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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication
Le 27 Mars 2014
L'affaire pourrait relever de l'anecdote passéiste, si elle ne révélait pas, une fois encore, la nécessité de faire feu de tout bois contre l'extrémisme rampant, où qu'il puisse se loger, quand bien même revêtirait-il les armes d'une stèle au beau milieu d'un cimetière de Marignane.
Par un arrêt des plus cinglants, en date du 14 novembre 2011, le Conseil d'Etat rappelle à tous et, notamment, aux premiers magistrats municipaux, qu'une stèle manifestant une prise de position politique, en l'espèce en faveur de "l'Algérie française", n'a pas sa place dans un cimetière communal. Ce faisant, le Haut conseil confirme la position tant du juge du tribunal administratif de Marseille, du 7 juillet 2008, que celle de la cour administrative d'appel, du 23 avril 2010. Cette stèle ne constituait pas un simple monument commémoratif à la mémoire de personnes défuntes, mais manifestait une prise de position politique et procédait à l'apologie de faits criminels. En délivrant, par l'arrêté du 23 juin 2005, l'autorisation d'occuper pendant quinze ans un emplacement dans le cimetière en vue d'y installer cette stèle, le maire de Marignane, de l'époque, a autorisé l'occupation du domaine public communal pour un usage qui, d'une part, n'était pas compatible avec la destination normale d'un cimetière et, d'autre part, était de nature à entraîner des troubles à l'ordre public. Et, le Conseil d'Etat d'enfoncer le clou : "cette stèle [dédiée aux 'combattants tombés pour que vive l'Algérie Française'] comportait les dates d'exécution des auteurs de plusieurs assassinats ou tentatives d'assassinats, ne constituait pas un simple monument commémoratif à la mémoire de personnes défuntes mais manifestait une prise de position politique et procédait à l'apologie de faits criminels".
On sait, depuis 1889, et le monument en l'honneur des morts de la guerre de 1870 édifié à Vic-en-Bigorre, suivi par tant d'autres en commémoration de ceux tombés durant la Guerre franco-prussienne, que l'édification d'une stèle commémorative revêt nécessairement un rôle politique, en dehors du respect et du souvenir entretenus par les générations postérieures à l'adresse de celles qui ont combattu pour la liberté de la Nation. Il peut difficilement en être, autrement, la stèle dut-elle être édifiée au sein d'un cimetière, lieu pourtant de neutralité, comme le rappelle au bon souvenir de nos maires, chargés de la police funéraire, la loi du 14 novembre 1881, sur la liberté des funérailles. Et, si l'article R. 2223-8 du Code général des collectivités territoriales commande qu'"aucune inscription ne peut être placée sur les pierres tumulaires ou monuments funéraires sans avoir été préalablement soumise à l'approbation du maire", l'article L. 2223-12 du même code dispose que "tout particulier peut, sans autorisation, faire placer sur la fosse d'un parent ou d'un ami une pierre sépulcrale ou autre signe indicatif de sépulture". On comprend, dès lors, l'origine (juridique) du contentieux, d'autant que le maire en question n'avait pas, de par sa sensibilité politique sans doute, perçu le trouble que pouvait susciter une inscription glorifiant, même indirectement, plusieurs assassinats (entre 1 700 et 12 500 personnes, selon les historiens), attentats et exactions, un putsch, jusqu'à l'attentat du "Petit Clamart" du 22 août 1962, visant le Général de Gaulle et son épouse. Et, ce ne sont pas l'amnistie et la libération des prisonniers membres de l'Organisation armée secrète, par le Général Président, après son entretien avec le Général Massu, à Baden Baden, en mai 1968, qui réhabiliteraient en quoique ce soit les membres actifs de cette organisation terroriste clandestine.
Reste que le concept d'"Algérie française" est un concept fort ambigu qui, aujourd'hui, s'il revêt une connotation colonialiste "jusqu'au-boutiste", fut, également, le rêve d'une gloire militaire et républicaine. Département français, bien avant le comtat de Nice et la Savoie, l'indivisibilité du territoire national, au lendemain de la Seconde guerre mondiale et de la débâcle indochinoise, pressait Pierre Mendès-France, Président du conseil et artisan de la paix, à clamer dans l'hémicycle, à la suite des attentats de la "Toussaint rouge", en 1954 : "L'Algérie, c'est la France !". C'est dire que le sacrifice des Français, aussi bien ceux morts pour la défense d'une idée d'un autre temps, l'unité territoriale, que ceux morts pour une idée nouvelle, devenue universelle, le "droit des peuples à disposer d'eux-mêmes ", est un sacrifice expiatoire du colonialisme, dont la France peine encore à se remettre. Au même titre que la Collaboration connaît ses derniers soubresauts dans nos prétoires, le contentieux sur fond de guerre d'Algérie ne semble pas, encore, être tari. Un cimetière de Béziers comporte en son sein une stèle avec les noms et les portraits en médaillon des quatre activistes de l'OAS condamnés à mort et exécutés pour leurs crimes, avec la mention "Pour avoir défendu l'Algérie Française".
Le Mémorial national de la Guerre d'Algérie et des Combats du Maroc et de la Tunisie, quai Branly à Paris, est le symbole de l'apaisement recherché par les autorités publiques. Une première colonne déroule, en continu, par année et par ordre alphabétique, les noms des 23 000 soldats et harkis, morts pour la France en Afrique du Nord. Une deuxième colonne passe des messages rappelant la période de la guerre d'Algérie et le souvenir de tous ceux qui ont disparu après le cessez-le-feu, et désormais, les noms des victimes civiles de la manifestation de la rue d'Isly, à Alger, le 26 mars 1962. La troisième colonne affiche le nom d'un soldat recherché parmi l'ensemble des disparus.
Que le dey d'Alger, Hussein Dey, n'a-t-il pas déclenché en "soufflant", d'un coup d'éventail, le consul général de France, Pierre Deval, venu lui rendre hommage pour la fête musulmane du baïram, ce 30 avril 1827 ? Ou peut-être doit-on, comme pour bien d'autres conflits du XXème siècle, chercher la cause lointaine de tout ce drame auprès de... Bonaparte, dont l'impayé contracté, durant la campagne d'Egypte, à l'occasion du transport d'un tonnage de blé acheté par l'Empire à un négociant d'Alger, nourrissait déjà le contentieux du "pillage" des ressources algériennes...
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Réf. : Cass. civ. 1, 6 octobre 2011, n° 10-24.158, F-D (N° Lexbase : A6131HYQ)
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par Xavier Berjot, Avocat Associé, Ocean Avocats
Le 01 Décembre 2011
Me X, ayant souhaité prendre sa retraite d'avocat, a cédé son fonds d'exercice libéral à la SELARL Y. Cette cession est intervenue par acte du 19 octobre 2007, pour le prix de 300 000 euros, et prévoyait notamment une obligation de non-concurrence générale de la part du cédant.
Le même jour, les parties ont signé une convention annexe aux termes de laquelle Me X continuait à collaborer au sein du cabinet en traitant des dossiers qui lui seraient confiés durant 36 mois après la cession définitive.
Les parties ont réitéré leur engagement de cession, de non-concurrence et de collaboration par acte du 27 février 2008 avec prise de possession rétroactive au 1er janvier 2008, Me X s'engageant alors à présenter sa clientèle à la SELARL Y.
Toutefois, plusieurs clients, suivis jusqu'à la cession par un autre avocat, Me A., en partenariat avec Me X, ont fait savoir qu'ils n'entendaient pas changer d'avocat. Me X, lié par la clause de non-concurrence, a alors été engagé par Me A. en tant qu'avocat salarié pour traiter ces dossiers, avec l'approbation du Bâtonnier.
C'est alors que la SELARL Y a refusé de payer le prix de la cession.
Par sentence arbitrale du 1er octobre 2008, le Bâtonnier du barreau de Paris a jugé que la cession de fonds du 27 février 2008 était parfaite et que Me X. aurait dû avertir le cessionnaire du fait que trois clients figurant sur la liste n'étaient pas réellement les siens, de sorte que la valeur de la clientèle avait été surévaluée.
Me X. a interjeté appel de la sentence arbitrale par acte du 27 octobre 2008, sollicitant en particulier l'annulation de la clause de non-concurrence prévue à l'acte de cession.
Dans un arrêt du 22 juin 2010, la cour d'appel de Paris a condamné Me X. au paiement de la somme de 20 000 euros à titre de dommages-intérêts, retenant que l'illicéité de la clause de non-concurrence soulevée par ce dernier "est d'autant moins démontrée qu'il s'agit d'une cession pour départ à la retraite" (CA Paris, Pôle 2, 1ère ch., 22 juin 2010, n° 08/20431 N° Lexbase : A3192E4Y).
La Cour de cassation a censuré cette décision au visa de l'article 1134 du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC) et du principe de la liberté d'exercice de la profession d'avocat, considérant que "seules sont licites les clauses de non-concurrence limitées dans le temps et l'espace, proportionnées à leur finalité".
II - L'analyse de l'arrêt
L'arrêt de la Cour de cassation est intéressant dans la mesure où il fixe les règles relatives aux clauses de non-concurrence concernant les avocats (en l'espèce à l'occasion d'une cession).
En effet, le règlement intérieur national de la profession d'avocat (N° Lexbase : L4063IP8) ne contient que peu de dispositions sur le sujet. Son article 14.2, relatif au statut de l'avocat collaborateur libéral ou salarié, prévoit que "le contrat ne peut comporter de clauses de limitation de liberté d'établissement ultérieure". Par ailleurs, l'article 14.3 dispose que "toute stipulation limitant la liberté d'établissement ultérieure est prohibée" et que "l'ancien collaborateur libéral ou salarié doit s'interdire toute pratique de concurrence déloyale".
Rappelons que le RIN s'appuie sur l'article 7 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 modifiée (N° Lexbase : L6343AGZ) qui dispose que "le contrat de collaboration ou le contrat de travail ne doit pas comporter de stipulation limitant la liberté d'établissement ultérieure du collaborateur ou du salarié".
Ainsi, dans un arrêt du 14 octobre 1997, la première chambre civile de la Cour de cassation (Cass. civ. 1, 14 octobre 1997, n° 95-13.532 N° Lexbase : A0422ACM) a, au visa de ce texte, cassé un arrêt d'appel ayant validé certains articles du règlement intérieur du barreau de Metz instituant "au profit du patron ou de l'employeur un droit de contrôle préalable sur le choix des clients de son ancien collaborateur ou salarié, restreignant de fait sa liberté d'établissement ultérieure".
De la même manière, a été considérée comme inopposable à l'avocat salarié, car limitant sa liberté d'établissement ultérieure, la clause d'un contrat intitulée "respect de la clientèle" et stipulant qu'"après la fin du contrat le stagiaire s'interdit notamment : d'accomplir en qualité d'avocat directement, indirectement ou par personne interposée, pendant un délai de trois ans à compter de la cessation du contrat de travail, quelle qu'en soit la cause, sauf accord préalable et écrit de X aucun acte professionnel au profit d'un client avec lequel il a été mis en relation" (CA Agen, 5 octobre 1994, SA F. c/ Bâtonnier du conseil de l'Ordre des avocats du barreau d'Agen).
Hormis les quelques dispositions susvisées du RIN, qui ne concernent que l'ancien collaborateur, aucun texte ne définit les règles de validité des clauses de non-concurrence entre avocats.
Si la cause est entendue s'agissant des anciens collaborateurs, la question est donc plus délicate quand il s'agit de la cession d'un cabinet, où l'obligation de non-concurrence est une condition déterminante de l'équilibre économique et juridique de la cession.
L'arrêt de la Cour de cassation du 6 octobre 2011 reconnaît la licéité d'une telle clause, à condition que celle-ci soit limitée dans le temps et dans l'espace, et proportionnée à sa finalité.
Cette décision est conforme à la jurisprudence constante de la Cour de cassation, relative aux clauses de non-concurrence entre professionnels (cf. Cass. civ. 1, 16 novembre 2004, n° 01-17.356 N° Lexbase : A9399DDH : à propos d'orthophonistes ; Cass. civ. 1, 28 mars 2008, n° 07-12.454 N° Lexbase : A6119D7R : à propos d'angiologues).
En l'espèce, la clause très large selon laquelle le cédant avocat "s'interdisait toute forme d'exercice de la profession d'avocat qui viendrait en concurrence du cessionnaire, sans limitation de temps, ni de lieu" était de toute évidence nulle et de nul effet...
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Réf. : Cass. civ. 3, 9 novembre 2011, n° 10-30.291, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A8907HZW)
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N9061BSE
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par Julien Prigent, avocat à la cour d'appel de Paris, Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Baux commerciaux"
Le 01 Décembre 2011
I - L'impossibilité relative du preneur étranger de se prévaloir d'un droit au renouvellement
Aux termes de l'article L. 145-13 du Code de commerce, les dispositions de la présente section ("Section 3 : du renouvellement") ne peuvent être invoquées par des commerçants, industriels ou personnes immatriculées au répertoire des métiers de nationalité étrangère, agissant directement ou par personne interposée.
Il a été précisé que ces dispositions n'étaient applicables qu'au moment du renouvellement et non en cours de bail (TGI Paris, 18ème ch., 14 juin 2011, n° 10/14392 N° Lexbase : A6796HWM). Plus précisément, la condition de nationalité du preneur devait être remplie au jour où il forme une demande de renouvellement (Cass. com., 13 avril 1961, n° 58-10.389 N° Lexbase : A2548AUW), à l'instar des autres conditions du droit au renouvellement (voir par exemple à propos de l'immatriculation : Cass. civ. 3, 18 mai 2005, n° 04-11.985, FS-P+B N° Lexbase : A3790DI9 ; Cass. civ. 3, 1er juin 2010, n° 08-21.795, F-D N° Lexbase : A2117EY3).
L'article L. 145-13 envisage cependant trois catégories de dérogations.
Tout d'abord, il exclut les preneurs de nationalité étrangère du droit au renouvellement "sous réserve des dispositions de la loi du 28 mai 1943 relative à l'application aux étrangers des lois en matière de baux à loyer et de baux à ferme". L'article 1er de la loi du 28 mai 1943 dispose que "nonobstant toutes dispositions restrictives, les lois de droit commun ou d'exception, relatives aux baux à loyer et aux baux à ferme, réservent nécessairement le cas des ressortissants étrangers des pays qui offrent aux français les avantages d'une législation analogue, ainsi que celui des ressortissants étrangers dispensés par convention internationale de cette réciprocité, et sont en conséquence applicables à ces étrangers". L'article 2 de cette loi précise que "sont considérés comme dispensant de la réciprocité législative prévue à l'article 1er les traités diplomatiques qui admettent directement ou indirectement l'assimilation de l'étranger au national dans le domaine des droits civils, ou au moins dans celui régi par la loi dont l'application est revendiquée".
Ainsi, à ce titre et à l'époque où l'arrêt a été rendu, les preneurs de nationalités marocaines pouvaient invoquer un droit au renouvellement au motif que la loi marocaine comportait des dispositions analogues à la législation française en matière de bail commercial qui, compte tenu de l'absence de discrimination en fonction de la nationalité, étaient applicables aux ressortissants français (CA Paris, 16ème ch., sect. B, 4 juin 1999, n° 1997/16986 N° Lexbase : A9374A7C).
En vertu d'accords bilatéraux conclus entre la Chine et la France, et entre la Russie et la France, il a également été jugé qu'un ressortissant chinois (CA Paris, 16ème ch., sect. ch., B, 1er juillet 1992, n° 90/025254 N° Lexbase : A5911A4P) ou russe (CA Paris, 16ème ch., sect. A, 13 septembre 1994, n° 93/11525 N° Lexbase : A9432A7H) pouvait se prévaloir en France d'un droit au renouvellement.
Ensuite, l'article L. 145-13 du Code de commerce institue une deuxième dérogation à la condition nationalité pour les preneurs ayant, pendant les guerres de 1914 et de 1939, combattu dans les armées françaises ou alliées, ou ayant des enfants français. Le fait que le législateur ait employé le pluriel à propos "des enfants" n'impliquait pas que le preneur dût avoir plusieurs enfants pour pouvoir bénéficier du droit au renouvellement (CA Paris, 16ème ch., sect. A, 14 octobre 1998, n° 1996/17510 N° Lexbase : A9373A7B).
Enfin, l'article L. 145-13 du Code de commerce déroge également à la condition de nationalité qu'il édicte au profit des ressortissants d'un Etat membre de "la Communauté européenne" ou d'un Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen. Ces dispositions de l'alinéa 2 de l'article L. 145-13 ne s'appliquent qu'aux baux conclus ou renouvelés postérieurement à la suppression des restrictions à la liberté d'établissement ou à la libre prestation des services (décret n° 53-960 du 30 septembre 1953, art. 39 N° Lexbase : L3482AHG). Il doit être rappelé que depuis l'entrée en vigueur du Traité de Lisbonne le 1er décembre 2009, l'Union européenne a substitué la Communauté européenne.
Dans l'arrêt rapporté, le preneur était de nationalité turque et n'avait pu invoquer à son profit, pour bénéficier d'un droit au renouvellement, l'une des dérogations prévues par la loi à la condition de nationalité française, notamment l'existence d'une convention internationale (voir en ce sens, CA Paris, 16ème ch., sect. A, 14 octobre 1998, n° 1996/17510, préc.).
II - La possibilité pour le bailleur de renoncer à se prévaloir des conditions auxquelles est subordonné le bénéfice du statut des baux commerciaux ou du droit au renouvellement
En l'espèce, la cour d'appel avait néanmoins reconnu au preneur de nationalité étrangère un droit au renouvellement en se fondant sur une renonciation du bailleur à se prévaloir des dispositions de l'article L. 145-13 du Code de commerce.
Il est en effet toujours possible pour un bailleur, de manière plus générale, de renoncer à se prévaloir du défaut de l'une ou des conditions du droit au renouvellement, par exemple l'absence d'immatriculation du preneur (Cass. civ. 3, 19 avril 2000, n° 98-13.396, inédit N° Lexbase : A9328ATN) ou l'absence d'exploitation d'un fonds de commerce (Cass. civ. 3, 23 novembre 2010, n° 09-68.687, F-D N° Lexbase : A7581GLD).
Selon une jurisprudence constante, si la renonciation à se prévaloir de l'une des conditions du droit au renouvellement peut être tacite, c'est à la condition qu'elle soit non équivoque (Cass. civ. 3, 19 avril 2000, n° 98-13.396, préc. ; Cass. civ. 3, 23 novembre 2010, n° 09-68.688, F-D N° Lexbase : A7582GLE)
Dans l'arrêt commenté, les juges du fond (CA Paris, Pôle 5, 3ème ch., 2 décembre 2009, n° 08/05711 N° Lexbase : A7391EQS) avaient considéré que le bailleur avait manifestement renoncé à priver son locataire étranger du droit au renouvellement et à se prévaloir des dispositions de l'article L. 145-13 du Code de commerce au motif qu'il avait :
- accepté la cession de bail au profit du preneur dont la nationalité turque était mentionnée dans l'acte de cession ;
- renouvelé le bail par deux fois, en 1984 et en 1993, et en offrant de le renouveler le 23 juillet 2004.
Il avait déjà été jugé que les renouvellements successifs de baux opérés en application du statut des baux commerciaux traduisaient la volonté non équivoque des parties contractantes de faire bénéficier le preneur d'un droit au renouvellement, alors même que les conditions de ce dernier n'étaient pas remplies, dès lors que le bailleur avait pleine connaissance de la défaillance ce ces conditions (Cass. civ. 3, 23 novembre 2010, n° 09-68.687, préc.).
Dans l'arrêt commenté, le bailleur invoquait au soutien de son pourvoi, l'absence de renonciation claire et non équivoque qui pouvait, certes, être discutée. Préalablement, il prétendait également que le seul droit auquel le bailleur pouvait renoncer en présence d'un locataire étranger était de mettre fin au bail (en réalité, le droit de mettre fin au bail sans régler une indemnité d'éviction puisque le bailleur a toujours le droit de mettre fin au bail) lors du terme ou de l'échéance prévue. Le raisonnement des juges du fond, fondé sur une renonciation à se prévaloir des dispositions de l'article L. 145-13 du Code de commerce en raison du renouvellement des baux précédents impliquait que cette renonciation soit antérieure à l'arrivée du terme ou de l'échéance du bail. Or, la renonciation à un droit n'est possible qu'autant que ce dernier soit né (voir, par exemple, en matière de bail dérogatoire Cass. civ. 3, 5 avril 2011, n° 10-16.456, F-D N° Lexbase : A3435HNK), ce qui, selon le bailleur, n'était pas le cas.
La Cour de cassation n'a toutefois pas été amenée à se prononcer sur cette question de la date de naissance du droit au renouvellement et sur celle, liée, de la date à laquelle peut intervenir la renonciation à se prévaloir de l'une des conditions auxquelles l'existence de ce droit est subordonnée.
En effet, si l'arrêt de la cour d'appel, qui a rejeté la demande d'annulation de la demande de renouvellement du preneur étranger, est confirmé, c'est par une substitution de motifs ayant conduit la Cour de cassation à juger l'article L. 145-13 du Code de commerce contraire à la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales.
III - L'inconventionnalité des dispositions de l'article L. 145-13 du Code de commerce
Depuis l'arrêt inaugural "Jacques Vabre" (Cass. mixte, 24 mai 1975, n° 73-13.556, publié N° Lexbase : A9777AG9), la Cour de cassation accepte de contrôler la conformité des lois par rapport aux accords ou traités internationaux, l'autorité de ces derniers étant supérieure à celle des premières en application de l'article 55 de la Constitution (N° Lexbase : L1320A9R).
Son contrôle porte ainsi également, à ce titre, sur la conformité des dispositions législatives à la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales et l'interprétation qu'en fait la Cour européenne des droits de l'homme.
La Cour de cassation a été ainsi amenée à plusieurs reprises à se prononcer sur la conformité des dispositions applicables aux baux commerciaux, ou des solutions jurisprudentielles dégagées sur leur fondement, à cette Convention (cf., notre note, La propriété commerciale est-elle protégée par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ?, Rev. Loyers, 2005/859, n° 164) en concluant à chaque fois, à notre connaissance à leur conformité par rapport à l'article 1er du premier protocole additionnel de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales protégeant le droit de propriété. Ont ainsi été jugés conformes à cette convention :
- le fait, à la suite d'un congé avec offre de renouvellement du bailleur, que le bail soit renouvelé aux prix de l'ancien bail à défaut d'accord des parties sur ce point ou de saisine dans les délais du juge des loyers (Cass. civ. 3, 27 février 1991, n° 89-18.729, publié N° Lexbase : A2779ABK) ;
- l'obligation pour le bailleur de verser une indemnité d'éviction, même si son montant est quatre fois supérieur à la valeur de l'immeuble (Cass. civ. 3, 28 mai 1997, n° 95-17.133, inédit N° Lexbase : A6187C4W).
- la possibilité pour un bailleur de dénier au preneur le bénéfice d'un droit au renouvellement dès lors que l'un des copreneurs, fût-il l'époux (séparé de biens) de l'autre, n'est pas immatriculé (Cass. civ. 3, 18 mai 2005, n° 04-11.349, FS-P+B+I N° Lexbase : A3028DIY ; voir également Cass. civ. 3, 12 juin 1996, n° 94-14.862, inédit N° Lexbase : A6883AHE) ;
- ou encore, la possibilité pour un bailleur de dénier le bénéfice d'un droit au renouvellement au preneur qui exploite un établissement d'enseignement au motif que ce dernier ne dispose pas d'une autorisation administrative régulière (Cass. civ. 3, 4 février 2009, n° 08-11.433, FS-P+B N° Lexbase : A9628ECL).
En revanche, la Cour de cassation a considéré que la modification de l'article L. 145-38 du Code de commerce (N° Lexbase : L3107IQ7) par la loi "Murcef" (loi n° 2001-1168 du 11 décembre 2001, portant mesures urgentes de réformes à caractère économique et financier N° Lexbase : L0256AWE), dont l'objectif était de mettre un terme à la jurisprudence selon laquelle le loyer révisé devait être fixé à un montant inférieur au loyer dont la révision était sollicitée dès lors que ce montant correspondait à la valeur locative, ne pouvait, sur le fondement de l article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, s'appliquer aux procédures en cours (Ass. plén., 23 janvier 2004, n° 03-13.617, publié N° Lexbase : A8595DAL).
L'arrêt du 9 novembre 2011 concernait la conformité de l'une des règles du statut, l'absence de droit au renouvellement pour les preneurs étrangers, à l'article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales qui interdit les discriminations fondées notamment sur l'origine nationale.
L'interdiction de procéder à une discrimination suppose au préalable, selon ce texte, que cette dernière soit relative à "la jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention".
Le droit dont la jouissance est entravée par l'article L. 145-13 du Code de commerce est le droit au renouvellement. La Cour de cassation a déjà eu l'occasion de préciser qu'il s'agissait d'un droit protégé par l'article 1er du premier protocole additionnel de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (Cass. civ. 3, 12 juin 1996, n° 94-14.862, préc. ; Cass. civ. 3, 18 mai 2005, n° 04-11.349, FS-P+B+I, préc. ; Cass. civ. 3, 4 février 2009, n° 08-11.433, FS-P+B, préc.).
Le droit au renouvellement pourrait, en effet, être qualifié de "bien" au sens de l'article 1er du premier protocole additionnel, dont les atteintes sont sanctionnées par la Cour européenne. La Cour européenne des droits de l'homme a en effet consacré une conception extensive de la notion de "bien" en y incluant "les intérêts économiques" liés à la gestion d'un commerce (par ex., CEDH, 7 juillet 1989, Req. 4/1988/148/202 N° Lexbase : A6485AW4, § 53).
Dès lors que l'article L. 145-13 du Code de commerce institue une discrimination fondée sur la nationalité du preneur, discrimination affectant la jouissance du droit au renouvellement que la Cour de cassation reconnaît comme protégé par l'article 1er du premier protocole additionnel, cet article contrevient à la CESDH.
La Cour de cassation prend soin de relever que cette discrimination n'est pas fondée par un motif d'intérêt général. La Cour européenne des droits de l'Homme a pu en effet admettre des dérogations au droit à la non-discrimination en précisant que "au regard de l'article 14 de la Convention, une distinction est discriminatoire si elle manque de justification objective et raisonnable, c'est-à-dire si elle ne poursuit pas un but légitime ou s'il n'y a pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé" (voir par exemple, CEDH, 1er février 2000, Req. 34406/97 N° Lexbase : A7786AWB).
L'article L. 145-13 du Code de commerce doit désormais être privé d'effet : un preneur étranger ne pourra se voir refuser le bénéfice d'un droit au renouvellement de son bail, même s'il ne peut se prévaloir des dérogations légales à cette règle.
Compte tenu de cette solution, il faut estimer que les dispositions de l'article L. 145-23 du Code de commerce (N° Lexbase : L5751AIT), qui subordonnent à la nationalité française du bailleur sa faculté d'exercer le droit de reprise des locaux d'habitation accessoires des locaux commerciaux prévu à l'article L. 145-22 du Code de commerce (N° Lexbase : L5750AIS), ne devraient également plus pouvoir trouver application.
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par Olivier Dubos, Professeur de droit public, Chaire Jean Monnet, CRDEI, Université Montesquieu-Bordeaux IV
Le 01 Décembre 2011
A - Dans cette affaire, la Cour de justice s'est de nouveau penchée sur la distinction entre marché public et concession. Afin d'assurer la cohérence du droit de l'Union, la Cour a, d'abord, précisé que cette distinction devait avoir la même signification dans la Directive (CE) 2004/17 du Parlement européen et du Conseil du 31 mars 2004, portant coordination des procédures de passation des marchés dans les secteurs de l'eau, de l'énergie, des transports et des services postaux (N° Lexbase : L1895DYT) (1), et dans la Directive (CE) 2004/18 du Parlement européen et du Conseil du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services (N° Lexbase : L1896DYU) (2).
Ces deux Directives définissent la concession de services comme "un contrat présentant les mêmes caractéristiques qu'un marché public de services, à l'exception du fait que la contrepartie de la prestation des services consiste soit uniquement dans le droit d'exploiter le service, soit dans ce droit assorti d'un prix" (3). La Cour de justice rappelle que c'est, notamment, le cas dans les hypothèses où l'exploitant va faire payer un prix aux usagers du service. Mais, il ressort de la jurisprudence que cet élément n'est pas à lui seul suffisant. Pour qu'il y ait concession de services, il faut, également, que "le concessionnaire prenne en charge le risque lié à l'exploitation des services en question. L'absence de transfert au prestataire du risque lié à la prestation des services indique que l'opération visée constitue un marché public de services et non pas une concession de services" (4).
Bien que la jurisprudence de la Cour ne soit pas très claire sur ce point, il semble finalement que ce critère du risque n'est pas un critère subsidiaire, mais plutôt qu'il est le critère de la concession de service. L'indice tiré de la rémunération par les usagers permet, quant à lui, de déceler que le risque de l'exploitation repose sur le cocontractant de l'administration. Dans la mesure où cet indice n'est pas en soi suffisant, quels sont les autres éléments que prend en compte la Cour de justice ?
B - Pour répondre à cette question, la CJUE reprend le raisonnement suivi dans un arrêt rendu le 10 mars 2011 (CJUE, 10 mars 2011, aff. C-274/09 N° Lexbase : A3226G7M). Au moins, in abstracto, l'idée est relativement simple : peu importe que le risque soit limité, il faut qu'il soit transféré au cocontractant.
La Cour précise donc, tout d'abord, que, lorsque le service correspond à des activités d'utilités publiques, le risque est, par nature, limité. Elle remarque que, "d'une part, les modalités de droit public auxquelles est soumise l'exploitation économique et financière du service facilitent le contrôle de l'exploitation de ce dernier et réduisent les facteurs susceptibles de porter atteinte à la transparence et de fausser la concurrence". Elle ajoute que, "d'autre part, il doit demeurer loisible aux pouvoirs adjudicateurs, agissant en toute bonne foi, d'assurer la fourniture de services au moyen d'une concession, s'ils estiment qu'il s'agit de la meilleure manière d'assurer le service public concerné, et cela même si le risque lié à l'exploitation est très limité" (5). Ainsi, les règles de droit public qui limitent le risque sont des règles d'ordre public qui ne peuvent être écartées par les cocontractants et le choix de recourir à la concession un pouvoir discrétionnaire de l'administration.
La Cour précise, enfin, la nature du risque en cause. Est, ainsi, concerné, le risque qui, "lié à l'exploitation doit être compris comme le risque d'exposition aux aléas du marché [...], lequel peut, notamment, se traduire par le risque de concurrence de la part d'autres opérateurs, le risque d'une inadéquation entre l'offre et la demande de services, le risque d'insolvabilité des débiteurs du prix des services fournis, le risque d'absence de couverture des dépenses d'exploitation par les recettes, ou encore le risque de responsabilité d'un préjudice lié à un manquement dans le service" (6). Ne sont, en revanche, évidemment pas concernés les "risques tels que ceux liés à une mauvaise gestion ou à des erreurs d'appréciation de l'opérateur économique qui ne sont pas déterminants aux fins de qualifier un contrat de marché public ou de concession de services, de tels risques étant, en effet, inhérents à tout contrat, que celui-ci corresponde à un marché public de services ou à une concession de services" (7). La nature du risque à prendre en compte étant précisée, il convient donc, ensuite, de déterminer, en fonction du droit national applicable et du montage contractuel adopté, sur qui repose le risque.
C - Cette opération de qualification devrait plutôt reposer sur la juridiction nationale, mais l'on sait bien que la frontière entre interprétation et qualification est plus que poreuse. En dépit des controverses qui semblent avoir eu lieu le jour de l'audience, la Cour de justice relève qu'il résulte tant du droit national applicable que du montage contractuel que le risque repose sur le pouvoir adjudicateur, notamment parce que le cocontractant doit être indemnisé de ces pertes d'exploitation. La Cour note, également, que l'administration compense "la perte de recettes due au fait que le donneur d'ordres a imposé des réductions tarifaires à l'égard de différentes catégories de passagers, et les dépenses engendrées par le respect des normes qualitatives imposées alors que la fourniture du service a déjà commencé, dès lors que ces normes entraînent des dépenses supplémentaires par rapport aux conditions de qualité préalablement exigées" (8).
Ce dernier aspect est particulièrement intéressant car il pourrait implicitement indiquer que dès qu'il y a compensation de service public, il n'y a plus concession de service, mais marché de services. Les liens entre la jurisprudence "Altmark" (CJCE, 24 juillet 2003, aff. C-280/00 N° Lexbase : A2343C9N) et les règles de passation des contrats portant sur le service public devront donc être plus clairement élucidés.
A - Dans son arrêt rendu le 17 octobre 2011, le Tribunal des conflits a, tout d'abord, estimé que, "si en cas de contestation sérieuse portant sur la légalité d'un acte administratif, les tribunaux de l'ordre judiciaire statuant en matière civile doivent surseoir à statuer jusqu'à ce que la question préjudicielle de la légalité de cet acte soit tranchée par la juridiction administrative, il en va autrement lorsqu'il apparaît manifestement, au vu d'une jurisprudence établie, que la contestation peut être accueillie par le juge saisi au principal". Cette opération de cantonnement menée par le Tribunal des conflits s'est faite, au nom du droit interne, mais le droit européen n'est pas absent, au moins implicitement, de son raisonnement.
Le maintien, en principe de la jurisprudence "Septfonds", se fonde logiquement sur la loi des 16-24 août 1790 et du décret du 16 fructidor An III, selon laquelle affirme, le Tribunal, "sous réserve des matières réservées par nature à l'autorité judiciaire et sauf dispositions législatives contraires, il n'appartient qu'à la juridiction administrative de connaître des recours tendant à l'annulation ou à la réformation des décisions prises par l'administration dans l'exercice de ses prérogatives de puissance publique". L'on aura évidemment reconnu la formulation du principe fondamental reconnu par les lois de la République dégagé par le Conseil constitutionnel dans sa décision "Conseil de la concurrence" (Cons. const., n° 86-224 DC du 23 janvier 1987 N° Lexbase : A8153ACX). Il est évidemment piquant de rappeler que, si le Conseil constitutionnel avait dégagé ce principe, c'est parce qu'il a estimé que le principe de la séparation des autorités administratives et judiciaires, tel qu'il découle de la loi des 16-24 août 1790 n'avait pas valeur constitutionnelle. L'opération consistant à intégrer le principe fondamental reconnu par les lois de la République dans une interprétation new look de la loi des 16-24 août 1790 n'a qu'une faible valeur ajoutée.
En effet, il est assez évident que le principe fondamental reconnu par les lois de la République ne protège pas la compétence des juridictions administratives pour connaître des questions relatives à la validité des actes administratifs qui se posent devant les juridictions civiles, l'article 111-5 du Code pénal (N° Lexbase : L2064AME) qui permet au juge pénal de se prononcer, par la voie de l'exception, sur la légalité des actes administratifs, en témoigne. Ce principe constitutionnel n'a pas pour effet d'interdire une interprétation de la loi des 16-24 août 1790 plus restrictive, comme celle qui résulte de la jurisprudence "Septfonds". D'ailleurs, le Tribunal des conflits rappelle qu'il découle du principe de séparation des autorités administratives et judiciaires que "le juge administratif est, en principe, seul compétent pour statuer, le cas échéant par voie de question préjudicielle, sur toute contestation de la légalité de telles décisions, soulevée à l'occasion d'un litige relevant à titre principal de l'autorité judiciaire". L'insertion du principe fondamental reconnu par les lois de la République dans la loi des 16-24 août 1790 n'a, en réalité, d'autre objectif que de permettre de restreindre le champ de la jurisprudence "Septfonds".
Le Tribunal des conflits estime, en effet, que cette compétence de principe du juge administratif, issue de la jurisprudence "Septfonds" doit être conciliée "tant avec l'exigence de bonne administration de la justice qu'avec les principes généraux qui gouvernent le fonctionnement des juridictions, en vertu desquels tout justiciable a droit à ce que sa demande soit jugée dans un délai raisonnable". La première limite découle de la jurisprudence du Conseil constitutionnel "Conseil de la concurrence", précitée. La seconde paraît plus inédite et fait allusion à une des exigences de l'article 6 de la CESDH (N° Lexbase : L7558AIR), relative au délai raisonnable des procédures juridictionnelles.
Il en découle que le juge judiciaire reste compétent "lorsqu'il apparaît manifestement, au vu d'une jurisprudence établie, que la contestation peut être accueillie par le juge saisi au principal". S'il est établi depuis longtemps que le juge judiciaire peut, de lui-même, écarter un moyen qui ne lui paraît pas sérieux, le pouvoir qui lui est ici reconnu est inédit puisqu'il lui permet de statuer lui-même sur la validité de l'acte. Ce pouvoir lui est reconnu s'il existe "une jurisprudence bien établie". Il restera donc à déterminer ce que recouvre une telle hypothèse dont la formulation reste plus que vague et qui, pour cette raison, n'est pas de nature à renforcer la sécurité juridique. Surtout, cela annonce à plus ou moins long terme la mort de la jurisprudence "Septfonds".
B - Dans le champ des Traités sur l'Union européenne, la jurisprudence "Septfonds" est, d'ailleurs, bel et bien écartée. Selon le Tribunal des conflits, "il résulte du principe d'effectivité issu des dispositions de ces Traités, telles qu'elles ont été interprétées par la Cour de justice de l'Union européenne, que le juge national chargé d'appliquer les dispositions du droit de l'Union a l'obligation d'en assurer le plein effet en laissant au besoin inappliquée, de sa propre autorité, toute disposition contraire [...] à cet effet, il doit pouvoir, en cas de difficulté d'interprétation de ces normes, en saisir lui-même la Cour de justice à titre préjudiciel ou, lorsqu'il s'estime en état de le faire, appliquer le droit de l'Union sans être tenu de saisir au préalable la juridiction administrative d'une question préjudicielle, dans le cas où serait en cause devant lui, à titre incident, la conformité d'un acte administratif au droit de l'Union européenne". Le Tribunal rejoint, ainsi, la position de la Cour de cassation (Cass. com., 6 mai 1996, n° 94-13.347 N° Lexbase : A2437ABU) à laquelle il s'était pourtant opposé (T. confl., 19 janvier 1998, n° 03084 N° Lexbase : A5628BQI).
Le Tribunal a repris la motivation de l'arrêt "Simmenthal" (CJCE, 9 mars 1978, aff. C-106/77 N° Lexbase : A5639AUE) de la Cour de justice. Dans cette affaire, la juridiction communautaire avait condamné la jurisprudence de la Cour constitutionnelle italienne qui interdisait au juge ordinaire de se prononcer sur la compatibilité de la loi avec le droit communautaire et considérait qu'il y avait lieu de lui poser une question préjudicielle. Ce monopole de la Cour constitutionnelle pour apprécier la compatibilité de la loi avec le droit communautaire méconnaissait l'immédiateté de la primauté de la norme communautaire. Dans la mesure où la jurisprudence "Septfonds" a pour effet de priver le juge civil d'apprécier, par lui-même, la compatibilité d'un acte administratif avec le droit de l'Union, il était difficile de soutenir sa compatibilité avec la jurisprudence "Simmenthal". En outre, dans le contexte sensiblement différent de la question prioritaire de constitutionnalité, la Cour de justice avait, dans la jurisprudence "Melki" (CJUE, 22 juin 2010, aff. jointes C-188/10 et C-189/10 N° Lexbase : A1918E3G), réitéré cette exigence de l'immédiateté et de l'efficacité de la primauté du droit de l'Union.
Il faut, enfin, noter que cette jurisprudence devrait parallèlement étendre la compétence du juge administratif. En effet, ce dernier est incompétent pour connaître d'une question portant sur la validité d'un acte de droit privé, par exemple une convention collective, et il y a matière à question préjudicielle devant la juridiction judiciaire (CE 6° et 2° s-s-r., 20 février 1987, n° 60311, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A3218APU). La jurisprudence de la Cour de justice va, d'ailleurs, en ce sens (voir CJCE, 7 février 1991, aff. C-184/89 N° Lexbase : A9822AUC).
C - Le Tribunal des conflits n'a, toutefois, pas souhaité étendre cette exception fondée sur le droit de l'Union à toutes les hypothèses dans lesquelles est en cause la conventionnalité d'un acte administratif. Il estime que "les dispositions de l'article 55 de la Constitution (N° Lexbase : L1320A9R) conférant aux Traités, dans les conditions qu'elles définissent, une autorité supérieure à celle des lois ne prescrivent ni n'impliquent aucune dérogation aux principes [de la séparation des autorités administratives et judiciaires] régissant la répartition des compétences entre ces juridictions, lorsque est en cause la légalité d'une disposition réglementaire, alors même que la contestation porterait sur la compatibilité d'une telle disposition avec les engagements internationaux". Il condamne, ainsi, la jurisprudence de la Cour de cassation qui avait cru pouvoir écarter la jurisprudence "Septfonds", lorsqu'était en cause la conventionnalité de l'acte administratif (Cass.civ. 1, 3 avril 2001, n° 00-05.026 N° Lexbase : A0364AXR).
Il est vrai que la distinction opérée par la Cour de cassation entre conventionnalité et légalité, pour écarter la jurisprudence "Septfonds", si elle peut être séduisante sur un plan purement théorique, n'a guère de pertinence dans le cadre du contrôle de la validité des actes administratifs. En outre, si l'article 55 de la Constitution, tel qu'il est interprété par le Conseil constitutionnel, habilite les juridictions ordinaires à contrôler la conventionnalité des lois, cette compétence n'affecte en aucune manière la répartition des compétences entre la juridiction administrative et la juridiction judiciaire, issue du principe de séparation des autorités administratives et judiciaires.
Il n'en demeure pas moins que le maintien de la jurisprudence "Septfonds" dans le cadre du contrôle de conventionnalité n'est pas d'une totale cohérence. Il y a quelque paradoxe à considérer que le juge judiciaire puisse contrôler la conventionnalité d'une loi, sans pouvoir contrôler celle d'un acte administratif. Il en résulte, en outre, une grande complexité pour le justiciable. Dans toutes les hypothèses, et elles sont les plus fréquentes, où le contrôle de conventionnalité de l'acte administratif nécessite, également, un contrôle de conventionnalité de la loi, il est possible de supposer que, bien souvent, aura été développé parallèlement un moyen tiré de l'inconstitutionnalité de la loi. Dès lors, le juge judiciaire devra surseoir à statuer, les parties feront un recours en appréciation de validité de l'acte administratif devant le juge administratif, qui, lui-même, devra surseoir à statuer, puis transmettre au Conseil d'Etat qui posera une question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel. Les considérations tirés de l'exigence de célérité des procédures, par ailleurs, invoquée par le Tribunal des conflits devraient également le conduire à écarter la jurisprudence "Septfonds" dès que se pose un problème de constitutionnalité et de conventionnalité de la loi qui constitue le fondement de l'acte administratif en cause. Si une telle exception était admise, la jurisprudence "Septfonds" ne serait alors plus qu'une exception au principe de la plénitude de compétence du juge civil pour apprécier la légalité des actes administratifs par voie d'exception.
L'on sait que de nombreuses décisions de reconduite à la frontière sont prises à l'encontre de ressortissants bulgares et roumains alors qu'ils ont la qualité de citoyens européens. Les autorités françaises se fondent sur les protocoles annexés au Traité d'adhésion qui prévoient des périodes transitoires qui permettent aux anciens Etats membres de ne pas appliquer les règles relatives à la libre circulation des travailleurs et à la libre prestation de services. Dans cette affaire, était en cause une décision de reconduite à la frontière à l'encontre d'une ressortissante bulgare exerçant la profession de prostituée. La cour administrative d'appel de Douai, en se fondant sur une motivation assez curieuse, a admis la légalité de cette décision.
La cour administrative d'appel considère que les dispositions transitoires sont applicables à la situation de l'intéressée et mentionne, ainsi, l'annexe VII "libre circulation des personnes" du protocole relatif aux conditions et modalités d'admission de la République de Bulgarie et de la Roumanie à l'Union européenne. L'on notera, toutefois, que l'annexe VII est applicable à la Roumanie et que c'est l'annexe VI qui est applicable à la Bulgarie. Cette erreur n'a, cependant, guère d'importance dans la mesure où les deux textes sont identiques.
Mais, force est de constater que ces dispositions n'étaient pas opposables à Emilia X. La cour note, en effet, qu'"il ressort des pièces du dossier, et des propres déclarations de Mme X, que celle-ci est entrée en France depuis plus de dix ans [et] se livre, de manière habituelle, depuis son entrée, à la prostitution [...] à ce titre, elle a la qualité de travailleur indépendant". Sa situation relève donc de la liberté d'établissement qui n'est pas couverte pas l'annexe VI. Cette liberté est, en effet, applicable aux travailleurs indépendants qui exercent leur activité à titre permanent sur le territoire de l'Etat membre dont ils ne sont pas ressortissants. La Cour de justice a, d'ailleurs, déjà jugé que la prostitution relevait bien du champ d'application de la liberté d'établissement (CJCE, 20 novembre 2001, aff. C-268/99 N° Lexbase : A5827AX4). Le préfet ne pouvait donc prendre un arrêté de reconduite à la frontière sur un tel fondement.
Il est vrai que la rédaction du Code de l'entrée et du séjour des étrangers en France est tout à fait ambiguë. Selon son article L. 121-2, alinéa 3 (N° Lexbase : L9196H3Y), "demeurent soumis à la détention d'un titre de séjour durant le temps de validité des mesures transitoires éventuellement prévues en la matière par le Traité d'adhésion du pays dont ils sont ressortissants, et sauf si ce Traité en stipule autrement, les citoyens de l'Union européenne qui souhaitent exercer en France une activité professionnelle". Le terme "activité professionnelle" est trompeur car trop générique, eu égard aux champs d'application des annexes VI et VII "libre circulation" du protocole relatif aux conditions et modalités d'admission de la République de Bulgarie et de la Roumanie à l'Union européenne. La Cour avait, toutefois, l'obligation d'interpréter le droit national à la lumière des exigences du droit de l'Union européenne, et donc de retenir une interprétation de la notion "d'activité professionnelle" conforme au Traité d'adhésion (CJCE, 10 avril 1984, aff. C-14/83 N° Lexbase : A8698AUP).
L'arrêt devient quelque peu surréaliste lorsqu'il indique que l'intéressée aurait dû solliciter une autorisation de travail au sens de l'article L. 5221-2 du Code du travail (N° Lexbase : L2509H9S), autorisation nécessaire pour l'exercice d'une activité salariée... En outre, les considérations tirées de ce que la requérante "avait été interpellée par la police alors qu'elle se livrait à la prostitution et au racolage sur la voie publique" sont totalement hors-sujet. Si le préfet considérait que Emilia X constituait une menace à l'ordre public, il lui appartenait de prendre un arrêté d'expulsion, en respectant les conditions de procédure et de forme qui s'imposent à une telle décision.
L'on regrettera donc que pour une difficulté d'interprétation des textes nationaux et de l'Union qui était finalement une question de principe, la cour administrative d'appel de Douai n'ait pas décidé de statuer en formation collégiale. La politique du chiffre ne fait donc pas que des dégâts dans l'administration active...
(1) JOCE, n° L 134 du 30 avril 2004, p. 1.
(2) JOCE, n° L 134 du 30 avril 2004, p. 114.
(3) Respectivement article 1, paragraphe 3, b), et article 1, paragraphe 4).
(4) Point n° 41.
(5) Point n° 46.
(6) Point n° 48.
(7) Point n° 49.
(8) Point n° 53.
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Réf. : TGI Bayonne, 26 octobre 2011, n° 11/00950 (N° Lexbase : A9852HZW)
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N9019BST
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par Adeline Gouttenoire, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directrice de l'Institut des Mineurs de Bordeaux
Le 01 Décembre 2011
Cour de cassation. Dès le premier arrêt, en date du 24 février 2006, relatif à la délégation-partage de l'autorité parentale (2), confirmé par l'arrêt du 8 juillet 2010, la Cour de cassation exigeait que la délégation-partage de l'article 377-1 du Code civil (N° Lexbase : L2925ABX), soit subordonnée, comme la délégation-transfert de l'article 377 (N° Lexbase : L7193IMD), à des circonstances particulières. Il s'agissait de démontrer que le parent de l'enfant, qui exerce l'autorité parentale, pourrait être empêché d'exercer l'autorité parentale. Tel était le cas dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt du 24 février 2006, la mère étant contrainte, du fait de sa profession, à effectuer de nombreux déplacements, mais pas dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt du 8 juillet 2010, ce qui a conduit, dans ce dernier cas, la Cour de cassation à refuser la délégation. La Cour de cassation refusait, ainsi, de manière regrettable, de faire du partage de l'exercice de l'autorité parentale une délégation de l'autorité parentale autonome, distincte de la délégation classique ; cette dernière suppose pourtant une difficulté pour le (ou les) parent(s) à prendre en charge leur enfant alors que la délégation-partage de l'autorité parentale mise en place par le législateur de 2002 paraissait davantage destinée à faciliter la prise en charge quotidienne de l'enfant dans le cadre d'une famille recomposée.
Consécration d'une situation de fait. Comme plusieurs juges du fond avant lui (3), mais à notre connaissance, pour la première fois depuis l'arrêt de la Cour de cassation du 8 juillet 2010, le juge aux affaires familiales de Bayonne adopte une conception beaucoup plus souple, et sans doute plus conforme aux voeux du législateur, de la délégation-partage. La décision du 26 octobre 2011 ne contient en effet aucune référence à des circonstances particulières, susceptibles d'empêcher la mère des enfants d'exercer l'autorité parentale. A l'inverse, le jugement décrit une situation simple, de deux femmes prenant en charge les deux filles de l'une d'entre elles, qui mérite de recevoir une consécration juridique. Le jugement exprime formellement cette idée en affirmant que "cette autorité parentale [...] étant exercée déjà de fait conjointement, cette situation soit juridiquement consacrée". Le raisonnement de la juridiction bayonnaise va donc clairement à l'encontre de la solution posée par la Cour de cassation en détachant la délégation-partage de la délégation-transfert de l'autorité parentale. Alors que la première doit répondre à une défaillance du parent, la seconde poursuit seulement le but de permettre la reconnaissance juridique du rôle d'un tiers dans la prise en charge de l'enfant, ce qui, selon les juges bayonnais, est conforme à l'intérêt de ce dernier.
II - Le critère suffisant de l'intérêt de l'enfant
Critère essentiel. Conformément à l'article 3 § 1 de la Convention internationale des droits de l'enfant (N° Lexbase : L6807BHL), le juge aux affaires familiales de Bayonne fait de l'intérêt de l'enfant le critère essentiel de la décision relative au partage de l'exercice de l'autorité parentale. Il considère que "vu les attestations multiples versées aux débats, confirmant que les requérantes forment un couple uni, bien intégré dans leur milieu familial et social, et dont les qualités éducatives et affectives à l'égard des deux enfants sont reconnues, iI est de l'intérêt des deux mineurs que les deux adultes présents au foyer partagent cette autorité parentale".
Critère suffisant. Cette affirmation, ajoutée à l'absence de référence à des circonstances particulières justifiant la délégation, permet de considérer, qu'aux yeux du juge de Bayonne, l'intérêt de l'enfant est suffisant pour prononcer la délégation-partage de l'autorité parentale. Ce faisant, il s'oppose sur ce point encore à la Cour de cassation qui, à l'inverse, dans son arrêt du 8 juillet 2010 avait estimé, dans une situation similaire, que les deux concubines "ne démontraient en quoi l'intérêt supérieur des enfants exigeait que l'exercice de l'autorité parentale soit partagé entre elles et permettrait aux enfants d'avoir de meilleures conditions de vie ou une meilleure protection quand les attestations établissaient que les enfants étaient épanouis", refusant de considérer que le partage de l'autorité parentale entre les deux femmes qui prennent en charge les enfants au quotidien est présumé conforme à l'intérêt supérieur de l'enfant. C'est la présomption inverse que le juge de Bayonne semble vouloir consacrer, sans aucun doute à juste titre.
Situation de fait/situation de droit. Les deux décisions s'opposent également sur la nécessité de faire correspondre la situation familiale de fait et la situation familiale de droit. Alors que la Cour de cassation note, avec une certaine dose de cynisme, que les enfants sont très épanouis sans cette délégation et que la famille fonctionne parfaitement dans les faits, sans qu'il paraisse nécessaire de consacrer juridiquement cette situation, le juge de Bayonne considère, au contraire, qu'il est opportun de reconnaître juridiquement le partage de fait de l'autorité parentale entre les deux concubines et il est difficile de ne pas l'approuver.
Ministère public. La prise de position clairement résistante du juge de Bayonne a été soutenue par le ministère public qui ne s'est pas opposé à la délégation-partage de l'autorité parentale demandée par les deux concubines. On peut penser qu'il n'interjettera donc pas appel de la décision qui devrait donc être mise en oeuvre sans que la Cour de cassation n'ait son mot à dire. On peut cependant espérer qu'elle en tiendra compte la prochaine fois qu'elle sera saisie de la question et qu'elle modifiera sa position, qui apparaît, à la lumière de la décision du 26 octobre 2011, proprement intenable...
(1) Cass. civ. 1, 8 juillet 2010, n° 08-21.740, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A1235E4I), nos obs., Le rattachement d'un enfant à la compagne de sa mère : la Cour de cassation inverse la tendance..., Lexbase Hebdo n° 404 du 21 juillet 2010 - édition privée (N° Lexbase : N6436BP3).
(2) Cass. civ. 1, 24 février 2006, n° 04-17.090, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A1782DNC), AJ fam., 2006, p. 159, obs. F. Chénedé ; Dr. fam., 2006, comm. n° 89, obs. P. Murat ; RTDCiv., 2006 p. 297, obs. J. Hauser ; D., 2006, p. 897, note D. Vigneau, p. 876, Point de vue, H. Fulchiron.
(3) TGI Lille, 11 décembre 2007, n° 06-05918, AJ Famille, 2008, p. 119 ; RTDCiv., 2008, p. 290, obs. J. Hauser ; Lamy, Droit civil, 2008, p. 41 ; CA Paris, 5 mai 2006, AJ fam., 2006, 333 ; TGI Nice, 8 juillet 2003, 7 avril 2004, 30 juin 2004, AJFamille, 2004 p. 453, obs. F. Chénédé ; TGI Grenoble, 28 janvier 2008, AJ fam., 2008.
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par Frédéric Dal Vecchio, Docteur en droit, Chargé d'enseignement à l'Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines
Le 01 Décembre 2011
La société en question, dont le siège social était prétendument situé au Luxembourg, avait pour objet la vente et la conception de panneaux publicitaires. A la suite d'investigations menées par l'administration fiscale, notamment d'une procédure d'examen d'ensemble de la situation fiscale de ses associés (LPF, art. L. 12 N° Lexbase : L6793HWI), par ailleurs uniques salariés de la société, et des informations obtenues par le service au moyen de l'assistance administrative (Convention France - Luxembourg, signée à Paris le 1er avril 1958, art. 22 (1) N° Lexbase : L6716BH9), l'administration fiscale a émis des redressements, d'une part, à l'encontre de la société, portant sur les cotisations d'impôt sur les sociétés et la contribution additionnelle de 10 % pour l'exercice 1999 et, au terme d'une procédure de taxation d'office, pour les exercices 2000 et 2001 ; d'autre part, à l'encontre des associés de la société, au titre de l'impôt sur le revenu. Les procédures menées à l'encontre de la société (A) et des associés (B) sont riches d'enseignements en droit fiscal international.
A - Conséquences pour la société : le juge qui détermine le lieu de l'établissement stable en France d'une société luxembourgeoise au domicile de ses associés et uniques salariés a bien recherché si l'activité exercée depuis le lieu d'affaires avait ou non un caractère préparatoire ou auxiliaire (CE 10° et 9° s-s-r., 2 novembre 2011, n° 312407, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A5143HZI)
Sur le plan procédural, l'invocabilité, par la société redressée, d'une irrégularité de la procédure d'imposition pour défaut de saisine de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires (LPF, art. L. 59 A N° Lexbase : L8737G84) ne pouvait être suivie d'effet, dès lors que ladite commission ne statuait pas en droit (2) pour les années considérées, alors que le point litigieux avec l'administration portait sur la détermination d'un établissement stable en France (v. également : CAA Paris, 7ème ch., 25 mars 2011, n° 09PA00030 N° Lexbase : A3870HS7 ; CAA Marseille, 4ème ch., 7 juillet 2005, n° 02MA00893, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A0699DMT ; CAA Bordeaux, 4ème ch., 19 mai 2011, n° 10BX00528, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A8662HSM ; quant à la territorialité en matière de TVA : CAA Bordeaux, 5ème ch., 18 mai 2009, n° 07BX01248, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A1067EMH ; CAA Bordeaux, 2ème ch., 11 décembre 1995, n° 93BX00719, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A1970BEP). De plus, la commission ne peut être saisie lors d'une procédure de taxation d'office, sauf exception en matière d'ESFP (LPF art. L. 76 (3) N° Lexbase : L5568G4Y), hypothèse qui ne peut intéresser que des personnes physiques.
Au fond, quant à l'interrogation portée devant le juge de l'impôt, relative au droit fiscal international, la localisation de la base imposable reste un enjeu déterminant pour les différents Etats qui s'interrogent régulièrement sur l'efficacité de leur système de taxation (4). Cette problématique n'échappe pas aux contribuables qui peuvent être tentés, et plus particulièrement pour des prestations de services, d'installer en apparence le siège de leur entreprise sous des cieux réputés plus cléments. La décision commentée illustre concrètement la notion d'établissement stable, c'est-à-dire une installation fixe d'affaire définie -non limitativement- par chaque convention fiscale bilatérale révélée, sur le territoire national, par des indices exposés avec le plus grand soin par l'administration fiscale dans ses mémoires devant le juge de l'impôt, en réponse à la frénétique imagination des contribuables dans ce domaine. Il n'existe donc pas un critère unique permettant de déterminer avec certitude la présence d'un établissement stable en France mais les contribuables peuvent, en cas de doute, solliciter l'administration fiscale au moyen d'un rescrit (5) (LPF art. L. 80 B 6° N° Lexbase : L4375IQ4) dont l'existence, au cas particulier, n'est pas rapportée.
Cette notion d'établissement stable, clef de voûte des conventions fiscales internationales, permet à l'administration fiscale de localiser incontestablement la base imposable en France compte tenu des principaux éléments issus de la procédure menée par le service dans cette affaire :
- existence d'une correspondance commerciale de la société contrôlée, sur laquelle figuraient les numéros de téléphone des domiciles personnels, en France, des associés où étaient reçus ou adressés notamment des appels téléphoniques ;
- siège social prétendument situé au Luxembourg dans un studio d'habitation ne comportant pas de ligne téléphonique, ni de préposés. Or, d'après la documentation administrative (D. adm. 4 H 1422 n° 9, 1er mars 1995) : "l'installation d'affaires doit avoir une activité propre, ce qui implique normalement la présence sur place de personnels de l'entreprise".
S'agissant de l'application de la loi fiscale en présence d'une convention fiscale internationale bilatérale, la Haute juridiction reprend le considérant de principe énoncé dans la décision "Société Schneider Electric" (CE Assemblée, 28 juin 2002, n° 232276, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A0219AZ7 ; CE 3° et 8° s-s-r., 13 juillet 2007, n° 290266, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A2858DX7), imposant au juge de l'impôt, dans de telles circonstances, "de se placer d'abord au regard de la loi fiscale nationale pour rechercher si, à ce titre, l'imposition contestée a été valablement établie et, dans l'affirmative, sur le fondement de quelle qualification", puis de rapprocher cette qualification des stipulations de la convention, afin de déterminer "-en fonction des moyens invoqués devant lui ou même, s'agissant de déterminer le champ d'application de la loi, d'office- si cette convention fait ou non obstacle à l'application de la loi fiscale". Enfin, le juge de cassation dit pour droit qu'il appartenait aux juges du fond de rechercher d'office si le domicile privé des époux devait être considéré comme un établissement stable même si les stipulations de la convention fiscale bilatérale n'étaient pas invoquées devant les juges d'appel. En effet, le moyen tiré du champ d'application d'une convention fiscale internationale est d'ordre public (6) et doit être soulevé d'office, après information aux parties et fixation d'un délai de présentation de leurs observations (CJA, art. R. 611-7, N° Lexbase : L3102ALH ; CE 9° et 10° s-s-r., 1er mars 2004, n° 212986, mentionné aux tables du recueil Lebon (7) N° Lexbase : A4244DBS). Il en est ainsi (8) lorsqu'une convention fiscale bilatérale conclue entre la France et un Etat étranger s'oppose à ce que soit pratiquée la retenue à la source sur les bénéfices distribués au sens de l'article 109 du CGI (N° Lexbase : L2060HLU) par une société française à une société dont le siège est dans cet Etat étranger (dans le cas des relations avec l'Allemagne : CE 7° et 8° s-s-r., 19 décembre 1986, n° 54101, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A4624AM9 ; dans le cas des relations avec la Suisse : CE 7° et 9° s-s-r., 27 janvier 1989, n° 58272, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A0847AQG) ; ou quant à l'application des dispositions de l'article 81 A du CGI (N° Lexbase : L2447HNX), relatif aux conditions d'imposition des salariés détachés durablement à l'étranger (dans le cas des relations avec la Roumanie : CAA Lyon, 1e ch., 27 juin 1989, n° 89LY01231, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A3767A8Z) ; ou encore sur la question de l'application d'une convention fiscale bilatérale relative à l'impôt sur le revenu et à l'impôt sur la fortune, alors que les faits de l'espèce concernaient la taxe sur la valeur ajoutée (CE 8° et 3° s-s-r., 24 juillet 2009, n° 309278, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A1082EKB). Le caractère remarquable de la décision commentée provient du fait que le juge de cassation estime qu'il ne peut être fait grief aux juges d'appel de s'être abstenus "de rechercher si l'activité exercée depuis le lieu d'affaires avait ou non un caractère préparatoire ou auxiliaire" car, dès lors qu'avait été démontrée l'existence d'un établissement stable en France au domicile privé des associés, il avait été nécessairement procédé à cet examen sur la base des circonstances de fait mentionnées par la juridiction d'appel. Selon la convention modèle OCDE, ne constitue pas un établissement stable "une installation fixe d'affaires qui exerce uniquement, pour l'entreprise, des activités de caractère préparatoire ou auxiliaire". Dans les conventions conformes au modèle OCDE, certaines activités ne sont pas considérées comme des établissements stables : c'est le cas, par exemple, d'un entrepôt utilisé pour stocker de la marchandise ou une installation fixe d'affaires exerçant des activités de caractère préparatoire ou auxiliaire tels que des bureaux effectuant des travaux de publicité ou de recherche, à la condition toutefois que l'objet de l'entreprise ne soit pas la publicité ou la recherche (v. dans le cas des relations avec la Suisse (9) : CE 9° s-s., 6 octobre 2010, n° 307680, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A4479GCU ; CE 3° et 8° s-s-r., 31 juillet 2009, n° 297933, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A1254EKN ; CE 7° et 8° s-s-r., 6 juillet 1983, n° 37410, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A8132ALR). Au cas d'espèce, la Convention signée entre la France et le Luxembourg vise également cette hypothèse (art. 2 (10)). Ces deux éléments étant, par définition, incompatibles, car il ne peut y avoir d'établissement stable si l'activité a un caractère exclusivement préparatoire ou auxiliaire au profit de l'entreprise, la qualification d'établissement stable retenue par les juges du fond impliquait nécessairement de leur part -même s'ils ne l'ont pas rédigé ainsi dans l'arrêt soumis à la censure du juge de cassation- la confrontation des faits de l'espèce avec la qualification d'installation fixe d'affaires exerçant uniquement pour l'entreprise des activités préparatoires ou auxiliaires.
B - Conséquences pour les associés : peu importe le lieu de l'établissement stable en France d'une société, dès lors que le contribuable est redressé sur le montant de revenus réputés distribués qu'il a perçus et sur lesquels il est redevable de l'impôt (CE 10° et 9° s-s-r., 2 novembre 2011, n° 312408, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A5144HZK)
L'arrêt commenté tire les conséquences des éléments de faits rassemblés par l'administration fiscale dans le cadre d'un ESFP mené à l'encontre des associés de la société et de l'exercice de son droit de communication. En application des stipulations de la Convention franco-luxembourgeoise (art. 14), les associés ont vu leurs salaires imposés en France ainsi que les bénéfices de la société, du fait des dispositions de l'article 109-1° du CGI, texte redoutable quant aux conséquences pour les contribuables visés : l'administration, avec la bienveillance du législateur, a pris acte de la tentation de certains dirigeants de s'octroyer des revenus présentés sous une autre forme et de les imposer au titre des distributions "camouflées" (CGI art. 109-1 (11) N° Lexbase : L2060HLU), ce qui suppose un exercice bénéficiaire (CE Section, 10 mars 1972, n° 79927, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A7080B7D), "présumées" (CGI art. 111-a N° Lexbase : L2066HL4) ou " occultes " (CGI art. 111-c N° Lexbase : L2066HL4 ; M. Cozian et F. Deboissy, Précis de fiscalité des entreprises, LexisNexis, coll. : Litec Fiscal, 35ème édition, 2011, p. 355 et s. ; C. David, O. Fouquet, B. Plagnet, P.-F. Racine, Les grands arrêts de la jurisprudence fiscale, Dalloz, coll. : Grands arrêts, 5e édition, 2009, p. 672 et s.). Nous ajoutons notre contribution à cette imagerie fiscale en mettant en évidence un caractère apprécié des contribuables et commun à toutes ces distributions : dans leur esprit, elles paraissent "furtives", tant que l'administration fiscale ne les remet pas en cause. Directement ou par le truchement de personnes physiques ou morales interposées (CE 7° et 8° s-s-r., 26 février 1992, n° 86511, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A5243ARM), ces distributions se traduisent par des prêts jamais remboursés ou à une échéance hypothétique (CE 7° et 8° s-s-r., 2 mars 1983, n° 28062, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A8992ALM) ; ou par la vente des biens sociaux à une valeur moindre que leur valeur vénale (pour un immeuble : CE 7° et 9° s-s-r., 10 juin 1983, n° 27391, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A8580ALD ; CE 7° s-s., 20 juin 1984, n° 35964, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A5049ALL) ou leur acquisition pour un montant survalorisé (v. dans l'hypothèse de l'apport ou de l'acquisition d'un fonds de commerce à une société pour une valeur excédant sa valeur vénale : CAA Nantes, 1ère ch., 28 juillet 2004, n° 01NT00530, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A2444DEA ; CAA Nantes, 1ère ch., 30 octobre 2006, n° 05NT00009, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A5548DTN) ; ou encore par la surfacturation de loyers d'un immeuble appartenant à une société civile immobilière et loué à une société anonyme dont les dirigeants sont communs (CAA Douai, 3ème ch., 4 octobre 2005, n° 03DA00154, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A9720DK9). La jurisprudence témoigne de son actualité sans cesse renouvelée (CE 9° et 10° s-s-r., 31 décembre 2008, n° 296472, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A3620EG8 ; pour des sommes comptabilisées en salaires : CAA Marseille, 4ème ch., 6 janvier 2009, n° 06MA01264, inédit au recueil Lebon ; CAA Bordeaux, 4ème ch., 26 avril 2007, n° 04BX01831, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A8326DXN), sans préjudice d'une éventuelle qualification pénale.
L'apport de cette décision réside dans le fait que, qualifier d'établissement stable le domicile des associés, pour l'imposition de la société, n'a pas d'incidence pour les suppléments de cotisations d'impôt sur le revenu mis à leur charge. Par conséquent, dès lors qu'il n'est pas contesté que les associés étaient bien domiciliés fiscalement en France, le caractère auxiliaire ou préparatoire de l'établissement stable est indifférent quant à la solution donnée par le juge en matière d'impôt sur le revenu : il ne peut alors être reproché aux juges du fond de ne pas avoir répondu à ce moyen considéré par le juge de cassation comme étant inopérant, c'est-à-dire comme étant dépourvu d'influence sur le litige à trancher. On pourra rapprocher la présente décision de celles relatives à la notion d'indépendance des procédures fiscales, selon lesquelles l'éventuel vice entachant la procédure suivie par l'administration à l'égard de la société est sans incidence sur les impositions de leurs associés (CE Assemblée, 27 juillet 1988, n° 43939, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A6609APH ; CE 3° et 8° s-s-r., 26 octobre 2001, n° 212456, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A1871AXL).
Parallèlement à la résurrection de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) en 1989, qui ne frappe que les personnes physiques, le législateur a introduit une taxe de 3 % (CGI, art. 990 D N° Lexbase : L5483H9X), assise sur la valeur vénale des immeubles situés en France et possédés par toute entité juridique afin de décourager certains contribuables de recourir à des montages fiscalement attrayants : il était tentant de constituer, par exemple, une société dans un pays n'ayant pas conclu avec la France une convention d'assistance administrative, propriétaire de l'immeuble français dont les associés se réservaient, de fait, la jouissance (12). Ce dispositif a suscité, de la part des contribuables, des critiques quant à son application au regard du droit interne (N° Lexbase : L5484H9Y ; Cons. const., décision n° 2011-165 QPC du 16 septembre 2011 (13) N° Lexbase : A7449HX8), mais également quant à sa compatibilité avec le Traité CE (Cass. com., 13 décembre 2005, n° 02-10.359, FS-P+B N° Lexbase : A9787DL3 ; CJCE, 11 octobre 2007, aff. C-451/05 N° Lexbase : A7180DYL ; Cass. com., 8 avril 2008, n° 02-10.359, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A8041D7X), révélant ainsi une qualité substantielle du droit communautaire : la très forte incitation à l'immédiateté de la refonte des textes français lorsque les intérêts financiers de l'Etat sont concernés (loi n° 2007-1824 du 25 décembre 2007, de finances rectificative pour 2007 N° Lexbase : L5490H3Q ; CGI, art. 990 D N° Lexbase : L5483H9X), ainsi que des commentaires de l'administration fiscale (instruction du 7 août 2008, BOI 7 Q-1-08 N° Lexbase : X3940AEN), prenant grand soin de préciser que la jurisprudence communautaire précitée était "limitée aux seuls Etats membres de l'Union européenne à l'exclusion des sociétés ayant leur siège hors Union européenne (considérant n° 19), les mouvements de capitaux entre les Etats membres et les pays tiers s'inscrivant dans un contexte juridique différent" (instruction du 10 novembre 2009, BOI 7 Q-2-09 N° Lexbase : X6389AGQ).
La contestation continue avec ce présent arrêt, selon lequel une société domiciliée à Papeete, ayant acquis en 1999 un bien immobilier dans l'Hexagone, s'est vue réclamer le paiement de la taxe de 3 %. En premier lieu, la contribuable entendait se placer sur le terrain de la violation de l'article 73 du Traité CE (devenu article 56 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne N° Lexbase : L2705IPU) : elle prenait appui, notamment, sur le fait que les sociétés établies en France étaient exonérées de la taxe de 3 %, alors qu'était exigée une convention d'assistance administrative conclue entre la France et l'Etat tiers pour les sociétés établies dans un autre Etat ou territoire. Mais, semble-t-il, la situation de ces contribuables, l'une étant située en France et l'autre dans un territoire fiscalement considéré comme étranger, n'est pas comparable. La cour d'appel avait relevé que le bénéfice de l'exonération de ladite taxe était réservé, selon la Convention d'assistance administrative entre la France et les territoires d'outre-mer, aux sociétés ayant déposé leurs déclarations annuelles au plus tard le 15 mai de chaque année, ce qui n'avait pas été fait en l'espèce. Critiquant cette position, la société prétendait, d'une part, que l'administration aurait pu exiger de la société les preuves lui permettant de lever correctement la taxe de 3 % ; d'autre part, qu'elle aurait pu obtenir un échange d'informations auprès de son homologue polynésienne. Mais la Cour de cassation rejette cette branche du moyen en s'appuyant sur un arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE, 5 mai 2011, aff. C-384/09 N° Lexbase : A7690HPI), selon lequel l'application de l'article 63 du Traité de fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) (N° Lexbase : L2713IP8) n'est pas incompatible avec une législation propre à un Etat membre subordonnant l'exonération de la taxe de 3 % à l'existence d'une convention d'assistance administrative conclue, en l'espèce, entre la France et la Polynésie française.
Quant à la possibilité de régularisation offerte par le ministre (QE n° 39372 de M. Loncle François, JOAN 27 décembre 1999, p. 7348, réponse publ. 13 mars 2000, p. 1638, 11ème législature N° Lexbase : L9057D7L), il était prévu qu'un contribuable n'ayant pas souscrit la déclaration n° 2746 n'était redevable de la taxe de 3 % que s'il n'avait pas régularisé sa situation dans les trente jours d'une mise en demeure adressée par l'administration fiscale. La contribuable opposait le fait qu'elle avait déposé spontanément une déclaration au titre de l'année 2005 en mai 2005, les déclarations des années 2002 à 2004 ayant été souscrites en juillet 2005 à la suite d'une mise en demeure reçue en juin 2005. Mais l'administration n'a pas voulu décharger la contribuable de la taxe de 3 % pour les années 2002 à 2005, dès lors que le dépôt des déclarations n° 2746 avait été effectué après le 15 mai, ce qui constituait le délai légal, après s'être enquis des conditions d'exonération de la taxe à la suite d'une taxation d'office antérieure au titre des années 2000 et 2001. C'est logiquement que cette branche du moyen sera rejetée par la Cour de cassation, car la possibilité exceptionnelle (14) de régulariser une telle situation, issue de la réponse ministérielle précitée, est réservée aux contribuables qui, de bonne foi, avaient ignoré la législation applicable et demandaient, pour la première fois, une régularisation. Or, au cas d'espèce, l'administration avait déjà taxé d'office la contribuable au titre des années 2000 et 2001 : à ce titre, la société requérante ne pouvait prétendre, à nouveau, au bénéfice de la réponse ministérielle qui n'avait pas prévu une "deuxième chance" pour les contribuables ayant déjà profité de la bienveillance de l'administration. A l'ignorance des textes légaux, succédait également une mémoire bien courte.
(1) "1. Les autorités compétentes des deux Etats pourront, soit d'office, soit sur demande, échanger, sous condition de réciprocité, les renseignements que les législations fiscales des deux Etats permettent d'obtenir, dans le cadre de la pratique administrative normale, nécessaires pour une application régulière de la présente Convention. Tout renseignement échangé de cette manière doit être tenu secret et ne peut être révélé qu'aux personnes qui s'occupent de la perception des impôts auxquels se rapporte la présente Convention. Il ne pourra pas être échangé de renseignements qui dévoileraient un secret commercial, bancaire, industriel ou professionnel ou un procédé commercial. 2. Les dispositions du présent article ne peuvent en aucun cas être interprétées comme imposant à l'un des Etats contractants l'obligation de prendre des mesures administratives dérogeant à sa propre réglementation ou à sa pratique administrative, ou contraires à sa souveraineté, à sa sécurité, à ses intérêts généraux ou à l'ordre public, ou de transmettre des indications qui ne peuvent être obtenues sur la base de sa propre législation et de celle de l'Etat qui les demande".
(2) Contra depuis le 1er janvier 2005 et uniquement quant au caractère anormal d'un acte de gestion, le principe et le montant des amortissements et des provisions, le caractère de charges déductibles des travaux immobiliers.
(3) "Lorsque le contribuable est taxé d'office en application de l'article L. 69 (N° Lexbase : L8559AEQ), à l'issue d'un examen contradictoire de sa situation fiscale personnelle, la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires peut être saisie dans les conditions prévues à l'article L. 59 (N° Lexbase : L5471H9I)".
(4) V. ainsi la récente interview du directeur du Fonds monétaire international (FMI) : "si on veut une taxation efficace, mieux vaut sans doute l'asseoir sur le secteur d'activité financier, aujourd'hui sous-taxé, et cibler les profils de risques et les établissements financiers qui ont des politiques de rémunération délirantes. C'est plus facile à attraper que des flux de capitaux qui vous filent entre les doigts", Challenges, 2 novembre 2011.
(5) "6° Lorsque l'administration n'a pas répondu dans un délai de trois mois à un contribuable de bonne foi qui a demandé, à partir d'une présentation écrite précise et complète de la situation de fait, l'assurance qu'il ne dispose pas en France d'un établissement stable ou d'une base fixe au sens de la convention fiscale liant la France à l'Etat dans lequel ce contribuable est résident. Un décret en Conseil d'Etat précise les modalités d'application du présent 6°".
(6) "Un moyen d'ordre public est un moyen relatif à une question d'une importance telle que le juge méconnaîtrait lui-même la règle de droit qu'il a mission de faire respecter si la décision juridictionnelle rendue n'en tenait pas compte : c'est l'importance de cette question qui légitime son examen d'office", R. Odent, Contentieux administratif, Dalloz, Tome 1, 2007, p. 958.
(7) Solution transposable aux textes actuellement en vigueur : "considérant qu'il résulte de l'article R. 153-1 du Code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel (plus en vigueur N° Lexbase : L7610AEL), en vigueur à la date de l'arrêt attaqué, que le président de la formation de jugement, en dehors des cas où il statue par ordonnance en application de l'article L. 9 du même code où décide qu'il n'y a pas lieu à instruction, est tenu, lorsque la décision lui paraît susceptible d'être fondée sur un moyen relevé d'office, d'en informer les parties et de fixer le délai dans lequel elles peuvent, sans qu'y fasse obstacle la clôture éventuelle de l'instruction, présenter leurs observations sur le moyen communiqué ; qu'en ne mettant pas les parties en mesure de présenter leurs observations sur l'irrecevabilité du recours du ministre, qu'elle a relevée d'office, la cour administrative d'appel de Paris a méconnu ces dispositions et entaché son arrêt d'une irrégularité ; qu'il y a lieu, dès lors, pour le Conseil d'Etat, saisi d'un pourvoi en cassation par la société [...], de prononcer l'annulation de l'arrêt du 17 juin 1999 en tant qu'il a statué sur l'appel incident de cette société".
(8) Navis, CONT IV, § 47360.
(9) Art. 5 : "1. Au sens de la présente convention, l'expression établissement stable' désigne une installation fixe d'affaires où l'entreprise exerce tout ou partie de son activité. - 2. L'expression établissement stable' comprend notamment : [...] c) un bureau [...] - 3. On ne considère pas qu'il y a établissement stable si : [...] e) une installation fixe d'affaires est utilisée, pour l'entreprise, aux seules fins de publicité, de fournitures d'informations, de recherches scientifiques ou d'activités analogues qui ont un caractère préparatoire ou auxiliaire".
(10) "On ne considérera pas qu'il y a établissement stable' si : [...] d) un lieu d'affaires est maintenu dans le pays aux seules fins d'exposition, de publicité, de fourniture d'informations ou de recherches scientifiques ayant pour l'entreprise un caractère préparatoire ou auxiliaire".
(11) CGI, art. 109-1-1° : l'appréhension du bénéfice -qui doit, par conséquent, exister- se traduit par un désinvestissement au profit d'un associé ou d'un tiers. En revanche, s'agissant de l'application de l'article 109-1-2° qui vise les valeurs sociales, seul un associé peut être concerné par une telle distribution, que le résultat soit bénéficiaire ou déficitaire.
(12) "84. -Selon le gouvernement français, la taxe litigieuse vise à dissuader les contribuables assujettis à l'impôt français sur la fortune d'échapper à une telle imposition en créant des sociétés, qui deviennent propriétaires d'immeubles situés en France, dans des Etats n'ayant pas conclu avec la République française une convention d'assistance administrative ou un traité comportant une clause de non-discrimination selon la nationalité en application de laquelle ces sociétés ne doivent pas être soumises à une imposition plus lourde que celle à laquelle sont assujetties les sociétés établies en France. 85. - La taxe litigieuse viserait, en particulier, à combattre les pratiques consistant dans la création, par des personnes physiques ayant leur domicile fiscal en France et dont les immeubles seraient normalement soumis à l'impôt sur la fortune, de sociétés qui ont leur domicile fiscal dans un autre Etat, duquel la République française ne peut obtenir les informations appropriées sur les personnes physiques détenant des participations dans ces sociétés", CJUE, 11 octobre 2007, aff. C-451/05 (N° Lexbase : A7180DYL).
(13) "5. Considérant qu'en instituant la taxe forfaitaire de 3 % prévue aux articles 990 D et 990 E, le législateur a entendu dissuader les contribuables assujettis à l'impôt de solidarité sur la fortune d'échapper à une telle imposition en créant, dans des Etats n'ayant pas conclu avec la France une convention fiscale comportant une clause d'assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales, des sociétés qui deviennent propriétaires d'immeubles situés en France ; qu'ainsi, il a voulu assurer la mise en oeuvre de l'objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales ; que, pour ce faire, il a notamment prévu, dans le 3° de l'article 990 E, d'exempter de la taxe les entreprises qui communiquent annuellement à l'administration fiscale ou prennent et respectent l'engagement de le faire sur sa demande des informations sur la situation et la consistance des immeubles possédés en France, l'identité et l'adresse des actionnaires, associés ou autres membres, le nombre des actions, parts ou autres droits détenus par chacun d'eux et la justification de leur résidence fiscale ; qu'ainsi, au regard des possibilités de contrôle de l'administration, ces entreprises se trouvent dans une situation différente de celles qui, n'étant pas soumises aux mêmes règles de transmission d'informations, ne présentent pas les mêmes garanties ; que le législateur a donc institué une différence de traitement en rapport direct avec l'objet de la loi ; qu'il s'est fondé sur des critères objectifs et rationnels ; qu'en conséquence, le grief tiré de la méconnaissance de l'article 13 de la Déclaration de 1789 (N° Lexbase : L1373A9Q) par le 3° de l'article 990 E du CGI doit être écarté ; que cette disposition n'instituant pas une sanction ayant le caractère d'une punition, le grief tiré de la méconnaissance de l'article 9 de la Déclaration de 1789 (N° Lexbase : L1360A9A) est inopérant".
(14) "Cette mesure de tolérance ne s'applique qu'à la première demande de régularisation et pour l'ensemble des années non prescrites. Les contribuables sont expressément informés du caractère exceptionnel de la mesure".
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Réf. : Cass. soc., 16 novembre 2011, n° 11-13.256, FS-P+B (N° Lexbase : A9402HZA)
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N9018BSS
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par Sébastien Tournaux, Professeur à l'Université des Antilles et de la Guyane
Le 01 Décembre 2011
Résumé
Lorsque des salariés travaillent simultanément dans plusieurs entreprises, ils doivent, conformément aux articles L. 2314-16 (N° Lexbase : L2618H9T) et L. 2324-15 (N° Lexbase : L9759H8X) du Code du travail, choisir celle dans laquelle ils font acte de candidature. |
Commentaire
I - L'éligibilité des salariés à temps partiel travaillant simultanément dans deux entreprises
Le salarié qui entend se porter candidat aux élections professionnelles dans l'entreprise doit respecter un certain nombre de conditions établies par le Code du travail.
Spécialement, s'agissant des élections des délégués du personnel et du comité d'entreprise, les articles L. 2314-16 et L. 2324-15 du Code du travail imposent que le salarié soit électeur et âgé de dix-huit ans pour être candidat. Le salarié doit disposer d'une ancienneté d'un an dans l'entreprise (1), quand bien même le travail durant cette période aurait été intermittent (2), et quand bien même le contrat de travail du salarié aurait été suspendu durant cette année d'ancienneté (3).
A ces règles s'ajoutent des dispositifs de lutte contre les conflits d'intérêts qui pourraient survenir en cas de trop grande proximité entre le salarié élu et l'employeur. Ainsi, ces textes prévoient également que ne peuvent être élus les "conjoints, partenaires d'un PACS, concubin, ascendants, descendants, frères, soeurs et alliés au même degré de l'employeur". On peut enfin relever que, même si cette question fait parfois débat dans le domaine politique, aucune restriction ne s'oppose à ce qu'un salarié étranger soit candidat aux élections.
L'ensemble de ces conditions d'éligibilité s'apprécie à la date de l'élection (4) faute de quoi le scrutin peut être annulé. Le contentieux relatif à l'électorat est soumis au juge d'instance (5), sachant que, depuis 2009, les décisions du tribunal d'instance en matière d'électorat sont susceptibles de pourvoi en cassation (6).
Certaines conditions plus spécifiques sont cependant applicables lorsque le salarié travaille ou a un lien avec plusieurs entreprises.
Ces règles particulières concernent au premier chef les travailleurs temporaires qui, salariés de l'entreprise de travail temporaire, travaillent effectivement dans une entreprise utilisatrice. La Chambre sociale juge à leur égard qu'étant électeur dans l'entreprise de travail temporaire, ils ne peuvent être électeurs dans l'entreprise utilisatrice alors même que leur mission présenterait un caractère permanent (7). N'étant pas électeurs, ils ne peuvent être éligibles dans l'entreprise utilisatrice.
Des règles particulières encadrent également l'éligibilité des salariés mis à disposition ou détachés dans une entreprise utilisatrice. Pour l'essentiel, le régime de l'électorat et de l'éligibilité des salariés mis à disposition est aujourd'hui établi par les articles L. 2314-18-1 (N° Lexbase : L3815IBW) et L. 2324-17-1 (N° Lexbase : L3756IBQ) du Code du travail. Ces textes imposent une ancienneté de vingt-quatre mois dans l'entreprise pour y être éligible. Surtout, le second alinéa de chacun de ces textes impose au salarié mis à disposition de faire un choix. Le salarié bénéficie d'une véritable option électorale puisqu'il peut choisir, selon des critères et des modalités qui n'ont pas été établies par le texte (8), entre voter dans son entreprise d'origine ou voter dans l'entreprise utilisatrice (9). Là encore, les critères de l'électorat conditionneront les règles d'éligibilité si bien que le salarié ne pourra être élu représentant du personnel que dans l'une des entreprises.
Enfin, une dernière situation particulière a été envisagée par le second alinéa des articles L. 2314-16 et L. 2324-15 du Code du travail. Ces textes disposent, en effet, que "les salariés travaillant à temps partiel simultanément dans plusieurs entreprises ne sont éligibles que dans l'une de ces entreprises. Ils choisissent celle dans laquelle ils font acte de candidature". C'est l'application de cette règle qui faisait débat dans l'affaire sous examen.
Dans cette affaire, deux cadres étaient employés par deux employeurs. Ils avaient, d'une part, conclu un contrat de travail à durée indéterminée avec une société et, d'autre part, été engagés, à nouveau par contrat à durée indéterminée, par une association. Après avoir été élus représentants du personnel au sein de la société, ces salariés s'étaient portés candidats aux élections professionnelles au sein de l'association. L'association introduisit une requête devant les juges d'instance afin de faire annuler ces candidatures.
Le tribunal d'instance débouta l'association de cette demande. En effet, faute de clauses spécifiques dans les contrats de travail, les juges du fond estimèrent que ces contrats ne pouvaient être qualifiés de contrats de travail à temps partiel. Ils relevèrent, en outre, que les bulletins de salaire de ces salariés comportaient la mention de l'existence d'une convention de forfait-jours sur l'année, forfait-jours rendant impossible toute assimilation à une catégorie de travailleur à temps complet ou à temps partiel.
Par un arrêt rendu le 16 novembre 2011, la Chambre sociale de la Cour de cassation casse et annule cette décision au visa des articles L. 2314-16 et L. 2324-15 du Code du travail. Estimant que les juges d'instance avaient justifié leur décision par des "motifs inopérants", la Chambre sociale énonce, de manière très générale, que "lorsque des salariés travaillent simultanément dans plusieurs entreprises, ils doivent, conformément aux articles L. 2314-16 et L. 2324-15 du Code du travail, choisir celle dans laquelle ils font acte de candidature".
Cette solution peut surprendre si l'on s'en tient à une lecture stricte des textes visés. Elle peut cependant s'expliquer par l'analyse de l'esprit de ces textes, analyse qui présente les caractéristiques d'une interprétation réaliste des règles en la matière.
II - L'extension des règles d'éligibilité à tout salarié multi-actif ?
Formellement, la décision rendue par la Chambre sociale de la Cour de cassation peut étonner. En effet, les articles L. 2314-16 et L. 2324-15 du Code du travail sont très clairs et n'appellent, à première vue, aucune interprétation : seuls les salariés engagés à temps partiel doivent choisir entre l'éligibilité dans l'une ou l'autre des entreprises. La qualification de contrat de travail à temps partiel est déterminée avec précision par le Code du travail : est considéré comme travailleur à temps partiel le salarié dont le temps de travail est inférieur à la durée légale de travail, durée calculée le cas échéant sur la semaine, le mois ou l'année (10). Surtout, le contrat de travail à temps partiel doit en principe être écrit et comporter des clauses spécifiques relatives à "la durée hebdomadaire ou mensuelle prévue et [...] la répartition de la durée du travail entre les jours de la semaine ou les semaines du mois" (11).
Manifestement, les salariés concernés n'avaient pas conclu de contrat de travail à temps partiel. Ce sentiment était d'ailleurs renforcé par l'existence de conventions de forfait qui paraissent matériellement inconciliables avec toute idée de décompte du temps. A vrai dire, si l'on comprend que la Chambre sociale ait pu rendre la décision commentée, comme nous le verrons plus loin, il reste difficilement explicable qu'elle ait jugé ce motif "inopérant". Les contrats n'étaient pas des contrats à temps partiel, les règles des articles L. 2314-16 et L. 2324-15 ne pouvaient littéralement trouver à s'appliquer.
S'il s'agit donc incontestablement d'une interprétation extensive de ces textes, la Chambre sociale fait cependant preuve d'un certain réalisme. Cette approche très pragmatique impose cependant de s'interroger sur la portée de la règle invoquée.
Matériellement, lorsque un salarié travaille dans deux entreprises différentes, l'un des contrats est nécessairement conclu à temps partiel, quand bien même les clauses des contrats de travail ne le prévoiraient pas. En effet, si les deux contrats de travail étaient conclus à temps complet, le salarié serait mathématiquement amené à travailler deux fois trente-cinq heures par semaine, soit soixante-dix heures. Or, au-delà du fait qu'une telle quantité de travail ne peut que rarement être effectivement assurée par un travailleur, y compris s'il s'agit d'un travailleur indépendant ou d'un salarié au forfait qui ne sont pas tenus à des limites horaires maximales, le code du travail prévoit, pour les dérogations les plus étendues, qu'en aucun cas un salarié ne peut travailler plus de soixante heures par semaine (12). Nécessairement, en pratique, l'un des contrats au moins était exécuté à temps partiel, ce qui explique que le juge puisse imposer le choix de l'éligibilité dans l'une ou l'autre des entreprises.
La rédaction de la motivation adoptée par la Chambre sociale de la Cour de cassation comporte cependant une généralité un peu gênante. En effet, le motif décisoire reprend, peu ou prou, la rédaction des articles L. 2314-16 et L. 2324-15 du Code du travail, mais omet la mention des travailleurs à temps partiels. Par voie de conséquence, la règle utilisée par la Chambre sociale est nettement plus générale et semble signifier que, du moment qu'un salarié travaille pour le compte de deux entreprises, quelles qu'en soient les conditions, il ne peut être éligible que dans l'une ou l'autre des entreprises. D'une certaine manière, la Chambre sociale semble donc poser un principe général applicable à toute situation de double emploi.
Doit-on cependant s'émouvoir d'une telle extension ? Rien n'est moins sûr. En effet, comme nous l'avons vu, les différentes hypothèses de double emploi ou de double appartenance à plusieurs entreprises que sont le détachement, la mise à disposition, le travail temporaire ou, encore, le travail à temps partiel dans plusieurs entreprises, sont toutes encadrées par le législateur qui, soit interdit l'éligibilité dans l'une des entreprises, soit impose une option au salarié entre l'une ou l'autre des entreprises. Il n'y avait donc qu'un pas à faire pour extraire, par un procédé d'induction amplifiante, une règle générale applicable à toute situation de double emploi.
(1) Sachant qu'une décision appréciait cette ancienneté au niveau du groupe, décision cependant trop ancienne pour qu'il soit certain qu'elle serait aujourd'hui confirmée, v. Cass. soc., 8 juillet 1997, n° 96-60.295, publié (N° Lexbase : A2310ACK).
(2) Cass. soc., 3 décembre 2002, n° 01-60.506, inédit (N° Lexbase : A1759A4W) ; Cass. soc., 3 octobre 2007, n° 06-60.063, F-P+B (N° Lexbase : A6651DYY).
(3) Cass. soc., 26 septembre 2002, n° 01-60.708, publié (N° Lexbase : A5095AZQ).
(4) Cass. soc., 30 octobre 2001, n° 00-60.341, inédit (N° Lexbase : A9903AWP).
(5) C. trav., art. L. 2314-25 (N° Lexbase : L2644H9S) et L. 2324-23 (N° Lexbase : L9776H8L).
(6) Cass. soc., 23 septembre 2009, n° 08-60.535, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A2423ELC) et les obs. de G. Auzero, Les litiges préélectoraux désormais soumis à la Cour de cassation, Lexbase Hebdo n° 366 du 8 octobre 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N0715BMG) ; Dr. soc., 2010, p. 161, note Petit ; SSL, 2009, n° 1415, p. 7, avis J. Duplat. Les effets du revirement opéré par cet arrêt ont cependant été aménagés par la Chambre sociale, v. Cass. soc., 26 mai 2010, n° 09-60.400, FS-P+B+R (N° Lexbase : A7362EXX) et les obs. de Ch. Radé, L'aménagement des effets d'un revirement de jurisprudence : la Chambre sociale de la Cour de cassation ouvre la voie, Lexbase Hebdo n°409 du 22 septembre 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N0948BQ8.
(7) Cass. soc., 28 février 2007, n° 06-60.171, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A4007DUX).
(8) Y. Pagnerre, G. Saincaize, L'intégration des salariés mis à disposition : nouvelles conditions, nouveaux effets, JCP éd. S, 2009, 1368.
(9) La Cour de cassation a eu l'occasion d'apporter une première précision au fonctionnement de ce droit d'option en jugeant que le choix du salarié s'effectue au moment où sont organisées les élections dans l'entreprise utilisatrice, peu important qu'il ait pu voter aux élections précédemment organisées dans son entreprise d'origine. V. Cass. soc., 26 mai 2010, n° 09-60.400, FS-P+B+R, préc..
(10) C. trav., art. L. 3123-1 (N° Lexbase : L0404H9T).
(11) C. trav., art. L. 3123-14 (N° Lexbase : L3882IBE).
(12) En principe, le maxima est fixé à quarante-huit heures par l'article L. 3121-35 du Code du travail (N° Lexbase : L0329H93). Cependant, des exceptions très encadrées peuvent porter cette durée maximale à soixante heures en cas de "circonstance exceptionnelle entraînant temporairement un surcroît extraordinaire de travail" (C. trav., art. L. 3121-35 et R. 3121-23 N° Lexbase : L6129IMX). Quand bien même cette exception serait avancée, elle ne permettrait pas d'atteindre les soixante-dix heures. Surtout, cette exception est nécessairement temporaire si bien qu'elle ne pourrait dans tous les cas justifier que de tels horaires soient permanents.
Décision
Cass. soc., 16 novembre 2011, n° 11-13.256, FS-P+B (N° Lexbase : A9402HZA) Cassation, TI Lunéville, cont. des élections professionnelles, 18 février 2011 Textes visés : C. trav., art. L. 2314-16 (N° Lexbase : L2618H9T) et L. 2324-15 (N° Lexbase : L9759H8X) Mots-clés : élections du personnel, éligibilité, travail à temps partiel, option du salarié, multi-activité Liens base : (N° Lexbase : E1625ETD) |
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