La lettre juridique n°528 du 23 mai 2013

La lettre juridique - Édition n°528

Éditorial

Les mariés de l'An II* ... Et les divorcés de l'An III

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N7096BTY

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 27 Mars 2014


Un arrêt de la cour d'appel de Paris rendu le 10 avril 2013 a retenu notre attention en ce qu'il établissait que l'homosexualité du mari constituait un grief justifiant le prononcé du divorce à ses torts exclusifs. La solution n'est pas nouvelle à vrai dire ; le 6 juillet 2012, la cour d'appel de Dijon avait également statué en ce sens. Toutefois, depuis lors, la loi relative au mariage pour tous et prévoyant l'extension du mariage aux couples homosexuels, validée par les Sages du Conseil constitutionnel, a été publiée au Journal officiel. Et, il est évident que la lecture de l'arrêt parisien, comme celui de Dijon, prend une tout autre saveur ; sans faire "monter la mayonnaise", la "moutarde pourrait bien monter au nez" de certains...

D'abord, autant le dire tout de suite, on ne peut être que mal à l'aise avec les tenants et la formulation de ce type d'arrêt. Bien entendu, si l'homosexualité n'est pas intrinsèquement une faute, les magistrats se sentent obligés de considérer que l'orientation sexuelle de l'un des conjoints puisse être extrinsèquement fautive, en ce qu'elle constitue une violation grave et renouvelée des devoirs et obligations du mariage rendant intolérable le maintien de la vie commune et justifiant le prononcé du divorce aux torts du conjoint, ici, homosexuel. Sous le chapeau de l'article 242 du Code civil, les juges estimeront le coming out tantôt "outrageant", tantôt "irrespectueux" à l'égard de l'autre conjoint. La formulation judiciaire est plutôt maladroite comme le soulignait, dans nos colonnes, le Professeur Adeline Gouttenoire, à propos de l'arrêt dijonnais. Car si le fait "d'entretenir une relation avec un autre homme présente un caractère particulièrement outrageant pour son épouse par le mépris que ce comportement manifeste vis-à-vis de la loyauté, de la confiance et de la dignité conjugales [,] en quoi, en effet, le fait que la relation soit homosexuelle est-elle plus 'outrageante' que si elle avait été hétérosexuelle ? En quoi le fait que le mari entretienne une relation avec un homme plutôt qu'avec une femme porte davantage atteinte à la loyauté, la confiance et la dignité conjugales ?"

Et, c'est cette question que le "mariage pour tous" va inexorablement exacerber. Transposant une telle solution dans le cadre d'un divorce d'un couple homosexuel, on peut imaginer, dès lors, que l'hétérosexualité révélée de l'un des conjoints constituera, donc, une faute, pour les mêmes raisons que celles précédemment évoquées. On imagine aisément la stupéfaction des opposants à l'extension du mariage à tous les couples et la réaction des tenants de la "ligne dure" contre le mariage dit "gay". Expliquer à nos "anciens" que l'hétérosexualité puisse être, même extrinsèquement, une faute, quand il s'agit, parfois encore, de leur rappeler que l'homosexualité n'en est pas intrinsèquement une, voilà qui nourrira des débats familiaux sans doute encore houleux... Finalement, dans une société qui tente de supprimer toute référence à l'orientation sexuelle dans ses rapports sociaux et, désormais, familiaux, qui l'érige même en discrimination condamnable, on peut s'étonner que celle-ci puisse encore être invoquée à l'appui d'une demande en divorce, dans le but clairement exposé d'obtenir quelques subsides complémentaires.

Aussi, plus fondamentalement, on comprend qu'il sera désormais difficile d'exhorter "l'outrage" lié à l'orientation sexuelle nouvelle ou révélée, du fait d'une atteinte à une certaine espérance légitime à entretenir des relations sexuelles conjugales que l'on qualifiera de "compatibles" -pardonnez la facilité linguistique- pour obtenir de manière plus évidente, voire systématique, le divorce aux torts exclusifs de l'autre conjoint, quand il s'agira, alors, de plaider la violation de l'article 242 du Code civil du fait d'un "bon vieil" adultère. On notera toutefois que, dans ce cas, l'orientation sexuelle nouvelle ou révélée du conjoint devra avoir entraîné un "passage à l'acte" ; car, sans constatation et preuve de l'adultère, la faute sera difficile à établir et l'on risquerait d'entrer alors dans les méandres sordides de l'exposé des pratiques sexuelles du couple en instance de divorce ; charge à chacun de prouver le caractère consenti ou non de ces pratiques en question...-. Et, l'on se demande, dès lors, si le mariage doit continuer à supposer même l'entretien de relations sexuelles : d'abord, parce que l'enfantement n'en sera plus le but implicite, ensuite parce que la morale sexuelle n'existe pas, enfin, parce que l'asexualité n'est pas nécessairement incompatible avec les droits et devoirs principaux conjugaux.

Enfin, l'arrêt du 10 avril 2013 souligne une autre question : celle des "mariages blancs", non dans le but exclusif d'obtenir la nationalité du conjoint, mais dans celui avoué de "permettre de cacher son orientation sexuelle à sa famille". L'argument invoqué par le mari "fautif" a de quoi surprendre de prime abord, mais il a le mérite de replacer le débat actuel dans son contexte. L'extension du mariage pour tous n'empêchera ni les a priori, ni les brimades, ni les contrariétés sociales et familiales. L'heure est, encore, à la pédagogie sur la liberté de choix de son orientation sexuelle, quand un mariage en constitue, en fait et uniquement, la "cerise sur le gâteau". L'arrêt parisien ne manquera pas non plus de retenir l'attention de ceux qui s'opposent au "mariage pour tous", y voyant, entre autres, un appel d'air aux mariages de complaisance.

Non, décidément, comme Nicolas et Charlotte*, il vaudra bien mieux rester mariés et devenir prince d'Empire, que de demander le divorce sous la Révolution...


* Faisant, ici, référence au film éponyme de Jean-Paul Rappeneau, qui réunissait à l'écran, en 1971, Jean-Paul Belmondo (Nicolas Philibert) et Marlène Jobert (Charlotte Philibert) ; et à la deuxième année du quinquennat présidentiel.

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Avocats/Champ de compétence

[Projet, proposition, rapport législatif] Les avocats dans la tourmente...législative

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N7075BT9

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par Anne-Laure Blouet Patin, Directrice de la Rédaction

Le 27 Mars 2014

En à peine trois semaines, ce ne sont pas moins de trois projets de lois qui viennent de mettre à mal l'extension du périmètre d'exercice des avocats au profit des autres professions, ou associations... Premier opus, le projet de moralisation de la vie publique qui viendrait interdire le cumul d'un mandat parlementaire avec une profession de conseil et ce afin d'éviter tout conflit d'intérêts ; deuxième offensive, l'exclusion de l'avocat de l'initiative et de la conduite des actions de groupe et ce malgré les actions -nombreuses- des institutions représentatives auprès de la Chancellerie ; enfin, dernier coup d'estoc, l'élargissement des compétences de l'expert-comptable qui pourra désormais, grâce au projet de loi de sécurisation professionnelle, négocier des accords... Projet de loi organique relatif à la transparence de la vie publique

L'affaire "Cahuzac" a mis le feu aux poudres et a entraîné une réaction prompte, excessive pour certains, du Gouvernement en présentant, le 24 avril 2013, une panoplie de mesures d'assainissement de la vie publique visant notamment la transparence du patrimoine et des intérêts des membres du Gouvernement, des parlementaires, et des élus locaux. Et les avocats seraient directement impactés. En effet, l'article 2 du projet de loi organique relatif à la transparence de la vie publique crée de nouvelles incompatibilités avec le mandat parlementaire, en interdisant aux députés et aux sénateurs d'exercer une fonction de conseil. Et ceux qui exerceraient déjà une fonction de conseil disposeront d'un délai de six mois pour y mettre fin à compter de la publication de la loi. De même, il n'est pas possible pour les parlementaires d'exercer des fonctions au sein de sociétés ou d'entreprises dont une part substantielle de l'activité commerciale est entretenue avec l'administration. Et le conseil, l'avocat en a fait une partie de son métier... Le conseil de l'Ordre des avocats au barreau de Paris avait réagi, dès avant la présentation du texte en Conseil des ministres, en adoptant une motion rappelant la déontologie propre à l'avocat : "Le conseil de l'Ordre des avocats au barreau de Paris est heurté par les propos du Gouvernement mettant en cause les avocats. Il rappelle que les avocats constituent une profession unie construite autour d'un serment et d'une déontologie forte. La probité, l'indépendance, la prévention des conflits d'intérêts et des incompatibilités sont ancrés dans cette déontologie comme dans le serment des avocats. Le projet de rendre impossible aux avocats l'exercice d'un mandat parlementaire est proprement scandaleux et fait insulte à tous les membres du barreau. Le conseil de l'Ordre des avocats au barreau de Paris s'opposera à toute atteinte à la profession et répondra sans faiblir aux attaques dont elle est injustement la cible".

De son coté, l'association des avocats lobbyistes (AAL) a, par le biais d'un communiqué de presse daté du 26 avril 2013, insisté sur le fait qu'il n'est pas acceptable que les avocats puissent être écartés de la représentation nationale au motif qu'ils seraient, plus que d'autres, amenés à exploiter de manière immorale, voire illégale, des situations de conflits d'intérêts inhérentes à la représentativité de la société civile au Parlement. Elle estime qu'il appartient en revanche aux professions concernées de déterminer si, et comment, leur exercice est compatible avec une fonction élective. A cet égard, elle rappelle que son règlement intérieur, auquel ses membres, avocats lobbyistes, se soumettent, leur interdit tout mandat électif propre, le cumul d'un tel mandat et d'une activité, même ponctuelle, de représentation d'intérêts privés (le lobbying) n'étant pas acceptable. Le même règlement prévoir par ailleurs que la présence éventuelle d'un élu d'une institution française ou supranationale dans le cabinet d'un membre de l'AAL interdit à ce dernier de pratiquer son activité de représentation d'intérêt auprès de cette institution. Enfin, l'association voit dans ce texte la stigmatisation implicite, mais évidente, d'une profession qui serait, plus qu'une autre, sujette à la pratique de trafic d'influence ; "une stigmatisation qui par ailleurs instaurerait une présomption de culpabilité envers une profession qui plus que les autres, plus en France que chez nos voisins, obéit à une déontologie stricte".

Projet de loi relatif à la consommation

Texte phare très attendu par la profession, le projet de loi relatif à la consommation, qui instaure l'action de groupe, a fait l'effet d'une douche froide chez les avocats les excluant de l'initiative et de la conduite de ces actions. Le 25 avril 2013, se tenait au barreau de Paris un colloque sur cet avant-projet -le projet a été présenté le 2 mai en Conseil des ministres-. Maître Haeri, membre du conseil de l'Ordre et organisateur de ce colloque, a décrit les grandes lignes du texte et exprimé la légitime préoccupation du barreau, puisque les avocats sont exclus de la représentation au profit des associations de consommateurs, qui n'ont pas la même déontologie que les avocats. Au cours du débat, de nombreuses prises de positions ont permis de souligner le caractère incohérent sur le plan processuel et légal du texte, qu'il s'agisse de la consécration de l'arrêt de règlement, de l'impossibilité matérielle de transiger au bénéfice des parties bénéficiaires mais non parties à la procédure, des problématiques de litispendance ou de l'absence d'avocats. Dans la foulée, l'Ordre des avocats au barreau de Paris a adopté la résolution suivante, à l'unanimité :

"Le conseil de l'Ordre de Paris a pris connaissance des dispositions de l'avant-projet de loi sur l'action de groupe, qui doit être prochainement présenté au Conseil des ministres. Le conseil de l'Ordre constate que l'avant-projet réserve le monopole de la représentation devant les futures juridictions spécialisées aux seules associations de consommateurs agréées, rompant ainsi l'égalité d'accès des justiciables à la justice. Cette disposition est incompréhensible eu égard au rôle des avocats qui sont les interlocuteurs légitimes et compétents pour accompagner les consommateurs dans la défense de leurs intérêts. Ce projet de loi inclut également des dispositions incohérentes sur le plan processuel, qui le vident de substance et de portée effective. Le conseil de l'Ordre des avocats au barreau de Paris exprime sa forte opposition au projet tel qu'il est proposé. Il est prêt à présenter ses propositions d'amélioration".

De son côté, le Conseil national des barreaux, par la voix de son président Christian Charrière-Bournazel, a réagi en dénonçant "la suspicion que cette loi manifeste, une fois de plus, à l'égard de la profession d'avocat. La 'class action' sera réservée aux seules associations de consommateurs. Voici qu'apparaissent de nouveaux médiateurs entre les justiciables et leurs juges : les associations de consommateurs agréées. Cette démarche, qui revient à faire juge de l'opportunité d'une action une association et non pas le professionnel qu'est l'avocat, heurte de front l'honneur même de la profession". Il a rappelé que la profession ne pourra pas "tolérer cette nouvelle atteinte aux droits de chaque citoyen d'accéder à la justice comme il l'entend par le canal de l'avocat de son choix, sans aucun filtre régulateur". Et de conclure, "un Etat qui, comme la France aujourd'hui, semble vouloir multiplier les entraves à l'exercice de la profession d'avocat et au droit de chaque personne d'accéder au juge, de se faire assister et défendre par qui bon lui semble, prend des libertés dangereuses et inacceptables avec les principes démocratiques".

Enfin, Loïc Dusseau, membre du CNB, a annoncé, lors du colloque du 25 avril 2013, qu'un contre-projet de texte, contenant également une partie réglementaire, avait été rédigé au sein de la commission "Textes" du Conseil et devrait être soumis au vote lors de l'Assemblée générale du CNB des 24 et 25 mai prochains.

Projet de loi relatif à la sécurisation de l'emploi

Adopté définitivement par le Sénat le 14 mai 2013, le projet de loi relatif à la sécurisation de l'emploi comporte des dispositions qui renforcent le rôle des experts-comptables dans les négociations avec les organisations syndicales. Et comme le relève l'Union des jeunes avocats, "les experts-comptables ont réussi, par un lobbying aussi discret qu'efficace, à faire insérer dans le projet de loi relative à la sécurisation de l'emploi (censée transposer le fameux Accord national sur l'emploi signé dans la douleur en janvier 2013), sans aucun débat sur ce point, plusieurs dispositions leur permettant d'intervenir comme conseils juridiques auprès des organisations syndicales. Le mélange des genres et le mépris pour les avocats s'instillent chaque jour davantage dans les rouages de l'Etat". En effet, le projet de loi prévoit, au sein d'un nouvel article L. 2323-7-1 que, chaque année le comité d'entreprise est consulté sur les orientations stratégiques de l'entreprise, définies par l'organe chargé de l'administration ou de la surveillance de l'entreprise, et sur leurs conséquences sur l'activité, l'emploi, l'évolution des métiers et des compétences, l'organisation du travail, le recours à la sous-traitance, à l'intérim, à des contrats temporaires et à des stages. A cet égard, il peut se faire assister de l'expert-comptable de son choix en vue de l'examen des orientations stratégiques de l'entreprise. Et le comité contribue, sur son budget de fonctionnement, au financement de cette expertise à hauteur de 20 %, dans la limite du tiers de son budget annuel. L'article L. 2325 35 du Code du travail (N° Lexbase : L6236ISR), qui définit les missions de l'expert-comptable dans ses rapports avec le comité d'entreprise, est ainsi modifié afin de prendre en compte "l'examen des orientations stratégiques de l'entreprise".

Le futur article L. 5125-1 du Code du travail dispose également que l'expert-comptable peut être mandaté par le comité d'entreprise pour accompagner les organisations syndicales dans l'analyse du diagnostic et dans la négociation d'un accord de maintien de l'emploi cas de graves difficultés économiques conjoncturelles dans l'entreprise. .

Pour l'UJAn si la possibilité pour le comité d'entreprise de se faire assister d'un expert-comptable pour l'analyse du diagnostic économique en cas d'accord sur le maintien de l'emploi se conçoit assez bien, à l'image de l'assistance économique et financière dont le comité bénéficie de longue date dans le cadre des procédures de licenciement pour motif économique et des plans de sauvegarde de l'emploi, l'assistance accordée aux organisations syndicales, décidée par le comité d'entreprise, "dans la négociation" même des accords est manifestement très discutable. Elle étend le champ d'intervention des experts-comptables sur un terrain purement juridique puisque jamais auparavant les organisations syndicales n'ont bénéficié d'une assistance de quelque nature et jamais auparavant les représentants du personnel n'ont bénéficié d'une assistance à la négociation.

Et, dès lors que ledit expert-comptable, conseil des organisations syndicales pour la négociation, sera rémunéré par l'entreprise, il reste peu de doute, pour l'UJA, sur le choix que pourraient faire comités d'entreprise et organisations syndicales entre un professionnel du droit, à qui il faudrait payer des honoraires, et un professionnel du chiffre, qui ne coûterait rien... L'UJA estime donc que ce projet de loi crée donc purement et simplement des missions exclusivement juridiques réservées aux experts-comptables sans qu'un avocat ait quelque possibilité que ce soit de faire valoir sa compétence pour espérer convaincre les représentants du personnel d'avoir recours à ses services.

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Contrat de travail

[Jurisprudence] Période d'essai du contrat de travail et désignation aux fonctions de mandataire social

Réf. : Cass. soc., 24 avril 2013, n° 12-11.825, FS-P+B (N° Lexbase : A6764KCI)

Lecture: 7 min

N7134BTE

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par Sébastien Tournaux, Professeur à l'Université des Antilles et de la Guyane

Le 23 Mai 2013

La période d'essai du contrat de travail a, comme l'énonce l'article L. 1221-20 du Code du travail (N° Lexbase : L9174IAZ), pour objet "d'évaluer les compétences du salarié dans son travail, notamment au regard de son expérience, et au salarié d'apprécier si les fonctions occupées lui conviennent". Très clairement donc, cette période d'essai ne devrait pas interagir avec la conclusion d'un mandat social, les deux sphères contractuelles étant distinctes et maintenues aussi étanches que possible. C'est cette imperméabilité entre les deux contrats que la Chambre sociale de la Cour de cassation tente de maintenir par un arrêt rendu le 24 avril 2013. Outre qu'il revient, une nouvelle fois, sur le caractère raisonnable de la durée de la période d'essai, l'arrêt précise que la désignation aux fonctions de mandataire social ne met pas fin à la période d'essai qui se trouve donc prorogée et reprend son cours après la révocation du mandataire (I). Cette solution répond assez nettement à une logique de distinction claire entre contrat de travail et mandat social. Pourtant, sa mise en oeuvre a de véritables effets collatéraux sur la finalité de la période d'essai et confine même au paradoxe quant à la durée effective et véritable de l'essai réalisé (II).
Résumé

Est raisonnable la durée de neuf mois de la période d'essai prévue par la convention collective pour le personnel d'encadrement sédentaire des entreprises de navigation.

Ne met pas fin à la période d'essai en cours la désignation du salarié comme mandataire social, avec suspension du contrat de travail pendant la durée de ce mandat, en l'absence de fonctions techniques distinctes si bien que la période d'essai reprend son cours après la révocation du mandat social

Commentaire

I - Période d'essai et conclusion d'un mandat social : prorogation de la période d'essai

  • Durée de la période d'essai

Se fondant sur l'article 2 § 2 de la Convention n° 158 de l'OIT (N° Lexbase : L0963AII) qui n'autorise une dérogation au droit du licenciement que pour un temps "raisonnable", la Chambre sociale de la Cour de cassation encadre depuis quelques années avec plus de sévérité la durée parfois excessive des périodes d'essai (1). Cette tendance à l'encadrement de la durée de l'essai n'est pas seulement d'origine prétorienne puisque l'on se souviendra que l'ANI du 11 janvier 2008 et la loi de modernisation du marché du travail du 25 juin 2008 ont eux aussi imposé des durées maximales d'essai, textes qui, compte tenu de la date des faits, n'étaient pas applicables à l'espèce (2).

Alors que les premières décisions semblaient juger, de manière abstraite, qu'une durée de douze mois était nécessairement excessive, les décisions ultérieures ont commencé à prendre en considération les fonctions du salarié pour opérer une appréciation spécifique à chaque situation. Ainsi, une durée de trois mois n'est pas excessive pour un cadre (3) alors qu'en revanche, une période d'essai de six mois pour une employée du secteur bancaire est déraisonnable (4). Une nouvelle fois, la Chambre sociale de la Cour de cassation devait se prononcer sur le caractère raisonnable ou non d'une durée d'essai.

  • Suspension de la période d'essai

Durant cette période d'essai, le contrat de travail s'exécute normalement à l'exception de la faculté de résiliation unilatérale très assouplie dont dispose les parties. Ainsi, diverses causes de suspension du contrat de travail peuvent survenir : congés, grève, maladie, etc..

Dans chacune de ces situations, la Chambre sociale juge avec constance que la période d'essai doit être prorogée de la durée de la suspension du contrat de travail (5). Ce raisonnement, parfaitement logique, répond à l'idée selon laquelle la période d'essai est destinée à expérimenter la relation de travail et que, de fait, il ne peut y avoir d'expérimentation si le salarié ne travaille pas !

Une situation semblait cependant ne s'être jamais présentée. En effet, si le cumul d'un mandat social et d'un contrat de travail est à certaines conditions autorisé, il arrive également que le contrat de travail soit suspendu pendant la durée du mandat, en particulier lorsque le contrat de travail ne comporte aucune fonctions techniques distinctes de celles exercées dans le cadre du mandat (6). Quels seront alors les effets de cette suspension du contrat de travail sur la période d'essai ? C'est également à cette question que la Chambre sociale était appelée à répondre par la décision sous examen.

  • L'espèce

Un salarié est engagé en qualité de directeur général adjoint d'une société en 2001. Son contrat de travail prévoit une période d'essai de trois mois suivie d'une période de stage de six mois au cours desquelles les parties pouvaient rompre le contrat de travail sans préavis durant le premier mois, avec préavis d'un mois pendant les cinq mois suivants (7). Pendant ce stage, le salarié était nommé mandataire social de la société, mandat qui fut révoqué en 2009. Le surlendemain de cette révocation, la société mettait fin au contrat de travail en invoquant la rupture de la période d'essai.

Le salarié, qui demandait que la rupture soit qualifiée de licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, fut débouté par la cour d'appel de Versailles. Au soutien de son pourvoi en cassation, le salarié contestait d'abord la durée totale de la période d'essai qu'il jugeait déraisonnable, ce qu'avait refusé d'admettre la cour d'appel en raison du "niveau de l'emploi occupé". Il estimait, ensuite, que sa nomination aux fonctions de mandataire social avait nécessairement mis fin à la période d'essai puisque, lui confiant les pouvoirs les plus étendus dans la direction de l'entreprise, la société reconnaissait nécessairement que l'essai avait été concluant. A titre subsidiaire, le salarié avançait que, dans tous les cas, la suspension du contrat de travail découlant de la nomination aux fonctions de mandataire social n'avait pas eu pour effet de suspendre la période d'essai si bien qu'en 2009, celle-ci était depuis longtemps parvenue à son terme. L'argument était d'ailleurs renforcé par une stipulation de l'article 11 de la Convention collective du personnel sédentaire des entreprises de navigation du 20 février 1951 (N° Lexbase : X0725AEL) qui prévoyait que la maladie du salarié permettait la prorogation de la période d'essai mais n'envisageait pas d'autres cas de suspension de l'essai.

Par un arrêt rendu le 24 avril 2013, la Chambre sociale de la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par le salarié. Elle juge, d'abord, que la cour d'appel a justement décidé que "la durée de neuf mois de la période d'essai prévue par la convention collective pour le personnel d'encadrement était raisonnable". Elle ajoute, surtout, que "la désignation du salarié comme mandataire social, avec suspension du contrat de travail pendant la durée de ce mandat, en l'absence de fonctions techniques distinctes, ne [mettait] pas fin à la période d'essai en cours" et que, par conséquent, "celle-ci avait repris son cours après la révocation du mandat social".

II - Période d'essai et conclusion d'un mandat social : durée raisonnable en droit, excessive en fait

  • Durée de la période d'essai : confirmation de l'appréciation in concreto

S'il n'est pas nécessaire de trop s'attarder sur l'appréciation du caractère raisonnable de la durée de la période d'essai effectuée par la Chambre sociale de la Cour de cassation, il convient tout de même de remarquer que les Hauts magistrats confirment la tendance d'une appréciation in concreto de la durée de la période d'essai (8).

En effet, même si la motivation de la Chambre sociale est concise et qu'elle n'argumente pas le rejet prononcé sur ce moyen, elle reprend néanmoins à son compte le raisonnement adopté par la cour d'appel qui mettait clairement en lien la durée de l'essai avec les fonctions exercées par le salarié.

  • Fin de la période d'essai et mandat social

La Chambre sociale refuse d'admettre que la nomination du salarié aux fonctions de mandataire social puisse mettre fin à la période d'essai. Le salarié avançait que, nommé à de hautes fonctions dans l'entreprise, c'est qu'il avait toute la confiance des dirigeants de la société, confiance a priori antinomique avec les finalités de la période d'essai.

Malgré l'habileté de cette argumentation, la solution adoptée par la Chambre sociale nous paraît devoir être saluée, cela pour plusieurs raisons.

D'abord parce que, au regard des règles relatives au cumul d'un contrat de travail et d'un mandat social, le salarié confondait deux contrats, deux relations qui en principe ne doivent pas entretenir de lien l'une avec l'autre : il y a dans cette hypothèse coexistence de deux statuts indépendants (9). Même si l'on comprend bien ce que peut avoir d'artificiel ce type de raisonnement dans la pratique, la confiance accordée au mandataire social n'est pas automatiquement accordée au salarié titulaire de ce mandat. Comme nous le verrons, l'argument est cependant réversible puisqu'en l'espèce, l'objet du mandat social était identique à celui de la prestation du travail ce qui justifiait d'ailleurs la suspension du contrat de travail.

Ensuite parce que, au regard cette fois des règles relatives à la période d'essai, celle-ci ne prend en principe fin qu'à l'échéance du terme : en principe, le contrat de travail ne devient définitif qu'à la fin de la durée de l'essai. Il est probablement possible d'anticiper la fin de la période d'essai et de mettre fin à l'essai de manière positive avant son échéance, mais une telle issue exigerait alors un accord clair des deux parties. En effet, la clause d'essai est désormais considérée par le législateur comme une clause bilatérale qui profite tant à l'employeur qu'au salarié (10). Cette clause comporte un terme, une durée d'expérimentation à laquelle chacune des parties s'est engagée. Comme toujours lorsqu'une obligation comporte un terme, il ne peut donc y être mis fin qu'en cas de force majeure ou d'accord des parties. Par voie de conséquence, il ne semblait pas possible de considérer que la nomination du salarié aux fonctions de mandataire social caractérise cet accord, même tacite, des deux parties (11).

Restait donc à savoir si la période d'essai avait perduré jusqu'en 2009

  • Suspension du contrat de travail et période d'essai : une solution bien curieuse

Comme nous l'avons vu précédemment, la jurisprudence juge habituellement que la suspension du contrat de travail pendant la période d'essai a pour effet de proroger la durée de celle-ci. Même si c'était, à notre connaissance, la première fois que la question était posée à propos de la suspension du contrat de travail résultant de la nomination du salarié à des fonctions de mandataire social, cette posture générale de la Cour de cassation est donc appliquée sans distinction dans cette affaire.

L'interprétation de cette solution permet tout de même de mettre en lumière une sorte de paradoxe auquel la Chambre sociale ne peut que difficilement échapper.

La Chambre sociale rappelle, en effet, le cas de figure dans lequel la suspension du contrat de travail doit intervenir à la suite de la désignation du salarié à des fonctions de mandataire social (12). Alors que, si le salarié conserve des fonctions techniques spécifiques, la suspension n'est pas nécessaire et les deux contrats peuvent effectivement se cumuler, le contrat de travail doit être suspendu faute de fonctions techniques spécifiques.

Toutefois, la raison pour laquelle le contrat de travail est suspendu tient, nous venons de le voir, à l'absence de fonctions techniques spécifiques. Pour schématiser, le nouveau mandataire social exerce exactement les mêmes fonctions que celles qui lui incombaient lorsqu'il était salarié, ce qui justifie que le contrat de travail soit suspendu pour éviter qu'une même prestation soit l'objet de deux contrats distincts. La solution de la Chambre sociale revient donc à dire que l'expérimentation des fonctions du salarié n'est pas achevée neuf années plus tard lors de la révocation du mandat social. Quoique le raisonnement juridique soit rigoureux, il confine au paradoxe puisque, dans les faits, la période d'essai aura donc duré plus de neuf ans !


(1) Cass. soc., 4 juin 2009, n° 08-41.359, FS-P+B+R (N° Lexbase : A6421EHB) ; v. nos obs., Un an d'essai, une durée déraisonnable, Lexbase Hebdo n° 355 du 18 juin 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N6555BKY) ; JCP éd. S, 2009, 1335, note J. Mouly ; Dr. ouvr., 2009, p. 607, obs. N. Bizot ; RDT, 2009, p. 579 et nos obs. ; Cass. soc., 10 mai 2012, n° 10-28.512, FS-P+B (N° Lexbase : A1206ILA), v. nos obs., Durée de l'essai : une règle générale, des applications particulières, Lexbase Hebdo n° 486 du 24 mai 2012 - édition sociale (N° Lexbase : N2067BTQ), Dr. soc., 2012, p. 321, obs. J. Mouly ; RDT, 2012, p. 150 et nos obs..
(2) Accord sur la modernisation du marché du travail du 11 janvier 2008, v. nos obs., Commentaire des articles 4, 5 et 6 de l'accord sur la modernisation du marché du travail : période d'essai, accès à certains droits et développement des compétences des salariés, Lexbase Hebdo n° 289 du 24 janvier 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N8239BDI) et loi n° 2008-596 du 25 juin 2008, portant modernisation du marché du travail ([LXB=L4999H7B)] et v. les obs. de G. Auzero, Article 2 de la loi portant modernisation du marché du travail : les nouvelles périodes d'essai, Lexbase Hebdo n° 312 du 10 juillet 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N5224BGL).
(3) Cass. soc., 16 mai 2012, n° 10-25.982 , F-D (N° Lexbase : A7033IL3).
(4) Cass. soc., 11 janvier 2012, n° 10-17.945, FS-P+B+R (N° Lexbase : A5267IAC).
(5) En cas de suspension pour maladie, v. Cass. soc., 3 octobre 1957, D. 1957, p. 676 ; Cass. soc., 4 février 1988, n° 85-41.134, publié (N° Lexbase : A6731AAK) ; Cass. soc., 16 mars 2004, n° 01-44.456, publié (N° Lexbase : A5825DBD), Dr. soc., 2004, p. 661, obs. Ch. Radé. En cas de suspension pour congés annuels, Cass. soc., 27 novembre 1985, n° 82-42.581, publié (N° Lexbase : A3753AG4) ; Cass. soc., 5 mars 1997, n° 94-40.042, publié (N° Lexbase : A1141AAI) ; TPS, 1997, comm. 147 ; Cass. soc., 26 octobre 1999, inédit, n° 97-43.266 (N° Lexbase : A2427AYK) ; Cass. soc., 16 mars 2005, n° 02-45.314, F-D (N° Lexbase : A2967DHD). En cas de suspension pour accident du travail, Cass. soc., 12 janvier 1993, n° 88-44.572, publié (N° Lexbase : A6234ABI) , RJS, février 1993, n° 119 ; JCP éd. E, 1993, I, 259.
(6) Sur cette question, v. B. Petit, Le sort du contrat de travail des directeurs généraux, Dr. soc., 1991, p. 463 ; L. Dauxerre, Le cumul d'un contrat de travail et d'un mandat social : un mariage d'intérêts ?, JCP éd. S, 2007, 1049.
(7) On se souviendra que la Chambre sociale de la Cour de cassation requalifie en période d'essai les "périodes de stage" prévues par certaines conventions collectives de branche, v. Cass. soc., 4 juin 2009, préc..
(8) Sur la question, v. nos études, Pour une appréciation in concreto du caractère raisonnable de la durée de l'essai, RDT, 2012, p. 150 ; Le déclin de la finalité de la période d'essai, Dr. soc., 2012, p. 788, spéc. n° 22.
(9) Sur cette question, v. J. Pélissier, G. Auzero, E. Dockès, Droit du travail, Dalloz, 27ème édition, p. 723.
(10) Même si cette idée est elle aussi un peu artificielle, l'intérêt de l'employeur étant clairement plus prononcé que celui du salarié. V. tout de même la définition de l'article L. 1221-20 du Code du travail.
(11) Ce à quoi s'ajoute que, d'une manière générale, la renonciation à un droit doit être expresse.
(12) Par ex., Cass. soc., 26 avril 2000, n° 97-44.241, publié (N° Lexbase : A6381AGG).

Décision

Cass. soc., 24 avril 2013, n° 12-11.825, FS-P+B (N° Lexbase : A6764KCI)

Rejet, CA Versailles, 16 novembre 2011, n° 10/03940 (N° Lexbase : A5752H4S)

Textes visés : néant

Mots-clés : période d'essai, durée raisonnable, prorogation, mandat social

Liens base : (N° Lexbase : E8899ESE) et

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Droit de la famille

[Textes] La loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe : enfin !

Réf. : Loi n° 2013-404 du 17 mai 2013, ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe (N° Lexbase : L7926IWH)

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N7154BT7

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par Adeline Gouttenoire, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directrice de l'Institut des Mineurs de Bordeaux et Directrice du CERFAP

Le 30 Mai 2013

Le 17 mai 2013, la loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe a été à la fois validée par le Conseil constitutionnel (1) et promulguée par le Président de la République (2). Cette concomitance de dates traduit l'impatience du Gouvernement à satisfaire la promesse de campagne du candidat Hollande après un long et laborieux processus législatif (3) et à montrer sa volonté d'avancer sur ce sujet ô combien polémique. Il faut espérer que cette fermeté, ainsi que les mises au point du Conseil constitutionnel, mettront un terme aux tentatives parfois discutables des opposants à l'accès au mariage et à l'adoption des couples homosexuels pour remettre en cause ce qui constitue incontestablement une avancée vers l'égalité des droits.
La loi n° 2013-404, éclairée par la décision du Conseil constitutionnel, constitue indiscutablement un texte progressiste non seulement en ce qu'elle ouvre le mariage et l'adoption aux couples de même sexe, mais encore parce qu'elle modifie ou précise certains points importants du droit de la famille, qu'il s'agisse du couple (I) ou de l'enfant (II).

I - Le couple

Ouverture du mariage aux couples de même sexe. C'est évidemment l'ouverture du mariage aux couples de même sexe qui constitue "le coeur" de la loi du 17 mai 2013. La nouvelle formulation de l'article 143 du Code civil selon lequel "le mariage est contracté par deux personnes de sexe différent ou de même sexe" est restée constante depuis le vote du texte en première lecture à l'Assemblée nationale (5).

Le Conseil constitutionnel a rejeté l'argument des parlementaires -inspiré par certains auteurs (6)- selon lequel cette ouverture du mariage aux couples de même sexe méconnaîtrait un prétendu principe fondamental reconnu par les lois de la République (PFLR) selon lequel le mariage est l'union d'un homme et d'une femme, en expliquant qu'en réalité un tel principe n'existait pas ! La première condition pour qu'existe un PFLR réside, en effet, dans le caractère fondamental du principe invoqué qui doit intéresser un domaine essentiel de la vie de la Nation, comme les droits et libertés fondamentaux, la souveraineté nationale ou l'organisation des pouvoirs publics. Or, selon le Conseil constitutionnel, "si la législation républicaine antérieure à 1946 et les lois postérieures ont, jusqu'à la loi déférée, regardé le mariage comme l'union d'un homme et d'une femme, cette règle qui n'intéresse ni les droits et libertés, ni la souveraineté nationale, ni l'organisation des pouvoirs publics, ne peut constituer un principe fondamental reconnu par les lois de la République au sens du premier alinéa du Préambule de 1946 ; qu'en outre, doit en tout état de cause être écarté le grief tiré de ce que le mariage serait naturellement' l'union d'un homme et d'une femme".

Le Conseil constitutionnel précise que les règles relatives au mariage relevant de l'état des personnes, l'article 34 de la Constitution (N° Lexbase : L1294A9S) confère au législateur la compétence pour fixer les qualités et conditions requises pour pouvoir contracter mariage. Autrement dit, si la définition du mariage était jusqu'à présent l'union d'un homme et d'une femme, rien n'interdit au législateur d'en changer... Le Conseil s'en remet ainsi à l'appréciation du législateur à laquelle il ne lui appartient pas de se substituer. De même qu'il avait affirmé, dans sa décision du 28 janvier 2011 (7), qu'il appartenait au seul législateur de définir le mariage comme l'union d'un homme et d'une femme, il considère dans sa décision du 17 mai 2013 que le législateur est libre d'estimer que "la différence entre les couples formés d'un homme et d'une femme et les couples de personnes de même sexe, ne justifiait plus que ces derniers ne puissent accéder au statut et à la protection juridique attachés au mariage".

Mariages antérieurs. Le Conseil constitutionnel précise que l'ouverture du mariage aux personnes de même sexe ne porte aucune atteinte aux droits acquis nés des mariages antérieurs. Quoique relevant de l'évidence, ce rappel n'est sans doute pas inutile pour certains opposants irréductibles aux mariages homosexuels...

Le texte contient, en outre, dans son article 21, une disposition originale prévoyant que "le mariage entre personnes de même sexe contracté avant l'entrée en vigueur de la présente loi est reconnu, dans ses effets à l'égard des époux et des enfants, en France", à condition qu'il satisfasse les conditions de fond du mariage. Le Conseil constitutionnel ne statue pas sur cette question comme s'il était saisi d'une loi de validation. La disposition contestée concerne en réalité les mariages entre personnes de même sexe célébrés à l'étranger avant l'entrée en vigueur de la loi du 17 mai 2013. En effet, avant cette date, un mariage célébré à l'étranger entre un ressortissant français et un citoyen d'un Etat qui reconnaissait aux couples de même sexe le droit de se marier n'était pas reconnu par le droit français. Le Conseil constitutionnel, en réponse aux requérants qui prétendaient qu'une telle reconnaissance porterait atteinte à la sécurité juridique et n'était pas justifiée par un motif suffisant d'intérêt général, affirme que cette exception à la règle selon laquelle la validité d'un mariage s'apprécie au jour de sa célébration, ne porte atteinte à aucun droit acquis et relevait là encore de la compétence du législateur.

Mariage d'étrangers en France ou de français à l'étranger. Les nouveaux articles 202-1 et 202-2 du Code civil contenus dans l'article 1er de la loi qui permettaient de manière dérogatoire à une personne étrangère ayant sa résidence en France, de se marier sur notre territoire, avec une personne de même sexe, alors que sa loi personnelle interdit un tel mariage, ont subi les foudres des auteurs de la saisine du Conseil constitutionnel qui invoquaient pêle-mêle l'atteinte à l'égalité, à la sécurité juridique et le risque de voir arriver en France de nombreux couples homosexuels étrangers voulant accéder à un mariage interdit dans leur pays, sans oublier le risque que le mariage homosexuel ne devienne une nouvelle forme de mariage naturalisant. A ce débordement d'arguments, le Conseil constitutionnel oppose la liberté du législateur de traiter différemment des situations différentes et reconnaît la possibilité qui était la sienne d'introduire un dispositif spécifique au profit des couples de même sexe de nationalité étrangère dont la loi personnelle prohibe le mariage. Il précise également, dans une petite leçon sur la séparation des pouvoirs dont les requérants pourraient utilement profiter, que "l'éventualité d'un détournement de la loi ou d'abus lors de son application n'entache pas celle-ci d'inconstitutionnalité ; qu'il appartient aux juridictions compétentes, de priver d'effet, et le cas échéant, de réprimer de telles pratiques". Il reste que la possibilité pour les époux de même sexe de déroger à la règle de conflit selon laquelle le mariage est régi par leur loi personnelle risque effectivement de "multiplier les mariages boiteux" qui seront reconnus dans l'Etat où ils ont été célébrés et pas dans l'Etat d'origine des époux (8). Sans doute est-ce le prix à payer pour permettre aux couples de même sexe de profiter des dispositions législatives favorables de leur Etat de résidence. Seront dans une situation similaire les époux, dont un au moins a la nationalité française, qui vivent dans un pays qui n'autorise pas le mariage entre deux personnes du même sexe et qui sont autorisés de manière dérogatoire, par la nouvelle loi, à se marier en France, dans la commune de leur dernière résidence, de celle de leurs parents ou même dans la commune de leur choix (9).

Nom des époux. La dernière version du texte contient, en outre, une disposition nouvelle relative au nom des époux qui n'est cependant que la consécration législative d'une règle coutumière. Le nouvel article 225-1 du Code civil dispose, en effet, que "chacun des époux peut porter, à titre d'usage, le nom de l'autre époux, par substitution ou adjonction à son propre nom dans l'ordre qu'il choisit". Le législateur consacre ainsi pour tous les couples et pour chacun de leur membre, la possibilité déjà utilisée en pratique, surtout par les femmes, de porter à titre d'usage le nom de son conjoint, y compris en l'ajoutant au sien. Cette consécration comporte au moins l'intérêt d'éviter toute discussion sur la possibilité pour les couples de même sexe de bénéficier de la règle coutumière. On rappellera que l'article 264 du Code civil (N° Lexbase : L2829DZS), lui aussi désormais applicable aux couples de même sexe comme aux couples de sexe différent, prévoit qu'en cas de divorce l'époux perd en principe le droit d'utiliser le nom de son conjoint, sauf accord de celui-ci ou autorisation du juge fondée sur l'intérêt particulier que l'époux divorcé aurait à continuer de bénéficier de ce droit.

Dispositions de coordination. L'article 6-1 du Code civil affirme que le mariage emporte les mêmes effets, droits et obligations que les époux soient différents ou de même sexe. Seules quelques dispositions qui distinguaient encore les époux selon leur sexe sont modifiées ; il en va particulièrement ainsi de l'article 75 du Code civil relatifs à la cérémonie du mariage dans lequel l'expression "mari et femme" est remplacée par le mot "époux" (10) et de différents articles du Code de la Sécurité sociale dans lesquels la référence à la femme est remplacée par une référence à l'assuré.

II - L'enfant

La loi du 17 mai 2013 emporte également des conséquences essentielles en matière de filiation. Si l'effet principal du texte est d'ouvrir l'adoption aux couples de même sexe, celui-ci comporte également des modifications importantes quant aux effets de la filiation.

1° L'adoption par un couple de même sexe

L'ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe, conjuguée avec la règle de l'article 6-1 du Code civil qui confère au mariage les même effets que les époux soient de même sexe ou de sexe différent, aboutit incontestablement à permettre l'adoption par les couples de même sexe ainsi que l'adoption au sein de tels couples. Le Conseil consacre une part importante de sa décision à la question de la constitutionnalité de l'ouverture de l'adoption aux couples de personnes de même sexe. Plusieurs arguments, tous rejetés par le Conseil, étaient en effet présentés par les requérant pour la contester : certains tentaient de démontrer qu'en elle-même la possibilité pour un couple de même sexe d'adopter était contraire aux droits fondamentaux, et d'autres remettaient en question la cohérence de l'ensemble du droit de la filiation tel qu'il résultait de la loi nouvelle.

a. La constitutionnalité de l'ouverture de l'adoption aux couples de même sexe

Compétence du législateur. A propos de l'ouverture de l'adoption aux couples de même sexe aussi, le Conseil constitutionnel rappelle la compétence que le législateur tire de l'article 34 de la Constitution (N° Lexbase : L1294A9S) au titre des règles relatives à l'état et à la capacité des personnes. Dès lors que celui-ci a estimé que "l'identité de sexe des adoptants ne constituait pas, en elle-même, un obstacle à l'établissement d'un lien de filiation adoptive", il n'appartient pas au Conseil constitutionnel de substituer son appréciation à celle du législateur sur la prise en compte, pour l'établissement d'un lien de filiation adoptive, de la différence entre les couples de personnes de même sexe et les couples formés d'un homme et d'une femme. Le Conseil reprend le même raisonnement que celui qu'il avait suivi dans sa décision du 6 octobre 2010 (11) dans laquelle il laissait au législateur la responsabilité de décider qu'il ne fallait pas aligner le régime de l'adoption de l'enfant du concubin sur celui de l'adoption de l'enfant du conjoint, mais avec un résultat inverse !

Vie privée. A l'argument, quelque peu inattendu, selon lequel l'adoption d'un enfant par deux personnes de même sexe conduirait nécessairement à révéler l'orientation sexuelle des adoptants et la nature adoptive de la filiation et, partant, porterait atteinte à la protection de la vie privée et à l'égalité devant la loi, le Conseil constitutionnel répond logiquement "qu'aucune exigence constitutionnelle n'impose ni que le caractère adoptif de la filiation soit dissimulé ni que les liens de parenté établis par la filiation adoptive imitent ceux de la filiation biologique". Il n'en reste pas moins évident que la loi du 17 mai 2013 emporte un changement notable de perception de l'adoption : désormais, l'adoption ne doit plus "singer la nature", puisqu'elle est le seule moyen d'établir à l'égard d'un enfant deux filiations maternelles ou deux filiations paternelles. C'est en cela que la loi nouvelle traduit un choix de société avec lequel on peut ne pas être d'accord, mais qui n'est contraire à aucun droit ni aucune liberté fondamentale.

Exclusion d'un droit à l'enfant. Le Conseil constitutionnel affirme solennellement que l'ouverture de l'adoption aux couples de personnes de même sexe n'a "ni pour objet ni pour effet de reconnaître aux couples de personnes de même sexe un droit à l'enfant'" puisque ces derniers seront soumis, comme ceux qui sont formés d'un homme et d'une femme, à une procédure destinée à constater leur capacité à recueillir un enfant en vue de son adoption. On ne voit pas, en effet, en quoi l'adoption pourrait davantage constituer un droit à l'enfant pour les couples de même sexe que pour les couples de sexe différent...

Intérêt de l'enfant. La décision du Conseil constitutionnel a le mérite de conférer, de manière inédite, une valeur constitutionnelle au principe selon lequel l'adoption doit être conforme à l'intérêt de l'enfant, en se fondant sur le dixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 en vertu duquel "la Nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement" (12). Le Conseil considère que l'ouverture de l'adoption aux couples de même sexe satisfait ce principe constitutionnel, notamment, grâce à l'article 353 du Code civil (N° Lexbase : L2869ABU) selon lequel l'adoption est prononcée par le tribunal si celle-ci est conforme à l'intérêt de l'enfant ; cette disposition est, en effet, applicable aux couples de même sexe comme aux couples de sexe différent.

Mais le Conseil constitutionnel se montre plus exigeant en vérifiant la conformité à la Constitution des articles L. 225-2 (N° Lexbase : L8971G97) et L. 225-17 (N° Lexbase : L8978G9E) du Code de l'action sociale et des familles relatifs à l'agrément pour adopter. Il justifie cet examen en affirmant que "la conformité d'une loi déjà promulguée peut être appréciée à l'occasion de l'examen des dispositions qui la modifient, la complètent ou affectent son domaine ; qu'en l'espèce les dispositions contestées affectent le domaine des articles L. 225-2 et L. 225-17 du Code de l'action sociale et des familles". Or, ces dispositions ne prévoient pas que l'agrément lui-même doit être conforme à l'intérêt de l'enfant (13). Le Conseil constitutionnel émet donc une réserve d'interprétation en affirmant que "les dispositions relatives à l'agrément du ou des adoptants, qu'ils soient de sexe différent ou de même sexe, ne sauraient conduire à ce que cet agrément soit délivré sans que l'autorité administrative ait vérifié, dans chaque cas, le respect de l'exigence de conformité de l'adoption à l'intérêt de l'enfant qu'implique le dixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946". Ce n'est que sous cette réserve que les dispositions relatives à l'agrément sont déclarées conforme à la Constitution.

L'adoption par les couples de même sexe étant soumise aux mêmes conditions que l'adoption par les couples de sexe différent, et particulièrement au principe de conformité à l'intérêt de l'enfant, le Conseil constitutionnel considère que les droits de l'enfant ne sont pas moins protégés lorsqu'il est adopté par des parents de même sexe que lorsqu'il est adopté par des parents de sexe différent.

Droit de l'enfant à une filiation fondée sur l'altérité sexuelle. En ce qui concerne l'admission d'une filiation doublement maternelle ou doublement paternelle que permettra l'ouverture de l'adoption aux couples homosexuels, le Conseil constitutionnel rappelle, comme il l'a fait à propos de la différence de sexe dans le mariage, que "la tradition républicaine ne saurait être utilement invoquée pour soutenir qu'un texte législatif qui la contredit sera contraire à la Constitution qu'autant que cette tradition aurait donné naissance à un principe fondamental reconnu par les lois de la République". Des différentes lois relatives à la filiation, le Conseil constitutionnel ne déduit aucun principe fondamental reconnu par les lois de la République qui consacrerait le caractère bilinéaire de la filiation fondé sur l'altérité sexuelle. Il considère, en outre, qu'il n'existe aucun principe constitutionnel garantissant le droit de tout enfant de voir sa filiation concurremment établie à l'égard d'un père et d'une mère. Il refuse toutefois, conformément à sa jurisprudence constante, de se prononcer sur l'existence d'une incompatibilité de la filiation à l'égard de deux personnes de même sexe avec les dispositions de la Convention internationale des droits de l'enfant qui n'entre pas dans le cadre du contrôle de la conformité des lois à la Constitution.

b. La cohérence du droit de la filiation résultant de la loi nouvelle

Dans sa décision du 17 mai 2013, le Conseil constitutionnel écarte le grief d'inintelligibilité des textes relatifs à la filiation qui résulterait, selon les requérants, des dispositions de la loi nouvelle relatives à la filiation. De nombreux juristes avaient également dénoncé "l'incohérence d'une réforme qui n'irait pas assez loin pour certains et trop loin pour d'autres" (14). Comme le constate le commentaire de la décision aux Cahiers du Conseil constitutionnel (15), "pour répondre aux griefs, le Conseil s'est livré à une lecture explicative du texte dont il était saisi et de son impact sur le droit civil". Selon la décision du Conseil, le fait que les dispositions relatives à la filiation adoptive et ses effets soient applicables aux parents de même sexe comme aux parents de sexe différent, tandis que les dispositions relatives à la filiation dite "charnelle" ne sont applicables qu'aux couples de sexe différent, ne porte pas atteinte ni à l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi, ni au principe d'égalité.

Procréation médicalement assistée. Le Conseil précise ainsi que ni cet objectif, ni le principe d'égalité n'imposaient qu'en ouvrant le mariage et l'adoption aux couples de personnes de même sexe, le législateur modifie la législation relative à la procréation médicalement assistée, les couples formés d'un homme et d'une femme atteints d'une stérilité pathologique étant, au regard de cette question, dans une situation différente de celle des couples de personnes de même sexe. Le Conseil affirme, en outre, que "les dispositions contestées n'ont ni pour objet ni pour effet de modifier la portée des dispositions de l'article 16-7 du Code civil (N° Lexbase : L1695ABE) aux termes desquelles : toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d'autrui est nulle'".

Egalité de droits entre les enfants. Sur ce même terrain de l'égalité, le Conseil constitutionnel considère, en outre, que les dispositions de l'article 6-1 du Code civil ne font pas obstacle à l'application de la règle selon laquelle les enfants adoptés, que leurs parents soient de même sexe ou de sexe différent, bénéficieront des mêmes droits que ceux dont la filiation est légalement établie en application du titre VII du livre 1er du Code civil relatif à la filiation charnelle. En effet, la différence de traitement entre filiation adoptive et filiation charnelle porte sur l'établissement et la contestation de la filiation et non sur ses effets. Comme le relève le Conseil constitutionnel, l'exclusion des couples de même sexe du bénéficie du titre VII est justifiée par le fait que les dispositions de ce titre distingue entre filiation maternelle et filiation paternelle, ce qui par hypothèse est impossible pour un couple de même sexe. Ainsi précise-t-il qu'"en particulier au sein du couple de même sexe la filiation ne peut être établie par la présomption [de paternité] de l'article 312 du Code civil".

Cohérence d'ensemble. L'exclusion du titre VII du livre 1er permet finalement de conserver sa cohérence au droit de la famille résultant de la nouvelle loi. En effet, le Conseil constitutionnel constate, dans son considérant 43, que, "à l'exception des dispositions du titre VII du livre 1er du Code civil, les règles de droit civil, notamment celles relatives à l'autorité parentale, au mariage, aux régimes matrimoniaux et aux successions ne prévoient pas de différence entre l'homme et la femme s'agissant des relations du mariage, des conséquences qui en découlent et des conséquences relatives à l'établissement d'un lien de filiation". Il en déduit logiquement "qu'en prévoyant que le mariage ou la filiation emportent les mêmes effets, droits et obligations reconnus par les lois que les époux ou les parents soient de sexe différent ou de même sexe, sans supprimer les références qui dans ces textes désignent les père et mère ou le mari et la femme, l'article 6-1du Code civil ne rend pas ces règles inintelligibles". Le choix finalement opéré par le législateur de ne pas supprimer la référence aux père et mère est ainsi validé par le Conseil constitutionnel. En effet, alors que le projet de loi prévoyait de supprimer la différenciation sexuelle du mariage et de la parenté, dans toutes les dispositions du Code civil qui désignaient les parents (comme les époux, cf. supra) par des termes sexués, le texte final ne procède qu'aux coordinations indispensables dans les dispositions relatives aux actes de l'état civil et consacre dans l'article 6-1, une règle générale d'interprétation et d'application. Par ailleurs, l'article 13 de la loi autorise le Gouvernement, dans les conditions de l'article 38 de la Constitution (N° Lexbase : L1298A9X) à prendre par voie d'ordonnance les mesures nécessaires pour adapter l'ensemble des dispositions législatives en vigueur à l'exception de celle du Code civil, afin de tirer les conséquences de l'application aux conjoints et parents de même sexe des dispositions applicables aux conjoints et parents de sexe différent.

Ainsi, la nouvelle physionomie du droit français de la filiation qui admet l'accès des couples de même sexe à la seule filiation adoptive à l'exclusion de la filiation dite "charnelle", qui est sans doute un des choix essentiels et les plus discutés du législateur de 2013, est validée par le Conseil constitutionnel, sans aucun doute à juste titre. Elle permet en effet d'ouvrir la voie de l'homoparenté sans, pour l'instant au moins, bouleverser l'ensemble du droit de la filiation, même si force est de constater que ce choix comporte l'inconvénient de favoriser, de fait, les couples de femmes qui auront plus facilement accès à l'homoparenté par la voie de l'adoption de l'enfant du conjoint.

2° Les dispositions relatives aux effets de la filiation

Le Conseil constitutionnel s'est également prononcé sur la question de l'adoption de l'enfant ayant déjà fait l'objet d'une adoption et sur les dispositions relatives au nom de famille.

a. L'adoption d'un enfant ayant déjà fait l'objet d'une adoption

Adoption de l'enfant adopté. Dès la première lecture à l'Assemblée nationale, il était prévu que l'article 345-1 du Code civil (N° Lexbase : L2854ABC) admette l'adoption plénière de l'enfant du conjoint "lorsque l'enfant a fait l'objet d'une adoption plénière par ce conjoint" ; de même, l'article 360 du Code civil (N° Lexbase : L2878AB9) permet que l'enfant ayant fait l'objet d'une adoption plénière ou d'une adoption simple puisse faire l'objet d'une adoption simple de la part du conjoint de l'adoptant. Cette faveur pour l'adoption de l'enfant du conjoint n'est certes pas réservée aux couples homosexuels ; toutefois, comme le fait remarquer le commentaire de la décision aux Cahiers du Conseil constitutionnel, elle devrait faciliter l'accès à l'établissement d'un double lien de filiation à l'égard d'un enfant pour ces couples qui ne peuvent procréer du fait de l'identité de sexe des conjoints. En réponse aux auteurs de la saisine qui prétendaient que la faveur ainsi faite à l'adoption de l'enfant du conjoint portait atteinte au principe d'égalité devant la loi, le Conseil constitutionnel considère qu'"en réservant cette possibilité à l'adoption de l'enfant du conjoint, le législateur a pris en compte, comme il lui était loisible de le faire, la différence entre les adoptions au sein du couple et les autres formes d'adoption". Autrement dit, encore une fois, la différence de situation justifie la différence de traitement. La loi du 17 mars 2013 accentue la spécificité de l'adoption de l'enfant du conjoint, ce qui n'est contraire à aucun principe fondamental et qui constitue une reconnaissance de la place du beau-parent, qu'il soit hétérosexuel ou homosexuel.

Exercice de l'autorité parentale dans le cadre de l'adoption de l'enfant du conjoint. L'affirmation de l'exercice conjoint automatique de l'autorité parentale par le parent d'origine et l'adoptant dans le cadre de l'adoption de l'enfant du conjoint, instaurée en première lecture par l'Assemblée nationale, a en revanche été supprimée par la Commission des lois du Sénat, et n'a pas été reprise par la suite. Le principe reste, en vertu de l'article 365 alinéa 2, du Code civil (N° Lexbase : L3826IR7), l'exercice unilatéral de l'autorité parentale par le parent d'origine et la possibilité d'un exercice en commun par déclaration conjointe avec l'adoptant au greffe du tribunal de grande instance (qui peut désormais être faite par courrier (16)).

Lien de l'enfant avec le conjoint de son parent. Toujours à propos des liens de l'enfant avec le conjoint ou concubin de son parent, le texte définitif consacre les relations avec l'enfant du tiers qui a résidé, de manière stable, avec lui et l'un de ses parents, a pourvu à son éducation, à son entretien ou à son installation, et avec lequel il a noué des liens affectifs et stables. Toutefois, alors que dans le texte voté par l'Assemblée nationale en première lecture cette innovation était contenue dans l'article 373-3, alinéa 2, du Code civil (N° Lexbase : L2906ABA), relatif à l'intervention d'un tiers dans l'autorité parentale, la loi du 17 mai 2013 en a fait une hypothèse particulière de relations entre l'enfant et un tiers dont le juge peut fixer les modalités, et contenue dans l'alinéa 2 de l'article 371-4 (N° Lexbase : L8335HWM), ce qui paraît plus logique (17). La version finale du texte prévoit que le fait de dissimuler au tribunal le maintien des liens entre l'enfant adopté et un tiers, décidé par le juge aux affaires familiales sur le fondement de l'article 371-4 du Code civil, constitue un dol au sens de l'article 353-2 alinéa 1er du Code civil (N° Lexbase : L2871ABX), ce qui permet la tierce opposition à l'encontre du jugement d'adoption. Il s'agit ainsi de permettre au tiers qui a vécu avec l'enfant et son père d'être consulté en cas d'adoption de l'enfant.

b. Le nom de famille

Désaccord des parents. Le nom de famille fait l'objet dans la loi du 17 mars 2013 d'une disposition appelée à s'appliquer à tous les enfants, quelle que soit la nature, adoptive ou non, de leur filiation. Dès le vote en première lecture par l'Assemblée nationale, la modification des règles d'attribution du nom de l'enfant, à l'origine cantonnée à l'enfant adopté, a, en effet, été généralisée. Désormais, lorsque les parents ne seront pas d'accord sur le nom que doit porter l'enfant, ce désaccord étant signalé par l'un d'eux à l'officier de l'état civil, l'enfant prendra le nom des deux parents accolés selon l'ordre alphabétique. Les auteurs de la saisine du Conseil constitutionnel ont prétendu que la nouvelle rédaction de l'article 311-21 du Code civil modifie "les règles qui prévalent en matière de dévolution du nom de famille pour tenter de trouver une solution à l'établissement de filiations artificielles [sic.]" et qu'elle conduirait à une multiplication des noms de famille doubles et une disparition des noms patronymiques en fin d'alphabet. Même si ce dernier argument n'est pas totalement dénué de pertinence, les effets de la modification des règles de dévolution ne portent atteinte à aucune exigence constitutionnelle. Et si le régime de dévolution du nom est quelque peu différent selon qu'il s'agit d'une adoption ou d'une filiation "charnelle", le Conseil constitutionnel considère qu'elle est rendue nécessaire par la différence entre les formalités relatives à la dévolution du nom de l'enfant dans l'une et l'autre hypothèse.

Nom de l'adopté simple. Conformément à ce que prévoyait à l'origine le projet de loi, l'article 12 de la loi modifie l'article 363 du Code civil (N° Lexbase : L6482DIW) relatif au nom de l'adopté simple et subordonne l'ajout du nom de l'adoptant au consentement de l'adopté, s'il est majeur. Par ailleurs, dans le cadre de l'adoption de l'enfant du conjoint, l'adoptant pourra demander à ce que l'adopté conserve son nom d'origine.


(1) Cons. const., décision n° 2013-669 DC du 17 mai 2013 (N° Lexbase : A4431KDH).
(2) Loi n° 2013-404, JORF n° 0114 du 18 mai 2013, p. 8253, texte n° 3.
(3) Le projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes du même sexe a été délibéré en Conseil des ministres le 7 novembre 2012. Il a été adopté par l'Assemblée nationale le 12 février 2013, puis par le Sénat le 12 avril 2013. Il a été adopté dans les mêmes termes par l'Assemblée nationale le 23 avril et soumis le même jour au Conseil constitutionnel par plus de 60 députés et plus de 60 sénateurs.
(4) Ne seront présentées ici que les dispositions qui ont fait l'objet de la décision du Conseil constitutionnel ou celles qui ont été ajoutées ou modifiées après le vote du texte par l'Assemblée nationale en première lecture et que nous avons déjà commentées : nos obs., L'accès des couples homosexuels au mariage et à l'adoption : première étape, Lexbase Hebdo n° 505 du 15 novembre 2012 - édition privée (N° Lexbase : N4458BTB).
(5) Nos obs., art. préc..
(6) L. Sertor, "Non, ils ne peuvent pas !" : D., 2012, p. 1321, réponse publiée par Félix Rome ; L. Candide, Le sexe, le mariage la filiation et les principes supérieurs du droit français, Gaz. Pal., 4 octobre 2012, n° 278, p. 7 ; F.-X Bréchot, La constitutionnalité du "mariage pour tous" en question, JCP éd. G, 2012, 1388 ; contra X. Dupré de Boulois, Le mariage homosexuel et l'agrégée des facultés de droit, Rev. Droits et libertés fondamentaux, 2012, chron. n° 23 ; D. Rousseau, Le "mariage pour tous" relève bien de la compétence du législateur ordinaire, Gaz. Pal., 13 décembre 2012, n° 348, p. 5. Alexandre Viala, "Un PFRLR contre le mariage gay ?", Revue des droits et libertés fondamentaux, 2013, chron. n° 4, 21 janvier 2013.
(7) Cons. const., décision n° 2010-92 QPC du 28 janvier 2011 (N° Lexbase : A7409GQH), RTDCiv., 2011, p. 326, obs. J. Hauser ; Dr. fam. 2011, comm. n° 32, R. ouedraogo ; AJ fam., 2011 p. 157, obs. F. Chénédé ; nos obs., Mariage et différence de sexe : dura lex sed lex, Lexbase Hebdo n° 429 du 24 février 2011 - édition privée (N° Lexbase : N4960BR7).
(8) H. Fulchiron, Le "mariage pour tous" en droit international privé : le législateur français à la peine..., Dr. fam., 2013, Etude n° 9.
(9) C. civ., nouv. art. 171-9.
(10) Loi n° 2013-404 du 17 mai 2013, art. 13.
(11) Cons. const., décision n° 2010-39 QPC du 6 octobre 2010 (N° Lexbase : A9923GAR) : JCP éd. G, 2010, p. 2158, obs. A. Gouttenoire et Ch. Radé ; RTDCiv., 2010, p. 776, obs. J. Hauser.
(12) Le Conseil constitutionnel avait examiné le grief tiré de l'atteinte à l'intérêt de l'enfant, sur le fondement du dixième aliéna du Préambule de 1946 dans sa décision du 9 novembre 1999 sur la loi relative au PACS : Cons. const., décision n° 99-419 DC du 9 novembre 1999, Loi relative au pacte civil de solidarité (N° Lexbase : A8783ACB), cons. 77 et 78.
(13) Toutefois, l'article R. 225-4 du Code de l'action sociale et des familles, alinéa 1er (N° Lexbase : L2993HPK), dispose que "Avant de délivrer l'agrément, le président du conseil général doit s'assurer que les conditions d'accueil offertes par le demandeur sur les plans familial, éducatif et psychologique correspondent aux besoins et à l'intérêt d'un enfant adopté".
(14) Commentaire de la décision sur le site du Conseil constitutionnel qui cite Xavier Labbée, Le mariage homosexuel et l'union civile, JCP éd. G, n° 37, 10 septembre 2012, p. 1642 ; Etienne Dubuisson, Le mariage homosexuel et la place de la nature dans l'Homme, Recueil Dalloz, 15 novembre 2012, n° 39, p. 2618 et s. ; Elodie Mulon, Mariage pour tous, enfants pour tous ?, Gazette du Palais, 2-5 janvier 2013, n° 2 à 5, p. 3 et s. ; Alexis Posez, Le mariage pour tous ou l'impossible égalité, Recueil Dalloz, 15 novembre 2012, n° 39, p. 2616 et s. ; Aude Markovic, Les dommages pour tous du mariage de quelques-uns, Droit de la famille, janvier 2013, p. 18 et s.. ; Jean Hauser, Le projet de loi sur le mariage des personnes de même sexe - Le paradoxe de la tortue d'Achille, JCP éd. G, n° 44-45, 29 octobre 2012, p. 2000.
(15) Site du Conseil constitutionnel.
(16) Loi n° 2011-1862 du 13 décembre 2011, relative à la répartition des contentieux et à l'allègement de certaines procédures juridictionnelles (N° Lexbase : L3703IRL).
(17) Nos obs., L'accès des couples homosexuels au mariage et à l'adoption : première étape, art. préc..

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Entreprises en difficulté

[Chronique] Chronique mensuelle de droit des entreprises en difficulté - Mai 2013

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N7106BTD

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par Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, Directeur du Master 2 Droit des difficultés d'entreprises et Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences HDR à l'Université de Nice-Sophia-Antipolis, Membre du CERDP

Le 23 Mai 2013

Lexbase Hebdo - édition affaires vous propose de retrouver, cette semaine, la chronique de Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, Directeur du Master 2 Droit des difficultés d'entreprises, et Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences HDR à l'Université de Nice-Sophia-Antipolis, membre du CERDP, retraçant l'essentiel de l'actualité juridique rendue en matière de procédures collectives. Ce mois-ci, les auteurs ont choisi de s'arrêter sur deux arrêts publiés au Bulletin rendus par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 23 avril 2013. Dans le premier, commenté par le Professeur La Corre, la Haute juridiction consacre le principe de l'irrecevabilité de l'action paulienne du liquidateur à l'encontre d'une déclaration notariée d'insaisissabilité (Cass. com., 23 avril 2013, n° 12-16.035, F-P+B). Dans le second commentaire de cette chronique, Emmanuelle Le Corre-Broly revient sur un arrêt dans lequel la Cour apporte d'utiles précisions en matière de sûretés du financement des véhicules automobiles (Cass. com., 23 avril 2013, n° 12-13.690, F-P+B).
  • L'irrecevabilité de l'action paulienne du liquidateur à l'encontre d'une déclaration notariée d'insaisissabilité (Cass. com., 23 avril 2013, n° 12-16.035, F-P+B N° Lexbase : A6890KC8)

On sait que la loi n° 2003-721 du 1er août 2003, dite loi pour l'initiative économique (N° Lexbase : L3557BLC), a permis au débiteur de déclarer insaisissables des immeubles non professionnels. L'insaisissabilité ne vaut que pour les créanciers professionnels dont la créance est née après la publication de la déclaration notariée d'insaisissabilité à la conservation des hypothèques ou au Livre foncier en Alsace-Moselle. Mention de la déclaration notariée d'insaisissabilité doit être faite lors de l'immatriculation au registre du commerce et des sociétés. Malgré le silence du texte sur son applicabilité en cas de procédure collective, celle-ci ne semble guère douteuse. Petit à petit, depuis 2011, la résistance de la déclaration notariée d'insaisissabilité à la procédure collective s'affirme (1). En témoigne un nouvel arrêt de la Cour de cassation du 23 avril 2013.

En 2009, Mme C. déclare par, acte notarié, insaisissables ses droits indivis dans un immeuble. Moins de 4 mois plus tard, s'ouvre son redressement judiciaire, converti quelques jours plus tard en liquidation judiciaire. Le liquidateur, logiquement choqué par la proximité de la déclaration notariée d'insaisissabilité par rapport à la date d'ouverture de la procédure collective, entend faire déclarer inopposable à la procédure collective la déclaration notariée, en agissant sur le fondement de la fraude paulienne.

La cour d'appel de Versailles a rejeté la demande présentée par le liquidateur en se fondant sur la considération selon laquelle seuls des créanciers auxquels la déclaration notariée serait opposable, auraient qualité pour agir sur le fondement de la fraude paulienne, non le liquidateur, qui défend l'intérêt collectif des créanciers et pas seulement le groupe de créanciers auxquels la déclaration notariée serait opposable (CA Versailles, 12 janvier 2012, n° 11/05495 N° Lexbase : A1634IAR). Le liquidateur décide de se pourvoir en cassation. Le pourvoi sera rejeté par la Cour de cassation, qui estime parfaitement fondée la solution énoncée par la cour d'appel : le liquidateur, faute de pouvoir prétendre agir dans l'intérêt collectif des créanciers, n'est pas recevable à exercer l'action paulienne.

C'est la première fois que la Cour de cassation est appelée à se prononcer sur la recevabilité de l'action paulienne émanant d'un liquidateur pour rendre inopposable à la procédure collective la déclaration notariée d'insaisissabilité. La solution est pour autant sans surprise.

En effet, par un précédent arrêt, commenté dans ces colonnes (2), la Cour de cassation a clairement refusé de reconnaître au liquidateur qualité pour contester l'efficacité de la déclaration notariée d'insaisissabilité, au motif que "le liquidateur ne peut légalement agir que dans l'intérêt de tous les créanciers et non dans l'intérêt personnel d'un créancier ou d'un groupe de créanciers ; la déclaration d'insaisissabilité n'a d'effet qu'à l'égard des créanciers dont les droits naissent, postérieurement à sa publication, à l'occasion de l'activité professionnelle du déclarant; en conséquence, le liquidateur n'a pas qualité pour agir, dans l'intérêt de ces seuls créanciers, en inopposabilité de la déclaration d'insaisissabilité". L'article L. 622-20, alinéa 1er, du Code de commerce (N° Lexbase : L3879HBB) dispose que "le mandataire judiciaire désigné par le tribunal a seul qualité pour agir au nom et dans l'intérêt collectif des créanciers". Cette disposition de la procédure de sauvegarde, qui concerne la mission du mandataire judiciaire, nouvelle appellation du représentant des créanciers, est rendue applicable en redressement judiciaire par l'article L. 631-14, I (N° Lexbase : L2453IEL) et en liquidation judiciaire par l'article L. 641-4, alinéa 3 (N° Lexbase : L8861INI). L'intérêt collectif désigne "l'intérêt de la collectivité que constituent l'ensemble des créanciers" (3). Il se distingue de l'addition des intérêts individuels, dans la mesure où l'action tendant à la défense de cet intérêt collectif peut être entreprise contre l'un des créanciers, responsable d'un préjudice occasionné à la collectivité.

Dans l'arrêt du 13 mars 2012 (4), on a reproché à la Cour de cassation de confondre l'intérêt collectif avec la somme des intérêts individuels. Il n'en est rien. Il importe ici d'insister sur une confusion entretenue en doctrine entre la notion de droit de gage général, que détient le créancier quelconque sur son débiteur, et la notion de gage commun, qui évoque un gage accessible à tous les créanciers.

Ce gage commun est accessible à tous les créanciers, peu important que, en outre, ils se trouvent dans une situation particulière.  Ainsi, un créancier hypothécaire a accès au gage commun et, en outre, sur le prix de vente de l'immeuble, se trouve dans une situation particulière. Symétriquement, pour le créancier chirographaire, l'immeuble hypothéqué est un élément du gage commun. Il y a accès, s'il advient que, après désintéressement du créancier hypothécaire, le prix de vente de l'immeuble soit en partie réparti entre des créanciers chirographaires. De même, le créancier qui bénéfice d'une fiducie-sûreté, bien que se trouvant dans une situation particulière d'exclusivité sur les biens fiduciés, a accès au gage commun, s'il n'est pas désintéressé par le jeu de la fiducie-sûreté. Il faut donc comprendre que le gage commun n'est pas uniquement accessible à des créanciers ne se trouvant pas dans une situation particulière (5). En théorie, il est accessible à tous les créanciers. Dès lors que certains créanciers peuvent saisir un bien, alors que d'autres n'ont pas ce même droit, le bien en question ne peut être considéré comme étant un élément du gage commun.

S'il n'est pas contesté que le liquidateur représente les créanciers, dès lors qu'ils ont accès au gage général, il ne les représente plus lorsqu'il est question pour certains d'entre eux d'avoir accès à un gage, qui n'est pas le gage commun. Or les actions qui tendent à la défense de l'intérêt collectif des créanciers sont celles qui ont pour objet de protéger ou d'accroître le gage commun, ainsi que celles qui ont pour objet de distribuer autrement que cela résulte de la situation avant introduction de l'action, le produit du gage commun, par exemple en contestant le caractère hypothécaire d'une créance. Une action sans rapport avec le gage commun ne tend pas à la défense de l'intérêt collectif des créanciers. Dès lors que certains créanciers n'ont accès ni à l'immeuble, objet de la déclaration notariée, ni au produit de sa vente, il faut bien admettre que l'immeuble ne fait pas partie du gage commun des créanciers et c'est pourquoi le liquidateur n'agirait pas dans l'intérêt collectif des créanciers s'il vendait l'immeuble objet de la déclaration notariée. L'affirmation de la Cour de cassation est donc parfaitement justifiée.

L'intérêt collectif ne peut être détaché du gage commun. Dès lors que l'action à exercer ne porte pas sur un élément du gage commun, elle ne peut être mise en oeuvre par le défenseur de l'intérêt collectif des créanciers. Si un bien ne fait pas partie du gage commun, le défenseur de l'intérêt collectif des créanciers, qui agit pour assurer la protection, l'accroissement ou la mise en oeuvre du gage commun, n'a pas de droit sur ce bien. Autoriser cet organe à agir reviendrait à lui permettre d'assurer la défense d'un groupe de créanciers, ceux qui ont le droit de saisir le bien, et non plus celle de la collectivité des créanciers.  Or, affirme avec constance la Cour de cassation, le défenseur de l'intérêt collectif des créanciers ne peut agir pour assurer la défense de l'intérêt individuel d'un créancier (6). Il ne pourrait, par exemple, défendre individuellement un créancier dans le cadre de la vérification du passif (7).  Pas davantage, juge la Cour de cassation, le mandataire de justice ayant en charge la défense de l'intérêt collectif des créanciers, ne pourrait agir pour assurer la défense d'un groupe de créanciers (8). C'est ainsi qu'il ne peut agir en paiement contre le loueur d'un fonds de commerce donné en location-gérance, sur le fondement de l'article L. 144-7 du Code de commerce (N° Lexbase : L5722AIR) instituant une solidarité du loueur du fonds avec le locataire-gérant, car cette solidarité n'a été instituée que dans le seul intérêt des créanciers disposant d'une créance nécessaire à l'exploitation du fonds (9).

On comprend donc que le liquidateur ne peut saisir l'immeuble, objet de la déclaration notariée d'insaisissabilité, lequel n'est pas un élément du gage commun, puisque, ce faisant, il ne défend pas l'intérêt collectif des créanciers. Dans cette même logique, le liquidateur ne peut davantage faire déclarer inopposable à la procédure collective la déclaration notariée d'insaisissabilité sur le fondement de l'action paulienne. Certes, l'action paulienne, selon la Cour de cassation, est ouverte non seulement aux créanciers victimes de la fraude, mais encore au liquidateur. Mais, en ce dernier cas, le liquidateur doit défendre un intérêt collectif. Il doit donc démontrer, pour que l'action paulienne soit recevable lorsqu'elle est engagée à son initiative, que l'acte frauduleux accompli par le créancier porte atteinte à l'intérêt collectif des créanciers, autrement dit que l'acte porte préjudice au gage commun.

Or, comme nous l'avons vu précédemment, dès lors que l'immeuble, objet de la déclaration notariée d'insaisissabilité n'est pas un élément du gage commun, en ce qu'il est saisissable par certains, mais non par d'autres, l'action paulienne qui aurait pour objet de rendre inopposable l'acte accompli sur le bien qui n'est pas un élément du gage commun, ne peut être intentée par un organe ayant pour mission de défendre l'intérêt collectif des créanciers, lequel suppose que soit en cause la protection du gage commun. Observons d'ailleurs que l'action paulienne initiée par le liquidateur, en supposant un instant de raison qu'elle ait pu être déclarée recevable, aurait du être déclarée non fondée. L'action paulienne sanctionne en effet un débiteur qui s'emploie à soustraire aux poursuites de ses créanciers un ou plusieurs biens. En l'occurrence, il s'agirait de l'immeuble déclaré insaisissable.

Mais deux obstacles de fond s'élèvent contre la possibilité d'exercice, en notre matière, de l'action paulienne. Tout d'abord, la poursuite sur l'immeuble n'est pas impossible de la part de tous les créanciers, mais seulement de la part de certains d'entre eux. Ensuite, et surtout, ne peuvent agir sur le terrain de la fraude paulienne, que des créanciers dont le droit est né avant l'acte incriminé. Or, les créanciers qui sont privés du droit de saisir l'immeuble ont, par hypothèse, des créances nées après la déclaration notariée. Ainsi, que l'on se place sur le terrain de la recevabilité de l'action paulienne, ou sur celui de son bien-fondé, l'action du liquidateur était vouée à l'échec.

Observons au demeurant que le jeu des nullités de la période suspecte n'aurait pas davantage permis d'atteindre la déclaration notariée d'insaisissabilité pourtant effectuée quelques jours avant l'ouverture de la procédure et peut-être donc pendant la période suspecte.  Cette possibilité d'annuler sur le fondement des nullités de la période suspecte la déclaration notariée d'insaisissabilité ne peut être reconnue. En effet, la déclaration notariée ne correspond à aucun cas de nullité (10), même si le contraire a été jugé (11). Il a notamment été estimé qu'il ne s'agissait pas d'une mesure conservatoire (12).
De lege ferenda, on pourrait songer à créer un tel cas de nullité, car il peut paraître choquant, comme l'a justement pensé sur le terrain de la morale des affaires, le liquidateur en l'espèce, qu'un débiteur se ménage une insaisissabilité quelques jours avant l'ouverture de sa procédure collective.

Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, Directeur du Master 2 Droit des difficultés d'entreprises

  • Sûretés du financement des véhicules automobiles : quelques précisions (Cass. com., 23 avril 2013, n° 12-13.690, F-P+B N° Lexbase : A6975KCC)

Le gage portant sur le véhicule est une sûreté classiquement utilisée en matière de financement automobile. Lorsque le contrat de financement concerne un concessionnaire, professionnel de l'automobile, s'est développée une autre sûreté : le droit de rétention sur documents d'immatriculation. La constitution et l'opposabilité aux tiers de ces deux sûretés obéissent à des règles distinctes et leurs effets sont différents. Un récent arrêt rendu par la Chambre commerciale, dont l'importance est soulignée par la publication qui en sera faite au Bulletin, donne l'occasion de faire le point sur les situations respectives du créancier gagiste sur véhicule automobile et du rétenteur sur documents d'immatriculation.

Dans l'espèce, ayant donné lieu à un arrêt du 23 avril 2013, un établissement de crédit avait accordé un contrat de financement de stock de véhicules à un concessionnaire déclaré quelques mois plus tard en redressement puis en liquidation judiciaires. Le créancier, qui avait régulièrement déclaré sa créance au passif, soutenait qu'il était non seulement titulaire d'un droit de rétention sur les documents d'immatriculation qui lui avaient été remis mais, en outre, qu'il était titulaire d'un gage sur les véhicules concernés. Il se prévalait de cette qualité au regard de la rédaction d'une clause du contrat de crédit qui stipulait que "en garantie des sommes dues par lui en vertu du présent contrat, l'emprunteur affecte en gage et nantissement (13) au profit du prêteur un certain nombre de véhicules, ainsi que les pièces et titres de circulation se rapportant à ces véhicules à hauteur de 100 % du montant de l'ouverture de crédit [...]".

L'existence d'un gage opposable à la procédure collective, était une question essentielle au regard des prérogatives accordées au gagiste sur véhicule automobile. En effet, en cas de vente par le liquidateur d'un bien constitué en gage, le droit de rétention du créancier gagiste est de plein droit reporté sur le prix (C. com., art. L. 642-20-1, al. 3 N° Lexbase : L3466ICD). Pour que tel soit le cas, la Chambre commerciale estime, très logiquement, qu'il faut que le gage soit opposable aux tiers, et donc au liquidateur judiciaire. Il s'agit là du premier intérêt que présente l'arrêt.  

La Chambre commerciale rappelle en outre que le droit de rétention sur documents d'immatriculation n'ouvre pas au rétenteur, en cas de vente du véhicule correspondant aux documents, le droit de bénéficier du jeu du report du droit de rétention sur le prix. Tel est le deuxième point souligné par l'arrêt rapporté.  L'opposabilité aux tiers d'un gage sur véhicule automobile, variété de gage sans dépossession effective du constituant, suppose nécessairement une publicité du gage. D'abord réglementé par une loi du 29 décembre 1934, puis par le décret du 30 septembre 1953 (décret n° 53-968 N° Lexbase : L5485DLQ), qui circonscrivait cette sûreté au cadre de l'achat à crédit (elle était essentiellement réservée au vendeur à crédit et au prêteur de deniers), le gage automobile a fait son entrée dans le Code civil. Les nouveaux articles 2351 (N° Lexbase : L1178HIH) à 2353 (N° Lexbase : L1180HIK) de ce code, issus de l'ordonnance du 23 mars 2006 (N° Lexbase : L8127HHH), rendent cette sûreté utilisable par tout créancier (14).

Pour être opposable aux tiers, le gage sur véhicule automobile suppose nécessairement une publicité requise tant par le décret n° 53-968 du 30 septembre 1953 que par le nouvel article 2351 du Code civil qui énonce que le gage est opposable "par la déclaration qui en est faite à l'autorité administrative", en l'occurrence, la préfecture.  Dès lors qu'en l'espèce, le gage consenti par le débiteur n'avait fait l'objet d'aucune inscription sur le registre spécial prévu à cet effet, le gage ne pouvait pas être opposable aux tiers et donc au liquidateur judiciaire. En conséquence, aucun report du droit de rétention sur le prix ne pouvait intervenir au profit du créancier gagiste. Parallèlement, aucun report du droit de rétention sur le prix de vente des véhicules ne pouvait être attaché à l'exercice d'un droit de rétention sur les documents d'immatriculation. En effet, ainsi que la Chambre commerciale l'avait déjà jugé dans un arrêt du 8 juillet 2003 (15), la Cour de cassation rappelle que le droit de rétention sur documents d'immatriculation ne porte, précisément, que sur ceux-ci. Il ne porte en aucun cas sur les véhicules eux-mêmes. Puisque le droit de rétention ne porte que sur les documents et non les véhicules, la vente de ces derniers ne peut entraîner au profit du rétenteur des documents un quelconque report du droit de rétention sur le prix par le mécanisme de la subrogation réelle du prix à la chose.

La situation du créancier rétenteur de documents d'immatriculation est donc bien différente de celle du gagiste sur véhicule automobile. En effet, dès lors que le créancier gagiste sur véhicule automobile a procédé à la formalité de publicité qu'est la déclaration du gage, il se voit délivrer un reçu par la délivrance duquel il est censé avoir conservé la possession du bien (C. civ. art. 2352 N° Lexbase : L1179HII). Ce système, que des éminents auteurs ont qualifié "d'extravagant" offre ainsi au créancier "plus qu'un gage sans dépossession : un gage avec dépossession fictive" (16). Le créancier rétenteur sur documents d'immatriculation, contrairement au créancier gagiste sur véhicule automobile, n'a pas de droit de rétention fictif sur le véhicule. Son droit de rétention autonome porte exclusivement sur les documents. La Chambre commerciale le rappelle ici très clairement : "attendu que le droit de rétention du prêteur sur les documents administratifs relatifs à des véhicules ne s'étend pas aux véhicules eux-mêmes et qu'il n'en résulte pas un droit pour le prêteur de se faire attribuer le produit de la vente de ces véhicules ; qu'ayant relevé que la société Financo s'était bornée dans ses écritures à soutenir que le droit de rétention qu'elle détenait sur les documents administratifs de circulation afférents aux véhicules devait être reporté sur le prix de vente, la cour d'appel, devant laquelle n'était pas allégué que le gage consenti par le débiteur sur ces mêmes véhicules avait fait l'objet d'une inscription sur le registre spécial prévu à cet effet, inscription qui seule le rendait opposable au liquidateur judiciaire du débiteur, en a exactement déduit [...] que ce droit ne pouvait être reporté sur le prix de vente de ces véhicules".

Se pose alors la question de l'intérêt -et donc de l'efficacité- du droit de rétention sur documents d'immatriculation en l'absence de prise parallèle d'un gage sur ses véhicules. Même si l'arrêt rapporté ne s'intéresse pas à cette question, elle germe immédiatement dans l'esprit du lecteur : mais à quoi peut donc servir le droit de rétention sur les documents d'immatriculation s'il ne permet pas au créancier de bénéficier du report du droit de rétention sur le prix ? Cette sûreté n'aurait-elle aucun intérêt ? Il ne faut surtout pas tirer de l'arrêt rapporté cette conclusion qui serait beaucoup trop hâtive. En cas de vente amiable du véhicule par le liquidateur, le droit de rétention sur les documents est opposable à l'acquéreur. Ce dernier se trouvera particulièrement gêné car, sans le précédent certificat d'immatriculation, et en application des dispositions des articles 1 D 1 et 10 de l'arrêté du 9 février 2009, relatif aux modalités d'immatriculation des véhicules (N° Lexbase : L7983IWL) (17), aucun nouveau certificat d'immatriculation ne pourra lui être délivrée. Or, ce certificat est indispensable pour faire circuler le véhicule... Ainsi, la vente amiable par le liquidateur du véhicule dont le certificat d'immatriculation est légitimement retenu aura presque nécessairement comme conséquence :

- soit la résolution de la vente à la demande de l'acquéreur pour défaut de délivrance d'un accessoire (certificat d'immatriculation) indispensable de la chose vendue ;

- soit le paiement du créancier par l'utilisation de la technique du retrait de la chose retenue contre paiement (C. com., art. L. 622-7, II N° Lexbase : L3389ICI et L 641-3 N° Lexbase : L3500ICM). Le juge-commissaire autoriserait alors le paiement d'une créance antérieure afin que le liquidateur récupère le certificat d'immatriculation, ce qui lui permettra, par la suite, de vendre le véhicule et d'en assurer la parfaite délivrance à l'acquéreur.

Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences HDR à l'Université de Nice-Sophia-Antipolis, Membre du CERDP


(1) Sur le détail de la question, nos obs., Droit et pratique des procédures collectives, 7ème éd., 2013/2014, n° 582.13, à paraître juin 2013.
(2) Cass. com., 13 mars 2012, n° 11-15.438, FS-P+B (N° Lexbase : A8907IEM), nos obs. in Chronique mensuelle de droit des entreprises en difficulté - Avril 2012 (1ère esp.), Lexbase Hebdo n° 293 du 19 avril 2012 - édition affaires (N° Lexbase : N1549BTK) ; adde, D., 2012, Actu 807, note A. Lienhard ; Act. proc. coll., 2012, comm. 105, note J. Vallansan ; BJE, mai 2012, comm. 88, p. 147, note L. Camensuli-Feuillard ; JCP éd. E, 2012, 1325, nos obs..
(3) F. Derrida F., P. Godé et J.-P. Sortais, avec la collab. d'A. Honorat, Redressement et liquidation judiciaires des entreprises, 3ème éd., Dalloz, 1991, n° 510.
(4) Cass. com., 13 mars 2012, n° 11-15.438, FS-P+B, préc..
(5) Cpr. F. Pérochon, Entreprises en difficulté, 9ème éd., Lgdj, 2012, n° 512.
(6) Cass. com., 16 mars 1993, n° 90-20.188, publié (N° Lexbase : A6328ABY), Bull. civ. IV, n° 106, D., 1993, jur. 583, note F. Derrida, Rev. proc. coll., 1993, 424, n° 8, obs. B. Dureuil, Rev. proc. coll., 1993, 547, n° 1, obs. B. Soinne, JCP éd. E, 1993, I, 277, obs. M. Cabrillac ; Cass. com., 7 janvier 2003, n° 99-10.781, FS-P+B (N° Lexbase : A6028A4Z), Bull. civ. IV, n° 1, D., 2003, AJ 274, obs. A. Lienhard.
(7) Cass. com., 7 janvier 2003, n° 99-10.781, F-P+B (N° Lexbase : A6028A4Z), Bull. civ. IV, n° 1, D., 2003, AJ 274, obs. A. Lienhard ; CA Rennes, 8 novembre 1995, Rev. proc. coll., 1998, 160, n° 2, obs. B. Soinne.
(8) Cass. com., 29 avril 1997, n° 95-15.099, publié (N° Lexbase : A1870ACA), Bull. civ. IV, n° 112, Rev. proc. coll., 1998, 158, no 1, obs. B. Soinne, Dr. sociétés, 1999, com. 103 ; Cass. com., 7 janvier 2003, n° 99-10.781, F-P+B (N° Lexbase : A6028A4Z), Bull. civ. IV, n° 1, D., 2003, AJ 274, obs. A. Lienhard, JCP éd. E, 2003, chron. 760, p. 853, n° 13, obs. M. Cabrillac et Ph. Pétel ; Cass. com., 9 novembre 2004, n° 02-13.685, F-P+B (N° Lexbase : A8419DD8), Bull. civ. IV, n° 193 ; RTDCiv., 2005. 183-184, obs. R. Perrot ; D., 2004, AJ 3069, obs. A. Lienhard ; D., 2005, pan. 296, nos obs. ; RTDCom., 2005. 247, obs. B. Saintourens ; Act. proc. coll., 2004/20, n° 245, note C. Régnaut-Moutier ; LPA, 13 avril 2005, p. 4, obs. F.-X. Lucas ; Dr. et patr., 2005/4, p. 115, n° 3677, obs. M.-H. Monsérié-Bon ; Defrénois, 2005/11, p. 993, chron. 38177, n° 4, note D. Gibirila.
(9) Cass. com., 9 novembre 2004, n° 02-13.685, préc. ; Cass. com., 13 décembre 2005, n° 04-18.567, F-D (N° Lexbase : A0035DMA), Gaz. proc. coll., 2006/2, p. 40, obs. Ph. Roussel Galle.
(10) V. aussi, en ce sens, J. Vallansan, Act. proc. coll., 2011/18, comm. 279, note sous CA Metz, 1ère ch., 19 avril 2011, n° 10/1736 (N° Lexbase : A7241H7C) ; J.-CL. COM., C. Saint-Alary-Houin et M.-H. Monsérié-Bon, fasc. 2510, [Nullités facultatives], éd. 2012, n° 29.
(11) CA Metz, 1ère ch., 19 avr. 2011, n° 10/1736, préc. et les obs. préc. de J. Vallansan.
(12) CA Nancy, ch. com., 23 mars 2011, n° 09/02695 (N° Lexbase : A1543HM4), JCP éd. E, 1368, note Ch. Lebel ; Rev. proc. coll., mai 2012, comm. 113, note C. Lisanti.
(13) Remarquons que le terme est particulièrement mal choisi puisque, depuis l'ordonnance du 23 mars 2006 (N° Lexbase : L8127HHH), le nantissement porte sur un bien incorporel, à la différence du gage qui porte, pour sa part, sur un bien meuble corporel.
(14) Sur les difficultés soulevées par l'entrée en vigueur de ces dispositions v. not. M. Cabrillac, Ch. Mouly, S. Cabrillac, Ph. Pétel, Droit des sûretés, Litec, 9ème éd., n° 804 ; H. Matsopoulou, Lamy Droit des sûretés, étude 245, Gage automobile, n° 245-5
(15) Cass. com., 8 juillet 2003, n° 00-21.569, F-D (N° Lexbase : A0926C98) ; D., 2004, somm. comm. p. 55, obs. P.-M. Le Corre ; Act. proc. coll., 2003/19, n° 250.
(16) M. Cabrillac, Ch. Mouly, S. Cabrillac, Ph. Pétel, Droit des sûretés, Litec, 9ème éd., n° 804.
(17) JORF n ° 0035 du 11 février 2009, p. 2402.

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QPC

[Jurisprudence] QPC : évolutions procédurales récentes - Janvier à Mars 2013

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par Mathieu Disant, Maître de conférences à l'Ecole de droit de la Sorbonne (Université Paris I) et membre du Centre de recherche en droit constitutionnel (CRDC)

Le 23 Mai 2013

La question prioritaire de constitutionnalité est à l'origine d'une jurisprudence abondante du Conseil constitutionnel comme du Conseil d'Etat et de la Cour de cassation. Cette chronique trimestrielle, rédigée par Mathieu Disant, Maître de conférences HDR à l'Ecole de droit de la Sorbonne (Université Paris I), membre du Centre de recherche en droit constitutionnel (CRDC), chercheur associé au Centre de recherche sur les relations entre le risque et le droit (C3RD), s'attache à mettre en exergue les principales évolutions procédurales de la QPC, les apports au fond du droit étant quant à eux traités au sein de chacune des rubriques spécialisées de la revue. Au cours de la période considérée, qui signe le troisième anniversaire de la QPC, le Conseil constitutionnel s'est penché sur des institutions législatives anciennes, notamment sur les règles d'imposition du tabac, qui remontent à 1629 avec la création d'un droit d'entrée (Cons. const., décision n° 2012-290/291 QPC du 25 janvier 2013 N° Lexbase : A8253I33), ou encore sur l'action en nullité d'un acte pour insanité d'esprit de son auteur (Cons. const., décision n° 2012-288 QPC du 17 janvier 2013 N° Lexbase : A2951I3P), dont la limitation trouve son origine dans le Code civil de 1804 et qui, depuis lors, n'a subi que des modifications rédactionnelles et de coordination. Les deux ont été jugées conformes à la Constitution. Même sort pour le droit de rétrocession en cas d'expropriation pour cause d'utilité publique prévu à article L. 12-6 du Code du même nom (N° Lexbase : L2915HLK), qui précise les modalités de mise en oeuvre de ce "droit de remise" conféré à l'ancien propriétaire des biens expropriés lorsque l'expropriant n'a pas affecté le bien à la destination qui était initialement prévue et qui justifiait l'expropriation (Cons. const., décision n° 2012-292 QPC du 15 février 2013 N° Lexbase : A9638I74).

Plus retentissante est la décision portant sur l'article VII des articles organiques des cultes protestants de la loi du 18 germinal an X (8 avril 1802) relative à l'organisation des cultes en Alsace-Moselle (Cons. const., décision n° 2012-297 QPC du 21 février 2013 N° Lexbase : A2772I88). Cet article prévoit la prise en charge par l'Etat du traitement des pasteurs des églises consistoriales. Au fond, le Conseil constitutionnel devait trancher la question de savoir si le principe constitutionnel de laïcité garanti par l'article 1er de la Constitution (N° Lexbase : L0827AH4) comportait non seulement la liberté de conscience, la neutralité de l'Etat, l'égalité de traitement entre les cultes, mais aussi la règle de non-subventionnement de l'exercice des cultes et le principe de non-reconnaissance des cultes ; étant entendu qu'il fallait déterminer si ce dernier fait, ou non, interdiction à l'Etat de financer l'exercice du culte et si le principe de non-reconnaissance interdit aux pouvoirs publics d'accorder un statut ou un soutien public à des cultes déterminés.

I - Champ d'application

A - Normes contrôlées dans le cadre de la QPC

1 - Notion de "disposition législative"

Une QPC ne peut être régulièrement dirigée que contre une "disposition législative", ce qui exclut la contestation de dispositions de nature réglementaire (à propos de dispositions sur l'aide juridique, voir Cass. QPC, 12 mars 2013, n° 12-90.073, F-D N° Lexbase : A5013KAW), ce qui est valable pour les dispositions d'une ordonnance n'ayant pas fait l'objet de ratification législative (à propos de dispositions du Code du sport, voir Cass. QPC, 8 janvier 2013, n° 12-86.537, F-D N° Lexbase : A5074I3C). A cet égard, avec une certaine rigueur, la Cour de cassation refuse de renvoyer une QPC qui "ne tend, sous le couvert d'une critique d'une disposition législative [...] qu'à contester la conformité à la Constitution des dispositions, de nature réglementaire" (Cass. QPC, 21 janvier 2013, n° 12-19.870, FS-P+B N° Lexbase : A9102I3I, Cass. QPC, 14 février 2013, n° 12-23.968, F-D N° Lexbase : A1549I8U). Cette position génère un angle mort du contentieux.

2 - Statut de l'interprétation/de l'application de la loi

Tout justiciable a le droit de contester via une QPC la constitutionnalité de la portée effective qu'une interprétation jurisprudentielle constante confère à une disposition législative. La contestation doit concerner la portée que donne à une disposition législative précise l'interprétation qu'en fait la juridiction suprême de l'un ou l'autre ordre. Une QPC dirigée contre "la jurisprudence de la Cour de cassation édictée dans [un] arrêt" ne vise aucune disposition législative et, aux yeux de la Cour de cassation, se borne à contester une règle jurisprudentielle sans préciser le texte législatif dont la portée serait, en application de cette règle, de nature à porter atteinte à la Constitution (Cass. QPC, 27 février 2013, n° 12-40.100, F-D N° Lexbase : A9974I8W).

Encore faut-il, également, que cette jurisprudence ait été soumise à la Cour suprême compétente. La détermination de l'existence d'une jurisprudence constante est sous la main de la juridiction suprême, et la Cour de cassation y porte un contrôle particulièrement restrictif. La Chambre commerciale juge "sans objet" une QPC dirigée contre l'article L. 643-13 du Code de commerce (N° Lexbase : L3945HBQ) et la jurisprudence établie au visa de cet article, au motif qu'il n'existe pas, en l'état, d'interprétation jurisprudentielle constante autorisant, sur le fondement de la disposition législative critiquée, la contestation d'opérations réalisées par le débiteur entre la clôture de sa liquidation judiciaire et la reprise de celle-ci (Cass. QPC, 29 janvier 2013, n° 12-40.089, F-D N° Lexbase : A6871I4A). La première chambre civile juge de même s'agissant de l'article 267-1 ancien du Code civil (N° Lexbase : L2836DZ3), compris comme permettant d'opposer une forclusion à la partie qui formule une demande devant le juge, sans que cette demande ait été soumise préalablement au notaire ainsi compris : "il n'existe pas, en l'état, d'interprétation jurisprudentielle constante des dispositions législatives contestées conduisant à opposer une forclusion à la partie qui formule une demande devant le juge, sans que cette demande ait été soumise préalablement au notaire" (Cass. QPC, 13 février 2013, n° 12-19.354, F-D N° Lexbase : A1551I8X).

Plus contestable et bien fragile est la solution rejetant une QPC au motif qu'elle "ne critique pas une interprétation jurisprudentielle constante, par la Cour de cassation, du texte visé, mais une méthode d'évaluation des biens expropriés que les juges du fond peuvent souverainement retenir" (Cass. QPC, 14 mars 2013, n° 12-24.995, FS-D N° Lexbase : A5012KAU). Etait ici contestée, au regard du droit de propriété, l'interprétation jurisprudentielle de l'article L. 13-13 du Code de l'expropriation (N° Lexbase : L2935HLB) pour ce qui concerne les modalités d'évaluation de l'indemnité d'expropriation : d'une part, la jurisprudence évalue de manière constante les biens de rapport expropriés en appliquant la méthode de la comparaison et, d'autre part, les juridictions appliquent de manière constante un abattement forfaitaire (généralement de 40 %) sur la valeur des biens de rapport lorsqu'ils sont occupés, sans aucune relation avec la valeur vénale du bien qui n'a de valeur que s'il est occupé et sans aucun rapport avec les indemnités d'éviction allouées aux occupants. Sans entrer ici sur le fond, on discerne clairement que la question de la compensation intégrale est pourtant indissociable de ces interprétations.

3 - Disposition n'ayant pas déjà été déclarée conforme à la Constitution

Une QPC qui tend aux mêmes fins que la question sur laquelle le Conseil constitutionnel a statué doit être rejetée (voir CAA Paris, 4ème ch., 12 février 2013, n° 10PA00941 N° Lexbase : A3007KBY, à rapprocher de Cons. const., décision n° 2011-143 QPC du 30 juin 2011 N° Lexbase : A5588HUI). Il en est de même, selon un principe désormais bien acquis, pour une QPC dirigée contre une disposition législative déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une précédente décision QPC (voir CE 1° et 6° s-s-r., 20 février 2013, n° 345728, mentionné aux tables du recueil Lebon [LXB=A2739I8X) ]).

A propos de la disposition de l'ordonnance organique ne permettant pas que soit posée une QPC devant la cour d'assises, la Cour de cassation juge que "la nature organique de cette loi implique que sa conformité à la Constitution ait été préalablement vérifiée par le Conseil constitutionnel" (Cass. crim., 9 janvier 2013, n° 12-81.626, F-P+B+R N° Lexbase : A0796I3U). Cette solution est valable également devant le Conseil d'Etat.

Sans relever strictement de la condition du "déjà jugé", une précédente décision QPC peut en elle-même priver de sérieux une nouvelle question. Ainsi, la portée de la déclaration d'inconstitutionnalité prononcée avec effet immédiat par la décision n° 2010-93 QPC du 4 février 2011 (N° Lexbase : A1688GRX) s'étend à celles de ces dispositions qui, par les renvois qu'elles opéraient, réservaient aux seuls ressortissants de statut civil de droit local le bénéfice de l'allocation de reconnaissance allouée aux anciens membres des forces supplétives ayant servi en Algérie. Une QPC à l'encontre de ces dispositions est donc dépourvue d'objet : le refus d'accorder le bénéfice de l'allocation au motif que l'intéressé relevait du statut civil de droit commun est dépourvu de base légale (CE 1° et 6° s-s-r., 20 mars 2013, n° 345648, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A8540KAK).

La question de la prise en compte des changements de circonstances qui peut justifier le réexamen d'une disposition déclarée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel est d'application souvent délicate. Elle connaît quelques précisions.

Le juge est amené à apprécier si un changement de circonstances de droit se caractérise au regard de la portée de modifications affectant le dispositif législatif examiné. Ainsi, le Conseil d'Etat a jugé que tel n'est pas le cas avec l'ajout par le législateur de nouveaux éléments devant être pris en compte pour la création d'une zone de développement de l'éolien : la portée des dispositions relatives à la création de telles zones déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2005-516 DC du 7 juillet 2005 (N° Lexbase : A1637DKT) ne se trouve pas affectée (CE 6° s-s., 30 janvier 2013, n° 363673, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A4400I4Q).

La Cour de cassation reconnaît clairement que l'intervention d'une nouvelle jurisprudence du Conseil constitutionnel peut constituer un changement de circonstances. Mais l'opération fait l'objet d'une interprétation stricte et semble exclue dès lors que les textes en cause sont rédigés de manière différente. C'est ainsi que la Chambre sociale vérifie que les vices relevés par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2012-240 QPC du 4 mai 2012 (N° Lexbase : A5658IKR) (à propos du harcèlement sexuel) n'affectent pas les dispositions du Code du travail (à propos du harcèlement moral) déclarées conformes à la Constitution dans la décision n° 2001-455 DC du 12 janvier 2002 (N° Lexbase : A7587AXB) (Cass. soc., 1er mars 2013, n° 12-40.103, FS-P+B N° Lexbase : A9983I8A). Cette solution fait écho à une série d'arrêts rendus par la Chambre criminelle relevés dans notre précédente chronique (1).

4 - Applicabilité d'une disposition législative au litige

Une disposition législative n'est pas applicable au litige au sens de l'article 23-4 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, portant loi organique sur le Conseil constitutionnel (N° Lexbase : L0276AI3), si elle est sans influence sur la validité des dispositions réglementaires contestées. Si l'agression sexuelle fait partie des infractions pour lesquelles une inscription au fichier judiciaire national automatisé des auteurs d'infractions sexuelles (FIJAIS) est prévue en cas de condamnation, l'éventuelle inconstitutionnalité de ce délit est jugé par le Conseil d'Etat sans influence sur les modalités d'inscription et de tenue de ce fichier, dans lequel sont, également, enregistrés les auteurs d'infractions autres que l'agression sexuelle (CE 1° et 6° s-s-r., 11 janvier 2013, n° 363463, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A0872I3P). On peut, toutefois, se demander si cette solution ne méconnait pas, dans son principe, la possibilité dont dispose le Conseil constitutionnel de faire remonter les effets de sa décision jusqu'à la remise en cause de ce type de mention ou d'inscription (1).

Conformément au caractère abstrait du contrôle QPC, le Conseil d'Etat rappelle de façon constante que les conditions matérielles de mise en oeuvre de la disposition législative en litige ne peuvent utilement être invoquées pour contester sa constitutionnalité (CE 6° s-s., 30 janvier 2013, n° 363670, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A4399I4P).

Quoi qu'en principe les deux opérations soient distinctes, l'appréciation de l'applicabilité de la disposition contestée n'est pas toujours déconnectée des moyens invoqués. Ces derniers permettent au juge de cibler le point d'article contesté, lequel peut ne pas être applicable au litige et emporter l'inapplicabilité des dispositions législatives dans leur ensemble (CE 9° et 10° s-s-r., 23 janvier 2013, n° 358751, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A9096I3B).

Dans une affaire remarquable, le Conseil d'Etat a jugé que la décision du ministre chargé de l'Energie qui met en oeuvre les décisions du groupe de travail franco-allemand relatives au transport en Allemagne des déchets nucléaires traités en France a pour fondement l'accord franco-allemand et non les dispositions l'article L. 542-2-1 du Code de l'environnement (N° Lexbase : L9624INR). En conséquence, ces dispositions législatives, bien qu'elles précisent les conditions dans lesquelles des combustibles usés ou des déchets radioactifs peuvent être introduits sur le territoire national, ne peuvent être regardées comme applicables au litige (CE 1° et 6° s-s-r., 8 mars 2013, n° 364462, inédits au recueil Lebon N° Lexbase : A3230I9I).

B - Normes constitutionnelles invocables

Dans sa décision n° 2012-288 QPC du 17 janvier 2013 (N° Lexbase : A2951I3P), le Conseil constitutionnel se penche précisément sur la conformité à la Constitution, et en particulier au droit à un recours juridictionnel effectif, des restrictions légales au droit d'agir en nullité d'un acte juridique. Il contrôle, notamment, les objectifs d'intérêt général poursuivis par le législateur et examine la portée des limitations et restrictions apportées par la loi, celles-ci devant être proportionnées à l'objectif poursuivi.

Pour la première fois, le Conseil constitutionnel devait se prononcer sur le principe de laïcité dans le cadre de l'article 61-1 de la Constitution (N° Lexbase : L5160IBQ) et sur une disposition du droit cultuel alsacien-mosellan. Alors que la question a pu être débattue en doctrine, le Conseil a jugé que le principe de laïcité figure au nombre des droits et libertés que la Constitution garantit (n° 2012-297 QPC du 21 février 2013 N° Lexbase : A2772I88). On notera qu'à l'occasion de cette importante décision, le Conseil constitutionnel ne livre pas de définition limitative du principe constitutionnel de laïcité, mais énumère des règles essentielles qu'il impose et qui peuvent se concilier entre elles.

Par sa décision n° 2012-289 QPC du 17 janvier 2013 (N° Lexbase : A2952I3Q), le Conseil constitutionnel a utilement précisé sa jurisprudence relative au principe de non-cumul des poursuites, en jugeant que "le principe de la nécessité des peines ne fait pas obstacle à ce que les mêmes faits commis par une même personne puissent faire l'objet de poursuites différentes aux fins de sanctions de nature disciplinaire ou administrative en application de corps de règles distincts devant leurs propres ordres de juridictions".

II - Procédure devant les juridictions ordinaires

A - Instruction de la question devant les juridictions ordinaires et suprêmes

1 - Introduction de la requête

Lorsque le Bâtonnier de l'Ordre des avocats agit dans le cadre d'une mission d'auxiliaire de justice chargée de la protection des droits de la défense, comme c'est le cas lorsqu'il exerce les prérogatives qui lui sont données à l'occasion d'une perquisition dans un cabinet d'avocat, il n'est pas une partie et ne peut donc soulever un moyen d'inconstitutionnalité du texte appliqué (Cass. QPC, 8 janvier 2013, n° 12-90.063, F-D N° Lexbase : A5069I37).

De façon constante, un intervenant justifiant d'un intérêt lui donnant qualité pour intervenir au soutien des conclusions présentées par une des parties au litige est susceptible d'intervenir au soutien d'une QPC soulevée par cette partie. Toutefois, il est jugé qu'un intervenant n'est pas recevable, eu égard aux conséquences susceptibles d'en résulter quant au règlement du litige tel que déterminé par les conclusions des parties, à soulever de sa propre initiative une QPC qui n'aurait pas été invoquée par l'une des parties (CE 2° et 7° s-s-r., 22 février 2013, n° 356245, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A5336I87). Cette solution ne remet pas en cause la faculté pour un intervenant justifiant, en l'état du dossier, d'un intérêt lui donnant qualité pour intervenir au soutien des conclusions présentées par une des parties au litige, d'intervenir au soutien d'une QPC soulevée par cette partie (CE 9° et 10° s-s-r., 26 janvier 2012, n° 353067, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A4271IBS). Elle n'interdit pas non plus à une partie de se réapproprier, par mémoire distinct et motivé, une QPC qui aurait été initialement soulevée par un intervenant (CE 1° et 6° s-s-r., 14 avril 2010, n° 328937, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A2624EZ9).

Le président de la Section du contentieux et les présidents de sous-section peuvent, lorsqu'ils sont saisis d'une requête manifestement irrecevable au sens du 4° de l'article R. 122-12 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L5968IG7), juger par ordonnance prise sur le fondement de cet article qu'il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel, au motif qu'elle n'est ni nouvelle ni sérieuse, une QPC portant sur la disposition législative dont résulte l'irrecevabilité manifeste de la requête (CE, 27 février 2013, n° 366323, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A4425KDA).

2 - Présentation de la requête

Pour illustrer la rigueur de l'exigence du mémoire distinct et motivé que requiert la QPC, on mentionnera une série d'arrêts de la cour administrative d'appel de Lyon (CAA Lyon, 3ème ch., 7 février 2013, n° 12LY01919 N° Lexbase : A6093KDZ, n° 12LY01937 N° Lexbase : A6094KD3, n° 12LY01938 N° Lexbase : A6095KD4, n° 12LY01939 N° Lexbase : A6096KD7).

Ne peut constituer une QPC susceptible d'être examinée comme telle par le juge du renvoi un mémoire qui, soulevant une série de questions étrangères à la Constitution et sans formulation directe avec d'éventuelles difficultés constitutionnelles, est rédigé de telle façon qu'il s'apparente à demande en interprétation de la loi (Cass. QPC, 19 février 2013, n° 13-80.336, F-D N° Lexbase : A9980I87).

3 - Modalités d'examen de la question

On rappellera que les juridictions suprêmes, dans le cadre du second filtre, se prononcent sur le renvoi de la QPC telle qu'elle a été soulevée dans les mémoires distincts produits devant la juridiction qui l'a transmise. Les moyens soulevés pour la première fois sont jugés irrecevables, comme a fortiori ceux qui auraient été écartés par la juridiction de transmission (Cass. QPC, 20 mars 2013, FS-P+B, n° 12-40.104 N° Lexbase : A9043KA8 et 12-40.105 N° Lexbase : A9046KAB). En effet, le juge s'estime saisi dans la limite des dispositions dont la question de la conformité à la Constitution a fait l'objet de la transmission (CE 6° s-s., 6 février 2013, n° 363955, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A4659I7P). Les requérants sont, eux aussi, liés par la question transmise. Ainsi, la Cour de cassation précise que les requérants ne peuvent modifier par voie de mémoire la question transmise (Cass. QPC, 22 janvier 2013, n° 12-90.065, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A9110I3S).

On relèvera que, saisi d'une QPC portant sur la base légale de la décision dont la suspension est demandée au titre de l'article L. 521-1 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3057ALS), le juge du référé suspension ne procède à son examen qu'après avoir réglé la question de l'urgence (solution implicite, voir CE 4° et 5° s-s-r., 27 février 2013, n° 364751, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A6777I8I). La question de l'urgence n'est pas "plus" prioritaire, elle est plutôt préalable.

4 - Portée de la décision relative à la transmission et au renvoi de la question

Lorsqu'un tribunal administratif ou une cour administrative d'appel estime qu'une requête est privée d'objet et prononce un non-lieu à statuer, la QPC à l'appui de cette requête n'a pas à être transmise. Ainsi juge le Conseil d'Etat en application des articles R. 222-1 (N° Lexbase : L2818HWB) et R. 771-8 (N° Lexbase : L5756IGB) du Code de justice administrative, tout en écartant le grief tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 6 de la CESDH (N° Lexbase : L7558AIR) développé à leur encontre (CE 9° et 10° s-s-r., 4 février 2013, n° 362163, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A3274I7E).

B - Le filtre du Conseil d'Etat et de la Cour de cassation

L'appréciation du caractère sérieux de la question donne lieu à une jurisprudence trop volumineuse pour pouvoir être rapportée intégralement dans cette chronique. On soulignera deux difficultés transversales.

D'une part, l'appréciation du caractère sérieux par les juridictions du premier filtre s'avère parfois problématique. Il existe une tentation de confondre les deux niveaux de filtrage, au risque de ruiner "l'entonnoir du filtre" (2), comme l'illustre un jugement du tribunal de grande instance de Nice dans lequel le juge recherche un "motif sérieux de déclarer fondée la demande de QPC", là où devrait présider une approche purement négative tendant à vérifier si "la question n'est pas dépourvue de caractère sérieux" en application de l'article 23-2 de l'ordonnance organique. Au cas d'espèce, le tribunal de grande instance estime que l'article L. 611-1-1 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (N° Lexbase : L8928IU9), qui crée une procédure de retenue d'un étranger aux fins de vérification de son droit de circulation ou de séjour sur le territoire français, ne constitue pas une entrave à l'exercice des droits de la défense, ces dispositions ayant pour objectif de rechercher des éléments sur une situation administrative et non de recueillir d'éventuels éléments concernant la commission d'une infraction. La QPC est donc clairement jugée comme dépourvue de caractère sérieux (TGI de Nice, 1er mars 2013, n° 79/2013).

D'autre part, l'appréciation du caractère sérieux par les cours suprêmes montre la tendance du juge du renvoi à se prononcer sur le fond de la constitutionnalité des dispositions contestées, en particulier lorsqu'est en cause le principe d'égalité (not., Cass. QPC, 9 janvier 2013, n° 12-86.753, F-D N° Lexbase : A9106I3N, Cass. QPC, 14 février 2013, n° 12-40.097, F-D N° Lexbase : A1552I8Y, Cass. QPC, 28 février 2013, n° 12-23.706, F-D N° Lexbase : A9978I83, CE 1° et 6° s-s-r., 13 février 2013, n° 363928, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A5392I89, CE 1° et 6° s-s-r., 1er mars 2013, n° 364366, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A9326I8W). De façon générale, cette immixtion s'observe lorsque le juge estime qu'il y a atteinte à un principe constitutionnel, tout en estimant que cette atteinte est justifiée (not., Cass. QPC, 8 janvier 2013, n° 12-86.591, F-D N° Lexbase : A5070I38, Cass. QPC, 12 février 2013, n° 12-90.072, F-D N° Lexbase : A4388I8Z) ou non disproportionnée. L'appréciation de la proportionnalité de l'atteinte conduit à des jurisprudences très intrusives dans l'office du Conseil constitutionnel (voir, Cass. QPC, 15 janvier 2013, n° 12-40.086, F-D N° Lexbase : A5072I3A, Cass. QPC, 5 février 2013, n° 12-90.069, F-D N° Lexbase : A1548I8T, Cass. QPC, 20 février 2013, n° 12-85.116 N° Lexbase : A9981I88, Cass. QPC, 6 février 2013, n° 12-90.071 N° Lexbase : A4389I83, Cass. QPC, 20 février 2013, n° 12-40.095, FS-P+B N° Lexbase : A4387I8Y), au point que la jurisprudence se trouve parfois auto-interprétée comme garantissant la proportionnalité de l'atteinte (Cass. QPC, 10 janvier 2013, n° 12-40.084, FS-P+B N° Lexbase : A0926I3P, Cass. QPC, 13 février 2013, n° 12-40.096, FS-P+B N° Lexbase : A1556I87). De même, le juge de renvoi s'estime abusivement compétent pour convoquer des principes constitutionnels dont l'existence ou le contenu n'est pas authentiquement affirmée (ainsi, à propos de "la protection renforcée de l'enfance", Cass. QPC, 22 janvier 2013, n° 12-90.065, F-P+B N° Lexbase : A9110I3S). Cette dernière affaire est d'autant plus critiquable au fond que la Cour y juge proportionnée à l'objectif, certes louable, de protection de l'enfance, une interdiction totale de l'implantation de commerces.

Sur le fond, on peut relever la réticence de la Cour de cassation à renvoyer des questions portant sur des aspects de procédure pénale (voir, s'agissant de la composition de la commission de l'application des peines réunie en milieu carcéral, Cass. QPC, 9 janvier 2013, n° 12-86.832, F-D N° Lexbase : A6596I7G, des dispositions qui confèrent au procureur de la république le pouvoir discrétionnaire de choisir le mode de poursuites, Cass. QPC, 6 mars 2013, n° 12-90.078, F-D N° Lexbase : A3243I9Y, des recours contre les arrêts incidents des cours d'assises, Cass. QPC, 6 mars 2013, n° 12-88.152, F-D N° Lexbase : A6011KAU ou de la notification du droit au recours contre les ordonnances, Cass. QPC, 19 mars 2013, n° 12-84.957, F-D N° Lexbase : A9041KA4). On notera la même réticence concernant les griefs mettant en cause la clarté ou l'imprécision de la loi ou de notions qu'elle emploie, et le risque d'arbitraire que pourrait alors susciter le pouvoir d'appréciation ou d'interprétation du juge. La Chambre criminelle absorbe systématiquement la difficulté dans "l'office du juge pénal" (Cass. QPC, 9 janvier 2013, n° 12-82.627, F-D N° Lexbase : A0927I3Q, Cass. QPC, 29 janvier 2013, n° 12-90.070, F-D N° Lexbase : A6594I7D, Cass. QPC, 30 janvier 2013, n° 12-90.066, F-D N° Lexbase : A6869I48, Cass. QPC, 20 février 2013, n° 12-90.074, F-D N° Lexbase : A9977I8Z, Cass. QPC, 27 mars 2013, n° 12-84.784, F-D N° Lexbase : A3965KBH, Cass. QPC, 27 mars 2013, n° 12-85.115, F-P+B N° Lexbase : A3974KBS, et n° 12-84.189, F-D N° Lexbase : A3972KBQ, à rapprocher de Cass. QPC, 19 mars 2013, n° 12-82.163, F-D N° Lexbase : A3967KBK, Cass. QPC, 19 mars 2013, n° 12-85.617, F-D N° Lexbase : A3970KBN, Cass. QPC, 19 mars 2013, n° 12-90.077, F-D N° Lexbase : A9036KAW).

On ne souligne sans doute pas assez que les décisions relatives à l'appréciation du renvoi par les juridictions suprêmes apportent parfois de précieuses précisions quant à l'interprétation de la loi, en particulier pour déterminer si le dispositif en cause relève du champ d'application du principe constitutionnel invoqué. Ainsi, en refusant de renvoyer une QPC fondée sur les principes constitutionnels régissant la matière répressive, on apprend que la décision de refuser, de suspendre ou de retirer un permis de visite ne constitue pas une sanction ayant le caractère de punition, mais une mesure de police administrative tendant à assurer le maintien de l'ordre public et de la sécurité au sein de l'établissement pénitentiaire ou, le cas échéant, la prévention des infractions (CE 1° et 6° s-s-r., 20 février 2013, n° 364081, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A5342I8D).

III - Procédure devant le Conseil constitutionnel

A - Organisation de la contradiction

1 - Interventions devant le Conseil constitutionnel

Les observations en intervention des tiers à l'occasion d'une QPC transmise au Conseil constitutionnel sont de plus en plus courantes, ce qui témoigne du caractère abstrait et d'intérêt collectif de l'examen que le Conseil opère et, dans le même temps, suscite. On peut ainsi relever que le Conseil constitutionnel a admis les interventions volontaires de trois sociétés dans la suite des questions relatives à la rémunération pour copie privée (Cons. const., décision n° 2012-287 QPC du 15 janvier 2013 N° Lexbase : A1221I3M), de sociétés de tabac et d'allumettes (Cons. const., décision n° 2012-290/291 QPC du 25 janvier 2013 N° Lexbase : A8253I33), ou encore de l'UNEDIC (Cons. const., décision n° 2013-299 QPC du 28 mars 2013 N° Lexbase : A0763KBU). On mentionnera tout particulièrement, compte tenu de leur ampleur, quatre séries d'observations en intervention (dont celles de l'association République sans Concordat, de l'Institut du droit local alsacien-mosellan, de présidents de consistoires, et de l'archevêque de Strasbourg...) dans l'affaire relative au traitement des pasteurs des églises consistoriales dans les départements d'Alsace-Moselle (Cons. const., décision n° 2012-297 QPC du 21 février 2013 N° Lexbase : A2772I88).

En revanche, le Conseil constitutionnel a estimé que l'association "Confédération française du commerce et de gros interentreprises et du commerce international" (CGI), qui a déposé une intervention dans l'affaire n° 2012-298 QPC du 28 mars 2013 (N° Lexbase : A0762KBT), n'a pas justifié d'un "intérêt spécial" à présenter des observations conformément à l'article 6 du règlement du 4 février 2010. Son intervention n'a, dès lors, pas été admise. Ce refus d'admission, après avoir été précisé dès le premier considérant de la décision, est mentionné expressément dans son dispositif. Il semble, toutefois, postérieur à la clôture de l'instruction car l'intervenant a présenté des observations orales lors de l'audience publique (ce qui n'est pourtant pas possible sans y avoir été dûment autorisé...).

2 - Procédure orale

Dans l'affaire n° 2012-293/294/295/296 QPC du 8 février 2013 (N° Lexbase : A5794I7Q), le greffe du Conseil constitutionnel a notifié la décision n° 2012-287 QPC du 15 janvier 2013 (N° Lexbase : A1221I3M) aux requérants, les informant de ce qu'à la suite de cette décision, compte tenu de l'identité de disposition contestée, le Conseil constitutionnel envisageait de statuer sans appeler ces affaires à une audience publique. Le requérant ne s'y est pas opposé, comme il aurait pu le faire, sans grand intérêt toutefois, d'autant plus que la disposition en cause a été censurée par le Conseil constitutionnel. La procédure est ainsi parvenue à son terme sans audience publique.

3 - Composition du Conseil constitutionnel

On retiendra que l'audience publique du 19 mars 2013 (Cons. const., décision n° 2012-298 QPC du 28 mars 2013 N° Lexbase : A0762KBT) s'est déroulée en présence des nouveaux membres du Conseil constitutionnel : Mme Claire Bazy Malaurie (déjà membre depuis trois ans), Nicole Belloubet, Nicole Maestracci, nommées en février respectivement par le président de l'Assemblée nationale, le président du Sénat, et le Président de la République.

B - Effets dans le temps des décisions du Conseil constitutionnel

Le bénéfice de l'abrogation prononcée par le Conseil constitutionnel peut se trouver circonscrite afin de tenir compte de modifications rétroactives introduites par la loi (3). Cette solution trouve une illustration inédite dans l'affaire n° 2012-298 QPC du 28 mars 2013.


(1) Cons. const., décisions n° 2011-163 QPC du 16 septembre 2011 (N° Lexbase : A7447HX4) (la mention selon laquelle le crime ou le délit présente un caractère "incestueux" ne peut plus figurer au casier judiciaire et doit ainsi être retirée), n° 2011-211 QPC du 27 janvier 2012 (N° Lexbase : A4116IB3), (tous les condamnés ayant été radiés sur les listes électorales peuvent demander leur réinscription sur ces listes), à rapprocher déjà de Cons. const., décisions n° 2010-6/7 QPC du 11 juin 2010 (N° Lexbase : A8020EYP) et n° 2011-222 QPC du 17 février 2012 (N° Lexbase : A5831ICX).
(2) Notre ouvrage, Droit de la question prioritaire de constitutionnalité, Lamy, 2011, n° 151 et s. et n° 307 et s..
(3) Sur le sujet dans son ensemble, voir nos obs., Les effets dans le temps des décisions QPC. Le Conseil constitutionnel, 'maître du temps' ? Le législateur, bouche du Conseil constitutionnel ?, Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel, 2013, n° 40.

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Taxe sur la valeur ajoutée (TVA)

[Doctrine administrative] Récupération de la TVA d'amont : nouvelles précisions doctrinales sur la prise en compte des produits financiers accessoires

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par David Chrétien, Avocat, Landwell

Le 23 Mai 2013

Dans une affaire "Régie dauphinoise" du 11 juillet 1996 (1), la CJUE avait eu à connaître du régime de TVA applicable à un syndic immobilier et avait adopté une approche restrictive du concept de produits financiers accessoires, en considérant que, dans le domaine de la gestion immobilière, les produits financiers obtenus constituent "le prolongement direct, permanent et nécessaire de l'activité principale taxable". Conséquence pratique, les droits à récupération de TVA supportée par les syndics immobiliers s'en trouvaient, malheureusement, dégradés.

L'administration fiscale avait "endossé" cette décision en la reprenant explicitement dans sa doctrine, mais l'avait cantonnée à son secteur économique de l'espèce, la gestion immobilière.

Dans le but, probablement, de faire une application plus large du concept de "prolongement direct, permanent et nécessaire de l'activité principale taxable" et, corrélativement, de réduire la portée du concept de produits financiers accessoires, l'administration a rapporté, à effet du 15 février 2013, cette doctrine. Avant d'examiner la portée pratique de cette modification doctrinale, commençons par rappeler le contexte technique et les enjeux se rapportant aux produits financiers, accessoires ou non, perçus par un redevable de la TVA.

I - Quelques rappels en matière de droit à déduction de la TVA d'amont

Au sein de la "mécanique" de calcul du droit à déduire la TVA, le coefficient de taxation est particulièrement en cause ici.

Rappelons que ce coefficient est destiné à refléter, mathématiquement, la règle selon laquelle seule la TVA grevant des biens ou des services utilisés aux fins d'opérations ouvrant droit à déduction peut être déduite (CGI Annexe II, art. 206 N° Lexbase : L4430IQ7).

Ce coefficient est au plus haut (i.e. égal à un) lorsqu'un bien ou un service grevé de TVA d'amont est correspondant à des opérations imposables et que ces dernières ouvrent entièrement droit à déduction.

Il est, en revanche, au plus bas (i.e. égal à zéro) -et interdit en conséquence toute récupération de la TVA d'amont- lorsque un bien ou un service grevé de TVA n'est pas utilisé pour des opérations imposables ou, encore, est utilisé pour des opérations certes imposables, mais pour lesquelles il est spécifiquement prévu qu'elles n'ouvrent pas droit à déduction.

Reste, enfin, le cas dans lequel un bien ou un service est utilisé, concurremment, pour la réalisation d'opérations imposables qui, pour certaines, ouvrent droit à déduction de la TVA, et pour d'autres qui ne présentent pas cette vertu. Dans ce cas, il y a alors lieu à donner une valeur précise au coefficient de taxation, entre zéro et un ; ce calcul est effectué par le biais d'un ratio prenant en compte, à son numérateur (N), le montant total annuel du chiffre d'affaires afférent aux opérations ouvrant droit à déduction -notamment les opérations imposables- et, à son dénominateur (D), le montant total annuel du chiffre d'affaires afférent aux opérations imposables : ceci inclut le chiffre d'affaires correspondant aux opérations ouvrant droit à déduction (qui figure déjà en N), majoré du chiffre d'affaires correspondant aux opérations n'ouvrant pas droit à déduction (i.e., notamment, la plupart des opérations exonérées). Compte tenu de ces modalités mathématiques, ce ratio se dégrade à mesure qu'un redevable de la TVA réalise d'autant plus d'opérations exonérées de TVA, car ces dernières n'ouvrent pas droit à la récupération.

Un sort particulier est néanmoins réservé par l'article 206 de l'Annexe II au CGI à certains produits financiers -les produits financiers accessoires- perçus par le redevable de la TVA :

"III-3° il est fait abstraction du montant du chiffre d'affaires afférent : [...]
b. Au produit des opérations immobilières et
financières accessoires exonérées de la TVA. Sont considérées comme accessoires les opérations qui présentent un lien avec l'activité principale de l'entreprise et dont la réalisation nécessite une utilisation limitée au maximum à 10 % des biens et des services grevés de TVA qu'elle a acquis [...]".

L'abstraction requise par cette disposition est, en fait, asymétrique. En effet, les produits financiers concernés sont ceux qui, bénéficiant d'une exonération, sont non-imposables à la TVA ; cette seule caractéristique suffit à les exclure du numérateur (N) du coefficient de taxation et, corrélativement, à réduire ce coefficient, au détriment du redevable. Coté dénominateur (D), les dispositions précitées de l'article 206-III-3° de l'Annexe II au CGI, et l'exclusion qu'elles prévoient, produisent là tout leur effet utile en rejetant la prise en compte des produits financiers accessoires pour la détermination du montant des opérations imposables. Ce retraitement du dénominateur (D) permet de modérer la baisse du ratio de taxation, ce qui préserve, dans une certaine mesure, les droits à déduction de TVA d'un redevable (2).

En somme, lorsqu'un produit financier est accessoire pour un redevable de la TVA, les droits à récupération de cette taxe de ce dernier s'en trouvent accrus.

Qu'est-ce donc, alors, qu'un produit financier accessoire ? Et quelles ont été les solutions retenues pour procéder à cette qualification ?

II - Portée et élaboration progressive du concept de "produits financiers accessoires"

Les notions d'opérations financières accessoires et de produits financiers accessoires ne sont pas définies par la Directive TVA (3). Cette tâche a incombé au pouvoir réglementaire, ainsi qu'au juge de l'impôt.

Une étape notable dans ce processus est celle susmentionnée, l'arrêt "Régie Dauphinoise" du 11 juillet 1996. Comme indiqué, l'apport pratique de cette jurisprudence était assez circonscrit, puisque illustrant une situation de produits financiers non-accessoires ; par ailleurs, la solution ne semblait pas avoir de portée au-delà du cas d'espèce, i.e. les professionnels de la gestion immobilière.

La motivation retenue était néanmoins intéressante, puisque la Cour affirmait que des placements de fonds, provenant principalement des locataires et des co-propriétaires des immeubles, effectués par une entreprise de gestion desdits immeubles, ne peuvent pas être considérés comme accessoires car ils sont intimement liés, d'un point de vue fonctionnel, au métier de la gestion immobilière. Pour la Cour, les produits de placement qu'ils génèrent pour le syndic (des intérêts notamment) constituent le prolongement direct, permanent et nécessaire de l'activité taxable de l'entreprise.

La seconde étape notable est, de nouveau, d'origine jurisprudentielle. Revirant, apparemment, sa jurisprudence antérieure, la CJUE a retenu, en 2004 (arrêt "EDM" (4)), cette fois que des opérations financières entrant dans le champ d'application de la TVA mais qui en sont exonérées doivent être considérées comme des opérations accessoires, dans la mesure où ces opérations n'impliquent qu'une utilisation très limitée de biens ou services pour lesquels la TVA est due. Le changement d'approche et de raisonnement est sensible, puisque l'appréciation du caractère accessoire d'une opération et des produits financiers correspondants dépend non plus du lien fonctionnel avec l'activité principale du redevable, mais de l'importance relative de biens ou services grevés de TVA qui ont en permis la genèse.

A la suite de cet arrêt, la situation juridique semblait "stabilisée", et la précédente jurisprudence "Régie Dauphinoise" pouvait, semblait-il, être considérée comme un arrêt d'espèce, valable au regard des seuls professionnels de la gestion immobilière.

Dans ce contexte, il a été considéré que les dispositions du CGI -son Annexe II, en fait- traitant de la définition des produits financiers accessoires n'étaient plus compatibles avec la nouvelle orientation jurisprudentielle donnée par la CJUE. Jusqu'alors, en effet, et depuis la transposition en droit français de l'article 19, point 2 de la Directive 77/388/CEE du 17 mai 1977 (N° Lexbase : L9279AU9) par l'ancien article 212 de l'Annexe II au CGI (N° Lexbase : L2999HNE), il devait être fait abstraction, pour le calcul du ratio du droit à récupération de la TVA d'amont, du "produit des opérations immobilières et financières exonérées de la TVA et présentant un caractère accessoire par rapport à l'activité principale de l'entreprise, à la condition que ce produit représente au total 5 % au plus du montant du chiffre d'affaires total, toutes taxes comprises, du redevable". Deux conditions cumulatives ressortaient de ces dispositions :

  • il fallait que les opérations présentent un caractère accessoire par nature, c'est-à-dire qu'elles ne soient pas inhérentes à l'activité du contribuable (critère "qualitatif"),
  • et, en outre, il fallait que le produit de ces opérations financières n'excède pas 5 % du chiffre d'affaires total (critère "quantitatif").

En réaction donc, et par décret du 26 décembre 2005, codifié successivement à l'article 212, puis 206 de l'Annexe II au CGI (5), les critères d'appréciation du critère accessoire des produits financiers ont été amendés pour désormais prendre en compte les seuls critères de "lien avec l'activité principale" cumulés à l''"utilisation limitée de biens et services grevés de TVA" (cette utilisation limitée est chiffrée à 10 % (6)).

Dans ses commentaires de ces nouvelles dispositions du CGI sur les droits à déduction de la TVA (7), et en vue de laisser le "champ libre" à ces nouveaux concepts, l'administration avait pris le soin de cantonner le critère, hérité du passé, du "prolongement direct, permanent et nécessaire de l'activité taxable de l'entreprise" aux activités des syndics immobiliers.

C'était sans compter avec une nouvelle évolution de la jurisprudence de la CJUE en 2009 qui, amenée à se prononcer sur la notion d'opérations immobilières accessoires (mais, cette fois, dans le cas d'une activité construction-vente d'immeubles n'impliquant pas le maniement de fonds ou la constitution de dépôts comparables à celui d'un syndic ou d'un professionnel de la gestion immobilière), a réutilisé le critère du prolongement direct, permanent et nécessaire en le combinant à celui de l'importance relative des biens et services grevés de TVA. Elle retient, sur cette base, qu'une activité économique ne saurait être qualifiée d'accessoire si elle constitue le prolongement direct, permanent et nécessaire de l'activité taxable de l'entreprise ou si elle implique une utilisation significative de biens et services pour lesquels la TVA est due (8).

Lui emboîtant le pas dans une affaire intéressant de nouveau une société dont l'objet est la location, la gérance et l'exploitation de biens et droits immobiliers pour son propre compte et pour le compte de tiers, le Conseil d'Etat, dans un arrêt "SNC Ariane", a combiné à son tour les deux critères dans un considérant se réclamant explicitement des derniers arrêts de la CJUE et rédigé comme suit :

"Considérant qu'il résulte des décisions rendues par la Cour de justice des Communautés européennes dans les affaires C-306/94 Régie dauphinoise' le 11 juillet 1996, C-77/01 EDM' le 29 avril 2004, C-98/07 Nordania Finans et BG Factoring' le 6 mars 2008 et C-174/08 NCC Construction Danmark A/S' le 29 octobre 2009 qu'une activité économique ne saurait être qualifiée d'accessoire au sens des dispositions de l'article 19, paragraphe 2 de la 6ème Directive, si elle constitue le prolongement direct, permanent et nécessaire de l'activité taxable de l'entreprise ou si elle implique une utilisation significative de biens et de services pour lesquels la TVA est due" (9).

Cet arrêt marquait donc une application possible du critère du "prolongement du lien direct, permanent et nécessaire de l'activité taxable" à ce professionnel de la gestion immobilière mais, désormais, avec une alternative possible pour le critère quantitatif afférent à l'importance relative des biens et services grevés de TVA mis en oeuvre pour réaliser cette activité accessoire.

C'est ce dernier élément en date qui a amené l'administration fiscale à modifier derechef sa position et ses commentaires.

III - Portée de cette réforme doctrinale

L'administration fiscale rapporte en effet sa doctrine, qui limitait l'application de la notion de "prolongement direct, permanent et nécessaire de l'activité taxable" à la seule profession de syndics immobiliers ou professionnels de la gestion immobilière.

Cette doctrine est rapportée à compter du 15 février 2013.

L'abandon de cette doctrine marque le "décantonnement" du concept du prolongement direct, permanent et nécessaire de l'activité principale taxable, réservé jusqu'alors aux professionnels de la gestion immobilière.

Pour ces derniers, en pratique, l'administration pourra se fonder sur sa nouvelle doctrine pour dénier plus facilement le caractère accessoire d'une opération et des produits financiers correspondants, en se fondant sur le critère du prolongement de l'activité principale ou, désormais, également sur l'importance des biens et services grevés de TVA mis en oeuvre pour réaliser cette activité accessoire. Les redevables auront beau jeu, en réaction, d'examiner dans quelle mesure leur assujettissement éventuel à la taxe sur les salaires s'en trouve allégé.

Le paragraphe-clef de la doctrine applicable en matière de droit à déduction de la TVA est, en effet, rédigé comme suit :

"210 Les opérations financières exonérées (il en est de même pour les produits des opérations immobilières) réalisées par une entreprise ne peuvent être qualifiées d'accessoires à l'activité principale de l'entreprise que si :
- d'une part, elles se distinguent de l'activité principale de l'entreprise et si, d'autre part, elles présentent un lien avec cette activité principale. Il en va ainsi, par exemple, des holdings mixtes qui, outre une activité industrielle, commerciale ou de services taxable, réalisent des opérations liées à la gestion financière du groupe ;
- et n'impliquent qu'une utilisation limitée au maximum à un dixième des biens et des services grevés de TVA acquis par le redevable
" (10).

En dehors du secteur de la gestion immobilière, les impacts pratiques d'une application plus vaste du concept du "prolongement de l'activité" reste encore à préciser et l'administration fiscale pourrait être à l'initiative de ce point de vue.

Notons néanmoins que le cas des holdings mixtes, notamment celles mettant en oeuvre une activité économique consistant à gérer la trésorerie de son groupe en parallèle de leur activité patrimoniale de détention de participations dans ses filiales, fait l'objet des précisions suscitées de la part de l'administration qui, pour l'heure, ne considère pas que l'activité de gestion de trésorerie constitue nécessairement le prolongement direct, permanent et nécessaire de l'activité de holding pure ; les produits financiers générés par la gestion de trésorerie du groupe peuvent, dans ces conditions, bénéficier de la qualification de produits accessoires et être exclus du dénominateur du secteur correspondant au sein de la holding.

Précisons également que cette réforme de la doctrine administrative est accompagnée d'une autre portant sur les conditions posées en matière de constitution de secteurs distincts en cas d'activités financières et qui vise à une certaine cohérence avec le rôle accru que le critère du prolongement direct, permanent et nécessaire est appelé à jouer. A cette fin, l'administration admet désormais que, lorsque la perception de produits financiers présente un caractère accessoire par rapport à l'activité principale de l'entreprise, mais qu'elle implique une utilisation supérieure à 10 % des biens et services grevés de TVA acquis par l'entreprise, le redevable peut constituer un secteur distinct d'activité regroupant l'ensemble des opérations financières en cause. Ceci constitue une véritable tolérance.

Dans la même veine, la doctrine administrative indique aussi que, lorsque des opérations financières réalisées par une société sont indissociables de son activité taxable, elles ne peuvent donner lieu à la constitution d'un secteur distinct d'activité (BOI-TVA-DED-20-10-20, n° 240 ; BOI-TVA-DED-20-20, n° 20 N° Lexbase : X6593ALR).


(1) CJCE, 11 juillet 1996, aff. C-306/94 (N° Lexbase : A7255AH8).
(2) Un bref exemple chiffré permet de s'en convaincre. Considérons le cas d'un redevable qui constate 20 000 euros de chiffre d'affaires, correspondant aux opérations imposables -dont 10 000 euros correspondant à des opérations n'ouvrant pas droit à récupération de la TVA- et qui constate également 3 000 euros de chiffre d'affaires correspondant à la définition fiscale de produits financiers accessoires. En présumant que ces produits financiers accessoires sont exonérés de TVA, le coefficient de taxation est de 0,41 [=(10-3) / (20-3)], en procédant au retraitement requis par l'article 206-III-3° de l'Annexe II au CGI ; il ne serait que de 0,35 [=(10-3) / 20] dans le cas inverse.
(3) L'article 174 de la Directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006, relative au système commun de TVA (N° Lexbase : L7664HTZ), est effectivement assez elliptique sur le sujet en disposant comme suit :
"[...]
2. Par dérogation au paragraphe 1, il est fait abstraction, pour le calcul du prorata de déduction, des montants suivants :[...]
b) le montant du chiffre d'affaires afférent aux opérations accessoires immobilières et financières ;
[...]".
(4) CJCE, 29 avril 2004, aff. C-77/01 (N° Lexbase : A9953DBA).
(5) Décret n° 2005-1648 du 26 décembre 2005, modifiant l'article 212 de l'Annexe II au CGI (N° Lexbase : L1921HEU).
(6) Cf. la citation de l'article 206 de l'Annexe II au CGI, ci-dessus.
(7) Instruction 3 A-1-06 du 10 janvier 2006 (N° Lexbase : X5217ADL), puis BOI-TVA-DED-20-10-20, n° 210 (N° Lexbase : X7625ALY).
(8) CJUE, 29 octobre 2009, aff. C-174/08 (N° Lexbase : A5607EMM).
(9) CE 9° et 10° s-s-r., 21 octobre 2011, n° 315469, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A8317HYP).
(10) BOI-TVA-DED-20-10-20, n° 210, précité.

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