Réf. : T. confl., 8 juillet 2013, n° 3900 (N° Lexbase : A8355KIB)
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Le 18 Juillet 2013
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par Anne-Lise Lonné-Clément, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition privée
Le 18 Juillet 2013
La particularité de ce nouveau droit qui est en train de se construire est d'intégrer des éléments à la fois juridiques et techniques. La norme Th C (qui fait plus de 1 000 pages) a, par exemple, été intégrée dans les ordonnances et décrets sur la RT 2012 ; il s'agit d'une norme technique et juridique.
Face à toutes ces interrogations, il faut savoir que la jurisprudence apporte d'ores et déjà un certain nombre de réponses aux questions soulevées dans le cas de désordres thermiques, c'est ce que Michel Vauthier a abordé dans la première partie de son intervention. Dans une seconde partie, il a relevé les problématiques pouvant se poser aux hommes de terrain et présenté les solutions pour en sortir.
C'est alors que Michel Huet, qui copréside, avec Michel Jouvent, la Commission du Grenelle chargée de définir la limitation de la garantie de performance énergétique, a livré les dernières réflexions de cette commission, qui vient de proposer un nouvel article destiné à s'intégrer dans le Code de la construction et de l'habitation, visant à limiter la responsabilité des intervenants à l'acte de construire en matière thermique et vis-à-vis de la RT 2012. Il s'agit de préparer les nouvelles solutions de la responsabilité des constructeurs au regard des enjeux environnementaux.
I - Intervention de Michel Vauthier
1. La jurisprudence connue liée aux risques énergétiques et aux normes
La jurisprudence livre des éléments sur la notion d'ouvrage, sur la garantie biennale des équipements dissociables, sur la garantie décennale, sur les obligations liées aux normes, sur les garanties contractuelles après réception, sur le principe de la réparation intégrale.
1.1. La notion d'ouvrage
Il ressort de la jurisprudence que constituent la construction d'un ouvrage :
- les travaux consistant en une réfection importante du chauffage, avec pose d'une chaudière et de radiateurs, et de l'appareillage sanitaire avec création d'arrivées d'eau, de vidanges et raccordements, le tout avec mise en place de conduites enterrées (CA Paris, Pôle 4, 5ème ch., 17 octobre 2012, n° 10/00735 N° Lexbase : A4590IUK) ;
- l'installation d'une climatisation dans un parc d'exposition (CA Bordeaux, 1ère ch. sect. B, 17 septembre 2007, n° 03/03055 N° Lexbase : A0983D7K) ;
- la réalisation d'un complexe d'isolation et d'étanchéité sur une tour existante (Cass. civ. 3, 18 juin 2008, n° 07-12.977, FS-P+B N° Lexbase : A2192D93, Bull. civ. III, n° 106) ;
- le système thermique, qui fait indissociablement corps avec le bâtiment pour assurer son chauffage et son rafraîchissement, constitue un ouvrage au sens de l'article 1792 du Code civil (CA Bordeaux, 1ère ch. civ., sect. B, 31 août 2012, n° 10/06375 N° Lexbase : A0627ISZ) ;
- une installation de climatisation affectée de désordres engendrant une chaleur excessive dans le bâtiment (Cass. civ. 3, 28 janvier 2009, n° 07-20.891, FS-P+B N° Lexbase : A9505ECZ) ;
- une installation frigorifique (Cass. civ. 3, 18 juillet 2001, n° 99-12.326 N° Lexbase : A2536AUH).
1.2. La garantie biennale des équipements dissociables
Michel Vauthier n'a ici signalé qu'une seule décision, à sa connaissance, rendue par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (CA Aix-en-Provence, 9 avril 2009, n° 2009/194 N° Lexbase : A1258HKS), dans laquelle la garantie biennale a été retenue à propos d'une installation de rafraîchissement affectée de défauts techniques conduisant l'expert à conclure à une possible non-conformité de l'immeuble à la réglementation thermique.
Mais cette jurisprudence doit être considérée comme topique, et Michel Vauthier doute que la Cour de cassation validerait cette solution.
L'intervenant a rappelé que "la garantie biennale de bon fonctionnement prévue à l'article 1792-3 du Code civil doit être retenue lorsque l'élément d'équipement dissociable a été installé lors de la construction d'un ouvrage, tandis que seule la responsabilité contractuelle de droit commun s'applique lorsqu'un tel équipement dissociable a été adjoint à un ouvrage déjà existant" (Cass. civ. 3, 10 décembre 2003, n° 02-12.215, FS-P+B N° Lexbase : A4322DAC, Bull. civ. III, n° 224 ; RD imm., 2004, p. 193, note Ph. Malinvaud ; Defrénois, 2005, p. 60, chron. H. Périnet-Marquet).
Dès lors que l'équipement est implanté après la réception de l'ouvrage la garantie biennale est donc inapplicable (Cass. civ. 3, 26 septembre 2007, n° 06-17.216, FS-D [N° Lexbase : A5849DYB), sauf si son ampleur fait qu'il s'intègre au bâtiment et qu'il alors considéré comme indissociable (cf. supra).
1.3. La garantie décennale
La cour d'appel de Paris (CA Paris, 28 février 1992, n° 90/21048), dans un litige concernant la construction d'une maison individuelle, s'est prononcée dans un cas où des déficiences dans la réalisation de l'isolation avaient entraîné une surconsommation d'électricité. Cette problématique constitue précisément l'une des principales préoccupations des constructeurs dans le cadre de la RT 2012.
Il a été retenu que ce désordre constituait "un vice qui était caché à la réception sans réserves, et qui affect[ait] les éléments constitutifs de l'ouvrage (clos et couvert)" et était de ce fait "un désordre compromettant la destination du pavillon d'habitation" de nature à engager la responsabilité du constructeur et autoriser la mobilisation de la garantie de l'assureur.
On relève ici que les désordres thermiques ne sont effectivement pas visibles à la réception, qui est prononcée sans réserves, et que ce n'est qu'à l'occasion d'un événement climatique particulier que l'utilisateur se rendra compte de la défectuosité du système, laquelle peut correspondre aux quatre désordres suivants : trop chaud, trop froid, manque de ventilation ou surconsommation.
Dans un arrêt du 22 février 2011, la cour d'appel de Lyon (CA Lyon, 22 février 2011, n° 09/05580 N° Lexbase : A3352G9Z), constatant que le système de chauffage d'une maison individuelle ne fonctionnait pas, a confirmé le jugement qui avait décidé "qu'un système de chauffage qui ne permet pas d'atteindre les températures nécessaires pour rendre l'immeuble conforme à sa destination relève de la garantie décennale du constructeur".
Bien évidemment, cette solution peut être transposée à propos d'un système de climatisation. Pour rappel, la climatisation doit se mettre en oeuvre à partir du moment où la température devient supérieure à 26 degrés.
La cour d'appel de Paris (CA Paris, 26 septembre 2007, n° 05/22490 N° Lexbase : A3200DZK) a confirmé un jugement du tribunal de grande instance de Paris, retenant que les désordres affectant l'isolation thermique d'une copropriété relevaient de la garantie décennale. L'assureur du constructeur contestait la qualification de désordres rendant impropre l'immeuble à sa destination arguant que le seul préjudice était une surconsommation d'électricité, un dommage immatériel qu'il n'avait pas à couvrir. Toutefois, l'expert avait constaté des défauts matériels. La cour d'appel, constatant que 67 des 86 appartements présentaient des défauts d'isolation thermique et n'étaient pas conformes à la législation applicable à la matière, a jugé que "le désordre généralisé qui affecte l'habitabilité et l'étanchéité à l'air de l'immeuble qui est à l'origine d'une surconsommation d'électricité de chauffage rend l'ouvrage impropre à sa destination et engage la responsabilité décennale des constructeurs". En revanche, la non-obtention du label Promotelec n'a pas été retenue par la cour comme ouvrant droit à réparation, la perte de valeur des appartements n'étant pas établie du fait des mesures de reprises prononcées par la Cour.
Michel Vauthier a indiqué ici que, bien souvent, l'enjeu financier est nettement moins important lorsqu'il s'agit d'indemniser le préjudice lié à un désordre de surconsommation, où il s'agira de rembourser la dépense liée à la surconsommation, alors que si le désordre correspond à l'absence de température souhaitée et implique la réfection de tout le système, il donnera lieu à une indemnisation beaucoup plus importante. Aussi, alors qu'il s'agira d'un même vice de construction, l'enjeu financier peut varier considérablement selon la qualification retenue du désordre.
A noter, enfin, que la cour d'appel de Pau (CA Pau, 1er juillet 2008, n° 07/01804) a retenu la responsabilité décennale d'un constructeur, au motif que : "l'absence de double cloison des murs entraîne un manque d'isolation et rend l'appartement non conforme à la réglementation thermique et par conséquent le rend impropre à sa destination en favorisant la condensation sur les murs et l'apparition de moisissures".
S'agissant de la jurisprudence administrative, le Conseil d'Etat, dans un arrêt du 9 décembre 2011 a été amené à statuer sur la question de savoir si des surchauffes locales dans des combles, qui étaient destinés à recevoir des élèves, pouvaient être admises au titre de la garantie décennale (CE, 2° et 7° s-s-r., 9 décembre 2011, n° 346189 N° Lexbase : A1799H4E). Après que la cour administrative d'appel, pour refuser la garantie, ait relevé que cette surchauffe était ponctuelle dans le temps, le Haut conseil a estimé que l'inconfort thermique des combles et l'insuffisance de ventilation des classes rendait l'ouvrage impropre à sa destination.
1.4. Les obligations liées aux normes
- Le respect de la norme n'exonère pas des garanties légales
Pour rappel, la Cour de cassation estime que le respect ou le non-respect des normes phoniques est un critère indifférent pour retenir ou écarter la responsabilité légale du constructeur ; en conséquence, elle impose aux juges du fond de vérifier si les désordres entraînent, dans les faits, une impropriété à la destination et, en conséquence, peuvent relever de la garantie décennale, et ce, que les exigences réglementaires aient été respectées ou non.
Par conséquent, pour la RT 2012, les tribunaux pourraient considérer, par analogie, que l'attestation de prise en compte du certificateur (CCH, art. L. 111-9-1 N° Lexbase : L9518IMH, R. 111-20-1 N° Lexbase : L2999ISU et R. 111-20-3 N° Lexbase : L3052IQ4) est un élément indifférent pour la mise en oeuvre de la responsabilité décennale. Cette transposition fait l'unanimité de la doctrine a indiqué Michel Vauthier.
- Le régime juridique en cas de non-respect de la norme seule
Michel Vauthier a rappelé que les défauts de conformité consistent en des disparités entre l'immeuble édifié et les documents contractuels. L'effet obligatoire du contrat implique que le promoteur construise un immeuble parfaitement conforme à ce qu'il a promis dans le contrat, "tant en quantité qu'en qualité, qu'il s'agisse des surfaces, des matériaux, des équipements, etc." (Ph. Malinvaud et Ph. Jestaz, op. cit., n° 314).
Il y a donc défaut de conformité quand l'immeuble, indépendamment de toute malfaçon, ne correspond pas aux promesses du promoteur et, ce, quelle que soit la modification (Cass. civ. 3, 26 mai 1994, n° 92-15.911 N° Lexbase : A7050ABQ : Bull. civ. III, n° 110 ; RD imm., 1995, p. 761, obs. J.-C. Groslière et C. Saint-Alary Houin).
Les défauts de conformité se déduisent de la comparaison entre l'immeuble construit et l'immeuble promis, même en l'absence d'un vice quelconque : la non-conformité n'est pas un vice et les tribunaux doivent soigneusement les distinguer (Cass. civ. 3, 19 novembre 1980, n° 79-14.620, publié au bulletin N° Lexbase : A1920CIX : RD imm., 1981, p. 80, obs. Ph. Malinvaud et B. Boubli).
Les dommages qui relèvent d'une garantie légale, même s'ils ont pour origine une non-conformité aux stipulations contractuelles, ne peuvent donner lieu contre les personnes tenues à cette garantie à une action en réparation sur le fondement de la responsabilité contractuelle de droit commun.
La jurisprudence a également tendance à se référer à des documents publicitaires pour apprécier l'existence de non-conformité.
Les juges doivent apprécier l'impact psychologique produit sur les acquéreurs par de tels documents et il importe de tenir pour acquis que la volonté de l'acquéreur a été déterminée par les moyens de publicité mis à sa disposition. Le non-respect des engagements contractuels du promoteur tenu à une obligation de résultat, caractérisant sa faute contractuelle (Cass. civ. 3, 20 décembre 1977, n° 76-12.421, publié au bulletin N° Lexbase : A3446CIH, Bull. civ. III, n° 459 ; Gaz. Pal., 1978, 1, somm. p. 86).
La cour d'appel de Toulouse (CA Toulouse, 26 janvier 2009, n° 08/00393 N° Lexbase : A4039HB9) s'est fondée sur la responsabilité contractuelle de droit commun du constructeur dans une hypothèse de non-respect de la RT 2000 conduisant au fait que "le confort thermique de l'ouvrage (tel que visé par la dite réglementation) n'était pas atteint". A noter la défaillance du maître d'oeuvre dans ses missions de conception et de contrôle : le plancher sur vide sanitaire n'avait pas été isolé thermiquement conformément à la RT 2000. Pour autant, la cour a jugé que l'article 1792 du Code civil était inapplicable, le désordre ne rendant pas l'immeuble impropre à sa destination.
Par ailleurs, la cour d'appel de Toulouse (CA Toulouse, 22 novembre 2010, n° 09/04064 N° Lexbase : A1808GLK) a infirmé un jugement qui avait retenu la responsabilité décennale des constructeurs pour des désordres sur l'installation de chauffage dus à une mauvaise exécution des travaux. La cour d'appel de Toulouse, se fondant sur le rapport d'expertise qui ne relevait pas une impossibilité de fonctionnement mais un défaut de performance quant au chauffage et aux économies d'énergie escomptées, a écarté l'application de la garantie décennale au profit de la responsabilité contractuelle du constructeur.
Michel Vauthier a rappelé que pour disposer d'un certain nombre de dispositions favorables, l'administration exige le respect des normes, avantages qui seront remis en cause s'il s'avère que celles-ci n'ont pas été appliquées.
Ainsi pour bénéficier du dispositif "Scellier", le décret n° 2012-411 du 23 mars 2012 (N° Lexbase : L6322ISX) précise, à ce titre, les documents que le contribuable devra fournir à l'administration fiscale pour pouvoir bénéficier des différents taux.
L'impossibilité de fournir l'un des documents requis en raison du non-respect de la norme empêchera l'intéressé de prétendre aux avantages fiscaux correspondant.
1.5. Les garanties contractuelles après réception, les dommages intermédiaires
Tous les désordres qui n'entrent pas dans le cadre d'une garantie légale, autrement dit les "désordres intermédiaires", se trouvent garantis par les garanties contractuelles.
Cette distinction est essentielle pour les discussions en cours sur la limitation de la responsabilité énergétique des locateurs d'ouvrage.
Par conséquent, s'il est décidé de limiter à un certain pourcentage (par exemple "relèveront des garanties légales tout ce qui dépasse de 10 % la consommation conventionnelle"), cela signifie que, de 0 à 10 %, on se trouve dans le cadre des dommages intermédiaires, et les constructeurs seront tenus d'assurer la responsabilité pour de tels désordres.
1.6. Le principe de la réparation intégrale
En vertu de ce principe, il s'agit de remettre la victime dans le statut quo ante ; l'indemnisation doit comprendre l'ensemble des coûts nécessaires pour replacer la victime dans l'état où elle se serait trouvée en l'absence de tout désordre ou, pour reprendre les termes mêmes de la Cour de cassation :
- les dommages et intérêts dus à la victime d'un fait dommageable doivent couvrir intégralement la valeur du préjudice subi (Cass. civ., 20 décembre 1966, Bull. civ. II, n° 979) ;
- le propre de la responsabilité est de rétablir aussi exactement que possible l'équilibre détruit par le dommage et de replacer la victime dans la situation où elle se serait trouvée si l'acte dommageable n'avait pas eu lieu (Cass. civ. 2, 16 décembre 1970, n° 69-12.617 N° Lexbase : A7861CHM, Bull. civ. II, n° 346 ; Cass. civ. 2, 28 avril 1975, n° 74-10.448 N° Lexbase : A3100CKZ, Bull. civ. II, n° 121 ; Cass. civ. 3, 12 décembre 1973, n° 72-12.705 N° Lexbase : A2321CHG, Bull. civ. 1973, III, n° 628) ou encore "ne s'était point produit" (Cass. civ. 3, 4 février 1982, n° 80-17.139 N° Lexbase : A7003CKL).
Michel Vauthier relève ici que, dans le cadre de désordres thermiques, les conséquences peuvent être considérables, sachant que cela concerne une problématique globale de l'ensemble du bâtiment (orientation du bâtiment, exposition des fenêtres, nombre d'ouvertures, étanchéité du bâtiment, recherche d'une fuite, etc.) ; les sommes mises en jeu peuvent donc être considérables.
2. Les risques juridiques liés à la réglementation thermique RT 2012
2.1. Les réactions des assureurs et leurs obligations
Lors de la discussion ouverte sur la garantie de performance énergétique, la position des assureurs peut être résumée ainsi : "Il convient de rappeler que le marché considère, que les conséquences purement financières d'une consommation excessive d'un bâtiment ne devrait pas selon eux pouvoir entrer dans la définition de la destination d'un bâtiment.
Analyse que pour notre part nous partageons, pour les raisons que nous avons évoquées précédemment, à savoir qu'avec un régime de responsabilité présumée cela aboutira à la conséquence pour les constructeurs et leurs assureurs, ainsi qu'à l'assureur DO, de devoir apporter le preuve positive, que l'absence de performance résulte de l'usage et du mode de vie des occupants...".
Leur position est très claire et consiste à exclure les désordres thermiques de la garantie décennale.
2.2. Où en est la réflexion sur la GPE garantie de performance énergétique ?
Pour rappel, à l'issue des travaux du chantier n° 18 du "Grenelle", dédié à la garantie de performance énergétique, Caroline Costa, Directrice juridique adjointe Groupe EGIS, ayant animé ce chantier, avait livré quelques pistes de réflexion concernant la définition de la GPE à l'occasion d'une précédente réunion de la présente Commission, en indiquant que la GPE "est une garantie par laquelle un soumissionnaire s'engage envers son client à ce que l'ouvrage soit capable de répondre aux objectifs d'efficacité énergétique contractuellement prévus. Cette efficacité énergétique est subordonnée à l'utilisation de l'ouvrage conformément à sa destination. La mesure de cette efficacité énergétique s'effectue à l'aide d'un système de contrôle selon les dispositions prévues au contrat. La durée de la GPE est subordonnée à la nature et à l'étendue de la garantie donnée".
Michel Vauthier a rappelé avoir également proposé avec les membres de la Commission ouverte qu'une garantie définissant un seuil d'impropriété à destination soit prévu dont les modalités devraient êtres définies par décret. En effet, l'idée est que, s'agissant d'une notion mêlant des éléments juridiques et techniques, et compte tenu de l'évolution incessante des éléments techniques, il convient d'apprécier la responsabilité légale, selon une déclinaison technique. La problématique de l'expertise technique est tellement complexe qu'il a été proposé de prévoir un texte sous forme de décret afin d'adapter les calculs de manière relativement souple.
2.3. Rien ne change ou tout change ?
Des solutions ont été proposées lors des discussions des groupes Grenelle de l'environnement pour limiter la responsabilité en matière énergétique, la plus radicale étant la rédaction d'un article 1792-8 nouveau soustrayant la performance énergétique de la garantie décennale.
D'autres solutions ont été proposées lors du Groupe de travail sur la garantie de performance énergétique.
Dans l'hypothèse où le législateur interviendrait pour trancher notamment le débat lié à l'inclusion du défaut de performance énergétique dans le cadre des garanties légales, le Professeur Périnet-Marquet propose d'utiliser l'article L. 111-22 du Code de la construction et de l'habitation, à cet effet.
Michel Vauthier propose d'instaurer un seuil au-delà duquel une consommation d'énergie électrique rendrait l'ouvrage juridiquement impropre à sa consommation, une température intérieure deviendrait soit trop importante, soit insuffisante pour que l'ouvrage soit rendu impropre à sa destination, ce texte retirant alors au juge son pouvoir d'appréciation.
2.4. Le grand écart du discours sur la performance énergétique, risque principal
Michel Vauthier met en garde contre le risque, pour le consommateur et les intervenants à l'acte de construire, lié au double discours tenant, d'un côté à l'annonce et à la promotion visant une obligation de résultat sur une consommation affichée, de l'autre une consommation moyenne théorique réelle indépendante de l'attestation, laquelle porte sur une simple vérification de l'existence de calculs et de justifications conformes.
Sur le site du ministère du Logement, il est annoncé que le décret, applicable dès le 1er janvier 2013, présente trois exigences de résultat en termes d'efficacité énergétique, de consommation d'énergie primaire et de confort en été. Conformément à l'article 4 de la loi n° 2009-967 du 3 août 2009, dite "Grenelle 1", la RT 2012 a pour objectif de limiter la consommation d'énergie primaire des bâtiments neufs à un maximum de 50 kWhEP/(m²/an) en moyenne.
Aussi, certains constructeurs, n'hésitent pas à annoncer dans leur publicité que "avec la RT 2012, le Grenelle Environnement prévoit de diviser par 3 la consommation énergétique des bâtiments neufs d'habitation et d'usage tertiaire, soit : une consommation d'énergie primaire inférieure à 50 kWh/m²/an correspondant à environ 300 euros/an RT 2012 en pratique".
Michel Vauthier a mis en lumière, ici, toute l'ambiguïté liée aux termes "en pratique", et sur l'absolue indétermination des chiffres "300 euros/an RT 2012", dont on peut se demander à quoi cela correspond.
Il a relevé, par ailleurs, la problématique liée à l'arrêté du 11 octobre 2011, relatif aux attestations de prise en compte de la réglementation thermique et de réalisation d'une étude de faisabilité relative aux approvisionnements en énergie pour les bâtiments neufs ou les parties nouvelles de bâtiments (N° Lexbase : L6374ISU). Cette attestation prévoit, notamment, la vérification de la cohérence entre le récapitulatif standardisé d'étude thermique et le contrôle visuel sur site ; bien entendu, on ne peut pas réaliser un contrôle destructif, mais Michel Vauthier souligne que l'attestation de conformité après travaux n'atteste nullement de la bonne réalisation d'une garantie de résultat.
Il soulève alors la question de la mise à jour du récapitulatif standardisé d'étude thermique en cours de chantier, sur la base duquel le ministère donne sa validation, alors que l'on sait qu'en matière de construction, les choses peuvent bouger entre le projet initial et le projet final.
2.5. Un concept opérationnel : l'intégration d'une troisième dimension à l'acte de construire
Michel Vauthier promeut l'idée selon laquelle l'on assiste à l'intégration d'une troisième dimension à l'acte de construire (cf. Pascaline Dechelette-Tolot et Michel Vauthier, Réglementation thermique 2012, la troisième dimension de l'acte de construire, Gazette du Palais, 31 août-1er septembre 2012 ; et Cyrille Charbonneau, JurisClasseur Construction - Urbanisme Cote : 01, 2011 Fasc. 25 : Responsabilité et Assurance Construction - Exigences environnementales) ; il s'agit d'une nouvelle dimension au sens physique du terme, qui correspond à une nouvelle façon de légiférer, incluant la technique dans la loi à un point qui n'a jamais été aussi important, les techniciens faisant oeuvre normative comme la norme de calcul du Th C de plus de mille pages.
Cette troisième dimension vient de ce que construire devient un acte collectif, ayant des conséquences collectives.
Cette révolution n'est possible que grâce aux techniques de l'information et préfigure l'intégration à la maquette numérique.
2.6. Faut-il avoir peur de l'inconnu ? Quelques clés pour minimiser les risques ?
En réalité, les assureurs ne peuvent pas se soustraire à leur garantie légale et devront donc assurer un tel risque.
Les bureaux d'étude thermique vont également jouer un rôle important ; il est primordial qu'ils puissent non seulement respecter la norme théorique, mais la traduire en termes pratiques vis-à-vis de leurs clients.
Il s'agira donc de détailler les relations contractuelles vis-à-vis de leurs interlocuteurs, en premier lieu vis-à-vis des clients en leur délivrant une information pédagogique et contractuelle sur la réalité des engagements énergétiques. Il conviendrait, par exemple, de distinguer clairement ce qui relève du calcul théorique de la norme de ce qui sera la consommation réelle du client et qui pourra être sans rapport dès lors que son comportement sera inévitablement différent.
En second lieu, les bureaux d'étude thermique devront prévoir, vis-à-vis des locateurs d'ouvrage un report contractuel des obligations des promoteurs et une vérification impitoyable de leurs conditions d'assurance. Il s'agit de sécuriser tous les contrats pour suppléer aux vides et incertitudes inévitables qui vont porter sur la détermination des responsabilités et dureront au moins dix ans, entre le moment ou un utilisateur engagera une action en justice et celui où la Cour de cassation rendra sa décision. Il conviendra de veiller particulièrement à l'assurance des obligations contractuelles et leur répercussion sur toute la chaîne des locateurs d'ouvrage.
II - Intervention de Michel Huet : les propositions du Groupe de travail sur la garantie de performance énergétique (GPE)
Michel Huet est revenu sur la difficulté consistant à tenter de rapprocher les postures des différents acteurs, totalement contradictoires, mais chacune devant être respectée.
Il a également soulevé la problématique étymologique liée à la rencontre de tous les acteurs. Il faut donc savoir que le terme "conventionnel" doit être entendu au sens de réglementaire, et qui n'est donc pas contractuel, ce est difficile à admettre pour un avocat ! Cela donne lieu à la distinction entre la GPEI, qui repose sur un engagement conventionnel ou réglementaire, autrement dit théorique (cet engagement théorique correspond à l'engagement que la méthode de calcul employée est conforme ; en cas de défaillance, il est seulement vérifié que le calcul promis a bien été réalisé), et la GRE, qui suppose un véritable engagement contractuel des constructeurs à long terme sur la consommation du client. Tout cela implique un véritable travail pédagogique afin que le client soit bien conscient de la réalité de l'engagement du constructeur.
La première mission de la Commission a donc été de trouver le moyen d'encadrer le mieux possible le risque d'application de la décennale par les tribunaux, en essayant de prendre en compte les intérêts de tous les acteurs.
La première idée, de modifier le Code civil (1792-8), n'a pas été retenue ; et il a été décidé d'intervenir au niveau du Code de la construction et de l'habitation ; là encore, les assureurs refusaient de reconnaître que la performance énergétique puisse entrer dans le champ de l'assurance décennale ; mais ils ont dû admettre que l'absence totale d'encadrement, pouvait leur être préjudiciable dans la mesure où le dernier mot revient en tout état de cause aux tribunaux, et qu'ils avaient donc intérêt à la fixation d'un cadre réglementaire, limitant le risque d'application de l'assurance décennale, sachant que ce cadre repose sur des éléments théoriques.
Concrètement, l'axe retenu, qui doit beaucoup aux réflexions du Professeur Hugues Périnet-Marquet, vise à circonscrire la responsabilité décennale par la prise en compte de la seule consommation conventionnelle au regard de la RT 2012, et procède par la création d'un nouvel article L. 111-10-5 du Code de la construction et de l'habitation commençant ainsi : "nonobstant toute stipulation contractuelle contraire, la destination mentionnée à l'article 1792 du Code civil, reproduit à l'article L. 111-13 du présent code est appréciée, en matière de performance énergétique, au regard de la seule consommation 'conventionnelle' maximale de l'ouvrage, telle que celle-ci résulte des textes d'application des articles L. 111-9, L. 111-10 du présent code. La production énergétique à usage externe est prise en compte uniquement si elle entre dans son calcul. L'impropriété à la destination ne peut être retenue que dans le cas d'une différence de consommation conventionnelle supérieure à un seuil, en présence de dommages affectant matériellement l'ouvrage ou ses éléments d'équipement. Elle est appréciée globalement pour l'ensemble de l'ouvrage construit ou modifié, y compris ses éléments d'équipement en tenant compte des conditions de son entretien après la réception, et sur la base des éléments techniques et du mode de calcul ayant permis la délivrance de l'attestation de la prise en compte de la réglementation thermique".
"Un décret en Conseil d'Etat détermine le seuil mentionné à l'alinéa précédent ainsi que les modalités d'appréciation de la consommation conventionnelle dans le cadre des expertises". Ce seuil serait fixé à 20 % sans pouvoir être inférieur à 10kWep/m²/an.
Le second apport du groupe de travail réside dans l'élaboration d'une charte GPEI destinée aux principaux acteurs, et engageant ses signataires, qui consiste à définir une méthodologie de mise en place d'une GPEI. Il s'agit d'une charte éthique, dont la véritable force est d'engager les acteurs signataires au-delà du droit, sur la base du respect d'un guide méthodologique de la GPEI, qui liste 60 actions à accomplir tout au long d'un projet pour garantir le respect des performances promises. Il faut savoir que la signature par une fédération engage tous ses adhérents, et donc par exemple l'ensemble du secteur du BTP. La signature de la Charte, constitue selon Michel Huet, un engagement bien plus fort que l'engagement légal. Si ladite venait à être signée, cela constituerait une véritable avancée.
La vraie problématique réside désormais dans le concept de la GRE (garantie réelle énergétique).
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Réf. : CA Toulouse, 11 juin 2013, n° 11/05409 (N° Lexbase : A4555KGS)
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Réf. : Cass. civ. 1, 26 juin 2013, n° 12-13.361, F-P+B (N° Lexbase : A3060KI8)
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N8045BT7
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Le 18 Juillet 2013
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Réf. : CA Agen, 1ère ch., 13 juin 2013, n° 12/00935 (N° Lexbase : A9328KIC)
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N8102BTA
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Le 18 Juillet 2013
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Réf. : CA Douai, 1er juillet 2013, n° 13/00670 (N° Lexbase : A9330KIE)
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N8104BTC
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Le 18 Juillet 2013
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Réf. : Cass. QPC, 9 juillet 2013, n° 13-40.024, FS-P+B (N° Lexbase : A9326KIA)
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N8098BT4
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Le 18 Juillet 2013
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Réf. : Cass. QCP, 10 juillet 2013, n° 13-11.429, FS+P+B (N° Lexbase : A9325KI9)
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N8099BT7
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Le 18 Juillet 2013
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Réf. : Cass. civ. 3, 10 juillet 2013, n° 10-25.979, FP-P+B (N° Lexbase : A8572KIC)
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N8100BT8
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Le 18 Juillet 2013
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Réf. : CE 1° et 6° s-s-r., 12 juillet 2013, n° 338803 (N° Lexbase : A8308KIK)
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N8135BTH
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Le 18 Juillet 2013
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N8120BTW
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par Etienne Vergès, Professeur à l'Université de Grenoble, membre de l'Institut universitaire de France
Le 18 Juillet 2013
"Le droit à un tribunal, dont le droit d'accès concret et effectif constitue un aspect, n'est pas absolu, les conditions de recevabilité d'un recours ne peuvent toutefois en restreindre l'exercice au point qu'il se trouve atteint dans sa substance même".
Le droit d'accès à un tribunal est consacré par de nombreux textes qui protègent les droits fondamentaux. Pourtant, rares sont les arrêts de la Cour de cassation qui visent précisément ce principe et lui font jouer un rôle de contrôle de conformité de la loi au regard de la CESDH.
Dans l'arrêt étudié, la Cour de cassation était saisie d'une question relative au droit de l'action sociale et des familles et plus particulièrement au délai accordé aux grands-parents pour contester une décision de placement de leur petit-fils. En l'espèce, un enfant, né sans filiation paternelle établie, avait fait l'objet d'un placement à sa naissance. Quelques mois après, sa mère était décédée et un procès-verbal de recueil de l'enfant par l'aide sociale à l'enfance en vue de son admission en qualité de pupille de l'Etat a été établi à la suite de ce décès. Le président du conseil général avait alors admis l'enfant comme pupille de l'Etat par arrêté rendu le même jour. L'article L. 224-8 du Code de l'action sociale et des familles (N° Lexbase : L5365DKW) prévoit que cet arrêté peut faire l'objet d'un recours dans les trente jours à compter de sa date, par les parents de l'enfant, ses alliées et toute personne justifiant d'un lien avec lui. C'est ce que fit la grand-mère de l'enfant, mais cette dernière forma son recours après l'expiration du délai.
La cour d'appel déclara le recours irrecevable et la procédure a alors pris un tour complexe. A la suite d'un pourvoi, la Cour de cassation a rendu un premier arrêt le 6 juin 2012 mettant en oeuvre une procédure QPC (1). La Haute juridiction a alors saisi le Conseil constitutionnel de la question de savoir si la procédure de l'article L. 224-8 du Code de l'action sociale et des familles était conforme à la Constitution. Le juge constitutionnel se prononça par une décision du 27 juillet 2012 (2), dans laquelle il déclarait cette disposition contraire à la Constitution et il reportait son abrogation au 1er janvier 2014 pour laisser au législateur le temps de remédier à la déclaration d'inconstitutionnalité. La décision d'inconstitutionnalité reposait sur une violation de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen (N° Lexbase : L1363A9D) et plus particulièrement sur une atteinte au droit au recours.
C'est dans un tel contexte que l'affaire fut renvoyée une nouvelle fois devant la première chambre civile de la Cour de cassation (3). Celle-ci se trouvait dans une situation inconfortable, puisqu'elle devait trancher une affaire au regard d'une disposition contraire à la Constitution, alors que cette disposition n'avait pas encore été abrogée. Elle a résolu cette difficulté en ayant recours à la CESDH. Au visa de l'article 6, elle a rappelé le principe général selon lequel, "si le droit à un tribunal, dont le droit d'accès concret et effectif constitue un aspect, n'est pas absolu, les conditions de recevabilité d'un recours ne peuvent toutefois en restreindre l'exercice au point qu'il se trouve atteint dans sa substance même". De ce principe général, elle a déduit que ce droit d'accès à la justice fait l'objet d'une atteinte caractérisée lorsque "le délai de contestation d'une décision, tel que celui prévu par l'article L. 224-8 du Code de l'action sociale et des familles, court du jour où la décision est prise non contradictoirement et que n'est pas assurée l'information des personnes admises à la contester".
En conséquence, elle a cassé l'arrêt d'appel qui avait déclaré le recours irrecevable, car la grand-mère de l'enfant placé n'avait pas été informée, en temps utile, de l'arrêté du président du conseil général et de la faculté de contester cet acte.
Cette décision est très riche en enseignements. Elle montre, si cela était nécessaire, que les droits processuels fondamentaux trouvent à s'appliquer dans les contentieux les plus techniques, mais également que la combinaison des principes constitutionnels et de ceux de la CESDH, permet à la Cour de cassation de mettre en oeuvre ces droits fondamentaux de façon concrète et rapide.
- Le droit au juge, fondement de la décision
Le droit au juge est un principe consacré par la CEDH depuis un célèbre arrêt "Golder c/ RU" du 21 février 1975 (4). Dans cet arrêt, elle a déduit de l'article 6 CESDH (N° Lexbase : L7558AIR), l'existence d'un droit d'accès au juge alors même que ce droit n'était pas expressément prévu par la Convention. En droit interne, le Conseil constitutionnel a consacré progressivement le droit au juge, d'abord dans une décision de 1993 (5). Il a rattaché le droit à un recours à l'article 16 de la DDHC, qui prévoit de façon générale un principe de "garantie des droits". En d'autres termes, le droit au juge constitue une garantie de mise en oeuvre des droits substantiels. Plus précisément, dans une importante décision de 1996 (6), le Conseil a considéré qu'"il ne doit pas être porté d'atteintes substantielles au droit des personnes intéressées d'exercer un recours effectif devant une juridiction". Cette formule est essentielle, car elle définit l'étendue du droit au juge et ouvre des possibilités de dérogations.
Comme tous les grands principes du droit processuel, le droit au juge a donné lieu à de très nombreuses applications techniques, tant dans la jurisprudence européenne que dans les décisions du Conseil constitutionnel. Le contenu du principe apparaît à la fois riche et complexe.
Par exemple, c'est sur le fondement du droit au juge que la CEDH examine la validité de la renonciation au droit d'agir en justice (7), ou encore qu'elle condamne un Etat qui refuse d'octroyer à un mouvement religieux la personnalité juridique lui permettant d'exercer l'action en justice (8). Le droit d'agir en justice comprend également le droit à une assistance juridique, à une aide financière (sous condition de ressource), le droit d'obtenir une décision de justice ou encore le droit à l'exécution de cette décision. Mais la CEDH admet des limites au droit d'agir en justice. C'est le cas de la prescription par exemple, qui ferme l'accès au juge pour assurer la sécurité juridique (9), ou encore des privilèges et immunités de juridictions, qui assurent la stabilité des relations internationales et le bon fonctionnement des organisations internationales (10).
Le Conseil constitutionnel a également mis en oeuvre le principe à plusieurs reprises. Par exemple, il a jugé que le droit d'exercer un recours juridictionnel effectif doit être assuré dès qu'une personne fait l'objet d'une sanction qui a le caractère d'une punition. Cette solution a été appliquée principalement en matière pénale (11), mais également s'agissant de sanctions qui peuvent avoir un caractère civil plus prononcé (coupure de l'accès internet) (12). Autre exemple, le Conseil constitutionnel admet que des autorités non juridictionnelles puissent délivrer des actes ayant un effet exécutoire, mais à la condition que le débiteur dispose d'un recours effectif tant sur le bien-fondé desdits titres que sur l'obligation de payer ou sur le déroulement de la procédure d'exécution forcée (13). Comme dans la jurisprudence européenne, le droit au recours ne revêt pas de caractère absolu. Par exemple, le législateur peut refuser d'accorder aux mineurs la suspension d'une prescription, dès lors que durant la minorité, les droits de l'enfant pouvaient être exercés en justice par l'intermédiaire du représentant légal (14).
- Le droit au juge et l'atteinte substantielle dans la décision QPC du Conseil constitutionnel
Le droit au juge doit se comprendre dans sa dimension de droit fondamental, c'est-à-dire comme un principe dont l'application est fonction du critère de proportionnalité. C'est pour cette raison que les juridictions supérieures utilisent le concept de l'atteinte substantielle. La CEDH juge de façon constante depuis l'arrêt "Philis c/ Grèce" (15) que le droit d'accès à la justice ne constitue pas un droit absolu, mais qu'il "peut donner lieu à des limitations, lesquelles ne sauraient cependant restreindre l'accès ouvert à l'individu d'une manière ou à un point tels que le droit s'en trouve atteint dans sa substance même". La solution est la même dans la jurisprudence constitutionnelle (16) et dans l'affaire étudiée, le Conseil constitutionnel a rendu sa décision QPC en rappelant qu'il résultait de l'article 16 DDHC qu'il ne doit pas être porté d'atteintes substantielles au droit des personnes intéressées d'exercer un recours effectif devant une juridiction" (cons. 4).
La notion d'atteinte substantielle au droit d'accès en justice est vague et les juridictions supérieures l'appliquent au cas par cas. S'agissant de l'article L. 224-8 du Code de l'action sociale et des familles, le Conseil constitutionnel a jugé que l'arrêté du président du conseil général ne pouvait être notifié à l'ensemble des personnes disposant d'un droit d'agir, car la disposition en cause avait conféré la qualité pour agir à une liste de personnes non limitative (les parents, alliés et personnes justifiant d'un lien avec l'enfant). Dès lors, les formalités d'information étaient réduites. Sans donner d'indication précise le Conseil constitutionnel a reproché au législateur de ne n'avoir pas défini "les cas et conditions dans lesquels celles des personnes qui présentent un lien plus étroit avec l'enfant sont effectivement mises à même d'exercer ce recours". C'est cette carence qui a constitué l'atteinte substantielle au droit fondamental. Toutefois, le Conseil constitutionnel dispose d'outils limités pour mettre fin à l'inconstitutionnalité. S'il avait abrogé l'article L. 224-8 du Code de l'action sociale et des familles, il aurait fait disparaître dans le même temps le recours contre l'arrêté. L'atteinte au droit au juge aurait été plus grave. Pour cette raison, l'abrogation a été reportée au 1er janvier 2014. En revanche, cette solution ne permettait pas à la Cour de cassation de faire cesser l'atteinte au droit au juge dans l'affaire qui lui était soumise.
- La cessation de l'atteinte substantielle par la Cour de cassation
Comme elle en a désormais l'habitude, la Cour de cassation a utilisé la CESDH pour relayer la décision d'inconstitutionnalité. En se fondant sur l'article 6 de la Convention, elle a affirmé que "si le droit à un tribunal, dont le droit d'accès concret et effectif constitue un aspect, n'est pas absolu, les conditions de recevabilité d'un recours ne peuvent toutefois en restreindre l'exercice au point qu'il se trouve atteint dans sa substance même". La Cour de cassation s'inscrit ainsi dans le courant jurisprudentiel initié par la CEDH et le Conseil constitutionnel. Cette formule donne une portée particulière à l'arrêt, car la Cour de cassation ne l'a utilisé que très rarement dans le passé (17). On sent ici, non seulement le signe d'un arrêt de principe, mais également la volonté d'inscrire la décision dans un contrôle de conformité de la loi française vis-à-vis de la CESDH.
La Cour de cassation relève ensuite plusieurs éléments qui permettent de caractériser l'atteinte substantielle au droit d'accès concret et effectif à un tribunal : l'arrêté n'a pas été rendu de façon contradictoire ; les personnes admises à le contester n'en ont pas été informées et enfin, le délai pour contester cette décision court à compter de sa date (et non pas à compter de sa publication (18)).
Ce qui fait la force de la Cour de cassation dans cet arrêt, c'est qu'en utilisant l'outil de la cassation, elle déclare implicitement recevable l'action en justice de la grand-mère ; et cette recevabilité n'est apparemment soumise à aucune condition de délai. En effet, le délai de l'article L. 224-8 est neutralisé par la Cour de cassation, car il porte une atteinte substantielle au droit d'accès au juge. La Cour corrige ainsi l'atteinte au droit au juge, sans toucher à l'ensemble de l'article critiqué, mais simplement en excluant de la disposition, la règle relative au délai d'exercice du recours. Mais la Cour de cassation ne pose aucun autre délai, ni aucune modalité d'information des personnes liées à l'enfant. Elle n'apporte ainsi qu'une correction imparfaite au problème soulevé par l'espèce. Et surtout, elle n'améliore pas l'information des personnes liées à l'enfant. Sans une réforme de l'article L. 224-8 du Code de l'action sociale et des familles, la Cour de cassation devra juger au cas par cas, le temps pris par un demandeur pour exercer le recours, au regard des conditions dans lesquelles ce demandeur aura été informé de l'admission de l'enfant en qualité de pupille de l'Etat (19).
En définitive, l'arrêt rendu par la Cour de cassation le 9 avril 2013 est exemplaire à plusieurs titres. D'abord, il contribue au renforcement des droits fondamentaux de la procédure dans la jurisprudence de la Cour de cassation, ensuite, il montre que les limitations à l'accès à la justice font l'objet d'un examen de plus en plus attentif par la Cour de cassation, enfin, il se situe dans ce nouveau courant d'interprétation qui conduit la Cour de cassation à statuer in concreto lorsqu'elle est saisie d'une question qui met en jeu des droits fondamentaux, et à faire jouer la balance des intérêts en présence (20). En revanche, l'arrêt montre une nouvelle fois les limites du contrôle de conformité de la loi à la CESDH. La Cour de cassation peut neutraliser une disposition de la loi française, mais elle n'est pas en mesure de la réécrire lorsque cela s'avère nécessaire.
II - Sommaire des arrêts importants
La jurisprudence parue depuis la dernière chronique de procédure civile est particulièrement abondante. Il est ainsi proposé une analyse rapide des arrêts les plus importants.
- Cass. civ. 2, 27 juin 2013, n° 13-60.025, F-P+B (N° Lexbase : A3891KIX)
Pour être inscrits sur la liste des experts d'une cour d'appel, les techniciens doivent offrir des garanties d'indépendance vis-à-vis des futurs plaideurs. Dans cette affaire, un expert inscrit sur la liste (dans la catégorie architecture/ingénierie) avait formé un pourvoi contre la décision de l'assemblée générale des magistrats du siège de ne pas le réinscrire.
La Cour de cassation confirme la décision de l'assemblée générale en relevant que l'expert réalisait 80 % de son activité pour un assureur privé et 20 % pour la juridiction. Il avait ainsi créé "une relation d'affaire susceptible d'interférer avec son activité d'expert judiciaire" et la Haute juridiction a pu en déduire que cette relation "était incompatible avec l'indépendance nécessaire à l'accomplissement de missions judiciaires d'expertise au sens des dispositions de l'article 2.6° du décret du 23 décembre 2004".
- Cass. civ. 2, 27 juin 2013, n° 12-60.608, F-P+B (N° Lexbase : A3889KIU)
Dans cette affaire jugée le même jour, un médecin avait sollicité son inscription sur la liste des experts de la cour d'appel ; inscription qui lui avait été refusée au motif qu'il exerçait son activité, "en tout ou en partie, pour le compte de sociétés d'assurances".
Cette fois, la Cour de cassation annule la décision de l'assemblée générale des magistrats du siège au motif que le fait qu'un candidat "ait réalisé des missions d'expertise pour des sociétés d'assurances ne constitue pas, en soi, l'exercice d'une activité incompatible avec l'indépendance nécessaire à l'exercice de missions judiciaires d'expertise".
La distinction avec l'espèce précédente est nette. D'une part, le médecin exerçait son activité pour plusieurs compagnies d'assurances, d'autre part, la part d'activité exercée pour ces compagnies vis-à-vis de son activité globale n'était pas connue. Il n'était donc pas possible d'établir une "relation d'affaire" de nature à nuire à l'indépendance de l'expert.
L'arrêt rendu le 6 juin 2013 est intéressant car il tranche une difficulté d'application dans le calcul du taux de ressort. En l'espèce, deux cadres dirigeants avaient convenu de se répartir à parts égales les actions d'une société dont ils avaient repris la direction. L'un des dirigeants ayant acquis seul 125 000 actions de cette société, l'autre agit en justice pour obtenir la cession de la moitié de ces actions. Le demandeur avait évalué la valeur de ces actions à 1 euro. Les juges du fond avaient rejeté sa demande dans un jugement qualifié "en dernier ressort".
L'associé débouté interjeta tout de même appel de cette décision, mais son recours fut jugé irrecevable, car, selon les juges d'appel, le taux de ressort de 4 000 euros n'avait pas été atteint.
La Cour de cassation casse cette décision et dans un attendu très clair, elle affirme que "toute demande tendant à la condamnation du défendeur à l'exécution d'une obligation de faire constitue en elle-même une demande indéterminée". Elle en déduit que le taux de ressort ne pouvait pas être appliqué à cette demande, qui par nature était indéterminée et se voyait appliquer l'article 40 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1192H4W) (21).
Un nouvel avis de la Cour de cassation était sollicité pour savoir si le circuit court de l'article 905 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L0374IGX) -qui prévoit que le président de la chambre fixe l'audience "à bref délai" dans plusieurs hypothèses- était soumis aux dispositions relatives aux délais pour conclure (3 mois pour l'appelant, 2 mois pour l'intimé).
La Cour de cassation répond clairement que :
"Les dispositions des articles 908 (N° Lexbase : L0162IPP) à 911 du Code de procédure civile ne sont pas applicables aux procédures fixées selon les dispositions de l'article 905 du même code".
En d'autres termes, les délais fixés par la nouvelle procédure d'appel ne s'appliquent par lorsque le président de la chambre fixe l'audience à bref délai.
Cet avis confirme une solution rendue le 13 mai 2013 (Cass. civ. 2, 16 mai 2013, n° 12-19.119 N° Lexbase : A5179KD8) dans laquelle la Cour de cassation avait exclu l'application des délais du décret "Magendie" à une procédure d'appel contre une ordonnance de référé (il s'agit d'un des trois cas visés par l'article 905).
La combinaison des délais du décret "Magendie" n'est pas toujours aisée. Pour rappel, l'appelant dispose d'un délai de 3 mois à compter de la déclaration d'appel pour conclure (C. pr. civ., art. 908) et d'un mois supplémentaire pour signifier les conclusions aux parties qui n'ont pas constitué avocat (C. pr. civ., art. 911 N° Lexbase : L0351IT8).
Dans cette affaire, l'appelant avait conclu dans les délais, mais il avait signifié ses conclusions plus d'un mois après avoir déposé ses conclusions au greffe de la cour d'appel. La question se posait alors de savoir si le délai pour signifier les conclusions (C. pr. civ., art. 911) courait à compter du dépôt des conclusions ou à compter de l'expiration du délai de 3 mois pour conclure (C. pr. civ., art. 908).
La Cour de cassation fait une stricte application de l'article 911 du Code de procédure civile (qui d'ailleurs était explicite à ce sujet). Elle affirme ainsi que :
"l'appelant dispose d'un délai d'un mois, courant à compter de l'expiration du délai de trois mois prévu pour la remise de ses conclusions au greffe, pour les signifier aux parties qui n'ont pas constitué avocat".
Le délai de signification aux parties qui n'ont pas constitué avocat est donc invariablement de 4 mois à compter de la déclaration d'appel.
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Réf. : Cass. civ. 2, 11 juillet 2013, n° 12-22.630 F-P+B (N° Lexbase : A8575KIG)
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N8090BTS
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Le 18 Juillet 2013
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Réf. : Cass. civ. 2, 11 juillet 2013, n° 12-15.994, FS-P+B (N° Lexbase : A8682KIE)
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N8092BTU
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Le 18 Juillet 2013
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newsid:438092
Réf. : Cass. civ. 2, 11 juillet 2013, n° 12-15.994, FS-P+B (N° Lexbase : A8682KIE)
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N8093BTW
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Le 23 Juillet 2013
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Réf. : Cass. civ. 2, 11 juillet 2013, n° 12-23.091, F-P+B (N° Lexbase : A8774KIS)
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N8094BTX
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Le 18 Juillet 2013
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newsid:438094
Réf. : Cass. crim., 26 juin 2013, n° 13-80.594, F-P+B (N° Lexbase : A8690KIP)
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N8133BTE
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Le 18 Juillet 2013
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newsid:438133
Réf. : Cass. civ. 1, 10 juillet 2013, n° 12-23.463, FS-P+B (N° Lexbase : A8816KID)
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N8134BTG
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Le 18 Juillet 2013
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newsid:438134
Réf. : Cass. civ. 1, 10 juillet 2013, n° 12-13.850, FS-P+B+I (N° Lexbase : A8062KIG)
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N8087BTP
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Le 18 Juillet 2013
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Réf. : Cass. civ. 1, 10 juillet 2013, n° 12-12.115, F-P+B (N° Lexbase : A8630KIH)
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N8088BTQ
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Le 20 Juillet 2013
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Réf. : Cass. civ. 1, 10 juillet 2013, n° 12-20.885, F-P+B (N° Lexbase : A8712KII)
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N8089BTR
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Le 19 Juillet 2013
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Réf. : Cass. civ. 1, 29 mai 2013, n° 12-10.027, FS-P+B+I (N° Lexbase : A2487KET)
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par Sophie Deville, Maître de conférences en droit privé, Institut de droit privé EA 1920, Université Toulouse 1 Capitole
Le 01 Août 2013
L'argumentation est à l'abri de toute critique ; une fois le changement devenu définitif en application de l'article 1397 du Code civil, il s'impose aux parties contractantes qui ne peuvent le remettre en cause, au moins unilatéralement, sauf à agir en nullité de la convention sur les fondements classiques du droit commun -vice du consentement et fraude-. Par là-même, une action en nullité fondée sur l'atteinte à l'intérêt de la famille est purement et simplement irrecevable.
I - Un changement de régime devenu définitif
La décision est l'occasion de revenir sur la procédure de changement de régime matrimonial qui a été modifiée par l'importante loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 (N° Lexbase : L0807HK4) (1). Dès la loi du 13 juillet 1965, le principe d'immutabilité des conventions matrimoniales avait connu un assouplissement certain par la consécration d'une procédure de changement volontaire, dont les époux avaient l'initiative, mais qui se déroulait sous le contrôle du juge. La loi du 23 juin 2006, dans un souci de promotion des volontés individuelles et d'allègement des procédures, a partiellement déjudiciarisé le changement de régime. Ainsi, en l'absence d'enfants mineurs dont l'existence rend l'homologation obligatoire, l'intervention judiciaire n'est réintroduite qu'en cas de contestation des enfants majeurs ou des créanciers, dûment informés de la modification envisagée. Avant comme après la réforme de 2006, la procédure nécessite la rédaction d'une convention notariée abritant le consentement réel et non vicié des époux, et le respect d'une condition de délai de fonctionnement du régime à modifier. L'opportunité du changement continue d'être appréciée par le juge lorsqu'il intervient, mais force est de constater que l'éventuelle -et recherchée- éviction de l'homologation conduit à un renforcement du rôle de certains intervenants quant au contrôle de la conformité du nouveau régime à l'intérêt de la famille.
On songera, en tout premier lieu, au notaire qui participe à l'élaboration de la convention modificative ; il doit, sans doute encore davantage qu'auparavant, éclairer les conjoints sur toutes les conséquences patrimoniales du choix envisagé, durant la vie du régime et à sa dissolution, à l'égard des parties mais également de leurs descendants (2). Les enfants majeurs, quant à eux, bénéficient désormais d'une prérogative leur permettant de veiller à la protection de l'intérêt de la famille : toute contestation intervenue dans un délai de trois mois à compter de l'information contraindra les époux à soumettre leur projet à l'autorité judiciaire (3). Enfin, si l'allègement de la procédure peut être perçu par les conjoints comme opportun, il doit cependant les inciter à une fine analyse du changement à venir, lequel sortira ses effets, en l'absence d'opposition, au jour de la signature de l'accord. Ainsi, le consentement donné par un époux à l'acte sera interprété comme l'aboutissement de sa réflexion, et il faudra en déduire qu'il estime la convention conforme à ses intérêts personnels -lesquels participent, selon l'appréhension prétorienne classique, de la notion d'intérêt de la famille-. Voici, peut-être, ce qui a fait défaut à l'époux, trop empressé, dans l'affaire qui nous occupe...
Les éléments de fait laissent apparaître que le couple était (en l'absence d'enfants, ou à tout le moins d'enfants mineurs ?) soumis à la procédure déjudiciarisée consacrée par la loi de 2006. Seulement quelques mois après l'écoulement du délai imposé par l'article 1397 du Code civil pour envisager un changement, les époux avaient procédé à la rédaction d'un contrat instaurant la société d'acquêts, jointe au régime séparatiste initial. En l'absence d'opposition, le nouveau régime avait sorti ses effets à la date de la signature de la convention l'abritant, conformément à l'alinéa 6 de l'article 1397 du Code civil. En d'autres termes, le changement était devenu définitif à compter de l'échange des consentements, lequel avait conféré force obligatoire à l'engagement conclu dans le respect des dispositions légales. Dès lors, l'accord s'imposait aux parties qui n'étaient pas admises à le critiquer sur le fondement de l'article 1397, quand bien même des circonstances d'ordre personnel intervenues postérieurement auraient conduit l'un d'eux à vouloir le remettre en cause. C'est tout simplement ce que rappelle la Cour de cassation en visant le fameux article 1134 du Code civil, aux termes duquel "les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites". La solution est parfaitement justifiée.
L'issue aurait sans doute été identique si les époux avaient été soumis à l'ancienne procédure ou s'ils avaient eu des enfants mineurs à l'époque du changement. Dans une telle hypothèse, la modification aurait été jugée conforme aux intérêts de la famille. La Cour de cassation a, de longue date, énoncé que la notion doit faire l'objet d'une appréciation d'ensemble ; l'intérêt de la famille n'est pas la somme des intérêts particuliers de ses membres (4). En la matière, les magistrats sont notamment favorables à une modification motivée par la protection du conjoint au cas de dissolution du mariage par décès, même si certaines décisions ont pu refuser l'homologation à des conventions se révélant manifestement défavorables à la personne d'un époux, étant précisé qu'une alternative au changement de régime était envisageable pour parvenir à l'objectif recherché (5).
En l'espèce, rien ne laissait à penser que la modification, bien qu'avantageuse pour l'épouse, présentait des risques inconsidérés pour son conjoint, et plus largement pour le ménage (6). L'opportunité du projet n'aurait vraisemblablement pas été un obstacle à l'homologation. Toutefois, le mari aurait pu, dans ce cas de figure, s'opposer efficacement au changement en ne renouvelant pas, de manière discrétionnaire, son consentement à l'audience. En effet, la volonté des époux est un élément essentiel qui doit perdurer, de jurisprudence constante, à tous les stades de la procédure (7). Ceci dit, dans notre affaire, la contestation n'étant intervenue que plusieurs années après la prise d'effets de la convention, l'argumentation opposée à l'époux par la Cour de cassation aurait été similaire... Et tout aussi bienvenue. Au contraire, la position de la cour de Grenoble n'échappe pas à la critique. Les magistrats n'étaient aucunement juges de l'homologation, et par là-même, de l'opportunité du changement. Or, en prononçant l'annulation de l'acte par référence à une atteinte à l'intérêt de la famille, la décision permettait au mari de revenir, purement et simplement, sur son engagement. Reste qu'une autre voie était offerte pour tenter d'anéantir le nouveau régime.
II - Une convention annulable dans les conditions du droit commun
Bien que soumise à des modalités particulières, la procédure de l'article 1397 du Code civil organise une modification volontaire de régime matrimonial, dont l'initiative émane nécessairement des conjoints. Elle repose sur un élément central : l'acte abritant leur consentement. La convention modificative rédigée par devant notaire obéit donc au droit commun des obligations, et à ce titre, elle peut être remise en cause si elle ne respecte pas les conditions de validité imposées à tout accord de volontés. Il en est ainsi lorsque le contrat n'a pas été soumis à l'appréciation du juge -c'est d'ailleurs l'un des arguments qui a oeuvré en faveur de la déjudiciarisation de la procédure-. Mais c'est encore le cas en présence d'un accord homologué, la Cour de cassation ayant énoncé, dans une importante décision du 14 janvier 1997, que "l'homologation judiciaire laisse subsister le caractère contractuel du changement de régime matrimonial des époux, de sorte que la convention des parties peut [pouvait] être annulée pour des causes qui lui sont propres [...]" (8).
L'époux aurait assurément pu agir sur ce fondement pour obtenir l'annulation de la convention. La rencontre des volontés fait naître un engagement contraignant pour les parties, mais encore faut-il que l'accord ait été valablement conclu. C'est d'ailleurs ce que précise la première chambre civile en admettant une remise en cause de l'acte en présence d'un vice du consentement ou d'une fraude -l'article 1108 du Code civil figurant au visa, aux côtés des articles 1134 et 1397 du même code-. Simplement, si cette voie est offerte aux parties, elle nécessite la preuve de l'existence d'un vice ou de manoeuvres frauduleuses. Or, tout laisse à penser que le mari ne disposait d'aucun élément susceptible d'établir une quelconque erreur, voire l'existence de manoeuvres dolosives émanant de son épouse. Bien au contraire, les juges d'appel avaient constaté, a posteriori, l'intégrité de son consentement au moment de l'élaboration de l'acte... C'est principalement ce qui, semble-t-il, l'avait conduit, à tort, à fonder son action sur l'article 1397 du Code civil. Mais c'était sans compter sur la rigueur des Hauts magistrats qui, fort opportunément, viennent rappeler que les changements d'humeur n'ont aucun droit de cité au sein des conventions matrimoniales.
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Réf. : T. confl., 8 juillet 2013, n° 3914 (N° Lexbase : A8359KIG)
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Le 19 Juillet 2013
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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de l'Encyclopédie de droit médical
Le 18 Juillet 2013
1.1. Technique médicale
Intérêt. Cette décision fournit une excellente illustration des critères mobilisés pour caractériser la faute médicale qui doit s'apprécier en fonction du comportement normalement exigible d'un praticien de même spécialité (1).
L'affaire. L'action en responsabilité civile avait été engagée par un patient qui souffrait d'incontinence urinaire après une adénomectomie prostatique, mais n'avait pas abouti.
C'est cet arrêt qui se trouve confirmé par le rejet du pourvoi.
Les éléments qui ont conduit la cour d'appel à écarter toute faute médicale sont ici repris par la Cour de cassation, et proviennent d'ailleurs directement du rapport d'expertise : l'intervention avait été menée suivant une technique éprouvée avec les précautions habituellement recommandées ; aucune erreur, imprudence, manque de précaution, négligence ou toute autre défaillance n'avait été commise ; aucun geste maladroit qui aurait pu provoquer l'incontinence urinaire ou la lésion d'un organe ou d'un tissu qui n'aurait pas dû être endommagé au cours de l'adénomectomie n'avait été établi.
On ajoutera ici que le risque d'incontinence urinaire, dans ce genre d'opération, est inhérent à la technique utilisée et apparaît comme une suite malheureusement normalement prévisible de l'acte, compte tenu de l'état du patient, de telle sorte qu'il ne pourrait pas être qualifié d'aléa thérapeutique ouvrant droit à réparation (2).
Seul un défaut d'information sur l'existence du risque pourrait être invoqué, mais le demandeur n'ayant pas formulé de demande en ce sens devant les juges du fond, le moyen tiré de cette violation était irrecevable dans le cadre du pourvoi en cassation, car mélangé de fait.
- L'obligation de tout médecin de donner à son patient des soins attentifs, consciencieux et conformes aux données acquises de la science emporte, lorsque plusieurs médecins collaborent à l'examen ou au traitement de ce patient, l'obligation pour chacun d'eux, d'assurer un suivi de ses prescriptions afin d'assumer ses responsabilités personnelles au regard de ses compétences (Cass. civ. 1, 16 mai 2013, n° 12-21.338, FS-P+B+I N° Lexbase : A5198KDU, JCP éd. G, 2013, n° 27, note P. Sargos)
Contexte. Il est souvent plus compliqué d'agir à plusieurs que de maîtriser seul l'ensemble des paramètres d'une intervention. Ce constat, qui vaut pour beaucoup d'actions menées conjointement, se vérifie malheureusement également en matière médicale où le travail en équipe, pourtant nécessaire pour additionner les compétences de différents spécialistes (3), peut provoquer des conflits négatifs de compétence, chacun se reposant sur le travail de l'autre sans se montrer suffisamment vigilant sur les suites de ses propres actes, comme l'illustre malheureusement cette décision.
L'affaire. A la suite d'un accouchement, une patiente était décédée d'une phlébite cérébrale que le gynécologue obstétricien n'avait diagnostiquée qu'avec retard.
Ce dernier avait été condamné en appel en raison d'un retard fautif de diagnostic, de la perte de chance de guérir sans séquelles, alors que l'anesthésiste avait été mis hors de cause.
L'arrêt avait été cassé, la Haute juridiction reprochant à la juridiction d'appel d'avoir ainsi écarté sa responsabilité "sans préciser quel rôle [il] avait joué [...] dans les suites de l'accouchement, quand les [demandeurs] faisaient valoir qu'il avait lui-même pris en charge la patiente à laquelle il avait prescrit un traitement pour céphalées le lendemain de l'accouchement et qu'il lui incombait d'en assurer le suivi" (4).
Sur renvoi, la cour d'appel de Dijon avait écarté la responsabilité de l'anesthésiste après avoir relevé que le préjudice subi était une suite de l'accouchement et non de l'anesthésie, et que c'était le gynécologue qui assurait le suivi de la patiente après l'accouchement.
Cette décision est de nouveau cassée dans la mesure où la cour d'appel avait par ailleurs relevé que l'anesthésiste avait été appelé au chevet de la patiente en raison de la survenance de céphalées et qu'il lui avait prescrit un neuroleptique pour les soulager, de sorte qu'il lui incombait de s'informer de l'effet de ce traitement, notamment aux fins de déterminer, en collaboration avec le gynécologue obstétricien, si ces troubles étaient en lien avec l'anesthésie ou avec l'accouchement, ce qui aurait pu permettre un diagnostic plus précoce.
Une solution justifiée. Cette solution est parfaitement justifiée dans la mesure où chaque spécialiste doit, dans le champ de ses compétences, assurer le suivi de ses actes médicaux et répondre des conséquences de ses fautes (5). La règle, qui vaut pour tout professionnel intervenant en équipe, vaut également en matière médicale ; elle repose d'ailleurs sur les dispositions du Code de la déontologie médicale au titre de l'obligation de continuité des soins (6). Le grief tiré d'un défaut de surveillance est d'ailleurs classique dans la mesure où le médecin doit assurer le suivi de son patient pendant (7) et après l'opération (8).
La Cour de cassation avait déjà eu l'occasion d'affirmer ce principe s'agissant de l'obligation de surveillance de l'obstétricien qui n'efface pas les propres obligations professionnelles des sages-femmes (9).
- L'atteinte, par un chirurgien, à un organe ou une partie du corps du patient que son intervention n'impliquait pas, est fautive, en l'absence de preuve, qui lui incombe, d'une anomalie rendant l'atteinte inévitable ou de la survenance d'un risque inhérent à cette intervention qui, ne pouvant être maîtrisé, relèverait de l'aléa thérapeutique (Cass. civ. 1, 20 mars 2013, n° 12-13.900 F-D N° Lexbase : A5977KAM).
Contexte. Cette décision confirme une jurisprudence bien établie qui retient la responsabilité civile du chirurgien qui lèse un organe étranger à l'opération, dès lors que cette lésion ne constitue pas un risque inhérent à la technique utilisée (10) ou qu'elle ne résulte pas d'une anomalie morphologique propre au patient et normalement imprévisible, compte tenu des examens préopératoires habituellement pratiqués pour l'acte envisagé (11).
L'affaire. Il s'agissait ici d'une lipoaspiration pratiquée le 23 mars 2006 au cours de laquelle la patiente avait été victime d'une perforation accidentelle de l'intestin grêle. Sortie le jour même, l'intéressée, qui souffrait de douleurs abdominales, avait fait appel à son médecin généraliste qui ne l'a faite hospitaliser que trois jours plus tard. Elle devait malheureusement décéder peu de temps après en dépit d'une intervention en urgence.
Ses ayants droit avaient été déboutés de leur action en réparation au motif que le chirurgien ayant réalisé l'acte n'avait pas commis de faute et que le décès trouvait essentiellement sa cause dans le retard de diagnostic de perforation de l'intestin, imputable au médecin généraliste.
L'arrêt d'appel est cassé au visa des articles 1315 du Code civil (N° Lexbase : L1426ABG) et L. 1142-1, I du Code de la santé publique (N° Lexbase : L1910IEH). Pour la Haute juridiction, en effet, l'intestin grêle ayant été perforé lors d'une intervention consistant en l'exérèse de tissu graisseux, la Cour ne pouvait écarter la responsabilité civile du chirurgien "sans caractériser en quoi le chirurgien aurait fait la preuve de ce que la hernie ombilicale constituait une anomalie indécelable, rendant l'atteinte inévitable ou de ce que le risque de perforation et la contamination bactérienne subséquente, dont elle relevait, au demeurant, que, selon les experts, il s'agissait de la complication la plus grave de cette intervention, n'aurait pas été maîtrisable".
Intérêt. Au-delà de la confirmation d'une solution constante depuis 13 ans, l'arrêt est important car les faits relevaient temporellement de la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002, dite loi "Kouchner" (N° Lexbase : L1457AXA), comme le rappelle d'ailleurs le visa de l'article L. 1142-1 du Code de la santé publique. Or, on sait qu'en permettant, pour les dommages les plus graves, l'indemnisation des victimes d'aléas thérapeutiques par l'ONIAM, la loi "Kouchner" a atténué la pression indemnitaire qui pesait auparavant sur le juge lorsque la caractérisation d'une faute médicale, même purement virtuelle, était le seul moyen d'indemniser la victime. On pouvait donc se demander si cette jurisprudence, initiée avant la loi de 2002, allait perdurer dans le contexte de la réforme (12).
Cet arrêt, qui n'a pas par ailleurs les honneurs du Bulletin, montre que la Cour de cassation n'envisage absolument pas son abandon, puisqu'elle maintient la solution ici, qui plus est dans un arrêt de cassation, et que ce maintien lui semble tellement naturel qu'elle n'a même pas imaginé lui donner une plus large publicité. Voilà qui devrait ravir l'ONIAM qui trouve ici un allié de poids pour échapper à toute condamnation, dans ce genre de circonstances.
Intérêt. Cette décision montre à quel point la perte de chance doit être retenue lorsque la faute médicale n'apparaît pas comme la cause certainement exclusive du dommage qui s'est réalisé.
L'affaire. Un patient avait consulté son médecin généraliste pour des douleurs lombaires les 2 et 6 août 2004, et ce dernier lui avait prescrit des anti-inflammatoires. Ces douleurs s'étant aggravées, il a consulté un spécialiste le 9 août qui a diagnostiqué une hernie discale, l'a adressé en urgence au CHU d'Angers où il a été opéré le jour même. Il a malheureusement conservé des séquelles dues à une affection neurologique dite syndrome de la queue de cheval.
La victime a saisi la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux (aujourd'hui CCI) des Pays de Loire qui a retenu à la charge du médecin une faute dans le diagnostic ayant fait perdre à la victime une chance de récupération des troubles sensitifs grâce à un traitement plus précoce. La victime ayant refusé l'offre réalisée par l'assureur qui lui proposait l'indemnisation d'une perte de chance de 33%, elle a assigné ce même assureur devant le juge judiciaire et a obtenu en appel la réparation intégrale du préjudice final.
La cassation. C'est cet arrêt qui est cassé dans la mesure où la cour d'appel avait établi, par ailleurs, que le dommage aurait pu se réaliser, même si aucune faute de diagnostic n'avait été commise, ce qui interdisait de considérer de retenir la responsabilité pleine et entière du généraliste et imposait au contraire le recours à la perte de chance, puisqu'il n'était certain que la faute commise avait été la cause exclusive du dommage (13).
1.2. Obligation d'information médicale
Intérêt. Ces décisions confirment le rôle de la perte de chance lorsque le défaut d'information a déterminé le consentement de la victime, et qu'en l'absence de lien direct et exclusif l'indemnisation due à la victime ne peut qu'être calculée sur une fraction du dommage final (14).
Première affaire (pourvoi n° 12-14.813). Un patient, opéré de la cataracte et d'un glaucome de l'oeil gauche, avait dû être réopéré trois mois plus tard.
La cour d'appel avait condamné ce praticien, en raison d'un défaut d'information sur le risque de ré opération, à réparer l'ensemble des préjudices consécutifs à celle-ci. Après avoir relevé que "lorsque le défaut d'information sur les risques d'une intervention chirurgicale a fait perdre au patient une chance d'éviter le dommage résultant de la réalisation d'un de ces risques, en refusant définitivement ou temporairement l'intervention projetée, l'indemnité qui lui est due doit être déterminée en fonction de son état et de toutes les conséquences qui en découlent pour lui et correspondre à une fraction, souverainement évaluée, de son dommage", la Cour de cassation casse, au visa de l'article L. 1111-2 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L5232IEI), et considère qu'il appartenait à la juridiction d'appel "de déterminer la fraction de l'indemnité devant être mise à la charge" du praticien.
Seconde affaire (pourvoi n° 12-19.195). Tout en retenant la perte de chance, la cour d'appel s'était ici contentée d'affirmer qu'en raison de l'âge de la victime (38 ans), il lui sera alloué la somme de 50 000 euros en réparation de son préjudice sexuel, que son préjudice lié à la douleur évalué par les experts à 1 sur 7 justifie l'allocation d'une somme de 3 000 euros, qu'il subit une atteinte à son intégrité physique qui touche à son intimité qui justifie qu'il lui soit alloué la somme de 10 000 euros au titre de son préjudice moral, enfin que l'épouse de M. Y subit elle aussi un préjudice sexuel et moral qui justifie la somme forfaitaire de 20 000 euros.
Cette décision est cassée car les juges d'appel n'avaient pas précisé quelle était la fraction des préjudices correspondant à la perte de chance ainsi réparée.
1.3. Organisation
Contexte. L'examen de la jurisprudence montre malheureusement la fréquence de suicides de patients hospitalisés dans des établissements psychiatriques, les familles des victimes cherchant alors à établir des fautes commises dans le diagnostic de pathologies mentales souvent complexes (15), ou des manquements à l'obligation de surveillance des patients qui sont passés à l'acte (16).
L'affaire. Un patient s'était ici suicidé lors d'un séjour volontaire dans l'unité psychiatrique d'un hôpital privé à l'aide de médicaments dont il avait fait l'acquisition lors d'une sortie "non autorisée". Sa famille se fondait sur l'absence de "protocolisation" de cette sortie pour caractériser la faute de surveillance de l'établissement. La cour d'appel avait mis l'établissement hors de cause après avoir rappelé qu'hospitalisé de sa propre volonté, l'intéressé était libre d'aller et venir, comme bon lui semblait, de telle sorte qu'il ne pouvait être reproché à l'hôpital de n'avoir pas "surveillé" cette sortie, ce que confirme la Cour de cassation. A défaut d'autres éléments, la faute de surveillance ne pouvait donc être déduite de cette seule circonstance (17).
2. Infections nosocomiales
L'affaire. C'est ici le rapport d'expertise qui avait établi que, compte tenu de la nature du germe en cause, le délai entre l'opération et les premiers signes de l'infection écartait l'hypothèse d'une infection contractée lors des soins.
L'affaire. Les juges du fond s'étaient contentés ici d'affirmer que les suites opératoires avaient été compliquées par une multi-infection résultant, selon l'expert, de la dissémination de nombreuses colonies microbiennes. L'arrêt est cassé et le Conseil d'Etat leur reproche de n'avoir pas cherché "si les complications survenues étaient soit consécutives au développement de l'infection préexistante, soit distinctes et liées à une nouvelle infection survenue au cours des soins prodigués".
- La présence, dans l'organisme d'un patient, d'un germe habituellement retrouvé dans les infections nosocomiales, si elle était de nature à faire retenir la responsabilité de la clinique, tenue à son égard d'une obligation de résultat dont elle ne pouvait s'exonérer que par une cause étrangère, ne constitue pas à elle seule la preuve de ce que les mesures d'asepsie qui lui incombaient n'avaient pas été prises (Cass. civ. 1, 10 avril 2013, n° 12-14.219, F-P+B+I N° Lexbase : A9959KBH)
Contexte. Les infections contractées en hôpital privé avant le 5 septembre 2001 relèvent du régime de l'obligation de sécurité de résultat qui pèse tant sur le praticien exerçant en libéral que sur l'établissement, les deux pouvant d'ailleurs être condamnés in solidum (18). Lorsque c'est le cas, le recours entre les coresponsables se fait par part égales, puisque tous deux responsables sans faute prouvée, à moins que l'un des deux ne démontre que l'autre a commis une faute, auquel cas c'est le fautif qui supporte seul le poids final de la réparation. Mais la preuve de l'origine de l'infection, qui suffit à établir le manquement à l'obligation de sécurité de résultat, suffit-elle à établir, au stade du recours, que le responsable a commis une faute ?
Jusqu'à présent, la question ne s'était guère posée que dans le cadre voisin du recours de l'EFS contre l'assureur du véhicule, responsable indirect de la contamination, et avait donné lieu à une réponse absurde sur un plan technique puisque considéré comme un responsable sans faute vis-à-vis des victimes, l'EFS était traité comme un responsable fautif au stade du recours, et ce pour limiter celui-ci à la seule hypothèse d'une faute commise par le conducteur du véhicule à l'origine de l'accident ayant rendu nécessaire l'opération puis la transfusion au cours de laquelle la victime avait été contaminée (19).
Or, ici, la Cour de cassation retient une autre solution, cette fois-ci parfaitement justifiée sur un plan technique.
Les faits. Un patient, victime d'une infection nosocomiale contractée en 1997 lors d'une opération réalisée par un chirurgien intervenant en libéral dans les locaux mis à disposition par une clinique dans laquelle il exerçait, avait obtenu la condamnation du praticien qui avait appelé en garantie la clinique, également condamnée in solidum. Pour justifier le recours, les juges du fond avaient considéré qu'il ressortait du rapport amiable d'un expert que l'un des deux germes, identifiés comme étant à l'origine de l'infection, était nosocomial, que la clinique ne produisait aucun élément médical contraire, que la présence de ce germe relevait de sa responsabilité dès lors qu'un établissement de soins doit prendre toutes les mesures propres à éviter les infections et qu'en conséquence, il y avait lieu de retenir une faute de la clinique.
Cet arrêt est cassé, au visa de l'article 1147 du Code civil (N° Lexbase : L1248ABT). Après avoir rappelé, dans un attendu de principe, la règle classique selon laquelle "lorsqu'une faute ne peut être établie à l'encontre d'aucune des personnes responsables d'un même dommage, la contribution à la dette se fait entre elles à parts égales", la première chambre civile de la Cour de cassation considère que si la présence dans l'organisme du patient d'un germe habituellement retrouvé dans les infections nosocomiales, est de nature à faire retenir la responsabilité de la clinique, tenue d'une obligation de résultat dont elle ne peut s'exonérer que par une cause étrangère, elle ne constitue "pas à elle seule la preuve de ce que les mesures d'asepsie qui lui incombaient n'avaient pas été prises".
Une solution justifiée. La solution est pleinement justifiée. Si, dans les rapports entre victimes et responsables, on peut admettre que le juge prenne quelques libertés avec la rigueur juridique pour forcer la qualification de faute, en quelque sorte "pour la bonne cause", dans les rapports entre coauteurs cette nécessité n'existe plus, chacun étant d'ailleurs assuré pour garantir ses propres risques. Le fait d'avoir été à l'origine de l'infection ne signifie donc pas avoir commis une faute, sauf à retenir de la faute une conception purement virtuelle qui ne se justifie pas ici.
Actualité de la solution. La solution, dégagée sous l'empire du droit d'avant 2002, est également pertinente dans le cadre de l'application de l'article L. 1142-17, alinéa 7, du Code de la santé publique (N° Lexbase : L4429DLM). On sait, en effet, qu'en vertu de ce texte l'ONIAM, qui doit indemniser la victime décédée ou présentant un taux d'APIPP supérieur à 25 %, peut exercer un recours contre l'établissement au sein duquel l'infection a été contractée, sous réserve qu'il ait commis une faute, "notamment le manquement caractérisé aux obligations posées par la réglementation en matière de lutte contre les infections nosocomiales". Cette faute devra donc être également caractérisée par d'autres éléments que la preuve de la contamination nosocomiale.
- Lorsque le taux d'APIPP est supérieur à 25 % seul l'ONIAM peut être condamné (Cass. civ. 1, 19 juin 2013, n° 12-20.433, FS-P+B N° Lexbase : A1988KH4)
Cadre juridique. La loi du 4 mars 2002 n'avait pas prévu de régime particulier en cas d'infections nosocomiales et l'article L. 1142-1 du Code de la santé publique s'appliquait normalement : les professionnels libéraux avaient gagné dans la réforme le retour de la nécessité de prouver leur faute, alors que les établissements demeuraient, comme c'était le cas dans la jurisprudence du Conseil d'Etat et de la Cour de cassation, responsables sans faute. En l'absence de responsable désigné (absence de faute des praticiens, force majeure pour les établissements et les praticiens), l'ONIAM devait indemniser la victime dans les conditions définies par l'article L. 1142-1, II.
La loi "About" du 30 décembre 2002 a voulu diminuer le risque pesant sur les établissements, et leurs assureurs, en prévoyant que désormais ce serait l'ONIAM qui indemniserait directement les victimes les plus graves (20), un recours contre l'assureur de l'établissement demeurant possible en cas de faute commise par ce dernier, notamment dans le respect des règles de prévention des infections (C. santé publ., art. L. 1142-17).
C'est pour avoir ignoré cette architecture que la cour d'appel de Douai se fait ici logiquement censurer.
L'affaire. Un patient avait contracté une infection nosocomiale lors d'une intervention réalisée le 12 mars 2003, et avait dû subir l'amputation d'un membre inférieur et une incapacité permanente partielle de 45%.
En appel, l'ONIAM avait été mis hors de cause après que les juges eurent retenu que le seul fait qu'il y ait eu contamination au sein de la clinique suffit à engager la responsabilité de cette dernière de plein droit dès lors qu'elle ne rapporte pas la preuve d'une cause étrangère telle que prévue à l'alinéa 2 de l'article L. 1142-1, I du Code de la santé publique, que l'obligation légale de l'ONIAM, qui est subsidiaire, ne saurait de ce fait être mise en oeuvre et que le seuil de 25 % n'est applicable que dans le cas où la responsabilité d'un professionnel ou d'un établissement de santé n'est pas engagée.
L'arrêt est cassé, au visa des articles L. 1142-1, I, alinéa 2, et L. 1142-1-1 (N° Lexbase : L1859IEL) du Code de la santé publique.
Une cassation justifiée. La cassation est pleinement justifiée et on ne comprend d'ailleurs pas comment la juridiction d'appel a pu se tromper à ce point sur la nature du régime d'indemnisation issu de la loi "About" qui a désigné l'ONIAM comme devant indemniser directement les victimes, et non pas subsidiairement.
La nature de ce régime avait d'ailleurs déjà été précisée lorsqu'il s'était agi de déterminer les modalités d'application dans le temps du nouvel article L. 1142-1-1, certains prétendant qu'il ne s'agirait pas d'un nouveau régime d'indemnisation mais d'un simple correctif interprétatif de l'article L. 1142-1. On sait que la Cour de cassation a logiquement affirmé la nouveauté du régime qui ne pouvait donc s'appliquer qu'aux infections contractées à compter du 1er janvier 2003, et les différences qui l'opposent au régime initial (21).
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Réf. : Cass. civ. 2, 4 juillet 2013, n° 12-23.915, F-P+B (N° Lexbase : A5465KIA)
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N8048BTA
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Le 18 Juillet 2013
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Réf. : Cass. civ. 1, 10 juillet 2013, n° 12-21.314, FS-P+B+I (N° Lexbase : A8065KIK)
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N8136BTI
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Le 24 Juillet 2013
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