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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication
Le 27 Mars 2014
On peut concevoir qu'il n'est pas du ressort des magistrats "d'imaginer" la vie qu'aurait pu mener telle victime ayant subi un grave accident du travail, tel parieur ayant misé sa fortune sur une course hippique au cours de laquelle des irrégularités ont été constatées, comme l'évolution de la carrière professionnelle d'un représentant syndical discriminé ou celle, tout aussi classique, d'un brillant étudiant empêché de passer un examen.
L'on sait qu'en droit français, la perte d'une chance est considérée comme un dommage certain. La belle affaire. Caractériser la disparition, par l'effet du délit, de la probabilité d'un événement favorable : voilà toute la difficulté d'exercice des juges aux vues des preuves apportées par la victime et son conseil. Seule constitue une perte de chance réparable, la disparition actuelle et certaine d'une éventualité favorable, enseigne la jurisprudence la plus constante ; les Hauts magistrats rappelant régulièrement que la perte de chance hypothétique n'est pas, en revanche, réparable. Un risque, fût-il certain, ne suffit pas à caractériser la perte certaine d'une chance, le préjudice qui en résulte étant purement éventuel. Aussi bien, la réparation de la perte d'une chance suppose de rechercher la réalité de la chance perdue. Et, s'il est certain que la personne a perdu une chance, seule l'étendue du préjudice résultant de la chance perdue peut être incertaine.
On comprend, alors, qu'à travers cette seule question de droit, c'est toute l'épistémologie nouvelle de Leibniz, source du droit moderne et positif, qui est à nouveau consacrée face au "despotisme" de la Justice divine chère aux Anciens. La théorie de la perte de chance, telle est l'incarnation de la Justice humaine, émanation de la Raison, exemple topique de la science du juste.
Pourtant, on aura beau ergoter pour rationaliser l'éventuel et la probabilité, il n'en demeure pas moins qu'il faut une sacrée dose d'extrapolation pour permettre concrètement l'indemnisation, même partielle, du préjudice incertain du fait d'une perte de chance certaine. Et, cela explique sans doute le faible taux d'indemnisation des justiciables s'estimant victimes, notamment, d'une perte-diminution de promotion professionnelle. La forte probabilité n'est pas la résultante d'une simple statistique ; et la Chambre criminelle a eu récemment l'occasion de rappeler que la "perte de chance de vie" n'est pas caractérisée, dès lors que le droit de vivre jusqu'à un âge statistiquement déterminé n'est pas suffisamment certain au regard des aléas innombrables de la vie quotidienne et des fluctuations de l'état de santé de toute personne. Ainsi, et dans le même sens, le seul fait d'avoir postulé pour une promotion et d'estimer remplir les conditions de celle-ci ne démontre pas une chance réelle de promotion professionnelle (comme telle indemnisable sur le fondement de la perte de chance).
"Simple attention aux détails" pour Churchill ; c'est dans l'enchaînement des circonstances favorables et la cohérence des détails de la vie de la victime que le juge décèlera la chance réelle et certaine ainsi perdue, jusqu'à....
Jusqu'à ce que la justice, elle-même, soit happée par la fiction d'un métavers quelconque, tel ce Second life qui hante la toile depuis 2003 ; un de ces univers plus parallèles que virtuels, où des avatars plus humains que nature vivent l'autre vie que leurs commanditaires auraient pu ou auraient aimé avoir. Il ne s'agit pas, ici, d'un énième jeu vidéo à la conquête de tel ou tel Graal ; non, on y recrute, on y consomme, on s'y forme, on y échange musiques, livres, et autres biens culturels, on y bâtit une autre vie dans cet autre monde. Alors, dans cette quête de la Raison, ce culte du libre-arbitre, cette recherche du "risque zéro", imaginons la modulation judiciaire d'une vie entière, à travers ces métavers, à partir des données factuelles les plus élémentaires de la victime, et demain (ou presque), ce sera la fin des "pronostics", selon la formule d'Alain Bénabent. Rien ne sera plus simple que de quantifier la valeur d'une chance perdue, que de mesurer le caractère aléatoire de cette dernière, puisque le préjudice, même virtuel, deviendra certain et donc sa cause réelle.
A legal fiction, legal fiction et demie... César ne disait-il pas qu'il poursuivrait sa chance jusqu'au fond de l'eau ?
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par Véronique Nicolas, Professeur, doyen de la Faculté de droit de l'Université de Nantes, en collaboration avec Sébastien Beaugendre, Maître de conférences et avocat au barreau de Paris, membres de l'IRDP (Institut de recherche en droit privé)
Le 13 Juin 2013
Même après tant d'années de mise en oeuvre, la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985, tendant à l'amélioration de la situation des victimes d'accidents de la circulation et à l'accélération des procédures d'indemnisation (N° Lexbase : L7887AG9), donne lieu à un contentieux certes résiduel mais non inexistant (1). Et, parce que la loi n'a sans doute pas été assez précise, il porte souvent sur la question des délais fixés dans l'article L. 211-9 du Code des assurances N° Lexbase : L6229DIK) et de leur calcul à compter ou non de tel ou tel événement. Plus ou moins stricte sur le sujet, la Cour de cassation rend encore des arrêts dont la solution n'était pas acquise.
Tel est le cas de cette affaire rendue par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation en date du 23 mai 2013. Ce n'est pas le premier moyen qui appelle le présent commentaire, mais le second pris en sa seconde branche, relatif au respect des articles L. 211-9 et L. 211-13 (N° Lexbase : L0274AAE) du Code des assurances. La Cour de cassation rappelle, selon une formule désormais classique et extraite du texte lui-même, que : "le montant de l'indemnité offerte par l'assureur ou allouée par le juge à la victime produit intérêt de plein droit au double du taux de l'intérêt légal à compter de l'expiration du délai et jusqu'au jour de l'offre ou du jugement devenu définitif". En réalité, ce n'est pas l'application de la sanction contenue dans cette formule qui justifie la cassation de notre Haute juridiction de droit privé, mais les délais impartis. Et, une fois encore, ce sont les calculs de ces délais qui furent l'objet de discussion et de contestations.
L'espèce apporte peu au raisonnement juridique. Le conducteur d'un ensemble routier agricole (peu importe), a été blessé au cours d'un accident de la circulation impliquant un autre véhicule. Et si la première et la troisième branche de cet arrêt ne nous intéressent pas vraiment dans un commentaire centré sur le droit des assurances, il convient cependant d'indiquer que l'assureur, sur le fondement de l'article 4 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1113H4Y), soutenait que la sanction du doublement du taux de l'intérêt légal devait avoir pour assiette l'indemnité offerte par l'assureur. Or la cour d'appel ne l'avait pas suivi sur ce point, ce qu'il lui reprochait. La question de fond porte sur le point de départ à prendre en considération : est-ce l'indemnité offerte par l'assureur ? C'est la solution qui ne convient pas à la Cour de cassation qui casse l'orientation prise par la cour d'appel.
Plus précisément, c'est la formule complète retenue par la cour d'appel qui heurte nos Hauts magistrats. Elle déclare, en effet, que "les parties s'accordent sur la date à laquelle l'assureur a transmis une offre d'indemnisation [...] ; que les parties admettent également que ce taux majoré s'arrête à la date de signification des conclusions formulant une offre, à supposer que cette offre soit admissible ; [...] que ces conclusions arrêtent donc le cours du doublement des intérêts [...]". Il est permis de s'étonner de cette souplesse dont faisaient ainsi preuve les juges du fond, en contradiction avec la rigueur globale des textes sur cette sanction applicable même en cas de simple erreur ou maladresse formelle. Ce que fustige aussi la Cour de cassation dans la présente affaire s'entend de l'imprécision de l'option proposée par les premiers juges.
Elle ne se prive donc pas de rappeler ce qui peut apparaître comme une évidence : "[d'une part] qu'une pénalité dont l'assiette est fixée à la totalité des sommes allouées par le juge ne peut avoir pour terme que la date de la décision devenue définitive, d'autre part, que lorsque l'offre d'indemnité de l'assureur est tenue pour suffisante et que sa date est retenue comme terme de la sanction, son montant constitue l'assiette de la sanction". La cour d'appel a donc violé les articles L. 211-9 et L. 211-13 du Code des assurances. Il convient d'approuver la rectification effectuée par notre juridiction suprême, ainsi que son souci de précision : deux aspects distincts.
Pour commencer, il faut se féliciter de son souci de rigueur dans la mise en oeuvre de ces textes. En effet, opter pour la date de l'offre effectuée par l'assureur en matière d'indemnité à la victime d'un accident de la circulation, ne correspond en rien aux principes tant du droit commun que du droit des assurances. Ce dernier, au-delà de l'actuel sujet, repose sur un principe latent, qui apparaît si évident, qu'il n'est énoncé, de manière claire, nette et précise nulle part, alors que la doctrine, comme la jurisprudence considère comme une évidence : le dommage (et sa réparation) ne doit pas être aux mains des parties.
La matière même de l'assurance repose sur ce dogme majeur : l'événement, le risque doit dépendre du hasard et non de la volonté des protagonistes. L'idée relève tant de l'évidence qu'elle ne figure pas dans la loi du 13 juillet 1930, ni dans la codification de 1976. Admettre un début de souplesse en ce domaine reviendrait à faciliter les manoeuvres destinées, pour l'assureur, à payer le moins possible. Et cette réalité ne saurait se limiter à la seule survenance de l'accident à l'origine de l'intervention de l'assureur, elle suppose que toute circonstance conditionnant la mise en oeuvre de la prestation de l'assureur ne dépende pas de la volonté ou de la décision de celui-ci. A fortiori n'y-a-t-il pas de place pour le moindre doute lorsque la détermination de l'assiette de calcul de la sanction financière dépend d'une décision de justice, seule date et donc point de départ pouvant être pris en compte.
Néanmoins, il convient de ne pas fustiger les propos de la cour d'appel. En effet, de la lecture de la jurisprudence antérieure, il ressort qu'un doute pouvait exister sur le point de départ adopté pour calculer les sommes dues. La Cour de cassation avait indiqué, lors des premières années d'application de la loi du 5 juillet 1985, que le point de départ du délai de huit mois était fixé au jour de l'accident (Cass. civ. 2, 4 juin 1997, n° 94-21.881 N° Lexbase : A0171ACC, Bull. civ. II, n°164), tout en semblant admettre que le point de départ du délai de trois mois est le jour de la demande, par la victime, effectuée auprès de l'assureur. C'est sans doute cette seconde possibilité qui a ouvert la voie à des analyses telles que celle adoptée par la cour d'appel. Et l'article lui-même comprend bien une dualité de possibilité "[...] jusqu'au jour de l'offre ou du jugement devenu définitif [...]". Sans doute, des sommes considérables ne seront-elles pas en jeu. Pour autant, il est indispensable d'être précis ; c'est l'autre aspect et intérêt du présent arrêt comme à chaque fois que la Cour de cassation est invitée à réfléchir à des données chiffrées, jamais factuelles et comptables, mais illustrant le raisonnement à l'origine de l'orientation prise.
Précision de détail peut-être, mais qui évitera sans doute à de nombreux avocats de perdre des dossiers. La théorie ne constitue pas la seule préoccupation des juristes, même universitaires.
Véronique Nicolas, Doyen de la faculté de droit de Nantes, Professeur agrégé, Directrice du master II "Responsabilité civile et assurances", membre de l'IRDP
Cet arrêt du 29 mai 2013, destiné à la publication au Bulletin, intéressera tous les avocats qui interviennent en droit des assurances et au-delà, tous ceux qui réfléchissent aux rapports entre cette branche du droit et la responsabilité civile.
L'espèce puise ses racines dans le droit de la construction, puisqu'un couple de maîtres de l'ouvrage, victimes de désordres, a confié la défense de ses intérêts à un avocat. La lecture du pourvoi permet de comprendre qu'il s'agit de travaux d'exhaussement qui n'ont pas été conformes (hauteur insuffisante semble-t-il).
L'avocat n'a pas agi dans le délai biennal contre l'assureur dommages-ouvrage pour faire pré-financer les travaux de reprise nécessaires. Ses clients ont mis en cause sa responsabilité civile.
La question de droit qui motivera la saisine de la Cour de cassation porte sur l'évaluation du préjudice souffert par ses clients, donc sur la dette de responsabilité de l'avocat.
Y-a-t-il lieu de déterminer ce montant en le faisant correspondre à l'indemnité d'assurance qu'aurait versée l'assureur dommages-ouvrage s'il avait été dûment saisi ? L'avocat peut-il exciper de moyens qu'aurait pu opposer l'assureur dommages-ouvrage à l'assuré ?
Les motifs de la Cour de cassation éclairent ces deux questions de la façon suivante :
"Mais attendu qu'ayant relevé que les époux X demandaient réparation des dommages résultant de la faute de leur avocat, la cour d'appel a exactement retenu, sans méconnaître le principe de la réparation intégrale, que même si elle était calculée par référence au coût de financement des travaux nécessaires à la réparation, la somme allouée n'était pas soumise au régime et aux mécanismes de l'assurance dommages-ouvrage et que, dès lors, les époux X n'étaient pas tenus de justifier de l'emploi des fonds obtenus".
La demande faite par l'avocat (ou plus exactement son assureur RC) de se prévaloir du régime applicable à l'assureur dommages ouvrage était manifestement infondée.
En effet, si l'assureur dommages-ouvrage peut exiger que l'indemnité qu'il verse serve effectivement à réparer, c'est parce que l'article L. 121-17 du Code des assurances (N° Lexbase : L0093AAP) en dispose expressément ainsi : "les indemnités versées en réparation d'un dommage causé à un immeuble bâti doivent être utilisées pour la remise en état effective de cet immeuble [...]. Toute clause contraire dans les contrats d'assurance est nulle d'ordre public". Les sommes versées servent à financer des travaux de reprise.
Tel n'est pas le cas des dommages-intérêts en cas de responsabilité contractuelle pour faute de l'avocat, qui doivent se voir appliquer le régime ordinaire caractérisé par un principe de non-affectation des sommes versées. On se souviendra peut-être qu'en droit du bail, un arrêt du 30 janvier 2012 (Cass. civ. 3, 30 janvier 2002, n° 00-15.784, FS-P+B+I N° Lexbase : A8965AXC) a énoncé le principe selon lequel "l'indemnisation du bailleur en raison de l'inexécution par le preneur des réparations locatives prévues au bail n'est [pas] subordonnée à l'exécution de ces réparations". Le bailleur n'est pas obligé de réparer le local avec les indemnités du locataire n'ayant pas effectué les réparations locatives ou ayant dégradé.
Rien ne justifie de déroger à ce principe de non-affectation pour l'avocat comme on le fait pour l'assureur dommages-ouvrage ; la responsabilité contractuelle de l'avocat ne relève ni du régime, ni des mécanismes de l'assurance dommages-ouvrage. S'il s'agit de compenser par des dommages-intérêts la situation dommageable causée et de replacer la victime dans la même situation que celle qui eût été la sienne sans cette faute, l'avocat n'est pas tenu au même titre que l'assureur et ne peut pas se prévaloir du régime propre à ce dernier.
L'arrêt doit être approuvé sans réserve sur ce point. Nous sommes davantage surpris par le laconisme de la formule de la Cour de cassation selon laquelle la somme allouée par la cour d'appel a été "calculée par référence au coût de financement des travaux nécessaires à la réparation".
Il nous semble surprenant de n'y voir aucune mention d'une perte de chance. Rappelons que, traditionnellement, la mise en jeu de la responsabilité civile professionnelle d'un avocat conduit à évaluer le préjudice infligé à son client à l'aune de la perte de chance que cette faute a engendrée (là-dessus, nous renvoyons à la chronique de notre collègue David Bakouche, cf. Chronique de responsabilité professionnelle - Juin 2013, Lexbase Hebdo n° 151 du 13 juin 2013 - édition professions N° Lexbase : N7464BTM).
En effet, en pareil cas, les juges du fond doivent évaluer la probabilité de réalisation d'un événement favorable et fixer une réparation proportionnellement à cette occurrence. Cela se vérifie de manière récurrente en jurisprudence. Citons deux arrêts récents en la matière :
- un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 25 novembre 2010 (2), dans lequel une société d'architectes engage une action en responsabilité contre une société d'avocats, lui reprochant de ne pas lui avoir conseillé d'interjeter appel d'un jugement de 1999 et de lui avoir ainsi fait perdre la chance d'obtenir une décision plus favorable. Pour déterminer le quantum du préjudice, la Haute juridiction censure l'évaluation faite par les juges du fond qui devaient s'en tenir à évaluer les chances de succès sans intégrer des "perspectives de recouvrement étrangères aux chances de succès de l'action envisagée" ;
- un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 6 octobre 2011 (2), dans lequel la Cour de cassation énonce que "la perte de chance subie par le justiciable qui a été privé de la possibilité de former un pourvoi en cassation par la faute d'un auxiliaire de justice se mesure à la seule probabilité de succès de cette voie de recours".
En outre, on se souvient que la Cour de cassation a, par un arrêt du 9 avril 2002 (3), posé en principe que "la réparation de la perte d'une chance doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée".
L'application de cette règle à notre affaire aurait donc dû conduire les juges du fond à raisonner en deux temps.
Premier temps : analyse de la probabilité qu'en cas de saisine dans le délai biennal, l'assureur dommages-ouvrage ait dû s'exécuter et pré-financer les travaux. Cette probabilité est haute, sauf à imaginer une fausse déclaration (intentionnelle non intentionnelle de l'assuré) ou une possibilité de contester le caractère décennal des désordres.
Second temps : application d'un pourcentage proportionnel à l'avantage attendu (ici l'indemnité d'assurance), ce qui conduit en théorie et usuellement à une somme moindre. Compte-tenu du pouvoir souverain des juges du fond, ceux-ci peuvent, dans les faits, allouer une somme quasi-identique. En atteste un arrêt du 8 novembre 2011 (4), dans lequel la Cour énonce "Mais attendu que l'arrêt, après avoir condamné les cautions à payer à la caisse la somme de 283 158, 95 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 12 février 2010, a condamné cette dernière à leur payer la somme de 283 157,95 euros, ce dont il résulte que la différence est supérieure à un euro et que la réparation de la perte de chance n'a pas été égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée ; que c'est dès lors dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation que la cour d'appel a évalué le montant du préjudice".
L'arrêt rapporté ne rentre pas dans ce niveau de détail, laissant le quantum au domaine des faits, donc à l'appréciation des juges du fond. On peut le regretter, car la lecture du pourvoi permet de comprendre que les juges d'appel avaient alloué une somme de 50 872,87 euros aux maîtres de l'ouvrage. Or, l'assureur de responsabilité civile de l'avocat sollicitait une limitation de ce montant à la somme de 33 599,34 euros correspondant au montant apparemment évalué par expertise judiciaire du coût des travaux de démolition des travaux affectés d'une malfaçon.
Est-ce à dire qu'ici l'avocat aurait été ici plus lourdement condamné que ne l'aurait été l'assureur dommages-ouvrage si celui-ci avait été dûment assigné ? On n'ose l'imaginer car les principes d'évaluation d'une perte d'une chance auraient été bafoués...
Sébastien Beaugendre, Maître de conférences à la Faculté de droit de l'Université de Nantes, membre de l'IRDP, Avocat au barreau de Paris, Cabinet Hubert Bensoussan
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Réf. : Cass. crim., 23 mai 2013, 2 arrêts, FS-P+B, n° 12-83.721 (N° Lexbase : A9193KDT) et n° 12-83.780, FS-P+B (N° Lexbase : A9114KDW)
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N7458BTE
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par Guillaume Beaussonie, Maître de conférences à l'Université François-Rabelais de Tours
Le 13 Juin 2013
En réponse, la cour d'appel de Nîmes refusait toutes les demandes de renvoi des affaires, relevant notamment, qu'outre le fait qu'un renvoi avait déjà été ordonné afin de permettre l'exercice des droits de la défense, "la nécessité d'assurer la continuité du cours de la justice et celle de permettre le jugement des prévenus dans un délai raisonnable [faisaient] obstacle à ce que l'absence du défenseur choisi et le refus de désignation d'un avocat d'office par l'Ordre des avocats entraînent nécessairement" un tel renvoi. Au surplus, précisait-elle, "la décision prise collectivement par un barreau, de suspendre toute participation des avocats aux audiences de cette chambre [...] pour une durée non précisée, [constituait] une circonstance insurmontable qui [justifiait] que la cour statue sur [les présentes affaires] en l'absence d'un conseil, dès lors que la présence effective de ce dernier [n'était] rendue obligatoire par aucun texte interne ou conventionnel et que toutes les formalités de l'article 417 du Code de procédure pénale [avaient] été accomplies en vue de faire respecter les droits de la défense".
Dans la seconde affaire, la cour d'appel de Nîmes ajoutait à cela que l'exigence de délai raisonnable s'avérait d'autant plus forte que les faits étaient anciens, de même que la date de l'audience qui avait fait l'objet du premier renvoi. De plus, la partie civile était, quant à elle, en état de plaider, et la procédure pénale engagée bloquait une instance prud'homale suspendue depuis plusieurs années dans l'attente de son issue.
A la suite des refus de renvoi opposés par la cour d'appel, certains prévenus avaient finalement sollicité par écrit la désignation d'un avocat commis d'office. Toutefois, le Bâtonnier avait, pour les raisons qui précèdent, refusé de procéder à cette désignation, les audiences s'étant donc poursuivies et les prévenus ayant, en définitive, tous été entendus sur le fond.
Saisie à son tour, la Chambre criminelle de la Cour de cassation rejette -sur ce point du moins- les différents pourvois formés contre les arrêts de la cour d'appel de Nîmes. Fidèle à son habitude, la Cour de cassation s'avère cependant plus laconique dans sa motivation : selon elle, il ressort simplement des arrêts attaqués que "la décision d'un barreau de suspendre sa participation aux audiences constitue une circonstance insurmontable justifiant que l'affaire soit retenue sans la présence d'un avocat". Sauf à préciser un peu malheureusement, dans la seconde affaire, qu'"en refusant la désignation d'un avocat d'office et en quittant la salle d'audience, les prévenus n'ont pas entendu faire valoir leurs moyens de défense". La première affaire, où le contraire s'est produit, montre pourtant que cela n'aurait pas changé grand chose...
Que retenir de tout cela ? Une certaine conception de la circonstance insurmontable, sans aucun doute, qui, d'une part, est de nature à justifier que soit mis à l'écart le droit d'un prévenu d'être assisté par son avocat durant une audience correctionnelle, et qui, d'autre part, s'apprécie davantage au regard de l'intérêt général, incarné par un procès qui doit s'achever, qu'au regard des intérêts particuliers des prévenus.
Cette prévalence sans grande nuance de l'efficacité sur la sécurité -toutes deux entendues au sens procédural- aboutit, bien logiquement, à une tautologie : la circonstance insurmontable en cause dans ces arrêts justifie l'absence de l'avocat des prévenus durant l'audience correctionnelle (I), et elle se justifie par l'absence d'un avocat immédiatement disponible pour la justice pénale (II).
I - Une circonstance insurmontable justifiant l'absence d'avocat durant l'audience
Si la "circonstance insurmontable" n'est pas une inconnue en procédure pénale, celle-ci justifiant par exemple certains retards pris par les enquêteurs dans les diligences qui leur incombent en matière de garde à vue (2), son utilisation durant une audience correctionnelle apparaît inédite. La circonstance insurmontable semble alors devenir une cause générale de justification de certaines atténuations portées aux droits de la défense (A), le droit atténué en l'espèce étant celui d'être assisté par un défenseur (B).
A - L'atténuation des droits de la défense
Il n'existe pas de règle générale en vertu de laquelle toute circonstance insurmontable, en procédure pénale, autorise une atténuation des droits de la défense. Force est cependant de constater que nombre de dispositions et de décisions s'y réfèrent pour justifier de telles limitations.
Parfois, la circonstance insurmontable est une cause légale d'inapplication d'une règle elle-même légale : absence de remise en liberté d'une personne retenue à la suite d'un mandat d'amener malgré le non-respect des délais imposés (3) ; absence de mainlevée d'un placement sous contrôle judiciaire ou sous assignation à résidence avec surveillance électronique malgré le non-respect du délai dont dispose la chambre de l'instruction pour statuer sur de telles demandes ; idem en matière de détention provisoire (4) ; absence de remise en liberté d'une personne arrêtée mais non transférée à la maison d'arrêt du ressort de la cour d'appel de Paris dans les délais requis, en matière de crimes internationaux (5) ; etc..
Parfois, comme c'est le cas en l'espèce, c'est la jurisprudence qui se réfère à l'existence d'une circonstance insurmontable, sans que le texte concerné ait préalablement prévu le recours à cette forme d'atténuation de ses exigences. Par exemple, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a pu considérer que la circonstance imprévisible et insurmontable que constitue une grève des personnels pénitentiaires peut opérer validation du non-respect de l'article 114, alinéa 2, du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L8632HWM), dès lors qu'il n'a pas été porté atteinte aux intérêts de la partie concernée (6). On retrouve d'ailleurs déjà, dans ces hypothèses jurisprudentielles, le cas du mouvement collectif d'un barreau (7).
Que faut-il, en définitive, entendre par "circonstance insurmontable" ? Sans faire l'objet d'une définition précise par le Code de procédure pénale et la jurisprudence, la circonstance insurmontable paraît être à la procédure pénale ce que la force majeure est au droit civil : un évènement qui se caractérise par son irrésistibilité. Sa réalisation justifie que l'application d'une règle -la plupart du temps protectrice- soit écartée, parce que l'autorité qui était en charge de la mettre en oeuvre se trouvait alors dans l'impossibilité de le faire.
La mesure de cette impossibilité réside certainement dans l'appréciation du caractère insurmontable de la circonstance. Avant d'approfondir ce point, ce à quoi incitent également les arrêts rendus par la Chambre criminelle, il faut voir quelle règle a, en l'occurrence, été atténuée par l'existence d'une circonstance impossible à surmonter.
B - L'atténuation du droit à l'assistance d'un défenseur
C'est, sans véritable surprise, l'article 417 du Code de procédure pénale qui est en cause dans ces deux arrêts rendus le 23 mai 2013. Ce texte suscite un contentieux relativement important, puisqu'il a pour objet de déterminer la mesure de l'intervention de l'avocat du prévenu durant l'audience correctionnelle. Dès lors qu'il ne s'agit pas d'imposer sa présence, il est effectivement nécessaire de trouver un équilibre entre l'existence et l'absence d'un défenseur. Or, à l'examen, il appert que cet équilibre n'est pas si facile à atteindre.
Certaines décisions encouragent à la présence de l'avocat, par exemple en considérant que le droit à l'assistance d'un défenseur lors de l'audience correctionnelle implique, non seulement, que le prévenu ait pu en bénéficier lorsqu'il en a manifesté le souhait, mais encore qu'il ait été préalablement informé de cette prérogative (8).
D'autres décisions, comme les arrêts du 23 mai 2013, entretiennent en revanche une conception restrictive du droit à l'assistance d'un défenseur au stade de l'audience correctionnelle. Par exemple, a pu être jugé par la Cour de cassation que "les conditions météorologiques qui n'ont pas empêché le prévenu de se rendre à l'audience ne constituent pas un cas de force majeure justifiant l'absence de l'avocat choisi par le prévenu" (9). En conséquence, le renvoi demandé par le prévenu a été rejeté.
Qu'en conclure relativement à ce droit parfois limité à l'assistance d'un défenseur durant l'audience correctionnelle ? La Chambre criminelle de la Cour de cassation a, à plusieurs reprises, considéré que l'article 417 du Code de procédure pénale n'était pas contraire à l'article 6 § 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L7558AIR), du moins en ce que ce texte n'impose pas la présence de l'avocat durant une audience pénale. Cela est sans doute vrai, à une condition cependant : que le droit de bénéficier de cette présence soit effectif lorsqu'il prétend être exercé.
Or, après d'autres, les arrêts du 23 mai 2013 démontrent qu'en raison du choix qui a été fait de consacrer un droit plutôt qu'une obligation, la volonté du prévenu ne sera pas toujours entendue. Cela reste cependant acceptable, aux seules conditions, soit que d'autres impératifs que la protection des droits du mis en cause s'imposent pour justifier l'affaiblissement de sa défense, soit que l'on ne puisse faire autrement.
A la lecture des arrêts du 23 mai 2013, où la cour d'appel de Nîmes motivait ses décisions sur les deux terrains à la fois, la Chambre criminelle de la Cour de cassation ne retient que le dernier chemin : celui qui, selon elle, la place dans l'obligation de contourner la protection en raison de l'existence d'une "circonstance insurmontable".
II - Une circonstance insurmontable justifiée par l'absence d'avocat à la disposition de la justice
Dans ces deux arrêts rendus le 23 mai 2013, la Chambre criminelle de la Cour de cassation perçoit comme insurmontable l'indisponibilité immédiate, pour la justice, de l'ensemble des avocats compétents.
De cet état de fait constaté en début d'audience (A), elle tire comme conséquence nécessaire que l'audience doit se poursuivre sans avocat (B).
A - La cause : une audience débutée sans avocats
La cause des décisions de la Cour de cassation réside donc dans l'existence d'une circonstance perçue comme insurmontable : l'indisponibilité immédiate de l'ensemble des avocats compétents en raison d'un mouvement collectif.
Indisponibilité immédiate, car rien ne dit que ces avocats n'auraient pas été disponibles lors d'une prochaine audience, à la condition bien sûr que la juridiction ait accordé le renvoi.
Ensemble des avocats compétents, car c'est tout le barreau qui était concerné par le mouvement, or la commission d'office d'un avocat par le président du tribunal correctionnel s'opère nécessairement au sein dudit barreau. Au surplus, le Bâtonnier lui-même participait au mouvement.
Pour autant, l'appréciation du caractère insurmontable de cette absence provisoire d'avocat à la disposition de la juridiction correctionnelle ne s'arrêtait pas à ce simple constat, en soi insuffisant à expliquer en quoi on ne pouvait y remédier.
Il est, en effet, une donnée temporelle qui semble entrer en ligne de compte, même si seule la cour d'appel de Nîmes s'y réfère expressément : l'exigence de respect d'un délai raisonnable, d'autant plus prégnante que, dans les deux affaires, un premier renvoi avait été concédé, explique sans aucun doute que plus de temps ne puisse être accordé à l'attente d'un dénouement du mouvement collectif amorcé par les avocats. Si le temps n'était pas une donnée fondamentale dans l'appréciation de la circonstance, on ne comprend pas bien ce que celle-ci aurait de véritablement insurmontable. Le temps, cependant, renvoie lui-même à d'autres impératifs encore, principalement celui d'assurer la continuité du cours de la justice -comme le souligne de nouveau la cour d'appel de Nîmes-, ainsi que sa réalisation -il faut bien trancher le litige-.
Dans un arrêt précédent, très comparable à ceux du 23 mai 2013, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a d'ailleurs précisément retenu ces motifs pour justifier sa décision : "si l'article 417 du Code de procédure pénale, comme l'article 6 § 3 c de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, reconnaissent au prévenu le droit de se faire assister par un défenseur de son choix, la nécessité d'assurer la continuité du cours de la justice et celle de permettre le jugement des prévenus dans un délai raisonnable font obstacle à ce que l'absence du défenseur choisi entraîne nécessairement le renvoi de l'affaire" (10).
C'est donc une "insurmontabilité" très relative qui se trouve finalement consacrée dans les arrêts du 23 mai 2013 : c'est une "insurmontabilité" à partir d'un certain seuil temporel, celui d'un éventuel second renvoi, en l'occurrence refusé.
B - La conséquence : une audience poursuivie sans avocats
Parce qu'il existait une circonstance insurmontable au regard de la Cour de cassation, les audiences correctionnelles ont donc légitimement suivi leurs cours sans les avocats des prévenus. Il ne reste alors qu'à se demander si une telle décision peut se justifier en considération des droits de la défense dont ces derniers doivent bénéficier.
Dans un certain nombre de cas, en effet, la Chambre criminelle de la Cour de cassation, lorsqu'elle justifie l'écart pris par une autorité des règles protectrices du Code de procédure pénale, vérifie s'il n'a pas été porté une atteinte aux intérêts de la personne concernée. Pour reprendre un exemple déjà donné, elle a ainsi pu considérer que le non-respect des exigences de l'article 114, alinéa 2, du Code de procédure pénale ne nécessitait pas de sanction, en cas de circonstance insurmontable, dès lors qu'il n'a pas été porté atteinte aux intérêts de la partie concernée (11).
Dans le second arrêt rendu le 23 mai 2013, cette idée n'est pas absente, qui transparaît à travers la volonté de la Cour de cassation de mettre en avant, au sein de ses motifs, le fait qu'"en refusant la désignation d'un avocat d'office et en quittant la salle d'audience, les prévenus n'ont pas entendu faire valoir leurs moyens de défense".
Pour autant, outre que cette autre raison de la solution rendue par la Chambre criminelle n'apparaît que dans ce second arrêt, celle-ci ne pouvant donc prétendre participer d'une explication générale des deux décisions, la logique qui préside à l'établissement d'une telle solution reste, très clairement, de faire privilégier l'intérêt général -entendu comme celui de la justice- sur les intérêts particuliers.
En creux, et plus largement, cela renseigne assurément sur ce que demeure le procès pénal qui, bien que devant toujours s'accomplir dans le respect d'un équilibre subtil entre les intérêts publics et les intérêts privés, n'en doit pas moins s'accomplir, lorsque cet équilibre n'a pas pu être trouvé. Autrement dit, c'est l'intérêt général qui finit toujours par primer !
(1) C. proc. pén., art. 274 (N° Lexbase : L3663AZP).
(2) C. proc. pén., art. 63-2 (N° Lexbase : L9744IPL) et 63-3 (N° Lexbase : L9745IPM).
(3) C. proc. pén., art. 130-1 (N° Lexbase : L3478AZT).
(4) C. proc. pén., art. 194 (N° Lexbase : L3906IR4).
(5) C. proc. pén., art. 627-6 (N° Lexbase : L3845IRT).
(6) Cass. crim., 5 mars 2002, n° 01-88.625 (N° Lexbase : A9054CMB), Procédures, 2002, comm. 146, obs. J. Buisson.
(7) Cass. crim., 9 mai 1994, n° 94-80.802 (N° Lexbase : A8711ABA) ; Cass. crim., 15 février 1995, n° 94-85.251 (N° Lexbase : A5177CTW).
(8) Cass. crim., 24 novembre 2010, deux arrêts, n° 10-80.551, F-P+B (N° Lexbase : A2769GNU) et n° 10-82.772, FS-P+B (N° Lexbase : A2788GNL). Voir les observations de M. Sanchez in Chronique de procédure pénale - Janvier 2011, Lexbase Hebdo n° 424 du 20 janvier 2011 - édition privée (N° Lexbase : N1565BRE).
(9) Cass. crim., 17 janvier 1996, n° 95-82.114 (N° Lexbase : A9152ABL), Procédures, 1996, comm. 192, obs. J. Buisson.
(10) Cass. crim., 17 janvier 1996, n° 95-82.114, préc..
(11) Cass. crim., 5 mars 2002, préc. note 6.
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Réf. : Cass. com., 28 mai 2013, n° 11-26.423, FS-P+B (N° Lexbase : A9454KEU)
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par Jean-Baptiste Lenhof, Maître de conférences à l'ENS - Cachan Antenne de Bretagne, Membre du centre de droit financier de l'Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne)
Le 13 Juin 2013
I - Nature du recours formé contre une dérogation à l'obligation de déposer une offre publique
La nature du recours contre une décision de dérogation à l'obligation de déposer une offre publique conditionne le jeu de garanties procédurales ainsi qu'en atteste la position du juge du droit quant à la question de la transmission du dossier ayant servi à l'AMF pour étayer sa décision (A). L'analyse de ce recours fait, en effet, apparaître que son objet (B) n'est pas l'appel mais une voie de droit spécifique dont l'étroitesse limite significativement le champ d'action des actionnaires minoritaires.
A - La transmission du dossier devant l'AMF et le recours contre l'ordonnance
La demande de transmission du dossier ayant été rejetée par l'ordonnance du 17 février 2011, l'ADAM prétendait, devant la Cour de cassation, établir la violation des articles 15 (N° Lexbase : L1132H4P) et 16 (N° Lexbase : L1133H4Q) du Code de procédure civile, ensemble l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (N° Lexbase : L7558AIR). Sous l'égide du principe du droit à un procès équitable, l'association soutenait, en effet, que ledit principe emportait, pour une partie, la faculté de prendre connaissance "des observations et des pièces produites par l'autre", ainsi que de "toute pièce présentée au juge en vue d'influencer sa décision". En l'espèce, l'ordonnance, en tant qu'elle refusait toute transmission à l'ADAM, au motif que les documents visés étaient "purement préparatoires, [et] comme tels dénués de toute portée juridique", aurait violé les textes susvisés. Cette première branche du moyen sera, cependant, rejetée par le juge du droit comme étant nouveau et mélangé en fait et en droit. L'ADAM soutenait, en effet, devant la Cour de cassation que les exigences inhérentes au droit à un procès équitable imposaient la production des "pièces" adressées à l'AMF par les demandeurs à la dérogation alors que l'ADAM avait saisi le délégué du premier président d'une demande qui ne tendait qu'à la production "de l'entier dossier" sur lequel le collège de l'AMF avait statué.
La seconde branche du premier moyen ne prospérera pas davantage que la précédente. Fondée sur les articles 234-8, 234-9 et 234-10 du RG de l'AMF, elle sera déclarée inopérante par le juge du droit. Sans s'appesantir plus avant sur cette partie de l'arrêt, il suffira d'indiquer que ce rejet est motivé par l'analyse que fait ultérieurement la Cour de cassation de la nature du recours contre la décision de l'AMF auquel l'ordonnance était liée.
La troisième branche, enfin, reviendra sur la violation prétendue des articles 15 et 16 du Code de procédure civile, ensemble l'article 6 § 1 de la CESDH, prétextant une atteinte aux droits de la défense, notamment en ce que l'ordonnance établissait que l'ADAM devait démontrer une "atteinte concrète" aux droits de sa défense en prouvant ne pas avoir eu entre les mains tous les éléments utiles à l'examen de son recours. Selon l'auteur du pourvoi, cette rédaction emportait exigence d'une "preuve diabolique" consistant à établir les incidences exactes de la non-communication d'un ou plusieurs documents dont elle ne pouvait connaître le contenu. Là également, le juge du droit rejettera laconiquement l'argument, l'estimant "non fondé". Ce laconisme, toutefois, pourrait s'expliquer par la difficulté à répondre à une argumentation parfois maladroite, la rédaction de ce premier moyen ne nous semblant guère convaincante (n'y a-t-il pas lapsus, par exemple, lorsque son auteur critique "la cour d'appel" alors que l'ordonnance émane du délégué du premier président ?).
Il demeure, qu'au delà de cette remarque liminaire, la volonté de l'ADAM d'inscrire son raisonnement sous l'égide des principes issus de l'article 6 § 1 de la CESDH aurait, éventuellement, pu déboucher sur une issue plus favorable, celui-ci étant moins malhabile sur le fond que sur la forme. On se souvient, en effet, mais il est vrai dans un autre domaine, celui des sanctions, que la jurisprudence "Didier" du Conseil d'Etat (2) a accordé aux justiciables un niveau de protection plus important que celui imposé par la Cour européenne des droits de l'Homme en imposant que, dès la phase administrative, c'est-à-dire celle qui relève en l'espèce de la compétence de l'AMF, les garanties procédurales issues de la Convention soient instituées (3). Le domaine de l'arrêt, où les sanctions n'étaient pas en cause, n'exigent sans doute pas la constitution de garanties aussi importantes mais, sans nul doute, la question de la mise en oeuvre des stipulations de la CESDH dans le domaine des décisions de l'AMF ressurgira bientôt devant le juge du droit.
B - Nature du recours et pourvoi formé contre l'arrêt de cour d'appel
C'est, d'ailleurs, toujours sur ce fondement de non-respect de la Convention que repose le deuxième moyen. Celui-ci ne porte plus, cependant, sur l'ordonnance mais sur l'arrêt de la cour d'appel à qui les auteurs du pourvoi avaient demandé de se prononcer sur le caractère incomplet du dossier soumis au collège de l'AMF.
C'est, ainsi, en référence à la violation des articles 15 et 16 du Code de procédure civile, ensemble l'article 6 § 1 de la CESDH que, dans la première branche du moyen, il est reproché à la cour d'appel d'avoir retenu que le recours de l'ADAM ne pouvait "avoir pour objet d'examiner la nature et la teneur de documents purement préparatoires, comme tels dénués de toute portée juridique", alors que le dossier comprenait l'ensemble des pièces et documents reçus par l'AMF.
La seconde branche invoquait, en revanche, un défaut de base légale au regard des articles 234-8, 234-9 et 234 10 du RG de l'AMF la cour d'appel ayant, selon les auteurs du pourvoi, refusé l'annulation de la décision en raison du caractère incomplet du dossier soumis au collège de l'AMF, alors qu'elle aurait dû vérifier que la décision de cette Autorité était "régulière" au regard des pièces et documents qui lui avaient été transmis .
L'argumentation est ici particulièrement confuse, l'ADAM s'écartant, semble-t-il, de sa logique initiale, à savoir le caractère incomplet du dossier sur lequel l'AMF avait fondé sa décision. En effet, la seconde branche fait apparaître que ce qui était reproché à la cour d'appel était, en réalité, de ne pas avoir elle même vérifié, la "régularité" de la décision de l'AMF eu égard au dossier transmis. Il s'agissait, ici, pour l'ADAM de souligner -apparemment- que la cour d'appel n'avait pas rejugé l'affaire, autrement dit, à lire entre les lignes, qu'il n'avait pas donné d'effet dévolutif au recours. Pourtant, la nature de ce type de recours exclut précisément tout effet dévolutif : il n'a pas la nature d'un appel même si, dérogeant aux règles de dévolution contentieuses, c'est le juge judiciaire, à travers la cour d'appel de Paris, qui connaît des recours contre les décisions de l'AMF (4).
Sur ce point, la jurisprudence est constante (5) qui a, d'ailleurs, déjà refusé, spécialement, comme en l'espèce, à propos d'une dérogation à l'obligation de dépôt d'une offre publique que la mention de "l'appel" dans la demande, rendait cette dernière irrecevable. Le juge du droit avait précisé, à ce titre, que "l'appel n'est pas ouvert contre les décisions émanant de l'AMF, qui ne peuvent être critiquées devant le juge judiciaire que par la voie du recours prévu par l'article L. 621-30 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L2156IN8)" (6). Le professeur Thierry Bonneau soulignait, à ce propos, que : "l'appel est en effet un recours que l'on exerce contre un jugement rendu par une juridiction du premier degré. Or l'AMF n'est pas une juridiction et ses actes ne sont pas des jugements, mais des décisions de nature administrative', des actes administratifs unilatéraux comme l'ont souligné des auteurs à propos de la décision de recevabilité d'une offre publique"(7).
Le juge du droit va donc, fort logiquement, rejeter ce deuxième moyen, répondant que "le recours ouvert contre la décision de dérogation à l'obligation de dépôt d'un projet d'offre publique a pour objet non d'examiner la nature et la teneur des documents préparés par les services de l'AMF pour le collège mais de vérifier que celui-ci s'est prononcé conformément aux textes applicables en la matière".
II - La contestation des conditions d'attribution de la dérogation
La seconde partie du pourvoi, qui s'appuie davantage sur le droit substantiel que la précédente, s'articule, d'abord, autour de la contestation de la qualification de concert, retenue par la cour d'appel (A), pour s'achever, ensuite, sur la réfutation de la reconnaissance du reclassement (B), séries de conditions à réunir pour obtenir la dérogation à l'obligation de déposer une offre publique, telles qu'édictées par l'article 234-9 du règlement général de l'AMF.
A - Sur le concert et l'appréciation de l'existence d'un groupe familial
L'article 234-9 du RG permet à l'AMF d'accorder une dérogation à l'obligation de déposer une offre publique dans sept cas (8), un seul d'entre eux se rapportant à l'espèce, celui d'une "opération de reclassement ou s'analysant comme un reclassement, entre sociétés ou personnes appartenant à un même groupe". C'est sur ce fondement que la cour d'appel, décidant que les membres de la famille Hermès formaient un groupe au sens de l'article 234-9, 7° du règlement précité, car ils agissaient de concert pour contrôler la société dont ils étaient actionnaires et que ce contrôle, préexistant à la conclusion de la convention du 3 décembre 2010, serait maintenu à l'issue des opérations envisagées, a pu affirmer que l'opération soumise à l'AMF s'analysait comme un reclassement entre personnes appartenant à un même groupe, propre à autoriser l'octroi d'une dérogation.
C'est, donc, à partir de la contestation de la reconnaissance d'un groupe de sociétés que les auteurs du pourvoi semblaient souhaiter démontrer -non sans une certaine complexité- que la dérogation n'avait pu être valablement accordée. Dans la première branche, ils prétendaient, en effet, que la cour d'appel n'avait pu justifier sa décision alors qu'elle avait constaté que les actionnaires "avaient accepté de déposer' leurs actions Hermès international dans les caisses de la société Emile Hermès" en violation, selon eux, de l'article L. 233-10 du Code de commerce (N° Lexbase : L2305INP). Ce dernier, en effet, dispose que le concert est un "accord conclu en vue d'acquérir, de céder ou d'exercer des droits de vote". Ainsi, le fait de "déposer" les actions, si nous comprenons bien le sens du pourvoi, n'aurait pas été constitutif d'une cession et/ou d'une acquisition, seules opérations visées par le législateur. A l'évidence, l'argument reposait sur un amalgame hasardeux entre deux textes traitants différemment du concert : ce n'est pas, en effet, l'article L. 233-10 du Code de commerce, qui renvoie au régime de "l'action de concert", dont l'objet de sanctionner les prises de contrôle rampantes qui était invocable en l'espèce, mais l'article L. 233-3, III, du même code (N° Lexbase : L4050HBM) qui permet, au constat de l'existence "d'agissements de concert", d'établir qu'une société est contrôlée par des concertistes, lui seul permettant de conclure que ces derniers et la société contrôlée font partie du même groupe.
Ledit article L. 233- 3, III, qui dispose que "deux ou plusieurs sociétés agissant de concert sont considérées comme en contrôlant conjointement une autre lorsqu'elles déterminent en fait les décisions prises en assemblée générale", constituait, certes, le fondement de la deuxième branche du moyen, mais, une fois encore, les auteurs du pourvoi mélangeaient cette approche du concert avec celle -différente- de l'article L 233-10 au point de rendre leur argumentation inintelligible. Ainsi, en était-il, notamment, lorsqu'ils reprochaient à la cour d'appel d'avoir constaté l'existence du groupe en se fondant sur le seul constat "que les demandeurs à la dérogation, tous signataires des accords litigieux du 3 décembre 2010, vot[ai]ent de manière convergente' et détermin[ai]ent en fait les décisions prises lors des assemblées générales'" (référence à l'article L. 233-3, III), ce qui, toujours selon eux, ne permettait pas de caractériser le contrôle conjoint qui "requiert la volonté commune d'exercer les droits de vote de façon concertée" (référence à l'article L. 233-10). A l'évidence, cependant, la cour d'appel avait pu constater l'existence de ce contrôle de fait qui rentrait bien dans les prévisions de l'article L 233-3, III du Code de commerce.
Encore fallait-il, il est vrai, faire en exergue la démonstration de l'existence d'un concert, ce que le seul recours à l'article L 233-10 du Code de commerce semblait devoir permettre d'établir. Sur ce point, cependant, il convenait de prendre en considération l'évolution récente de l'appréciation du concert dont l'article L. 233-10 ne donne qu'une définition imparfaite lorsqu'il établit que "sont considérées comme agissant de concert les personnes qui ont conclu un accord en vue d'acquérir ou de céder des droits de vote ou en vue d'exercer les droits de vote, pour mettre en oeuvre une politique vis-à-vis de la société". Traditionnellement, ainsi, et notamment parce que la notion de "politique" mise en oeuvre permettait une appréciation souple des objectifs de l'accord, l'action de concert était, auparavant, appréciée de façon étroite. Ainsi, en premier lieu, le concert devait traditionnellement s'inscrire dans la durée comme le rappelait la doctrine : "il est toujours apparu évident que la notion de 'politique commune' (l'adjectif 'commune' a cependant disparu dans la loi NRE n° 2001-420 du 11 décembre 2001) impliquait nécessairement une certaine durée. L'AMF elle-même avait toujours conclu dans ce sens" (9). En conclusion, en l'absence de durée, comme en l'espèce, "il n'y a[vait] pas politique commune mais accord ponctuel" (10). En second lieu, les actions de concert, en référence à cette politique commune, s'entendaient -traditionnellement, toujours- d'opérations dont l'objectif était, à terme, d'établir la "politique sociale" de la société, dit autrement, parfois, sa "gestion", ce qui supposait que les concertistes entendaient, à l'avenir, définir eux-mêmes les orientations de la société.
En 2009, l'arrêt "Gecina" (11), confirmant l'analyse de la cour d'appel de Paris va, toutefois, revenir sur cette conception restrictive pour étendre considérablement la définition de l'action de concert, abandonnant, d'abord, toute idée de durée en y assimilant les accords ponctuels, et interprétant, ensuite, le terme "politique commune" comme n'en référant plus à l'orientation future de la société mais plus simplement à un "accord global dont la finalité est la prise de participation [...] dans la société" (12). Au regard de cette nouvelle analyse du juge du droit, l'opération réalisée par les membres de la famille Hermès pouvait, comme il avait été conclu un an après l'arrêt "Gecina", rentrer dans le champ des dispositions de l'article L. 233-10 du Code de commerce (13).
En tout état de cause la Chambre commerciale rejettera le pourvoi, confirmant "que de ces constatations et appréciations, et abstraction faite du motif surabondant critiqué par la septième branche, la cour d'appel, qui n'avait pas à faire d'autre recherche, a pu déduire que les demandeurs formaient un groupe au sens de l'article 234-9 7 du règlement général de l'AMF, qu'ils agissaient de concert pour contrôler la société Hermès". Sur ce point, au moins, le juge du droit replace distinctement la notion de concert dans le cadre de l'appréciation du périmètre d'un groupe, estimant, rejetant les deux branches du moyen comme n'étant pas fondées.
B - Sur le reclassement des actions détenues par le groupe familial
L'existence d'un groupe familial ayant pu être établi, restait à examiner l'analyse que portaient les auteurs du pourvoi sur l'opération de reclassement. Excepté deux branches du moyen, l'une étant inopérante et l'autre irrecevable, l'essentiel des prétentions, à s'en tenir à une présentation synthétique du pourvoi, tendait à établir qu'il n'y avait pas eu reclassement mais changement du contrôle, ce qui, aux termes des dispositions de l'article 234-9 du RG AMF ne permettait pas de justifier l'octroi d'une dérogation à l'obligation de déposer une offre publique. Dans la quatrième et cinquième branche du troisième et dernier moyen c'est, ainsi, la neutralité de l'opération de reclassement qui se trouvait contestée, d'une part, parce que l'opération aurait substitué à un contrôle concerté, le contrôle d'un seul commanditaire (à savoir la holding) et, d'autre part, parce qu'elle aurait substitué, "à un simple contrôle de fait par nature précaire et portant exclusivement sur la gestion sociale, un contrôle capitalistique". Ce dernier argument se trouvait repris, sous une autre forme, à l'appui d'un défaut de base légale reposant sur l'article 234-9, 7° du même règlement, les auteurs du pourvoi reprochant à la cour d'appel de n'avoir pas recherché si l'apport de titres ne constituait pas une modification du contrôle, ce dernier ayant pour objet de "verrouiller le capital d'Hermès, et de substituer au contrôle de fait [...] un contrôle de droit issu d'un accord contraignant, perdurant pendant vingt années".
Cette logique, pourtant, ne risquait guère de convaincre la Chambre commerciale. On aurait pu prétendre, en effet, à un changement des modalités de contrôle, ce point est incontestable, mais non du changement de la titularité de ce même contrôle dès lors que le concert était constaté. En l'espèce, le pouvoir des membres de la famille Hermès n'avait en rien pu être modifié par l'opération. Le juge du droit ne suivra donc pas les deux branches du dernier moyen, s'appuyant sur la démonstration réalisée par la cour d'appel qu'il n'y avait pas eu changement de contrôle.
Elle rejettera ainsi les pourvois, établissant que "la cour d'appel, qui n'avait pas à faire d'autre recherche, a pu déduire que les demandeurs formaient un groupe au sens de l'article 234-9 7° du règlement général de l'AMF, qu'ils agissaient de concert pour contrôler la société Hermès et que ce contrôle, préexistant à la conclusion de la convention du 3 décembre 2010, serait maintenu à l'issue des opérations qu'elle prévoit, peu important que celles-ci entraînent une modification de ses modalités d'exercice, de sorte que l'opération soumise à l'AMF s'analysait comme un reclassement entre personnes appartenant à un même groupe".
(1) J.-J. Daigre, Hermès : l'AMF au secours des familles, Bull. Joly Bourse, 2011, p. 161 ; H. Le Nabasque, Du dépôt de titres "dans les caisses sociales" dans ses rapports avec l'action de concert, RDBF, 2011, repère 3 ; R. Mortier, Affaire Hermès : reclassement... sans suite ?, Dr. sociétés, 2011, comm. 115 ; D. Bompoint, Reclassement au sein d'un groupe familial et contrôle préalable, RDBF, 2011, comm. 69 ; F. Martin Laprade, Hermès : une dérogation aux allures de cadeau empoisonné..., Rev. sociétés, 2011, p. 364 ; A. Couret, Hermès "reclassé" !, Bull. Joly Sociétés, 2011, p. 201.
(2) CE Contentieux, 3 décembre 1999, n° 207434 (N° Lexbase : A3242AUM), Rec. CE, 1999, p. 399 ; GAJA, 17ème éd., n° 104 ; comp. CEDH, 27 août 2002, Req. n° 58188/00 -décision sur la recevabilité-, JCP. éd. G, 2003, II, 10177, note G. Gonzalez ; RD publ., 2003, p. 697, obs. G. Gonzalez.
(3) J.-L. Autin : J.-Cl. Administratif, Traité, fasc. 75, autorités administratives indépendantes, n° 115.
(4) J.-L. Autin J.-Cl. Administratif Traité, fasc. 75, autorités administratives indépendantes, n° 156 : "Dès lors cet aménagement précis et limité des règles de compétence juridictionnelle' a abouti à la situation suivante. Après le contentieux du Conseil de la concurrence, c'est celui de la COB (devenue AMF), et d'une partie des décisions de l'ART (devenue ARCEP), de la CRE et de l'ARAF qui ont été confiés au juge judiciaire. Solutions logiques, compte tenu des champs d'activités couverts par ces autorités qui sont au coeur de l'économie de marché. Mais dévolution de compétence a priori surprenante, puisqu'elle se réalise au profit de la cour d'appel de Paris, laissant supposer -à tort- que les institutions en cause statuent en tant que juridictions de premier degré. Il n'en est rien en réalité, et la cour d'appel se prononce en premier et dernier ressort, le système offrant aux justiciables sinon un double degré de juridiction -la Cour de cassation peut intervenir par la suite mais non sur le fond- du moins un double contrôle qui peut être bien réel".
(5) Auparavant, CA Paris, 7 décembre 2004, note Th. Bonneau, Dr. Sociétés, 2005, comm. 74.
(6) Th. Bonneau, Nature du recours contre une décision de dérogation à l'obligation de dépôts d'une offre publique d'acquisition, Droit des sociétés, 2008, n° 6, comm. 133, note sous Cass. com., 29 janvier 2008, n° 07-12.945, F-D (N° Lexbase : A6113D48) ; adde, Bull. Joly Bourse, mars-avril 2008, § 11 p. 116, note F.-L. Simon.
(7) Th. Bonneau, op. cit., citant D. de Béchillon, D. Martin et N. Molfessis : "A propos de l'étendue des pouvoirs de la Cour d'appel de Paris dans le contentieux des décisions prises par l'Autorité des marchés financiers au sujet de la recevabilité d'une offre publique : Mélanges AEDBF-France, IV, 2004, p. 31 et s., spéc. p. 32".
(8) G. Barsi et F. Laroche-Gisserot, Les cas de dérogation à l'obligation de déposer une offre publique de prise de contrôle, Dr. sociétés, 1993, chron. 5
(9) J.-F. Biard, Action de concert et dépôt d'une offre publique obligatoire, RDBF, n° 5, septembre 2008, dossier 29, n° 7.
(10) D. Schmidt, Action de concert, Dictionnaire Joly Sociétés, septembre 2006, § 68.
(11) Cass. com., 27 octobre 2009, 2 arrêts, n° 08-18.819, FS-P+B+I+R (N° Lexbase : A5572EMC) et n° 08-18.779, FS-D (N° Lexbase : A6096EMQ).
(12) J.-F. Biard, op. cit., n° 11.
(13) Il demeure que, sur ce point, la complexité des textes en question a fait son oeuvre et qu'il s'avère, à l'occasion de cette affaire, que la situation des actionnaires ne rentrait qu'imparfaitement dans le cadre textuel caractérisant le contrôle d'une société et, partant l'existence d'un groupe. Il suffit, en effet de rappeler les termes de l'article L. 233-3, III : "Deux ou plusieurs sociétés agissant de concert sont considérées [...]". Ainsi, à l'évidence, lorsque l'actionnariat est composé de personnes physique la situation n'entre pas -apparemment- dans le champ de prévision de cet article.
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N7434BTI
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par Sophie Cazaillet, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition fiscale
Le 13 Juin 2013
I - L'échange de renseignements
C'est la clause la plus médiatique du Modèle de convention de l'OCDE. L'article 26, composé de cinq paragraphes, prévoit de nombreuses choses. Tout d'abord, un champ d'application large, puisque la clause s'applique à tous les impôts, même ceux qui ne sont pas visés par la convention, et porte sur toute sorte de renseignements, dès lors qu'ils sont "vraisemblablement pertinents". Ensuite, ces renseignements sont tenus secrets, et ne doivent pas être trouvés entre les mains d'une personne qui n'est pas directement intéressée à la procédure (le contribuable lui-même, le juge, l'agent compétent pour traiter du cas...). La clause d'échange de renseignements n'oblige pas l'Etat requis à trouver et fournir l'information "à tout prix". Il n'est pas demandé à l'Etat de violer ses propres lois, ou même celles de l'Etat requérant, ou le secret commercial et professionnel. Mais l'Etat requis ne peut pas refuser de procéder à l'échange sous prétexte que ces renseignements ne lui sont d'aucune utilité pour le recouvrement de l'impôt sur son territoire. Enfin, le dernier paragraphe de la clause recèle une règle "magique" : la levée du secret bancaire.
A - Les formes d'échange
Le Modèle de convention de l'OCDE précise, dans ses commentaires, que l'échange de renseignements à des fins fiscales présente trois formes : un échange sur demande, pour un cas précis, étant bien entendu qu'il faut utiliser tout d'abord les sources habituelles de renseignements prévues par la procédure fiscale interne avant de présenter la demande de renseignements à l'autre Etat ; un échange automatique, par exemple quand les renseignements sur une ou plusieurs catégories de revenus ayant leur source dans un Etat contractant et encaissés dans l'autre Etat contractant sont transmis systématiquement à l'autre Etat (cette forme d'échange est usuelle parmi les Etats membres de l'UE -à quelques exceptions près-, depuis la Directive "épargne" 2003/48/CE du 3 juin 2003 N° Lexbase : L6608BH9 et la Directive "intérêts - redevances" 2003/49/CE du 3 juin 2003 N° Lexbase : L6609BHA) ; et un échange spontané, par exemple, lorsqu'un Etat a obtenu, au cours de certaines enquêtes, des renseignements qu'il suppose présenter un intérêt pour l'autre Etat.
Par principe, l'échange de renseignements prévu par les conventions signées par la France est toujours sur demande. Toutefois, quelques conventions font figure d'exception, et instaurent un échange automatique. C'est le cas dans quatre conventions : la Convention France - Autriche, signée le 26 mars 1993 (N° Lexbase : L6665BHC ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E4355EXL), la Convention France - Grèce, signée le 21 août 1963 (N° Lexbase : L6697BHI ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E8195ETP), la Convention France - Liban, signée le 24 juillet 1962 (N° Lexbase : L6714BH7 ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E8250ETQ), et la Convention France - Maroc, signée le 29 mai 1970 (N° Lexbase : L6722BHG ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E8271ETI), qui laissent aux autorités compétentes le soin de lister les renseignements qui seront échangés d'office et ceux qui le seront sur demande.
Dans la Convention France - Panama, signée le 30 juin 2011 (N° Lexbase : L8027ITH ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E8240ETD), en revanche, la possibilité d'un échange de renseignements spontané ou automatique est expressément exclue. Cette clause est originale, car elle reprend certains des commentaires de l'OCDE dans son Modèle, notamment en ce qui concerne la "pêche aux renseignements", et le fait que l'Etat requérant doit avoir épuisé tous ses outils internes avant d'envoyer une demande à l'Etat requis. En outre, elle prévoit des règles spécifiques en ce qui concerne les entités ou constructions légales enregistrées dans un Etat contractant mais qui n'y dégagent aucun revenu.
D'autres conventions fiscales ne prévoient aucune clause d'échange de renseignements. C'est le cas dans deux conventions : la Convention France - Arabie saoudite, signée le 18 février 1982 (N° Lexbase : L6661BH8 ; cf. l’Ouvrage "Droit fiscal" N° Lexbase : E8243ETH) et la Convention France - Bahreïn, signée le 10 mai 1993 (N° Lexbase : L7775IT7 ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E8244ETI).
B - Le secret bancaire
Depuis 2005, l'OCDE a intégré à son Modèle de convention fiscale, plus précisément à son article 26, concernant l'échange de renseignements, un paragraphe 5 visant à lever le secret bancaire.
Ce paragraphe est rédigé comme suit : "en aucun cas les dispositions du paragraphe 3 ne peuvent être interprétées comme permettant à un Etat contractant de refuser de communiquer des renseignements uniquement parce que ceux-ci sont détenus par une banque, un autre établissement financier, un mandataire ou une personne agissant en tant qu'agent ou fiduciaire ou parce que ces renseignements se rattachent aux droits de propriété d'une personne".
Ce paragraphe est repris comme tel dans 34 conventions signées par la France avec ses principaux partenaires (Convention France - Etats-Unis, signée le 31 août 1994 N° Lexbase : L5151IEI ; cf. l’Ouvrage "Convention fiscales internationales" N° Lexbase : E1932EU4, Convention France - Royaume-Uni, signée le 19 juin 2008 N° Lexbase : L7771ITY ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E1721EUB et Convention France - Japon, signée le 3 mars 1995 N° Lexbase : L6709BHX ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E8287ET4) et certains territoires "à risque" (Convention France - Suisse N° Lexbase : L6752BHK ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E3367EUA, Convention France - Luxembourg N° Lexbase : L6716BH9 ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E8201ETW, Convention France - Hong Kong N° Lexbase : L7772ITZ ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E0058EUP, Convention France - Singapour N° Lexbase : L6750BHH ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E8294ETD, Convention France - Malte N° Lexbase : L6721BHE ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E8202ETX, Convention France - Monaco N° Lexbase : L6726BHL ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E1799EU8, etc.). Cent conventions ne prévoient pas la levée du secret bancaire...
Il est intéressant de noter que, parmi celles qui rendent inopposable ce secret, seules neuf conventions ajoutent à cette clause d'échange de renseignements complète une clause d'assistance au recouvrement (Convention franco-australienne N° Lexbase : L7524ITT ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E8298ETI, franco-américaine, franco-japonaise, franco-luxembourgeoise N° Lexbase : L6716BH9 ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E8201ETW, Convention avec la Polynésie française, Saint-Barthélemy, Saint-Martin, la Suisse N° Lexbase : L6752BHK ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E3367EUA et le Togo N° Lexbase : L6762BHW ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E8278ETR).
Parmi les cent conventions qui laissent intactes le secret bancaire, le cas de quelques-unes doit être relevé. Ainsi, la Convention franco-allemande sur l'élimination de la double imposition sur les impôts sur les revenus (N° Lexbase : L7861ITC ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E4606EU7) ne prévoit pas l'inopposabilité du secret bancaire, alors que celle relative à l'élimination de la double imposition sur les impôts sur les successions et les donations (N° Lexbase : L7861ITC ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E4606EU7) la prévoit. Dans la Convention franco-belge (N° Lexbase : L6670BHI ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E1689EU4), le secret bancaire est expressément opposable. L'avenant du 7 juillet 2009 n'est, en effet, pas encore entré en vigueur.
A part ces deux particularités, les conventions signées par la France respectent plutôt le Modèle de l'OCDE, dans ses versions ante et post 2005.
Il convient cependant de pointer du doigt l'absence de levée du secret bancaire dans les conventions signées avec les pays suivants : Autriche, Bahreïn, Brésil (N° Lexbase : L6672BHL ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E4541EUQ), Chine (N° Lexbase : L6677BHR ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E8283ETX), Chypre (N° Lexbase : L6678BHS ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E8190ETI), Corée (N° Lexbase : L6681BHW ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E5044EX4), Emirats arabes unis (N° Lexbase : L6686BH4 ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E8245ETK), Equateur (N° Lexbase : L6687BH7 ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E8237ETA), Gabon, Grèce, Inde (N° Lexbase : L5152IEK ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E8285ETZ), Indonésie (N° Lexbase : L6701BHN ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E8286ET3), Irlande, Israël (N° Lexbase : L6705BHS ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E8247ETM), Jamaïque (N° Lexbase : L6708BHW ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E8238ETB), Koweït (N° Lexbase : L6712BH3 ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E8249ETP), Liban, Madagascar (N° Lexbase : L6717BHA ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E8300ETL), Niger (N° Lexbase : L6729BHP ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E8274ETM), Nigeria (N° Lexbase : L6730BHQ ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E8275ETN), Nouvelle-Zélande (N° Lexbase : L6733BHT ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E8301ETM), Nouvelle-Calédonie (N° Lexbase : L5155IEN ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E8113ETN), Pakistan (N° Lexbase : L6734BHU ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E8292ETB), Pays-Bas (N° Lexbase : L6735BHW ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E8204ETZ), Pologne (N° Lexbase : L6737BHY ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E8205ET3), Portugal (N° Lexbase : L6740BH4 ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E1718EU8), République tchèque (N° Lexbase : L8029ITK ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E8207ET7), Russie (N° Lexbase : L6747BHD ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E8223ETQ), Sénégal (N° Lexbase : L6759BHS ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E8277ETQ), etc..
De quoi faire réfléchir le Gouvernement avant une nouvelle salve de réprimandes et de signatures rapides d'accords dédiés à une lutte contre l'opacité, pourtant bien présente et préservée dans le réseau existant.
II - L'assistance au recouvrement
La clause relative à l'assistance au recouvrement est certainement l'une de celles qui respectent le moins la lettre du Modèle de l'OCDE. En effet, dans le réseau conventionnel français, lorsque cette clause existe, ce qui n'est le cas que dans quarante conventions (dont la Convention France - Albanie, signée le 24 décembre 2002 N° Lexbase : L7523ITS ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E8213ETD, la Convention France - Australie, signée le 20 juin 2006 N° Lexbase : L7524ITT ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E8298ETI, la Convention France - Etats-Unis, la Convention France - Guinée, signée le 15 février 1999 N° Lexbase : L8021ITA ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E8266ETC, la Convention France - Italie, signée le 5 octobre 1989 N° Lexbase : L6706BHT ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E1685EUX, la Convention France - Liban, la Convention France - Maroc, la Convention France - Norvège, signée le 19 décembre 1980 N° Lexbase : L6731BHR ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E8203ETY, la Convention France - Ouzbékistan, signée le 22 avril 1996 N° Lexbase : L7530IT3 ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E8291ETA, la Convention France - Sénégal, la Convention France - Suisse, etc.), elle modifie toujours une condition de délai, et la procédure à suivre.
La clause d'assistance au recouvrement est apparue en tant que telle dans la dernière mise à jour du Modèle de convention de l'OCDE, en janvier 2003. Auparavant, cette question était réglée par la convention multilatérale conjointe OCDE/Conseil de l'Europe sur l'assistance administrative mutuelle en matière fiscale, du 25 janvier 1988.
Cela explique en partie pourquoi 94 conventions, soit la majorité des conventions signées par la France, ne prévoient pas une telle clause. Toutefois, d'autres raisons justifient cette omission, pour les Etats ayant signé une convention ou un avenant à une convention après 2003. Par exemple, la Macédoine a expressément refusé l'insertion de l'article 28 du Modèle OCDE dans sa Convention avec la France (N° Lexbase : L7916ITD ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E8220ETM).
III - Le cas spécifique des conventions dédiées à l'assistance administrative
A - Les accords signés avec Saint-Martin, Saint-Barthélemy et la Polynésie française (TOM)
Le 1er mai 2011, trois accords passés entre la France et les territoires d'outre-mer de Saint-Martin, Saint-Barthélemy et la Polynésie française, et approuvés par une loi du 19 avril 2011 (LO n° 2011-416 N° Lexbase : L9977IP9), sont entrés en vigueur.
Ces trois accords prévoient deux choses : en premier lieu, une clause d'échange de renseignements, conforme à celle proposée par l'article 26 du Modèle de l'OCDE, et qui va même plus loin. En effet, elle prévoit que l'échange s'opère soit d'office, soit sur demande, comme dans les Conventions franco-autrichienne, franco-grecque, franco-marocaine et franco-libanaise. En second lieu, ces accords instaurent une assistance en matière de recouvrement des impôts, très proche de celle prévue par le Modèle de l'OCDE.
C'est donc, en réalité, une reprise des deux clauses du Modèle qu'opère la France dans ces accords. Il est étonnant de noter que la France a, le même jour (le 19 avril 2011), par le biais de la même loi, approuvé une convention tendant à éliminer la double imposition avec Saint-Martin. La séparation de ces deux textes vise peut-être à renforcer l'Accord. De même, avec la Polynésie française, la France avait déjà une Convention fiscale qui date du 28 mars 1957 (N° Lexbase : L8028ITI ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E3703EYS).
B - Les récents accords signés avec les "paradis fiscaux"
Comme dans la plupart des sujets juridiques, sur l'appellation de "paradis fiscal", il y a deux écoles : ceux qui considèrent qu'ils existent, et ceux qui pensent qu'ils n'existent pas. Pour des raisons de commodités rédactionnelles, nous utiliserons ce terme.
Depuis la crise financière de 2008, qui fait ressentir ses effets encore aujourd'hui, et encore pour quelques temps, l'OCDE, le G20 et l'Union européenne, notamment, livrent une guerre sans merci à la fraude fiscale. L'OCDE a établi une liste noire des Etats et territoires non coopératifs. La France a fait de même. Le critère, pour échapper à ce listing, est la signature d'au moins douze conventions fiscales prévoyant une assistance administrative. La France, notamment durant l'année 2011, a signé, dans ce cadre, onze conventions fiscales dédiées à cette assistance, c'est-à-dire qu'elles ne remplissent pas leur mission première d'élimination de la double imposition. Ces conventions ont été signées avec les Etats suivants : Anguilla (N° Lexbase : L8015ITZ ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E0117EUU), les Antilles néerlandaises (N° Lexbase : L0404IUI ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E0061EUS), Aruba (N° Lexbase : L6109IW8 ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E2279EY3), le Costa Rica (N° Lexbase : L8018IT7 ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E4843EUW), Dominique (N° Lexbase : L8019IT8 ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E0062EUT), Grenade (N° Lexbase : L8020IT9 ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E0056EUM), les Iles Cook (N° Lexbase : L8022ITB ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E0057EUN), l'Ile de Man (N° Lexbase : L8034ITQ ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E0063EUU), les Iles Turques et Caïques (N° Lexbase : L8023ITC ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E0042EU4), Jersey (N° Lexbase : L2670IWS ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E6156EXB) et le Libéria (N° Lexbase : L8025ITE ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E0118EUW).
Que prévoient ces accords ?
Ces accords, tous rédigés selon le même modèle, prévoient des clauses proches du Modèle OCDE. Ainsi, l'échange de renseignements est organisé, dans des clauses qui détaillent un peu plus le texte strict du Modèle. Toutefois, il est important de noter qu'à aucun moment le secret bancaire n'est expressément exclu. Ainsi, l'Etat n'a pas à violer son droit interne pour fournir à l'Etat requérant les informations qu'il lui demande. De même, un paragraphe prévoit que le secret commercial, industriel ou professionnel, et celui qui couvre un procédé commercial, est protégé. Les accords précisent que les correspondances entre un avocat et son client sont couvertes par ce secret. Il n'est pas question des établissements financiers. Toutefois, le texte des accords indiquent que les Etats modifient leur législation afin qu'elle leur permette de fournir à l'Etat requérant les renseignements portant sur :
- les propriétaires juridiques et les bénéficiaires effectifs des sociétés, sociétés de personnes, fonds de placement collectif et autres personnes ;
- les constituants, les fiduciaires, les bénéficiaires et les tiers protecteurs dans une fiducie ;
- les fondateurs, les membres du conseil de la fondation et les bénéficiaires dans le cas des fondations.
Encore une fois, il semble que certaines structures soient considérées comme "dignes de méfiance", comme les trusts, les FCP et les fondations, mais le secret bancaire n'est pas inquiété.
L'échange de renseignements est effectué soit sur demande, soit de façon spontanée. La méthode automatique est donc implicitement écartée.
Ainsi, concernant l'échange de renseignements, ces accords vont moins loin que ce que prévoit le Modèle de l'OCDE. Cela est d'autant plus étonnant que les pays partenaires de la France sur ces accords sont considérés comme des paradis fiscaux.
A d'autres égards, pourtant, les accords vont plus loin que le Modèle, notamment en prévoyant une possibilité, pour un Etat, d'envoyer ses agents dans l'autre Etat afin qu'ils y effectuent des enquêtes, interrogent des personnes et prennent connaissance de documents.
Cette clause semble remplacer, en quelque sorte, l'absence marquante de celle relative à l'assistance au recouvrement. En effet, une telle assistance n'est pas prévue. Les enquêtes à l'étranger pallient-elles à ce manque ? Certainement pas, car si les agents de l'Etat requérant pourraient être plus soucieux de l'efficacité de leur action que ceux de l'Etat requis, surtout si l'enquête en question risque d'entraîner une fuite de capitaux de son territoire, la non-assurance de ce que l'impôt sera effectivement mis en recouvrement dans l'Etat requis pour le compte de l'Etat requérant est un défaut important de ce type d'accord.
Il convient donc de s'interroger sur l'intérêt de ce type de convention, signée rapidement dans un contexte de lutte contre les paradis fiscaux. Les clauses de ces textes protègent-elles vraiment le pouvoir d'imposer de la France ? L'avenir le dira, mais le présent laisse planer un doute décevant.
(1) Pour une étude d'ensemble et synthétique sur certaines données, voir ce tableau.
(2) Il est à noter qu'il ne sera pas fait mention ici des relations de la France avec Taïwan, ces dernières découlant de la loi de finances rectificative pour 2010 (loi n° 2010-1658 du 29 décembre 2010 N° Lexbase : L9902IN3 ; voir N° Lexbase : E2530EYD), ni des relations entre le Danemark et la France, puisque le Danemark a dénoncé sa convention fiscale avec effet au 1er janvier 2009 (pour plus d'informations, lire France - Danemark : des relations fiscales pas très conventionnelles - Questions à Maximilien Jazani, Managing Partner, Manswell, Lexbase Hebdo n° 527 du 15 mai 2013 - édition fiscale N° Lexbase : N7003BTK ; et voir N° Lexbase : E8191ETK).
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Réf. : CE 2° et 7° s-s-r., 15 mai 2013, n° 361823, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A5407KDM)
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par Frédéric Dieu, Maître des requêtes au Conseil d'Etat
Le 13 Juin 2013
A - Les faits de l'espèce : l'envoi d'une mise en demeure de produire un mémoire ampliatif alors que le délai de recours de deux mois imparti pour motiver la requête était expiré
Le requérant, architecte, avait été solidairement condamné par le tribunal administratif de Paris à indemniser le département de Paris à la suite de désordres ayant affecté un collège. Le jugement lui avait été notifié le lundi 15 février 2010, de sorte que le délai d'appel expirait le vendredi 16 avril 2010. Le 12 avril 2010, avant l'expiration du délai, le requérant avait introduit une requête par laquelle il indiquait qu'il entendait contester les termes du jugement et que la motivation serait ultérieurement développée dans le cadre d'un autre mémoire. Le 3 mai 2010, la cour administrative d'appel (1) avait mis en demeure le requérant de produire son mémoire complémentaire sous quinze jours ; un mémoire ampliatif avait bien été produit dans ce délai, le 18 mai 2010. L'instruction s'était poursuivie et la cour a finalement statué deux ans plus tard.
Dans son arrêt, la cour a indiqué à tort que le délai d'appel expirait le 17 mai 2010 alors que, nous l'avons vu, ce délai expirait le 16 avril 2010. Quoi qu'il en soit, elle a relevé que la requête initiale n'était assortie d'aucun moyen et que le mémoire complémentaire n'avait été enregistrée que postérieurement au délai d'appel. Elle l'a donc rejetée pour irrecevabilité, en application des dispositions de l'article R. 411-1 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3005ALU) aux termes duquel "l'auteur d'une requête ne contenant l'exposé d'aucun moyen ne peut la régulariser par le dépôt d'un mémoire exposant un ou plusieurs moyens que jusqu'à l'expiration du délai de recours".
La cour n'a, en revanche, pas tenu compte de la mise en demeure de produire le mémoire complémentaire (ou mémoire ampliatif) annoncé qui avait été adressé au requérant par le greffe le 3 mai 2010 et qui avait donné lieu à l'envoi d'un mémoire dans le délai imparti par cette mise en demeure, mais après l'expiration du délai d'appel. Une telle mise en demeure est imposée par l'article R. 612-5 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3130ALI) aux termes duquel : "devant les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, si le demandeur, malgré la mise en demeure qui lui a été adressée, n'a pas produit le mémoire complémentaire dont il avait expressément annoncé l'envoi [...] il est réputé s'être désisté".
Toute l'argumentation du pourvoi reposait sur une omission dans l'arrêt : celui-ci a passé sous silence, nous l'avons vu, la mise en demeure de produire un mémoire complémentaire adressée au requérant, en application de l'article R. 612-5, le 3 mai 2010. Le juge du fond a, en effet, l'obligation de procéder à cette mise en demeure lorsqu'il est confronté à une requête sommaire annonçant un mémoire complémentaire : s'il ne le fait pas, la production tardive du mémoire complémentaire après le mémoire introductif d'instance ne conduit pas à un désistement d'office (2). Or, dans le courrier en cause, le requérant avait été mis en demeure de produire, dans un délai de 15 jours, le mémoire complémentaire annoncé dans son mémoire introductif d'instance et il s'était conformé à cette mise en demeure et à ce délai en produisant un mémoire comportant plusieurs moyens.
Le requérant soutenait donc, dans son pourvoi, que la cour avait entaché son arrêt d'insuffisance de motivation, d'erreur de qualification juridique et d'erreur de droit en ne mentionnant pas l'existence de la mise en demeure de produire le mémoire complémentaire et en ne tirant pas les conséquences qui se déduisaient, selon lui, de celle-ci. En effet, selon le pourvoi, à partir du moment où la cour avait donné un délai pour produire le mémoire ampliatif, la requête pouvait être régularisée jusqu'à son expiration, ce qu'elle avait été en l'espèce.
B - Le caractère strict du délai imparti à l'auteur de la requête dépourvue de moyens pour la régulariser
Selon la jurisprudence, lorsque la requête est insuffisamment motivée, le juge n'a pas à inviter le requérant à la régulariser, et, d'autre part, une telle requête doit être jugée irrecevable lorsque le mémoire complémentaire est produit après l'expiration du délai de recours contentieux (3). Ne s'appliquent donc pas en ce cas les dispositions de l'article R. 612-1 (N° Lexbase : L3126ALD), selon lesquelles la juridiction ne peut rejeter une demande qu'après avoir invité son auteur à la régulariser lorsque l'irrecevabilité est susceptible d'être couverte après l'expiration du délai de recours. Et "il ne résulte d'aucune disposition législative ou réglementaire ni d'aucun principe général du droit que le juge administratif soit tenu d'inviter le requérant qui présente une requête insuffisamment motivée au regard des prescriptions de l'article R. 411-1 du Code de justice administrative à la régulariser" (4). Cette jurisprudence est justifiée par le caractère impératif du délai de recours de deux mois, au-delà duquel aucune régularisation n'est possible.
L'on peut en tirer les quatre enseignements suivants :
1 - une requête insuffisamment motivée n'a pas obligatoirement à faire l'objet de la mise en demeure prévue à l'article R. 612-5 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3130ALI) relative au désistement d'office et, plus largement, n'a pas à faire l'objet d'une invitation à régulariser ;
2 - face à une telle requête, nous nous situons sur le terrain de la recevabilité et non sur celui du désistement ;
3 - même si une mise en demeure de régulariser la requête insuffisamment motivée est adressée au requérant, cette régularisation n'est possible qu'avant l'expiration du délai de recours contentieux de deux mois ;
4 - en conséquence, lorsqu'une invitation à régulariser est adressée au requérant ayant produit une requête introductive d'instance insuffisamment motivée, cela ne prive pas le juge de rejeter la requête comme étant irrecevable au motif qu'elle n'a pas été motivée dans le délai de recours de deux mois, sans qu'il faille tenir compte du délai supplémentaire qui lui a été accordé par l'invitation à régulariser (5).
La décision rapportée s'inscrit dans cette jurisprudence stricte pour le requérant en rappelant "qu'il résulte des dispositions de l'article R. 411-1 du Code de justice administrative que l'irrecevabilité tenant au défaut de motivation de la requête n'est pas au nombre des irrecevabilités susceptibles d'être couvertes après l'expiration du délai de recours et qui ne peuvent être relevées d'office qu'après que le requérant a été invité à régulariser sa requête". Sont ainsi affirmés par le Conseil d'Etat, d'une part, l'absence d'obligation, pour la juridiction, de mettre en demeure le requérant de régulariser sa requête par la production d'un mémoire comportant des moyens et, d'autre part, le caractère strict du délai de deux mois imparti au requérant pour ce faire.
II - L'impossibilité de prolonger le délai de motivation de la requête par la mise en oeuvre de l'article R. 612-5 du Code de justice administrative
A - L'envoi d'une mise en demeure de produire le mémoire complémentaire annoncé ne peut avoir pour objet ou pour effet de prolonger le délai de deux mois accordé au requérant pour régulariser une requête initiale dépourvue de moyens
La question était cependant posée en l'espèce du sort qu'il fallait réserver à l'erreur de fondement juridique de la juridiction, consistant à adresser au requérant une mise en demeure "R. 612-5 CJA" de produire le mémoire complémentaire annoncé dans la requête sommaire alors que la requête sommaire n'est pas une requête sommaire mais est une requête non motivée. Nous n'étions pas ici dans l'hypothèse dans laquelle la juridiction invite à régulariser une requête qu'elle sait non motivée, sans se tromper sur ce point : nous étions, en effet, dans une hypothèse où la juridiction, par la voix de son greffe, s'était trompé sur la qualification de la requête introductive d'instance, erreur révélée par la mise en demeure "R. 612-5 CJA", qu'elle avait regardée comme une requête sommaire alors qu'il s'agissait d'une requête non motivée.
Plus particulièrement, nous étions dans une hypothèse où, dans un premier temps, au stade de l'instruction, la juridiction (son greffe) avait regardé la requête introductive d'instance comme une requête sommaire appelant un mémoire complémentaire et avait adressé, en conséquence, au requérant une mise en demeure "R. 612-5 CJA" de produire ce mémoire et où, dans un second temps, au stade du jugement, la juridiction avait modifié sa qualification de la requête introductive d'instance pour y voir une requête non motivée qui devait être régularisée (motivée) avant l'expiration du délai de recours de deux mois et ne pouvait l'être dans le délai supplémentaire accordé par la mise en demeure. En bref, la cour avait fait peser sur le requérant son erreur initiale de qualification de la requête introductive d'instance.
Néanmoins, la formation de jugement devait-elle être liée par la qualification de la requête retenue par le greffe (requête sommaire) sans pouvoir retenir que cette requête était en réalité une requête dépourvue de moyens qui ne pouvait être régularisée que dans un délai de deux mois suivant la notification du jugement frappé d'appel ? Le Conseil d'Etat a répondu par la négative, afin de ne pas faire dépendre ce délai des errements du greffe de la juridiction. Le Conseil juge ainsi que "l'irrecevabilité dont cette requête se trouvait dès lors entachée et qui, en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article R. 411-1 du Code de justice administrative, n'était plus régularisable, n'a pu être couverte par la production tardive d'un mémoire motivé, à la suite de la mise en demeure adressée par le greffe de la juridiction, après l'expiration de ce délai, à l'avocat du requérant qui avait annoncé un mémoire complémentaire dans sa requête". Cette solution se justifie pour les raisons suivantes.
En premier lieu, il n'y avait pas eu en l'espèce d'invitation à régulariser une requête non motivée : le greffe de la cour avait simplement fait jouer l'article R. 612-5 du Code de justice administrative qui permet à la juridiction de mettre en demeure le requérant de produire le mémoire complémentaire annoncé et de constater son désistement s'il ne le produit pas. Or, une telle mise en demeure ne préjuge en rien du caractère suffisamment motivé -ou non- de la requête initiale et n'a pas pour fonction de remédier à une méconnaissance des dispositions de l'article R. 411-1. La requête initiale peut parfaitement mettre le juge à même de statuer, ou être, au contraire, d'une parfaite vacuité. Simplement, si un mémoire complémentaire a été annoncé, le temps suspend son vol, et la mise en demeure va permettre de déboucher soit sur le constat d'un désistement, soit sur une poursuite de l'instruction.
Certes, la juridiction, face à une requête non motivée, peut prononcer un rejet pour irrecevabilité, une fois le délai expiré, alors même qu'un mémoire complémentaire aurait été annoncé. Mais, à l'inverse, le fait qu'elle ait adressé une mise en demeure de produire le mémoire complémentaire n'implique pas qu'elle ait ainsi décerné à la requête initiale un brevet de motivation suffisante pour passer la barre de la recevabilité. Il s'agit de deux questions distinctes. Il est parfaitement admissible que la juridiction mette en demeure de produire le mémoire complémentaire annoncé, à titre conservatoire, alors même qu'elle aurait des doutes quant à la recevabilité de la requête au regard de l'article R. 411-1. Et même si la requête est a priori irrecevable, le fait d'avoir invité à produire le mémoire complémentaire annoncé ne saurait être regardé comme une "erreur", tant que cette irrecevabilité n'a pas été constatée par une décision juridictionnelle. Par ailleurs, la mise en demeure ne peut davantage être regardée comme une invitation à régulariser une requête initiale non motivée, puisqu'elle n'a pas cet objet.
En d'autres termes, si, avant l'expiration du délai de deux mois, le requérant est invité à produire le mémoire complémentaire annoncé, avec une mise en demeure expirant au-delà du délai de deux mois, il ne s'ensuit pas qu'il puisse régulariser, après les deux mois, l'irrecevabilité tenant à l'absence de moyens dans sa requête initiale : aucune indication erronée ne lui aura été délivrée.
En second lieu, et tout état de cause, en l'espèce, la mise en demeure avait été adressée après l'expiration du délai d'appel ; la requête était définitivement irrecevable. En admettant même qu'une mise en demeure de produire un mémoire complémentaire puisse proroger le délai de régularisation d'une requête qui n'est assortie d'aucun moyen, il ne peut en aller ainsi lorsque cette mise en demeure intervient après les deux mois. Certes, le requérant aura été incité à produire un mémoire complémentaire qui se révélera inutile, mais le sort contentieux de la requête n'en aura été affecté en rien : elle était irrecevable et le demeure, sans "résurrection" possible.
B - Une solution sévère pour le requérant qui ne tient pas compte de l'erreur de qualification de la requête commise par la juridiction
La solution retenue par le Conseil d'Etat est tout à fait orthodoxe mais néanmoins sévère pour le requérant. En effet, l'erreur et la contradiction de la cour quant à la qualification de la requête initiale (requête sommaire/requête dépourvue de moyens) a eu des conséquences radicales puisqu'elle a conduit celle-ci à rejeter la requête comme étant irrecevable, en le privant finalement du bénéfice du délai supplémentaire qu'elle lui avait initialement accordé pour régulariser sa requête. Autrement dit, la cour n'a pas tenu compte du délai de régularisation qu'elle avait pourtant (certes à tort) accordé au requérant.
Une telle solution d'irrecevabilité est choquante et injuste pour le requérant qui se voit totalement trompé et abusé par le comportement de la juridiction, laquelle lui accorde d'abord un délai supplémentaire pour l'en priver ensuite. Bien que l'on ne puisse probablement pas y voir une manoeuvre délibérée de la juridiction, cela revient tout de même à tromper la "confiance légitime" du requérant. Le comportement de la juridiction revient à priver le requérant d'une prolongation du délai de recours alors que ce dernier pouvait légitimement croire que ce délai expirait à la plus tardive de ces deux dates.
Or, il est constamment jugé que l'indication erronée par la juridiction d'un délai de recours plus long et plus tardif que celui qui devait être légalement appliqué doit profiter au requérant qui peut ainsi légitimement se prévaloir de ce délai (à tort) rallongé. Dans la décision de Section "Mlle Bourgeois" (6), le Conseil d'Etat a ainsi jugé que l'indication erronée d'un délai de recours de deux mois, alors qu'est normalement applicable un délai de huit jours seulement (référé fiscal), profitait au requérant qui dispose ainsi d'un délai de deux mois pour faire appel.
Il a également été jugé qu'en matière électorale était applicable un délai de recours de deux mois lorsqu'un tel délai avait été indiqué au requérant alors même que le délai normal est d'un mois (7). De même, le Conseil d'Etat a fait bénéficier le requérant du délai de distance majoré de quatre mois dès lors que ce délai lui avait été indiqué par la juridiction, sans examiner si ne s'appliquait pas le délai de distance normal de trois mois (8).
Le Conseil d'Etat a aussi jugé que la notification erronée du délai d'appel de droit commun de deux mois faisait obstacle à ce que puisse être opposé le délai spécial abrégé pourtant applicable, afin que ne soit pas pénalisé le requérant qui se fonde sur des renseignements fournis par la juridiction elle-même. Le principe paraît être d'application générale (9). L'on aurait donc pu estimer, en l'espèce, que le délai accordé par le greffe en application de l'article R. 612-5 avait eu pour effet de prolonger le délai imparti au requérant pour régulariser sa requête initiale dépourvue de moyens.
Le Conseil d'Etat s'y est refusé mais il faut souligner qu'en l'espèce, la mise en demeure avait été adressée après l'expiration du délai de recours de deux mois imparti pour régulariser une requête dépourvue de moyens. L'on comprend que, dans cette hypothèse, la mise en demeure ne peut faire renaître un délai qui est expiré. A l'inverse, la décision ici rapportée ne juge pas que la mise en demeure adressée avant l'expiration du délai de recours de deux mois imparti pour régulariser une requête dépourvue de moyens ne pourrait avoir pour effet de prolonger ce délai jusqu'à l'expiration du délai fixé par la mise en demeure. Si, saisi d'une requête non motivée, la juridiction invitait expressément le requérant à la régulariser en indiquant, de façon erronée, un délai courant au-delà du délai de deux mois, la question se poserait des conséquences qui s'attacheraient à une telle erreur.
Il ne serait donc pas incohérent de retenir une solution analogue dans le cas d'une invitation à régulariser une requête non motivée, adressée au requérant à une date où une telle régularisation est encore possible, mais lui laissant explicitement pour ce faire un délai excédant le délai réglementaire. La jurisprudence actuelle est en sens contraire (10) mais une évolution n'est pas à exclure sur ce point : la juridiction décidant de mettre en demeure le requérant à régulariser sa requête avant l'expiration du délai de recours accorderait en conséquence au requérant une prolongation du délai de recours jusqu'à l'expiration du terme fixé par la mise en demeure.
(1) CAA Paris, 6ème ch., 4 juin 2012, n° 10PA01806, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A0815IRM).
(2) CE 3° s-s., 4 novembre 2009, n° 312892, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A7969EM4).
(3) CE 3° s-s., 28 mars 2003, n° 237259 (N° Lexbase : A6515BLU), inédit au recueil Lebon ; CE 3° et 5° s-s-r., 4 octobre 1999, n° 193270, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A4043AXZ) ; CE, Sect., 26 octobre 1973, n° 81414, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A8092B89) : tardiveté du mémoire produit après l'expiration du délai de recours.
(4) CE 3° s-s., 28 mars 2003, n° 237259, préc..
(5) CE, 29 mai 1991, n° 104424, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A1586AR8) : "à la date d'expiration du délai de recours contentieux, le 18 février 1986, M. [X] n'avait produit aucune requête motivée [...] la circonstance qu'à cette même date le tribunal administratif lui ait demandé de motiver sa requête ne pouvait avoir pour effet de prolonger le délai du recours contentieux" ; CE 7° s-s., 17 décembre 1997, n° 183331, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A5873ASC) : "la requête de M. [X] ne contient l'énoncé d'aucun moyen de droit [...] malgré l'invitation qui lui a été faite de régulariser celle-ci par la production de moyens de droit au soutien de ses conclusions, l'intéressé n'a pas répondu à cette invitation dans le délai utile du recours contre la décision qu'il attaque" ; voir, pour une solution identique, CE, 7 décembre 1994, n° 150076, Estrada.
(6) CE, Sect., 26 mars 1993, n° 117557, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A9076AM4), aux conclusions de J. Arrighi refusant de se "résigner à accepter une forclusion qui revient à tromper la confiance légitime que le justiciable est en droit d'éprouver à l'égard du document officiel qu'est la notification d'un jugement faite par le greffe de la juridiction".
(7) CE 8° et 9° s-s-r., 27 avril 1994, n° 152356, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A1185AIQ).
(8) CE 9° et 10° s-s-r., 10 janvier 2001, n° 187948, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A2254AIC).
(9) CE 2° et 7° s-s-r., 16 janvier 2006, Mme Touba, n° 282472 (N° Lexbase : A4276DMC) : "la notification d'une décision portant l'indication d'un délai plus long que celui prévu par les textes en vigueur emporte application de ce délai alors même qu'il serait erroné".
(10) Cf. I. B.
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Réf. : Cass. soc., 29 mai 2013, n° 12-26.955, FS-P+B (N° Lexbase : A9657KEE)
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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale
Le 13 Juin 2013
Résumé
Une disposition conventionnelle plus favorable peut instaurer, pour son application, une différence de traitement entre syndicats représentatifs dès lors, d'une part, que la disposition ne prive pas ces syndicats de l'exercice de leurs droits légaux, et d'autre part que cette différence est justifiée par des raisons objectives matériellement vérifiables liées à l'influence de chaque syndicat en rapport avec l'objet de l'accord. |
I - Egalité entre syndicats et différences fondées sur l'audience électorale
Situation avant la réforme de la démocratie sociale de 2008. La question de l'égalité de traitement entre syndicats représentatifs et syndicats non représentatifs ne s'était pas posée avant la réforme de la démocratie sociale intervenue par la loi du 20 août 2008 (loi n° 2008-789, portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail N° Lexbase : L7392IAZ), sans doute parce qu'elle résultait directement des termes de la loi et que nul ne songeait à la contester.
Certes, les syndicats auraient pu invoquer une violation du principe de non-discrimination dans l'exercice de la liberté syndicale, fondée sur les articles 11 (N° Lexbase : L4744AQR) et 14 (N° Lexbase : L4747AQU) de la CESDH, mais ils n'y avaient certainement pas pensé. On sait d'ailleurs aujourd'hui que pareil argument ne saurait prospérer car "le choix du législateur de réserver aux seules organisations syndicales ayant des élus la possibilité de désigner un représentant syndical au comité d'entreprise ne méconnaît pas les articles 11 et 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales qui laissent les Etats libres d'organiser leur système de manière à reconnaître, le cas échéant, un statut spécial à certains syndicats en fonction de la nature des prérogatives qui leur sont reconnues" (1). En d'autres termes, la différence de traitement entre syndicats selon qu'ils sont ou non représentatifs ne constitue pas une discrimination syndicale.
Le Conseil constitutionnel, dans le cadre de la procédure de QPC en vigueur depuis le 1er avril 2010, a également validé cette différence de traitement, au regard du principe d'égalité devant la loi et de liberté syndicale, lors de l'examen de la loi du 20 août 2008, et en reprenant des arguments comparables (2).
Situation après la réforme de la démocratie sociale. A la suite de la position commune des partenaires sociaux adoptée en avril 2008, la loi du 20 août 2008 a élargi l'exercice du droit syndicat dans l'entreprise à des syndicats non représentatifs mais qui ont vocation à le devenir, ou à la redevenir, lors des prochaines élections professionnelles, soit en raison de leur affiliation à l'une des cinq confédérations syndicales représentatives sur le plan national et interprofessionnel (3), soit en raison de leur implantation dans l'entreprise (4).
L'élargissement de ces conditions d'exercice fait, bien entendu, difficulté dans la mesure où, antérieurement à la réforme, les accords relatifs à l'exercice du droit syndical pouvaient valablement en réserver le bénéfice aux seuls syndicats représentatifs, puisque les syndicats non représentatifs ne pouvaient créer de section syndicale et donc exercer aucune des prérogatives qui y étaient attachées dans l'entreprise.
La Cour de cassation avait eu à statuer sur des différences de traitement, introduites par un accord collectif, non pas entre syndicats selon leur représentativité, mais entre les différents syndicats représentatifs, lorsque l'accord faisait varier le montant de la contribution de l'employeur au financement du dialogue social en fonction de leur audience électorale, et les avaient logiquement validées (5).
L'élargissement de la liste des bénéficiaires des prérogatives syndicales dans l'entreprise a logiquement conduit la Cour de cassation à imposer une application elle-même élargie des accords conclus avant 2008, s'agissant singulièrement du droit de communication syndicale dans l'entreprise (6).
Ces mêmes accords peuvent, en revanche, réserver les avantages directement liés au dialogue social aux seuls syndicats représentatifs qui ne se trouvent pas dans la même situation que les autres syndicats simplement affiliés ou implantés, au regard de l'avantage en cause, puisqu'en présence de délégués syndicaux dans l'entreprise seuls ces derniers pourront négocier et conclure les accords collectifs (7). Comme l'indique la Cour de cassation, en effet, les "syndicats non représentatifs ne peuvent, au titre du principe constitutionnel d'égalité, revendiquer un traitement identique à celui réservé aux seuls syndicats représentatifs auxquels la loi confère des prérogatives différentes de celles des syndicats non représentatifs" (8).
Confirmation en l'espèce. Ce sont ces solutions qui se trouvent ici confirmées.
L'affaire. Un accord collectif avait été signé le 16 mars 2012 au sein de la société A. qui prévoyait la possibilité pour les organisations syndicales représentatives dans l'entreprise de désigner, en sus du délégué syndical central institué par l'article L. 2143-5 du Code du travail (N° Lexbase : L6223ISB), un délégué syndical central supplémentaire lorsque l'organisation syndicale était représentative dans cinq ou six établissements, et deux délégués syndicaux centraux supplémentaires lorsque l'organisation syndicale est représentative dans au moins sept établissements.
Considérant ces conditions comme discriminatoires, un syndicat représentatif dans l'entreprise, qui ne remplissait pas les conditions pour désigner deux délégués conventionnels supplémentaires, avait pourtant désigné trois délégués syndicaux centraux. La société A. avait alors saisi le tribunal d'instance d'une demande de nullité de la désignation du troisième délégué, et obtenu gain de cause.
Pour tenter d'obtenir la cassation de ce jugement, le syndicat demandeur faisait valoir que la loi prévoyant une égalité de traitement des organisations syndicales représentatives au niveau de l'entreprise pour la désignation des délégués centraux d'entreprise, le critère discriminatoire tendant à exiger en outre que les organisations soient également représentatives au niveau des divers établissements, serait il prévu par un accord d'entreprise, n'entre pas dans les prévisions d'ordre public de l'article L. 2143-5 du Code du travail et crée une rupture d'égalité entre les syndicats pour la désignation des délégués centraux d'entreprise.
Le pourvoi est rejeté.
La solution. La Cour de cassation commence par indiquer "qu'une disposition conventionnelle plus favorable peut instaurer, pour son application, une différence de traitement entre syndicats représentatifs dès lors, d'une part, que la disposition ne prive pas ces syndicats de l'exercice de leurs droits légaux, et d'autre part que cette différence est justifiée par des raisons objectives matériellement vérifiables liées à l'influence de chaque syndicat en rapport avec l'objet de l'accord".
L'existence de "raisons objectives matériellement vérifiables". On retrouve ici la référence à la notion de "raisons objectives matériellement vérifiables" dégagée en 2007 dans l'arrêt "Chavance" par la Cour de cassation dans le cadre des justifications admises aux atteintes au principe "à travail égal, salaire égal" (9), notion qui fut rapidement appliquée pour valider des différences de traitement entre syndicats représentatifs de l'entreprise dans l'attribution du financement conventionnel du dialogue social (10).
La formule adoptée dans cet arrêt en date du 29 mai 2013 est d'ailleurs directement inspirée de la précédente décision rendue en 2007, à une variation près puisqu'à l'époque la Cour avait indiqué que "la différence de traitement (était) justifiée par des raisons objectives matériellement vérifiables liées à l'influence de chaque syndicat dans le champ de l'accord", alors qu'ici la Haute juridiction vise l'influence "en rapport avec l'objet de l'accord", ce qui renvoie au critère, implicitement dégagé dans le cadre du principe d'égalité de traitement depuis le premier arrêt "Pain" (11) et qui figure dans certaines décisions rendues depuis, utilisé pour rendre compte de la nécessaire analyse de la justification de la différence au regard de la nature de l'avantage en cause (12).
L'existence de raisons pertinentes "liées à l'influence" syndicale. Le tribunal d'instance avait constaté que l'accord collectif du 16 mars 2012 autorisait la désignation par les syndicats représentatifs dans l'entreprise de délégués syndicaux centraux supplémentaires dont le nombre était fonction du nombre d'établissements dans lesquels les syndicats étaient représentatifs, et exactement décidé que cette disposition, qui n'est pas contraire aux dispositions d'ordre public de l'article L. 2143-5 du Code du travail prévoyant la désignation par tous les syndicats représentatifs d'un délégué syndical central, était proportionnée à la représentativité acquise par chaque organisation syndicale au sein des différents établissements de l'entreprise et en lien direct avec la mission de négociation et de représentation du délégué syndical.
II - Une modulation des avantages conventionnels justifiée par la réussite électorale
Une solution justifiée. Cette solution est parfaitement justifiée et cet arrêt nous livre une explication encore plus claire que les précédentes. Comme cela a été rappelé, la Cour de cassation confirme ici que les partenaires sociaux peuvent déroger au principe d'égalité de traitement pour un motif pertinent.
Dans les précédentes décisions, les accords collectifs contestés portaient sur "l'affichage et la diffusion des communications syndicales à l'intérieur de l'entreprise". La Haute juridiction avait rappelé que ces prérogatives étaient liées "à la constitution par les organisations syndicales d'une section syndicale, laquelle n'est pas subordonnée à une condition de représentativité [et] que, dès lors, les dispositions d'une convention ou d'un accord collectif visant à faciliter la communication des organisations syndicales ne peuvent, sans porter atteinte au principe d'égalité, être limitées aux seuls syndicats représentatifs et doivent bénéficier à tous les syndicats qui ont constitué une section syndicale".
Nous avions à l'époque indiqué que s'agissant des prérogatives reconnues par la loi aux organisations syndicales dans l'entreprise, il s'agissait moins d'une question d'égalité de traitement que de légalité. C'est bien ce que confirme cette décision en date du 29 mai 2013 où la Haute juridiction réserve bien, pour admettre une différence de traitement entre syndicat, l'hypothèse où l'avantage en cause résulte directement de la loi.
Dans cette nouvelle affaire, il s'agissait non pas du bénéfice de prérogatives légales mais bien des conditions d'attribution d'avantages conventionnels, plus précisément de majoration du nombre des délégués syndicaux centraux. C'était donc bien une question d'égalité de traitement, et non de légalité (13).
La prime à l'audience. La Cour de cassation confirme ici la pertinence du critère retenu en appel et fait référence à "l'influence" des syndicats, dont on sait qu'elle constitue l'un des critères de la représentativité syndicale exigé par l'article L. 2121-1 (6°) du Code du travail, et qui doit être apprécié globalement, dès lors que le syndicat satisfait à l'exigence d'audience de 10 %, avec les effectifs d'adhérents, les cotisations et l'ancienneté (14).
La solution est pleinement justifiée car il semble évident que les syndicats seront d'autant plus "influents" au niveau de l'entreprise qu'ils auront de délégués d'établissement dans celle-ci, ce qui supposent qu'ils y soient bien entendu représentatifs.
On sait, en effet, que depuis 2008 la représentativité des syndicats s'apprécie au niveau où ils revendiquent l'exercice de leurs prérogatives, et qu'un syndicat peut parfaitement être représentatif dans l'entreprise, parce qu'il y a obtenu 10 % de suffrages exprimés, tous établissements confondus, mais qu'il ne le sera pas dans les établissements où il n'a pas obtenu ce score (15).
Le choix de l'audience comme variable d'attribution des délégués centraux supplémentaires nous semble pertinent. En fixant un seuil d'audience dans l'entreprise à 10 %, le législateur n'a en effet déterminé qu'un seuil de représentativité minimal.
Tous les syndicats ne sont d'ailleurs pas placés dans une même situation dès lors qu'ils ont atteints ce seuil : ceux qui auront obtenu entre 10 % et 29 % des suffrages devront, en effet, s'allier pour conclure un accord collectif ; ceux qui auront obtenu entre 30 % et 49 % pourront signer seuls mais ne seront pas à l'abri d'une opposition majoritaire, et ceux qui auront atteint le seuil des 50 % pourront signer seuls sans craindre d'opposition. Il est donc pertinent de tenir compte du score dans l'entreprise, tout comme il est pertinent de tenir compte du nombre d'établissements dans lesquels les syndicats sont représentatifs, car leur "poids" au niveau central s'en trouve d'autant renforcé.
(1) Cass. soc., deux arrêts, 24 octobre 2012, n° 11-25.530, FS-P+B (N° Lexbase : A0532IWM) et n° 11-18.885, FS-P+B (N° Lexbase : A0631IWB), v. nos obs., Démocratie sociale : nouvelle réussite à l'examen de conventionnalité, Lexbase Hebdo n° 505 du 15 novembre 2012 - édition sociale (N° Lexbase : N4401BT8). Cette solution est directement inspirée de la jurisprudence de la CEDH : CEDH, 12 novembre 2008, req. n° 34503/97 (N° Lexbase : A4116DSA), n° 154 : D., 2009, p. 739, note Marguénaud et Mouly ; RDT, 2009, p. 288, note Hervieu ; RJS, 2009, p. 193, note Tissandier ; JCP éd. G, 2009, II 10018, note F. Sudre.
(2) Décision n° 2010-42 QPC du 7 octobre 2010 (N° Lexbase : A2099GBD), v. nos obs., Le Conseil constitutionnel, les syndicats catégoriels et la réforme de la démocratie sociale, Lexbase Hebdo n° 413 du 21 octobre 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N2856BQT).
(3) C. trav., art. L. 2142-1 (N° Lexbase : L3761IBW). Il s'agit toujours des 5 unions historiques toutes qualifiées lors de la première mesure intervenue après 2008 : la CGT a ainsi obtenu 26,77 %, la CFDT 26,00 %, la CGT-FO 15,94 %, la CFE-CGC 9,43 % (tous collèges confondus), et la CFTC 9,30 % (arrêté du 30 mai 2013 fixant la liste des organisations syndicales reconnues représentatives au niveau national et interprofessionnel, NOR : ETST1311359A N° Lexbase : L9419IWR). Les autres syndicats n'ont pas atteint la barre fatidique : l'UNSA a ainsi obtenu 4,26 %, et Solidaires 3,47 %. Cette mesure vaut jusqu'en 2017.
(4) Ces syndicats, qui doivent être indépendants de l'employeur et respecter les valeurs républicaines, doivent avoir une ancienneté minimale de deux ans : C. trav., art. L. 2142-1.
(5) Cass. soc., 10 octobre 2007, n° 05-45.347, FS-P+B (N° Lexbase : A7310DYE), v. les obs. de G. Auzero, Validité de la répartition inégalitaire d'une contribution patronale au financement du dialogue social, Lexbase Hebdo n° 278 du 25 octobre 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N8927BCM) ; Dr. soc., 2008, p. 106, chron. G. Borenfreund.
(6) Cass. soc., 21 septembre 2011, jonction, n° 10-19.017 et n° 10-23.247, FS-P+B (N° Lexbase : A9598HXR), v. nos obs., A propos du droit d'affichage et de diffusion des communications syndicales à l'intérieur de l'entreprise : question d'égalité ou de légalité ?, Lexbase Hebdo n° 456 du 6 octobre 2011 - édition sociale (N° Lexbase : N7962BSP) ; Cass. soc., 11 janvier 2012, n° 11-14.292, FS-P+B (N° Lexbase : A5295IAD), v. les obs. de G. Auzero, Principe d'égalité et exigence de non discrimination en matière syndicale, Lexbase Hebdo n° 471 du 2 février 2012 - édition sociale (N° Lexbase : N9951BSD) ; Cass. soc., 23 mai 2012, n° 11-14.930, FS-P+B (N° Lexbase : A0716IMH), v. les obs. de G. Auzero, Accès des syndicats à l'intranet de l'entreprise : principe d'égalité et limites conventionnelles, Lexbase Hebdo n°488 du 7 juin 2012 - édition sociale (N° Lexbase : N2293BT4).
(7) En ce sens : Cass. soc., 20 juin 2012, n° 11-60.206, FS-D "le tribunal a retenu exactement que les dispositions du protocole d'accord de 2006 qui s'appliquait à toutes les organisations syndicales selon leur représentativité, pouvaient réserver certains avantages aux seuls syndicats représentatifs dans l'entreprise".
(8) Cass. soc., 5 avril 2011, n° 10-15.341, F-D (N° Lexbase : A3503HN3).
(9) Cass. soc., 15 mai 2007, n° 05-42.894, FP-P+B (N° Lexbase : A2480DWR), v. nos obs., Principe "à travail égal, salaire égal" et différence de statut juridique dans l'entreprise, Lexbase Hebdo n° 261 du 24 mai 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N1641BBE).
(10) Cass. soc., 10 octobre 2007, n° 05-45.347, FS-P+B, préc..
(11) Cass. soc., 1er juillet 2009, n° 07 42.675, FS P+B (N° Lexbase : A5734EI9), voir nos obs., Le cadre, les congés payés et le principe d'égalité de traitement, Lexbase Hebdo n° 359 du 16 juillet 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N0001BLM) ; JCP éd. S, 2009, p. 1451, note E. Jeansen ; Dr. soc., 2009, p. 1169, chron. P.-A. Antonmattéi ; SSL, 28 septembre 2009, p. 16, chron. J. Barthélémy, p. 13, interview P. Bailly.
(12) Cass. soc., 31 janvier 2012, n° 10-30.935, FS-P+B (N° Lexbase : A8837IBW) : "la disposition de l'accord collectif s'appliquait de la même façon à tous les salariés et sans constater que les jours de repos supplémentaires litigieux avaient la nature de congés de remplacement à vocation compensatrice, lesquels pouvaient seuls être décomptés sur des jours durant lesquels il est normalement prévu que le salarié travaille".
(13) Lorsqu'est en cause l'application de la loi, le principe applicable est celui de l'égalité devant la loi qui puise sa source soit dans la Constitution, soit dans les instruments internationaux. Le principe d'égalité de traitement, dégagé par la Cour de cassation en 2008 et dont elle assure le respect, est nécessairement un principe de valeur législative qui ne peut être opposé qu'à des actes de valeur infra législative.
(14) Cass. soc., 29 février 2012, n° 11-13.748, FS-P+B+R (N° Lexbase : A8796ID7).
(15) Dans ce cas il pourra y désigner un RSS : Cass. soc., 13 février 2013, n° 12-19.662, FS-P+B+R (N° Lexbase : A8453I79) et n° 12-19.663, FS-P+B+R (N° Lexbase : A0571I8N), v. nos obs., Le syndicat non représentatif dans l'établissement peut y désigner un représentant de la section syndicale, même s'il est représentatif dans l'entreprise, Lexbase Hebdo n° 518 du 28 février 2013 - édition sociale (N° Lexbase : N5968BT9).
Décision
Cass. soc., 29 mai 2013, n° 12-26.955, FS-P+B (N° Lexbase : A9657KEE) Rejet TI Puteaux, contentieux des élections professionnelles, 9 octobre 2012 Texte : C. trav., art. L. 2143-5 (N° Lexbase : L6223ISB) Mots-clés : syndicats représentatifs, délégué central, délégué conventionnel, égalité de traitement Liens base : (N° Lexbase : E1878ETQ) |
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