la Cour de justice dans ses arrêts « Bundesverband der Verbraucherzentralen und Verbraucherverbände Verbraucherzentrale Bundesverband eV/Planet49 GmbH » du 1er octobre 2019 [5] et « Facebook Ireland Ltd e.a. » du 15 juin 2021 [6] qui est ici retenue par le Conseil d’État. Or, d’après la loi française, c’est bien la CNIL qui est compétente pour connaître des violations du RGPD et de loi « informatique et libertés », y compris celles concernant l’article 82 de cette loi, relatif au dépôt de cookies.
B. La sanction d’un manquement à l’information préalable des utilisateurs
Sur le fond, le Conseil d’État confirme les trois violations à l’article 82 de la loi « Informatique et Libertés » qui avaient été sanctionnées par la CNIL : le dépôt de cookies sans consentement préalable de l’utilisateur, le défaut d’information de l’utilisateur et la défaillance partielle du mécanisme proposé pour refuser les cookies.
Contrairement à ce qu’affirmait la société Google, les cookies avaient bien un objet exclusivement publicitaire et leur dépôt était donc bien soumis à l’obligation d’information préalable.
Antérieurement à la mise en œuvre de la procédure de sanction, la CNIL avait constaté que lorsqu’un utilisateur se rendait sur la page « google.fr », sept cookies étaient automatiquement déposés sur son terminal, sans action de sa part, dès son arrivée sur le site. L’information était seulement accessible en cliquant sur une mention présente dans un bandeau d'informations en pied de page, puis en faisant défiler la fenêtre sans cliquer sur cinq liens hypertextes thématiques figurant dans le contenu, pour enfin cliquer sur un bouton « autres options » qui contenait l'information.
Postérieurement à l’engagement de la procédure de sanction, les sociétés requérantes avaient mis à jour leur système, de telle sorte que, depuis le 10 septembre 2020, l'utilisateur arrivant sur la page « google.fr » voyant désormais s’afficher, au milieu de son écran avant de pouvoir accéder au moteur de recherche, une fenêtre surgissante intitulée « Avant de continuer », qui contient une information préalable sur l’utilisation de cookies par Google et comporte deux boutons intitulés « Plus d’informations » et « J’accepte ». Toutefois, pour le Conseil d’État, « les indications ainsi fournies n’informent pas directement et explicitement l’utilisateur sur les finalités des cookies et les moyens de s’y opposer ».
Les juges considèrent enfin que mesures prononcées par la CNIL étaient suffisamment proportionnées eu égard à « la part de marché supérieure à 90 % représentée par le moteur de recherche de Google, avec une estimation de 47 millions d'utilisateurs en France, ainsi que des bénéfices particulièrement importants produits par le segment de la publicité ciblée en ligne permise par les données collectées par le recours aux cookies ».
Notons que les difficultés google n’étaient pas terminées, la CNIL ayant prononcé une nouvelle sanction à l’encontre de cette entreprise le 31 décembre 2021, portant non plus sur l'information des personnes mais sur la façon dont leur consentement est recueilli.
Ces différentes décisions ont fini par faire réagir google qui a annoncé en avril 2022 de nouvelles options de consentement relatif aux cookies en Europe. Les utilisateurs ont désormais le choix entre deux boutons : « Tout accepter » ou « Tout refuser », qui sont désormais clairement affichés. Un troisième bouton « Plus d’options » permet de personnaliser le choix des cookies.
Enfin, on relèvera que dans un arrêt du 27 juin 2002 [7], le Conseil d’État a rappelé que la CNIL était compétente pour sanctionner les manquements à l’article 82 de la loi « Informatique et Libertés », même dans le cas où le responsable de traitement n’est pas en établi en France, mais qu’il dispose sur le territoire français d’un établissement impliqué dans les activités liées au traitement effectué. Il s’agissait dans cette dernière affaire de la promotion et la commercialisation d’outils publicitaires par la société Amazon Online France.
III. Recours obligatoire aux téléservices et accès aux services publics (CE, 3 juin 2022, n°s 452798, 452806 et 454716 N° Lexbase : A99817YC ; CE, avis, 3 juin 2022, n°s 461694, 461695 et 461922 N° Lexbase : A05907ZU)
Dans un contexte de dématérialisation massive, le Conseil d’État a été amené à se prononcer, dans une décision et un avis du 3 juin 2022, sur la question de savoir s’il était légal d’imposer aux usagers d’accomplir des démarches administratives en ligne, plus précisément dans le domaine de la délivrance des titres de séjour.
Cette question se pose de deux points de vue différents.
Tout d’abord, de leur propre initiative, un certain nombre de préfectures ont organisé des téléservices rendant obligatoire, pour certaines demandes de titres de séjour, la saisine de l’administration par voie électronique pour obtenir un rendez-vous ou déposer la demande. C’est la légalité de ces initiatives qui fait l’objet d’une demande d’avis au Conseil d’État, conformément à l’article L. 113-1 du Code de justice administrative N° Lexbase : L2626ALT.
Ensuite, le décret n° 2021-313 du 24 mars 2021, relatif à la mise en place d'un téléservice pour le dépôt des demandes de titres de séjour N° Lexbase : L7980L3X, et son arrêté d’application du 27 avril 2021 N° Lexbase : Z08816UE ont voulu donner une base juridique plus solide à ces initiatives en mettant en place un téléservice dénommé « Administration numérique pour les étrangers en France » (ANEF) pour la délivrance de certains titres de séjour. Ce décret fait l’objet d’un recours pour excès de pouvoir de plusieurs associations.
Ce qui est au centre de l’avis et de la décision du Conseil d’État c’est la question de l’accès aux services publics. Certes, cet accès est censé être facilité par la dématérialisation, laquelle doit éviter les longues files d’attente devant les services des préfectures. Toutefois, s’agissant de publics souvent en situation de précarité et parfois ne maîtrisant ni l’outil informatique, ni la langue française, le recours au tout informatique peut constituer un obstacle rédhibitoire, comme cela a pu être constaté à deux reprises par le Défenseur des droits [8]. Que ce soit dans son avis ou dans son arrêt du 3 juin 2022, le Conseil d’État se montre favorable à l’émergence de ces procédures dématérialisées, en posant toutefois un certain nombre de garde-fous garantissant un accès effectif aux services publics
1. Un chef de service peut mettre en place un téléservice
L’intérêt de cette question, abordée par l’avis de 3 juin 2022, peut paraître très relatif, les initiatives des préfets en matière de dématérialisation de la procédure de délivrance de titres de séjours étant désormais encadrée par le décret et l’arrêté susvisés du 24 mars 2021. En réalité, toutefois, les enseignements que l’on peut tirer de cet avis sont transposables à l’ensemble des administrations pour lesquelles aucun texte n’organise de téléservices.
La première question qui se posait ici consistait à déterminer si les initiatives préfectorales dans le domaine de la dématérialisation d’une partie de la procédure de délivrance des titres de séjour pouvaient être regardées comme aboutissant à la mise en place d’un téléservice au sens de l’ordonnance n° 2005-1516 du 8 décembre 2005, relative aux échanges électroniques entre les usagers et les autorités administratives et entre les autorités administratives N° Lexbase : L4696HDB, l’article 1, II, 4° de ce texte définissant comme téléservice « tout système d’information permettant aux usagers de procéder par voie électronique à des démarches ou formalités administratives ». Or, comme on l’a mentionné, il ne s’agit pas ici de délivrer un titre de séjour par voie dématérialisée, mais exclusivement de permettre la prise d’un rendez-vous ou de déposer certaines pièces justificatives. Prônant une interprétation particulièrement souple de ces dispositions le Conseil d’État considère toutefois que doit être regardé comme un téléservice au sens de cette ordonnance, non seulement un système permettant à un usager de procéder par voie électronique à l’intégralité d’une démarche ou formalité administrative, mais aussi un système destiné à recevoir, par voie électronique et dans le cadre d’une telle démarche ou formalité, une demande de rendez-vous ou un dépôt de pièces ».
La seconde question consistait à déterminer si l’instauration d’un téléservice par certaines préfectures entrait dans le cadre légal défini par l’article L. 112-8 du Code des relations entre le public et l’administration N° Lexbase : L1776KN4, qui appréhende cette question uniquement du point de vue du droit des administrés à saisir l’administration par voie électronique. L’article L. 112-10 du même code N° Lexbase : L5051LAC prévoit que ce droit peut être écarté « par décret en Conseil d’État, pour des motifs d’ordre public, de défense et de sécurité nationale, de bonne administration ou lorsque la présence personnelle du demandeur apparaît nécessaire ». Or, précisément, le décret n° 2015-1423 du 5 novembre 2015, relatif aux exceptions à l’application du droit des usagers de saisir l’administration par voie électronique N° Lexbase : L2422KQR, prévoyait, dans sa rédaction initiale, que les dispositions des articles L. 112-8 N° Lexbase : L1776KN4 et L. 112-9 N° Lexbase : L1777KN7 du même code ne s’appliquaient pas aux démarches ayant pour objet les documents de séjour et titres de voyage. Ceci s’explique principalement par le fait que l’article R. 311-1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile N° Lexbase : L4509LZZ prévoyait que « tout étranger (…) qui sollicite un titre de séjour (…) est tenu de se présenter » devant les services compétents.
Dans le silence des textes, le Conseil d’État décide de recourir à la célèbre jurisprudence « Jamart » [9] relative au pouvoir réglementaire autonome des chefs de service pour considérer que ces dispositions « n’ont pas elles-mêmes, ni pour objet, ni pour effet, d’interdire à l’administration de mettre des téléservices à la disposition des usagers pour les démarches administratives qui sont exclues de ce droit ». Les préfets n’ont toutefois pas la possibilité de déroger à l’obligation de présentation personnelle figurant dans le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile : avant l’intervention du décret du 24 mars 2021, l’enregistrement de la demande ne pouvait donc pas être dématérialisée, ce processus devant être réservé aux démarches préalables à cet enregistrement.
2. Un chef de service ne peut pas rendre obligatoire le recours à un téléservice
Si les préfets peuvent donc, sans y être habilités par un texte, créer un téléservice destiné à la prise de rendez-vous et au dépôt de pièces en vue de la présentation d’une demande de titres de séjour, le Conseil d’État estime qu’ils n’ont pas la possibilité de rendre obligatoire son usage.
La juridiction administrative suprême précise ici que « avant l’entrée en vigueur du décret du 24 mars 2021, les préfets ne tenaient pas de leurs pouvoirs d’organisation du service la compétence pour rendre l’emploi des téléservices obligatoire ».
3. Le pouvoir réglementaire peut rendre obligatoire le recours à un téléservice
Il convenait alors de déterminer si le pouvoir réglementaire pouvait lui-même mettre en place un téléservice obligatoire, comme il l’a fait par le décret du 24 mars 2021.
Ce décret prévoit en effet une exception à la règle de la présentation personnelle en préfecture, l’article R. 431-2 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile N° Lexbase : L8257L39 précisant désormais que « la demande d’un titre de séjour figurant sur une liste fixée par arrêté du ministre chargé de l’immigration s’effectue au moyen d’un téléservice ». Concrètement, cela implique non pas le droit mais l’obligation pour les usagers d’utiliser ce téléservice.
Il résulte de la jurisprudence du Conseil constitutionnel que l’édiction de nouvelles règles de procédure administrative relève de la compétence du pouvoir réglementaire [10]. S’inspirant de cette jurisprudence, le Conseil d’État décide, dans sa décision du 3 juin 2022, que l’obligation de recourir à un téléservice pour accomplir une démarche administrative « n’a pas pour effet de modifier les conditions légales auxquelles est subordonnée (la) délivrance » de l’autorisation de séjour et « ne met pas en cause, par elle-même, les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques non plus qu'aucune autre règle ou aucun autre principe dont l’article 34 ou d'autres dispositions de la Constitution prévoient qu’ils relèvent du domaine de la loi ».
Quant aux dispositions des articles L. 112-8 à L. 112-10 du Code des relations entre le public et l’administration, si elles créent un droit, pour les usagers, de saisir l’administration par voie électronique, sans le leur imposer « elles ne font cependant pas obstacle à ce que le pouvoir réglementaire édicte une obligation d’accomplir des démarches administratives par la voie d'un téléservice ».
Le Conseil d’État énonce ensuite que « ni les principes d’égalité devant la loi, d’égalité devant le service public et de continuité du service public, ni le droit à la compensation du handicap énoncé par l'article L. 114-1-1 du Code de l’action sociale et des familles N° Lexbase : L4905LWL, ni le principe de non-discrimination reconnu par l'article 14 de la CESDH N° Lexbase : L4747AQU, ni, en tout état de cause, les autres droits garantis par la même convention, l'article 9 de la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées N° Lexbase : L1043LIH ou la loi n° 2008-496 27 mai 2008, portant diverses dispositions d’adaptation du droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations N° Lexbase : L8986H39, ne font obstacle, par principe, à ce que soit rendu obligatoire le recours à un téléservice pour accomplir une démarche administrative, et notamment pour demander la délivrance d'une autorisation ».
Si cela n’apparaît pas expressément dans la décision du 3 juin 2022, c’est bien le principe de mutabilité - ou d’adaptabilité - du service public qui sous-tend le raisonnement du Conseil d’État. Ce principe suppose que le régime des services publics doit pouvoir être adapté en fonction des évolutions techniques, des besoins sociaux et des exigences de l’intérêt général. Même s’il n’est pas expressément mentionné, c’est déjà ce principe qui inspire le Conseil d’État dans le célèbre arrêt du 10 janvier 1902 [11] « Compagnie nouvelle de gaz de Déville-lès-Rouen ». Dans cette affaire, la juridiction administrative suprême admet que l’administration peut procéder à la modification unilatérale d’un contrat lui permettant de demander à son cocontractant, qui utilisait le gaz pour assurer l’éclairage public, à recourir désormais à l’électricité. Mais si les usagers ne peuvent pas non plus s’opposer aux évolutions concerner le fonctionnement des services publics, ces évolutions, comme le précise le Conseil d’État dans un arrêt « Vincent » du 25 juin 1969 [12], ne doivent pas avoir « pour effet de limiter dans des conditions anormales le droit d’accès des usagers au service public ».
4. L’obligation de recourir à un téléservice n’est possible « qu’à la condition de permettre l’accès normal des usagers au service public et de garantir aux personnes concernées l’exercice effectif de leurs droits »
Si l’administration peut aménager l’accès aux services publics, les évolutions qu’elle met en œuvre ne sauraient répondre qu’à sa seule convenance et avoir pour effet d’en limiter l’accès. Ainsi, dans sa décision du 3 juin 2022, le Conseil d’État énonce que le pouvoir réglementaire ne peut édicter une obligation de recourir à un téléservice « qu’à la condition de permettre l’accès normal des usagers au service public et de garantir aux personnes concernées l’exercice effectif de leurs droits ». Il doit pour cela tenir compte « de l’objet du service, de la complexité des démarches (…) et de leurs conséquences pour les intéressés, des caractéristiques de l’outil numérique (…) ainsi que de celles du public concerné, notamment (…) de ses difficultés dans l’accès aux services en ligne ou dans leur maniement ». Ici c’est la prise en compte du « public concerné » qui est susceptible de générer des difficultés, pour des raisons de compétence linguistique, mais également de compétence en matière d’outils numériques, ce qui renvoie à la notion récente « d’illettrisme électronique » ou en encore « d’illectronisme » [13] qui concerne 17 % de la population, soit près de 13 millions de personnes en France, selon une étude récente de la Défenseure des droits [14].
Il existe donc une gradation dans les mesures que doit prendre l’autorité compétente lorsqu’elle met en place un téléservice en vue de garantir à tous un accès au service public. Dans certains cas, le téléservice peut être obligatoire, et cela sans qu’aucune alternative ne soit aménagée, parce que le public concerné est censé être rompu à l’outil informatique. À titre d’exemple, l’article D. 612-1 du Code de l’éducation N° Lexbase : L3072LWP précise que « la procédure nationale de préinscription dans une formation initiale du premier cycle de l’enseignement supérieur (…) est dématérialisée et gérée par un téléservice national, dénommé Parcoursup, placé sous la responsabilité du ministre chargé de l’enseignement supérieur ». Dans d’autres cas, le recours au téléservice est obligatoire, mais des aménagements sont prévus. Ainsi, par exemple, l’article R. 5411-2 du Code du travail N° Lexbase : L9335KLC précise que si « l’inscription sur la liste des demandeurs d’emploi est faite par voie électronique auprès de Pôle emploi (…) À défaut de parvenir à s'inscrire lui-même par voie électronique, le travailleur recherchant un emploi peut procéder à cette inscription dans les services de Pôle emploi, également par voie électronique, et bénéficier le cas échéant de l’assistance du personnel de Pôle emploi ». Enfin, dans d’autres hypothèses, une alternative physique à la dématérialisation est prévue. C’est le cas, par exemple, en matière d’impôt sur le revenu, conformément à l’article l 1649 quater B quinquies du Code général des impôts N° Lexbase : L6955LL8, lorsque le contribuable n’a pas accès à une connexion internet.
Au cas d’espèce, les juges relèvent que si le nouvel article R. 431-2 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit un accueil et un accompagnement des demandeurs de titre de séjour leur permettant d’accomplir les formalités exigées, il ne prévoit pas de « solution de substitution destinée, par exception, à répondre au cas où, alors même que l’étranger aurait préalablement accompli toutes les diligences qui lui incombent et aurait notamment fait appel au dispositif d’accueil et d’accompagnement prévu, il se trouverait dans l’impossibilité d’utiliser le téléservice pour des raisons tenant à la conception de cet outil ou à son mode de fonctionnement » En outre, l’arrêté du 27 avril 2021 également attaqué ne prévoit aucune modalité d’accueil et d’accompagnement, celles-ci ne figurant que dans une circulaire ultérieurement publiée le 20 août 2021. L’accès au service public des usagers n’étant pas suffisamment garanti, les dispositions susvisées sont annulées par le Conseil d’État.
IV. Position de la CNIL sur le déploiement des caméras « augmentées » dans l’espace public (Caméras dites « intelligentes » ou « augmentées » dans les espaces publics, Position sur les conditions de déploiement, 19 juillet 2022)
Depuis quelques années, les caméras dites « augmentées » ou « intelligentes » sont de plus en plus présentes dans l’espace public. Il s’agit de dispositifs « constitués de logiciels de traitements automatisés d’images associés à des caméras » qui « permettent d’extraire diverses informations à partir de flux vidéo qui en sont issus ». Elles sont donc plus performantes que les caméras biométriques qui permettent seulement la reconnaissance faciale et donc l’identification ou l’authentification d’une personne de manière unique, par comparaison avec un gabarit filmé ou existant. Elles permettent en effet, sans identifier une personne de manière unique, de repérer des comportements considérés comme « suspects » pouvant laisser présumer une infraction passée ou imminente, résultant par exemple d’attroupements ou de mouvements rapides d’individus dans un lieu donné. Les personnes peuvent ainsi être analysées de manière automatisée, en temps réel, afin de collecter certaines informations les concernant, ce qui peut donner lieu à un traitement massif de données à caractère personnelles, et cela sans que les personnes concernées n’aient donné leur consentement. Elles représentent en conséquence un risque accru de surveillance généralisée des personnes par une analyse généralisée de leurs comportements.
À l’issue d’une consultation publique, la CNIL a publié sa position sur les conditions de déploiement des dispositifs de vidéo « augmentée » dans les lieux ouverts au public.
Elle pointe d’abord l’insuffisance du cadre législatif et réglementaire actuel, les dispositions du Code de la sécurité intérieure visant les dispositifs de télésurveillance n’étant pas adaptés à ces nouvelles technologies.
Mais si les textes sont donc inadaptés, ils n’interdisent pas pour autant le recours aux caméras augmentées.
Toutefois, la CNIL appelle les pouvoirs publics à une vigilance sur trois points.
Tout d’abord, ces nouveaux dispositifs, parce qu’ils captent et analysent des données, en particulier des images qui permettent d’identifier des personnes, doivent impérativement respecter les grands principes de la réglementation protégeant les données personnelles. Ceci implique d’abord, conformément à l’article 5.1.b du RGPD, que les responsables doivent avant tout déploiement de ce type de dispositif avoir clairement défini les finalités poursuivies, qui devront être déterminées, explicites et légitimes. Ensuite, la base légale permettant de fonder le traitement de données devra être déterminée, au cas par cas, dans les conditions prévues à l’article 6 du RGPD. La base légale de l’intérêt légitime du responsable de traitement ne pourra être retenue que sous réserve de la justification du respect des conditions suivantes : légitimité de l’intérêt poursuivi par le responsable de traitement ; nécessité du traitement de données envisagé pour répondre à cet intérêt légitime ; absence d’atteinte disproportionnée aux intérêts et droits des personnes concernées compte tenu de leurs attentes raisonnables à l’égard de ce traitement. Plus généralement, le responsable du traitement devra faire, au préalable, une démonstration de la proportionnalité (c’est-à-dire des conditions de mise en œuvre du dispositif par rapport aux objectifs poursuivis) du dispositif envisagé. Sur ce point - particulièrement sensible - la CNIL indique que des mécanismes effectifs de protection des données et de la vie privée dès la conception (privacy by design) devront être mis en œuvre pour permettre de réduire les risques pour les personnes concernées. Elles pourraient consister, par exemple, à intégrer des mesures permettant la suppression quasi-immédiate des images sources ou la production d’informations anonymes.
Ensuite, un encadrement législatif est nécessaire concernant les dispositifs les plus intrusifs, c’est-à-dire ceux qui impactent le plus l’exercice des droits et libertés fondamentaux des personnes. Dans le silence de la loi, ni les services de police, ni les collectivités territoriales ne sont habilités à brancher sur les caméras de vidéoprotection des dispositifs d’analyse automatique permettant de repérer des comportements contraires à l’ordre public ou des infractions.
Enfin, les personnes filmées et analysées par les dispositifs de caméras « augmentées » disposent de droits reconnus par la réglementation sur la protection des données, notamment du droit à l’information et du droit de s’opposer au traitement mis en œuvre. Or, ce dernier droit ne peut en principe être mise en œuvre, l’analyse des images se faisant de façon instantanée et celles-ci n’étant pas conservées.
Pour la CNIL, une telle limitation des droits des personnes n’est possible que dans deux cas de figure : le traitement impliqué par le dispositif de vidéo « augmentée » poursuit une finalité statistique au sens du RGPD ; le droit d’opposition est écarté, sur le fondement de l’article 23 du RGPD, par un texte spécifique qui devra acter la légitimité et la proportionnalité du traitement opéré au regard de l’objectif poursuivi, la nécessité d’exclure la faculté pour les personnes de s’y opposer, tout en fixant des garanties appropriées au bénéfice de ces dernières.
En conséquence, « dans de nombreux cas, il sera donc nécessaire que des textes, réglementaires ou législatifs, autorisent l’usage des caméras augmentées dans l’espace public. Cette analyse juridique rejoint la nécessité politique pour la puissance publique de tracer la ligne, au-delà du « techniquement faisable, entre ce qu’il est souhaitable de faire d’un point de vue éthique et social et ce qui ne l’est pas dans une société démocratique ».
V. Reconnaissance faciale : sanction de 20 millions d’euros à l’encontre de CLEARVIEW AI (CNIL, délibération n° SAN-2022-019 du 17 octobre 2022 [LXB=X7540CNL])
Clearview AI est une société américaine qui a créé un logiciel de reconnaissance faciale basé sur une technologie permettant de rechercher un visage parmi une base de données de plus de vingt milliards d’images. Ces images sont obtenues par « web scraping » ou « harvesting », c’est-à-dire par extraction du contenu de sites web en vue de le transformer pour permettre son utilisation dans un autre contexte [15]. Concrètement, la société a créé un moteur de recherche permettant de rechercher un individu grâce à sa photographie, ce qui peut être utile notamment pour l’identification par les forces de l’ordre des auteurs ou des victimes d’infraction. Pour ce faire, est constitué un « gabarit biométrique », c’est-à-dire une représentation numérique des caractéristiques physiques du visage des personnes. Au sens du RGPD, il s’agit ici de données sensibles dès lors qu’elles sont liées à l’identité physique d’une personne et qu’elles permettent son identification. Or - cela relève de l’évidence – la très grande majorité des personnes dont les images sont utilisées ignorent être concernées par ce dispositif.
Plusieurs particuliers, mais également l’association Privacy International ont alerté la CNIL sur les pratiques de la société CLEARVIEW AI.
Les investigations menées par la CNIL ont permis de constater deux manquements au RGPD :
- une violation de l’article 6 en raison de la mise en place d’un traitement illicite de données personnelles, la collecte et l’utilisation des données biométriques n’ayant pas de base légale ;
- et une violation des articles 12, 15 et 17 en raison d’une absence de prise en compte satisfaisante et effective des droits des personnes.
En conséquence, le 26 novembre 2021, la présidente de la CNIL a demandé à la société de cesser la collecte et l’usage des données de personnes se trouvant sur le territoire français en l’absence de base légale, de faciliter l’exercice des droits des personnes concernées et de faire droit aux demandes d’accès et d’effacement formulées.
La société CLEARVIEW AI n’ayant pas apporté de réponse dans le délai de deux mois qui lui était imparti, la présidente de la CNIL a décidé de saisir la formation restreinte qui a prononcé la sanction pécuniaire maximale prévue par l’article 83 du RGPD, soit 20 millions d’euros. En raison des risques très importants pour les droits fondamentaux des personnes elle a également enjoint à CLEARVIEW AI de ne pas procéder, sans base légale, à la collecte et au traitement de données des personnes se trouvant en France et de supprimer les données de ces personnes qu’elle a déjà collectées, dans un délai de deux mois. Cette injonction est assortie d’une astreinte de 100 000 euros par jour de retard au-delà de ce délai
[1] Cons. const., 20 mai 2021, décision n° 2021-817 DC, Loi pour une sécurité globale préservant les libertés N° Lexbase : A25374SR ; v. B. Pauvert, L’utilisation des drones à l’appui de la sécurité, JCP éd. A 2021, comm. 2220.
[2] CNIL, délibération n° SAN-2020-012 N° Lexbase : X4445CML.
[3] Directive 2002/58/CE du 12 juillet 2002, modifiée par Directive 2009/136/CE du 25 novembre 2009 N° Lexbase : L1208IGT.
[4] CNIL, La définition d'un cookie.
[5] CJUE, 1er octobre 2019, aff. C-673/17, Planet49 GmbH N° Lexbase : A1226ZQH.
[6] CJUE, 15-06-2021, aff. C-645/19, Facebook Ireland Ltd N° Lexbase : A00664WD.
[7] CE, 27 juin 2022, n° 451423 N° Lexbase : A598078Y.
[8] Défenseur des droits, décision n° 2020-14210 du juillet 2020, relative aux difficultés résultant de procédures dématérialisées rencontrées par des personnes étrangères pour déposer leur demande d'admission au séjour N° Lexbase : X0804CKY ; Défenseur des droits, décision n° 2020-252 du 18 décembre 2020, relative aux difficultés rencontrées lors du dépôt d’une première demande de titre de séjour du fait de l’impossibilité de prendre rendez-vous par l’intermédiaire de la plateforme en ligne de la préfecture N° Lexbase : X8021CMZ.
[9] CE, 7 février 1936, n° 43321 N° Lexbase : A8004AY4, Rec. p.172, S. 1937, III, p. 113, note J. Rivero.
[10] Cons. const., décision n° 88-154 L du 10 mars 1988, Nature juridique des deux premiers alinéas de l’article 7 de la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 modifiée portant diverses mesures d’amélioration des relations entre l’administration et le public N° Lexbase : A8184AC4.
[11] CE, 10 janvier 1902, n° 94624 N° Lexbase : A6862B7B, Rec. p. 5, S. 1902, III, p. 17, note M. Hauriou.
[12] CE, 25 juin 1969, n° 69449 N° Lexbase : A7261B8G, Rec. p. 334.
[13] V. J.-M. Pontier, Lutte contre l’illectronisme ?, AJDA, 2020, p. 2225.
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Réf. : Décret n° 2023-10, du 9 janvier 2023, relatif aux procédures orales d'instruction devant le juge administratif N° Lexbase : L5315MGX
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par Yann Le Foll
Le 18 Janvier 2023
► Le décret n° 2023-10, du 9 janvier 2023, relatif aux procédures orales d'instruction devant le juge administratif, publié au Journal officiel du 10 janvier 2023, a pour objet la pérennisation et l’extension de l'expérimentation des séances orales d'instruction et des audiences d'instruction devant le Conseil d'État.
Rappel. Le décret n° 2020-1404 du 18 novembre 2020 N° Lexbase : L6929LYB a introduit devant le Conseil d'État, à titre expérimental pour une durée de dix-huit mois, la possibilité pour une formation chargée de l'instruction d'organiser une séance orale d'instruction et, pour une formation de jugement, de tenir une audience d'instruction. Le décret n° 2022-387 du 18 mars 2022 N° Lexbase : L0064MCD a prolongé jusqu'à la fin de l'année 2022 cette expérimentation.
Texte du décret - séance orale d'instruction devant la formation d'instruction. En complément de l'instruction écrite, la formation de jugement dans un tribunal ou une cour, ou la formation chargée de l'instruction au Conseil d'État, peut tenir une séance orale d'instruction au cours de laquelle elle entend les parties sur toute question de fait ou de droit dont l'examen paraît utile.
Les parties sont convoquées par un courrier qui fait état des questions susceptibles d'être évoquées. Toute autre question peut être évoquée au cours de cette séance. Peut également être convoquée toute personne dont l'audition paraît utile.
Texte du décret - audience publique d'instruction devant la formation de jugement. La formation de jugement peut tenir une audience publique d'instruction au cours de laquelle les parties sont entendues sur toute question de fait ou de droit dont l'examen paraît utile. Cette audience ne peut se tenir moins d'une semaine avant la séance de jugement au rôle de laquelle l'affaire doit être inscrite.
Le président de la formation de jugement convoque les parties par un courrier qui fait état des questions susceptibles d'être évoquées. Peut également être convoquée toute personne dont l'audition paraît utile.
Les parties ou, si elles sont représentées, leurs représentants peuvent présenter des observations orales à l'audience d'instruction.
Pour aller plus loin : v. ÉTUDE, Les dispositions relatives à la tenue de l'audience et au délibéré applicables devant le Conseil d'État, La tenue de l'audience et le délibéré, in Procédure administrative (dir. C. De Bernardinis), Lexbase N° Lexbase : E3741EXT. |
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Réf. : Cass. civ. 1, 23 novembre 2022, n° 21-24.103, F-B N° Lexbase : A35938UM
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N3980BZG
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par Caroline Hussar, Avocate spécialiste en droit de la santé et en droit du dommage corporel
Le 18 Janvier 2023
Mots-clés : infection nosocomiale ; accident médical ; indemnisation ; définition ; ONIAM
La Cour de cassation précise les règles relatives à l’indemnisation d’une infection nosocomiale. Elle rappelle la définition qu’elle en avait donné le 6 avril 2022, en élargissant son champ d’application aux infections contractées dans les suites d’un accident médical non fautif.
Ce faisant, la Cour de cassation vient élargir sa définition de l’infection nosocomiale, dans le souci d’ouvrir davantage le droit à indemnisation des victimes, mais en complexifiant consécutivement le cadre juridique de l’indemnisation des accidents médicaux et des infections nosocomiales.
L’année 2022, celle des vingt ans de la loi « Kouchner » (loi n° 2002-303 du 4 mars 2022, relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé N° Lexbase : L1457AXA), est décidément celle au cours de laquelle auront été apportées de nombreuses pierres à l’édifice de la notion d’infection nosocomiale, après des années d’atermoiements et de doutes sur la question.
Rappelons que cette notion n’avait pas été définie dans la loi du 4 mars 2002, bien que ce texte ait consacré différents régimes de réparation des infections nosocomiales, puisque l’article L. 1142-1, II du Code de la santé publique N° Lexbase : L1910IEH énonce : « Lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme mentionné au I ou d'un producteur de produits n'est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique, de la durée de l'arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire. Ouvre droit à réparation des préjudices au titre de la solidarité nationale un taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique supérieur à un pourcentage d'un barème spécifique fixé par décret ; ce pourcentage, au plus égal à 25 %, est déterminé par ledit décret ».
L’insécurité juridique née à la suite de l’adoption de la loi arrive, semble-t-il, à son terme, au gré des dernières jurisprudences tant de la Cour de cassation que du Conseil d’État sur la question rendues tout au long de l’année 2022, jusqu’à cette dernière précision apportée par la Cour de cassation dans son arrêt du 23 novembre 2022, dans lequel elle rattrape à nouveau, quelques mois plus tard, son retard sur la position du Conseil d’État sur la question.
La loi du 4 mars 2002 a instauré un régime de responsabilité pour faute des établissements de santé : « Les établissements, services et organismes susmentionnés sont responsables des dommages résultant d'infections nosocomiales, sauf s'ils rapportent la preuve d'une cause étrangère » [1]. Or, ce n’est pas le cas en matière d’infections nosocomiales. Depuis l’adoption de cette loi, l’indemnisation des dommages résultant d’une infection nosocomiale est régie par un régime de responsabilité sans faute. Restait à circonscrire la notion d’infection nosocomiale elle-même.
Ce n’est que par un arrêt du 6 avril 2022 [2] que la Cour de cassation est venue donner, pour la première fois, sa définition de l’infection nosocomiale. En cela, elle s’est alignée sur la jurisprudence du Conseil d’État du 1er février 2022 [3].
Dans son arrêt du 1er février 2022, le Conseil d’État était en effet allé plus loin que la Cour de cassation – qui n’avait pas à trancher cette question dans le cas d’espèce qui lui était soumis – jugeant que l’infection survenue au cours et par suite de la prise en charge du patient à l’hôpital, était caractéristique d’une maladie nosocomiale, sans qu’il y ait lieu de tenir compte de ce que la cause directe de cette infection avait le caractère d’un accident médical, fautif ou non.
Là encore, la Cour de cassation est venue très rapidement confirmer que sa position reste en tout point similaire à celle de la Haute juridiction administrative, dans son arrêt du 23 novembre 2022, en indiquant que : « l’infection causée par la survenue d’un accident médical présente un caractère nosocomial comme demeurant lié à la prise en charge ».
En l’espèce, il ressortait du rapport d’expertise que l’infection à germes digestifs endogènes contractée par la patiente, qui était inexistante à l’admission, était secondaire à l’accident médical dont elle était victime. La question était de savoir si le régime indemnitaire applicable était celui de l’accident médical, soumis aux difficultés indemnitaires prévues à l’article D. 1142-1 du Code de la santé publique N° Lexbase : L2332IP3, ou celui, plus favorable aux victimes, de l’infection nosocomiale.
La Cour de cassation, en retenant la qualification d’infection nosocomiale pour une infection survenue au décours d’un accident médical, est venue rejoindre la position adoptée par le Conseil d’État au mois de février (I).
Cette solution est favorable aux victimes, dès lors qu’elle permet aux usagers des services de santé une meilleure indemnisation de leur préjudice. Reste à savoir si, en voulant clarifier la notion d’infection nosocomiale, les juges ne sont pas venus créer une confusion en réduisant le champ de l’accident médical non fautif tel que prévu dans la loi « Kouchner » (II).
I. Une extension cohérente de la notion d’infection nosocomiale dans un souci d’unité jurisprudentielle
Pour retenir le caractère nosocomial de l’infection, les juges de la cour d’appel de Colmar (CA Colmar, 10 septembre 2021, n° 19/02687 N° Lexbase : A1628443) avaient considéré que le fait que cette dernière soit survenue secondairement à un accident médical n’était pas de nature à exclure la qualification d’infection nosocomiale. La patiente, qui n’avait mis en cause que l’ONIAM, soutenait que l’infection nosocomiale avait été contractée dans le cadre de la prise en charge d’un accident médical, qui en était donc la cause. En cela, elle appliquait la théorie de la causalité adéquate, considérant que l’accident médical initial ouvrait droit à l’indemnisation de l’ensemble des préjudices nés postérieurement, qu’ils soient la conséquence directe de l’accident, ou de l’infection nosocomiale survenue par la suite.
Dans son arrêt du 23 novembre 2022, la Cour de cassation retient, pour confirmer la décision entreprise, que « Après avoir, d'une part, retenu l'existence d'un accident médical non fautif lié à la survenue de la fistule et exclu son indemnisation au titre de la solidarité nationale en l'absence d'anormalité du dommage, d'autre part, écarté le caractère nosocomial de l'infection au motif qu'elle était secondaire à cet accident, la cour d'appel a constaté que Mme X sollicitait l'indemnisation d'un déficit fonctionnel temporaire ».
Ce faisant, elle a rejoint la position adoptée par le Conseil d’État en février 2022, en détaillant de manière précise les critères liés à l’indemnisation d’une infection nosocomiale contractée dans les suites d’un accident médical non fautif :
« Doit être regardée, au sens de ces dispositions, comme présentant un caractère nosocomial une infection qui survient au cours ou au décours de la prise en charge d'un patient et qui n'était ni présente, ni en incubation au début de celle-ci, sauf s'il est établi qu'elle a une autre origine que la prise en charge.
Il s'en déduit :
- que l'infection causée par la survenue d'un accident médical présente un caractère nosocomial comme demeurant liée à la prise en charge ;
- qu'une indemnisation des dommages résultant d'infections nosocomiales n'est due par l'ONIAM au titre de la solidarité nationale, sur le fondement de l'article L. 1142-1, II, que si la responsabilité d'un établissement, service ou organisme n'est pas engagée et si les dommages répondent au moins à l'un des critères de gravité fixés ou, sur le fondement de l'article L. 1142-1-1, alinéa 1 N° Lexbase : L1859IEL, que si les dommages ont entraîné un taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique supérieur à 25 % ou le décès du patient ».
Dans son arrêt du 1er février 2022, le Conseil d’État avait ainsi considéré, en premier lieu, qu’une infection doit être regardée, du seul fait qu’elle est survenue lors de la prise en charge du patient au sein de l’établissement hospitalier, sans qu’il ait été contesté devant le juge du fond qu’elle n’était ni présente ni en incubation au début de celle-ci et qu’il était constant qu’elle n’avait pas d’autre origine que cette prise en charge, comme présentant un caractère nosocomial. En second lieu, il a précisé qu’il n’y avait pas lieu de tenir compte de ce que la cause directe de cette infection avait le caractère d’un accident médical non fautif ou avait un lien avec une pathologie préexistante.
Dans l’arrêt du 23 novembre 2022, la Cour de cassation choisit de rejoindre cette position. Le fait que l’infection ait été contractée dans les suites d’un accident médical non fautif importe peu, et, s’agissant d’une infection liée aux soins, elle a le caractère d’une infection nosocomiale.
En l’espèce, tout l’enjeu de savoir si les préjudices relèvent d’une indemnisation dans le cadre du dispositif relatif aux accidents médicaux non fautifs, ou de celui applicables aux infections nosocomiales, se comprend à la lecture des conséquences que tire la Cour de cassation de la position qu’elle a adoptée, validant en cela la solution retenue par le juge du fond :
« Il en résulte que, même si l'infection survenue présentait un caractère nosocomial au sens des dispositions précitées, l'indemnisation des dommages consécutifs à cette infection, qui ne répondait pas aux critères de gravité de l'article L. 1142-1-1, alinéa 1, et qui avait été contractée au sein d'un établissement de santé, soumis à une responsabilité de droit, ne pouvait être mise à la charge de l'ONIAM, de sorte que les demandes formées à son encontre devaient être rejetées ».
La demanderesse, qui n’avait pas attrait l’établissement de santé en la cause, ne pouvait valablement présenter ses prétentions indemnitaires à l’ONIAM, dès lors qu’elle ne remplissait pas les conditions d’une indemnisation au titre de la solidarité nationale, que ce soit sur le fondement d’un accident médical non fautif – ce qui n’a pas été retenu par la Cour – ou d’une infection nosocomiale. Dès lors, la victime aurait dû appeler en la cause l’établissement de santé au sein duquel elle avait été prise en charge, afin d’obtenir sa condamnation à réparer les préjudices qu’elle a subis.
En adoptant une telle solution, la Cour de cassation vient élargir la notion d’infection nosocomiale, dans le sens d’une présomption de causalité. Rappelons en effet que, pour s’affranchir de son obligation d’indemnisation, l’établissement de santé, ou, le cas échéant, l’ONIAM, si les critères de gravité fixée à l’article D. 1142-1 du Code de la santé publique sont remplis pour solliciter une indemnisation au titre de la solidarité nationale, n’aura pour seule solution que d’établir la preuve de la cause étrangère de l’infection, laquelle peut être de trois natures : la faute de la victime, le fait d’un tiers, ou la force majeure ; étant précisé que la faute du patient, si elle peut être prise en compte pour diminuer la réparation du préjudice du patient, n’est pas de nature à exclure la qualification de nosocomiale de l’infection [4].
Adopter une telle solution revient à afficher à nouveau la volonté du juge de favoriser l’indemnisation des victimes. Pour autant, cela interroge nécessairement sur la réduction consécutive du champ de la notion d’accident médical non fautif tel que consacré par la loi « Kouchner », et les conséquences qui peuvent en découler.
II. Une extension favorable aux victimes, mais laissant craindre une complexification de la matière
L’article R. 6111-6 du Code de la santé publique N° Lexbase : L3664INZ, issu de la loi « Kouchner » du 4 mars 2022, énonce que « les infections associées aux soins contractées dans un établissement de santé sont dites infections nosocomiales ».
Dans leurs arrêts respectifs du 1er février 2022 et du 6 avril 2022, le Conseil d’État et la Cour de cassation sont venus, vingt ans plus tard, consacrer leur définition de l’infection nosocomiale : « Doit être regardée comme présentant un caractère nosocomial une infection survenant au cours ou au décours de la prise en charge d’un patient et qui n’était ni présente, ni en incubation au début de celle-ci, sauf s’il est établi qu’elle a une autre origine que la prise en charge, sans qu’il n’y ait lieu de tenir compte de ce que la cause directe de cette infection, avait le caractère d’un accident médical non fautif ou avait un lien avec une pathologie préexistante ».
Ainsi, les deux Hautes juridictions ont mis fin aux incertitudes existant en la matière, caractérisant un critère temporel, et un caractère matériel, extrêmement larges, à l’infection nosocomiale.
Dans son arrêt du 1er février 2022, le Conseil d’État a précisé : « Dès lors que l’infection est survenue au décours d’un acte de soins, alors l’infection nosocomiale ne peut être écartée et il ne peut être question d’invoquer l’état antérieur du patient ».
Cette décision était venue entériner la notion, déjà utilisée par la Haute juridiction administrative dans son arrêt du 28 mars 2018 [5] – mais qui avait alors exclu le caractère nosocomial de l’infection – d’infection survenue au décours de la prise en charge d’un patient, avec pour conséquence le fait que l’ONIAM, ou l’établissement de santé mis en cause, ne pourront s’exonérer de leur obligation d’indemnisation qu’en démontrant que la prise en charge n’est pas à l’origine de l’infection, ou qu’elle résulte d’une cause étrangère.
Ces arrêts du Conseil d’État et de la première chambre civile de la Cour de cassation ont consacré une appréhension extensive de la notion d’infection nosocomiale, qui sera d’autant plus difficile à combattre. La preuve de l’origine étrangère de l’infection, dont la charge revient à l’établissement de santé, ou à l’ONIAM, devient extrêmement difficile à rapporter.
Déjà, leur position était favorable aux victimes, et se comprenait au regard de la diffi culté pour ces dernières de rapporter la preuve, d’une part, de la survenue d’une infection mais surtout, d’autre part, de son caractère nosocomial.
Mais la Cour de cassation va encore plus loin dans son arrêt du 23 novembre 2022. En effet, en consacrant la même solution que le Conseil d’État, étendant la notion d’infection nosocomiale à celle survenue postérieurement à un accident médical, la Cour de cassation vient à nouveau étendre cette notion, dans un sens encore plus favorable aux patients, toujours au regard de la difficulté pour la victime de rapporter la preuve du caractère nosocomial de l’infection, preuve qui peut être rapportée par tout moyen, et peut résulter de présomptions graves, précises et concordantes [6].
La Cour de cassation, qui avait déjà limité les exigences liées à la preuve du caractère nosocomial de l’infection, dès lors que l’exigence de preuve pesant sur le patient se limite à établir que l’infection n’était ni présente, ni en incubation, au début de la prise en charge, et qu’elle est survenue au cours ou au décours de la prise en charge, vient à nouveau faciliter les démarches des victimes d’infections nosocomiales, en adoptant une conception large de la notion d’infection nosocomiale elle-même, en avril 2022, puis, quelques mois plus tard, en l’étendant aux infections survenues des suites d’un accident médical non fautif.
Avec pour conséquence la possibilité pour les victimes d’un préjudice ne rentrant pas dans le cadre d’une indemnisation au titre de la solidarité nationale, car ne remplissant pas les critères de gravité prévus à l’article D. 1142-1 du Code de la santé publique, la possibilité d’obtenir malgré tout une indemnisation auprès de l’établissement de santé au sein duquel les soins ont été dispensés.
Tout en saluant l’ouverture du droit à indemnisation des victimes, l’on se doit malgré tout d’apporter un bémol à une validation sans réserve de la position adoptée par la Cour de cassation.
En effet, si l’on a pu écrire qu’avec l’arrêt du 6 avril 2022 de la Cour de cassation, l’état du droit sur la question est plus harmonieux, et vient assurer une meilleure sécurité juridique pour les acteurs du domaine, qu’il s’agisse des patients, mais également des établissements, et de l’ONIAM [7], et que cette avancée était souhaitable, l’arrêt du 23 novembre 2022 s’il favorise la protection des usagers des systèmes de santé, soulève malgré tout la question d’une possible nouvelle complexification du système juridique en la matière.
Ainsi, en reconnaissant le caractère nosocomial d’une infection survenue dans les suites d’un accident médical, une partie de l’indemnisation desdits accidents relèverait désormais d’une indemnisation dans le cadre du dispositif établi pour les infections nosocomiales, réduisant le champ de l’indemnisation des accidents médicaux non fautifs. Cela ouvre droit à une indemnisation des préjudices n’entrant pas dans le cadre d’une prise en charge au titre de la solidarité nationale, comme l’avait pourtant souhaité le législateur dans le cadre de l’adoption de la loi « Kouchner », qui limitait l’indemnisation des préjudices consécutifs à un accident médical à des victimes remplissant certains critères de gravité.
Mais en contrepartie, cela contraindra les demandeurs, dans un souci de sécurité procédurale, à attraire en la cause les différents acteurs de la réparation du dommage corporel à tous les stades de la procédure, ce que n’avait pas fait la patiente dans le cas d’espèce. Elle s’était alors privée d’un moyen d’indemnisation en ne mettant pas en cause l’établissement de santé au sein duquel elle avait été prise en charge, et perdant, de ce fait, tant le droit de solliciter une indemnisation auprès de l’ONIAM, que la possibilité de le faire auprès de l’assureur de la clinique.
Cette solution est favorable à l’ONIAM qui, lorsque la victime présentera une infection dans les suites d’un accident médical non fautif, pourra arguer de l’imputabilité des préjudices à l’infection nosocomiale, et considérer que les critères de l’indemnisation au titre de l’accident médical non fautif ne sont pas remplis, privant alors la victime de l’indemnisation de l’ensemble de ses préjudices des suites de l’accident médical, lui laissant seulement la possibilité d’obtenir celle consécutive à l’infection.
Il conviendra donc, pour les victimes, de faire preuve de vigilance, et de sécuriser au maximum leur procédure à tous les stades du processus indemnitaire, en appelant en la cause l’ensemble des acteurs de l’indemnisation en matière de responsabilité médicale, tout en veillant à ce que l’expert soit extrêmement précis, tant sur la qualification de l’évènement ouvrant droit à indemnisation, que sur l’imputabilité des préjudices retenus.
[1] CSP, art. L. 1142-1, I, al. 2.
[2] Cass. civ. 1, 6 avril 2022, n° 20-18.513, F-B N° Lexbase : A32187SY.
[3] CE 5e-6e ch.-réunies, 1er février 2022, n° 440852, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A12737LQ.
[4] Cass. civ. 1, 8 février 2017, n° 15-19.716, FS-P+B N° Lexbase : A1959TCK.
[5] CE, 23 mars 2018, n° 402237, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A8527XHB.
[6] Cass. civ. 1, 30 octobre 2008, n° 07-13.791, FS-P+B N° Lexbase : A0573EBT.
[7] C. Hussar, La consécration d’une définition extensive de la notion d’infection nosocomiale par la Cour de cassation, Lexbase Droit privé, mai 2022, n° 907 N° Lexbase : N1584BZP.
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par Marie-Laurence Boulanger, Avocat associé, et Pierre Pomerantz, Avocat, cabinet Fromont Briens
Le 18 Janvier 2023
Mots-clés : entretien de recrutement • embauche • candidat • discrimination • investigation • pièces • compliance sociale • RGPD • CNIL • défenseur des droits • métavers
Recruter un salarié n’est jamais un long fleuve tranquille.
Pour mener efficacement un entretien de recrutement juridiquement sécurisé, l’employeur doit écarter des risques multiples afin d’éviter toute déconvenue.
L’entretien de recrutement doit donc être préparé aussi bien en amont, pendant l’échange et en aval.
I. La préparation proactive de l’entretien de recrutement
A. Quelles pièces l’employeur peut-il demander au candidat ?
L’entretien de recrutement est l’occasion pour l’employeur de solliciter le candidat afin qu’il puisse lui communiquer certains documents [1].
Cependant, l’employeur devra éviter que ses demandes soient disproportionnées, car les informations demandées auprès du candidat doivent avoir un lien direct et nécessaire avec l'emploi proposé.
Ainsi, le curriculum vitae et la lettre de motivation ne posent évidemment aucune difficulté, car ils permettent de vérifier les connaissances et le profil professionnel d’un candidat afin de savoir s’il correspond au poste souhaité.
De la même manière, candidat et employeur doivent prendre le soin de vérifier l’application de toute clause de non-concurrence interdisant l’emploi, ou si le cumul d’emplois d’un salarié à temps partiel n’implique pas que ce dernier travaille plus que la durée légale, ou conventionnelle, maximale.
Selon les missions proposées au futur collaborateur, le permis de conduire, la formation de sécurité ou le CACES peuvent également alimenter son dossier de candidature.
Néanmoins, l’employeur ne doit pas solliciter automatiquement l’extrait n°3 du casier judiciaire. Cette communication n'est ni interdite ni prévue par la loi lors de la phase d’embauche (sauf dispositions spécifiques).
Le casier judiciaire sera néanmoins autorisé lorsque le but recherché par l’employeur est proportionné par rapport au poste occupé (exemple dans le domaine des banques et des assurances : un salarié recruté dans le département de Lutte contre le blanchiment – Financement du terrorisme).
Au contraire, le candidat pourra refuser de communiquer son état de grossesse, sa situation privée, sa domiciliation bancaire, le nombre de points sur son permis (domaine réservé à l’administration et l’ordre judiciaire) ou ses convictions personnelles.
À titre d’exemple, en 2011, la CNIL a mené des investigations dans le secteur bancaire et a découvert que les employeurs, dans le cadre de recrutement, avaient systématiquement pris le soin de consulter les fichiers de la Banque de France afin de vérifier si les candidats à l’embauche étaient en situation de surendettement ou d’interdiction bancaire. Si tel était le cas, les candidats pouvaient voir leur candidature rejetée ou mise sous surveillance. La CNIL a immédiatement exigé la fin de cette pratique.
À toutes fins utiles, bien que l’employeur ne puisse demander l’origine du candidat, il ne saurait lui être reproché de refuser d'embaucher un candidat étranger, non citoyen de l’Union européenne, en raison de la nature de sa carte de séjour.
En effet, cela ne constitue pas une discrimination à l'embauche fondée sur sa non-appartenance à la nation française. Cette décision est exclusivement fondée sur sa situation au regard du droit au séjour, critère ne figurant pas dans la liste limitative des motifs discriminatoires de l'article 225-1 du Code pénal N° Lexbase : L0903MCG [2].
B. L’employeur peut-il enquêter sur un candidat ?
Le candidat, à un recrutement, doit répondre de bonne foi aux questions posées.
Une fois embauché, le salarié qui a menti sur son curriculum vitae peut être licencié, pour un motif disciplinaire pouvant aller jusqu’à une faute grave, dans l’hypothèse où l’information mensongère a été déterminante dans la décision de le recruter [3].
A contrario, un candidat peut se dispenser de répondre dans un questionnaire d'embauche à toute question sans rapport direct avec l'exécution du contrat sans que l'employeur puisse, par la suite, sanctionner cette omission par un licenciement.
L’erreur n’est pas une cause de nullité du contrat de travail si elle ne porte pas sur les qualités essentielles de la prestation due [4].
Dès lors, l’employeur a tout intérêt d’investiguer en amont sur les informations portées à sa connaissance.
Si le candidat fait état de recommandations professionnelles, l’employeur pourra contacter les personnes concernées, mais uniquement après en avoir informé ce candidat.
II. La tenue de l’entretien de recrutement
A. Comment appréhender le risque de discrimination lors de l’entretien de recrutement ?
En 2021, le Défenseur des droits a publié une enquête, en partenariat avec l’Organisation internationale du travail, sur les perceptions des discriminations dans l’emploi. Plus d’un demandeur d’emploi sur trois s’estimait être victime de discrimination lors de l’entretien de recrutement.
Pourtant, l’article L. 1132-1 du Code du travail N° Lexbase : L0918MCY interdit qu’un candidat à un emploi soit discriminé en raison de plus d’une vingtaine de motifs. Le dernier motif qui complète cette liste est la protection des lanceurs d’alerte.[5]
Cette discrimination peut généralement s’avérer directe ou indirecte :
Discrimination directe | Discrimination indirecte |
Situation dans laquelle une personne est traitée de manière moins favorable qu'une autre ne l'est, ne l'a été ou ne l'aura été dans une situation comparable. Exemple : le report d'une embauche sous prétexte que la directrice ne fait « pas confiance aux Maghrébines » (Cass. soc., 18 janvier 2012, n° 10-16.926, F-P+B N° Lexbase : A1532IBD). | Critère d'attribution (une prime, un congé ou tout autre avantage) ou une pratique apparemment neutre conduit à désavantager, de manière disproportionnée et sans raison objective, les salariés sur la base d’un motif prohibé. Exemple : ne pas permettre à des salariés à temps partiel de bénéficier d’une prime alors que la majorité des salariés à temps partiel sont de sexe féminin |
À cet effet, certains motifs discriminatoires méritent un focus :
Fait religieux | Poids | Pratique de la langue (Appartenance à une ethnie, une nation ou une race) | Sexe |
Le ministère du Travail a publié un Guide pratique en janvier 2017 et indique que les employeurs ne doivent pas poser de questions lors de l’entretien de recrutement sur la religion d’un candidat. Les questions doivent se concentrer sur les missions dévolues au poste. | Ce n'est que dans des circonstances exceptionnelles et dûment justifiées que les exigences physiques et/ou esthétiques liées au poids pourraient être admises d'un employeur, la dictature de la minceur étant largement remise en cause y compris dans les métiers où elle a été traditionnellement admise ( défenseur des droits, décision-cadre n° 2019-205 N° Lexbase : X0182CKX). Il a donc été admis par la jurisprudence qu’un employeur pouvait tout de même imposer une clause dans le contrat de travail pour contrôler le poids du salarié. Pas de généralité pour autant, ces décisions ont été rendues dans le cadre d’activités très spécifiques, telles qu’un centre d’amaigrissement ou pour le rôle de mannequin (CA Douai, 29 septembre 2004, n° 00/523 ; CA Chambéry 1er octobre 1996 n° 94/3303 ; CA Paris, 14 mars 1989, n° 88/35597). | Le choix de préférer un candidat maîtrisant une langue doit correspondre à un objectif légitime et qu'elle était proportionnée à cet objectif. Tel est le cas par exemple, de refuser d'embaucher un candidat au poste de conducteur de ligne au motif que les tests passés ont révélé une maîtrise insuffisante de la langue française alors que le poste exigeait une réelle capacité de communication et d'expression écrite (CA Chambéry, 18 novembre 2008 n° 08/0695). Ou encore, il est possible de refuser à un salarié anglais travaillant en France le poste de chef de service de traduction réservé à un « native french speaker » (de langue maternelle française) car le poste nécessitait une connaissance parfaite des subtilités (CA Chambéry, 9 juin 2011, n° 10/02311). | À l’issue d’un recrutement, l’employeur qui écrit à une candidate « parmi plusieurs candidatures, nous avons préféré celle d'un homme qui a des qualifications comparables aux vôtres » fait preuve d'une « insigne maladresse ». Néanmoins, l’employeur ne commet pas une discrimination sexiste, dès lors que le candidat recruté avait des diplômes équivalents à ceux de la candidate, mais aussi une expérience professionnelle jugée primordiale en l’espèce (Cass. crim., 17 janvier 1984, n° 83-91.647). |
Compte tenu de ce qui précède, plusieurs alternatives peuvent être adoptées lors de l’entretien de recrutement par l’employeur afin d’éviter toute situation discriminante :
Critère de discrimination | Questions discriminatoires | Questions à privilégier |
Âge | « Quel est votre âge ? » « En quelle année êtes-vous né? » « Ne craignez-vous pas d’être rattaché à une personne plus jeune que vous ? » « Pensez-vous être à l’aise dans une équipe jeune ? » « Vous sentez-vous encore suffisamment dynamique pour occuper de telles fonctions ? » | « Êtes-vous éligible au contrat de professionnalisation ? » « Êtes-vous éligible au contrat sénior ? » |
Origine / Nationalité | « De quelle origine êtes-vous ? » « Quand êtes-vous arrivé en France ? » « Comment avez-vous obtenu la nationalité française ? » « Quelle est votre langue maternelle ? » | Questions sur la maitrise des langues indispensables pour le poste |
Sexe | « Le fait d’être un homme/une femme dans cette profession ne vous pose pas de difficulté ? » « Vous ne voyez pas d’inconvénient à être le seul homme/la seule femme dans votre équipe ? » | Vous pouvez décrire l’environnement du poste (exclusivement féminin par exemple) ou les contraintes (port de charges lourdes, disponibilité, mobilité, etc) |
Situation familiale | « Êtes-vous marié, pacsé ? » « Avez-vous des enfants ? » « Comment assurez-vous la garde de vos enfants ? » « Quelle est la profession de votre conjoint ? » | Vous pouvez éventuellement demander au candidat si un éventuel conflit d’intérêts serait existant en cas d’embauche (conjoint dans une entreprise concurrente par exemple, sans questionner directement sur la profession du conjoint) |
B. Des questionnaires et tests professionnels sont-ils envisageables ?
L’employeur dispose d’une certaine liberté pour tester ses candidats, mais doit écarter toute méthode inadaptée comme le sont les tests dits graphologique ou astrologique. Ces derniers n’ayant aucune reconnaissance scientifique et pratique.
Il n’en demeure pas moins que l’employeur peut proposer un questionnaire d’embauche composé de questions en relation directe avec le poste proposé.
Qu’il soit informatisé ou non, l’information préalable du salarié est obligatoire.
Dans le même sens, l’employeur devra veiller à mentionner sur le questionnaire toutes informations utiles sur le traitement des données.
À côté de ces questionnaires, il est également possible de recourir à « l’essai professionnel ». La validité de ce moyen de sélection a été retenue par la Direction générale du travail [6].
Cependant, certaines conditions doivent être respectées :
Ainsi de bonnes pratiques sont indispensables pour éviter la requalification de l’essai professionnel en contrat de travail :
Par exemple, est un test professionnel, et non une période de travail, la conduite d’un car de l'entreprise destiné au transport d'élèves, vide de passagers, en présence du chauffeur habituel et pendant quelques heures seulement [7].
Néanmoins, ne constitue pas un test, mais une période de travail ouvrant droit à un contrat et à une rémunération, l'activité de serveur occupée pendant plusieurs jours sous l'autorité de l'employeur [8].
Le traitement des données du candidat devra être traité avec une particulière vigilance. En cas de recours à un prestataire extérieur, sauf à pouvoir démontrer sa faute, il n’est pas possible de partager sa responsabilité.
Les « zones commentaires », enregistrant les appréciations de l’employeur, ne doivent comporter que des éléments pertinents, non excessifs et aucunement discriminatoires.
Ces commentaires peuvent, à ce titre, être contrôlés par la CNIL, laquelle a estimé discriminatoire les appréciations suivantes : « problèmes d’hygiène (odeurs) » ; « trop jeune » ; « à 35 min de transport » ; « le candidat est âgé de 35 ans » ; « trop expérimenté » ; « efféminé » ; « porte le foulard ».
Ces phases traditionnelles de recrutement pourraient se heurter au développement récent des outils numériques et notamment du métavers. Désignant un monde virtuel fictif immersif, cet outil est en phase d’exploration chez de nombreuses grandes entreprises. Le candidat serait alors matérialisé par une figurine virtuelle et l’employeur pourrait interagir en proposant des jeux basés sur de l’intelligence artificielle afin de trouver de nouveaux talents.
En tout état de cause, préalablement à leur utilisation, l’employeur devra informer le Comité social et économique sur les méthodes ou techniques d'aide au recrutement des candidats à un emploi ainsi que sur toute modification de celles-ci [9].
III. À l’issue de l’entretien de recrutement
A. Donner une réponse claire sur la candidature du postulant
Le choix définitif du candidat doit reposer sur des raisons objectives, étrangères à toutes discriminations, et être lié :
C’est pourquoi l’information du candidat doit être soignée par l’employeur :
Pour un candidat évincé | Pour un candidat retenu |
En principe, aucune obligation d’informer le ou les candidat(s) évincé(s) d’un refus d’embauche ni de l’embauche d’un autre candidat. Toutefois, le refus de l'employeur de répondre à la demande du salarié peut constituer l’un des éléments de faits permettant de présumer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte. L’employeur doit donc produire des justifications objectives et pertinentes basées sur des exigences requises pour le poste établies et connues par le candidat avant le recrutement | Aucun formalisme prévu par les textes pour l’information du candidat retenu (verbal ou écrit). En pratique, et en accord avec le candidat retenu, l’employeur peut régulariser une promesse d’embauche ou un contrat de travail. |
B. Quelle bonne pratique RGPD doit avoir l’employeur après l’entretien ?
La CNIL a précisé les conditions de conservation des données collectées lors de l’entretien selon la situation rencontrée :
Rejet de candidature | Réponse positive à la candidature |
L’employeur doit informer le candidat qu’il souhaite conserver son dossier, afin de lui laisser la possibilité d’en demander la destruction. Le dossier vise ainsi l’ensemble des données personnelles du salarié collectées au cours du processus de recrutement : CV (papier ou électronique), état civil, adresse, résultats des tests professionnels, commentaires et appréciations, etc. Si le candidat n’en demande pas la destruction, les données doivent obligatoirement être détruites 2 ans après le dernier contact. | En cas d’embauche, le dossier du salarié doit être en principe conservé 5 ans à compter du terme du contrat (CV, contrat de travail …). |
Comme pour les candidats non sélectionnés, tout employé peut solliciter sur simple demande une copie de l’ensemble des données qui le concernent (recrutement, historique de carrière, évaluation des compétences, dossier disciplinaire, etc.).
IV. Lors de toutes les phases de l’entretien de recrutement : attention aux acteurs extérieurs
Au-delà du risque direct qu’un candidat conteste sa phase de recrutement devant le Conseil de prud’hommes, il peut être amené à saisir l’administration afin que sa situation puisse être traitée.
L’employeur a donc tout intérêt à ne pas commettre d’irrégularités.
Quels sont donc ces acteurs qui peuvent intervenir auprès de l’employeur afin d’auditer si un recrutement a été discriminatoire ?
L’inspection du travail (C. trav., art. L. 8112-2 N° Lexbase : L1011LWD) | Le Défenseur des droits (loi organique n° 2011-333 du 29 mars 2011, relative au Défenseur des droits N° Lexbase : L8916IPW) | La CNIL |
L’inspecteur a vocation à enquêter et à dresser éventuellement un procès-verbal où il peut constater des infractions pénales et le transmettre au procureur de la République | Autorité administrative indépendante, elle peut mener des enquêtes, proposer des médiations ou des sanctions, informer le procureur de la République, et même présenter des observations devant toutes les juridictions françaises à la demande des parties ou à celle du juge | Créée en 1978 par la loi n°78-17 du 6 janvier 1978, relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés N° Lexbase : L8794AGS, elle est amenée à mettre en demeure l’entreprise, ou proposer des sanctions (avertissement public, sanction pécuniaire, injonction, dénoncer au procureur de la République une infraction). Et ce, dans le domaine du traitement des données informatisées. |
L’employeur ne peut en aucun cas faire obstruction à la demande de communication de pièces ou à la venue dans leurs locaux de ces entités administratives. |
À titre d’exemple, le Défenseur des produits a rendu une décision publique n° 2019-179 transmise à la cour d’appel dans le cadre d’un contentieux entre la candidate à un emploi et l’entreprise :
Faits | Conclusion du Défenseur des droits |
La saisine du Défenseur des droits a été faite directement par la candidate. Elle avait postulé concernant un poste d’assistante. Lors de l’entretien de recrutement, l’entreprise aurait posé des questions sur la situation personnelle de la candidate. L’entreprise lui fait un retour par message téléphonique : « vous n’avez pas été retenue malheureusement donc pour bah le problème déjà d’un enfant pour la grossesse ». Également, l’entreprise lui confirme son rejet de candidature par écrit : « malheureusement, votre candidature n’a pas été retenue car vous nous avez indiqué qu’une grossesse serait envisageable l’année prochaine ». Aussi, l’entreprise apporte un commentaire en calculant l’âge approximatif de la candidate sur son CV. | Le Défenseur des droits a donc constaté la discrimination en raison de l’âge, du sexe de la candidate et de son état de grossesse. |
En conséquence, l’entretien de recrutement ne doit pas être appréhendé de la seule rencontre entre le candidat et l’employeur, mais doit faire l’objet d’une attention particulière pour que sa préparation et sa clôture soient juridiquement fondées.
[1] C. trav., art. L. 1221-6 N° Lexbase : L0779H9Q.
[2] Cass. crim., 13 décembre 2016, n° 15-82.601, FS-D N° Lexbase : A2341SXY.
[3] Cass. soc., 25 novembre 2015, n° 14-21.521, F-D N° Lexbase : A0840NYR.
[4] Cass. soc., 3 juillet 1990, n° 87-40.349, publié N° Lexbase : A9043AA8.
[5] Loi n° 2022-401 du 21 mars 2022, visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte N° Lexbase : L0484MCW qui est entrée en vigueur le 1er septembre 2022
[6] Lettre DGT n° D14-1660 du 19 décembre 2014.
[7] Cass. soc., 4 janvier 2000, n° 97-41.154, publié N° Lexbase : A4790AGI.
[8] CA Orléans, 24 mai 2018, n° 16/03181 N° Lexbase : A3178XPE.
[9] C. trav., art. L. 2312-38 N° Lexbase : L8271LGG.
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