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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication
Le 27 Mars 2014
Dura lex sed lex nous livrait, il y a peu, le Professeur Christophe Radé : la solution rendue le 4 mai 2012 par les Sages de la rue de Montpensier était "techniquement justifiée". L'article 222-33 du Code pénal, qui permettait que le délit de harcèlement sexuel soit punissable sans que les éléments constitutifs de l'infraction soient suffisamment définis, méconnaissait, ainsi, le principe de légalité des délits et des peines et devait être abrogé avec effet immédiat. Et, à n'en pas douter, le Conseil constitutionnel devrait rapidement abroger l'article L. 1153-1 du Code du travail qui définit le harcèlement sexuel en des termes sensiblement identiques.
L'effet boomerang était à prévoir : la majorité de la doctrine universitaire avait alerté les pouvoirs publics contre une définition "attrape tout" du harcèlement sexuel. Le Sénat s'en était, d'ailleurs, ému à l'occasion d'un rapport sur le projet de loi relatif à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu'à la protection des mineurs victimes et sur la proposition de loi relative à la répression des crimes. Pour le rapporteur de l'époque, le terme "pressions" apparaissait peu précis et risquait de s'avérer difficile à caractériser... alors, qu'il se réjouissait que, lors des travaux préparatoires du nouveau Code pénal, le Sénat ait retenu, pour la définition du délit de harcèlement sexuel, une formule faisant disparaître le terme de "pressions" qui figurait dans le texte de l'Assemblée nationale. Autant dire que le ver était dans le fruit depuis longtemps, et qu'il n'attendait plus qu'à sortir du trou à l'occasion d'une QPC, mal intentionnée.
Bien entendu, les harceleurs de tout poil n'allaient pas en rester là. Malgré la levée de boucliers des associations féministes et l'indignation d'une société profane des arguties juridiques, ils revenaient à la charge : cette fois à l'encontre de l'article 222-33-2 du Code pénal qui définit les sanctions pénales du harcèlement moral. En effet, fort de la décision rendue le 4 mai 2012, le tribunal de grande instance d'Epinal a transmis à la Cour de cassation, dans un jugement, rendu le 10 mai 2012, la question prioritaire de constitutionnalité suivante : "l'article 222-33-2 du Code pénal, en ne définissant pas de manière précise les éléments constitutifs de l'infraction, à savoir les éléments répréhensibles et les droits auxquels le prévenu est susceptible de porter atteinte, viole-t-il les droits de la défense et les principes d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi ?".
A nouveau, le harcèlement est pris en défaut de définition claire et précise ; les termes de sa caractérisation, qu'il soit sexuel ou moral, apparaissent, aux harceleurs, par trop évasifs et, partant, inconstitutionnels.
Même motif, même punition ? La chose ne semble, toutefois, pas aller de soi. Notre Directeur scientifique rappelle, justement, le soin mis en 2002 à définir précisément le harcèlement moral, ce qui a d'ailleurs permis de sauver le texte lors de son examen liminaire par le Conseil. Et, la Cour de cassation semble emboîter le pas, redéfinissant posément, le 16 mai 2012, l'office du juge en la matière. Ainsi, lorsque le salarié établit la matérialité de faits précis et concordants constituant selon lui un harcèlement, le juge doit se prononcer sur l'ensemble des éléments retenus afin de dire s'ils laissaient présumer l'existence d'un harcèlement moral et, dans l'affirmative, apprécier les éléments de preuve fournis par l'employeur pour démontrer que les mesures en cause sont étrangères à tout harcèlement moral. Et le même jour, de conclure : présume un harcèlement moral, le fait qu'une salariée ait déposé une plainte pénale nominative contre deux collègues dénommées pour des dégradations commises sur son véhicule, qu'elle ait bénéficié d'un nombre de nuits travaillées inférieur à celui de ses collègues, qu'elle ait fait l'objet d'une rétrogradation unilatérale de ses fonctions, que deux témoins ont fait état du dénigrement observé à son égard, et que les certificats médicaux produits attestaient des répercussions sur son état de santé de cette situation ainsi que des problèmes relationnels rencontrés avec ses collègues. La caractérisation est donc bien affaire de preuves de la matérialité des faits incriminés, alors que la définition du harcèlement moral pourrait être jugée, également, "évasive" par les empêcheurs d'un monde tournant rond.
Aussi, sauf à intégrer dans la définition du harcèlement moral, les 45 agissements du harcèlement (mobbing), selon Heinz Leymann, docteur en psychologie et psychosociologue suédois, célèbre pour ses recherches sur ce concept, depuis un essai sur la question publié en 1993, avec pour finalité cinq objectifs : empêcher la victime de s'exprimer, isoler la victime, la déconsidérer, discréditer le travail de la victime et compromettre sa santé physique, la chose pourrait s'avérer complexe. Encore, qu'en France, on s'en réfère à Marie-France Hirigoyen qui définit, dans Le Harcèlement moral : la violence perverse au quotidien, paru en 1998, l'infraction comme "toute conduite abusive qui se manifeste notamment par des comportements, des paroles, des actes, des gestes, des écrits, pouvant porter atteinte à la personnalité, à la dignité ou à l'intégrité physique ou psychologique d'une personne, mettant en péril l'emploi de celle-ci ou dégradant le climat social". Mais, par où l'on voit que le droit ne peut se satisfaire d'une définition par trop générale qui risquerait de tomber sous les fourches caudines constitutionnelles. "Sous prétexte de tolérance, on devient complaisant" écrivait-elle, encore : les Sages ne l'ont décidément pas entendu de cette oreille, du moins en ce qui concerne le volet sexuel du harcèlement.
Si "une loi injuste, une loi mauvaise, n'est pas une loi, n'est pas du droit", nous livre Platon dans Les lois, l'inverse n'est pas assurément vrai. Le principe de légalité des délits et des peines, hier, et celui de l'accessibilité et de l'intelligibilité de la loi, demain -tous deux principes éminemment clairs et précis !- pourraient bien faire tomber nombres de dispositifs "trop protecteurs" ou "trop généreux", sous la guillotine constitutionnelle. Pour l'heure, comme il fut question, un jour, de "terroriser les terroristes", convient-il de poursuivre l'éradication du harcèlement, en "harcelant les harceleurs", sur des fondements législatifs plus sûrs, que l'on attend avec impatience.
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par Anne-Lise Lonné Clément, Rédactrice en chef
Le 27 Mars 2014
I - L'avocat publiciste
Les avocats publicistes sont peu nombreux, si l'on se réfère aux 400 avocats publicistes déclarés en tant que tels et recensés par l'Ordre des avocats du barreau de Paris, ce qui correspond approximativement au fichier de tous les anciens étudiants de l'IDPA depuis 25 ans qui compte environ 500 étudiants.
Le droit public est assez méconnu, voire totalement, ce qui, selon Maître Peyrical, est d'autant plus regrettable qu'il existe de nombreux débouchés (dans le domaine de la construction et de l'urbanisme, des contrats et marchés publics, de l'environnement), que ce soit directement dans les collectivités publiques, ou dans les entreprises (réponses aux appels d'offres, dossiers dans le domaine de l'aménagement, ou gestion du contentieux). Il faut rappeler, en effet, que la commande publique en France fait vivre 70 % des PME et que le montant de la commande publique en France représente entre 15 et 20 % du PIB.
Ainsi que le relève Jean-Marc Peyrical, le rôle de l'avocat publiciste est de faire le lien entre deux cultures, la culture des entreprises et celle des personnes publiques.
Une évolution importante du métier de l'avocat publiciste est qu'il est amené à travailler avec d'autres métiers, et à intégrer des groupements pluridisciplinaires. Il travaille en effet de plus en plus avec des avocats privatistes, mais également avec des financiers, des techniciens, notamment dans le domaine des contrats complexes (contrat de partenariat, par exemple, pour la réalisation d'un établissement scolaire...). A cet égard, Maître Peyrical relève un problème de considération de la part des partenaires vis-à-vis des avocats, par rapport aux techniciens ou aux financiers.
Autre écueil auquel est confronté l'avocat publiciste, de plus en plus de collectivités imposent les groupements solidaires dans le cadre des marchés publics, ce qui est incompatible avec la déontologie de l'avocat. A cet égard, Maître Peyrical rappelle que le vice-Bâtonnier Yvon Martinet a indiqué qu'en cas d'engagement de la responsabilité de l'avocat dans un groupement solidaire, il n'était pas couvert par son assurance. Quoi qu'il en soit, il n'existe pas de jurisprudence sur cette question.
II - La relation aux collectivités publiques
Si la relation entre les avocats et les collectivités publiques a, pendant longtemps, été fortement marquée par l'intuitu personae, l'avocat se retrouve aujourd'hui, depuis la modification du Code des marchés publics et l'évolution du droit communautaire, banalisé en tant que prestataire de services, dès lors que la collaboration ne peut s'opérer que dans le cadre d'un marché de services juridiques.
Ainsi, désormais, lorsqu'une collectivité a besoin d'une étude, d'une consultation, d'une assistance pour une certaine durée, elle est tenue de mettre en concurrence.
Si l'on ne peut contester en soi la mise en concurrence qui a bien sûr un effet très positif, elle emporte toutefois certains effets pervers et négatifs au détriment des avocats.
Jean-Marc Peyrical relève, tout d'abord, le problème des prix prédateurs.
Il apparaît que les taux horaires pratiqués par certains avocats se situent très souvent entre 70 et 80 euros (voire 50 euros dans certains cas), ce qui est extrêmement faible. A l'heure actuelle, la plupart des marchés gagnés par les avocats auprès des collectivités locales en France sont remportés à un taux horaire de 100 euros.
La Commission de droit public réfléchit activement sur ce problème des prix prédateurs mais il apparaît très difficile de déterminer ce qu'est un honoraire juste. L'idée a été évoquée de se fonder sur l'ensemble de la jurisprudence des cours d'appel qui fixe les honoraires en cas de contestation afin d'établir un juste prix ; toutefois, le prix dépend de tellement de facteurs qu'il est difficile d'aboutir dans cette démarche.
Par ailleurs, il faut savoir qu'à côté d'une commission de déontologie, a été créée une commission de marchés publics destinée à surveiller les prix pratiqués par les cabinets, au regard de leur organisation réelle, en vue de détecter la fraude et de la sanctionner sur le plan de la déontologie. Maître Jean-Marc Peyrical constate que cette situation crée une ambiance très glaciale entre les avocats publicistes.
L'autre effet pervers est celui de la concurrence illégale des non-avocats. La concurrence existe à plusieurs niveaux. Elle a lieu, tout d'abord, au sein-même des professions juridiques (notaires et huissiers qui font des consultations juridiques à titre principal). Elle provient, ensuite, des professions réglementées qui peuvent réaliser des consultations juridiques à titre accessoire (architectes, experts-comptables...). Ce sont, enfin, les professions non réglementées qui viennent concurrencer les avocats ; pour pouvoir exercer légalement leur activité, elles sont soumises à des critères très précis (elles ne peuvent faire des consultations qu'à titre accessoire, d'une part, et doivent bénéficier d'une qualification donnée par agrément préfectoral ou ministériel, d'autre part) ; c'est ainsi que le juge a été amené à sanctionner un certain nombre d'associations pratiquant des consultations juridiques alors qu'elles ne réunissaient pas les deux critères précités.
Cette problématique de la mise en concurrence se fait ressentir plus fortement depuis 2005-2006, avec l'essor des marchés de services juridiques.
La relation aux collectivités publiques est également marquée par le fait qu'elles ont un besoin croissant de sécurisation juridique, et donc d'un encadrement en amont pour prévenir le contentieux. On assiste ainsi à un développement des juristes au sein des collectivités locales. Il s'agit souvent d'avocats qui n'exercent pas leur métier d'avocats mais qui sont intégrés en tant que juristes. Si la "professionnalisation" des collectivités réduit leur besoin d'externalisation, Maître Jean-Marc Peyrical constate, toutefois, que le recours externe aux avocats demeure, néanmoins, du fait d'une crédibilité plus forte de ceux-ci, notamment du fait de l'engagement de leur responsabilité.
III - Le rôle de l'avocat dans la médiation et l'expertise
La médiation et l'expertise représentent des domaines dans lesquels les avocats publicistes interviennent de plus en plus alors que l'on a longtemps pensé qu'ils étaient réservés à la sphère privée.
Maître Peyrical constate ainsi, pour sa part, que la part du contentieux a tendance à diminuer par rapport au conseil et à la prévention du contentieux ; son cabinet réalise de plus en plus de transactions.
Il existe plusieurs biais de médiation et de prévention du contentieux.
L'intervenant relève, en premier lieu, l'existence d'un outil très efficace, spécifique aux marchés publics : le recours au comité consultatif de règlement amiable (CCRA). Ce dispositif est prévu par le Code des marchés publics ; il en existe environ une dizaine (comités régionaux et interrégionaux). L'avantage du CCRA est qu'il s'agit d'un comité composé de manière paritaire (représentants de l'administration et représentants du monde des entreprises), présidé par un magistrat administratif. Leur domaine d'intervention se situe essentiellement au niveau de l'exécution des marchés (travaux supplémentaires, notamment). Certains contrats prévoient expressément le recours au CCRA avant de mener le litige au contentieux.
Ce dispositif suscite toutefois, à tort selon Maître Peyrical, des réticences au regard, notamment, d'une légitimité prétendue moins forte que celle du juge. Or, le temps gagné est considérable puisque la procédure dans le cadre d'un CCRA dure environ six mois.
En deuxième lieu, l'expertise. Il est de plus en plus souvent fait appel aux experts désignés par les tribunaux administratifs (parfois judiciaires), et ce souvent avec un objectif de stratégie. Cela permet de disposer d'une objectivité considérable.
Une troisième voie est celle de la transaction, laquelle est ouverte aux personnes publiques. Maître Peyrical invite à se référer aux circulaires en la matière, notamment une circulaire très complète et détaillée, du ministère de l'Economie et des Finances, en date du 7 septembre 2009, relative au recours à la transaction pour la prévention et le règlement des litiges portant sur l'exécution des contrats de la commande publique (N° Lexbase : L7919IEZ) (cf., également, circulaire du 6 avril 2011, relative au développement du recours à la transaction pour régler amiablement les conflits N° Lexbase : L9314IPN). L'Etat encourage ainsi régulièrement le recours à la transaction, qui a en effet pendant longtemps été bannie, ce pour plusieurs raisons.
La première tient à une jurisprudence qui a eu pour effet de freiner le recours à la transaction (cf. notamment, CE Contentieux, 19 mars 1971, n° 79962, Sieurs Mergui N° Lexbase : A2915B8H). Il ressort de cette jurisprudence que la transaction ne peut pas cacher une libéralité à l'encontre d'une personne publique.
Le deuxième blocage tient à ce que de nombreuses collectivités se sont senties obligées de faire homologuer leurs transactions par le juge administratif, lesquelles homologations ont été refusées dans certains cas, ce qui a automatiquement constitué un frein pour la crédibilité de la transaction. La circulaire du 7 septembre 2009 rappelle, d'ailleurs, que l'homologation n'est absolument pas obligatoire, bien au contraire (l'homologation ne doit intervenir que dans certains cas bien précis).
Le troisième blocage tient au comportement des comptables publics, qui ont, dans de nombreuses affaires, refusé de payer les sommes allouées au titre de la transaction. Le Conseil d'Etat a ainsi été amené à rappeler que les comptables n'avaient aucun pouvoir pour vérifier la légalité des contrats et des marchés (cf. notamment, CE, S., 8 février 2012, n° 342825, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A3402ICY : "Il résulte de l'article 60 de la loi de finances du 23 février 1963 (loi n° 63-156 N° Lexbase : L1090G8U), et de l'article 19 du décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962, portant règlement général sur la comptabilité publique (N° Lexbase : L5348AG8), que, pour apprécier la validité des créances, les comptables doivent, notamment, exercer leur contrôle sur la production des justifications. A ce titre, il leur revient d'apprécier si les pièces fournies présentent un caractère suffisant pour justifier la dépense engagée. Toutefois, si ce contrôle peut conduire les comptables à porter une appréciation juridique sur les actes administratifs à l'origine de la créance, et s'il leur appartient, alors, d'en donner une interprétation conforme à la réglementation en vigueur, ils n'ont pas le pouvoir de se faire juges de leur légalité".
La circulaire de 2009 précise d'ailleurs que "la transaction est un titre exécutoire en soi".
De même, il convient de se reporter à un avis du Conseil d'Etat en date du 6 décembre 2002, qui rappelle tous ces principes de manière très détaillée (CE avis, 6 décembre 2002, n° 249153 N° Lexbase : A4627A47).
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par François Brenet, Professeur à la Faculté de droit et des sciences sociales de l'Université de Poitiers - Institut de droit public
Le 31 Mai 2012
Instituée par la jurisprudence dite "Béziers II" (1) et mettant fin à une autolimitation du juge du contrat (2) qui se refusait jusqu'alors, et par principe, à annuler les décisions de résiliation édictées par la personne publique, l'action en reprise des relations contractuelles permet une meilleure protection des droits des cocontractants de l'administration. Seulement, l'effectivité et l'efficacité de cette nouvelle action nécessitent bien souvent, en pratique, l'exercice d'un référé-suspension de l'article L. 521-1 du Code de justice administrative. Afin d'éviter que le juge du contrat ne soit placé devant le fait accompli et ne puisse ordonner la reprise des relations contractuelles (en raison, par exemple, de l'attribution du contrat à un nouvel opérateur économique), le cocontractant a tout intérêt à demander la suspension de la décision de résiliation, afin que les relations contractuelles soient provisoirement reprises, et cela dans l'attente de la décision du juge du contrat. Cette possibilité est ouverte par l'arrêt "Béziers II" qui précise que les conclusions en contestation de la résiliation et en reprise des relations contractuelles "peuvent être assorties d'une demande tendant, sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-1 du Code de justice administrative, à la suspension de l'exécution de la résiliation, afin que les relations contractuelles soient provisoirement reprises" (3).
L'intérêt de l'arrêt n° 356209 du 9 mai 2012 tient aux indications qu'il comporte quant à l'office du juge du référé-suspension saisi dans le cadre d'une action en reprise des relations contractuelles. En l'espèce, le juge des référés du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne avait, à la demande de la société X, suspendu la mesure de résiliation prononcée à son encontre au titre de la mission d'ordonnancement, pilotage, et coordination (OPC) se rattachant à l'opération de restructuration et d'extension d'un lycée. Reproduisant le considérant de principe de l'arrêt "Béziers II", le Conseil d'Etat casse cette ordonnance de suspension au motif que, pour juger que la condition d'urgence était remplie, le juge des référés a retenu une atteinte grave et immédiate à la situation financière de la requérante compte tenu de la perte de chiffre d'affaires occasionnée par la résiliation du marché. Or, en statuant ainsi et en se limitant à la seule prise en compte de la perte de chiffre d'affaires occasionnée par la résiliation du marché sans se référer aux autres éléments d'activité de l'entreprise, et, notamment, à son chiffre d'affaires global, pour évaluer l'atteinte à sa situation financière, le juge des référés a commis une erreur de droit.
La présente décision rappelle le considérant de principe de la jurisprudence "Béziers II" qui détermine l'office du juge du référé-suspension. Il incombe à ce dernier, "saisi, sur le fondement de l'article L. 521-2 du Code de justice administrative, de conclusions tendant à la suspension d'une mesure de résiliation, après avoir vérifié que l'exécution du contrat n'est pas devenue sans objet (4), de prendre en compte, pour apprécier la condition d'urgence, d'une part les atteintes graves et immédiates que la résiliation litigieuse est susceptible de porter à un intérêt public ou aux intérêts du requérant, notamment à la situation financière de ce dernier ou à l'exercice même de son activité, d'autre part l'intérêt général ou l'intérêt de tiers, notamment du titulaire d'un nouveau contrat dont la conclusion aurait été rendue nécessaire par la résiliation litigieuse, qui peut s'attacher à l'exécution immédiate de la mesure de résiliation". De ce considérant et de l'application qui en est faite au cas d'espèce, il ressort donc très clairement que, si la situation financière du requérant est une donnée à prendre en compte, celle-ci ne peut être décisive à elle seule. Surtout, la prise en compte de la situation financière du requérant ne saurait s'opérer au regard de la seule perte de chiffre d'affaires occasionnée par la résiliation.
C'est précisément ce que juge le Conseil d'Etat dans la présente décision. Réglant l'affaire au fond, les juges du Palais-Royal ont relevé que la perte de chiffre d'affaires hors taxe résultant de la résiliation du marché représentait moins de 3 % du dernier chiffre d'affaires connu de la société. Plus encore, cette perte avait vocation à être répartie sur au moins deux exercices comptables. Enfin, la société était confrontée à des impératifs de reclassement des personnels en charge de l'exécution du marché résilié qui n'étaient pas anormaux. Au total, la société ne justifiait pas d'une atteinte grave et immédiate à ses intérêts et, par suite, de l'urgence à ordonner la reprise des relations contractuelles. La conception restrictive de l'urgence qui est retenue ne doit pas surprendre. Elle confirme que la reprise provisoire des relations contractuelles ne sera que très exceptionnellement prononcée, sans doute dans les hypothèses où "la résiliation met en péril la survie économique du cocontractant de l'administration" (5).
"Prudence est mère de sûreté". Ce dicton populaire ne correspond pas toujours à la réalité juridique comme le montre l'arrêt n° 355756 rendu par le Conseil d'Etat le 9 mai 2012. Sans doute influencée par la montée en puissance de la thématique des conflits d'intérêts, une commune avait fait preuve d'une prudence de Sioux dans l'organisation de la passation d'un marché destiné à la réalisation de travaux sur son réseau d'eau potable. Malheureusement pour elle, cette prudence a conduit à l'annulation de ladite procédure par le juge du référé précontractuel et à la confirmation de cette solution par le Conseil d'Etat.
En l'espèce, la collectivité territoriale avait reçu plusieurs offres, dont celle de la société X qu'elle avait rejetée sans l'examiner au motif que cette société avait "des liens avec un des membres du conseil municipal". Saisi par l'entreprise concernée, le juge des référés du tribunal administratif de Melun (6) a annulé la procédure de passation du marché à compter de la remise des offres et enjoint à la commune, si elle entendait conclure le contrat, de reprendre la procédure à ce stade. Pour parvenir à ce résultat, que valident les juges du Palais-Royal, il s'est fondé sur une série d'indices dont la conjonction montrait clairement que la situation ne révélait aucun acte pénalement répréhensible, et, notamment, un délit de prise illégale d'intérêt au sens de l'article 432-12 du Code pénal (N° Lexbase : L7146ALA), ni aucun autre acte déontologiquement inadmissible (une situation de conflit d'intérêts). En effet, si l'un des membres du conseil municipal avait bien un lien de parenté avec le président de la société, s'il était délégué à l'urbanisme, s'il était actionnaire de la société, s'il avait participé à la délibération du conseil municipal autorisant le lancement de la procédure de passation, il apparaissait assez clairement que l'élu n'avait pas joué un rôle actif visant à interférer dans le déroulement de la procédure de passation. En effet, cet élu n'avait pas siégé à la commission d'appel d'offres et n'avait pris aucune part dans le choix de l'entreprise attributaire. Par ailleurs, sa participation à la délibération du conseil municipal autorisant le lancement de la procédure ne pouvait justifier le rejet sans examen de l'offre de l'entreprise car les soumissionnaires n'étaient pas, par définition, encore connus.
Au total, cet excès de prudence a conduit la commune à méconnaître le principe de libre accès à la commande publique et à violer ses obligations de publicité et de mise en concurrence. L'on devine que cette solution a pu surprendre au sein de la commune concernée. Elle nous semble cependant rassurante pour l'avenir, à la fois pour les élus locaux et pour les entreprises, car elle contribue à voir sous un autre angle les rapports entre la sphère politique et la sphère économique.
L'arrêt n° 356455 du 9 mai 2012 apporte un éclairage intéressant relatif à la problématique de l'accès des entreprises de création récente à la commande publique. En l'espèce, une collectivité avait engagé une procédure de passation d'un marché de fournitures de vêtements de travail et d'équipements de protection individuelle à destination de ses agents. A la suite de cet appel d'offres, quatre sociétés ont présenté une offre, dont la société X qui a été déclarée attributaire, et la société Y dont l'offre a été rejetée. Cette dernière a, alors, saisi le juge des référés du tribunal administratif de Poitiers qui a annulé la procédure à compter de l'examen des candidatures (7). Le juge du référé a considéré que la commune avait méconnu le règlement de consultation et ses obligations de mise en concurrence en retenant la candidature de la société X, alors qu'elle n'avait pu fournir les déclarations de chiffres d'affaires des trois derniers exercices et les références des prestations similaires exécutées au cours des trois dernières années. Ces déclarations et références étaient exigées des candidats par le règlement de la consultation pour justifier de leurs capacités professionnelles, techniques et financières.
Cette solution du juge du référé précontractuel posait assurément problème et c'est sans surprise que le Conseil d'Etat l'annule. En effet, de la lecture croisée des dispositions des articles 45 (N° Lexbase : L1071IR4) et 52 (N° Lexbase : L7064IED) du Code des marchés publics, il ressort que les pouvoirs adjudicateurs sont bénéficiaires d'une certaine marge de manoeuvre, mais qu'ils doivent, également, respecter une contrainte particulière. La liberté est celle d'exiger la détention, par les candidats à l'attribution d'un marché public, de documents comptables et de références de nature à attester de leurs capacités. En contrepartie, et afin d'éviter que cette liberté ne prive les entreprises de création récente, non susceptibles par définition de produire les attestations requises, d'une possibilité d'accès à la commande publique, les pouvoirs adjudicateurs sont obligés de permettre aux candidats "de justifier de leurs capacités financières et de leurs références professionnelles par tout autre moyen". Or en l'espèce, le juge du référé précontractuel avait commis une erreur de droit en annulant la procédure au motif que la commune avait méconnu le règlement de consultation en retenant la candidature de la société X, alors que celle-ci n'avait pu fournir les déclarations et références exigées par le règlement. Le Conseil d'Etat censure cette erreur. Le pouvoir adjudicateur n'était nullement tenu de rejeter la candidature de la société X. En revanche, il était tenu, en application des articles 45 et 52 du Code des marchés publics, de lui permettre de justifier de ses capacités financières, techniques et références professionnelles par tout autre moyen.
De cela, il ne faut pas déduire que les entreprises de création récente sont totalement libres quant à la délivrance des informations demandées par le pouvoir adjudicateur. Par le passé, certains juges du fond avaient fait preuve d'une certaine bienveillance. Ainsi la cour administrative d'appel de Bordeaux avait-elle jugé que de telles entreprises pouvaient pallier le manque de références en fournissant le curriculum vitae du personnel affecté à la réalisation du projet (8). Le Conseil d'Etat semble ici plus exigeant. Il estime que la société attributaire n'a pu satisfaire à son obligation de justifier de sa capacité financière en fournissant une "attestation de bonne tenue de compte" rédigée sur papier sans en-tête par son conseiller bancaire et indiquant seulement que les comptes bancaires de la société fonctionnaient normalement, qu'ils n'avaient fait l'objet d'aucun incident de paiement et que la société était à jour de ses engagements. Dans ces conditions, la commune a manqué à ses obligations de mise en concurrence et la société Y, dont la candidature était valable, pouvait donc à bon droit demander l'annulation de la procédure à compter de l'examen des offres.
Par sa décision n° 3860 du 14 mai 2012, le Tribunal des conflits attribue compétence au juge administratif pour connaître d'un contrat par lequel la collectivité territoriale avait confié à une agence immobilière un mandat de vente d'un bien immobilier appartenant à son domaine privé. La solution peut surprendre au premier abord tant il est vrai que l'on a habitude de rencontrer de tels contrats dans les relations entre personnes privées, qui sont alors naturellement placées sous l'égide du droit privé.
Il reste que l'habitude ne fait pas le droit et c'est en toute logique que le juge des conflits a qualifié un tel contrat de marché public et donc de contrat administratif par détermination de l'article 2 de la loi du 11 décembre 2001, portant mesures urgentes de réforme à caractère économique et financier, dite loi "MURCEF". En effet, s'il résulte du 3° de l'article 3 du Code des marchés publics (N° Lexbase : L1069IRZ) qu'il n'est pas applicable aux contrats qui ont pour objet l'acquisition d'un bien immeuble (9), force est de constater que tel n'est pas l'objet d'un mandat de vente d'immeuble. Un tel contrat s'analyse comme un marché public dont l'objet consiste en la fourniture d'une prestation de services à titre onéreux au sens de l'article 1er du Code des marchés publics (N° Lexbase : L2661HPA). Le litige indemnitaire opposant la commune à l'agence immobilière relevait donc, fort logiquement, de la compétence du juge administratif.
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Réf. : Cass. soc., 16 mai 2012, n° 11-10.760, F-P+B (N° Lexbase : A6981IL7)
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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale
Le 31 Mai 2012
Résumé
Si une contrepartie financière dérisoire à la clause de non-concurrence équivaut à une absence de contrepartie rendant la clause nulle, le juge ne peut, sous couvert de l'appréciation du caractère dérisoire de la contrepartie pécuniaire invoquée par le salarié, substituer son appréciation du montant de cette contrepartie à celle fixée par les parties et, après avoir décidé de l'annulation de la clause, accorder au salarié la contrepartie qu'il estime justifiée. |
Commentaire
I - Du caractère dérisoire de la contrepartie financière à la clause de non-concurrence
Cadre applicable. Après avoir imposé le principe applicable à tous d'une contrepartie financière à la clause de non-concurrence, la Chambre sociale de la Cour de cassation n'a finalement donné que peu de critères pour déterminer concrètement le montant de la contrepartie financière due au salarié.
On sait simplement que ce montant ne saurait dépendre des circonstances de la rupture du contrat de travail dans la mesure où la contrepartie vient rémunérer l'inactivité professionnelle forcée du salarié, et qu'elle ne doit donc être établie qu'en fonction de cette seule circonstance ; la solution a été affirmée, dès 2006, s'agissant des clauses subordonnant le bénéfice de la contrepartie financière à la rupture du contrat prononcée par l'employeur (2), ou à l'absence de faute grave du salarié (3) ; la même solution a été appliquée lorsque le montant de la contrepartie fluctue selon les circonstances, notamment lorsqu'il diminue pour tenir compte d'éventuelles fautes commises par le salarié (4), ou de sa démission (5).
Le montant ne saurait non plus être affecté par d'éventuels versements anticipés intervenus avant la rupture du contrat de travail, et dont la Cour de cassation nous dit, de manière assez mystérieuse d'ailleurs, qu'ils ne sont pas dépourvus de cause (6) et qu'ils ne doivent donc pas être restitués en cas d'annulation de la clause (7) ni venir en déduction des sommes à devoir (8).
Assimilation de la contrepartie dérisoire à l'absence de contrepartie. On sait également que, conformément d'ailleurs au droit commun, la contrepartie dérisoire doit être assimilée à l'absence de contrepartie et annulée, à la demande du salarié, ce qui laissera le champ libre à une fixation judiciaire (9).
Reste à déterminer ce qu'est une contrepartie dérisoire, et comment la Cour de cassation contrôle cette qualification.
L'examen des décisions rendues au fond montre qu'est assurément dérisoire la contrepartie mensuelle inférieure à 10 % du salaire mensuel perçu par le salarié avant la rupture de son contrat de travail (10).
L'examen de la jurisprudence de la Cour de cassation révèle également, ce qui est logique, que la Haute juridiction ne contrôle pas cette qualification et que les juges du fond apprécient souverainement ce caractère "dérisoire" (11).
C'est du moins ce que l'on pouvait croire jusqu'à cette décision en date du 16 mai 2012.
L'affaire. Le salarié en cause ici travaillait en qualité d'opérateur/vendeur moyennant une rémunération contractuelle composée d'une partie fixe brute annuelle de 100 000 euros et d'une partie variable calculée sur le chiffre d'affaires. Il était contractuellement soumis à une clause de non-concurrence limitée à six mois, portant sur ses seules fonctions, circonscrite géographiquement à Paris, l'Union européenne et la Suisse et assortie d'une contrepartie financière d'un montant mensuel brut égal au salaire fixe de base du dernier mois travaillé. C'est en exécution de cette somme que le salarié avait, après avoir démissionné, perçu mensuellement, et pendant six mois, une somme de 9 241,46 euros.
Il avait, en vain, réclamé à son employeur la prise en compte, dans l'assiette des sommes servant à calculer le montant de sa contrepartie financière, de la part variable de sa rémunération, avant de saisir la juridiction prud'homale.
Pour juger la clause de non-concurrence illicite et condamner l'employeur à payer au salarié une certaine somme à titre de dommages-intérêts, la cour d'appel de Paris avait retenu que la contrepartie financière prévue contractuellement et correspondant, pour six mois d'application de l'interdiction, à 1,14 mois sur la base du dernier mois travaillé, compte tenu du fixe mais également de la part variable de la rémunération, était disproportionnée et dérisoire. Ajoutant que les contreparties financières de non-concurrence correspondent en général au minimum à 33 % de la rémunération moyenne mensuelle brute sur les douze derniers mois, la cour d'appel avait fixé le montant de la contrepartie financière sur cette base puis, prenant en compte la somme déjà perçue à ce titre par le salarié, lui a alloué le solde à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la clause illicite.
Cassation. C'est cet arrêt qui se trouve ici cassé pour violation des articles 1131 du Code civil (N° Lexbase : L1231AB9) et L. 1121-1 (N° Lexbase : L0670H9P) du Code du travail. Pour la Haute juridiction, en effet, "si une contrepartie financière dérisoire à la clause de non-concurrence équivaut à une absence de contrepartie rendant la clause nulle, le juge ne peut, sous couvert de l'appréciation du caractère dérisoire de la contrepartie pécuniaire invoquée par le salarié, substituer son appréciation du montant de cette contrepartie à celle fixée par les parties et, après avoir décidé de l'annulation de la clause, accorder au salarié la contrepartie qu'il estime justifiée"
Une justification mystérieuse. Le moins que l'on puisse dire est que la motivation de la décision n'est pas des plus claires et deux lectures de l'arrêt peuvent en être proposées.
Il est tout d'abord possible de considérer que la Cour de cassation reproche à la cour d'appel d'avoir, en réalité, non pas raisonné sur la notion de "contrepartie dérisoire" mais sur celle de "juste contrepartie", se trompant ainsi de règle applicable.
Il est également envisageable que la Haute juridiction censure la cour d'appel de Paris pour avoir mal interprété la notion de "contrepartie dérisoire", c'est-à-dire d'avoir fait une mauvaise interprétation de la bonne règle.
Compte tenu de la formulation de la solution ("sous couvert de l'appréciation du caractère dérisoire de la contrepartie pécuniaire invoquée par le salarié"), il semblerait que ce soit la seconde analyse qui prévale et que la Cour de cassation reproche à la cour d'appel d'avoir fait une mauvaise interprétation de la notion de contrepartie "dérisoire", singulièrement en analysant celle-ci au regard d'un critère général et abstrait tenant au pourcentage versé en fonction de la rémunération globale perçue avant la rupture. Dans ces conditions, la solution ne peut se comprendre que si la contrepartie perçue par le salarié n'était pas dérisoire, et, partant, que la Cour de cassation contrôle cette qualification pour éviter toute dérive.
Si on se réfère maintenant aux faits de l'espèce et aux données prises en compte par la cour d'appel pour appréhender la situation, on observe que le salarié avait perçu au final une (coquette) somme mensuelle approchant les 10 000 euros, soit environ 60 000 euros pour six mois, ce qui correspondait à 1,14 mois de rémunération (intégrant fixe et part variable), soit, pour une durée de six mois, 19% de sa rémunération globale pour cette même période semestrielle. Or, la cour d'appel de Paris avait considéré que le pourcentage moyen perçu était proche des 33 % avant d'accorder au salarié le complément, sous forme de dommages et intérêts réparant le préjudice subi du fait de l'exécution d'une clause nulle (en raison de son caractère dérisoire).
Enseignements en matière d'appréciation du "dérisoire". Comme nous l'avons indiqué, la Cour de cassation a certainement considéré qu'en l'espèce la contrepartie financière perçue n'était pas dérisoire et qu'elle ne pouvait donc pas être annulée comme telle. On ne sait toutefois pas au prix de quel raisonnement la Cour parvient à cette conclusion, ce qui n'aidera guère les juridictions du fond, et les conseils des parties, à se faire une idée de ce souhaite la Cour de cassation.
Deux méthodes peuvent en effet être envisagées pour apprécier le caractère dérisoire d'une contrepartie.
La première consiste à l'apprécier in abstracto et à choisir un seuil, formulé en termes de pourcentage, en deçà duquel les parties ne peuvent pas aller. C'est ce que suggérait la cour d'appel de Paris pour qui 19 % étaient dérisoires, allant jusqu'à affirmer qu'un chiffre de 33 % semblerait adéquat (mais sur quelle base, selon quelles études ?). Mais encore faudrait-il préciser s'il y a lieu de tenir compte uniquement du salaire fixe ou d'intégrer la part variable de la rémunération.
La seconde méthode consiste à apprécier le caractère dérisoire in concreto, c'est-à-dire en tenant compte de variables propres à l'affaire, comme, par exemple, l'intensité de la contrainte pesant sur le salarié (12), son absence de revenus autres pendant la période contractuelle de non-concurrence, ou même en tenant compte du montant final attribué. Dans cette affaire, il est assez probable que la Cour de cassation a été sensible à toutes ces données, même si elle n'en dit rien (elle est, faut-il le rappeler, juge du droit et pas troisième degré de juridiction), et notamment aux sommes perçues qui approchaient les 60 000 euros et qui avaient parfaitement pu être cumulées avec d'autres revenus d'activité pour la même période.
On aura beau relire l'arrêt en tous sens, il sera bien difficile de trancher entre ces deux méthodes, et on pourra regretter que sur une question aussi importante sur le plan pratique la Cour ne se soit pas montrée plus loquace, alors que l'occasion lui en était certainement donnée.
On ne pourra également que regretter l'absence d'intervention du législateur, alors que les partenaires sociaux, dans l'accord national interprofessionnel du 11 janvier 2008, avaient souhaité un encadrement minimal du régime des clauses de non-concurrence. Certes, la loi ne peut pas tout, et certainement pas imposer, de manière générale et abstraite, un juste montant, mais à tout le moins pourrait-elle fixer un minimum, un peu comme elle le fait lorsqu'il s'agit de déterminer la majoration minimale due aux salariés qui accomplissent des heures supplémentaires.
II - De l'absence de pouvoir de révision du juge sur le montant non dérisoire stipulé par les parties
L'office du juge. La question d'une éventuelle fixation judiciaire du montant de la contrepartie financière s'est posée dès les premières heures d'application des arrêts du 10 juillet 2002, précisément parce que de nombreuses clauses s'en trouvaient logiquement dépourvues à cette époque.
Deux situations doivent être distinguées.
Si, tout d'abord, le contrat n'a rien prévu, soit directement, soit par référence aux dispositions conventionnelles qui permettraient de le déterminer (13), le salarié se trouve dans une position favorable qui conditionne, en amont, l'office du juge. Il peut tout d'abord souhaiter se débarrasser de la clause pour occuper sans risque un emploi au service d'un concurrent ; même s'il n'a en principe rien à faire et qu'il peut se contenter de laisser son ancien employeur agir en justice et lui opposer, par exception, la nullité de la clause, il peut également prendre les devants et faire constater par le juge des référés l'absence de contrepartie financière, et que cette clause lui est inopposable (14). Mais s'il n'a pas retrouvé d'emploi ou si son nouvel emploi n'entre pas dans le champ d'application de l'interdiction de faire concurrence, il peut alors soit demander au juge le versement de la contrepartie, soit la réparation du préjudice que lui a causé l'exécution d'une clause nulle ; dans les deux cas, qu'il s'agisse de fixer le montant de la contrepartie ou d'évaluer le préjudice, l'office du juge est étendu puisqu'il n'est nullement contraint par les prévisions des parties, par hypothèse absentes.
Si, ensuite, les parties (ou les partenaires sociaux (15)) ont stipulé une contrepartie, l'office du juge s'en trouve considérablement réduit. Il ne peut, en effet, que prononcer la nullité de la contrepartie, en raison de son caractère dérisoire, et à condition bien entendu que celui-ci soit patent, comme le montre cet arrêt. Dans cette hypothèse, l'annulation de la contrepartie lui laisse le champ libre pour la fixer au montant qui lui semblera juste. Mais, et c'est ce que confirme cette décision, il ne peut, sous un prétexte (celui du caractère soi-disant dérisoire) ou sous un autre (par exemple en invoquant la bonne foi comme moteur de la révision de la clause), augmenter le montant de la contrepartie pour qu'elle soit conforme à ce qu'il considère comme "juste" (16).
Confirmation en l'espèce. C'est cette absence de pouvoir judiciaire de révision de la contrepartie financière non dérisoire que confirme implicitement la Haute juridiction lorsqu'elle affirme que "le juge ne peut, sous couvert de l'appréciation du caractère dérisoire de la contrepartie pécuniaire invoquée par le salarié, substituer son appréciation du montant de cette contrepartie à celle fixée par les parties et, après avoir décidé de l'annulation de la clause, accorder au salarié la contrepartie qu'il estime justifiée". Le juge doit donc ici savoir "rester à sa place", celle de "bouche de la loi"... des parties.
Cette affirmation ne peut bien entendu qu'être approuvée, sauf à conférer au juge un rôle trop étendu et à permettre au pouvoir judiciaire de fixer les règles applicables aux contrats... C'est donc aux pouvoirs publics (législateur) mais plus encore, nous semble-t-il, aux partenaires sociaux, qu'il appartient de fixer les règles en matière de clauses de non-concurrence.
(1) Cass. soc., 10 juillet 2002, n° 00-45.135, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A1225AZE) n° 00-45.387, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A1227AZH), n° 99-43.334, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A0769AZI), v. nos obs., Clauses de non-concurrence : l'emprise des juges se confirme, Lexbase Hebdo n° 41 du 3 octobre 2002 - édition sociale (N° Lexbase : N4139AAK).
(2) Cass. soc., 31 mai 2006, n° 04-44.598, FS-P+B (N° Lexbase : A7486DPX).
(3) Cass. soc., 28 juin 2006, n° 05-40.990, F-P+B (N° Lexbase : A1205DQP).
(4) Cass. soc., 8 avril 2010, n° 08-43.056, FS-P+B (N° Lexbase : A5805EUK).
(5) Cass. soc., 25 janvier 2012, n° 10-11.590, FS-P+B, sur le troisième moyen (N° Lexbase : A4389IB8).
(6) Cass. soc., 7 mars 2007, n° 05-45.511, FP-P+B+R (N° Lexbase : A6024DUN), v. nos obs., Indemnité compensatrice de non-concurrence : la fin des versements anticipés ?, Lexbase Hebdo n° 252 du 15 mars 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N3315BAZ).
(7) Cass. soc., 17 novembre 2010, n° 09-42.389, FS-P+B (N° Lexbase : A5841GKK), v. nos obs., De la restitution de la contrepartie financière à la clause de non-concurrence versée par anticipation en cas d'annulation, Lexbase Hebdo n°421 du 16 décembre 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N8357BQL)
(8) Cass. soc., 22 juin 2011, n° 09-71.567, FS-P+B (N° Lexbase : A5243HUQ), v. nos obs., Précisions sur la contrepartie financière à l'obligation de non-concurrence, Lexbase Hebdo n° 447 du 7 juillet 2011 - édition sociale (N° Lexbase : N6803BSR).
(9) Cass. soc., 15 novembre 2006, n° 04-46721, FS-P+B (N° Lexbase : A3326DSY), v. les obs. de G. Auzero, Une contrepartie financière dérisoire à la clause de non-concurrence équivaut à une absence de contrepartie, Lexbase Hebdo n° 238 du 30 novembre 2006 (N° Lexbase : N2412A99) ; Dr. soc., 2007, p. 241, obs. J. Mouly ; JCP éd. S, 2007, 1057, note I. Beyneix ; JCP éd. G, II, 10039, note D. Corrignan-Carsin.
(10) Cass. soc., 3 février 2010, n° 07-44.491, FP-P+B sur le 2ème moyen (N° Lexbase : A6016ERA), Bull. civ. V, n° 32 : la clause de non concurrence prévoyait ici le paiement d'une indemnité égale à 1/10ème de salaire brut mensuel par nombre de mois composant la période de non concurrence, ce qui a été considéré comme dérisoire par les juges du fond ; Cass. soc., 23 juin 2010, n° 08-44.160, F-D (N° Lexbase : A3253E3U) (indemnité stipulée égale à 2 mois de salaire pour une clause de 24 mois, soit 8,33 % du salaire mensuel)
(11) Cass. soc., 22 mars 2006, n° 04-45.546, FS-P+B (N° Lexbase : A8034DNU) ; Dr. soc., 2006, p. 688, obs. J. Mouly ; Cass. soc., 3 février 2010, n° 07-44.491, préc. : "c'est en vertu de son pouvoir souverain d'appréciation que la cour d'appel a estimé que la contrepartie financière à la clause de non-concurrence était dérisoire".
(12) Cass. soc., 9 décembre 2009, n° 08-44.358, F-D (N° Lexbase : A7208EPN): "la cour d'appel a relevé que la clause litigieuse limitait l'interdiction faite au salarié à la seule mise en oeuvre de la technique spécifique utilisée par la société P. et C. France lui laissant, sous cette réserve, toute latitude pour exercer un emploi de carrossier et constaté qu'eu égard à cette circonstance, sa contrepartie financière n'était pas dérisoire".
(13) Cass. soc., 10 mars 2004, n° 02-40.108, F-P+B (N° Lexbase : A4929DB8).
(14) Cass. soc., 25 mai 2005, n° 04-45.794, FS P+B+R+I (N° Lexbase : A3957DIE), v. nos obs., Le juge des référés peut constater l'inopposabilité d'une clause de non-concurrence dépourvue de contrepartie financière, Lexbase Hebdo, n° 170 du 2 juin 2005 - édition sociale (N° Lexbase : N4885AIR).
(15) Cass. soc., 7 mars 2007, n° 05-45.574, F-P+B (N° Lexbase : A6940DUL) : "en refusant ainsi d'appliquer le mode de calcul de la contrepartie pécuniaire prévue par l'article 17 de l'accord national interprofessionnel du 3 octobre 1975, la cour d'appel a violé le texte susvisé", JCP éd. S, n° 17, 24 Avril 2007, p. 1299, note J.-F. Césaro.
(16) Le juge peut en revanche toujours, en se fondant sur l'absence partielle de cause, réduire ce qui est excessif, comme le montre la jurisprudence en matière d'étendue de la clause de non-concurrence (et à condition que la demande émane du salarié, le juge ne disposant pas d'office de ce pouvoir : Cass. soc., 12 octobre 2011, n° 09-43.155, FS-P+B (N° Lexbase : A7587HYN).
Décision
Cass. soc., 16 mai 2012, n° 11-10.760, F-P+B (N° Lexbase : A6981IL7) Cassation, CA Paris, Pôle 6, 8ème ch., 25 novembre 2010, n° 09/01372 (N° Lexbase : A3241GRH) Textes visés : C. civ., art. 1131 ([LXB=L1231AB9)]) et C. trav., L. 1121-1 (N° Lexbase : L0670H9P) Mots-clés : clause de non-concurrence, contrepartie financière, montant, office du juge Liens base : (N° Lexbase : E8710ESE) |
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Réf. : Cass. com., 10 mai 2012, n° 11-17.626, F-P+B (N° Lexbase : A1364IL4)
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par Christine Lebel, Maître de conférences HDR à la Faculté de Droit de Nancy (Université de Lorraine, Institut François Gény, EA 1138, Nancy)
Le 31 Mai 2012
I - La société débitrice et la détention du bien vendu avec réserve de propriété
La nature de la situation juridique d'un bien vendu avec réserve de propriété a été précisée en jurisprudence (2), à l'appui d'une proposition formulée par la doctrine (3). Ainsi, la propriété réserve serait une sûreté, justifiant alors pourquoi le vendeur avec réserve de propriété est contraint de revendiquer pour obtenir la restitution du bien vendu pour lequel le prix de vente n'a pas été intégralement réglé au jour de l'ouverture de la procédure collective (4). Pour cette même raison, le défaut de paiement du prix n'entraîne pas la résolution de la vente faite avec réserve de propriété au profit du vendeur. Ainsi, la mise en oeuvre de la clause de réserve de propriété constitue une exécution par équivalent du contrat de vente (5) sans que le transfert de propriété ne s'opère entre le vendeur et l'acquéreur.
Par conséquent, l'acquéreur d'un bien vendu avec réserve de propriété n'a pas la qualité de propriétaire tant que le prix de vente n'a pas été totalement réglé, autrement formulé, tant que l'acheteur n'a pas exécuté la principale obligation mise à sa charge par le contrat de vente : le paiement du prix (6), par exception aux règles du droit commun de la vente. Dans ces conditions, quelle est la nature de la relation existant entre le véhicule et la société débitrice ? En l'occurrence, la société débitrice est détentrice du véhicule litigieux, c'est-à-dire qu'elle exerce un pouvoir de fait sur le véhicule qui se traduit par son utilisation, conformément au contrat de vente avec réserve de propriété. Dans la présente affaire, la société débitrice était toujours détentrice au jour de l'ouverture de la procédure collective, le contrat n'ayant pas été remis en cause, ce qui pouvait laisser supposer que le véhicule était dans les locaux de la société au moment de l'établissement de l'inventaire (7).
En application de l'article L. 624-15, alinéa 2, du Code de commerce, c'est à la date du jugement d'ouverture de la procédure collective que doit être appréciée la condition de l'existence en nature des biens revendiqués par un tiers (8). Or, il ressort que le véhicule litigieux ne figurait pas dans l'inventaire établi lors de l'ouverture de la procédure collective de la société, ce dernier étant détenu par le gérant. L'absence de mention du véhicule dans les locaux de la société débitrice lors de l'établissement de l'inventaire ne constitue pas à elle seule une cause d'irrecevabilité de la revendication de l'établissement de crédit. Même si actuellement l'établissement d'un inventaire est obligatoire au moment de l'ouverture d'une procédure collective (9), il est rarement effectué le jour du jugement d'ouverture, ni le lendemain. Par conséquent, quelques jours peuvent s'écouler entre l'ouverture de la procédure et la réalisation des opérations d'inventaire, ce qui crée un risque d'erreur entre la liste (théorique) des biens existants en nature à l'ouverture de la procédure et celle établie par la personne chargée de l'inventaire. De plus, la preuve de l'existence en nature du véhicule constitue un fait juridique et comme tel, elle peut être rapportée par tous moyens, parmi lesquels figure l'inventaire. Ainsi, le créancier revendiquant peut prouver par d'autres moyens l'existence du bien dont il prétend être propriétaire lorsque la clause de réserve de propriété n'a pas été publiée, ce qui semble être le cas dans la présente affaire. A défaut de pouvoir rapporter cette preuve, il ne peut opposer sa qualité de propriétaire aux organes de la procédure collective. Dans la présente affaire, le liquidateur de la société débitrice avait précisé que le véhicule litigieux ne faisait pas partie du patrimoine de la société débitrice car il était détenu par son gérant. Considérant que la condition légale de l'existence en nature n'était pas remplie, il prétendait que la demande en revendication de l'établissement de crédit était irrecevable. A l'opposé, l'établissement de crédit revendiquant considérait que le gérant ne détenait pas le véhicule personnellement, mais en qualité de représentant légal de la société débitrice, et qu'en outre, ayant refusé de restituer le véhicule à la demande du mandataire de justice, il était devenu détenteur illégitime (10). Dans ces conditions, la détention répond-elle à la condition d'existence en nature ? Et dans l'affirmative, quelles sont les caractéristiques de cette détention ?
II - L'existence en nature appréciée au travers de la notion de détention ou l'efficacité d'une fiction juridique
Pour la cour d'appel, la détention ne répond à la condition légale de l'existence en nature énoncée à l'article L. 624-16, alinéa 2, du Code de commerce que s'il s'agit d'une "détention en nature". Autrement formulé, pour les juges du fond, il faut que le débiteur ait la maîtrise physique du bien revendiqué. Il faut qu'il ait un pouvoir de fait lui permettant de réaliser des actes matériels sur ce dernier. Ainsi, l'existence en nature serait une condition matérielle et non un pouvoir juridique sur le bien revendiqué. Pour cette raison, la cour d'appel rejette la demande de revendication faite par l'établissement de crédit, au motif que la détention du véhicule par le gérant ne répond pas à la condition de l'existence en nature du bien revendiqué dans le patrimoine du débiteur au jour de l'ouverture de la procédure collective. La Cour de cassation censure cette analyse au motif que la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations. Par conséquent, l'exigence de l'existence en nature du bien revendiqué ne constitue pas seulement une condition matérielle, car elle est une condition juridique de la recevabilité de la demande en revendication fondée sur l'article L. 624-16, alinéa 2, du Code de commerce.
Ainsi, existent en nature dans le patrimoine de la société débitrice, tous les biens pour lesquels cette dernière a la qualité de détenteur. S'agissant d'une personne morale, la qualité de détenteur doit être appréciée au travers d'une fiction juridique, voire de l'instrument juridique qu'elle constitue (11). Elle ne peut intervenir dans la vie juridique que par le biais de son représentant légal et, le cas échéant, grâce aux organes sociaux. En l'occurrence, la société débitrice était une SARL. Par conséquent, elle est représentée juridiquement par un gérant, personne physique (12). Pour la cour d'appel, il convient de comprendre la détention par la société par le seul fait que le bien soit situé dans les locaux de l'entreprise exploitée par la société débitrice, ce qui constitue une conception étroite de la détention. La Cour de cassation ne partage pas cette façon d'appréhender la détention par la société, car doivent être considérés comme étant détenus par la personne morale, les biens détenus physiquement par le gérant, pris en sa qualité de représentant légal de la société, et ce, peu importe le lieu de localisation géographique de ces biens. Par conséquent, la détention du véhicule litigieux par une personne physique, en qualité de gérant de la société débitrice, répond à la condition légale d'existence en nature dans le patrimoine de la société. En poursuivant le raisonnement, on peut alors en déduire que le patrimoine d'une société débitrice ne se limite pas aux contours géographiques de son siège social ou celui des locaux à l'intérieur desquels elle exerce l'activité économique constituant son objet social dès lors que le bien est détenu par le représentant légal de la société, et qu'il exerce un pouvoir matériel sur le bien revendiqué en cette qualité. Répondant à ces conditions, la demande en revendication de l'établissement de crédit ne devait pas être rejetée par les juges du fond. Toutefois, à la leur décharge, il semble que sur cette question, ce soit la première fois que la Cour de cassation précise aussi clairement la notion d'existence en nature dans le patrimoine du débiteur (13), qui va bien au-delà de la conception praticienne usuelle appliquée "entre les mains de l'acheteur".
(1) CA Toulouse, 8 mars 2011, RG n° 09/05180 (N° Lexbase : A5553G9K).
(2) Cass. com., 9 mai 1995, n° 92-20.811 (N° Lexbase : A2436AGC), Rev. proc. coll., 1995, p. 487, n° 28, obs. B. Soinne, RTDCiv., 1996, p. 441, obs. P. Crocq.
(3) P. Crocq, Propriété et garantie, LGDJ, 1995, spéc. n° 282.
(4) Cette analyse est confirmée par l'article 2329 du Code civil (N° Lexbase : L6953ICI), dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 23 mars 2006 (ordonnance n° 2006-346 N° Lexbase : L8127HHH). Ainsi la propriété retenue à titre de garantie est une sûreté sur les meubles.
(5) P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, Dalloz-action, 2012-2013, n° 816.13
(6) C. civ., art. 1583 (N° Lexbase : L1669ABG).
(7) C. com., art. L. 622-6 (N° Lexbase : L8846INX) ; nos obs., Les mesures conservatoires dans l'ordonnance du 18 décembre 2008, Rev. proc. coll., 2009, p. 52.
(8) Cass. com. 15 décembre 1992, n° 90-19.980, publié (N° Lexbase : A4764AB3), Bull. civ. IV n° 412 ; Cass. com., 7 juin 2005, n° 04-14.670, F-D (N° Lexbase : A6571DI9) ; Cass. com.,10 janvier 2006, 2 arrêts, n° 04-18.437, F-D (N° Lexbase : A3437DMA) et n° 04-18.438, F-D (N° Lexbase : A3438DMB).
(9) Accompagné d'une prisée en cas de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire.
(10) CA Toulouse, 8 mars 2011, précité.
(11) R. Mortier, L'instrumentalisation de la personne morale, in La personne morale, Association H. Capitant, Journées nationales Tome XII, coll. Thèmes et commentaires, Dalloz, 2010, p. 31.
(12) C. com., art. L. 223-18 (N° Lexbase : L3772HBC).
(13) Cependant, dans un arrêt du 3 décembre 1996, la Cour de cassation avait admis que, à propos d'une remise à titre précaire d'une machine à un tiers pour un travail à façon, "la marchandise revendiquée doit exister en nature dans le patrimoine du débiteur, qu'il la détienne lui-même ou qu'elle soit détenue par un tiers pour lui" (Cass. com., 3 décembre 1996, n° 94-21.227, publié N° Lexbase : A2559ABE, Bull. civ. IV, n° 301 ; JCP éd. E, 1997, I, 651, obs. M. Cabrillac)
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par Anne-Lise Lonné-Clément, rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition privée
Le 31 Mai 2012
En droit des baux commerciaux, ce n'est pas une caricature de dire que la loi est faite pour le locataire, et le contrat pour le propriétaire.
Le droit au renouvellement, le droit à indemnité d'éviction, le droit au maintien dans les lieux, la durée minimum de neuf ans, le plafonnement du loyer, la limitation des augmentations du loyer, le droit de céder le fonds de commerce et le droit au bail, le droit de déspécialiser, c'est-à-dire le droit de changer d'activité et d'étendre son activité, la réglementation de la clause résolutoire... Toutes ces dispositions ont vocation à protéger le locataire, le fonds de commerce, et le droit au bail.
D'ailleurs la réglementation des baux commerciaux figure dans le Code de commerce, et non dans le Code civil. Or, le Code civil est le siège de la protection de la propriété privée, alors que le Code de commerce est le siège de la protection du fonds du commerce. Cette réglementation figure sous le titre du fonds de commerce alors que le droit commun des obligations et des relations locatives figure, lui, dans le Code civil sous les articles 1717 (N° Lexbase : L1839ABQ) et suivants.
Si la loi est faite pour le locataire, le contrat lui, à l'opposé, est fait pour le bailleur. Il est rédigé par le bailleur, pour le bailleur. Le bail commercial ne contient que l'énumération des obligations du locataire, de ses charges, des taxes qu'il doit payer, des interdictions qui lui sont faites, les autorisations qu'il doit demander, etc.. Ne figure dans le contrat aucune stipulation rappelant les obligations du bailleur lui-même.
Si les baux commerciaux d'il y a 30 ans comptaient environ quatre pages, ils comptent aujourd'hui entre quarante et cinquante pages. Ce phénomène d'inflation contractuelle est marqué par l'influence anglo-saxonne, et par l'influence des centres commerciaux. Ces baux "pléthoriques" sont d'abord apparus dans les centres commerciaux, puis se sont développés ensuite en centre ville ; ils sont devenus aujourd'hui de véritables contrats d'adhésion.
Les locataires se plaignent de cette inflation contractuelle. La question avait d'ailleurs été soumise à la mission "Pelletier", créée en 2004, pour réfléchir à la modernisation des statuts des baux commerciaux, laquelle relevait dans son rapport : "la rédaction actuelle de certains baux inspirée parfois de pratiques anglo-saxonnes se caractérise par la longueur du contrat et la densité de ses stipulations. Les locataires évoquent de véritables contrats d'adhésion et se plaignent du corps excessif des obligations mises à leur charge".
C'est ici qu'apparaît le problème en matière d'ordre public. Où se situe la limite entre la loi, notamment la loi d'ordre public qui protège les locataires, et ce contrat qui prend une place de plus en plus grande ? Où se situe la limite entre l'ordre public et la liberté contractuelle ?
A cet égard, Maître Barbier à souhaité soumettre à l'honorable assistance une réflexion : ce terme de liberté contractuelle est-il adapté à la situation actuelle ? En matière de baux commerciaux, la signature d'un contrat d'adhésion ne comporte aucune liberté contractuelle.
L'intervenant pense que l'Université devrait peut-être réfléchir à une nouvelle terminologie, pour désigner ce domaine qui n'est pas contrôlé par la loi et qui relève non plus de la loi, mais finalement de la loi du bailleur, puisque c'est lui qui impose ses conditions.
Pour étudier cette limite de l'ordre public, il convient de traiter, dans une première partie, la détermination de l'ordre public en matière de baux commerciaux, et dans une seconde partie, les sanctions de cet ordre public.
1. La détermination de l'ordre public
En ce qui concerne la détermination de l'ordre public, il convient d'abord d'opérer une distinction entre les clauses qui sont contraires à une disposition d'ordre public précisément, et d'autres clauses qui peuvent être sanctionnées, non pas en vertu de l'ordre public, mais parce que faisant obstacle à une obligation essentielle
1.1. L'obligation de délivrance, obligation essentielle du contrat de bail
L'obligation de délivrance constitue une obligation essentielle du contrat de base. Il s'agit d'une obligation dont le bailleur ne peut se décharger. Si l'on supprime l'obligation de délivrance, l'essence même du contrat disparaît.
Dans une affaire soumise à la Cour de cassation, une clause du bail interdisait au preneur d'exercer contre le bailleur un recours quelconque pour vice caché, vice apparent, défaut, ou malfaçon. Or, d'importantes infiltrations avaient eu pour effet d'interrompre l'exploitation du locataire. La Cour de cassation a jugé non pas que la clause était nulle, mais que cette clause ne dispensait pas le bailleur de son obligation de délivrance. La Cour de Cassation a donc appliqué la clause en limitant son étendue. Malgré une telle clause, le propriétaire a dû réaliser les travaux nécessaires pour remédier à ces infiltrations.
Il en a été de même dans le cadre d'une affaire qui concernait de graves défaillances de l'installation électrique. Le bail contenait une clause selon laquelle le preneur avait pris les locaux, plus ou moins vétustes, dans l'état dans lequel ils se trouvaient. Le bailleur se déchargeait de toute responsabilité, faisant valoir que le locataire avait accepté les locaux dans l'état où ils se trouvaient. Mais la Cour de cassation a jugé que cette clause ne déchargeait pas le bailleur de son obligation de délivrance.
Voilà des exemples de sanctions fondées sur l'obligation essentielle du contrat, mais pas sur l'ordre public.
1. 2. L'ordre public proprement dit
- 1.2.1. Les sources légales de l'ordre public
Cet ordre public figure, d'abord, évidemment dans le statut des baux commerciaux, dans le Code de commerce. Mais le statut des baux commerciaux est une réglementation partielle. Elle ne règle qu'un certain nombre de questions et l'on ne trouve pas, par exemple, dans le Code de commerce, de dispositions relatives à l'entretien des locaux. Cela relève du droit commun des obligations (cf. les charges, les taxes, les réparations locatives).
Par ailleurs, cette réglementation partielle est partiellement d'ordre public. Toutes les dispositions du statut ne sont pas d'ordre public.
Certes, le droit au renouvellement est d'ordre public, une clause qui dans le bail tiendrait en échec le droit au renouvellement du locataire serait nulle.
Les dispositions concernant la durée du bail, durée minimum de neuf ans sont également d'ordre public.
De même, les dispositions concernant la révision du loyer en cours de bail sont d'ordre public ; on ne peut donc ni les interdire, ni les modifier.
En revanche, ne sont pas d'ordre public les dispositions relatives au plafonnement du loyer du bail renouvelé. La Cour de cassation a rendu plusieurs décisions en admettant que les parties pouvaient parfaitement prévoir dans le bail les conditions dans lesquelles le loyer serait fixé lors du renouvellement, hors plafonnement, hors valeur locative, selon d'autres critères. Les parties demeurent parfaitement libres.
Est également d'ordre public la réglementation de la clause résolutoire, qui prévoit l'obligation de délivrer un commandement pour faire courir le délai d'un mois.
Les règles concernant la déspécialisation sont également d'ordre public. Le locataire peut, sous certaines conditions, étendre son activité.
Enfin, le droit de céder le bail avec le fonds de commerce constitue une règle d'ordre public ; on ne peut interdire à un commerçant de céder son fonds de commerce avec le droit au bail inclus dans le fonds.
En dehors du statut des baux commerciaux du Code de commerce, on trouve d'autres sources d'ordre public, dont on voit les applications dans le droit des baux commerciaux. Il existe actuellement un grand débat sur les clauses d'indexation, dont on attend des décisions en jurisprudence.
Certains locataires contestent les clauses d'indexation qui comportent un indice de base fixe. Ces contestations sont fondées sur l'article L. 112-1 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L5471ICM), qui réglemente les clauses d'indexation. Si cela dépasse le droit des baux commerciaux, on en trouve une application concrète dans nos baux. La sanction relève, ici, de l'ordre public de direction, auquel les parties ne peuvent renoncer, alors que le statut des baux commerciaux est un ordre public de protection, auquel les parties peuvent choisir de renoncer.
Enfin, autre source légale de l'ordre public, la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme, dont la Cour de cassation a fait application à propos d'un bail commercial qui comportait, dans un centre commercial, comme dans tous les centres commerciaux, l'obligation pour le locataire d'adhérer à l'association des commerçants du centre.
La Cour de cassation a annulé ce type de clause en retenant qu'elle était entachée d'une nullité absolue au visa de l'article 11 de la CESDH (N° Lexbase : L4744AQR) et de la loi du 1er juillet 1901 (N° Lexbase : L3076AIR), sur le droit de s'associer précisément.
- 1.2.2. Les sources jurisprudentielles de l'ordre public
A côté de la loi, l'ordre public peut éventuellement résulter de la jurisprudence elle-même ; lorsque la loi ne dispose pas expressément qu'un texte est d'ordre public, les juges peuvent néanmoins décider que ce texte est impératif.
Comme l'écrivait le regretté Professeur Jean-Luc Aubert, si le juge estime que la règle considérée est particulièrement importante pour le bon ordre social, il lui reconnaîtra un caractère impératif, ce que l'on appelle l'ordre public virtuel.
La Cour de cassation a fait application de ce pouvoir, et a jugé que certaines dispositions étaient d'ordre public alors que cela ne figure pas expressément dans le Code de commerce, notamment à propos du congé commercial.
Dans certains baux, il était prévu que le locataire pouvait donner congé par lettre recommandé avec accusé de réception. Or, la loi prévoit que le congé doit être délivré par acte extrajudiciaire ; toutefois, ces dispositions ne sont pas visées par les articles L. 145-15 (N° Lexbase : L5743AIK) et L. 145-16 (N° Lexbase : L5763ISA) comme étant d'ordre public.
La Cour de cassation a estimé que cette forme était une forme impérative et que la clause contraire devait être considérée comme nulle. Elle a qualifié la forme extrajudiciaire du congé de règle d'ordre public.
Il en est de même s'agissant de la durée du bail renouvelé. Si la durée du bail de neuf ans est une disposition d'ordre public, les dispositions qui prévoient que le bail renouvelé est d'une durée de neuf ans ne sont pas visées par les textes sur l'ordre public.
La Cour de cassation a été saisie d'un dossier où le bail avait été signé initialement pour une durée de douze ans ; le propriétaire soutenait que le renouvellement devait intervenir également pour une durée de douze ans. Le locataire n'était pas d'accord et estimait que son renouvellement devait intervenir pour une durée de neuf ans, conformément aux textes.
La Cour de cassation a précisé que ce texte était d'ordre public : "l'article L. 145-12, alinéa 1er, du Code de commerce est une disposition d'ordre public, au terme de laquelle la durée du bail renouvelé est de neuf ans". Elle a précisé que, lors de chaque renouvellement, il appartient aux parties de se mettre d'accord, si elles veulent signer un bail de douze ans ; elles doivent alors manifester leur accord lors de chaque renouvellement, faute de quoi le bail est renouvelé pour la durée légale de neuf ans.
- 1.2.3. La convention elle-même
A côté de la loi et de la jurisprudence, la convention elle-même peut être une source de l'ordre public, ce qui peut paraître un peu paradoxal ; il s'agit d'un cas d'application volontaire du statut des baux commerciaux.
Lorsque les parties ne remplissent pas les conditions légales pour bénéficier du statut de baux commerciaux, notamment lorsque le locataire n'est pas commerçant, les parties peuvent néanmoins, conventionnellement, se soumettre à cette réglementation.
Ainsi, par exemple, les médecins ou les avocats, les professionnels d'une façon générale, qui ne sont pas commerçants et n'ont pas droit au statut des baux commerciaux, peuvent parfaitement signer des baux commerciaux si le propriétaire est d'accord pour leur consentir un tel bail. La convention précise alors : "bien que le locataire soit médecin, bien qu'il ne soit pas commerçant, bien qu'il n'ait pas de fonds de commerce, qu'il ne soit pas immatriculé au registre du commerce, les parties conviennent de se soumettre au statut des baux commerciaux et d'adopter conventionnellement cette réglementation".
Dans une affaire où les parties s'étaient volontairement soumises au statut des baux commerciaux, elles avaient convenu dans le bail que le congé pourrait être délivré par lettre recommandée avec accusé de réception ; le locataire avait délivré un congé par lettre recommandée et l'affaire était venue devant le juge ; le propriétaire contestait ce congé faisant valoir qu'il aurait dû être délivré par acte d'huissier ; la cour d'appel avait donné raison au locataire en retenant que, dès lors que l'on se trouvait dans un cas d'application conventionnel du statut, la notion d'ordre public n'intervenait pas. La Cour de cassation a censuré la décision après avoir précisé que, lorsque les parties adoptent conventionnellement un statut d'ordre public, elles l'adoptent en totalité et ne peuvent plus y déroger ; le congé délivré par lettre recommandée était donc nul.
On peut considérer que la convention des parties est une troisième source d'ordre public.
Quelles sont les limites de cet ordre public ?
Là aussi, la jurisprudence a été amenée à délimiter ce qui relève de l'ordre public et de la convention dans des cas quelque peu délicats, notamment à propos du loyer de renouvellement.
On a vu que, pour le loyer de renouvellement, le plafonnement n'est pas d'ordre public ; les parties peuvent donc convenir différemment et peuvent prévoir les conditions dans lesquelles le bail se renouvellera pour une période de neuf ans, par exemple en fixant par avance le loyer de renouvellement. Dans une affaire soumise à la Cour de cassation, les parties avaient convenu que, lors du renouvellement, le loyer serait fixé à l'ancien prix majoré d'un taux de 20 %.
Les juges d'appel avaient estimé que cette stipulation contractuelle, qui portait sur le loyer de renouvellement, avait pour effet de dissuader le preneur d'exercer son droit de renouvellement à des conditions économiques sans rapport avec la progression des données commerciales. Ils avaient donc estimé que la clause était nulle, non pas tant parce qu'elle portait sur le loyer mais parce que, indirectement, elle faisait échec au droit de renouvellement.
La Cour de cassation a fait preuve de sévérité en cassant l'arrêt et en posant le principe selon lequel "rien ne s'oppose à ce que les parties choisissent d'un commun accord de déterminer à l'avance, par une stipulation du bail, les conditions de fixation du prix du bail renouvelé. Les parties sont libres absolument".
On peut toutefois se demander si les parties sont libres absolument. Maître Jehan-Denis Barbier estime en effet qu'il doit exister une limite ; quand on en arrive à un prix tel qu'il porte directement atteinte au droit de renouvellement, il semble que l'on porte atteinte à un droit d'ordre public... Mais en l'état de la jurisprudence les conventions sont parfaitement libres en ce qui concerne le loyer.
On voit ici la difficulté de marquer la limite entre ce qui est d'ordre public, ce qui protège le locataire et ce qui relève de la liberté des conventions.
Un autre exemple de limite délicate concerne une jurisprudence plus ancienne sur les loyers variables. La clause de loyer variable, qui a été inventée, il y a environ quarante ans pour les centres commerciaux, est une clause selon laquelle le loyer est fixé partiellement comme un loyer classique, un loyer fixe, et partiellement en fonction du chiffre d'affaires du locataire (3 %, 4 %, 5 % du chiffre d'affaires si on dépasse un certain seuil). Ce type de loyer n'est pas prévu par le statut des baux commerciaux.
Lorsque ce type de clause est venu devant les tribunaux, certains locataires ou certains propriétaires ont voulu demander la révision du loyer, la révision étant d'ordre public, à la différence du renouvellement. La Cour de cassation a jugé que le locataire ne pouvait pas demander la révision, dès lors que cette clause particulière échappe aux dispositions du décret de 1953 et n'est régie que par la convention des parties.
Mais Jehan-Denis Barbier relève que la convention des parties était ici contraire à l'ordre public... Pour ce type de clause, la Cour de cassation a fait prévaloir la convention des parties sur une disposition d'ordre public.
2. Les sanctions de l'ordre public en matière de baux commerciaux
Il convient, d'abord, d'étudier l'étendue de la nullité qui peut être prononcée par le juge, et ensuite, la mise en oeuvre de cette nullité.
2.1. L'étendue de la nullité
En ce qui concerne l'étendue de la nullité, on peut hésiter entre plusieurs hypothèses.
On pourrait considérer que la clause d'ordre public est nulle, et entraîne la nullité du contrat dans sa totalité. C'est une thèse qui est maintenant abandonnée depuis longtemps, même lorsque la clause est dite déterminante, puisqu'il n'y aurait pas, alors, de sanction.
Le problème se pose quant à l'étendue de la clause elle-même. En cas de stipulation contraire à l'ordre public, est-ce qu'il convient d'annuler la stipulation seule ou la clause en totalité ?
Les juges ont ici un très large pouvoir d'appréciation ; c'est un thème en droit des contrats largement étudié par la doctrine. On parle de la nullité partielle, de la clause réputée non écrite, de la clause réputée partiellement non écrite, de la nullité réduction, de la nullité de conversion, la nullité de substitution. Il existe toute une palette de sanctions possibles.
S'agissant de la clause résolutoire, par exemple, il convient de revenir sur un arrêt récent de la Cour de cassation en date du 8 décembre 2010 (Cass. civ. 3, 8 décembre 2010, n° 09-16.939, FS-P+B+I N° Lexbase : A7045GMU). Dans cette affaire, la clause résolutoire en cas de non-paiement d'un arriéré de loyer visait un délai de quinze jours ; or, la loi, d'ordre public, prévoit que la clause résolutoire ne peut jouer qu'après un délai d'un mois, après commandement. Cette clause était tout à fait contraire à la loi.
Quelle sanction retenir ? On peut considérer que la clause résolutoire est maintenue et annuler le délai de quinze jours qui serait remplacé de fait par le délai légal d'un mois ; on peut aussi considérer que la clause résolutoire doit être annulée en totalité, parce qu'elle mentionne un délai de quinze jours, et que le bail ne contient alors plus de clause résolutoire.
C'est cette seconde solution que la Cour de cassation a retenue, en annulant la clause en totalité. La solution est logique, sans quoi la sanction n'aurait aucun effet dissuasif.
On peut également considérer l'exemple des clauses d'enseigne. Ces clauses imposent aux locataires d'exploiter sous une certaine enseigne. Dans une affaire soumise à la Cour de cassation le 12 juillet 2000 (Cass. civ. 3, 12 juillet 2000, n° 98-21.671 N° Lexbase : A9125AG3), une clause contractuelle prévoyait que les lieux loués étaient à usage d'approvisionnement général avec rayon boucherie sous l'enseigne "Commode".
La Cour de cassation a retenu que les clauses d'enseigne étaient nulles dès lors qu'elles font obstacle à la déspécialisation. Elles font également obstacle au droit de céder le fonds de commerce, ce qui est un droit absolu. Quelle est alors l'étendue de la nullité ?
La Cour de cassation, dans son arrêt du 12 juillet 2000, a jugé que la clause de destination exclusive du bail ne permettait pas l'application des dispositions d'ordre public du décret de 1953, et que la cour d'appel a retenu à bon droit qu'il convenait d'annuler cette clause. La clause a été annulée en totalité.
On en arrive alors à un bail tous commerces. Là encore, on peut se référer aux réflexions du Professeur Thomas Genicon, dans la Revue des contrats. Il traitait de cette question, non pas à propos des baux commerciaux, mais à propos des relations en droit du travail. Il approuvait l'annulation totale des clauses en relevant qu'à défaut, la sanction n'aurait pas d'effet prophylactique, car le contractant aurait tout intérêt à tenter sa chance en glissant une modalité illicite dans la clause puisqu'il ne serait pas privé de son bénéfice. A l'inverse, la menace d'une nullité totale de la clause l'incite à la rédiger en toute légalité pour ne pas courir le risque de tout perdre.
Ce type de nullité doit sans doute être approuvé dans une optique préventive et dissuasive.
2.2. La mise en oeuvre de la nullité
Si les clauses sont frappées de nullité, encore faut-il le faire juger et en matière de baux commerciaux la mise en oeuvre de la nullité est assez difficile dans la mesure où toutes les actions fondées sur le statut des baux commerciaux se prescrivent par deux ans.
Aussi, pour faire annuler une clause contraire à l'ordre public, il est impératif d'assigner dans les deux ans de la signature du bail.
La jurisprudence est absolument constante. Les clauses nulles ne peuvent être sanctionnées que dans ce délai de prescription, sans quoi, elles sont indirectement validées.
C'est évidemment très gênant pour les locataires puisque ce sont eux qui sont concernés.
Quels sont les moyens de sortie ?
La seule solution pour le locataire consiste à invoquer la nullité par voie d'exception, c'est-à-dire comme moyen de défense ; il faut être prudent et veiller à ne pas demander à ce que la clause soit annulée.
Un autre moyen de sortie peut aussi être mis en oeuvre à l'occasion de renouvellement du bail. Le renouvellement du bail constitue en effet un nouveau contrat ; toutes les conditions de validité du contrat doivent s'apprécier à la date du renouvellement (la capacité, la cause, l'objet, etc.) et, selon Jehan-Denis Barbier, le renouvellement du bail fait courir un nouveau délai de deux ans.
Si le bail contient une clause nulle qui aura duré neuf ans, le locataire peut attendre le renouvellement pour engager son action en nullité, dans les deux ans suivant le renouvellement.
La mise en oeuvre de cet ordre public se heurte ainsi à des difficultés pratiques et concrètes assez réelles.
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par Bernard Thévenet, Conservateur des hypothèques honoraire, Avocat au barreau de Lyon
Le 31 Mai 2012
A - Le cas général
Toutes les personnes physiques ou morales qui versent des traitements et salaires sont passibles de la taxe sur les salaires (CGI, art. 231 N° Lexbase : L4915IQ4).
En effet, il est prévu que les sommes payées à titre de traitements, salaires, indemnités et émoluments, y compris la valeur des avantages en nature, sont soumises à une taxe sur les salaires qui est à la charge des personnes ou organismes qui versent les sommes dont il s'agit.
Toutefois, certains employeurs sont exonérés de la taxe sur les salaires. Il s'agit, notamment :
- des collectivités locales et de leurs groupements, les centres d'action sociale dotés d'une personnalité propre et subventionnés par les collectivités locales, les caisses des écoles ;
- des employeurs assujettis à la TVA sur au moins 90 % de leur chiffre d'affaires de l'année civile précédant celle du paiement des salaires. Pour les personnes ou organismes qui ne sont pas assujettis à la TVA, la taxe est assise sur la totalité des rémunérations. Pour celles qui n'ont pas été assujetties à la TVA sur au moins 90 % de leur chiffre d'affaires au titre de l'année civile précédant celle du paiement des rémunérations taxables, l'assiette de la taxe est constituée par une partie des rémunérations versées, déterminée en appliquant à l'ensemble de ces rémunérations le rapport existant, au titre de cette même année, entre le chiffre d'affaires qui n'a pas été passible de la TVA et le chiffre d'affaires total.
Les principaux contributeurs à la taxe sur les salaires sont les établissements bancaires et financiers, le secteur des assurances, les établissements de santé et les organismes sans but lucratif.
B - La situation particulière des organismes sans but lucratif (OSBL)
Les OSBL qui versent des traitements et salaires sont donc imposables à la taxe sur les salaires, notamment ceux qui sont exonérées totalement ou partiellement de TVA en vertu des dispositions de l'article 261-7-1° du CGI (N° Lexbase : L5444IR3), c'est-à-dire ceux qui rendent des services à caractère social, éducatif, culturel ou sportif à leurs membres et ceux qui réalisent des opérations au bénéfice de toutes personnes par des oeuvres sans but lucratif qui présentent un caractère social ou philanthropique et dont la gestion est désintéressée.
Pour l'année 2012, le taux de la taxe est, en France métropolitaine, de :
- 4,25 % pour la fraction de la rémunération individuelle qui n'excède pas 7 604 euros ;
- 9,35 % pour la fraction comprise entre 7 604 euros et 15 185 euros ;
- 13,60 % pour la fraction supérieure à 15 185 euros.
Il n'y a qu'un taux unique de 2,95 % dans les départements de la Guadeloupe, de la Martinique et de la Réunion, et de 2,55 % dans le département de la Guyane.
La charge de cette taxe est relativement lourde pour les associations même si un abattement est prévu en leur faveur. Le montant de cet abattement est de 6 002 euros pour 2012.
II - La contestation de la taxe sur les salaires
Toutes les voies, politiques ou judiciaires, sont régulièrement empruntées pour tenter d'abattre cette taxe ou, à tout le moins, d'en amoindrir la portée.
A - Les voies de contestations empruntées
1 - Offensives parlementaires
Très régulièrement, les parlementaires appellent l'attention du Gouvernement sur la charge que représente cette taxe pour les associations. La réponse du Gouvernement est invariablement la même : "la taxe sur les salaires (TS) permet de soumettre à l'impôt une des composantes de la valeur ajoutée (les salaires) des employeurs qui ne sont pas assujettis à TVA ou l'ont été sur moins de 90 % de leur chiffre d'affaires ou de leurs recettes. Ce faisant, elle concerne les employeurs qui exercent des activités bénéficiant d'une exonération de la TVA (activités dans les domaines associatifs mais également les activités bancaires et financières, le secteur des assurances...). Cette taxe a un rendement annuel de près de 11,2 milliards d'euros, étant précisé que l'intégralité de cette somme est affectée au financement de la Sécurité sociale depuis l'entrée en vigueur de l'article 54 de la loi de finances pour 2008 (loi n° 2007-1822 du 24 décembre 2007 N° Lexbase : L5488H3N). Le doublement de l'abattement de TS prévu à l'article 1679 A du CGI (N° Lexbase : L4846IQK) en faveur des associations à but non lucratif se traduirait par un manque à gagner de 150 millions d'euros, au détriment des organismes de sécurité sociale, qui ne paraît pas compatible avec leur actuelle situation financière. Au demeurant, l'abattement spécial de TS, dont le montant s'établira à 6 002 euros en 2011, permet d'exonérer complètement les associations employant jusqu'à six salariés occupés à temps plein et rémunérés au niveau du SMIC, voire plus en cas de recours au temps partiel. De fait, à son niveau actuel, l'abattement, qui représente un effort budgétaire significatif en faveur du secteur associatif de l'ordre de 250 millions d'euros, permet déjà à la majorité des associations d'être totalement dispensées du paiement de la TS. Sans méconnaître l'importance du rôle des maisons des jeunes et de la culture, les contraintes budgétaires permettent difficilement d'aller au-delà s'agissant de l'abattement spécial de TS applicable aux associations" (QE n° 93932 de M. David Habib, JOAN 23 novembre 2010, p. 12579, réponse publ. le 1er février 2011, p. 991, 13ème législature N° Lexbase : L2104IT4).
2 - Une QPC infructueuse
L'offensive contre la TS a été conduite, sans plus de succès, jusque devant le Conseil constitutionnel. L'Association sportive Football Club soutenait, notamment, qu'en mettant la taxe sur les salaires à la charge des seuls personnes ou organismes qui ne sont pas assujettis à la TVA ou ne l'ont pas été sur 90 % au moins de leur chiffre d'affaires, les dispositions de l'article 231 du CGI créaient une distorsion entre des entreprises qui ont la même masse salariale. Saisi par le Conseil d'Etat de cette question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel a considéré que ces dispositions ne sont contraires à aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit (Cons. const., décision n° 2010-28 QPC du 17 septembre 2010, RJF 2010, n° 1214, N° Lexbase : A4759E97).
3 - Les juridictions administratives
Jusqu'à présent, les juridictions administratives n'ont pas accueilli favorablement les moyens développés par les employeurs tendant à démontrer que la taxe sur les salaires était incompatible avec les Directives communautaires, voire avec des principes généraux du droit, comme la liberté d'entreprise ou l'égalité de traitement (cf. infra).
B - Les arguments opposés
1 - Les arguments des assujettis à la taxe sur les salaires
Les principaux arguments développés par les assujettis à la taxe sur les salaires pour en contester la légalité sont les suivants :
- la taxe sur les salaires constitue une taxe cumulative à cascade prohibée et incompatible avec les objectifs poursuivis par le législateur communautaire exposés par la Directive 67/227/CEE du Conseil de la Communauté européenne du 11 avril 1967, en matière d'harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires (N° Lexbase : L7913AUM) ;
- l'article 33 de la 6ème Directive-TVA (Directive 77/388/CE du Conseil du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de TVA : assiette uniforme N° Lexbase : L9279AU9) interdit les taxes sur le chiffre d'affaires, autres que les taxes cumulatives, qui frappent les transactions commerciales d'une façon comparable à celle qui caractérise la TVA communautaire ;
- la taxe sur les salaires constitue une taxe sur le chiffre d'affaires dont l'introduction et le maintien sont prohibés en tant qu'elle concurrence la TVA dans son principe de fonctionnement, dans ses objectifs ou dans ses effets ;
- la taxe sur les salaires est un impôt substitutif de la TVA ;
- la taxe sur les salaires ne présente aucune autonomie par rapport à la TVA, ni quant au champ d'application, ni quant à l'assiette, lui étant indissociable et complémentaire. Le montant de la taxe sur les salaires due par un employeur est, en effet, proportionnel au montant de ses recettes n'ayant pas ouvert droit à déduction de la TVA. Ainsi, en laissant subsister une taxe non prévue par la 6ème Directive-TVA et non autonome par rapport à la TVA, la France a violé l'article 1er de la 6ème Directive-TVA et le système commun de la TVA ;
- la taxe sur les salaires est incompatible avec les articles 43 (liberté d'établissement ; TFUE, art. 49 N° Lexbase : L2697IPL), 48 (TFUE, art. 50 N° Lexbase : L2699IPN) et 49 (libre prestation de services ; TFUE, art. 56 N° Lexbase : L2705IPU) du Traité instituant la Communauté économique européenne. Il ressort de ces trois textes que toute restriction à la libre prestation de services ou à la liberté d'établissement est susceptible d'être incompatible avec le droit communautaire, sauf à démontrer que les mesures fiscales nationales qui entravent l'exercice de ces libertés sont justifiées par une considération relative à l'ordre public ou par une raison impérieuse d'intérêt général et qu'elles soient proportionnées. A cet égard, le fait qu'il soit plus intéressant pour une société française de s'établir dans un autre Etat membre plutôt que d'y proposer ses services mis en oeuvre depuis la France doit être analysé comme une atteinte à la libre prestation des services garantie par l'article 49 du TCE, observation faite que la restriction à la libre prestation de services peut être invoquée par l'entreprise à l'égard de l'Etat où elle est établie, dès lors que les services sont fournis à des destinataires établis dans des Etats membres ;
- l'existence de la taxe sur les salaires contraint les sociétés françaises à privilégier l'établissement de l'activité dans tous les autres Etats membres, où cette taxe n'existe pas, sur l'établissement en France. Il y a là une violation de l'article 49 du Traité CE. Un dispositif fiscal qui dissuade un opérateur de fournir un service depuis son Etat d'origine et qui le contraint à s'établir dans l'Etat où se situe la bénéficiaire est incompatible avec les exigences du droit communautaire ;
- la législation française doit s'analyser comme une restriction à la liberté d'établissement garantie par les articles 43 et 48 du Traité CE, dès lors qu'elle contraint une société française qui a décidé de créer une structure secondaire dans un autre Etat membre à privilégier la mutation de ses salariés dans cette structure au détriment de leur détachement, puisque leurs salaires ne seront pas assujettis à la taxe sur les salaires dans le premier cas ;
- la taxe sur les salaires est incompatible avec les stipulations combinées de l'article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (N° Lexbase : L4747AQU) et de l'article 1er du premier protocole additionnel à cette Convention (N° Lexbase : L1625AZ9), dans la mesure où elle introduit une discrimination injustifiée entre les contribuables, ne répondant pas à des critères objectifs et rationnels et sans rapport direct avec la loi ;
- la taxe sur les salaires est incompatible avec les stipulations de l'article 16 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, en ce qu'elle n'a pas d'autonomie par rapport à la TVA et constitue une restriction à la liberté d'entreprise et d'établissement.
2 - Les réponses à ces arguments par la justice administrative
Plusieurs cours administratives d'appel, en particulier celles de Lyon et de Versailles (CAA Lyon, 1er juillet 2010, n° 09LY02922, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A9964E78 ; CAA Lyon, n° 10LY01178, 6 janvier 2011, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A3232G4H ; CAA Lyon, 20 janvier 2011, deux arrêts, n° 10LY00201 N° Lexbase : A3154G4L et n° 10LY00202 N° Lexbase : A3155G4M, inédits au recueil Lebon ; CAA Lyon, 16 février 2012, n° 11LY00024, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A2411II7 ; CAA Versailles, 28 février 2012, trois arrêts, n° 10VE01591 N° Lexbase : A5672IG8, n° 10VE01607 N° Lexbase : A5674IGA et n° 10VE01608 N° Lexbase : A5675IGB, inédits au recueil Lebon), ont rejeté ces arguments en faisant notamment valoir que :
- aux termes du paragraphe 1 de l'article 33 de la 6ème Directive-TVA, dont les dispositions sont reprises à l'article 401 de la Directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006, relative au système commun de TVA (N° Lexbase : L7664HTZ) : "sans préjudice d'autres dispositions communautaires, notamment de celles prévues par les dispositions communautaires en vigueur relatives au régime général, à la détention, à la circulation et aux contrôles des produits soumis à accise, les dispositions de la présente Directive ne font pas obstacle au maintien ou à l'introduction par un Etat membre de taxes sur les contrats d'assurance, sur les jeux et paris, d'accises, de droits d'enregistrement, et, plus généralement, de tous impôts , droits et taxes n'ayant pas le caractère de taxes sur le chiffre d'affaires, à condition, toutefois, que ces impôts, droits et taxes ne donnent pas lieu dans les échanges entre Etats membres à des formalités liées au passage d'une frontière". Selon la cour administrative d'appel, l'objet de cet article est d'éviter que soient instaurés ou maintenus des impôts, droits et taxes qui, du fait qu'ils grèvent la circulation des biens et des services d'une façon comparable à la TVA, compromettent le fonctionnement du système commun de cette dernière. Doivent être considérés comme tels les impôts, droits et taxes qui présentent les caractéristiques essentielles de cette taxe. Cet article ne fait, en revanche, pas obstacle au maintien ou à l'introduction d'autres types d'impôts, droits et taxes, et en particulier de taxes assises sur les salaires versés par les entreprises, dès lors que ces impôts, droits ou taxes ne présentent pas les caractéristiques essentielles de la TVA ;
- la taxe sur les salaires est un impôt direct dont l'assiette est constituée, comme sa dénomination l'indique, par les salaires versés par les assujettis ;
- les cotisations de taxe sur les salaires, qui sont assises sur les rémunérations ou une partie des rémunérations versées par ses redevables, ne sont pas établies d'une manière générale sur la base des transactions réalisées par ceux-ci et portant sur des biens ou des services, ni calculées proportionnellement au prix acquitté par le client, ni perçues à chaque stade du processus de production et de distribution, après déduction des droits acquittés lors de la transaction précédente. Dans ces conditions, la taxe sur les salaires ne présente pas les caractéristiques essentielles d'une taxe sur le chiffre d'affaires... elle n'est donc pas incompatible avec les objectifs tracés aux articles 1er et 2 précités de la Directive européenne du 11 avril 1967 ;
- aucune règle communautaire relative à la concurrence ne fait obstacle à l'institution d'une taxe présentant la nature et les règles d'assiette de la taxe sur les salaires critiquée. Les circonstances que la taxe sur les salaires pénaliserait les opérations exonérées de TVA, qu'elle aurait des effets économiques négatifs, qu'elle pèserait sur la compétitivité des entreprises assujetties à défaut d'exonération des exportations, ou qu'elle désavantagerait les associations de services ou d'aide à domicile qui la payent alors que les particuliers utilisant le concours d'un seul salarié à domicile ou d'une assistante maternelle en sont exonérés, ne constituent pas une atteinte aux règles communautaires relatives à la concurrence ;
- la circonstance que la taxe sur les salaires ne frappe que les entreprises exonérées de TVA ou non soumises à cette taxe sur au moins 90 % de leur chiffre d'affaires n'a pas pour effet de lui conférer le caractère d'une taxe sur le chiffre d'affaires prohibée par l'article 33 de la 6ème Directive-TVA. Compte tenu des différences entre les caractéristiques de ces deux impôts, les circonstances que le champ d'application de la taxe sur les salaires est défini négativement par rapport à celui de la TVA, et que son assiette est, en raison de ses modalités de calcul, corrélée au montant ou à la proportion des recettes n'ouvrant pas droit à déduction de TVA d'amont ne confèrent pas à la taxe sur les salaires le caractère d'une taxe non autonome par rapport à la TVA. Ces circonstances ne créent pas une situation d'incompatibilité avec les exigences des dispositions de l'article 1er de la 6ème Directive-TVA et de l'article 1er de la Directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006. Par ailleurs, aucune disposition communautaire ne fait obstacle à ce qu'un Etat membre institue un impôt direct qui frappe l'assiette constituée par les salaires et qui ne touche que les entreprises exonérées de TVA ou non soumises à cette taxe sur 90 % au moins de leur chiffre d'affaires ;
- est inopérant l'argument selon lequel les dispositions de l'article 231 du CGI ont pour effet d'inciter les employeurs assujettis à la taxe sur les salaires à créer des établissements secondaires dans les Etats membres où ils entendent développer leurs activités et d'inciter les entités d'un autre Etat membre à créer en France des succursales non dotées de personnalité juridique propre plutôt que d'y ouvrir un établissement secondaire sous la forme d'une filiale pour échapper à l'assujettissement à la taxe sur les salaires. En effet, de telles conséquences ne sont pas de nature à caractériser une restriction à la liberté d'établissement des ressortissants d'un Etat membre dans le territoire d'un autre Etat membre, prohibée par les articles 43 et 48 du TCE ;
- la circonstance que la réglementation relative à la taxe sur les salaires conduirait un employeur à privilégier la mutation de ses salariés dans ses filiales européennes plutôt que leur détachement dans ces entités n'est pas, par elle-même, de nature à constituer une entrave au principe de liberté d'établissement au sein des Etats membres ;
- la taxe sur les salaires n'est pas incompatible avec les stipulations combinées de l'article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales et de l'article 1er du premier protocole additionnel à cette Convention. En effet, une distinction entre des personnes placées dans une situation analogue est discriminatoire, au sens des stipulations précitées de l'article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, si elle n'est pas assortie de conditions objectives et raisonnables, c'est-à-dire si elle ne poursuit pas un objectif d'utilité publique, ou si elle n'est pas fondée sur des critères rationnels en rapport avec les buts de la loi. Or, l'assujettissement à la taxe sur les salaires des employeurs dépend du montant du chiffre d'affaires non soumis à la TVA, qu'il s'agisse, par exemple, de dividendes ou de subventions. Son assiette est fonction du rapport existant entre le chiffre d'affaires passible de la TVA et le chiffre d'affaires total. Les entreprises dont le chiffre d'affaires est, au moins pour 10 %, constitué de recettes ou de produits non assujettis à la TVA sont placées dans une situation différente des entreprises entièrement assujetties à la TVA... En soumettant à la taxe sur les salaires les entreprises qui ne sont pas assujetties à TVA ou le sont pour moins de 90 % de leur chiffre d'affaires, l'article 231 du CGI poursuit un objectif d'intérêt public et se fonde sur des critères rationnels en rapport avec les objectifs du prélèvement qu'il institue ;
- les dispositions de l'article 231 du CGI ne sauraient être regardées comme portant atteinte au principe de liberté d'entreprise telle que définie par de l'article 16 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne du 18 décembre 2000.
C - La confirmation par le Conseil d'Etat
Pour sa part, le Conseil d'Etat a validé la décision de rejet de la requête de l'Association française des oeuvres pontificales missionnaires (CE 8 s-s., 26 juillet 2011, n° 343094, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A8385HWH) visant à la décharger des cotisations de taxe sur les salaires qui lui étaient réclamées, prononcée par la cour administrative d'appel de Lyon (CAA Lyon, 1er juillet 2010, n° 09LY02922, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A9964E78). La Haute juridiction a, en premier lieu, confirmé que la taxe sur les salaires est due par tout employeur établi en France à raison des rémunérations qu'il verse à son personnel salarié, même si celui-ci est employé hors de France.
Ensuite, le Conseil d'Etat a considéré que :
- a été, à juste titre, rejeté l'argument de l'association requérante selon lequel l'existence de la taxe sur les salaires aurait pour effet de l'inciter à créer des établissements secondaires dans les Etats membres où elle entend développer ses activités et d'inciter les entités d'un autre Etat membre à créer en France des succursales non dotées de personnalité juridique propre plutôt que d'y ouvrir un établissement secondaire sous la forme d'une filiale. En effet, de telles conséquences ne sont pas de nature à caractériser une restriction à la liberté d'établissement des ressortissants d'un Etat membre dans le territoire d'un autre Etat membre, prohibée par les articles 43 et 48 du TCE ;
- n'est pas de nature à constituer une entrave au principe de liberté d'établissement au sein des Etats membres la circonstance que la réglementation relative à la taxe sur les salaires conduirait l'association requérante à privilégier la mutation de ses salariés dans ses filiales européennes plutôt que leur détachement dans ces entités ;
- n'ont pas été violées les stipulations des articles 43 et 48 du TCE, dès lors que
- l'assujettissement à la taxe sur les salaires dépend uniquement de l'établissement de l'employeur en France et non de la circonstance que la prestation rendue soit destinée à un preneur domicilié en France ou dans un autre Etat membre.
Enfin, le Conseil d'Etat a considéré que, pour cette affaire, il n'y avait pas lieu de saisir la Cour de justice de l'Union européenne à titre préjudiciel (CE, 8° s-s.., 26 juillet 2011, n° 343094, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A8385HWH).
Comme on vient de le voir, les divers arguments développés pour soutenir l'illégalité de la taxe sur les salaires en raison, notamment, de son incompatibilité avec les règles de l'Union européenne ou avec des principes généraux du droit comme la liberté d'entreprise ou l'égalité de traitement ont été, jusqu'ici, rejetés par les juges administratifs. Pour les adversaires de la taxe sur les salaires, la bataille juridique paraît mal engagée, sinon perdue. Reste l'offensive politique, mais le contexte budgétaire actuel étant ce qu'il est, le renoncement aux recettes de la taxe sur les salaires est peu probable. Et pourtant : "dans un contexte de lutte contre le chômage et de reprise de la croissance, la réduction du coût du travail apparaît comme un enjeu majeur de la société française. Les poids extérieurs au marché de l'emploi, particulièrement fiscaux, constituent des freins dans le processus de décision de création d'emplois par les entreprises" (introduction à l'étude sur la taxe sur les salaires que le Sénat avait commandée au cours de la session 1999-2000 au cabinet Andersen Legal, citée supra) !
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