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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication
Le 27 Mars 2014
N'en déplaise à Alphonse Allais in Le Parapluie de l'escouade, si les journaux sont, désormais, plus souvent émaillés de la délinquance en col blanc -qui perçut des primes en liquide à titre de "frais d'enquête et de surveillance" de la police ; ou qui bénéficia d'un heureux arbitrage empreint de lourds soupçons-, les "voleurs de grand chemin" sont bel et bien de retour, même en ces temps révolus de "ruée de vers l'or".
Pensez donc, en ce mois de mars 2013, de braves gens qui voyageaient paisiblement, revenant de "la mine" parisienne avec leurs maigres oboles, ont été détroussés dans le train. "Le voyageur qui n'a rien passera en chantant devant les voleurs" écrivait, un brin satirique, Juvénal ; et bien le peu qu'ils avaient leur a été tout de même dérobé. Les "bandits" ont ainsi rançonné les passagers, les ont contraint de leur remettre téléphone portable, portefeuille et sac à main : un scénario si filmique, que les médias de tous bords n'ont pu que comparer ce fait divers à une bonne vieille "attaque de diligence".
Et, pour que l'analogie soit parfaite, il s'avéra que les malfaiteurs étaient dans leur grande majorité des mineurs, dont certains de moins de 16 ans ; on imagine les titres des gazettes locales : Grigny the kids !
Fort heureusement -osons nous dire-, si certaines victimes ont reçu des coups, il n'y a pas eu de blessé grave. Ceci explique sans doute le verdict du tribunal pour enfants d'Evry, ayant prononcé, le 11 juin 2013, des peines allant jusqu'à dix mois de prison avec sursis contre les adolescents en cause.
Quand on pense que Charles Earl Bolles Eastwood, surnommé Black Bart, fut condamné lui à six ans de prison à San Quentin, alors que le "bandit gentleman" était connu pour sa politesse et ses bonnes manières lors des braquages... A n'en pas douter, les sollicitations des jeunes malfrats du RER D ne devaient pas vraiment inclure les formules de politesse d'usage comme un "s'il vous plaît", "vous permettez"... Et pourtant, comme eux, Black Bart était un déraciné, ayant cherché fortune dans les contrées plus riches, avec plus de malheur que de bonheur ; il pensait lui aussi avoir la main plus heureuse en attaquant la Wells Fargo, RER D du nord de la Californie de l'époque... Autres temps, autres moeurs.
Le seul majeur de la bande a été, quant à lui, relaxé ; et pour peu qu'il invoque les mânes de Joseph Lesurques, il n'y a qu'un pas que la défense n'hésitera pas à faire en appel. Souvenons-nous de ce condamné à mort, sous le Directoire, pour avoir participé au braquage sanglant d'une malle poste, et dont le nom et le cas furent cités, durant des décennies, comme l'exemple de la justice assassine et approximative : en clair, comme l'erreur judiciaire manifeste -bien que les suites judiciaires n'éclairciront jamais le rôle exact du sieur Lesurques dans cette affaire et surtout n'établira pas si oui ou non il avait du sang sur les mains-.
Non, décidément, ce qu'il manque à ces "sauvageons", c'est assurément la lecture d'Alain Supiot. Le Professeur, membre de l'Institut, leur apprendrait, à travers son essai sur la fonction anthropologique du Droit (Homo juridicus), combien "la dogmatique juridique est la manière occidentale de lier ainsi les hommes, en posant un sens qui s'impose à tous" ; combien "il faut que chacun de nous soit assuré d'un ordre existant pour pouvoir donner sens à sa propre vie et à son action, fût-elle contestatrice" ; oui, combien "les hommes ont besoin pour vivre ensemble de s'accorder sur un même sens de la vie"... Il leur enseignerait la façon dont les individus s'insèrent dans un univers de significations, qui leur permet de s'accorder sur "une représentation du monde où chacun a sa place" ; la façon de "disposer pour son propre compte de la puissance législatrice du Verbe"... Vaste programme...
La "créance de sens" chère au Professeur au Collège de France, voilà sans doute ce qu'il manque à l'actif de ces nouveaux "voleurs de grand chemin". Est-ce que la prison avec sursis, les avertissements solennels du tribunal, les mesures de protection judiciaire et les soixante-dix heures de travaux d'intérêt général (TIG) suffiront à faire d'eux des "créanciers" ?
L'auteur constatait alors la disparition ou l'effritement actuel du tiers garant, autrement dit l'Etat ; mais à quel moment de notre affaire cette disparition est-elle la plus sensible ?
Toujours est-il que, si "le coq se lève tôt", on sait maintenant que les voleurs se couchent tard... N'en déplaise à Tolstoï...
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par David Bakouche, Agrégé des Facultés de droit, Professeur à l'Université Paris-Sud (Paris XI)
Le 20 Juin 2013
L'occasion était donnée, dans notre dernière chronique dans le cadre de cette revue, d'évoquer un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation en date du 6 février 2013, duquel il ressortait que, lorsque la solution proposée par l'avocat est, en l'état du droit positif, incertaine, il lui appartient d'informer son client de l'existence d'un aléa (1). La solution apparaissait, somme toute, tout à fait conforme aux exigences professionnelles qui pèsent sur l'avocat, dont on n'a évidemment pas besoin de redire qu'il est tenu d'un devoir d'information et de conseil, l'obligeant ainsi à donner des avis qui reposent sur des éléments de droit et de fait vérifiés, en assortissant ses conseils de réserves s'il estime ne pas être en possession d'éléments suffisants d'appréciation une fois effectuées les recherches nécessaires, ou encore, entre autres, à informer son client de l'existence de voies de recours, des modalités de leur exercice et de lui faire connaître son avis motivé sur l'opportunité de former un recours (2). Un arrêt de la première chambre civile rendu le 10 avril 2013 permet, sous cet aspect, de préciser les conditions de mise en oeuvre de la responsabilité de l'avocat.
En l'espèce, une avocate avait assisté son client à l'occasion d'un litige prud'homal l'opposant à son employeur et d'une instance devant le juge aux affaires familiales mettant à la charge de l'intéressé une contribution alimentaire au profit de son fils. Le client ayant cessé de verser la pension alimentaire, une procédure de paiement direct a été mise en place. Quant à l'action engagée devant le conseil de prud'hommes, elle a fait l'objet d'une radiation du rôle. C'est dans ce contexte que, reprochant à l'avocate de ne pas l'avoir informé de la nécessité d'obtenir l'autorisation préalable du juge aux affaires familiales pour cesser le versement de la contribution alimentaire et d'avoir manqué à son devoir de diligence, en ne déposant pas ses conclusions avant la date impartie et en ne se présentant pas à l'audience de jugement, dans le cadre de la procédure prud'homale, le client a recherché sa responsabilité professionnelle. Deux questions doivent donc être ici distinguées, selon que l'on envisage l'action intentée par le client contre son ex-épouse ou contre son employeur. Sur la première, celle de la mise en oeuvre de la procédure de paiement direct, les premiers juges avaient, pour condamner l'avocate en réparation du préjudice subi par le client du fait précisément de la mise en oeuvre de cette procédure, retenu qu'elle avait commis une faute en indiquant à son client qu'il pouvait cesser, de lui-même, le règlement de la contribution alimentaire, alors qu'elle ne pouvait ignorer qu'une telle suspension ne pouvait résulter que d'une décision judiciaire. Leur décision est cassée, sous le visa de l'article 455 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6565H7B), au motif "qu'en statuant ainsi, sans répondre aux conclusions de [l'avocate] qui faisait valoir que [son client] avait pris l'initiative de suspendre les versements, sans tenir compte des différentes lettres qu'elle lui avait adressées, l'invitant à poursuivre les règlements, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé". Sur la seconde question, la cour d'appel d'Agen avait considéré, pour retenir la responsabilité de l'avocate au titre de la procédure prud'homale, après avoir relevé qu'elle avait failli à son obligation d'assistance et de conseil en ne se présentant pas à l'audience de jugement et en ne sollicitant pas la réinscription de l'affaire au rôle, que la radiation de l'instance avait emporté reprise du cours de la prescription et que celle-ci étant désormais acquise, le client avait définitivement perdu toute chance de remporter l'action engagée devant le conseil de prud'hommes de Bobigny. Cette décision est, là encore, cassée, sous le visa cette fois des articles 2244 (N° Lexbase : L4838IRM) et 2247 (N° Lexbase : L7175IAY) du Code civil et l'article 377 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L2241H4R), ensemble l'article 1147 du Code civil (N° Lexbase : L1248ABT), au motif "qu'en statuant ainsi, alors que le cours de la prescription avait été interrompu par l'introduction de l'instance prud'homale et que la radiation de l'affaire était sans effet sur la poursuite de cette interruption, la cour d'appel a violé les textes susvisés".
S'agissant du litige qui l'opposait à son ex-épouse, le client, à défaut d'avoir pu obtenir satisfaction au fond, avait entendu rechercher la responsabilité de son avocate, à laquelle il reprochait un manquement à ses obligations de conseil et de diligence. Très concrètement, il faisait valoir qu'en ne l'informant pas de la nécessité d'obtenir l'autorisation du juge pour cesser les versements de la contribution alimentaire, elle aurait commis une faute de nature à engager sa responsabilité. Il ne fait pas de doute, en l'état du droit positif, que le débiteur de la contribution ne peut décider, de son propre chef, de cesser tout versement, en estimant que la situation de l'enfant avait changé (3). La suppression doit être demandée en justice et elle ne peut être accordée que si la preuve est rapportée que l'événement qui justifiait le versement de la pension a disparu. Il en est ainsi notamment lorsque les enfants ne sont plus à la charge effective du parent créancier, lorsque la situation économique du parent débiteur s'est détériorée, lorsque les modalités de la résidence des enfants ont été modifiées, etc.. Et il appartient alors à celui qui demande au juge la suppression d'une contribution à l'entretien et à l'éducation d'un enfant de rapporter la preuve des circonstances permettant de l'en décharger (4). Aussi bien l'avocate avait-elle certainement méconnu cette obligation d'obtenir l'autorisation préalable du juge aux affaires familiales. Tout cela pouvait a priori, comme l'avaient d'ailleurs admis les juges du fond, justifier d'engager sa responsabilité, d'autant que la jurisprudence décide que l'avocat est tenu d'une obligation de compétence impliquant une parfaite connaissance du droit positif (5). Pourtant, si la Cour de cassation exerce ici sa censure, c'est parce que la cour d'appel n'avait pas répondu aux conclusions de l'avocate qui soutenait qu'elle avait, dans plusieurs courriers, invité son client à régulariser sa situation : autrement dit, ce que la Haute juridiction reproche aux juges du fond, c'est de ne pas avoir caractérisé l'existence d'un lien de causalité entre le conseil de l'avocate et le préjudice subi par son client, puisque rien ne permettait d'assurer que le client ne se serait pas, en tout état de cause, abstenu de payer la contribution, même informé de la nécessité d'obtenir une autorisation judiciaire pour le faire.
S'agissant du litige qui l'opposait ensuite à son employeur, le client faisait valoir que l'avocate avait commis une faute en ne déposant pas ses conclusions dans le délai requis et ne s'était pas présentée à l'audience, de telle sorte que, l'affaire ayant été radiée, il aurait ainsi perdu une chance de l'emporter. En réalité, on l'a bien compris, c'est moins la radiation du rôle que la non réinscription de l'affaire qui caractérisait, selon le client, la faute de l'avocat à l'origine de son préjudice (6). On ne reviendra évidemment pas sur la question de savoir si le préjudice constitué par la perte d'une chance est réparable : on sait bien que l'élément de préjudice constitué par la perte d'une chance présente, en tant que tel, un caractère direct et certain chaque fois qu'est constatée la disparition, par l'effet du délit, de la probabilité d'un événement favorable, encore que, par définition, la réalisation d'une chance ne soit jamais certaine (7), étant d'ailleurs entendu, comme l'a précisé un arrêt récent ici même signalé, que la perte d'une chance "même faible" est "indemnisable" (8). Mais encore faut-il naturellement, pour donner lieu à une action en responsabilité, que la perte de chance invoquée ait été causée par la faute imputée au défendeur. Or, en l'espèce, l'avocate soutenait précisément que la radiation, simple mesure d'administration judiciaire, était sans incidence sur la poursuite de l'interruption de la prescription résultant de l'action en justice, en l'occurrence de l'introduction de l'instance devant les juridictions prud'homales. C'est bien ce que décide la Cour de cassation, affirmant, dans un attendu de principe, que "le cours de la prescription avait été interrompu par l'introduction de l'instance prud'homale et que la radiation de l'affaire était sans effet sur la poursuite de cette interruption". Par suite, ni la radiation, ni le défaut de réinscription de l'affaire au rôle n'avaient, au cas présent, fait perdre une chance au client de l'emporter au fond : c'est seulement la péremption de l'affaire, qu'il aurait pu éviter en réinscrivant lui-même l'affaire dans les temps, qui était à l'origine de son préjudice.
Le plus souvent, dans cette chronique, lorsqu'il est question de rendre compte du contentieux relatif à la responsabilité civile professionnelle de l'avocat, c'est de la faute de celui-ci dont il est question, ou bien du préjudice subi par la victime. Dans le premier cas, on se demande si le manquement reproché à l'avocat est ou non susceptible de s'analyser en un manquement à ses obligations, d'information ou de conseil, de prudence ou de diligence, d'assistance ou de compétence, et il faudra alors déterminer l'étendue du mandat confié par le client à l'avocat ; dans le second, c'est essentiellement l'appréciation et la réparation de la perte d'une chance, notamment de gagner un procès, qui est discutée. Mais il ne faut pas perdre de vue que, en dehors de ces conditions communes à toute action en responsabilité civile, il faut parfois composer avec des règles spéciales qui peuvent avoir une incidence sur la mise en oeuvre de la responsabilité de l'avocat et, plus précisément, sur le régime de cette responsabilité. Il en va par exemple ainsi de certaines règles propres au droit des assurances, notamment de la règle de l'article L. 121-17 du Code des assurances (N° Lexbase : L0093AAP), provenant d'une loi du 2 février 1995, relative au renforcement de la protection de l'environnement (N° Lexbase : L8686AGS), aux termes de laquelle "sauf dans les cas visés par l'article L. 121-16, les indemnités versées en réparation d'un dommage causé à un immeuble doivent être utilisées pour la remise en état effective de cet immeuble ou pour la remise en état de son terrain d'assiette d'une manière compatible avec l'environnement dudit immeuble" (9). La restriction qu'apporte ce texte au principe de libre disposition de l'indemnité d'assurance a-t-elle une incidence sur l'exercice de l'action en responsabilité intentée par l'assuré contre son avocat auquel il reproche de ne pas avoir valablement introduit une action contre l'assureur dommages-ouvrage ? C'est à cette question que devait répondre la troisième chambre civile de la Cour de cassation dans une affaire ayant finalement donné lieu à un arrêt du 29 mai 2013.
En l'espèce, des époux reprochaient à leur avocat d'avoir laissé prescrire l'action contre leur assureur dommages-ouvrage et l'avaient, en conséquence, assigné, ainsi que son assureur, en indemnisation. La cour d'appel de Caen, par un arrêt en date du 14 février 2012, ayant accueilli cette demande, l'avocat et son assureur se sont pourvus en cassation. Ils faisaient valoir, dans leur moyen, que l'indemnisation due par l'avocat qui n'a pas valablement introduit une action en justice doit être soumise aux mêmes régime et conditions que les sommes qui auraient pu être obtenues si l'action avait été valablement engagée, pour en déduire, au cas présent, que l'objet de la responsabilité civile étant de rétablir, aussi exactement que possible, l'équilibre détruit par le dommage et de replacer la victime dans l'exacte situation où elle se serait trouvée si l'acte dommageable n'avait pas eu lieu, sans qu'il résulte pour elle perte ou profit, la cour d'appel aurait violé l'article 1149 du Code civil (N° Lexbase : L1250ABW) en condamnant l'avocat et son assureur à verser aux époux le montant des travaux de reprise tels que chiffrés par l'expert, sans que leur réalisation soit imposée aux maîtres de l'ouvrage, quand il était constant que l'assureur dommages-ouvrage aurait été fondé à exiger la réalisation des travaux sous peine de pouvoir exiger la restitution des sommes versées. La Cour de cassation rejette le pourvoi, au motif "qu'ayant relevé que les époux [...] demandaient réparation des dommages résultant de la faute de leur avocat, la cour d'appel a exactement retenu, sans méconnaître le principe de la réparation intégrale, que même si elle était calculée par référence au coût de financement des travaux nécessaires à la réparation, la somme allouée n'était pas soumise au régime et aux mécanismes de l'assurance dommages-ouvrage et que, dès lors, les époux [...] n'étaient pas tenus de justifier de l'emploi des fonds obtenus".
On laissera à d'autres, plus compétents que nous, le soin de revenir dans le détail sur la question de droit des assurances proprement dite. On se contentera de rappeler, à ce titre, qu'au principe de libre disposition de l'indemnité d'assurance, qui veut que son bénéficiaire soit seul juge de l'utilisation qu'il en fera, laquelle peut être employée à toute autre chose qu'à la réparation des biens détruits, l'article L. 121-17 du Code des assurances apporte une première restriction pour des raisons d'intérêt général, tenant en l'occurrence aux nécessités de protection de l'environnement. C'est en tout cas ce texte que l'avocat invoquait en défense à l'action en responsabilité intentée contre lui par son client, encore que ce ne soit pas la seule restriction apportée au principe de libre disposition de l'indemnité d'assurance : la jurisprudence, se fondant sur une disposition propre à l'assurance construction, décide encore que l'assuré est déchu de son droit à indemnité s'il ne reconstruit pas, exigeant ainsi que l'indemnité soit affectée aux réparations des dommages de nature décennale, et privant donc son bénéficiaire de tout pouvoir de libre disposition (10).
La question qui nous intéresse, dans le cadre de cette chronique, est plus générale : il s'agissait de savoir si l'action en responsabilité civile intentée par le client contre son avocat était, au cas d'espèce, dans la dépendance des règles du Code des assurances restreignant la libre disposition de l'indemnité d'assurance par l'assuré ? En l'occurrence, partant du principe que l'assureur dommages-ouvrage aurait pu, compte tenu de ce qui a été dit plus haut, exiger la réalisation des travaux sous peine de pouvoir exiger la restitution des sommes versées, il s'agissait de savoir si l'avocat, auquel était reproché d'avoir laissé prescrire l'action de son client contre l'assureur dommages-ouvrage de celui-ci, pouvait être condamné à lui verser une indemnité d'un montant équivalent à celui des travaux de reprise, sans pour autant que la réalisation de ces travaux ne lui soit imposée. En clair, ce qui vaudrait pour l'assuré dans son rapport avec son assureur peut-il valoir pour l'avocat de l'assuré, assigné par celui-ci en responsabilité civile ? On l'aura compris, la réponse est dans la question elle-même : sans doute, comme le relève d'ailleurs l'arrêt, l'indemnité que devra l'avocat, au titre de sa responsabilité civile, est-elle "calculée par référence au coût de financement des travaux nécessaires à la réparation", ce qui au demeurant est bien logique puisque c'est ce coût qui constitue le préjudice subi par la victime. Mais il n'en demeure pas moins, évidemment, que l'action intentée par les époux, sur le fondement de l'article 1147 du Code civil, contre leur avocat est parfaitement distincte de l'action en paiement qu'ils auraient pu exercer, à condition d'avoir agi en temps utile, en tant qu'assurés, contre leur assureur. Or, précisément, s'agissant de l'action en responsabilité intentée par eux contre l'avocat, aucun texte ne fait obligation aux allocataires de l'indemnité de justifier de l'emploi des fonds obtenus en réparation du préjudice subi. Techniquement, en effet, l'avocat responsable à l'égard de son client, qui est un tiers au contrat d'assurance conclu avec l'assureur et qui n'est nullement subrogé dans les droits de celui-ci, ne peut pas se prévaloir des dispositions de l'article L. 121-17 du Code des assurances, applicable aux rapports assureur/assuré. Voilà pourquoi, en définitive, la somme allouée aux époux, clients de l'avocat, dans le cadre de leur action en responsabilité civile, n'est pas soumise au régime et aux mécanismes de l'assurance dommage ; et voilà pourquoi ils ne sauraient être tenus de justifier de l'emploi des fonds ainsi obtenus.
(1) Cass. civ. 1, 6 février 2013 n° 12-14.433, F-D (N° Lexbase : A6372I77), et nos obs. in Chronique de responsabilité professionnelle - Mars 2013, Lexbase Hebdo n° 146 du 28 mars 2013 - édition professions (N° Lexbase : N6332BTP).
(2) Cass. civ. 1, 21 mai 1996, n° 94-12.974 (N° Lexbase : A1188CYN).
(3) CA Paris, 5ème ch., sect. A, 23 septembre 2004, n° 03/07701 (N° Lexbase : A7075DDE), AJF, 2005, note F. C.
(4) Cass. civ. 1, 22 février 2005, n° 03-17.135, FS-P+B (N° Lexbase : A8701DGD), Bull. civ. I, n° 94 ; Cass. civ. 1, 9 janvier 2008, n° 06-19.581, FS-P+B (N° Lexbase : A2667D38), Bull. civ. I, n° 1.
(5) Cass. civ. 1, 14 mai 2009, n° 08-15.899, FS-P+B (N° Lexbase : A9822EGU).
(6) Voir not., sur la question, H. Slim, Radiation du rôle et perte de chance, JCP éd. G, 2013, act. 487.
(7) Cass. crim., 9 octobre 1975, n° 74-93.471 (N° Lexbase : A2248AZB), Gaz. Pal., 1976, 1, 4 ; Cass. crim., 4 décembre 1996, n° 96-81.163 (N° Lexbase : A1138AC7), Bull. crim., n° 224.
(8) Cass. civ. 1, 16 janvier 2013, n° 12-14.439, F-P+B+I (N° Lexbase : A4084I3N).
(9) L'article L. 121-16 du Code des assurances répute non écrite toute clause subordonnant le versement d'une indemnité en réparation d'un dommage subi par un immeuble bâti du fait d'une catastrophe naturelle à sa reconstruction sur place, si l'espace est soumis à un plan de prévention des risques naturels prévisibles.
(10) Voir not. Cass. civ. 3, 17 décembre 2003, n° 02-19.034, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A4530DAZ), Resp. civ. et assur., 2004, comm. 7, et chron. 6, H. Groutel ; RGDA, 2004, p. 102, note J.-P. Karila ; Rép. Defrénois, 2005, p. 72, note H. Périnet-Marquet.
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par Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, Directeur du Master 2 Droit des difficultés d'entreprises et Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences HDR à l'Université de Nice-Sophia-Antipolis, Membre du CERDP
Le 20 Juin 2013
La procédure de conciliation, héritière du règlement amiable, a été mise en place par la loi de sauvegarde des entreprises (loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 N° Lexbase : L5150HGT).
La conciliation est accessible aux débiteurs qui éprouvent une difficulté juridique, économique ou financière avérée ou simplement prévisible (C. com., art. L. 611-4 N° Lexbase : L8840INQ). En cas d'ouverture de cette procédure confidentielle, le président du tribunal nomme, pour une durée relativement brève (1), un conciliateur dont le rôle est de favoriser la conclusion d'un accord amiable entre le débiteur et ses principaux créanciers, destiné à mettre fin aux difficultés de l'entreprise (C. com., art. L. 611-7 N° Lexbase : L3258ICN).
Le législateur, dans son souci d'offrir au chef d'entreprise la procédure qui lui semble la plus adaptée, rend accessible la procédure de conciliation non seulement au bénéfice d'entreprises qui ne sont pas en état de cessation des paiements mais également à celles qui seraient dans cet état dès lors qu'il n'est pas caractérisé depuis plus de 45 jours.
Dans l'hypothèse où le conciliateur ne parvient pas à obtenir un accord ou, dans l'hypothèse où le tribunal rejetterait l'homologation -qui peut facultativement être sollicitée- de l'accord, la conciliation prendra fin. Si le débiteur est en état de cessation de paiement et qu'une procédure collective est ouverte à la suite de l'échec de la procédure de conciliation, le tribunal pourra-t-il fixer une date de cessation des paiements antérieure à 45 jours avant l'ouverture de la procédure de conciliation ? Au contraire, puisque l'ouverture de la procédure de conciliation suppose que le débiteur ne se trouve pas en état de cessation des paiements depuis plus de 45 jours, la remontée de la date de cessation des paiements à une date antérieure est-elle inenvisageable ? Telle est la question sur laquelle s'est penchée la Chambre commerciale de la Cour de cassation dans un arrêt du 22 mai 2013, appelé à la publication au Bulletin.
En l'espèce, le 15 juillet 2009, une société avait fait l'objet d'une procédure de conciliation qui s'était soldée par un échec et l'ouverture subséquente d'une procédure de redressement convertie ensuite en liquidation judiciaire. Dans le cadre de cette procédure collective, la date de cessation des paiements avait été reportée au 1er janvier 2009. La société débitrice reprochait aux juges du fond d'avoir reporté la date de cessation des paiements à une date antérieure à la procédure de conciliation. Le pourvoi est cependant rejeté par les Hauts magistrats qui approuvent les juges du fond d'avoir considéré que "la décision ouvrant la procédure de conciliation n'a pas, en cas d'échec, autorité de chose jugée quant à la date de cessation des paiements" de sorte que "l'ouverture de la procédure de conciliation n'empêchait pas le report de la date de cessation des paiements".
Cette position prise par la Chambre commerciale n'étonnera guère. Elle se situe dans la droite ligne de la jurisprudence rendue sous l'empire du règlement amiable, ancêtre de la conciliation. La jurisprudence avait, en effet, admis la possibilité de remonter la date de cessation des paiements en amont de l'ouverture du règlement amiable, alors pourtant que le règlement amiable supposait l'absence de cessation des paiements (C. com., art. L. 611-3, anc. N° Lexbase : L3187ICZ). A priori, on aurait donc pu penser que la date de cessation des paiements ne pouvait pas être remontée antérieurement à l'ouverture du règlement amiable. Cependant, la jurisprudence (2) en a jugé autrement dans la mesure où l'ordonnance d'ouverture du règlement amiable a une nature gracieuse. En conséquence, elle n'est pas dotée de l'autorité de la chose jugée, notamment quant à la date de cessation des paiements. L'ordonnance d'ouverture du règlement amiable ne pouvait donc pas faire obstacle à une remontée, à une date antérieure à son intervention, de la date de cessation des paiements.
Cette solution est aujourd'hui reprise en matière de procédure de conciliation : dès lors que la décision ouvrant la procédure de conciliation n'a pas autorité de chose jugée quant à la date de cessation des paiements, en cas d'ouverture subséquente d'une procédure collective, cette date pourra être remontée à une date antérieure à la conciliation.
La solution posée en cas d'échec de la conciliation serait la même en cas de simple constatation d'un accord de conciliation. L'occasion est ici donnée de rappeler l'intérêt que peut présenter, tant pour le débiteur que pour ses créanciers, l'homologation d'un accord de conciliation par rapport à la simple constatation de l'accord.
Depuis la loi du 26 juillet 2005, deux possibilités sont ouvertes lorsqu'un accord de conciliation est trouvé entre le débiteur et ses principaux créanciers : l'article L. 611-8 du Code de commerce (N° Lexbase : L3238ICW) offre un choix au débiteur entre la conciliation simplement constatée et celle homologuée.
En matière de conciliation constatée, l'article L. 611-8, I, précise que "le président du tribunal, sur la requête conjointe des parties [c'est-à-dire du débiteur et des créanciers parties à l'accord de conciliation], constate leur accord et donne à celui-ci force exécutoire". Le président du tribunal statue alors au vu d'une déclaration certifiée du débiteur attestant qu'il ne se trouve pas en état de cessation des paiements lors de la signature de l'accord ou que cette signature y met fin.
Cette attestation du débiteur ne présente aucun caractère judiciaire et ne liera que ce dernier (3). La simple constatation de l'accord de conciliation par le président du tribunal n'aura aucune incidence sur la faculté qu'aura le tribunal de remonter l'état de cessation des paiements, dans l'hypothèse de l'ouverture subséquente d'une procédure collective.
Le tribunal aura ainsi la possibilité de fixer la date de cessation des paiements antérieurement à la date de constat de l'accord de conciliation ou antérieurement à celle d'ouverture de la conciliation et même au-delà des 45 jours précédant celle-ci.
La conciliation simplement constatée n'est donc pas sécurisée. Cette insécurité est patente pour les créanciers en raison du risque couru sur le terrain des nullités de la période suspecte pour tous les actes accomplis antérieurement à la décision constatant la conciliation. Ainsi, par exemple, le banquier qui aurait, dans l'accord constaté, accepté d'octroyer des délais de paiement ou une remise partielle en contrepartie d'une sûreté conventionnelle risquerait de voir ces garanties annulées sur le fondement des nullités de la période suspecte. En effet, tombe sous le coup d'une nullité de droit la sûreté prise en période suspecte pour dette antérieurement contractée (cf. C. com., art. L. 632-1 N° Lexbase : L8851IN7) et tombe sous le coup d'une nullité facultative la sûreté prise en période suspecte en garantie de dette concomitamment contractée (cf. C. com., art. L. 632-2 N° Lexbase : L3422ICQ).
Le banquier serait alors récompensé de ses efforts par une nullité des actes !
L'homologation de l'accord de conciliation apporte une sécurité. Elle est régie par le II de l'article L. 611-8 qui énonce qu'"à la demande du débiteur, le tribunal homologue l'accord obtenu si les conditions suivantes sont réunies : Le débiteur n'est pas en cessation des paiements ou l'accord conclu y met fin [...]". A elle seule, cette disposition n'aurait pas été suffisante pour empêcher une remontée de date de cessation des paiements à une date antérieure. Rappelons en effet qu'il avait été jugé, sous l'empire de la précédente législation du règlement amiable, que l'homologation de l'accord de règlement amiable n'empêchait pas que puisse être remontée la date de cessation des paiements (4).
La sécurisation vient d'une autre précision contenue à l'article L. 631-8, alinéa 2 (N° Lexbase : L0991HZQ). Il résulte de cette disposition, applicable en liquidation par renvoi de texte, qu'en cas d'ouverture d'une procédure collective, la date de cessation des paiements "peut être reportée une ou plusieurs fois, sans pouvoir être antérieure de plus de 18 mois à la date du jugement. Sauf cas de fraude, elle ne peut être reportée à une date antérieure à la décision définitive ayant homologué un accord amiable".
Il sera donc impossible de créer une période suspecte pour une période antérieure à la décision définitive d'homologation, ce qui empêche ainsi l'annulation des actes accomplis antérieurement.
Ainsi, même si certains actes effectués dans le cadre de l'accord de conciliation auraient pu être paraître suspects (par exemple, l'obtention d'une sûreté pour dette antérieurement contractée), ils sont définitivement à l'abri des nullités de la période suspecte puisque la date de cessation des paiements ne pourra pas être remontée à une date antérieure à la décision d'homologation de l'accord amiable. Remarquons que cette homologation présente un deuxième avantage substantiel pour les créanciers apporteurs d'argent frais dans l'hypothèse d'une ouverture subséquente d'une procédure collective : le bénéfice du privilège de la conciliation (C. com., art. L. 611-11 N° Lexbase : L3235ICS).
Ainsi, débiteurs et créanciers devront parfaitement avoir à l'esprit l'incidence de la procédure de conciliation sur les possibilités de remontée de la date de cessation des paiements : la décision d'ouverture de la procédure ainsi que la constatation d'un accord de conciliation, à défaut d'autorité de chose jugée sur la date de cessation des paiements, n'auront aucun impact sur la faculté qu'aura le tribunal de remonter la date de cessation des paiements lors de l'ouverture subséquente d'une procédure collective. En revanche, du fait d'une disposition spéciale de l'article L. 631-8, alinéa 2, la date de cessation de paiement ne pourra pas être remontée à une date antérieure à la décision définitive d'homologation de l'accord de conciliation.
Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences HDR à l'Université de Nice-Sophia-Antipolis, Membre du CERDP
Définir le contenu de la mission du commissaire à l'exécution d'un plan de sauvegarde ou de redressement n'est pas chose facile. De façon générale, il est chargé de veiller à la bonne exécution du plan. Au-delà de cette mission générale, le législateur précise certains points, en confiant, de manière expresse, quelques missions ponctuelles au commissaire à l'exécution. C'est ainsi, par exemple, qu'il peut former appel de la décision statuant sur la modification du plan (C. com., art. L. 661-1, 3°, N° Lexbase : L4167HBX, réd. L. 26 juillet 2005, devenu C. com., art. L. 661-1, I, 7° N° Lexbase : L8963INB, réd. ord. 18 décembre 2008). Il a qualité pour demander la résolution du plan (C. com., art. L. 626-27,II N° Lexbase : L3309ICK). Il peut également agir en nullité de la période suspecte (C. com., art. L. 632-4 N° Lexbase : L3395ICQ). Le commissaire à l'exécution du plan peut encore se constituer partie civile dans le cadre d'instances pénales pour banqueroute (C. com., art. L. 654-17 N° Lexbase : L4163HBS).
Confirmant la solution toute prétorienne posée sou l'empire de la loi du 25 janvier 1985 (loi n° 85-98 N° Lexbase : L7852AGW), la loi de sauvegarde (loi n° 2005-845 N° Lexbase : L5150HGT ; C. com., art. L. 626-25 N° Lexbase : L3349ICZ) reconnaît aussi au commissaire à l'exécution la possibilité d'introduire ou de poursuivre des actions tendant à la défense de l'intérêt collectif des créanciers. Une fois le plan de sauvegarde ou de redressement adopté, le commissaire à l'exécution du plan supplante le mandataire judiciaire pour assurer la défense de l'intérêt collectif des créanciers. C'est cette dernière mission qui faisait difficulté dans le présent arrêt.
Une société faisait commerce de la distribution de bateaux sur la Côte d'Azur. Elle avait été placée en sauvegarde et avait obtenu un plan de sauvegarde. Pendant l'exécution de son plan, le fabricant de bateaux avait rompu le contrat de distribution. La société s'en était émue et avait assigné le fabricant pour obtenir l'indemnisation de la rupture prétendument fautive du contrat. Son commissaire à l'exécution était ensuite intervenu à l'instance et avait formé une demande incidente pour obtenir le paiement des mêmes sommes.
Devant les premiers juges, le fabricant de bateau avait soulevé une exception d'incompétence dans la mesure où il entendait faire jouer une clause attributive de compétence au profit d'un tribunal arbitral. L'applicabilité de cette clause compromissoire dépendait en réalité du point de savoir si la question appartenait ou non à la compétence du tribunal de la faillite. Cela revenait à se poser la question suivante : la prorogation de compétence au profit du tribunal qui a ouvert la procédure collective, posée par l'article R. 662-3 (N° Lexbase : L9419ICT) et R. 626-23 (N° Lexbase : L0946HZ3) du Code de commerce, a-t-elle vocation à jouer pour un litige né d'une rupture prétendument abusive d'un contrat après l'adoption d'un plan de sauvegarde ?
La cour d'appel ne l'a pas estimée. Le commissaire à l'exécution du plan, mais non la société en cours d'exécution du plan, a alors formé contredit. La question qui se posait à la Cour de cassation était de savoir s'il avait qualité pour former ce contredit.
La question cachait en réalité une autre question, à laquelle il fallait d'abord répondre pour pouvoir statuer sur la recevabilité du contredit : celle de savoir si le commissaire à l'exécution du plan de sauvegarde a qualité à agir pour obtenir la réparation d'un préjudice résultant de la rupture prétendument fautive d'un contrat, intervenue après l'adoption du plan.
Rejetant le pourvoi, la Cour de cassation va approuver la cour d'appel d'avoir estimé que "le commissaire à l'exécution du plan, qui a qualité pour intenter des actions en responsabilité délictuelle afin d'obtenir le paiement de sommes réparant le préjudice collectif des créanciers résultant d'une diminution [un mot a ici été oublié par la cour d'appel ; il faut lire diminution de l'actif ] ou une aggravation du passif, ne peut agir contre un cocontractant du débiteur qu'il ne représente pas". La cour d'appel, approuvée par la Cour de cassation, en tire la conséquence que "le commissaire à l'exécution du plan n'avait ni intérêt ni qualité pour former contredit".
Pour apprécier la solution posée par la Cour de cassation, il nous faut examiner les deux questions dans l'ordre :
- la prorogation de compétence au profit du tribunal qui a ouvert la procédure collective, posée par l'article R. 662-3 et R. 626-23 du Code de commerce, a-t-elle vocation à jouer pour un litige né d'une rupture prétendument abusive d'un contrat après l'adoption d'un plan de sauvegarde (I) ?
- le commissaire à l'exécution du plan de sauvegarde a-t-il qualité à agir pour obtenir la réparation d'un préjudice résultant de la rupture prétendument fautive d'un contrat, intervenue après l'adoption du plan (II) ?
I - La prorogation de compétence et le litige né d'une rupture prétendument abusive d'un contrat après l'adoption d'un plan de sauvegarde
Reprenant une solution classique du droit des procédures collectives de paiement, l'article R. 662-3 du Code de commerce pose une prorogation de compétence, au profit du tribunal qui a ouvert la procédure collective en ces termes : "Sans préjudice des pouvoirs attribués en premier ressort au juge-commissaire, le tribunal saisi d'une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire connaît de tout ce qui concerne la sauvegarde, le redressement et la liquidation judiciaires, l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif, la faillite personnelle ou l'interdiction prévue à l'article L. 653-8 (N° Lexbase : L2343HWP), à l'exception des actions en responsabilité civile exercées à l'encontre de l'administrateur, du mandataire judiciaire, du commissaire à l'exécution du plan ou du liquidateur qui sont de la compétence du tribunal de grande instance".
Comme le relève justement un auteur, "si la règle est générale, elle n'est cependant pas absolue. Il n'est pas donné compétence au tribunal de la procédure collective pour connaître de tous les litiges mettant en cause le débiteur" (5).
Que faut-il entendre par "tout ce qui concerne la sauvegarde, le redressement et la liquidation judiciaires" ? L'attraction de compétence existe dans la législation depuis 1838. L'article 112 du décret du 22 décembre 1967, d'application de la loi du 13 juillet 1967, contenait une disposition analogue qui conduisait à reconnaître compétence au tribunal dès lors que l'action était née de la procédure collective ou que les règles de la procédure collective exerçaient une influence sur la solution du litige. Cette solution est posée en jurisprudence depuis 1888 (6) : le tribunal de la faillite est compétent à l'effet de connaître des contestations nées de la faillite ou sur lesquelles la faillite exerce une influence juridique. Elle est, depuis lors, constamment réaffirmée (7).
A - Les actions sur lesquelles les règles de la faillite exercent une incidence
Sont d'abord de la compétence du tribunal qui a ouvert la procédure collective, les actions dont la solution dépend des règles de la procédure collective. Il en est ainsi de toutes les actions gouvernées par les principes du droit de la faillite. On citera pour illustration la détermination du domaine d'une action interdite, arrêtée ou suspendue pour raison liée au jugement d'ouverture.
La question est donc ici relativement simple : oui ou non les règles qui gouvernent les procédures collectives conduisent-elles à rendre une solution différente de celle qui aurait dû être appliquée au litige, si ce dernier ne s'inscrivait pas dans une procédure collective ? Si l'on répond oui à la question, la prorogation de compétence au profit du tribunal de la faillite s'impose. Si l'on répond non, elle ne joue plus.
En l'espèce, la question de la résiliation fautive du contrat, qui se pose après l'adoption du plan, ne correspond pas à une action sur laquelle les règles de la faillite exercent leur incidence, pour la raison d'évidence que le livre VI du Code de commerce ne contient aucune règle spécifique régissant la continuation ou la résiliation des contrats après l'adoption d'un plan de sauvegarde ou de redressement.
B - Les actions nées de la faillite
Sont également de la compétence du tribunal, qui a ouvert la procédure collective, les actions nées de la faillite. Il s'agit là des actions qui n'auraient pu naître sans un jugement d'ouverture de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire. Il en est ainsi de toutes les actions spécifiques aux procédures collectives, telles les actions en nullité de la période suspecte ou les demandes de report de date de cessation des paiements, les actions en responsabilité pour insuffisance d'actif.
Ainsi que nous l'avons résumé (8), "la dérogation aux règles de compétence dure pendant toute la procédure, mais ne concerne pas les actions engagées avant la procédure. Elles sont poursuivies devant la juridiction initialement saisie. Elle ne concerne pas davantage les actions engagées après clôture de la procédure" (9). En présence d'un plan de sauvegarde, la procédure collective doit être considérée comme terminée dès l'adoption du plan, le débiteur étant rétabli dans ses droits. Il redevient in bonis. Il faut donc considérer que l'attraction de compétence au profit du tribunal de la faillite ne dépasse pas l'adoption du plan.
C'est d'ailleurs pourquoi le législateur a prévu, à l'article R. 626-23 du Code de commerce, que "le tribunal qui a arrêté le plan demeure compétent pour connaître des conditions de son exécution".
Il importe d'observer que l'article R. 626-23 du Code de commerce ne s'exprime pas en termes généraux. Il n'énonce pas, par exemple, que le tribunal qui a arrêté le plan connaît de tout ce qui concerne son exécution. Il n'indique pas davantage que le tribunal qui a arrêté le plan connaît de toutes les difficultés de son exécution. Beaucoup plus sobrement, le texte vise les "conditions de son exécution".
Il faut donc comprendre que le tribunal qui a arrêté le plan connaît de l'interprétation de son jugement ; il connaît de la modification du plan et de sa résolution. Il connaît encore de la surveillance de l'exécution des obligations du débiteur et des personnes tenues d'exécuter le plan, c'est-à-dire toutes les personnes ayant, au cours de son élaboration -en période d'observation- souscrits des engagements au titre de son exécution.
En résumé, après adoption du plan de sauvegarde, seules les actions inhérentes à son exécution, c'est-à-dire des actions qui n'auraient pas pu naître sans l'adoption du plan, sont de la compétence du tribunal de la faillite.
Il est donc hors de propos pour le tribunal, qui a arrêté le plan, de surveiller la bonne exécution d'un contrat conclu avant l'ouverture de la procédure et continué dans les conditions de l'article L. 622-13 (N° Lexbase : L3352IC7), de savoir si ce contrat est résilié ou encore de savoir s'il est régulièrement résilié. Pour que la surveillance du tribunal pût porter sur l'exécution d'un contrat, il eut fallu que le cocontractant du débiteur ait pris un engagement dans le cadre de l'exécution du plan, par exemple l'engagement de maintenir ses relations contractuelles pendant toute la durée du plan, comme cela est parfois le cas pour un banquier qui s'engage à maintenir ses concours pendant la durée du plan.
La règle de l'article R. 626-23 du Code de commerce, qui prolonge la prorogation de compétence de l'article R. 662-3 du même code, afin de permettre de concentrer sur le tribunal qui a arrêté le plan la connaissance des "conditions de l'exécution du plan" ne saurait permettre une dérogation de compétence que ne renfermerait pas l'article R. 662-3 du code, s'agissant de difficultés d'exécution d'un contrat conclu avant l'adoption du plan.
La discussion sur l'exécution fautive d'un contrat, et celle sur sa résiliation abusive, ne sont pas de la compétence du tribunal de la faillite. Et la solution se comprend aisément : dès lors que la résiliation aurait pu intervenir sans la faillite, l'action n'est pas née de la faillite. Dès lors que les règles applicables à la résolution du litige n'auraient pas été différentes, qu'il y ait ou non ouverture d'une procédure collective, les règles de la faillite n'exercent pas d'incidence sur l'action. Les conditions du jeu de l'article R. 662-3 ne sont pas réunies.
II - Le défaut de qualité du commissaire à l'exécution du plan pour obtenir la réparation d'un préjudice résultant de la rupture prétendument fautive d'un contrat, intervenue après l'adoption du plan
L'article L. 626-25, alinéa 1er, du Code de commerce, dans la rédaction issue de la loi de sauvegarde des entreprises, prévoit que le commissaire à l'exécution du plan est un organe "chargé de veiller à l'exécution du plan". Sa surveillance porte sur le respect de l'ensemble des obligations du débiteur (10).
Le commissaire à l'exécution du plan n'a pas pour mission d'administrer l'entreprise à la place du débiteur (11). Sa mission, relève t-on, "lui interdit de s'immiscer dans la gestion. Elle se limite à une obligation de surveillance et à faire rapport" (12). Il n'a pas pour fonction de défendre le débiteur.
C'est ainsi qu'a été déclarée irrecevable l'action du commissaire à l'exécution du plan, en indemnisation du préjudice résultant pour le débiteur d'un abus dans la fixation du prix d'un contrat d'approvisionnement exclusif (13).
Pour examiner plus attentivement la qualité à agir du commissaire à l'exécution du plan, il faut bien poser deux principes : le commissaire à l'exécution devient, après l'adoption du plan, le défenseur de l'intérêt collectif des créanciers, cette mission le fondant à agir en responsabilité délictuelle (A). En revanche, le commissaire à l'exécution du plan ne représente pas le débiteur, ce qui lui interdit d'agir en responsabilité contractuelle (B).
A - La mission de défense de l'intérêt collectif des créanciers, fondement de sa qualité à agir en responsabilité délictuelle
Après l'adoption du plan, le mandataire judiciaire ne demeure en fonction que pour terminer les opérations de vérification du passif. Il cesse sa mission de défense de l'intérêt collectif des créanciers. Au contraire, le commissaire à l'exécution devient, après l'adoption du plan, le défenseur de l'intérêt collectif des créanciers. L'action du commissaire à l'exécution du plan, qui se place sur un terrain indemnitaire, doit tendre à assurer la défense de l'intérêt collectif des créanciers.
Or il importe de relever que la résiliation du contrat, sur laquelle repose en l'espèce la demande du commissaire à l'exécution du plan, est postérieure à l'adoption du plan. Il ne s'agit donc pas d'une faute commise avant l'ouverture de la procédure collective et mettant, en conséquence, en jeu l'intérêt collectif des créanciers, au sens où l'entend le droit des entreprises en difficulté.
Seule une faute commise avant l'ouverture de la procédure collective et faisant apparaître un préjudice avant l'ouverture de la procédure collective peut fonder un préjudice réparable sous l'angle de la défense de l'intérêt collectif des créanciers.
La Cour de cassation n'a jamais admis qu'une action tendant à la défense de l'intérêt collectif des créanciers soit fondée sur une faute commise après l'adoption d'un plan, alors qu'à cette date, et par hypothèse, la procédure collective a pris fin. Il est essentiel de souligner que le commissaire à l'exécution du plan n'a qualité à agir dans l'intérêt collectif des créanciers que si la faute a été commise avant l'ouverture de la procédure collective. Le commissaire à l'exécution du plan n'a qualité à agir que pour des actes fondés sur des faits antérieurs, qui seraient à l'origine du passif, mais en aucun cas pour des faits qui seraient postérieurs à la procédure collective et a fortiori postérieurs à l'adoption du plan d'apurement.
B - L'absence de qualité de représentant du débiteur du commissaire à l'exécution du plan, fondement de son absence de qualité à agir en responsabilité contractuelle
Selon une jurisprudence bien établie de la Cour de cassation, le commissaire à l'exécution du plan n'a pas qualité pour représenter le débiteur (14). C'est pourquoi une action en paiement ne peut être dirigée contre lui (15).
Parce que le commissaire à l'exécution du plan ne représente pas le débiteur, la jurisprudence lui dénie qualité à agir sur le terrain de la responsabilité contractuelle. Il ne peut donc demander la condamnation, sur un fondement contractuel, du partenaire du débiteur (16).
En l'espèce, si le commissaire à l'exécution du plan avait recherché la responsabilité contractuelle du cocontractant du débiteur, il aurait nécessairement été déclaré irrecevable.
Habilement, il avait donc présenté sa demande indemnitaire comme reposant sur un fondement délictuel. Mais encore fallait-il que l'apparence correspondît à la réalité. Il prétendait agir aux fins de protéger le gage des créanciers. En réalité, au fond des choses, il tentait d'obtenir de l'argent qui aurait permis au débiteur de payer les dividendes de son plan. Cela transparaissait d'ailleurs clairement dans son attitude : il agissait contre le partenaire contractuel du débiteur parce que l'attitude de ce dernier compromettait la bonne exécution du plan. Il s'agissait donc, en réalité, de permettre au débiteur de respecter son plan et de lui assurer, en conséquence, la trésorerie nécessaire pour ce faire.
Aussi, bien qu'il se plaçât officiellement sur le terrain de la protection des créanciers, sur le terrain de la défense de l'intérêt collectif des créanciers, l'action du commissaire à l'exécution du plan a d'abord et avant tout pour objet de permettre la bonne exécution du plan. Envisagée sous cet angle, elle ne participe donc pas tant de la défense de l'intérêt collectif des créanciers que de la défense du débiteur, auquel il essaie de donner les moyens de la bonne exécution de son plan.
Ce faisant, le commissaire à l'exécution du plan est en réalité intervenu strictement sur le terrain contractuel, car il agit aux fins de défendre le débiteur, contre les agissements qu'il reproche au cocontractant de ce débiteur.
Le commissaire à l'exécution ne fait, au fond des choses, rien d'autre que défendre le débiteur, en essayant de faire en sorte qu'il puisse correctement exécuter son plan, ce qu'il ne peut faire, car telle n'est pas sa mission.
Le débiteur étant redevenu in bonis, par l'effet de l'adoption de son plan de sauvegarde, il doit seul assurer sa défense.
On le voit, la solution de la cour d'appel, approuvée par la Cour de cassation, est parfaitement justifiée : parce que l'action du commissaire à l'exécution du plan ne participe pas de la défense de l'intérêt collectif des créanciers, elle est irrecevable. Dès lors, le commissaire à l'exécution ne peut seul former un contredit contre une décision qui a rejeté l'exception d'incompétence soulevée pour connaître de l'action indemnitaire contre l'ancien partenaire contractuel du débiteur.
Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, Directeur du Master 2 Droit des difficultés d'entreprises
(1) Pour une durée de quatre mois maximum, qui peut être, sur la demande du conciliateur, prorogée d'un mois par décision motivée (C. com., art. L. 611-6, al. 2 N° Lexbase : L3178ICP).
(2) Cass. com., 14 mai 2002, n° 98-22.446, publié (N° Lexbase : A6696AYN), Bull. civ. IV, n° 87 ; D., 2002, AJ 1837, obs. A. Lienhard ; D., 2003. 615, note V. Martineau-Bourgninaud ; JCP éd. E, 2002, chron. 1380, p. 1520, n° 2, obs. Ph. Pétel ; Act. proc. coll., 2002/12, n° 149, obs. C. Régnaut-Moutier ; RTDCom., 2002. 533, n° 1, obs. F. Macorig-Venier, RJDA, 2002/10, n° 1046 ; RD banc. et bourse, 2002/5, p. 261, n° 186, obs. A. Lucas ; JCP éd. E, 2003, jur. 108, p. 131, note F. Vinckel ; RJ com., 2002, n° 1606, p. 412, note M. Armand-Prevost.
(3) Intervention de D. Perben, JOAN CR, 1ère séance du 3 mars 2005, p. 1610.
(4) Cf. Cass. com., 14 mai 2002, n° 98-22.446, préc..
(5) J.-L. Vallens, Lamy Droit commercial (partie relative au redressement et à la liquidation judiciaires), éd. Lamy, 2012, n° 2525.
(6) Cass. req., 29 octobre 1888, DP 1889, I, p. 13.
(7) Ainsi, Cass. com., 8 juin 1993, n° 90-13.821, publié (N° Lexbase : A5421ABE), Bull. civ. IV, n° 233 ; Rev. huissiers, 1994, 72, note D. Vidal.
(8) P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, Dalloz action, 7ème éd., 2013/2014, n° 312.11 (ouvrage paru le 19 juin 2013).
(9) Cass. req., 21 mai 1906, S. 1906, I, 433, note Lyon-Caen.
(10) J.-L. Vallens, Lamy Droit commercial (partie relative au redressement et à la liquidation judiciaires), préc., n° 4066.
(11) C. Saint-Alary-Houin, Droit des entreprises en difficulté, 7ème éd., "Domat", Montchrestien, 2011, n° 871.
(12) J.-L. Vallens, Lamy Droit commercial (partie relative au redressement et à la liquidation judiciaires), préc., n° 4066.
(13) Cass. com., 18 janvier 2000, n° 97-16.224, publié (N° Lexbase : A8150AGX), Bull. civ. IV, n° 16 ; JCP éd. E, 2000, chron. 701, n° 2-b-6, obs. M. Cabrillac ; Act. proc. coll., 2000/3, n° 32.
(14) Cass. soc., 27 novembre 2001, n° 00-40.771, FS-P (N° Lexbase : A2703AXE), Bull. civ. IV, n° 366, RTDCom., 2002, 154, n° 3, obs. C. Saint-Alary-Houin ; Cass. com., 13 novembre 2003, n° 01-10.724, F-D (N° Lexbase : A1230DAS) ; Cass. com., 12 octobre 2004, n° 02-16.762, publié (N° Lexbase : A6002DDN), Bull. civ. IV, n° 184, D., 2004, AJ 2790, D., 2005, pan. 295, nos obs., JCP éd. E, 2005, chron. 31, p. 27, n° 4, obs. M. Cabrillac et Ph. Pétel, Bull. Joly Sociétés, 2005/1, § 2, p. 27, note A. Cérati-Gauthier.
(15) Cass. com., 12 juillet 2004, n° 01-16.034, P+B+I (N° Lexbase : A0985DDT), Bull. civ. IV, n° 158 ; RD banc. et fin., 2004/6, p. 415, n° 255, obs. F.-X. Lucas.
(16) Cass. com., 10 mars 2009, n° 07-21.410, F-D (N° Lexbase : A7060EDT), Gaz. proc. coll., 2009/3, p. 24, note I. Rohart-Messager, Act. proc. coll., 2009/7, n° 111, note C. Régnaut-Moutier, RTDCom., 2010, p. 190, n° 7, obs. C. Saint-Alary Houin ; CA Paris, 25ème ch., sect. B, 9 novembre 2007, n° 2004/18057 (N° Lexbase : A8273DZG).
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par Manuel Carius, Maître de conférences à l'Université de Poitiers et avocat à la cour
Le 20 Juin 2013
En droit de la fonction publique, la consécration des principes généraux du droit permet au Conseil d'Etat de renforcer la situation de personnels auxquels le droit écrit n'apporte pas une protection suffisante, notamment sur le plan des droits sociaux. Depuis 2002, la jurisprudence administrative reconnaît l'existence d'un principe général du droit visant à permettre le reclassement d'un agent public déclaré physiquement inapte pour l'occupation de son emploi. Cette évolution résulte de l'arrêt du 2 décembre 2002 "CCI de Meurthe et Moselle" (1). Dans cette affaire, le Conseil d'Etat a fait, pour la première fois, application du principe général du droit "dont s'inspirent tant les dispositions du Code du travail relatives à la situation des salariés qui, pour des raisons médicales, ne peuvent plus occuper leur emploi, que les règles statutaires applicables dans ce cas aux fonctionnaires". Selon ce principe, "lorsqu'il a été médicalement constaté qu'un salarié se trouve de manière définitive atteint d'une inaptitude physique à occuper son emploi, il appartient à l'employeur de le reclasser dans un autre emploi et, en cas d'impossibilité, de prononcer, dans les conditions prévues pour l'intéressé, son licenciement".
Le principe ci-dessus rappelé est d'application générale et il avait déjà été mis en oeuvre pour un agent contractuel de droit public, pour lequel aucune règle ne prévoyait une recherche de reclassement préalablement à un licenciement pour inaptitude physique (2). Conformément à la théorie générale des principes généraux du droit, une loi peut toujours faire échec à la règle mise en lumière par la jurisprudence administrative. Ainsi, selon l'article 36 de la loi n° 95-73 du 21 janvier 1995, d'orientation et de programmation relative à la sécurité (N° Lexbase : L1655IEZ), un adjoint de sécurité devenu inapte physiquement à occuper l'emploi dans lequel il est affecté ne peut être reclassé que dans un emploi correspondant aux missions des adjoints de sécurité auprès des fonctionnaires des services actifs de la police nationale et pour la durée du contrat restant à courir (3). Au plan procédural, on rappellera que le moyen tiré de la méconnaissance de ce principe par une décision de l'administration licenciant un de ses agents est relatif à la légalité interne de cette décision (4).
L'intérêt majeur de l'arrêt du 17 mai 2013 est relatif à la demande de reclassement qui sera présentée par l'agent. Tout d'abord, la décision rappelle que le reclassement de l'agent doit résulter d'une demande de sa part, afin d'interdire à l'employeur d'imposer un reclassement qui ne correspondrait pas au souhait formulé par l'agent (5). De ce point de vue, il incombe à l'administration, lorsque la reprise des fonctions apparaît définitivement impossible en raison de l'état de santé de l'agent, d'inviter celui-ci à présenter, s'il le souhaite, une demande de reclassement (6). Ensuite, la décision commentée vient apporter une précision sur la teneur de la demande de reclassement. Les dispositions du Code du travail, mais également celles applicables aux fonctionnaires, n'imposent nullement que la demande présentée par l'agent précise la nature des emplois sur lesquels il sollicite son reclassement. Ainsi, le Conseil d'Etat indique qu'il pèse sur l'employeur une obligation de rechercher le reclassement de l'agent inapte. Cette obligation est objective et ne saurait être diminuée par le caractère incomplet ou insuffisant de la demande de l'agent. Dès lors qu'invité à le faire, l'agent inapte sollicite son reclassement, l'employeur doit mettre en oeuvre cette obligation de moyens ; ce n'est que si le reclassement est impossible que le licenciement pourra être prononcé.
Le Conseil d'Etat vient de trancher une difficulté touchant à la gestion du personnel, liée au transfert à une collectivité territoriale d'une compétence jusqu'à lors exercée par l'Etat. L'article 109 de la loi n° 2004-809 du 13 août 2004, relative aux libertés et responsabilités locales (N° Lexbase : L0835GT4), crée un droit d'option au profit des fonctionnaires de l'Etat travaillant dans le cadre d'une mission de service public objet d'un transfert de compétences. Le I de cet article précise que ces personnels peuvent opter soit pour le statut de fonctionnaire territorial, soit pour le maintien du statut de fonctionnaire de l'Etat. Le II du même article précise, quant à lui, que les fonctionnaires de l'Etat ayant opté pour le maintien de leur statut sont placés en position de détachement auprès de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales dont relève désormais leur service. Ce détachement est, par exception, aux règles habituelles (article 45 du titre II du statut général des fonctionnaires de l'Etat), prévu sans limitation de durée.
Un fonctionnaire de l'Etat, chef d'équipe d'exploitation des routes, ayant été placé en position de détachement, dans les conditions ci-dessus rappelées, auprès du conseil général du Cantal, a sollicité une prolongation d'activité pour une durée de deux ans renouvelable à compter du 11 janvier 2010, sur le fondement des dispositions de l'article 93 de la loi n° 2008-1330 du 17 décembre 2008, de financement de la Sécurité sociale pour 2009 (N° Lexbase : L2678IC8), modifiant l'article 1-3 de la loi n° 84-834 du 13 septembre 1984, relative à la limite d'âge des fonctionnaires (N° Lexbase : L1097G87). Cette demande ayant été rejetée par deux courriers émanant du président du conseil général, l'agent a contesté ce refus. Le tribunal avait fait droit à la requête, mais la cour administrative d'appel (7) avait reformé ce jugement et rejeté le recours.
Le Conseil d'Etat censure l'arrêt d'appel pour erreur de droit, en ce qu'il a estimé que le président du conseil général se trouvait dans une situation de compétence liée lors de l'examen de la nouvelle demande, en 2009, en raison de l'existence d'une décision antérieure du préfet. L'article 1-3 de la loi du 13 septembre 1984 modifiée prévoit que les fonctionnaires appartenant à des corps ou des cadres d'emplois dont la limite d'âge est inférieure à soixante-cinq ans, sont, sur leur demande, lorsqu'ils atteignent cette limite d'âge, maintenus en activité jusqu'à l'âge de soixante-cinq ans, sous réserve de leur aptitude physique. Or, le décret n° 2009-1744 du 30 décembre 2009 (N° Lexbase : L1899IGG), pris pour l'application de ces dispositions met en place un système transitoire (art. 8) pour les demandes présentées par les fonctionnaires dont la limite d'âge intervient avant le 1er juillet 2010. Se fondant sur cette disposition, le Conseil d'Etat considère qu'un fonctionnaire qui, avant l'entrée en vigueur du décret du 30 décembre 2009, a atteint la limite d'âge de son corps et s'est vu refuser pour ce motif une prolongation d'activité, est en droit de présenter une nouvelle demande tendant au bénéfice des dispositions de l'article 1-3 de la loi du 13 septembre 1984, à la condition de présenter sa demande au plus tard le 1er mars 2010. L'arrêt d'appel ne pouvait donc opposer au requérant une situation de compétence liée dans laquelle se serait trouvé le président du conseil général du Cantal, la décision de ce dernier se bornant à appliquer l'arrêté en date du 9 octobre 2008 par lequel le préfet du Cantal a admis le requérant à faire valoir ses droits à la retraite à compter du 11 janvier 2010.
Après avoir censuré le raisonnement des juges du fond, le Conseil d'Etat va évoquer l'affaire au fond. Ce faisant, il va faire droit aux arguments de la requête et rejeter le recours diligenté par le département du Cantal à l'encontre du jugement de première instance.
La décision du président du conseil général est annulée en raison de l'incompétence de son auteur pour statuer sur une demande de maintien en activité présentée, sur le fondement de l'article 1-3 de la loi du 13 septembre 1984, par un fonctionnaire de l'Etat placé en situation de détachement. Selon l'arrêt, il appartenait à l'administration d'origine du fonctionnaire de se prononcer sur une telle demande. La solution repose sur la nature même de la position du détachement. En application de l'article 45 du titre II du statut général des fonctionnaires, "le détachement est la position du fonctionnaire placé hors de son corps d'origine mais continuant à bénéficier, dans ce corps, de ses droits à l'avancement et à la retraite". Ainsi, le fonctionnaire détaché ne coupe pas le lien qui l'unit à son corps d'origine. Il demeure membre de ce corps pour ce qui concerne la "carrière". La décision de prolongation d'activité n'est pas propre à l'emploi de détachement mais relève de l'administration d'origine, notamment parce que la survenance de la limite d'âge dans ce corps induit la mise en retraite de l'agent (8). La particularité de l'espèce résultait du fait que l'agent avait été placé en position de détachement sans limitation de durée. Cette caractéristique ne change, selon le Conseil d'Etat, rien à l'identité de l'autorité compétente pour se prononcer sur une demande de prolongation d'activité.
L'un des grands principes de la fonction publique consiste à réserver aux fonctionnaires titulaires les emplois permanents des services publics administratifs (voir, pour les services publics locaux, article 3-1 et suivants de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984, portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale N° Lexbase : L7448AGX). Ce n'est donc que par dérogation que des agents contractuels de droit public peuvent être recrutés. Les contrats qui leur seront proposés seront le plus souvent à durée déterminée, même si la loi n° 2012-347 du 12 mars 2012, relative à l'accès à l'emploi titulaire et à l'amélioration des conditions d'emploi des agents contractuels dans la fonction publique (N° Lexbase : L3774ISL), autorise désormais un recours plus large au contrat à durée indéterminée.
Dans l'affaire jugée par le Conseil d'Etat le 26 avril 2013, le requérant avait été embauché par une communauté d'agglomération pour occuper un poste de chargé de mission, en vue d'assurer le passage au très haut-débit. La relation de travail s'est traduite par la signature de deux contrats de trois ans, conclus en 2003 et 2006. Par une décision du 21 octobre 2008, confirmée sur recours gracieux le 23 décembre 2008, la présidente de la communauté d'agglomération a indiqué à l'agent que son contrat ne serait pas renouvelé au-delà du 31 janvier 2009. Le tribunal administratif de Pau a annulé ce refus et condamné l'établissement public à verser 8 000 euros de dommages-intérêts à l'agent, en raison de l'absence d'entretien préalable. Ce jugement a été annulé par un arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux (9), à l'encontre duquel un pourvoi a été dirigé.
Le Conseil d'Etat censure l'arrêt d'appel, faute pour ce dernier d'avoir fait une juste application de la jurisprudence "Danthony" (10). Selon cette importante décision, il existe un principe juridique "selon lequel, si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d'une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n'est de nature à entacher d'illégalité la décision prise que s'il ressort des pièces du dossier qu'il a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu'il a privé les intéressés d'une garantie".
Dans l'affaire qu'il a eu à juger le 26 avril 2013, le Conseil d'Etat a confronté ce principe à l'exigence de recevoir, lors d'un entretien préalable, l'agent public contractuel dont le contrat risque de ne pas être renouvelé. Cette obligation procédurale est imposée par l'article 38 du décret n° 88-145 du 15 février 1988 (N° Lexbase : L1035G8T), qui fixe les conditions d'emploi des agents non-titulaires de la fonction publique territoriale. Selon ce texte, l'employeur doit informer l'agent de son intention de ne pas renouveler un contrat à durée déterminée arrivant à échéance ; en outre, lorsque ce contrat est susceptible d'être reconduit pour une durée indéterminée, en application de l'article 3-3 du titre II du statut général des fonctionnaires, la notification de la décision doit être précédée d'un entretien.
L'arrêt commenté consacre le caractère informatif de cet entretien. Il considère, en effet, que "l'accomplissement de cette formalité, s'il est l'occasion pour l'agent d'interroger son employeur sur les raisons justifiant la décision de ne pas renouveler son contrat et, le cas échéant, de lui exposer celles qui pourraient justifier une décision contraire, ne constitue pas pour l'agent, eu égard à la situation juridique de fin de contrat sans droit au renouvellement de celui-ci [...] une garantie dont la privation serait de nature par elle-même à entraîner l'annulation de la décision de non renouvellement". La nullité de la décision de refus de renouvellement ne pourra donc être prononcée que si le juge administratif constate que l'absence d'entretien a été susceptible d'exercer, une influence sur le sens de la décision (l'arrêt de la cour administrative d'appel est annulé en ce qu'il n'a pas procédé à une telle recherche).
Le Conseil d'Etat confirme le caractère précaire de la situation de l'agent public contractuel recruté en contrat à durée déterminée. En l'absence d'un droit à la stabilité de l'emploi (tout au moins durant les six premières années), le refus de renouvellement relève pleinement du pouvoir de la collectivité publique employeur, sauf circonstances particulières, et n'induit donc pas une formalisme excessif. Une telle solution n'est pas fondamentalement nouvelle. Il a déjà été jugé que le non-respect de l'obligation d'organiser un entretien préalable n'entraîne pas, en lui-même, l'annulation de la décision refusant le non-renouvellement (11) ; cependant il était susceptible d'engager la responsabilité de l'administration (12), ce qui ne sera plus le cas désormais, en tout cas de manière systématique.
L'arrêt prend également soin de noter que le fait que le refus puisse, éventuellement, être pris en considération de la personne ne justifie pas que l'entretien préalable soit considéré comme une véritable garantie pour l'agent. En revanche, il en va autrement lorsque la décision refusant de reconduire le contrat repose sur un motif disciplinaire. Dans ce cas, l'entretien préalable ne pourra pas être éludé car il s'agirait d'une atteinte au principe des droits de la défense (13).
(1) CE 7° et 5° s-s-r., 2 octobre 2002, n° 227868, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A9513AZD), AJDA, 2002, p. 997 et p. 1294, concl. D. Piveteau, note M.-Ch. de Montecler, JCP éd. A, 2002, 1114, note D. Jean-Pierre, AJFP, novembre 2002, p. 41, Dr. adm., 2002, comm. 200, note D.P.
(2) CE 1° et 6° s-s-r., 26 février 2007, n° 276863, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A4266DUK).
(3) CE 4° et 5° s-s-r., 11 juillet 2011, n° 328049, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A0258HWH).
(4) CE 4° et 5° s-s-r., 17 décembre 2008, n° 299665, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A8836EBU).
(5) CE 1° et 6° s-s-r., 26 février 2007, n° 276863, mentionné aux tables du recueil Lebon, préc..
(6) CE 3° et 8° s-s-r., 7 juillet 2006, n° 272433, mentionné aux tables du Lebon (N° Lexbase : A3547DQG).
(7) CAA Lyon, 3ème ch., 4 octobre 2011, n° 10LY02162, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A7136KGE).
(8) CE, S., 3 février 1956, de Fontbonne, n° 8035, Rec. 45 ; CE 1° et 6° s-s-r., 26 octobre 2005, n° 260756, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A1403DLK).
(9) CAA Bordeaux, 6ème ch., 8 novembre 2011, n° 10BX01913, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A7135KGD).
(10) CE, S., 23 décembre 2011, n° 335033, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A9048H8M).
(11) CE 7° et 10° s-s-r., 12 février 1993, n° 109722, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A8449AMU).
(12) CE 3° et 5° s-s-r., 28 avril 1999, n° 87046, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A1954AQG), Rec., p. 766.
(13) CE 3° et 5° s-s-r., 14 mars 1997, n° 154693, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A8907ADA).
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par Guillaume Beaussonie, maître de conférences en droit privé, membre du CRDP de l'Université François-Rabelais de Tours (EA 2116), et Madeleine Sanchez, docteur en droit, auditrice de justice
Le 20 Juin 2013
La présomption d'innocence, même si son nom ne l'indique pas, n'est pas qu'une règle de preuve. Elle constitue, tout autant et sans doute plus encore, l'objet d'un droit subjectif puissant que l'article 9-1 du Code civil (N° Lexbase : L3305ABZ) définit comme étant celui, "avant toute condamnation", de ne pas être "présenté publiquement comme étant coupable de faits faisant l'objet d'une enquête ou d'une instruction judiciaire".
La particularité de ce droit "au respect de la présomption d'innocence" réside alors dans la dissociation de sa nature et de sa portée.
Ce droit est par nature pénal, puisqu'il tire sa source dans une procédure pénale. En effet, seule une personne suspectée d'être impliquée dans la commission d'une infraction ou, pour reprendre les termes de la Cour européenne des droits de l'Homme, seule une personne "accusée" d'avoir participé à un processus infractionnel (1), peut prétendre en être le titulaire.
Toutefois, la portée de ce droit dépasse largement le procès pénal, puisque les débiteurs des obligations qu'il implique ne sauraient se limiter aux acteurs de ce procès. Toute personne est ainsi susceptible de porter atteinte à la présomption d'innocence d'une autre personne.
La nature pénale du droit au respect de la présomption d'innocence refait cependant surface lorsqu'il est question de déterminer son terme, terme qui correspond, bien logiquement, à celui du procès pénal (2) : à quoi bon être encore présumé innocent si l'on a été innocenté ou, à l'inverse, condamné (3) ?
En l'espèce, un médecin avait affiché, dans la salle d'attente de son cabinet de consultation, une version expurgée du jugement correctionnel qui avait condamné son associé au paiement d'une amende pour abus de confiance. Sur ce document, il précisait également à ses patients qu'il était désormais séparé de cet associé. Apprenant les faits, et alors qu'il faisait appel de ce jugement, l'associé parti obtenait, par application de l'article 9-1 du Code civil, la condamnation sous astreinte de l'associé restant au retrait du document litigieux. En conséquence, ce dernier formait un pourvoi en cassation qui conduisait la première chambre civile à confirmer que, dans cette affaire, une atteinte avait été portée au droit au respect de la présomption d'innocence du mis en cause. A cette fin, elle apportait plusieurs précisions importantes.
La première précision était relative au contenu de ce qui avait été exposé : du document avaient effectivement été supprimés deux passages, l'un contenant les arguments du prévenu en faveur de sa relaxe, l'autre indiquant que celui-ci avait fait appel du jugement. En définitive, il ne restait que les éléments allant dans le sens d'une culpabilité acquise.
La deuxième précision concernait le contexte de l'exposition : la présentation de la culpabilité de l'associé sortant avait bien été publique, en ce sens qu'un cabinet de consultation médicale représente un lieu public par destination. Elle entrait donc dans le champ d'application de l'article 9-1 du Code civil.
La troisième précision portait sur le moment de l'exposition : la condamnation de l'associé n'était pas encore irrévocable, bref indiscutable, puisque celui-ci en avait fait appel (il a même, après que la cour d'appel a confirmé sa condamnation, formé un pourvoi en cassation à cet égard). Autrement dit, son droit au respect à la présomption d'innocence était encore vif.
La quatrième et dernière précision, peut-être la plus importante, avait pour objet de déterminer la nature de l'exposition. Concrètement, il était, selon la Cour de cassation, nécessaire de différencier ce simple "affichage d'une décision de justice" de "l'immunité propre dont bénéficie celui qui se livre au compte-rendu de débats judiciaires".
Pour renforcer ce qui ne pourrait, de la sorte, passer que pour une simple motivation autoritaire, la première chambre civile ajoutait qu'"une telle activité [devait] du reste être menée avec fidélité et bonne foi, conditions que [démentaient] en l'espèce les expurgations opérées sur la pièce affichée".
C'est on ne peut mieux dire que, si l'affichage d'une décision de condamnation pénale non définitive se justifie, puisque la justice est rendue publiquement, c'est à la condition que soit insinuée une autre issue, parce que la justice est rendue publiquement. Cette autre issue, c'est celle de l'innocence du condamné.
Guillaume Beaussonie, MCF Tours, CRDP (EA 2116)
Les articles 622 (N° Lexbase : L3995AZY) et suivants du Code de procédure pénale, qui prévoient la révision d'une décision pénale définitive, ont pour finalité de réparer une erreur judiciaire et, plus précisément, une erreur sur la preuve. En effet, seule une révélation portant sur la preuve elle-même autorise à y recourir. En outre, l'erreur concernée ne peut porter que sur la culpabilité elle-même (4).
En l'espèce, c'est le quatrième cas de révision figurant à l'article 622 du Code de procédure pénale qui a permis à deux hommes, condamnés par la cour d'assises des Pyrénées-Orientales, le 25 juin 2004, à la peine de vingt ans de réclusion criminelle chacun pour complicité de meurtre, d'obtenir l'annulation de l'arrêt de condamnation et leur renvoi devant une nouvelle cour d'assises.
La Cour de révision constate en effet que, malgré quelques divergences sur leur degré de participation, les récits de deux autres individus au sujet du déroulement des faits ayant conduit à la mort de la victime et les vérifications effectuées par le juge d'instruction, qui a décidé de renvoyer ces deux nouveaux personnages devant la cour d'assises de l'Hérault sous l'accusation d'assassinat, sont compatibles avec la version soutenue avec constance par les deux hommes pourtant condamnés par la cour d'assises des Pyrénées-Orientales.
Dans son arrêt du 15 mai 2013, la cour de révision résume cette version de la façon suivante : les condamnés auraient livré cinq kilogrammes de cannabis à la victime décédée, qui les aurait quittés pour rejoindre des clients, inconnus d'eux, situés à proximité, auxquels il devait revendre ces produits. Ce sont les deux nouveaux accusés, renvoyés devant la cour d'assises de l'Hérault, qui sont aujourd'hui soupçonnés d'être lesdits clients et qui n'étaient à l'époque pas identifiés. La transaction devait se réaliser moyennant un paiement immédiat, grâce auquel la victime devait s'acquitter aussitôt de sa dette envers les deux vendeurs, condamnés pour complicité de meurtre, faute d'avoir pu précisément identifier l'auteur des coups de couteau mortels. Les deux condamnés expliquaient avoir attendu le retour de la victime sur place, durant la transaction, avant de partir vainement à sa recherche. Cette version des faits, aujourd'hui corroborée par les déclarations des deux nouveaux accusés, émanait de deux personnes qui se livraient, comme la victime, à des infractions relevant du trafic de stupéfiants. Particulièrement improbable et nullement étayée, elle n'avait pas su convaincre la cour d'assises des Pyrénées-Orientales. Pour la Chambre criminelle de la Cour de cassation, pourtant, "sont établis des faits nouveaux ou inconnus de la juridiction de nature à faire naître un doute sur la culpabilité [des deux condamnés] au sens de l'article 622, 4°, du Code de procédure pénale".
Ce quatrième cas de révision, introduit par une loi du 8 juin 1895 et élargi par la loi n° 89-431 du 23 juin 1989 (N° Lexbase : L0945IXB), est le plus utilisé. Il autorise une demande de révision lorsque, "après une condamnation, vient à se produire ou à se révéler un fait nouveau ou un élément inconnu de la juridiction au jour du procès, de nature à faire naître un doute sur la culpabilité du condamné" (5). Ce dernier cas semble pouvoir englober toutes les hypothèses les plus pertinentes dans lesquelles une juridiction de jugement aurait pu être abusée, intentionnellement ou non, par une preuve incomplète ou mensongère. Les expressions "un fait nouveau" et "un élément inconnu" sont larges, d'où l'exigence supplémentaire d'un fait ou d'un élément "de nature à faire naître un doute sur la culpabilité du condamné". Contrairement à ce qui était prévu avant la loi du 23 juin 1989, la rédaction actuelle n'impose plus un élément "de nature à établir l'innocence du condamné". Elle implique tout de même qu'il soit apte à introduire un doute, solution que retenait déjà la jurisprudence sous l'empire de l'ancienne rédaction (6). L'examen de la jurisprudence de la Commission de révision et de la Cour de révision éclaire l'interprétation qui est faite de ces dispositions, mais il révèle aussi que l'appréciation de l'élément de nature à faire naître un doute dépend de l'entier dossier, un élément à première vue identique pouvant justifier l'annulation d'une condamnation dans une affaire mais pas dans une autre.
Ont ainsi été retenus comme des éléments suffisants pour justifier l'annulation d'une condamnation pénale, avec ou sans renvoi devant une juridiction de jugement, l'altération des facultés personnelles de l'unique témoin d'un vol -découverte par sa mise sous tutelle- dont les déclarations étaient le support de la condamnation de l'intéressé (7), comme les aveux particulièrement circonstanciés et spontanés de l'auteur d'un homicide volontaire auprès des services de police, trois ans après la condamnation d'un autre individu (8), cet exemple se rapprochant de celui de l'espèce.
A la lecture du déroulé des investigations tel qu'il est présenté par l'arrêt de la Cour de révision, l'issue du nouveau procès qui se tiendra devant une autre cour d'assises laisse peu de place au doute quant à la probabilité d'un acquittement, ce qui autorisera les deux personnes condamnées par erreur à se prévaloir des dispositions de l'article 626 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L4000AZ8), selon lesquelles un condamné reconnu innocent a droit à réparation intégrale des préjudices matériel et moral que lui a causé la condamnation.
Madeleine Sanchez, docteur en droit, auditrice de justice
II - Le délai raisonnable
L'impératif de respect d'un délai raisonnable pour chaque procédure pénale, bien que très opportun, n'est pas des plus aisés à mettre en oeuvre. Faut-il, en effet, se contenter d'un grand principe ? Si oui, comment sanctionner son éventuelle violation ? Ou faut-il plutôt incarner cette règle pour chaque acte, en prévoyant des délais propres à chacun et, parallèlement, des sanctions différentes ?
A la lecture du Code de procédure pénale, il appert que le choix qui a finalement été fait prend la forme d'une combinaison de ces deux conceptions du délai raisonnable. L'exemple le plus caractéristique réside, en matière de détention provisoire, aux articles 144-1 (N° Lexbase : L3738IGK) et 145-1 (N° Lexbase : L3505AZT) : le premier précise qu'une telle mesure "ne peut excéder une durée raisonnable, au regard de la gravité des faits reprochés à la personne mise en examen et de la complexité des investigations nécessaires à la manifestation de la vérité" ; le second pose des délais précis qu'il convient tout autant -et peut-être plus encore- de respecter.
Mais à l'article préliminaire qui a repris, sur ce point comme sur d'autres, l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L7558AIR), il est également précisé qu'"il doit être définitivement statué sur l'accusation dont une personne fait l'objet dans un délai raisonnable". C'est dire que, lorsqu'il est question et puisqu'il peut être question d'apprécier la durée d'une procédure dans son ensemble, sans se focaliser sur un acte précis, aucun délai précis n'a à s'imposer. Il paraîtrait alors excessif que, dans l'hypothèse où le juge considérerait qu'une procédure a été trop longue dans sa globalité, tous les actes soient annulés, même ceux qui auraient été accomplis dans un délai raisonnable. D'où une solution de compromis : valider la procédure, mais indemniser la victime du retard.
L'arrêt rendu le 24 avril 2013 par la Chambre criminelle de la Cour de cassation ne fait que rappeler cette solution classique dans un attendu très clair : il se déduit des articles préliminaire du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L9741IPH) et 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme que, "si la méconnaissance du délai raisonnable peut ouvrir droit à réparation, elle est sans incidence sur la validité des procédures".
Est-ce satisfaisant ? Dans la mesure où toute procédure pénale comporte déjà différents délais prédéterminés, pour certains de forclusion, et en considération du fait que le mis en cause dispose lui-même de prérogatives susceptibles d'allonger le temps du procès, il apparaît difficile d'imaginer une autre solution. En la matière, seul un abus devrait donner lieu à une sanction plus forte que l'indemnisation, or cet abus serait difficile à caractériser au sein de l'ensemble des acteurs qui concourent à l'avancée du procès pénal.
Guillaume Beaussonie, MCF Tours, CRDP (EA 2116)
III - Les droits de la défense
Dans les deux affaires qui ont conduit aux arrêts rendus par la Chambre criminelle de la Cour de cassation le 23 mai 2012, plusieurs prévenus, qui avaient bénéficié d'un premier renvoi afin de mieux préparer leur défense, n'ont pu en obtenir un second. Le motif de leur demande était pourtant très légitime : participant à un mouvement collectif, leurs avocats respectifs étaient absents de l'audience.
Pour la cour d'appel comme pour la Cour de cassation, cependant, "la décision d'un barreau de suspendre sa participation aux audiences constitue une circonstance insurmontable justifiant que l'affaire soit retenue sans la présence d'un avocat". En conséquence, quand bien même les prévenus n'auraient pas vraiment joui d'un droit à l'assistance d'un avocat effectif, en ce sens que si celui-ci n'a pas été mis en oeuvre, ce n'est pas faute pour ceux-là de l'avoir demandé, peu importe en définitive, puisque l'absence des avocats était impossible à surmonter pour la justice pénale.
L'"insurmontabilité" ainsi mise en avant paraît très relative, puisqu'elle avait vocation à prendre fin avec la grève des avocats. Sauf à rechercher des causes plus opportunistes, une autre règle, aussi peu écrite et inédite que la référence faite à une circonstance insurmontable en la matière, semble présider à la solution rendue : renvoi sur renvoi ne vaut (9).
Guillaume Beaussonie, MCF Tours, CRDP (EA 2116)
IV - Les droits des mineurs
Si la procédure pénale applicable aux mineurs est spécifique, elle ne doit pas moins en respecter les canons d'une procédure pénale de droit commun. Plus précisément, puisque la spécificité des règles procédurales applicables aux mineurs repose sur un principe de faveur à leur endroit (10), il apparaît naturel de ne pas écarter, à leur endroit, les principes favorables à tout mis en cause dans un procès pénal. Tel est le message porté par cet arrêt du 15 mai 2013.
En l'espèce, un mineur renvoyé devant le tribunal pour enfants remet en cause la validité de l'ordonnance de renvoi rendue par le juge des enfants. Selon lui, cet acte n'aurait pas été suffisamment motivé en ce qu'il "ne comportait pas le moindre visa des pièces de la procédure" et en ce que "le juge ne pouvait se borner à prétendre qu'il existait des charges suffisantes sans en justifier les raisons ni tenir compte des éléments à décharge".
Le tribunal, puis la cour d'appel, rejettent l'exception de nullité ainsi soulevée. A l'appui de sa décision, cette dernière rappelle le travail mené par le juge des enfants dans cette affaire. Celui-ci avait, en effet, avant de décider de la mise en examen du mineur, accordé un report de l'audience d'une semaine, puis interrogé le mineur, à la lumière de ses écritures en défense, sur les éléments de la procédure et sur sa participation aux faits poursuivis. Le juge avait alors, par ordonnance du même jour, rendue au visa des pièces de la procédure et au motif de charges suffisantes, ordonné le renvoi du mineur devant le tribunal pour enfants.
Toutefois, c'est par voie officieuse que le juge des enfants a en réalité agi de la sorte. L'article 8, alinéa 2, de l'ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 (N° Lexbase : L4662AGR) l'autorise effectivement, lorsqu'il effectue "toutes diligences et investigations utiles pour parvenir à la manifestation de la vérité et à la connaissance de la personnalité du mineur ainsi que des moyens appropriés à sa rééducation", à procéder à une enquête officieuse, autrement dit à une enquête qui ne nécessite pas le respect des "formes prévues par le chapitre Ier du titre III du livre Ier du Code de procédure pénale" (art. 79 à 190). L'idée est d'instaurer de la souplesse et de la simplicité, où règnent habituellement -mais pour de bonnes raisons- la légalité et la complexité. Il s'agit aussi, en un certain sens, de faire primer l'éducatif sur le répressif.
Or, aujourd'hui, ces impératifs n'apparaissent plus tout à fait aptes à justifier toutes les spécificités du traitement pénal procédural des mineurs. Récemment, le Conseil constitutionnel est même revenu sur ce qui, hier, convenait pourtant à la Cour européenne des droits de l'Homme et à la Cour de cassation : le cumul, par le juge des enfants, des fonctions d'instruction et de jugement (11). Qu'en est-il, alors, de l'enquête par voie officieuse ?
Saisie à son tour, la Chambre criminelle de la Cour de cassation n'invalide pas la procédure, mais rappelle que le juge des enfants, même avançant officieusement, "n'en est pas moins tenu de respecter les principes fondamentaux de la procédure pénale, consacrés tant par l'article préliminaire du Code de procédure pénale que par les articles 6 de la Convention européenne des droits de l'Homme et 14 du Pacte international relatifs aux droits civils et politiques". Et, toujours selon elle, tel a bien été le cas en l'espèce, le mineur mis en cause "ayant bénéficié d'un accès à la procédure, du temps nécessaire à la préparation de sa défense et ayant pu s'expliquer tant par écrit qu'oralement lors de son interrogatoire". Ainsi, il "n'a pu se méprendre sur le sens et la portée de l'acte de renvoi devant la juridiction de jugement ainsi que sur la nature et la cause de l'accusation portée contre lui".
L'enquête officieuse demeure, mais son absence de formes se trouve désormais contrebalancée par un regain de garanties.
Guillaume Beaussonie, MCF Tours, CRDP (EA 2116)
(1) CEDH, 10 février 1995, Req. 3/1994/450/529 (N° Lexbase : A6658AWI).
(2) Même si le recours en révision peut être perçu comme une forme d'application latente de la présomption d'innocence au-delà du procès pénal. D'un autre point de vue, ce recours peut tout aussi bien être perçu comme le prolongement d'un procès pénal lui-même encore latent. En définitive, se trouve surtout confirmé le lien consubstantiel entre présomption d'innocence et procès pénal.
(3) Voir C. Lombois, La présomption d'innocence, Pouvoirs, 1990, n° 55, p. 81.
(4) Pour l'analyse d'une précédente décision de la Chambre criminelle de la Cour de cassation siégeant comme cour de révision et, plus largement, du mécanisme de révision, lire nos observations sous Cass. crim., 20 juillet 2011, n° 10-87.326 (N° Lexbase : A3312HWL), in Chronique de procédure pénale - Septembre 2011, Lexbase Hebdo n° 452 du 8 septembre 2011 - édition privée (N° Lexbase : N7525BSI).
(5) C. proc. pén., art. 622, 4°.
(6) Cass. crim., 29 mars 1984, n° 83-94.105 (N° Lexbase : A8168AAR), Bull. crim., n° 133, qui retient un élément "de nature à faire naître un doute sérieux sur la culpabilité" du condamné.
(7) Cass. crim., 26 juin 1991, n° 90-85.925 (N° Lexbase : A3520ACD), Bull. crim., n° 284.
(8) Cass. crim., 13 avril 2010, n° 09-84.531, FS-P+F (N° Lexbase : A9207EUK), Bull. crim., n° 72.
(9) Pour un commentaire plus détaillé de ces deux arrêts, cf. nos obs., La légitimité de la tenue d'une audience correctionnelle sans avocat pour cause de grève, Lexbase Hebdo n° 151 du 13 juin 2013 - édition professions (N° Lexbase : N7458BTE).
(10) Voir E. Letouzey, La spécialisation des juridictions et des procédures dans les affaires de mineurs, Dr. pén., septembre 2012, étude n° 9.
(11) Cons. const., décision n° 2011-147 QPC du 8 juillet 2011 (N° Lexbase : A9354HUY), cons. n° 11.
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par Thierry Lambert, Professeur à Aix Marseille Université
Le 20 Juin 2013
Le 10 janvier 2000, le contribuable, dirigeant de sociétés, a cédé 3 000 actions de la société anonyme qu'il dirigeait, pour un prix de deux cent millions de francs (environ 30 489 803,45 euros). Il a déclaré dans le délai imparti la plus-value réalisée à l'occasion de cette opération.
L'administration a commis une erreur, au détriment du Trésor, dans l'avis de mise en recouvrement des contributions sociales, émis le 31 juillet 2001. Le 31 décembre 2006, elle a mis en recouvrement un montant de contribution supplémentaire.
Le 7 octobre 2003, le contribuable a souscrit deux déclarations d'impôt de solidarité sur la fortune au titre des années 2002 et 2003 sur lesquelles il a mentionné, au passif, une dette envers le Trésor au titre des contributions sociales de 2000.
Ces déclarations ont été spontanées, mais elles sont intervenues après l'expiration du délai légal de déclaration des plus-values réalisées en 2000, et énonçaient sans ambiguïté la nature de la dette, son montant et l'identité du créancier.
Les contributions sociales litigieuses étaient dues au titre de l'année 2000, ce qui signifie que le droit de reprise de l'administration pouvait s'exercer jusqu'au 31 décembre 2003 (LPF, art. L. 169 N° Lexbase : L5755IRL), sauf à considérer qu'un acte pouvait être de nature à interrompre la prescription.
Les procès-verbaux (CE Ass., 8 décembre 1967, n° 67557 et 67558, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A6028B7E, Dupont, 1968, p. 149), la citation en justice, depuis la mise en oeuvre de la loi du 27 décembre 1963, portant harmonisation des procédures, les propositions de rectifications (LPF, art. L. 189 N° Lexbase : L8757G8T) et l'avis de mise en recouvrement (LPF, art. L. 275 N° Lexbase : L3942ALL), sont autant d'actes permettant d'interrompre la prescription.
Les actes comportant reconnaissance par le contribuable de sa dette envers le Trésor, actes qui peuvent intervenir aussi bien avant qu'après l'émission des rôles et avis de mise en recouvrement, sont susceptibles d'interrompre tous les délais de prescription, qu'il s'agisse de ceux de l'action en reprise ou de ceux de l'action en recouvrement (voir notre ouvrage, Procédures fiscales, Montchrestien, collection Domat, 2013, pp. 107 et suivantes). Ces actes sont variés et englobent notamment le versement d'acomptes effectué par le débiteur lui-même, par son représentant légal ou son mandataire spécial et régulier, le dépôt d'un engagement de payer les droits et les amendes, ou encore le dépôt d'une demande de remise gracieuse. En revanche, la circonstance que le contribuable ait accepté certaines rectifications qui lui ont été irrégulièrement notifiées ne constitue pas un acte comportant reconnaissance, au sens de l'article L. 189 précité, de nature à interrompre la prescription (CE 9° et 7° s-s-r., 17 février 1988, n° 56129, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A6657APA, RJF, 1988, 4, comm. 480).
Rappelons que l'article L. 189 du LPF, dans sa rédaction applicable à la procédure, énonce : "la prescription est interrompue par la notification d'une proposition de redressement, par la déclaration ou la notification d'un procès-verbal, de même que par tout acte comportant reconnaissance de la part des contribuables et par tous les autres actes interruptifs de droit commun".
Le Conseil d'Etat a jugé que l'effet interruptif de la prescription ne peut résulter que d'un acte ou d'une démarche par lesquels le contribuable se réfère clairement à une créance définie par sa nature, son montant et l'identité du créancier (CE 10° et 9° s-s-r., 26 juillet 2007, n° 267594, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A4763DXP, RJF, 2007, 11, comm. 1291). Les actes doivent être accomplis spontanément par le contribuable ou en réponse à une demande régulière de l'administration (CE 8° et 9° s-s-r., 9 février 2000, n° 192179, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A9328AGL, RJF, 2000, 3, comm. 192).
Autrement dit, il est bien établi, au regard de la jurisprudence, que l'acte comportant reconnaissance de la part du contribuable doit être un acte conscient et clair, comportant une reconnaissance explicite et sans réserve ; il en va différemment lorsqu'une déclaration a été souscrite à la suite d'une invitation irrégulière faite par l'administration (CE 8° et 7° s-s-r., 8 juin 1990, n° 72156 N° Lexbase : A5161AQ9 et n° 76775 N° Lexbase : A4760AQD, inédits au recueil Lebon, RJF, 1990, 8-9, comm. 1082).
L'interruption a pour effet de faire courir un nouveau délai de même durée et de même nature que celui interrompu et dans le cadre duquel l'administration devra établir les impositions supplémentaires consécutives aux rectifications notifiées (CE 9° et 8° s-s-r., 28 février 1983, n° 33680, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A7932ALD, RJF, 1983, 5, comm. 689).
L'administration n'est pas fondée à mettre en recouvrement un complément d'impôt sur des bases supérieures à celles ayant fait l'objet de la rectification interruptive de prescription. Toutefois, elle a la possibilité de réduire les bases qui ont été notifiées dans la première proposition de rectification, sans avoir obligatoirement à notifier une seconde fois.
Finalement, à suivre le Conseil d'Etat, déclarer une dette d'impôt sur le revenu envers le Trésor revient à la reconnaître, ce qui est de nature à interrompre la prescription.
Un contribuable a fait l'objet d'un examen de situation fiscale personnelle, au titre des années 1998 à 1999. Il s'est marié le 23 août 1999 et en a tenu informée l'administration. Cette dernière a adressé, à ce contribuable et à sa conjointe, des mises en demeure de devoir souscrire des déclarations de revenus au titre de la période allant du 1er janvier 1999 au 22 août de la même année, veille du mariage, puis au couple pour l'année 2000.
Les mises en demeure les invitant à régulariser la situation qui leur ont été adressées sont restées sans suite. En conséquence, l'administration a taxé d'office ces contribuables sur le fondement des articles L. 66-1 (N° Lexbase : L8954IQP) et L. 67 (N° Lexbase : L7602HEB) du LPF.
En l'espèce, avant d'adresser aux époux la mise en demeure d'avoir à souscrire des déclarations de revenus, le contribuable, qui faisait l'objet de l'examen contradictoire de sa situation fiscale, a été convoqué à cinq entretiens. En outre, préalablement à l'envoi des mises en demeure, le vérificateur a cherché à recueillir des informations ou des documents de nature à l'éclairer sur l'assujettissement, ou non, du contribuable à l'impôt sur le revenu.
Le défaut de production de la déclaration dans les délais entraîne l'application d'une majoration de 10 % en l'absence de mise en demeure ou en cas de dépôt de la déclaration dans les trente jours suivant réception d'une mise en demeure, et de 40 % lorsque la déclaration n'a pas été déposée dans le délai de trente jours suivant la réception d'une mise en demeure (CGI, art. 1728 N° Lexbase : L1715HNT). L'opportunité d'une seconde mise en demeure a été supprimée.
La cour administrative d'appel de Paris, dans son arrêt rendu le 16 décembre 2010 (CAA Paris, 7ème ch., 16 décembre 2010, n° 08PA05099, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A1760GRM), relève que les requérants ne sont pas recevables à solliciter pour la première fois devant elle la décharge des contributions et prélèvements sociaux ainsi que des pénalités et intérêts de retard afférents, qui ont été mis à leur charge en même temps que les impositions initialement contestées, dès lors que ces contributions, prélèvements, pénalités n'ont fait l'objet d'aucune réclamation préalable, ni d'aucune conclusion dans la demande introduite devant le tribunal administratif.
Le recours préalable (LPF, art. L. 190 N° Lexbase : L0307IWB) devant l'administration, avant saisine de la juridiction compétente, est obligatoire sous peine d'irrecevabilité. Celle-ci doit permettre l'identification du réclamant, de l'imposition contestée, contenir l'exposé sommaire des moyens par lesquels l'auteur prétend la justifier, indiquer l'objet et la portée de la demande et être accompagnée de l'avis d'imposition (LPF, art. R. 197-3 N° Lexbase : L6360AEB et R. 197-5 N° Lexbase : L6347AES). L'article R. 196-3 du LPF (N° Lexbase : L5551G4D) prévoit que le délai dont dispose le contribuable pour former réclamation est égal à celui dont dispose l'administration pour établir l'impôt.
La cour administrative d'appel avait choisi un autre terrain. En effet, il est un fait que l'administration avait engagé la procédure de taxation d'office avant que les revenus aient été déclarés. A suivre la cour, si les requérants n'ont pas donné suite aux mises en demeure dans les délais impartis, c'est tout simplement parce que "l'obligation de déclaration de leur revenu global à laquelle ils étaient soumis [...] a été révélée à l'administration par cette vérification". Autrement dit, la cour administrative d'appel a retenu que la procédure de taxation d'office était irrégulière, car elle n'avait pas été engagée après que les revenus aient été déclarés.
La combinaison des articles L. 66 et L. 67 du LPF permet à l'administration de taxer d'office, au titre de l'impôt sur le revenu, des contribuables qui n'ont pas rempli leurs obligations déclaratives et qui n'ont pas régularisé leur situation dans les trente jours qui suivent la notification d'une mise en demeure. Il n'est pas inutile de savoir que, même si les conditions de la taxation d'office sont réunies, l'administration reste en droit de suivre la procédure contradictoire (CE 3° et 8° s-s-r., 30 avril 2003, n° 238870, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A7710BSD, RJF, 2003, 8-9, comm. 1031).
Le Conseil d'Etat a déjà jugé qu'une vérification approfondie de situation fiscale personnelle (aujourd'hui dénommée examen de situation fiscale personnelle) ne peut être régulièrement engagée au titre d'une année pour laquelle le délai de déclaration des revenus n'est pas encore expiré (CE 9° et 8° s-s-r., 28 juillet 1993, n° 66743-71278, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A4650AYU, RJF, 1993, 10, comm. 1310).
La Haute juridiction, dans l'affaire qui nous occupe, a censuré la cour administrative d'appel, en retenant que la procédure de taxation d'office peut être engagée à l'encontre d'un contribuable qui n'a pas déclaré son revenu global.
Convoler en justes noces n'est pas suffisant pour interdire à l'administration de mettre en oeuvre une procédure d'office.
Il n'est pas toujours facile de recouvrer l'impôt...
Dans cette affaire complexe, le comptable public, en vue de recouvrer les impositions dues par une société, a fait signifier à une SCI, le 14 avril 2004, une saisie conservatoire.
Le 6 octobre 2005, la saisie-conservatoire a été transformée en saisie-attribution.
Les contestations qui peuvent naître de la saisie-attribution et qui portent sur le montant des sommes réclamées ou le bien-fondé de la créance fiscale sont de la compétence exclusive de la juridiction administrative. L'acte de saisie attribution emporte, à concurrence des sommes pour lesquelles elle est pratiquée, attribution immédiate au profit du créancier saisissant de la créance saisie disponible entre les mains des tiers et de tous ses accessoires. Le tiers saisi est personnellement tenu envers le créancier saisissant et il ne peut disposer des sommes réclamées dans la limite de ce qu'il doit au débiteur saisi. Le créancier, quant à lui, doit dénoncer la saisie à son débiteur dans un délai de huit jours, à peine de caducité.
Quelques jours plus tard, le 10 octobre 2005, la société a introduit une réclamation assortie d'une demande de sursis de paiement portant sur la totalité de la créance. Les poursuites ont été suspendues.
Mais, à la suite du rejet de la réclamation du contribuable par le tribunal administratif, le comptable a vainement fait délivrer des sommations à payer au tiers saisi, qui ne détenait plus les sommes saisies.
Dans ces conditions, le comptable a estimé que la SCI avait violé l'article R. 523-1 du Code des procédures civiles d'exécution (N° Lexbase : L2562IT3), qui interdit au tiers de disposer des sommes réclamées dans la limite de ce qu'il doit au débiteur.
Le comptable a fait assigner la SCI devant le juge de l'exécution.
La cour d'appel de Douai, dans un arrêt rendu le 29 mars 2012 (CA Douai, n° 11/02620 N° Lexbase : A8432IGE), a déclaré la SCI personnellement débitrice des sommes placées entre ses mains, au titre de la saisie conservatoire transformée en saisie attribution.
La SCI soutenait que les actes de poursuite antérieurs au sursis de paiement deviennent caducs à compter de la date d'effet du sursis. Selon elle, il appartenait au comptable, une fois les impositions redevenues exigibles après l'arrêt du tribunal administratif, de procéder à la notification ou à la signification d'un nouvel acte de poursuite en vue du recouvrement forcé des impositions. En conséquence, le contribuable ou le tiers saisi n'ont pas à obtenir la mainlevée des ces actes.
Elle faisait valoir, par ailleurs, que la société avait présenté, le 20 septembre 2005, une réclamation contentieuse tendant à la décharge des impositions, objet de la saisie attribution du 6 octobre 2005. La SCI souligne que cette réclamation, agrémentée d'une demande de sursis de paiement, a été déclarée recevable et a produit ses effets jusqu'au jugement du tribunal administratif rendu le 5 juin 2007. Soulignons que la chose n'est pas originale, dès lors que la validé de la demande de sursis de paiement est subordonnée à la condition que cette demande ait été présentée dans une réclamation régulière.
La société tire pour conséquence de cette situation que la saisie-attribution était devenue caduque. Le comptable devait, à l'entendre, faire procéder à une nouvelle saisie-attribution pour obtenir le paiement de l'impôt.
Le Conseil d'Etat, pour sa part, a déjà eu l'occasion d'affirmer qu'il appartient au comptable, si l'imposition redevient exigible après un contentieux, de mettre en oeuvre un nouvel acte de poursuite afin d'assurer le recouvrement de l'impôt (CE 7° et 9° s-s-r., 27 juillet 1984, n° 42701, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A3438ALW, Droit fiscal, 1986, comm. 745, concl. Latournerie). A la suite, la cour administrative d'appel de Paris a précisé que la demande de sursis de paiement produit immédiatement ses effets et emporte la caducité des actes de poursuite à partir de la date de l'enregistrement de cette demande (CAA Paris, 16 novembre 2006, n° 05PA0641, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A8724DSW, RJF, 2007, 5, comm. 618). La Cour de cassation avait la même position, considérant qu'il appartient au comptable, une fois les impositions redevenues exigibles, d'envoyer au contribuable une nouvelle lettre de rappel avant la notification du premier acte de poursuites (Cass. com., 3 octobre 2006, n° 01-03.515, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A4091DRX, Les petites affiches, 2007, 1-2, p. 8, note Brandeau).
En l'espèce, la Cour retient que la saisie-conservatoire avait été convertie en saisie-attribution avant la réclamation qui, certes, était assortie d'une demande de sursis de paiement par le débiteur. Mais l'article L. 211-2 du Code des procédures civiles d'exécution (N° Lexbase : L5838IRN) confère un effet attributif immédiat à cette saisie. Par conséquent, les sommes saisies avaient été transférées dans le patrimoine de l'Etat avant la suspension des poursuites. Les fonds étaient, en droit, devenus indisponibles et consignés entre les mains de la SCI, qui n'avait pas le droit d'en disposer.
La Cour, par ces motifs, a condamné la SCI.
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Réf. : Cass. soc., 5 juin 2013, n° 11-21.255, F-P+B (N° Lexbase : A3212KG3)
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par Sébastien Tournaux, Professeur à l'Université des Antilles et de la Guyane
Le 20 Juin 2013
Le principe "à travail égal, salaire égal" n'est pas applicable à la majoration pour heures exceptionnellement travaillées la nuit qui compense une sujétion différente de celle subie par le salarié qui travaillait habituellement la nuit.
L'employeur assure l'adaptation des salariés à leur poste de travail et veille au maintien de leur capacité à occuper un emploi, au regard, notamment, de l'évolution des emplois, des technologies et des organisations. L'absence de demande, par le salarié, de bénéficie d'un congé de formation ou de droits individuels à la formation n'est pas de nature à exonérer l'employeur de son obligation d'adaptation. |
Commentaire
I - L'affaire
Un salarié, licencié pour motif économique, conteste la validité de son licenciement et, à cette occasion, présente différentes demandes de rappel de salaire et d'indemnisation dont l'une en application du principe "à travail égal, salaire égal" et l'autre en raison de la violation par l'employeur de son obligation de formation.
S'agissant du principe d'égalité de rémunération, le salarié, qui travaillait régulièrement de nuit, soutenait qu'il avait perçu des majorations pour travail de nuit moindre que celles versées aux salariés qui effectuaient, occasionnellement, quelques heures de nuit. A ses yeux, une différence d'organisation du travail ne justifie par une telle différence de rémunération.
Ce raisonnement, qui n'avait pas séduit les juges du fond, n'est pas davantage accueilli par la Chambre sociale qui rejette le pourvoi formé sur ce moyen et juge que "la majoration [...] pour les heures exceptionnellement travaillées la nuit [...] compensait une sujétion différente de celle subie par le salarié, qui travaillait habituellement la nuit".
S'agissant de l'obligation de formation à la charge de l'employeur, les juges d'appel avaient, également, refusé de faire droit à la demande du salarié. Selon eux, le salarié était entré dans l'entreprise sans aucune compétence et avait été formé par l'employeur si bien qu'il pouvait prétendre aujourd'hui à un emploi similaire dans une autre entreprise. En outre, le poste du travail du salarié n'avait pas évolué depuis son embauche si bien qu'aucune adaptation spécifique n'était nécessaire. Enfin, le salarié n'avait déposé aucune demande de formation pendant la période d'emploi. Les juges en déduisaient que l'employeur n'avait pas manqué à son obligation de formation.
Le moyen contestant cette argumentation fait l'objet d'une cassation au visa de l'article L. 6321-1 du Code du travail (N° Lexbase : L9649IE4). La Chambre sociale reprend presque mot pour mot la lettre des deux premiers alinéas du texte visé et rappelle donc que "l'employeur assure l'adaptation des salariés à leur poste de travail et veille au maintien de leur capacité à occuper un emploi, au regard notamment de l'évolution des emplois, des technologies et des organisations". Elle en déduit que l'argumentation fondée sur l'adaptation au poste de travail ou l'absence de demande de congés de formation était inopérante et que le salarié, pendant seize ans, n'avait bénéficié d'aucune formation du plan de formation qui lui aurait permis de maintenir sa capacité à occuper un emploi au regard de l'évolution des emplois, des technologies et des organisations.
II - La prise en compte des sujétions dans l'application du principe à travail égal, salaire égal
Depuis l'arrêt "Ponsolle" (1) et l'émergence du principe d'égalité de rémunération des salariés placés dans une situation identique, la Chambre sociale n'a eu cesse de préciser les conditions d'application du principe et les causes justifiant qu'un traitement différent soit réservé à certains salariés.
Une différence de traitement entre salariés d'une même entreprise ne constitue pas nécessairement une atteinte au principe "à travail égal, salaire égal" (2). Outre que des raisons objectives et vérifiables peuvent justifier l'écart de rémunération constaté (3), il faut avant tout que les situations dans lesquelles les salariés comparés sont placés soient identiques, qu'ils effectuent un même travail ou un travail de valeur égale (4).
Le principe ne s'applique qu'entre salariés d'une même entreprise ce qui exclut la comparaison dans des structures plus vastes telles que le groupe ou l'unité économique et sociale. Dans une même entreprise, ensuite, les juges procèdent à une comparaison des tâches, des fonctions et des responsabilités assumées par les salariés comparés.
Le Code du travail offre, à l'article L. 3221-4 (N° Lexbase : L0803H9M) consacré à l'égalité de rémunération entre femmes et hommes, une définition du travail de valeur égale : "sont considérés comme ayant une valeur égale, les travaux qui exigent des salariés un ensemble comparable de connaissances professionnelles consacrées par un titre, un diplôme ou une pratique professionnelle, de capacités découlant de l'expérience acquise, de responsabilités et de charge physique ou nerveuse". En définitive, c'est donc la prestation de travail dans son ensemble qui doit être comparée.
Sans que cela ne soit très surprenant, la Chambre sociale ajoute à ces indices relatifs aux tâches, fonctions et responsabilité un nouvel élément puisque le juge peut comparer les "sujétions" auxquelles les salariés sont contraints.
Ainsi, dans cette affaire, les salariés travaillant de nuit en permanence percevaient une majoration de 25 % de leurs heures de nuit alors que les salariés qui n'étaient que ponctuellement appelés à travailler de nuit voyaient ces heures majorées de 40 %. Le "travail" fourni pendant ces heures de nuit était différent en raison de la sujétion différente si bien que le principe ne pouvait pas s'appliquer.
A première vue, l'argumentation peut sembler curieuse : les contraintes du travail de nuit paraissent les mêmes qu'elles soient subies occasionnellement ou en permanence. On pourrait même, à revers, soutenir qu'il est plus contraignant de travailler perpétuellement de nuit plutôt qu'une nuit de temps à autres.
La solution nous semble pourtant devoir être soutenue sur le fondement, précisément, de l'article L. 3221-4 du Code du travail qui prévoit, in fine, que le travail de valeur égale peut s'apprécier en fonction de la "charge physique ou nerveuse" subie par le salarié. Le travail de nuit implique une pénibilité particulière liée à la perturbation des rythmes physiologiques, mais cette perturbation est davantage marquée lorsque le salarié doit alterner, parfois travailler de jour, parfois travailler de nuit. Au contraire, le salarié qui travaille habituellement de nuit s'adapte à ce rythme au point que la sujétion ne perturbe, après un certain temps d'adaptation, quasiment plus ses rythmes de sommeil ou d'alimentation. Cela est d'autant plus vrai que nombre de salariés travaillant habituellement de nuit ne souhaitent pas revenir à un horaire de jour et est matérialisé, sur le plan juridique, par l'interdiction faite à l'employeur de modifier unilatéralement les horaires d'un salarié de nuit pour que celui-ci travaille la journée (5).
Il pourrait, certes, être rétorqué que le texte invoqué ne vise que l'égalité de rémunération entre hommes et femmes. L'argument n'a, cependant, qu'un poids très relatif puisque l'on se souviendra que c'est à partir de ce principe d'égalité légal que le principe d'égalité prétorien a été dégagé dans l'arrêt "Ponsolle".
III - Obligation d'adaptation du salarié à l'évolution de l'emploi
L'obligation d'adaptation du salarié à l'évolution de son emploi est, elle aussi, née d'une célèbre décision de la Chambre sociale dite arrêt "Expovit" (6) avant d'être reprise par le législateur et d'être introduite aux actuels articles L. 1233-4 (N° Lexbase : L3135IM3) et L. 6321-1 du Code du travail (N° Lexbase : L9649IE4).
Ce dernier texte donne la mesure de l'obligation d'adaptation : l'employeur doit veiller à l'adaptation du salarié à son poste de travail, à sa capacité d'occuper un emploi au regard des évolutions de cet emploi, des techniques ou des organisations employées. Concrètement, cette adaptation passe par la formation professionnelle : l'employeur doit proposer au salarié des formations destinées à le maintenir au niveau de l'évolution de son emploi. Cette obligation a tout de même des limites puisque l'employeur n'a pas la charge de pallier les carences de formation initiale du salarié (7) ni de lui prodiguer une formation d'une durée ou d'une importance trop grande (8).
Les conséquences du manquement de l'employeur à son obligation d'adaptation sont de deux ordres. Elles peuvent, d'abord, remettre en cause la validité d'un licenciement pour motif économique subi par le salarié au même titre que le manquement à l'obligation de reclassement (9). Elles peuvent, ensuite, se matérialiser par une action en responsabilité contractuelle, le salarié pouvant obtenir réparation du préjudice subi du fait de l'absence de formation et d'adaptation à l'évolution de son emploi qui constitue, pour la Chambre sociale, "un préjudice distinct de celui découlant" de la rupture du contrat de travail (10).
C'est, précisément, cette dernière conséquence que poursuivait le salarié dans cette affaire qui souhaitait obtenir une indemnisation pour manquement à l'obligation d'adaptation.
L'argumentation de la cour d'appel et celle de la Chambre sociale de la Cour de cassation doivent être comparées. La première refusait cette indemnisation en soutenant que le salarié n'avait aucune compétence à son entrée dans l'emploi, qu'il avait été formé par l'entreprise à cet emploi, que son poste de travail n'avait pas subi d'évolutions particulières et, enfin, que le salarié n'avait jamais demandé à bénéficier de congés ou de droits à formation. La Chambre sociale prononce la cassation en jugeant que ces motifs étaient inopérants et que le salarié, durant seize années, n'avait bénéficié "d'aucune formation permettant de maintenir sa capacité à occuper un emploi au regard de l'évolution des emplois, des technologies et des organisations".
Ce faisant, la Chambre sociale semble en réalité distinguer deux objets dans l'obligation d'adaptation. Comme le prévoit le Code du travail, l'employeur doit d'abord assurer l'adaptation du salarié à l'évolution de son poste de travail. Si le poste de travail évolue, le salarié doit être formé en conséquence.
Il existe, cependant, une autre dimension, plus vaste, de l'obligation d'adaptation : l'employeur doit maintenir la capacité du salarié à occuper un emploi au regard de l'évolution des emplois, des technologies et des organisations. Il ne s'agit plus ici d'assurer une adéquation entre les compétences du salarié et son poste de travail mais, plus largement, d'assurer une évolution des compétences du salarié au regard du marché de l'emploi et des techniques utilisées dans la branche d'activité du salarié.
Cet objet élargi de l'obligation d'adaptation peut paraître trop vaste, comme en témoigne l'usage du pluriel dans la décision : comment l'employeur peut-il s'assurer que le salarié reste adapté à l'évolution "des emplois" ? Cette sévérité à l'égard de l'employeur n'est pourtant qu'apparente. Il nous semble que la Chambre sociale n'exige pas, par cette décision, que les employeurs forment leurs salariés à toutes les évolutions de l'emploi et du marché du travail mais, seulement, qu'ils offrent dans le cadre de la formation professionnelle au salarié d'améliorer tel ou tel compétence. Dit autrement, la Chambre sociale semble sanctionner l'absence totale de formation du salarié pendant seize ans. Elle aurait, probablement, adopté une solution différente si le salarié avait bénéficié de quelques formations même si celles-ci n'auraient pas permis au salarié de devenir omniscient et d'être adapté à tous les emplois du secteur.
On retiendra, enfin, que la Chambre sociale écarte, à juste titre, l'argument tenant à considérer que le salarié n'avait jamais été demandeur de formation, n'avait jamais souhaité bénéficier d'un congé ou de droits individuels à la formation. En effet, ces mécanismes de formation professionnelle sont en partie indépendants de l'obligation de formation à la charge de l'employeur. L'employeur doit former le salarié à l'évolution de son poste de travail et des emplois de manière plus générale, ce qui n'empêche pas le salarié de demander, en sus, à bénéficier d'autres formations qui peuvent répondre à d'autres exigences que celles de son poste de travail. Le devoir de l'employeur comporte, d'ailleurs, un revers puisque le refus du salarié de se soumettre à une formation imposée par l'employeur peut caractériser une insubordination et, à ce titre, être sanctionné (11). Introduire l'absence de demande de bénéfice de ces droits dans l'appréciation du respect ou de la violation de l'obligation d'adaptation aurait insidieusement eu pour effet de faire en tout ou partie peser sur le salarié le respect par l'employeur de son obligation.
(1) Cass. soc., 29 octobre 1996, n° 92-43.680, publié (N° Lexbase : A9564AAH) ; D., 1998, somm., p. 259, note M. Th. Lanquetin ; Dr. soc., 1996, p. 1013, note A. Lyon-Caen ; RJS, 1996, n° 1272 ; LPA, 22 novembre 1996, note G. Picca.
(2) Cass. soc., 10 décembre 2008, n° 07-42.116, F-D (N° Lexbase : A7244EBW).
(3) Cass. soc., 21 juin 2005, n° 02-42.658, publié (N° Lexbase : A7983DII). Pour un tour d'horizon des justifications objectives de nature personnelle, v. l’Ouvrage "Droit du travail" (N° Lexbase : E5502EX3) et (N° Lexbase : E5503EX4) ; des justifications objectives de nature juridique, v. l’Ouvrage "Droit du travail" (N° Lexbase : E0721ETU).
(4) Cass. soc., 8 janvier 2003, n° 01-40.618, inédit (N° Lexbase : A5981A4B) et les obs. de S. Martin-Cuenot, La justification des discriminations salariales, Lexbase Hebdo n° 55 du 23 janvier 2003 - édition sociale (N° Lexbase : N5586AA7).
(5) Cass. soc., 7 décembre 2010, n° 09-67.652, FS-D (N° Lexbase : A9128GMZ).
(6) Cass. soc., 25 février 1992, n° 89-41.634, publié (N° Lexbase : A9415AAX) ; D., 1992, somm., 294, note A. Lyon-Caen ; D., 1992. 390, note M. Defossez ; JCP éd. E, 1992, I, 162, note D. Gatumel.
(7) Cass. soc., 3 avril 2001, n° 99-42.188, publié (N° Lexbase : A9714ATX).
(8) Cass. soc., 11 janvier 2000, n° 97-41.255, inédit (N° Lexbase : A0337AUZ).
(9) Ce qui était le cas dans l'arrêt "Expovit" et qui est traduit par la mention de cette obligation à l'article L. 1233-4 du Code du travail.
(10) Cass. soc., 23 octobre 2007, n° 06-40.950, FS-P+B (N° Lexbase : A8560DYP) et nos obs., Les préjudices découlant d'un manquement à l'obligation d'adaptation des salariés à leur poste de travail, Lexbase Hebdo n° 280 du 8 novembre 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N9845BCM).
(11) Cass. soc., 7 avril 2004, n° 02-40.493, inédit (N° Lexbase : A8410DB4).
Décision
Cass. soc., 5 juin 2013, n° 11-21.255, F-P+B (N° Lexbase : A3212KG3) Cassation partielle, CA Poitiers, 17 mai 2011, n° 09/00563 (N° Lexbase : A3733HRP) Textes visés : C. trav., art. L. 6321-1 (N° Lexbase : L9649IE4) Mots-clés : principe à travail égal, salaire égal, travail de nuit, sujétions, obligation d'adaptation, formation professionnelle Liens base : (N° Lexbase : E0706ETC) ; (N° Lexbase : E9298ES8). |
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