Lexbase Fiscal n°887 du 9 décembre 2021

Lexbase Fiscal - Édition n°887

Droit pénal fiscal

[Brèves] Pas d’atteinte au principe ne bis in idem en cas de dissociabilité des faits

Réf. : Cass. crim., 1er décembre 2021, n° 20-83.969, F-D (N° Lexbase : A23237ER)

Lecture: 2 min

N9691BYL

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par Marie-Claire Sgarra

Le 22 Décembre 2021

Les déclarations de culpabilité des chefs de fraude fiscale et de blanchiment en l’espèce sont fondées sur des faits dissociables, la première infraction étant constituée par l'absence de référence dans les déclarations faites par le prévenu à l'administration fiscale des avoirs placés sur les comptes détenus auprès de la banque suisse, ouverts au nom de sociétés-écrans, ainsi que des revenus tirés de ces avoirs, tandis que la seconde est caractérisée par des opérations successives de dissimulation du produit de cette fraude, réalisées au travers de l'ouverture et du fonctionnement de ces comptes.

Les faits :

  • après avis de la commission des infractions fiscales, le directeur régional des finances publiques d’Île-de-France a porté plainte à l’encontre des prévenus, mariés, pour des faits de fraude fiscale, commis en souscrivant des déclarations minorées, en matière d’IR, d’ISF et de contribution exceptionnelle sur la fortune ;
  • les prévenus ont été renvoyés devant le tribunal correctionnel du chef de fraude fiscale, l’époux a été également poursuivi du chef de blanchiment de fraude fiscale et blanchiment de fraude fiscale aggravée ;
  • les premiers juges ont reconnu les prévenus coupables des faits ; les prévenus, le procureur de la République et la DGFiP ainsi que l’État français ont formé appel de cette décision.

⚖️ Réponse de la Chambre criminelle :

  • pour déclarer le prévenu coupable de fraude fiscale, l'arrêt attaqué, après avoir exposé les éléments permettant de lui imputer la possession de plusieurs comptes ouverts dans les livres de la banque en Suisse sous couvert de sociétés-écrans, relève que son épouse et lui-même n'ont pas déclaré les revenus tirés des fonds dissimulés en Suisse, comme ils n'ont pas déclaré au titre de l'impôt sur la fortune le montant desdits fonds. Il énonce qu'ils ont donc intentionnellement souscrit des déclarations d'impôt minorées, éléments matériel et moral constitutifs du délit de fraude fiscale ;
  • pour déclarer le prévenu également coupable de blanchiment de fraude fiscale, les juges retiennent qu'il a ouvert et géré des comptes bancaires en Suisse en interposant des sociétés off shore situées au Panama et aux Îles Vierges Britanniques pour recevoir des fonds, ce qui constitue un acte de dissimulation, le recours aux dites sociétés permettant d'occulter le nom du réel bénéficiaire.

En statuant ainsi, la cour d'appel n'a pas méconnu le principe ne bis in idem. La Chambre criminelle rappelle la solution précitée et juge l’arrêt régulier.

 

newsid:479691

Fiscalité des entreprises

[Brèves] Prime d’option : nature et conséquences fiscales

Réf. : CE 8° et 3° ch.-r., 29 novembre 2021, n° 450732, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A62357DB)

Lecture: 3 min

N9668BYQ

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par Marie-Claire Sgarra

Le 06 Décembre 2021

Le Conseil d’État est revenu sur le régime fiscal d’une prime d’option dans un arrêt du 29 novembre 2021.

Les faits :

  • à la clôture de son exercice 2010, une société, qui avait pris des positions symétriques sur des contrats d'option et sur des valeurs mobilières, a doté une provision dans ses comptes au titre de la perte qu'elle estimait devoir supporter du fait de l'évolution du cours de ces dernières
  • pour le calcul de ses gains corrélatifs non encore imposés sur les positions prises sur les contrats d'option, la société a distrait de ses marges bénéficiaires latentes le montant des primes correspondantes, majorant d'autant la partie, déductible de ses résultats, de sa perte sur les valeurs mobilières
  • à la suite d'une vérification de comptabilité, l'administration fiscale a remis en cause cette distraction, diminué en conséquence la part déductible de la perte, et rehaussé à concurrence les résultats imposables
  • la société Deutsche Bank AG, qui détient l'intégralité du capital de la société Deutsche Friedland SAS, s'étant constituée seule redevable de l'impôt dû par celle-ci en application de l'article 223 A du CGI, il en est résulté pour elle, au titre de son exercice 2010, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contribution sociale sur l'impôt sur les sociétés, assorties des intérêts correspondants.

⚖️ Précisions du Conseil d’État :

  • la prime acquittée pour l'acquisition d'un contrat d'option a pour objet d'attribuer à l'acheteur le droit exclusif d'exercer l'option qui lui permettra d'obtenir l'avantage économique potentiel lié aux variations de la valeur de l'instrument financier sous-jacent. La prime rémunère, pour le vendeur du contrat d'option, l'abandon irrévocable du même droit.
  • Il suit de là que cette prime a pour contrepartie l'acquisition du droit de bénéficier de cet avantage, qui a la nature d'un actif financier, et ne saurait par suite constituer une charge déductible de l'exercice au cours duquel elle est acquittée.

👉 En l'absence de règles comptables en disposant autrement, cet actif peut, pour la fraction de sa valeur qui se déprécie de manière irréversible avec le temps, donner lieu à amortissement selon un mode linéaire ou actuariel. Il peut, le cas échéant, donner lieu à la constitution de provisions.

👉 Lorsque l'option est exercée, la valeur résiduelle de la prime d'acquisition constitue, dans le cas d'une option d'achat, un élément du prix d'acquisition de l'actif sous-jacent, et vient, dans le cas d'une option de vente, en déduction du prix de cession.

👉 En l'absence d'exercice de l'option à la date de son échéance, une perte peut être constatée à concurrence de cette valeur résiduelle.

La CAA a par suite commis une erreur de droit en jugeant que les primes d'option en litige avaient la nature de charges déductibles de l'exercice au cours duquel elles étaient exposées, au motif qu'elles avaient pour seul objet de rémunérer une prestation consistant en l'engagement pris par le vendeur, que leur montant, versé intégralement au cours de l'exercice où la promesse est accordée, n'était pas susceptible d'être révisé au cours du contrat, que l'option soit ou non exercée, et qu'elles étaient dès lors certaines dans leur principe et leur montant dès cet exercice. L’appel de la société est rejeté.

 

 

 

newsid:479668

Fiscalité des entreprises

[Brèves] Quote-part pour frais et charges : plus-values exonérées ou soumises à un taux réduit ?

Lecture: 4 min

N9670BYS

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par Denis Fontaine-Besset et Arnauld Spiner, Avocats, GFD-Avocats

Le 06 Décembre 2021

Pour rappel, les plus-values réalisées par des entreprises passibles de l'impôt sur les sociétés, sur la cession de titres de participation détenus depuis plus de deux ans, sont exonérées, sous réserve de la réintégration d’une quote-part pour frais et charges à hauteur de 12 % de la plus-value constatée [1]. Ces plus-values sont donc imposables à un taux effectif de 3,18 % en 2021. La doctrine administrative considérait que la réintégration de 12 % ne vise qu’à neutraliser des charges liées à un revenu exonéré. Dès lors, selon elle, lorsque la plus-value a été imposée à l’étranger et considérée comme exonérée en France, aucune double imposition ne pouvait être constatée. En conséquence, les impôts acquittés à l’étranger sur ces plus-values ne pouvaient être imputés sur l’impôt français [2].

Dans un arrêt du 15 novembre 2021 [3], le Conseil d’État a jugé au contraire, sur la base des travaux parlementaires, que la réintégration de 12 % doit être considérée non pas comme une neutralisation forfaitaire de la déduction de charges liées à un revenu exonéré, mais comme une imposition à taux réduit des plus-values. Sur cette base, il annule les commentaires administratifs et autorise l’imputation du crédit pour l’impôt étranger acquitté sur une plus-value sur titres de participations. Cette jurisprudence offre des opportunités de réclamer la restitution des impôts payés à tort par les sociétés qui n’ont pas imputé les impôts payés à l’étranger sur la base de cette doctrine.

La confirmation d’une imposition à taux réduit et non d’une exonération de ces plus-values pourrait se révéler à double tranchant. L’article 209 B du Code général des impôts (N° Lexbase : L9776I3H) prévoit qu’une société française qui détient une structure établie hors de France où elle est soumise à un régime fiscal privilégié, caractérisé par une imposition inférieure de 40 % à l’impôt français, est imposable sur sa quote-part dans les revenus de cette structure qui lui sont réputés distribués. L’administration considère que « les plus-values de cession de titres de participation font l’objet d’une exonération sous réserve d’une quote-part de frais et charge » […] et que « dès lors, l’imposition réelle des plus-values de cession de titres participation s’effectuera au taux de [3.18] % » [4]. Il devient donc plus difficile de contester qu’une exonération totale sans réintégration de charges caractérise un régime fiscal privilégié, l’arrêt du 15 novembre confirmant le bien-fondé de cette doctrine que la position prise par l’administration sur les crédits d’impôt semblait contredire.

Par ailleurs, l’argument de l’imposition à taux réduit des plus-values à long terme semble définitivement limiter toute tentative d’extension d’imputation des crédits d’impôts étrangers sur l’impôt applicable à la quote-part de frais et charges de 5 %, réintégrée lors de la perception de dividendes reçus de filiales étrangères bénéficiant du régime mère-fille. Même si les situations semblent très comparables, il apparaît difficile d’avancer que ce régime prévu par la Directive mère-fille repose sur une imposition à taux réduit et non sur une exonération et de combattre la position prise par l’administration.

 

[1] CGI, art. 219, I, a quinquies (N° Lexbase : L7448L8D).

[2] BOI-IS-BASE-20-20-10-20, 3 février 2016, n° 180 et 190 (N° Lexbase : X4905ALA).

[3] CE 3° et 8° ch.-r., 15 novembre 2021, n° 454105, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A82587BH).

[4] BOI-IS-BASE-60-10-20-20 n° 120, 27 juin 2014 ({"IOhtml_internalLink": {"_href": {"nodeid": 7095433, "corpus": "encyclopedia"}, "_target": "_blank", "_class": "color-encyclopedia", "_title": "IS - Base d'imposition - Dispositifs particuliers - B\u00e9n\u00e9fices r\u00e9alis\u00e9s par l'interm\u00e9diaire d'entreprises ou d'entit\u00e9s \u00e9tablies dans les pays \u00e0 r\u00e9gime fiscal privil\u00e9gi\u00e9 - Champ d'application - Conditions relatives \u00e0 la structure \u00e9trang\u00e8re", "_name": null, "_innerText": "N\u00b0\u00a0Lexbase\u00a0: X7673ALR"}}).

newsid:479670

Fiscalité des entreprises

[Brèves] Managements packages : nouveau cataclysme fiscal à l’horizon !

Lecture: 2 min

N9688BYH

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par Marie-Claire Sgarra

Le 07 Décembre 2021

Par trois décisions rendues le 13 juillet 2021, le Conseil d’État a précisé les conditions d’imposition de gains résultant de l’attribution de bons de souscriptions d’actions ou d’options d’achat d’actions lorsque ces gains résultent de l’exercice de fonctions de dirigeant ou de salarié.

Lire en ce sens, O. Sube, Précisions sur le traitement fiscal des gains issus des « Management Packages », Lexbase Fiscal, septembre 2021, n° 878 (N° Lexbase : N8830BYP).

💡 Que retenir de ces récentes décisions du Conseil d’État ?

🔎 Principes posés par le CE :

  • analyser, au cas par cas, si l’avantage consenti au manager, « trouve essentiellement sa source dans l’exercice, par l’intéressé, de ses fonctions de dirigeant ou salarié » ;
  • distinction opérée entre l’avantage constaté lors de la souscription des titres, d’une part, lors de l’exercice éventuel des options ou des bons octroyés, d’autre part, et, enfin, le gain réalisé lors de la cession des titres ou des bons.

Ces décisions ont redistribué les cartes et suscité de vives réactions. Plusieurs questions restent en suspens…

📌 Une nouvelle source d’insécurité juridique pour le contribuable ? Ces décisions marquent assurément un durcissement de la jurisprudence avec un risque plus élevé de requalification en salaire des gains résultant des managements packages existants structurés sous la forme de BSA ou d’options. Le rattachement de l’avantage à la qualité de dirigeant ou salarié sera en pratique, souvent facile à démontrer pour l’administration fiscale ou le juge.

📌 Une multiplication des redressements fiscaux en vue ? Cette décision du CE s’applique à tous les managements packages en cours. Son effet est rétroactif. La solution serait d’attendre la prescription fiscale de trois ans.

📌 Quid de l’avantage imposable au titre de l’année d’acquisition ou de souscription et du droit de reprise de l’administration ?

📌 La rédaction des futurs contrats de travail réformée ? Par l’insertion de clauses spécifiques, indiquant explicitement que le gain d’acquisition n’a aucun lien avec le contrat de travail mais bien dans l’investissement réalisé par le manager.

📌 Un recours plus généralisé aux outils légaux d’intéressement des salariés au capital, notamment aux plans d’attribution gratuite d’actions (les actions gratuites, les BSPCE, les options de souscription ou d’achat d’actions) ? Mais prudence une nouvelle fois dans la rédaction des documents encadrant la détention des actions après leur acquisition.

📌 L’impact pour les entreprises ? L'employeur n'est pas épargné puisqu'une requalification des plus-values en salaires fait peser un risque d'application des charges sociales sur le gain réalisé.

Comme un grand nombre de problématiques fiscales, une intervention du législateur serait la bienvenue… Sans ça, quelles conséquences (désastreuses) ces décisions (inquiétantes) auront-elles sur le private equity et la reprise économique ?

 

 

 

 

newsid:479688

Fiscalité immobilière

[Focus] Requalification d’une opération immobilière en opération de marchand de biens : retour sur deux décisions récentes relatives à l’intention spéculative des vendeurs

Lecture: 8 min

N9741BYG

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par Virginie Pradel, Fiscaliste

Le 08 Décembre 2021


Mots-clés : marchand de biens • intention spéculative • ventes immobilières

Deux décisions récentes de juridictions administratives d’appel apportent des précisions sur l’appréciation de l’intention spéculative des vendeurs pouvant conduire à la requalification d’une opération immobilière en opération de marchand de biens imposable dans la catégorie des BIC.


 

📌 Rappels liminaires

Selon l’article 35-I-1° du CGI (N° Lexbase : L3342LCR), présentent le caractère de BIC, les bénéfices réalisés par les personnes physiques qui, habituellement, achètent en leur nom, en vue de les revendre, des immeubles, des fonds de commerce, des actions ou parts de sociétés immobilières ou qui, habituellement, souscrivent, en vue de les revendre, des actions ou parts créées ou émises par les mêmes sociétés.

Pour que ces dispositions soient applicables, trois conditions doivent être simultanément remplies :

  • les opérations doivent consister en des achats (ou souscriptions) suivis de ventes ;
  • les opérations doivent porter sur les biens limitativement énumérés par l’article précité du CGI ;
  • les opérations doivent être habituelles et les achats ou les souscriptions doivent avoir été effectués avec l’intention de revendre, soit avec une intention spéculative.

📌 S’agissant de la notion d’habitude

La notion d’habitude peut tout d’abord résulter de la pluralité des ventes réalisées dans le cadre d'une même opération.

Elle peut également résulter de l'activité passée ou présente du cédant [1].

Dans le cas où le cédant est un professionnel du commerce des biens ou de la promotion immobilière (marchand de biens, promoteur-constructeur, société de construction-vente), il va sans dire que la notion d'habitude est sous-jacente à la profession exercée ou à l'objet social défini dans les statuts.

Dans le cas où un cédant est un particulier, un examen plus approfondi des « antécédents » du redevable peut s'avérer nécessaire. Les opérations qu'il a pu réaliser dans le passé — y compris au cours d'années couvertes par la prescription — doivent être recensées de façon à établir le nombre, l'importance et la fréquence de ces opérations.

Il n'est pas nécessaire que l'activité de marchands de biens soit exercée à titre professionnel ni même à titre principal.

📌 S’agissant de l’intention spéculative

Afin d’apprécier l’intention spéculative entraînant une imposition dans la catégorie des BIC, l’administration fiscale doit nécessairement se placer à date de l’acquisition du terrain même si des éléments postérieurs peuvent être pris en compte pour apprécier l’intention du contribuable au moment de l’acquisition.

Les raisons ayant pu déterminer les aliénations (aliénations volontaires ou forcées, expropriations, difficultés de trésorerie, vente à perte, modification des statuts) n’ont pas d’incidence.

L'intention de revendre s'apprécie d'après les circonstances spéciales à chaque affaire. Les éléments pouvant être pris en compte par l’administration fiscale et les juges sont notamment les suivants :

  • le court délai séparant les acquisitions ou les souscriptions des reventes ;
  • le montant des bénéfices réalisés ;
  • l’existence d’opérations nombreuses et fréquentes ;
  • la situation géographique des immeubles ou des fonds de commerce dans les quartiers recherchés par les acquéreurs ;
  • la profession du vendeur ;
  • la réalisation d’un lotissement immédiatement après l'acquisition.

La jurisprudence du Conseil d'État (CE 3° et 8° ssr, 2 juin 2006, n° 266507, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A7250DP9) ayant rappelé à plusieurs reprises que l'intention spéculative s'apprécie au moment de l'achat ou de la souscription et non au moment de la revente, la présomption d'intention spéculative tirée du caractère habituel des opérations réalisées a été supprimée du Bofip en 2017. Il en est également ainsi de la présomption d'intention spéculative qui était établie pour les biens cédés moins de quinze ans après leur construction.

⚖️️ CAA Douai, 18 novembre 2021, n° 19DA01864 (N° Lexbase : A42447EW) : le caractère non constructible d’un terrain lors de son acquisition n’exclut pas l’intention spéculative des vendeurs

En l’espèce, un couple avait fait l’objet d’une vérification de comptabilité à l’issue de laquelle l’administration avait constaté qu’ils avaient acquis, le 29 octobre 2005, une parcelle d’une superficie de 26 130 m² et qu’à la suite d’une division parcellaire, ils avaient procédé à la cession de neuf terrains à bâtir (d’une surface totale de 14 791 m²), pour la somme totale de 390 130 euros entre le 31 août 2006 et le 9 mars 2011.

L’administration a estimé qu’ils avaient exercé une activité de marchand de biens. Par suite, elle a remis en cause l’imposition des bénéfices résultant de ces cessions dans la catégorie des plus-values des particuliers et évalué d’office les BIC résultant desdites cessions. Ils ont ainsi été assujettis à des cotisations supplémentaires d’impôts sur le revenu.

Le couple a demandé au TA de Lille de leur accorder la décharge de ces dernières. Ce dernier n’a fait que partiellement droit à leur demande. Aussi le couple a-t-il fait appel du jugement.

La CAA de Douai a validé l’imposition du couple dans la catégorie des BIC considérant que la circonstance que le terrain n’était pas constructible au moment de son acquisition n’était pas de nature à démentir l’intention spéculative dès lors que :

  • le couple a fait procéder, dès le 12 mai 2006, par un géomètre expert, à la division de la parcelle en lots et ont déposé, dès le 11 juillet suivant, une demande d’autorisation de lotir ;
  • la vente du premier terrain à bâtir est intervenue moins de onze mois après l’acquisition de la parcelle et les huit autres cessions ont ensuite été réalisées sur une période de moins de cinq ans ;
  • l’époux exerce à titre professionnel une activité immobilière.

⚖️ CAA Marseille, 1er juillet 2021, n° 20MA00416 (N° Lexbase : A22274Y7) : l'intention spéculative du vendeur peut être établie alors que la revente intervient plus de trente ans après l'acquisition

En l’espèce, une SCI avait fait l’objet d’une vérification de comptabilité, au titre de la période allant du 1er janvier 2012 au 1er juillet 2015, en matière de BIC et de TVA.

À la suite de ce contrôle, l’administration fiscale a estimé que la revente, le 31 mars 2015, de deux terrains à bâtir, acquis le 13 juillet 1978 et le 12 juin 1981, constituait une opération commerciale assujettie à la TVA.

Concomitamment, les revenus déclarés des associés de la SCI ont fait l’objet d’un contrôle à l’issue duquel l’administration fiscale a remis en cause l’absence de déclaration de la quote-part des BIC de la SCI, tels qu’ils ressortaient de la déclaration déposée par cette société au titre de l’exercice clos le 1er juillet 2015, et assujetti en conséquence chacun des associés, à une cotisation supplémentaire d’impôt sur le revenu.

Le TA de Nîmes a rejeté la demande de l’un des associés tendant à la décharge, en droits et pénalités, de la cotisation supplémentaire d’impôt sur le revenu au titre de l’année 2015. Cet associé a relevé appel du jugement du 20 décembre 2019.

La CAA de Marseille a donné raison à l’associé demandeur, considérant que l’une des deux conditions requises, en l’occurrence la notion d’habitude, faisait défaut.

 Concernant l’intention spéculative

La CAA a rappelé que la SCI avait procédé à l’acquisition de deux terrains à bâtir le 13 juillet 1978 et le 12 juin 1981 en prenant l’engagement de les viabiliser et d’y construire des villas dans un délai de quatre ans.

Elle a constaté que les décisions de gestion de la société consistant à inscrire comptablement les terrains en stocks, à porter la TVA déductible sur les actes d’acquisition, à vendre le 3 août 2004 la parcelle cadastrée section CD n° 444 pour un montant de 140 000 euros inscrit dans les produits du compte de résultat au titre de l’exercice clos au 31 décembre 2004, à louer une autre partie du terrain puis à solliciter un permis d’aménagement obtenu le 26 janvier 2012, confirmaient que la société avait entendu valoriser les terrains avant de les revendre.

Pour la cour l’intention spéculative des associés est établie à la date d’acquisition des immeubles ultérieurement revendus et n’est pas remise en cause par les circonstances que la revente des parcelles est intervenue après plus de trente ans de détention dans le cadre d’une vente à un acheteur unique et que cette vente procéderait d’un désaccord entre associés pour réaliser le programme de constructions de villas initialement envisagées.


[1] BOI-BIC-CHAMP-20-10-10 § 30 (N° Lexbase : X4051ALM).

newsid:479741

Fiscalité internationale

[Conclusions] Analyse fonctionnelle réalisée pour apprécier la validité d’un redressement en matière de prix de transfert au sein d’un groupe

Réf. : CE 3° et 8° ch.-r., 4 octobre 2021, n° 443130, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A210548H) ; CE 3° et 8° ch.-r., 4 octobre 2021, n° 443133, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A210648I)

Lecture: 21 min

N9673BYW

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par Karin Ciavaldini, Rapporteure publique au Conseil d’État

Le 08 Décembre 2021


Le Conseil d’État est revenu, en matière de prix de transfert sur le cas d’une différence constatée par l’administration entre les prix pratiqués, qui peuvent ne pas constituer, pour l’entreprise française un avantage dépourvu de contrepartie si cet écart est justifié par les risques que l’entreprise a vocation à assumer et qui affectent sa rentabilité.

Lexbase Fiscal vous propose les conclusions de la Rapporteure publique, Karin Ciavaldini.


 

Ces dossiers vous permettront de décider si vous souhaitez intégrer à la « boîte à outils » du juge de l’impôt les concepts d’entrepreneur principal et d’entité routinière, dans le cadre de l’analyse fonctionnelle qui doit être réalisée pour apprécier la validité d’un redressement en matière de prix de transfert au sein d’un groupe.

1. Le groupe SKF (Svenska KullagerFabriken) est un groupe multinational suédois dont l’origine remonte au début du siècle dernier. Il est le premier fournisseur mondial de produits et de solutions sur les marchés des roulements, des solutions d’étanchéité, de la mécatronique, des systèmes de lubrification et des services. Présent aujourd’hui dans plus de 130 pays, il couvre tous les secteurs industriels, emploie 46 000 collaborateurs et dispose d’environ 115 sites de production dans 29 pays, principalement en Europe et en Amérique du Nord. En France, il exerce ses activités à travers sept sociétés, dont la société RKS [1], acquise en 1965, dont le site de production se trouve à Avallon [2]. La société RKS est la filiale à 100 % de la société SKF Holding France, elle-même détenue indirectement à 100 % par la société suédoise à la tête du groupe.

Du point de vue financier et du contrôle de gestion, le groupe comporte trois composantes :

  • la société mère suédoise, qui détermine et met en œuvre les grandes orientations stratégiques du groupe ;
  • les unités opérationnelles en charge de la fabrication des produits ;
  • les unités opérationnelles en charge de la distribution des produits aux clients tiers.

 

Cette division entre unités opérationnelles de fabrication et unités opérationnelles de distribution est indépendante de la structure juridique des sociétés, une même filiale pouvant, par exemple, exercer la fonction d’unité opérationnelle de fabrication et celle d’unité opérationnelle de distribution.

La société RKS produit des roulements de grande et de très grande taille (« couronnes d’orientation ») à destination du génie civil et militaire, destinés à équiper des tunneliers, des tourelles de chars de combat, des engins de BTP, des éoliennes … Ses productions sont presque exclusivement distribuées à l’étranger par les sociétés du groupe exerçant la fonction d’unité opérationnelle de distribution, qui sont donc ses clients intermédiaires (sur la période couvrant les exercices vérifiés, ceux clos en 2009 et 2010, la société n’avait qu’un seul client externe au groupe, implanté en Corée du Sud).

À la suite de la vérification de comptabilité dont la société RKS a fait l’objet, le vérificateur a, notamment, remis en cause la politique de prix de transfert pratiquée au sein du groupe SKF. Ayant constaté que la société RKS vendait ses productions à perte aux unités opérationnelles de distribution situées à l’étranger, il a estimé que ces ventes s’analysaient comme des transferts indirects de bénéfices au sens de l’article 57 du Code général des impôts (N° Lexbase : L9738I33) (CGI). Les sommes correspondantes ont été regardées comme des revenus distribués aux sociétés étrangères et assujetties à ce titre à la retenue à la source prévue au 2 de l’article 119 bis du CGI (N° Lexbase : L6035LMH). En sa qualité de société mère du groupe fiscal intégré dont fait partie la société RKS, la société SKF Holding France a été assujettie à des cotisations supplémentaires d’impôt sur les sociétés.

Le tribunal administratif de Montreuil a prononcé la décharge de ces redressements, mais, par deux arrêts du 22 juin 2020, la cour administrative d’appel de Versailles a remis les impositions en litige à la charge des deux sociétés. Celles-ci se pourvoient en cassation dans des pourvois qui soulèvent les mêmes questions.

2. Comme vous le savez, l’article 57 du CGI prévoit la réintégration des bénéfices indirectement transférés à des entreprises situées hors de France par des entreprises exploitées en France qui sont sous leur dépendance ou en possèdent le contrôle, « soit par voie de majoration ou de diminution des prix d’achat ou de vente, soit par tout autre moyen ». Vous déduisez de ces dispositions que, lorsqu’elle constate que les prix facturés à une entreprise établie en France par une entreprise étrangère qui lui est liée sont supérieurs à ceux pratiqués, soit par cette entreprise avec d’autres clients dépourvus de liens de dépendance avec elle, soit par des entreprises similaires exploitées normalement avec des clients dépourvus de liens de dépendance, sans que cet écart ne s’explique par la situation différente de ces clients, l’administration doit être regardée comme établissant l’existence d’un avantage qu’elle est en droit de réintégrer dans les résultats de l’entreprise établie en France, sauf pour celle-ci à justifier que cet avantage a eu pour elle des contreparties au moins équivalentes (c’est le seul moyen pour l’entreprise de combattre la présomption simple en faveur de l’administration que l’article institue) [3].

L’écart de prix peut être mis en lumière par différentes méthodes, ainsi que l’indiquent les « Principes applicables en matière de prix de transfert à l’intention des entreprises multinationales et des administrations fiscales », publiés et actualisés par l’OCDE depuis 1995 [4]. La méthode utilisée ici par l’administration fiscale n’étant pas contestée en tant que telle, nous nous bornerons à indiquer qu’il existe deux grandes catégories de méthodes : celles dites traditionnelles, qui cherchent à comparer directement des prix, et celles dites « méthodes transactionnelles de bénéfices », qui consistent à déduire un écart de prix de la comparaison de ratios financiers. Parmi ces dernières méthodes, on trouve la méthode transactionnelle de la marge nette, consistant à déterminer un bénéfice net, qui est celle qui a été utilisée en l’espèce. La méthode choisie dans le contexte de chaque redressement peut bien sûr être critiquée par le contribuable (pour un exemple, voir CE 3° et 8° ch.-r., 6 juin 2018, n° 409645, SCS General Electric Medical Systems, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A7919XQD[5].

Dans le cas du groupe SKF, comme l’a résumé la cour, l’administration fiscale a constaté que la société RKS présentait un taux de marge nette négatif depuis 2005, sauf en 2008, où il a été légèrement positif. Ce taux, qui était de -10,46 % en 2009 et de -21,87 % en 2010, était devenu légèrement négatif en 2005 (-0,62 %) après une décrue progressive (10,29 % en 2002, 7,51 % en 2003, 3,51 % en 2004). Se livrant à une analyse fonctionnelle du groupe, qui consiste, en substance, à s’intéresser aux fonctions exercées et aux risques encourus par les entités considérées, l’administration a estimé que la société RKS « n’était pas l’entrepreneur principal du groupe » devant à ce titre supporter les bénéfices ou les pertes résiduels après avoir correctement rétribué les distributeurs mais qu’elle jouait le rôle d’une entité de production « routinière » (nous reviendrons sur ces notions). En appliquant la méthode transactionnelle de la marge nette, elle a alors recherché, selon les indications du mémoire en défense du ministre, quel devait être le taux de marge nette normalement réalisé par une entreprise exerçant une activité de production routinière dans des domaines d’activité voisins de celui de la société RKS, en situation de pleine concurrence. Après avoir retenu un échantillon de huit sociétés françaises, l’administration a substitué aux taux de marge nette négatifs de la société RKS des taux de 2,33 % pour 2009 et 2,63 % pour 2010 et en a déduit le bénéfice qu’elle aurait dû normalement réaliser.

2.1. La société critique d’abord, sur un plan théorique, la démarche adoptée par l’administration et reprise par les arrêts attaqués, en articulant un moyen d’erreur de droit dans la dévolution de la charge de la preuve. Elle reproche à l’administration de n’avoir pas employé la méthode comparative afin, comme il se doit, d’établir la présomption de transfert de bénéfices mais seulement, dans un second temps, pour estimer les montants effectivement transférés. La cour aurait ainsi accepté de fonder la présomption en faveur de l’administration sur la seule observation des taux de marge nette négatifs de la société et se serait méprise sur la portée des écritures de la société en relevant, en particulier, qu’elle ne critiquait pas les termes de comparaison retenus par l’administration.

Nous ne partageons pas cette lecture de l’arrêt. Un taux de marge nette durablement négatif constitue un indice qui doit inciter le vérificateur à investiguer ; il n’est bien sûr pas suffisant et ne démontre rien en lui-même et pris isolément. Mais la cour a ensuite retracé les étapes suivies par l’administration :

  • celle-ci a d’abord procédé à une analyse fonctionnelle du groupe, étape dont il n’est pas contestable qu’elle est indispensable dans la démarche, nous y reviendrons ;
  • puis, en tenant compte, notamment, de cette analyse fonctionnelle, elle a recherché des entreprises comparables agissant dans un cadre de pleine concurrence et a procédé à une comparaison avec la société RKS, par application de la méthode transactionnelle de la marge nette. C’est de cette comparaison que l’administration a déduit des taux de marge nette anormalement bas pour la société RKS.

 

La cour a ensuite relevé que les termes de comparaison n’étaient pas critiqués puis elle a examiné, sans y faire droit, les arguments avancés par la société pour justifier l’écart de taux de marge nette.

Si l’arrêt peut sembler prêter le flanc à la critique en termes de raisonnement, c’est, nous semble-t-il, parce qu’on peut s’interroger, comme le soulignait Emilie Bokdam-Tognetti dans les conclusions sur la décision « Min. c/ Sté Ferragamo » du 23 novembre 2020 [6], sur le stade auquel faire intervenir l’analyse fonctionnelle de la société, avant ou après la sélection des termes de comparaison. L’administration a, ici, d’abord réalisé l’analyse fonctionnelle et, compte tenu du résultat auquel elle est parvenue, elle a sélectionné des comparables avec le même type de profil que celui qu’elle retenait pour la société RKS et comparé les taux de marge nette. C’est alors en critiquant l’analyse fonctionnelle à laquelle a procédé l’administration, qui l’a guidée dans le choix des comparables, que la société contrôlée peut combattre la présomption. C’est exactement la démarche probatoire qu’ont appliquée les juges du fond. Ils se sont seulement séparés sur la pertinence de l’analyse fonctionnelle du groupe réalisée par l’administration fiscale (le tribunal administratif l’a invalidée alors que la cour l’a validée). S’agissant de l’arrêt, si au point 4, la cour relève que la société ne critique pas les termes de comparaison retenus par l’administration, cela ne signifie nullement qu’elle n’a pas examiné la critique tenant à l’écart de profil (entrepreneur principal / entité routinière) entre la société RKS et ces termes de comparaison ; le point 5 et, surtout, le point 6 de l’arrêt sont consacrés à y répondre.

2.2. Le second groupe de moyens critique, en invoquant plusieurs erreurs de droit, l’inexacte qualification juridique des faits et l’insuffisance de motivation, les motifs par lesquels la cour a jugé que la société RKS ne pouvait être regardée comme l’entrepreneur principal.

Comme le rappellent les Principes de l’OCDE en matière de prix de transfert, l’analyse fonctionnelle est indispensable pour délimiter la transaction contrôlée et déterminer si des transactions ou des entités contrôlées et non contrôlées sont comparables. Elle a pour but d’identifier les activités et responsabilités économiquement significatives, les actifs utilisés ou fournis et les risques supportés par les parties aux transactions. L’analyse fonctionnelle se concentre sur les fonctions exercées par les entités contrôlées et les risques encourus, l’acceptation d’un risque accru étant généralement compensée, sur le marché libre, par une augmentation du rendement escompté.

Pour procéder à cette analyse fonctionnelle, l’administration fiscale retient, dans sa doctrine [7], le concept d’« entrepreneur principal », par opposition à celui d’« entité routinière » : l’entrepreneur principal assume les risques principaux (qu’ils se concrétisent ou non) et prend les décisions stratégiques. C’est en général lui qui possède les immobilisations incorporelles clés (marques, brevets, savoir-faire …) et supporte les dépenses correspondantes. Les Principes de l’OCDE en matière de prix de transfert, s’ils semblent avoir utilisé ce concept dans le passé [8], ne le retiennent plus dans leurs versions les plus récentes. Il ne figure pas non plus, à ce stade, dans votre jurisprudence et est également peu présent dans la jurisprudence des cours administratives d’appel (outre les arrêts ici contestés, on peut mentionner un récent arrêt de la cour de Bordeaux - 29 octobre 2020, n° 18BX03395, Sté Biomar[9]). Nous ne vous invitons pas à vous l’approprier. Votre jurisprudence passée témoigne de ce qu’il est tout à fait possible de s’en passer. En outre, il présente à nos yeux deux faiblesses :

  • d’abord, son maniement peut donner lieu à des méprises sur sa finalité. Si le couple « entrepreneur principal – entité routinière » nous semble devoir être utilisé pour positionner, l’une par rapport à l’autre, les deux entités concernées par les transactions contrôlées (cf. arrêt de la CAA de Bordeaux susmentionné), il arrive aussi qu’une autre entité que l’une de ces deux-là soit qualifiée d’entrepreneur principal. Ainsi, dans la proposition de rectification concernant la société RKS, le vérificateur indiquait que c’était la société suédoise qui devait être regardée comme l’entrepreneur principal du groupe, dès lors qu’elle définissait la stratégie globale du groupe et détenait juridiquement l’ensemble des actifs incorporels. Cette approche ne nous semble pas pertinente, au regard de la question posée, mais elle montre que la notion peut être source d’ambiguïtés. Dans les arrêts ici attaqués, la cour donne, pour sa part, l’impression de s’être arrêtée en chemin dans l’analyse fonctionnelle, en déniant la qualité d’entrepreneur principal à la société RKS mais sans se prononcer sur le positionnement des entités distributrices, au regard des fonctions qui sont les leurs et des risques qu’elles sont, le cas échéant, amenées à assumer.
  • deuxième faiblesse : la recherche d’une entité qui serait entrepreneur principal, l’autre étant alors une entité « routinière », nous paraît entraîner, presque par construction, un risque de simplification excessive des données de l’espèce – on peut d’ailleurs estimer que les arrêts ici en cause en fournissent un exemple. Au contraire, l’analyse fonctionnelle doit rechercher, autant que faire se peut, une approche fine et nuancée des rôles et responsabilités des entités étudiées ; les risques, par exemple, peuvent être de différentes sortes [10] et avoir vocation à être supportés, selon leur nature, par l’une ou l’autre des entités considérées, ou par aucune d’entre elles. La classification manichéenne en « entrepreneur principal » versus « entité routinière » nous paraît, enfin, peu adaptée à l’office du juge de l’impôt, qui, juge de plein contentieux, peut, non seulement valider ou invalider totalement un redressement, mais aussi le valider partiellement, en fixant lui-même le montant de l’impôt dû.

Cela étant dit, vous devrez ici apprécier concrètement si l’usage des concepts d’entrepreneur principal et d’entité routinière a ou non porté atteinte à l’analyse de la cour administrative d’appel.

La cour et le tribunal ont eu une approche nettement différente des rôles respectifs de la société RKS et des unités opérationnelles de distribution à l’étranger. Les deux juridictions ont adopté la même grille d’analyse, en s’intéressant à cinq rubriques qui constituent, effectivement, les principaux éléments à prendre en compte : les fonctions et les risques liés à la création et au développement des produits ; la recherche et développement ; la fixation des prix des produits ; la fonction commerciale ; l’image de marque. Mais elles ont analysé différemment les éléments qui leur étaient soumis ; en schématisant, le tribunal a considéré que la société RKS exerçait un rôle stratégique, participait, selon les modalités définies au sein du groupe, à l’activité de recherche et développement, pilotait la fixation des prix à l’endroit des clients finaux et intervenait à tous les stades de la relation commerciale avec ces clients ; la cour, au contraire, a estimé que la société RKS se voyait imposer les prix de vente de ses produits aux clients finaux par la société-mère suédoise ; elle a retenu, qu’alors même qu’elle effectuait des activités de recherche et développement, elle ne disposait pas en propre, de concessions, brevets ou droits similaires ; elle a estimé que la fonction commerciale était exercée, pour l’essentiel, au niveau des sociétés distributrices, la société RKS apportant tout au plus « un soutien technique sur demande » ; enfin, elle a considéré que la société RKS n’avait, en elle-même, aucune visibilité et que sa capacité à vendre ses produits à l’étranger dépendait essentiellement du rôle des entités distributrices.

Si nous devions donner un sentiment sur la qualification juridique des faits à laquelle ont procédé les juges du fond [11], nous serions plus proche de la position du tribunal que de celle de la cour.

La société RKS a été acquise par le groupe en 1965 et existait alors depuis plus de trente ans ; il est donc probable qu’elle disposait d’une image de marque propre lors de son intégration dans le groupe. Elle fabrique des produits très spécifiques, le plus souvent réalisés sur mesure [12] et dispose d’un portefeuille de clients relativement stable et limité. De ce fait, nous avons du mal à adhérer à l’idée que les entités distributrices joueraient un rôle prépondérant dans la relation aux clients, notamment dans sa composante technique qui revêt nécessairement en l’espèce une importance particulière, ainsi que dans l’exercice de la fonction commerciale. Il n’est pas non plus soutenu que les distributeurs supporteraient un quelconque risque de stock.

En outre, il nous semble que la cour a commis quelques erreurs – ou au moins imprécisions - factuelles ou de raisonnement. Ainsi, sur la question des prix, la société indique, de manière convaincante, que la direction fiscale du groupe SKF communique chaque mois aux unités opérationnelles de fabrication le niveau de prix auquel elles doivent facturer leurs produits aux unités de distribution, en fonction du pays (ce sont là les prix de transfert définis par le groupe, c’est-à-dire la rémunération des unités de distribution). En revanche, les prix de vente aux clients finaux sont déterminés sur la base du coût standard de production, qui est défini par la société RKS. La cour a donc été un peu imprécise et ambiguë en relevant que la société RKS se voyait imposer un barème de prix fixé chaque mois par la société mère suédoise, sans que l’on sache exactement quels prix elle visait par là. En ce qui concerne la manière de raisonner,

- la cour a relevé que les atouts industriels de la société RKS ne révélaient pas à eux seuls un rôle directeur dans le groupe SKF. Cette observation nous paraît sans pertinence : ce que la cour devait rechercher, ce n’est pas si la société jouait un rôle directeur dans le groupe tout entier – elle est vraisemblablement, effectivement, une entité de production parmi d’autres – mais quelles étaient respectivement ses fonctions et celles des distributeurs, et comment les différents risques étaient assumés par elle-même ou par les distributeurs ;

- la cour a également relevé que le résultat consolidé du groupe SKF variait entre 6 % et 14 %. Il nous semble qu’on ne peut tirer aucune conséquence de cette constatation globale, pour répondre à la question posée.

Au total, l’usage de concepts qui nous paraissent présenter plus d’inconvénients que d’avantages, les incertitudes du dossier sur certains points factuels importants et le peu d’éléments précis qui sont fournis sur le rôle des unités de distribution et les risques qu’elles assument effectivement, invitent à ne pas vous positionner dès à présent sur le terrain de la qualification juridique des faits. Nous vous proposons de casser les arrêts sur un autre terrain et de renvoyer les affaires à la cour afin qu’elle soit à même, sur la base d’un dossier qui, on peut l’espérer, se précisera et s’enrichira, de réexaminer les termes du débat.

Vous pourrez d’abord sanctionner, sur le terrain de l’erreur de droit, l’usage que la cour a fait du concept d’entrepreneur principal. Comme l’exposait la société, le modèle du groupe SKF repose sur l’idée que la valeur ajoutée et la prise de risque se trouvent au niveau de la société RKS ; c’est pourquoi les distributeurs ont un taux de marge modeste, mais garanti, correspondant à 3 % des ventes des produits de la société aux tiers. L’utilisation de la notion d’entrepreneur principal, opposée à celle d’entité routinière a empêché la cour d’entrer dans une analyse fine des données du litige, en cherchant à déterminer si les fonctions et les risques assumés par la société RKS justifiaient que ce soit elle, plutôt que les distributeurs, qui appréhende les profits en cas de circonstances économiques favorables et, dans le cas contraire, subisse les pertes.

La cour a également totalement passé sous silence la question de savoir si les taux de marge nette fortement négatifs observés en 2009 et en 2010 étaient un phénomène conjoncturel ou, au contraire, un phénomène plus structurel, lié à la politique de prix de transfert mise en œuvre par la société mère suédoise. En faveur de la première de ces thèses, la société RKS faisait en particulier valoir qu’à compter de 2006, elle avait choisi de réorienter son positionnement vers le marché des éoliennes, en raison de la baisse des commandes en provenance des clients traditionnels ; à la suite de ce choix stratégique, elle indiquait avoir dû faire face à d’importants problèmes de qualité sur les produits destinés aux éoliennes, notamment au cours des années 2009 et 2010, la situation ayant commencé à s’améliorer en 2011. Elle rappelait, de manière générale, qu’en raison de la spécificité des produits qu’elle fabrique, ses résultats étaient très sensibles à la conjoncture, à l’évolution des besoins des clients, à la pertinence de la stratégie et à la qualité des productions. En ne répondant en rien à cette argumentation, qui était loin d’être sans incidence sur les questions posées par le litige, la cour a entaché ses arrêts d’insuffisance de motivation.

Les deux dossiers de cassation étant identiques, vous pourrez mettre à la charge de l’Etat la somme totale de 3 000 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par ces motifs nous concluons :

  • à l’annulation des arrêts attaqués ;
  • au renvoi des affaires à la cour administrative d’appel de Versailles ;
  • à ce que l’État verse à la société, dans chaque dossier, la somme de 1 500 euros au titre des frais d’instance.
 

[1] RKS pour « Roulements Kugler & Sinez » ; aujourd’hui SKF Slewing Bearings.

[2] En 2020, la fermeture de ce site a été annoncée pour fin 2022-début 2023, la production devant être transférée sur le site de Saint-Cyr-sur-Loire où se trouve également, depuis 2015, le centre d’excellence en ingénierie « SKF Solution Factory ».

[3] CE 9° et 10° ssr, 8 juin 2005, n° 255918, SA Vetter, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A6355DI9) ; CE 3° et 8° ssr, du 7 novembre 2005, n° 266436, Min. c/ SA Cap Gemini, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A4994DLK), RJF, 1/06, n° 17, cl. E. Glaser, BDCF, 1/06, n° 5 ; CE 9° et 10° ssr, 9 novembre 2015, n° 370974, Sté Sodirep Textiles SA-NV, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A3593NWY), RJF, 2/16, n° 121, cl. M.-A. Nicolazo de Barmon au C 121 ; CE 9° et 10° ssr, 15 avril 2016, n° 372097, Sté LSVD, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A7095RIM), RJF, 7/16, n° 603, cl. E. Bokdam-Tognetti au C 603 ; CE 3° et 8° ch.-r., 6juin 2018, n° 409645, SCS General Electric Medical Systems, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A7919XQD), RJF, 8-9/18, n° 833, cl. R. Victor au C 833 ; CE 9° et 10° ch.-r., 23 novembre 2020, n° 425577, Min. c/ Sté Ferragamo, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A379637Q), RJF, 2/21, n° 116, cl. E. Bokdam-Tognetti au C 116.

[4] Sur le sujet des prix de transfert, voir aussi : B. Gouthière, « Les impôts dans les affaires internationales », 14e édition, p. 1358 à 1465.

[5] Aux T., RJF 8-9/18, n° 833, cl. R. Victor au C 833.

[6] Cf. note précédente.

[7] BOI-BIC-BASE-80-10-10 publié le 18 février 2014, § 100.

[8] Cf. B. Gouthière, « Les impôts dans les affaires internationales », 14ème édition, § 76785.

[9] Le pourvoi en cassation formé par la société contre cet arrêt n’a pas été admis (décision CE, 3e JS, n° 448139 du 13 juillet 2021).

[10] L’OCDE les classe en risques stratégiques ou risques de marché / risques opérationnels ou d’infrastructure / risques financiers / risques transactionnels / risques de catastrophes naturelles.

[11] NB : vous contrôlez en cassation la qualification juridique que les juges du fond ont donnée aux faits de l’espèce pour estimer que l’administration apportait la preuve d’un transfert indirect de bénéfices (cf. la décision « Min. c/ Sté Ferragamo » déjà mentionnée, aux T. sur ce point).

[12] On lit ainsi dans un article de L’Yonne Républicaine du 28 avril 2020 qu’un roulement de 59 tonnes et 8 mètres de diamètre destiné à la Chine quitte le site RKS d’Avallon. Il s’agissait du plus grand roulement en monobloc jamais construit sur le site. Un convoi exceptionnel de 19 mètres de long l’a acheminé vers Châlons-sur-Saône, il a ensuite été mis sur barge vers Fos-sur-Mer via la Saône et le Rhône puis mis en caisse pour voyager par la mer jusqu’à Shangaï. Le dernier roulement de grande dimension avait quitté l’usine en novembre 2019 et pesait 52 tonnes.

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Fiscalité locale

[Brèves] Assujettissement d'une activité de sous-concession de brevets à la CVAE

Réf. : CE 8° et 3° ch.-r., 29 novembre 2021, n° 451521, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A62367DC)

Lecture: 4 min

N9664BYL

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par Marie-Claire Sgarra

Le 06 Décembre 2021

► Les revenus tirés de la concession d'un brevet sont le fruit d'une activité professionnelle si le concédant met en œuvre de manière régulière et effective, pour cette activité de concession, des moyens matériels et humains ou s'il est en droit de participer à l'exploitation du concessionnaire et est rémunéré, en tout ou partie, en fonction de cette dernière.

Les faits :

  • une société B exerce une activité de sous-concession de brevets dont elle a acquis le droit d'usage et d'exploitation auprès de l'Institut Pasteur, moyennant le paiement de redevances
  • à la suite d'une vérification de comptabilité, l'administration fiscale a assujetti cette société à des cotisations supplémentaires de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises au titre des années 2010 et 2011
  • estimant qu'elle n'était pas soumise à la CVAE, la société a formé devant le tribunal administratif de Montreuil une demande de décharge
  • le TA a rejeté ses demandes
  • la société H, venant aux droits de la société B, se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 9 février 2021 par lequel la cour administrative d'appel de Versailles, statuant sur renvoi après l'annulation d'un premier arrêt par une décision du Conseil d'État du 16 juillet 2020 (CE 8° et 3° ch.-r., 16 juillet 2020, n° 430152, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A38833RA), a rejeté l'appel qu'elle a formé contre ce jugement.

🔎 Principes :

  • les personnes morales qui exercent une activité dans les conditions fixées aux articles 1447 et 1447 bis du même Code et dont le chiffre d'affaires est supérieur à 152 500 euros sont soumises à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CGI, art. 1586 ter N° Lexbase : L7118LZN) ;
  • l'article 1447 du CGI dispose que constitue une telle activité l'exercice à titre habituel d'une activité professionnelle non salariée (CGI, art. 1447 N° Lexbase : L0819IPZ).

⚖️ Pour juger que la société mettait en œuvre de manière régulière et effective des moyens matériels et humains pour son activité de concession, la cour administrative d'appel de Versailles a relevé que la société avait engagé, chaque année, des honoraires d'avocats et de conseils en propriété intellectuelle afin d'entretenir la valeur économique de ses brevets.

⚖️ Solution du Conseil d’État. « En ne recherchant pas si la société ne se bornait pas, en engageant ces dépenses, à gérer son patrimoine en préservant la valeur de ses brevets mais devait être regardée comme mettant en œuvre des moyens matériels et humains pour assurer leur exploitation économique, la cour a commis une erreur de droit ».

👉 Plus spécifiquement sur le principe de l’assujettissement à la CVAE, le CE précise :

  • il résulte de l'instruction que la société avait recours, pour les besoins de son activité de sous-concession de brevets, à des prestations de service en matière comptable, financière, juridique, fiscale et informatique mises en œuvre par d'autres entités du groupe auquel elle appartient ;
  • la société a également eu recours à des prestations d'avocats et de conseils en propriété intellectuelle pour assurer l'exploitation économique des brevets qu'elle sous-concédait
  • les moyens humains et matériels ainsi mis en œuvre pour assurer cette activité de sous-concession de brevets sont de nature à caractériser l'exercice à titre habituel d'une activité professionnelle au sens des dispositions de l'article 1447 du CGI précité sans que puisse y faire obstacle la circonstance que ces moyens auraient été sous-traités.

Ainsi l’activité de la société est bien assujettie à la CVAE.

💡 Sur le caractère professionnel d’une activité de concession de brevet, le Conseil d’Etat, dans un arrêt en date du 26 janvier 2021, vient de préciser qu’à l’intérieur d’un groupe de sociétés, le fait que la société concédante et les sociétés concessionnaires soient détenues par un même actionnaire peut suffire à donner à l’activité de concession de brevets un caractère professionnel (CE 3° et 8° ch.-r., 26 janvier 2021, n° 439856, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A65374DH).

 

 

 

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Fiscalité locale

[Brèves] TEOM : le Conseil d’État donne des précisions sur le sort de la redevance spéciale

Réf. : CE 8° et 3° ch.-r., 29 novembre 2021, n° 454684, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A62397DG)

Lecture: 5 min

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par Marie-Claire Sgarra

Le 06 Décembre 2021

Le Conseil d’État est venu le 29 novembre 2021 compléter et étoffer sa jurisprudence en matière de taxe d’enlèvement sur les ordures ménagères et plus spécifiquement sur le lien entre cette dernière et la redevance spéciale.

Les faits. Une société a demandé au TA d'Orléans de prononcer la décharge des cotisations de taxe d'enlèvement des ordures ménagères à laquelle elle a été assujettie au titre des années 2017 et 2018 dans les rôles de la commune de Tours ainsi que la restitution des sommes en cause. Le TA a rejeté ces demandes.

🔎 Principe. Les communes qui assurent au moins la collecte des déchets des ménages peuvent instituer une taxe destinée à pourvoir aux dépenses du service de collecte et de traitement des déchets ménagers et des déchets mentionnés à l'article L. 2224-14 du CGCT (N° Lexbase : L9628INW), dans la mesure où celles-ci ne sont pas couvertes par des recettes ordinaires n'ayant pas le caractère fiscal (CGI, art. 1520 N° Lexbase : L8981LNX).

👉 La TEOM n'a pas le caractère d'un prélèvement opéré sur les contribuables en vue de pourvoir à l'ensemble des dépenses budgétaires, mais a exclusivement pour objet de couvrir les dépenses exposées par la commune ou l'établissement de coopération intercommunale compétent pour assurer l'enlèvement et le traitement des ordures ménagères et des déchets.

👉 Il s'ensuit que le produit de cette taxe et, par voie de conséquence, son taux, ne doivent pas être manifestement disproportionnés par rapport au montant des dépenses exposées pour la collecte et le traitement des déchets ménagers comme des déchets non ménagers, déduction faite, le cas échéant, du montant des recettes non fiscales de la section de fonctionnement.

👉 Il résulte, en particulier que le législateur a entendu permettre aux communes et aux établissements publics de coopération intercommunale compétents, à compter du 1er janvier 2016, de couvrir les dépenses exposées pour la collecte et le traitement des déchets non ménagers mentionnés à l'article L. 2224-14 du Code général des collectivités territoriales au moyen, concurremment, du produit de la redevance spéciale de l'article L. 2333-78 du même Code et, en tant que de besoin, du produit de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères.

⚖️ En jugeant que l'institution de la redevance spéciale prévue à l'article L. 2333-78 du CGCT (N° Lexbase : L3912KWS) n'impliquait pas nécessairement que son produit finance la totalité des dépenses de collecte et de traitement des déchets non ménagers, la taxe d'enlèvement des ordures ménagères pouvant également pourvoir au financement de ces dépenses pour leur part non couverte par cette redevance ou d'autres recettes non fiscales, le tribunal administratif n'a, contrairement à ce qui est soutenu, pas entaché son jugement d'erreur de droit.

Il n'a pas davantage commis d'erreur de droit en incluant le produit attendu de la redevance spéciale dans les recettes non fiscales devant être déduites du montant des dépenses exposées pour la collecte et le traitement des déchets ménagers comme des déchets non ménagers pour apprécier le caractère non manifestement disproportionné du taux de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères fixé pour l'année 2016.

💡 Rappel des jurisprudences antérieures relatives au taux de la TASCOM

Le Conseil d’État a, au fil des années, assoupli sa position concernant le taux de la TEOM. Le point de départ de ce changement de cap est un arrêt du 31 mars 2014, la célèbre affaire « Auchan » (CE 3° et 8° ssr., 31 mars 2014, n° 368111, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A6437MIA). Dans cette décision, le CE a apporté des clarifications concernant le champ d'application et la détermination du taux de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères et en a exclu les « déchets assimilés » produits par les entreprises et les administrations. Par ailleurs, lorsque la TEOM est instituée, une redevance spéciale doit obligatoirement être instaurée pour couvrir ces coûts de gestion des déchets dits « assimilés ».

Dans un autre arrêt marquant en date du 25 juin 2018 (CE 3° et 8° ch.-r., 25 juin 2018, n° 414056, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A9105XTE), le CE a précisé que la somme des excédents de fonctionnement résultant de l’exécution des budgets des années précédentes et reportée en section de fonctionnement n’a pas à être prise en compte au titre des recettes du service.

Plus récemment, le CE est venu compléter sa jurisprudence en jugeant que « les dépenses correspondant à une quote-part du coût des directions ou services transversaux centraux de la métropole, calculée au moyen d’une comptabilité analytique permettant, par différentes clés de répartition, d’identifier avec suffisamment de précision les dépenses qui, parmi celles liées à l’administration générale de la métropole, puissent être regardées comme ayant été directement exposées pour le service public de collecte et de traitement des déchets ménagers et des déchets mentionnés à l’article L. 2224-14 du Code général des collectivités territoriales » (CE 3° et 8° ch.-r., 22 octobre 2021, n° 434900, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A01607A8).

 

 

newsid:479658

Procédures fiscales

[Brèves] Contentieux fiscal : notification des mémoires par voie d’huissier lorsque l’administration n’est pas représentée par un avocat

Réf. : Cass. com., Avis, 1er décembre 2021, n° 21-70.018, FS-N (N° Lexbase : A22827EA) ; n° 21-70.019, FS-N (N° Lexbase : A22147EQ) ; n° 21-70.020, FS-N (N° Lexbase : A22997EU) ; n° 21-70.021, FS-N (N° Lexbase : A21787EE)

Lecture: 3 min

N9696BYR

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par Marie-Claire Sgarra

Le 08 Décembre 2021

L'article R.* 202-2 du LPF (N° Lexbase : L9274LTN) doit être interprété en ce sens que les parties à l'instance, dûment représentées par un avocat inscrit à l'un des barreaux du ressort de la cour d'appel dont dépend le tribunal judiciaire saisi, notifient valablement leurs mémoires entre elles par le « réseau privé virtuel avocat », dans les conditions prévues aux articles 748-1 (N° Lexbase : L0378IG4) à 748-7 (N° Lexbase : L0423IGR) du CPC, et sans autre formalité, tandis qu'elles doivent faire respectivement signifier leurs mémoires par voie d'huissier lorsque l'administration n'est pas représentée par un avocat.

Les faits. La Cour de cassation a reçu, le 6 septembre 2021, plusieurs demandes d'avis formées le 23 juillet 2021 par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Saint-Denis de la Réunion, dans une instance opposant des sociétés à la Direction régionale des Douanes et droits indirects de la Réunion.

🖊️ La demande est ainsi formulée : « L'article R.* 202-2 du LPF combiné à l'article 850 du CPC (N° Lexbase : L9345LTB) doit-il être interprété en ce sens que les parties à l'instance, dûment représentées par un avocat inscrit à l'un des barreaux du ressort de la cour d'appel dont dépend le tribunal judiciaire saisi, se notifient valablement leurs mémoires par le réseau RPVA, conformément à l'article 850 du CPC, et sans autre formalité, tandis qu'elles doivent se signifier respectivement leurs mémoires par voie d'huissier, lorsque l'administration n'est pas représentée par un avocat ? Ou doit-il être interprété en ce sens que les parties à l'instance, même dûment représentées par un avocat inscrit à l'un des barreaux du ressort de la cour d'appel, dont fait partie le tribunal judiciaire saisi, doivent se signifier leurs mémoires par voie d'huissier ? ».

🔎 Rappels. L'article 9 du décret n° 2019-1333, du 11 décembre 2019, réformant la procédure civile (N° Lexbase : Z82405RT) a modifié l'article R.* 202-2 du LPF :

  • les parties sont tenues de constituer avocat devant le tribunal judiciaire statuant en matière fiscale ;
  • l'État, les régions, les départements, les communes et les établissements publics peuvent toutefois se faire représenter ou assister par un fonctionnaire ou un agent de leur administration ; si ceux-ci font le choix de constituer avocat malgré la dispense qui leur est accordée, il en résulte que les échanges ont lieu entre des parties qui sont toutes représentées par un avocat.

Lorsqu'une partie a chargé une personne de la représenter en justice, les actes qui lui sont destinés sont notifiés à son représentant, les conclusions des parties devant le tribunal judiciaire sont signées par leur avocat et sont notifiées sous la forme des notifications entre avocats, lesquelles se font par signification ou par notification directe (CPC, art. 652 N° Lexbase : L6815H7K).

Devant le tribunal judiciaire, les parties ont la faculté, en application de l'article 748-1 du CPC (N° Lexbase : L0378IG4), d'effectuer l'envoi, la remise et la notification des actes de procédure et des pièces par voie électronique dans les conditions et selon les modalités fixées par le titre vingt et unième du livre premier du même code, dès lors qu'elles ont chacune consenti à l'utilisation de ce mode de communication et que les procédés techniques utilisés garantissent, dans les conditions fixées par l'arrêté du 7 avril 2009, relatif à la communication par voie électronique devant les tribunaux judiciaires (N° Lexbase : L0193IEU), la fiabilité de l'identification des parties, l'intégrité des documents adressés, la sécurité et la confidentialité des échanges, la conservation des transmissions opérées et permettent d'établir de manière certaine la date d'envoi et celle de la réception par le destinataire.

La cour rend par conséquent l’avis susvisé.

 

newsid:479696

Taxe sur la valeur ajoutée (TVA)

[Brèves] Perte de 134 milliards d’euros de recettes de TVA pour les États de l’UE en 2019

Réf. : Commission européenne, communiqué de presse, 2 décembre 2021

Lecture: 2 min

N9713BYE

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par Marie-Claire Sgarra

Le 08 Décembre 2021

Selon un nouveau rapport publié le 2 décembre 2021 par la Commission européenne, les États membres de l'UE ont enregistré en 2019 une perte de recettes de la TVA estimée à 134 milliards d’euros.

🔎 Qu'est-ce que l'écart de TVA ? L'écart de TVA représente la différence, en valeur absolue ou en pourcentage, entre les recettes de TVA attendues (également appelées « TVA totale exigible théorique » ou « VTTL » en anglais) et le montant effectivement perçu. La TVA totale exigible théorique est une estimation de la TVA théoriquement exigible sur la base de la législation en matière de TVA et de la réglementation dérivée. Ce chiffre représente les pertes de recettes occasionnées par :

  • 1) la fraude à la TVA,
  • 2) l'évasion et des pratiques d'optimisation fiscale dans le domaine de la TVA,
  • 3) des faillites et des cas d'insolvabilité,
  • 4) des erreurs de calcul et des erreurs administratives.

📌 Les principaux résultats en 2019. L'écart de TVA global de UE a régressé de près de 6,6 milliards d’euros pour s'établir à 134 milliards d’euros en 2019.

La Roumanie a enregistré le plus grand écart national de TVA, avec une perte de recettes de TVA de 34,9 % cette même année. Elle est suivie par la Grèce (25,8 %) et Malte (23,5 %). Les écarts les plus faibles ont été constatés en Croatie (1,0 %), en Suède (1,4 %) et à Chypre (2,7 %). En valeur absolue, les écarts de TVA les plus élevés ont été enregistrés en Italie (30,1 milliards d’euros) et en Allemagne (23,4 milliards d’euros).

L'écart de TVA est imputable à un certain nombre de facteurs, principalement le PIB et le solde des administrations publiques. L'analyse confirme que l'écart de TVA est influencé par une série de facteurs liés à la situation économique actuelle, à l'environnement institutionnel et à la structure économique, ainsi qu'aux mesures et actions des administrations fiscales.

newsid:479713

Taxe sur la valeur ajoutée (TVA)

[Brèves] L’autoliquidation de la TVA à l’importation devient obligatoire et automatique à partir du 1er janvier 2022

Réf. : Douanes, actualités, 1er décembre 2021

Lecture: 2 min

N9674BYX

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par Marie-Claire Sgarra

Le 06 Décembre 2021

À compter du 1er janvier 2022, la gestion et le recouvrement de la TVA à l’importation sont transférés de la douane vers la DGFiP, pour tout redevable identifié à la TVA en France.

🔎 Rappel : en application des articles 293 A (N° Lexbase : L6306LU4) et 277 A du CGI (N° Lexbase : L9245LNQ), le redevable est tenu de communiquer à la DGDDI, outre les informations pour constater la base imposable, son numéro de TVA intracommunautaire français valide et, le cas échéant, les autres informations utiles pour la liquidation ou le contrôle de la taxe due.

⏲️ Que se passe-t-il au 1er janvier 2022 ?

  • ce mécanisme de déclaration-paiement simultané sur la déclaration de TVA devient automatique et obligatoire pour tout redevable identifié à la TVA en France et soumis au régime réel normal d'imposition, sans aucune autorisation préalable ; les entreprises, quel que soit leur lieu d’établissement, qui ne disposent pas de numéro de TVA intracommunautaire français ou qui ne sont pas soumises au régime réel normal mais qui souhaitent réaliser en France des opérations d’importation doivent au préalable solliciter auprès de leur service des impôts des entreprises l’attribution d’un numéro de TVA intracommunautaire français et opter pour le régime réel normal ;
  • pour les seules opérations taxées, chaque redevable va disposer d’une déclaration fiscale de TVA préremplie de certaines données douanières afférentes à ses opérations d’importation dont il aura la charge d’en vérifier les montants chaque mois d’exigibilité de la taxe, voire de les modifier ou compléter si nécessaire pour le 24 du mois suivant.

💡 Comment déclarer ?

  • une notice dédiée relative à la déclaration fiscale de TVA a déjà été mise à disposition des opérateurs sur le site de la DGFiP au lien suivant sur le portail impots.gouv.fr ;
  • la DGDDI va mettre à disposition des contribuables, au 14 février 2022, un espace dédié sur le site douane.gouv.fr, accessible par le biais d’un compte personnel créé sur ce portail. Ils auront ainsi accès à un tableau qui reprendra certaines données douanières issues de leurs déclarations en douane pour une période de référence donnée.

⚠️ Le SIE de rattachement de l’opérateur redevable devient son interlocuteur en ce qui concerne cette taxe à l’importation, au même titre que pour la TVA de droit commun et les autres impôts professionnels gérés par la DGFiP.

 

 

newsid:479674

Taxe sur la valeur ajoutée (TVA)

[Brèves] La Commission européenne parvient à un accord sur les nouvelles règles régissant les taux de TVA

Réf. : Commission européenne, communiqué de presse, 7 décembre 2021

Lecture: 4 min

N9711BYC

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par Marie-Claire Sgarra

Le 09 Décembre 2021

La Commission européenne est parvenue à un accord intervenu le 7 décembre 2021, entre les ministres des Finances de l'UE en vue de mettre à jour les règles actuelles régissant les taux de TVA applicables aux biens et services.

🖊️ Parmi les changements, on notera :

  • mise à jour de la liste des biens et services (annexe III de la Directive TVA N° Lexbase : L7664HTZ) auxquels tous les États membres peuvent appliquer des taux réduits de TVA ;
  • suppression, d'ici à 2030, de la possibilité pour les États membres d'appliquer des taux réduits et des exonérations aux biens et services jugés préjudiciables à l'environnement et aux objectifs de l'UE en matière de changement climatique ;
  • mise à la disposition de tous les pays des dérogations et exonérations applicables à des biens et services spécifiques.

📌 Taux applicable par les États membres aux biens figurant sur la liste actualisée :

  • les États membres continueront d'appliquer un taux normal de TVA supérieur à 15 % ;
  • ils auront désormais aussi la possibilité d'appliquer deux taux réduits allant jusqu'à 5 % à des biens et services dans un nombre de catégories limité à 24 parmi celles figurant dans une version actualisée et modernisée de l'annexe III de la Directive TVA ;
  • ils pourront également appliquer un taux réduit inférieur à 5 % et une exonération (« taux nul ») à sept catégories au maximum inscrites sur la liste considérée pour couvrir des besoins fondamentaux, tels que les denrées alimentaires, les médicaments et les produits pharmaceutiques.

📌 Élargir la liste actuelle des biens et services (annexe III de la Directive TVA) pouvant bénéficier de taux réduits de TVA. Sont inclus :

  • les services numériques qui, auparavant, ne remplissaient pas les conditions pour bénéficier des taux réduits, comme l'accès à l'internet et la retransmission en direct d'événements culturels et sportifs ;
  • les biens qui protègent la santé publique et qui se sont révélés des outils essentiels dans la lutte contre la Covid-19 et qui pourraient s'avérer utiles lors de prochaines crises, tels que les équipements de protection individuelle, les masques et certains équipements médicaux ; ainsi que d'autres articles considérés comme des aides essentielles pour les personnes handicapées ;
  • certains articles tels que des bicyclettes, des systèmes de chauffage écologiques et des panneaux solaires installés dans les habitations privées et les bâtiments publics, qui peuvent avoir une incidence positive sur les priorités de l'UE en matière de changement climatique ;
  • divers produits et services jugés appropriés et utiles par les États membres, guidés par l'intérêt général des objectifs de politique publique.

📌 Sur les dérogations et exonérations dont disposent actuellement les différents États membres. Pour rappel, certains États membres ont été autorisés, lors de leur adhésion à l'UE, à appliquer des dérogations telles que des exonérations et des taux réduits à des articles spécifiques pour lesquels ce traitement n'est normalement pas admis. Ces dérogations ont donné lieu à une multiplicité du nombre de taux. Les États membres devront supprimer toutes les dérogations qui ne sont pas compatibles avec le pacte vert pour l'Europe en 2030 au plus tard. Un certain nombre d'articles susceptibles d'avoir un effet préjudiciable sur l'environnement et, par conséquent, sur les mesures d'atténuation du changement climatique ont été explicitement exclus de l'annexe III. Les États membres auront jusqu'en 2030 pour mettre fin à tout traitement préférentiel accordé à ces produits.

Ces nouvelles règles reposent sur un accord précédent qui prévoyait de passer du système de TVA de l'UE vers un système dans lequel la TVA est payée dans l'État membre du consommateur plutôt que dans l'État membre du fournisseur.

⏲️ Prochaines étapes :

  • les règles actualisées vont être transmises au Parlement européen pour consultation sur le texte définitif d'ici au mois de mars 2022 ;
  • une fois adoptée formellement par les États membres, la législation entrera en vigueur 20 jours après sa publication au Journal officiel de l'Union européenne, ce qui permettra aux États membres d'appliquer le nouveau système à partir de cette date.

 

newsid:479711

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