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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication
Le 27 Mars 2014
On appréciera l'exégèse avec laquelle les Hauts magistrats du quai de l'Horloge appliquent la loi de séparation de l'Eglise et de l'Etat. C'est qu'en la matière, et plus précisément quand il est question de la loi de 1905, il est recommandé la plus grande prudence, l'interprétation la moins prétorienne qui soit : "la loi, toute la loi, rien que la loi". Par conséquent, c'est sans étonnement, mais tout de même avec circonspection, que le juge suprême nous rappelle à tous, aux communs, comme aux célébrités de ce monde, que si les lieux cultes sont des lieux privés -à de rares exceptions-, les cérémonies religieuses ont un caractère public, alors que l'on croyait naïvement que la pratique religieuse était une affaire privée.
Si l'article 10 de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen, instaurant la liberté de conscience, dispose que "nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la loi", l'article 11 du même texte, que l'on pensait être son pendant laïc, à l'heure des Lumières, pourrait bien être son tombeau. Le propos est volontairement excessif, mais que dire d'un texte aux termes duquel "la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'Homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre à l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi", lorsque, sur son fondement, d'aucuns portent atteinte délibérément à la sphère privée d'autrui, dont on ne pourrait soutenir que la pratique religieuse ne fait pas partie intégrante. Autrement dit, deux libertés s'affrontent aux regards des droits fondamentaux : la liberté de l'information, de la communication et le droit au respect de la vie privée. La chose n'est assurément pas nouvelle, nous en conviendrons aisément, surtout devant le juge du tribunal de grande instance de Nanterre coutumier du contentieux de la presse ; mais, lorsque entre en scène la liberté de conscience, l'affaire prend une tournure toute particulière.
Car, n'en déplaise à certains, plaisantins ou s'affichant comme tels, la liberté de conscience et le respect de la vie privé ordonnent, non seulement, que chacun puisse pratiquer sa religion sans en être empêché, mais aussi, que chacun, fut-il une célébrité, puisse demeurer discret sur son appartenance et sa pratique religieuses.
L'arrêt de la commercialisation d'une application pour iPhone et iPad permettant d'interroger une base de données contenant les noms de 3 500 personnalités d'origine juive, le 13 septembre 2011, sur demande de la Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme (Licra), en est l'illustration la plus topique de ces dernières semaines. Et, ce n'est pas sans fondement que Me Kaminski, avocat de la Licra, rappelait que la découverte de cette application avait provoqué une vive émotion dans l'opinion ; les plus vieux se souvenant d'une période noire de notre histoire ; les plus jeunes s'insurgeant contre l'apparition, en France, de fichiers religieux ou ethniques. Et, le débat n'était pas tant de savoir si, sur le plan juridique, et malgré le désistement de la Licra devant le juge des référés, la destruction, à distance et sans le consentement des propriétaires de l'application, sur leur smartphones ou tablettes, du logiciel "Juif ou pas Juif ?" était possible ou constituait une atteinte au droit de propriété injustifiée, que de tuer "la Bête" dans l'oeuf, quand bien même son créateur, de confession juive, en revendiquait la paternité au nom d'une certaine "fierté". Il ne lui appartenait pas de décider, pour autrui, de révéler que telle ou telle célébrité relevait d'une communauté religieuse quelconque. Ces personnalités ont le droit à l'anonymat religieux, puisque la liberté de conscience n'a, nécessairement, trait qu'à l'invisible, à l'intime, à la vie privée.
Le 27 mai 2009, le juge du tribunal de grande instance de Paris avait, dans sa grande sagesse, parfaitement saisi l'enjeu d'un tel débat. S'il rappelait que "ne relèvent [...] pas de la protection instituée par [l'article 9 du Code civil], les faits publics ou rendus notoires par les intéressés eux-mêmes, ni les événements relatifs à l'état civil des personnes, lesquels sont publics par nature" (dont le mariage civil), la nature de la cérémonie religieuse relève bien de la sphère privée et sa révélation caractérise une atteinte à la vie privée des personnes concernées. Toutefois, la condamnation de la société de presse à un euro de dommages et intérêts pouvait laisser dubitatif sur la gravité d'une telle atteinte, nous en conviendrons.
Il en allait pareillement le 7 novembre 2011, à l'occasion d'une légende imprudente dont la rédaction d'un hebdomadaire avait cru devoir accompagner le cliché litigieux. En l'espèce, le magazine avait publié un dossier de cinq pages intitulé "Juifs français, la rage au ventre" illustré par plusieurs clichés dont l'un représentait trois passantes marchant sur un trottoir le long d'une grille séparant l'espace public d'une synagogue, ainsi légendée "En bas devant une synagogue, un horizon plus doux pour les nouvelles générations ?". Cette légende révélait ou laissait nécessairement entendre que les passantes photographiées étaient de confession juive, ce qu'elles n'entendaient pas clamer "à la ville et au monde".
Mais, pour bien comprendre notre affaire, ayant donné lieu à cet arrêt de la Chambre criminelle du 25 octobre 2011, il est nécessaire de revenir sur une décision du juge parisien, en date du 14 février 2005. On y apprend, d'abord, que la société de presse ne prétendait pas que la publication litigieuse constituerait l'illustration pertinente d'un événement d'actualité -et, l'on s'interrogera alors sur la consécration d'une liberté fondamentale d'information et de communication détournée aux besoins de la satisfaction d'un sombre intérêt pour le voyeurisme et la vie d'autrui-. On y apprend, ensuite, que les clichés sont parvenus anonymement à la rédaction, qui a pris la décision de les publier en en réservant les droits et qu'elle n'a pas sollicité l'autorisation de la demanderesse -en l'occurrence la mère de la mariée- dont elle ignorait tant l'identité que la qualité. Le juge statue logiquement que, dans ces conditions, la société éditrice devait soit s'abstenir de publier le cliché, soit masquer le visage des personnes n'ayant pas consenti à cette diffusion et qu'en publiant la photographie sans l'autorisation de la demanderesse, la société de presse avait porté atteinte à son droit à l'image.
Par conséquent, le juge civil reconnaît qu'il y a bien eu atteinte au droit à l'image d'un membre de la famille assistant au mariage de deux célébrités -on remarquera que les célébrités en cause ont pris soin de ne pas être, elles-mêmes, les demanderesses, de peur de se voir rappeler leur statut de personnages publics, dont la relation intime était de notoriété également publique ; ce qui aurait sûrement annihilé leur chance de succès au contentieux-. Mais, il dénie là aussi l'atteinte à la vie privée : si la demanderesse reproche à l'article d'avoir évoqué sa religion en indiquant que la jeune mariée "s'était récemment convertie" et si la religion entre en principe dans la sphère protégée par l'article 9 du Code civil, une atteinte à la vie privée ne peut être ni indirecte, ni hypothétique. Le juge précise qu'aucune allusion n'est faite à la demanderesse dans l'article qui ne cite ni son nom, ni sa présence, ni même son existence ; et si l'annonce -erronée- de la conversion de sa fille pourrait permettre de tirer des conclusions sur la religion de l'intéressée, ces déductions ne demeureraient qu'aléatoires dès lors que la mariée aurait elle-même pu se convertir précédemment à une autre religion avant de revenir au judaïsme. Autrement dit, par des circonvolutions byzantines, le juge civil peine, lui aussi, à admettre que la révélation de la confession d'une célébrité, fut-elle par le truchement de celle d'un parent proche, même non identifié, constitue une atteinte à la vie privée. Le jugement du 27 mai 2009, précédemment évoqué, n'en est que plus précieux.
Reste que l'anonymat de l'origine des photos litigieuses ayant été manifestement levé, les deux mariés n'auront pas eu plus de chance au pénal, à l'encontre des impétrants qui s'étaient cru autorisés à divulguer les photographies d'un moment personnel, intime et privé des célébrités en cause. Une fois l'émotion d'une midinette (de notre génération) scandant "Patriiiiiiiiick", la chandelle bic au bout des mains, passée, il demeure, de tout cela, comme un sentiment progressif d'abandon de la notion de vie privée devant l'avancée irrésistible de la liberté de la presse et, plus généralement, de la liberté de "l'information", fut-elle celle publiée dans les "vilains petits canards" des kiosques. Et, la liberté de conscience ne semble, dès lors, en rien enrayer cette anschluss nauséeuse... Mis à part cela, il convient bien de ne pas remettre en question une loi centenaire dont l'obsolescence se fait un peu plus, chaque jour, patente...
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Réf. : CA Paris, Pôle 5, 7ème ch., 4 octobre 2011, deux arrêts, n° 10/23198 (N° Lexbase : A5733HZD) et n° 10/23216 (N° Lexbase : A5734HZE)
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par Cédric Tahri, Directeur de l'Institut rochelais de formation juridique (IRFJ), Chargé d'enseignement à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV
Le 24 Novembre 2011
Un principe constamment rappelé par la Cour de cassation. Lors des opérations de perquisitions, les enquêteurs recherchent tous documents électroniques utiles à l'enquête et saisissent l'intégralité des courriels dès lors que la fouille sommaire de la messagerie électronique a permis de déceler la présence de fichiers concernés par les investigations. La saisie en bloc de la messagerie électronique inclut donc des éléments normalement protégés, tels que des données personnelles ou documents couverts par le secret professionnel. Pour autant, le principe d'insécabilité -ou d'indivisibilité- des documents est bien établi en jurisprudence dès lors que la Cour de cassation s'y réfère de manière constante. En effet, si l'administration ne peut appréhender que des documents se rapportant aux agissements retenus par l'ordonnance d'autorisation de visite et de saisie rendue par le JLD compétent, il est admis qu'elle puisse saisir des pièces partiellement utiles à la preuve desdits agissements. La Cour de cassation s'est prononcée en ce sens dans le fameux arrêt "SITA" du 12 décembre 2007 (1), considérant que pour que la saisie des messageries informatiques soit licite, elles doivent viser "au moins en partie" les pratiques anticoncurrentielles suspectées. Peu importe donc qu'elles contiennent des informations sans lien avec l'enquête. La Cour de cassation a d'ailleurs précisé que lorsque l'administration saisit une messagerie, elle n'a pas à individualiser sur place les messages entrant dans le champ de l'autorisation judiciaire. Dans un arrêt du 8 avril 2010, la Haute juridiction a même ajouté que les boîtes de messagerie électronique "n'étaient pas divisibles" (2). Tout aussi critiquables sont les deux arrêts "Knauf" rendus le 13 janvier 2010 (3). Dans ces affaires, la Chambre criminelle a confirmé la décision du JLD estimant que l'article L. 450-4 du Code de commerce n'exclut pas du champ des documents pouvant faire l'objet d'une saisie, ceux qui seraient de nature à porter atteinte à la protection du secret des affaires. Les Hautes magistrats ont considéré en effet que, conformément à l'article L. 463-4 du Code de commerce (N° Lexbase : L8203IBG), la partie mise en cause avait la possibilité, en cas de contentieux devant l'Autorité de la concurrence, de demander le retrait ou l'occultation partielle des pièces mettant en jeu ledit secret. En l'espèce, le JLD avait considéré la saisie régulière puisque la société demanderesse avait sollicité la restitution de l'intégralité des données saisies, mais n'avait pas précisé les fichiers dont l'ensemble des documents contenus étaient hors du champ de l'autorisation. Dernièrement, la Chambre criminelle de la Cour de cassation est allée plus loin encore en retenant que les enquêteurs de la DGCCRF sont tenus au secret professionnel et que seule est prohibée l'utilisation dans une procédure de tels documents. Les autorités concernées peuvent donc prendre connaissance des documents saisis avant leur restitution, ce qui constitue une atteinte à la confidentialité des correspondances avocat-client.
Un principe constamment rappelé par la cour d'appel de Paris. Hormis ses trois ordonnances isolées du 2 novembre 2010 (CA Paris, Pôle 5, 7ème ch., 2 novembre 2010, 3 ordonnances du premier président, n° 10/01858 N° Lexbase : A4416GDW ; n° 10/01875 N° Lexbase : A4417GDX et n° 10/01884 N° Lexbase : A4419GDZ), la cour d'appel de Paris a toujours partagé la position de la Cour de cassation. Ainsi, dans une ordonnance du 4 mars 2010, elle a rejeté des demandes d'annulation d'opérations de saisie en se fondant sur le principe d'insécabilité des documents informatiques : "il est désormais de jurisprudence que d'une part, si l'administration ne peut appréhender que des documents se rapportant aux agissements retenus par l'ordonnance d'autorisation de visite et de saisie, il ne lui est pas interdit de saisir les pièces pour partie utiles à la preuve desdits agissements ; les fichiers informatiques copiés doivent seulement faire l'objet d'un inventaire, dont la mention est portée au procès-verbal relatant les opérations ; dans le cas des courriels, le fait que la saisie a été pratiquée après une fouille sommaire de cette messagerie, sans autre inventaire que la liste des fichiers figurant dans le procès-verbal des opérations et que la saisie de documents pour parties utiles ne saurait permettre de saisir indistinctement la totalité d'une messagerie comprenant principalement des documents étrangers à l'administration de la preuve de pratiques anticoncurrentielles, n'empêche nullement que la totalité de fichiers saisis figure intégralement dans la copie effectuée en présence de l'occupant des lieux et remise à la société ; ainsi, l'administration n'a pas à individualiser, sur place, les seuls messages entrant dans le champ de l'autorisation judiciaire" (4). La cour maintient donc sa position en dépit des multiples critiques qui y sont attachées.
II - La contestation du principe de l'insécabilité de la messagerie électronique de l'avocat
Une solution au fondement discutable. Dans trois ordonnances rendues le 2 novembre 2010 (préc.), le délégué du Premier président de la cour d'appel de Paris s'est interrogé sur la méthode de saisie globale des messageries électroniques employée par les agents de l'Autorité de la concurrence ou de la DGCCRF. Saisi de recours formés par trois sociétés ayant fait l'objet d'opération de visites et de saisies autorisées par le JLD du TGI de Paris, le magistrat a décidé de surseoir à statuer et d'ordonner une expertise ayant pour objet de déterminer s'il est possible ou non d'effectuer une saisie sélective de messages dans la messagerie électronique sans pour autant compromettre l'authenticité de ceux-ci. En l'espèce, ces trois groupements dénonçaient les modalités de saisie des messageries électroniques qui auraient été effectuées en violation des droits de la défense, du secret des correspondances avocat-client et du droit à la vie privée. Il était notamment reproché aux agents de l'Autorité de la concurrence de ne pas avoir procédé au ciblage de leurs saisies, ce qui aurait conduit à la saisie de documents hors du champ de l'autorisation judiciaire. Dès lors, les entreprises sollicitaient l'annulation des saisies et des procès-verbaux les relatant, et, pour deux d'entre elles, une expertise sur les modalités de saisie de documents informatiques et de messageries, et d'inventaire informatique.
La décision inattendue du délégué du Premier président de la cour d'appel a été saluée, notamment en raison de sa motivation. D'une part, le magistrat précise qu'a été apportée au débat l'existence d'une autre méthode de saisie de documents informatiques et de messagerie, qui permettrait de concilier les droits effectifs de la défense avec une lecture au premier degré des articles 56 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L7226IML) et L. 450-4 du Code de commerce. Il précise, s'agissant de cette méthode, qu'elle ressort d'un argumentaire technique, écrit et oral, qui se différencie des notices générales ou études établies sans contradiction qui avaient pu être produites dans les autres espèces invoquées. D'autre part, le magistrat souligne l'existence d'autres méthodes de saisies et d'inventaires utilisées par des autorités de concurrence étrangères.
Depuis lors, le rapport d'expertise qui avait été ordonné sur la divisibilité des messageries électroniques dans le cadre des procédures mentionnées ci-dessus a conclu au caractère disproportionné des méthodes de saisie globale après fouilles sommaires tout en confirmant l'existence de logiciels permettant de sélectionner des messages individuels puis de les exporter tout en garantissant leur intégrité, authenticité et traçabilité. La solution retenue par la cour d'appel de Paris le 4 octobre 2011 repose donc sur un fondement technique fort discutable d'autant qu'elle entraîne une violation de droits fondamentaux. La pratique de saisies globales des messageries électroniques méconnaît sans nul doute le principe de la confidentialité des correspondances avocat-client et la restitution de telles correspondances par les services d'instruction de l'Autorité de la concurrence ne compense qu'imparfaitement la violation du secret au moment de la saisie. Pour justifier cette pratique, l'Autorité de la concurrence se retranche derrière l'article L. 450-4 du Code de commerce lequel dispose que les saisies peuvent s'exercer sur "tout support d'information", en particulier les CD, DVD-ROM et les disques durs des ordinateurs professionnels, et que cette saisie globale est le seul moyen de ne pas altérer l'authenticité et l'intégrité des messages saisis. En outre, elle estime que le mécanisme de restitution a posteriori des documents couverts par le secret des correspondances est une garantie suffisante pour les intéressés. Toujours est-il que ces justifications ne sont pas satisfaisantes car la pratique des saisies informatiques globales porte atteinte aux droits de la défense. Comment garantir, en effet, que les courriels couverts par le secret professionnel qui auront été lus par les services d'instruction de l'Autorité de la concurrence n'influeront pas sur la perception qu'aura cette autorité des éventuelles pratiques anticoncurrentielles reprochées ?
Peut-être faut-il se tourner vers des procédures existantes qui ont déjà fait leurs preuves. La pratique des enveloppes scellées de la Commission européenne, qui permet de placer les documents soumis à contestation dans un contenant dans l'attente du règlement de cette contestation ainsi que la pratique française des scellés en matière pénale (5) prouvent qu'il est possible de traiter de manière divisible des messageries électroniques.
Une solution teintée d'anachronisme. Si elle s'inscrit dans la lignée de la jurisprudence dégagée par la Cour de cassation, la solution de la cour d'appel de Paris se trouve en porte-à-faux avec la jurisprudence européenne. En effet, dans l'arrêt "Akzo", le TPICE avait jugé qu'eu égard à la nature particulière du principe de protection de la confidentialité des communications entre avocats et clients, la prise de connaissance par la Commission du contenu d'un document confidentiel constitue en elle-même une violation de ce principe (6). Dès lors, si en vertu du principe d'autonomie procédurale, de telles pratiques peuvent persister dans le cadre d'enquêtes effectuées sur la base du droit national, elles ne survivraient pas à un contrôle de proportionnalité dans le cadre d'enquêtes effectuées sur la base du droit de l'Union. Dans l'attente d'une telle décision, il est recommandé aux entreprises de former les personnels aux pouvoirs élargis des enquêteurs et de revoir à la fois leur archivage -l'objectif étant de séparer les correspondances avocats du reste des correspondances électroniques- et leurs modalités d'échanges avec leurs avocats. Il est également conseillé aux avocats d'être présents au moment de la perquisition, aux côtés de leurs clients, de demander le tri des correspondances et de faire noter des réserves sur le PV de perquisition.
(1) Cass. crim., 12 décembre 2007, n° 06-81.907 (N° Lexbase : A9738HZP).
(2) Cass. crim., 8 avril 2010, n° 08-87.415 (N° Lexbase : A7242EXI).
(3) Cass. crim., 13 janvier 2010, n° 07-86.228 (N° Lexbase : A0351ESS) et n° 07-86.229 (N° Lexbase : A0352EST).
(4) CA Paris, Pôle 5, 7ème ch., 4 mars 2010, n° 09/14362 (N° Lexbase : A9075EWZ). V. également, CA Paris, Pôle 5, 7ème ch., 14 septembre 2010, n° 09/17586.
(5) L'article 56 du Code de procédure pénale prévoit la mise sous scellés provisoires des objets et documents saisis, si l'inventaire sur place n'est pas possible, étant entendu que les scellés ne pourront ensuite être ouverts qu'en présence de la personne au domicile de laquelle la perquisition a eu lieu.
(6) TPICE, 17 septembre 2007, T-125/03 (N° Lexbase : A2206DYD), pt. 86, Rec. CJCE, II, p. 3523 ; confirmé par CJUE, 14 septembre 2010, aff. C-550/07 P (N° Lexbase : A1978E97), pt. 25, RLC, 2011/26, n° 1746.
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par François Brenet, Professeur à la Faculté de droit et des sciences sociales de l'Université de Poitiers - Institut de droit public
Le 24 Novembre 2011
L'arrêt n° 342642 ici commenté précise utilement les règles relatives à l'indemnisation des prestations exécutées par le cocontractant de l'administration en cas de nullité d'un marché public. Il montre que la combinaison des actions en responsabilité quasi-contractuelle et en responsabilité quasi-délictuelle peut permettre au cocontractant une réparation complète de son préjudice, lorsque la nullité du marché public est la conséquence de la seule faute de la personne publique.
En l'espèce, le SIVOM de l'agglomération verdunoise avait passé en 1992, avec la société anonyme d'économie mixte locale (SAEML) X, un marché de services portant sur la collecte, le transport et le traitement de déchets, ainsi que la mise à disposition de bacs à ordures. Alors que l'appel d'offres portait sur une capacité de 1 300 000 litres de déchets, lequel volume avait constitué la base de détermination de la rémunération du cocontractant, le marché a finalement été conclu pour un volume plus important (1 595 000 litres), sans que la rémunération du cocontractant ne soit pour autant réajustée. A ce volume révisé, s'est ajouté un volume de 206 520 litres supplémentaires, fourni sans ordre de service par la SAEML, afin de répondre à l'augmentation de la population durant la période d'exécution du contrat. Afin d'obtenir une rémunération correspondant au volume contractuel révisé et ses prestations supplémentaires, la société cocontractante a saisi le tribunal administratif, puis la cour administrative d'appel de Nancy qui a constaté la nullité du marché (1) au motif que celui-ci avait été conclu par une autorité incompétente. L'illégalité relevée était, en effet, particulièrement grave et ne laissait aucune place au doute, puisque le SIVOM avait conclu le contrat sans avoir reçu compétence de la part des communes concernées.
Selon une solution classique et implacable, la nullité (l'annulation devrait-on dire depuis l'intervention de la double jurisprudence "Tropic" (2) - "Commune de Béziers" (3)) du contrat fait normalement obstacle au règlement du litige né du contrat sur le terrain contractuel, car il n'existe plus de contrat. Seule l'action en responsabilité extracontractuelle permet, alors, au cocontractant de demander une indemnisation. C'est précisément ce qu'il a fait en saisissant à nouveau le juge administratif. On doit noter que cette nouvelle saisine du juge administratif n'était pas indispensable car la jurisprudence "Société Citécable Est" (4) permet au signataire d'un contrat de prolonger son action en responsabilité contractuelle par une action en responsabilité quasi-contractuelle en invoquant, y compris pour la première fois en appel, des moyens tirés de l'enrichissement sans cause que l'application du contrat frappé de nullité a apporté à l'un d'eux ou de la faute, consistant pour l'un d'eux, à avoir passé un contrat nul, quand bien même ces moyens, qui ne sont pas d'ordre public, reposent sur des causes juridiques nouvelles. Bien qu'elle n'ait pas saisi cette opportunité, la SAEML avait de bonnes chances de voir prospérer sa demande indemnitaire. La cour administrative d'appel de Nancy a, en effet, condamné la communauté de communes de Verdun, qui avait succédé au SIVOM, à lui verser 299 441 euros TTC.
Saisi d'un recours en cassation contre ce dernier arrêt, le Conseil d'Etat le censure pour insuffisance de motivation et erreur de droit. Cette censure était inéluctable car les juges du fond avaient prononcé une indemnisation globale, sans examiner les fautes alléguées du cocontractant pour procéder à un éventuel partage des responsabilités sur le terrain quasi-délictuel. Il faut savoir, en effet, que la jurisprudence administrative a adopté, au cours des dernières années, toute une série de décisions qui sont autant d'exigences à respecter en matière de recours indemnitaires faisant suite à la nullité d'un contrat. Cette jurisprudence repose sur plusieurs principes complémentaires.
Le premier principe réside dans le droit qu'a le cocontractant de l'administration de former un recours sur le terrain quasi-contractuel afin d'obtenir le remboursement de celles de ses dépenses prévues au contrat qui ont été utiles à la collectivité envers laquelle il s'était engagé. On reconnaît ici la théorie de l'enrichissement sans cause, que le droit romain connaissait sous le nom d'action De in rem verso, et dont le juge administratif a admis très tôt l'existence (5), avant d'en faire un principe général du droit (6). Cette théorie s'applique dans deux hypothèses principales : lorsqu'une prestation a été fournie à une personne publique en dehors de tout lien contractuel ; et lorsqu'un contrat a bien été conclu et a servi de support à l'exécution de certaines prestations avant d'être annulé par le juge. C'est précisément cette seconde hypothèse qui était en cause en l'espèce. L'objet de la théorie de l'enrichissement sans cause n'est pas de permettre la réparation du préjudice découlant d'un comportent fautif de l'administration. Il est de permettre à l'ancien cocontractant de l'administration d'obtenir, dans un souci évident d'équité, le remboursement des dépenses qui étaient prévues au contrat et qui ont été utiles à la collectivité. La notion de dépenses utiles renvoie aux sommes effectivement engagées (ce qui exclut donc l'indemnisation du manque à gagner) et qui ont, d'une manière ou d'une autre, contribué à enrichir le patrimoine de la personne publique.
Le deuxième principe, qui prolonge le premier, tient à l'absence d'incidence de la faute de l'appauvri sur son droit à indemnisation. Depuis 2008 (7), la jurisprudence considère, en effet, que les fautes éventuellement commises par le cocontractant de l'administration, antérieurement à la signature du contrat, sont sans incidence sur son droit à indemnisation au titre de l'enrichissement sans cause. Ce principe comporte toutefois une exception, rappelée par l'arrêt ici commenté. Elle vise l'hypothèse dans laquelle la faute commise par l'appauvri a eu pour effet de vicier le consentement de l'administration, notamment en cas de dol (manoeuvres dolosives et réticences dolosives) (8).
Le troisième principe réside dans le droit qu'a le cocontractant d'engager une action en responsabilité quasi-délictuelle lorsque la nullité du contrat est la conséquence d'une faute commise par l'administration. Cette faculté est essentielle, car elle lui offre la possibilité d'obtenir une indemnisation bien supérieure à celle découlant des règles strictes de l'enrichissement sans cause. Pourront, ainsi, être indemnisées les dépenses exposées pour l'exécution du contrat, indépendamment de leur utilité pour la personne publique, mais aussi le manque à gagner. Encore faut-il préciser que ce principe connaît une double limite. Il apparaît, tout d'abord, que cette indemnisation est plafonnée puisque l'ancien cocontractant ne pourra pas prétendre à une indemnité supplémentaire si l'indemnité à laquelle il a droit sur un terrain quasi-contractuel lui assure déjà une rémunération supérieure à celle que l'exécution du contrat lui aurait procurée. Il apparaît, ensuite, que le droit à indemnisation du cocontractant doit être apprécié à la lumière des fautes qu'il a pu éventuellement commettre. Ainsi a-t-il été jugé, en 2008, que la conclusion d'un contrat en violation des règles de passation (conclusion d'un marché de gré à gré alors que le respect d'une procédure de passation formalisée s'imposait) pouvait être une source d'exonération totale de responsabilité de la personne publique dans le cas où ledit cocontractant ne pouvait pas ignorer, au regard de son expérience, l'existence de l'illégalité (9).
Ces quatre principes impliquent, de toute évidence, que la part de l'indemnisation du cocontractant rattachée à l'enrichissement sans cause et celle rattachée à la faute de la personne publique soient clairement établies et définies. Il n'était donc pas légalement possible pour les juges du fond de retenir le principe d'une indemnisation globale. De la même façon, il leur appartenait, ce qu'ils n'avaient pas fait, de rechercher si le cocontractant avait commis une ou plusieurs fautes et si celles-ci pouvaient éventuellement justifier un partage de responsabilités sur le terrain quasi-délictuel. Après avoir annulé l'arrêt d'appel, le Conseil d'Etat a réglé l'affaire au fond en prenant bien soin de distinguer la question de l'indemnisation des prestations prévues au contrat et non encore rémunérées, de celle de l'indemnisation des prestations supplémentaires.
En ce qui concerne les premières (qui portaient, on le rappelle, sur les 295 000 litres supplémentaires fournis par la SAEML avec l'accord du SIVOM et alors que l'appel d'offres avait été lancé pour un volume moins important), le Conseil d'Etat se prononce en faveur d'une indemnisation intégrale du préjudice subi, indemnisation couvrant tout à la fois les dépenses utiles, les dépenses non utiles et le manque à gagner correspondant au volume de 295 000 litres prévu au contrat.
En ce qui concerne les prestations supplémentaires correspondant aux 206 520 litres supplémentaires fournis par la SAEML sans ordre de service afin de répondre à l'augmentation de la population pendant la période d'exécution du contrat, le Conseil d'Etat applique le même raisonnement en jugeant qu'elles étaient nécessaires et que la collectivité devait être regardée comme ayant donné son consentement dès lors qu'elle ne s'y était pas opposée. Ces dépenses sont donc indemnisées sur le terrain de l'enrichissement sans cause. Plus encore, la SAEML obtient sur le terrain quasi-délictuel l'indemnisation de ses dépenses non utiles et de son manque à gagner pour cette prestation, cette indemnisation étant fondée sur la circonstance qu'elle n'a pas commis de faute en mettant des bacs supplémentaires à disposition avec le consentement de la personne publique.
En conclusion, cette décision montre que le cocontractant de l'administration peut obtenir une indemnisation complète de son préjudice lorsque la nullité du marché public est la conséquence de la seule faute commise par l'administration et ne peut donc en aucun cas lui être imputée, même partiellement.
Sous des abords très classiques, la décision du Tribunal des conflits du 17 octobre 2011 montre, une nouvelle fois, que l'administrativité de certains contrats, qui baignent dans une ambiance naturelle de droit privé, est très difficile à établir. C'est dire que les critères jurisprudentiels du contrat administratif ne sont pas appréciés de la même façon selon le contrat auquel ils s'appliquent.
En l'espèce, des propriétaires avaient accepté de louer leur immeuble à un centre hospitalier en vue de permettre à ce dernier d'exercer son activité de soins et d'hospitalisation de jour. A la suite de dommages causés à cet immeuble, la question de la nature juridique de ce contrat s'est posée, et le juge des conflits a retenu, dans la présente décision, la thèse de la qualification de droit privé. Un tel contrat n'étant pas qualifié par les textes, le Tribunal des conflits a logiquement appliqué les critères jurisprudentiels du contrat administratif, ce qui montre au passage qu'ils n'ont pas perdu leur utilité, contrairement à ce que l'on soutient parfois.
L'objet du contrat ne pouvait pas justifier son administrativité. Le contrat de bail n'est, en effet, pas un contrat ayant pour objet l'exécution même du service public (10), ni même un contrat constituant une modalité d'exécution du service public (11). Pouvait-il être considéré comme un contrat faisant participer les propriétaires à l'exécution du service public hospitalier ? Certainement pas. Comme le relève la décision du 17 octobre 2011, un tel contrat avait seulement été conclu pour les besoins du service public et n'impliquait, en aucune manière, une participation effective des propriétaires à l'exécution du service public hospitalier. Plus délicate était la question de savoir si le contrat litigieux pouvait être considéré comme administratif au regard de ses clauses (12). Le doute était permis car le contrat de location comportait une stipulation attribuant à l'établissement locataire le pouvoir de résilier le contrat à tout moment à condition de justifier de raisons financières ou tenant à l'intérêt du service. Une telle clause pouvait, en effet, être regardée comme exorbitante du droit privé, non pas dans sa dimension financière (un locataire de droit privé pouvant, sans aucun doute, résilier un contrat de bail en invoquant de telles raisons financières), mais dans son volet lié à l'intérêt du service. Cette stipulation pouvait être regardée comme reproduisant le pouvoir de résiliation unilatérale pour motif d'intérêt général qui est octroyé aux personnes publiques dans le cadre des contrats administratifs (13).
Une jurisprudence abondante considère, en effet, que le motif d'intérêt général justifiant la résiliation unilatérale peut être lié aux besoins du service public (réorganisation, changement de politique, etc.) (14). Malgré cela, le Tribunal des conflits a considéré qu'une telle clause ne conférait pas au preneur des droits étrangers par leur nature à ceux qui sont normalement susceptibles d'être consentis dans les rapports de droit privé. Cette solution appelle deux séries de remarques. Il apparaît, tout d'abord, que la définition de la clause exorbitante du droit privé donnée par le Tribunal des conflits est aujourd'hui datée, pour ne pas dire dépassée. Cette définition, qui remonte à l'arrêt "Stein" de 1950 (15), ne correspond plus à la réalité. La clause exorbitante est aujourd'hui bien davantage celle qui est inusuelle, inhabituelle ou anormale en droit privé que celle qui est totalement étrangère au droit privé. Comme cela a déjà été relevé par certains rapporteurs publics, cette définition est "réductrice, ou trompeuse" (16). Il apparaît, ensuite, que l'identification de la clause exorbitante du droit privé dépend avant tout du contexte dans lequel elle s'inscrit. L'exorbitance est à géométrie variable, de sorte que deux clauses identiques peuvent être qualifiées différemment selon qu'elles sont inscrites dans un contrat qui baigne dans une ambiance de droit public ou de droit privé (17).
(1) CAA Nancy, 4ème ch., 21 juin 2010, n° 08NC01057 (N° Lexbase : A2933E4E).
(2) CE, Ass., 16 juillet 2007, n° 291545, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A4715DXW).
(3) CE, Ass., 28 décembre 2009, n° 304802, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A0493EQC).
(4) CE, S., 20 octobre 2000, n° 196553, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A9119AH9), Rec. CE, p. 457, RFDA, 2001, p.,359, concl. H. Savoie.
(5) CE, 15 février 1889, Lemaire c/ Fabrique de l'église du Rincq, Rec. CE, p. 226. En vérité, ce n'est qu'au début des années 1960 que le régime juridique de l'enrichissement sans cause, tel qu'on le connaît aujourd'hui, a été construit et finalisé par la jurisprudence (CE, S., 14 avril 1961, Ministre de la Reconstruction et du Logement c/Sté Sud-Aviation, Rec. CE, p. 236).
(6) CE 1° et 4° s-s-r., 14 octobre 1966, n° 64076, publié au recueil Lebon, Rec. CE, p. 537 (N° Lexbase : A0264B8B).
(7) CE 2° et 7° s-s-r., 22 février 2008, n° 266755, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A3440D7K) ; CE, S., 10 avril 2008, n° 244950, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A8665D73).
(8) Par exemple, CE 2° et 7° s-s-r., 19 décembre 2007, n° 268918 (N° Lexbase : A1460D3H), Rec. CE, p. 507.
(9) CE, S., 10 avril 2008, n° 244950, publié au recueil Lebon, préc. : "[...] en revanche, si le département a eu irrégulièrement recours à une procédure de marché négocié, ce qui a entraîné l'annulation du contrat, la [société] a elle-même commis une grave faute en se prêtant à la conclusion d'un marché dont, compte tenu de son expérience, elle ne pouvait ignorer l'illégalité [...] cette faute constitue la seule cause directe du préjudice subi par la société [...] à raison de la perte du bénéfice attendu du contrat ; que cette société n'est ainsi pas fondée à demander l'indemnisation d'un tel préjudice, nonobstant la faute de la collectivité".
(10) CE, S., 20 avril 1956, n° 98637, publié au recueil Lebon ([LXB=A8010AYC ]), Rec. CE, p. 167, AJDA, 1956, II, 272, concl. M. Long et GAJA n° 71, p. 221, chron. J. Fournier et G. Braibant.
(11) CE, S., 20 avril 1956, n° 33961, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A8023AYS), Rec. CE, p.168, AJDA, 1956, II, 272, concl. M. Long et GAJA n° 71, p.221, chron. J. Fournier et G. Braibant.
(12) CE, 31 juillet 1912, n° 30701, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A6681A7L), Rec. CE, 1912, p. 909, concl. L. Blum, RDP, 1914, p. 145, note G. Jèze.
(13) CE, Ass., 2 mai 1958, Distilleries de Magnac-Laval, AJDA, 1958, II, 282, concl. J. Kahn ; CE, Ass., 2 février 1987, n° 81131, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A3244APT), Rec. CE, p. 29.
(14) CE, 11 juillet 1913, Compagnie des chemins de fer du sud de la France, Rec. CE, p. 854 ; CE, 30 juin 1933, Société le Centre électrique, Rec. CE, p. 707.
(15) L'on reconnaît ici la définition de la clause exorbitante donnée par l'arrêt CE, S., 20 octobre 1950, Stein, Rec. CE, p. 505.
(16) B. Dacosta, conclusions sous CE 2° et 7° s-s-r., 19 novembre 2010, n° 331837, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A4278GKN).
(17) Est symptomatique, à cet égard, le contentieux de la qualification des contrats portant sur la gestion du domaine privé des personnes publiques ou des contrats à objet financier. L'exorbitance est, en effet, très difficile à établir dans ce type de contrat (voir, toutefois, CE 2° et 7° s-s-r., 19 novembre 2010, n° 331837, publié au recueil Lebon, préc.).
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Le 24 Novembre 2011
9h : Café d'accueil
9h30 : Ouverture des travaux par Monsieur Gilles Rosati, Président du tribunal de grande instance de Créteil et Madame Nathalie Becache, Procureur de la République
10h La réponse civile
Modérateur : Madame le Bâtonnier Elizabeth Ménesguen
Génèse de la loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010 (N° Lexbase : L7042IMR)
Intervenant : Madame Virginie Kles, Sénatrice d'Ille-et-Vilaine et Secrétaire de la Commission des Lois
Présentation de la loi
Intervenant : Maître Annie Koskas, Avocat, Membre du Conseil de l'Ordre en charge des Affaires familiales
Mise en oeuvre de l'ordonnance de protection et application jurisprudentielle du tribunal de Créteil
Intervenant : Madame Jacqueline Lesbros, Vice-Présidente du tribunal de grande instance de Créteil chargée du service des Affaires familiales
Echanges avec la salle
Pause
Les orientations du plan national de lutte contre les violences faites aux femmes
Intervenant : Madame Anaïs Guillou, Chargée de mission Départementale aux Droits des Femmes et à l'égalité
14h La réponse pénale
Modérateur : Monsieur Michel, Président de la 9ème chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Créteil
L'accueil des victimes
Intervenants : Capitaine Chrystèle Tabel Lacaze, Chef du SAIP et adjointe au Chef de la circonscription de sécurité de proximité de Charenton-le-Pont, et Docteur Annie Soussy, Chef du service de consultations médico-judiciaires au CHI de Créteil
La poursuite des auteurs de violences conjugales
Intervenant : Madame Lucie Delaporte, Substitut du procureur près le tribunal de grande instance de Créteil
Le jugement des auteurs de violences conjugales
Intervenants : Madame Michelle Jouhaud, Présidente de la 11ème chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Créteil, Maître Patricia Cohn, Avocat, ancien membre du Conseil de l'Ordre
Le suivi des auteurs de violences conjugales
Intervenants : Monsieur Claude Charamathieu, Directeur du Service Pénitentiaire d'Insertion et de Probation (SPIP), Monsieur Ludovic Fossey, Vice-Président du tribunal de grande instance de Créteil, chargé du service de l'Application des peines
Echanges avec la salle
Réponse souhaitée avant le 6 décembre
Tél : 01 49 81 19 13 - Fax : 01 49 81 19 45 - Mail : formation@justiceetville.fr
La participation des avocats à cette rencontre sera validée pour 6 heures au titre de l'obligation de formation continue
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par Frédéric Subra, avocat associé et Mathieu Le Tacon, avocat of counsel au sein du cabinet Delsol Avocats
Le 24 Novembre 2011
Dans cette décision, le Conseil d'Etat a été amené à examiner les conditions auxquelles un mineur peut faire l'objet d'une taxation à l'imposition sur le revenu distincte de celle de ses parents et ce, par exception au principe selon lequel le foyer fiscal inclut les enfants mineurs (CGI, article 6, 1 N° Lexbase : L0794IP4).
Les dispositions en la matière sont régies par l'article 6, 2 du CGI selon lesquelles "le contribuable peut réclamer des impositions distinctes pour ses enfants, lorsque ceux-ci tirent un revenu de leur travail ou d'une fortune indépendante".
Jusqu'à présent, la jurisprudence en la matière était assez peu fournie en ce qui concerne la notion de "revenu tiré d'une fortune indépendante".
Ainsi, les juges du fond ont été amenés à considérer qu'une pension alimentaire versée pour l'entretien et l'éducation d'un enfant mineur par celui des parents chez lequel cet enfant ne réside pas habituellement ne présente pas le caractère d'un revenu que l'enfant tirerait d'une fortune indépendante de celle du parent chez lequel il réside (TA Paris, 18 février 1999, n° 94-11545).
En sens inverse, il a été considéré, au moins de façon implicite, que la plus-value résultant de la cession de parts sociales d'une société civile immobilière (SCI), détenues en nue-propriété par les enfants du contribuable, est constitutive, pour ces enfants, d'un revenu tiré d'une fortune indépendante de celle de leur père, au sens de l'article 6, 2 du CGI (CAA Marseille 13 avril 2006, n° 01MA01138, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A8129DPR).
Les faits dans l'affaire commentée étaient les suivants : par acte notarié, un couple, alors marié sous le régime de la communauté légale de biens, mais en instance de divorce, avait donné, pour cinq ans, à leurs deux enfants mineurs, l'usufruit, évalué à 20 000 francs (3 048,98 euros), de vingt des cent parts qu'ils possédaient dans une SCI. Par acte notarié du même jour, liquidant la communauté, homologué ultérieurement par la cour d'appel de Paris prononçant le divorce définitif des époux, l'ex mari s'est vu attribuer la pleine propriété des quatre-vingt parts restantes de la SCI et la nue-propriété des vingt parts précitées.
Consécutivement, l'ex femme, à laquelle la garde des enfants avait été confiée, a demandé l'imposition distincte de ses deux enfants mineurs.
Confirmant le jugement du tribunal administratif, qui avait prononcé la décharge des redressements d'impôt sur le revenu notifiés à l'ex épouse par l'administration, cette dernière estimant que les enfants ne disposaient pas d'une fortune indépendante au sens de l'article 6, 2 précité, la cour administrative d'appel de Paris avait, dans une décision n° 06PA03029 du 11 décembre 2008 (N° Lexbase : A6608ECQ), jugé que : "au cours des années litigieuses, les enfants de Mme X, usufruitiers des vingt parts de la SCI dont la nue-propriété appartenait à leur père, ont disposé d'une fortune indépendante de leur mère ; par suite et alors que l'administration n'invoque aucun abus de droit, les revenus fonciers respectivement perçus à titre personnel par Julie X et par Grégoire X permettaient à Mme X de demander leur imposition distincte au titre de ces mêmes années, sur une base incluant non seulement les revenus fonciers sus-évoqués mais également les sommes versées par M. X en exécution du jugement de divorce pour leur éduction et leur entretien".
Pour sa part, le Conseil d'Etat, dans la décision commentée, a censuré, pour erreur de droit, l'arrêt rendu par la cour, au motif que celle-ci n'avait pas recherché si l'ex-épouse "était susceptible de disposer de ces revenus, alors que, si le 2 de l'article 6 du CGI permet à un contribuable de demander une imposition distincte pour son enfant mineur lorsque celui-ci tire un revenu d'un patrimoine lui appartenant, c'est à la condition, non seulement qu'il ne dispose d'aucun droit sur ce patrimoine mais également qu'il n'ait aucune possibilité, en dépit de sa qualité d'administrateur légal des biens de son enfant et du droit de jouissance légale qui s'y attache, de disposer de ce revenu".
La solution ainsi adoptée et la formulation retenue par la Haute juridiction apportent, de notre point de vue, deux enseignements : tout d'abord, le Conseil d'Etat ne voit pas d'obstacle de principe à ce qu'un enfant soit imposé séparément, à raison des revenus tirés de parts de SCI dont il ne détient l'usufruit que pour une durée limitée.
Que ce soit le caractère temporaire de l'usufruit ou, semble-t-il, le caractère aléatoire des revenus d'une société (celui-ci pouvant, il est vrai, être limité s'agissant d'une SCI percevant des loyers réguliers), ne sont donc des éléments faisant obstacle à la caractérisation de revenus tirés d'une fortune personnelle au sens de l'article 6, 2 précité du CGI.
Ceci peut paraître d'autant plus logique que la demande visant à ce que l'enfant fasse l'objet d'une imposition distincte de celle de ses parents est, en pratique, effectuée une fois les revenus considérés perçus.
Par ailleurs, si la solution retenue au cas d'espèce par le Conseil d'Etat peut paraître rigoureuse, en ce qu'il est reproché à la cour d'avoir vérifié si les enfants disposaient d'une fortune indépendante, sans avoir vérifié si le parent, qui avait la garde des enfants, n'était pas susceptible de disposer des revenus associés aux biens appartenant aux enfants, elle ne nous paraît pas, pour autant, parfaitement fondée.
La différence peut, en effet, paraître ténue mais elle peut entraîner d'importantes conséquences, si l'on songe que les statuts de la société dont les droits sont démembrés peuvent, par exemple, stipuler que le droit de vote de l'associé mineur est exercé par son représentant légal.
Le fin mot de l'histoire devrait en tout état de cause revenir à la cour administrative d'appel de Paris, devant laquelle l'affaire est renvoyée.
Cette décision de la Haute assemblée du 12 octobre 2011, mentionnée au recueil Lebon, tranche la question inédite du prix d'acquisition qui doit être retenu pour le calcul de la plus-value réalisée par un particulier sur des titres d'une société cotée, reçus à titre gratuit.
Un couple de contribuables avait reçu, en juillet 2000, du père de l'épouse, par donation, des actions d'une société cotée au second marché de la bourse de Paris. La valeur unitaire de l'action, retenue pour le calcul des droits de donation, avait été fixée à 77 euros. Cédant en septembre de la même année ces titres sur une base de valorisation identique, les intéressés n'avaient pas déclaré de plus-value. Considérant qu'aux termes de l'article 759 du CGI (N° Lexbase : L8117HL9), le prix d'acquisition des titres devait être leur valeur unitaire sur le second marché au jour de la donation, l'administration fiscale avait imposé entre les mains du couple la plus-value, calculée en ôtant au prix de cession de 77 euros le prix d'acquisition de 44 euros.
La question était donc de savoir, s'agissant de la plus-value de cession de titres cotés reçus à titre gratuit, si le prix d'acquisition retenu devait être la valeur déclarée par le contribuable ou celle -inférieure- résultant de l'application des dispositions de l'article 759 du CGI.
On sait qu'aux termes de l'article 150-0 D du CGI (N° Lexbase : L0087IKG), lorsque les valeurs mobilières et les droits sociaux ont été acquis par le contribuable par voie de mutation à titre gratuit (succession, donation simple ou donation-partage), le second terme de la différence est constitué par la valeur retenue pour la détermination des droits de mutation à titre gratuit (instruction du 13 juin 2001, BOI 5 C-1-01, n° 92 N° Lexbase : X6266AAC).
Ainsi, la plus-value résultant de la cession de droits sociaux recueillis par un contribuable dans la succession de son conjoint décédé doit être déterminée en retenant la différence entre le prix de cession des parts et la valeur qu'elles avaient au jour du décès du conjoint (rép. min. Chevallier, JO Sénat du 5 octobre 1960, p. 1213, n° 942).
De même, lorsque les valeurs mobilières et les droits sociaux cédés ont été acquis par le contribuable par voie de donation avec prise en charge de dettes, le gain de cession est déterminé en retenant la valeur des biens transmis retenue pour la détermination des droits de donation, avant déduction du montant des dettes. Il s'agit, selon la doctrine administrative, de la valeur vénale des titres donnés appréciée au jour de la donation (instruction du 27 juillet 2006, BOI 7 G-06, n° 28).
Or, l'article 759 du CGI, dans sa version applicable aux faits de l'espèce jugée par le Conseil d'Etat, disposait que "pour les valeurs mobilières aux négociations sur un marché réglementé, le capital servant de base à la liquidation et au paiement des droits de mutation à titre gratuit est déterminé par le cours moyen au jour de la transmission" (1).
Donnant raison à l'administration fiscale, les juges de première instance et d'appel avaient jugé que le prix d'acquisition de titres obtenus à titre gratuit n'était pas constitué par la valeur déclarée par le contribuable et effectivement retenue pour les droits de mutation, mais celle qui aurait dû être retenue selon l'article 759 du CGI.
L'arrêt de la cour administrative d'appel de Versailles (CAA Versailles, 13 novembre 2008, n° 06VE01879, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A9469EBC) est censuré par le Conseil d'Etat. Dans un considérant de principe, les juges du Palais-Royal rappellent que : "dès lors que l'article 150-0 D du CGI prévoyait que pour le calcul du montant de la plus-value taxable en cas de cession de titres, le prix d'acquisition des titres obtenus à titre gratuit devait être fixé à la valeur retenue pour le calcul des droits de mutation, cette valeur devait en principe être prise en compte qu'elle procédât d'une déclaration du contribuable au titre des droits d'enregistrement ou, le cas échéant, d'une rectification de cette déclaration par l'administration fiscale ; il n'aurait pu en aller autrement que si l'administration avait établi que la valeur retenue pour les droits d'enregistrement était dépourvue de toute signification".
Ainsi, est clairement affirmé le principe selon lequel la valeur déclarée par le contribuable pour le calcul des droits de mutation prévaut sur toutes autres dispositions. Il n'en est différemment qu'en cas de rectification par l'administration fiscale pour sous-évaluation, ou dans l'hypothèse où la valeur retenue serait sans signification.
En revanche, le contribuable n'est pas lié par les dispositions de l'article 759 du CGI, et il lui est loisible de retenir une valeur de la société supérieure au cours de bourse pour le calcul des droits de mutation à titre gratuit, dès lors que cette valeur est conforme à la valeur réelle de la société. C'est ensuite cette valeur qui constituera le deuxième terme de la plus-value.
Notons que la situation boursière actuelle, qui voit des sociétés aux cours de bourse très inférieurs à leurs capitaux propres, sans parler de leur valeur réelle, pourrait offrir des situations analogues à celle portée à la censure de la Haute assemblée. De même, les cessions de sociétés cotées, qu'elles soient amicales ou subies, interviennent le plus souvent sur la base de valeurs supérieures au cours de bourse.
Par cette décision, le Conseil d'Etat consacre implicitement l'effet de purge des plus-values par les mutations à titre gratuit : dès lors que le contribuable a acquitté des droits de mutation sur une valeur donnée, la plus-value réalisée par la suite doit être déterminée à partir de cette valeur. Autrement dit, un même gain ne peut être taxé deux fois, au titre des mutations à titre gratuit et des plus-values.
Ainsi, dans l'hypothèse d'un redressement de la valeur déclarée pour le calcul des droits d'enregistrement, l'intéressé pourra obtenir un dégrèvement au titre de la plus-value de cession réalisée par la suite.
Il reste à rappeler l'importance pour les contribuables de déclarer les dons manuels de valeurs mobilières ou droits sociaux dont ils bénéficient. Le Conseil d'Etat a, en effet, rappelé que, faute de déclaration par le contribuable, aucune valeur n'a été retenue pour la détermination des droits de mutation et l'administration fiscale peut affecter aux titres acquis gratuitement une valeur nulle à moins que le contribuable qui les a recueillis ne soit en mesure de justifier de leur valeur d'acquisition à la date de cette acquisition (CE 9° et 10° s-s-r., 27 avril 2006, n° 270443, Betz, RJF, 7/06, n° 853).
Dans cette décision rendue le 14 octobre 2011, le Conseil d'Etat a été amené à préciser sa jurisprudence sur la notion d'"entreprise exploitée en France", au sens de l'article 209 du CGI (N° Lexbase : L1291IRA), qui est redevable, en tant que telle, de l'impôt sur les sociétés en l'absence de convention fiscale applicable.
Au cas particulier, l'administration fiscale française avait exercé son droit de visite (fondé sur l'article L. 16 B du LPF N° Lexbase : L0549IHS) dans un château situé dans le Lot, appartenant à une personne physique domiciliée en Côte d'Ivoire, par ailleurs gérante et principale associée d'une société basée à Jersey, exerçant une activité d'intermédiaire pour des opérations de négoce international de denrées alimentaires entre des sociétés d'Europe du Nord et des sociétés d'Afrique de l'Ouest.
Se fondant sur les documents saisis à cette occasion, l'administration fiscale avait considéré que la société en question, qui ne disposait à Jersey que de son siège social, sans y exercer d'activité, exploitait bien une entreprise en France, ce qui la rendait, en l'absence de convention fiscale conclue entre la France et Jersey, à l'époque des faits, imposable à l'impôt sur les sociétés.
Sur le fondement des mêmes éléments factuels, l'administration avait, par ailleurs, considéré que la société disposait d'un établissement stable en France au sens de l'article 259 du CGI, et lui avait aussi notifié des rappels de TVA.
Ce raisonnement, tant au regard de l'IS qu'au regard de la TVA, avait, semble-t-il, été adopté par la cour administrative d'appel de Bordeaux (CAA Bordeaux, 4ème ch., 18 décembre 2008, n° 06BX01084, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A6751EMY), laquelle, selon les termes de la décision du Conseil d'Etat, avait retenu que le nombre et l'importance des opérations commerciales effectuées par le gérant depuis son château devaient, nonobstant leur caractère discontinu, faire regarder la société comme une entreprise exploitée en France.
Il apparaît donc que c'est au regard du volume et de l'importance des transactions réalisées par la société pendant les périodes où son gérant résidait dans le château que l'administration fiscale a considéré qu'était caractérisée une entreprise imposable à l'impôt sur les sociétés et un établissement stable passible de la TVA.
Se fondant sur une inexacte qualification des faits, le Conseil d'Etat a annulé l'arrêt de la cour administrative d'appel et, tranchant l'affaire au fond, a, pour sa part, relevé que la société considérée n'employait au sein du château aucun personnel propre et ne mettait à disposition de son dirigeant que des équipements techniques très limités, destinés à lui permettre, lors de ses brefs séjours dans sa résidence de vacances, le suivi des activités de la société, ce qui faisait ainsi obstacle à la caractérisation tant d'une entreprise passible de l'impôt sur les sociétés que d'un établissement stable redevable de la TVA.
Ce faisant, la Haute juridiction a, de notre point de vue, fort opportunément rappelé, de façon implicite mais néanmoins claire que la caractérisation d'un établissement permettant d'asseoir de l'IS ou de la TVA en France suppose l'existence d'un "établissement" qui se caractérise, selon l'administration fiscale elle-même d'ailleurs (D. adm. 4-H-1412 n° 6 à 8), par une installation matérielle possédant une certaine permanence et doté d'une réelle autonomie, celle-ci étant généralement révélée par la présence d'un personnel distinct.
Or, en l'état des seuls éléments qui ressortent de l'arrêt précité, il apparaît que le gérant ne disposait que de moyens techniques très limités (que l'on imagine constitués, tout au plus, par une ligne de téléphone/télécopie et d'un ordinateur), mis à sa disposition par sa société basée à Jersey afin qu'il puisse rester en contact avec celle-ci et ses clients lors de séjours au sein de son château, que le Conseil d'Etat prend soin de désigner comme étant brefs et opérés à titre de vacances.
A l'inverse, le volume ou l'importance des opérations réalisées n'ont, à notre connaissance, jamais été retenus, ni par la doctrine administrative ni par la jurisprudence, comme un critère de caractérisation d'un établissement au sens de l'article 209 du CGI.
Il est certes admis que l'exercice habituel d'une activité en France caractérise une entreprise implantée en France, mais l'exercice d'une telle activité suppose l'existence d'un "établissement" et donc de moyens d'exploitation stables et autonomes qui, en l'espèce, faisaient manifestement défaut.
Il est par ailleurs vrai qu'au cas particulier la circonstance que le gérant de la société ne faisait que de brefs séjours en France a nécessairement joué un rôle dans la solution adoptée par le Conseil d'Etat, laquelle aurait sans doute pu être différente si le gérant était fiscalement domicilié en France et y gérait en permanence l'activité de la société basée à Jersey.
En tout état de cause, la solution adoptée par le Conseil d'Etat, qui se rapproche de la définition de l'établissement stable adoptée par la plupart des conventions fiscales, nous semble parfaitement logique et apporte une sécurité juridique bienvenue pour l'ensemble des dirigeants de sociétés étrangères qui effectuent régulièrement des séjours en France, notamment dans le cadre de leurs vacances, tout en restant en contact étroit avec leur entreprise.
(1) Dans la rédaction issue de l'article 18 de la loi 2003-1311 du 30 décembre 2003, de finances pour 2004 (N° Lexbase : L6348DM3), l'article 759 du CGI précise que pour les successions, les valeurs mobilières françaises et étrangères admises aux négociations sur un marché réglementé peuvent être évaluées, soit d'après la moyenne des trente derniers cours qui précèdent le décès, soit d'après le cours moyen au jour du décès. En matière de donation, les valeurs mobilières continuent d'être évaluées uniquement d'après le cours moyen au jour de la donation (i.e. moyenne du cours le plus haut et du cours le plus bas de la séance considérée ou cours unique s'il n'y a qu'un cours).
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par Etienne Vergès, Professeur à l'Université de Grenoble, membre de l'Institut universitaire de France
Le 24 Novembre 2011
En procédure civile, les arrêts d'Assemblée plénière s'enchaînent, depuis quelques années, à un rythme soutenu. L'arrêt commenté, rendu le 7 octobre 2011, tranche une question apparemment technique, mais d'une portée essentielle, puisqu'elle concerne l'exercice des voies de recours et leur recevabilité.
En 1994, le tribunal de grande instance de Bordeaux a prononcé l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire à l'égard de deux époux. En 2004, près de dix ans plus tard, l'épouse interjeta appel de ce jugement. Saisie du recours, la cour d'appel de Bordeaux (CA Bordeaux, 17 novembre 2009 N° Lexbase : A5251EUZ) le déclara irrecevable, car ayant été formé plus de deux ans après le prononcé de la décision attaquée, contrairement aux termes de l'article 528-1 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6677H7G), qui dispose que, "si le jugement n'a pas été notifié dans le délai de deux ans de son prononcé, la partie qui a comparu n'est plus recevable à exercer un recours à titre principal après l'expiration dudit délai".
Dans cette affaire, le jugement avait fait l'objet d'une notification simplifiée. En vertu de l'article R. 631-12 du Code de commerce (N° Lexbase : L0995HZU) (applicable devant le tribunal de grande instance), la notification doit être réalisée par le greffier par l'envoi d'une lettre recommandée avec avis de réception. Pourtant, en l'espèce, cette notification fut irrégulière, car le greffier n'avait pas indiqué le prénom de l'épouse contrairement aux prescriptions de l'article 665 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6839H7G). La lettre n'arriva pas à son destinataire et fut retournée au greffe avec la mention "Homonymie Précisez Prénom". La situation juridique était complexe puisqu'une notification avait bien été faite par le greffier, mais cette notification, irrégulière, n'avait pas atteint son destinataire. Un doute existait sur l'application de l'article 528-1 du Code de procédure civile et donc sur la recevabilité de l'appel.
La décision rendue par la cour d'appel fit l'objet d'un premier pourvoi en cassation examiné par la deuxième chambre civile (Cass. civ. 2, 21 février 2008, n° 06-14.726, F-D N° Lexbase : A0484D73). La Cour de cassation affirma alors clairement que la décision de première instance "avait été notifiée et peu important que la notification fût entachée d'une irrégularité susceptible d'en affecter l'efficacité". En d'autres termes, l'article 528-1 du Code de procédure civile ne s'appliquait pas en raison de la notification et le délai de deux ans imposé par cette disposition devait être écarté.
L'affaire renvoyée devant la cour d'appel de Bordeaux fit l'objet d'un arrêt de résistance. Ainsi, la juridiction de renvoi considéra que la lettre recommandée renvoyée à son expéditeur sans avoir été délivrée "ne constitue pas une notification au sens de l'article 665 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6839H7G)". Cette décision fit l'objet d'un nouveau pourvoi naturellement accompagné d'une saisine de l'Assemblée plénière.
Le problème soulevé par cette affaire présentait tout à la fois une grande complexité juridique et un intérêt pratique considérable. Il s'agissait de savoir quelle était la portée d'une notification irrégulière qui n'avait pas atteint son destinataire, sur l'exercice d'une voie de recours.
La solution adoptée par l'Assemblée plénière, simple en apparence, mérite quelques explications. L'arrêt est rendu au visa de l'article 528-1 du Code de procédure civile. Selon la Haute juridiction, "une lettre recommandée adressée par le greffe constitue la notification prévue par ce texte, peu important que celle-ci soit entachée d'une irrégularité". En conséquence, elle casse l'arrêt rendu par la cour d'appel de renvoi qui avait déclaré l'appel irrecevable.
Par principe, l'appel contre une décision de première instance est encadré par deux délais. Le délai d'appel est d'un mois à compter de la notification du jugement. Si la notification n'a pas eu lieu, l'appel peut tout de même être exercé, mais il doit l'être dans le délai de deux ans à compter du prononcé du jugement. A l'issue des deux ans, l'appel est irrecevable. Cette seconde règle vise à sécuriser la décision de justice lorsqu'un délai suffisamment long s'est écoulé pour signifier le désintérêt des parties à l'égard de la décision de justice. Soit cette décision a été exécutée volontairement, soit la partie gagnante n'a pas souhaité en obtenir l'exécution et elle a négligé de la notifier.
En revanche, si la notification a eu lieu, l'article 528-1 est inapplicable. La notification n'entraîne pas une interruption du délai de deux ans, mais plus radicalement son exclusion. Le délai d'appel peut devenir éternel, comme nous le verrons plus loin.
La portée de la notification irrégulière sur l'existence du délai d'exercice du recours a fait l'objet de trois interprétations différentes dans cette affaire.
La première cour d'appel saisie a considéré que le jugement n'"avait pas été régulièrement notifié". De façon implicite, la cour d'appel se situait sur le terrain de la nullité procédurale. Le prénom de l'épouse ne figurait pas sur la lettre recommandée. Il s'agit là d'une formalité prévue à peine de nullité textuelle. La formalité n'ayant pas été respectée, la partie concernée n'avait pas eu connaissance du jugement et s'était vue privée de son droit d'appel. L'irrégularité avait donc causé un grief et l'on pouvait considérer que la notification faite par le greffier était atteinte de nullité. L'acte nul ne pouvant produire d'effet, le délai de deux ans prévu à l'article 528-1 trouvait à s'appliquer et l'appel formé dix ans après la décision était irrecevable.
La seconde cour d'appel se situait sur un autre terrain plus incertain. Celui de l'inexistence ou de l'omission de l'acte. La cour de renvoi considérait ainsi que la lettre recommandée, qui avait été retournée au greffier pour correction du destinataire, ne constituait pas une notification. Implicitement, l'irrégularité rendait la notification inexistante. Cette position est aujourd'hui délicate à tenir. En effet, depuis un arrêt de Chambre mixte rendu le 7 juillet 2006, la Cour de cassation a mis fin à la théorie de l'inexistence en affirmant que "quelle que soit la gravité des irrégularités alléguées, seuls affectent la validité d'un acte de procédure, soit les vices de forme faisant grief, soit les irrégularités de fond limitativement énumérées à l'article 117 du nouveau Code de procédure civile" (Cass. mixte, 7 juillet 2006, n° 03-20.026, P+B+R+I, N° Lexbase : A4252DQK). Ainsi, l'irrégularité procédurale ne peut affecter un acte au point de le rendre inexistant. Malgré tout, cette jurisprudence n'exclut pas qu'un acte de procédure ne produise aucun effet dès lors qu'il n'a pas été réalisé. Une lettre recommandée ne peut donc valoir notification si elle n'a pas été délivrée à son destinataire. On peut ainsi estimer que la notification est omise ou qu'elle n'existe pas. C'est le sens de la décision de la cour d'appel de renvoi.
La Cour de cassation adopte une attitude radicalement opposée en considérant que la lettre recommandée, même irrégulière, constitue une notification au sens de l'article 528-1. Pour comprendre que la Cour de cassation fasse produire un effet à un acte irrégulier, il faut se reporter au rapport du conseiller rapporteur. Pour le magistrat, l'esprit de l'article 528-1 est de sanctionner le justiciable qui fait preuve d'inertie en ne notifiant pas le jugement. A l'inverse, "en présence d'une notification irrégulière, l'auteur de la notification a, malgré l'irrégularité dont cette dernière est affectée, montré sa volonté de se prévaloir du jugement ou de le critiquer par les voies de recours". Cette volonté de se prévaloir du jugement suffit donc à écarter le délai de deux ans. Le rapporteur est plus clair encore lorsqu'il affirme : "il y a eu une tentative de notification de sorte que l'on peut retenir qu'il y a eu notification". La simple volonté de notifier produirait, dans l'esprit du Code de procédure civile, la mise à l'écart du délai de deux ans.
La solution n'est pas convaincante. Elle l'est d'autant moins dans l'espèce étudiée, puisque la notification n'avait pas été initiée par une partie, mais par le greffier. En effet, par principe, les jugements doivent être signifiés entre les parties pour produire leurs effets (exécution, point de départ des voies de recours). Par dérogation, certains jugements sont notifiés de façon simplifiée par le greffier et par simple lettre recommandée avec avis de réception. Cette procédure présente des avantages évidents, mais elle ne permet pas de manifester une volonté de notification émanant de l'une des parties. Celles-ci peuvent se désintéresser du jugement, malgré la notification. C'est d'ailleurs ce qui semble s'être passé dans les faits puisque l'épouse placée en redressement judiciaire a interjeté appel du jugement près de dix années après son prononcé.
En adoptant une telle solution, la Cour de cassation confirme pourtant une jurisprudence constante. Dans un arrêt du 2 mars 2000, la deuxième chambre civile jugeait déjà qu'une décision "était notifiée, peu important que la notification fût entachée d'une irrégularité susceptible d'en affecter l'efficacité" (Cass. civ. 2, 2 mars 2000, n° 98-13.648 N° Lexbase : A7296CEX). Cette solution a été reprise par la Chambre commerciale dans un arrêt du 7 janvier 2003 (Cass. com., 7 janvier 2003, n° 98-13.133, FS-D N° Lexbase : A6026A4X). Enfin, c'est en ce sens que la deuxième chambre civile avait statué dans l'arrêt du 21 février 2008 (Cass. civ. 2, 21 février 2008, n° 06-14.726, F-D N° Lexbase : A0484D73) qui fit l'objet d'un renvoi dans l'espèce étudiée. Dès lors, il y avait peu de raisons de douter que l'Assemblée plénière, saisie après résistance d'une cour d'appel, confirme la solution adoptée de façon uniforme par les chambres civile et commerciale.
Mais dans l'espèce étudiée, une autre raison de fait pouvait conduire à la mise à l'écart du délai de deux ans. Le greffier avait commis une faute susceptible d'entraîner la responsabilité de l'Etat du fait du dysfonctionnement du service public de la justice. En effet, l'article 670-1 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6850H7T) dispose qu'en cas de retour d'une lettre recommandée dont l'avis de réception n'a pas été signé par le destinataire, le greffier doit inviter "la partie à procéder par voie de signification". Pourtant, dans l'affaire qui était soumise à l'assemblée plénière, le greffier avait omis cette formalité. Le jugement d'ouverture du redressement judiciaire n'avait donc été ni notifié régulièrement en la forme ordinaire par le greffier, ni signifié par les parties. Si la Cour de cassation appliquait l'article 528-1 du Code de procédure civile, elle rendait l'appel irrecevable en raison d'une faute du greffier. La responsabilité de l'Etat aurait très probablement été engagée.
Il y avait donc autant de raisons de droit, que de fait, d'écarter l'application de l'article 528-1 du Code de procédure civile et la seule manière de le faire était de considérer que la notification, même irrégulière, constituait bien une notification au sens de l'article 528-1 et avait pour effet de rendre inapplicable le délai de deux ans.
Mais la solution retenue ne manque pas de surprendre par la contradiction qu'elle contient.
En effet, de la combinaison des articles 528 (N° Lexbase : L6676H7E) et 528-1, on devrait déduire que :
- en cas de notification, le délai d'appel est d'un mois à compter de la signification ;
- en absence de notification, le délai d'appel est de deux ans à compter du prononcé du jugement.
En présence d'une notification irrégulière, la Cour de cassation devrait se trouver face à une alternative :
- soit, retenir que la notification ne produit pas d'effet et appliquer le délai de deux ans ;
- soit, retenir que la notification produit un effet malgré l'irrégularité et appliquer le délai d'un mois.
Mais la solution retenue est toute autre. La Cour de cassation considère que la notification irrégulière produit son effet au regard de l'article 528-1 en écartant le délai de deux ans. Et implicitement, elle estime que la notification irrégulière ne peut faire courir le délai d'appel d'un mois, puisqu'elle n'est pas parvenue à son destinataire.
En d'autres termes, face à une notification irrégulière, aucun délai d'appel ne s'impose plus. La solution est contraire à la finalité de l'article 528-1. En effet, dans un arrêt du 30 janvier 2003, la deuxième chambre civile avait pu affirmer que "les principes de sécurité juridique et de bonne administration de la justice qui fondent les dispositions de l'article 528-1 du nouveau Code de procédure civile constituaient des impératifs qui n'étaient pas contraires aux dispositions de l'article 6.1" de la CESDH (N° Lexbase : L7558AIR) (Cass. civ. 2, 30 janvier 2003, n° 99-19.488, FS-P+B N° Lexbase : A8178A4N). La conformité de l'article 528-1 vis-à-vis du procès équitable tient précisément dans la volonté d'introduire de la sécurité juridique dans l'exercice des voies de recours en limitant ce recours dans le temps.
Il semble que cet impératif de sécurité juridique soit le grand oublié de la décision d'Assemblée plénière. La notification irrégulière ouvre un droit d'appel sans limite temporelle, qui permet à une personne de former un recours plus de dix années après qu'un jugement de redressement judiciaire ait été prononcé contre elle. Est-ce l'équilibre voulu par le Code de procédure civile entre le respect du droit au recours et la nécessité de sécuriser les relations juridiques entre les parties ? Nous pouvons nous permettre d'en douter.
La preuve de la libération du débiteur est une question qui fait l'objet de développements jurisprudentiels récents au sein de la première chambre civile, comme en atteste l'arrêt rendu le 4 novembre 2011.
En l'espèce, un établissement bancaire avait assigné des époux en paiement d'échéances d'un prêt qui, selon la banque, demeuraient impayées. Les époux produisaient toutefois en justice une quittance délivrée par la banque qui établissait que le prêt avait été intégralement remboursé. De son côté, la banque invoquait que cette quittance avait été délivrée par erreur et elle tentait de démontrer par tout moyen que des échéances restaient dues.
La cour d'appel admit ce raisonnement. Elle déduisit le défaut de paiement d'un faisceau d'indices. En effet, à l'époque de la délivrance de la quittance libératoire, le compte des époux était débiteur et ces derniers avaient fait l'objet d'une procédure de surendettement qui incluait la créance de la banque. Tous ces éléments permettaient de considérer que les époux étaient bien débiteurs de la banque et que, dès lors, la quittance avait été émise par erreur.
Pourtant, la Cour de cassation casse l'arrêt d'appel en affirmant que "si celui qui a donné quittance peut établir que celle-ci n'a pas la valeur libératoire qu'implique son libellé, cette preuve ne peut être rapportée que dans les conditions prévues par les articles 1341 et suivants du Code civil".
La solution n'est pas nouvelle. Dans un arrêt du 10 mars 1993, la troisième chambre civile avait déjà jugé que "si la quittance d'une somme payée en dehors de la comptabilité du notaire ne fait foi que jusqu'à preuve contraire, celle-ci ne peut être administrée qu'en conformité avec les règles prévues par les articles 1341 (N° Lexbase : L1451ABD) et 1347 (N° Lexbase : L1457ABL) du Code civil" (Cass. civ. 3, 10 mars 1993, n° 91-14.781 N° Lexbase : A5700ABQ).
Elle est cependant intéressante, car ce problème de preuve se trouve au coeur de plusieurs règles dont l'application pourrait s'avérer contradictoire.
D'abord, la Cour de cassation écarte l'application de l'article 1282 du Code civil (N° Lexbase : L1392AB8) à la quittance. Selon cette disposition, "la remise volontaire du titre original sous signature privée, par le créancier au débiteur, fait preuve de la libération" et selon une jurisprudence constante, "cette remise vaut présomption irréfragable de libération du débiteur". En d'autres termes, la présomption irréfragable ne supporte pas la contestation. A l'inverse, dans l'arrêt étudié, les époux ne détenaient pas le titre original, mais une quittance délivrée par la banque. La Cour de cassation en a déduit que la preuve contraire pouvait être produite. De façon plus explicite encore, en 1993, la troisième chambre civile avait jugé que "la quittance d'une somme payée en dehors de la comptabilité du notaire ne fait foi que jusqu'à preuve contraire". Une quittance est une preuve écrite, mais elle n'a pas la valeur du titre original.
La preuve contraire de la quittance peut être apportée, mais se pose alors la question du moyen de preuve. La question de la libération du débiteur est consubstantielle à celle du paiement. Or, dans un important arrêt du 16 septembre 2010, la première chambre civile a considéré que "la preuve du paiement, qui est un fait, peut être rapportée par tous moyens" (Cass. civ. 1, 16 septembre 2010, n° 09-13.947, F-P+B+I N° Lexbase : A4755E9Y). La Cour de cassation a ainsi admis que pour se libérer d'une reconnaissance de dette, une personne verse au débat des attestations et formule une demande d'enquête. Face à une reconnaissance de dette, le débiteur peut prouver sa libération par tout moyen.
Il est alors étonnant que la même chambre de la Cour de cassation juge au contraire que face à une quittance libératoire, la preuve de l'absence de paiement doive être apportée conformément à l'article 1341 du Code civil c'est-à-dire par écrit.
On enseigne traditionnellement qu'en matière de fait juridique, la preuve est libre. Cette liberté qui s'applique à la preuve du paiement devrait, en retour, s'appliquer à la preuve du non-paiement. Telle n'est pourtant pas la solution adoptée dans l'arrêt commenté. En invoquant l'article 1341, la Cour de cassation vise le principe selon lequel "il n'est reçu aucune preuve par témoins contre et outre le contenu aux actes". Si la preuve du paiement est établie dans un écrit sous-seing privé, en l'espèce une quittance, la première chambre civile exige en retour que la preuve de l'absence de paiement soit apportée selon le même formalisme. C'est là une combinaison étrange des systèmes de la preuve libre et de la preuve légale.
En pratique, pour que la banque parvienne à prouver que la quittance était erronée, elle aurait dû produire une reconnaissance de dette écrite postérieure à la quittance. Une hypothèse bien improbable qui confine à probatio diabolica.
Une partie appelée et non-comparante se voit généralement opposer un jugement réputé contradictoire (C. pr. civ., art. 473, al. 2 N° Lexbase : L6585H7Z). N'ayant pas comparu, celle-ci peut généralement interjeter appel de la décision sur le fond, si cette décision a été rendue en premier ressort. En revanche, le Code de procédure civile est largement silencieux sur les droits de la partie non-comparante durant la première instance. La solution est logique puisqu'il est difficile d'octroyer des droits procéduraux à la partie qui refuse de se défendre.
L'espèce étudiée montre au contraire que le défaut de comparution n'empêche pas certains justiciables de réclamer le droit à une procédure contradictoire qu'ils ont volontairement évitée. Dans les faits, un syndicat de copropriétaires avait agi contre l'un des copropriétaires en paiement des charges de copropriété. Le défendeur n'avait pas comparu et ne s'était pas fait représenter. Durant l'audience, le juge de proximité avait invité le demandeur à produire des pièces en délibéré. Dans cette hypothèse, l'article 444 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1120INS) prévoit que le président doit ordonner la réouverture des débats lorsque les parties n'ont pas été à même de s'expliquer contradictoirement sur les éclaircissements qui leur ont été demandés. Cette disposition semble devoir s'appliquer uniquement dans l'hypothèse où toutes les parties sont comparantes.
Pourtant, dans l'arrêt commenté, le défendeur non-comparant a invoqué une violation de l'article 444 précité et de l'article 6 § 1 de la CESDH en reprochant au juge de n'avoir pas réouvert les débats après avoir invité le demandeur à produire des pièces en délibéré. Pour le défendeur, le juge ne pouvait fonder sa décision sur des documents qui n'avaient pas été soumis au débat contradictoire.
L'argument semblait tout à la fois absurde et dilatoire. Il s'agissait, pour la partie qui s'était dérobée à la première instance, d'obtenir de la Cour de cassation une nouvelle audience au fond devant une juridiction de renvoi.
Les Hauts magistrats ne s'y sont pas trompés. Dans une décision qui semble aller de soi, la Cour de cassation affirme que la partie "qui n'a pas comparu bien que régulièrement convoquée, ne peut se prévaloir utilement d'un défaut de communication de pièces dont le président a demandé à l'audience la production en cours de délibéré".
Autrement dit, celui qui refuse le débat ne peut pas reprocher au juge de n'avoir pas respecté la contradiction. On y trouve là une illustration originale de l'adage nemo auditur, habituellement applicable en droit des contrats. Et cet arrêt a été particulièrement mis en valeur par la Haute juridiction puisqu'il a été rendu en formation plénière de chambre et qu'il est destiné à la publication au bulletin. Ainsi, il est des évidences procédurales dont il est bon de faire la publicité.
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Réf. : Cass. soc., 8 novembre 2011, n° 10-23.593, F-D (N° Lexbase : A8898HZL)
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par Lise Casaux-Labrunée, Professeur à l'Université Toulouse 1 Capitole
Le 24 Novembre 2011
Résumé
Un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut, en principe, justifier un licenciement disciplinaire, sauf s'il constitue un manquement de l'intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail. Le salarié, en contact permanent avec des mineurs du fait de ses fonctions, qui imprime des photographies à caractère pédopornographique avec le matériel mis à sa disposition par l'employeur, découvertes dans le logement de fonction occupé par lui dans l'enceinte de l'entreprise, commet une faute professionnelle dont la gravité justifie la rupture immédiate du contrat de travail. |
Commentaire
I - Principe : un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut justifier un licenciement disciplinaire
Protection de la vie personnelle du salarié. Les questions de frontière entre vie privée/personnelle et vie professionnelle suscitant un abondant contentieux, qui n'est pas prêt de se tarir, le principe a déjà été maintes fois affirmé par la Cour de cassation (1). Il paraît aujourd'hui bien établi, même si des hésitations ont parfois eu lieu sur le fait de savoir si des faits de vie privée pouvaient ou non être sanctionnés sur le terrain disciplinaire lorsqu'il est possible, d'une façon ou d'une autre, de les relier à la vie professionnelle en raison notamment de leur conséquence sur le contrat de travail ou sur la vie de l'entreprise (2). Ce principe est déduit de textes réputés : article 9 du Code civil (N° Lexbase : L3304ABY, droit au respect de la vie privée), article 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme ([LXB=L479AQR], droit au respect de la vie privée et familiale) (3)... Il implique l'idée de protection : la vie privée du salarié (élargie à sa vie personnelle par construction jurisprudentielle) doit être protégée contre tout risque d'intrusion de la part de l'employeur. Il invite aussi à une certaine séparation entre vie personnelle et vie professionnelle... fort éloignée de ce qui s'observe aujourd'hui dans bien des entreprises où la tendance est plutôt à la confusion entre les deux vies du salarié (voir les résultats des études qui tentent de chiffrer le temps non professionnel passé par les salariés français dans leur entreprise) d'où la recherche par les entreprises de modes de surveillance efficaces, jusqu'aux excès du "surveillermonsalarie.com" (4).
Cantonnement du pouvoir disciplinaire à la vie professionnelle. Quoi qu'il en soit, l'employeur n'a pas prise, via son pouvoir disciplinaire, sur cette vie personnelle que le salarié fait parfois abondamment entrer dans l'entreprise, même si spontanément et de façon compréhensible, il aurait envie de considérer cela comme une faute du seul fait que le temps passé à la vie personnelle en entreprise est du temps en moins pour l'entreprise (sauf les résultats de l'étude menée par le Dr Brent Coker du Département Marketing de l'Université de Melbourne selon laquelle le fait de s'accorder de temps en temps des temps de pause sur Internet améliore la productivité des salariés d'environ 9%...). Si le principe peut être critiqué dans les cas où le salarié fait de lui-même entrer sa vie privée dans l'entreprise et confond ses deux vies, il est indiscutable lorsque les faits de vie privée se déroulent en dehors de l'entreprise. "Quand il n'est plus au travail, le salarié redevient un homme libre et ce qu'il peut faire de (dans) sa vie ne regarde pas l'employeur" (5). Hors du temps et du lieu de travail, le salarié n'est pas en situation de subordination et l'employeur ne peut donc pas exercer, sur les faits commis dans un cadre privé, son pouvoir disciplinaire.
Immunité uniquement disciplinaire. L'immunité dont bénéficie le salarié est-elle totale, y compris lorsque les faits de vie privée ont un impact, d'une manière ou d'une autre, sur la vie de l'entreprise ou sur la bonne exécution du contrat de travail ? Non, bien sûr. Si un fait de la vie personnelle ne peut justifier un licenciement disciplinaire, le licenciement peut être prononcé pour un motif personnel non disciplinaire lorsque les agissements du salarié ont occasionné un trouble caractérisé au sein de l'entreprise. La solution est ancienne (6). "Ce n'est pas alors le fait de la vie personnelle en soi, mais sa répercussion sur le fonctionnement de l'entreprise qui conduit à faire du trouble objectif qui en est résulté une cause de licenciement" (7). Ce "trouble objectif", qui gagnerait à être précisé d'un point de vue conceptuel, parce qu'il est amené à jouer un rôle capital en la matière (8), ne peut pas non plus être sanctionné sur le terrain disciplinaire. S'il y a pu avoir hésitation sur ce point, la position de la Chambre sociale exprimée en 2011 paraît désormais claire : "un fait de la vie personnelle occasionnant un trouble dans l'entreprise ne peut justifier un licenciement disciplinaire" (9).
II - Exception : le licenciement disciplinaire est possible lorsque le fait tiré de la vie personnelle peut s'analyser en un manquement de l'intéressé aux obligations découlant de son contrat de travail
Solution récente. Cette exception n'a été formulée que récemment par la Cour de cassation, et pas toujours dans les mêmes termes. La solution a d'abord été exprimée en mettant en avant l'idée selon laquelle des faits commis dans le cadre de la vie privée pouvaient faire l'objet d'une sanction disciplinaire s'il était possible de les "rattacher à la vie de l'entreprise" (10). Critère fort souple (11)... La formule retenue aujourd'hui paraît plus ferme : "un motif tiré de la vie personnelle ne peut, en principe, justifier un licenciement disciplinaire, sauf s'il constitue un manquement de l'intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail" (12). Elle révèle au minimum la volonté des juges de ramener le débat sur le terrain contractuel, ce qui paraît plus clair. On notera, par ailleurs, le rapprochement sur ce point des jurisprudences administratives et judiciaires, Cour de cassation et Conseil d'Etat adoptant désormais une approche identique de ces questions (13).
Solution flottante. Pour autant, si sa formulation est claire, la solution sur le fond soulève de nombreuses questions qui au, final, laisse un sentiment d'insatisfaction, lié au risque que les juges aient ouvert par ce biais une voie permettant de réinvestir l'employeur d'un pouvoir disciplinaire susceptible d'atteindre des faits tirés de la vie personnelle (14).
L'arrêt du 8 novembre 2011 étonne, par exemple, en ce sens que les juges n'ont nullement pris soin de préciser l'obligation contractuelle bafouée. S'agit-il de l'obligation de loyauté qui mériterait d'être explicitée ? S'agit-il d'une obligation de probité (15), comme illustré dans un précédent arrêt ? Plus de rigueur et de précision dans la formulation des décisions serait ici souhaitable pour éviter cette impression de flottement d'une solution qui, mal cadrée, peut conduire à des abus du pouvoir disciplinaire.
L'arrêt surprend, par ailleurs, en ce sens qu'il retient à la charge du salarié "une faute professionnelle dont la gravité justifiait la rupture immédiate du contrat de travail". En l'espèce, le salarié dont les fonctions le mettaient en contact permanent avec des mineurs, avait imprimé avec le matériel mis à sa disposition par l'employeur, pratiquement un millier de photographies à caractère pédopornographique qui avaient été découvertes dans le logement de fonctions qu'il occupait dans l'enceinte de l'entreprise. Au final, on ne sait plus très bien sur quel fondement repose la solution donnée par l'arrêt : manquement à une obligation contractuelle ou faute professionnelle grave trouvant sa source dans la vie personnelle du salarié (dont les éléments constitutifs mériteraient d'être précisés). Nature et importance des fonctions exercées par le salarié, nature des faits en cause, gravité... On ne sait pas trop non plus si les juges, en l'espèce, ont véritablement cherché à identifier un manquement du salarié à l'une de ses obligations contractuelles, ou bien s'ils ont plutôt cherché à caractériser un trouble objectif au fonctionnement de l'entreprise. De la subtilité de la distinction entre disciplinaire et non disciplinaire... Les éléments d'appréciation ne doivent-ils pas mieux être distingués ?
Incohérences. Attention aussi à la cohérence d'ensemble de cette construction jurisprudentielle. Est-il logique qu'un fait tiré de la vie personnelle du salarié ne puisse justifier un licenciement disciplinaire lorsqu'il occasionne un trouble objectif dans l'entreprise (v. supra), et que le même fait puisse justifier le licenciement disciplinaire lorsqu'il traduit un manquement du salarié à une obligation contractuelle (16) ?
Comment justifier par ailleurs l'exclusion (l'exception à l'exception) à laquelle ont procédé récemment juge judiciaire et juge administratif à propos des décisions de suspension ou de retrait de permis de conduire, dans des cas où ce permis est nécessaire à l'exercice des fonctions des intéressés ? "Le fait pour un salarié recruté sur un emploi de chauffeur, de commettre, dans le cadre de sa vie privée, une infraction de nature à entraîner la suspension de son permis de conduire, ne saurait être regardé comme une méconnaissance par l'intéressé de ses obligations contractuelles à l'égard de son employeur" (CE 4° et 5° s-s-r., 15 décembre 2010, n° 316856 N° Lexbase : A6659GNX, formulation pratiquement identique dans Cass. soc., 3 mai 2011, n° 09-67.464, FS-P+B N° Lexbase : A2484HQ3). Pourquoi cette exception, tout de même discutable en ce sens qu'elle peut rendre impossible, au moins momentanément, l'exécution du contrat de travail... et pas telle autre ? Ces décisions montrent en tous cas la volonté des juges de garder une certaine maîtrise sur la qualification des faits de vie privée susceptibles d'être analysés en manquements contractuels.
L'impression qui reste à la lecture de l'arrêt du 8 novembre 2011 est celle d'une construction jurisprudentielle à peine esquissée, qui repose sur un raisonnement juste et séduisant (la vie privée ou personnelle du salarié ne doit pas perturber la bonne exécution du contrat de travail) mais qu'il convient sérieusement de peaufiner.
(1) Cass. soc., 16 décembre 1997, n° 95-41.326, publié (N° Lexbase : A2206AAX) ; Cass. soc., 26 septembre 2001, n° 99-43.636, inédit (N° Lexbase : A1146AWD) ; Cass. mixte, 18 mai 2007, n° 05-40.803, P+B+R+I (N° Lexbase : A3179DWN) ; Cass. soc., 23 juin 2009, n° 07-45.256, FS-P+B (N° Lexbase : A4139EI7), RDT, 2009, p. 657, obs. C. Mathieu-Géniaut (un fait de la vie personnelle ne peut justifier un licenciement disciplinaire) ; Cass. soc., 30 juin 2010, n° 09-66.793, FS-P+B (N° Lexbase : A6840E3Q) (une sanction disciplinaire ne peut être prononcée qu'en raison de faits constituant un manquement du salarié à ses obligations professionnelles envers l'employeur).
(2) CE 4° et 5° s-s-r., 15 décembre 2010, n° 316856, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A6659GNX), conclusions synthétiques de G. Dumortier, RDT, 2011, p. 99.
(3) "Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui".
(4) Selon une étude de la société Olféo, société de filtrage de contenus sur Internet, les salariés français passent en moyenne 86 minutes par jour sur Internet, dont 58 minutes pour un usage non professionnel (http://m.intelligence-rh.com Surveillermonsalarie.com : l'espionnage des salariés de moins de 1000 euros, article de S. Bonnegent du 29 octobre 2010).
(5) J.-Y. Frouin, Protection de la personne du salarié, intérêt de l'entreprise et construction prétorienne du droit du travail, JCP éd. S, 2010, p. 1087.
(6) Cass. soc., 17 avril 1991, n° 90-42.636, publié (N° Lexbase : A3738AAP), arrêt "Painsecq", RTD Civ., 1991, p. 706, obs. J. Hauser.
(7) G. Loiseau, Vie personnelle et licenciement disciplinaire, D., 2011, p. 1568.
(8) Ph. Waquet, Vie privée, vie professionnelle et vie personnelle, Dr. soc., 2010, p. 14 ; J.-E. Ray, De l'interférence vie personnelle/vie professionnelle, SSL, n° 1386, p. 12.
(9) Cass. soc., 9 mars 2011, n° 09-42.150, FS-P+B (N° Lexbase : A2470G9D), JCP éd. S, 2011, note J. Mouly.
(10) Cass. soc., 10 décembre 2008, n° 07-41.820, FS-P+B (N° Lexbase : A7240EBR) (propos injurieux tenus contre l'employeur en dehors de l'entreprise mais devant des personnes que le salarié était chargé d'encadrer) ; Cass. soc., 19 mars 2008, n° 06-45.212, F-D (N° Lexbase : A4786D7E) (retrait du permis de conduire pour alcoolémie en dehors du temps de travail, pour un salarié affecté à la conduite de véhicules).
(11) P. Adam, La vie personnelle, une forteresse et quelques souterrains, RDT, 2011, p. 116.
(12) Cass. soc., 23 juin 2009, n° 07-45.256, préc. ; Cass. soc., 3 mai 2011, n° 09-67.464, FS-P+B (N° Lexbase : A2484HQ3), F. Champeaux, De la frontière entre la vie personnelle et la vie professionnelle, SSL, n° 1492, p. 12.
(13) CE 4° et 5° s-s-r., 15 décembre 2010, n° 316856, préc., : "un agissement du salarié intervenu en dehors de son contrat de travail ne peut motiver un licenciement pour faute, sauf s'il traduit la méconnaissance par l'intéressé d'une obligation découlant de ce contrat" (à propos de la suspension hors travail du permis de conduire concernant un salarié recruté sur un emploi de chauffeur), JCP éd. G 2011, p. 353, note J Mouly ; P. Adam, op. cit. ; v., également, les conclusions de G. Dumortier précitée.
(14) V. en ce sens, G. Loiseau, précité.
(15) Cass. soc., 25 janvier 2006, n° 04-44.918, FS-P+B (N° Lexbase : A5597DMA).
(16) V. G. Loiseau, op. cit..
Décision
Cass. soc., 8 novembre 2011, n° 10-23.593, F-D (N° Lexbase : A8898HZL) Rejet, CA Grenoble, ch. soc., 23 juin 2010 Textes visés : néant Mots-clés : licenciement, pouvoir disciplinaire, vie personnelle, vie professionnelle, frontières Liens base : (N° Lexbase : E9122ESN) |
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par Christophe Paulin, Professeur de droit, Directeur du Master de droit des transports, Université Toulouse I Capitole
Le 24 Novembre 2011
Depuis sa création par une loi du 6 février 1998 (loi n° 98-69, tendant à améliorer les conditions d'exercice de la profession de transporteur routier N° Lexbase : L4769GU8), l'article L. 132-8 du Code de commerce (N° Lexbase : L5640AIQ), qui instaure ce qui est convenu d'appeler l'action directe du transporteur échappe à toute tentative d'analyse. Selon le texte "la lettre de voiture forme un contrat entre l'expéditeur, le voiturier et le destinataire ou entre l'expéditeur, le destinataire, le commissionnaire et le voiturier. Le voiturier a ainsi une action directe en paiement de ses prestations à l'encontre de l'expéditeur et du destinataire, lesquels sont garants du paiement du prix du transport. Toute clause contraire est réputée non écrite". Le texte attribue ainsi une action en paiement du transporteur contre ceux avec qui il n'a pas conclu le contrat mais qui participent néanmoins à l'opération. Tel est notamment le cas du destinataire. Par de nombreux et importants arrêts, la jurisprudence est venue préciser le sens qu'il fallait donner aux termes d'expéditeur et de destinataire, employés dans l'article.
La question du fondement de l'action restait toujours posée et ceux qui espéraient que la Cour allait ici trancher seront déçus. Les faits, pourtant, s'y prêtaient bien. Un transporteur, dont l'expéditeur est soumis à une procédure collective, déclare sa créance auprès de cet expéditeur. Cependant, il n'assigne le destinataire que postérieurement, semble-t-il, à l'expiration de la prescription annale instituée par l'article L. 133-6 du Code de commerce (N° Lexbase : L4810H9Z). Pour tenter d'échapper à cette prescription, il invoque l'effet interruptif de prescription de la déclaration de créance et le fait que l'article L. 132-8 du Code de commerce crée soit une solidarité soit un cautionnement entre l'expéditeur et le destinataire. La Cour devait donc se prononcer sur le fondement de l'article L. 132-8 du Code de commerce
Il est assez difficile de retenir l'existence d'une action directe. Celle-ci n'a normalement lieu qu'entre des tiers, l'auteur d'une action directe agissant à l'encontre d'une partie au contrat sans avoir lui-même cette qualité. C'est le cas de l'action du sous-traitant contre le maître de l'ouvrage ou de l'action de la victime du dommage contre l'assureur de l'auteur. Or, l'article L. 132-8 du Code de commerce est très clair sur ce point, transporteur, expéditeur et destinataire sont bien tous partie à un même contrat. La Cour de cassation a, du reste, confirmé la position de contractant du destinataire (Cass. com., 1er avril 2008, n° 07-11.093, FS-P+B sur le deuxième moyen N° Lexbase : A7694D74 ; Rev. dr. transp., 2008, comm. 94, nos obs). Pour la même raison, il convient d'exclure la qualification de caution. Celle-ci pourrait invoquer, du reste, le bénéfice de discussion et il est bien admis que le transporteur peut réclamer paiement au destinataire sans l'avoir auparavant vainement demandé à l'expéditeur.
La solidarité, en revanche, constituait une explication des plus intéressantes. Elle correspondait parfaitement à certains traits du régime de l'action du transporteur, celui-ci pouvant demander paiement de l'intégralité de la somme à l'un quelconque de ses débiteurs et le paiement effectué par l'un d'entre eux libérant les autres. De plus, la solidarité peut parfaitement être légale et exister entre cocontractants. Naturellement, la solidarité a pour conséquence que l'interruption de prescription à l'égard d'un débiteur emporte les mêmes effets à l'égard des autres, puisqu'ils sont tous tenus de la même dette (C. civ., art. 2245 N° Lexbase : L7177IA3). Refusant que l'interruption de prescription à l'égard de l'expéditeur puisse également valoir contre le destinataire, la Cour de cassation condamne l'idée de solidarité, obligeant à se résoudre à voir dans l'article L. 132-8 une nouvelle institution sui generis.
L'affaire "Frigo 7 contre Gefco" aura longtemps défrayé la chronique, tant en raison de l'importance des sommes en jeu que de son caractère symbolique des relations entre commissionnaires de transport et sous traitants. La Chambre commerciale vient ici de la clore, au détriment de Frigo 7.
Transporteur routier, Frigo 7 est le sous-traitant de Gefco, commissionnaire de transport, depuis 1972. En 2008, invoquant la loi du 5 janvier 2006 (loi n° 2006-10, relative à la sécurité et au développement des transports N° Lexbase : L6671HES) sur l'indexation du prix du transport sur le coût du carburant, Frigo 7 réclame à Gefco une somme de deux millions d'euros. Gefco met alors un terme à la relation commerciale, moyennant un préavis de six mois. Frigo 7 assigne alors Gefco sur le fondement de la rupture brutale des relations commerciales (C. com., art. L. 442-6, I, 5° N° Lexbase : L8640IMX) et réclame une indemnité de près de neuf millions d'euros. La cour d'appel de Versailles (CA Versailles, 12ème ch., sect. 2, 6 mai 2010, n° 09/05024 N° Lexbase : A5929E84), estimant qu'en raison de la durée des relations commerciales, le délai de préavis aurait dû être de vingt mois, accorde l'indemnité demandée. La satisfaction de Frigo 7 est de courte durée. Sur pourvoi, la Cour de cassation casse l'arrêt d'appel, retenant que la prohibition de la rupture brutale des relations commerciales ne s'applique pas lorsque le contrat type "sous-traitance" régit les relations du transporteur et du donneur d'ordre.
Le décret n° 2003-1295 du 26 décembre 2003 (N° Lexbase : L7909H3C) publie le contrat type "applicable aux transports publics routiers de marchandises exécutés par des sous-traitants", appelé contrat type "sous-traitance". Ce texte a pour objectif d'organiser les relations entre les différents donneurs d'ordres professionnels du transport et leurs prestataires. Il s'applique chaque fois qu'un "opérateur de transport", commissionnaire de transport ou transporteur public principal, confie de manière "régulière et significative" l'exécution d'opérations de transport à un sous-traitant. Compte tenu de la nature des relations entre Gefco et Frigo 7, ces conditions étaient certainement remplies.
L'article 12.2 du contrat type fixe le délai de préavis à respecter en cas de rupture. Lorsque la durée de la relation est supérieure à un an, le délai est de trois mois. La rupture initiée par Gefco respectait donc bien le délai de préavis fixé par le contrat type. Toute la question était de savoir si, malgré ce respect, Gefco pouvait se voir reprocher une rupture brutale de la relation, fondée sur l'article L. 442-6 du Code de commerce.
Les contrats type constituent une réglementation supplétive du contrat de transport, applicable lorsque les parties n'en ont pas disposé autrement, par écrit. Ainsi, en l'absence dans le contrat d'une clause relative à la durée du préavis, celle fixée par le contrat type avait naturellement vocation à s'appliquer. Cependant, selon l'article 8 de la loi d'orientation des transports intérieurs du 30 décembre 1982 (loi n° 82-1153 N° Lexbase : L6771AGU dite "LOTI"), devenu l'article L. 1432-4 du Code des transports (N° Lexbase : L8085INR), les contrats types s'appliquent "sans préjudice de dispositions législatives régissant le contrat". On pouvait donc soutenir que le contrat type "sous-traitance" ne faisait pas échec à l'application de l'article L. 442-6 du Code de commerce, de sorte qu'il était possible de rechercher la responsabilité du donneur d'ordre sur le fondement de la rupture brutale des relations commerciales, nonobstant le respect des dispositions du contrat type. Ce raisonnement ne convainc pas les conseillers de la Cour de cassation. Ils estiment que l'article L. 442-6 institue une responsabilité délictuelle (v., déjà en ce sens, Cass. com., 6 février 2007, n° 04-13.178, F-P+B N° Lexbase : A9456DTE, Bull. civ. IV, n° 21), de sorte qu'il ne figure pas parmi les dispositions régissant le contrat dont la loi réserve l'application. Telle est probablement l'explication de la formule assez abrupte selon laquelle "l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, qui instaure une responsabilité de nature délictuelle, ne s'applique pas dans le cadre des relations commerciales de transports publics routiers de marchandises exécutés par des sous-traitants, lorsque le contrat-type qui prévoit la durée des préavis de rupture, institué par la "LOTI", régit, faute de dispositions contractuelles, les rapports du sous-traitant et de l'opérateur de transport".
L'argument n'est toutefois pas entièrement convaincant, une responsabilité délictuelle pouvant parfaitement régir un contrat. La position de la Cour a au moins le mérite de préserver la sécurité que les contrats type doivent apporter au prestataire, en permettant au commissionnaire et, à n'en pas douter, à tous ceux qui se trouvent dans sa situation, de trouver dans le respect du contrat type une sécurité juridique.
Quant à Frigo 7, perdant les espoirs qu'il fondait sur la rupture brutale des relations commerciales, il n'aura eu guère plus de succès dans son action visant à obtenir un complément de rémunération au titre de l'indexation du prix du transport, puisque la cour d'appel de Versailles lui a accordé une somme de 122 000 euros, au lieu des deux millions réclamés.
La notion d'expéditeur est essentielle dans le mécanisme de l'action directe en paiement du transporteur instituée par l'article L. 132-8 du Code de commerce, puisque c'est notamment à celui-ci que le transporteur peut réclamer paiement du prix. Deux conceptions sont alors possibles. Une première, que l'on peut qualifier de contractuelle, où l'expéditeur est celui qui conclut le contrat de transport. Une seconde, matérielle, où prend la qualité d'expéditeur celui qui a remis les marchandises au transport, même s'il n'a pas conclu le contrat. En faveur de cette seconde conception, on peut invoquer plusieurs arguments. D'abord, un argument de texte : l'article L. 132-8 vise, outre l'expéditeur, le commissionnaire de transport. Or, c'est le commissionnaire de transport qui conclut le contrat de transport. On peut donc, selon le texte, être expéditeur même si l'on n'a pas conclu le contrat. D'autre part, la Cour de cassation adopte déjà une conception matérielle du destinataire, considérant comme tel celui qui reçoit la marchandise, même s'il n'est pas mentionné sur la lettre de voiture (cf. not. Cass. com., 15 avril 2008, n° 07-11.398, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A9361D7T ; Rev. dr. transp., 2008, comm. 222, nos obs.). Il serait assez logique de retenir pareille conception pour l'expéditeur. Enfin, une telle solution serait naturellement favorable au transporteur, que le texte à vocation à protéger, puisqu'elle lui offrirait un troisième débiteur, qui viendrait s'ajouter à son contractant et au destinataire, le remettant de la marchandise.
L'espèce ayant donné lieu à l'arrêt de la Chambre commerciale du 11 octobre 2011 en témoigne, puisque le transporteur assignait le vendeur ex works, alors que son donneur d'ordre, qui était également le destinataire, était en redressement judiciaire. L'action contre le remettant serait en effet particulièrement intéressante lorsque le destinataire a lui-même conclu le contrat, la conception contractuelle de l'expéditeur privant le transporteur d'un débiteur. La Cour de cassation distingue cependant traditionnellement le remettant de l'expéditeur, excluant que l'action directe soit intentée contre le premier (Cass. com., 13 février 2007, n° 05-18.590, F-P+B N° Lexbase : A2108DUM ; Rev. dr. transp., 2007, comm. 52, nos obs.) pour une vente ex works (Cass. com., 28 octobre 2008, n° 07-20.786, F-D N° Lexbase : A0665EBA ; Rev. dr. transp., 2008, comm. 250, nos obs.). Elle confirme ici sa jurisprudence, excluant que l'action directe en paiement soit intentée contre le vendeur ex works.
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