Réf. : Loi n° 2023-22, du 24 janvier 2023, d'orientation et de programmation du ministère de l'Intérieur N° Lexbase : L6260MGX
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N4130BZY
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par Adélaïde Léon
Le 26 Janvier 2023
► Fruit d’un projet déposé en septembre 2022, la loi n° 2023-22, du 24 janvier 2023, d’orientation et de programmation du ministère de l’Intérieur a finalement été publiée au Journal officiel ce mercredi 25 janvier. Cybersécurité, crimes sériels, organisation de la police judiciaire, amende forfaitaire délictuelle : aperçu des dispositions marquantes de cette loi pour le moins multiple.
Intervention du Conseil constitutionnel. Le 19 janvier 2023, le Conseil constitutionnel, saisi par plus de soixante députés, avait censuré partiellement deux dispositions et censuré deux autres articles comme cavaliers législatifs.
Ainsi, l’article 10 de la loi déférée modifiant le régime applicable à l’enquête sous pseudonyme en matière d’infractions commises par la voie des communications électroniques a-t-il été censuré partiellement estimant qu’en dispensant les acquisitions ou transmissions de contenus de l’autorisation du procureur de la République ou du magistrat instructeur dans le cas où leur objet est licite, les dispositions du 1° de l’article en cause méconnaissaient le droit à un procès équitable.
De même, le Conseil a-t-il censuré partiellement l’article 18 créant la fonction d’assistant d’enquête de la police nationale et de la gendarmerie nationale en ce qu’il prévoyait que lesdits assistants pouvaient procéder aux transcriptions des enregistrements issus d’interceptions de correspondances ou de techniques spéciales d’enquête nécessaires à la manifestation de la vérité. Selon le Conseil, ces dispositions ne permettaient pas de garantir le contrôle de l’OPJ sur ces opérations.
Ce que dit la loi. Parmi les mesures marquantes de ce texte, on pourra notamment relever les sujets suivants :
Pour aller plus loin : le numéro du mois de mars 2023 de la revue Lexbase Pénal accueillera un dossier spécial consacré à l’analyse des différents aspects de la loi n° 2023-22, du 24 janvier 2023, d’orientation et de programmation du ministère de l’Intérieur (LOPMI). |
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Réf. : Cass. civ. 2, 19 janvier 2023, n° 21-21.516, FS-B+R N° Lexbase : A937388N
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N4107BZ7
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par Anne-Lise Lonné-Clément
Le 26 Janvier 2023
► Dans son arrêt rendu le 19 janvier 2023, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, réitère la solution posée dans ses quatre arrêts rendus le 1er décembre 2022, dans le cadre du contentieux opposant AXA à de nombreux restaurateurs réclamant la prise en charge des « pertes d’exploitation » subies du fait de la fermeture administrative imposée durant la crise sanitaire, dans le cadre de leur contrat d’assurance multirisque professionnelle, au titre de la « garantie perte d’exploitation en cas de fermeture administrative à la suite d’une épidémie » telle que prévue par le contrat ; censurant à nouveau un arrêt rendu par la cour d’appel d’Aix-en-Provence, la Haute juridiction valide l’applicabilité de la clause d’exclusion de garantie litigieuse opposée par l’assureur.
Les enseignements à retenir sont les suivants.
Une clause d'exclusion n'est pas formelle au sens de l'article L. 113-1 du Code des assurances N° Lexbase : L0060AAH, lorsqu'elle ne se réfère pas à des critères précis et nécessite interprétation.
S'agissant d'un contrat prévoyant la garantie des pertes d'exploitation en cas de fermeture administrative consécutive à certaines causes qu'il énumère, dont l'épidémie, est formelle la clause qui exclut ces pertes d'exploitation de la garantie, lorsque, à la date de la décision de fermeture, au moins un autre établissement, quelles que soient sa nature et son activité, fait l'objet, sur le même territoire départemental, d'une mesure de fermeture administrative, pour une cause identique.
Une clause d'exclusion n'est pas limitée au sens de l'article L. 113-1 du Code des assurances lorsqu'elle vide la garantie de sa substance en ce qu'après son application elle ne laisse subsister qu'une garantie dérisoire.
N'a pas pour effet de vider la garantie de sa substance la clause qui exclut de la garantie des pertes d'exploitation consécutives à la fermeture administrative de l'établissement assuré, pour plusieurs causes qu'il énumère, dont l'épidémie, lorsque, à la date de la décision de fermeture, au moins un autre établissement, quelles que soient sa nature et son activité, fait l'objet, sur le même territoire départemental, d'une mesure de fermeture administrative, pour une cause identique à l'une de celles énumérées.
Réitérant la solution posée dans ses arrêts du 1er décembre 2022 (Cass. civ. 2, 1er décembre 2022, 4 arrêts, n° 21-15.392 N° Lexbase : A45218WD, n° 21-19.341 N° Lexbase : A45408W3, n° 21-19.342 N° Lexbase : A54888W8, et n° 21-19.343 N° Lexbase : A54858W3, FS-B+R ; v. notre brève, Garantie pertes d’exploitation des restaurateurs et Covid-19 : victoire d’AXA devant la Cour de cassation !, Lexbase Droit privé, décembre 2022, n° 927 N° Lexbase : N3595BZ8), la Cour de cassation censure ainsi l’arrêt rendu par la cour d’appel d’Aix-en-Provence (CA Aix-en-Provence, 29 juin 2021, n° 21/00366 N° Lexbase : A56544XP), qui avait jugé que devait être déclarée inopposable la clause excluant : « ... les pertes d'exploitation lorsque, à la date de la décision de fermeture, au moins un autre établissement, quelle que soit sa nature et son activité, fait l'objet, sur le même territoire départemental que celui de l'établissement assuré, d'une mesure de fermeture administrative, pour une cause identique ». La Haute juridiction valide ainsi l’applicabilité de cette clause d’exclusion de garantie litigieuse opposée par l’assureur.
Pour aller plus loin : pour une analyse des arrêts du 1er décembre 2022, v. les obs. de R. Bigot et A. Cayol, in Chronique de droit des assurances – Décembre 2022, Lexbase Droit privé, décembre 2022, n° 928 N° Lexbase : N3666BZS. |
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Réf. : Cass. civ. 3, 7 décembre 2022, n° 21-23.103, FS-B N° Lexbase : A85338XC
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N4077BZZ
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par Marie-Laure Besson, Maître de conférences en droit privé à l’Université Sorbonne Paris Nord, Membre de l’Institut de Recherche pour un Droit Attractif (IRDA) - UR 3970
Le 25 Janvier 2023
Mots-clés : bail commercial • action en requalification • convention de location d’un terrain nu d’une durée de 7 ans • caractère non écrit de la durée du contrat (non) • clauses réputées non écrites • application de l’article L. 145-15 du Code de commerce (non) • imprescriptibilité de l’action en requalification (non) • application de l’article L. 145-60 du Code de commerce (oui) • prescription biennale (oui) • délai de prescription commençant à courir à compter de la conclusion de la convention
La Cour de cassation a déjà été amenée à trancher la question de la prescription applicable à la requalification d’un contrat en bail commercial sous l’empire de la loi ancienne, avant que le statut des baux commerciaux ne soit réformé. À la suite de l’entrée en vigueur de la loi du 18 juin 2014, on a pu se demander si la position adoptée précédemment serait reconduite, eu égard à l’article L. 145-15, venu substituer la sanction de la nullité des clauses faisant échec aux dispositions d'ordre public du statut des baux commerciaux, par celle du réputé non écrit, dont l’action y afférente n'est soumise à aucune prescription et peut être exercée à tout moment. La troisième chambre civile apporte la réponse à cette interrogation. Elle déclare que l'article L. 145-15 du Code de commerce, réputant non écrites certaines clauses d'un bail, n'est pas applicable à une demande en requalification d'un contrat en bail commercial, de sorte que la demande de la locataire, qui tendait à la requalification en bail statutaire de la convention de location de terrain nu signée le 16 juillet 2009, était soumise à la prescription de deux ans commençant à courir à compter de la conclusion de la convention.
1. Bien que la question de la prescription applicable à l’action en requalification d’un contrat en bail commercial ait déjà été posée à la Cour de cassation, la décision est intéressante, car elle est rendue sous l’empire de la loi nouvelle, après que le statut des baux commerciaux ait été réformé.
2. Dans l’espèce en question, une société titulaire d'un contrat de crédit-bail sur un ensemble immobilier à usage de supermarché, a consenti par acte sous seing privé du 19 juillet 1994, à une autre société la sous-location d'une parcelle de terrain, pour l'installation de son activité de station de lavage, jusqu'à l'expiration du contrat de crédit-bail prévu le 30 juin 2009. Par acte authentique du 29 avril 2005, la société locataire a cédé son activité à une autre société. Suivant acte authentique du 15 juillet 2009, la société bailleresse a acquis l'ensemble immobilier objet du contrat de crédit-bail. Par contrat de bail du 16 juillet 2009, la société bailleresse a loué à la dernière société locataire la parcelle de terrain précédemment objet de la sous-location, pour une durée de sept années à compter du 1er juillet 2009, soit jusqu'au 30 juin 2016. Par courrier recommandé avec accusé de réception du 24 novembre 2015, la société bailleresse a donné congé à sa locataire pour le 30 juin 2016. Par lettre recommandée avec accusé de réception du 20 janvier 2016, la société preneuse a contesté le congé délivré et a indiqué revendiquer le bénéfice de la propriété commerciale. Par ordonnance du 4 janvier 2017, le juge des référés du tribunal de grande instance de Pau a débouté la société bailleresse de sa demande d'expulsion en raison de l'existence d'une contestation sérieuse. Par acte d'huissier du 27 juin 2017, la société bailleresse a fait assigner sa locataire sur le fondement de l'article L. 145-60 du Code de commerce N° Lexbase : L8519AID et des articles 1134 et suivants du Code civil N° Lexbase : L1234ABC.
3. Par jugement en date du 10 septembre 2019, le tribunal de grande instance de Pau a débouté la bailleresse de sa demande de libération des lieux et paiement d'une indemnité d'occupation. En effet, il considère que l'exception soulevée par la locataire est recevable et que le contrat du 16 juillet 2009 est bien un contrat de bail soumis au statut des baux commerciaux. Selon lui, le congé délivré est donc nul, si bien que le bail conclu entre les parties s'est tacitement prolongé depuis le 1er juillet 2018. Selon déclaration du 7 novembre 2019, la société venant aux droits de la société bailleresse a interjeté appel à l'encontre de cette décision. À ce titre, elle demande l'infirmation du jugement en toutes ses dispositions. Elle soutient que les actions relevant du statut des baux commerciaux se prescrivent par deux ans et que la société locataire a exercé une action en reconnaissance du statut des baux commerciaux au-delà du délai imparti. En conséquence, elle prétend à la prescription et l'irrecevabilité des demandes de l'intimée. À titre principal, elle demande que l'exception de nullité soit jugée irrecevable puisque la convention de location du 16 juillet 2009 a été exécutée et n'est pas un contrat de bail soumis au statut des baux commerciaux. Ce faisant, elle sollicite la condamnation de la société preneuse à payer une indemnité d'occupation. La société locataire rétorque que la durée contractuelle de sept ans du bail initial en date du 19 juillet 1994, étant une clause d'ordre public, est réputée non écrite et de ce fait imprescriptible en application de l'article L. 145-15 du Code de commerce N° Lexbase : L5032I3R. La SARL preneuse est déboutée de toutes ses demandes et son expulsion est prononcée par les juges du fond [1]. Tout d’abord, ils estiment que l’exception soulevée par la SARL est prescrite. Les actions en requalification d’un contrat de bail commercial se prescrivent par deux ans, ce délai commençant à courir à compter de la conclusion du contrat. Le contrat ayant été signé le 16 juillet 2009, elle est donc prescrite depuis le 16 juillet 2011. Concernant la prescription de l’exception de nullité de la clause, elle est également soumise à la prescription biennale sauf application de l'article 1185 du Code civil N° Lexbase : L0893KZ4, aux termes duquel l’exception est perpétuelle lorsqu’elle a pour objet de faire échec à une demande d’exécution d’un acte juridique si le contrat n’a reçu aucune exécution. En l’occurrence, le contrat a reçu exécution puisqu’il y a eu mise à disposition, occupation des lieux et paiement des loyers. Il est indifférent que la clause litigieuse n’ait fait l’objet d’aucune exécution et que l’exécution du contrat ait porté sur d’autres obligations que cette clause. Par ailleurs, la clause du bail prévoyant sa durée n’est pas inopposable au preneur dans la mesure où, s'agissant d'un bail conclu le 16 juillet 2009 et pour lequel l'action en requalification est nécessairement prescrite avant l'entrée en vigueur de la nouvelle loi, cette modification législative n'a pu avoir pour effet de faire revivre un droit déjà éteint par la prescription le 16 juillet 2011. Enfin, l’appelante ne peut arguer la suspension de la prescription pour fraude du bailleur issue d’une précaution rédactionnelle sur la durée du bail et l’absence de droit à indemnisation tendant à occulter l’étendue exacte de ses droits. Elle ne démontre pas l’utilisation de moyens déloyaux destinés à surprendre le consentement, indispensable à la caractérisation d’une telle fraude. La location ayant pris fin le 30 juin 2016 en application du contrat, la preneuse est donc occupante sans droit ni titre depuis cette date. Cette occupation constitue une juste cause pour que soit ordonnée son expulsion. En revanche, la clause pénale forfaitaire s’établissant sur la base du loyer global de la dernière année de location majorée de 50 % n’a pas vocation à s’appliquer puisque la présente décision n’intervient pas au titre d’une résiliation. De plus, étant une clause pénale, celle-ci peut être modérée et l’appelante ne justifie pas d’un préjudice supérieur qui ne soit pas indemnisé par le paiement d’une indemnité d’occupation équivalente au dernier loyer acquitté. Insatisfaite de cette solution, la société locataire se pourvoit en cassation. À l’appui de son pourvoi, elle fait grief à l'arrêt de déclarer prescrites ses demandes, alors que l'article L. 145-15 du Code de commerce, tel qu'issu de la loi du 18 juin 2014 (loi n° 2014-626 N° Lexbase : L4967I3D), est applicable aux baux en cours, quelle que soit la date de leur conclusion, l'action tendant à voir réputer non écrite une clause du bail n'étant pas soumise à prescription. Elle prétend également qu’en estimant que l'article L. 145-15 nouveau ne pouvait s'appliquer au bail conclu le 16 juillet 2009, dès lors qu'il aurait pour effet de faire revivre un droit éteint par la prescription depuis le 16 juillet 2011, la cour d'appel aurait violé, par refus d'application, l'article L. 145-15 du Code de commerce. En réponse à cet argumentaire, la Cour de cassation affirme que la cour d'appel a énoncé, à bon droit, que l'article L. 145-15 du Code de commerce réputant non écrites certaines clauses d'un bail, n'est pas applicable à une demande en requalification d'un contrat en bail commercial, de sorte qu’elle a exactement retenu que la demande de la locataire, qui tendait à la requalification en bail statutaire de la convention de location de terrain nu signée le 16 juillet 2009, était soumise à la prescription de deux ans commençant à courir à compter de la conclusion de la convention.
4. La Haute Cour ne se prononce pas sur la requalification du contrat litigieux, mais statue seulement sur la prescription applicable à l’action y afférente. Ainsi, après avoir écarté l’application de la règle de l’imprescriptibilité issue du nouvel article L. 145-15 du Code de commerce (I), la troisième chambre civile ne pouvait qu’en déduire l’application de la prescription biennale (II).
I. Le rejet de la règle de l’imprescriptibilité issue de l’article L. 145-15 du Code de commerce
5. Après la promulgation de la loi dite « Pinel » du 18 juin 2014, la doctrine n’était pas certaine que la jurisprudence rendue au sujet de la prescription applicable à une action en requalification d’un contrat en bail commercial soit reconduite. Effectivement, depuis cette loi, les clauses faisant échec aux dispositions d'ordre public du statut des baux commerciaux ne sont plus sanctionnées par la nullité, mais par le réputé non écrit [2]. Or, l'action tendant à faire réputer non écrite une clause litigieuse n'est pas soumise à prescription et peut donc être exercée à tout moment [3]. C’est précisément à cette interrogation que la solution commentée répond en premier lieu.
6. Sous l’égide de la loi ancienne, la Cour de cassation avait arrêté deux solutions en distinguant l'action qui tend à voir reconnaître au bénéfice du preneur l'application de plein droit du statut des baux commerciaux, notamment dans le cadre des dispositions de l'article L. 145-5 du Code de commerce N° Lexbase : L2320IBK, dans sa rédaction antérieure à la loi du 18 juin 2014 [4], de l’action en requalification qui peut intervenir à la suite de la conclusion d’un contrat, quel qu’il soit (bail emphytéotique, professionnel ou saisonnier, location-gérance). Lorsqu’il était question d’une action tendant à faire constater l'existence d'un bail soumis au statut né du maintien en possession du preneur à l'issue d'un bail dérogatoire, il avait été jugé qu’elle échappait à la courte prescription biennale [5]. À propos de l'action tendant à la requalification d'un bail saisonnier en bail commercial statutaire, elle relevait, quant à elle, de la prescription biennale édictée par l'article L. 145-60 du Code de commerce [6]. Pour justifier la solution, la doctrine expliquait que les circonstances de l’action « tendant à faire constater l’existence d’un bail commercial soumis au statut », dont le fondement « résulte uniquement de l'article L. 145-5 du Code de commerce qui est dérogatoire au statut des baux commerciaux et se suffit à lui-même » [7], sont bien différentes de celles de l’action en requalification. Concrètement, pour l’action née du maintien en possession, la prescription biennale ne peut s'appliquer, car ladite action « n'est pas "exercée en vertu du statut" mais d'une disposition dérogatoire au statut ». En revanche, l’autre action est exercée en vertu du statut. Avec l’entrée en vigueur du nouvel article L. 145-15 du Code de commerce, si la doctrine supposait que la première solution serait maintenue, dès lors que toute convention portant atteinte au droit de renouvellement institué notamment par l'article L. 145-5 s'avère réputée non écrite [8], elle se prononçait avec beaucoup moins de certitudes pour la seconde. En outre, le maintien de la rédaction de l’article L. 145-60 du Code de commerce par le législateur de 2014, alors que celui-ci avait pour objectif d'écarter l'application de la prescription biennale pour protéger le locataire [9], ne facilite pas la réponse [10]. Partant, certains trouvaient légitime de penser que l'action en requalification d'un bail saisonnier en bail commercial échapperait à la prescription biennale, si l'on considère que la qualification de « bail saisonnier » ne vise qu'à faire échec au droit au renouvellement du bail commercial et aux dispositions statutaires, alors que d’autres pensaient le contraire [11]. Il restait donc à savoir si l'on pouvait assimiler une action en requalification à une action visant à faire réputer non écrite une clause contraire à l'ordre public statutaire [12]. C’est chose faite et la réponse est négative.
7. Les Hauts conseillers affirment, sans remettre en question l’application de l’article L. 145-15 aux baux en cours, la solution étant désormais acquise [13], que « l'article L. 145-15 du Code de commerce, réputant non écrites certaines clauses d'un bail commercial, n'est pas applicable à une demande en requalification d'un contrat en bail commercial ». La solution antérieure semble donc maintenue. On comprend alors qu’une action en requalification ne peut pas être assimilée à une action visant à faire réputer non écrite une clause contraire à l'ordre public statutaire. Une telle solution peut être perçue sévèrement par le demandeur à la requalification qui peut se retrouver lié par un « faux » contrat [14]. Qui plus est, le fait de pouvoir, grâce à cette prescription de courte durée, échapper aux contraintes du statut des baux commerciaux alors qu’il aurait dû s'appliquer, crée une certaine insécurité juridique [15]. C’est surtout, eu égard à l’objectif poursuivi par le statut des baux commerciaux qui tend à assurer la stabilité du fonds de commerce et par là même à pérenniser l’activité économique, que la solution nous paraît dure. Bien que l’effet – à savoir l’imprescriptibilité – attaché à la sanction du réputé non écrit [16] soit critiqué par certains juristes [17], il est permis de lui trouver un intérêt et une cohérence si l’on suit une logique de pérennisation de l’activité économique, puisque pour préserver cette activité économique, il semble juste qu’une clause qui contrevient à l’exercice de ladite activité puisse être éradiquée à tout moment [18]. Probablement, le « législateur Pinel » a-t-il voulu « apurer rapidement le contentieux des baux commerciaux » [19]. Pour autant, la formule de l’article L. 145-15 vise une contrariété à des éléments essentiels du statut (renouvellement, charges, etc.), en l’absence desquels l’activité économique est mise à mal. Le fait de priver un bail commercial de sa véritable qualification ne revient-il pas à faire échec à des éléments fondamentaux du statut et empêcher la pérennisation de l’activité économique ? Il ne paraît pas illégitime de le penser. Finalement, on peut se demander si la distinction entre les actions tendant à faire admettre l’existence d’un bail commercial soumis au statut et les véritables actions en requalification est bien justifiée.
Cela étant admis, il ne restait qu’à appliquer la prescription biennale dont le point de départ est fixé au jour de la conclusion du contrat.
II. L’admission de la prescription biennale issue de l’article L. 145-60 du Code de commerce
8. De toute évidence, pour engager une action en justice, il est nécessaire que le délai pour agir ne soit pas prescrit et on sait que les actions judiciaires exercées dans le cadre des baux commerciaux sont encadrées par trois délais de prescription [20]. Certaines d’entre elles sont gouvernées par la règle de l’imprescriptibilité. À côté de cette règle qui a été écartée, il reste la prescription biennale issue de l’article L. 145-60 du Code de commerce invocable pour toutes les actions exercées en vertu du statut et la prescription quinquennale de droit commun. C’est en faveur de cette seconde prescription que la solution analysée se positionne, comme elle l’avait déjà fait avant la réforme du statut.
9. Elle déclare que « la demande de la locataire, qui tendait à la requalification en bail statutaire de la convention de location de terrain nu signée le 16 juillet 2009, était soumise à la prescription de deux ans commençant à courir à compter de la conclusion de la convention ». Étant donné qu’elle a rejeté l’application de l’article L. 145-15 du Code de commerce, elle ne pouvait qu’approuver l’application de la prescription biennale de l’article L. 145-60 du même code. Il paraît évident que la prescription quinquennale de droit commun n’avait pas lieu d’être ici puisque l’action était spécialement liée au statut. Or, la prescription quinquennale n’est destinée qu’aux actions non fondées sur les dispositions du chapitre V du titre IV du livre 1er du Code de commerce, inhérentes au droit commun ou aux stipulations du bail lui-même [21]. Quant au point de départ du délai de prescription, la jurisprudence antérieure a déjà eu l’occasion de préciser que la computation du délai de la prescription biennale se faisait au jour de la conclusion du contrat, peu important qu'il ait été renouvelé ou reconduit [22], ce qui peut être critiquable dans le sens où un bailleur qui fraude, une deuxième fois (bail renouvelé), devient intouchable [23]. De la sorte, il a été jugé que le point de départ du délai de prescription d'une action en requalification de plusieurs conventions successives d'occupation saisonnière n'est pas la date de la dernière convention, mais la date à partir de laquelle le statut des baux commerciaux pouvait être revendiqué [24]. À ce titre, la solution analysée apparaît conforme. Cependant, la doctrine relève que l’article L. 145-60 est silencieux quant au point de départ à prendre en compte pour calculer le délai de prescription, et il a été suggéré de retenir le même point de départ qu’en droit commun : le jour de la connaissance des faits permettant d’agir [25]. Il n’est pas certain que l’appréciation du jour de la connaissance des faits permettant d’agir [26] laisse forcément davantage de temps au locataire pour agir en requalification d'un bail et sauver son activité, mais ça pourrait être le cas parfois [27]. Ce n’est pas la solution retenue. On sait que la question de la requalification se pose rarement dans les deux années suivant la conclusion du contrat litigieux, mais plutôt à l'expiration de celui-ci. Le preneur devra donc faire preuve d'une grande réactivité s’il veut demander la requalification de son contrat en bail commercial [28], à moins de recourir à une clause aménageant la prescription si tant est qu’elle soit valable (ce qui n’est pas évident du tout) [29] ou que ne soit établie la fraude du bailleur, qui peut être une cause de suspension de la prescription.
10. À partir du moment où la requalification du contrat en bail commercial intervient à la suite d’une fraude destinée à priver le locataire du bénéfice du statut des baux commerciaux [30], la prescription est suspendue en application de l'adage « fraus omnia corrumpit », dont la Cour de cassation a déjà fait usage dans le domaine des baux commerciaux [31]. Tel est le cas lorsque le paiement des charges est réalisé selon un décompte annuel et que le loyer, même modique, fait l'objet de révisions correspondant à la révision triennale des baux commerciaux [32]. Cela permet au locataire d’exercer l'action en requalification du contrat plus de deux ans après sa signature [33]. Malheureusement, la fraude sera difficile à démontrer la plupart du temps, car il faut caractériser des manœuvres déloyales et une intention frauduleuse. Ici, la fraude a été soulevée sur la base d’une précaution rédactionnelle sur la durée du bail et l’absence de droit à indemnisation tendant à occulter l’étendue exacte de ses droits, mais la cour d’appel l’a rejetée, faute d’avoir démontré l’utilisation de moyens déloyaux destinés à surprendre le consentement. Moralité, comme l’indique très justement un auteur, le locataire qui n’a pas été suffisamment rapide pour demander la requalification, aura tout intérêt à ne pas engager d’action judiciaire, mais plutôt se maintenir dans les lieux et attendre que l'autre partie introduise une action en expulsion pour invoquer, par voie d'exception, l'application du statut des baux commerciaux [34]. Une dernière parade pourrait résulter d’une demande qualifiée de défense au fond [35], mais elle est assez incertaine [36].
[1] CA Pau, 29 juillet 2021, n° 19/03523 N° Lexbase : A53664ZR.
[2] C. com., art. L. 145-15, modifié par la loi n° 2014-626, du 18 juin 2014.
[3] V. en ce sens : Cass. civ. 3, 19 novembre 2020, n° 19-20.405, FS-P+B+I N° Lexbase : A9460347, Loyers et copr., 2021, comm. 10, note E. Marcet ; JCP G, 2021, 240, n° 2, obs. D. Houtcieff ; JCP E, 2021, 1168, n° 8, obs. J. Monéger ; Dalloz Actualité, 4 janvier 2021, obs. A. Cayol ; LEDC, janvier 2021, p. 2, obs. N. Leblond.
[4] « Si, à l'expiration de cette durée, le preneur reste et est laissé en possession, il s'opère un nouveau bail dont l'effet est réglé par les dispositions du présent chapitre [...] ».
[5] Cass. civ. 3, 1er octobre 2014, n° 13-16.806, FS-P+B+I N° Lexbase : A8014MX4, Loyers et copr., 2014, comm. 272, note Ph.-H. Brault ; JCP G, 2014, 1146, note Ch. Lebel ; D., 2014, p. 1997, obs. Y. Rouquet ; RTD com., 2014, p. 773, obs. F. Kendérian ; JCP E, 2015, 1130, obs. H. Kenfack – Cass. civ. 3, 13 mai 2015, n° 13-23.321, FS-D N° Lexbase : A8619NHP, Ann. loyers 2015, p. 139, obs. A. Cerati-Gauthier.
[6] CA Aix-en-Provence, 4 mars 2014, n° 11/12514 N° Lexbase : A1634MGM, Loyers et copr., 2014, comm. 148, note E. Chavance – Cass. civ. 3, 17 septembre 2020, n° 19-18.435, F-P+B+I N° Lexbase : A88413TM, LEDC, octobre 2020, p. 2, obs. M. Latina ; Rev. loyers, 2020, p. 472, obs. Ch. Lebel ; JCP N, 2021, 1133, note A. Mbotaingar ; JCP E, 2021, 1168, n° 5, obs. B. Brignon – Cass. civ. 3, 19 novembre 2015, n° 14-13.882, F-D N° Lexbase : A5487NXI, J. Prigent, Lexbase Affaires, janvier 2016, n° 450 N° Lexbase : N0882BWL – Cass. civ. 3, 3 décembre 2015, n° 14-19.146, FS-P+B N° Lexbase : A6863NYT, D., 2015, p. 2559, obs. Y. Rouquet ; B. Brignon, Lexbase Affaires, janvier 2016, n° 450 N° Lexbase : N0888BWS – CA Aix-en-Provence, 20 octobre 2015, n° 14/04383 N° Lexbase : A6443NTS, Loyers et copr., 2015, comm. 250, note E. Chavance. V. aussi pour une analyse de tous ces arrêts : F. Kendérian, Salve d'arrêts sur l'action en requalification d'un contrat en bail commercial, RTD com., 2016, p. 47, spéc. p. 53.
[7] H. Kenfack, Baux commerciaux, JCP E, mars 2015, n° 11, chron. 1130, spéc. n° 20.
[8] Ph.-H. Brault, Application de la prescription biennale à l'action tendant à faire constater en raison du maintien dans les lieux du preneur après expiration du bail dérogatoire l'existence d'un bail commercial assujetti au statut des baux commerciaux selon l'article L. 145-5 du Code de commerce, Loyers et copr., n° 11, novembre 2014, comm. 272 ; H. Kenfack, Baux commerciaux, art. cit., spéc. n° 22.
[9] F. Verdier, rapport AN n° 1739 (1338) : rapport fait au nom de la commission des affaires économiques sur le projet de loi, après engagement de la procédure accélérée, relatif à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises, p. 53 [en ligne].
[10] V. sur ce débat : J. Monéger, Prescription biennale et clauses réputées non écrites : une fausse bonne question ?, Loyers et copr., 2014, repère 6 ; J.-P. Dumur, Le « bêtisier » de la loi Pinel en dix stations, AJDI, 2014, p. 821.
[11] F. Kendérian, Bail commercial. - Champ d'application du statut. - Convention d'occupation précaire. - Baux dérogatoires : bail d'une durée au plus égale à trois ans. Location à caractère saisonnier, Jcl. Bail à Loyer, Fasc. n° 1255, août 2022, n° 107 ; v. contra : H. Kenfack, Baux commerciaux, art. cit. ; M.-P. Dumont-Lefrand, Baux commerciaux, D., 2016, p. 1613.
[12] V. sur la question : F. Kendérian, in Salve d'arrêts sur l'action en requalification d'un contrat en bail commercial, préc., spéc. p. 53.
[13] V. en sens : Cass. civ. 3, 19 novembre 2020, n° 19-20.405, Dalloz Actualité 4 janvier 2021, obs. A. Cayol – Cass. civ. 3, 30 juin 2021, n° 19-23.038, FP+B N° Lexbase : A20224YK, M.-L. Besson, Lexbase Affaires, juillet 2021, n° 685 N° Lexbase : N8425BYP – Cass. civ. 3, 21 avril 2022, n° 21-10.375, F-D N° Lexbase : A48737UZ, M.-L. Besson, Lexbase Affaires, mai 2022, n° N° Lexbase : N1491BZA.
[14] V. pour cet argument : F. Kendérian, Salve d'arrêts sur l'action en requalification d'un contrat en bail commercial, art. cit.
[15] V. pour cet argument : B. Brignon, Prescription de l'action en requalification d'une location-gérance en bail commercial, obs. sous Cass. civ., 3 décembre 2015, n° 14-19.146, préc..
[16] M.-L. Besson, L’obligation de délivrance dans les baux commerciaux, préf. A. M. Luciani, L’Harmattan, coll. Logiques juridiques, 2021, p. 610, n° 660 ; S. Gaudement, La clause réputée non écrite, préf. Y. Lequette, Economica, 2006, pp. 127 et s., n° 239 et s. ; T. Douville (dir.) et alii, La réforme du Droit des contrats - Commentaire article par article - Ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, Gualino, Lextenso, 2016, p. 138 ; J.-P. Blatter et W. Blatter‑Hodara (collab.), Traité des baux commerciaux, 6ème éd., op. cit., p. 857, n° 1814 ; D. Houtcieff, Clauses réputées non écrites et baux commerciaux, Loyers et copr., 2018, n° 10, doss. 14, p. 33 ; v. contra : H. Barbier, L'action en réputé non écrit est-elle imprescriptible ?, RTD civ., juillet 2019, n° 2, p. 334.
[17] H. Barbier, L'action en réputé non écrit est-elle imprescriptible ?, art. cit.
[18] M.-L. Besson, L’obligation de délivrance dans les baux commerciaux, op. cit., p. 610, n° 661.
[19] V. sur cette idée : J. Lafond, B. Vial-Pedroletti, F. Kendérian, E. Chavance et C. Coutant-Lapalus (part.), Code des baux, 14ème éd., LexisNexis, 2015, obs. sous C. com., art. L. 145-60, p. 751, n° 1, in F. Kendérian, Salve d'arrêts sur l'action en requalification d'un contrat en bail commercial, art. cit.
[20] Délai quinquennal de droit commun, prescription biennale spécifique au statut (C. com., art. L. 145-60) et imprescriptibilité des actions en réputé non écrit ; v. en ce sens : J.-P. Blatter et W. Blatter-Hodara (collab.), Traité des baux commerciaux, 6ème éd., Le Moniteur, 2018, p. 839, n° 1770 ; M.‑P. Dumont-Lefrand, Bail commercial, Rép. civ. Dalloz, septembre 2009, n° 503 ; A. Chatty, Les baux commerciaux, 4ème éd., Légis-France, 2015, p. 138, n° 327 ; M.-L. Besson, L’obligation de délivrance dans les baux commerciaux, coll. Logiques juridiques, L’Harmattan, 2021, p. 607, n° 655.
[21] J.-D. Barbier, Bail commercial. - Prescription, Jcl. Civil Code, Fasc. n° 1304, novembre 2020, n° 3-5. V. aussi : Cass. civ. 3, 14 janvier 2016, n° 14-23.134, F-D N° Lexbase : A9537N3M – Cass. civ. 3, 10 mars 2015, n° 12-27.139, F-D N° Lexbase : A3228NDW, Gaz. pal., avril 2015, pan., p. 30, note R. Conseil ; Cass. civ. 1, 1er juillet 2015, n° 14-20.369, FS-D N° Lexbase : A5379NM8, Gaz. pal., août 2015, pan., p. 37, note R. Conseil ; Cass. civ. 3, 5 octobre 1994, n° 92-14.354 N° Lexbase : A6943ABR, Administrer, janvier 1995, p. 34, note J.-D. Barbier – Cass. civ. 3, 15 septembre 2010, n° 09-15.924, FS-D N° Lexbase : A5806E9W, Gaz. pal., mars 2011, pan., p. 45 – Cass. civ. 3, 24 mai 2017, n° 16-16.541, F-D N° Lexbase : A1041WEB, Gaz. pal., juillet 2017, p. 70, note J.-D. Barbier.
[22] V. en ce sens : Cass. civ. 3, 22 janvier 2013, n° 11-22.984, F-D N° Lexbase : A8768I37, AJDI, 2013, 609, obs. R. Hallard ; Administrer, mars 2013. 34, obs. D. Lipman-W. Boccara. V. aussi pour un contrat tacitement reconduit : Cass. com., 11 juin 2013, n° 12-16.103, F-P+B N° Lexbase : A5785KGD, D., 2013. 1543, obs. Y. Rouquet ; AJDI, 2014, 32, obs. J.-P. Blatter ; RTD com., 2013, 467, obs. F. Kendérian ; JCP E, 2013, n° 1430, § 12, obs. J. Monéger ; Loyers et copr., 2013, comm. 241, note E. Chavance ; J. Prigent, in Chron., Lexbase Affaires, juillet 2013, n° 345 N° Lexbase : N7930BTU.
[23] A. Cerati-Gauthier, Chronique des contrats d'affaire, note sous Cass. civ. 3, 3 décembre 2015, Journal des sociétés, février 2016.
[24] CA Aix-en-Provence, 4 mars 2014, n° 11/12514 N° Lexbase : A1634MGM, Loyers et copr., 2014, comm. 148, note E. Chavance.
[25] B. Brignon, Prescription de l'action en requalification d'une location-gérance en bail commercial, art. cit. ; Du réputé non écrit et de l'application dans le temps de la loi Pinel », Cah. dr. entr., mai 2015, dossier 17, spéc. 1-B.
[26] M.-L. Besson, L’obligation de délivrance dans les baux commerciaux, op. cit., pp. 607-609, n° 656-658.
[27] V. en ce sens un arrêt admettant que l’action en fixation du loyer d’un bail statutaire faisant suite à un bail dérogatoire est enfermée dans le délai de prescription de deux ans de l’article L. 145-60 du Code de commerce et court à compter de la date à laquelle le statut a été revendiqué par l’une des parties et non à la date où le bail est né : Cass. civ. 3, 7 juillet 2016, n° 15-19.485, FS-P+B+I, N° Lexbase : A9962RWU, Rev. loyers, octobre 2016, n° 970, obs. B. de Lacger ; Dr. & patr., août 2016, n° 1066, obs. C. L. G. ; RDC, décembre 2016, n° 4, p. 676, obs. R. Boffa ; Gaz. pal., novembre 2016, n° 40, p. 69
[28] F. Kendérian, Bail commercial. - Champ d'application du statut. - Convention d'occupation précaire. - Baux dérogatoires : bail d'une durée au plus égale à trois ans. Location à caractère saisonnier, op. cit., n° 107.
[29] V. la question en débat du caractère d’ordre public de l’article L. 145-60 du Code de commerce et sur la faculté de prévoir un délai de prescription plus long et de fixer son point de départ : A. Levi et alii, Le Lamy Droit commercial, 2022, n° 892 et 1618 ; C. Mutelet et alii, Le Lamy Baux commerciaux, 2022, n° 550-40.
[30] J.-Cl. Berthault, Les locations commerciales saisonnières, Rev. loyers 1988, p. 200, spéc. p. 202.
[31] V. Cass. civ. 3, 8 avril 2010, n° 08-70.338, FS-P+B N° Lexbase : A5821EU7, D., 2010. 1017, obs. Y. Rouquet ; ibid., 2011, 1786, obs. M.-P. Dumont-Lefrand ; AJDI, 201, 719, obs. J.-P. Blatter ; Loyers et copr., 2010, comm. 164, note E. Chavance ; JCP E, 2010, n° 1656, § 4, obs. J.-B. Seube ; Rev. loyers, 2010, 259, obs. B. Raclet ; Ann. Loyers, 2010, 1949, obs. A. Cerati-Gauthier ; Gaz. pal., 14-17 juillet 2010. 32, note Ch.-E. Brault ; Administrer, juin 2010, 38, obs. D. Lipman-W. Boccara ; RTD com., 2010, 521, obs. F. Kendérian – Cass. civ. 3, 23 septembre 2021, n° 20-10.812, F-D N° Lexbase : A448947E, Loyers et copr., 2021, n° 12, comm. 182, E. Chavance.
[32] Cass. civ. 3, 10 novembre 1987, Rev. loyers, 1988, p. 222 ; Administrer, juin 1988, p. 56, n° 10, note J. Lafond.
[33] Cass. civ. 3, 19 novembre 2015, n° 14-13.882, préc., J. Prigent, Lexbase Affaires, préc.
[34] F. Kendérian, Salve d'arrêts sur l'action en requalification d'un contrat en bail commercial, art. cit.
[35] Cass. civ. 3, 22 octobre 2020, n° 18-25.111, F-D N° Lexbase : A87603Y4, AJDI, 2021, p. 142.
[36] P. Gaiardo, Prescription de la demande en requalification en bail commercial : confirmation, obs. sous Cass. civ. 3, 7 décembre 2022, n° 21-23.103, Dalloz Actualité, 17 janvier 2023.
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Réf. : Cass. com., 18 janvier 2023, n° 21-16.812, F-B N° Lexbase : A6065887
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par Claire-Anne Michel, Maître de conférences, Université Grenoble-Alpes, Centre de recherches juridiques (CRJ)
Le 26 Janvier 2023
► Lorsqu’un contrat a été inexécuté, la restitution de l’intégralité de ce que les parties ont perçu s’impose dès lors que le contrat est un contrat à utilité finale, peu importe que l’inexécution ne soit pas imputable au débiteur.
Premier arrêt rendu sous l’empire des nouvelles dispositions relatives à la résolution judiciaire, l’arrêt du 18 janvier 2022 marquera les esprits. Il les marquera d’autant plus que c’est dans le contexte du confinement lié à la pandémie de Covid-19 et des mesures sanitaires prévues par la loi du 23 mars 2020 qu’il a été rendu (loi n° 2020-290, du 23 mars 2020, d'urgence pour faire face à l'épidémie de Covid-19 N° Lexbase : L5506LWT).
Faits et procédure. En l’espèce, était en cause un contrat de prestation de services (fourniture de prestation de restauration pendant un salon), et pour lequel un acompte avait été versé. Le contexte sanitaire de l’époque (printemps 2020) avait abouti à l’annulation du salon. La restitution de l’acompte était donc demandée par la société qui avait fait appel aux services de la société de restauration. La cour d’appel avait rejeté la demande de résolution et de restitution de l’acompte, considérant que la société prestataire ne pouvait être considérée comme fautive (le salon ayant été annulé par un tiers) et que la société ayant commandé la prestation n’avait pas été empêchée de verser les sommes prévues par le contrat (CA Aix-en-Provence, ch. 3-1, 18 mars 2021, n° 20/12607 N° Lexbase : A56694LK).
Solution. L’arrêt est cassé au visa des articles 1217 N° Lexbase : L1986LKR, énumérant les sanctions de l’inexécution, 1227 N° Lexbase : L0936KZP, consacré à la résolution judiciaire, et 1229 N° Lexbase : L0934KZM, consacré aux effets de la résolution, du Code civil.
Dans un premier temps, la Chambre commerciale précise que « selon ces textes, la partie envers laquelle l’engagement n’a pas été exécuté, peut provoquer la résolution du contrat. La résolution peut, en toute hypothèse, être demandée en justice et met fin au contrat. Lorsque les prestations échangées ne pouvaient trouver leur utilité que par l’exécution complète du contrat résolu, les parties doivent restituer l’intégralité de ce qu’elles se sont procuré l’une à l’autre ».
Dans un second temps, elle considère que la cour d’appel a violé ces textes dès lors qu’elle avait constaté que « les prestations objet du contrat n’avaient pas été exécutées ».
Consacrée par l’ordonnance du 10 février 2016, la distinction des contrats à utilité finale et des contrats à utilité continue trouve ici une application. Alors que la première catégorie postule une restitution intégrale des prestations reçues, pour la seconde, il n’y a lieu à restitution pour la période antérieure à l’inexécution. Dans la première hypothèse, la loi nouvelle reprend la solution retenue par la jurisprudence par le passé : lorsque les parties ont voulu faire une convention indivisible et non fractionnée (v. par ex. Cass. civ. 3, 20 novembre 1991, n° 89-16.552, publié au bulletin N° Lexbase : A2709ABX). Peu importe que l’inexécution ne soit pas imputable au débiteur. La résolution est attachée au seul constat de l’inexécution.
Pour aller plus loin : cet arrêt fera l'objet d'un commentaire approfondi par le Professeur Dimitri Houtcieff, à paraître prochainement dans la revue Lexbase Droit privé. |
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par Victor Roisin, Avocat associé et Eva Costantini, Avocat, cabinet Factorhy Avocats
Le 26 Janvier 2023
Mots-clés : concurrence déloyale • salarié • agissements fautifs • clause de non-concurrence • débauchage • dénigrement • clientèle • démarchage • données confidentielles • C. civ., art. 1240 N° Lexbase : L0950KZ9 • responsabilité délictuelle • moyens de preuve • huissier de justice • CPC, art. 145 N° Lexbase : L1497H49.
Tout salarié a, pendant toute la durée de son contrat de travail, une obligation de loyauté envers son employeur, laquelle se traduit notamment par l’interdiction d’exercer une activité concurrente.
Après la rupture du contrat de travail, l’employeur a tout intérêt à encadrer, au moyen de stipulations contractuelles, l’exercice pour son ancien salarié d’une quelconque activité concurrente à la sienne.
Et pour cause, la jurisprudence regorge d’affaires dans lesquelles un ancien salarié tenter de tirer profit du fichier clients ou fournisseurs de son ancien employeur ou d’un savoir-faire spécifique dont qu’il a pu prendre connaissance au cours de la relation de travail.
Naturellement, le départ de cet ancien salarié vers une société concurrente (I.), à la création de laquelle ce dernier participe parfois, représente un risque contre lequel l’ancien employeur peut vouloir se prémunir (II.).
I. Les règles de non-concurrence applicables à un salarié quittant une entreprise
Schématiquement, la présentation des règles encadrant les agissements de concurrence applicables à un salarié sur le départ suppose de distinguer clairement la période régie par un contrat de travail (A.) de celle postérieure à la rupture dudit contrat (B.).
A. Les différents moyens juridiques pour appréhender les actes de concurrence d’un salarié encore en poste
S’il est en principe soumis à une obligation de loyauté pendant la durée de son contrat de travail, le salarié peut être tenté de concurrencer son employeur avant même le terme dudit contrat.
Au regard du droit du travail, le salarié commet un manquement à son obligation de loyauté, dès lors qu’il commet des actes de concurrence à l’encontre de son employeur pour le compte d’une société en création ou d’une société déjà établie.
Tout manquement à l’obligation de loyauté, et plus spécifiquement à l’obligation de non-concurrence qui en découle, peut être sanctionné d’un licenciement pour faute simple ou pour faute grave selon les circonstances.
Dans de rares circonstances, l’employeur aura la possibilité de notifier un licenciement pour faute lourde, ce qui lui permettra ensuite de solliciter, le cas échéant, auprès du salarié des dommages et intérêts en réparation du préjudice subi.
À titre d’illustration, assez récemment, la Haute juridiction a pu confirmer le bien-fondé d’un licenciement pour faute lourde notifié à un salarié qui avait démarché des clients et fournisseurs travaillant avec la société qui l’employait, détourné des affaires en cours à son profit avec la complicité de fournisseurs, et perçu des commissions ayant appauvri son employeur [1].
En tout état de cause, dans l’hypothèse d’une faute grave ou lourde, il sera immédiatement mis un terme à la relation de travail et le salarié sera privé de toute indemnité de rupture.
À toutes fins utiles, il sera rappelé qu’il est possible pour un employeur de mettre un terme au préavis en cours d’un salarié ayant, par exemple, démissionné, lorsqu’il découvre des agissements justifiant la notification d’une faute grave ou d’une faute lourde.
Au-delà de l’angle contractuel, il est possible pour l’employeur d’appréhender les agissements du salarié sur le départ sous le prisme de l’action en concurrence déloyale vis-à-vis de l’entreprise profitant desdits agissements.
Avant de qualifier l’acte commis par le salarié selon ce prisme, les juges du fond attachent logiquement une importance première à la date de début de l’activité concurrentielle, en la comparant avec la date d’expiration des relations contractuelles.
À ce titre, la Cour a pu rappeler dans un arrêt récent que « constitue un acte de concurrence déloyale le fait, pour une société à la création de laquelle a participé le salarié d'une société concurrente, de débuter son activité avant le terme du contrat de travail liant ceux-ci » [2].
À la lecture de cet attendu de principe, il est clair que la temporalité des actes reprochés au salarié sur le départ par rapport au terme de la relation de travail salariée a toute son importance, pour caractériser l’existence ou non d’une concurrence déloyale.
En tout état de cause, que cela soit sous l’angle du manquement contractuel fautif ou celui de la concurrence déloyale, force est malheureusement de constater que de nombreux agissements commis par des salariés sur le départ sont sanctionnés par les Juges du fond.
À titre d’illustration, constituent des agissements de concurrence fautifs :
Au contraire, ont pu être considérés comme de simples actes préparatoires, non constitutifs d’une faute :
Ainsi, l’employeur, pris de soupçons vis-à-vis d’un salarié sur le départ, devra se montrer attentif à la chronologie des agissements identifiés et s’interroger sur le point de savoir s’il s’agit de simples actes préparant une future activité concurrentielle non fautifs ou au contraire d’agissements de concurrence effectifs, pouvant tout aussi bien constituer un manquement contractuel justifiant un licenciement pour faute que fonder une action délictuelle en concurrence déloyale.
B. Les moyens juridiques pour appréhender les actes de concurrence d’un ancien salarié
En l’absence de toute clause contractuelle de non-concurrence, le principe de liberté du travail et de libre établissement permet au salarié d'occuper un emploi dans une entreprise concurrente ou de créer lui-même une telle entreprise [15] après l'expiration de son contrat de travail.
Et pour cause, le salarié n’est dès lors plus tenu par aucune obligation contractuelle de loyauté à l’égard de son employeur. Dès lors, le simple fait pour un salarié ayant démissionné et n’étant nullement tenu par une clause de non-concurrence, de se mettre après sa démission au service d'une entreprise concurrente n'est que la manifestation normale du principe de la liberté du travail et ne constitue pas une faute [16].
S’il est tout à fait légitime pour la société de chercher à se prémunir contre des comportements concurrentiels de la part de ses anciens salariés, « la sauvegarde de la liberté d’exercice d’une activité professionnelle doit l’emporter sur la protection des intérêts de l’entreprise » [17] que « seule la stipulation d’une clause de non-concurrence pourra, éventuellement, venir limiter » [18].
La liberté d’exercer toute activité, y compris concurrente de laquelle jouit le salarié non tenu par une clause de non-concurrence trouve néanmoins sa limite dans l’exercice de sa nouvelle activité dans des conditions loyales, c'est-à-dire, sans se rendre coupable d'agissements fautifs caractéristiques de concurrence déloyale.
La jurisprudence considère l’ancien salarié d’une entreprise comme un « concurrent privilégié dont la déloyauté de la concurrence sera parfois reconnue plus facilement qu’elle le serait à l’égard d’un concurrent ordinaire » [19], au regard de nombreux indices comme « l’ancienne appartenance du salarié à l'entreprise, la connaissance qu’il a de son organisation, de ses projets et de son savoir-faire ainsi que les relations nouées avec la clientèle » [20].
À ce stade, pour rappel, les actes de concurrence déloyale peuvent prendre différentes formes, mais que la jurisprudence les rattache classiquement à l’une des quatre catégories suivantes, à savoir les actes visant à dénigrer un concurrent ou ses produits, à entraîner la confusion dans l’esprit de la clientèle [21], à entraîner la désorganisation d’une entreprise concurrente [22] et à parasiter un concurrent.
À ce titre, il est tenu compte des circonstances entourant la rupture des relations contractuelles, notamment de la mobilité habituelle des professionnels du secteur en cause, de la facilité pour l'ancien employeur de remplacer ses anciens salariés, du caractère volatile de la clientèle dans le secteur considéré [23].
S’il est par exemple admis que le départ d’un salarié puisse entraîner un déplacement de clientèle qui lui était fidèle, il y a concurrence déloyale lorsqu’une manœuvre tendant à détourner les clients de son ancien employeur est imputable à un salarié [24].
De même, les manœuvres sont déloyales lorsqu’elles entraînent la désorganisation du fonctionnement de l'entreprise concurrente, une simple perturbation ou un déplacement de clientèle n’étant pas suffisant à caractériser une concurrence déloyale [25].
À titre d’illustration, voici une liste d’agissements ayant été considérés comme déloyaux en jurisprudence :
Par ailleurs, la Haute juridiction a, dans un arrêt récent, considéré que « le seul fait, pour une société à la création de laquelle a participé l’ancien salarié d’un concurrent, de détenir des informations confidentielles relatives à l’activité de ce dernier et obtenues par ce salarié pendant l’exécution de son contrat de travail, constitue un acte de concurrence déloyale » [35].
À l’aune de cet arrêt, il semble que la jurisprudence se montre plus intransigeante vis-à-vis d’une société à la création de laquelle un ancien salarié a participé, que vis-à-vis d’une société s’étant contentée de recruter un ancien salarié d’une société concurrente.
Une fois les manquements identifiés, l’ancien employeur victime d’agissements fautifs pourra tenter d’agir à la fois contre son ancien salarié et/ou contre le nouvel employeur au titre d’une action en concurrence déloyale, laquelle obéit aux dispositions applicables en matière de responsabilité civile délictuelle [36].
II. Les moyens pratiques à la disposition d’un employeur pour identifier et caractériser les manquements d’un salarié sur départ
Lorsqu’il se trouve lié au salarié, que ce soit pendant le contrat de travail au titre de l’obligation de loyauté, ou bien à la suite de la rupture du contrat de travail s’il existe une clause de non-concurrence, l’employeur n’aura, tout au plus, qu’à s’aménager la preuve de l’existence d’actes de concurrence pour faire valoir ses droits (A.). Au contraire, en dehors de toute obligation contractuelle à faire valoir, l’ancien employeur devra user de procédés probatoires, parfois audacieux, pour établir l’existence d’agissements déloyaux et préserver ses droits (B.).
A. Les moyens à la disposition d’un employeur pour identifier et caractériser un manquement aux obligations contractuelles liant le salarié sur le départ
À titre liminaire, il conviendra de rappeler que l’une des solutions les plus efficaces pour se protéger contre tout acte de concurrence de la part d’un ancien salarié reste la mise en place d’une clause de non-concurrence.
En présence d’une telle clause, il appartient, tout au plus, à l’employeur de démontrer une méconnaissance par l’intéressé de son obligation de non-concurrence pour faire cesser les agissements de son salarié.
Pour ce faire, l’employeur peut :
À la différence d’une action en concurrence déloyale qui suppose la démonstration d’une faute délictuelle, d’un préjudice, et d’un lien de causalité, le simple manquement à une obligation de non-concurrence est, en soi, fautif et peut donner lieu à une injonction sous astreinte de cesser l’exercice de l’activité concurrente, outre le versement d’éventuels dommages et intérêts en cas de préjudice.
Toutefois, elle représente un coût financier non négligeable pour l’employeur, d’autant que la contrepartie financière est socialement considérée comme du salaire, ce qui implique le versement des cotisations sociales y afférentes.
Indépendamment de l’existence ou non d’une clause de non-concurrence, en cas de départ annoncé du salarié susceptible de représenter un risque concurrentiel, il reviendra à l’employeur d’être particulièrement vigilant quant aux faits et gestes de l’intéressé, notamment dans le cadre du préavis.
À titre d’exemple, dans le cadre de son pouvoir de direction, l’employeur pourra librement consulter les correspondances reçues ou envoyées sur le lieu de travail du salarié ou les fichiers créés sur son ordinateur ou téléphone professionnels, hors la présence du salarié, ces documents étant présumés avoir un caractère professionnel [37].
Toutefois, si le salarié a expressément identifié les documents comme étant « personnels », l’employeur ne pourra les consulter en son absence et sans son accord [38].
En tout état de cause, il est impossible pour l’employeur d’utiliser des moyens de preuve obtenus frauduleusement ou de façon déloyale, tant devant un conseil de prud’hommes que devant le tribunal de commerce.
Tel est le cas notamment de la filature d’un salarié par un détective privé [39] ou de l’enregistrement du salarié à son insu, même si un infléchissement de la jurisprudence sur la recevabilité des enregistrements clandestins semble s’amorcer depuis peu, dans certaines circonstances [40].
Dans l’hypothèse où l’employeur viendrait à identifier des actes de concurrence de la part d’un salarié encore en poste, il pourra :
B. Les moyens à la disposition d’un employeur pour identifier et caractériser un manquement délictuel de la part d’un ancien salarié
Au terme de la relation de travail salariée, et à défaut de toute obligation de non-concurrence opposable à un ancien salarié, l’employeur a pour unique moyen de défense la possibilité d’engager une action en concurrence déloyale.
Toutefois, le succès d’une telle action sera conditionné à la démonstration non plus simplement d’un acte de concurrence en présence d’une obligation contractuelle de loyauté ou de non-concurrence, mais bien d’actes de concurrence déloyaux.
Surtout, si l’entreprise peut valablement intenter une action en concurrence déloyale contre un ancien salarié et/ou une entreprise concurrente, c’est à la condition d’être en mesure d’en apporter la preuve [41], par tout moyen et, pour rappel, sans user de manœuvres déloyales [42].
Ainsi, se pose la question de la manière pour l’employeur de caractériser divers actes déloyaux de concurrence pouvant être perpétrés par un ancien salarié.
Outre les moyens précédemment évoqués susceptibles d’être mobilisés pour confondre les agissements fautifs d’un salarié toujours lié par un engagement contractuel, d’autres moyens sont fréquemment utilisés par l’employeur pour démontrer l’existence d’agissements de concurrence déloyale imputables à un ancien salarié.
En premier lieu, il conviendra de rappeler la possibilité pour l’employeur de requérir du juge qu’il ordonne, sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile, une mesure d’instruction permettant d’établir que certains salariés et/ou certaines entreprises commettent des actes de concurrence déloyale à son encontre.
Le président du tribunal pourra notamment confier à un huissier de justice la mission de prendre copie, en présence du salarié, des messages échangés avec des personnes identifiées comme étant susceptibles d’être concernées par les faits de concurrence soupçonnée [43].
À cet égard, le respect de la vie personnelle du salarié ne saurait être opposé pour mettre en cause les mesures ordonnées sur requête dans le cadre de l’article 145 du Code de procédure civile [44].
Plus rarement, certains employeurs préfèreront la voie d’une sommation interpellative, laquelle vise à interroger ledit salarié ou le nouvel employeur sur les agissements qui lui sont reprochés, en espérant confondre ceux-ci au travers de leurs réponses.
La sommation à des fins probatoires, en ce qu’elle a vocation à « interpeller » le destinataire de l’acte [45], doit, par nature, être signifiée à personne.
Cette solution, si elle n’est nullement prévue par les textes et ressort uniquement de la pratique, présente plusieurs avantages.
Tout d’abord, ce mode de preuve est largement admis par les juges du fond, à condition qu’elle ne porte pas atteinte à la vie privée de tiers au procès [46].
Ensuite, la doctrine reconnaît à la sommation interpellative de nombreux effets psychologiques non négligeables dans le cadre d’un contentieux, puisqu’elle a pour vocation de « favoriser la collaboration du destinataire » et de « renouer un dialogue devenu impossible » [47].
Toutefois, la force probante réduite d’un tel mode de preuve le rend peu attirant pour les employeurs cherchant à faire constater des actes de concurrence déloyale, les poussant à lui préférer un constat d’huissier classique.
Et pour cause, les huissiers « peuvent, commis par justice ou à la requête de particuliers, effectuer des constatations purement matérielles, exclusives de tout avis sur les conséquences de fait ou de droit qui peuvent en résulter. Sauf en matière pénale où elles ont valeur de simples renseignements, ces constatations font foi jusqu'à preuve contraire » [48].
Aussi, un employeur concurrencé pourra dépêcher un huissier de justice, aux fins de constater l’étendue des actes concurrentiels perpétrés par un ancien salarié.
En conclusion, la jurisprudence semble se limiter à des circonstances bien particulières, d’aucun diraient grossières, pour condamner un salarié auteur d’actes de concurrence déloyale. Néanmoins, si l’action devant les juges du fond afin de faire reconnaître les agissements déloyaux peut sembler être un chemin tortueux, la pratique démontre qu’il existe de nombreuses possibilités pour un employeur de démontrer le bien-fondé de ses allégations. Et pour cause, le droit français regorge de moyens procéduraux permettant de confondre un salarié et/ou une entreprise concurrente dans leur faute. Afin de limiter l’ampleur du préjudice subi, il ne pourra qu’être recommandé à tout employeur soupçonneux de mettre en place les différents moyens de contrôle très en amont du départ du salarié à des fins préventives, et de renforcer graduellement ces moyens de contrôle, si besoin est, selon les circonstances rencontrées. |
[1] Cass. soc., 21 avril 2022, n° 20-22.773, F-D N° Lexbase : A48997UY.
[2] Cass. com., 7 décembre 2022, n° 21-19.860, F-B N° Lexbase : A85188XR.
[3] Cass. com., 2 mars 1982, n° 80-12.232, publié N° Lexbase : A9753AZA.
[4] Cass. soc., 16 mars 1994, n° 92-44.181, inédit N° Lexbase : A1075CUD.
[5] Ass. plén., 14 mars 1984, n° 81-42.539 N° Lexbase : A0114AAH.
[6] Cass. soc., 12 juillet 1999, n° 97-41.981, inédit N° Lexbase : A3105AG4.
[7] CA Reims, 6 juillet 2005, n° 03/1995.
[8] Cass. com., 18 janvier 1972, n° 70-13.202, publié N° Lexbase : A4115AAN.
[9] CA Dijon, 19 février 1986, n° 84/2193.
[10] CA Paris, 1er février 1984, n° 765, 4e ch. A, H. c/ Sté Bravin Frères
[11] CA Paris, 22 avril 1982, n° 1626, 4e ch. B, Sté Bardot c/ A.
[12] CA Paris, 23 mars 1982, n° 6992, 4e ch. A, Sté CAP Sogeti logiciel c/ Sté Itrec.
[13] CA Versailles, 13 janvier 1995, n° 93/10035, 15e ch., S. c/ Sté CIM.
[14] CA Reims, 6 juillet 2005, n° 03/1995, ch. soc., B. c/ Sté France accessoires moto.
[15] Cass. soc., 20 février 2013, n° 11-25.694, F-D N° Lexbase : A4361I8Z.
[16] Cass. soc., 10 novembre 1998, n° 96-40.910, inédit N° Lexbase : A0993CR9.
[17] Y. Picod, Y. Auguet et S. Robinne, Concurrence : obligation de non-concurrence, Rép. trav. Dalloz, octobre 2018, point 24.
[18] Idem.
[19] Y. Picod, Y. Auguet et S. Robinne, Concurrence : obligation de non-concurrence, Rép. trav. Dalloz, octobre 2018, point 25.
[20] Idem.
[21] Cass. com., 28 avril 1980, n° 78-15.051, publié N° Lexbase : A9755AZC.
[22] Cass. com., 18 février 1997, n° 94-18.367, inédit N° Lexbase : A9407AXP.
[23] CA Toulouse, 8 janvier 1998, n° 95/04410 N° Lexbase : A06879AP.
[24] CA Paris, 29 janvier 2003, n° 2001/13946 N° Lexbase : A0363A7L, D. affaires 2004, p. 1157, obs. Y. Picod.
[25] Cass. com., 20 septembre 2016, n° 15-13.263, F-D N° Lexbase : A9906R3B.
[26] Cass. com., 7 mai 1980, n° 78-14.831, publié N° Lexbase : A3407AGB.
[27] Cass. com., 24 juin 1974, n° 73-11.972, publié N° Lexbase : A8423CIS.
[28] Cass. com., 12 mai 2004, n° 02-19.199, publié N° Lexbase : A1970DCX.
[29] Cass. com., 23 octobre 1984, n° 83-11.506, publié N° Lexbase : A0196AHQ.
[30] Cass. com., 4 juin 1973, n° 72-11.737, publié N° Lexbase : A9756AZD.
[31] Cass. com., 21 février 1995, n° 93-10.754, inédit N° Lexbase : A0081AYN.
[32] Cass. com., 21 octobre 1997, n° 95-17.926, inédit N° Lexbase : A2797CYA.
[33] Cass. com., 5 novembre 1991, n° 89-13.506, inédit N° Lexbase : A1803CN4.
[34] Cass. com., 18 février 1997, n° 94-18.367, inédit N° Lexbase : A9407AXP.
[35] Cass. com., 7 décembre 2022, n° 21-19.860, F-B N° Lexbase : A85188XR.
[36] C. civ., art. 1240 N° Lexbase : L0950KZ9.
[37] Cass. soc., 21 octobre 2009, n° 07-43.877, FS-P+B N° Lexbase : A2618EMW.
[38] Cass. soc., 11 juillet 2012, n° 11-22.972, F-D N° Lexbase : A8304IQM ; Cass. soc., 10 mai 2012, n° 11-13.884, F-P+B N° Lexbase : A1376ILK.
[39] Cass. civ. 2, 17 mars 2016, n° 15-11.412, F-P+B N° Lexbase : A3461Q8P.
[40] Cass. soc., 17 mars 2021, n° 18-25.597, FS-P+I N° Lexbase : A89224LZ.
[41] C. civ., art. 1353 N° Lexbase : L1013KZK.
[42] C. civ., art. 1358 N° Lexbase : L1008KZD. Cass. com., 18 novembre 2008, n° 07-13.365, F-D N° Lexbase : A3394EBC.
[43] Cass. soc., 19 décembre 2012, n° 10-20.526, FS-P+B N° Lexbase : A1590IZW ; Cass. soc., 10 juin 2008, n° 06-19.229, FS-P+B N° Lexbase : A0524D9B.
[44] Cass. soc., 23 mai 2007, n° 06-43.209, FS-P+B+I N° Lexbase : A3964DWQ.
[45] R. Laher, Sommation, Rép. proc. civ. Dalloz, juin 2020, point 49.
[46] R. Laher, Sommation, Rép. proc. civ. Dalloz, juin 2020, point 52.
[47] R. Laher, Sommation, Rép. proc. civ. Dalloz, juin 2020, point 51.
[48] Ordonnance n° 45-2592 du 2 novembre 1945, relative au statut des huissiers, art. 1 N° Lexbase : Z26669PC.
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Réf. : CE, 5°-6° ch. réunies, 13 janvier 2023, n° 462663, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A165688T
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par Yann Le Foll
Le 25 Janvier 2023
► Ne respecte pas le principe d’expression pluraliste des courants d'opinion une chaîne de télévision diffusant l'essentiel des interventions du Président de la République et d'un parti politique entre minuit et 6 heures du matin.
Principe. Si aucune disposition législative ou réglementaire, ni aucune stipulation applicable aux services de radio et de télévision, ne précise expressément que le respect des obligations en matière d'expression pluraliste des courants d'opinion fixées par la délibération du CSA n° 2017-62, du 22 novembre 2017 N° Lexbase : X9549ATT, prise sur le fondement des articles 1 et 13 de la loi n° 86-1067, du 30 septembre 1986 N° Lexbase : L8240AGB, doit s'apprécier en tenant compte des heures de diffusion des émissions, il résulte de l'objet même de ces dispositions, qui tendent à ce que les différents courants d'opinion soient équitablement diffusés afin de concourir à la formation de l'opinion des téléspectateurs et de contribuer ainsi au débat et à l'expression démocratique, que les obligations qu'elles édictent ne sauraient être regardées comme respectées sans tenir compte des horaires et des conditions de diffusion de ces émissions.
Rappel. Il a été jugé de l’absence de respect par TF1 de ses obligations de diffusion d'œuvres d'expression originale française et d'œuvres de provenance de la C.E.E en cas de diffusion massive de ces œuvres pendant la nuit (CE, 20 janvier 1989, n° 103063 N° Lexbase : A1563AQX).
Faits. Il ressort des relevés de temps de parole sur l'antenne du service CNEWS entre le 1er octobre et le 15 novembre 2021 (période pré-electorale) que, d'une part, 82 % des interventions du Président de la République, de ses collaborateurs et des membres du Gouvernement et, d'autre part, 53 % de celles des représentants de « La France Insoumise » ont été diffusées entre minuit et 5 heures 59, alors que ces intervenants sont sous-représentés par rapport aux autres partis et groupements politiques au sein des programmes diffusés en journée, avec des proportions respectives de 8,6 % et 3,7 % du temps total d'intervention entre 6 heures et minuit.
Décision. C’est donc sans commettre d'erreur de droit que le CSA a considéré que les obligations résultant de la loi du 30 septembre 1986 et de la délibération du 22 novembre 2017 ne pouvaient être respectées si les interventions, d'une part, du Président de la République, de ses collaborateurs et des membres du Gouvernement ou, d'autre part, des représentants d'un des partis et groupements politiques qui expriment les grandes orientations de la vie politique nationale, sont essentiellement diffusées au cours des programmes de nuit, à des heures où l'audience est très faible.
Pour aller plus loin : v. ÉTUDE : Les élections présidentielles, L'accès aux médias audiovisuels des candidats à l'élection présidentielle, in Droit électoral, (dir G. Prunier), Lexbase N° Lexbase : E3710E9B. |
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Réf. : Cass. com., 18 janvier 2023, n° 21-17.581, F-B N° Lexbase : A937588Q
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par Vincent Téchené
Le 30 Janvier 2023
► Il résulte des articles L. 641-9 du Code de commerce et 125 du Code de procédure civile que le débiteur mis en liquidation judiciaire est irrecevable à interjeter appel d'un jugement concernant son patrimoine et que cette fin de non-recevoir, qui est d'ordre public, doit être relevée d'office par le juge. Cependant, celle-ci peut être régularisée par l'intervention du liquidateur dans le délai d'appel, conformément aux dispositions de l'article 126, alinéa 2, du Code de procédure civile.
Faits et procédure. Un maître de l'ouvrage a confié à un entrepreneur principal le lot d'un chantier. L'entrepreneur principal a sous-traité une partie de ce lot, le paiement du sous-traitant devant être réalisé directement par le maître de l'ouvrage.
Après la réalisation des travaux, le sous-traitant n'ayant pu obtenir du maître de l'ouvrage le paiement de ses factures, il l’a assigné en paiement. Un jugement a rejeté ces demandes. Mis en liquidation judiciaire quelques jours plus tard, le sous-traitant a interjeté appel de ce jugement. Le conseiller de la mise en état a constaté « l'interruption de l'instance » et enjoint aux parties de régulariser la procédure. Le liquidateur est intervenu volontairement à l'instance.
C’est dans ces conditions que le maître de l’ouvrage a formé un pourvoi en cassation contre l’arrêt d’appel qui, après avoir tenu l'appel pour recevable, a notamment déclaré recevable l'intervention volontaire du liquidateur (CA Caen, 1re ch. civ., 30 mars 2021, n° 18/01323 N° Lexbase : A83944MT).
Décision. La Cour de cassation commence par rappeler qu’il résulte des articles L. 641-9 du Code de commerce N° Lexbase : L3693MBE et 125 du Code de procédure civile N° Lexbase : L1421H4E que le débiteur mis en liquidation judiciaire est irrecevable à interjeter appel d'un jugement concernant son patrimoine et que cette fin de non-recevoir, qui est d'ordre public, doit être relevée d'office par le juge. Cependant, celle-ci peut être régularisée par l'intervention du liquidateur dans le délai d'appel, conformément aux dispositions de l'article 126, alinéa 2, du Code de procédure civile N° Lexbase : L1423H4H.
Elle ajoute que même lorsqu'il est d'ordre public, le moyen invoqué pour la première fois devant la Cour de cassation n'est recevable que s'il résulte d'un fait dont la cour d'appel a été mise à même d'avoir connaissance.
Or, la Haute juridiction relève que selon les énonciations de l'arrêt, la débitrice, après sa mise en liquidation judiciaire, a interjeté appel, seule, du jugement entrepris, puis son liquidateur est intervenu volontairement à l'instance d'appel.
Par ailleurs, en l'état des conclusions et pièces soumises à la cour d'appel par le seul liquidateur, eu égard à l'irrecevabilité des conclusions de la débitrice, entraînant l'irrecevabilité des pièces qu'elle a produites, dont il ne ressortait ni précision ni aucune justification sur la signification du jugement au liquidateur, la cour d'appel n'a pas été mise à même de constater que le délai d'appel avait couru à l'égard du liquidateur et avait expiré à la date de son intervention volontaire.
Elle en conclut que l'intervention du liquidateur à l'instance d'appel a régularisé la fin de non-recevoir affectant l'appel du débiteur.
Observations. Il est acquis que le débiteur dessaisi des actions concernant son patrimoine ne peut pas faire appel d'une décision concernant son patrimoine (par ex. pour une décision du juge de l'exécution ayant déclarée une saisie-vente régulière, v. Cass. com., 11 février 2004, n° 01-01.266, F-D N° Lexbase : A3095DBA ; ou encore pour une décision ayant déclarée nulle une cession de parts sociales, Cass. com., 16 octobre 2001, n° 98-13.607, FS-D N° Lexbase : A4761AWA). Il s’agit là d’une des nombreuses applications du principe du dessaisissement du débiteur en liquidation judiciaire. D’ailleurs, on rappellera que la circonstance que le débiteur en liquidation judiciaire ait eu la qualité de partie en première instance et ait eu intérêt à interjeter appel ne fait pas obstacle à l'application de la règle d'ordre public du dessaisissement (Cass. civ. 2, 14 septembre 2006, n° 05-16.821, F-D N° Lexbase : A3059DRQ).
Enfin, la Cour de cassation a déjà précisé que la régularisation par le liquidateur de la nullité de fond affectant l'appel qui a été formé par une personne autre que ce dernier doit avoir lieu avant l'expiration du délai d'appel. (Cass. com., 14 décembre 1999, n° 97-15.361, inédit N° Lexbase : A5197AWE ; Cass. com., 10 décembre 2003, n° 00-19.230, FP-P+B+I N° Lexbase : A4176DAW).
Pour aller plus loin : v. ÉTUDE : Les effets du prononcé de la liquidation judiciaire, La portée générale du dessaisissement et les voies de recours, in Entreprises en difficulté, (dir. P.-M. Le Corre), Lexbase N° Lexbase : E3968EUI. |
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Réf. : Cass. crim., 4 octobre 2022, n° 21-85.594, F-B N° Lexbase : A58888MZ ; Cass. crim., 22 février 2022 n° 21-85.594, F-D N° Lexbase : A06317P3
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par Julien Gasbaoui, Avocat au barreau de Paris
Le 27 Janvier 2023
Mots-clés : exercice illégal de la profession d’expert-comptable • monopole des experts du chiffre • principe de légalité • sous-traitance • absence de subordination du sous-traitant
L’arrêt rendu le 4 octobre 2022 tranche avec précision et fermeté la question de la sous-traitance par un expert-comptable de son activité comptable à un non-diplômé ; la réponse est sévère : la sous-traitance est purement et simplement interdite. Cette solution doit se lire en complément de l’arrêt rendu quelques mois plus tôt, au sujet cette fois du périmètre comptable, dont une acception large avait été retenue. L’une répond à l’autre car avant même de savoir comment sous-traiter, encore faut-il savoir ce qui peut être sous-traité.
L’idée à retenir est simple : le périmètre du chiffre doit s’entendre dans son sens le plus large ; il ne peut être distingué entre les différentes missions qui le composent. Partant, la sous-traitance n’est possible que si elle est proposée à un expert-comptable diplômé et dûment inscrit à l’Ordre.
Bien que peu commenté, l’arrêt rendu le 4 octobre 2022 par la Cour de cassation consacre un principe dont les conséquences pratiques seront déterminantes pour bien des experts-comptables.
En effet, dans des conditions plus ou moins contestables, il n’est pas rare que ces professionnels recourent à des sous-traitants dont la mission sera plus ou moins bien définie.
Longtemps l’ambiguïté a prévalu, nourrie par la combinaison de deux textes qui pouvaient être critiquables au regard du principe de légalité.
Ainsi, l’article 20, alinéa 2, de l’ordonnance du 19 septembre 1945 [1] prévoit que :
« Exerce illégalement la profession d’expert-comptable celui qui, sans être inscrit au tableau de l’ordre en son propre nom et sous sa responsabilité, exécute habituellement des travaux prévus par les deux premiers alinéas de l’article 2 ou qui assure la direction suivie de ces travaux, en intervenant directement dans la tenue, la vérification, l’appréciation ou le redressement des comptes […] ».
Le texte procède dont par renvoi, et pour comprendre l’incrimination, il faut puiser dans l’article 2 de cette même ordonnance
« Est expert-comptable ou réviseur comptable au sens de la présente ordonnance celui qui fait profession habituelle de réviser et d’apprécier les comptabilités des entreprises et organismes auxquels il n’est pas lié par un contrat de travail. Il est également habilité à attester la régularité et la sincérité des bilans et des comptes de résultat.
L’expert-comptable fait aussi profession de tenir, centraliser, ouvrir, arrêter, surveiller, redresser et consolider les comptabilités des entreprises et organismes auxquels il n’est pas lié par un contrat de travail.
L’expert-comptable peut aussi organiser les comptabilités et analyser par les procédés de la technique comptable la situation et le fonctionnement des entreprises et organismes sous leurs différents aspects économique, juridique, et financier ».
Le périmètre comptable tient dans cet article mais, compte tenu des différentes étapes de l’établissement des comptes, de l’archivage des pièces justificatives à la présentation des documents de synthèse en passant par la saisie, la question de savoir si certains aspects de cette activité échappaient au monopole et si une sous-traitance était possible se posait.
Intervenant après un arrêt rendu le 22 février 2022 [2] tranchant la question du périmètre comptable lui-même (I.), cet arrêt s’inscrit dans son prolongement en tranchant les conditions d’exercice de la sous-traitance (II.) ; l’un comme l’autre révèlent une certaine sévérité.
I. Le périmètre du monopole de l’expert-comptable
Contrairement à ce qui était souvent soutenu, les juges du fond, comme la Cour de cassation, ont toujours opté pour une acception large du périmètre comptable (A.).
Et, si tant est qu’un doute subsistât, l’intervention d’une QPC rejetée précisément sur cette question était de nature à clore tout débat (B.).
A. Une jurisprudence bien établie
Ainsi, la cour d’appel de Versailles a retenu le 24 janvier 2014 [3] :
« il est constant qu’en exécution de ce mandat, et pour l’établissement de la déclaration des revenus non commerciaux de Monsieur Y..., Monsieur X... a reçu tous les documents utiles à l’établissement de la comptabilité, ce qui emportait nécessairement des opérations d’imputation comptable au sens de la tenue, de centralisation, d’ouverture, d’arrêté, de surveillance, de redressement, de révision et d’appréciation de la comptabilité tels qu’ils sont définis par l’article 2 de l’ordonnance du 19 septembre 1945 précitée » [4].
Cette sévérité se retrouve face à des éditions et déclarations annuelles de bénéfices non commerciaux.
: « Attendu que pour confirmer le jugement, l’arrêt énonce, par motifs propres et adoptés, que l’enquête comporte d’autres éléments que ces auditions, que les prévenus n’étaient pas titulaires du diplôme d’études d’expertise comptable et n’étaient pas inscrits au tableau de l’Ordre, qu’il résulte des déclarations de certains clients et des débats que les prévenus ont chacun, à titre libéral et sous le nom commercial de Jurigestion, saisi en comptabilité les pièces comptables et édité la déclaration annuelle des bénéfices non commerciaux de nombreux clients, essentiellement avocats, même exerçant à titre indépendant et non sous le statut de société, entre dans le champ d’application de l’article 2 de l’ordonnance du 19 septembre 1945, qu’un expert-comptable, dont Mme X... avait cherché à se rapprocher en 1991-1992, a indiqué qu’elle était à l’époque suivie par un commissaire aux comptes qui lui aurait signifié en 1995, à l’expiration de de son mandat, qu’il ne pouvait la suivre dans cette activité, et que les prévenus, qui reconnaissent avoir tenu la comptabilité de leurs clients, ne pouvaient ignorer que cette activité relevait du monopole de l’ordre des experts-comptables ».
Attendu qu’en l’état de ces énonciations, qui font abstraction des déclarations effectuées par M. Y...lors de son audition libre, et dès lors que les prévenus ne justifient pas avoir cru, par une erreur sur le droit qu’ils n’étaient pas mesure d’éviter, qu’ils pouvaient légitimement exercer l’activité reprochée, la cour d’appel a caractérisé, sans insuffisance ni contradiction en tous ses éléments constitutifs, notamment intentionnel, le délit d’exercice illégal de la profession d’expert-comptable, et a justifié sa décision, sans méconnaître les dispositions conventionnelles invoquées » [5].
De la même façon, viole le monopole de l’expert-comptable celui qui : « tenait la comptabilité, centralisait tous les documents, contrôlait l’ensemble des factures, établissait les déclarations fiscales et sociales et exécutait ainsi de manière habituelle des travaux comptables qui, même en l’absence de toute certification des comptes de l’entreprise, relèvent du monopole de l’expert-comptable » [6].
Les aspects fiscaux de la mission de l’expert-comptable ont de surcroit été clarifiés et réaffirmés à la faveur de la loi pour la croissance de l’activité et l’égalité des chances du 6 août 2015, qui précise que les experts-comptables « peuvent également, sans pouvoir en faire l’objet principal de leur activité, effectuer toutes études ou tous travaux d’ordre statistique, économique, administratif, ainsi que tous travaux et études dans le domaine social ou fiscal » [7].
Il ressort ainsi de tout ce qui précède que le non-diplômé n’a de fait aucune place sur le terrain de l’activité comptable. La seule échappatoire étant pour lui, soit d’être salarié de la société débitrice dont les comptes sont établis, soit de démontrer que l’activité critiquée n’est pas exécutée à titre habituel (Cass. crim., 20 novembre 2020 n° 00-84.216 N° Lexbase : A3362CID).
Cette sévérité dans l’interprétation littérale des textes peut se recommander de l’esprit de l’ordonnance de 1945 et du rôle crucial de l’expert-comptable dans l’ordre public économique.
B. Une QPC claire
La garantie d’un haut degré de professionnalisme dans la délivrance d'informations financières impose une ferme protection du monopole discuté.
En effet, « en jouissant d’un tel monopole l'exercice comptable est une profession réservée. Le titre d’expert-comptable est protégé. La sauvegarde des intérêts des destinataires de l’information financière commande un contrôle sévère et une surveillance sans complaisance des professionnels. Mais quelle serait l’utilité d’un tel dispositif si l’on permettait à quiconque d’établir et de tenir la comptabilité sans offrir la garantie du professionnalisme » [8].
C’est sur ce fondement que les questions de la nature, de l’objet, et de la finalité des documents comptables et des prestations en cause ont été tranchées dans cette même affaire par un arrêt de la Cour de cassation en date du 22 février 2022.
Par le biais d’une QPC, la question suivante avait été transmise à la Cour de cassation :
« Les dispositions des articles 2 et 20 de l’ordonnance n°45-2138 du 19 septembre 1945 modifiée portant institution de l’ordre des experts-comptables et réglementant le titre et la profession d’expert-comptable portent-elles une atteinte disproportionnée à la liberté d’entreprendre protégée par l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et 1789, en ce qu’elles interdisent le recours par les experts-comptables à des sous-traitants non-inscrits au tableau de l’ordre des experts-comptables, pour l’exécution de tous travaux relevant des deux premiers alinéas de l’article 2 de ladite ordonnance, sans établir aucune distinction, parmi ces travaux, selon la nature, l’objet et la finalité des documents comptables et des prestations en cause ? »
La Cour de cassation a répondu :
« En premier lieu, la réglementation des opérations comptables énumérées par les deuxième et troisième alinéas de l’article 2 de l’ordonnance n°45-2138 du 19 septembre 1945, réservées à la profession d’expert-comptable, dont l’indépendance vis-à-vis des donneurs d’ordre est garantie et qui est soumise à des obligations déontologiques, est justifiée par l’intérêt général…
En deuxième lieu, l’interdiction faite aux experts-comptables, dont l’exercice de la profession est protégé, en contrepartie des obligations susmentionnées, par l’article 20 de l’ordonnance n°45-2138 du 19 septembre 1945, de sous-traiter ces mêmes opérations à des tiers non titulaires du titre, est une conséquence nécessaire de la réglementation de leur activité…
En troisième lieu, l’atteinte ainsi portée à la liberté d’entreprendre est proportionnée au but d’intérêt général sus évoqué, dans la mesure où les missions réservées à l’expert-comptable, limitativement énumérées par les dispositions contestées, relèvent de l’encadrement imposé par les finalités ci-dessus définies ».
L’affaire revenait donc en cet état devant la Cour de cassation et la question du périmètre du monopole était d’ores et déjà tranchée. Restait donc à discuter les conditions dans lesquelles un expert-comptable peut déléguer certaines de ses missions.
II. Les conditions d’exercice : une interdiction de la sous-traitance au profit d’un non-diplômé
Si la cour d’appel en évoquant l’absence d’expert-comptable « même par intermittence au sein de la société sous-traitante » laissait un interstice dans l’exercice de cette mission, la Cour de cassation tranche en posant un véritable principe d’interdiction.
Même si la solution est sévère quant à sa portée (B.) elle n’est pas sans fondement juridique (A.)
A. Les fondements juridiques de la solution
Les conditions posées pour l’exercice de la profession d’expert-comptable apparaissaient peu compatibles avec la définition même de la sous-traitance.
« La sous-traitance est l’opération par laquelle un entrepreneur confie par un sous-traité, et sous sa responsabilité, à une autre personne appelée sous-traitant l’exécution de tout ou partie du contrat d’entreprise conclue avec le maitre de l’ouvrage.
Le sous-traitant est considéré comme entrepreneur principal à l’égard de ses propres sous-traitants » [9].
Celui qui travaille dans ces conditions, est-il susceptible d’exercer illégalement la profession d’expert-comptable ? C’est-à-dire « sans être inscrit au tableau de l’ordre en son propre nom et sous sa responsabilité, exécute habituellement des travaux prévus par les deux premiers alinéas de l’article 2 ou qui assure la direction suivie de ces travaux, en intervenant directement dans la tenue, la vérification, l’appréciation ou le redressement des comptes » [10].
La violation du monopole de l’expert-comptable tient à quatre conditions cumulatives : exécuter des travaux comptables en connaissance de cause, en son nom et sous sa responsabilité et à titre habituel.
La question de l’exécution des travaux comptables ne se posait plus, de même que la conscience d’exécuter lesdits travaux. La vraie question en l’espèce se cristallisait donc sur la formule « en son nom et sous sa responsabilité » : les défendeurs faisaient valoir que « le sous-traitant n’agissait en effet ni en son nom, ni sous sa responsabilité puisque c’est in fine le donneur d’ordres, expert-comptable diplômé qui assumait en son nom et seulement en son nom la situation ».
Il est vrai que la notion même de sous-traitance impose que la mission soit confiée sous la responsabilité du donneur d’ordres et qu’il n’existe aucun lien contractuel avec le client. Au sens littéral, et a priori, le sous-traitant n’intervient ni sous son nom ni sous sa responsabilité puisque le donneur d’ordre, seul signataire, demeure pleinement responsable vis-à-vis du client.
Cet argument avait d’autant plus d’importance qu’en matière pénale, au regard du principe de légalité, le juge ne peut se livrer qu’à une interprétation stricte des textes.
L’argument va pourtant être écarté par la Cour de cassation, dont la solution se recommande de trois ordres de considérations :
Tout d’abord, ce n’est pas le rapport de responsabilité entre les travaux et le client au profit duquel ils sont effectués qui compte, mais la qualité de l’auteur effectuant ces travaux. On en revient là à la fiabilité des comptes, aux garanties qu’ils doivent offrir, tels qu’énoncés par la Cour de cassation dans son précédent arrêt.
De la même façon, la Cour de cassation revient aux fondamentaux en distinguant clairement le donneur d’ordre de son sous-traitant et en rappelant l’essentiel : le premier reste responsable à l’égard du second, ce qui implique une autonomie d’action.
Le troisième ordre de considération venait alors naturellement, il s’inscrit en réalité dans la veine du précédent puisqu’il tient à l’absence de « complète subordination du sous-traitant à l’expert-comptable » et donc là encore à la qualité des travaux qui ne peuvent se juger qu’à l’aune de la qualité de leur auteur.
La solution, toujours discutable, reste sérieusement motivée en droit et c’est peut-être sur le terrain de sa portée qu’elle pourra inquiéter.
B. La portée de la solution
Pour résumer, l’expert-comptable ne peut contrôler un sous-traitant comme il contrôle son salarié, il y a donc incompatibilité entre la mission de l’expertise comptable et la sous-traitance.
Autrement dit, en l’état du droit, tous les cabinets, aussi sérieux soient-ils, c’est-à-dire même ceux ne déléguant que les tâches les plus simples (saisie des pièces justificatives), et même lorsqu’ils prennent soin de détacher par intermittence un expert-comptable auprès du sous-traitant, devront revoir leurs pratiques.
Il faudra alors soit intégrer ces sous-traitants en qualité de salariés de leur cabinet, soit que ces sous-traitants soient contrôlés par un expert-comptable et qu’il s’agisse, bien sûr, d’un contrôle du fond (juridique et matériel) dans les conditions imposées par les textes c’est-à-dire, également, un expert-comptable disposant au sein de la structure de plus de 2/3 des droits de vote.
À défaut, et comme les faits de l’espèce le révèle, le sous-traitant s’exposera à une condamnation pour exercice illégal de la profession d’expert-comptable tandis que l’expert-comptable donneur d’ordre pourrait lui être poursuivi pour complicité de cette infraction.
Même si la solution est sévère, l’ordre public économique y gagne peut-être, et il faut garder à l’esprit que si toutes les sous-traitances ne se valent pas, en ce sens que certains experts-comptables réalisent une vraie révision comptable, il en est qui constituent, purement et simplement, un exercice illégal.
À cet égard, la sous-traitance est trop souvent une véritable activité déguisée et constitue, comme toute activité illégale, une grave atteinte à l’ordre public économique, un danger pour les clients et une concurrence déloyale pour les diplômés.
L’arrêt doit aussi se lire comme un rappel aux engagements des Ordres, notamment ceux de 2012, ayant abouti à une Charte entre les avocats et les experts-comptables, les deux professions constatant que leur monopole, à bien des égards commun, était régulièrement violé. « C’est sur le terrain des entreprises que l’exercice illégal est commun aux deux professions : actes constitutifs de la société, contrats, conseils en droit social et fiscal, comptabilité et établissement des comptes annuels et des déclarations sont proposés sur certains sites. C’est pourquoi nous avons décidé des actions de communication commune à destination de tous les acteurs du secteur entrepreneurial et des actions judiciaires contre les pirates du droit et du chiffre » [11].
La Cour de cassation apporte là une contribution majeure.
[1] Ordonnance n° 45-2138, du 19 septembre 1945, portant institution de l'ordre des experts-comptables et réglementant le titre et la profession d'expert-comptable N° Lexbase : L8059AIC.
[2] Cass. crim., 22 février 2022 n° 21-85.594, F-D N° Lexbase : A06317P3.
[4] Dans cet arrêt, le prévenu sera finalement relaxé de ce chef, mais au motif du défaut d’habitude :
« Considérant au demeurant, qu’il n’est pas établi la preuve que Monsieur X... a accompli d’autres actes d’expertise comptable en direction d’un ou plusieurs autres clients, de sorte que la condition de l’habitude stipulée à l’article 2 de l’ordonnance du 19 septembre 1945 précitée, et dont dépend l’infraction d’exercice illégal de la profession d’expert-comptable édictée à l’article 20 de cette même ordonnance n’est pas acquise aux poursuites, de sorte qu’il convient d’infirmer le jugement et de relaxer Monsieur X ».
[5] Cass. crim., 20 décembre 2017, n° 16-83.914, F-D N° Lexbase : A0733W9Z.
[6] CA Aix-en-Provence, 20 octobre 2004, 258114.
[7] Cf. Loi n° 2015-990, du 6 août 2015, pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, dite « Macron », art. 62 N° Lexbase : L4876KEC.
[8] J.-L. Navarro et alii, Droit comptable, 2005, p. 45, n°51. »
[9] Loi n° 75-1334, du 31 décembre 1975, relative à la sous-traitance, art. 1 et 2 N° Lexbase : L5127A8E.
[10] Ordonnance n° 45-2138, du 19 septembre 1945, portant institution de l'ordre des experts-comptables et réglementant le titre et la profession d'expert-comptable, art. 20 N° Lexbase : L8059AIC.
[11] M. Brault, 3 questions – La protection du titre d’avocat ou d’expert-comptable, JCP E, n°30, 26 juillet 2012.
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Réf. : CAA de Versailles, 1er décembre 2022, n° 20VE03157 N° Lexbase : A55378WY
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par Franck Laffaille, Professeur de droit public (IDPS) - Université de Paris XIII
Le 25 Janvier 2023
Mots-clés : SNC • outre-mer • investissements productifs neufs • crédit-bail • réduction d’impôt
Nous sommes en présence d’un requérant qui détient 50 % des parts sociales d’une SNC ; celle-ci exploite un bateau, propriété d’une banque qui le met à disposition de la SNC via un contrat de location avec option d’achat. Le requérant demande à l’administration fiscale l’imputation – sur l’IR - d’un solde de 34271 euros de réduction d’impôt relative à des investissements réalisés outre-mer (CGI, art. 199 undecies B, titre I N° Lexbase : L3584MGT). Devant le refus de l’administration, contentieux il y a. Le requérant se tourne vers le TA de Cergy-Pontoise. Il réitère sa demande initiale et, à titre subsidiaire, souhaite la restitution de ce solde, le report des réductions d’impôts, et l’annulation des avis de saisie administrative à tiers détenteurs. Le TA de Cergy-Pontoise rejette ses demandes.
Devant la CAA de Versailles, le requérant soutient qu’il est en droit de bénéficier de la réduction d’impôt prévue à l’article 199 undecies B du CGI. Le contrat de location du navire – loué par la SNC dont il est associé – est un contrat de crédit-bail (au sens de l’article 313-7 du Code monétaire et financier N° Lexbase : L7976HBZ) ; la SNC loue un navire qui lui sera ultérieurement vendu pour 10 % de sa valeur d’origine après cinq années de loyer. Selon le requérant, l’administration a réalisé une application inexacte de l’article 95 Q de l’annexe II au CGI N° Lexbase : L9615KC4 ; il rappelle que le bureau des agréments a validé avec fréquence les contrats de cette nature, y compris en présence d‘un prix supérieur à 250 000 euros. Quant au fait générateur de la réduction d’impôt, celui-ci se produit quand les investissements neufs productifs sont effectivement exploités en outre-mer. Si l’exploitation effective du bâtiment a été retardée, c’est en raison d’une collision advenue lors de son convoyage le 29 décembre 2011. C’est à mauvais droit que les juges de 1ère instance auraient considéré que l’exploitation effective pouvait commencer le 1er décembre 2011 et auraient retenu la date de l’acte de francisation. S’agissant de la compensation (au sens de l’article L. 257 B du LPF N° Lexbase : L4712ICI), le requérant estime que le TA de Cergy-Pontoise ne pouvait pas lui en refuser le bénéfice dès lors qu’il détenait une créance – liquide et exigible - sur le Trésor public. Il appert que le montant de la créance était précisément déterminé et que le délai – permettant l’imputation de la réduction d’impôt – n’était pas encore écoulé. Deux autres griefs sont par lui avancés : contrairement aux assertions des premiers juges, il a bien déposé à deux reprises des réclamations au service des impôts des particuliers, ce qui emporte recevabilité de ses conclusions (cf. LPF, art. L. 199 N° Lexbase : L0438LTE) … la procédure de recouvrement est viciée dans la mesure où les avis à tiers détenteurs n’ont pas été précédés d’un acte annonciateur de poursuites (en méconnaissance de l’article L. 257-0 du LPF N° Lexbase : L7186LZ8).
La CAA de Versailles cogite, en premier lieu, sur le report des réductions d’impôt. Il est fait lecture de l’article L. 281 du LPF N° Lexbase : L8564LHN. Quand contestations relatives au recouvrement des impôts, taxes, redevances, amendes, condamnations pécuniaires (et sommes quelconques dont la perception incombe aux comptables publics) il y a, elles doivent être adressées à l’administration dont dépend le comptable exerçant les poursuites. Des contestations visant un recouvrement ne peuvent pas remettre en cause le bien-fondé de la créance. Ces contestations peuvent porter : soit sur la régularité en la forme de l’acte … soit sur l’obligation au paiement, sur le montant de la dette compte tenu des paiements effectués sur l’exigibilité de la somme réclamée. Les recours relatifs à la régularité en la forme de l’acte sont portés devant le juge de l’exécution ; les recours relatifs aux créances fiscales sont portés devant le juge de l’impôt. Dans le cas présent, le requérant a demandé à l’administration l’imputation de la réduction d’impôt acquise en 2012 sur l’IR réclamé au titre de l’année 2017. Devant le TA de Cergy-Pontoise, il demande que les réductions d’impôt - acquises au titre des années 2015 et 2016 – soient reportées. Les juges écartent ses conclusions en vertu de l’article 199 undecies B du CGI : le requérant n’a pas opéré de réclamation préalable auprès de l’administration en méconnaissance des articles L. 190 N° Lexbase : L1450MD3, L. 199 N° Lexbase : L0438LTE et R. 190-1 du LPF N° Lexbase : L6750ISS. Certes, il affirme qu’il voulait, par sa requête, contester l’exigibilité de la somme réclamée par le Trésor public. Cependant, constate la CAA de Versailles, il s’agit là de conclusions nouvelles, irrecevables (cf. les articles L. 281 N° Lexbase : L8564LHN et R. 281-1 N° Lexbase : L7998LM8 du LPF) ; elles n’ont pas été précédées d’une opposition à contrainte devant l’administration. Le requérant ne peut donc obtenir censure de la décision des premiers juges en ce que ces derniers ont rejeté ses conclusions tendant au report des réductions d’impôt constatées (au titre des années 2015 et 2016).
En second lieu, la CAA de Versailles cogite sur l’imputation – ou la restitution – de la réduction d’impôt de l’année 2011. Il est fait lecture de l’article 199 undecies B du CGI : les contribuables qui sont domiciliés en France (au sens de l’article 4 B du CGI N° Lexbase : L6146LU8) peuvent bénéficier d’une réduction d’IR s’ils réalisent des investissements productifs neufs dans les départements d’outre-mer. Ces investissements doivent être réalisés dans le cadre d’une entreprise exerçant une activité agricole ou une activité industrielle, commerciale ou artisanale. Quant à la réduction d’impôt, elle est de 45 % du montant – HT et hors frais de toute nature, notamment les commissions d’acquisition (à l’exception des frais de transport, d’installation et de mise en service amortissables) – des investissements productifs, diminués de la fraction de leur prix de revient financée par une subvention publique. Sont concernés les investissements réalisés par une société soumise au régime d’imposition visé à l’article 8 (à l’exclusion des sociétés en participation, ou un groupement mentionné aux articles 239 quater N° Lexbase : L4966HLI ou 239 quater C N° Lexbase : L4974HLS) ; les parts doivent être détenues - directement ou par l’intermédiaire d’une EURL – par des contribuables domiciliés en France.
Dans cette hypothèse, la réduction d’impôt est réalisée dans une proportion qui correspond aux droits des associés ou membres dans la société ou le groupement. Cette réduction d’impôt pratiquée l’est au titre de l’année au cours de laquelle il y a eu réalisation de l’investissement. Si le montant de la réduction d‘impôt excède l’impôt dû, il est possible de reporter le solde sur l’IR des années suivantes (et cela jusqu’à la 5ème année inclusivement). Il est encore fait lecture de l’article 95 K de l’annexe II du CGI N° Lexbase : L5767I7Q : ouvrent droit à réduction d’impôt (au sens du I de l’article 199 undecies B) les investissements productifs neufs réalisés dans les DOM quand il s’agit d’acquisitions ou de créations d’immobilisations corporelles, neuves et amortissables. Encore faut-il que celles-ci soient affectées aux activités relevant des secteurs éligibles. Enfin, en vertu de l’article 95 Q de la même annexe, il est spécifié que la réduction d’impôt visée est pratiquée au titre de l’année au cours de laquelle l’immobilisation est créée par l’entreprise, ou lui est livrée, ou est mise à sa disposition dans le cadre d’un contrat de crédit-bail. Dans ce dernier cas – quand l’immobilisation fait l’objet d’un contrat de crédit-bail – la réduction d’impôt est pratiquée par le contribuable crédit preneur (ou par les associés ou membres de l’entreprise qui est crédit-preneur). Au regard de l’ensemble de ces dispositions, la CAA de Versailles constate que le fait générateur de la réduction d’impôt (prévue à l’article 199 undecies B) est la date de la création de l’immobilisation : soit au titre de laquelle l’investissement productif a été réalisé, soit la date de sa livraison effective dans le DOM. Dans cette dernière configuration, la date qui mérite d’être retenue est celle à laquelle l’entreprise commence son exploitation effective. Puisqu’elle dispose matériellement de l’investissement productif, elle peut en effet en retirer des revenus. Dans notre espèce, la SNC prend en location le navire de plaisance - acquis par une banque - en 2011 ; le contrat de location liant la SNC et la banque propriétaire est, selon le requérant, un crédit-bail (au sens de l’article L. 313-7 du Code monétaire et financier). Toutefois, la CAA de Versailles estime ne pas être en mesure de connaître, et comprendre, l’ensemble des stipulations dudit contrat. Cela vaut particulièrement pour ce qui concerne les modalités du transfert de propriété, l’option d’achat, la prise en compte des loyers dans le dispositif. Le juge d’appel regrette que le requérant se borne à produire, en défense de ses prétentions, une simple attestation de la banque ; or, cette attestation – si elle fait certes état de certaines caractéristiques – s’avère un document insuffisant et insatisfaisant. Selon la CAA de Versailles, la SNC n’est pas réputée posséder la qualité de crédit preneur (au sens de l’article 95 Q de l’année II au CGI N° Lexbase : L9615KC4). Que l’administration ait délivré des agréments – comme le rappelle le requérant – est sans incidence sur la qualification juridique du contrat au cœur du contentieux ; il s’agit là d’un élément étranger à l’objet du litige (et de surcroît non établi morigène le juge). Il y a plus. Il convient – déclare la CAA de Versailles – de s’appesantir sur la question des dates. Car quand bien même le contrat serait qualifié de crédit-bail et quand bien même l’investissement serait éligible à la réduction d’impôt, subsisterait une faille temporelle. Le contrat de location commence le 10 octobre 2011 ; le bateau est « importé » le 14 novembre 2011 et francisé le 1er décembre de la même année. Certes, une grave avarie est advenue le 29 décembre 2011 lors du convoyage du bateau. Néanmoins, l’attestation de l’assureur – qui prend en charge le sinistre – révèle que le sinistre survient au départ de Fort-de-France ; puisqu’il est déjà en Martinique – là même où est installée la SNC – cette dernière pouvait l’exploiter au cours de l’année 2011. Il s’ensuit que la réduction d’impôt relative à cet investissement ne peut pas être sur l’IR de l’année 2011 ; elle ne peut être imputée que jusqu’à la cinquième année d’imposition suivant l’année de l’investissement (ici, IR au titre de l’année 2016). La demande du requérant – en vertu de laquelle le solde de réduction d’impôt acquis en 2012 et non imputé doit être imputé sur l’IR dû au titre de l’année 2017 – est rejetée.
Troisième et dernier point : le requérant demande que soient annulés les avis de saisie administrative à tiers détenteurs et à être déchargé de l’obligation de payer la somme inscrite sur les actes de poursuite. Il estime qu’il revenait au comptable public de lui adresser un « acte annonciateur de poursuites » avant d’effectuer les saisies administratives à tiers détenteur. Cette demande – observe la CAA de Versailles – vise à contester la régularité en la forme de l’acte de poursuite. Or, en vertu de l’article L. 281 du LPF, il ne revient pas au juge administratif de statuer sur des conclusions visant à annuler de tels actes. Enfin, quant à la demande de compensation à laquelle devait procéder – selon le requérant - le comptable public (sur le fondement de l’article L. 257 B du LPF N° Lexbase : L4712ICI), il ne s’agit que d’une faculté ouverte par l’administration. Point d’obligation.
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Réf. : Cass. soc., 18 janvier 2023, n° 21-20.311, F-B N° Lexbase : A605488Q
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par Lisa Poinsot
Le 27 Janvier 2023
► En cas de nullité du licenciement du salarié en raison de l’exercice normal du droit de grève, le juge ordonne le remboursement par l’employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d’indemnités de chômage par salarié intéressé ;
Ce remboursement est ordonné d’office lorsque les organismes intéressés ne sont pas intervenus à l’instance et n’ont pas fait connaître le montant des indemnités versées.
Faits et procédure. Un salarié est licencié pour faute lourde à raison de faits commis au cours d’un mouvement de grève qui s’est déroulé dans l’entreprise. Il saisit la juridiction prud'homale aux fins d’obtenir diverses sommes au titre de l’exécution et de la rupture de son contrat de travail.
La cour d’appel (CA Caen, ch. soc., sect. 1, 3 juin 2021, n° 19/01692 N° Lexbase : A36054U3) retient que le licenciement du salarié est nul comme consécutif à l’exercice par ce dernier de son droit de grève, sans qu’aucune faute lourde puisse lui être reprochée.
Elle condamne donc la société à rembourser à Pôle emploi les allocations de chômage versées au salarié entre la date du licenciement et le jugement dans la limite de trois mois d’allocations.
Pour rappel. L’exercice normal du droit de grève ne peut justifier la rupture du contrat de travail. Seule une faute lourde du salarié gréviste peut justifier son licenciement. Cette faute lourde peut être caractérisée par l’intention de nuire, ce qui implique la volonté du salarié de porter préjudice à l’employeur dans la commission d’un fait fautif et ne résulte pas de la commission d’un acte préjudiciable à l’entreprise. En l’espèce, le salarié gréviste est licencié pour avoir proféré des insultes racistes, des menaces de viol, de mort et s’est livré à des actes de violence physique et d’agression. Or, il n’est pas établi que ces faits avérés et imputables au salarié aient été commis avec la volonté de porter préjudice à l’employeur. Le salarié n’a, à aucun moment, cherché à entraver la liberté du travail, y compris en agressant un autre salarié puisque ce fait s’est déroulé alors que ce dernier rentrait au dépôt après sa journée de travail. Ces faits ne caractérisent donc pas une faute lourde. |
La société forme alors un pourvoi en cassation en soutenant qu’en vertu de l’article L. 1235-4 du Code du travail N° Lexbase : L0274LM4, dans sa version issue de la loi n° 2016-1088, du 8 août 2016 N° Lexbase : L8436K9C, dans les cas prévus aux articles L. 1132-4 N° Lexbase : L0920MC3, L. 1134-4 N° Lexbase : L8068LGW, L. 1144-3 N° Lexbase : L8067LGU, L. 1152-3 N° Lexbase : L0728H9T, L. 1153-4 N° Lexbase : L0923MC8, L. 1235-3 N° Lexbase : L1442LKM et L. 1235-11 N° Lexbase : L8064LGR, le juge peut ordonner le remboursement par l’employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d’indemnités de chômage par salarié intéressé. Or cette disposition légale ne prévoit le cas envisagé à l’article L. 2511-1 du Code du travail utilisé par les juges du fond pour prononcer la nullité du licenciement.
La solution. Énonçant les solutions susvisées, la Chambre sociale de la Cour de cassation rejette le pourvoi sur le fondement de l’article L. 1235-4 du Code du travail, dans sa version issue de la loi n° 2016-1088, du 8 août 2016, dans les cas prévus aux articles L. 1132-4, L. 1134-4, L. 1144-3, L. 1152-3, L. 1153-4, L. 1235-3 et L. 1235-11, et en application des articles L. 1132-4 et L. 1132-2 N° Lexbase : L0676H9W du Code du travail.
Par conséquent, à défaut de preuve d’une faute lourde, la nullité du licenciement, prononcée en raison de l’exercice normal du droit de grève, entraîne la condamnation de l’employeur au remboursement des indemnités de chômage versées au salarié.
Pour aller plus loin :
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Réf. : CE, 3°-8° ch. réunies, 6 janvier 2023, n° 449405, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A236687R
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par Yann Le Foll
Le 25 Janvier 2023
► Le juge administratif est tenu de communiquer aux autres parties, même après la clôture de l'instruction, les observations présentées sur un moyen qu'il envisage de relever d'office, à la suite de l'information effectuée conformément à l'article R. 611-7 du Code de justice administrative.
Rappel. Aux termes de l'article R. 611-7 du Code de justice administrative N° Lexbase : L2813LPU : « Lorsque la décision lui paraît susceptible d'être fondée sur un moyen relevé d'office, le président de la formation de jugement ou le président de la chambre chargée de l'instruction en informe les parties avant la séance de jugement et fixe le délai dans lequel elles peuvent, sans qu'y fasse obstacle la clôture éventuelle de l'instruction, présenter leurs observations sur le moyen communiqué. / [...] ».
Décision CE. En omettant de se conformer à cette obligation, alors qu'elle avait informé les parties de ce qu'elle était susceptible de soulever d'office l'irrecevabilité du moyen tiré de l'illégalité, soulevée par la voie de l'exception, de la décision du 27 août 2015 nommant Mme A. aux fonctions précédemment occupées par M. C. (agent non titulaire d’une communauté de communes contestant son licenciement), et en ne communiquant pas par suite à ce dernier les observations présentées par la commune en réponse à ce moyen, la cour administrative d'appel (CAA Lyon, 17 décembre 2020, n° 18LY02117 N° Lexbase : A95864AB annulant TA Grenoble, 17 mai 2018, n° 1601481 N° Lexbase : A6679X7I) a entaché son arrêt d'irrégularité.
Rappel bis. La communication d'un moyen relevé d'office après la clôture de l'instruction n’implique pas une obligation de rouvrir l'instruction, sauf si une circonstance de fait ou un élément de droit, dont la partie qui l'invoque n'était pas en mesure de faire état avant la clôture de l'instruction, est susceptible d'exercer une influence sur le jugement de l'affaire (CE, 25 janvier 2021, n° 425539, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A50434D7), avec pour une application en droit de l’urbanisme, M. Meurdra et R. Blanquet, Sursis à statuer en vue d'une régularisation d'une autorisation d'urbanisme : l’invitation à formuler des observations et leur communication ne valent pas réouverture de l’instruction close, Lexbase Public, octobre 2022, n° 683 N° Lexbase : N3091BZI.
Pour aller plus loin : v. ÉTUDE : La communication de la requête et des mémoires, La présentation par les parties de leurs observations, in Procédure administrative, (dir. C. De Bernardinis), Lexbase N° Lexbase : E4301EXL. |
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par Christophe De Bernardinis, Maître de conférences en droit public, Université de Lorraine, directeur scientifique de l'Encyclopédie "Procédure administrative"
Le 30 Janvier 2023
L’année 2022 a, d’abord, été marqué par la nomination de Didier-Roland Tabuteau comme vice-président du Conseil d’État et l’entrée en activité (en mars) de la cour administrative d’appel de Toulouse, c’est la neuvième du genre sur le territoire national. Elle jugera des recours déposés en appel contre les décisions des tribunaux administratifs de Montpellier, Nîmes et Toulouse. On relève, d’un point de vue pratique, l’ouverture de l’accès en open data à tous les jugements de tribunaux administratifs rendus à compter du 1er juillet 2022 et la création du « Portail QPC », grande innovation du Conseil constitutionnel, actée à la fin de l’année 2022, pour recenser le flux et le sort de toutes les QPC déposées. Les décisions à relever, sinon, dans le cadre de l’exercice de la procédure administrative contentieuse, concernent, principalement et pêle-mêle, les questions de compétence, les pouvoirs du juge, la charge de la preuve, la recevabilité des recours eu égard aux actes de droit souple, le contentieux de l’urbanisme et les hypothèses toujours plus présentes et marquantes de régularisation. À noter également, de manière plus significative, la première décision rendue par le Conseil d’État en matière de référé « secret des affaires », le rejet marquant des recours émis contre la réforme de la haute fonction publique de l’Etat comme la confirmation, dans son dialogue avec le juge constitutionnel, de la compétence du Conseil d’État en matière de contrôle de constitutionnalité. Enfin, et surtout, il faut aussi évoquer deux décisions fondamentales source d’évolutions futures, une première qui reconnait le droit à l’environnement comme liberté fondamentale au sens de l’article L. 521-2 du Code de justice administrative N° Lexbase : L3058ALT et une seconde qui témoigne de la vigueur du rôle joué par le Conseil d’État dans le dialogue avec le juge de l’Union et sa façon d’interpréter le principe de primauté du droit de l’Union européenne. Ce dernier devenant, de plus en plus, une sorte d’arbitre ou de conciliateur dans les conflits qui opposent, de manière plus fréquente, l’État français au juge de l’Union.
Sommaire
I. L’action
1) Répartition des compétences juridictionnelles dans le contentieux des transactions administratives
2) Confirmation de la restriction du champ de la voie de fait qui est écartée, en l’espèce, à propos de l’évacuation d’un campement de migrants par la force publique
3) Création d’un régime contentieux dérogatoire établissant, de façon inédite, une compétence, en premier et dernier ressort, à un tribunal administratif spécifique, celui de Rouen
4) La compétence dérogatoire de la cour administrative d'appel de Paris pour connaitre, en 1er et dernier ressort, du contentieux des opérations d’urbanisme liées aux jeux olympiques de 2024 n’est justifiée que si les opérations en question peuvent être regardées comme « nécessaires » à la préparation, l’organisation ou le déroulement de l’événement
1) Un maire ne peut contester, en matière d’urbanisme commercial, l’avis conforme de la CDAC
2. Le délai de recours de 2 mois contre un titre exécutoire après contestation de celui-ci devant une juridiction civile incompétente court à compter de la notification ou de la signification de la décision par laquelle la juridiction judiciaire s'est, de manière irrévocable, déclarée incompétente
3) Le Conseil d’État ouvre la possibilité de requêtes collectives en contentieux fiscal par une interprétation contra legem
4) L’article L. 600-1-1 du Code de l'urbanisme ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit à un recours juridictionnel effectif, pas plus qu’il ne méconnaît la liberté d’association et le principe d’égalité devant la loi
5) Une prise de position de la CNIL mise en ligne dans une « foire aux questions » (n°452668 et n°459026) comme l’annonce de l’édiction d’un acte réglementaire (n°451846) peuvent faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir
6) Le rejet des recours émis contre la réforme de la haute fonction publique de l’Etat et confirmation de la compétence du Conseil d’État en matière de contrôle de constitutionnalité
7) La clarification, en contentieux contractuel et dans l’exercice d’un recours « Tarn et Garonne », de la notion d’actes d’approbation susceptibles d'être soumis au juge de l’excès de pouvoir et de la notion de « tiers privilégié »
C. Les recours
1) La délimitation du champ du recours dirigé contre une mesure de régularisation d’une déclaration d’utilité publique (DUP)
2) L’invitation à quitter le territoire français (IQTF) qui accompagne le refus de titre de séjour opposé à la demande d’un étranger ne fait pas grief et n’est donc pas susceptible de recours
II. L’instance
1) Le revirement de la charge de la preuve en contentieux de la détention, celle-ci incombant désormais à l’administration
2) Lorsque le juge administratif invite les parties à produire des observations dans le cadre de l’art. L. 600-5-1 du Code de l'urbanisme, ni cette invitation, ni la communication aux parties des observations reçues en réponse à cette invitation n’ont, par elles-mêmes, pour effet de rouvrir l’instruction si celle-ci était close
B. Les parties
1) La procédure d’information des parties est possible même en l’absence de production d’un mémoire en défense
1) La mesure de régularisation consécutive à un sursis à statuer de l’article L. 600-5-1 du Code de l'urbanisme peut être produite bien au-delà du délai fixé par le juge
I. L’action
1) Répartition des compétences juridictionnelles dans le contentieux des transactions administratives (T. confl., 7 février 2022, n° C4233 N° Lexbase : A38907Q7)
Le juge des conflits, clarifie, dans l’arrêt d’espèce, les principes applicables dans la répartition des compétences juridictionnelles en matière de transaction administrative. Ces derniers, fixés par une jurisprudence antérieure [1], avaient vivement été critiqués [2]. Le Tribunal confirme que les litiges nés de l’exécution d’une transaction relèvent de la compétence de la juridiction judiciaire, hormis le cas où elle a pour objet le règlement ou la prévention de différends pour le jugement desquels la juridiction administrative est principalement compétente (Cf. point 3 de l’arrêt). Il n’est plus nécessaire de s’interroger, en plus, sur la nature même de la convention de transaction, en recherchant si elle remplit les critères jurisprudentiels du contrat administratif [3]. La compétence suit, en l’occurrence, le fond. La compétence judiciaire est ainsi la règle en matière de transaction, qui est normalement un contrat de droit privé. La compétence administrative est une exception, qui ne trouve place que lorsque le litige auquel elle se rapporte relève lui-même, principalement, de la juridiction administrative soit principalement les cas, assez nombreux, en présence d’un contrat conclu par une personne publique.
2) Confirmation de la restriction du champ de la voie de fait qui est écartée, en l’espèce, à propos de l’évacuation d’un campement de migrants par la force publique (T. confl., 4 juillet 2022, n° 4248 N° Lexbase : A78668AL)
Le juge des conflits confirme l’effacement continu, depuis quelques temps, de la voie de fait en décidant que l’opération consistant à faire évacuer un campement dans un cadre de police judiciaire après que le procureur de la République a donné instruction de faire cesser l’infraction réprimée par l’article 322-4-1 du Code pénal N° Lexbase : L7812LMB [4] ne constitue pas une voie de fait. Cette décision s’inscrit, au niveau du résultat, dans le nouvel état du droit fixé depuis 2013 par la jurisprudence « Bergoend » [5]. Le Tribunal a estimé que c’est à bon droit que le conflit a été élevé par le préfet dans la mesure où l’opération d’évacuation n’avait pas été ordonnée par lui mais s’était faite dans le cadre d’une opération de police judiciaire à la suite de l’instruction du procureur de la République. De même, il n’y a pas eu d’exécution forcée et, qui plus est, d’exécution forcée dans des conditions irrégulières dans la mesure ou l’opération était accompagnée de propositions d’accueil pour les personnes intéressées et de la mise à disposition de moyens de transport vers ces lieux d’accueil[6].
3) Création d’un régime contentieux dérogatoire établissant, de façon inédite, une compétence, en premier et dernier ressort, à un tribunal administratif spécifique, celui de Rouen (décret n° 2022-1275 du 29 septembre 2022, relatif au régime juridique applicable au contentieux des décisions afférentes au projet de terminal méthanier flottant dans la circonscription du grand port fluvio-maritime de l’axe Seine (site du Havre) N° Lexbase : L4343MEL)
C’est la loi du 16 août 2022 portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat [7] qui a défini le régime applicable au terminal méthanier flottant [8] dont la mise en service est envisagée sur le site portuaire du Havre pour assurer la sécurité de l’approvisionnement en gaz naturel, dans le contexte de crise lié à la guerre en Ukraine. Le législateur a assorti ce projet de dérogations procédurales que le décret du 29 septembre 2022 [9] met en application. Ce dernier crée un régime contentieux spécifique où le tribunal administratif de Rouen est seul compétent, en premier et dernier ressort, pour connaître des litiges portant sur les décisions relatives à l’installation, la mise en service et l’exploitation du terminal. Cette compétence s’étale sur la période du 1er octobre 2022 au 1er janvier 2025. Le délai de recours contre ces décisions est réduit à un mois [10] et le tribunal doit se prononcer dans un délai réduit de dix mois à compter de l’enregistrement de la requête. Si l’approche est louable dans le sens d’assurer une sécurité énergétique [11], elle amène aussi à multiplier les contentieux dérogatoires dans le contentieux administratif. On peut citer ceux existant déjà comme celui relatif aux permis attribués à des entreprises étrangères en matière d’hydrocarbure [12] ou celui relatif aux installations de parcs éoliens [13] mais on peut citer aussi celui établi près d’un mois après la parution du décret concernant les installations de production d’énergie à partir de sources renouvelables [14]. Beaucoup de questions se posent quant à l’atteinte au droit au recours ou au principe de sécurité juridique voire de façon plus générale quant à la lisibilité du droit.
4) La compétence dérogatoire de la cour administrative d'appel de Paris pour connaitre, en 1er et dernier ressort, du contentieux des opérations d’urbanisme liées aux jeux olympiques de 2024 n’est justifiée que si les opérations en question peuvent être regardées comme « nécessaires » à la préparation, l’organisation ou le déroulement de l’événement (CE, 17 octobre 2022, n° 459219 N° Lexbase : A68168P7 et n° 464620 N° Lexbase : A68148P3)
Les dispositions spéciales dérogeant aux dispositions de droit commun accordent la compétence de 1er et dernier ressort à la cour administrative d'appel de Paris pour tous les litiges relatifs aux opérations d’aménagement et d’urbanisme en lien avec les jeux olympiques de 2024 [15]. Le Conseil d’État a, dans les arrêts d’espèce, une appréciation restrictive de cette compétence d’exception dans la mesure où, pour justifier l’exception et la compétence de la cour administrative d'appel de Paris, les opérations en question doivent être regardées comme « nécessaires » à la préparation, l’organisation ou le déroulement de l’événement. Dans ce cadre, l’autorisation environnementale accordée à la société du Grand Paris pour la création et l’exploitation de la ligne 17 nord du réseau de transports du Grand Paris Express ne relève pas de la compétence en 1er et dernier ressort de la cour administrative d'appel de Paris mais de celle du tribunal administratif de Cergy-Pontoise (CJA, art. R. 312-7 N° Lexbase : L7155HZZ) (n°459219). Si l’existence du projet a été mentionnée dans le dossier de candidature, « il ne ressort pas de ce dossier de candidature que les autorités françaises se seraient spécifiquement engagées à réaliser cette infrastructure pour les besoins de l’organisation des Jeux ». Le Conseil d’État a jugé, de même, pour la délibération du conseil municipal de Gonesse modifiant le PLU de la commune afin de prendre en compte la création de cette ligne et d’une gare au Triangle de Gonesse (n°459220).
1) Un maire ne peut contester, en matière d’urbanisme commercial, l’avis conforme de la CDAC (CE, 24 janvier 2022, n° 440164 N° Lexbase : A25577KW)
Dans le cadre de la procédure amenant à l’obtention du permis de construire valant autorisation d’exploitation commerciale (PCAEC), le maire doit solliciter l’avis conforme de la Commission départementale d’aménagement commercial (CDAC) et doit s’y conforter, peu importe sa prise de position personnelle [16]. Le Conseil d’État confirme, dans l’arrêt d’espèce, que la nature d’acte préparatoire de l’avis [17] emporte l’irrecevabilité du recours formé à son encontre et que ce dernier lie donc définitivement le maire. Seule possibilité de contestation pour le maire, mettre en cause, de façon plus que paradoxale, sa propre décision dans son volet commercial (sa décision ayant deux volets, administratif et commercial).
2. Le délai de recours de 2 mois contre un titre exécutoire après contestation de celui-ci devant une juridiction civile incompétente court à compter de la notification ou de la signification de la décision par laquelle la juridiction judiciaire s'est, de manière irrévocable, déclarée incompétente (CE, 31 mars 2022, n° 453904 N° Lexbase : A10247SQ)
Lorsqu’un titre exécutoire a été notifié à son destinataire sans mention des voies et délais de recours, on applique le délai « Czabaj » [18] qui veut donc que, sauf circonstances particulières, ce délai ne saurait excéder un an à compter de la date de la notification ou de la portée à connaissance du débiteur. Même s’il y a eu saisine par erreur du juge judiciaire avant l’expiration du délai, le débiteur conserve le bénéfice de ce délai raisonnable. Un nouveau délai de deux mois est décompté à partir de la notification ou de la signification du jugement par lequel la juridiction judiciaire s’est déclarée incompétente. L’arrêt d’espèce précise le point de départ de ce nouveau délai de deux mois, le délai ne commençant à courir qu’ « à compter de la notification ou de la signification de la décision par laquelle la juridiction judiciaire s'est, de manière irrévocable, déclarée incompétente ». Le délai ne court donc pas à partir de la notification de la première décision d’incompétence de la juridiction judiciaire ou à partir de la notification d’un arrêt d’incompétence susceptible d’un pourvoi en cassation. Cette solution « a le mérite de la cohérence et de la clarté » [19] tout en étant « également à inscrire dans la logique jurisprudentielle protectrice des droits des administrés » [20].
3) Le Conseil d’État ouvre la possibilité de requêtes collectives en contentieux fiscal par une interprétation contra legem (CE, 1er avril 2022, n° 450320 N° Lexbase : A10347S4)
Le Conseil d’État admet, pour la première fois, dans l’arrêt d’espèce et en matière fiscale, la possibilité de déposer des requêtes collectives. Jusqu’à présent, ces dernières étaient considérées comme irrecevables par le juge administratif pour assurer une cohérence entre la procédure préalable et la procédure contentieuse mais, aussi, dans la mesure où le législateur imposait que les réclamations fiscales devaient être présentées individuellement sous réserve de quelques exceptions (LPF, art. R. 197-1 N° Lexbase : L1884LEI). Le juge était, depuis longtemps, assez réticent en la matière [21] malgré une certaine ouverture en contentieux administratif général [22]. Il a, quelque peu, évolué par la suite en déclarant, dans une espèce où les requêtes émanaient d’un même contribuable contestant plusieurs impositions mises à sa charge, les conclusions d’une requête collective recevables dans leur totalité si elles présentent entre elles un lien suffisant [23]. Il y avait là une avancée même si le lien suffisant n’avait pas été retenu [24]. De même, l’interdiction faite au juge de joindre les requêtes de deux contribuables n’est plus en vigueur [25], notamment dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice [26]. Si la jonction est possible, c’est une simple commodité dans les mains du juge et il restait, aussi, la question de la recevabilité de la requête collective. Admise récemment en contentieux indemnitaire à propos d’un accident de service [27], elle a été donc confirmée, dans l’arrêt d’espèce, en contentieux fiscal. Dorénavant, les requêtes collectives fiscales obéissent aux mêmes règles de recevabilité qu’en contentieux administratif général.
4) L’article L. 600-1-1 du Code de l'urbanisme ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit à un recours juridictionnel effectif, pas plus qu’il ne méconnaît la liberté d’association et le principe d’égalité devant la loi (Cons. const., décision n° 2022-986 QPC du 1er avril 2022 N° Lexbase : A77857RR)
Dans la droite ligne d’une jurisprudence désormais bien établie [28], le juge constitutionnel confirme le fait que la règle voulant qu’une association n’est recevable à agir contre une décision relative à l’occupation ou l’utilisation des sols que si le dépôt de ses statuts est intervenu au moins un an avant l’affichage en mairie de la demande du pétitionnaire est conforme à la Constitution. Il valide ainsi une « nouvelle restriction de l’accès au prétoire au nom de la lutte contre les risques particuliers d’incertitude juridique et la prévention des recours abusifs et dilatoires » [29]. Depuis de nombreuses années déjà, le droit au recours à l’encontre des autorisations d’urbanisme est mis à mal tant par le pouvoir réglementaire que législatif, ces derniers multipliant les obstacles à son exercice. « Loin de s’en émouvoir dans le cadre de son contrôle de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel semble indifférent à ces graves atteintes portées au droit au recours et à la liberté d’association, alors même que les soubassements juridiques et factuels de ces restrictions semblent particulièrement fragiles » [30].
5) Une prise de position de la CNIL mise en ligne dans une « foire aux questions » (n°452668 et n°459026) comme l’annonce de l’édiction d’un acte réglementaire (n°451846) peuvent faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir (CE, 8 avril 2022, n° 452668 et n° 459026 N° Lexbase : A06317TK ; CE, 25 mai 2022, n° 451846 N° Lexbase : A47887YY)
L’empire du droit souple ne cesse de s’étendre. Il est partout et le juge de la légalité ne cesse d’élargir les hypothèses susceptibles de relever de son contrôle. Depuis l’arrêt « GISTI » [31], tous les documents de portée générale sont désormais susceptibles de voir leur légalité examinée dès lors qu’ils produisent des « effets notables » : lignes directrices [32], avis déontologiques [33], note du Garde des Sceaux adressée à des présidents de juridiction[34], communiqué de presse publié sur le site d’un ministère [35], etc… Les arrêts d’espèce s’inscrivent dans ce mouvement. Le premier concerne une prise de position de la CNIL mise en ligne dans une « foire aux questions » qui, eu égard à sa teneur, est susceptible de produire des effets notables sur la situation des personnes qui se livrent à des opérations d’affiliation et sur celle des utilisateurs et abonnés de services électroniques qui peut donc, dorénavant. Elle peut, désormais, faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir. Le second concerne l’annonce de l’édiction d’un acte réglementaire. En principe, un tel acte ne peut faire l’objet d’un recours en annulation mais il en va autrement si l’annonce en question a pour objet d’influer, de manière significative, sur les comportements des personnes auxquelles elle s’adresse pour leur permettre de se préparer au futur cadre juridique auquel ces personnes seront soumises.
6) Le rejet des recours émis contre la réforme de la haute fonction publique de l’Etat et confirmation de la compétence du Conseil d’État en matière de contrôle de constitutionnalité (CE, Sect., 19 juillet 2022, n° 453971 N° Lexbase : A36958CT)
Par l’arrêt d’espèce, le Conseil d’État rejette l’ensemble des recours émis par plusieurs syndicats et associations de hauts fonctionnaires ou d’anciens élèves sur la légalité d’une grande partie des dispositions de l’ordonnance n° 2021-702 du 2 juin 2021, portant réforme de l’encadrement supérieur de la fonction publique de l’État N° Lexbase : L7252L4D [36]. Si la décision ne sera pas publiée au recueil Lebon, ni aux tables, elle illustre néanmoins la position centrale occupée, aujourd’hui, par le juge administratif dans le contrôle de constitutionnalité sur les dispositions entrant dans le domaine de la loi et, plus précisément, sur « l’intrication contemporaine des contrôles de constitutionnalité opérés par le Conseil constitutionnel, d’une part, et par le Conseil d’État, d’autre part » [37]. Les dispositions de l’ordonnance sont plutôt variées et marquent le passage de ce que l’on appelait la « haute fonction publique » à ce qu’on appelle dorénavant « l’encadrement supérieur de l’Etat » [38]. La réforme va du remplacement de l’ENA par l’Institut national du service public (INSP) [39] à la création du corps des administrateurs de l’État [40] en passant par la fonctionnalisation de différents corps d’inspection générale de l’État [41]. Les demandeurs, malgré leur nombre [42], n’ont obtenu du Conseil d’État qu’une simple correction d’une erreur matérielle [43]. L’ordonnance du 2 juin 2021 a été, de façon plus générale, l’occasion de poser la constitutionnalité de la réforme. La QPC étant, désormais, ouverte quant aux dispositions d’une ordonnance non encore ratifiée [44], le contrôle de l’ordonnance montre qu’il ne met pas forcément en avant le juge constitutionnel au détriment du juge administratif. Ce dernier a, en effet, plus ou moins contrôlé la procédure en étant très strict dans son rôle de filtre puisque renvoyant au Conseil constitutionnel que deux QPC [45] et refusant de transmettre d’autres questions pourtant loin d’être fantaisistes [46]. Par suite de la réponse du juge constitutionnel, qui a rejeté les deux QPC [47], il restait au Conseil d’État à se prononcer sur la légalité des dispositions de l’ordonnance ce qu’il a fait en l’espèce. Parmi les nombreux moyens qui ne vont pas être acceptés par le Conseil d’Etat, les requérants invoquaient l’incompétence négative [48], par exemple, quant à la définition insuffisante de l'encadrement supérieur ou le fait d’avoir laissé à un décret la définition des modalités d’évaluation des agents concernés. Les requérants ont pu, également, parmi les moyens rejetés, invoqué des moyens d’inconventionnalité tels que la jurisprudence du juge de l’Union amenant à l’impossibilité pour un Etat membre de modifier sa législation de manière à entraîner une régression de la protection de la valeur de l’Etat de droit particulièrement au niveau de l’organisation de la justice [49] ou celle amenant à la contradiction avec les principes de protection juridictionnelle effective, d'indépendance et d’impartialité (art. 47 CDFUE N° Lexbase : L0230LGM et art. 6 § 1 CESDH N° Lexbase : L7558AIR).
7) La clarification, en contentieux contractuel et dans l’exercice d’un recours « Tarn et Garonne », de la notion d’actes d’approbation susceptibles d'être soumis au juge de l’excès de pouvoir et de la notion de « tiers privilégié » (CE, 2 décembre 2022, n° 454318 et n° 454323 N° Lexbase : A36638XX)
Par deux décisions d’espèce, le Conseil d’État est venu compléter son mode d’emploi des actions des tiers à l’égard des contrats administratifs. C’est le regretté et désormais célèbre Claude Danthony [50] qui a été amené à contester une convention prise pour la souscription et la mise en œuvre d’un contrat de partenariat public-privé, convention conclue entre l’Etat, l’ENS de Lyon et la communauté d’universités et établissements « Université de Lyon » en vue de la réhabilitation, la restructuration et la mise aux normes du site Monod de l’ENS de Lyon. La première espèce, visant la délibération du conseil d’administration de l’ENS approuvant la convention, a permis de préciser la notion d’acte administratif portant approbation du contrat susceptible d’être contesté par des tiers devant le juge de l’excès de pouvoir. Si le Conseil d’État avait déjà confirmé l’existence du REP à l’encontre des actes d’approbation, il n’avait jamais défini ces actes ce qu’il fait dans l’arrêt d’espèce. Ces derniers étant « seulement ceux qui émanent d’une autorité distincte des parties contractantes, qui concernent des contrats déjà signés et qui sont nécessaires à leur entrée en vigueur ». En sont exclus « ceux qui, même s’ils indiquent formellement approuver le contrat, participent en réalité au processus de sa conclusion ». Au regard de cette définition, la délibération précitée ne constitue pas un acte d’approbation, ce qui conduit à l’irrecevabilité du recours pour excès de pouvoir. La seconde espèce, quant à elle, avait pour objet l’annulation du contrat lui-même et a permis de préciser la qualité de « tiers privilégié » [51] pour l’exercice d’un recours « Tarn et Garonne ». Reprenant sa décision du 4 avril 2014 [52], le juge se refuse à élargir la notion en considérant « qu’outre le préfet, seuls peuvent engager une action contre un contrat même sans se prévaloir d’un intérêt lésé les membres de l’organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné par le contrat ». En ce sens, le membre du conseil d’administration d’un établissement public d’enseignement ne peut se prévaloir de la qualité de « tiers privilégié » dans le cadre d’un recours « Tarn-et-Garonne ».
C. Les recours
1) La délimitation du champ du recours dirigé contre une mesure de régularisation d’une déclaration d’utilité publique (DUP) (CE, 21 juillet 2022, n° 437634 N° Lexbase : A46698CW)
Une première décision du Conseil d’État, « Commune de Grabels » [53], avait d’abord fait en sorte de décider qu’un juge pouvait, plutôt qu’annuler, régulariser, à la place, une DUP affectée d’un vice de procédure en fixant à l’administration un délai et en décidant de surseoir à statuer jusqu’à ce que ladite régularisation soit intervenue. Si cette décision faisait partie de la tendance générale, visant aujourd’hui, à élargir les possibilités de régularisation des décisions administratives en contentieux de l’urbanisme [54], l’espèce commentée traite des suites de ce litige et de la décision avant dire droit. Se conformant à cette dernière, le préfet a recueilli l’avis de la mission régionale de l’autorité environnementale du conseil général de l’environnement et du développement durable territorialement compétente puis organisé pendant un mois une consultation du public par voie électronique, estimant que cette mesure était de nature à régulariser l’arrêté litigieux. C’est ce que conteste la commune de Grabels. Le Conseil d’État limite alors les moyens invocables à l’appui de la contestation de la procédure de régularisation en jugeant que seuls peuvent être invoquées « des vices qui lui sont propres et soutenir qu’elle n’a pas pour effet de régulariser le vice que le juge a constaté dans sa décision avant dire droit ». Le juge administratif exclut les autres moyens « qu’il s’agisse d’un moyen déjà écarté par la décision avant dire droit ou de moyens nouveaux, à l’exception de ceux qui seraient fondés sur des éléments révélés par la procédure de régularisation ». Le Conseil d’Etat rejette ainsi la requête par une appréciation, pour le moins, « pragmatique » [55] mais dans la logique d’une jurisprudence constante jusque-là [56].
2) L’invitation à quitter le territoire français (IQTF) qui accompagne le refus de titre de séjour opposé à la demande d’un étranger ne fait pas grief et n’est donc pas susceptible de recours (CE, avis, 27 octobre 2022, n° 462766 N° Lexbase : A22168RI)
L’IQTF a, depuis 2066 [57], été remplacé par l’obligation de quitter le territoire français (OQTF). Pour autant, les préfets continuent à l’utiliser dans le cas particulier où l’étranger, à qui vient d’être refusée la délivrance d’un titre de séjour, est par ailleurs titulaire d’un titre en cours de validité l’autorisant à séjourner dans un Etat membre de l’Union européenne. La non-exécution d’une OQTF peut, en effet, exposer l’étranger à être reconduit d’office mais il ne peut être éloigné à destination d’un Etat membre de l’Union européenne et peut disposer d’un délai minimum pour rejoindre cet Etat o ù il est autorisé à séjourner et seulement après pouvoir faire éventuellement l’objet d'une OQTF[58]. En décidant que l’IQTF ne fait pas grief dans la décision d’espèce, le juge administratif estime que cette dernière emporte les mêmes effets juridiques que la décision refusant la délivrance d’un titre de séjour et « est pour ainsi dire neutre juridiquement » [59]. En jugeant de la sorte, le Conseil d’État évite tout questionnement sur la base juridique de l’acte et, surtout, une surcharge du contentieux là où il y a une charge déjà plus que considérable pour les juridictions administratives.
II. L’instance
1) Le revirement de la charge de la preuve en contentieux de la détention, celle-ci incombant désormais à l’administration (CE, 21 mars 2022, n° 443986 N° Lexbase : A99167QC)
Il appartient, en principe, au demandeur qui engage une action en responsabilité à l’encontre de l’Administration d’apporter tous les éléments de nature à établir devant le juge la réalité du préjudice subi et l’existence de faits de nature à caractériser une faute. Dans le contentieux administratif, cela se traduit par apporter la preuve des trois conditions de la responsabilité : le fait dommageable, le lien de causalité et le préjudice à charge pour l’administration de prouver les causes d’exonération. Ces exigences traditionnelles connaissent, cependant, des aménagements dans certains cas. Il en est ainsi s’agissant d’une demande en réparation formée par un détenu ou ancien détenu, lorsque la description faite par le demandeur de ses conditions de détention est « suffisamment crédible et précise pour constituer un commencement de preuve de leur caractère indigne » et compte tenu de la difficulté pour un détenu, du fait même de son enfermement, de prouver la réalité de ses conditions de détention et, le cas échéant, le caractère indigne de celles-ci. Dans ce cas, comme le révèle l’arrêt d’espèce, il y a renversement de la charge de la preuve et il revient à l’Administration d’apporter des éléments permettant de réfuter les affirmations du demandeur comme ce qui peut déjà exister pour les victimes de discrimination [60] ou pour les agents subissant des faits de harcèlement [61]. Il faut noter à ce sujet que le Conseil d’État, en jugeant de la sorte, a forcément tenu compte du nouveau recours préventif judiciaire de l’article 803-8 N° Lexbase : L1636MAT récemment introduit dans le Code de procédure pénale par la loi du 8 avril 2021 tendant à garantir le droit au respect de la dignité en détention [62] et de la jurisprudence de la Cour de cassation en la matière directement à l’origine de ce recours[63]. Le tout faisant écho à la jurisprudence du juge européen qui, à propos des conditions de détention indignes, considère qu’il faut, pour respecter le droit à un recours effectif, combiner un recours préventif, « de nature à empêcher la continuation de la violation alléguée ou de permettre une amélioration des conditions matérielles de détention », à un recours indemnitaire efficace, « une fois que la situation dénoncée a cessé » [64].
De plus, « lorsque la description faite par les requérants des conditions de détention supposément dégradantes est crédible et raisonnablement détaillée, de sorte qu’elle constitue un commencement de preuve d’un mauvais traitement, la charge de la preuve est transférée au gouvernement défendeur, qui est le seul à avoir accès aux informations susceptibles de confirmer ou d’infirmer les allégations du requérant. Le gouvernement défendeur doit alors, notamment, recueillir et produire les documents pertinents et fournir une description détaillée des conditions de détention du requérant » [65]. Le renversement de la charge de la preuve facilitera l’exercice par les détenus de l’action en responsabilité [66].
2) Lorsque le juge administratif invite les parties à produire des observations dans le cadre de l’art. L. 600-5-1 du Code de l'urbanisme, ni cette invitation, ni la communication aux parties des observations reçues en réponse à cette invitation n’ont, par elles-mêmes, pour effet de rouvrir l’instruction si celle-ci était close (CE, 10 octobre 2022, n° 455573 N° Lexbase : A52048N3)
Le Conseil d’État a pu juger, par le passé, que lorsque le juge soulève un moyen d’ordre public avant l’audience, il doit, bien entendu, en aviser les parties pour qu’elles puissent produire éventuellement leurs observations mais il n’a pas l’obligation de rouvrir les débats. L’invitation à produire n’entraîne pas de réouverture de l’instruction. C’est la décision de section du 25 janvier 2021, Mme Lebret et autres [67]. Ce sont ces principes qui ont été transposés, dans l’arrêt d’espèce, au mécanisme de régularisation des autorisations d’urbanisme. La jurisprudence antérieure à l'édiction de l’article L. 600-5-1 du Code de l’urbanisme N° Lexbase : L0034LNL prévoyait que la communication devait s’effectuer à tout moment [68] et que cette communication n’avait aucune incidence sur la réouverture de l’instruction [69]. On peut dire que la solution du juge « aura sans doute laissé aux parties concernées un goût amer au regard du respect du contradictoire, compte tenu du délai qui leur était imparti pour faire état de leurs réactions aux observations de la commune, outre qu’elles ont « raté » la communication desdites observations sur l’application Télérecours » [70]. Et cela, d’autant plus, qu’une décision du même jour a considéré que lorsqu’au cours d’une audience, le président de la formation de jugement d’un tribunal administratif ou d’une cour administrative d'appel invite une partie à produire des éléments ou pièces en vue de compléter l’instruction, il doit, cette fois, être regardé comme ayant rouvert l’instruction et il doit en conséquence radier l’affaire du rôle [71]. Mais il y a là, et encore une fois, une solution pragmatique du juge qui doit permettre aux parties de se saisir du sursis à statuer afin de garantir la régularité de la procédure et de facto de la décision prise.
B. Les parties
1) La procédure d’information des parties est possible même en l’absence de production d’un mémoire en défense (CE, Sect., 26 juillet 2022, n° 437765 N° Lexbase : A10348DN)
La décision d’espèce est surtout à relever en droit de l’urbanisme. C’est dans ce cadre qu’elle a fait l’objet de nombreux commentaires [72] dans la mesure où le Conseil d’État y modifie les conditions de délivrance du permis de construire modificatif en rapprochant son régime juridique de celui du permis de régularisation. Elle est, aussi et pour autant, également importante en procédure administrative contentieuse dans la mesure où elle apporte des précisions sur la procédure d’information des parties issue de l’article R. 611-1-1 du Code de justice administrative N° Lexbase : L2788LPX [73]. Le Conseil d’État précise, en effet, dans l’arrêt d’espèce, que la clôture de l’instruction, qui existe devant les tribunaux administratifs et cours administratives d'appel quand les parties ont été informées que l’affaire est en état d’être jugée, peut être prononcée sans que le défendeur ait produit de mémoire, et même sans qu’il ait été invité à le faire. C’est la solution qui existait déjà hors clôture de l’instruction [74] qui est donc transposée dans l’hypothèse spécifique de la clôture de l’instruction avec effet immédiat. Il y a là un pouvoir important du juge lui permettant de maîtriser le calendrier de la procédure selon son opinion sur l’état d’avancement de l’instruction mais ce pouvoir ne doit pas aller à l’encontre du droit à la contradiction. L’article R. 611-11-1 du Code de justice administrative mentionne, en ce sens, que l’instruction ne peut être close à une date antérieure à celle indiquée dans la lettre d’information. C’est ce que prend bien garde de rappeler le Conseil d’État en affirmant que « la faculté de prendre une ordonnance de clôture d’instruction à effet immédiat n’est ouverte qu’à compter de la date fixée dans la lettre d’information et une fois expiré chacun des délais laissés aux parties pour produire un mémoire ou répliquer aux mémoires communiqués ».
1) La mesure de régularisation consécutive à un sursis à statuer de l’article L. 600-5-1 du Code de l'urbanisme peut être produite bien au-delà du délai fixé par le juge (CE, 16 février 2022, n° 420554 et n° 420575 N° Lexbase : A60927NX)
L’article L. 600-5-1 du Code de l’urbanisme prévoit, au cours de l’instruction, un mécanisme de régularisation d’une autorisation d’urbanisme sous le contrôle du juge. Il est mis en œuvre lorsque ce dernier identifie un vice susceptible d’être régularisé et qu’aucun autre moyen invoqué à l’encontre de l’autorisation d’urbanisme n’est fondé. Si ces conditions sont remplies et, en particulier, qu’une régularisation s’avère possible, le juge « sursoit à statuer [...] jusqu’à l’expiration du délai qu’il fixe pour cette régularisation ». Concrètement, le juge rend un jugement avant dire droit par lequel il fixe un délai pour cette régularisation et sursoit à statuer sur le recours dont il est saisi. Dans ce cadre, il peut préciser les modalités de la régularisation [75] et c’est à lui d’apprécier tant l’effet que la légalité intrinsèque de la mesure de régularisation [76]. La question se posait de savoir si les parties étaient astreintes au respect du délai pour produire la mesure de régularisation ou si les tiers devaient contester la mesure de régularisation nécessairement pendant le délai fixé. C’est à cette question que répond le juge dans les arrêts d’espèce en précisant d’abord que le délai imparti pour adopter une mesure de régularisation ne l’est pas à peine d’irrecevabilité de la régularisation. En ce sens, une fois le délai expiré, le juge peut, à tout moment, statuer sur le recours dont il est saisi et n’est pas obligé d’attendre la mesure de régularisation mais l’administration peut encore adopter cette dernière et le juge doit alors en tenir compte. En jugeant de la sorte, le juge se livre à une interprétation a contrario de l’article L. 600-5-1 CU très favorable à la mesure de régularisation dans la mesure où ce dernier impose, plutôt, de tenir compte de la mesure de régularisation produite dans le délai. Le Conseil d’État précise, ensuite, le régime contentieux de la mesure de régularisation en ajoutant la règle selon laquelle les requérants, parties à l’instance ayant donné lieu à la décision avant dire droit, sont recevables à contester la légalité de la mesure de régularisation produite dans le cadre de cette instance tant que le juge n’a pas statué au fond et sans condition de délai. Si l’acte ne peut être contesté que dans le cadre de l’instance déjà ouverte contre l’acte qu'il régularise [77], le juge écarte, là encore, la solution traditionnelle qui prévalait jusque-là pour les actes remplaçant en cours d’instance la décision contestée [78] mais s’inscrit dans une jurisprudence qu’il avait déjà plus ou moins amorcé par ailleurs [79].
[1] T. confl., 18 juin 2007, n° 3600 N° Lexbase : A09923YE, Rec. CE, p. 600, CMP, 2007, comm. n° 289, note G. Eckert, DA, 2007, comm. n° 156, note F. Melleray ; CE, Ass., 6 décembre 2002, n° 249153 N° Lexbase : A4627A47, Rec. CE, p. 433, Lebon, concl. G. Le Chatelier, AJDA, 2003, p. 280, chron. F. Donnat et D. Casas, RFDA, 2003, p. 291, concl. G. Le Chatelier et p. 302, note B. Pacteau.
[2] Voir, par ex., B. Plessix, Chronique de droit administratif , JCP éd. G, 2007, n° 193, § 3 ou F. Melleray, La répartition des compétences juridictionnelles en matière de transactions conclues par une personne publique, DA, 2007, comm. n° 156 qui évoque « davantage le résultat d’une sédimentation historique que celui d'un raisonnement logique et parfaitement rigoureux » ou H. Kenfack, Répartition des compétences en matière de transaction conclue par une personne publique », JCP éd. G, 2008, n° 10017, qui parle de « mauvaise pièce en trois actes ».
[3] Le juge des conflits avait décidé, en 2007, que la transaction conclue par une personne morale de droit public, est, en principe, un contrat de nature civile, sauf si elle met en œuvre des prérogatives de puissance publique ou aboutit à la participation du cocontractant à une mission de service public... et que, sous cette réserve, l’homologation de la transaction et les litiges nés de son exécution relèvent de la compétence du juge judiciaire, hormis le cas où il est manifeste que les différends qui s’y trouvent compris ressortissent principalement à la compétence du juge administratif.
[4] Qui punit le fait de s’installer en réunion, en vue d’y établir une habitation, même temporaire, sur un terrain appartenant soit à une commune qui s’est conformée à ses obligations en matière d’accueil des gens du voyage, soit à tout autre propriétaire autre qu’une commune, sans être en mesure de justifier de son autorisation ou de celle du titulaire du droit d’usage du terrain.
[5] Depuis 2013, la voie de fait est définie comme un agissement, soit manifestement insusceptible de se rattacher aux prérogatives de l'administration, soit consistant en l’exécution forcée d'une décision administrative, même régulière, à condition que cet agissement, soit ait porté atteinte à la liberté individuelle au sens de l'article 66 de la Constitution, soit ait causé une extinction du droit de propriété (T. confl., 17 juin 2013, n° 3911 N° Lexbase : A2154KHA, Rec. CE, p. 370, AJDA, 2013, p. 1568, chron. X. Domino et A. Bretonneau, JCP éd. A, 2013, n° 1057, obs. S. Biagini-Girard et n° 2301, obs. C.-A. Dubreuil, RJEP, 2013, oct., p. 38, note B. Seiller, DA, 2013, comm. n° 86, obs. S. Gilbert).
[6] Conformément à l’application de l’article L. 345-2 du Code de l’action sociale et des familles N° Lexbase : L9022IZ8.
[7] Loi n° 2022-1158 du 16 août 2022, portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat N° Lexbase : L7050MDH.
[8] Un terminal méthanier flottant est un navire amarré dans un port où, alimenté par des navires méthaniers en gaz naturel liquéfié, il procède à la regazéification et est raccordé à un réseau de transport terrestre.
[9] Décret n° 2022-1275 du 29 septembre 2022, relatif au régime juridique applicable au contentieux des décisions afférentes au projet de terminal méthanier flottant dans la circonscription du grand port fluvio-maritime de l'axe Seine (site du Havre) N° Lexbase : L4343MEL.
[10] À compter de la notification ou de la publication des décisions.
[11] En ce sens, M. Charité, Le droit du contentieux administratif à l’heure de la sécurité énergétique, JCP éd. A, 2022, n° 623.
[12] Le Conseil d’État a regroupé au tribunal administratif de Paris un nombre important de litiges relatifs aux permis attribués à des entreprises étrangères : CE, 12 juillet 2017, n° 409896 N° Lexbase : A0215WNB.
[13] Cf. décret n° 2016-9 du 8 janvier 2016, concernant les ouvrages de production et de transport d’énergie renouvelable en mer N° Lexbase : L3576KWD, qui clarifie toute la procédure précontentieuse et contentieuse concernant les énergies marines renouvelables avec une compétence en premier et dernier ressort de la cour administrative d'appel de Nantes. La compétence directe de la cour administrative d'appel de Nantes a été, ensuite, étendu aux éoliennes terrestres (décret n°2018-1054 du 29 novembre 2018, relatif aux éoliennes terrestres, à l'autorisation environnementale et portant diverses dispositions de simplification et de clarification du droit de l'environnement N° Lexbase : L0382LNH). Depuis la loi n° 2020-1525 du 7 décembre 2020 d'accélération et de simplification de l'action publique N° Lexbase : L9872LYB (ASAP), qui a créé l’article L. 311-13 du Code de justice administrative N° Lexbase : L0589LZT, c’est le Conseil d’État qui est compétence en premier et dernier ressort.
[14] Cf. décret n° 2022-1379 du 29 octobre 2022, relatif au régime juridique applicable au contentieux des décisions afférentes aux installations de production d'énergie à partir de sources renouvelables (hors énergie éolienne) et aux ouvrages des réseaux publics de transport et de distribution d'électricité N° Lexbase : L7233MEM. Le décret modifie le Code de justice administrative en prévoyant que les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel statuent dans un délai de dix mois, que les délais de recours contentieux contre ces décisions devant le tribunal administratif est de deux mois et qu’il n'est pas prorogé par l'exercice d'un recours administratif et, enfin, que le délai pour les tribunaux administratifs et cours administratives d'appel pour statuer sur la suite à donner au litige est de six mois à compter de la réception de la mesure de régulation ordonnée.
[15] CJA, art. R. 311-2 N° Lexbase : L8701MCA depuis le décret n° 2018-1249 du 26 décembre 2018, attribuant à la cour administrative d'appel de Paris le contentieux des opérations d’urbanisme, d’aménagement et de maîtrise foncière afférentes aux jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 N° Lexbase : L5890LNH.
[16] S’il est négatif, le maire ne peut délivrer le permis. S’il est positif, le maire doit délivrer le permis (plus exactement ne peut s’opposer à sa délivrance pour un motif commercial mais seulement pour un motif d'urbanisme).
[17] En ce sens, CE, 25 mars 2020, n° 409675 N° Lexbase : A18083K8.
[18] Voir CE, 9 mars 2018, n° 401386 N° Lexbase : A6313XGW, JCP éd. A, 2018, n° 2247, chron. O. Le Bot qui applique donc CE, 13 juillet 2016, n° 387763 N° Lexbase : A2114RXL, Rec. CE, p. 340, concl. O. Henrard, AJDA, 2016, p. 1629, chron. L. Dutheillet de Lamothe et G. Odinet, AJCT, 2016, p. 572, obs. M.-C. Rouault, RFDA, 2016, p. 927, concl. O. Henrard.
[19] Cf. C. Otero, Délai raisonnable : quand le requérant fait un (dé)tour par le juge judiciaire, AJCT, 2022, p. 402.
[20] Ibid.
[21] CE, 3 décembre 1956, n° 32763.
[22] Les conclusions d’une requête collective sont désormais recevables dans leur totalité si elles présentent entre elles un lien suffisant : CE, Sect., 30 mars 1973, n° 80717 N° Lexbase : A0649B9W.
[23] CE, 21 juin 1978, n° 06650 N° Lexbase : A4539B8M, Droit Fiscal, 1979, comm. n° 1737, concl. M. Rivière.
[24] Ibid.
[25] Depuis CE, Plén., 14 juin 1989, n° 61229 N° Lexbase : A0758AQ7, Rec. CE, p. 621.
[26] Cf. CE, Sect., 23 octobre 2015, n° 370251 et n° 373530 N° Lexbase : A0319NUD, RJF, 2015, 1/16, n° 75, concl. E. Crépey.
[27] CE, 10 décembre 2021, n° 440845 N° Lexbase : A83287E8 où le Conseil d’État précise les règles de recevabilité d’un recours formé par les membres de la famille d’un fonctionnaire aux fins de réparation des préjudices qu’ils estiment avoir subis du fait de l’accident de service subi par celui-ci.
[28] Voir, par ex., Cons. const., décision n° 2011-138 QPC du 17 juin 2011, Association Vivraviry [Recours des associations] N° Lexbase : A6178HTY, JO, 18 juin 2011, p. 10460, Rec. CC, p. 291.
[29] A. Meynaud-Zeroual, Autorisation de construire - Ô Cassandre, cela ne te fatigue pas de ne voir et de ne prévoir que l'effroyable ? , DA, 2022, n° 10, comm. n° 39.
[30] B. Hachem, La préoccupante indifférence du Conseil constitutionnel face aux atteintes au droit au recours en matière d'urbanisme, l'exemple des associations, JCP éd. A, 2022, n°2342.
[31] CE, 12 juin 2020, n° 418142 N° Lexbase : A55233NU, Lebon, concl. G. Odinet, AJDA, 2020, p. 1407, chron. C. Malverti et C. Beaufils, RFDA, 2020, p. 785, concl. G. Odinet et p. 801, note F. Melleray.
[32] CE, 13 décembre 2017, n° 401799 N° Lexbase : A1340W87 ou CE, 19 juin 2020, n° 434684 N° Lexbase : A96773NQ.
[33] CE, 4 novembre 2020, n° 440963 N° Lexbase : A518333D.
[34] CE, 21 juin 2021, n° 428321 N° Lexbase : A76454W3.
[35] CE, 22 octobre 2021, n° 440210 N° Lexbase : A01647AC.
[36] Ordonnance n° 2021-702 du 2 juin 2021, portant réforme de l’encadrement supérieur de la fonction publique de l’État N° Lexbase : L7252L4D. Voir, à ce sujet, O. Beaud, Le rapport Thiriez sur la haute fonction publique. Entre propositions iconoclastes et banalités managériales, JCP éd. A, 2020, n° 396 ; E. Aubin, Haute fonction publique : fonctionnalisation versus statut ?, AJFP, 2021, p. 305 et suiv. ; J.-B. Auby, Réflexions sur la réforme de l’encadrement supérieur de l’État, DA 2021, étude n° 16 ; P. Bourdon, L’ordonnance n° 2021-702 du 2 juin 2021 relative à la haute fonction publique : vers de nouveaux parcours professionnels pour les cadres supérieurs de l'État, DA 2021, étude n°17 ; F. Melleray, La réforme de l’encadrement supérieur de la fonction publique de l’État, AJDA, 2021, p. 1443 et suiv. ; H. Pauliat, Haute fonction publique : la réforme est lancée ! - . - À propos de l'ordonnance n° 2021-702 du 2 juin 2021 portant réforme de l'encadrement supérieur de la fonction publique de l'État, JCP éd. A, 2021, n° 358.
[37] Voir, en ce sens, F. Melleray, La réforme de l'encadrement supérieur de la fonction publique de l’État franchit l'obstacle juridictionnel, AJDA, 2022, p. 1886 et suiv.
[38] Voir, à ce sujet, D. Cultiaux, Le périmètre de l’encadrement supérieur de l’État, L’ENA hors les murs 2022/3, n° 513, p. 18 et suiv. ; E. Aubin, Anamorphose ou métamorphose de l’encadrement supérieur de l’État ?, AJDA, 2022, p. 665 et suiv.
[39] M. Le Brignonen, L’INSP doit recruter et former dans un objectif d’excellence et tout au long de leur carrière des cadres supérieurs à l’image de la République, rencontre, L’ENA hors les murs 2022/3, n° 513, p.11 et suiv. ; T. Rambaud, La création de l’Institut national du service public, AJDA 2022, p. 660 et suiv.
[40] C. Chauvet, Le corps des administrateurs de l’État, AJDA 2022, p. 673 et suiv.
[41] M. Pochard, Fonctionnalisation de la haute fonction publique et statuts d’emploi : sens et perspectives, L’ENA hors les murs 2022/3, n° 513, p.36 et suiv. ; A. Neyrat, La transformation des inspections générales, AJDA, 2022, p. 679 et suiv. ; M-C. de Montecler, La fonctionnalisation des inspections générales est en marche, Dalloz actualite, 17 mars 2022.
[42] La réforme a été contestée non seulement par l’association des anciens élèves de l’ENA mais également par les deux syndicats de magistrats administratifs ainsi que par l’association des magistrats de la Cour des comptes et par le syndicat des juridictions financières.
[43] L’erreur matérielle affecte l’article 7 (pts 29 et 30).
[44] En vertu de la jurisprudence inaugurée par Cons. const., décision n° 2020-843 QPC du 28 mai 2020, Association Force 5 [Autorisation d'exploiter une installation de production d'électricité N° Lexbase : A22923MT, JO, 29 mai 2020, texte n° 58. Cette jurisprudence ayant reçu l’aval du Conseil d’État : CE, Ass., 16 décembre 2020, n° 440258 N° Lexbase : A845039T, Rec. CE, p. 468, concl. V. Villette, AJDA, 2021, p. 258, chron. C. Malverti et C. Beaufils, RFDA, 2021, p. 171, concl. V. Villette, DA, 2021, n°12, comm. G. Eveillard, JCP éd. A, 2021, n° 2037, note H. Pauliat, JCP éd. G, 2021, n° 192, note X. Prétot.
[45] Ce sont les dispositions relatives à la fonctionnalisation des emplois d’auditeur au Conseil d’État et à la Cour des comptes, celles relatives à l’accès direct aux « grands corps » à la sortie de l’INSP et celles modifiant le vivier des maîtres des requêtes en service extraordinaire et l’ouvrant aux agents publics non titulaires comme aux « personnes dont la qualification et l'expertise particulières sont utiles aux activités et aux missions du Conseil d’État » (CJA, art. L. 133-9 N° Lexbase : L8271L44) qui sont renvoyés au juge constitutionnel.
[46] Cf. CE, 12 octobre 2021, n° 454719 N° Lexbase : A169449M et CE, 24 novembre 2021, n° 455155 N° Lexbase : A91417CK.
[47] Cons. const., décision n° 2021-961 QPC du 14 janvier 2022, Union syndicale des magistrats administratifs [Nominations au sein des services d'inspection générale de l'État, au grade de maître des requêtes du Conseil d'État et de conseiller référendaire à la Cour des comptes] N° Lexbase : A30117ID, JO, 15 janvier 2022, texte n°79.
[48] La notion étant définie comme le fait, pour l’autorité compétente, de n’avoir pas utilisé pleinement les pouvoirs que les textes lui ont attribués.
Voir, par ex., G. Schmitter, L'incompétence négative du Législateur et des autorités administratives, AIJC, 1989, p. 137 et usiv. ; P. RRAPI, L'incompétence négative dans la QPC : de la double négation à la double incompréhension, NCCC, 2012, n°34 ; A. Vidal-Naquet, L’état de la jurisprudence du Conseil constitutionnel sur l’incompétence négative, NCCC, 2015, n° 46.
[49] CJUE, GC, 20 avril 2021, aff. C-896/19, Repubblika N° Lexbase : A86454PU, points 63 et 64.
[50] Voir C. Lantero, Claude Danthony, portrait d'un requérant d'habitude, AJDA, 2022, p. 782 et suiv.
[51] Voir, à ce sujet, CE, 2 juin 2016, n° 395033 N° Lexbase : A7442RR3.
[52] CE, Ass., 4 avril 2014, n° 358994 N° Lexbase : A6449MIP, Lebon, concl. B. Dacosta, AJDA, 2014, p. 945, tribune S. Braconnier , chron. A. Bretonneau et J. Lessi, D. 2014, p. 1179, note M. Gaudemet et A. Dizier, RFDA, 2014, p. 425, concl. B. Dacosta et p. 438, note P. Delvolvé.
[53] CE, 9 juillet 2021, n° 437634 N° Lexbase : A63954YI, Lebon, AJDI, 2022, p. 425, chron. S. Gilbert, RDI, 2021, p. 537, obs. R. Hostiou, RFDA, 2021, p. 932, concl. S. Roussel.
[54] Voir, par ex., N. Boukheloua, La régularisation juridictionnelle des autorisations d’urbanisme, AJDA, 2022, p. 1197 et suiv. ; O. Fuchs, Régularisation des autorisations d’urbanisme, RFDA, 2021, p. 146 et suiv. ; B. Seiller, Les décisions régularisées, RFDA, 2019, p. 791 et suiv. ; C. Malverti et C. Beaufils, Contentieux de l'urbanisme : parer les morts, réparer les vivants, AJDA, 2020, p. 2016 et suiv. ; E. Langelier et A. Virot-Landais, Mérites et limites du recours à la régularisation des actes viciés, JCP éd. A, 2015, n° 2245.
[55] D. Di Francesco, La limitation des moyens invocables dans le cadre d'une procédure de régularisation des déclarations d'utilité publique emportant modification des documents d'urbanisme, JCP éd. A, 2022, n° 2350.
[56] Voir, par ex., CE, 16 février 2022, n° 420554 N° Lexbase : A60927NX.
[57] Cf. loi n° 2006-911 du 24 juillet 2006, relative à l’immigration et à l’intégration N° Lexbase : L3439HKL.
[58] Ces dispositions procèdent de la transposition de la Directive dite « retour » (Directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 N° Lexbase : L3289ICS) dont le § 2 de l’article 6 implique que l’intéressé puisse disposer d’un délai minimum pour rejoindre l’État membre de l’Union où il est autorisé à y séjourner, avant seulement de pouvoir faire éventuellement l’objet d’une OQTF.
[59] C. Friedrich, Pas de recours possible contre l'invitation à quitter le territoire français (IQTF), JCP éd. A, 2022, n° 677.
[60] CE, Ass., 30 octobre 2009, n° 298348 N° Lexbase : A6040EMN, Rec. CE, p. 407, concl. M. Guyomar, DA, 2009, n° 21, étude M. Gautier, AJDA, 2009, p. 2385, chron. S.-J. Liéber et D. Botthegi, JCP éd. A, 2010, n°n2036, note O. Dubos et D. Katz, JCP éd. G, 2009, n° 50, note S. et V. Corneloup, RFDA, 2009, p. 1125, concl. M. Guyomar et note P. Cassia, RFDA, 2010, p. 126, note M. Canedo-Paris.
[61] CE, Sect., 11 juillet 2011, n° 321225 N° Lexbase : A0246HWZ, AJDA, 2011, p. 2072, concl. Guyomar.
[62] Loi n° 2021-403 du 8 avril 2021, tendant à garantir le droit au respect de la dignité en détention N° Lexbase : L9830L3H.
[63] Cass., crim., 31 mai 2022, n° 22-81.770, F-B N° Lexbase : A809774N, qui applique pour la première fois le recours préventif de l’art. 803-8 du Code de procédure pénale qui avait, lui-même, au préalable, consacré l’œuvre prétorienne de la Cour de cassation : Cass., crim., 20 octobre 2021, n° 21-84.498, FS-B N° Lexbase : A523649S.
[64] CEDH, 30 janvier 2020, Req. n° 9671/15 N° Lexbase : A83763C9.
[65] Ibid., § 258.
[66] Qui leur est ouverte depuis 2013 (CE, Sect., 6 décembre 2013, n° 363290 N° Lexbase : A8548KQN, Rec. CE, p. 309) et qui jusqu’à présent n’a donné lieu qu’à un nombre extrêmement réduit d’applications positives.
[67] CE, Sect., 25 janvier 2021, n° 425539 N° Lexbase : A50434D7, Lebon, concl. F. Roussel, AJDA, 2021, p. 499, chron. C. Malverti et C. Beaufils où le fait de soulever par le juge administratif un moyen d’ordre public n’a pas pour effet d’imposer la réouverture de l’instruction quand bien même les parties en sont informées et qu’elles présentent des observations sur celui-ci.
[68] CE, 30 octobre 1992, n° 140220 N° Lexbase : A8182ARH, Lebon, AJDA, 1992, p. 821, concl. F. Lamy, note Y. Jégouzo, RDI, 1993, p. 64, obs. Y. Gaudemet, H. Savoie et L. Touvet, RFDA, 1992, p. 1007, obs. R. Denoix de Saint Marc, D. Labetoulle et J.-F. Lachaume
[69] CAA Lyon, 9 juillet 1992, n° 89LY00692 N° Lexbase : A2755A8K.
[70] P. Soler-Couteaux, La communication faite par le juge au titre de l'article L. 600-5-1 n'a pas pour effet de rouvrir l'instruction, RDI, 2022, p. 677 et suiv.
Selon les faits de l’espèce, l’instruction avait été close par l'effet de son audiencement le 17 mai à 9h40. Par deux fois, le 6 et le 10 mai, les parties ont été informées que le tribunal était susceptible de surseoir à statuer sur le fondement de l'article L. 600-5-1 du Code de l'urbanisme. Il était donné aux parties un délai respectivement de 6 et de 4 jours à l'occasion de l'une et l'autre invitation à présenter leurs observations. Le 12 mai, la commune défenderesse avait fait valoir les siennes en réponse. Celles-ci avaient été communiquées à la société bénéficiaire du permis contesté et aux requérants par mise à disposition sur l'application Télérecours le lundi 17 mai à 8h37, en les invitant à y répondre, « aussi rapidement que possible » si elles l'estimaient utile. Mais les parties concernées en avaient pris connaissance, pour l'une le 17 mai à 16h11, pour l'autre le 18 mai. Elles soutenaient alors que le jugement était entaché d'irrégularité faute que l'instruction, selon elles, rouverte par l'effet de la communication, ait été à nouveau clôturée.
[71] CE, 10 octobre 2022, n° 454460 N° Lexbase : A52028NY.
[72] Voir, par ex., P. Soler-Couteaux, Recouplage des champs matériels du permis modificatif et du permis de régularisation, RDI, 2022, p. 539 et suiv. ; O. Le Bot, Le nouveau permis de construire modificatif, RFDA, 2022, p. 889 et suiv. ; T. Janicot et D. Pradines, Permis modificatif : une régularisation dans les temps, AJDA, 2022, p. 1786 et suiv.
[73] Les tribunaux administratifs et cours administratives d'appel peuvent, lorsque l'affaire est en état d'être jugée, mettre en œuvre une procédure d’information des parties, en leur indiquant la date où la période à laquelle un appel à l’audience est envisagé, ainsi que la date à laquelle l’instruction pourra être close avec effet immédiat (CJA, art. R. 611-11-1).
[74] CE, 8 avril 1987, n° 45172 N° Lexbase : A3289API, Rec. CE, p. 144.
[75] CE, 27 mai 2019, n° 420554 N° Lexbase : A1439ZDN.
[76] Voir, en ce sens et par ex., CE, 19 juin 2017, n° 398531 N° Lexbase : A4267WIU, Lebon, RDI, 2017, p. 421, obs. P. Soler-Couteaux, AJCT, 2017, p. 529, obs. P. Peynet, Constr-Urb., 2017, comm. n° 114, note X. Couton.
[77] CE, 5 février 2021, n° 430990 N° Lexbase : A02554GK, RDI, 2021, p. 240, obs. P. Soler-Couteaux.
[78] La solution traditionnelle consistait à enserrer le délai contentieux dans un délai de deux mois décompté à partir de l'accomplissement vis-à-vis du requérant des formalités de publicité : CE, Ass., 15 avril 1996, n° 128997 et n° 129835 N° Lexbase : A8599ANS, Rec. CE, p. 138, RFDA, 1996, p. 754, concl. R. Abraham.
[79] L’obligation de notifier le recours en application de l’article R. 600-1 du Code de l'urbanisme ne s’appliquait pas aux contestations des permis de régularisation : CE, 28 mai 2021, n° 437429 N° Lexbase : A48594T7, RDI, 2021, p. 436 et p. 438, obs. P. Soler-Couteaux, Constr.-Urb., 2021, comm. n° 92, note X. Couton.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
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Réf. : Cass. soc., 18 janvier 2023, n° 21-23.796, F-B N° Lexbase : A6067889
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par Charlotte Moronval
Le 25 Janvier 2023
► S’il appartient à l'employeur de justifier du respect de son obligation de prévention du harcèlement sexuel, son absence de comparution devant la cour d'appel ne dispense pas cette juridiction d'examiner la pertinence des motifs par lesquels le premier juge s'est déterminé pour juger que l'employeur avait satisfait à son obligation de prévention.
Faits et procédure. Une salariée victime de harcèlement sexuel saisit la juridiction prud’homale d’une demande en paiement de diverses sommes à titre de dommages et intérêts pour manquement de l’employeur à son obligation de sécurité.
Le conseil de prud’hommes déboute la salariée de sa demande. La cour d’appel décide à l’inverse de condamner l’employeur à verser à la salariée des dommages et intérêts pour manquement à son obligation de sécurité. Elle retient notamment que l'employeur n'apporte aucun élément pour justifier qu'il a pris une quelconque mesure nécessaire pour mettre un terme à la situation de harcèlement avérée subie par l'intéressée, alors qu'il en avait connaissance et que cette situation était à l'origine de la dégradation de l'état de santé de cette dernière.
L’employeur forme un pourvoi en cassation.
La solution. Énonçant la solution susvisée, la Chambre sociale casse et annule l’arrêt de la cour d’appel au visa des articles 472 N° Lexbase : L6584H7Y et 954, dernier alinéa N° Lexbase : L7253LED, du Code de procédure civile.
Elle reproche à la cour d’appel d’avoir statué comme elle l’a fait, sans examiner les motifs du jugement qui avait retenu que les débats et les pièces versées démontrent que la société a cessé de faire circuler dans la même voiture la salariée et son collègue dès qu'elle a été mise au courant de la situation de harcèlement sexuel alléguée, qu'elle a informé l'inspection du travail et qu'elle a donc effectué tout ce qui était en son pouvoir pour respecter son obligation de sécurité.
Pour aller plus loin : v. également Cass. civ. 2, 25 novembre 2021, n° 20-13.780, F-D N° Lexbase : A50877DR |
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Réf. : Cass. civ. 2, 15 décembre 2022, n° 21-16.007, F-B N° Lexbase : A49708Z4
Lecture: 19 min
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par Vincent Rivollier, Maître de conférences en droit privé, Université Savoie Mont Blanc - Centre de recherche en droit Antoine Favre, en délégation CNRS au Centre Max Weber UMR 5283
Le 27 Janvier 2023
Mots-clés : autorité de la chose jugée • dommage corporel • principe de concentration des moyens • principe de concentration des demandes (refus) • demandes nouvelles
La délimitation de l’autorité de la chose jugée à l’égard d’une décision antérieure indemnisant les conséquences d’un dommage corporel soulève bien des interrogations : la chose jugée s’étend-elle aux seuls préjudices invoqués par le demandeur ? À tous les préjudices susceptibles de résulter du dommage corporel, même non visés dans la décision ? Des réponses anciennes avaient été apportées par la Cour de cassation, mais l’émergence de la nomenclature « Dintilhac » comme outil de ventilation des préjudices et le principe de concentration des moyens auraient pu remettre en cause cette jurisprudence. Il n’en est rien. Le principe de concentration des moyens n’impose pas la concentration des demandes fondées sur les mêmes faits. Lorsqu’une décision, même sans formuler de réserve, ne statue pas sur certains éléments de préjudices, le demandeur peut toujours formuler une nouvelle demande afin de demander leur indemnisation, même sans invoquer une aggravation.
Les faits ayant donné lieu au présent arrêt sont relativement anciens et ont conduit de très nombreuses juridictions à se prononcer. En 1998, une enfant âgée de trois ans est gravement blessée alors qu’elle accompagne sa mère dans une station de lavage ; la jambe gauche de l’enfant est happée par un élément mécanique de la station. La mise en œuvre de la responsabilité de l’exploitant de la station est demandée.
Une première procédure juridictionnelle a pris fin par un arrêt de la cour d’appel de Lyon du 9 février 2006 (rendu sur renvoi après cassation) dans lequel la juridiction retient la responsabilité entière de la société exploitant la station et de son assureur, et statue sur la réparation de certains préjudices. Utilisant une méthode de ventilation des postes de préjudices antérieure à la nomenclature « Dintilhac » et à la loi du 21 décembre 2006 (loi n° 2006-1640 de financement de la Sécurité sociale N° Lexbase : L8098HT4), la cour de Lyon indemnise certains préjudices, notamment des dépenses de santé, en s’appuyant sur la créance présentée par la Caisse de Sécurité sociale, et en réserve d’autres (l’assistance tierce personne et l’aménagement du logement).
En 2014, la victime et ses proches introduisent une nouvelle instance, devant le TGI de Marseille, afin d’obtenir réparation de nouveaux préjudices. L’aggravation de l’état de santé n’est pas avancée, de sorte que seule la réparation de préjudices non envisagés en 2006 est sollicitée. Le TGI accueille les demandes de réparation du préjudice moral du frère et de la sœur de la victime directe, qui n’étaient pas parties à l’instance initiale ; sur cette question, la décision ne sera pas remise en cause. En revanche, motivant sa décision au regard du principe de concentration des moyens, le TGI déclare irrecevable la demande de la victime tendant à la réparation de ses frais de prothèse pour la période postérieure à la puberté [1]. Sur ce point, la cour d’appel d’Aix-en-Provence, dans un premier arrêt du 13 septembre 2018, infirme le jugement et accueille cette demande en considérant que l’autorité de la chose jugée attachée à l’arrêt de la cour d’appel de Lyon ne s’étendait pas à ces frais, qui n’avaient pas été indemnisés à l’époque [2]. La Cour de cassation procède toutefois à une cassation disciplinaire par un arrêt du 12 décembre 2019, car la cour d’appel n’aurait pas pris en compte les dernières conclusions de la CPAM, pourtant déposées avant l’ordonnance de clôture [3]. L’affaire est renvoyée devant la cour d’appel d’Aix-en-Provence, autrement composée.
Alors que la cassation n’avait pas été prononcée pour ce motif, la cour d’appel de renvoi fait évoluer la solution et considère que l’autorité de la chose jugée attachée à l’arrêt de 2006 rend irrecevable la demande [4]. Pour cela, deux questions devaient être résolues : les frais de prothèses futurs avaient-ils été réparés en 2006 ? En cas de réponse positive, la demande nouvellement formée était irrecevable, aucune aggravation n’étant avancée. En cas de réponse négative, une seconde question apparaît : était-il encore possible de solliciter la réparation de ce préjudice, que la cour de Lyon n’avait pas réservé expressément ?
À la première question, la cour d’appel répond de manière équivoque. Elle indique que « les frais de prothèses futures pour la période postérieure à la fin de la puberté, dont il est demandé la réparation dans le cadre de la présente instance, ne pouvaient pas être déterminés au jour du rapport d’expertise par l’arrêt de la cour d’appel de Lyon et n’ont donc pas pu être indemnisés par cette décision » ; elle relève également que « le conseil de la victime n’a[vait] émis aucune prétention, ni réserve s’agissant des frais prothétiques futurs, alors qu’il n’a pas omis de le faire pour d’autres postes de préjudices ». Pour autant, elle retient que dès l’instance initiale « des frais futurs d’appareillage ont été réclamés et chiffrés sans réserve ; et qu’une indemnité a été allouée à ce titre » ; en effet, la créance de la CPAM produite devant la cour d’appel de Lyon « correspond toutefois pour partie à des frais de prothèses futures dans la mesure où la “notification des débours” en date du 17 décembre 2004 (23 083,91 euros) et l’intitulé “calcul du capital appareillage” du second titre de créance du 17 novembre 2005 fixe à la somme de 8 065,50 euros le coût de l’appareillage définitif et du renouvellement de celui-ci, évalué sur la base d’un point de rente viagère tenant compte de l’âge de l’enfant à la date de sa liquidation » [5].
À la seconde question, la cour d’appel répond de manière univoque : « [le représentant de la victime, alors mineure] qui était tenu de présenter lors de [l’instance initiale] toutes les demandes tendant à l’indemnisation des divers postes du préjudice corporel de [la victime directe], devait, lorsque ces postes étaient certains, mais futurs et non encore précisément chiffrables, solliciter qu’ils soient réservés ». Ainsi, « en l’absence de réserve émise par le conseil [du représentant de la victime] relative aux frais prothétiques futurs importants annoncés par l’expert », la cour d’Aix-en-Provence considère que « les frais d’appareillage ont été liquidés d’une manière définitive par la cour d’appel de Lyon du 9 février 2006 » et que l’autorité de chose jugée attachée à cette décision rend irrecevable les demandes de la victime et de la CPAM [6].
Au visa de l’article 1355 du Code civil N° Lexbase : L1011KZH, circonscrivant l’autorité de la chose jugée, la Cour de cassation casse cette dernière décision de la cour d’appel d’Aix-en-Provence. Elle affirme que « s’il incombe au demandeur de présenter dès l’instance relative à la première demande l’ensemble des moyens qu’il estime de nature à fonder celle-ci, il n’est pas tenu de présenter dans la même instance toutes les demandes fondées sur les mêmes faits » [7]. Le principe de concentration des moyens n’emporte pas celui des demandes fondées sur les mêmes faits.
Ainsi, la Cour de cassation retient que, dès lors que la cour d’appel avait constaté « que les frais de prothèses futures, pour la période postérieure à la puberté, n’avaient pas été pris en compte par l’arrêt du 9 février 2006 »[8], « [la victime], sans être contrainte de faire réserver ses droits, n’était pas tenue de présenter, au cours de la première instance, toutes les demandes fondées sur le dommage qu’elle avait subi ».
Ce faisant, la Cour de cassation réitère une jurisprudence établie : le silence n’a pas autorité de la chose jugée, et aucun principe de concentration des demandes n’existe (I). Cependant, elle ne résout pas la question de la définition de la « demande en justice » en matière de dommage corporel, alors que cette demande constitue l’unité d’appréciation de l’autorité de la chose jugée (II).
I. La réitération logique d’une jurisprudence ancienne : le silence n’a pas autorité de chose jugée
En dehors même des cas d’aggravation, la question de la réparation de préjudices non invoqués lors d’une procédure antérieure avait déjà été envisagée par la Cour de cassation. Dès 1978, en Assemblée plénière, elle a établi que l’action tendant à la réparation d’un élément de préjudice qui n’avait pas été inclus dans la demande initiale, et sur lequel il n’avait donc pu être statué, est recevable ; en effet, l’autorité de la chose jugée attachée à la décision initiale ne peut être opposée à la nouvelle action qui a un objet différent de celle ayant donné lieu à la première décision [9]. Cette solution a été réitérée à plusieurs reprises depuis [10].
À notre connaissance, la solution n’avait cependant pas été réaffirmée depuis que la Cour de cassation a introduit, en 2006, un principe de concentration des moyens [11] ou que la nomenclature « Dintilhac » s’est imposée à partir de 2006-2007. Mais, dans des contentieux certes différents de celui de la réparation du dommage corporel, la Cour avait déjà indiqué que ce principe n’impliquait pas pour autant de concentrer dans une même instance les différentes demandes fondées sur les mêmes faits [12]. Dans le présent arrêt, cette règle est fermement rappelée par la Cour de cassation pour démentir la cour d’appel qui avait considéré que la victime aurait dû, dès l’instance initiale, formuler « toutes les demandes tendant à l’indemnisation des divers postes du préjudice corporel », et « lorsque ces postes étaient certains, mais futurs et non encore précisément chiffrables, solliciter qu’ils soient réservés ». Ainsi, la cour d’appel, constatant que certains postes avaient été réservés, mais pas celui ayant attrait aux frais de prothèse postérieurs à la puberté, avait déclaré la demande irrecevable. Au contraire, pour la Cour de cassation, peu importe que le préjudice n’ait pas été réservé, dès lors qu’il n’a pas été examiné lors de l’instance initiale, aucune autorité de la chose jugée ne peut en être déduite.
La même règle semble, en théorie au moins, applicable en matière d’indemnisation transactionnelle, même si la Cour de cassation a plutôt été amenée à rappeler l’autorité de chose jugée attachée à la transaction [13] (avant 2016) ou l’irrecevabilité des demandes ayant un objet identique à une transaction intervenue entre les parties [14] (depuis 2016). En pratique toutefois, les assureurs ont pris l’habitude d’introduire des clauses générales dans les transactions afin de prévenir toute nouvelle demande : la signature de la transaction implique la renonciation à l’indemnisation de tout préjudice qui ne serait pas indemnisé, ou au moins réservé, dans celle-ci. Ainsi, la transaction réservant le seul préjudice « résultant de l’arrêt temporaire de ses activités professionnelles » exclut toute action en justice concernant les pertes de gains professionnels futurs et le préjudice exceptionnel permanent dès lors qu’elle comportait une clause par laquelle la victime reconnaissait « en toute connaissance être entièrement indemnisé[e] à titre définitif et à forfait de tous préjudices ou dommages quelconques et généralement de toutes les conséquences de l’accident et renon[çait] à toute instance ou toute autre action devant quelque juridiction que ce soit » [15]. De telles renonciations aux préjudices non envisagés n’existent pas lorsque l’indemnisation résulte d’une décision de justice : si un préjudice n’est pas invoqué – éventuellement parce que la victime ou son conseil ne pense pas être concerné par un tel préjudice –, la juridiction n’en est pas saisie et ne se prononce pas dessus, de sorte que la victime pourra toujours saisir une nouvelle juridiction pour statuer sur un préjudice omis d’une demande initiale.
Que la demande nouvelle soit recevable ou non, la responsabilité civile éventuelle du conseil de la victime lors de l’instance initiale ne doit pas être occultée, et sa mise en œuvre peut constituer un moyen éventuel d’obtenir la réparation indirecte d’un préjudice absent d’une demande initiale [16]. Rappelons que s’agissant de blessures graves survenues chez un enfant, aucune consolidation ne devrait être prononcée avant la fin de la croissance, et qu’aucune instance visant à indemniser des préjudices permanents ne devrait être introduite. Solliciter une indemnisation définitive pour une enfant de onze ans en raison de la perte d’un membre inférieur semble totalement prématuré ; l’expert ne s’y était d’ailleurs pas trompé lorsque, dans son rapport, il indiquait vouloir revoir l’enfant à l’issue de la puberté. Les demandes indemnitaires effectuées lors de l’instance initiale auraient clairement dû être limitées à des provisions [17].
L’arrêt du 15 décembre 2022 soulève une question majeure, à laquelle il n’apporte qu’une réponse incomplète : comment délimiter l’objet de la demande en justice initiale afin de déterminer ce qu’il est possible de demander dans une instance ultérieure ?
II. La difficile délimitation de la demande en justice initiale en matière de dommage corporel
Bien cerner l’objet de l’instance initiale est crucial afin de délimiter l’autorité de la chose jugée et de savoir si une autre instance peut être introduite. Déterminer l’objet de la demande en matière de dommage corporel est donc une question de première importance pour délimiter le périmètre de l’autorité de la chose jugée, et répondre à la question : quels préjudices initialement non envisagés peut-on faire valoir lors d’une instance ultérieure ? L’arrêt du 15 décembre 2022 permet d’éclaircir un peu cette définition, sans lever toutes les interrogations.
D’une part, il exclut définitivement que la demande réside dans la réparation globale d’un dommage corporel dès lors qu’il est procédé à une ventilation de postes de préjudice. A minima, chaque item constitue une demande en justice. La ventilation des postes de préjudices est désormais la règle en matière de dommage corporel et les conséquences doivent en être tirées d’un point de vue procédural. Comme le rappelle le présent arrêt, l’autorité de la chose jugée ne porte pas sur la réparation du dommage dans son ensemble, mais sur chacun des éléments de préjudice discuté lors de l’instance initiale. Cependant, il ne faut pas exclure que l’on puisse discuter de la portée de décisions ou de transactions ayant réparé globalement un dommage corporel ou procédant à une ventilation des préjudices moins précise que celle actuellement pratiquée ; cela peut résulter de décisions anciennes ou de certaines pratiques juridictionnelles, en matière répressive notamment. La décision dont la portée était discutée datait de 2006, avant la généralisation de la nomenclature « Dintilhac » [18], et, même sans aggravation, la demande n’était pas prescrite s’agissant d’une victime particulièrement jeune [19].
La nomenclature des préjudices n’étant pas limitative et les postes de préjudices n’étant pas figés, il ne faut donc pas exclure que des actions nouvelles soient introduites alors qu’une décision, qui dans l’esprit des parties liquidait définitivement tous les préjudices au jour de son prononcé, est déjà intervenue. En particulier, l’émergence de nouveaux postes de préjudice, tels que le préjudice d’angoisse de mort imminente ou le préjudice d’attente et d’inquiétude des proches [20], est susceptible de conduire à la réouverture d’instances ayant indemnisé un dommage corporel avant la reconnaissance de tels préjudices : dès lors que la victime n’avait pas demandé leur indemnisation, elle est susceptible de saisir à nouveau une juridiction pour obtenir leur indemnisation (sauf éventuelle prescription extinctive de l’action) [21]. En revanche, cette possibilité ne leur semble pas ouverte si l’indemnisation initiale a été réalisée par voie transactionnelle, dès lors que la transaction comportait une clause générale de renonciation.
D’autre part, le périmètre de la demande ne semble pas non plus correspondre aux postes de préjudice tels qu’énumérés dans la nomenclature « Dintilhac ». En effet, et malgré les imprécisions de l’arrêt de la cour d’appel d’Aix-en-Provence, certains frais de santé futurs semblent bien avoir été indemnisés lors de l’instance initiale. On aurait pu considérer que le chef de préjudice « dépenses de santé futures » avait été indemnisé et que toute nouvelle demande relevant de ce poste devait être déclarée irrecevable. Or, la Cour de cassation ne raisonne pas ainsi. Elle s’attache à savoir si « les frais de prothèses futures pour la période postérieure à la fin de la puberté » ont été indemnisés. Le périmètre des éléments couvert par l’autorité de la chose jugée apparaît donc très étroit : tout élément de dépense non envisagé initialement pourrait être sollicité lors d’une nouvelle instance. Ainsi, l’introduction sur le marché de nouveaux équipements médicaux, postérieurement au règlement juridictionnel, est susceptible d’ouvrir de nouvelles actions en justice : la dépense en question n’avait pas pu être envisagée au moment de l’instance initiale. La question peut également être posée à l’égard des préjudices extrapatrimoniaux : si l’échelle d’appréciation n’est pas le poste de préjudice, mais chacune des composantes du poste de préjudice, des discussions assez nombreuses pourraient naître. Ainsi, le déficit fonctionnel permanent est un poste de préjudice composite, rassemblant l’incapacité physique ou psychique, les souffrances permanentes et l’atteinte à la qualité de vie et les troubles dans les conditions d’existence [22]. Si l’indemnisation de ce poste n’a été sollicitée qu’au regard de l’incapacité physique ou psychique, est-il possible d’introduire une nouvelle instance ayant pour objet une nouvelle composante de ce préjudice telle que les souffrances ou les troubles dans les conditions d’existence ?
À certains égards, la Cour de cassation semble avoir ouvert une boîte de Pandore : l’objet de la demande étant défini de manière restrictive, tout ce que l’on peut interpréter comme n’étant pas entré dans la demande initiale est susceptible de faire l’objet d’une nouvelle action, même sans aggravation et tant que la prescription n’est pas acquise. S’agissant des préjudices patrimoniaux, même si le poste de préjudice avait été examiné lors de l’instance initiale, dès lors que la dépense sollicitée n’avait pas été envisagée lors de cette instance, il semble possible de former une nouvelle action en justice. S’agissant des préjudices extrapatrimoniaux, à notre connaissance, la Cour de cassation ne s’est jamais prononcée, mais rien ne s’oppose à transposer cet arrêt en la matière : les nouveaux postes de préjudices, qui n’avaient pas été envisagés initialement, voire les composantes non envisagées au sein de postes pourtant examinés, semblent pouvoir constituer de nouveaux objets de demande, susceptibles de donner lieu à de nouvelles actions. Du point de vue des victimes, la règle est probablement très favorable ; du point de vue de l’administration de la justice, cela ne contribuera pas à la diminution du contentieux…
L’enjeu tenant à la définition de l’objet de la demande ne réside pas seulement dans la détermination de l’autorité de la chose jugée. Indirectement, la décision semble répondre à une autre question : celle de l’échelle à laquelle s’apprécie le respect du principe dispositif, interdisant au juge de se prononcer infra ou ultra petita. Quel est le périmètre de l’interdiction faite au juge de se prononcer en dehors des bornes des prétentions ? Si une partie demande une indemnisation de 100 000 euros au titre des pertes de gains professionnels futurs (PGPF) et 50 000 euros au titre de l’incidence professionnelle (IP), soit 150 000 euros au total, le juge peut-il, sans violer le principe dispositif, indemniser la victime de 90 000 euros au titre des PGPF et 60 000 euros au titre de l’IP ? Globalement, il ne dépasse pas les prétentions de la victime, mais le jeu de la ventilation des préjudices le conduit à octroyer une somme supérieure aux prétentions de la victime s’agissant de l’incidence professionnelle. Le périmètre très étroit que donne la Cour de cassation à l’objet de la demande devrait conduire à exclure de tels rééquilibrages, et à considérer qu’il existait deux demandes différentes, et que le juge est tenu, pour chacun, de statuer dans les bornes fixées par les parties. Encore que l’on pourrait arguer que la qualification juridique (notamment d’un poste de préjudice) est du ressort du juge et que celui-ci peut requalifier une demande, fondée en fait, mais mal qualifiée en droit [23].
À retenir. Il n’existe pas de principe de concentration des demandes. Ainsi, même lorsqu’un préjudice n’a pas été réservé, est recevable l’action visant à indemniser un élément de préjudice non précédemment envisagé, même si une précédente action, fondée sur le même dommage corporel, a déjà été jugée. Ainsi, et même sans aggravation, de nouvelles actions apparaissent envisageables s’agissant de dépenses absentes de la demande initiale, mais aussi de nouveaux postes de préjudices, voire de composantes omises de préjudices pourtant envisagés. |
[1] TGI Marseille, 9 mars 2017, n° 14/09369.
[2] CA Aix-en-Provence, 13 septembre 2018, n° 17/07787.
[3] Cass. civ. 2, 12 décembre 2019, n° 18-24.398, F-D N° Lexbase : A1648Z8K.
[4] CA Aix-en-Provence, 5 janvier 2021, n° 20/01514 N° Lexbase : A680284P.
[5] CA Aix-en-Provence, 5 janvier 2021, n° 20/01514 N° Lexbase : A680284P.
[6] CA Aix-en-Provence, 5 janvier 2021, n° 20/01514 N° Lexbase : A680284P.
[7] Cass. civ. 2, 15 décembre 2022, n° 21-16.007.
[8] De ce point de vue, la Cour de cassation va un peu vite en besogne, la cour d’appel n’est pas aussi affirmative quant à la question de savoir si ces frais avaient été indemnisés.
[9] Cass. Ass. Plén. 9 juin 1978, n° 76-10.591 N° Lexbase : A6980A4B.
[10] Cass. civ. 2, 1er décembre 1982, n° 81-13.705, publié au bulletin N° Lexbase : A5732AW9 ; Cass. civ. 2, 30 octobre 1989, n° 88-17.282 N° Lexbase : A3864AHL ; Cass. civ. 2, 6 janvier 1993, n° 91-15.391, publié au bulletin N° Lexbase : A5272ABU.
[11] Cass. Ass. Plén., 7 juillet 2006, n° 04-10.672, publié au bulletin N° Lexbase : A4261DQU.
[12] Cass. civ. 2, 26 mai 2011, n° 10-16.735, F-P+B N° Lexbase : A8835HSZ (demande en paiement de loyers et demande tendant à faire juger une vente parfaite).
[13] L’article 2052, alinéa 1er, du Code civil N° Lexbase : L2297ABP indiquait alors que « les transactions ont, entre les parties, l’autorité de la chose jugée en dernier ressort. ». Cf. Cass. civ. 2, 14 février 1974, n° 72-12.806, publié au bulletin N° Lexbase : A5397A4N ; Cass. crim., 16 décembre 2014, n° 14-80.491, F-P+B N° Lexbase : A2731M8N.
[14] L’article 2052 du Code civil N° Lexbase : L2430LBM dispose, désormais, que « la transaction fait obstacle à l’introduction ou à la poursuite entre les parties d’une action en justice ayant le même objet ». Cf. Cass. civ. 2, 4 mars 2021, n° 19-16.859, F-P N° Lexbase : A00484KY.
[15] Cass. crim., 13 juin 2017, n° 16-83.545, FS-P+B N° Lexbase : A2302WI4.
[16] Réparation qui sera probablement partielle, car il s’agira le plus souvent de réparer la perte de chance d’obtenir la réparation d’un préjudice.
[17] Toutefois, avant l’application généralisée de la nomenclature « Dintilhac », la séparation des préjudices avant/après consolidation était moins systématique qu’aujourd’hui.
[18] Formellement, à la date de l’arrêt de la cour d’appel de Lyon, le rapport « Dintilhac » avait été remis et rendu public, mais sa mise en œuvre a été progressive et c’est la loi du 21 décembre 2006 et la circulaire ministérielle du 22 février 2007 qui ont conduit à son institutionnalisation. Cf. L. et J.-D. Leroy, F. Bibal et A. Guégan, L’évaluation du préjudice corporel, LexisNexis, 22e éd. 2022, p. 46 et s. nos 55 et s..
[19] La prescription extinctive ne court pas à l’égard des mineurs non émancipés (C. civ., art. 2235 N° Lexbase : L7220IAN).
[20] Cf., notamment, Cass. mixte, 25 mars 2022, deux arrêts, n° 20-15.624 N° Lexbase : A30367RU et n° 20-17.072 N° Lexbase : A30357RT, note V. Rivollier, L’autonomie du préjudice d’angoisse de mort imminente et du préjudice d’attente et d’inquiétude : jusqu’où aller dans la déclinaison des préjudices ?, Lexbase Droit privé, n° 903 N° Lexbase : N1203BZL.
[21] Pour la prévisibilité du droit, il faut toutefois espérer que, lorsque l’angoisse de mort imminente était expressément englobée dans les souffrances endurées, la demande faisant valoir ce préjudice de manière automne soit considérée comme irrecevable en raison de l’autorité de chose jugée attachée à la décision initiale.
[22] Le même raisonnement pourrait être tenu à l’égard d’autres postes de préjudice, tels que l’incidence professionnelle.
[23] À condition de respecter les précautions de l’article 12 du Code de procédure civile N° Lexbase : L1127H4I d’après lequel « Le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables. /Il doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s’arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée. /Toutefois, il ne peut changer la dénomination ou le fondement juridique lorsque les parties, en vertu d’un accord exprès et pour les droits dont elles ont la libre disposition, l’ont lié par les qualifications et points de droit auxquels elles entendent limiter le débat.[…] »
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