La lettre juridique n°529 du 30 mai 2013

La lettre juridique - Édition n°529

Éditorial

Secret de l'instruction et autres "fadettes"

Lecture: 4 min

N7209BT8

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 27 Mars 2014


"Sauf dans le cas où la loi en dispose autrement et sans préjudice des droits de la défense, la procédure au cours de l'enquête et de l'instruction est secrète.

Toute personne qui concourt à cette procédure est tenue au secret professionnel dans les conditions et sous les peines des articles 226-13 [un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende] et 226-14 du Code pénal.

Toutefois, afin d'éviter la propagation d'informations parcellaires ou inexactes ou pour mettre fin à un trouble à l'ordre public, le procureur de la République peut, d'office et à la demande de la juridiction d'instruction ou des parties, rendre publics des éléments objectifs tirés de la procédure ne comportant aucune appréciation sur le bien-fondé des charges retenues contre les personnes mises en cause".

A lire la presse quotidienne, a-t-on vu disposition plus violée que cet article 11 du Code de procédure pénale aux voeux pieux ?

Non seulement le principe du secret de l'enquête, comme celui du secret de l'instruction, portent en eux leur propre contrariété, en leur refusant le statut de principe universel, et prévoyant ainsi moult dérogations législatives ; mais le couperet tombe définitivement, lorsque la loi du 4 janvier 2010 protège définitivement le secret des sources des journalistes, étant entendu que les journalistes ne sont pas soumis au secret de l'instruction, car ils ne concourent pas à l'enquête en tant que telle, mais peuvent, tout au plus, être poursuivis pour recel de violation du secret de l'instruction.

Ainsi, la loi organise, elle-même, l'impunité de sa violation, sous l'égide des exigences démocratiques, obligeant nécessairement une liberté de la presse peu ou mal encadrée. Si, pour désavouer la requête de magistrats instructeurs réclamant la production des "fadettes" de journalistes, le procureur de Lille rappelait que "la protection du secret des sources des journalistes était une exigence démocratique, et la liberté de la presse le rempart de la démocratie", il est permis de s'interroger sur la nature du rempart érigé contre cette liberté qui, comme toute autre dégénérant en abus, nécessite contrôle et encadrement, sinon légaux, du moins déontologiques. Ce n'est pas le régime indemnitaire de la loi de 1881, déconnectée de tout principe afférent au régime de la responsabilité civile de droit commun, et dont les défaillances font la fortune de la presse people, qui peut véritablement contraindre les journalistes à plus de retenue sur la vie privée des uns, ou sur l'actualité judiciaire des autres...

Et, la Cour de cassation a beau juger que "l'atteinte portée au secret des sources des journalistes" doit être, le cas échéant, "justifiée par l'existence d'un impératif prépondérant d'intérêt public", la mesure devant être "strictement nécessaire et proportionnée au but légitime poursuivi", ce qui n'est pas le cas pour un simple délit de presse, on peine à savoir dans quelles circonstances, hormis les questions intéressant la sûreté nationale ou le risques d'atteinte à l'intégrité physique, une telle levée du secret des sources est-elle proportionnée, et donc autorisée.

Reste que fondamentalement, la vie d'un homme, sous le joug d'une instruction pour des faits graves et attentatoires à son honneur et à sa réputation, est ainsi livrée aux "canines", jadis fustigées par un Président meurtri, du cinquième pouvoir, pour que le public sache : quelle fréquence, quelles préférences et quelles partenaires enjouaient les divertissements sexuels d'un homme public que, déjà, tout accablait. Pour sûr, s'agissait-il, ici, d'une "exigence démocratique" et en rien de satisfaire l'appétence d'un lectorat avide de voyeurisme !

Et, comble du comble, le Parquet de requérir, ainsi, le renvoi en correctionnelle de ceux qui souhaitent, à tout le moins, protéger lesdits secrets professionnels, pour avoir requis les fameuses "fadettes" des journalistes... Le mieux est l'ennemi du bien...

Concrètement, l'on sait que la dépendance du Parquet viole, en continu, le secret de l'enquête et de l'instruction, l'élite politique étant informée des tenants d'une procédure dans les meilleurs délais, même si l'on jure qu'aucune instruction n'est désormais donnée ; et, bien entendu, les principes de l'article 11 du Code de procédure pénale n'ont de sens qu'au regard de la médiatisation éventuelle des détails de l'enquête ou de l'instruction. Alors, écrire, comme le fait la nouvelle Directrice du plus institutionnel des Quotidiens nationaux que "la protection des sources ne constitue pas un privilège, mais la pierre angulaire de la liberté de la presse'", citant en cela la Cour européenne des droits de l'Homme, et que "les journalistes ne sont pas tenus au secret de l'instruction", c'est indubitablement entériner le suicide d'un principe réduit désormais à peau de chagrin et qui, pourtant, est, lui, la "pierre angulaire" des droits de la défense -excusez du peu-, avec le concours non moins négligeable du principe du contradictoire.

Les journalistes n'étant pas soumis au fameux secret d'instruction et se croyant investis d'une mission d'informer sur les détails aussi scabreux soient-ils d'une enquête ou d'une instruction en cours, souvent au mépris de la présomption d'innocence ; le secret de leur source étant plus hermétique, étrangement, que celui des correspondances entre les avocats et leurs clients, au vu des multiples atteintes orchestrées par la loi, les pouvoirs publics et la jurisprudence ; et, de fait, ne pouvant savoir qui est l'auteur de la violation dont les fruits sont ainsi médiatisés ; on peine à croire que la seule infraction de recel suffit à garantir le respect démocratique de deux principes névralgiques de la procédure pénale.

Mais, dans la dictature de la transparence à tout crin, peut-il en être autrement ?

newsid:437209

Avocats/Statut social et fiscal

[Jurisprudence] La rupture conventionnelle conclue avec l'avocat collaborateur salarié

Réf. : Cass. soc., 23 mai 2013, n° 12-13.865, FS-P+B+R (N° Lexbase : A9246KDS)

Lecture: 11 min

N7295BTD

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par Sébastien Tournaux, Professeur à l'Université des Antilles et de la Guyane

Le 30 Mai 2013

Le règlement intérieur national de la profession d'avocat (N° Lexbase : L4063IP8) est, sur ce point, dépourvu de toute ambiguïté : la relation entre l'avocat collaborateur salarié et son employeur est soumise au droit commun du travail. Il n'est donc guère étonnant de voir la Chambre sociale de la Cour de cassation, dans une affaire jugée le 23 mai 2013, statuer sur la validité d'une rupture conventionnelle conclue entre une avocate et le cabinet qui l'employait (I). La décision comporte cependant d'autres intérêts que d'affirmer l'applicabilité à l'avocat salarié des règles relatives à la rupture conventionnelle, puisque la Chambre sociale saisit cette occasion pour apporter une précision d'importance sur le cas dans lequel une rupture conventionnelle est conclue dans le cadre d'une situation conflictuelle entre les parties (II), solution qui s'appliquera de manière générale bien au-delà de la relation entre l'avocat et la société qui l'emploie. La décision, enfin, se prononce pour la première fois sur l'action des syndicats en défense des intérêts collectifs qui ne peut être intentée aux côtés de l'action d'un avocat en contestation de sa rupture conventionnelle, compte tenu du caractère purement individuel d'un tel litige (III). I - Rupture conventionnelle et avocat salarié
  • L'applicabilité des règles relatives à la rupture conventionnelle

Lorsque la profession d'avocat est exercée sous le statut d'avocat salarié, la majeure partie des règles de droit du travail sont alors applicables à la relation entre l'avocat et son employeur.

En effet, l'article 14-1 du règlement intérieur national (RIN) de la profession d'avocat définit la collaboration salariée comme "un mode d'exercice professionnel dans lequel il n'existe de lien de subordination que pour la détermination des conditions de travail". S'il existe donc un lien de subordination, certes allégé, entre l'avocat et son employeur, leur relation est une relation de travail qui doit par conséquent, sauf règles spéciales, être soumise au droit commun du travail (1).

Cette soumission de la relation au droit du travail est clairement exprimée pour certains domaines, en particulier s'agissant de la rupture de la relation de travail. Ainsi, l'article 14-4 du RIN envisage clairement la situation du licenciement de l'avocat salarié et dispose que "le droit du licenciement s'applique à l'avocat collaborateur salarié dans la forme et sur le fond". De la même manière, la Chambre sociale de la Cour de cassation a plusieurs fois accepté d'appliquer le régime de la prise d'acte de la rupture du contrat de travail à la relation de travail de l'avocat salarié, cela sans aucune différence véritable avec la prise d'acte de droit commun (2).

Or, depuis l'adoption de la loi du 25 juin 2008, la rupture conventionnelle du contrat de travail figure au nombre des ruptures de droit commun du contrat de travail. Outre que l'article L. 1231-1 du Code du travail (N° Lexbase : L8654IAR) dispose, désormais, que "le contrat de travail à durée indéterminée peut être rompu à l'initiative de l'employeur ou du salarié, ou d'un commun accord" (3), une section entière du code est aujourd'hui consacrée à la rupture conventionnelle (4), mode de rupture ainsi prévu par la loi contrairement, notamment, à la prise d'acte de la rupture précédemment évoquée. C'est en définitive sans grande surprise que le juge judiciaire accepte donc qu'une rupture conventionnelle puisse être conclue entre un avocat salarié et la société qui l'emploie comme l'illustre l'affaire ici présentée.

  • L'espèce

Une avocate salariée conclut, en 2009, une rupture conventionnelle avec la société qui l'employait. Conformément aux exigences du Code du travail en la matière, la convention fit l'objet d'une homologation délivrée par l'administration du travail (5). Une fois la rupture acquise, l'avocate saisit le Bâtonnier d'une demande de requalification de la rupture conventionnelle en licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse. Le syndicat des avocats de France tenta d'intervenir à l'instance, cette intervention étant jugée irrecevable par le Bâtonnier comme par les juges d'appel.

La cour d'appel de Versailles, saisie de l'affaire, fit droit aux demandes de l'avocate salariée (CA Versailles, 15 décembre 2011, n° 10/06409 N° Lexbase : A3098H8A). Elle relevait, en particulier, qu'il existait manifestement un différend entre les parties au moment de la conclusion de la rupture conventionnelle et que l'avocate avait fait l'objet de menaces quant à la poursuite de sa carrière professionnelle. S'appuyant sur ces deux éléments, elle jugeait que la rupture conventionnelle devait être requalifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse (6).

Saisie par la société employeur et par le syndicat des avocats de France, la Chambre sociale de la Cour de cassation rejette le pourvoi sur les deux moyens présentés.

Sur le premier moyen, d'abord, elle pose la règle selon laquelle "si l'existence, au moment de sa conclusion, d'un différend entre les parties au contrat de travail n'affecte pas par elle-même la validité de la convention de rupture conclue en application de l'article L. 1237-11 du Code du travail, la rupture conventionnelle ne peut être imposée par l'une ou l'autre des parties". Compte tenu des menaces et pressions subies par l'avocate, la Chambre sociale en déduit que le consentement de la salariée était vicié et que la cour d'appel a légalement justifié sa décision.

Sur le second moyen, ensuite, la Chambre sociale confirme le raisonnement adopté par les juges d'appel et estime que "l'objet du litige ne mettait pas en cause l'intérêt collectif de la profession" si bien que la demande du syndicat était irrecevable.

S'il faudra donc retenir que les règles encadrant la rupture conventionnelle du contrat de travail sont applicables à la relation entre un avocat salarié et son employeur, l'analyse ne peut s'arrêter à ce premier regard. En effet, l'apport de la décision est majeur, tant pour les avocats salariés et leurs employeurs que, d'une manière plus générale, pour le régime juridique applicable à la rupture conventionnelle qui reçoit ici plusieurs notables précisions.

II - Rupture conventionnelle et litige entre les parties

  • La conciliation entre rupture conventionnelle et différend des parties

C'est là l'une des premières questions à s'être posée lors de l'adoption de la loi du 25 juin 2008 et des dispositions relatives à la rupture conventionnelle : une rupture conventionnelle peut-elle valablement être conclue entre parties en litige ou, du moins, entre parties aux prises à un différend (7) ?

Si la question se posait avec acuité, c'est que le droit du travail a toujours été hostile à la conclusion de conventions de rupture amiable qui, en raison d'un litige, n'ont rien d'un arrangement entre "amis". Ainsi, déjà, la Chambre sociale de la Cour de cassation refusait que puisse être conclue une rupture amiable sur le fondement de l'article 1134, alinéa 2, du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC) lorsqu'existait un différend entre les parties (8). Au contraire, s'il existe un différend entre les parties, c'est une transaction qui peut être conclue mais qui ne peut alors avoir pour objet de rompre le contrat de travail (9).

La question n'était jusqu'ici pas véritablement tranchée s'agissant de la rupture conventionnelle (10). Certes, la Chambre sociale de la Cour de cassation a bien été saisie le 29 janvier 2013 d'une affaire au cours de laquelle existait vraisemblablement un litige entre les parties puisque le salarié a été reconnu victime de harcèlement moral au moment de la conclusion de la convention de rupture (11). La motivation de la décision ne tranchait cependant pas clairement les conséquences de l'existence d'un différend entre les parties mais, plutôt, d'un vice du consentement -en l'occurrence de violence- au moment de la conclusion de la convention (12).

  • L'indifférence de l'existence d'un litige entre les parties

C'est donc là le premier apport de l'arrêt exposé que d'affirmer, sans détour, que "l'existence, au moment de sa conclusion, d'un différend entre les parties au contrat de travail n'affecte pas par elle-même la validité de la convention de rupture". Alors même que le pourvoi formé est rejeté, la Chambre sociale repousse donc le premier argument des juges d'appel qui avaient clairement appuyé leur solution sur l'existence de ce litige entre les parties. La suite du raisonnement s'inscrit plus clairement dans la lignée de la décision rendue le 29 janvier 2013 puisque la Chambre sociale réaffirme l'importance du consentement des parties à la convention, cette dernière ne pouvant être "imposée" à l'une ou l'autre des parties sans que le juge judiciaire y voie un vice du consentement.

Cette solution appelle des remarques de deux ordres.

D'abord, il faut bien comprendre que la Chambre sociale rompt ici avec une règle qu'elle appliquait de longue date à la rupture amiable du contrat de travail. La rupture conventionnelle peut être conclue en cas de différend entre les parties. Ce changement de position -qui n'est pas à proprement parler un revirement de jurisprudence puisque la règle nouvelle s'applique à un régime nouveau- sera certainement utile en pratique tant on peut penser que de nombreuses ruptures conventionnelles sont en réalité conclues dans des situations conflictuelles entre l'employeur et le salarié.

L'existence d'un conflit entre les parties pourra cependant être utilisée par les conseils devant les juridictions du fond comme un indice de l'existence d'un vice du consentement. En effet, si l'on veut bien admettre que le différend entre les parties ne suffise pas à démontrer l'existence d'un tel vice, il nous semble cependant que ce vice sera plus vraisemblable si un tel litige existait. C'est probablement là le sens qu'il convient de donner à la formule utilisée par la Chambre sociale qui juge que l'existence d'un différend n'affecte pas par "elle-même" la validité de la convention.

  • Un besoin de précision : quelle sanction en cas de consentement vicié d'une partie ?

Ensuite, il faut relever que la Chambre sociale, comme la cour d'appel, laisse à nouveau de côté une question qui se fait pourtant lancinante. Les deux juridictions ont, en effet, admis que la rupture conventionnelle n'était pas valable, la seconde ajoutant même que le consentement du salarié avait été vicié. En cas de défaut d'une condition de validité d'une convention, la sanction doit être la nullité de celle-ci. Or, aucun des deux juges ne prononce une telle nullité.

La critique faite à l'encontre des juridictions doit être relativisée. A l'encontre de la cour d'appel puisque celle-ci ne motivait pas expressément sa décision sur l'absence d'une condition de validité mais, seulement si l'on peut dire, sur l'existence d'un litige entre les parties. A l'encontre de la Chambre sociale de la Cour de cassation, ensuite, parce aucune demande de nullité ne lui a été présentée et que, sauf moyen soulevé d'office, elle ne pouvait se substituer aux demandes des parties.

Malgré tout, considérer que la rupture doit être requalifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse en l'absence d'une condition de validité de la rupture conventionnelle ne constitue pas un raisonnement adéquat sur le plan technique. Peut-être la Chambre sociale entend-elle éviter que l'annulation de la convention de rupture emporte la réintégration du salarié dans l'entreprise, cela d'autant que le nombre de ruptures conventionnelles conclues depuis 2008 est considérable. Si l'on comprend l'argument d'opportunité, on peine véritablement à trouver la justification juridique d'une telle position.

Pire encore, on peut penser que ne pas prononcer la sanction habituellement applicable en cas de vice du consentement entre en parfaite contradiction avec la volonté affirmée par le législateur et la Chambre sociale de placer le consentement des parties au coeur du mécanisme de rupture conventionnelle (13). Le consentement serait le pilier central de la rupture conventionnelle à défaut duquel la convention de rupture ne s'effondrerait pas !

Par cette décision, la Chambre sociale de la Cour de cassation apporte une autre précision sur l'intervention des syndicats qui doit être signalée bien qu'elle soit d'une envergure moindre.

III - Rupture conventionnelle et action des syndicats

  • Action en défense des intérêts collectifs du syndicat et rupture du contrat de travail

Sans qu'il soit trop nécessaire d'entrer dans le détail, il faut tout de même rappeler que les syndicats professionnels disposent d'une action en défense des intérêts collectifs de la profession. Ainsi, en vertu de l'article L. 2132-3, alinéa 2, du Code du travail (N° Lexbase : L2122H9H), les syndicats peuvent "devant toutes les juridictions, exercer tous les droits réservés à la partie civile concernant les faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession qu'ils représentent" (14).

Cette action est encadrée par un certain nombre de conditions parmi lesquelles figure l'exigence que l'action soit intentée pour défendre un intérêt "collectif". La Chambre sociale refuse ainsi catégoriquement que le syndicat intervienne dans une instance pour défendre un intérêt purement individuel (15). Empreinte d'une grande casuistique, la distinction entre intérêt collectif et intérêt individuel n'est pas toujours aisée à appliquer, en particulier dans certains domaines hybrides. Tel est en particulier le cas de la rupture du contrat de travail : si l'on peut ainsi penser que l'action d'un syndicat est recevable en cas de licenciement pour motif économique collectif (16), elle ne le sera pas en cas de litige portant sur un licenciement individuel (17).

C'était, cependant, la première fois à notre connaissance qu'un syndicat tentait d'intervenir à une instance portant sur un litige relatif à une rupture conventionnelle du contrat de travail.

  • Irrecevabilité pour contester une rupture conventionnelle

Sans grande surprise, la Chambre sociale confirme la position adoptée avant elle par le Bâtonnier et la cour d'appel de Versailles sur cette question : "l'objet du litige ne mettait pas en cause l'intérêt collectif de la profession" si bien que l'action du syndicat n'était pas recevable.

L'argumentation du syndicat au soutien de sa demande était en effet contestable. Manifestement conscient qu'il s'agissait d'un litige de nature individuelle, le syndicat invoquait la nécessité pour ses adhérents de connaître la position de la Chambre sociale quant à l'éventuelle compatibilité d'un différend entre les parties et la conclusion d'une rupture conventionnelle. Si la réponse à une telle question comporte un véritable intérêt, celui-ci n'est ni collectif, ni professionnel.

Il n'est pas collectif car, même s'il convient de ne pas être dupe ou hypocrite, les décisions de la chambre sociale de la Cour de cassation ne sont pas des arrêts de règlement et ne doivent pas nécessairement s'appliquer à la manière d'une loi ou d'un règlement à l'ensemble des futures affaires impliquant différend et rupture conventionnelle. La question posée ne concernait donc que la salariée en cause et non la communauté des avocats salariés. Le litige n'a pas, non plus, de dimension professionnelle puisque, non seulement il ne concerne qu'une et unique avocate mais, quand bien même on adhérerait au raisonnement du syndicat, la détermination de la règle applicable dépasse de loin le seul intérêt de la profession d'avocat et concerne en réalité l'intérêt général. Tous les salariés et les employeurs de France ont intérêt à savoir si oui ou non un différend est conciliable avec une rupture conventionnelle.

La solution adoptée par la Chambre sociale ne signifie pas, d'ailleurs, que l'action d'un syndicat soit toujours exclue à l'avenir. On pourrait penser, par exemple, à une action menée contre une violation manifeste de l'article L. 1237-16 du Code du travail (N° Lexbase : L8479IAB), c'est-à-dire en cas de conclusion de ruptures conventionnelles dans le cadre d'un accord de gestion prévisionnelle des emplois ou d'un plan de sauvegarde de l'emploi. En effet, dans ce cas de figure, il est peu probable qu'une rupture conventionnelle unique soit conclue, plusieurs salariés seront concernés si bien que la dimension collective fera à nouveau surface (18). De la même manière, l'action des syndicats pourrait probablement être acceptée dans une situation proche de celle ayant donné lieu à une affaire jugée le 9 mars 2011 par la Chambre sociale de la Cour de cassation (19). Rappelons que, dans cette affaire, un employeur avait conclu de multiples ruptures conventionnelles avec l'objectif, semble-t-il, d'éluder l'application des règles relatives au licenciement pour motif économique collectif. Le caractère collectif était avéré puisque plusieurs salariés étaient concernés et que les règles du licenciement collectif étaient écartées si bien que l'action des syndicats en défense des intérêts collectifs de la profession aurait pu être acceptée.


(1) Le dernier alinéa de ce même article 14-1 du RIN dispose plus clairement encore que "le contrat de travail de l'avocat collaborateur salarié est régi par le droit du travail".
(2) V. not. Cass. soc., 25 juin 2003, n° 01-42.679, publié (N° Lexbase : A8977C8Y) ; Cass. soc., 12 décembre 2012, n° 10-28.166, FS-D (N° Lexbase : A1112IZ9).
(3) Nous soulignons.
(4) V. C. trav., art. L. 1237-11 (N° Lexbase : L8512IAI) et s..
(5) Procédure imposée par l'article L. 1237-14 du Code du travail (N° Lexbase : L8504IA9).
(6) CA Versailles, 15 décembre 2011, n° 10/06409 (N° Lexbase : A3098H8A).
(7) V. par ex. S. Chassagnard-Pinet et P.-Y. Verkindt, La rupture conventionnelle du contrat de travail, JCP éd. S, 2008, 1365, spéc. n° 7 et s..
(8) Cass. soc., 31 octobre 2007, n° 06-43.570, F-D (N° Lexbase : A2439DZD).
(9) Cass. soc., 29 mai 1996, n° 92-45.115 (N° Lexbase : A3966AA7), Les grands arrêts du droit du travail, Dalloz, 4ème éd., n° 120.
(10) V. les solutions rendues par les juges du fond, v. Ch. Willmann, Conditions de validité de la rupture conventionnelle : premiers contentieux des juridictions d'appel, Lexbase Hebdo n° 499 du 27 septembre 2012 - édition sociale (N° Lexbase : N3627BTI).
(11) Cass. soc., 29 janvier 2013, n° 11-22.332, FS-P+B+R (N° Lexbase : A6245I43) et nos obs., Rupture conventionnelle : consécration de la prééminence du consentement, Lexbase Hebdo n° 516 du 14 février 2013 - édition sociale (N° Lexbase : N5793BTQ) ; JCP éd. E, 2013, 1236, note D. Corrignan-Carsin ; RDT, 2013, p. 258, note F. Taquet.
(12) V. déjà à propos d'un accord de rupture amiable antérieur à la loi de 2008 annulé pour violence, Cass. soc., 30 novembre 2004, n° 03-41.757, F-P+B (N° Lexbase : A1365DEB) et les obs. de Ch. Willmann, Annulation pour violence morale d'un accord de rupture amiable du contrat de travail, Lexbase Hebdo n° 147 du 16 décembre 2004 - édition sociale (N° Lexbase : N3878ABA) ; RDC, 2005, p. 378, obs. Ch. Radé.
(13) Rupture conventionnelle : consécration de la prééminence du consentement, préc..
(14) J.-M. Verdier, Accords collectifs et action "syndicale" en justice : le rôle fondateur de l'article L. 411-11 du Code du travail, D., 2002, chron. p. 503 ; E. Wagner, Le rôle des syndicats et des associations dans la défense des droits et l'accès à la justice des salariés, Dr. ouvr., 1990, p. 291.
(15) Cass. soc., 23 juin 2004, n° 02-42.601, F-D (N° Lexbase : A9511DCA). Pour des applications, v. nos obs. sous Cass. soc., 23 janvier 2008, n° 05-16.492, FP-P+B (N° Lexbase : A0883D4H), La limitation du droit d'ester en justice des syndicats pour la défense des intérêts collectifs de la profession, Lexbase Hebdo n° 291 du 6 février 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N0432BEQ) et les références citées.
(16) Par ex. dans un cas de restructuration emportant de nombreux licenciements pour motif économique, Cass. soc., 21 janvier 2004, n° 02-12.712, FP-P+B (N° Lexbase : A8593DAI).
(17) Par ex. à propos d'un licenciement pour inaptitude (Cass. soc., 23 juin 2004, n° 02-42.601, F-D N° Lexbase : A9511DCA) ou dans le cas du manquement de l'employeur à son obligation individuelle de reclassement (Cass. soc., 18 novembre 2009, n° 08-44.175 N° Lexbase : A7590ENG et les obs. de G. Auzero, Le régime de l'action en justice des syndicats dans l'intérêt collectif de la profession, Lexbase Hebdo n° 374 du 3 décembre 2009 - édition sociale N° Lexbase : N5793BMI).
(18) Il faut tout de même remarquer que l'hypothèse est peu probable dans les cabinets d'avocat qui, à part quelques notables exceptions, sont souvent de petites structures.
(19) Cass. soc., 9 mars 2011, n° 10-11.581, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A3242G79) et les obs. de Ch. Willmann, La Cour de cassation assimile les ruptures conventionnelles à des licenciements pour motif économique, Lexbase Hebdo n° 433 du 24 mars 2011 - édition sociale (N° Lexbase : N7642BRH).

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Droit financier

[Jurisprudence] Lien de causalité et exonération de l'obligation de résultat du prestataire de services d'investissement, des questions encore en suspens

Réf. : Cass. com., 26 mars 2013, n° 12-13.631, F-P+B (N° Lexbase : A2809KBN)

Lecture: 9 min

N7245BTI

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par Jean-Baptiste Lenhof, Maître de conférences à l'ENS - Cachan Antenne de Bretagne, Membre du centre de droit financier de l'Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne)

Le 30 Mai 2013

"La faute est d'abord une notion morale, saisie par l'évidence, immédiatement ressentie par tous, sauf dans les cas limites ou pour des consciences tordues" (1). La formule célèbre laisse, en exergue de sa consonance éthique, un espace d'incertitude, pour les "cas limites", espace qui entoure, à l'évidence, l'affaire dont vient de connaître la Chambre commerciale de la Cour de cassation.
Deux époux, co-titulaires de comptes titres ouverts en 2000 auprès d'une société prestataire de services d'investissement (PSI), réalisent des opérations sur le marché à règlement mensuel, désormais service à règlement différé. Ces opérations ayant donné lieu à des pertes, apparaît une insuffisance de couverture qui va atteindre au 14 septembre 2007, la somme de 708 817,91 euros. Le PSI ayant assigné les époux en paiement, ces derniers lui reprocheront d'avoir manqué à son obligation de liquidation des positions non-couvertes. La cour d'appel de Douai, constatant que les époux, informés en permanence de la situation de leurs comptes, recevant du PSI, par ailleurs, plusieurs lettres recommandées les enjoignant de couvrir le débit, avaient décidé de reporter la liquidation de leurs positions, proposant de reconstituer progressivement la couverture, les condamne à payer, après compensation, la somme de 335 669,68 euros.
Un pourvoi en cassation ayant été formé, la question posée au juge du droit était de savoir si la faute commise par les investisseurs permettait d'exonérer le PSI de sa responsabilité. La Chambre commerciale de la Cour de cassation va répondre, au visa des articles 1147 du Code civil (N° Lexbase : L1248ABT) et, ensemble, de l'article L. 533-4 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L2557DKW), dans sa rédaction applicable à l'époque, que le PSI est tenu "de liquider les positions de son client lorsque ce dernier n'a pas, le lendemain du dernier jour de la liquidation mensuelle, remis les titres ou les fonds nécessaires à la livraison des instruments financiers achetés, une telle liquidation d'office devant également avoir lieu lorsque les positions du donneur d'ordre ont été reportées et que celui-ci n'a pas, avant la même date, réglé son solde débiteur et constitué ou complété la couverture afférente à l'opération de report".

Elle casse ainsi l'arrêt rendu par la cour d'appel de Douai le 27 janvier 2011, précisant que la faute imputée aux époux investisseurs "n'aurait pu être commise en l'absence de celle de la société".

L'arrêt constitue donc une confirmation de la jurisprudence de 2008 qui avait consacré un revirement quant à l'analyse de la responsabilité du PSI, modifiant, notamment, ses conditions de mise en jeu (I). Ce dernier arrêt, toutefois, n'avait pas clairement posé les suites à donner au régime d'exonération applicable à l'intermédiaire, laissant ainsi ouvertes nombre d'interrogations auxquelles l'arrêt commenté ne permet qu'imparfaitement de répondre (II).

I - Les conditions de mise en jeu de la responsabilité du PSI

Se trouvait ainsi posée, incidemment, une question relative à la responsabilité du PSI. Cette question, toutefois, comportait deux volets distincts, figurant explicitement dans le visa. Le premier concernait la responsabilité spécifique du prestataire telle que résultant du non-respect des dispositions de l'article L. 533-4 du Code monétaire et financier dans sa rédaction applicable avant le 1er novembre 2007 (A), le second, l'étendue de sa responsabilité contractuelle (B).

A - La responsabilité contractuelle du prestataire face aux règles professionnelles

La responsabilité du PSI est un domaine sensible, notamment dans le cadre des relations contractuelles que ce dernier entretient avec les investisseurs. Confronté à la complexité d'opérations dont le particulier mesure parfois mal les conséquences, le juge a dû modeler la responsabilité du professionnel afin d'accroître la sécurité de petits épargnants.

Ainsi qu'a pu le souligner un observateur avisé de l'évolution de la jurisprudence, Avocat général à la Cour de cassation, il s'est agi pour le juge, ces dernières années, de "s'adapter à l'évolution des comportements, notamment le dynamisme commercial des prestataires de services financiers qui ont déplacé l'épargne vers des produits plus sophistiqués, plus complexes et plus risqués mais aussi une plus grande autonomie des clients dans la gestion de leur épargne, notamment par l'accès à la bourse en ligne qui a fait apparaître un risque moins maîtrisé par le professionnel et mal mesuré par l'usager" (2).

A ce titre, les opérations sur le marché à terme (devenu depuis le service à règlement différé) constituaient un domaine particulièrement sensible de l'activité des PSI, ces intermédiaires étant confrontés à la difficulté que nombre d'investisseurs non expérimentés éprouvaient à mesurer les risques financiers encourus. Le juge du droit, ainsi, qui décidait, jusqu'à une période récente (3), que "l'obligation" de couverture était édictée dans l'intérêt de l'intermédiaire et de la sécurité du marché, va opérer un revirement de jurisprudence à l'occasion d'un arrêt du 26 février 2008 (4). Dès lors, la Chambre commerciale va imposer une nouvelle analyse, décidant que l'obligation de couverture est édictée tant dans l'intérêt de l'opérateur et de la sécurité du marché que dans celui du donneur d'ordre.

Cette solution, rapidement confirmée par les arrêts ultérieurs, devait, au surplus être immédiatement suivie de précisions concernant, cette fois -dans un domaine proche (une obligation de couverture était également en question)-, l'exonération du PSI. Dans un arrêt du 4 novembre 2008, commenté à l'époque dans ces colonnes (5), à propos de l'inexécution d'obligations liées à la réception-transmission d'ordres via internet, la Chambre commerciale décidera que le PSI ne pouvait s'exonérer de sa responsabilité en se retranchant derrière des impératifs techniques et, ce, au visa des articles 1147 du Code civil et ensemble, l'article L. 533-4 du Code monétaire et financier (6).

B - Une responsabilité contractuelle fondée sur une obligation de résultat

Sous l'égide d'un tel visa, l'analyse de l'obligation renvoyait implicitement, à l'hypothèse de l'inexécution d'une obligation de résultat. L'article 1147 du Code civil établit, en effet, que "le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée".

Pour mémoire, on renverra à l'analyse de Demogue (7) qui, le premier, imposa une "distinction suivant l'objet de l'obligation, selon que l'obligation est de résultat ou de moyen. L'idée fondamentale consiste à examiner ce que le débiteur a promis, ce que le créancier peut raisonnablement attendre" (8). Cette distinction, particulièrement importante pour mesurer les conditions de mise en jeu de la responsabilité (la faute n'a pas à être démontrée pour les obligations de résultat), n'en est pas moins essentielle pour établir les causes de son exonération : en principe, le débiteur de l'obligation inexécutée ne peut se dégager par la démonstration de son absence de faute.

Il demeure qu'en dehors de la clarté apparente du visa, l'article L. 533-4 du Code monétaire et financier, tel qu'applicable à l'époque (le même fondement que l'espèce examinée aujourd'hui), semblait établir, à l'inverse, qu'une obligation de moyens pesait sur le PSI. Le texte disposait, en effet, que le prestataire : "est tenu d'exercer son activité avec la compétence, le soin et la diligence qui s'imposent, au mieux des intérêts de ses clients et de l'intégrité du marché, ainsi que de se conformer à toutes les réglementations applicables [...]". La rédaction du texte semblait imposer, de la sorte, des obligations assez lâches, s'appuyant, au surplus, sur des termes qui fixent, en théorie, l'étendue de l'obligation de moyens, en référence au standard du "bon père de famille" qui délimite, dans ce cas précis, l'appréciation de la faute.

Nous avions déjà eu l'occasion de souligner cette contradiction entre les deux textes servant de support à la décision : l'article L. 533-4 du Code monétaire et financier et sa référence conjointe ("ensemble" précisait l'arrêt) à l'article 1147 du Code civil. La doctrine, sur ce point, était demeurée prudente se contentant de constater que, selon des termes consacrés, la Cour de cassation avait, par ce moyen, fait entrer la réglementation professionnelle (déontologique en l'espèce ?) "dans le champ contractuel" (9). Pour autant, ce glissement de la réglementation au champ du contrat ne permettait pas d'expliquer la contradiction textuelle entre, d'une part, la prudence ("le soin") et la diligence qui renvoient à l'obligation de moyens traditionnellement attachée à l'article 1137 du Code civil (N° Lexbase : L1237ABG) et, d'autre part, la référence paradoxale à l'article 1147. Sans doute faut-il y voir, à notre sens, la manifestation des limites inhérentes à l'utilisation du droit commun des contrats et à son inadaptation aux opérations boursières. Si le recours aux dispositions du Code civil semble, en effet, indispensable car il permet de replacer le droit des marchés financiers dans une grille d'analyse intelligible (10), il n'en offre pas moins que des justifications parcellaires qui souvent doivent s'effacer devant les impératifs de sécurité des transactions.

II - Les incertitudes quant à l'exonération de la responsabilité

Ainsi dépourvus du prisme d'analyse qu'offre le droit commun, les acteurs des marchés risquent de ne pas pouvoir prétendre à la sécurité juridique constamment appelée de leurs voeux. Le PSI, confronté au respect d'une obligation de résultat depuis l'arrêt de 2008, n'est pas encore fixé sur les causes d'exonération qui lui seraient possible d'invoquer (A) et l'espèce commentée en renvoyant, apparemment, à la seule question de la causalité (B) ne semble pas permettre d'approfondir la réflexion sur la question.

A - L'hypothèse de l'exonération de l'obligation de résultat par la preuve de l'absence de faute

La question, épineuse, du régime d'exonération applicable à la responsabilité contractuelle du PSI avait déjà été soulevée, à propos de l'arrêt du 4 novembre 2008 (11). Nous avions pu souligner, à cette époque, que le revirement jurisprudentiel ne paraissait pas achevé, dans le sens où la rédaction de l'arrêt laissait la voie ouverte à un éventuel élargissement des causes d'exonération du débiteur de l'obligation de résultat. La conjonction, en effet, d'un texte renvoyant à des "obligations" professionnelles suggérant l'existence d'une obligation de moyens et d'un autre, l'article 1147 du Code civil qui signale l'existence d'une obligations de résultat, pouvait laisser penser que le PSI se trouvait débiteur d'une obligation de résultat "allégée" (12), dont il aurait pu "se dégager en se contentant de rapporter la preuve qu'il n'a pas commis de faute" (13).

Cette interprétation de l'arrêt de 2008 aurait permis, nous semblait-il, de conserver toute sa cohérence à l'évolution jurisprudentielle. D'abord, quant à la résolution du paradoxe -apparent- contenu dans son visa et, ensuite, quant au respect de la rédaction choisie par le juge du droit, qui semblait alors laisser la porte ouverte à un large champ d'exonération. En effet, dans l'espèce de 2008, la Chambre commerciale n'avait fait que poser le principe de l'existence d'une obligation de résultat du PSI. La question de l'existence ou non d'une obligation allégée, quand bien même l'investisseur avait manifestement commis des fautes dans l'affaire en cause, n'y était pas tranchée.

L'arrêt du 26 mars 2013 aurait, ainsi, pu donner l'occasion, compte tenu des faits de l'espèce, d'apporter des précisions sur le régime d'exonération. Le comportement des époux, qui n'avaient pas reconstitué la couverture en dépit des rappels réitérés du PSI, pouvait, en effet, être considéré comme fautif. Si l'obligation de résultat était "allégée", l'intermédiaire aurait, alors, sans doute pu s'exonérer, partiellement au moins, pour la partie de la faute incombant à son cocontractant.

Telle n'est cependant pas l'analyse du juge du droit qui relève bien la faute des époux investisseurs mais précise que cette dernière n'aurait pu "être commise en l'absence de celle de la société" (14).

B - Une solution d'espèce fondée sur une analyse de la causalité

Il est à se demander, à la lecture attentive de l'arrêt si le visa de l'article 1147 du Code civil n'emporte pas, en définitive, une double signification. Si, en référence aux travaux de Demogue, le renvoi à cette disposition du Code civil signale aujourd'hui l'existence d'une obligation de résultat à la charge du débiteur, il convient de souligner que cette lecture, qui nous apparaît désormais classique, n'est que le fruit d'une interprétation tardive du Code civil. Bien avant l'analyse de Demogue, l'article 1147 a servi de base à un autre raisonnement : la transposition du régime de responsabilité civile à celui de la responsabilité contractuelle. A ce titre, les dispositions ayant servi de fondement à cette transposition ont permis d'établir qu'à l'instar du régime de responsabilité expressément prévu à l'article 1382 du Code civil (N° Lexbase : L1488ABQ), l'inexécution d'obligations conventionnelles n'entraînait la responsabilité du débiteur de l'obligation inexécutée du contrat qu'au constat de la réunion d'une faute, d'un dommage, ou d'un lien de causalité, ce dernier ressortant assez distinctement des dispositions de l'article 1151 du même code (N° Lexbase : L1252ABY) (15).

Dans l'espèce commentée, la question de l'exonération se trouve donc éludée, contournée apparemment -mais sur ce point la prudence doit encore rester de mise- par les exigences de mise en oeuvre des principes de la causalité. En substance, le juge du droit se contente de relever, sans rechercher de cause d'exonération, que la faute des époux était bien établie mais qu'elle n'avait été rendue possible qu'en raison de l'existence de celle, antérieure, du PSI.

L'arrêt se fonde, de la sorte, sur la théorie de la causalité adéquate, dite également générique, celle qui postule que la relation est à rechercher dans la cause prépondérante, celle sans laquelle il est "évident que l'effet ne se serait pas produit" (16). En l'espèce, l'absence de liquidation des positions par le PSI avait certainement eu pour conséquence de dégrader les positions des époux investisseurs. Ainsi, le préjudice était né de l'absence de liquidation, incontestablement assimilable à une faute née du non-respect de la réglementation, ce qui rendait le PSI responsable du dommage.

L'hypothétique existence d'une obligation de résultat allégée ne sera pas, cette fois encore, véritablement tranchée. On peut douter, d'ailleurs, qu'en dépit d'un fondement textuel qui renvoie (faute ?) explicitement au seul soin et à la diligence (l'article L. 533-4 du Code monétaire et financier), la solution consistant à admettre l'exonération du PSI par la preuve de l'absence de faute puisse emporter l'adhésion du juge du droit. Là où des intérêts majeurs sont en jeu, à savoir ceux de l'opérateur, de la sécurité du marché et du donneur d'ordre, nul doute que les Hauts magistrats ne se décident, en définitive, pour une limitation drastique des causes d'exonération du professionnel.


(1) Ph. Malaurie, L. Aynès, Ph. Stoffel-Muck, Les obligations, Defrénois, 3ème éd., 2007, n° 49.
(2) R. Bonhomme, Responsabilité et gestion du risque financier, RDBF, n° 6, novembre 2010, étude 31, n° 4.
(3) Cass. com., 8 juillet 2003 , n° 00-18.941, F-P+B+I (N° Lexbase : A0884C9M), Bull. civ. IV, n° 118 ; F. Leplat, Obligation de couverture et responsabilité de l'intermédiaire, Lexbase Hebdo n° 83 du 28 août 2003 - édition affaires (N° Lexbase : N8492AAR).
(4) Cass. com., 26 février 2008, n° 07-10.761, FS-P+B+I+R (N° Lexbase : A0700D73).
(5) Cass. com., 4 novembre 2008, n° 07-21.481, F-P+B+I (N° Lexbase : A1577EBZ) ; nos obs., Il pèse sur le prestataire de services d'investissement une obligation de résultat quant à la mise en oeuvre des systèmes électroniques de transmission d'ordres, Lexbase Hebdo n° 328 du 27 novembre 2008 - édition privée (N° Lexbase : N7631BH4).
(6) En l'espèce, l'accès direct de l'investisseur aux services boursiers via internet ne pouvait exonérer le PSI d'exiger la couverture des opérations.
(7) Demogue, Traité des obligations, tome V, n° 1237.
(8) F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette, Les obligations, Dalloz, 9ème éd., 2005, n° 577.
(9) En ce sens : R. Bonhomme, Responsabilité et gestion du risque financier, préc., n° 33.
(10) Cf. dans des domaines proches, la mise en oeuvre du droit commun des contrats à travers des justifications fondées sur le régime du mandat et ou de l'erreur : A.-C. Muller, Inexécution d'une obligation professionnelle, sanction civile, RDBF, mars 2012, comm. 66.
(11) nos obs. in Lexbase Hebdo n° 328 du 27 novembre 2008 - édition privée, préc. note 5.
(12) G. Viney, La responsabilité : conditions, LGDJ, 1982, n° 534, p. 640.
(13) F. Terré, P. Simler, Y. Lequette, Les obligations, préc., n° 580.
(14) L'effet de cette décision, en définitive semble correspondre à la logique qui présidait à l'arrêt du 4 novembre 2008 qui refusait au PSI la faculté de se retrancher derrière des impératifs techniques pour s'exonérer de sa responsabilité.
(15) F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette, Les obligations, préc., n° 592.
(16) Ibid, op. cit., loc. cit.

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Consommation

[Projet, proposition, rapport législatif] Projet de loi consommation : une pleine boîte à outils ?

Réf. : Projet de loi relatif à la consommation n° 1015, présenté par le ministre de l'Economie et le ministre en charge de la Consommation et de l'Economie sociale et solidaire

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par Malo Depincé, Maître de conférences HDR à la Faculté de droit de Montpellier, Directeur du Master II consommation et concurrence (MC2), Directeur adjoint de l'UMR 5815 Dynamiques du droit, Avocat au barreau de Montpellier

Le 30 Mai 2013

Commet protéger le consommateur ? Comment assurer cette protection dans les faits et au-delà des simples proclamations de prérogatives nouvelles ? Comment le faire dans un contexte économique particulièrement difficile, de crise, sans nuire aux entreprises et à la croissance ? Comment dans cette perspective intégrer les demandes diverses et variées de tous les opérateurs économiques, entreprises, associations de consommateurs, élus, etc., qui entendent se saisir de la loi pour y faire inscrire leurs souhaits particuliers ? Apporter des réponses à toutes ces questions n'est pas chose aisée. C'est à cet exercice périlleux que s'est livré le ministre délégué à la Consommation et à l'Economie sociale et solidaire, dans le projet de loi qu'il a présenté en Conseil des ministres le 2 mai 2013 et qui sera discuté sur le bureau de l'Assemblée le 24 juin prochain. S'agit-il d'une "boîte à outils", plus ou moins bien rangée ou bien d'un ensemble cohérent et potentiellement efficace ? Il faut bien évidemment rappeler la nouveauté qui consiste à assurer l'effectivité du droit de la consommation, à travers la question de ses sanctions et de l'indemnisation des consommateurs (I). Le reste du texte est plus hétéroclite, comprenant un ensemble de mesures distinctes qui font véritablement figure, encore une fois de "boîte à outils substantiels" (II). I - L'effectivité du droit de la consommation

Proclamer des droits est une action importante, première et nécessaire pour assurer les intérêts des consommateurs. Il ne faut pas néanmoins oublier de garantir l'effectivité de ces droits pour le consommateur. En l'espèce, le projet de loi semble le plus abouti de tous les projets d'ordre processuel qui ont pu jusqu'à présent être présentés. Il opère deux constats, enfin, serait-on tenté de dire. Les consommateurs lésés par une pratique commerciale sont rarement indemnisés de leur préjudice et les sanctions pénales de ces pratiques sont peu souvent prononcées. Il propose donc l'instauration d'une "action de groupe à la française" (le ministre a bien insisté sur cette particularité, pour éviter tout sentiment d'importation directe et complète du mécanisme nord américain avec ses défauts, cf. Colloque, Les 20 ans du Code de la consommation, DGCCRF, Bercy, 27 mai 2013, à paraître) et un renforcement considérable des pouvoirs de police administrative des agents en charge de l'application des dispositions du Code de la consommation.

L'action de groupe. Voici le quatrième projet ou proposition de loi, toutes tendances politiques confondues, depuis qu'une annonce avait été faite début 2005 par le Président Chirac. Jamais, néanmoins, un projet n'avait été aussi avancé, ni, semble-t-il, n'avait obtenu autant de soutiens (la majorité à l'Assemblée n'y est plus réticente, les associations de consommateurs s'y sont montrées favorables et les représentants des entreprises ont fini par cesser leur politique d'opposition systématique à un tel projet pour préférer y apporter des amendements). L'adoption du texte constituerait, indépendamment des réserves qui seront formulées ci-après, une avancée considérable en droit de la consommation. L'enjeu est d'assurer l'efficacité du droit de la consommation, en précisant au préalable que l'effet peut être plus ou moins fort selon le type d'action de groupe choisi. S'il est admis que la nouveauté, fondamentale, consiste à introduire un recours collectif sans qu'il soit au préalable nécessaire à l'initiateur de l'action de présenter un mandat de chaque consommateur lésé, la question demeure de l'objectif assigné à ce nouveau type d'action (sur les recours collectifs déjà existants, cf. J. Calais Auloy et H. Temple, Droit de la consommation, 7ème éd., Dalloz 2010). La première conception de l'action de groupe consiste à l'envisager comme une pure action en indemnisation d'un préjudice qui a pour objet d'assurer une indemnisation au plus grand nombre. L'indemnisation est alors collective, son résultat la somme des réparations individuelles. Encore faut-il, pour être indemnisé, et pour que les professionnels en faute soient tenus au paiement d'une indemnisation que chaque consommateur en fasse expressément la demande. A quoi bon, diront certains, car si le préjudice individuel est très faible, peu de consommateurs agissent.

La seconde conception consiste, en revanche, à l'envisager comme une véritable action en sanction d'un comportement illégal, une arme de dissuasion. Il s'agirait alors d'obtenir la ponction de l'intégralité du surprofit réalisé par le professionnel du fait du comportement illégal, peu important de savoir si les victimes ont toutes souhaité agir ou non. L'essentiel est que le profit "illicite" soit retiré au professionnel indélicat (c'est ce profit que le droit canadien par exemple qualifie de "reliquat"). Cette ponction complète est la mieux à même d'assurer l'effectivité du droit de la consommation puisque le professionnel n'a plus intérêt à y contrevenir si tout le profit qui en a résulté lui est retiré (sans compter les amendes civiles, sanctions pénales etc. toujours envisageables). Le modèle choisi par le projet français est le premier, ce qui peut paraître regrettable.

Comment l'action est-elle organisée sur un plan processuel ? Il convient de ne pas oublier qu'une telle action peut compter des milliers d'acteurs, en théorie jusqu'à 60 millions de consommateurs s'il s'agit d'une pratique anticoncurrentielle (une entente en l'occurrence) entre tous les opérateurs du secteur. Le mécanisme, sans que l'on connaisse encore le dispositif réglementaire qui l'accompagnera, est assez simple. Le juge saisi (un tribunal spécialisé ou l'Autorité de la concurrence, voire la Commission européenne si le fait générateur du préjudice est une pratique anticoncurrentielle) devra établir le principe de l'indemnisation, en reconnaissant le manquement du professionnel et en déterminant "les critères de rattachement au groupe" (en d'autres termes les qualités des consommateurs lésés par la pratique). L'indemnisation, puisque le projet de loi cantonne la procédure aux seuls préjudices matériels, sera nécessairement forfaitaire, établie par le juge pour un consommateur type, indépendamment des dommages singuliers que pourrait subir chacun. Pour prendre un exemple, à supposer des trains en retard et une action à l'encontre du prestataire à l'origine de ces retards : l'indemnisation sera identique pour tous ceux qui auront souffert de ce retard, sans que la procédure permette d'indemniser les préjudices indirects, comme par exemple l'impossibilité de ce fait de se présenter à un examen. Pour ce type de dommage, seule une procédure individuelle permettrait l'indemnisation d'un préjudice singulier.

Le juge enjoint ensuite au professionnel d'informer tous les consommateurs concernés de leur droit à indemnisation. Il pourrait, en outre, condamner le professionnel à verser une somme globale à l'association requérante qui serait ensuite chargée de la répartir entre victimes (les associations s'inquiètent déjà de cette charge de travail et de l'absence de soutien financier prévu) ou bien charger directement le professionnel de le faire. Dans ces deux hypothèses, le professionnel conservera les sommes non réclamées (l'identification et l'affectation du reliquat à un tiers est donc indubitablement écartée, cf. supra). Il reste à préciser que la décision n'aurait autorité de la chose jugée qu'à l'égard des consommateurs qui auraient été indemnisés dans le cadre de cette action, laissant alors le professionnel incertain quant aux conséquences financières de sa pratique jusqu'à l'épuisement des délais de prescription.

Au-delà de l'action de groupe, une plus grande efficacité est également recherchée grâce au renforcement des pouvoirs de l'administration.

Le projet prévoit, en premier lieu, une efficacité erga omnes du prononcé du caractère abusif d'une clause, autorisant désormais les associations de consommateurs qui auront saisi le juge d'enjoindre au professionnel de retirer la clause de tous les contrats identiques en cours conclus avec d'autres consommateurs, voire de les informer de cette situation. La DGCCRF pourra être amenée à contrôler le respect d'une telle décision.

Outre des pouvoirs élargis au contrôle du respect du Code des assurances, au Code de la mutualité ou encore au Code de la sécurité sociale, la DGCCRF sera habilitée à contrôler le respect par les opérateurs économiques des injonctions prononcées par la Commission nationale informatique et libertés (CNIL) (projet de loi, art. 25 à 28). Mais, sans pouvoir ici prétendre à l'exhaustivité de la description de la boîte à outils, ce sont surtout les nouvelles sanctions du droit de la consommation qui prêtent aux plus importants commentaires. La DGCCRF serait en premier lieu habilitée à prononcer des sanctions "administratives" en remplacement de certaines sanctions de nature pénale pour accélérer le processus de condamnation des contrevenants (projet de loi, art. 53 et 60 à 63). Il faut dire qu'avec le développement des procédures transactionnelles menées par l'administration, le tribunal pénal était de moins en moins souvent sollicité. Les contraventions les plus simples pourront désormais faire simplement l'objet de sanctions administratives : manquements aux obligations d'information générale ou spéciales, aux règles de publicité des prix, des méthodes de ventes (soldes, ventes au déballage, etc.), droits des passagers de transports aériens, etc.. En cas de contestation, le contentieux passerait de la compétence du juge pénal à celle du juge administratif, considéré comme moins débordé actuellement par ses dossiers. Les sanctions pénales des délits les plus graves seront renforcées, le Gouvernement ayant parfaitement compris que les sanctions actuelles, non réévaluées depuis longtemps, n'étaient plus dissuasives (notamment lorsque le profit illicite était sans commune mesure avec le risque de condamnation pénale). A titre d'exemple, pour le délit de tromperie, le plafond de l'amende pour les personnes physiques passerait de 37 500 à 300 000 euros. S'inspirant du dispositif applicable à la publicité trompeuse, le projet prévoit, en outre, d'accorder au juge la possibilité d'aller au-delà et de prononcer une amende pouvant aller jusqu'à 10 % du chiffre d'affaires du contrevenant (solution étendue aux ventes pyramidales, à l'abus de faiblesse, à l'exportation de denrées alimentaires dangereuses pour la santé, de détention de denrées alimentaires ou de médicaments falsifiés).

II - Le contenu du droit de la consommation

Toute une série de mesures est prise, dont plusieurs avaient été envisagées par le précédent Gouvernement qui n'avait pas pu les mettre en oeuvre, et le ministère a opportunément choisi de poursuivre les réformes engagées. Le projet prévoit, en premier lieu, de donner une définition du consommateur (projet de loi, art.3), solution qui ne devrait pas cependant faire évoluer le droit positif puisque cette définition est celle de la jurisprudence. En outre, l'article 3 ne vise absolument pas la notion de "non-professionnel", de sorte que les hésitations jurisprudentielles relatives à l'application de certaines dispositions du Code de la consommation aux personnes morales devraient demeurer.

Pour adapter le code aux évolutions du droit communautaire (et notamment aux décisions les plus récentes de la CJUE), l'article 28 prévoit que le juge devra désormais relever d'office le caractère abusif d'une clause contenue dans un contrat de consommation (aujourd'hui, il ne s'agit que d'une faculté pour le juge). L'appréciation du caractère déloyal d'une pratique commerciale (essentiellement une publicité) devra être appréciée in concreto, ce que la jurisprudence avait déjà mis en oeuvre. Concrètement, une décision devra déterminer l'existence d'une pratique trompeuse en justifiant des circonstances concrètes entourant la pratique, notamment pour tenir compte des spécificités du mode de communication employé et de l'intégralité des informations transmises au consommateur.

Le code reprendra désormais les solutions posées par le Règlement n° 593/2008 du 17 juin 2008 dit "Rome I" (N° Lexbase : L7493IAR) : le consommateur ne pourra être privé des dispositions impératives de protection de son pays de résidence. Le consommateur pourra donc opposer sa loi nationale au professionnel étranger. Cette disposition sera désormais inscrite dans le code, le consommateur en sera bien mieux informé.

Le projet entend en un autre domaine devancer les projets de l'Union européenne. Les articles 23 et 24 du projet envisagent une valorisation des produits artisanaux locaux non-alimentaires. Il crée des "indications géographiques nationales pour les produits manufacturés". En outre, les collectivités territoriales pourront désormais s'opposer à l'enregistrement de marques reprenant leur nom, dans un but évident de protection à la fois des artisans présents sur le territoire de cette collectivité et des intérêts des consommateurs qui pourraient être trompés par des produits manufacturés en un autre lieu que celui désigné par la marque.

Toujours au titre des mesures diverses, le projet entend lutter contre la multi-assurance en accordant au consommateur qui souscrirait (par accessoire à l'achat d'un produit ou à la souscription d'un service) une nouvelle garantie un droit de renonciation anticipée dans un délai de 14 jours à compter de la signature du nouveau contrat. Pour lutter, dans les contrats de vente, contre la conviction du consommateur qu'il bénéficie exclusivement de la garantie contractuelle (au bon vouloir donc du professionnel), le projet renforce encore l'obligation d'information du professionnel. En outre, le délai de présomption de non-conformité du produit vendu imposé par la Directive 1999/44 du 25 mai 1999 (N° Lexbase : L0050AWR) passerait de 6 à 12 mois pour permettre pendant ce délai la réparation ou le remplacement du bien. Toujours au titre des mesures diverses, le professionnel serait à compter de la réforme tenu de livrer le consommateur au plus tard 30 jours à compter de la commande. Dans les foires et salon, pour lesquelles le consommateur imagine souvent à tort bénéficier d'un délai de rétractation, le professionnel devra désormais exposer clairement au consommateur l'absence de ce droit. Comme chacun sait, dans les ventes à distance et par démarchage, le délai identique aux deux hypothèses, sera désormais de 14 jours (l'interdiction de recevoir paiement, en cas de démarchage serait, elle, maintenue à 7 jours).

Enfin, et surtout pour conclure, on rappellera que l'article 73 du projet prévoit l'habilitation du Gouvernement à procéder par voie d'ordonnance pour une refonte (évidemment à droit constant) du Code de la consommation. L'ambition, qu'il faut l'approuver, est celle d'une clarification de la construction du code et d'harmonisation des pouvoirs d'enquête. Le projet de loi n'est donc que la phase initiale d'une réforme plus ambitieuse et plus longue.

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Contrats administratifs

[Chronique] Chronique de droit interne des contrats publics - Mai 2013

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N7292BTA

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par François Brenet, Professeur à la Faculté de droit et des sciences sociales de l'Université de Poitiers-Institut de droit public (EA 2623)

Le 02 Juillet 2013

Lexbase Hebdo - édition publique vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique d'actualité de droit interne des contrats publics de François Brenet, Professeur à la Faculté de droit et des sciences sociales de l'Université de Poitiers-Institut de droit public (EA 2623). Au sommaire de cette chronique, tout d'abord, et par un arrêt du 15 mai 2013 attendu, le Conseil d'Etat nuance sa position relative à la qualification et au régime juridique des contrats d'exploitation de mobiliers urbains sur le domaine public. Le contrat d'exploitation des colonnes Morris n'est ni un marché public, ni une délégation de service public, mais une simple convention d'occupation du domaine public dont la conclusion peut intervenir sans qu'il soit nécessaire d'organiser une procédure de publicité et de mise en concurrence (CE 2° et 7° s-s-r., 15 mai 2013, n° 364593, publié au recueil Lebon). Dans un arrêt du 7 mai 2013 qui fait l'objet du deuxième commentaire, le Conseil d'Etat reconnaît à la personne publique le pouvoir de résilier unilatéralement une délégation de service public conclue pour une durée excessive (CE 2° et 7° s-s-r., 7 mai 2013, n° 365043, publié au recueil Lebon). Enfin, dans le troisième arrêt analysé, la Haute juridiction précise les modalités et l'intensité du contrôle (contrôle de la disproportion manifeste) exercé par le juge du référé précontractuel sur les niveaux minimaux de capacité fixés par le pouvoir adjudicateur (CE 2° et 7° s-s-r., 7 mai 2013, n° 365706, mentionné aux tables du recueil Lebon).
  • L'exploitation des colonnes Morris : ni un marché public, ni une délégation de service public, mais une simple convention d'occupation du domaine public (CE 2° et 7° s-s-r., 15 mai 2013, n° 364593, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A3193KDM)

Trois juges et trois qualifications différentes ! Tel est le premier constat que l'on peut dresser à la première lecture de l'arrêt n° 364593 rendu par le Conseil d'Etat le 15 mai 2013 au sujet de la nature juridique du contrat ayant pour objet l'installation et l'exploitation de colonnes et de mâts porte-affiches. Une nouvelle fois, le Conseil d'Etat était saisi de la question de la qualification juridique du contrat de mobilier urbain que la ville de Paris avait conclu en 2005 avec la société X. Sur recours de la société Y, le tribunal administratif de Paris avait annulé la délibération du 26 septembre 2005 par laquelle le conseil de Paris avait autorisé la signature du contrat au motif que la conclusion de la convention, qui devait être regardée non comme une convention d'occupation du domaine public, mais comme une convention de délégation de service public, n'avait pas été précédée de la procédure de publicité et de mise en concurrence prévue par les dispositions de l'article L. 1411-1 du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L0551IGI) (1). Par un arrêt du 17 octobre 2012, la cour administrative d'appel de Paris a annulé le jugement du tribunal administratif de Paris et a considéré que le contrat litigieux n'était ni une simple convention d'occupation du domaine public, ni une délégation de service public, mais un marché public (2). Saisi d'un recours en cassation, le Conseil d'Etat retient, comme on pouvait s'y attendre, une solution différente : le contrat litigieux n'est rien d'autre qu'un simple contrat d'occupation du domaine public pour lequel le droit positif n'impose pas à la personne publique d'organiser une procédure de publicité préalable.

La solution était attendue car elle reprend deux jurisprudences bien établies relatives, d'une part, à la qualification juridique des contrats de mobilier urbain et, d'autre part, à l'absence de procédure de passation obligatoire pour les contrats simples d'occupation du domaine public.

1 - Concernant tout d'abord la qualification du contrat d'exploitation des colonnes Morris, l'arrêt du 15 mai 2013 reprend la grille d'analyse par l'arrêt du 4 novembre 2005 (3), mais retient une solution différente au final. Alors qu'il avait qualifié les contrats de mobilier urbain de marchés publics assortis d'une autorisation d'occupation du domaine public en 2005, le Conseil d'Etat retient la qualification de simple contrat d'occupation du domaine public en 2013.

Pour la Haute assemblée, il ne peut pas s'agir d'un marché public car le contrat litigieux ne répond pas à la définition qu'en donne l'article 1er du Code des marchés publics (N° Lexbase : L2661HPA), aussi bien en ce qui concerne son objet que son caractère onéreux. S'agissant de l'objet, l'arrêt relève que, conformément aux prescriptions légales, la convention prévoit l'affectation d'une partie des mobiliers à l'affichage de programmes de théâtres, cirques et films d'art et d'essai à des tarifs préférentiels. Cependant, si cette affectation culturelle des mobiliers répond à un intérêt général s'attachant pour la ville, gestionnaire du domaine, à la promotion des activités culturelles sur son territoire, elle ne concerne pas des activités menées par les services municipaux, ni exercées pour leur compte (4). S'agissant, ensuite, du caractère onéreux du contrat, le Conseil d'Etat s'écarte encore une fois du raisonnement de la cour administrative d'appel de Paris en jugeant que la convention ne présente pas un caractère onéreux car elle ne prévoit ni la renonciation de la personne publique à percevoir des redevances domaniales, ni la perception de redevances inférieures à celles normalement attendues du concessionnaire autorisé à occuper le domaine public aux fins d'y installer des supports publicitaires.

Concernant la qualification de délégation de service public, à l'égard de laquelle le Conseil d'Etat avait à se prononcer au titre du règlement de l'affaire au fond, la Haute juridiction précise nettement qu'une telle qualification doit être écartée. En effet, il est jugé que la Ville de Paris n'a pas entendu créer un service public de l'information culturelle, mais seulement utiliser son domaine conformément aux prescriptions légales régissant les colonnes et mâts porte-affiches pour permettre une promotion de la vie culturelle à Paris. Par ailleurs, le Conseil d'Etat prend bien soin de ne pas qualifier les obligations pesant sur la société X d'obligations de service public. Il s'agit seulement d'obligations mises à la charge de l'occupant pour respecter les prescriptions du code de l'environnement et pour préserver l'intérêt du domaine.

2 - N'étant ni une délégation de service public, ni un marché public, le contrat d'exploitation des colonnes Morris n'est donc rien d'autre qu'un simple contrat d'occupation du domaine public. Cette qualification emporte immédiatement une conséquence importante : sa conclusion n'a pas à être précédée d'une procédure de publicité et de mise en concurrence. Cette solution, fixée par la très contestée jurisprudence "Ville de Paris" (5) (aussi connue sous le nom de l'affaire dite "du stade Jean Bouin"), est reproduite par l'arrêt du 15 mai 2013 et suscite évidemment les mêmes critiques en ce qu'elle ne tient pas suffisamment compte du fait que l'occupation du domaine public constitue une avantage économique important qui est de nature à fausser la concurrence entre les opérateurs économiques.

  • Possibilité pour la personne publique de résilier unilatéralement la délégation de service public conclue pour une durée excessive (CE 2° et 7° s-s-r., 7 mai 2013, n° 365043, publié au recueil Lebon [LXB=A1556KDY])

Longtemps délaissée par la jurisprudence, la question des rapports au temps de la délégation de service public est aujourd'hui l'objet de toutes les attentions. Il semble bien que l'époque où les contrats, que l'on appelait encore concessions, étaient conclus pour des durées particulièrement longues (voire sans limitation de durée) et/ou tacitement reconduits, est définitivement révolue (6). L'arrêt n° 365043 du 7 mai 2013 vient alimenter une jurisprudence protectrice des droits de la personne publique et de l'intérêt général en reconnaissant à l'administration le droit de résilier unilatéralement une délégation de service public conclue pour une durée excessive.

En l'espèce, la commune de Fontainebleau avait conclu deux conventions pour une durée de 25 ans avec la société auxiliaire de parcs de la région parisienne (SAPP) portant sur la modernisation et l'exploitation de trois parcs de stationnement souterrain et sur voirie. Après y avoir été autorisé par une délibération du conseil municipal du 25 mars 2012, le maire a notifié par une décision du 25 juillet 2012 à la SAPP la résiliation de ces deux conventions en raison de leur durée excessive. La société délégataire a contesté cette résiliation en exerçant un recours "Béziers II" (7), c'est-à-dire un recours en reprise des relations contractuelles, qu'elle a assorti d'un référé suspension en vue d'obtenir la reprise provisoire des relations contractuelles. Le juge des référés du tribunal administratif de Melun a rejeté cette demande par une ordonnance du 21 décembre 2012, contre laquelle la SAPP a formé un pourvoi en cassation.

Après avoir reproduit le considérant de principe de l'arrêt "Commune de Béziers" de 2011, rappelant que le cocontractant de l'administration était en droit de contester la légalité d'une décision de résiliation devant le juge de plein contentieux et d'assortir ce recours d'un référé suspension, la Haute juridiction administrative rejette le recours formé par la SAPP au motif "qu'eu égard à l'impératif d'ordre public imposant de garantir, par une remise en concurrence périodique, la liberté d'accès des opérateurs économiques aux contrats de délégation de service public et la transparence des procédures de passation, la nécessité de mettre fin à une convention dépassant la durée prévue par la loi d'une délégation de service public constitue un motif d'intérêt général justifiant la résiliation unilatérale par la personne publique, sans qu'il soit besoin qu'elle saisisse au préalable le juge". Est, ainsi, explicitement consacré un pouvoir de résiliation unilatérale pour dépassement de la durée maximum légale des délégations de service public.

La durée des délégations de service public est étroitement réglementée par la loi "Sapin" du 29 janvier 1993 ( loi n° 93-122, relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques N° Lexbase : L8653AGL) (voir l'article L. 1411-2 du Code général des collectivités territoriales N° Lexbase : L7650IMB pour les délégations de service public des collectivités territoriales et de leurs établissements et l'article 40 de la loi "Sapin" pour les délégations de service public conclues par l'Etat). Ce dispositif législatif pose, tout d'abord, le principe de la nécessaire limitation de la durée des délégations de service public. Il impose, ensuite, que cette durée soit déterminée par la personne publique en fonction des prestations demandées au délégataire. Sur ce point, la jurisprudence a apporté de précieuses indications. En effet, elle précise que s'il est loisible à la personne publique d'indiquer dans l'avis d'appel public à candidature, non une durée précise, mais les durées potentielles de la délégation, encore faut-il que ces possibilités n'impliquent pas une incertitude qui dissuaderait les entreprises intéressées de présenter une offre (8). Enfin, la loi "Sapin" pose des règles particulières en ce qui concerne les délégations de service public qui impliquent la construction d'équipements ou d'installations. Le législateur consacre, en effet, un principe d'adéquation, la durée de la délégation de service public devant être déterminée en fonction "de la nature et du montant de l'investissement à réaliser".

Cette règle de proportionnalité est assortie d'une limitation importante, puisque la durée de la délégation de service public ne peut jamais "dépasser la durée normale d'amortissement des installations mises en oeuvre". Cette durée normale d'investissement est, cependant, entendue largement par la jurisprudence qui considère que la "durée normale d'amortissement des installations susceptible d'être retenue par une collectivité délégante, peut être la durée normalement attendue pour que le délégataire puisse couvrir ses charges d'exploitation et d'investissement, compte tenu des contraintes d'exploitation liées à la nature du service et des exigences du délégant, ainsi que de la prévision des tarifs payés par les usagers, que cette durée coïncide ou non avec la durée de l'amortissement comptable des investissements" (9). Afin d'évaluer la durée maximale de la délégation, il convient d'ajouter le temps nécessaire à la réalisation des investissements à leur durée normale d'investissement (10). Plus récemment, la jurisprudence a ajouté que, si les dispositions précitées limitent la durée de la convention et imposent que les parties tiennent compte, pour la déterminer, de la nature et du montant de l'investissement à réaliser, elles n'interdisent pas, par principe, que cette durée puisse être inférieure à celle de l'amortissement des investissements réalisés et ne font pas obstacle au droit du délégataire d'être indemnisé à hauteur des investissements non amortis à l'issue du contrat. Cela signifie qu'une délégation de service public peut légalement prévoir le montant de l'indemnisation due au titre des investissements non encore amortis au terme du contrat. Cela signifie, également, que, si la durée des délégations de service public est plafonnée, elle peut aussi être inférieure à la durée nécessaire à l'amortissement des investissements (11).

L'arrêt du 7 mai 2013 prolonge la jurisprudence "Commune d'Olivet" (12) qui ne concernait que les délégations de service public conclues dans les domaines de l'eau potable, de l'assainissement, des ordures ménagères et autres déchets. Dans l'arrêt d'Assemblée du 8 avril 2009, le Conseil d'Etat avait tiré les conséquences de la modification de la loi "Sapin" par la loi du 8 février 1995 (loi n° 95-127, relative aux marchés publics et délégations de service public N° Lexbase : L7737GTQ), qui avait plafonné à vingt ans la durée des délégations de service public conclues dans les secteurs précités. Au nom de l'impératif d'ordre public qui est de garantir, par une remise en concurrence périodique, la liberté d'accès des opérateurs économiques aux contrats de délégation de service public et la transparence des procédures de passation, le juge administratif a considéré que les contrats conclus avant l'entrée en vigueur de la loi du 8 février 1995 pour une durée supérieure à vingt ans n'étaient pas, pour cette seule raison, entachées de nullité. Mais il a jugé qu'aucune de ces conventions ne pourrait voir sa durée prolongée au-delà de 2015. L'arrêt du 7 mai 2013 réaffirme l'impératif d'ordre public de la remise en concurrence périodique des délégations de service public et considère que la personne publique délégante est parfaitement en droit de résilier une convention conclue pour une durée supérieure à celle qui est nécessaire pour amortir les investissements. Même si l'arrêt ne le précise pas, cette résiliation unilatérale pour motif d'intérêt général ne devrait pas s'accompagner d'une obligation d'indemnisation dès lors qu'elle n'est pas censée causer un préjudice puisque, par définition, les investissements ont été amortis.

  • Contrôle de la disproportion manifeste du juge du référé précontractuel sur les niveaux minimaux de capacité fixés par le pouvoir adjudicateur (CE 2° et 7° s-s-r., 7 mai 2013, n° 365706, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A1557KDZ)

La sélection des candidatures à l'attribution des marchés publics s'opère selon une procédure très finement réglementée par le Code des marchés publics. Ce dernier s'efforce de concilier les droits du pouvoir adjudicateur, qui doit être en mesure d'apprécier à sa juste valeur la candidature d'un opérateur économique, et les droits du candidat qui ne doit pas voir sa candidature écartée pour des motifs étrangers à la valeur de sa candidature. L'on retrouve cette logique conciliatrice dans l'article 45 du Code des marchés publics ([LXB=L1071IR4)]) qui était au coeur du litige soumis au Conseil d'Etat dans l'arrêt ici rapporté.

L'article 45-I du Code des marchés publics pose le principe essentiel selon lequel "le pouvoir adjudicateur ne peut exiger des candidats que des renseignements techniques ou documents permettant d'évaluer leur expérience, leurs capacités professionnelles, techniques et financières ainsi que des documents relatifs aux pouvoirs des personnes habilitées à les engager". De cette disposition, il ressort très clairement une interdiction faite aux pouvoirs adjudicateurs de demander aux candidats des renseignements qui seraient totalement inutiles pour sélectionner les candidats au regard de leurs capacités professionnelles, techniques et financières et de leur expérience. Cependant, cette interdiction ne prive pas le pouvoir adjudicateur de toute marge de manoeuvre. Ce dernier peut "durcir" la sélection des candidatures en fixant des niveaux minimaux de capacité, c'est-à-dire qu'il peut exiger que les seuls les candidats disposant d'une certaine expérience, de certains moyens matériels, financiers ou personnels pourront présenter une offre. Encore faut-il pour cela, toujours selon l'article 45-I précité, que ces niveaux de capacité soient liés et proportionnés à l'objet du marché et qu'ils soient mentionnés dans l'avis d'appel public à la concurrence ou, en l'absence d'un tel avis, dans les documents de la consultation.

Dans l'affaire soumise au Conseil d'Etat, la direction régionale et interdépartementale de l'équipement et de l'aménagement d'Ile-de-France avait lancé une procédure d'appel d'offres en vue de conclure un marché public de services portant sur la mise en place de balisage et de signalisation de déviations sur le réseau routier national d'Ile-de-France. Plus précisément, il s'agissait d'une procédure en vue de l'attribution d'un marché à bons de commande, d'un montant minimum de trois millions d'euros et d'un montant maximum de quinze millions d'euros pour une durée de quarante-huit mois, pour la mise en place de balisages et de signalisations de déviation sur le réseau routier d'Ile-de-France. La candidature du groupement, dont la société X était le mandataire, a été écartée au motif qu'elle ne satisfaisait pas aux exigences de capacités techniques des candidats, qui devaient justifier être dotés d'au moins douze fourgons équipés de panneaux à messages variables pour la réalisation des prestations du marché. Par une ordonnance du 17 janvier 2013, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a annulé la procédure, à la demande de la société X, au motif que le niveau de capacité technique exigé des candidats n'était manifestement pas lié et proportionné avec l'objet du marché.

Saisi d'un recours en cassation dirigé contre cette ordonnance, le Conseil d'Etat censure l'ordonnance du tribunal administratif de Paris pour dénaturation des pièces du dossier dès lors, d'une part, que la diversité des messages potentiels à diffuser par le cocontractant comme l'étendue du réseau routier pouvaient justifier l'exigence d'une dotation minimale importante en véhicules de ce type et, d'autre part, que ces matériels pouvaient être aisément acquis ou loués par les candidats pour satisfaire aux niveaux de capacité techniques exigés. Surtout, le Conseil d'Etat précise les conditions dans lesquelles le juge du référé précontractuel doit exercer son contrôle en matière de niveaux de capacité des candidats. Le juge exerce en la matière un contrôle de la disproportion manifeste (dont on peut se demander s'il est une forme de contrôle de l'erreur manifeste d'appréciation ou une forme de contrôle de proportionnalité qui ne dirait pas son nom) sur deux points distincts. En premier lieu, il ne doit pas y avoir de disproportion manifeste entre les niveaux de capacité technique requis et l'objet du marché. Cette exigence se comprend aisément, car on n'imagine pas qu'un pouvoir adjudicateur puisse exiger d'un candidat à l'attribution d'un marché public de peinture une capacité technique en matière de construction d'immeubles ou de signalisation sur les voies publiques ! Les capacités techniques doivent posséder un lien direct avec l'objet du marché. En second lieu, il ne doit pas y avoir de disproportion manifeste entre le niveau de capacité qui est requis par le pouvoir adjudicateur et l'importance des prestations à fournir. C'est une exigence qui est tout à fait logique car, sans elle, un pouvoir adjudicateur pourrait aisément fausser la concurrence. En effet, il ne suffit pas qu'il y ait un lien entre les exigences du pouvoir adjudicateur et l'objet du marché, encore faut-il que le niveau d'exigence du pouvoir adjudicateur corresponde à l'importance des prestations prévues par le marché. En l'espèce, il n'y avait de disproportion manifeste, ni sur le premier point (quoi de plus logique que de demander aux candidats de disposer de véhicules permettant de signaler les déviations sur le réseau routier), ni sur le second (le nombre de véhicules exigés -douze- correspondait à l'importance des prestations à fournir et rien n'empêchait les candidats ne les possédant pas de les acquérir ou de les louer).


(1) TA Paris, 24 avril 2009, société CBS Outdoor.
(2) CAA Paris, 17 octobre 2012, n° 09PA03922, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A4274IW9) : "la convention présente, tout en constituant par ailleurs une convention d'occupation domaniale, le caractère d'un marché public" (cons. n° 11).
(3) CE, Ass., 4 novembre 2005, n° 247298, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A2732DLR).
(4) Nul doute que cette argumentation peut être discutée, car elle repose sur une interprétation très restrictive de la notion de besoins du pouvoir adjudicateur tel qu'on l'entend habituellement au sens de l'article 1er du Code des marchés publics.
(5) CE, Sect., 3 décembre 2010, n° 338272 et n° 338527, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A4439GMD).
(6) L'arrêt le plus important de cette ligne jurisprudentielle est bien évidement l'arrêt dit "Commune d'Olivet" : CE, Ass., 8 avril 2009, n° 271737 et n° 271782, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A9541EE4), Rec. CE, 2009, p. 116, concl. E. Geffray, AJDA, 2009, p. 1090, chron. S.-J. Liéber et D. Botteghi, AJDA, 2009, p. 1747, art. S. Nicinski, Contrats-Marchés publ., 2009, comm. 164, note G. Eckert, Dr. adm., 2009, comm. 85, note F. Melleray, JCP éd. A, 2009, 2147, note F. Linditch, RFDA, 2009, p. 449, concl. E. Geffray, RJEP, 2009, comm. 41, note B. Plessix.
(7) CE Sect., 21 mars 2011, n° 304806, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A5712HIE).
(8) CE 2° et 7° s-s-r., 4 février 2009, n° 312411, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A9350ECB), BJCP, 2009, n° 64, p. 220, concl. N. Boulouis, obs. R. S. : absence d'incertitude de nature à empêcher les entreprises de présenter utilement leurs offres s'agissant d'une délégation de service public dont la collectivité publique avait précisé qu'elle serait conclue pour une durée comprise entre 20 et 25 ans ; CE 2° et 7° s-s-r., 15 décembre 2008, n° 312350, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A8883EBM), Rec. CE, 2008, Tables p. 819, Bulletin DSP n° 2009-2, avril 2009, p. 20 : ne fournit pas une information suffisante sur les critères d'appréciation des offres, la personne publique qui ne fixe pas un terme précis au contrat d'affermage qu'elle entend conclure, ne précise pas les circonstances de nature à justifier une offre sur dix ou vingt ans, ni les conditions dans lesquelles elle entend apprécier les différentes offres au regard de la durée du contrat.
(9) CE 2° et 7° s-s-r., 11 août 2009, n° 303517, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A2152EKW), Rec. CE 2009, Tables p. 833, AJDA, 2010, p. 954, note P. Subra de Bieusses, BJCP, 2009, p. 470, concl. B. Dacosta, Dr. adm., 2009, comm. 147, note P. Idoux et F. Cafarelli, Contrats-Marchés publ., 2009, comm. 364, note G. Eckert, RJEP 2010, comm. 8.
(10) CE 2° et 7° s-s-r., 8 février 2010, n° 323158, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A7571ERT), JurisData n° 2010-000413, Rec. CE, 2010, Tables p. 84, Contrats-Marchés publ., 2010, comm. 147, note G. Eckert, Dr. adm. 2010, comm. 53.
(11) CE 2° et 7° s-s-r., 4 juillet 2012, n° 352417, n° 352418, n° 352449, n° 352450, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A4718IQS), Contrats Marchés publ., 2012, comm. 257, note G. Eckert, RJEP, 2013, comm. 2.
(12) CE, Ass., 8 avril 2009, n° 271737 et n° 271782, publié au recueil Lebon, préc..

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Fiscalité internationale

[Le point sur...] Etude du réseau conventionnel français - Première partie : les revenus et le patrimoine des particuliers

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N7205BTZ

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par Sophie Cazaillet, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition fiscale

Le 05 Juin 2013

La France dispose d'un des réseaux conventionnels les plus étendus au monde. Fondées sur le modèle de convention fiscale de l'OCDE (N° Lexbase : L6769ITU), les conventions fiscales signées par la France ne sortent pourtant pas toutes du même moule. Dans un monde globalisé, dans lequel les frontières prennent l'allure de contraintes, les conventions fiscales tentent, tout d'abord, de régler les éventuelles difficultés, c'est-à-dire la double imposition, afin de faciliter les échanges internationaux ; ensuite, ces textes internationaux visent à fluidifier les échanges entre les Etats signataires ; enfin, ils ménagent les intérêts des parties contractantes, qui protègent ainsi leurs intérêts. Les personnes physiques sont appréhendées dans de nombreuses clauses des conventions fiscales qui, sur le modèle de l'OCDE, divisent selon la catégorie du revenu ou du capital : revenus des salariés, tantièmes, pensions, fonctions publiques, revenus des artistes et sportifs, des étudiants, des enseignants et chercheurs, dividendes, intérêts, revenus immobiliers, gains en capital, successions, donations, fortune.

L'ambition de cette étude n'est pas de dresser un portrait complet du traitement des revenus et du patrimoine des personnes physiques, ce qui serait fastidieux et illisible, mais de donner un aperçu de ce que la France a, depuis 1950, date des premières conventions fiscales dignes de ce nom, prévu pour accompagner ses résidents tentés par l'international (1).

I - Les revenus du travail

Les personnes physiques sont classées par qualité dans le Modèle OCDE. Les conventions signées par la France ont tendance à ajouter aux catégories prévues par l'Organisation, celle des enseignants et des chercheurs. Enfin, les pensions (de retraite) sont visées.

Revenu des salariés

La clause relative aux revenus salariés est sans doute celle qui est la plus souvent conforme au Modèle de convention de l'OCDE (N° Lexbase : E8376ETE). Ainsi, sur les 116 Conventions fiscales qui suivent le Modèle, trois seulement modifient la clause proposée par l'OCDE : en Belgique (Convention France - Belgique, signée le 10 mars 1964 N° Lexbase : L6668BHG ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E1688EU3), cette clause vise spécifiquement les rémunérations afférentes à une activité exercée à bord d'un navire ou d'un aéronef en trafic international ou à bord d'un bateau servant à la navigation intérieure. De même en Norvège (Convention France - Norvège, signée le 19 décembre 1980 N° Lexbase : L6731BHR ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E8203ETY), cette clause contient la référence expresse aux rémunérations perçues par des salariés sur un navire ou un aéronef. Au Luxembourg (Convention France - Luxembourg, signée le 1er avril 1958 N° Lexbase : L6716BH9 ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E8201ETW), le paragraphe relatif à la condition de durée d'une mission sur un territoire, qui est de 183 jours dans le Modèle de l'OCDE, passe à 123 jours.

Par ailleurs, cinq conventions fiscales dérogent au Modèle OCDE : d'une part, Monaco (Convention France - Monaco, signée le 18 mai 1963 N° Lexbase : L6726BHL ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E1801EUA), qui ne traite pas de cet aspect et, d'autre part, la Biélorussie (Convention France - Russie, signée le 4 octobre 1985 et applicable à la Biélorussie, au Kirghizistan, au Tadjikistan et au Turkménistan N° Lexbase : L6746BHC ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E2396EYE), le Kirghizistan (cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E2397EYG), le Tadjikistan et le Turkménistan (cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E2399EYI), qui ont adopté un texte identique. Ces quatre conventions reprennent l'esprit de la Convention modèle, mais détaillent avec beaucoup plus de précision des revenus compris dans la clause.

Il est à noter que certaines conventions sont accompagnées de clause traitant des travailleurs transfrontaliers, sous la forme d'un protocole, d'une clause incluse dans la Convention ou d'une convention séparée. C'est le cas pour les relations entre la France et l'Allemagne (Convention France - Allemagne, signée le 21 juillet 1959 N° Lexbase : L6660BH7 ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E0281EXP), la Belgique, l'Espagne (Convention France - Espagne, signée le 10 octobre 1995 N° Lexbase : L6689BH9 ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E1715EU3), l'Italie (Convention France - Italie, signée le 5 octobre 1989 N° Lexbase : L6706BHT ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E1685EUX) et la Suisse (Convention France - Suisse, signée le 11 avril 1983 N° Lexbase : L6755BHN ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E1727EUI). Curieusement, il n'en est pas question dans les relations franco-luxembourgeoises.

Revenu des artistes et des sportifs

La particularité du réseau conventionnel français, en ce qui concerne les artistes et les sportifs, est l'ajout quasi-systématique de deux paragraphes, qui donne à l'Etat de résidence de l'artiste ou du sportif le droit d'imposer les revenus qu'il obtient de son activité effectuée dans l'autre Etat, si cette activité a été rendue possible par le versement de fonds publics, provenant de ses propres caisses. Parfois, cette règle est étendue aux fonds versés par un organisme à but non lucratif national (comme en Tunisie, par exemple ; Convention France - Tunisie, signée le 28 mai 1973 N° Lexbase : L6764BHY ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E3516EUR).

Les conventions prévoient presque toutes cette règle, qui s'applique soit à tous les revenus perçus par l'artiste ou le sportif, que ce soit directement ou par le biais d'une tierce personne, soit uniquement aux revenus perçus directement par la personne physique. Rares sont les conventions qui ne prévoient pas le cas dans lequel un artiste ou un sportif est représenté, pour la perception de ses revenus, par une tierce personne (c'est le cas des conventions avec la Bosnie-Herzégovine ; Convention France - Yougoslavie, signée à Paris le 28 mars 1974, applicable à la Bosnie-Herzégovine, à la Serbie et au Monténégro N° Lexbase : L6768BH7 ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E8216ETH, le Brésil ; Convention France - Brésil, signée le 10 septembre 1971 N° Lexbase : L6672BHL ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E4541EUQ, le Monténégro, le Portugal ; Convention France - Portugal, signée le 14 janvier 1971 N° Lexbase : L6739BH3 ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E3159EUK et la Serbie ). En effet, cette situation est de plus en plus courante, et a donné lieu à certains abus. D'ailleurs, la Convention liant la France et la Roumanie (Convention France - Roumanie, signée le 27 septembre 1974 N° Lexbase : L6743BH9 ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E5548EXR) prévoit expressément une clause anti-abus.

Quelques exceptions sont à souligner : certains Etats d'Afrique et arabes ne comprennent pas de clause relative aux artistes et aux sportifs, comme l'Arabie saoudite (Convention France - Arabie Saoudite, signée le 18 février 1982 N° Lexbase : L6661BH8), le Bénin (Convention France - Bénin, signée le 27 février 1975 N° Lexbase : L7526ITW), le Burkina-Faso (Convention France - Burkina Faso, signée le 11 août 1965 N° Lexbase : L7776IT8), les Emirats arabes unis (Convention France - Emirats Arabes Unis, signée le 19 juillet 1989 N° Lexbase : L6686BH4), le Koweït (Convention France - Koweït, signée le 7 février 1982 N° Lexbase : L6712BH3), le Mali (Convention France - Mali, signée le 22 septembre 1972 N° Lexbase : L6720BHD), le Niger (Convention France - Niger, signée le 1er juin 1965 N° Lexbase : L6729BHP), Oman (Convention France - Oman, signée le 1er juin 1989 N° Lexbase : L5156IEP), et le Qatar (Convention France - Qatar, signée le 4 décembre 1990 N° Lexbase : L5157IEQ).

En Grèce (Convention France - Grèce, signée le 21 août 1963 N° Lexbase : L6697BHI ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E8195ETP), les sportifs ne sont pas évoqués dans la clause, tandis qu'au Panama, les mannequins sont inclus. Au Maroc (Convention France - Maroc, signée le 29 mai 1970 N° Lexbase : L6722BHG ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E8271ETI), les activités des artistes et des sportifs sont détaillées, comprenant le cirque, les music-halls, etc..

En Chine (Convention France - Chine, signée le 30 mai 1984 N° Lexbase : L6677BHR ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E8283ETX), il est prévu une exonération des revenus perçus dans l'Etat d'exercice d'activité si elle est financée par des fonds publics de l'autre Etat. Le changement de terminologie est importante, car dans le cas classique, évoqué supra, il y a double imposition, alors que dans le cas présent, la clause donne à l'Etat de résidence de l'artiste ou du sportif le droit d'imposer ET interdit à l'Etat d'activité d'appliquer son impôt.

Enfin, la Convention franco-américaine (Convention France - Etats-Unis, signée le 31 août 1994 N° Lexbase : L5151IEI ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E1932EU4) est tout à fait originale, puisqu'elle prévoit que l'imposition dans l'Etat de résidence n'est possible que si les revenus perçus dans l'autre Etat sont inférieurs à 10 000 dollars américains (environ 7 700 euros).

Revenus des étudiants et des stagiaires

La clause relative au droit d'imposer les revenus perçus par les étudiants, qui se déclinent en trois sources : revenus des bourses, sommes envoyées depuis leur Etat de résidence et revenus du travail, est, le plus souvent, conforme au Modèle de l'OCDE.

L'originalité tient à la limitation, en temps et/ou en montant, de la non-imposition dans l'Etat des études ou du stage. Ainsi, différentes conventions prévoient une limitation de durée : le Brésil (deux ans ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E4545EUU), la Corée (cinq ans ; Convention France - Corée, signée le 19 juin 1979 N° Lexbase : L6681BHW ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E5044EX4), les Etats-Unis (période raisonnable des études et au maximum cinq ans et 12 mois pour une expérience professionnelle), l'Iran (qui limite le travail rémunéré à 183 jours comme pour la clause sur les revenus salariés ; Convention France - Iran, signée le 7 novembre 1973 N° Lexbase : L6702BHP ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E8246ETL), la Jamaïque (qui réutilise le critère américain de la durée des études, plafonnée à cinq ans ; Convention France - Jamaïque, signée le 9 août 1995 N° Lexbase : L6708BHW ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E8238ETB), le Japon (un an s'il s'agit d'une expérience professionnelle ; Convention France - Japon, signée le 3 mars 1995 N° Lexbase : L6709BHX ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E8287ET4), la Malaisie (cinq ans ; Convention France - Malaisie, signée le 24 avril 1975 N° Lexbase : L6718BHB ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E8289ET8), le Pakistan (cinq ans pour des études, douze mois pour une expérience professionnelle ; Convention France - Pakistan, signée le 15 juin 1994 N° Lexbase : L6734BHU ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E8292ETB), la Roumanie (qui limite le travail rémunéré à 183 jours comme pour la clause sur les revenus salariés ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E5551EXU), Singapour (trois ans pour les étudiants, douze mois pour les stagiaires ; Convention France - Singapour, signée le 9 septembre 1974 N° Lexbase : L6750BHH ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E8294ETD) et la Slovaquie (qui limite le travail rémunéré à 183 jours comme pour la clause sur les revenus salariés ; Convention France - Tchécoslovaquie, signée le 1er juin 1973, et applicable à la Slovaquie N° Lexbase : L6760BHT ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E8210ETA).

En outre, la Convention fiscale franco-américaine refuse le droit d'imposer à l'Etat des études si le travail rémunéré effectué ne rapporte pas plus de 8 000 dollars américains (environ 6 160 euros) sur l'année. La Convention franco-portugaise limite ce montant à 1 525 euros.

Revenus des enseignants et des chercheurs

La majorité des conventions fiscales signées par la France comporte une clause relative aux enseignants et aux chercheurs. Cette clause prévoit toujours la même chose : l'enseignant ou le chercheur invité dans un établissement scolaire (les appellations diffèrent) est exonéré d'imposition dans l'Etat d'activité pendant deux ans. En Chine, cette durée monte à trois années (cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E3346EUH). Une clause anti-abus est ajoutée.

Sur les 116 Conventions fiscales qui suivent le Modèle, 71 comprennent une telle clause.

Revenus des fonctionnaires

La clause concernant les fonctions publiques n'est que très rarement amendée par rapport au Modèle OCDE.

Seules sept conventions fiscales n'en comportent pas (Bénin, Burkina-Faso, Mali, Mauritanie, Niger, Nouvelle-Calédonie et Saint-Pierre-et-Miquelon).

En Bolivie (Convention France - Bolivie, signée le 15 décembre 1994 N° Lexbase : L6671BHK ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E8234ET7), cette clause comprend les experts ou volontaires envoyés dans le cadre d'un programme entre les deux Etats. Dans les relations franco-coréennes, certaines rémunérations versées par des banques sont des revenus des fonctions publiques (cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E5043EX3). Au Koweït, c'est le cas des rémunérations versées aux employés de Koweït Airways et aux équipages de navires de l'Etat de Koweït.

Tantièmes

La clause relative aux tantièmes déroge rarement au Modèle de l'OCDE, mais quand c'est le cas, la dérogation peut être, notamment, de deux sortes : soit la clause prévoit que les revenus perçus par des associés ou des gérants de sociétés soumises à l'IS, entrant dans le champ d'application de l'article 62 du CGI (N° Lexbase : L2354IBS), sont des tantièmes (Estonie ; Convention France - Estonie, signée le 28 octobre 1997 N° Lexbase : L6690BHA ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E8193ETM, Lettonie ; Convention France - Lettonie, signée le 14 avril 1997 N° Lexbase : L6713BH4 ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E8199ETT, Lituanie ; Convention France - Lituanie, signée le 7 juillet 1997 N° Lexbase : L6715BH8 ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E8200ETU, Macédoine ; Convention France - Macédoine, signée le 10 février 1999 N° Lexbase : L7916ITD ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E8220ETM, République tchèque ; Convention France - République tchèque, signée le 28 avril 2003 N° Lexbase : L8029ITK ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E8207ET7, Slovénie ; Convention France - Slovénie, signée le 7 avril 2004 N° Lexbase : L8032ITN ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E8211ETB et Ukraine ; Convention France - Ukraine, signée le 31 janvier 1997 N° Lexbase : L7917ITE ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E8227ETU), soit elle liste les sociétés entrant dans le champ d'application de la clause, au titre des revenus qu'elles versent à leurs administrateurs (Bénin, Burkina-Faso, Cameroun, Niger, République centrafricaine, Sénégal et Togo).

Les Conventions franco-pakistanaise et franco-kenyane incluent à cette clause les postes de direction de haut niveau, et la Convention franco-néerlandaise précise longuement le sort réservé aux tantièmes. Enfin, certaines conventions ne comportent pas de clauses relatives aux tantièmes : Arabie saoudite, Bahreïn, Emirats arabes unis, Koweït, Mali, Oman et Qatar. Il est intéressant de noter qu'il s'agit des mêmes Etats qui ne mentionnent pas les artistes et les sportifs.

Pensions

Concernant les pensions, le point intéressant consiste à déterminer les clauses des conventions fiscales signées par la France qui prévoient que les pensions versées par la Sécurité sociale sont imposables dans l'Etat de source du versement. La France, qui connaît un système très poussé de Sécurité sociale, prévoit ce paragraphe dans 38 de ses conventions, sans qu'il y ait de tendance particulière à noter (tous les continents sont concernés).

II - Le patrimoine

Le patrimoine des personnes physiques est un sujet délicat en France. Leur imposition revêt l'uniforme de la justice sociale, et cela se ressent aussi dans les lignes des conventions fiscales signées par la République. Aucun élément du patrimoine ne doit échapper à leurs textes.

Dividendes

La clause concernant les dividendes est sans doute, avec celle relative aux intérêts, la plus intéressante des conventions fiscales.

Le Modèle de convention de l'OCDE prévoit que l'Etat de source des dividendes peut opérer une retenue à la source sur le montant brut des dividendes. Le taux de cette retenue est plafonné, et varie selon le destinataire du dividende. Ici, il ne sera traité que des dividendes versés à des personnes physiques résidentes de l'autre Etat, bénéficiaires effectives du revenu.

Le Modèle de l'OCDE prévoit que le taux de cette retenue est de 15 %. C'est le taux choisi par 70 conventions fiscales (par exemple, l'Algérie ; Convention France - Algérie, signée le 17 mai 1982 N° Lexbase : L6658BH3 ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E8255ETW, l'Australie ; Convention France - Australie, signée le 20 juin 2006 N° Lexbase : L7524ITT ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E8298ETI, l'Autriche, le Canada, les Etats-Unis, la Hongrie ; Convention France - Hongrie, signée le 28 avril 1980 N° Lexbase : L6699BHL ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E8196ETQ, Israël ; Convention France - Israël, signée le 31 juillet 1995 N° Lexbase : L6705BHS ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E8247ETM, le Mexique ; Convention France - Mexique, signée le 7 novembre 1991 N° Lexbase : L6724BHI ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E8239ETC, Panama ; Convention France - Panama, signée le 30 juin 2011 N° Lexbase : L8027ITH ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E8240ETD, le Royaume-Uni ; Convention France - Royaume-Uni, signée le 19 juin 2008 N° Lexbase : L7771ITY ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E1721EUB, Singapour ; Convention France - Singapour, signée le 9 septembre 1974 N° Lexbase : L6750BHH ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E8294ETD, la Suisse ; Convention France - Suisse, signée le 9 septembre 1966 N° Lexbase : L6752BHK ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E3367EUA, le Viet Nam ; Convention France - Viet Nam, signée le 10 février 1993 N° Lexbase : L5165IEZ ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E8297ETH, etc.).

Les autres conventions prévoient des taux qui oscillent entre 5 (Allemagne et Venezuela) et 20 % (Congo ; Convention France - Congo, signée le 27 novembre 1987 N° Lexbase : L6680BHU ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E8260ET4, Iran et Turquie ; Convention France - Turquie, signée le 18 février 1987 N° Lexbase : L6765BHZ ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E8226ETT). Dans la Convention fiscale franco-marocaine, il est prévu que les dividendes sont exonérés de retenue à la source s'ils sont versés à un résident du Maroc imposé sur leur montant. L'exonération de retenue à la source est aussi la règle, dans la Convention liant la France et la Malaisie, si la société distributrice est malaise. Si la société distributrice est en Côte d'Ivoire (Convention France - Côte d'Ivoire, signée le 6 avril 1966 N° Lexbase : L6682BHX ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E8261ET7) et est exonérée d'impôt, la retenue à la source est de 18 %. La société distributrice basée en France subit une retenue à la source de 15 % sur le montant des dividendes qu'elle verse au résident du Zimbabwe, mais elle passe à 20 % si cette société est située au Zimbabwe et verse le dividende à un résident de France (Convention France - Zimbabwe, signée le 15 décembre 1993 N° Lexbase : L6769BH8 ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E8281ETU).

Quatre conventions fiscales prévoient que la retenue à la source s'applique à son taux prévu par la législation interne des Etats (Arabie saoudite, Grèce, Thaïlande ; Convention France - Thaïlande, signée le 27 décembre 1974 N° Lexbase : L5163IEX ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E8296ETG et Tunisie).

Enfin, dix-huit conventions fiscales ne prévoient pas de retenue à la source (par exemple, Bahreïn, Egypte ; Convention France - Egypte, signée le 19 juin 1980 N° Lexbase : L6685BH3 ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E8262ET8, Emirats arabes unis, Finlande ; Convention France - Finlande, signée le 11 septembre 1970 N° Lexbase : L6694BHE ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E5711EXS, Koweït, Liban ; Convention France - Liban, signée le 24 juillet 1962 N° Lexbase : L6714BH7 ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E8250ETQ, Niger, Oman, Qatar, République centrafricaine, etc.).

Intérêts

Le Modèle de convention de l'OCDE prévoit que l'Etat de source des intérêts peut opérer une retenue à la source sur leur montant brut. Le taux de cette retenue est plafonné à 10 %. Ici, il ne sera traité que des intérêts versés à des personnes physiques résidentes de l'autre Etat, bénéficiaires effectives du revenu.

Ce taux est suivi par 43 conventions fiscales. Dix conventions ont choisi un taux de 15 % (Belgique, Bolivie, Brésil, Côte d'Ivoire, Egypte, Inde, Indonésie ; Convention France - Indonésie, signée le 14 septembre 1979 N° Lexbase : L6701BHN ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E8286ET3, Jordanie ; Convention France - Jordanie, signée le 28 mai 1984 N° Lexbase : L6710BHY ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E8248ETN, Madagascar ; Convention France - Madagascar, signée le 22 juillet 1983 N° Lexbase : L6717BHA ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E8300ETL, Philippines ; Convention France - Philippines, signée le 9 janvier 1976 N° Lexbase : L6736BHX ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E8293ETC et Turquie). Le taux de 20 % s'applique dans les relations entre la France et l'Argentine (Convention France - Argentine, signée le 4 avril 1979 N° Lexbase : L6662BH9 ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E8233ET4) et l'Iran, qui est le taux maximum prévu par le réseau conventionnel français, le taux minimum étant de 2 % (pour certains intérêts en Ukraine).

Nombreuses sont les clauses qui modifient le taux selon la nature de l'intérêt (c'est le cas de onze conventions).

Par ailleurs, neuf conventions prévoient l'application du taux fixé par la loi interne des Etats partenaires (Arabie Saoudite, Bénin, Burkina Faso, Ile Maurice ; Convention France - Ile Maurice, signée le 11 décembre 1980 N° Lexbase : L6700BHM ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E8299ETK, Mali, Mauritanie ; Convention France - Mauritanie, signée le 15 novembre 1967 N° Lexbase : L6723BHH ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E8272ETK, Niger, République centrafricaine et Togo ; Convention France - Togo N° Lexbase : L6762BHW ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E8278ETR).

Trente-trois conventions ne prévoient pas de retenue à la source (par exemple, Allemagne, Autriche, Croatie, Géorgie ; Convention France - Géorgie, signée le 7 mars 2007 N° Lexbase : L8033ITP ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E8218ETK, Irlande ; Convention France - Irlande, signée le 21 mars 1968 N° Lexbase : L6703BHQ ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E8197ETR, Islande ; Convention France - Islande, signée le 29 août 1990 N° Lexbase : L6704BHR ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E8219ETL, Liban, Norvège, Pologne ; Convention France - Pologne, signée le 20 juin 1975 N° Lexbase : L6737BHY ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E8205ET3, Russie ; Convention France - Russie, signée le 26 novembre 1996 N° Lexbase : L6747BHD ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E8223ETQ, Suède ; Convention France - Suède, signée le 27 novembre 1990 N° Lexbase : L6757BHQ ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E4651EUS, Suisse).

Il est à noter aussi que, contrairement à ce que prévoit le Modèle de l'OCDE, de très nombreuses exonérations sont prévues, pour certaines catégories d'intérêts. Le plus souvent, il s'agit des intérêts rémunérant des prêts consentis ou garantis par les Etats ou leurs subdivisions, voire les banques. Parfois, certains organismes sont nommément désignés (comme la Banque de France ou la Coface).

En étudiant les tendances des conventions fiscales signées par la France en termes de dividendes et d'intérêts, une observation vient à l'esprit : la France semble élever, au niveau international, les erreurs qu'elle commet sur son propre territoire. Tout en encourageant fortement la capitalisation des entreprises, prévoyant tout un arsenal juridique interne pour lutter contre la sous-capitalisation (lire La déductibilité des charges financières : comment digérer un millefeuille indigeste ? - Compte-rendu de la conférence de Fidal du 9 avril 2013, Lexbase Hebdo n° 524 du 17 avril 2013 - édition fiscale N° Lexbase : N6666BT3), elle applique, dans ses conventions, un régime relatif aux intérêts plus doux que celui des dividendes. Dans dix-sept conventions, les dividendes subissent une retenue à la source de 15 %, alors que les intérêts sont exonérés de retenue à la source. Seules neuf conventions fiscales prévoient une imposition des intérêts par voie de retenue à la source alors que les dividendes en sont exonérés (Bahreïn, Bénin, Burkina Faso, Egypte, Emirats arabes unis, Finlande, Koweït, Liban, Mali, Mauritanie, Niger, Oman, Qatar, République centrafricaine et Togo). Lorsque le taux de retenue à la source atteint son maximum, c'est-à-dire 20 %, le même taux est prévu sur les dividendes en Iran, et un taux de 15 % est prévu Argentine. Pire, dans les six cas de conventions qui prévoient un taux d'intérêt de 5 % (Ethiopie ; Convention France - Ethiopie, signée le 15 juin 2006 N° Lexbase : L7528ITY ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E8263ET9, Malte, Ouzbékistan ; Convention France - Ouzbékistan, signée le 22 avril 1996 N° Lexbase : L7530IT3 ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E8291ETA, Panama, Slovénie et Venezuela ; Convention France - Venezuela, signée le 7 mai 1992 N° Lexbase : L6767BH4 ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E8242ETG), cinq de ces conventions appliquent un taux de retenue à la source sur les dividendes plus élevé, entre 10 % et 15 %, et la Convention franco-vénézuélienne prévoit un taux de retenue de 5 % sur les dividendes. Enfin, et si l'on suit le Modèle de convention fiscale de l'OCDE, les conventions appliquant un taux de 15 % sur les dividendes et de 10 % sur les intérêts sont au nombre de 31. Comment inciter les entreprises à capitaliser plutôt qu'à prêter de l'argent ? Pour nuancer ces propos, il faudra préciser que, dans de nombreux cas, le taux de retenue à la source sur les dividendes est beaucoup plus faible lorsqu'ils sont distribués entre sociétés liées. De plus, les conventions fiscales signées par la France prévoient l'application de l'article 212 du CGI (N° Lexbase : L5196IRU) (un seul des sept dispositifs anti-sous-capitalisation aujourd'hui en place) dans 35 conventions.

Revenus immobiliers

Concernant les revenus immobiliers, c'est-à-dire tirés de l'exploitation d'un immeuble, une exception est prévue par le Modèle de l'OCDE : le cas dans lequel une entreprise détient à son actif l'immeuble en question.

La France, qui a déjà été confrontée à ces cas, prévoit, dans de multiples conventions (57 d'entre elles) que, constitue un revenu immobilier, imposable dans le chef du bénéficiaire, la jouissance d'un immeuble détenu par une société.

Par ailleurs, dans ses relations avec le Moyen-Orient, la France exonère souvent d'impôt les résidences secondaires françaises des résidents des autres Etats. C'est le cas pour les conventions franco-bahreïnie, franco-émiratie, franco-koweitienne et franco-omanaise.

Gains en capital

La clause relative aux gains en capital déroge, le plus souvent, au Modèle de convention de l'OCDE, en ce qu'elle prévoit que les gains de cession d'une participation substantielle sont imposés dans l'Etat d'implantation de la société (25 conventions, par exemple Chine, Congo, Corée, Espagne, Hong Kong Convention France - Hong Kong, signée le 21 octobre 2010 N° Lexbase : L7772ITZ ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E0058EUP, Israël, Japon, Malte Convention France - Malte, signée le 25 juillet 1977 N° Lexbase : L6721BHE ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E8202ETX, Nouvelle-Calédonie ; Convention France - Nouvelle-Calédonie, signée le 31 mars 1983 N° Lexbase : L5155IEN ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E8113ETN, Pakistan, Qatar, etc.). En général, le taux de participation substantielle est fixé à 25 %, mais il est de 10 % en Inde (Convention France - Inde, signée le 29 septembre 1992 N° Lexbase : L5152IEK ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E8285ETZ).

Fortune

La fortune est incluse dans le Modèle de Convention de l'OCDE. La France ne reprend pas cette clause dans 14 de ses conventions fiscales (Bangladesh, Botswana, Bulgarie, Chine, Corée, Ethiopie, Ghana, Jamaïque, Jordanie, Nouvelle-Zélande, Philippines, Sri Lanka, Syrie, Trinité et Tobago).

Dans certaines conventions, il est prévu une exonération d'ISF de cinq ans si le résident de l'autre Etat devient résident de France (Bahreïn, Canada, Etats-Unis, Koweït, Oman, Qatar). Dans la Convention entre la France et les Emirats arabes unis, la France s'engage à faciliter l'exonération.

Successions et donation

Les successions et les donations ne sont pas prises en compte par le Modèle de convention fiscale de l'OCDE. Pourtant, la France traite de ces éléments de revenus dans 35 conventions fiscales. La plupart de ces conventions sont rattachées au continent africain (Algérie, Burkina-Faso, Congo, Gabon, Guinée, Mali, Niger ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E2505EYG, Sénégal, Togo, Tunisie, etc.), européen (Allemagne ; Convention France - Allemagne, signée le 12 octobre 2006 N° Lexbase : L7861ITC ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E4606EU7, Autriche ; Convention France - Autriche, signée le 26 mars 1993 N° Lexbase : L6665BHC ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E4356EXM, Belgique ; Convention France - Belgique, signée le 20 janvier 1959 N° Lexbase : L6670BHI ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E1689EU4, Italie ; Convention France - Italie, signée le 20 décembre 1990 N° Lexbase : L6707BHU ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E1687EUZ, Portugal ; Convention France - Portugal, signée le 3 juin 1994 N° Lexbase : L6740BH4 ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E1719EU9, Royaume-Uni ; Convention France - Royaume-Uni, signée le 21 juin 1963 N° Lexbase : L5160IET ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E1722EUC, Suède ; Convention France - Suède, signée le 8 juin 1994 N° Lexbase : L6758BHR ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E4652EUT, etc.), et aux grands partenaires de la France (Etats-Unis ; Convention France - Etats-Unis, signée le 24 novembre 1978 N° Lexbase : L5150IEH ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E1935EU9, Canada, Suisse ; Convention France - Suisse, signée le 31 décembre 1953 N° Lexbase : L6753BHL et Convention France - Suisse, signée le 30 octobre 1979 N° Lexbase : L6754BHM ; cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E1729EUL et N° Lexbase : E1726EUH, etc.).

En Afrique, la plupart du temps, les droits de timbre entrent aussi dans ces conventions relatives aux droits de succession et de donation.


(1) Pour une étude d'ensemble et synthétique sur certaines données, voir ce tableau.
(2) Il est à noter qu'il ne sera pas fait mention ici des récentes conventions fiscales destinées uniquement à poser les bases d'une assistance administrative. Il s'agit des conventions signées entre la France et les onze Etats suivants : Anguilla, les Antilles néerlandaises, Aruba, le Costa Rica, Dominique, Grenade, les Iles Cook, l'Ile de Man, les Iles Turques et Caïques, Jersey, le Libéria. De plus, il ne sera pas question des relations de la France avec Taïwan, ces dernières découlant de la loi de finances rectificative pour 2010 (loi n° 2010-1658 du 29 décembre 2010 N° Lexbase : L9902IN3 ; voir N° Lexbase : E2530EYD), ni des relations entre le Danemark et la France, puisque le Danemark a dénoncé sa convention fiscale avec effet au 1er janvier 2009 (pour plus d'informations, lire France - Danemark : des relations fiscales pas très conventionnelles - Questions à Maximilien Jazani, Managing Partner, Manswell, Lexbase Hebdo n° 527 du 15 mai 2013 - édition fiscale N° Lexbase : N7003BTK ; et voir N° Lexbase : E8191ETK).

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Rupture du contrat de travail

[Jurisprudence] Prise d'acte et départ à la retraite

Réf. : Cass. soc., 15 mai 2013, n° 11-26.784 et 11-26.930, FP-P+B, 1er moyen du pourvoi de l employeur (N° Lexbase : A5125KD8)

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

Le 30 Mai 2013

La consécration de la prise d'acte par le salarié de la rupture de son contrat de travail a certes permis de donner un nom et un régime à une réalité professionnelle, mais elle a aussi suscité des difficultés nouvelles, notamment dans les hypothèses, en pratique fréquentes, où dans le même laps de temps le contrat de travail se trouve rompu par d'autres moyens. Les difficultés d'articulation de ces différents modes de rupture, qui concernaient hier le licenciement ou la résiliation judiciaire, se rencontrent, dans un arrêt de la Chambre sociale de la Cour de cassation en date du 15 mai 2013, à propos du départ à la retraite du salarié dans un contexte conflictuel. La Cour de cassation décide de faire une application cumulative des deux régimes (I), mais uniquement de manière partielle car la reconnaissance des torts de l'employeur antérieurs au départ à la retraite ne produit que les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, et non pas d'un licenciement nul (II).
Résumé

Lorsque le salarié, sans invoquer un vice du consentement de nature à entraîner l'annulation de son départ à la retraite, remet en cause celui-ci en raison de faits ou manquements imputables à son employeur, le juge doit, s'il résulte de circonstances antérieures ou contemporaines de son départ qu'à la date à laquelle il a été décidé, celui-ci était équivoque, l'analyser en une prise d'acte de la rupture qui produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient ou dans le cas contraire d'un départ volontaire à la retraite.

Commentaire

I - L'application du régime de la prise d'acte

Contexte juridique. La Cour de cassation a consacré, depuis dix ans (1), la prise d'acte comme un mode de rupture du contrat de travail à l'initiative du salarié qui produira soit les effets d'une démission, si les griefs formulés à l'encontre de l'employeur ne sont pas suffisamment graves, soit d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, s'ils le sont, voire d'un licenciement nul si on se situe dans le champ d'une nullité.

La Haute juridiction a été amenée à préciser l'articulation de ce mode de rupture, à l'initiative du salarié, avec la démission, dont la prise d'acte est très proche puisqu'il s'agit, dans les deux hypothèses, d'une rupture à l'initiative du salarié. Lorsque le salarié prétend qu'il a volontairement quitté l'entreprise en prenant acte, la discussion s'engagera sur la gravité des faits reprochés à l'employeur (2). Mais lorsque le salarié prétendra avoir été conduit à quitter l'entreprise, alors qu'il ne le souhaitait pas, soit qu'il ait été trompé, soit qu'il y ait été contraint, alors le juge devra s'intéresser à l'intégrité du consentement du salarié et déterminer s'il a été victime d'une erreur, d'un dol ou d'une violence (3).

Intérêt de la décision. Restait à préciser l'articulation du régime de la prise d'acte avec celui d'un autre mode de rupture du contrat de travail, également à l'initiative du salarié, celui du départ à la retraite qui constitue une forme atypique de démission soumise à un régime particulier (4). C'est tout l'intérêt de cette décision.

L'affaire. Un VRP salarié avait notifié à son employeur, le 26 décembre 2007, son départ à la retraite par une lettre énonçant des griefs envers ce dernier, notamment une modification unilatérale des taux de commissions depuis 2004.

Il avait, ensuite, saisi la juridiction prud'homale d'une demande de requalification de cette rupture en une prise d'acte de rupture du contrat de travail produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, ainsi que de demandes en paiement des indemnités de rupture et de divers rappels de salaire sur commissions et autres frais relatifs à l'exécution du contrat de travail.

La condamnation de l'employeur à des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse se trouve confirmée ici par le rejet du pourvoi sur ce point.

Pour justifier cette qualification, la Haute juridiction précise le cadre juridique applicable.

Après avoir indiqué que "le départ à la retraite du salarié est un acte unilatéral par lequel le salarié manifeste de façon claire et non équivoque sa volonté de mettre fin au contrat de travail", la Cour précise l'articulation avec le régime de la prise d'acte : "lorsque le salarié, sans invoquer un vice du consentement de nature à entraîner l'annulation de son départ à la retraite, remet en cause celui-ci en raison de faits ou manquements imputables à son employeur, le juge doit, s'il résulte de circonstances antérieures ou contemporaines de son départ qu'à la date à laquelle il a été décidé, celui-ci était équivoque, l'analyser en une prise d'acte de la rupture qui produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient ou dans le cas contraire d'un départ volontaire à la retraite".

Or, "ayant constaté que l'employeur avait appliqué des taux de commission inférieurs au taux convenu, sans justifier de l'accord du salarié sur cette modification, et qu'il avait réduit unilatéralement le montant des avances sur commissions jusqu'alors appliqué, dans des conditions qui étaient de nature à faire obstacle à l'exécution de la mission du salarié, la cour d'appel a pu en déduire que le départ à la retraite s'analysait en une prise d' acte qui produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse".

Précédents. Jusqu'à présent, la Cour de cassation n'avait jamais eu clairement à se prononcer dans l'hypothèse d'un salarié ayant tout à la fois informé son employeur de son intention de partir à la retraite, tout en formulant à son encontre des griefs comme s'il s'agissait d'une prise d'acte.

Dans les quelques affaires traitées par la Cour, les circonstances n'étaient en effet pas exactement les mêmes. Ainsi, dans une décision inédite rendue en 2009, un salarié avait démissionné, en formulant des griefs contre son employeur, puis pris sa retraite ; la Haute juridiction avait alors initié la formule que l'on retrouve, presque à l'identique, dans ce nouvel arrêt en date du 15 mai 20013, selon laquelle "la démission est un acte unilatéral par lequel le salarié manifeste de façon claire et non équivoque sa volonté de mettre fin au contrat de travail ; que lorsque le salarié, sans invoquer un vice du consentement de nature à entraîner l'annulation de sa démission, remet en cause celle-ci en raison de faits ou manquements imputables à son employeur, le juge doit, s'il résulte de circonstances antérieures ou contemporaines de la démission qu'à la date à laquelle elle a été donnée, celle-ci était équivoque, l'analyser en une prise d'acte de la rupture qui produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient ou dans le cas contraire d'une démission" (5). Dans une précédente décision où un salarié, parti à la retraite, avait demandé des indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, la Cour de cassation avait rejeté ses prétentions après avoir observé, à l'instar de la cour d'appel, que les griefs formulés par le salarié (modification du contrat de travail) n'étaient pas avérés (6). Dans d'autres, la Cour avait vérifié "le caractère non équivoque de sa volonté de partir à la retraite" (7), ou encore que le salarié avait "manifesté sa volonté claire et non équivoque de partir à la retraite" (8). La Cour avait également eu à statuer sur le cas d'un salarié ayant pris acte de la rupture de son contrat de travail avant de prendre sa retraite ; dans la mesure où les griefs formulés à l'encontre de son employeur n'étaient pas fondés, la Cour a rejeté les demandes indemnitaires du salarié (9).

Une solution inspirée des principes d'articulation entre démission et prise d'acte. La solution retenue dans cet arrêt (application de la qualification de licenciement sans cause réelle et sérieuse après que le juge a constaté que le salarié avait volontairement pris sa retraite) s'inspire, à l'évidence, des principes dégagés en cas de démission, et notamment du caractère alternatif des deux hypothèses rencontrées selon que le salarié a ou non voulu quitter l'entreprise, et que le juge doit apprécier la situation soit objectivement (examen des griefs si le salarié a voulu partir), soit subjectivement (analyse de son consentement en cas de vice du consentement) (10).

C'est la solution qui se dégage en filigrane dans cet arrêt où la Cour relève que le salarié n'invoquait pas "un vice du consentement de nature à entraîner l'annulation de son départ à la retraite". Dans cette hypothèse, la rupture fondée sur l'âge du salarié aurait certainement produit les effets d'un licenciement nul puisqu'elle aurait été en réalité voulue par l'employeur pour un motif illicite, à savoir l'âge du salarié ; il se serait alors agi d'une sorte de mise à la retraite qui ne disait pas son nom et ne respectait d'ailleurs pas son régime, méritant alors d'évidence la sanction la plus radicale (11).

II - Une application adaptée à la spécificité du départ à la retraite

Une analogie imparfaite. La solution finalement retenue (départ à la retraite produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse) n'est pas exactement celle qui devrait prévaloir par application des règles jusque là dégagées en matière de prise d'acte.

On sait, en effet, que la prise d'acte, lorsqu'elle est fondée sur des griefs suffisamment graves pour justifier la rupture, s'inscrit dans le régime du licenciement injustifié et produira soit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, dans les cas ordinaires, soit ceux d'un licenciement nul dès lors qu'on se situe dans un régime spécial prévoyant la nullité comme sanction de la violation, par l'employeur, des règles de rupture du contrat de travail.

Dans des hypothèses de démissions requalifiées en prise d'acte, c'est-à-dire lorsque le salarié a délibérément rompu son contrat de travail tout en en imputant la responsabilité à son employeur , la Cour de cassation a, en effet, qualifié la rupture de licenciement nul dès lors que cette sanction avait été prévue par le Code du travail en cas de licenciement, qu'il s'agisse du salarié protégé contraint de quitter l'entreprise par hypothèse sans autorisation administrative préalable (12), ou du salarié qui a accepté un départ volontaire dans le cadre d'un plan de sauvegarde de l'emploi qui ne comportait pas de plan de reclassement (13).

Si cette logique avait été respectée, alors la sanction du départ à la retraite aurait dû être non pas la requalification de la rupture en licenciement sans cause réelle et sérieuse, mais bien celle de licenciement nul puisqu'il s'agissait d'une rupture, assimilée à un licenciement, et fondée sur l'âge du salarié en dehors du régime de la mise à la retraite.

Une solution justifiée par le particularisme des modes de rupture du contrat de travail liés à la retraite. Ce n'est pas la première fois que la Cour de cassation consacre la spécificité des ruptures liées à la retraite. On se rappellera ainsi que si, en principe, la demande de résiliation judiciaire déposée par un salarié avant son licenciement impose au juge prud'homal de statuer d'abord dans le cadre de la résiliation judiciaire, avant de s'interroger, en cas de rejet, sur le bien-fondé du licenciement (14), cette solution ne prévaut pas si le salarié a été mis à la retraite après l'introduction de la demande judiciaire de résiliation judiciaire, car c'est alors la mise à la retraite qui rompt le contrat, le salarié ne pouvant plus que demander des dommages et intérêts en réparation des manquements de l'employeur (15). La rupture liée à la retraite s'impose alors de manière absolue et ne peut être remise en cause dans son principe, une fois celle-ci liquidée.

Voilà qui pourrait expliquer pourquoi ici la Cour de cassation n'applique "que" le régime indemnitaire du licenciement sans cause réelle et sérieuse dès lors que c'est bien le départ à la retraite qui avait entraîné ici la rupture du contrat de travail, et non la prise d'acte.

L'analyse de la Cour semble toutefois avoir évolué depuis 2005. Dans la précédente décision la Cour de cassation avait, en effet, seulement maintenu au salarié mis à la retraite la possibilité de demander des dommages et intérêts, on peut le supposer par application des règles du droit commun (C. civ., art. 1382 N° Lexbase : L1488ABQ), alors que dans cette affaire la Haute juridiction ouvre droit aux indemnités afférentes à la qualification de licenciement, ce qui est plus avantageux pour le salarié qui bénéficiera, en plus des indemnités de licenciement et de préavis, d'une indemnité sanctionnant l'absence de cause réelle et sérieuse au moins égale aux salaires des six derniers mois s'il remplit la double condition d'ancienneté et d'effectif.

Une solution liée aux demandes du salarié ? On observera également que le salarié n'avait pas ici demandé à bénéficier du régime de la nullité qui d'ailleurs ne lui aurait rien apporté de plus sur le plan indemnitaire, et ce dans la mesure où il ne souhaitait pas revenir dans l'entreprise. La formulation retenue, et qui vise comme sanction l'absence de cause réelle et sérieuse, pourrait bien n'être alors que le reflet des prétentions du salarié, et non celui d'une quelconque volonté de la Cour de cassation d'exclure la nullité.

Un cumul critiquable. La solution, évidemment très favorable au salarié et de nature à dissuader les employeurs de modifier unilatéralement le contrat de travail des travailleurs en fin de carrière, ne nous semble pas très rigoureuse sur le plan technique.

Si, en effet, on comprend parfaitement pourquoi il convient de requalifier le départ à la retraite en licenciement si le salarié n'avait pas la volonté de quitter l'entreprise (hypothèse d'un vice du consentement, non vérifiée en l'espèce), l'application du régime du licenciement semble des plus discutables lorsque le salarié a volontairement pris sa retraite. Dans cette hypothèse, il semblerait en effet plus logique de lui permettre d'obtenir réparation du préjudice consécutif aux fautes commises, comme cela avait été affirmé en 2005, sans toutefois faire application d'un régime qui suppose que la décision de rompre le contrat ait été prise par l'employeur, ce qui, par hypothèse, n'est pas le cas lorsque le consentement du salarié n'a pas été vicié.

La remarque vaut d'ailleurs plus largement lorsque le salarié a démissionné de sa propre volonté, car, dans cette hypothèse aussi, l'employeur est traité comme s'il avait contraint le salarié à partir, ce qui n'est, par hypothèse, pas le cas.

Proposition. A terme, il nous semblerait donc plus satisfaisant de réserver l'application du régime indemnitaire du licenciement aux seules hypothèses où le salarié a été contraint de quitter l'entreprise, par la faute de l'employeur, et de laisser au droit commun de la responsabilité civile le soin de régir les hypothèses où le salarié a choisi de partir, sans y être obligé.


(1) Cass. soc., 25 juin 2003, n° 01-42.335, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A8976C8X) ; Cass. soc., 25 juin 2003, n° 01-42.679, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A8977C8Y) ; Cass. soc., 25 juin 2003, n° 01-43.578, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A8978C8Z).
(2) Cass. soc., 9 mai 2007, 4 arrêts, n° 05-40.315 (N° Lexbase : A0908DWK) ; n° 05-40.518 (N° Lexbase : A0909DWL) ; n° 05-41.324 (N° Lexbase : A0910DWM) et n° 05-42.301, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A0925DW8), v. nos obs., Clarifications (?) sur la distinction entre prise d'acte et démission, Lexbase Hebdo n° 260 du 17 mai 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N0691BB9).
(3) Mêmes décisions.
(4) C. trav., art. L. 1237-9 (N° Lexbase : L1407H9Y) et L. 1237-10 (N° Lexbase : L1412H98).
(5) Cass. soc., 4 février 2009, n° 07-40.336, F-D (N° Lexbase : A9543ECG).
(6) Cass. soc., 5 décembre 2012, n° 11-18.220, F-D (N° Lexbase : A5552IYB).
(7) Cass. soc., 12 janvier 2011, n° 09-42.108, F-D (N° Lexbase : A9680GP9).
(8) Cass. soc., 3 novembre 2011, n° 10-11.063, FS-D (N° Lexbase : A5293HZ3).
(9) Cass. soc., 24 septembre 2008, n° 07-40.098, F-P+B (N° Lexbase : A4971EAD), Bull. civ. V, n° 176.
(10) Cass. soc., 17 mars 2010, n° 09-40.465, F-P+B (N° Lexbase : A8273ETL) : "le salarié ne peut tout à la fois invoquer un vice du consentement de nature à entraîner l'annulation de sa démission et demander que cet acte de démission soit analysé en une prise d'acte, par lui, de la rupture de son contrat de travail en raison de faits et manquements imputables à l'employeur" ; Cass. soc., 7 mars 2012, n° 09-73.050, F-P+B (N° Lexbase : A3730IEU), v. les obs. de S. Tournaux, Pas de fongibilité des vices de la démission, Lexbase Hebdo n° 478 du 22 mars 2012 - édition sociale (N° Lexbase : N0895BTC).
(11) Sur la nullité de la mise à la retraite lorsque le salarié ne remplit pas les conditions pour "partir à taux plein" : Cass. soc., 21 décembre 2006, n° 05-12.816, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A3624DTE), RDT, 2007, p. 238, note I. Desbarrats.
(12) Cass. soc., 21 janvier 2003, n° 00-44.502, publié (N° Lexbase : A7345A4S) ; Cass. soc., 5 juillet 2006, n° 04-46.009, FS-P+B (N° Lexbase : A3701DQ7) ; Cass. soc., 17 novembre 2011, n° 10-16.353, F-D (N° Lexbase : A9505HZ3).
(13) Cass. soc., 25 janvier 2012, n° 10-23.516, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A4422IBE).
(14) Cass. soc., 31 octobre 2006, n° 05-42.158, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A0483DSP), v. les obs. de G. Auzero, La prise d'acte de la rupture par le salarié rend sans objet la demande de résiliation judiciaire introduite auparavant, Lexbase Hebdo n° 236 du 16 novembre 2006 - édition sociale (N° Lexbase : N5061ALZ).
(15) Cass. soc., 12 avril 2005, n° 02-45.923, F-P+B (N° Lexbase : A8628DHZ), v. les obs. de N. Mingant, Résiliation judiciaire et mise à la retraite en cours d'instance d'appel, Lexbase Hebdo n°165 du 28 avril 2005 - édition sociale (N° Lexbase : N3694AIN).

Décision

Cass. soc., 15 mai 2013, n° 11-26.784 et 11-26.930, FP-P+B, 1er moyen du pourvoi de l'employeur (N° Lexbase : A5125KD8)

Cassation partielle, CA Paris, Pôle 6, 5ème ch., 22 septembre 2011, n° 09/09370 (N° Lexbase : A5300HYX)

Textes visés : C. trav., art. L. 1237-9 (N° Lexbase : L1407H9Y)

Mots-clés : départ à la retraite, prise d'acte, licenciement sans cause réelle et sérieuse

Liens base : (N° Lexbase : E9674ES4)

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