Réf. : CJUE, 7 mai 2019, aff. C-431/17 (N° Lexbase : A5256ZAW)
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par Gaëlle Deharo, Professeur, Centre de recherche sur la justice et le procès, Université Paris 1
Le 05 Juin 2019
Mots-clefs : Commentaire • CJUE • Avocat • Incompatibilités • Moine
Résumé : L’article 3, § 2, de la Directive 98/5/CE du 16 février 1998, visant à faciliter l’exercice permanent de la profession d’avocat dans un Etat membre autre que celui où la qualification a été acquise (N° Lexbase : L8300AUX), doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une législation nationale interdisant à un avocat ayant la qualité de moine, inscrit en tant qu’avocat auprès de l’autorité compétente de l’Etat membre d’origine, de s’inscrire auprès de l’autorité compétente de l’Etat membre d’accueil afin d’y exercer sa profession sous son titre professionnel d’origine, en raison de l’incompatibilité entre la qualité de moine et l’exercice de la profession d’avocat.
Ayant acquis sa qualité d’avocat à Chypre, un moine du monastère de Pétra (Grèce) avait sollicité son inscription en qualité d’avocat au registre spécial du barreau d’Athènes. Cette demande avait été rejetée au motif que les dispositions nationales grecques relatives à l’incompatibilité entre l’exercice de la profession d’avocat et la qualité de moine s’appliquaient aussi aux avocats souhaitant exercer en Grèce sous leur titre professionnel d’origine.
Le requérant avait alors formé un recours contre cette décision. Saisi de la question, le Symvoulio tis epikrateias (Conseil d’Etat) avait posé, à la Cour de justice de l’Union européenne, une question portant sur l’opposabilité des règles nationales d’incompatibilité aux avocats souhaitant exercer sous leur titre professionnel d’origine, acquis dans un autre Etat membre de l’Union européenne. Par la décision du 7 mai 2019, la Cour est venue trancher la question : «l’article 3, § 2, de la Directive 98/5/CE du 16 février 1998, visant à faciliter l’exercice permanent de la profession d’avocat dans un Etat membre autre que celui où la qualification a été acquise, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une législation nationale interdisant à un avocat ayant la qualité de moine, inscrit en tant qu’avocat auprès de l’autorité compétente de l’Etat membre d’origine, de s’inscrire auprès de l’autorité compétente de l’Etat membre d’accueil afin d’y exercer sa profession sous son titre professionnel d’origine, en raison de l’incompatibilité entre la qualité de moine et l’exercice de la profession d’avocat». La Cour vient ici réaffirmer les conditions d’inscription d’un avocat souhaitant exercer sous son titre professionnel d’origine dans un autre Etat que celui où le titre a été acquis (I) et rejette l’application d’une disposition nationale relative à l’incompatibilité de la profession d’avocat et de la qualité de moine, constitutive d’un obstacle à la libre circulation [1] (II).
I - La distinction entre les règles d’exercice de la profession d’avocat dans un pays autre que celui où la qualification a été acquise et les règles d’exercice de la profession
La matière relève de la Directive 98/5 du Parlement européen et du Conseil du 16 février 1998 visant à faciliter l’exercice permanent de la profession d’avocat dans un Etat membre autre que celui où la qualification a été acquise (A). La Cour en rappelle respectivement les considérants 2, 6 et 8, dont le premier expose l’objectif d’intégration de l’avocat dans la profession de l’Etat membre d’accueil et ne vise ni à modifier les règles professionnelles applicables dans celui-ci ni à soustraire l’avocat à l’application de ces règles (B).
A - L’exercice de la profession dans un pays autre que celui où la qualification a été acquise
La Directive 98/5/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 février 1998 [2] visant à faciliter l’exercice permanent de la profession d’avocat dans un Etat membre autre que celui où la qualification a été acquise a pour objet de faciliter l'exercice permanent de la profession d'avocat à titre indépendant ou salarié dans un Etat membre autre que celui dans lequel a été acquise la qualification professionnelle [3]. En ce sens, l’article 2 de la Directive prévoit que «tout avocat a le droit d'exercer à titre permanent, dans tout autre Etat membre, sous son titre professionnel d'origine, les activités d'avocat». L'avocat voulant exercer dans un Etat membre autre que celui où il a acquis sa qualification professionnelle est tenu de s'inscrire auprès de l'autorité compétente de cet Etat membre [4]. L'autorité compétente de l'Etat membre d'accueil procède alors à l'inscription de l'avocat au vu de l'attestation de son inscription auprès de l'autorité compétente de l'Etat membre d'origine [5].
Or, en l’espèce, les autorités grecques avaient rejeté la demande d’inscription en arguant de l’incompatibilité entre l’exercice de la profession d’avocat et la qualité de moine. La question se posait donc de savoir si la règle d’incompatibilité venait faire obstacle au droit à l’inscription de l’avocat ayant acquis sa qualité dans un autre Etat membre, non soumis à cette même règle.
La Cour rappelle que les différences entre les règles nationales quant à l’inscription d’un avocat souhaitant exercer sous son titre d’origine créée des obstacles à la libre circulation [6]. Elle souligne, également, que l’inscription par le registre d’accueil se fait «au vu de l’attestation de son inscription auprès de l’autorité compétente de l’Etat membre d’origine», rejetant par la même les dispositions nationales relatives à l’incompatibilité qui sont applicables seuls titres grecs d’avocat et qui ne concernent pas le droit de s’inscrire sur le fondement du titre professionnel d’origine, non soumis à cette disposition. Il en résulte que l’avocat qui a acquis son titre dans un autre Etat ne peut se voir opposée une condition supplémentaire tirée de la législation de l’Etat d’accueil dès lors qu’il fournit l’attestation lui permettant de se prévaloir de la qualité d’avocat acquise dans un autre Etat membre selon dans les conditions du droit national d’origine [7].
Si la Cour reconnaît que le législateur peut prévoir des garanties pour l’exercice de la profession d’avocat sur son territoire [8], celles-ci ne lui permettent pas d’ajouter aux conditions préalables requises pour l’inscription de l’avocat auprès de l’Etat d’accueil.
B - Les règles d’exercice de la profession relève du droit national
La Cour opère une distinction nette entre les règles permettant l’inscription de l’avocat auprès de l’autorité d’accueil et les règles régissant l’exercice de la profession [9]. L’inscription est soumise à la seule production de l’attestation du titre acquis dans un Etat membre. Mais une fois inscrit, l’avocat est soumis aux règles déontologiques applicables à tous les avocats exerçant sur le territoire de l’Etat d’accueil.
Aux termes de l’article 1.2.2 du Code de déontologie des avocats européens, «chaque barreau a ses règles spécifiques dues à ses propres traditions. Elles sont adaptées à l’organisation et au champ d’activité de la profession dans l’Etat membre considéré, ainsi qu’aux procédures judiciaires et administratives et à la législation nationale. Il n’est ni possible ni souhaitable de les en déraciner, ni d’essayer de généraliser des règles qui ne sont pas susceptibles de l’être. Les règles particulières de chaque barreau se réfèrent néanmoins aux mêmes valeurs et révèlent le plus souvent une base commune». La Directive 98/5/CE dispose quant à elle, en son article 6 que «indépendamment des règles professionnelles et déontologiques auxquelles il est soumis dans son Etat membre d'origine, l'avocat exerçant sous son titre professionnel d'origine est soumis aux mêmes règles professionnelles et déontologiques que les avocats exerçant sous le titre professionnel approprié de l'Etat membre d'accueil pour toutes les activités qu'il exerce sur le territoire de celui-ci». Aussi, «en cas de manquement de l'avocat exerçant sous son titre professionnel d'origine aux obligations en vigueur dans l'Etat membre d'accueil, les règles de procédure, les sanctions et les recours prévus dans l'Etat membre d'accueil sont d'application [10]». L’avocat européen peut donc faire l’objet de poursuites disciplinaires conformément au droit national du pays d’accueil [11]. Chaque Etat membre reste donc, en principe, libre de régler l'exercice de la profession d'avocat sur son territoire.
La jurisprudence européenne, a précisé que «les règles applicables à cette profession peuvent, de ce fait, différer substantiellement d'un Etat membre à l'autre» et avoir des effets restrictifs de la concurrence, si cela «s'avère nécessaire au bon exercice de la profession d'avocat telle qu'elle est organisée dans l'Etat membre concerné» [12]. Ainsi, une réglementation nationale peut instituer, pour exercer l'activité d'avocat sous le titre d'avocat de l'Etat membre d'accueil, l'obligation d'être membre d'une entité telle qu'un Ordre des avocats [13]. Mais elle ne saurait poser des règles restrictives constitutives d’obstacles à la libre circulation : c’est sur ce fondement que la Cour écarte les dispositions nationales relatives à l’incompatibilité pour apprécier le droit de l’avocat à être inscrit sur le registre du barreau d’Athènes.
II - L’éviction de la règle relative à l’incompatibilité entre les qualités de moine et d’avocat
La Cour relève que les disparités des lois nationales concernant les règles d’inscription constituaient des obstacles à la libre circulation que la Directive 98/5/CE était venue supprimer. Sous cet éclairage, les incompatibilités avancées pour refuser l’inscription et tirées du droit national venaient reconstituer un obstacle à la libre circulation en ajoutant aux dispositions de la directive une condition à l’inscription que celle-ci n’avait pas prévue (A). Si la Cour reconnait au législateur national la possibilité de prévoir des garanties dans l’exercice de la profession d’avocat, celles-ci doivent être proportionnées et ne doivent pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs recherchés [14] (B).
A - L’interdiction d’ajouter aux conditions requises une condition supplémentaire.
L’inscription de l’avocat sous son titre professionnel d’origine prévue par l’article 3 de la Directive constitue un droit subjectif reconnu aux titulaires d’un titre d’avocat obtenu dans un Etat membre. Les règles nationales régissent quant à elles les modalités d’exercice de cette profession qui peuvent varier selon les territoires. Il en résulte que les secondes ne peuvent ajouter au premier une condition qui n’était pas prévue par le texte européen : «il y a lieu de considérer que les avocats qui ont acquis le droit de porter ce titre professionnel dans un Etat membre tels que le requérant au principal, et qui présentent à l’autorité compétente de l’Etat membre d’accueil l’attestation de leur inscription auprès de l’autorité compétente de ce premier Etat membre, doivent être considérés comme remplissant toutes les conditions nécessaires à leur inscription auprès de l’autorité compétente de l’Etat membre d’accueil, sous leur titre professionnel obtenu dans l’Etat membre d’origine [15]».
La qualité d’avocat étant acquise dans l’Etat membre d’origine, elle est soumise aux conditions posées par cet Etat sans que puissent être opposées les incompatibilités prévues par l’Etat d’accueil.
En l’espèce, l’autorité grecque d’inscription avait considéré que la qualité de moine ne permet pas à celui-ci de présenter, conformément à la législation nationale interdisant à un moine d’être avocat, des garanties telles que, notamment, l’indépendance par rapport aux autorités ecclésiastiques dont il relève, la possibilité de se consacrer entièrement à l’exercice de la profession d’avocat, l’aptitude à gérer des affaires dans un contexte conflictuel, la fixation de son établissement réel dans le ressort du tribunal de grande instance concerné et le respect de l’interdiction de fournir des services à titre gratuit [16].
S’agissant de règles d’organisation de la profession, elles relèvent, selon la Cour, du droit national, mais elles ne sauraient ajouter une condition non prévue par le texte quant à l’inscription de l’avocat souhaitant exercer sous son titre d’origine. En l’espèce, elle conclut que «refuser à un avocat souhaitant exercer dans l’Etat membre d’accueil sous son titre professionnel d’origine son inscription auprès des autorités auprès des autorités compétentes de cet Etat membre, au seul motif qu’il a la qualité de moine, reviendrait à ajouter une condition d’inscription à celles figurant à l’article 3, paragraphe 2 de la Directive 98/5, alors qu’un tel ajout n’est pas autorisé par cette disposition» [17].
B - L’obstacle à la libre circulation
La Cour n’exclut pas que les Etats membres posent des règles d’incompatibilité [18], toutefois «les règles professionnelles et déontologiques applicables dans l’Etat membre doivent, pour être conformes au droit de l’Union, notamment respecter le principe de proportionnalité, ce qui implique qu’elles n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs poursuivis. Il appartient à la juridiction de renvoi de procéder aux vérifications nécessaires en ce qui concerne la règle d’incompatibilité en cause au principal» [19]. Aussi, aux termes de la décision, prononcée conformément aux conclusions de l’avocat général [20], «l’article 3, § 2, de la Directive 98/5/CE du 16 février 1998, visant à faciliter l’exercice permanent de la profession d’avocat dans un État membre autre que celui où la qualification a été acquise, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une législation nationale interdisant à un avocat ayant la qualité de moine, inscrit en tant qu’avocat auprès de l’autorité compétente de l’Etat membre d’origine, de s’inscrire auprès de l’autorité compétente de l’Etat membre d’accueil afin d’y exercer sa profession sous son titre professionnel d’origine, en raison de l’incompatibilité entre la qualité de moine et l’exercice de la profession d’avocat».
La solution s’inscrit dans le sillage de la jurisprudence de la Cour dont il faut rappeler qu’elle avait déjà jugé que «l’article 3 de la Directive 98/5/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 février 1998, visant à faciliter l’exercice permanent de la profession d’avocat dans un Etat membre autre que celui où la qualification a été acquise, doit être interprété en ce sens que ne saurait constituer une pratique abusive le fait, pour le ressortissant d’un Etat membre, de se rendre dans un autre Etat membre afin d’y acquérir la qualification professionnelle d’avocat à la suite de la réussite d’épreuves universitaires et de revenir dans l’Etat membre dont il est le ressortissant pour y exercer la profession d’avocat sous le titre professionnel obtenu dans l’Etat membre où cette qualification professionnelle a été acquise [21]».
[1] CJUE, 7 mai 2019, aff. C-431/17, Monachos Eirinaios (N° Lexbase : A5256ZAW), point 25.
[2] Un projet de Loi pour transposer la Directive sur la liberté d’établissement des avocats, Le Quotidien Lexbase du 7 mars 2002 (N° Lexbase : L8300AUX).
[3] Directive 98/5/CE, art. 1.1.
[4] Directive 98/5/CE, art. 3.
[5] Directive 98/5/CE, art. 3.2 ; v., par ex., Reconnaissance des titres professionnels croates pour l’exercice en France de la profession d’avocat, Le Quotidien Lexbase du 6 septembre 2013.
[6] CJUE, 17 juillet 2014, aff. C-58/13 (N° Lexbase : A4751MUI), décision citée par la Cour.
[7] Cass. civ. 1, 23 novembre 2004, n° 03-10.636, F-P+B (N° Lexbase : A0324DEQ) v., aussi, (N° Lexbase : A0324DEQ) ; CE 6° et 5° ch.-r., 30 janvier 2019, n° 408258, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A6294YUN).
[8] Nos obs., Dalloz actualité, 20 février 2019 ; 21 mars 2019 ; 5 juin 2018.
[9] CJUE, 7 mai 2019, point 30.
[10] Directive 98/5/CE, art. 7 ; CJUE, 19 septembre 2006, aff. C-506/04 (N° Lexbase : A2087DRQ).
[11] Cass. civ. 1, 14 décembre 2016, n° 15-27.394, F-D (N° Lexbase : A2149SXU) et n° 15-27.395, F-D (N° Lexbase : A2319SX8).
[12] CJUE, 3 février 2011, C-309/99 (N° Lexbase : A1650GRK).
[13] CJUE, 3 février 2011, aff. C-359/09 (N° Lexbase : A1650GRK) ; «Une réglementation nationale peut instituer, pour exercer l'activité d'avocat sous le titre d'avocat de l'Etat membre d'accueil, l'obligation d'être membre d'une entité telle qu'un Ordre des avocats», Le Quotidien Lexbase du 8 février 2011 ; Adde CJUE, 2 décembre 2010, aff. C-225/09 (N° Lexbase : A4111GM9).
[14] CJUE, 7 mai 2019, point 33.
[15] CJUE, 7 mai 2019, point 28.
[16] CJUE, 7 mai 2019, point 18.
[17] CJUE, 7 mai 2019, point 34.
[18] F. Girard de Barros, Le régime des incompatibilités afférent à l’exercice de la profesion d’avocat, Lexbase Professions, n° 101, 8 décembre 2011 (N° Lexbase : N8873BSG).
[19] CJUE, 7 mai 2019, point 35.
[20] Conclusions de l’avocat général E. Sharpton, présentées le 19 déc. 2018, aff. C‑431/17.
[21] CJUE, 17 juill. 2014, aff. C-58/13 et C-59/13, v., également, les conclusions de l’avocat générale.
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Réf. : CEDH, 23 mai 2019, n° 51979/17 (disponible en anglais)
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par Marie Le Guerroué
Le 05 Juin 2019
► La restriction au droit d’accès à un avocat au cours d’interrogatoires de police n’a pas emporté violation du droit à un procès équitable en l’espèce, car, après examen de la procédure dans son ensemble, l’équité globale du procès n’a pas été compromise de manière irrémédiable.
Ainsi statue la Cour européenne des droits de l’Homme dans un arrêt du 23 mai 2019 (CEDH, 23 mai 2019, n° 51979/17, disponible en anglais ; compa., récemment, CEDH, 9 novembre 2018, Req. 71409/10 N° Lexbase : A6428YKB).
Dans cette affaire, le requérant, un ressortissant irlandais, alléguait que son droit d’accès à un avocat avait été restreint lorsque la police l’avait interrogé dans une affaire de meurtre. Il avait pu s’entretenir avec son avocat avant et après sa première audition, mais son avocat n’assista jamais à ses interrogatoires (conformément aux règles de police en vigueur à l’époque des faits). Le requérant y voyait un manquement de l’Etat irlandais à son obligation de lui garantir un procès équitable (CESDH, art. 6 § 1 N° Lexbase : L7558AIR) et arguait qu’en l’absence d’un avocat, son droit au silence et son droit de ne pas s’incriminer soi-même avaient été affaiblis, et qu’en refusant d’exclure ses aveux du dossier, les juridictions internes l’avaient privé de tout moyen de défense lors de son procès.
La Cour juge qu’un examen très attentif est nécessaire dans des affaires où, comme en l’espèce, aucune raison impérieuse ne justifiait une restriction au droit du requérant à bénéficier de l’assistance d’un avocat. Elle rappelle que le droit de tout accusé à être effectivement défendu par un avocat constitue l’un des éléments fondamentaux du droit à un procès équitable (CEDH, 9 novembre 2018, Req. 71409/10 N° Lexbase : A6428YKB).
Elle conclut, néanmoins, qu’en l’espèce, après examen de la procédure dans son ensemble, l’équité globale du procès n’a pas été compromise de manière irrémédiable et qu'il n'y a pas eu violation de l'article 6 §§ 1 et 3 de la Convention. Elle relève, notamment, que le requérant a eu la possibilité de contester la recevabilité des éléments de preuve et de s’opposer à leur utilisation à tous les stades de la procédure, que l’ensemble des interrogatoires furent filmés et les enregistrements remis au juge et que le jury a reçu du juge du fond des instructions détaillées concernant la prise en charge des éléments de preuve jugés recevable. La Cour note aussi que les règles de police en vigueur en Irlande ont depuis évolué (cf. les Ouvrages «La profession d’avocat» N° Lexbase : E9554ETZ et «Procédure pénale» N° Lexbase : E4377EUN).
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Réf. : Cass. com., 15 mai 2019, n° 18-10.491, FS-P+B (N° Lexbase : A8419ZBG)
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par Jérôme Lasserre Capdeville
Le 05 Juin 2019
► La communication d’informations figurant au verso de chèques peut être indispensable à l’exercice du droit à la preuve des tireurs de ces derniers pour rechercher l’éventuelle responsabilité de la banque lors de l’encaissement des chèques en question, et proportionnée aux intérêts antinomiques en présence ;
► les juges du fond ne sauraient alors retenir, d’une façon générale, qu’en produisant les pièces demandées, la banque porterait atteinte au secret bancaire.
Tel est l’enseignement d’un arrêt de la Cour de cassation du 15 mai 2019 (Cass. com., 15 mai 2019, n° 18-10.491, FS-P+B N° Lexbase : A8419ZBG ; lire les obs. de A. Maymont N° Lexbase : N9194BXS).
Le couple X avait émis quatre chèques à l’ordre de la société Y pour un montant total de 14 194 euros. Ayant fait valoir que la banque leur avait refusé la communication de l’endossement des chèques ainsi que les informations concernant le bénéficiaire effectif du compte crédit, les époux X avait saisi le juge des référés, sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1497H49), afin qu’il ordonne à la banque de produire les versos des chèques litigieux. Celle-ci leur avait cependant opposé le secret bancaire.
La cour d’appel de Bordeaux (CA Bordeaux, 7 septembre 2017, n° 16/03721 N° Lexbase : A1561WRA) avait, par une décision du 7 septembre 2017, donné raison à l’établissement de crédit, au motif qu’en produisant les pièces demandées, la banque divulguerait les informations figurant au verso des chèques et porterait ainsi atteinte au secret bancaire dont sont titulaires les bénéficiaires des chèques en question.
Cette solution était conforme à la jurisprudence traditionnellement admise en la matière (v. par ex., Cass. com., 13 juin 1995, n° 93-16.317, publié N° Lexbase : A1214ABL ; Cass. com., 8 juillet 2003, n° 00-11.993, FS-P+B+I N° Lexbase : A0799C9H ; Cass. com., 21 septembre 2010, n° 09-68.994, F-D N° Lexbase : A2410GAI).
Pourtant la Cour de cassation ne l’entend pas ainsi, puisqu’elle casse la décision précitée. Selon elle, les juges du fond auraient dû rechercher si la communication au couple des informations figurant au verso des chèques qu’ils avaient émis n’était pas indispensable à l’exercice de leur droit à la preuve, pour rechercher l’éventuelle responsabilité de la banque lors de l’encaissement des chèques en question, et proportionnée aux intérêts antinomiques en présence, incluant la protection du secret dû aux bénéficiaires de ces chèques.
Cet arrêt témoigne alors du fait que «le droit à la preuve» des clients de banque est désormais de nature à prendre le pas sur le principe du secret bancaire. C’était déjà le cas lorsqu’une action en responsabilité était directement exercée à l’encontre de l’établissement de crédit tiré (Cass. com., 29 novembre 2017, n° 16-22.060, F-P+B+I N° Lexbase : A8559W3E ; Cass. com., 24 mai 2018, n° 17-27.969, F-D N° Lexbase : A5366XPG) ; l’arrêt étudié démontre qu’il doit en aller de même lorsqu’est simplement demandée en justice la production d’une photocopie d’un verso de chèque du moment, bien entendu, que la communication dérogatoire au secret bancaire est «indispensable à l’exercice» de ce droit à la preuve (cf. l’Ouvrage «Droit bancaire» N° Lexbase : E9824AIP).
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Réf. : Cass. civ. 2, 29 mai 2019, n° 18-11.436, F-P+B+I (N° Lexbase : A1113ZDL)
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N9232BX9
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par Laïla Bedja
Le 05 Juin 2019
► Il résulte de la combinaison des articles L. 242-1 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L8964LK9), L. 129-13, devenu L. 7233-4 du Code du travail (N° Lexbase : L9010LKW), D. 129-31, devenu D. 7233-8 du même code (N° Lexbase : L1910LCQ), dans leur rédaction applicable à la date d'exigibilité des cotisations litigieuses, que n'ont pas le caractère d'une rémunération entrant dans l'assiette des cotisations des assurances sociales, des accidents du travail et des allocations familiales, au sens du premier de ces textes, les aides financières de l'entreprise versées en faveur des salariés lorsqu'elles sont destinées à financer, dans la limite d'un montant maximum de 1 830 euros par année civile et par bénéficiaire, des établissements et services gérés par une personne physique ou morale de droit privé accueillant des enfants de moins de six ans ou des établissements et services publics accueillant des enfants de moins de six ans.
Telle est la solution dégagée par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 29 mai 2019 (Cass. civ. 2, 29 mai 2019, n° 18-11.436, F-P+B+I N° Lexbase : A1113ZDL).
Dans cette affaire, à la suite d'un contrôle portant sur les années 2007 et 2008, l'URSSAF du Nord Pas-de-Calais a notifié au département du Nord (le département), un redressement, suivi de la notification, le 11 juin 2010, d'une mise en demeure, portant notamment sur la réintégration dans l'assiette des cotisations de l'avantage en nature représenté par le financement par le département, au profit de ses agents, d'une crèche interne de garde d'enfants ; contestant le bien-fondé de ce chef de redressement, le département a saisi d'un recours une juridiction de Sécurité sociale.
La cour d’appel rejetant leur contestation, le département forme un pourvoi en cassation selon le moyen que le financement par un employeur d’une structure interne de garde d’enfant au bénéfice de ses salariés n’a pas le caractère d’une rémunération et que le dépassement du montant maximum de l’aide financière prévue à l’article L. 129-13, devenu L. 7233-4, du Code du travail n'a pas pour effet de conférer au financement un caractère de rémunération. En vain.
Enonçant la solution précitée, la Haute juridiction rejette le pourvoi. Ayant constaté, d'une part, que le département du Nord avait mis à la disposition exclusive de ses agents, durant leur temps de travail, une crèche départementale accueillant leurs enfants jusqu'à l'âge de trois ans, d'autre part, que la participation financière des agents, fixée par le règlement intérieur, était inférieure au coût effectif du service rendu supporté par l'employeur, la cour d'appel en a exactement déduit qu'il en résultait un avantage en nature soumis à cotisations pour la partie du financement excédant 1 830 euros par an et par bénéficiaire, de sorte que le chef de redressement en litige était justifié (cf. l’Ouvrage «Droit de la protection sociale», Les avantages en nature N° Lexbase : E3643AUH et La gestion et le montant de l'aide financière du comité d'entreprise ou du comité social et économique N° Lexbase : E1191EUN)
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newsid:469232
Réf. : CE 6° et 5° ch.- r., 13 mars 2019, n° 418994, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A6913Y3G) ; Cass. civ. 3, 4 avril 2019, n° 18-109.89, FS-P+B+I (N° Lexbase : A3138Y8Q) ; Cass. civ. 3, 18 avril 2019, n° 18-11.414, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A3816Y99)
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N9176BX7
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par Pierre Tifine, Professeur de droit public à l’Université de Lorraine, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition publique, Doyen de la faculté de droit, économie et administration de Metz
Le 05 Juin 2019
Lexbase Hebdo - édition publique vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique d’actualité de droit de l’expropriation rédigée par Pierre Tifine, Professeur à l’Université de Lorraine et doyen de la faculté de droit économie et administration de Metz. Dans la première décision commentée, qui concerne le projet de contournement ouest de Strasbourg, le Conseil d’Etat affine sa jurisprudence concernant les conditions de prorogation des déclarations d’utilité publique (CE, 6° et 5° ch.- r., 13 mars 2019, n° 418994, mentionné aux tables du recueil Lebon). La Cour de cassation précise ensuite que la qualification de terrain à bâtir n’exclut pas l’octroi d’une indemnité de dépréciation du surplus (Cass. civ. 3, 4 avril 2019, n° 18-10.989, FS-P+B+I). Elle précise enfin que, si l’exercice préalable du droit de délaissement fait obstacle à la rétrocession il est possible, pour l’ancien propriétaire, d’obtenir des dommages intérêts sur le fondement des stipulations de l’article 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’Homme (Cass. civ. 3, 18 avril 2019, n° 18-11.414, FS-P+B+R+I).
Le projet de Grand contournement ouest de Strasbourg, dont les prémisses remontent à il y a une quarantaine d’années, a fait l’objet de nombreuses contestations du fait de ses conséquences environnementales. L’arrêt rendu par le Conseil d’Etat le 13 mars 2019 met un terme peut être définitif à un long feuilleton judiciaire en rejetant les recours dirigés contre le décret prorogeant la déclaration d’utilité publique relative à ce projet. A l’origine, par un décret du 23 janvier 2008, le Premier ministre avait déclaré d’utilité publique et urgents les travaux de l’autoroute A 355, dite «grand contournement ouest de Strasbourg» et fixé à dix ans à compter de la publication du décret le délai pour réaliser les expropriations nécessaires. Cette première déclaration d’utilité publique avait fait l’objet d’un recours pour excès de pouvoir qui avait été rejeté par le Conseil d’Etat à l’occasion d’un arrêt du 17 mars 2010, intégrant pour la première fois parmi les éléments pris en compte dans le cadre de la théorie du bilan «la mise en cause de la protection et de la valorisation de l'environnement» [1]. Conformément au contrat de concession conclu entre la société X et l’Etat en 2016, celle-ci a sollicité une prorogation de la déclaration d’utilité publique du 23 janvier 2008, ce qui lui a été accordé, le décret du 22 janvier 2018 prorogeant le délai initial de dix ans jusqu’au 22 janvier 2026. C’est ce décret qui fait l’objet d’un recours dans la présente affaire.
La question qui se pose en l’espèce consiste à déterminer si le décret du 22 janvier 2018 pouvait légalement intervenir alors qu’une nouvelle enquête publique n’avait pas été diligentée. Rappelons ici qu’en application de l’article L. 1 du Code de l’expropriation pour cause d'utilité publique (N° Lexbase : L7928I4E), une expropriation «ne peut être prononcée qu’à la condition qu’elle réponde à une utilité publique préalablement et formellement constatée à la suite d’une enquête». L’article L. 121-4 (N° Lexbase : L7935I4N) précise, quant à lui, que le délai accordé pour réaliser l’expropriation par la déclaration d’utilité publique ne peut excéder cinq ans. Il en va toutefois autrement si, comme en l’espèce, la déclaration d’utilité publique est prononcée par décret en Conseil d’Etat. Dans ce cas, aucune limite dans le temps n’est imposée par les textes. S’agissant ensuite de la prorogation de la déclaration d’utilité publique, l’article L. 121-5 du même code (N° Lexbase : L7936I4P) précise qu’«un acte pris dans la même forme peut proroger une fois les effets de la déclaration d’utilité publique pour une durée au plus égale à la durée initialement fixée, lorsque celle-ci n’est pas supérieure à cinq ans». Toutefois, ici également, il est possible de s’affranchir de cette limite temporelle lorsque la prorogation fait l’objet d’un décret en Conseil d’Etat.
Il résulte de ces textes, tout d’abord, tels qu’ils sont interprétés par la jurisprudence, que la prorogation est impossible s’il apparaît que «l’opération n’est plus susceptible d’être légalement réalisée en raison de l’évolution du droit applicable ou s’il apparaît que le projet a perdu son caractère d’utilité publique par suite d’un changement des circonstances de fait» [2]. Ensuite, il résulte d’une lecture a contrario de l’article L. 121-5 qu’en présence de «circonstances nouvelles» une nouvelle enquête préalable doit être organisée.
En l’espèce, le Conseil d’Etat rappelle qu’une nouvelle enquête publique n’est nécessaire que si les caractéristiques du projet initial sont substantiellement modifiées. En d’autres termes, le projet ne doit pas avoir été modifié «au point de remettre en cause l’analyse de l’utilité publique réalisée après la première enquête» [3]. Notons toutefois ici que les dispositions relatives à la prorogation des déclarations d’utilité sont rédigées différemment dans l’ancien article L. 11-5 du Code de l’expropriation et dans l’actuel article L. 121-5, issu de l’ordonnance de recodification n° 2014-1345 du 6 novembre 2014 [4]. En effet, désormais, la prorogation ne peut être accordée sans enquête préalable, selon ces nouvelles dispositions, que «en l’absence de circonstances nouvelles». En d’autres termes, si l’écoulement d’une décennie entre la date de l’enquête publique initiale et celle de la prorogation de la déclaration d’utilité publique n’implique pas nécessairement que le projet ait subi de modifications substantielles, le contexte factuel du projet a forcément évolué sur une durée aussi longue. Une telle approche remettrait manifestement en cause la jurisprudence antérieure et elle aurait pour effet d’être beaucoup plus contraignante pour l’expropriant.
En dépit de la lettre du texte, le Conseil d’Etat, suivant les conclusions de son rapporteur public, décide pourtant d’adopter une interprétation neutralisante en l’absence de volonté clairement exprimée par le législateur. C’est donc bien l’existence de «modifications substantielles» qui est recherchée par le Conseil d’Etat, celles-ci pouvant porter conformément à la jurisprudence antérieure soit sur la consistance de l’opération [5] soit sur son coût [6].
Concernant la consistance de l’opération, tout d’abord, les juges relèvent que les modifications au projet initial qui «consistent notamment en des rectifications du tracé, en l’abandon de la possibilité d’élargissement de l’infrastructure à deux fois trois voies, en la création d’un pôle d’échange multimodal et en la reconfiguration de l’échangeur nord» ne peuvent être regardées, comme des modifications substantielles des caractéristiques du projet.
Concernant ensuite le montant de l’opération, ils relèvent une évolution du coût du projet qui est de l’ordre de 12 % hors inflation. Dans un arrêt «Astier et Tirandon» du 12 mai 1989, le Conseil d’Etat avait pu estimer qu’une augmentation du coût de l’opération qui s’établit au moins à 30 % nécessitait que soit mise en œuvre une nouvelle enquête publique [7]. Tel n’est pas le cas en l’espèce. Une augmentation de 12 %, selon les juges, ne pouvait être regardée comme affectant l’économie générale de l’opération projetée. Les juges relèvent enfin que dès lors que les requérants n’ont pas soutenu que le projet a perdu son utilité publique, ils ne pouvaient utilement exciper, pour soutenir que la prorogation ne pouvait être décidée sans une nouvelle enquête publique, de ce que le contexte aurait connu des évolutions significatives depuis l’intervention de la déclaration d’utilité publique initiale. Le moyen tiré de ce que le décret de prorogation attaqué serait intervenu en méconnaissance du II de l’article L. 121-5 du Code de l’expropriation, faute qu’ait été organisée une nouvelle enquête publique, doit en conséquence être écarté.
Le montant de l’indemnité principale versée au propriétaire évincé, lorsqu’est en cause un terrain, dépendra largement de la question de savoir s’il s’agit d’un simple terrain agricole ou d’un terrain à bâtir au sens de l’article L. 322-3 du Code de l’expropriation pour cause d'utilité publique (N° Lexbase : L7995I4U). Cette qualification est très restrictive. En effet, d’une part, le terrain doit être situé dans une zone désignée comme constructible par un plan d’occupation des sols, un plan local d’urbanisme ou une carte communale ou dans une partie urbanisée de la commune en l’absence de documents de ce type. D’autre part, il doit être effectivement desservi par une voie d’accès, un réseau électrique, un réseau d’eau potable et, si la réglementation l’exige, un réseau d’assainissement. Il est aussi exigé que ces divers réseaux soient situés à proximité immédiate du terrain en cause et soient de dimensions adaptées à sa capacité de construction.
Compte tenu de l’enjeu financier que représente la qualification de terrain à bâtir, la jurisprudence est particulièrement foisonnante sur cette question [8]. La Cour de cassation exige, en particulier, que le juge de l’expropriation motive sa décision et précise les circonstances qui le conduisent à retenir la qualification de terrain à bâtir ce qui implique qu’il ne doit pas se borner à des affirmations imprécises [9].
C’est en l’espèce un premier motif de cassation, la cour d’appel n’ayant pas vérifié, dans la présente affaire, comme il le lui était demandé, si la capacité des réseaux desservant les parcelles litigieuses était adaptée au regard de l'ensemble de la zone.
Il ne s’agit toutefois pas ici du principal apport de l’arrêt commenté. La question majeure qui se pose consiste en effet à déterminer si la qualification de terrain à bâtir exclut la possibilité, pour le propriétaire évincé, d’obtenir une indemnité de dépréciation du surplus.
On rappellera ici qu’à l'indemnité principale de dépossession s’ajoutent des indemnités accessoires qui résultent de la dépossession des biens. Tout préjudice dûment justifié s'il est matériel, direct et certain doit donc être indemnisé. Il en va ainsi, en cas d’expropriation partielle, pour la dépréciation du surplus non exproprié [10].
Il a été déjà jugé par la Cour de cassation que la qualification de terrain à bâtir avait pour effet d’interdire au juge d’allouer à l’exproprié une indemnité d’éviction agricole [11] ou pour suppression de plantations [12]. Ces solutions sont logiques dès lors que cette qualification est exclusive de celle de terrain agricole. En revanche, en cas d’expropriation partielle, on doit pouvoir considérer que la perte de valeur de la partie du terrain non expropriée doit faire l’objet d’une indemnisation, celle-ci devant toujours être considérée comme un terrain agricole.
L’arrêt rendu par la troisième chambre civile de la Cour de cassation le 18 avril 2019 apporte d’utiles précisions relatives à l’exercice du droit de délaissement et à celui du droit de rétrocession. Les propriétaires d’une parcelle située dans un emplacement réservé par le plan d’occupation des sols, avaient mis en demeure la commune de Saint-Tropez de l’acquérir en application de la procédure de délaissement. Aucun accord n’étant intervenu sur le prix de cession, un jugement du juge de l’expropriation du 20 septembre 1982 avait ordonné le transfert de propriété au profit de la commune et un arrêt du 8 novembre 1983 avait fixé le prix d’acquisition à l’équivalent d’environ 120 000 euros. Le 22 décembre 2008, après modification des règles d’urbanisme, le terrain avait été revendu par la commune plus de 5 millions d’euros et, le 18 octobre 2011, il avait fait l’objet d’un permis de construire.
Rappelons ici que l’article L. 152-2 du Code de l’urbanisme (N° Lexbase : L2607KIE) permet au propriétaire d’un terrain figurant dans un emplacement réservé par le plan local d’urbanisme d’exiger de la collectivité ou du service public au bénéfice duquel le terrain a été réservé qu’il soit procédé à son acquisition. L’exercice de ce droit constitue donc, selon les termes employés par le Conseil constitutionnel statuant dans le cadre de la procédure de question prioritaire de constitutionnalité «une réquisition d’achat à l’initiative des propriétaires de ces terrains»[13]. En sens inverse, l’article L. 421-1 du Code de l’expropriation pour cause d'utilité publique (N° Lexbase : L8022I4U) permet, sous certaines conditions, à l’ancien propriétaire, de récupérer son bien. Plus précisément, «si les immeubles expropriés n’ont pas reçu, dans le délai de cinq ans à compter de l’ordonnance d’expropriation, la destination prévue ou ont cessé de recevoir cette destination, les anciens propriétaires ou leurs ayants droit à titre universel peuvent en demander la rétrocession pendant un délai de trente ans à compter de l'ordonnance d'expropriation, à moins que ne soit requise une nouvelle déclaration d’utilité publique».
Il existe donc a priori une incompatibilité entre le droit de délaissement qui constitue un mode amiable de cession de propriété et le droit de rétrocession qui concerne exclusivement des biens visés par une ordonnance d’expropriation. Le Conseil constitutionnel, dans la décision susvisée, a pu ainsi considérer qu’en «ne prévoyant pas de droit de rétrocession pour les propriétaires dont les terrains grevés d’un emplacement réservé ont été acquis par le bénéficiaire de cet emplacement à la suite de l’exercice du droit de délaissement, le législateur n’a pas méconnu sa compétence» [14]. La Cour de cassation a ensuite rappelé que «l’exercice d’un droit de délaissement ne permet pas au cédant de solliciter la rétrocession du terrain»[15]. C’est le cas y compris, a précisé la cour, si le transfert de propriété a été ordonné par le juge de l’expropriation constatant l’accord des parties sur le prix, ce qui n’est pas même le cas en l’espèce. De la même façon, le droit de rétrocession est exclu pour les biens acquis par cession amiable antérieurement à la déclaration d’utilité publique lorsque les cédants n’ont pas demandé au juge de l’expropriation de leur en donner acte en application des dispositions de l’article L. 222-2 du Code de l’expropriation pour cause d'utilité publique (N° Lexbase : L2889KIT). Il est enfin exclu pour les biens qui ont fait l’objet d’une demande de réquisition d’emprise totale de la part de l’exproprié en application des dispositions des articles L. 242-1 (N° Lexbase : L7968I4U) et suivants du Code de l’expropriation.
Dans la présente affaire, l’ancien propriétaire se retrouve ainsi privé du droit de rétrocession au motif qu’il a déjà exercé le droit de délaissement sur un terrain inconstructible revendu ultérieurement par la collectivité publique après modification -par elle- du plan local d’urbanisme le rendant constructible. Toutefois, et c’est l’apport de l’arrêt commenté, la cour constate que la paralysie du droit de rétrocession porte atteinte au respect des biens, au sens de l’article 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme.
En l’espèce, comme on l’a mentionné plus haut, la parcelle avait été vendue l’équivalent de 120 000 euros dans le cadre du droit de délaissement, parce qu’elle était destinée à être utilisée comme espaces verts, avant d’être revendue par la commune, une fois devenue constructible, plus de cinq millions d’euros. La cour constate, certes, qu’une telle ingérence au droit de propriété a une base claire et accessible en droit interne et qu’elle est justifiée par le but légitime visant à permettre à la personne publique de disposer, sans contrainte de délai, dans l’intérêt général, d’un bien dont son propriétaire a exigé qu’elle l’acquière. Toutefois, le juge doit vérifier qu’une telle ingérence ménage un juste équilibre entre les exigences de l’intérêt général et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux et, en particulier, qu’elle est proportionnée au but légitime poursuivi. Or, en dépit du délai de plus de vingt-cinq années séparant les deux actes, la mesure contestée porte une atteinte excessive aux droits des anciens propriétaires et de leurs ayants droits au regard du but légitime poursuivi. Dès lors, en rejetant la demande en paiement de dommages-intérêts formée eux, la cour d’appel a violé les stipulations de l’article 1er du premier Protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme (N° Lexbase : L1625A29).
[1] CE 6° et 1° ss-r., 17 mars 2010, n° 314114, n° 314476, n° 314463, n° 314477, n° 314581 (N° Lexbase : A7961ETZ), Rec. Tables, p. 672, BJCL, 2010, p. 170, concl. C. Roger-Lacan, obs. M. G., Constitutions, 2010, p. 433, obs. Y. Aguila, JCP éd. A, 2011, act. 239, JCP éd. G 210, 741, Nouv. Cah. Cons. const., 2010, p. 268, note A. Vidal-Naquet.
[2] CE 10° et 7° s-s-r., 26 février 1996, n° 142893 (N° Lexbase : A7623ANN) ; v. également CE 6° et 4° s-s-r., n° 242208, 19 mars 2003 (N° Lexbase : A6534BLL) ; CE 6° et 1° s-s-r., 10 janvier 2005, n° 265838 (N° Lexbase : A0079DGZ).
[3] L. Dutheillet de Lamothe, conclusions sur CE 6° et 5° ch.- r., 22 octobre 2018, n° 411086 (N° Lexbase : A0150YHZ).
[4] JO, 11 novembre 2014.
[5] CE 8° et 3° s-s-r., 26 septembre 2001, n° 220921 (N° Lexbase : A4461AW7).
[6] CE 4° et 1° s-s-r., 26 juin 1974, n° 87658 (N° Lexbase : A7990B8G).
[7] CE 10° et 7° s-s-r., 12 mai 1989, n° 81326, n° 81454 (N° Lexbase : A1987AQN).
[8] V. par ex. récemment Cass. civ. 3., 5 janvier 2017, n° 15-27.224, F-D (N° Lexbase : A4863S3I) ; Cass. civ. 3., 24 mai 2018, n° 17-16.376, F-D (N° Lexbase : A5405XPU).
[9] Cass. civ. 3., 5 octobre 1976, n° 75-70.362, publié au bulletin (N° Lexbase : A2236CGW), Bull. civ. III, 1976, n° 327.
[10] Cass. civ. 3, 8 mars 1995, n° 93-70.312 (N° Lexbase : A6391CPE), Dr. adm. 1995, comm. 356 ; Cass. civ. 3, 2 février 1999, n° 98-70.011, inédit (N° Lexbase : A1605CLZ), AJDI, 1999, p. 805, obs. A. Lévy ; Cass. civ. 3, 17 mars 1999, n° 97-70.190 (N° Lexbase : A7241CUQ), JCP éd. G, 1999, II, 10167, note A. Bernard ; Cass. civ. 3, 27 mai 1999, Epoux Delattre c/ Etat français, RD imm. 2000, p. 322, chron. C. Morel.
[11] Cass. civ. 3, 11 juillet 2001, n° 00-70.160 (N° Lexbase : A2474AU8), Bull. civ. III, 2001, n° 36, JCP éd. G, 2001, IV 2688, D. 2002, p. 511, note P. Carrias, AJDI, 2001, p. 900, note A. Lévy, Constr.-Urb., 2001, comm. 251, note I. Léon, Collectivités-Intercommunalité, 2001, comm. 255, note L. Erstein.
[12] Cass. civ. 3, 6 février 2002, n° 01-70.049, inédit au bulletin (N° Lexbase : A9238AXG), AJDI, 2002, p. 539, obs. C. Morel.
[13] Cons. const., décision n° 2013-325 QPC du 21 juin 2013 (N° Lexbase : A7983KGR).
[14] Ibid.
[15] Cass. civ. 3, 26 mars 2014, n° 13-13.670, FS-P+B+R (N° Lexbase : A2535MIQ), JCP éd. N, 2014, n° 15, act. 502, Bull. civ. III, n° 44.
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Réf. : Cons. const., décision du 24 mai 2019, n° 2019-784 QPC (N° Lexbase : A1991ZCQ)
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N9140BXS
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par Marie-Claire Sgarra
Le 05 Juin 2019
►L’article 182 B-I-c du Code général des impôts (N° Lexbase : L6045LMT) est conforme à la Constitution.
Telle est la solution retenue par le Conseil constitutionnel dans une décision du 24 mai 2019 (Cons. const., décision du 24 mai 2019, n° 2019-784 QPC N° Lexbase : A1991ZCQ).
Pour rappel, cet article prévoit que les montants payés en rémunération de prestations de toute nature fournies ou utilisées en France, par un débiteur y exerçant une activité, à une société qui n’a pas d’installation professionnelle permanente sur le territoire français, sont soumis à l’application d’une retenue à la source, au taux normal de l’impôt sur les sociétés en règle générale, ou, le cas échéant, à un taux réduit par le jeu des conventions. Pour le Conseil d’Etat (CE 9° et 10° ch.-r., 25 février 2019, n° 412497, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A9857YYQ), le fait que cette retenue soit applicable d’une part à un montant brut de rémunérations, et, d’autre part à une société y compris en situation déficitaire est susceptible de porter atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution.
Le Conseil constitutionnel devait se prononcer sur le fait de savoir si la retenue devait être calculée, comme c’est actuellement le cas, sur le montant brut des rémunérations versées au prestataire étranger ou, comme ce serait le cas pour un prestataire établi en France qui y est soumis à l’impôt sur les bénéfices, sur une assiette nette des charges supportées par le prestataire étranger.
Le Conseil juge qu’«en faisant peser l'imposition des revenus des personnes qui ne disposent pas d'installation professionnelle permanente en France sur les sommes qu'elles reçoivent en rémunération de leurs prestations, le législateur s'est fondé sur un critère objectif et rationnel en rapport avec l'objet de la loi et n'a pas institué une différence de traitement injustifiée». Par ailleurs, «la possibilité d'imputer la retenue à la source sur le montant de ces impôts, qui a pour objet d'éviter les doubles impositions et ne crée donc aucune différence de traitement, ne résulte, en tout état de cause, pas des dispositions contestées».
Cette décision peut surprendre car rappelons que la conformité de l’article 182 B du Code général des impôts a déjà été mise à mal par les juges du fond (CAA de Versailles, 15 novembre 2016, n° 15VE01251 N° Lexbase : A4928SID) (cf. le BoFip - Impôts annoté N° Lexbase : X8656AL8).
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Réf. : CE 2° et 7° ch.-r., 22 mai 2019, n° 414410, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A0385ZCA)
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par Yann Le Foll
Le 05 Juin 2019
► Est irrecevable tout recours pour excès de pouvoir dirigé contre une recommandation du Défenseur des droits. Telle est la solution dégagée par le Conseil d'Etat dans un arrêt rendu le 22 mai 2019 (CE 2° et 7° ch.-r., 22 mai 2019, n° 414410, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A0385ZCA).
Il résulte des articles 24 et 25 de la loi organique n° 2011-333 du 29 mars 2011, relative au Défenseur des droits (N° Lexbase : L8916IPW), que lorsqu'il émet des recommandations, le Défenseur des droits n'énonce pas des règles qui s'imposeraient aux personnes privées ou aux autorités publiques, mais recommande aux personnes concernées les mesures qui lui semblent de nature à remédier à tout fait ou à toute pratique qu'il estime être discriminatoire, ou à en prévenir le renouvellement.
Dès lors, ces recommandations, alors même qu'elles auraient une portée générale, ne constituent pas des décisions administratives susceptibles de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir. Il en est de même du refus de faire usage des pouvoirs que le Défenseur des droits tient de ces dispositions.
Par la décision en litige, le Défenseur des droits a recommandé au ministre des Affaires sociales et de la Santé de verser à l'une de ses collaboratrices une prime qu'il aurait indûment retenue en sa qualité de supérieur hiérarchique, de supprimer les mentions discriminatoires qu'il aurait portées sur les évaluations professionnelles de cette dernière, de mettre en place une enquête interne afin de déterminer s'il y a lieu d'engager une procédure disciplinaire à son encontre et de mettre en place des mesures pour assurer que l'agent victime ne subisse pas de représailles.
En estimant que cette recommandation ne constituait pas une décision administrative qui s'impose aux personnes concernées et susceptible comme telle de faire l'objet d'un recours en excès de pouvoir, la cour administrative d'appel n'a pas commis d'erreur de droit ni inexactement qualifié l'acte dont il était saisi.
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Réf. : Décret n° 2019-507, du 24 mai 2019, pris pour l'application des dispositions pénales de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice relatives à la procédure numérique, aux enquêtes et aux poursuites (N° Lexbase : L3554LQP)
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par June Perot
Le 05 Juin 2019
► A été publié au Journal officiel du 25 mai 2019 le décret n° 2019-507, du 24 mai 2019, pris pour l'application des dispositions pénales de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice (N° Lexbase : L6740LPC), relatives à la procédure numérique, aux enquêtes et aux poursuites (N° Lexbase : L3554LQP).
Plainte par voie électronique. Le décret prévoit les modalités selon lesquelles les victimes pourront déposer des plaintes en ligne, sans avoir besoin de se déplacer, conformément aux dispositions du nouvel article 15-3-1 de ce code (N° Lexbase : L7192LP3). Le décret précise l’information qui doit être donnée à la victime, notamment sur l’écran d’accueil du site sur lequel elle s’apprête à déposer sa plainte, selon laquelle elle conserve la possibilité de se déplacer au commissariat pour déposer physiquement sa plainte, qu’elle a la possibilité d’être entendue ultérieurement...La victime doit également être informée de ses droits prévus à l’article 10-2 (N° Lexbase : L7394LPK), des modalités de communications sur les suites données à sa plainte et recours éventuels. Un document énonçant ces différents droits est mis à disposition de la victime sous format imprimable, de même que le récépissé de sa plainte et la copie du PV de réception (cf. l’Ouvrage «Procédure pénale», Droits de la victime N° Lexbase : E0490E9Z).
Dossier de procédure numérique. Le décret précise les dispositions relatives au dossier de procédure numérique, prévu par la nouvelle rédaction de l'article 801-1 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L7445LPG), ainsi que les dispositions des articles 60-1 (N° Lexbase : L7424LPN) et 77-1-1 (N° Lexbase : L7423LPM) relatives aux réquisitions judiciaires prévoyant que les documents requis pourront être remis sous une forme numérique. Selon le décret, toute pièce de procédure, établie ou convertie sous format numérique en application du premier alinéa de l'article 801-1, peut être transmise ou consultée par les personnes autorisées selon les dispositions du présent code. La conservation et l'archivage de ce dossier et des pièces de procédure qui le constituent sont placés sous la responsabilité du ministère de la justice, sans préjudice des dispositions prévues par la loi ou le règlement applicables aux pièces dont restent détenteurs les services, unités ou personnes mentionnés au deuxième alinéa de l'article D. 589, nouveau.
Compétence territoriale et dossier individuel des OPJ. Le décret prévoit les dispositions relatives à la compétence territoriale et au dossier individuel des officiers de police judiciaire, afin de prendre en compte l'extension de compétence de ces officiers et la suppression de l'exigence de renouvellement des habilitations de ceux-ci, résultant de la loi du 23 mars 2019.
Garde à vue des majeurs protégés. Le décret précise qu’en cas de placement en garde à vue d’une personne majeure, l'officier ou l'agent de police judiciaire lui demande si elle fait l'objet d'une mesure de protection juridique, afin de mettre en œuvre s'il y a lieu les dispositions de l'article 706-112-1 (N° Lexbase : L7197LPA) et de l'article D. 47-14 (N° Lexbase : L4167IRR). Ce changement est opéré en raison de la déclaration d’inconstitutionnalité résultant de la décision du 14 septembre 2018 (Cons. const., décision n° 2018-730 QPC, du 14 septembre 2018 N° Lexbase : A3658X4A ; lire à ce sujet, J.-B. Perrier, La protection du majeur sous tutelle ou curatelle placé en garde à vue, Lexbase Pénal, novembre 2018 N° Lexbase : N6406BXK). Lorsque le tuteur, le curateur ou le mandataire spécial est avisé, le décret prévoit que celui-ci peut être informé : qu’il peut désigner un avocat ou demander qu'un avocat soit désigné par le bâtonnier ; qu'il peut demander que la personne soit examinée par un médecin. Une fois cette personne avisée, l’OPJ peut autoriser le gardé à vue à communiquer avec cette personne.
Amende forfaitaire en matière délictuelle. La procédure de l'amende forfaitaire est applicable aux délits pour lesquels la loi le prévoit, lorsque ces délits sont constatés par un procès-verbal électronique dressé au moyen d'un appareil sécurisé permettant le recours à une signature sous forme numérique conformément à l'article 801-1. La procédure d’amende forfaitaire a été étendue par la loi du 23 mars 2019 à de nouveaux délits comme l’usage de stupéfiants, l’offre de vente de boissons non autorisées, la vente aux mineurs de boissons alcooliques, la vente à la sauvette, le transport routier avec carte de conducteur non conforme…
Mineurs. Le décret précise enfin certaines règles de procédure concernant les mineurs afin d'achever la transposition de la Directive du Parlement européen et du Conseil du 11 mai 2016 relative à la mise en place de garanties procédurales en faveur des enfants qui sont des suspects ou des personnes poursuivies dans le cadre des procédures pénales (N° Lexbase : L1804K8C).
Le texte est entré en vigueur le 26 mai 2019, à l’exception de son article 2 qui entre en vigueur aux dates fixées par les arrêtés pris en application de l'article D. 8-2-1 du Code de procédure pénale dans sa rédaction résultant du présent décret, de ses articles 6, 8, 9 et 10 qui entrent en vigueur le 1er juin 2019 , et des points I, II, III et V de son article 7 qui entrent en vigueur le lendemain de la publication de l'arrêté mentionné à l'article 495-20 du Code de procédure pénale.
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Réf. : Loi n° 2019-485 du 22 mai 2019, visant à favoriser la reconnaissance des proches aidants (N° Lexbase : L3414LQI)
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N9136BXN
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par Laïla Bedja
Le 05 Juin 2019
► A été publiée au Journal officiel du 23 mai 2019, la loi n° 2019-485 du 22 mai 2019, visant à favoriser la reconnaissance des proches aidants (N° Lexbase : L3414LQI).
Le titre premier de cette loi a ainsi pour but de favoriser le recours au congé de proche aidant. Pour ce faire, les organisations liées par une convention de branche ou, à défaut, par des accords professionnels, se réunissent au moins une fois tous les quatre ans pour négocier «sur les mesures destinées à faciliter la conciliation entre la vie professionnelle et la vie personnelle des salariés proches aidants» (C. trav., art. L. 2241-1 N° Lexbase : L0339LMI).
Pour les agents publics civils et militaires, un prochain décret viendra fixer les conditions d’application relative à la négociation.
Le compte personnel de formation pourra notamment être abondé en application d’un accord d’entreprise ou de groupe, un accord de branche ou un accord conclu par les organisations syndicales de salariés et d'employeurs gestionnaires d'un opérateur de compétences, portant notamment sur la définition des formations éligibles et les salariés prioritaires, dont font partie les proches aidants (C. trav., art. L. 6323-14 N° Lexbase : L9832LLQ).
Un second titre est prévu afin de sécuriser les droits sociaux de l’aidant. L’article 4 de cette loi prévoit alors l’identification du proche aidant, ou d’une personne de confiance, dans un volet dédié du dossier médical partagé (DMP ; CSP, art. L. 1111-5 N° Lexbase : L9647KXL). Cette disposition entre en vigueur six mois après la publication de la loi, le 23 novembre 2019.
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Réf. : Cass. com., 22 mai 2019, n° 17-13.565, FS-P+B+R (N° Lexbase : A5918ZC8)
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N9146BXZ
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par Gözde Lalloz
Le 05 Juin 2019
► Il appartient aux juges de rechercher si la décision prise en amont par le conseil d’administration de la société-mère n'était pas contraire à l'intérêt social de ses filiales avant de constater que le refus de vote exprimé par les administrateurs d’une de ses filiales ne soit jugé comme un manquement à leur devoir de loyauté vis-à-vis de la société-mère.
Telle est la décision de la Chambre commerciale de la Cour de cassation dans un arrêt daté du 22 mai 2019 (Cass. com., 22 mai 2019, n° 17-13.565, FS+P-B-R N° Lexbase : A5918ZC8).
En principe, l’administrateur d’une société exerce librement son droit de vote dans l’intérêt de la société. Le devoir de loyauté auquel il est tenu à l’égard d’une société-mère l’oblige, lorsqu’une décision est votée par le conseil d’administration de cette dernière, à voter dans le même sens au sein du conseil d’administration de la filiale, sauf lorsque cette décision est contraire à l’intérêt social de cette filiale.
En l’espèce, les administrateurs d’une filiale s’étaient opposés à la nomination aux organes de direction de deux actionnaires majoritaires d’une autre filiale et ils s’étaient fait élire à leur place.
Invoquant un manquement de ces administrateurs à leur devoir de loyauté en leur qualité d’administrateurs de la filiale, la société les a assignés en paiement de dommages-intérêts.
La cour d’appel de Bordeaux dans son arrêt daté du 13 février 2017 a confirmé le caractère déloyal de ce comportement. vis-à-vis des décisions votées lors du conseil d'administration de la société-mère.
Or, ce devoir de loyauté trouve sa limite dans l’abus de droit. Et, c’est ce que rappelle la Cour de cassation dans sa décision datée du 22 mai 2019 en vertu de laquelle il appartenait aux juges de rechercher en amont si la décision prise par le conseil d’administration de la société-mère n'était pas contraire à l'intérêt social de ses filiales avant de se prononcer sur le manquement au devoir de loyauté (cf. l’Ouvrage «Droit des sociétés» N° Lexbase : E5176AD3).
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newsid:469146
Réf. : Décret n° 2019-514 du 24 mai 2019, fixant les seuils de désignation des commissaires aux comptes et les délais pour élaborer les normes d'exercice professionnel (N° Lexbase : L3628LQG)
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N9143BXW
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par Anne-Laure Blouet Patin
Le 05 Juin 2019
► A été publié au Journal officiel du 26 mai 2019, le décret du 24 mai 2019 fixant les seuils de désignation des commissaires aux comptes et les délais pour élaborer les normes d'exercice professionnel (décret n° 2019-514 du 24 mai 2019 N° Lexbase : L3628LQG).
Pris en application des articles 20 et 29 de la loi «PACTE» (loi n° 2019-486 du 22 mai 2019, relative à la croissance et la transformation des entreprises N° Lexbase : L3415LQK, et le numéro spécial afférant N° Lexbase : N9128BXD), ce texte fixe les seuils d'intervention des commissaires aux comptes dans les sociétés commerciales et l’encadrement du processus d'élaboration des normes d'exercice professionnel.
En effet, à la suite d'un rapport établi par l'inspection générale des finances sur la certification légale des petites entreprises françaises, le Gouvernement a inscrit dans la loi «PACTE», une harmonisation des seuils d'intervention des commissaires aux comptes quelle que soit la forme sociale de la société dont les comptes sont certifiés, et a annoncé un relèvement des seuils de certification dans les sociétés commerciales au niveau des seuils des petites entreprises figurant dans la Directive comptable 2013/34/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 (N° Lexbase : L9453IXE).
Désormais, les seuils de désignation obligatoire d’un commissaire aux comptes sont relevés ; le bilan passe de 1 500 000 euros à 4 000 000 d’euros, le chiffre d’affaires de 4 000 000 d’euros à 8 000 000 d’euros et les mêmes seuils sont applicables aux SA, SARL, SNC et SAS (cf. l’Ouvrage «Droit des sociétés» N° Lexbase : E6737ASC ; sur ce sujet lire également les observations de O. Salustro dans le cadre du numéro spécial loi «PACTE» N° Lexbase : N9142BXU).
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newsid:469143
Réf. : Cass. civ. 1, 22 mai 2019, n° 17-28.314, FS-P+B+I (N° Lexbase : A0307ZCD)
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N9130BXG
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par Anne-Lise Lonné-Clément
Le 05 Juin 2019
► Les tirages en bronze numérotés ne relèvent pas du droit de reproduction, de sorte qu’ils n’entrent pas dans le champ d’application de l’usufruit du droit d’exploitation dont bénéficie le conjoint survivant de l’auteur, en vertu de l’article L. 123-6 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L0305HPY).
Tel est l’apport d’un arrêt rendu le 22 mai 2019, par la première chambre civile de la Cour de cassation (Cass. civ. 1, 22 mai 2019, n° 17-28.314, FS-P+B+I N° Lexbase : A0307ZCD).
En l’espèce, un sculpteur était décédé en laissant pour lui succéder ses trois enfants issus d’un premier mariage, ainsi que sa seconde épouse ; reprochant notamment à cette dernière d’avoir vendu, sans leur accord préalable, des tirages en bronze posthumes numérotés et d’avoir fait réaliser des tirages à partir de modèles en plâtre non divulgués, les enfants l’avaient assignée en déchéance du droit d’usufruit spécial, dont elle était titulaire en application de l’article L. 123-6 du Code de la propriété intellectuelle, et en contrefaçon.
Pour dire que l’épouse survivante était en droit d’aliéner les tirages en bronze sans l’accord des nus-propriétaires, en ce qui concerne l’oeuvre divulguée, la cour d’appel avait retenu qu’en faisant un tirage et en le vendant, l’usufruitier ne faisait qu’exercer le droit d’exploitation qui lui était conféré par l’article L. 123-6 du Code de la propriété intellectuelle.
Le raisonnement est censuré par la Cour suprême qui, par un moyen relevé d’office, relève qu’aux termes de l’article L. 123-6 du Code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006, alors en vigueur, pendant l’année civile en cours et les soixante-dix années qui suivent le décès de l’auteur, le conjoint survivant, contre lequel n’existe pas un jugement passé en force de chose jugée de séparation de corps, bénéficie, quel que soit le régime matrimonial et indépendamment des droits qu’il tient des articles 756 (N° Lexbase : L3360AB3) à 757-3 et 764 (N° Lexbase : L3371ABH) à 766 du Code civil sur les autres biens de la succession, de l’usufruit du droit d’exploitation dont l’auteur n’aura pas disposé.
La Haute juridiction ajoute que, selon une jurisprudence constante (Cass. civ. 1, 18 mars 1986, n° 84-13.749 N° Lexbase : A3076AA8, Bull. civ. I, n° 71 ; Cass. civ. 1, 13 octobre 1993, n° 91-14.037 N° Lexbase : A3644ACX, Bull. civ. I, n° 285 ; Cass. civ. 1, 4 mai 2012, n° 11-10.763 N° Lexbase : A6673IKD, Bull. civ. I, n° 103), les épreuves en bronze à tirage limité coulées à partir du modèle en plâtre ou en terre cuite réalisé par le sculpteur personnellement doivent être considérées comme l’oeuvre elle-même émanant de la main de l’artiste ; en effet, par leur exécution même, ces supports matériels, dans lesquels l’oeuvre s’incorpore et qui en assurent la divulgation, portent l’empreinte de la personnalité de l’auteur ; que, dès lors, dans la limite de douze exemplaires, exemplaires numérotés et épreuves d’artiste confondus, ils constituent des exemplaires originaux et se distinguent d’une simple reproduction.
Il en résulte que les tirages en bronze numérotés ne relèvent pas du droit de reproduction, de sorte qu’ils n’entrent pas dans le champ d’application de l’usufruit du droit d’exploitation dont bénéficie le conjoint survivant.
Elle censure alors la décision de la cour d’appel, après avoir relevé que le droit d’usufruit spécial dont le conjoint survivant est titulaire ne s’étend pas aux exemplaires originaux.
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Réf. : CE référé, 21 mai 2019, n° 430122 (N° Lexbase : A0323ZCX)
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N9131BXH
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par Yann Le Foll
Le 05 Juin 2019
► La demande de suspension de l’arrêté prévoyant une augmentation des frais d’inscription pour les étudiants étrangers qui ne sont pas ressortissants d’un Etat membre de l’Union européenne est rejetée. Telle est la solution d’une ordonnance rendue par le Conseil d’Etat le 21 mai 2019 (CE référé, 21 mai 2019, n° 430122 N° Lexbase : A0323ZCX).
Le nouveau régime juridique institué par l’arrêté du 19 avril 2019, relatif aux droits d'inscription dans les établissements publics d'enseignement supérieur relevant du ministre chargé de l'Enseignement supérieur (N° Lexbase : L0179LQP), conduit à imposer, avec un certain nombre de dérogations, des mesures d’accompagnement et un dispositif transitoire, des droits d’inscription plus élevés aux étudiants étrangers ressortissants d’un Etat non membre de l’Union européenne qui viennent en France dans le seul but d’y poursuivre des études et qui sont, ainsi, placés dans une situation qui peut être regardée comme différente de celle des étrangers ayant vocation à résider durablement sur le territoire.
En outre, il n’est pas sérieusement contesté que les montants figurant dans le tableau 2 demeurent inférieurs au coût réel de la formation des intéressés. Dès lors, aucun des moyens invoqués (notamment le droit à un égal accès à la formation professionnelle indépendamment de l’origine de l’étudiant) n’est propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de l’arrêté contesté.
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N9166BXR
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par Juliette Mel, Avocat associé, Docteur en droit, Chargée d'enseignements à l'UPEC, Responsable de la Commission Marchés de Travaux de l'Ordre des avocats de Paris
Le 19 Décembre 2019
Lexbase Hebdo - édition privée inaugure un nouveau rendez-vous d'actualité, avec la chronique trimestrielle de droit de la promotion immobilière, de Juliette Mel, Avocat associé, Docteur en droit, Chargée d'enseignements à l'UPEC, Responsable de la Commission Marchés de Travaux de l'Ordre des avocats de Paris. Ce trimestre fait l’objet d’une actualité riche en raison, d’une part, de la publication de certaines des ordonnances prévues par la loi «ELAN» (loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 N° Lexbase : L8700LM8) et, d’autre part, des arrêts, parfois novateurs, parfois étonnants, rendus par la troisième chambre civile de la Cour de cassation.
I - La vente en l’état futur d’achèvement (VEFA)
1. Dans un arrêt rendu le 23 mai 2019 (Cass. civ. 3, 23 mai 2019, n° 18-14.212, FS-P+B+I N° Lexbase : A1915ZCW), la troisième chambre civile de la Cour de cassation s’est interrogée sur l’articulation/conciliation entre, d’une part, l’application du régime de la vente en l’état futur d’achèvement tant dans ses aspects impératifs que supplétifs prévus dans le secteur protégé et, d’autre part, la législation sur les clauses abusives. Dans cette affaire, une société civile immobilière de construction vente (SCICV) a vendu en l’état futur d’achèvement un appartement et deux boxes à des accédants à la propriété personnes physiques. Les biens sont livrés en retard. Les accédants assignent le promoteur en réparation de leurs préjudices, lequel leur oppose une clause de prolongation du délai de livraison prévoyant la justification, par le vendeur à l’acquéreur, par une lettre du maître d’œuvre, des causes légitimes de retard et une prorogation d’un temps égal au double de celui effectivement enregistré, en raison de leur répercussion sur l’organisation générale du chantier. La cour d’appel d’Aix-en-Provence, dans un arrêt rendu le 18 janvier 2018 (CA, Aix-en-provence, 18 janvier 2018, n° 15/19337 N° Lexbase : A7239XAD), a déclaré nulle et, en conséquence, de nul effet, cette clause au motif qu’elle était abusive. C’est au visa de l’article L. 212-1 du Code de la consommation (N° Lexbase : L3278K9B) que la Haute juridiction censure.
«Qu’en statuant ainsi, alors que la clause d’un contrat de vente en l’état futur d’achèvement conclu entre un professionnel et un non-professionnel ou consommateur qui stipule qu’en cas de cause légitime de suspension du délai de livraison du bien vendu, justifiée par le vendeur à l’acquéreur par une lettre du maître d’œuvre, la livraison du bien vendu sera retardée d’un temps égal au double de celui effectivement enregistré en raison de leur répercussion sur l’organisation générale du chantier n’a ni pour objet, ni pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties au contrat et, partant, n’est pas abusive.» |
Autrement dit, ce type de stipulation contractuelle est parfaitement valable et peut être opposé à l’accédant à la propriété, même consommateur, par le promoteur pour justifier, sans pouvoir être pénalisé donc, d’un retard dans la livraison des travaux.
Le délai d’édification de la construction est, à l’évidence, un élément essentiel du contrat de vente en l’état futur d’achèvement. Pourtant, la date de livraison du bien, au jour près, relève souvent de la divination de pouvoir stipuler, raison pour laquelle il n’est pas rare, pour ne pas dire fréquent, de voir les promoteurs s’engager sur des fins de trimestre ou semestre. Pour éviter d’être sanctionnés en cas de prolongation du délai de livraison, c’est-à-dire de retards, les promoteurs stipulent souvent des clauses dites de prolongation de délais qui viennent donc justifier, c’est-à-dire excuser, le retard. Si les conditions d’application de ces clauses sont remplies, le retard ne peut être dédommagé. Les clauses de prolongation de délais les plus fréquentes sont les clauses d’intempéries (Cass. civ. 3, 4 février 2016, n° 14-29.347, FS-P+B N° Lexbase : A3083PKE ; Cass. civ. 3, 6 mai 2015, n° 13-24.947, FS-P+B+I N° Lexbase : A5367NHA) comme en témoigne l’espèce commentée. Parallèlement à cela, s’applique potentiellement le droit de la consommation, dès lors que l’accédant à la propriété est un consommateur, c’est-à-dire un non-professionnel. Or, en application de l’article L. 212-1 du Code de la consommation, dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs, sont abusives les clauses ayant pour objet ou pour effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties au contrat. Il n’est donc pas rare de voir plaider le caractère abusif de ces clauses de prolongation de délais de livraison.
D’autant qu’à chaque fois, les juges doivent rechercher si la clause ne crée pas un déséquilibre significatif en faveur du vendeur. Tout semble donc affaire d’espèces et d’interprétations. Pas tant que cela puisque la Haute juridiction semble encline à considérer ces clauses comme non-abusives. A comprendre, elles ne créent pas un déséquilibre significatif entre les parties. Dans une affaire similaire, la Haute juridiction avait d’ailleurs reconnu la validité d’une clause qui renvoyait l’appréciation des jours d’intempéries à l’architecte (Cass. civ. 3, 24 octobre 2012, n° 11-17.800, FS-P+B N° Lexbase : A0464IW4), pour autant, naturellement, que l’accédant à la propriété soit régulièrement informé du retard dans la livraison de son bien (Cass. civ. 3, 29 mars 2018, n° 17-14.249, F-D N° Lexbase : A8620XI4). Le principe de validité d’une clause d’intempérie avait d’ailleurs fait l’objet d’un avis favorable de la commission des clauses abusives du 29 septembre 2016 (avis n°16-01).
2. Les branches du droit s’entre-mêlent et se concilient mais il est parfois bien difficile de deviner laquelle primera. L’arrêt rendu le 9 mai 2019 par la troisième chambre civile de la Cour de cassation (Cass. civ. 3, 9 mai 2019, n° 18-16.717, FS-P+B+I N° Lexbase : A0626ZBS) en est une nouvelle illustration. Il s’est agi, en l’espèce, d’articuler le droit de la copropriété avec celui de la vente d’immeuble en l’état futur d’achèvement. Les faits sont classiques. Une SCI fait édifier une résidence de tourisme soumise au régime de la copropriété suivant un état descriptif de division et un règlement de copropriété. Les lots sont vendus en l’état futur d’achèvement. En se fondant sur la notice descriptive annexée à l’acte de vente, le syndicat des copropriétaires (SDC) et le gestionnaire de la résidence agissent à l’encontre d’un accédant à la propriété en requalification des parties privatives en parties communes. La cour d’appel de Chambéry rejette leur demande dans un arrêt rendu le 6 mars 2018. Ils forment un pourvoi en cassation dont le moyen fondé sur la primauté de la notice descriptive sur le règlement de copropriété est rejeté.
«Mais attendu qu’ayant, par motifs propres et adoptés, retenu à bon droit que la notice descriptive, qui indique les caractéristiques techniques tant de l’immeuble lui-même que des travaux d’équipement intérieur ou extérieur indispensables à son implantation et à son utilisation, a pour rôle de déterminer les spécificités principales de la construction, la nature et la qualité des matériaux, sans pour autant définir les droits de l’acquéreur ni primer sur les dispositions claire du règlement et de l’état descriptif de division établissant le titre conventionnel de copropriété auquel les acquéreurs ont adhéré […]». |
La portée de la notice descriptive annexée à l’acte de vente en l’état futur d’achèvement s’en trouve réduite. En cas de contradiction avec le règlement de copropriété, ce dernier prime sur la notice descriptive. Difficile de le prédire. La notice descriptive du contrat de vente en l’état futur d’achèvement est un élément contractuel dont l’accédant à la propriété peut se prévaloir. La décision tient, sans doute, au fait que ce ne soit pas l’accédant à la propriété qui s’en prévale mais le SDC. Il reste que la motivation de la Haute juridiction ne convainc pas vraiment.
3. Articulation toujours mais cette fois-ci entre le contrat de réservation et l’acte de vente en l’état futur d’achèvement. La troisième chambre civile de la Cour de cassation, dans un arrêt rendu le 21 mars 2019 (Cass. civ. 3, 21 mars 2019, n° 18-11.707, FS-P+B+I N° Lexbase : A5067Y4G), a réitéré, avec force, sa jurisprudence concernant le caractère autonome du contrat de réservation par rapport au contrat de vente. Les faits de l’espèce sont également classiques. Un accédant à la propriété est démarché à son domicile pour acheter en l’état futur d’achèvement un appartement et un box de parking aux fins de défiscalisation. La conclusion du contrat est précédée de la signature d’un contrat de réservation. L’accédant sollicite la nullité des deux contrats au motif notamment que les règles relatives au démarchage à domicile n’auraient pas été respectées. La cour d’appel de Paris, dans un arrêt rendu le 22 décembre 2017 (CA Paris, 22 décembre 2017, n° 15/11684 N° Lexbase : A8918W8S), rejette la demande d’annulation des deux contrats. Un pourvoi est formé mais il est également rejeté sur ce moyen.
«Mais attendu que le contrat de réservation étant facultatif, sa nullité est sans incidence sur la validité de l’acte de vente». |
La Haute juridiction vient ainsi confirmer sa jurisprudence antérieure (Cass. civ. 3, 27 avril 2017, n° 16-15.519, FS-P+B N° Lexbase : A2602WBY ; Cass. civ. 3, 12 avril 2018, n° 17-13.118, FS-P+B+I N° Lexbase : A1473XL7). Le contrat de réservation est autonome du contrat de vente. Autrement dit, même si le contrat de réservation est nul, cela n’implique pas la nullité du contrat de vente. Ce principe d’autonomie est le corollaire du caractère facultatif du contrat de réservation. En effet, l’article L.261-15 du Code de la construction et de l’habitation (N° Lexbase : L0015LNU) n’offre aux parties qu’une simple faculté de faire précéder le contrat de VEFA d'un avant-contrat. Pour autant, la nullité du contrat de réservation ne paraît pas totalement sans incidence sur le contrat de vente, notamment lorsqu’il est conclu sous-condition suspensive d’obtention d’un prêt.
4. S’agissant de la condition suspensive d’obtention d’un prêt, la troisième chambre civile de la Cour de cassation revient, dans un arrêt rendu le 18 avril 2019 (Cass. civ. 3, 18 avril 2019, n° 16-17.984, F-D N° Lexbase : A5928Y9G), sur la caractérisation de la défaillance de la condition suspensive d’obtention d’un prêt et ses conséquences sur la somme mise en dépôt de garantie par le réservataire. En l’espèce, un contrat de réservation portant sur la vente en l’état futur d’achèvement de deux lots dans un immeuble est conclu. La vente était conditionnée à l’obtention d’un prêt dont la demande devait être justifiée dans les 15 jours à compter de la signature du contrat de réservation et la justification de l’obtention du prêt dans le délai de 45 jours. Le notaire, considérant la condition suspensive défaillante, a transmis le chèque au vendeur pour qu’il procède à son encaissement mais ce chèque était sans provision. La cour d’appel de Rennes, dans un arrêt rendu le 29 mars 2016 (CA Rennes, 29 mars 2016, n° 15/01667 N° Lexbase : A3980RAN), condamne l’accédant à la propriété à verser cette somme. La Haute juridiction censure.
«Qu’en statuant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si M.R. n’avait pas, dans les formes et les délais prévus au contrat, sollicité un financement qui lui avait été refusé et si la défaillance de la condition suspensive n’avait pas entraîné la caducité du contrat, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision». |
La décision mérite d’être saluée.
5. Difficile, enfin, de tenir cette chronique sans dire un mot de l’arrêt, largement commenté, rendu par la troisième chambre civile de la Cour de cassation le 7 mars 2019 (Cass. civ. 3, 7 mars 2019, n° 18-16.182, FS-P+B+I N° Lexbase : A7126YZX) sur la garantie des désordres apparents du vendeur en l’état futur d’achèvement. Dans cette espèce, une société a vendu à un accédant à la propriété une maison en l’état futur d’achèvement. Il est établi une liste de réserves dénonçant les vices de la construction et des défauts de conformités au nombre desquelles la position, à une hauteur excessive, des fenêtres des chambres. L’accédant assigne le promoteur pour réclamer l’exécution des travaux et une diminution du prix. La cour d’appel de Versailles, dans un arrêt rendu le 5 mars 2018, le condamne à verser la somme de 30 000 euros à l’acquéreur au titre de la diminution du prix de vente de l’immeuble. Le vendeur forme un pourvoi en cassation qui est rejeté.
«Mais attendu qu’ayant retenu, par motifs propres et adoptés, qu’il n’était pas démontré que le pavillon mitoyen proposé à M.T. en échange présentait les mêmes caractéristiques que la maison litigieuse et que, compte-tenu du caractère particulièrement manifeste du vice affectant les fenêtres résultant du choix architectural de privilégier l’esthétisme des façades plutôt que le confort de vie intérieur, il pouvait raisonnablement être douté de la fiabilité de la proposition de reprise du constructeur qui n’était ni pertinente ni opportune […]». |
La proposition de réparation des désordres apparents affectant l’immeuble doit être fiable, pertinente et opportune. La solution est inédite. L’article 1642-1 du Code civil (N° Lexbase : L8942IDK) dispose, en effet, qu’il n’y «a lieu à résolution du contrat ou à la diminution du prix si le vendeur s’oblige à réparer». Autrement dit, lorsque l’ouvrage est affecté d’un vice ou d’un défaut de conformité apparent, la réparation le dommage prend la forme soit d’une diminution du prix de vente soit d’une réparation en nature. Ce n’est pas l’application de ce principe qui est inédite. La Cour de cassation, en l’espèce, vient porter un jugement sur la qualité finalement de la réparation en nature. Elle invite les juges du fond à rechercher si elle est fiable, pertinente et opportune en se réservant un contrôle plein de motivation.
II - Le contrat de construction d’une maison individuelle (CCMI)
1. Les ordonnances et décrets d’application de la loi ELAN sont très attendus. L’une d’entre elles a été prise le 30 avril 2019 (ordonnance n° 2019-395 du 30 avril 2019 N° Lexbase : L1031LQA) sur l’adaptation du contrat de construction de maison individuelle avec fourniture de plan dans le cadre de la préfabrication.
«L'article L. 231-2 est ainsi modifié : |
Les règles applicables au contrat de construction de maison individuelle avec fourniture de plan dont notamment celles relatives à l’échéancier de paiement sont apparues inadaptées aux spécificités des constructions préfabriquées. L’échéancier de paiement qui a été conçu, à l’origine, pour une construction progressive sur le chantier n’est, en effet, pas adapté à la préfabrication, ce qui peut mettre en difficulté le constructeur. Il est ainsi notamment précisé :
- au nombre des clauses réputées non-écrites dans un CCMI avec fourniture de plan, l’ordonnance ajoute celles qui auront pour objet ou pour effet d’interdire au maître d’ouvrage de constater l’achèvement et la bonne exécution des éléments préfabriqués.
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