Lexbase Fiscal n°867 du 3 juin 2021

Lexbase Fiscal - Édition n°867

Fiscalité financière

[A la une] Les actifs numériques : un marché nouveau et en pleine expansion

Lecture: 8 min

N7691BYI

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par Sarah Maubert Mendez / Alex Ajroud Chetiou / Benjamin Guion et Eizer Souidi, Avocats

Le 02 Juin 2021

Les actifs numériques, aujourd’hui bien connus grâce aux actualités médiatiques récentes, font partie d’un marché en pleine expansion. Ces derniers mois ont permis d’assister à une croissance exponentielle du bien connu Bitcoin, qui est ainsi passé, entre 2014 et 2021, d’environ 200 dollars l’unité à plus de 60 000 dollars.

Mais le Bitcoin n’est pas le seul actif numérique fondé sur une blockchain à avoir explosé aux yeux du monde entier : d’autres cryptomonnaies, et d’autres actifs tels que des Non Fungible Tokens (« NFT »), ont vu le jour et les échanges atteignent aujourd’hui des volumes pharamineux.

C’est la raison pour laquelle les médias et la doctrine se sont eux aussi penchés, au cours des derniers mois, sur les divers évènements intervenus dans le secteur des actifs numériques, et de plus en plus de grandes entreprises s’intéressent également de près à la question.

C'est par exemple le cas de l’entreprise Tesla, présidée par Elon Musk, qui déclarait en février 2021 qu’elle allait accepter dans les mois à venir les paiements en Bitcoins, et faisait l’acquisition de 1,5 milliard d’euros de la cryptomonnaie. En mai 2021, celui-ci faisait volteface, et, s’indignant du caractère polluant du minage de cryptomonnaies, annonçait finalement que l’entreprise n’accepterait aucun paiement. Cette annonce eut un effet redoutable sur le cours du Bitcoin, qui perdit près de 40 % en une semaine après l’annonce.

Mais cela va encore plus loin, et des entreprises privées se mettent désormais à créer des cryptomonnaies pour servir des projets bien définis. C’est par exemple le cas du club de football de la Juventus de Turin qui a émis ses propres « tokens » (ou « jetons ») en 2019, pour permettre aux fans qui en feraient l’acquisition d’influer sur certaines politiques du club.

Les cryptomonnaies peuvent également être échangées en dehors des plateformes internet et s’exécuter sous des formes inattendues. C’est ainsi qu’une première vente aux enchères de cryptomonnaies est intervenue le 17 mars 2021, au cours de laquelle 611 Bitcoins saisis par l’État français ont été mis à la vente.

Cela n’est pas sans poser des questions éthico-juridiques, avec un enrichissement de l’État au profit de la personne saisie, les Bitcoins ayant été cédés au cours actuel, voire nettement plus pour certains lots.

Également, les NFT sont en plein essor au cours de cette année 2021, avec de nouvelles plateformes qui voient le jour régulièrement et des volumes d’échanges élevés. Cet essor pose des questions en matière de licences des marques en lien avec l’image, la vidéo ou le son échangé, et sur la propriété réelle de l’objet. En réalité, posséder un NFT consisterait à ne posséder que l’enregistrement de l’actif sur la blockchain, et non l’actif lui-même. Il n’y a donc pas transfert de propriété intellectuelle de l’image ou du son en lui-même. La fiscalité afférente à ces actifs sera abordée dans l’article « Tokens et NFT : Variations sur le thème des cryptoactifs ».

Des combinaisons d’actifs numériques sont également mises en place. On peut par exemple observer des entreprises émettre une cryptomonnaie qui servira de base d’échanges à des NFT qui seraient émis par la même entreprise. Cette dernière serait à la fois créatrice de monnaie d’échange et des actifs cédés. C’est le cas de l’entreprise Ecomi, qui propose des figurines à collectionner sur une plateforme numérique, que l’investisseur ne peut acquérir les figurines que par le biais de la cryptomonnaie OMI, émise par la société Ecomi.

D’autres plateformes, sous forme de jeu de simulation sportive, émettent des images de joueurs de football, qui peuvent s’échanger contre une cryptomonnaie.

À côté de ces éléments intrinsèquement liés au marché économique du secteur, il n’en demeure pas moins que les actifs numériques restent des éléments de patrimoine. Ceux-ci pourront donc s’intégrer dans une stratégie patrimoniale globale, qu’il s’agisse d’opérations d’optimisation ou de transmission. Des opérations de démembrement peuvent donc s’opérer, ainsi que des opérations de donations. Fiscalement, ces opérations ne sont pas neutres, et une réponse adaptée doit y être apportée. Ces opérations feront l’objet d’une étude dans l’article « Patrimonial et Démembrement : Application aux cryptoactifs ».

Également, en l’absence de droit commun de l’Union européenne en la matière, il est possible de constater un phénomène de tax shopping qui s’opère, et s’agissant d’un marché dématérialisé les contribuables réalisant d’importants profits en ce domaine pourraient ne pas hésiter à se domicilier dans le pays offrant la fiscalité la plus avantageuse dans le secteur. Les différentes législations européennes seront abordées dans l’article « Un tour d’Europe en 80 cryptos ».

Les différents évènements pouvant survenir, principalement médiatiques, mettent également l’accent sur les dérives qui peuvent se produire sur le marché des actifs numériques en l’absence d’une autorité de réglementation. En effet, une personne bénéficiant d’une certaine influence médiatique, tel qu’Elon Musk par exemple, a le pouvoir de faire évoluer le cours d’une cryptomonnaie à la hausse ou à la baisse. Nous avons pu le constater au cours des derniers mois, où ce dernier a d’abord, par la publication d’un tweet fait grimper le cours du Dogecoin, avant d'entraîner une forte baisse du Bitcoin par de nouveaux tweets critiquant cette crypto-monnaie (après l’avoir encensée quelques mois plus tôt).

Là où ces dérives peuvent être graves, c’est que le cours du Bitcoin, par exemple, s’évalue à plusieurs dizaines de milliers d’euros, et qu’une forte variation de la cryptomonnaie a d’importantes conséquences sur le portefeuille du contribuable, et surtout sur le bon fonctionnement des marchés. Cela peut nous faire penser, à certains égards, au délit d’initié, où la personne influente peut prévoir avec une quasi-certitude l’effet qu’aura sa prise de parole sur le cours d’une crypto-monnaie, et donc préparer son opération en amont de sa communication et en tirer d’importants profits. Elon Musk n'apparaît que comme un exemple avéré d’une telle situation, où il a été possible de constater l’évolution immédiate d’un cours d’actifs numériques à la suite d’une prise de parole. Mais cette situation peut se répéter avec de nombreuses autres personnes publiques, et la mise en place d’un frein voire d’une régulation sont aujourd'hui nécessaires afin d’éviter de véritables catastrophes financières.

Il paraît donc indispensable, dans un avenir proche, d’instituer une véritable autorité de régulation des marchés de cryptomonnaies, par exemple sur le modèle de ce qui existe au niveau boursier, afin d’éviter des abus pouvant facilement survenir dans un environnement volatile et porté par l’influence des réseaux sociaux.

Ces éléments poussent également les juristes fiscalistes à se montrer extrêmement vigilants sur le traitement fiscal à apporter à l’ensemble de ces opérations. En effet, il ne faut pas oublier que tout gain, toute création de richesse, est par nature imposable. Et, en l’absence de législation commune au niveau européen sur le traitement fiscal des gains de cessions d’actifs numériques, la législation interne de chaque pays trouve à s’appliquer. Le traitement fiscal français de la question sera traité dans l’article « Le casse-tête de la détention des cryptoactifs ».

Il convient donc de séparer précisément les différents échanges intervenant dans le marché des actifs numériques et de bien définir les faits générateurs d’imposition. Les volumes d’échanges, et donc de gains peuvent atteindre d’importantes sommes du fait de la forte croissance dont peuvent bénéficier certains actifs numériques. Le Bitcoin, par exemple, a connu une croissance de plus de 300 % au cours de la dernière année. Un manquement fiscal peut ainsi avoir des conséquences non négligeables sur un contribuable, et les déclarations doivent être effectuées avec minutie. Celles-ci seront abordées à l’article « Obligations déclaratives des cryptoactifs : un double chantier ».

Chaque situation est donc à étudier avec minutie afin d’y apporter le traitement fiscal adapté. C’est la raison pour laquelle est proposée cette série d’articles, qui vise à donner des clés de compréhension et d’appréhension de cette niche fiscale, dont l’importance ne cesse de croître.

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Fiscalité financière

[Focus] Le casse-tête de la détention du cryptoactif

Lecture: 13 min

N7693BYL

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par Sarah Maubert Mendez - Avocate au Barreau de Aix-en-Provence et Alex Ajroud Chetioui - Avocat au Barreau de Bastia

Le 03 Juin 2021


Au cours des dernières années, la spéculation sur les cryptoactifs, dont les plus célèbres représentants sont les cryptomonnaies avec en tête de file le bitcoin, s’est développée de manière exponentielle.

Nécessitant moins de connaissances techniques que la spéculation boursière, l’achat et la vente de cryptoactifs ont connu en un très court laps de temps un essor considérable. Du fait de la très forte volatilité de ce type d’actifs, des investisseurs amateurs ont pu réaliser de très importantes plus-values. Or, il n’existait pas, à l’heure où les premières transactions étaient effectuées, de législation fiscale adaptée. 


 

En effet, la très rapide évolution de ce nouveau marché a pris de cours le législateur fiscal. Si la doctrine fiscale prévoyait une règle générale d’imposition des plus-values sur cession de cryptoactifs, le Conseil d’État a eu à se prononcer sur le sujet. Par une série d’arrêts du 26 avril 2018 (CE 3° et 8° ch.-r., 26 avril 2018, n° 417809, n° 418030, n° 418031, n° 418032, n° 418033, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A8851XLE), celui-ci annulait partiellement la doctrine administrative précitée et distinguait en fonction du caractère occasionnel ou habituel de l’opération.

Dans le premier cas, il décidait que la plus-value de cession relevait du régime des plus-values sur biens meubles, au taux de 19 % prévu à l’article 150 UA du Code général des impôts (N° Lexbase : L9065LN3), auxquels devaient être ajoutés les prélèvements sociaux. L’application de ce régime permettait également l’application de l’abattement pour durée de détention. En revanche, nous pouvons nous interroger sur la pertinence de l’application de ce dispositif à des actifs sur lesquels la spéculation est aussi importante.

Dans le second cas, c’est le régime des bénéfices industriels et commerciaux (BIC) qui devait être appliqué. Seules étaient donc imposées dans la catégorie des bénéfices non commerciaux les activités de « minage » de cryptomonnaies.
Face à ces inconnus, le législateur a réagi et a inséré, dans la loi de finances pour 2019, un article 150 VH bis dans le CGI (N° Lexbase : L9043LQY), dans l’objectif de régir les plus-values réalisées par les personnes physiques domiciliées fiscalement en France. L’article définit également la méthode de calcul de la plus-value imposable et ses modalités d’imposition.

Le droit fiscal français procède aujourd’hui à une distinction en fonction de la qualité du contribuable réalisant une plus-value sur cession de cryptoactifs. La fiscalité applicable à la cession ne sera en effet pas la même si la plus-value est réalisée par une personne physique agissant à titre occasionnel ou à titre habituel (I). Par ailleurs, la détention et l’émission d’un cryptoactif par une personne morale suit également sa propre fiscalité (II).

 

I. Détention du cryptoactif par une personne physique

Le traitement fiscal des opérations liées aux cryptoactifs par une personne physique dépend de sa qualité au regard de cette activité. Si les cessions interviennent à titre professionnel, les règles des BIC seront applicables (1). En revanche, si les cessions interviennent à titre non professionnel, l’article 150 VH bis s’applique (2).

1. Opérations sur actifs numériques réalisées par une personne physique professionnelle

En premier lieu, il convient de préciser qu’une personne physique peut tout à fait exercer à titre habituel, professionnel, une activité d’achat et revente d’actifs numériques.

La doctrine administrative, non remise en cause par les arrêts du Conseil d’État précités, rappelle la lettre du Code de commerce, dont l’article L. 110-1 (N° Lexbase : L1282IWE) répute acte de commerce toute acquisition de biens meubles aux fins de les revendre. Les actifs numériques n'échappent pas à cette règle, et l’activité d’achat et de revente de cryptomonnaies, à titre habituel et pour son propre compte par une personne physique, constitue une activité commerciale.

Le contribuable sera donc imposé, à ce titre, dans la catégorie des BIC. Le résultat imposable sera donc déterminé en application de ces règles, et non du régime spécialement créé pour les particuliers pratiquant l’achat et la revente de cryptomonnaies à titre habituel.

Une difficulté existe sur la détermination de ce qui constitue ou non une activité habituelle en matière de cryptoactifs. La doctrine administrative apporte à cette question un élément de réponse en renvoyant vers une étude des situations au cas par cas en utilisant des faisceaux d’indices. Plusieurs éléments pourront être retenus pour qualifier une activité professionnelle : le volume des échanges, le montant des sommes en jeu, ou encore le temps écoulé entre l’achat et la revente.

Si ces critères peuvent paraître inadaptés à la nature intrinsèque des cryptomonnaies, qui favorise des échanges rapides et fréquents, y compris pour des particuliers non professionnels, il convient de conserver une certaine mesure dans l’analyse et d’intégrer des variables telles que les montants engagés et le temps consacré à l’activité.

Enfin, il convient de séparer de l’activité commerciale d’achats et de revente de cryptomonnaies les revenus perçus en contrepartie de la participation du contribuable à l’activité de création ou au fonctionnement du système d’unité de compte virtuel, plus connue sous le nom de « minage ». Les revenus perçus dans ce cadre seront ainsi soumis à l’impôt sur le revenu dans la catégorie des bénéfices non commerciaux, étant précisé que la valeur d’acquisition retenue pour la détermination du résultat imposable est nulle lorsque les cryptomonnaies ont été attribuées gratuitement.

Les règles diffèrent cependant pour les contribuables réalisant des plus-values de cessions d’actifs numériques à titre occasionnel.

2. Opérations sur actifs numériques réalisées par une personne physique à titre occasionnel

Comme évoqué ci-dessus et à la suite de la décision fondatrice du Conseil d’État, le législateur a réagi et introduit dans le CGI un article 150 VH bis. Celui-ci définit les modalités d’imposition des plus-values sur cessions d’actifs numériques réalisées par les personnes physiques domiciliées en France et à titre occasionnel. L’article concerne également les cessions réalisées par un membre du foyer fiscal du contribuable.

Ce dispositif s’applique également aux cessions intervenues par l’intermédiaire d’une personne interposée, soit les sociétés ou groupements relevant, de plein droit ou sur option, des articles 8, 8 bis et 8 ter du CGI. C’est donc le cas des sociétés de personnes exerçant une activité non professionnelle.

Ainsi, le fait générateur de l’imposition est la cession à titre onéreux d’un cryptoactif, à l’exclusion des opérations d’échanges sans soultes d’un cryptoactif avec un autre.

Les opérations sont donc imposables lorsque les actifs numériques sont cédés :

  • contre une somme en monnaie ayant cours légal, telle que l’euro ou le dollar. C’est la perception de cette somme en monnaie « tangible », que cela soit sur le compte de l’investisseur sur la plateforme de broker ou sur son compte bancaire, qui entraînera l’imposition ;
  • en échange d’un bien ou d’un service autre qu’un cryptoactif ;
  • en échange d’un crypto actif avec versement de soulte.

À l’inverse, lorsqu’un actif numérique est échangé contre un autre actif numérique sans soulte, la plus-value latente n’est pas imposable et est placée en sursis d’imposition. L’imposition du gain réalisé interviendra lorsque la cession donnera lieu à la perception de l’un des éléments mentionnés ci-dessus.

La détermination de la plus-value imposable est également prévue à l’article 150 VH bis du CGI. Celle-ci, quelque peu opaque, est égale à la différence entre, d’une part, le prix de cession, et d’autre part le prix d’acquisition de l’ensemble du portefeuille d’actifs numériques multiplié par le quotient du prix de cession sur la valeur globale dudit portefeuille.

Au vu des éléments précités, il apparaît que la simple détention de cryptomonnaies n’est pas imposable.

Concernant les moins-values, celles-ci s’imputent exclusivement sur les plus-values de même nature réalisées au cours d’une même année d’imposition. La plus-value nette imposable au titre d’une année civile sera donc déterminée après compensation entre les plus et moins-values brutes de cessions d’actifs numériques et de droits s’y rapportant. Cependant, en cas de moins-value nette constatée au cours d’une année d’imposition, celle-ci ne pourra ni être reportée sur les années suivantes, ni s’imputer sur une plus-value réalisée sur une cession d’un bien d’une autre nature.

Il est également précisé que les cessions de cryptomonnaies pour un montant inférieur à 305 euros par année d’imposition, hors opérations bénéficiant du sursis, sont exonérées d’imposition. Ce montant de 305 euros s’apprécie en tenant compte de toutes les cessions réalisées au cours de l’année, peu importe la contrepartie, par l’ensemble des membres du foyer fiscal.

Bien entendu, les personnes réalisant sur une année fiscale des cessions pour un montant de plus de 305 euros seront imposées sur l’ensemble des cessions, y compris celles inférieures à 305 euros.

Les plus-values imposables réalisées par les personnes physiques à titre occasionnel sont imposées à l’impôt sur le revenu au taux de 12,8 %, auxquels s’ajoutent les prélèvements sociaux sur les revenus du patrimoine au taux de 17,2 %. Le taux global d’imposition pour ces plus-values est donc de 30 %, ce qui correspond au PFU instauré sous la présidence d’Emmanuel Macron, tendant à favoriser l’investissement financier au détriment de l’investissement immobilier notamment, en l’imposant à ce taux unique.

Ce dispositif tranche donc nettement avec celui retenu par le Conseil d’Etat dans ses arrêts du 26 avril 2018. En effet, au vu de la volatilité du marché des cryptomonnaies, l’abattement pour durée de vocation n’ayant quasiment jamais vocation à s’appliquer, l’imposition à 12,8 % à l’impôt sur le revenu entraîne une économie d’impôt de 6,2 %.

La fiscalité applicable aux plus-values sur cessions de cryptomonnaies par les personnes physiques est en constante évolution et a su s’adapter à la croissance rapide et exponentielle de ces actifs numériques.

Mais les personnes physiques ne sont pas les seuls potentiels détenteurs de cryptoactifs et les personnes morales sont également de la partie.

 

II. Détention et émission du cryptoactif par une personne morale

L’entreprise, au même titre que le particulier, peut être tentée de jouer le jeu des cryptoactifs et d’en détenir voire d’en émettre pour obtenir des financements.

En matière fiscale, la simple détention des cryptoactifs par l’entreprise n’appelle pas de remarques particulières. De manière similaire au traitement réservé aux particuliers, ce sont les plus-values générées lors des échanges qui auront des conséquences sur les personnes morales. Celles-ci viendront augmenter le bénéfice de la société et seront soumises à l’impôt sur les sociétés. Par ailleurs, la réalisation de moins-values pourra être imputée sur les revenus de même nature dégagés au titre de la même année. Toutefois, ce traitement reste subordonné à la comptabilisation des crypto actifs comme des immobilisations et non comme des stocks. Il faut alors se pencher sur la pratique comptable.

Les règles comptables s’intéressent aujourd’hui, au même titre que les normes fiscales, sur le traitement à apporter à ces nouveaux venus.

Un nouveau règlement ANC 2020-05 en date du 24 juillet 2020 est venu compléter le Plan comptable général en ajoutant des précisions en matière détention de jetons numériques mais également en matière de services rendus sur ces jetons.

Par ailleurs et depuis 2018, des réflexions sont menées pour définir un cadre comptable pour les détenteurs de cryptoactifs et pour les émetteurs de jetons lors d’Initial Coin Offering.

Les règles comptables sont applicables aux cryptomonnaies définies comme moyen d’échange sous forme numérique ou virtuelle par des dispositifs d’enregistrement électronique partagé, n’étant pas émis par une autorité juridictionnelle ou une autre partie, et ne donnant pas lieu à un contrat entre le titulaire et une autre partie.

Quant à leur détention, les règles comptables considèrent aujourd’hui que les cryptoactifs doivent être comptabilisés en stocks lorsque l’entité détient et vend ces cryptoactifs dans le cadre normal de son activité. Dans le cas contraire, l’entité doit comptabiliser les cryptoactifs comme des immobilisations incorporelles, susceptibles d’être séparées de l’entité, vendues et transférées individuellement. Les règles comptables ont explicitement exclu la possibilité de comptabiliser les cryptoactifs en trésorerie ou comme actif financier.

Par ailleurs, les personnes morales peuvent également être à l’initiative des émissions d’offres de jetons numériques (ou « Initial Coin Offering »), qui consistent en des opérations de levée de fonds transfrontalières destinées à financer des projets. Dans le cadre de ces offres, les souscripteurs investissent via des monnaies classiques (également appelées « fiat monnaie ») ou avec des cryptoactifs, et leurs investissements donnent lieu à une émission de jetons qui peuvent revêtir différentes caractéristiques donnant des droits distincts à leurs détenteurs.

Trois types de jetons doivent être différenciés : les jetons financiers ou « security tokens » qui confèrent des droits financiers ou de vote, les jetons d’utilité ou « utility tokens », qui confèrent à leurs détenteurs des droits d’usage, et enfin les jetons de paiement ou « currency token », qui servent de moyens de paiement (ce sont les cryptomonnaies).

Les émetteurs sont alors confrontés à deux nouvelles questions comptables, la première sur la comptabilisation des cryptomonnaies reçues des souscripteurs et la seconde sur la comptabilisation des jetons émis. Si la première question est traitée comme évoquée ci-avant, la deuxième n’est aujourd’hui pas tout à fait résolue. Les règles comptables traitent l’émission de jetons de plusieurs manières : instruments de capitaux propres, dette financière, autre dette ou encore paiement anticipé pour un contrat de biens ou services avec un client, sans qu’aucune règle uniforme ne soit pour l’heure établie.

Le contribuable a aujourd’hui l’embarras du choix. Au vu des règles précitées, il pourra détenir le cryptoactif en direct ou par l’intermédiaire d’une structure, transparente ou opaque. Il pourra décider de conserver ou de céder les cryptoactifs. Les règles qui lui seront appliquées dépendent alors de sa qualité, et diffèrent selon qu’il s’agisse d’une activité occasionnelle ou professionnelle. Les personnes morales, sociétés de capitaux, font l’objet d’une réglementation comptable qui s’ajoute à la réglementation fiscale. Les émetteurs de cryptoactifs font aussi face à des règles nouvelles et mouvantes, qui évoluent au fur et à mesure du développement des cryptoactifs.

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Fiscalité financière

[Focus] Le cadre déclaratif des cryptomonnaies, un double chantier

Lecture: 8 min

N7699BYS

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par Sarah Maubert Mendez - Avocate au Barreau de Aix-en-Provence et Eizer Souidi - Avocat Fiscarea Avocats

Le 03 Juin 2021


Si la fiscalité des revenus générés par les cryptoactifs n’a plus de secret pour de nombreux investisseurs, déclarer leur simple détention leur pose toutefois souci. Certains peuvent ainsi être tentés de ne pas déclarer leur portefeuille et de miser sur le caractère volatile et anonyme des transactions pour garder sous silence leur activité.

Pour dissuader de tels comportements, les autorités administratives, nationales et européennes, tentent d’établir un cadre clair et persuasif.

Ce double chantier promet d’être long, mais passionnant.


 

I. Un cadre déclaratif national à parfaire

Le 5 avril 2018, Monsieur Landau remettait un rapport au ministre de l’Économie et des Finances, Bruno Le Maire, relatif aux cryptoactifs. Il appelait à la mise en place d’un cadre comptable, fiscal et prudentiel entourant les cryptoactifs clair et lisible.

Si l’effort de légifération et de clarification par la doctrine administrative en la matière est incontestable, l’étendue des obligations fiscales déclaratives entourant ces cryptoactifs reste floue à certains égards. Les questions qui restent en suspens, à défaut d’être nombreuses, sont d’une importance pratique majeure car la sécurité juridique et économique des porteurs d’actifs en pâtit directement.

A. Les difficultés pratiques rencontrées depuis l’origine en matière de déclaration

Dans le cadre de l’adoption du projet de loi visant à instituer les articles 150 UA (N° Lexbase : L9065LN3), 150 VH bis (N° Lexbase : L9043LQY), 200 C (N° Lexbase : L8899LNW) et 1649 bis C (N° Lexbase : L9064LNZ) du CGI, le Sénat alertait déjà sur le risque d’adopter une méthode inadaptée aux obligations déclaratives du contribuable.

La méthode de calcul des plus-values résultant de la cession d’actifs numériques s’inspire de la méthode applicable en matière de plans d’épargne en actions (PEA), en ce qu’elle assimile la cession à un retrait partiel imposable à hauteur de la quote-part de valorisation du portefeuille d’actifs numériques.

Dans ce cadre, chacune des cessions génératrices d’une plus-value imposable doit donner lieu au calcul individualisé de la plus-value imposable selon la formule générique déjà évoquée dans l’article de ce numéro sur la détention des cryptoactifs.

Le contribuable réalisant une activité occasionnelle pourra rapidement être dépassé par cette méthode de calcul. Outre la multiplication des calculs à opérer, la capacité du contribuable à retracer l’ensemble des prix d’acquisition des cryptoactifs possédés dans son portefeuille laisse dubitatif.

Dans ces conditions, certains logiciels informatiques fleurissent actuellement. Ces solutions proposent notamment d’importer les échanges réalisés au moyen d’un fichier .API ou .CSV. Si l’adaptation de ces solutions informatiques aux particularités du cadre fiscal français est sujette à caution, le succès de ces plateformes auprès des contribuables – voire de certains conseils – est représentatif des enjeux déclaratifs d’espèce.

Par ailleurs, si les services fiscaux ont publié une annexe n° 2086-SD aux fins de déclaration de ces plus ou moins-values à partir de 2020, cette annexe ne permet de déclarer que vingt opérations. Avec une moyenne maximale de 1,2 opération par mois en moyenne, ce formalisme n’est clairement pas adapté aux habitudes transactionnelles des contribuables se livrant occasionnellement à cette activité.

Seule solution à cette carence, l’impression en plusieurs exemplaires du formulaire n° 2086 en autant d’exemplaires que de transaction à déclarer avec l’établissement d’une mention expresse expliquant les difficultés rencontrées.

Il est par ailleurs conseillé au contribuable de produire un tableau synthétique sur lequel il reporterait l’ensemble de ses transactions.

Un tel tableau devrait faire apparaître la date de l’opération, le prix de cession, le prix total d’acquisition brut, la somme des fractions de capital, le prix total d’acquisition net de portefeuille, la valeur globale du portefeuille d’actifs et la plus ou moins-value en résultant.

Cette solution n’est pourtant pas optimale et pose une dernière difficulté. En effet, le contribuable pourra alors hésiter entre adresser son entière déclaration par voie papier à une date plus précoce (rappelons que pour la campagne déclarative relative à l’exercice 2020, la date limite de dépôt des déclarations papier était fixée au 20 mai 2021) ou, réaliser sa déclaration en ligne tout en adressant son annexe n° 2086 par l’intermédiaire de sa messagerie sécurisée. Il sera alors conseillé au contribuable, à l’occasion de sa déclaration en ligne, qu’il adresse par ailleurs une annexe par messagerie sécurisée.

Ces solutions, imparfaites, sont révélatrices du caractère inachevé et inadapté du cadre déclaratif mis en place par l’administration. Il ne peut qu’être espéré que la prise d’importance des transactions d’actifs numériques, induite par leur démocratisation au cours de cette année 2020, amène l’administration à parfaire ce cadre.

Ces difficultés ne sont d’ailleurs pas isolées et le contribuable pourra souffrir du défaut de cadre légal de certains biens. L’imbroglio entourant les « non fongible tokens » (ou « NFT » ci-après) en est l’illustration.

B. Le cas particulier des NFT

Si les NFT ont le vent en poupe, cette prise d’importance met un peu plus à mal le cadre fiscal applicable. Ces jetons non fongibles (« Non fongible tokens »), diffèrent des cryptoactifs classiques en ce qu’ils sont caractérisés par leur unicité et de leur caractère identifiable.

Or, comme étudié dans l’article dédié, le cadre juridique de ces NFT interroge. Plusieurs classifications de cet actif peuvent être envisagées, mais ceux-ci restent pour l’heure catégorisés comme étant un actif numérique répondant à la définition de l’article L. 54-10-1 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L7609LQU).

Dans ces conditions, les obligations déclaratives pesant sur les NFT sont particulièrement floues. Ces jetons doivent-ils donner lieu à déclaration au titre d’un actif numérique conformément à l’article 150 VH bis du CGI ?

Rappelons d’ailleurs que le décret 2019-656, du 27 juin 2019 (N° Lexbase : L6753LQ8) est venu expliciter les obligations déclaratives pesant sur la cession de tels actifs numériques.

Rien n’est moins sûr, contribuables et conseils confrontés à ces enjeux prêteront particulièrement attention à la réponse qui pourra être apportée à la question écrite n° 22200 de M. Jérôme Bascher (JO Sénat du 15 avril 2021).

À cette occasion, il a été sollicité de la part du ministère de l’Économie, des Finances et de la Relance, une prise de position sur la classification des NFT et leur traitement fiscal en matière d’obligations déclaratives.

Cet éclaircissement juridique permettra au contribuable procédant à des cessions de NFT d’appréhender avec plus de sérénité l’étendue de ses obligations déclaratives, nous ne pouvons que regretter que cette précision n’intervienne pas à temps au titre de la présente campagne déclarative.

 

II. Un nouveau cadre déclaratif communautaire à transposer

Conscients du risque de forum shopping induit par la facilité pour un contribuable européen de s’établir dans un autre pays de l’Union ou un pays tiers imposant faiblement ou nullement les plus-values de cession de cryptoactif, l’Union européenne compte se montrer proactive sur le terrain de l’échange automatique et obligatoire d’informations entre ses États membres.

Notons ici que ce transfert de localisation des cryptoactifs hors de France est d’ailleurs facilité par l’absence d’application du mécanisme dit de l’exit tax.

Depuis 2011, l’Union européenne poursuit un objectif de renforcement de la coopération entre États membres pour imposer les contribuables correctement et lutter contre la fraude et l’évasion fiscale. Pour ce faire, l’Union s’est dotée d’une directive, régulièrement amendée, connue sous l'acronyme DAC (pour Directive on Administrative Cooperation).

Si la doctrine s’emploie encore à traiter des enjeux considérables induits par la Directive « DAC 6 » relative aux règles de transparence pour les intermédiaires concevant des montages fiscaux potentiellement dommageables, Bruxelles a d’ores et déjà initié une consultation publique afin d’adopter une éventuelle Directive « DAC 8 » pour plus de transparence fiscale sur les cryptoactifs. Cette proposition de nouvel amendement de la directive initiale de 2011, en consultation publique depuis le 10 avril 2021, propose un renforcement des règles existantes et une expansion des échanges d’informations en vigueur pour inclure les cryptoactifs et les monnaies virtuelles. Les objectifs de la directive sont clairs : permettre aux administrations fiscales d’obtenir les informations nécessaires au contrôle et à l’imposition des contribuables et en particulier les contribuables qui généreraient des revenus via les cryptoactifs.

Deux éléments font aujourd’hui obstacle à la volonté de coopération : d’une part une difficulté pour les administrations nationales d’appréhender concrètement le volume d’utilisation des cryptoactifs par ses contribuables, et d’autre part une disparité des sanctions appliquées par les différents États.

Dans le cas de la première problématique, la directive relève qu’il n’existe pas, aujourd’hui, d’obligation d’échange d’informations par les intermédiaires intervenant en matière de cryptoactifs, alors qu’une telle obligation existe pour les autres intermédiaires financiers depuis DAC 2. Cette obligation d’échange d’informations pourrait alors être étendue aux intermédiaires en matière de cryptoactifs en application des dispositions de DAC 8.

Pour ce faire, il est indispensable que DAC 8 définisse le champ des cryptoactifs et permette surtout l’identification claire de ce qu’est un intermédiaire en matière d’actifs numériques. En matière de définitions, la proposition de directive souligne bien la nécessité d’harmoniser les règles des différents États membres et de piocher les solutions parmi les règles existantes.

Dans le cas de la seconde problématique, un cadre coercitif commun devrait être défini par les pays de l’Union pour sanctionner les manquements aux obligations déclaratives définies par la directive. Par ailleurs, la mise en œuvre des sanctions demeurerait de la compétence exclusive et souveraine de chaque État membre. La coordination des différents États membres devrait permettre d’éviter que les contribuables utilisent la disparité des règles et leur complexité pour faire du tax shopping.

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Fiscalité financière

[Focus] Tokens et NFT : Variations sur le thème des cryptoactifs

Lecture: 7 min

N7702BYW

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par Benjamin Guion - Avocat au Barreau de Marseille et Alex Ajroud Chetioui - Avocat au Barreau de Bastia

Le 02 Juin 2021


La rapidité à laquelle évoluent les cryptoactifs, comme celle à laquelle se créent de nouveaux actifs numériques est probablement sans précédent dans l’histoire moderne. En quelques années, les cryptomonnaies, dont le Bitcoin et l’Ethereum sont les principaux chefs de file, ont atteint des valeurs importantes à raison d’une croissance exponentielle, et extrêmement rapide.

Mais les actifs numériques ne se cantonnent pas aux cryptomonnaies, et de nouveaux actifs ont fait leur apparition. Ces derniers, tels que les Jetons Valeurs, les Jetons Utilitaires ou encore les Non Fungible Tokens (NFT), ont ouvert encore plus le champ des possibles de la spéculation sur actifs numériques. Mais ces nouveaux actifs font de nouveau place à des interrogations sur leur qualification juridique (1) et, par là même, sur le traitement fiscal à appliquer aux gains réalisés sur la cession de tels actifs (2).


 

1. La qualification juridique des Tokens et des NFT

En premier lieu, il convient de préciser que ce que l’on qualifie au sens large de « Tokens », est tout simplement un actif numérique échangeable sur une blockchain. Cette dernière est elle-même définie, selon un rapport de la mission d’information commune de l’Assemblée nationale sur les usages des chaînes de blocs et autres technologies de certification de registre, daté de 2018, comme étant « un registre, une grande base de données qui a la particularité d’être partagée simultanément avec tous ses utilisateurs, tous également détenteurs de ce registre, et qui ont également tous la capacité d’y inscrire des données, selon des règles spécifiques fixées par un protocole informatique très bien sécurisé grâce à la cryptographie ».

Le schéma suivant, proposé dans ce rapport, paraît pertinent :

 

Un token peut donc être créé de différentes manières, reprises dans le rapport de l’OCDE sur la fiscalité des monnaies virtuelles :

  • par Airdrop : distribution de jetons gratuitement, dans le but de faire connaître ces derniers et d’en accroître la liquidité ;
  • par Initial Token Offering (ITO) : émission d’un nouveau jeton, en échange d’une monnaie virtuelle existante ou d’une monnaie ayant cours légal. Ces opérations semblent néanmoins être sur le déclin depuis 2019, celui-ci pouvant s’expliquer par la régularisation grandissante, et nécessaire, du marché, et par la difficulté à faire concurrence à des cryptomonnaies bien établies telles que le Bitcoin ou l’Ethereum ;
  • par Minage : le « mineur » est la personne qui va entreprendre des processus informatiques complexes afin de créer de nouveaux blocs sur une blockchain. Le mineur percevra en contrepartie de sa « preuve de travail » une récompense de minage, sous forme soit de nouveaux jetons, soit par des frais de transaction de protocoles ;
  • par Forgeage : il s’agit d’un processus de vérification des transactions fondé sur le même principe que le minage.

Ces jetons, une fois créés, sont uniques et non falsifiables. Ils peuvent ainsi être échangés entre les différents opérateurs, soit en contrepartie d’un actif numérique, soit en contrepartie de monnaie virtuelle. Chaque opérateur peut stocker ses actifs numériques dans un portefeuille, appelé Wallet, également numérique.

Ces opérations d’échanges, en ce qu’elles sont susceptibles d’engendrer des gains, seront bien évidemment soumises à taxation dans le pays de domiciliation du contribuable en application de la législation fiscale interne en vigueur.

Néanmoins, le traitement fiscal français dépendra essentiellement de la qualification juridique de ces jetons.

L’article L. 552-2 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L7517LQH) définit ainsi les jetons comme étant « tout bien incorporel représentant, sous forme numérique, un ou plusieurs droits pouvant être émis, inscrits, conservés ou transférés au moyen d'un dispositif d'enregistrement électronique partagé permettant d'identifier, directement ou indirectement, le propriétaire dudit bien ».

L’article 86 de la loi Pacte a également crée un article L. 54-10-1 dans le même Code, en ajoutant à cette définition celle plus large de « Toute représentation numérique d'une valeur qui n'est pas émise ou garantie par une banque centrale ou par une autorité publique, qui n'est pas nécessairement attachée à une monnaie ayant cours légal et qui ne possède pas le statut juridique d'une monnaie, mais qui est acceptée par des personnes physiques ou morales comme un moyen d'échange et qui peut être transférée, stockée ou échangée électroniquement ».

La question de la qualification juridique pourrait toutefois se poser quant à la nature des NFT, jetons non fongibles, qui peuvent concerner une forme d’objet numérique artistique : une image, une vidéo ou encore un son. De plus, l’acquéreur d’un NFT se voit remettre un certificat établissant sa propriété sur l’objet sur la blockchain. Or, les échanges de NFT se sont développés en 2019 et en 2020, pour prendre un envol exponentiel en 2021, avec davantage de Airdrops.

Néanmoins, force est de constater que l’état du droit en matière d’actif numérique est mouvant et s’adapte aux apparitions d’actifs nouveaux. Pour l’heure, il convient donc de considérer les jetons et les NFT comme des biens incorporels représentant un ou plusieurs droits susceptibles d’être conservés ou échangés.

Cette qualification pourra toutefois être amenée à évoluer, et une question au Gouvernement n° 22200 a été posée par M. Jérôme Bascher (JO Sénat du 15 avril 2021) au sujet précisément de la fiscalité des NFT. La réponse à cette question à venir sera à surveiller avec attention.

2. Traitement fiscal des cessions de Tokens et des NFT

La qualification juridique des tokens et des NFT est fondamentale pour déterminer le traitement fiscal à appliquer aux gains de cessions de ces actifs numériques. Néanmoins, du fait du caractère spécifique et de la forme de ces actifs, le législateur a entendu créer un article dédié au sein du Code général des impôts, l’article 150 VH bis (N° Lexbase : L9043LQY), qui entend traiter de manière uniforme la fiscalité des gains sur cessions d’actifs numériques réalisées par une personne physique à titre occasionnel.

Comme mentionné dans les précédents articles, cet article vise de manière générale les « actifs numériques », sans précision particulière quant à la catégorie d’articles. De plus, il renvoie expressément à l’article L. 54-10-1 du CMF mentionné ci-dessus, lui-même renvoyant à l’article L. 522-2 du même Code.

Dès lors, il peut en être déduit que les tokens et les NFT, qui entrent dans la catégorie des actifs numériques, entrent dans le champ d’application de cet article. Le fait générateur de l’imposition est l’échange de l’actif numérique contre une monnaie ayant cours légal, un bien, un service, ou un autre actif numérique avec soulte. Les plus-values réalisées sont donc calculées selon la méthode de calcul décrite dans l’article, qui prend en compte la valeur globale du portefeuille et le montant d’acquisition du cryptoactif.
Les gains réalisés par la personne physique agissant directement ou par personne interposée relevant des articles 8 et suivants du CGI (N° Lexbase : L1176ITQ), à titre occasionnel sont donc imposés à l’impôt sur le revenu au taux de 12,8 %, auxquels s’ajoutent les prélèvements sociaux au taux de 17,2 %. Les moins-values éventuelles s’imputent sur les plus-values brutes de même nature réalisées au cours de la même année. Elles ne sont donc pas reportables.

En revanche, les gains réalisés par des personnes, ou par extension des personnes morales, à titre professionnel, les gains réalisés sont imposés selon les règles applicables aux BIC.
En revanche, l’activité de minage évoquée ci-dessus demeure imposable dans la catégorie des BNC.

Ces dernières règles s’appliquent aussi bien aux émetteurs de jetons qu’aux investisseurs. Précisons également que les émetteurs de jetons peuvent également en sus être soumis à TVA si tant est qu’il existe un lien entre le service rendu ou le bien acquis et la contre-valeur reçue. Cela revient donc à démontrer, selon une jurisprudence constante, que l’opération en cause procure un avantage à la personne destinataire de l’émission de l’actif numérique, et que le prix payé est en lien avec ledit avantage.

Comme il peut l’être constaté, l’évolution très rapide des actifs numériques, susceptible d’évoluer encore plus, du fait de la volatilité de ces actifs, aussi bien à la hausse qu’à la baisse, implique un traitement fiscal adapté et réagissant rapidement. Émetteurs de jetons, investisseurs aussi bien professionnels que particuliers à titre occasionnel, la simplicité d’accès du marché des actifs numériques favorise les échanges, qui s’opèrent aujourd’hui à d’importants volumes. Mais il convient alors de garder à l’esprit que tous les gains sont taxables, et ce d’autant plus qu’au vu de la pluralité des acteurs, le droit fiscal dans son ensemble est mobilisé.

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Fiscalité financière

[Focus] Fiscalité des opérations en cours de détention et de transmission d’actifs numériques

Lecture: 16 min

N7710BY9

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par Benjamin Guion - Avocat au Barreau de Marseille et Eizer Souidi - Avocat Fiscarea Avocats

Le 03 Juin 2021


Le nombre de consultations fiscales auprès de professionnels directement liées à la détention d’actifs numériques ne cesse de croître. Le marché étant particulièrement volatile et propice à de fortes plus ou moins-values, ce phénomène perdure. Les interrogations du porteur d’actifs numériques portent notamment sur l’optimisation de la détention et de la transmission de l’actif ainsi que sur les conséquences fiscales de certaines opérations juridiques.

Certaines opérations en cours de détention (I) que lors de la transmission patrimoniale (II) de l’actif numérique peuvent avoir des incidences fiscales, parfois imprévues.


 

I. La fiscalité des opérations sur actifs numériques en cours de détention

Parmi l’ensemble des opérations juridiques entreprises en cours de détention, les prêts et apports en garantie (A), ainsi que les opérations de transferts d’actifs numériques hors de France (B) peuvent avoir des conséquences fiscales inattendues.

A. Imposition des prêts et sûretés sur actifs numériques

Le prêt ou l’apport en garantie d’un actif numérique donnent-ils lieu à transfert de propriété et constituent-ils un fait générateur d’imposition au sens de l’article 150 VH bis du Code général des impôts (N° Lexbase : L9043LQY) ?  L’intérêt du débat théorique se double aujourd’hui d’incidences pratiques dans le cadre du développement des services financiers sur ces nouvelles plateformes de « cryptoprêts ».

Ce débat est apparu récemment, en matière de prêt. Rappelons que l’article 1875 du Code civil (N° Lexbase : L1745IED) dispose que « le prêt à usage est un contrat par lequel une partie livre une chose à l’autre pour s’en servir, à la charge par le preneur de la rendre », étant entendu qu’aucun transfert de propriété n’intervient classiquement dans cette opération.

L’article 1892 de ce même Code (N° Lexbase : L2109ABQ) dispose quant à lui que « le prêt de consommation est un contrat par lequel l’une des parties livre à l’autre une certaine quantité de choses qui se consomment par l’usage ». Aussi, la souscription d’un tel contrat de prêt emporte nécessairement transfert de propriété.

Si aucune prise de position du législateur ne permet de trancher ce sujet, la jurisprudence semble se saisir de la question.

Ainsi, le tribunal de Commerce de Nanterre (T. com. Nanterre, 26 février 2020, n° 2018F00466 N° Lexbase : A04243H8) a récemment qualifié le prêt de Bitcoin de prêt de consommation.

Les conséquences de cette décision intéressent le fiscaliste. En effet, le prêt de cryptomonnaies comparables au Bitcoin entraînerait nécessairement transfert de propriété au sens civil du terme, constituant dès lors un fait générateur d’imposition au sens de l’article 150 VH bis du CGI.

Il est permis de s’interroger sur la portée de cette jurisprudence, si elle venait à être confirmée, en matière, par exemple, de Non Fungible Tokens (pour une étude de la notion, voir l’article Tokens et NFT, variations autour des cryptoactifs N° Lexbase : N7702BYW) par définition non fongibles. Ainsi, une appréciation a contrario pourrait laisser à penser que le prêt de tels actifs numériques non fongibles ne donnerait pas lieu à taxation.

Ce débat a pris une dimension résolument pratique avec l’essor des crédits garantis par actif numérique (crypto-backed loans) qui donnent lieu à l’apport de tels actifs en garantie avec des conséquences civiles comparables à celle d’un prêt en matière de transfert de propriété. Imaginé comme une solution de financement dématérialisée, l’emprunteur peut se rendre sur une plateforme dématérialisée afin d’obtenir un financement. Un protocole de transaction informatisé (smart contract) est généré automatiquement, l’emprunteur apporte en garantie ses cryptoactifs, un nantissement avec dépossession s’exerce alors et ces actifs numériques sont mis sous séquestre. L’emprunteur bénéficie en contrepartie d’un prêt en monnaie ayant cours légal (monnaie dite « fiat »).

Au regard de la jurisprudence précitée, et par analogie, il peut être craint que cette opération d’apport en garantie de cryptomonnaie avec dépossession ne soit pas fiscalement neutre et desserve la dynamique de ce nouveau système de financement dématérialisé.

B. Imposition du transfert de portefeuille d’actifs numériques à l’étranger

Le transfert du domicile fiscal hors de France vers un état autre que l’Union européenne peut constituer un fait générateur d’imposition conformément à l’article 167 bis du Code général des impôts (N° Lexbase : L8073LQ3) qui encadre le régime de l’exit tax. Démocratisation de la détention de cryptoactifs oblige, la question de l’assujettissement des plus-values d’actifs numériques latentes, à ce dispositif d’exit tax se pose.

Or, l’article 167 bis du CGI ne semble pas avoir pris acte de la montée en puissance de ces actifs numériques dans la mesure où le champ d’application du dispositif ne semble pas intégrer ces nouveaux actifs numériques. Pourtant, certaines zones d’ombre subsistent.

Compte tenu de l’esprit même du dispositif d’exit tax, il est peu probable que le législateur ait sciemment choisi de faciliter les pratiques de forum shopping.

Nul doute que le champ de l'exit tax s'élargira en cas d'accentuation du phénomène d'expatriation dû à des taux d'imposition des plus-values sur cession de cryptoactifs plus attractifs à l'étranger.

Par ailleurs, une expatriation mal préparée, et guidée par une motivation au moins principalement fiscale, serait susceptible de donner lieu à l’application des articles L. 64 (N° Lexbase : L9266LNI) et L. 64 A (N° Lexbase : L9137LNQ) du Livre des procédures fiscales dans le cadre d’un contrôle diligenté par l’administration. Elle pourrait alors considérer l'expatriation comme fictive et donc ne lui étant pas opposable.

De même, le service vérificateur pourrait justifier de telles rectifications en établissant qu’en s’expatriant, le contribuable recherche le bénéfice de l’application littérale de l’article 167 bis du CGI, et le non-assujettissement de son portefeuille d’actifs, avec pour objectif exclusif ou principal d’éluder ou d'atténuer sa charge fiscale.

Les indices d’abus qui pourraient être relevés par l’administration fiscale sont multiples. La proximité entre la date d’établissement de la résidence fiscale dans cet état tiers et la conversion de toute ou partie du portefeuille de cryptoactifs en monnaies fiat, ou encore un retour rapide en France postérieurement à l’opération, pourraient constituer des indices d’abus de droit. Enfin, le défaut de déclaration de la détention d’un ou de plusieurs serveurs électroniques étrangers constitue un indice d’abus de droit d’autant plus important qu’il risque d’exposer le contribuable à la qualification à son encontre d’une activité occulte allongeant le droit de reprise jusqu’à la fin de la dixième année suivant celle au titre de laquelle l’imposition est due, c’est-à-dire l’année de conversion.

II. La fiscalité de la transmission des actifs numériques

Il n’est pas inutile de rappeler, à ce stade de l’analyse, que tant les cryptomonnaies que les tokens sont, pour une personne physique, un élément de son patrimoine privé.

Étant un élément du patrimoine, les actifs numériques pourraient ainsi avoir vocation à être transmis à un héritier ou un tiers. La donation pourrait alors présenter un double intérêt : un intérêt de transmission patrimoniale, doublé d’un effacement partiel ou total de la plus-value qui pourrait être constatée.

De plus, l’efficacité de la donation pourrait être accrue par le biais du mécanisme du démembrement de propriété, qui n’est pas sans soulever certaines interrogations.

A. La donation d’actif numérique, un potentiel outil de diminution de la plus-value imposable

Un particulier peut souhaiter transmettre tout ou partie de son patrimoine à l’un ou plusieurs de ses héritiers. Pour ce faire, il peut, classiquement, procéder par voie de donation ou legs.

Les donations permettent la transmission, du vivant du donateur, d’un bien présent dans son patrimoine, au cas d’étude un cryptoactif. Plusieurs types de donations sont possibles et présentent des particularités, voire des difficultés :

  • en cas de donation simple, il faudra appliquer le mécanisme du rapport pour la valeur du bien transmis, conformément à l’article 922 du Code civil (N° Lexbase : L0071HPC), et ce, au jour du partage. Si la valeur du cryptoactif transmis a fortement augmentée, ce qui était initialement le but recherché lors de l’acquisition de cet actif, une atteinte à la réserve héréditaire pourra être constatée. Dans cette situation, la donation d’un cryptoactif à l’un de ses héritiers pourrait alors avoir un effet pervers indésirable, si un empiètement sur la réserve est constaté au jour du partage.
  • en cas de donation-partage, en revanche, la Cour de cassation a pu préciser au visa de l’article 843 du Code civil (N° Lexbase : L9984HN4), dans un arrêt en date du 4 juillet 2018 (Cass. civ., 4 juillet 2018, n° 16-15.915, F-P+B N° Lexbase : A5673XXE) que « les biens qui ont fait l'objet d'une donation-partage ne sont pas soumis au rapport qui n'est qu'une opération préliminaire au partage en ce qu'il tend à constituer la masse partageable ».

Ainsi donc, en cas de donation-partage, la règle du rapport ne pourra être mise en œuvre, ce qui pourrait avoir pour conséquence d’avantager un héritier au détriment des autres. Cependant, celle-ci est soumise aux règles de la réunion fictive du patrimoine du défunt, au moment de la succession, afin de calculer la masse de la réserve et de la quotité disponible. Par ailleurs, la mise en œuvre d’une donation-partage nécessite la présence et l’aval de tous les héritiers réservataires, ce qui peut être difficile à recueillir.

La donation-partage présente toutefois un autre avantage, constitué par le fait qu’il convient de retenir la valeur du bien transmis au jour de la donation, si les conditions de l’article 1078 du Code civil (N° Lexbase : L0233HPC) sont remplies. Contrairement au cas de la donation simple, la valeur du cryptoactif donné serait figée, et ce, peu importe la valeur du cryptoactif donné au jour du décès.

Les donations présentent également un intérêt en matière de plus-values. En effet, la donation d’un élément de patrimoine à l’un quelconque de ses héritiers entraîne une taxation relative aux frais de mutation à titre gratuit mais aucune taxation concernant la plus-value latente du donateur.

Pour prendre un exemple concret, Monsieur A détient plusieurs Bitcoins, d’une valeur d’acquisition de 10 000 euros, qui sont à ce jour valorisés à 300 000 euros. Monsieur A souhaite céder ces Bitcoins à son fils.

Dans l’hypothèse 1, Monsieur A décide de vendre ses Bitcoins et de donner ensuite le produit de cette vente à son fils. Monsieur A sera imposé à hauteur de 30 % sur la plus-value économique réalisée, soit une base de 290 000 euros, pour une imposition de 87 000 euros, et un reste à donner de 300 000 euros – 87 000 euros soit 213 000 euros.

Monsieur A pourra donner cette somme à son fils, en appliquant l’abattement pour somme d’argent (CGI, art. 790 G N° Lexbase : L6245LUT) d’un montant de 31 865 euros, majoré de l’abattement personnel par parent et par enfant d’un montant de 100 000 euros (CGI, art. 779 N° Lexbase : L6869IZG), soit au total un abattement de 131 865 euros. Les droits de mutation à titre gratuit seront donc calculés sur une base de 213 000 euros - 131 865 euros = 81 135 euros, et s’élèveront à 14 421 euros.

Le coût total de l’opération dans l’hypothèse 1 sera de 87 000 + 14 421 = 101 421 euros.

Dans l’hypothèse 2, en cas de « donation-cession », Monsieur A donnerait d’abord les Bitcoins à son fils, qui les cédera ensuite. Dans cette hypothèse, Monsieur A ne réalise pas de plus-value. Les droits de mutation à titre gratuit sont calculés sur une base de 300 000 euros – 100 000 euros d’abattement personnel, sans pouvoir bénéficier de l’abattement supplémentaire « somme d’argent ». Les droits de mutation à payer seront calculés sur la base de 200 000 euros, soit 38 194 euros de droits. Si le fils de Monsieur A cède les bitcoins immédiatement après la donation et que leur coût n’a pas fluctué, aucune plus-value ne sera due sur l’opération.

Le coût total de l’opération dans l’hypothèse 2 sera de 38 194 euros seulement.

Cela étant dit, la base imposable à retenir pour le calcul des droits pourrait être encore plus diminuée, par la technique désormais traditionnelle du démembrement de propriété.

B. Le démembrement d’actifs numériques, quelles perspectives :

Au même titre que les autres éléments du patrimoine d’une personne physique, les cryptoactifs pourraient faire l’objet d’une opération de démembrement.

Tout d’abord, rappelons que la pleine propriété se compose de trois composantes que sont l’usus (i.e. le droit d’user de la chose), le fructus (i.e. le droit de tirer les fruits de la chose) et enfin l’abusus (i.e. le droit d’abuser de la chose, au sens juridique du terme, c'est-à-dire de la vendre notamment). Une fois démembrée, la propriété se compose d’une part de l’usufruit, qui est le cumul des droits d’usus et de fructus, et d’autre part de la nue-propriété, qui est l’abusus restant.

Cela étant dit, la question du démembrement de propriété peut légitimement être posée concernant les cryptomonnaies notamment, tant d’un point de vue juridique que d’un point de vue fiscal.

Pour être efficace, le démembrement de propriété suppose un partage des droits et des devoirs entre les propriétaires indivis. Pourtant, certains cryptoactifs, et les cryptomonnaies en premier lieu, semblent incompatibles avec un tel démembrement, du fait même de leur nature.

Concernant les cryptomonnaies, il n’existe tout d’abord pas de fruits. En effet, une cryptomonnaie ne dégage pas de dividendes, comme pourraient le faire des parts ou actions d’une société. Dès lors, ce démembrement de propriété permettrait donc uniquement à l’usufruitier d’user d’une cryptomonnaie, et non pas d’en tirer les fruits.

Les fruits mis à part, certaines prérogatives peuvent être attachées aux cryptomonnaies. En effet, leur propriétaire peut (i) les détenir simplement ou (ii) les céder.

En cas de simple détention, une opération de démembrement ne semblerait pas, a priori, présenter un grand intérêt.

Quant à l’usage de la cryptomonnaie par cession, cette situation ne semble pas contrevenir aux droits du nu-propriétaire, puisque l’article 597 du Code civil (N° Lexbase : L3178ABC) précise que : « Il [l’usufruitier] jouit des droits de servitude, de passage, et généralement de tous les droits dont le propriétaire peut jouir, et il en jouit comme le propriétaire lui-même ».

Dans le cas précis de la détention de l’usufruit d’une cryptomonnaie, il ne semble pas disproportionné de croire que l’usufruitier peut échanger son cryptoactif, et donc, finalement, le céder. À défaut de ce pouvoir d’échange/cession, l’usufruitier serait privé tant de son droit d’user que de son droit d’en tirer les fruits, ce qui contreviendrait aux dispositions du Code civil précitées.

En cas d’usage de la cryptomonnaie par sa cession, celui-ci consommerait le bien et la substance donnée devrait être qualifiée de quasi-usufruit posé par l’article 587 du Code civil (N° Lexbase : L3168ABX). Cet article dispose notamment que : « Si l'usufruit comprend des choses dont on ne peut faire usage sans les consommer, [...] l'usufruitier a le droit de s'en servir, mais à la charge de rendre, à la fin de l'usufruit, soit des choses de même quantité et qualité soit leur valeur estimée à la date de la restitution ».

Dès lors, une interrogation peut survenir : quelle est la réelle obligation du quasi-usufruitier, notamment concernant la restitution du bien ? Si l’on se réfère à l’obligation de rendre « des choses de même quantité et qualité », comment faut-il entendre cette obligation dans le cas précis de la cession d’une cryptomonnaie ?

Du fait de la haute volatilité de ces actifs numériques, la notion de même quantité et qualité peut prêter à confusion. L’hypothèse qu’il conviendrait de retenir serait celle selon laquelle il appartiendrait au quasi-usufruitier de restituer l’objet qui lui a été transmis par la voie du quasi-usufruit.

Par exemple, si un particulier dispose du quasi-usufruit sur un Bitcoin, il lui appartiendrait tout naturellement de restituer, à son décès, au nu-propriétaire, un Bitcoin.

Mais en pratique, cette restitution n’est pas si aisée, et sa valorisation pourrait soulever des difficultés. Quid de la cession à un instant « T » d’un Bitcoin, contre d’autres cryptomonnaies d’une valeur équivalente au jour de la cession, mais dont les valeurs seront incontestablement amenées à varier ?

Il semblerait que le quasi-usufruitier soit amené à restituer soit un Bitcoin précisément au jour de son décès, soit la valeur estimée d’un seul Bitcoin au moment du décès. Il pourrait en résulter un bénéfice pour le quasi-usufruitier qui aurait effectué des opérations très rentables, et à l’inverse une dette envers la succession si les opérations ont généré des moins-values, ou à tout le moins une hausse moins importante que celle que pourrait connaître le Bitcoin.

Au surplus, et à simple titre d’interrogation, la date précise du « moment du décès » pourrait soulever certaines difficultés : faut-il retenir le jour du décès, l’heure exacte ? Les fluctuations de valeur de certaines cryptomonnaies peuvent être très importantes en l'espace de quelques heures, voire minutes, comme cela a pu être le cas lors de certains Tweets d’Elon Musk, par exemple.

D’un point de vue fiscal, le démembrement de propriété d’un cryptoactif, notamment d’un moyen de paiement tel que le Bitcoin, pourrait faire naître quelques risques.

En effet, un tel démembrement, aux fins de donation notamment, diminuerait de ce fait la valeur transmise, en application du barème prévu par l’article 669 du CGI (N° Lexbase : L3269ABP).

Cependant, comment justifier fiscalement une transmission de droits démembrés concernant une cryptomonnaie ?

Si l’on s'intéresse, par exemple, à un equity token, générateurs de droits de vote, ce démembrement pourrait se justifier. Or, en matière de cryptomonnaies, il a été suggéré dans le présent article que l’usufruitier aurait le droit de céder cet actif. De ce fait, il ne resterait aucune prérogative au nu-propriétaire.

Dès lors, l’intérêt d’une telle opération semblerait être exclusivement, sinon principalement, fiscal, et ouvrirait ainsi la voie à l’Administration fiscale de l’utilisation de la procédure du « mini abus de droit », prévu par l’article L. 64 A du Livre des procédures fiscales.

Il conviendra dès lors d’être plus que vigilant sur les opérations de transmissions de cryptoactifs, en gardant à l’esprit les risques fiscaux encourus, du fait des sommes importantes que peuvent dégager ces cryptoactifs, et dont la bulle spéculative ne cesse de croître, et ce, en l’absence de tout organe de régulation.

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Fiscalité financière

[Focus] Un tour d’Europe en 80 cryptos

Lecture: 6 min

N7714BYD

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par Sarah Maubert Mendez - Avocate au Barreau de Aix-en-Provence et Alex Ajroud Chetioui - Avocat au Barreau de Bastia

Le 03 Juin 2021


Face à l’émergence des cryptomonnaies, les décideurs publics européens n’ont eu d’autre choix que de prendre position pour réglementer ces nouveaux actifs dépourvus de définition uniforme. Les différents droits nationaux ont eux aussi dû réagir face aux problématiques posées par ces nouveaux actifs : l’anonymisation des transactions, les difficultés de valorisation, l’évaluation constante de la technologie qui les permet et l’explosion de leur utilisation par les particuliers.

Toutefois, face à une problématique pourtant commune, les différents pays européens n’ont pas adopté d’approche uniforme. Il en résulte ainsi une diversité de règles fiscales que nous nous proposons ici de présenter.


 

Différentes approches sont utilisées par les décideurs publics européens pour classer les cryptoactifs selon les fonctions qu’ils remplissent.

Les cryptoactifs peuvent donc être considérés comme des :

  • actifs incorporels (Espagne, France, Luxembourg, République Tchèque, Suisse, Royaume-Uni),
  • matières premières ou instruments financiers (Croatie, Danemark, Slovaquie)
  • monnaies fiduciaires étrangères (Belgique, Italie, Pologne),
  • représentations numériques de valeurs (Allemagne).

La catégorie des actifs incorporels reste la plus répandue. Cette préférence s’explique notamment car elle permet de pallier l’absence de régimes fiscaux spécifiques en appliquant aux cryptoactifs les régimes existants.

Il faudra se pencher ci-après sur la manière dont les législations européennes traitent deux situations distinctes de la vie des cryptoactifs : d’une part leur création (1) et d’autre part leur cession (2).

1. Création et « minage »

Au cours de l’existence du cryptoactif, certains pays européens considèrent que le premier fait générateur de l’impôt se trouve être la création du cryptoactif.

Pour rappel, les monnaies virtuelles peuvent être créées de différentes manières, par un processus dit du « minage », où le cryptoactif est attribué au mineur en tant que « récompense », par distributions gratuites initiales, également appelées « airdrops », ou encore par offres initiales de jetons (ou « initial coin offering », soit « ICO »).

À ce jour, les législations européennes traitent surtout des processus de minage. L’imposition du minage au niveau européen peut être divisée en trois catégories d’approches.

La plupart des pays européens considèrent que l’activité de minage constitue un premier fait générateur dans la vie du cryptoactif, et que l’acquisition de nouveaux jetons obtenus par minage déclenche l’imposition. À titre d’exemple, la Finlande considère plus précisément que les revenus issus du minage constituent des revenus traités comme des gains. Les autres pays partageant cette vision sont l’Autriche, la Croatie, l’Estonie, la Finlande, le Luxembourg, la Slovénie et le Royaume-Uni.

Certains autres pays ont choisi de distinguer selon que l’activité de minage est opérée de manière habituelle ou non par le mineur. Si le mineur agit comme un particulier, l’imposition n’est pas déclenchée. C’est notamment l’approche retenue par l’Allemagne, les Pays-Bas, la Norvège, la Suède et la Suisse. Dans ce dernier pays notamment, les plus-values réalisées par les particuliers suite aux activités de minage ne sont pas imposables si le particulier agit dans le cadre de la gestion de son patrimoine privé. Dans le cas contraire, les gains feront l’objet d’une imposition.

Enfin, certains pays européens considèrent que l’activité de minage ne constitue pas le fait générateur d’une imposition. C’est notamment le cas de la République Tchèque, du Danemark, de l’Estonie, de la Lettonie, de la Lituanie, de la Pologne ou encore de la Slovaquie. Dans ces pays, le premier fait générateur d’une imposition dans la vie du cryptoactif est constitué par la cession – au sens large – du cryptoactif.

Ces derniers pays attendent donc la cession du cryptoactif pour déclencher l’imposition. Cette dernière sera le plus fréquemment traitée de manière identique aux autres gains en capital réalisés par les individus en l’absence de réglementation spécifique.

2. Cessions

Les cessions des cryptoactifs englobent en réalité trois types de transactions : d’une part les échanges contre des monnaies fiduciaires, d’autre part les échanges contre des monnaies virtuelles ou autres crypto actifs, et enfin les échanges contre des biens ou des services.

Les pays européens ne considèrent pas tous que ces trois types d’échanges puissent constituer des faits générateurs d’une imposition.

Un nombre très restreint de pays considère même que les échanges réalisés par les particuliers ne constituent pas de fait générateur, quel que soit l’échange. Il s’agit du Portugal, qui considère notamment que les gains réalisés ne répondent pas aux définitions existantes, ou encore de la Suisse, qui assimile les opérations d’échanges à des paiements privés, de l’Italie, pour qui les transactions entre particuliers ne sont pas imposables, et enfin des Pays-Bas, qui applique aux cryptoactifs le régime prévu en matière d’épargne et d’investissements.

Ces quatre pays mis à part, la grande majorité considère que tous les échanges entraînent une imposition. Certains pays choisissent pourtant de ne pas déclencher l’imposition lorsque les échanges sont réalisés contre d’autres monnaies virtuelles ou cryptoactifs, essentiellement pour des problématiques de valorisation, et préfèrent alors différer l’imposition au moment où la plus-value est versée au bénéficiaire en monnaie traditionnelle. C’est notamment la position retenue par la France, la Lettonie et la Pologne.

Une fois l’opération entrant dans le champ d’application du droit fiscal interne, de nouvelles différences de traitement peuvent être relevées.

Certains pays considèrent que si l’opération entre dans le champ d’application de l’impôt sur le revenu ou sur les gains en capital, le taux appliqué reste de 0 %, sauf à ce que le volume d’opérations réalisées dépasse un certain seuil. Cette approche est notamment retenue par la Belgique, la Bulgarie, l’Allemagne, l’Irlande, la Lituanie ou encore le Luxembourg.

D’autres pays ont, à l’inverse, choisi de durcir le ton et d’adopter une attitude presque défiante face aux cryptoactifs. C’est notamment l’approche retenue par les pays baltiques, la Finlande, la Norvège et la Suède, qui taxent les gains à des taux de 30 %, mais également de la France, qui applique un taux de 30 % aux plus-values déclenchant le fait générateur de l’imposition.

Certains pays adoptent enfin une position d’entre-deux, en retenant des taux plus faibles, mais en choisissant tout de même de taxer les opérations. C’est le cas notamment de la Croatie, la Grèce, la Lettonie, la Pologne, la République Tchèque ou encore la Roumanie (dont les taux d’imposition oscillent entre 10 et 18 %).

L’Allemagne, de son côté, adopte une position intermédiaire, en conditionnant l’exonération d’imposition à une durée de détention du cryptoactif supérieure à 365 jours.

Nous pouvons donc constater une certaine disparité entre les différents pays européens dans le traitement fiscal appliqué aux gains réalisés sur les cessions de cryptomonnaies. Les différentes législations nous permettent de percevoir la politique fiscale du pays en ce qui concerne les cryptoactifs, dont l’uniformisation au niveau européen ne semble pas être d’actualité.

Les pays européens, crypto-friendly (en vert et bleu) or not (en rouge).

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Fiscalité financière

[Quiz] Fiscalité des cryptomonnaies : testez vos connaissances !

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par Marie-Claire Sgarra

Le 03 Juin 2021

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