La lettre juridique n°784 du 23 mai 2019

La lettre juridique - Édition n°784

Éditorial

[A la une] Publication de la loi «PACTE» au Journal officiel

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N9128BXD

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par Bruno Le Maire, Ministre de l’Economie et des Finances

Le 24 Mai 2019

Le Conseil constitutionnel [1] a validé fin mai l’intégralité des grandes mesures contenues dans la loi «PACTE» (loi n° 2019-486 du 22 mai 2019, relative à la croissance et la transformation des entreprises N° Lexbase : L3415LQK).

Cette décision des Sages vient conclure un travail de deux ans pour élaborer, affiner et valider ce texte majeur pour notre économie et pour les Français. Il est le fruit de consultations partout en France d’entrepreneurs, de salariés, d’associations, de fédérations professionnelles. Ils nous ont fait des propositions, que nous avons soumises au vote des Français.

 

Les grandes orientations de la loi répondent ainsi à trois préoccupations majeures exprimées aussi bien par nos entreprises que par nos concitoyens : efficacité, justice et clarification.

La loi «PACTE» est d’abord un texte d’efficacité. L’efficacité consiste à lever tous les obstacles qui freinent aujourd’hui la croissance et le développement de nos entreprises.

 

Le constat est unanime : nos entreprises sont encore trop petites. La France compte 5 800 entreprises de taille intermédiaire quand elles sont 12 500 en Allemagne. Nos PME font face à des blocages à toutes les étapes de leur développement, qu’ils soient administratifs, financiers, techniques ou culturels. Leur accumulation empêche nos entreprises de se développer, d’être compétitives, d’exporter, de créer les emplois et d’apporter la prospérité dont les Français ont besoin. Ces blocages devaient être levés.

 

Le premier blocage à la croissance des entreprises est bien connu : ce sont les seuils sociaux et fiscaux. Avant la loi «PACTE», on comptait 49 niveaux de seuils, 199 obligations, 4 modes de calculs et aucun délai d’adaptation aux nouvelles règles. Ces niveaux vont maintenant être ramenés au nombre de trois : 11, 50, 250. Notre texte supprime notamment le seuil de 20 salariés, à l’exception des obligations liées aux travailleurs handicapés. Le mode de calcul est par ailleurs unifié et nous instaurons un délai d’adaptation de 5 ans.

Les seuils ne sont cependant pas le seul obstacle à la croissance des entreprises : des barrières existent à toutes les étapes de leur vie. Les créateurs d’entreprises se perdent dans des démarches administratives trop lourdes. La transmission est également trop complexe, alors que près de la moitié des patrons de PME ont plus de 60 ans. Nous avons donc apporté des simplifications majeures à la création, en créant une plateforme unique pour la création d’entreprises, au financement, en développant le PEA-PME, ou à la transmission en assouplissant le «pacte Dutreil».

Enfin, la croissance de nos entreprises repose sur leur capacité d’innovation. Nous donnons donc à toutes les entreprises les moyens d’innover et les cadres adéquats pour expérimenter. Nous avons développé un cadre réglementaire pionnier pour les levées de fonds en jetons. Nous avons également établi de nouvelles règles pour renforcer les ponts entre la recherche publique et l’entreprise : un fonctionnaire-chercheur pourra maintenant dédier jusqu’à 50 % de son temps à l’entreprise pour laquelle il travaille ou pour l’entreprise qu’il a fondée. Surtout, il pourra désormais conserver les parts au capital de son entreprise. 

 

La loi «PACTE» est aussi un texte de justice. 

 

La première demande de justice est que le travail paye. Les salariés doivent être mieux associés à la réussite de leurs entreprises et pouvoir récolter les fruits de leurs succès. C’est tout le sens de la suppression du forfait social dans les entreprises de moins de 250 salariés et sur la participation dans les entreprises de moins de 50 salariés, que nous avons votée dans le cadre du «PLFSS» [2]. Cette disposition trouve son prolongement dans les nombreuses mesures favorables au développement de l’épargne salariale et au partage de la valeur dans la loi «PACTE».

 

La loi «PACTE» redonnera également la voix aux salariés avec la modification de la composition du conseil d’administration. Les salariés auront davantage leur place, avec le développement de l’actionnariat salarié qui doit associer les salariés dans le capital de l’entreprise, avec l’incitation à la reprise d’entreprise par les salariés afin de poursuivre la vie d’une entreprise en difficulté.

 

Enfin, la justice demande de mieux protéger ceux qui travaillent et de lutter pour l’égalité femmes-hommes dans les revenus, les carrières et les responsabilités. La loi «PACTE» renforce ainsi la parité dans les procédures de recrutement des administrateurs. Elle remédie également à la faiblesse actuelle du statut de conjoint collaborateur pour les indépendants, qu’ils soient artisans, commerçants ou de professions libérales. Un quart des indépendants travaillent avec leur conjoint, à temps partiel ou à temps complet. Or près d’un tiers de ces conjoints, qui sont majoritairement des femmes, travaillent et ne sont pas protégés.

 

Enfin, la loi «PACTE» est un texte de clarification sur le rôle respectif des entreprises et de l’Etat dans la société et l’économie française.

 

Le rôle de l’entreprise ne peut plus se limiter à la création de profits. Le profit est une condition nécessaire mais désormais insuffisante du rôle de l’entreprise dans la société. L’entreprise participe à l’amélioration de la qualité de vie, à l’amélioration de notre environnement, à l’insertion dans la vie active des plus faibles. Elle peut donner à ceux qui sont en situation de handicap la possibilité de travailler et de développer leurs talents. Elle se bat pour l’égalité femmes-hommes et pour l’intégration. L’entreprise a un rôle social et une raison d’être qui dépasse le profit.

 

Il était donc nécessaire de le reconnaître en réécrivant les articles 1833 et 1835 du Code civil. En modifiant l’article 1833, nous avons consacré la notion jurisprudentielle d’intérêt social pour affirmer la nécessité de prendre en considération les enjeux sociaux et environnementaux dans l’activité d’une entreprise. L’article 1835, quant à lui, reconnait la possibilité pour les sociétés qui le souhaitent de se doter d’une raison d’être dans leur statut. Ce n’est pas une obligation, ni une nouvelle contrainte, mais un choix qui consacrera les engagements pris par de nombreuses entreprises au titre de la responsabilité sociale et environnementale.

 

Le rôle de l’Etat mérite lui aussi d’être clarifié. Je suis convaincu que l’Etat a un rôle à jouer dans l’économie mais il doit être redéfini en profondeur. L’Etat a le mauvais rôle dans l’économie quand il exerce des activités commerciales en lieu et place d’un entrepreneur privé. En revanche, il a le bon rôle quand il fait respecter l’ordre public économique, quand il protège contre des investissements agressifs qui menacent notre souveraineté et quand il investit dans les technologies qui feront la croissance et les emplois de demain.

 

La privatisation du groupe Aéroports de Paris et de la Française des Jeux s’inscrit dans cette nouvelle doctrine de l’Etat actionnaire qui doit dégager de nouvelles marges de manœuvre pour financer l’innovation et le développement des technologies fondamentales pour le XXIème siècle : l’intelligence artificielle, le stockage de l’énergie ou les biotechnologies. La France manquait d’ambition technologique parce qu’elle manquait d’une stratégie claire pour l’Etat actionnaire. Cette stratégie est désormais définie dans la loi «PACTE». Elle se résume en une phrase simple : le rôle de l’Etat n’est pas d’immobiliser du capital dans des activités matures, mais d’investir pour financer les innovations de rupture.

Le texte voté définitivement le 11 avril 2019 et publié au Journal officiel le 23 mai 2019 doit maintenant être utilisé par tous. Nous devons faire la pédagogie des mesures de la loi «PACTE» pour qu’elles deviennent pleinement effectives et puissent ainsi produire rapidement des résultats pour les entreprises et les Français. Cet effort de pédagogie est un enjeu collectif : il devra être mené par les administrations, les associations, par les entreprises elles-mêmes mais aussi par les professionnels du droit, qui ont un rôle déterminant à jouer.

 

[1] Cons. const., décision n° 2019-781 DC, du 16 mai 2019 (N° Lexbase : A4734ZBX).

[2] Loi n° 2018-1203 du 22 décembre 2018, de financement de la Sécurité sociale pour 2019 (N° Lexbase : L5466LNR).

 

 

Sommaire de la revue Lexbase Affaires n° 595 du 23 mai 2019

Numéro Spécial Loi «PACTE»

 

Droit des affaires

[Textes] Santé des entreprises : les multiples dangers de la loi «PACTE»

Par Olivier Salustro, Président de la Compagnie régionale des commissaires aux comptes de Paris et président du collectif CAC en Mouvement

► Droit bancaire

[Textes] Loi «PACTE» : la réforme de la Caisse des dépôts et consignations

Par Jérôme Lasserre Capdeville, Maître de conférences - HDR, Université de Strasbourg

 

[Textes] Loi «PACTE» : abrogation de l’ordonnance du 1er juin 2017, relative aux clauses de domiciliation des revenus prévues dans les contrats de crédit immobilier

Par Nicolas Eréséo, Maître de conférences à l’Université de Strasbourg

► Droit commercial 

[Textes] Loi «PACTE» : la création et l’exercice de l’activité des entrepreneurs individuels «facilités»

Par Vincent Téchené, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition affaires

► Droit financier

[Textes] La réglementation des initial coin offerings (ICO) en France par la loi «PACTE»

Par Hubert de Vauplane et Victor Charpiat, avocats, Kramer Levin LLP

► Droit des entreprises en difficulté

[Textes] La loi «PACTE» et le livre VI du Code de commerce

Par Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université Côte d'Azur, Directeur du Master 2 Administration et liquidation des entreprises en difficulté de la Faculté de droit de Nice, Membre CERDP (EA 1201), Avocat au barreau de Nice

► Droit de la propriété intellectuelle

[Textes] Loi «PACTE» et droits de propriété industrielle : vers un changement de paradigme ?

Par Yann Basire, Maître de conférences au CEIPI, Directeur de la section française du CEIPI

► Droit des sociétés

[Textes] Loi «PACTE» et droit des sociétés : RSE et raison d’être (art. 169), société à mission (art. 176) et contrat de partage de plus-value (art. 162)

Par Bastien Brignon, Maître de conférences HDR à l’Université d’Aix-Marseille, Membre du Centre de droit économique (EA 4224) et de l’Institut de droit des affaires (IDA), Directeur du Master professionnel Ingénierie des sociétés

 

[Textes] Loi «PACTE» : libéralisation des règles applicables aux actions et au capital

Par Gabriel Flandin, Avocat à la Cour, Willkie Farr & Gallagher LLP et Hugo Nocerino, Avocat à la Cour, Willkie Farr & Gallagher LLP

 

[Textes] Loi «PACTE» et gouvernance : brèves observations

Par Véronique Bruneau Bayard, avocat, CMS Francis Lefebvre Avocats

 

Directeur scientifique :
Bernard Saintourens, 
Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux

Rédacteur en chef :
Vincent Téchené

 

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Bancaire

[Textes] Loi «PACTE» : la réforme de la Caisse des dépôts et consignations

Réf. : Loi n° 2019-486 du 22 mai 2019, relative à la croissance et la transformation des entreprises (N° Lexbase : L3415LQK)

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N8982BXX

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par Jérôme Lasserre Capdeville, Maître de conférences - HDR, Université de Strasbourg

Le 23 Mai 2019

1. Créée en 1816, la Caisse des dépôts et consignations (CDC) s'était vu attribuer pour missions la réception et la gestion des dépôts légaux et des consignations et le soutien des cours de la rente de l'Etat sur le marché boursier. Par la suite, le législateur lui a confié la gestion des fonds collectés par les Caisses d'épargne. La CDC a conservé ces missions initiales tout en diversifiant ses activités.

 

2. Aujourd’hui, la Caisse des dépôts et consignations est qualifiée, par l’article L. 518-2 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L2603IBZ), d’«établissement spécial chargé d'administrer les dépôts et les consignations, d'assurer les services relatifs aux caisses ou aux fonds dont la gestion lui a été confiée et d'exercer les autres attributions de même nature qui lui sont légalement déléguées» [1]. D’autres missions lui sont attribuées par le même article. Elle fait partie, à l’instar du Trésor public, de la Banque de France, de l’institut d’émission des départements d’outre-mer et de l’institut d’émission d’outre-mer, de la catégorie des «établissements et services autorisés à effectuer des opérations de banque» [2].

 

3. Ainsi, en matière bancaire, on rappellera qu’elle a notamment pour fonction de centraliser, transformer et gérer les dépôts réglementés (Livret A, Livret de développement durable et solidaire, etc.) en faveur de programmes d’intérêt général, mais aussi de recevoir les dépôts et avoirs inscrits sur des comptes inactifs [3]. C’est aussi le «banquier» de clients institutionnels, puisqu’elle propose des comptes et des instruments de paiement aux organismes de logement social, aux entreprises publiques locales, ou encore à certaines fondations et associations [4].

 

4. La CDC présente une structure de gouvernance particulière. Elle est ainsi administrée par un directeur général [5], actuellement M. Eric Lombard, et a comme organe délibérant une commission de surveillance [6].

 

5. Or, la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019, relative à la croissance et la transformation des entreprises, vient modifier l’état du droit applicable à la Caisse des dépôts et consignations [7] par ses articles 107 à 116 figurants dans une sous-section 2 annonçant clairement les objectifs du législateur : «Moderniser la gouvernance de la Caisse des dépôts et consignations pour améliorer ses actions en faveur des territoires» [8].

 

6. Ceux-ci sont alors à l’origine d’évolutions notables intéressant les missions de la CDC (I), sa gouvernance (II), son cadre comptable (III) et sa supervision (IV). Nous reprendrons ici l’ensemble de ces points [9].

 

I - Les évolutions intéressant les missions de la CDC

 

7. Les missions de la Caisse des dépôts font l’objet de peu de bouleversements. Toutefois, l’article 114 vient conforter et mieux encadrer la mission de mandataire que la Caisse des dépôts et consignations assure pour le compte de plusieurs personnes publiques.

 

8. Observons cet article. Il vient créer un paragraphe dédié aux «mandats de gestion» et y insère une seule disposition : le nouvel article L. 518-24-1. Ses trois alinéas permettent de préciser le cadre juridique au sein duquel la CDC peut se voir confier par des personnes publiques (l’Etat, les établissements publics mais également les collectivités territoriales) la gestion de leurs fonds et mener les opérations qui y sont relatives.

 

9. D’une part, il est rappelé, par son alinéa 1er, que la CDC peut, après autorisation des ministres chargés de l’Economie et du Budget et par convention écrite (donc des conditions cumulatives) se voir confier mandat par l’Etat, ses établissements publics, les groupements d’intérêt public et les autorités publiques indépendants «d’encaisser des recettes ou de payer des dépenses et d’agir en justice au nom et pour le compte du mandant». Il est alors précisé que le mandat en question doit prévoir une reddition au moins annuelle des comptes. Un décret doit cependant encore définir les conditions d’application de ce régime légal.

 

10. D’autre part, le second alinéa de l’article L. 518-24-1 rappelle que la CDC peut également se voir confier un certain nombre d’opérations visées par l’article L. 1611-7, II, du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L1112ALR), comme par exemple l’attribution et le paiement des dépenses relatives aux bourses d’action sanitaire et sociale. De même, il peut lui être confié le paiement de dépenses et l’encaissement de recettes pour les besoins de la gestion des fonds qui, à la date de publication de la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises, «lui ont été confiés par les collectivités territoriales et leurs établissements publics», en application de l’article L. 518-2 du Code monétaire et financier.

 

11. Enfin, la gestion des fonds qui donnent lieu à l’encaissement de recettes ou au paiement de dépenses doit être rendu conforme aux exigences posées par les deux premiers alinéas de l’article L. 518-24-1, «lors du renouvellement des conventions de gestion et au plus tard le 31 décembre 2022».

 

II - Les évolutions intéressant la gouvernance de la CDC

 

12. La loi étudiée est à l’origine de modifications notable à l’égard des organes de la CDC [10]. Si quelques nouveautés sont à relever concernant son directeur général (B), force est de constater que les évolutions les plus importantes s’adressent à la commission de surveillance de la Caisse (A).

 

A - Les modifications relatives à la commission de surveillance

 

13. Les modifications concernent tant sa composition () que ses compétences (). Dans les deux cas, nous assistons à un élargissement très net.

 

1°) La composition de la commission de surveillance

 

14. Cela a été noté [11], la Caisse de dépôts et consignations a pour organe délibérant une commission de surveillance. Sa composition est précisée par l’article L. 518-4 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L2830IBG). Nous y trouvons, aujourd’hui, 13 membres dont la qualité est expressément prévue par la disposition légale en question.

 

15. Or, l’article 107 de la loi prévoit de moderniser cette composition. Ainsi le nombre de membres doit être porté à 16 et les qualités des intéressés tend quelque peu à changer.

 

16. Plusieurs observations s’imposent. D’abord, l’article élargit aux commissions des affaires économiques de l’Assemblée nationale et du Sénat la capacité de désigner des parlementaires au sein de la commission de surveillance. De plus, dix membres de la commission sur les seize seront alors issus d’un choix de l’Assemblée nationale ou du Sénat. La prééminence du Parlement dans la composition de cet organe sera donc préservée. Ensuite, le nombre des membres désignés pour leur compétence dans certains domaines passera de trois à huit. A l’inverse, il n’y aura plus membre du Conseil d'Etat, de la Cour des comptes et de la Banque de France. En outre, des représentants du personnel de la CDC seront présents. Ces dispositions alors permettent d’élargir le «vivier» au sein duquel seront choisis les membres de la Commission de surveillance et de diversifier leur profil afin de mieux correspondre à la diversité des missions de la CDC.

 

17. L’article prend logiquement soin de préciser que la proportion des commissaires surveillants de chaque sexe ne pourra être inférieure à 40 % [12].

 

2°) Les compétences de la commission de surveillance

 

18. Observons l’actuel article L. 518-7 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L4321I78). Certes, il prévoit que la commission de surveillance est chargée de surveiller la Caisse des dépôts et consignations. Cependant, il dispose également que cette commission est saisie pour avis, au moins une fois par an, sur différents points : les orientations stratégiques de l'établissement public et de ses filiales ; la mise en œuvre des missions d'intérêt général de la CDC ; la définition de la stratégie d'investissement de l'établissement public et de ses filiales, etc.. Ses pouvoirs sont donc, aujourd’hui, essentiellement d’ordre consultatif.

 

19. Or, la loi renforce, par son article 108, le pouvoir délibératif de la commission de surveillance sur les grandes décisions ayant trait à la gouvernance de l’établissement. Là où elle est aujourd’hui simplement saisie pour avis, elle pourra demain délibérer «au moins quatre fois par ans». Il en ira ainsi pour les orientations stratégiques et le plan moyen terme, la mise en œuvre des missions d’intérêt général, et la définition de la stratégie d’investissement.

 

20. La commission de surveillance sera également formellement chargée d’adopter, sur proposition du directeur général, le budget de l’établissement public et ses modifications successives, qui seront soumis à l’approbation du ministre chargé de l’Economie. Elle approuvera les comptes sociaux et consolidés ainsi que leurs annexes préalablement arrêtés par le directeur général et elle examinera les comptes prévisionnels que ce dernier élaborera. Elle délibèrera encore sur la «stratégie et l’appétence en matière de risques». Elle fixera le besoin de fonds propres et de liquidité adaptés au risque, en se référant à̀ un modèle prudentiel qu’elle déterminera. D’autres pouvoirs sont encore envisagés par l’article L. 518-7 modifié.

 

21. La commission de surveillance de la CDC voit donc sa mission de surveillance se renforcer très nettement. Ces pouvoirs seront bientôt ceux d’un organe délibérant de droit commun [13]. D’ailleurs, pour que ces pouvoirs puissent être correctement mis en œuvre, le nouvel article L. 518-9 prévoit que la commission de surveillance sera en droit d’opérer les vérifications et les contrôles utiles à sa mission, mais aussi de se faire communiquer tous les documents qu’elle estimera nécessaires. Elle pourra également adresser au directeur général des observations et avis [14].

 

B - Les modifications relatives au directeur général

 

22. Selon l’article L. 518-11 (N° Lexbase : L9676DYZ), la Caisse des dépôts et consignations est dirigée et administrée par un directeur général nommé pour cinq ans par décret du président de la République pris en Conseil des ministres[15]. Pour l’article L. 518-12, il est responsable de la gestion des fonds et valeurs de la CDC. Il doit ainsi présenter avant la fin de l’année à la commission de surveillance le budget de l’année suivante.

 

23. Or, l’article 109 de la loi reconnait à ce directeur général des prérogatives nouvelles ce qui traduit, là encore, une volonté de modernisation et de normalisation du fonctionnement interne de la CDC.

 

24. D’une part, est ajouté un nouvel alinéa à l’article L. 518-11 prévoyant que le directeur général pourra désigner un ou plusieurs directeurs délégués, à qui il pourra déléguer une partie de ses pouvoirs, pour l’assister dans ses fonctions de direction. Il bénéficiera alors d’une plus grande autonomie dans la nomination des cadres dirigeants. D’autres part, l’article L. 518-12 est modifié pour prévoir que ce directeur général mettra en œuvre les orientations approuvées par la commission de surveillance, «notamment en matière de contrôle interne et de gestion des risques». Enfin, au moins une fois par an, il sera entendu sur la politique d’intervention de la CDC par les commissions permanentes chargées des finances et des affaires économiques qui, dans chaque assemblée, pourront être réunies à cet effet.

 

III - Les évolutions intéressant le cadre comptable de la CDC

 

25. A l’heure actuelle, l’article L. 518-13 (N° Lexbase : L9678DY4) prévoit que le caissier général est responsable du maniement des fonds. Il est ainsi notamment chargé «de la recette, du paiement des dépenses, de la garde et de la conservation des valeurs» [16].

 

26. Or, la loi procède ici, par son article 110, à une importante évolution. Suivant les recommandations de la Cour des comptes, est non seulement prévu la suppression de la caisse générale mais aussi l’application à la CDC, pour sa gestion comptable, des règles de la comptabilité commerciale. L’article L. 518-15 (N° Lexbase : L9680DY8), qui prévoit aujourd’hui que le contrôle sur la Caisse des dépôts et consignations par la Cour des comptes est effectué dans le cadre de l’article L. 131-3 du Code des juridictions financières (N° Lexbase : L1368ADZ), est également abrogé. Les dispositions relatives au contrôle juridictionnel exercé par la Cour des comptes ne s’appliqueront donc plus à l’égard de la CDC dans le cadre de l’article précité [17].

 

27. Les dispositions relatives aux prérogatives des commissaires aux comptes font également l’objet, par l’article 111, d’un alignement avec les meilleures pratiques en matière de gouvernance d’entreprise. Ainsi, l’ancien article L. 518-15-1 (N° Lexbase : L2575IBY), qui deviendra l’article L. 518-15, est complété d’un nouvel alinéa prévoyant que «les commissaires aux comptes sont convoqués à toutes les réunions de la commission de surveillance au cours desquelles sont examinées les comptes annuels ou intermédiaires».

 

28. Le législateur cherche donc, par ses articles 110 et 111, à moderniser le cadre comptable de la CDC, afin de le rapprocher ici encore du «droit commun» des sociétés.

 

IV - Les évolutions intéressant la supervision de la CDC par l’ACPR

 

29. L’article 112 de la loi étudiée soumet la Caisse des dépôts et consignation au contrôle de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), c’est-à-dire le «gendarme» des secteurs de la banque et de l’assurance [18].

 

30. Alors certes, l’actuel article L. 518-15-3 (N° Lexbase : L4919I3L) prévoit déjà cela, mais uniquement pour le contrôle « des seules activités bancaires et financières, dont celles mentionnées à l'article L. 312-20 (N° Lexbase : L4877I3Z) du présent code, à l'article L. 132-27-2 du Code des assurances (N° Lexbase : L4880I37) et à l'article L. 223-25-4 du Code de la mutualité (N° Lexbase : L4896I3Q)», et ce dans les conditions prévues aux articles L. 612-17 (N° Lexbase : L9535IYS), L. 612-23 (N° Lexbase : L1836K77) à L. 612-27 et L. 612-44 (N° Lexbase : L0402LGY) du code. Il ne s’agit alors que d’une supervision limitée : le contrôle est avant tout assuré par la commission de surveillance de la CDC elle-même. Il s’agit alors d’un système original remontant à la création napoléonienne de la Caisse.

 

31. La solution envisagée par la réforme attire donc l’attention. En effet, le nouvel article L. 518-15-2 (qui succédera à l’actuel article L. 518-15-3) disposera bientôt que : «L’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution contrôle, dans les conditions prévues aux articles L. 612-17, L. 612-23 à L. 612-27 et L. 612-44, que les activités bancaires et financières exercées par la Caisse des dépôts et consignations, dont celles mentionnées à l’article L. 312-20 du présent code, à l’article L. 132-27-2 du Code des assurances et à l’article L. 223-25-4 du Code de la mutualité, respectent les règles mentionnées à l’article L. 518-15-1 du présent code».

 

32. Cette évolution est rendue nécessaire par le renforcement observé précédemment des compétences de la commission de surveillance comme organe délibérant, celle-ci ne pouvant à la fois se prononcer sur la stratégie et la gestion de l’établissement et en assurer la supervision prudentielle. En outre, la supervision de la CDC par une autorité indépendante est de nature à renforcer la protection des fonds gérés par la CDC et à procurer des garanties accrues quant à la solidité du modèle économique de l’établissement.

 

33. Quelques précisions utiles sont alors prévues dans le nouvel article L. 518-15-2 pour adapter les pouvoirs de l’ACPR aux spécificités de la CDC. Tout d’abord, l’Autorité pourra adresser à̀ la Caisse «des recommandations ou des injonctions mentionnées aux I et II de l’article L. 511-41-3, adaptées aux règles qui lui sont applicables mentionnées à l’article L. 518-15-1». De même, elle sera en droit de «prononcer à son encontre les mises en demeure prévues à l’article L. 612-31 (N° Lexbase : L9462IXQ)». Surtout, elle pourra lui infliger, «compte tenu de la gravité des manquements, une sanction pécuniaire au plus égale à cent millions d’euros ou à̀ 10 % du chiffre d’affaires annuel net». Dans tous les cas, lorsque l’ACPR adressera ainsi des recommandations, injonctions ou mises en demeure à la CDC ou prononcera des sanctions à son encontre, elle en informera préalablement la commission de surveillance de la Caisse et recueillera, le cas échéant, son avis [19].

 

34. On notera, néanmoins, que l’exercice du contrôle prudentiel de l’ACPR restera ici effectué dans un cadre juridique élaboré au niveau national, prenant en considération la spécificité du modèle économique de la CDC. A cet égard, la CDC, qui est explicitement exclue du champ d’application du cadre réglementaire prudentiel européen, ne sera pas soumise à la supervision de la BCE.

 

 

35. La loi n° 2019-486 du 22 mai 2019, relative à la croissance et la transformation des entreprises, aura des conséquences très nettes pour la Caisse des dépôts et consignations. Les évolutions peuvent ainsi être qualifiées d’importantes, et notamment le renforcement des pouvoirs de la commission de surveillance de la CDC ou encore l’élargissement des pouvoirs de supervision de l’ACPR à son égard.

 

36. L’article 116 précise alors utilement le calendrier d’application de plusieurs des nouveautés précitées, plus particulièrement pour assurer une transition progressive vers les nouvelles modalités de gouvernance. Prenons le cas de la composition la commission de surveillance de la CDC. Si l’introduction des représentants des salariés au sein de la Commission de surveillance pourra entrer en vigueur dès la promulgation de la loi, il est proposé de prévoir un délai d’entrée en vigueur, fixé au 1er janvier 2020, pour la nomination des personnalités qualifiées qui viendront se substituer aux membres actuels de la commission de surveillance issus de la Cour des comptes, du Conseil d’Etat et de la Banque de France. Les autres catégories de membres de la commission de surveillance et en particulier les parlementaires demeureront, quant à eux, en fonction jusqu’au terme de leur mandat actuel de trois ans.

 

37. S’agissant, par ailleurs, de l’évolution du cadre comptable et prudentiel de la CDC détaillée aux articles 110 à 113 et 115 de la loi, il est prévu de rendre ces dispositions applicables au 1er janvier 2020. L’idée est ici de poursuivre dans le cadre juridique actuel l’exécution de l’exercice comptable en cours.

 

 

[1] C. mon. fin., art. L. 518-2, al. 2 (N° Lexbase : L2603IBZ). Elle est aussi à la tête d’un groupe de filales dont les activités sont très diverses : logement, équipement du territoire, coopération internationale et tourisme social. Sur ce point, le même article L. 518-2 déclare, à son alinéa 1er, que «la Caisse des dépôts et consignations et ses filiales constituent un groupe public au service de l’intérêt général et du développement économique du pays».

[2] C. mon. fin., art. L. 518-1 (N° Lexbase : L0614IH9). Sur ces organismes, Th. Bonneau, Droit bancaire, éd. LGDJ, 2017, 12ème éd., n° 393 et s..

[3] C. mon. fin., art. L. 312-20, I (N° Lexbase : L4877I3Z).  J. Lasserre Capdeville, M. Storck, M. Mignot, J.-Ph. Kovar et N. Eréséo, Droit bancaire,  éd. Dalloz, coll. Précis, 2017, n° 745.

[4] Ainsi, et même si ce n’est pas légalement un établissement de crédit, la Caisse des dépôts et consignations peut être tenue pour commerçante dans sa pratique des opérations de banque qu’elle est autorisée légalement à accomplir, Cass. com., 22 janvier 2013, n° 11-27.396 F-D (N° Lexbase : A8726I3L) ; JCP éd. E, 2013, 1282, n° 5, obs. J. Stoufflet ; Banque et droit mars-avril 2013, p. 28, obs. Th. Bonneau.

[5] C. mon. fin., art. L. 518-11 (N° Lexbase : L9676DYZ) et L. 518-12 (N° Lexbase : L9677DY3), puis art. R. 518-1 (N° Lexbase : L4531HCS) à R. 518-12.

[6] C. mon. fin., art. L. 518-7 (N° Lexbase : L4321I78) à L. 518-9.

[7] M.-Ch. de Montecler, Adoption définitive de la loi PACTE, AJDA, 2019.

[8] L’article 117, également compris dans cette sous-section 2, est quant à lui très différent. Il est vrai qu’il a été ajouté au cours des débats devant le parlement. Il porte sur la question de la gestion du compte de dépôt des personnes physiques agissant pour des besoins professionnels envisagée par l’article L. 312-1-6 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L9623LGI ; sur cet article, M. Roussille, Loi SRAB: incidences sur les relations des banques avec leur clientèle, JCP éd. E, 2013, n° 1661, spéc. n° 17). L’article 117 vient alors prévoir que cette convention de compte «doit comporter les modalités d’accès à la médiation» et que les «principales stipulations de la convention sont précisées par un arrêté du ministre chargé de l’économie». Ce nouvel alinéa reprend en substance, sous une nouvelle présentation, ce que prévoyait déjà l’ancien.

[9] On notera encore que l’article 113 vient clarifier les relations financières entre la CDC et l’Etat s’agissant des modalités de fixation du versement. La détermination de son montant continuera à donner lieu à un avis de commission de surveillance, qui conservera ainsi la pleine faculté de se prononcer sur le versement, avant qu’il ne soit définitivement fixé par décret. Ce versement ne saurait, dans tous les cas, par son montant, être de nature à mettre en cause la solvabilité de la CDC ou le respect par celle-ci des règles prudentielles qui lui sont applicables.

[10] Loi Pacte : l’Assemblée vote une nouvelle gouvernance de la caisse des dépôts : Les Échos, 3 octobre 2010. – Caisse des dépôts : l’Assemblée vote une nouvelle gouvernance : CBanque, 3 octobre 2018.

[11] V. supra, n° 4.

[12] L’article précise que toute nomination conduisant à la méconnaissance de cette disposition ou n’ayant pas pour effet de remédier à une telle méconnaissance sera nulle. Cette nullité n’entraînera cependant pas celle des délibérations auxquelles aura pris part le commissaire surveillant irrégulièrement nommé. Nous retrouvons là une règle dégagée, il y a quelques années, par la loi n° 2011-103 du 27 janvier 2011, relative à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d’administration et de surveillance et à l’égalité professionnelle (N° Lexbase : L2793IP7), dite loi «Copé-Zimmermann».

[13] Certains ont alors parlé de «banalisation» du statut et de la gouvernance de la CDC. V. en sens, Collectif, La Caisse des dépôts et consignations ne doit pas devenir une entreprise financière ordinaire, La Tribune, 13 mars 2019.

[14] La commission de surveillance pourra d’ailleurs décider de rendre publics ses observations et avis.

[15] C. mon. fin., art. R. 518-1 (N° Lexbase : L4531HCS).

[16] Il est responsable des erreurs et déficits autres que ceux provenant de la force majeure.

[17] En revanche, la Cour des comptes restera compétente pour le contrôle de la CDC sur le fondement de l’article L. 111-3 du Code des juridictions financières (N° Lexbase : L1061LEZ), selon les modalités de droit commun applicables aux personnes morales de droit public. On rappellera, en effet, que selon cet article : «La Cour des comptes contrôle les services de l'État et les autres personnes morales de droit public, sous réserve de la compétence attribuée aux chambres régionales et territoriales des comptes». Cette solution est implicitement rappelée par l’article 115 de la loi étudiée.

[18] J. Ph. Kovar et J. Lasserre Capdeville, Réforme de la Caisse des dépôts et consignations par le projet de loi PACTE, Revue Banque, novembre 2018, n° 825, p. 80.

[19] Dans le cas d’une sanction, l’article précise que cette information interviendra préalablement à la décision du collège de supervision d’ouvrir une procédure disciplinaire ainsi que, le cas échéant, avant le prononcé de la sanction par la commission des sanctions.

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Droit financier

[Textes] La réglementation des initial coin offerings (ICO) en France par la loi «PACTE»

Réf. : Loi n° 2019-486 du 22 mai 2019, relative à la croissance et la transformation des entreprises (N° Lexbase : L3415LQK)

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par Hubert de Vauplane et Victor Charpiat, avocats, Kramer Levin LLP

Le 23 Mai 2019

Les initial coin offerings («ICO») sont-elles déjà passées de mode ? Selon la plateforme d’échange de crypto-actifs BitMex, les sommes levées par le biais d’ICO au premier trimestre 2019 sont en baisse de 97 % par rapport au premier trimestre 2018 [1]. Dans une crypto-économie en perpétuelle évolution, les grands acteurs ont depuis de longs mois inventé de nouveaux acronymes, comme STO (pour security token offering -une offre de tokens ayant des caractéristiques proches de celles des titres financiers-) ou IEO (pour initial exchange offering -une ICO directement réalisée sur une plateforme d’échange de crypto-actifs-), pour attirer les investisseurs vers leurs levées de fonds.

 

Qu’importe, le calendrier législatif n’est pas celui des innovations technologico-financières. La loi relative à la croissance et à la transformation des entreprises (loi «PACTE»), qui crée un cadre réglementaire pour les ICO (francisées en «offres de jetons») et les prestataires de services sur actifs numériques, est le résultat d’un long processus législatif et politique initié durant le second semestre 2017, en parallèle de la fièvre spéculative qui a vu le cours du Bitcoin passer d’environ 2 000 euros à 17 000 euros entre juillet 2017 et décembre 2017 et les fonds levés par le biais d’ICO atteindre des records. Dès le mois d’octobre 2017, l’Autorité des marchés financiers (AMF) avait lancé une consultation sur la nécessité de créer un cadre ad-hoc pour les ICO [2]. L’AMF avait au même moment créé en interne un programme de suivi dédié aux ICO : le programme «UNICORN» [3]. Il était ressorti de la consultation d’octobre 2017 une volonté de donner aux ICO un cadre réglementaire adapté, à même de favoriser le développement d’une «crypto-économie» française saine et régulée [4]. C’est notamment sur la base de cette consultation qu’a été élaboré le cadre législatif initialement intégré dans le projet de loi «PACTE» à l’article 26.

 

D’abord limité à la définition du cadre législatif des ICO, le projet de loi «PACTE» a été enrichi d’un article établissant un régime réglementaire pour les prestataires de services sur actifs numériques lors de la première lecture par l’Assemblée nationale [5]. Par la suite, le Sénat y a ajouté un article précisant l’application des règles relatives au démarchage aux offres de jetons et aux actifs numériques [6].

 

La loi «PACTE» crée donc dans le Code monétaire et financier un nouveau chapitre dédié aux émetteurs de jetons [7]. Ceux-ci partageront le titre V du livre V avec les intermédiaires en biens divers,  clin d’œil involontaire à ceux qui avaient suggéré que, en l’absence de cadre législatif, la qualification la plus adaptée aux offres de jetons était l’activité d’intermédiation en biens divers [8]. Les détails et modalités de ce régime seront contenus dans un nouveau chapitre du règlement général de l’AMF (RG AMF) [9].

 

Le jeton est désormais défini par l’article L. 552-2 du Code monétaire et financier comme «tout bien incorporel représentant, sous forme numérique, un ou plusieurs droits pouvant être émis, inscrits, conservés ou transférés au moyen d’un dispositif d’enregistrement électronique partagé permettant d’identifier, directement ou indirectement, le propriétaire dudit bien». Les actifs numériques, définis à l’article L. 54-10-1, recouvrent quant à eux un champ plus large : ils comprennent d’une part les jetons, et d’autre part, «toute représentation numérique d’une valeur qui n’est pas émise ou garantie par une banque centrale ou par une autorité publique, qui n’est pas nécessairement attachée à une monnaie ayant cours légal et qui ne possède pas le statut juridique d’une monnaie, mais qui est acceptée par des personnes physiques ou morales comme un moyen d’échange et qui peut être transférée, stockée ou échangée électroniquement».

 

L’offre au public de jetons est quant à elle définie par l’article L. 552-3 comme le fait de proposer au public, sous quelque forme que ce soit, de souscrire à des jetons.

 

La loi «PACTE» crée donc un nouveau mode de financement réglementé, strictement distinct des offres au public de titres financiers (I). Le visa de l’AMF, optionnel, peut être obtenu dans le cadre d’une procédure simplifiée inspirée de la procédure classique du prospectus (II). L’obtention du visa emporte plusieurs effets juridiques, mais n’a aucun effet extraterritorial (III). Enfin, la loi «PACTE» précise les sanctions pénales et réglementaires applicables aux émetteurs de jetons (IV).

 

I - Le champ d’application du régime des offres au public de jetons

 

A - La distinction stricte entre les offres au public de jetons et les offres de titres financiers

 

Le nouvel article L. 552-1 du Code monétaire et financier précise que les dispositions relatives aux offres au public de jetons «s’appliquent à toute offre de jetons qui n’est pas régie par les livres Ier à IV, le chapitre VIII du titre IV du [livre V] ou le chapitre Ier du [titre V]». Est ainsi établie une distinction claire entre les offres au public de jetons et tous les autres modes de financement réglementés par le Code monétaire et financier, et notamment l’offre au public de titres financiers [10], les offres de titres exemptées en vertu de l’article L. 411-2 (N° Lexbase : L3763I3R), ou les levées de fonds relevant du financement participatif. Aucune offre de titres financiers ne peut donc être structurée sous la forme d’une offre de jetons.

 

Cette précision est cruciale car de nombreux acteurs de la crypto-économie considèrent déjà le financement direct des entreprises par le biais de l’émission de jetons comme la nouvelle frontière de l’innovation financière. Il s’agit ici des «security tokens», qui font déjà l’objet de nombreux débats et dont la définition n’est pas aisée. Selon certains, doivent être considérés comme des security tokens les titres financiers classiques inscrits sur une blockchain (ou plutôt un «dispositif d’enregistrement électronique partagé») conformément au régime issu de l’ordonnance n° 2017-1674 du 8 décembre 2017 (N° Lexbase : L5575LHX) et de son décret d’application n° 2018-1226 du 24 décembre 2018 (N° Lexbase : L5595LNK) [11]. Pourtant, il peut également être soutenu que l’enregistrement sur une blockchain n’est qu’une modalité technique d’inscription du titre financier qui ne change pas sa nature. Il faudrait alors voir dans les security tokens un hybride entre les titres financiers et les jetons au sens de l’article L. 552-2, ou plus précisément un jeton «remplissant les caractéristiques des instruments financiers», pour reprendre la terminologie de l’article L. 54-10-1, qui définit les actifs numériques. En effet, cette définition (utilisée pour le régime des prestataires de services sur actifs numériques) suggère explicitement que certains jetons pourraient remplir «les caractéristiques des instruments financiers ou des bons de caisse». De tels jetons ne pourraient toutefois pas être qualifiés d’actifs numériques -précisément parce que la qualification qui l’emporterait serait celle d’instrument financier-.

 

Si le traitement des security tokens est pour l’instant clarifié par cet article, la communauté française des crypto-actifs s’attend à ce que l’AMF prenne publiquement position sur cette nouvelle notion et fasse part de son analyse de l’application du droit français aux security tokens.

 

B - Offres de jetons et cercle restreint de souscripteurs

 

Le second alinéa de l’article L. 552-3 précise que «ne constitue pas une offre au public de jetons l’offre de jetons ouverte à la souscription par un nombre limité de personnes agissant pour compte propre». Ce nombre sera fixé ultérieurement par le RG AMF. On reconnaît ici un régime similaire à l’exemption au régime de l’offre au public de titres financiers dite du «cercle restreint» [12]. Une petite différence toutefois : là où l’offre de titres financiers ne bénéficie de l’exemption que lorsqu’elle est «adressée exclusivement» à un cercle restreint d’investisseurs, l’offre de jetons exemptée est celle qui est «ouverte à la souscription». Il serait donc théoriquement possible de contacter un nombre d’investisseurs supérieur au seuil défini par le RG AMF, dès lors que le nombre final de souscripteurs resterait limité.

 

L’utilité de cette exemption semble limitée, dans la mesure où l’obtention du visa n’est pas obligatoire. Il n’est ainsi pas interdit à une entité française ou étrangère de réaliser une offre au public de jetons en France sans solliciter le visa de l’AMF. En outre, en ce qui concerne l’application de la réglementation relative au démarchage aux offres au public de jetons (décrite en détail ci-dessous), le fait de bénéficier de l’exemption de l’article L. 552-3 n’autorise pas pour autant l’émetteur à démarcher des investisseurs potentiels. En effet, l’article L. 341-10, 6° du Code monétaire et financier interdit tout démarchage sur les actifs numériques, à l’exception notamment des «jetons proposés dans le cadre d’une offre au public ayant obtenu le visa» de l’AMF. Il en ressort que le démarchage relatif à une offre de jetons adressée à un cercle restreint de souscripteurs est interdit – -ce qui, au demeurant, est tout à fait logique-.

 

Notons enfin que la rédaction de l’article L. 411-2 du Code monétaire et financier s’apprête à être revue dans le cadre de l’entrée en vigueur du Règlement (UE) n° 2017/1129 du 14 juin 2017, concernant le prospectus à publier en cas d’offre au public de valeurs mobilières ou en vue de l’admission de valeurs mobilières à la négociation sur un marché réglementé (N° Lexbase : L0645LGY le Règlement «Prospectus») le 21 juillet 2019. La consultation publique lancée par la direction générale du Trésor [13] propose en effet de remplacer les énumérations négatives de l’article L. 411-2 («Ne constitue pas une offre au public au sens de l’article L. 411-1 l’offre qui […]») par une formule comme : «Par dérogation aux dispositions de l’article précédent, mais sans préjudice du principe d’interdiction d’émettre des titres négociables, les offres au public suivantes sont autorisées à toutes personnes ou entités : […]». Il sera donc peut-être nécessaire d’envisager une réécriture du deuxième alinéa de l’article L. 552-3 sur le même modèle.

 

II - La procédure d’obtention du visa

 

A - Le dépôt et le contenu de la demande de visa

 

Comme précisé ci-dessus, la demande de visa est une faculté, et non une obligation [14]. En l’absence de l’obtention d’un visa, rien n’interdit la tenue en France d’une offre au public de jetons.

 

La procédure s’apparente à une demande simplifiée de visa sur un prospectus. L’émetteur désireux d’obtenir le visa, qui est tenu d’être implanté en France (si nécessaire sous la forme d’une filiale ou d’une succursale [15]  -l’idée étant de favoriser le développement de l’industrie française des crypto-actifs-), dépose à l’AMF un projet de document d’information «destiné à donner toute information utile au public sur l’offre proposée et sur l’émetteur» [16]. Ce document peut être rédigé en anglais, à condition d’être accompagné d’un résumé en français [17].

 

Le document d’information doit présenter un contenu exact, clair et non trompeur et permettre de comprendre les risques afférents à l’offre [18]. Il doit, en outre, indiquer les conditions dans lesquelles une information sera fournie annuellement aux souscripteurs sur l’utilisation des actifs recueillis [19]. Cette référence aux «actifs recueillis» et non aux «sommes recueillies» permet d’autoriser les levées de fonds en crypto-actifs (qui représentent la méthode privilégiée de levée de fonds par ICO [20]), sans pour autant empêcher les levées en monnaie ayant cours légal.

 

L’AMF examine ensuite la documentation fournie et «vérifie si l’offre envisagée présente les garanties exigées d’une offre destinée au public» [21]. L’AMF doit notamment s’assurer que l’émetteur «met en place tout moyen permettant le suivi et la sauvegarde des actifs recueillis dans le cadre de l’offre» [22]. Cette condition résulte du fait que, lors de la flambée spéculative du second semestre 2017, de nombreuses ICO se sont révélées être partiellement frauduleuses, quand elles n’étaient pas tout simplement des arnaques. En outre, de nombreux émetteurs d’ICO ont été victimes d’attaques informatiques, débouchant parfois sur le vol des crypto-actifs recueillis lors de l’offre. Ce risque de vol ou d’arnaque est très spécifique aux levées de fonds en crypto-actifs, car les transactions portant sur les principaux crypto-actifs sont irréversibles (sauf conditions très particulières).

 

L’AMF appose ensuite son visa sur le document d’information dans un délai qui sera défini par le RG AMF [23]. Les modalités de la demande de visa, les pièces nécessaires à l’instruction du dossier et le contenu du document d’information seront aussi précisés par le RG AMF [24].

 

Le pouvoir de contrôle de l’AMF ne s’arrête pas au document d’information. L’alinéa 4 de l’article L. 552-5 précise que l’AMF examine également «les projets de communication à caractère promotionnel destinées au public postérieurement à la délivrance du visa». En outre, l’alinéa selon lequel le document d’information doit présenter un contenu exact, clair, non trompeur et permettant de comprendre les risques afférents à l’offre s’applique aussi aux communications à caractère promotionnel.

 

Cette revue par l’AMF des communications promotionnelles a suscité des critiques au sein de la communauté française des crypto-actifs. En effet, un émetteur ayant déposé une demande de visa aurait en principe l’interdiction de communiquer sur son projet d’ICO avant l’obtention du visa, alors que cette procédure serait susceptible de durer plusieurs mois. Cette limitation semble peu compatible avec le caractère très fluctuant de l’économie des crypto-actifs et pourrait dissuader certains acteurs de s’implanter en France pour déposer une demande de visa. Toutefois, il serait théoriquement possible pour de tels acteurs de communiquer sur leur future offre dans le cadre de l’exemption du cercle restreint décrite ci-dessus. L’articulation entre ces dispositions devra être précisée par l’AMF.

 

B - La communication des résultats de l’offre

 

Une fois le visa obtenu et l’offre achevée, les souscripteurs doivent être informés des résultats de celle-ci [25]. L’article précise que les souscripteurs doivent également être informés, le cas échéant, de l’organisation d’un marché secondaire des jetons. Cette mention est particulièrement importante car elle entérine le fait que l’attractivité des ICO tient en particulier à la possibilité pour les émetteurs de garantir la cotation des jetons sur une plateforme d’échange de crypto-actifs dans un délai très court après la fin de l’offre.

 

L’article ne donne aucune précision sur la nature du marché secondaire sur lequel pourront être cotés les jetons. Des précisions pourront être formulées par le RG AMF. En l’état, il est intéressant de relever que cette mention ne fait pas référence à l’article L. 54-10-2 du Code monétaire et financier, qui décrit les différents services sur actifs numériques, et parmi lesquels se trouve «l’exploitation d’une plateforme de négociation d’actifs numériques». Ainsi, l’article L. 552-7 du Code monétaire et financier semble adopter une position agnostique vis-à-vis de la cotation des jetons sur un marché secondaire, en n’imposant pas qu’ils soient cotés sur une plateforme exploitée par un prestataire de services sur actifs numériques titulaire d’un agrément conformément à l’article L. 54-10-5. En principe, donc, les jetons pourront être cotés sur toute plateforme adaptée, en France ou à l’étranger, même si celle-ci ne dispose d’aucun statut réglementaire particulier.

 

C - Le retrait du visa

 

L’AMF sera en mesure de retirer son visa si elle constate que l’offre «n’est plus conforme au contenu du document d’information ou ne présente plus les garanties prévues à l’article L. 552-5» [26]. Le retrait du visa pourra être réalisé à titre définitif ou «jusqu’à ce que l’émetteur satisfasse de nouveau aux conditions du visa». L’AMF aura aussi la faculté d’ordonner «qu’il soit mis fin à toute communication concernant l’offre faisant état de son visa». Les détails de cette procédure seront précisés par le RG AMF.

 

L’AMF disposera enfin de la faculté de faire des déclarations publiques nominatives en cas de diffusion par une entité ayant sollicité ou non un visa d’informations «comportant des indications inexactes ou trompeuses concernant la délivrance du visa, sa portée ou ses conséquences» [27].

 

III - Les effets juridiques de l’obtention du visa

 

Le visa optionnel de l’AMF sur les offres au public de jetons a d’abord été pensé comme un facteur d’attractivité de la France dans le cadre de l’économie mondiale des crypto-actifs. Le visa est considéré comme un label de qualité, à même de favoriser la réussite de la levée de fonds en France et à l’étranger, grâce à la crédibilité et la réputation de l’AMF. L’obtention du visa emporte aussi naturellement certains effets juridiques, bien qu’elle reste dépourvue d’effet extraterritorial.

 

A - Obtention du visa et démarchage

 

1° - Les règles applicables au démarchage public et financier

 

La possibilité pour les émetteurs de jetons ayant obtenu le visa de l’AMF de réaliser des actes de démarchage bancaire ou financier est le principal effet juridique attaché à l’obtention du visa. Les dispositions relatives au démarchage ont été introduites par amendement lors de la lecture par le Sénat [28], c’est-à-dire assez tardivement dans le processus législatif.

 

L’acte de démarchage est défini par l’article L. 341-1 du Code monétaire et financier comme «toute prise de contact non sollicitée, par quelque moyen que ce soit, avec une personne physique ou une personne morale déterminée, en vue d'obtenir, de sa part, un accord» sur divers types d’opérations financières ou bancaires, relatives notamment à des instruments financiers, des services d’investissement ou des opérations de banque. La définition de l’acte de démarchage est étendue par la loi «PACTE» aux prises de contact relatives à «la réalisation d’une opération sur un des actifs numériques mentionnés à l’article L. 54-10-1, notamment dans le cadre d’une offre au public de jetons» [29].

 

Cette modification de l’article L. 341-1 est logiquement accompagnée de celle de l’article L. 341-3, qui établit la liste des entités ou personnes autorisées à se livrer à l’activité de démarchage. Les émetteurs de jetons ayant obtenu le visa de l’AMF sont donc inclus dans cette liste [30].

 

En outre, comme évoqué ci-dessus, l’article L. 341-10, qui établit la liste des produits ne pouvant pas faire l’objet de démarchage, est enrichi d’un alinéa précisant que ne peuvent faire l’objet de démarchage les jetons proposés dans le cadre d’une offre au public n’ayant pas obtenu le visa de l’AMF [31].

 

L’article L. 341-16, IV, relatif au délai de réflexion obligatoire de quarante-huit heures bénéficiant aux personnes démarchées, est également étendu à la fourniture des actifs numériques mentionnés à l’article L. 54-10-1 (ce qui inclut les jetons  -qu’ils aient fait l’objet ou non d’une demande de visa-). Par conséquent, les entités se livrant au démarchage sur des offres au public de jetons ayant obtenu le visa auront l’interdiction de recueillir des ordres ou des fonds de la part des personnes démarchées avant l’expiration du délai de réflexion de quarante-huit heures.

 

D’autres articles relatifs au démarchage sont aussi modifiés par souci de cohérence.

 

2° - Les règles applicables aux contrats conclus à distance portant sur des services financiers

 

Ce panorama de l’intégration des offres de jetons dans le cadre juridique protégeant les investisseurs individuels contre le démarchage ne serait pas complet sans la mention de la modification de deux dispositions appartenant au Code de la consommation.

 

Tout d’abord, l’article L. 222-16-1 du Code de la consommation est modifié de manière à interdire «toute publicité, directe ou indirecte, diffusée par voie électronique, ayant pour objet d’inviter une personne, par le biais d’un formulaire de réponse ou de contact, à demander ou à fournir des informations complémentaires, ou à établir une relation avec l’annonceur, en vue d’obtenir son accord pour la réalisation d’une opération relative à […] une offre au public de jetons», sauf lorsque l’annonceur a obtenu un visa sur son offre. Cette disposition réduit les facultés de communication des émetteurs de jetons n’ayant pas obtenu le visa de l’AMF, sans pour autant leur interdire de recourir à la publicité en ligne pour promouvoir leur offre. En effet, l’article n’empêche pas toute forme de publicité en ligne, mais seulement celles «ayant pour objet» d’inviter le destinataire, par le biais d’un formulaire de réponse ou de contact, à entrer en contact avec l’émetteur en vue d’établir une relation avec celui-ci ou de demander des informations complémentaires. Il sera nécessaire, ici aussi, de préciser les limites concrètes de cette interdiction, car, en pratique, toutes les publicités en ligne contiennent un lien hypertexte vers le site de l’annonceur. Or, ce site contient généralement un encart invitant le visiteur à communiquer son adresse électronique, afin par exemple de recevoir une newsletter.

 

Enfin, la loi «PACTE» modifie l’article L. 222-16-2 du Code de la consommation, qui prohibe les opérations de parrainage et de mécénat «ayant pour objet ou pour effet la publicité, directe ou indirecte, en faveur de services d'investissement portant sur les contrats financiers définis à l'article L. 533-12-7 du Code monétaire et financier» (l’article L. 533-12-7 fait référence aux contrats dont le risque maximal n’est pas connu au moment de la souscription, dont le risque de perte est supérieur au montant de l’apport financier initial, ou dont le risque de perte rapporté aux avantages éventuels correspondants n'est pas raisonnablement compréhensible au regard de la nature particulière du contrat financier proposé.) Les opérations de parrainage et de mécénat interdites incluent désormais celles portant sur les offres au public de jetons, «sauf lorsque le parrain ou le mécène a obtenu le visa» de l’AMF.

 

B - Un accès facilité à un compte bancaire

 

Parmi les autres effets juridiques de l’obtention du visa figure l’accès facilité à un compte bancaire pour l’émetteur. La loi «PACTE» impose désormais aux établissements de crédit de mettre en place «des règles objectives, non discriminatoires et proportionnées pour régir l’accès des émetteurs de jetons ayant obtenu le visa mentionné à l’article L. 552-4 […] aux services de comptes de dépôt et de paiement qu’ils tiennent» [32]. L’article renforce cette obligation en précisant que ces émetteurs doivent pouvoir «recourir à ces services de manière efficace et sans entraves». En cas de refus des établissements de crédit, l’émetteur de jetons disposera de voies de recours qui seront précisées par décret, et qui pourraient s’inspirer de la procédure du droit au compte définie à l’article L. 312-1 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L9624LGK). Enfin, l’établissement de crédit récalcitrant devra communiquer les raisons de son refus à l’AMF et à l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution [33].

 

Cette disposition incitera probablement de nombreux émetteurs à déposer une demande de visa au lieu d’opter pour une offre au public de jetons dépourvue de visa. L’accès au compte bancaire et aux services bancaires est en effet un frein récurrent au développement des acteurs français de l’économie des crypto-actifs. De nombreuses banques, pour des raisons de politique interne de conformité, refusent en effet d’ouvrir des comptes aux entreprises ayant réalisé une ICO ou ayant une activité liée aux crypto-actifs [34]. Il arrive également fréquemment que des comptes préalablement ouverts se retrouvent bloqués voire fermés lorsque la banque s’aperçoit que son client a développé une activité liée aux crypto-actifs.

 

Dans le texte voté en première lecture par l’Assemblée nationale figurait un alinéa supplémentaire permettant aux émetteurs de jetons rencontrant des difficultés persistantes d’accès aux services de dépôt et de paiement d’ouvrir un compte bancaire auprès de la Caisse des dépôts et consignations [35]. Cet alinéa a fait l’objet d’une vive contestation de la part de la Caisse des dépôts et consignations [36] et a été ensuite supprimé lors de la première lecture par le Sénat.

 

C - L’assujettissement aux obligations de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme

 

Autre effet juridique aux vastes conséquences, les émetteurs de jetons ayant obtenu le visa seront désormais assujettis aux obligations de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme [37]. Cet assujettissement sera limité aux «transactions avec les souscripteurs prenant part à [l’] offre». On comprend que l’objectif du législateur est ici d’imposer aux émetteurs de contrôler la provenance des crypto-actifs recueillis dans le cadre de l’offre, afin d’éviter que les offres de jetons bénéficiant du visa soient utilisées dans des schémas de blanchiment.

 

L’AMF sera l’autorité chargée de contrôler le respect par ces émetteurs de leurs obligations relatives à la lutte contre le blanchiment [38].

 

D - L’absence de reconnaissance internationale du visa de l’AMF

 

Enfin, il est important de préciser que l’obtention du visa n’a aucun effet extraterritorial. En l’absence d’une réglementation européenne unifiée, le visa apposé par l’AMF ne dispose d’aucune forme de reconnaissance de la part des autorités de régulation des autres états membres de l’Union européenne. En pratique, l’émetteur de jetons ayant obtenu le visa et désirant commercialiser ses jetons à l’étranger devrait, dans chaque pays, se conformer à la réglementation applicable en matière d’offres de jetons. En l’absence d’une telle réglementation, il devra respecter les règles générales applicables à la vente de biens à distance.

 

Il est toutefois utile de noter qu’une réflexion sur l’élaboration d’une réglementation européenne dédiée aux ICO a été engagée au niveau européen à la suite de la publication le 9 janvier 2019 par l’Autorité européenne des marchés financiers (ESMA) d’un rapport sur les crypto-actifs [39]. Prenant acte de l’élaboration par la France et certains autres états membres (comme Malte) de régimes réglementaires ad-hoc pour les crypto-actifs et les ICO, l’ESMA a fait part de son inquiétude que ces démarches ne permettent pas la création d’un cadre homogène dans l’Union européenne. Le régime issu de la loi «PACTE» risquerait donc d’être dans quelques années contredit par une réglementation européenne issue des travaux de l’ESMA [40].

 

Conscient probablement de ce risque, le ministre de l’économie et des finances, Bruno Le Maire, a confirmé le 15 avril 2019, lors du Paris Blockchain Week Summit, son intention de défendre «la mise en place d’un cadre unique de régulation des crypto-actifs inspiré de l’expérience française au niveau européen» [41]. Le régime issu de la loi «PACTE» aura donc peut-être le privilège d’inspirer la réglementation européenne des ICO.

 

IV - Sanctions pénales et réglementaires

 

La loi «PACTE» ajoute une section consacrée aux émetteurs de jetons dans le titre du livre V du Code monétaire et financier relatif aux dispositions pénales. Cette section contient le seul article L. 572-27, qui punit de six mois d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende «le fait, pour toute personne procédant à une offre au public de jetons au sens de l’article L. 552-3, de diffuser des informations comportant des indications inexactes ou trompeuses ou d’utiliser une dénomination, une raison sociale, une publicité ou tout autre procédé laissant croire qu’elle a obtenu le visa prévu à l’article L. 552-4».

 

L’article L. 572-27 doit être rapproché de la nouvelle rédaction du I de l’article L. 621-13-5 du Code monétaire et financier, qui permettra au président de l’AMF d’adresser une mise en demeure aux opérateurs procédant à une offre au public de jetons «qui diffusent des informations comportant des indications inexactes ou trompeuses ou utilisent une dénomination, une raison sociale, une publicité ou tout autre procédé laissant croire qu’ils ont obtenu le visa prévu à l’article L. 552-4».

 

Enfin, en ce qui concerne les sanctions réglementaires, la loi «PACTE» modifie l’article L. 621-15, II du Code monétaire et financier, relatif aux sanctions que peut prononcer la Commission des sanctions de l’AMF. La Commission des sanctions aura désormais le pouvoir de sanctionner «toute personne qui, sur le territoire français ou à l'étranger, s’est livrée ou a tenté de se livrer à la diffusion d'une fausse information ou s’est livrée à tout autre manquement mentionné au premier alinéa du II de l’article L. 621-14, lors […] d’une offre de jetons pour laquelle l’émetteur a sollicité le visa prévu à l’article L. 552-4». Dans la mesure où la référence à la diffusion d’une fausse information est inopérante en ce qui concerne les offres de jetons, il convient de se référer aux manquements visés au premier alinéa du II de l’article L. 621-14. Ceux-ci sont particulièrement nombreux : ils couvrent notamment «tout autre manquement de nature à porter atteinte à la protection des investisseurs, au bon fonctionnement des marchés ou à tout autre manquement aux obligations relatives à la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme».

 

[1] BitMex, Initial Exchange Offerings, 13 mai 2019.

[2] AMF, consultation publique de l’AMF sur les Initial Coin Offerings (ICOs), 26 octobre 2017.

[3] AMF, communiqué de presse du 26 octobre 2017. 

[4] AMF, synthèse des réponses à la consultation publique portant sur les Initial Coin Offerings (ICO) et point d’étape sur le programme  «UNICORN», 22 février 2018.

[5] Article 26 bis A du texte adopté par l’Assemblée nationale le 9 octobre 2018.

[6] Article 26 bis B du texte adopté par le Sénat le 12 février 2019.

[7] Ce chapitre contient les articles L. 552-1 à L. 552-7.

[8] AMF, Synthèse des réponses à la consultation publique portant sur les Initial Coin Offerings (ICO) et point d’étape sur le programme " «UNICORN», 22 février 2018, préc., p. 10 : «De façon générale, les observations des répondants rejoignent pour l’essentiel l’analyse de l’AMF, dans son document de consultation, selon laquelle les ICO présentent des caractéristiques comparables à des offres de biens divers».

D’un avis contraire : Th. Bonneau, «Tokens», titres financiers ou biens divers ?, RD Bancaire et fin., 2018, repère 1.

[9] L’article L. 621-7 précise désormais que « [l]e règlement général de l'Autorité des marchés financiers détermine notamment : […] Les règles qui s’imposent aux émetteurs de jetons, au sens du chapitre II du titre V du livre V du présent code».

[10] Le régime de l’offre au public de titres financiers, défini par les articles L. 411-1 (N° Lexbase : L6070ICS) et suivants du Code monétaire et financier, relève du livre IV.

[11] J. Sutour et K. Lachgar, L’avènement des Securities Token Offerings de droit français - décret du 24 décembre 2018, Option Finance, 21 janvier 2019

[12] C. mon. fin., art. L. 411-2, II (N° Lexbase : L3763I3R): «Ne constitue pas une offre au public au sens de l'article L. 411-1 l'offre qui s'adresse exclusivement : […] 2. A des investisseurs qualifiés ou à un cercle restreint d'investisseurs, sous réserve que ces investisseurs agissent pour compte propre».

Le plafond du cercle restreint est fixé à 150 personnes (C. mon. fin., art.  D. 411-4 N° Lexbase : L3900IUY).

[13] Direction générale du Trésor, article du 17 avril 2019.

[14] C. mon. fin., art. L. 552-4, al. 1er.

[15] C. mon. fin., art. L. 552-5, 1°.

[16]  C. mon. fin., art. L. 552-4, al. 2.

[17] C. mon. fin., art. L. 552-4, al. 3.

[18] C. mon. fin., art. L. 552-4, al. 4.

[19] C. mon. fin., art. L. 552-4, al. 4.

[20] Traditionnellement, les émetteurs d’ICO émettent leurs jetons en échange de bitcoins ou d’ethers. D’autres crypto-actifs moins répandus peuvent être acceptés selon les préférences des porteurs du projet.

[21] C. mon. fin., art. L. 552-5, al. 1er.

[22] C. mon. fin., art. L. 552-5, 2°.

[23] C. mon. fin., art. L. 552-5, al. 4.

[24] C. mon. fin., art. L. 552-4, al. 5.

[25]  C. mon. fin., art. L. 552-7.

[26] C. mon. fin., art. L. 552-6, al. 1er.

[27] C. mon. fin., art. L. 552-6, al. 2.

[28] Amendement n° COM-538 présenté par le sénateur Jean-Paul Husson, 15 janvier 2019

[29]  C. mon. fin., art. L. 341-1, 8°.

[30]  C. mon. fin., art. L. 341-3, 7°.

[31] C. mon. fin., art. L. 341-10, 6°.

[32] C. mon. fin., art. L. 312-23, al. 2.

[33]  C. mon. fin., art. L. 312-23, al. 3.

[34] Les difficultés rencontrées par les utilisateurs de crypto-actifs (s’agissant en l’occurrence de particuliers) ont par exemple fait l’objet d’un sondage par l’association CryptoFR : Journal du Coin, Les banques & Bitcoin : plus de 500 réponses au sondage de l’AssoCryptoFR, 6 mai 2019.

[35] Projet de loi «PACTE», art. 26, 13°.

[37]  C. mon. fin., art. L. 561-2, 7° ter.

[38]  C. mon. fin., art. L. 561-36, 2°.

[39] ESMA, Advice - Initial Coin Offerings and Crypto-Assets, 9 janvier 2019.

[40] F. Drummond, Les superviseurs européens s'invitent dans la discussion de la loi PACTE sur les jetons et actifs numériques, Bull. Joly Bourse, janvier 2019, p. 1.

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Sociétés

[Textes] Loi «PACTE» : libéralisation des règles applicables aux actions et au capital

Réf. : Loi n° 2019-486 du 22 mai 2019, relative à la croissance et la transformation des entreprises (N° Lexbase : L3415LQK)

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par Gabriel Flandin, Avocat à la Cour, Willkie Farr & Gallagher LLP et Hugo Nocerino, Avocat à la Cour, Willkie Farr & Gallagher LLP

Le 26 Juillet 2019

Alors que la proposition de loi de simplification, de clarification et d’actualisation du droit des sociétés initialement déposée devant le Sénat en 2014 est encore en cours de discussion, la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises [1] (la loi «PACTE») a d’ores et déjà procédé à une modification des textes du Code monétaire et financier et du Code de commerce régissant les actions et les actionnaires, y compris dans des domaines proches de ceux traités dans la proposition de loi susvisée.

Conformément à ses objectifs, la loi «PACTE» prévoit des mesures qui avaient été demandées par les praticiens et la doctrine de nature à favoriser l’attractivité de la place de Paris et du droit des sociétés français. Anticipant peut-être l’habilitation à prendre des mesures par ordonnance contenue dans son article 75 en vue de «regrouper, au sein d’une division spécifique, les dispositions du code de commerce propres aux sociétés dont les titres sont admis aux négociations sur un marché réglementé ou un système multilatéral de négociation», elle adopte une approche distributive entre les sociétés cotées [2] et non cotées qui semble discutable. Respectant cette distribution, nous nous intéresseront à l’abaissement du seuil des opérations de retrait dans les sociétés cotées (1) avant d’analyser les nouvelles règles régissant les actions de préférence dans les sociétés non cotées (2) et d’évoquer les nouvelles modalités de détermination des plafonds d’attribution gratuite d’actions applicables sans distinction aux sociétés cotées et non cotées (3).

1. Abaissement du seuil des opérations de retrait dans les sociétés cotées

L’article 75 de la loi «PACTE» prévoit une nouvelle rédaction de l’article L. 433-4 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L2309INT) dans un objectif de lisibilité tout en modifiant un paramètre essentiel de cet article relatif aux seuils permettant la mise en œuvre d’une opération de retrait.

La mise en œuvre d’une offre de retrait ou la demande d’une telle offre par les minoritaires intervient dorénavant dès lors que les actionnaires majoritaires détiennent, seuls ou de concert, 90 % du capital ou des droits de vote. La possibilité d’initier un retrait obligatoire par les actionnaires majoritaires à l’issue de toute offre publique suppose que les minoritaires ne représentent pas plus de 10 % du capital et des droits de vote, impliquant que les actionnaires majoritaires doivent détenir au moins 90 % du capital et des droits de vote, de façon dorénavant conforme à la rédaction de la Directive «OPA» [3], cette dernière autorisant toute valeur entre 90 % et 95 %, exprimée à la fois en capital et en droits de vote.

Lors de la transposition de cette Directive, le législateur français avait décidé de conserver le seuil de 95 % qui était alors en vigueur en droit français. Le seuil de 90 % correspond à celui maintenant retenu par la majorité des Etats de l’Union européenne [4] et se retrouve également dans de nombreux autres pays [5].

Cette modification sera de nature à faciliter les opérations de fusions-acquisitions portant sur des sociétés dont les actions sont admises aux négociations sur un marché réglementé ou sur un marché ne constituant pas un marché réglementé lorsque ledit marché en a fait la demande (Euronext Growth), dans la mesure où elle est va fortement renchérir le coût de blocage des opérations de retrait de la cote par des actionnaires minoritaires (devenus le cas échéant actionnaires avec ce seul dessein).

Il convient de noter que le marché français présentera encore pour les acquéreurs potentiels, et en particulier pour les acquéreurs américains, une difficulté d’appréhension en ce qu’il ne permet pas de réaliser des opérations dites «tout ou rien» sur les sociétés cotées. En effet, la quasi-impossibilité de fixer un seuil de succès d’une offre publique au-delà de deux tiers du capital et/ou des droits de vote au regard de la pratique décisionnelle de l’Autorité des marchés financiers, couplée à un seuil de retrait obligatoire de 90 % se traduit par le risque pour un acquéreur de demeurer actionnaire majoritaire d’une société qu’il ne parviendrait pas à retirer de la cote. Cette situation est quasi-inconnue du marché américain où les opérations se font généralement par fusion triangulaire dans lesquelles il est possible d’exclure tous les actionnaires dès lors que la décision de fusion a été adoptée à la majorité requise. Cette situation crée une asymétrie entre les acquéreurs dont les titres sont eux-mêmes cotés qui seront en mesure de réaliser une fusion avec la cible à l’issue de l’offre publique sans contraintes nouvelles et les acquéreurs non cotés qui devront accepter de le devenir s’ils souhaitent réaliser une telle fusion.

L’abaissement du seuil de retrait obligatoire de 95 % à 90 % réduit néanmoins ce risque et cette asymétrie sans pour autant les supprimer. De façon corrélative, l’abaissement du seuil de demande de retrait limitera le risque des actionnaires minoritaires de demeurer prisonniers d’une société dont le volume de flottant n’est plus suffisant pour assurer leur liquidité.

2. Nouvelles règles régissant les actions de préférence dans les sociétés non-cotées

La loi «PACTE» autorise l’émission d’actions à droit de vote multiple dans toutes les formes de société par actions (2.1.) ainsi que la création d’actions de préférence rachetables à la demande de l’actionnaire (2.2.).

Elle élargit également les cas légaux de suppression du droit préférentiel de souscription à toutes les actions de préférence auxquelles est attaché un droit limité de participation aux dividendes, qu’elles soient ou non privées de droit de vote [6].

2.1. Droit de vote multiple dans toutes les sociétés par actions

Le droit de vote demeure une prérogative essentielle de l’actionnaire, qui ne peut en être privé que par une disposition légale expresse (prévue notamment en matière de conventions réglementées, apports en nature, suppression du droit préférentiel de souscription, auto-contrôle). La loi [7] organisait dans ce cadre les modalités selon lesquelles la préférence d’actions de préférence pouvait consister en la suppression de ce droit. En revanche, elle ne réglementait pas la notion de droit de vote multiple autrement qu’en indiquant que les droits attachés aux actions de préférence étaient «définis par les statuts dans le respect des dispositions des articles L. 225-10 (N° Lexbase : L5881AIN) et L. 225-122 (N° Lexbase : L5993AIS) à L. 225-125».

La doctrine et la pratique s’accordaient pour considérer que cette limite impliquait que les actions de préférence émises par les sociétés anonymes (et de façon corrélative les sociétés en commandite par actions) devaient respecter le principe de proportionnalité du droit de vote de l’article L. 225-122 du Code de commerce et que les seules exceptions à ce principe étaient celles disposées aux articles L. 225-123 (N° Lexbase : L9613IZ3) à L. 225-126 du Code de commerce [8].

Concernant les sociétés par actions simplifiées, la doctrine et la pratique considéraient que les limites disposées aux articles L. 225-122 à L. 225-126 du Code de commerce auxquels renvoie l’article L. 228-11 du Code de commerce (N° Lexbase : L8275LQK) -i.e., la règle de proportionnalité du droit de vote et ses exceptions- ne s’appliquaient pas à cette forme sociale, dans la mesure où ces articles sont exclus expressément par le renvoi de l’article L. 227-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L7635LBE) définissant les règles des sociétés anonymes applicables aux sociétés par actions simplifiées [9]. Malgré les doutes exprimés par certains auteurs [10], la pratique avait consacré l’usage des actions de préférence à droit de vote multiple afin de dissocier le pouvoir politique des droits financiers sans nécessairement recourir à un pacte extra-statutaire dans les sociétés par actions simplifiées.

Le législateur a ainsi choisi, d’une part, d’autoriser la création d’actions de préférence à droit de vote double sans condition ou à droit de vote multiple dans les sociétés anonymes et les sociétés en commandite par actions et, d’autre part, d’écarter définitivement tout doute sur cette faculté dans les sociétés par actions simplifiées. Cette évolution permettra de faciliter la structuration d’opérations complexes dans lesquelles la forme de société anonyme est requise par la loi [11] ou souhaitée par les investisseurs, notamment dans les opérations de venture capital lors des dernières séries d’investissement précédant une introduction en bourse.

De façon ironique, cette évolution ne constitue pas une nouveauté dans la mesure où les actions à droit de vote multiple avaient été autorisées par la loi du 16 novembre 1903 avant d’être supprimées et remplacées par les seules actions à droit de vote double par une loi du 13 novembre 1933. Une partie de la doctrine considérait alors que les actions à droit de vote multiple étaient contraires à l’esprit supposé démocratique des sociétés par actions [12].

Avec cette réforme, la France renforce l’attractivité de son cadre législatif applicable aux investissements en y autorisant des schémas que l’on peut trouver chez certains de nos voisins. A titre d’exemple, au Luxembourg, si le recours aux actions à droit de vote multiple est interdit ou incertain selon les formes sociales, la possibilité d’émettre des actions avec des valeurs nominales différentes permet d’aboutir à un résultat similaire. Bien que l’usage d’actions à droit de vote multiple dans les sociétés cotées fasse souvent l’objet de critiques doctrinales ou de la part d’investisseurs activistes, il nous semble regrettable de ne pas avoir ouvert cette faculté aux sociétés cotées alors que ce mécanisme existe et fonctionne dans d’autres pays comme les Etats-Unis [13] et les Pays-Bas. Dans ce dernier cas, cela constitue même un élément particulier d’attractivité de la place d’Amsterdam que plusieurs sociétés en Europe semblent avoir retenu pour cette raison [14].

2.2. Actions de préférence rachetables à la demande de l’actionnaire

L’article 100 de la loi «PACTE» a également modifié le régime du rachat d’actions en autorisant le rachat à la demande de l’actionnaire concerné, étant précisé que le régime de rachat d’actions devrait à nouveau évoluer en application de la proposition de loi de simplification, de clarification et d’actualisation du droit des sociétés.

L’ordonnance n° 2014-863 du 31 juillet 2014, relative au droit des sociétés (N° Lexbase : L1321I4P), avait consacré l’impossibilité de créer des actions rachetables « à la main » du porteur, le rapport au Président de la République relatif à ce texte ayant considéré qu’une telle possibilité se heurterait «à des principes fondamentaux en droit des sociétés, telle la prohibition de la variabilité du capital social dans les sociétés anonymes» bien qu’une partie de la pratique et de la doctrine ait appelé une telle possibilité de ses vœux [15]. Par ailleurs, il convient de noter que le Professeur Renaud Mortier considère que la création de ce type d’actions était possible avant l’entrée en vigueur de ladite ordonnance [16]. Ce type de rachat est par ailleurs accepté par de nombreux pays comme les Etats-Unis, le Royaume Uni ou l’Italie. Si le cas des Etats-Unis ne surprendra pas, il est intéressant de voir que plusieurs pays européens l’acceptent, conformément d’ailleurs à la Directive européenne «capital social» [17]. D’autres pays en revanche, comme l’Allemagne, semblent opposés à cette possibilité.

Alors que l’article L. 228-12 du Code de commerce (N° Lexbase : L8891I3P) prévoyait le rachat «à l’initiative exclusive» de la société, le texte modifié prévoit maintenant trois possibilités : le rachat «à l’initiative exclusive de la société» qui est maintenu, le rachat «à l’initiative conjointe de la société et du détenteur de l’action de préférence» et le rachat à «l’initiative exclusive du détenteur».

Le rachat à l’initiative du détenteur de l’action de préférence constitue, selon nous, la seule véritable innovation car il nous semble que l’ancienne rédaction n’interdisait pas des modalités prévoyant un rachat à l’initiative de la société mais conditionné à un accord du porteur, ce qui pourrait se rapprochait d’une initiative conjointe.

La modification de la personne à l'initiative du rachat est, dans son principe, de nature à affecter la portée du concept d’intangibilité du capital du droit des sociétés. Néanmoins, les règles générales gouvernant l’achat d’actions propres disposées aux articles L. 225-210 (N° Lexbase : L7022IC3) à L. 225-212 du Code de commerce ainsi que les règles disposées aux articles L. 228-12 (N° Lexbase : L8891I3P) et L. 228-12-1 (N° Lexbase : L8871I3X) demeurent applicables, de façon à assurer notamment une forme de protection des créanciers.

Concernant ces mécanismes protecteurs (ou contraintes), l’article L. 225-210 du Code de commerce dispose non seulement qu’une société ne peut détenir plus de 10 % du total de ses propres actions mais il prévoit également une limite de 10 % applicable au sein de chaque catégorie d'actions. Cette limitation par catégorie du stock d’actions rachetées implique qu’il ne soit a priori pas possible d’émettre une catégorie d’actions ayant vocation à être rachetée en totalité comme technique de financement, les contraintes applicables aux réductions de capital non motivées par des pertes trouvant alors à s’appliquer. Ces mécanismes de rachat semblent donc plus appropriés pour assurer une forme de liquidité limitée sur l’instrument qu’une nouvelle technique de financement. Cet instrument ne pourra par conséquent pas être utilisé -en l’état- afin de permettre la «sortie» de certaines catégories d’investisseurs dans des dossiers de venture capital comme cela avait pu être espéré [18]. Le Professeur Renaud Mortier avait d’ailleurs déjà identifié cette limite  [19] et avait proposé sa suppression. Il nous semble également que la limite globale devrait suffire à apporter la protection recherchée et que la suppression de la limite catégorielle serait de nature à faire des actions rachetables un instrument beaucoup plus dynamique. Les sanctions applicables au manquement à cette règles semblent toutefois à relativiser dans la mesure où les actions achetées en violation de cette règle doivent être cédées dans le délai d'un an ou, à défaut, annulées [20]. Dans la mesure où le rachat des actions de préférence n’est pas limité en termes de flux, il pourrait également être envisagé de créer des actions de préférence rachetables qui, dès lors qu’elles sont détenues par la société, font l’objet d’une conversion automatique et immédiate en actions ordinaires. De cette façon, les sociétés ayant un capital social important pourraient apprécier leur stock d’actions propres uniquement par rapport à leurs actions ordinaires.

Les autres dispositions protectrices des créanciers, conformément à la Directive européenne «capital social» précitée, conservent une approche de nature comptable en encadrant l’impact des rachats d’actions sur les capitaux propres et la nécessité de disposer de réserves comptables adéquates. S’il semble utile de conserver ce type de protection, en particulier la nécessité de n’utiliser que des sommes distribuables pour opérer le rachat d’actions, les sociétés émettrices de tels instruments devraient, selon nous, réfléchir à instaurer des conditions d’exercice des demandes de rachat complétant le dispositif légal, portant le cas échéant sur l’existence d’une trésorerie disponible. Il semble en effet que le cumul de la limite de 10 % et l’absence de condition relative à la trésorerie disponible est susceptible de créer une prime à l’actionnaire qui demandera le premier le remboursement de ses titres si la société émettrice connait des difficultés de trésorerie. En effet, bien que le 5° du III de l’article L. 288-12 du Code de commerce dispose toujours, qu’«en aucun cas, ces opérations ne peuvent porter atteinte à l’égalité d’actionnaires se trouvant dans la même situation», le fait qu’un détenteur d’une catégorie d’actions de préférence rachetables puisse demander le rachat de ses actions de façon isolé (à moins que les statuts n’aient organisé une mécanique plus complexe de collecte et de réduction proportionnelle des demandes) crée une prime à la vitesse. Cet avantage ne constitue pas une violation du principe d’égalité dans la mesure où tous les actionnaires titulaires de la catégorie d’actions concernée ont le même droit de demander le rachat. La créance de rachat d’actions est a priori une créance chirographaire qui n’est pas subordonnée aux autres créanciers de la société.

Ces nouvelles catégories d’actions de préférence devraient par ailleurs présenter certaines susceptibilités de traitement comptable. En effet, alors qu’elles devraient toujours être comptabilisées comme du capital en comptabilité sociale, il est vraisemblable qu’elles ne pourront pas être comptabilisées comme des fonds propres ou quasi-fonds propres à moins que l’exercice de la faculté de rachat à l’initiative du détenteur ne soit très strictement encadrée [21].

Malgré ces difficultés, cette nouvelle catégorie d’instruments apporte une flexibilité nouvelle dont la pratique pourra se servir dans de nombreuses situations. Nous pensons d’ores et déjà à des mécanismes de liquidité dans le cadre d’actionnariat salarié de sociétés non cotées ou des opérations présentant des cascades de valeurs mobilières plus complexes rencontrées dans les opérations de leverage buy out ou de restructuration.

Au regard des protections et limites évoquées ci-dessus, nous nous demandons néanmoins ce qui a conduit le législateur à interdire l’émission de cette catégorie d’actions de préférence pour les sociétés dont les titres sont admis sur un marché réglementé. On notera néanmoins que cette restriction est limitée aux sociétés dont les actions sont admises sur un marché réglementé sans viser les systèmes multilatéraux de négociation. Il sera donc possible pour les sociétés dont les actions sont admises sur Euronext Growth d’émettre des actions rachetables à l’initiative de leur titulaire mais pas des actions à droit de vote multiple.

3. Modification des règles de détermination des plafonds d’attribution gratuite d’actions

L’article 163 de la loi «PACTE» a également apporté une précision attendue sur la limite du nombre d’actions pouvant être attribuées gratuitement conformément à l’article L. 225-197-1, I du Code de commerce (N° Lexbase : L1899KGG). 

En effet, selon la rédaction antérieure du deuxième alinéa de cet article, «le nombre total des actions attribuées gratuitement ne peut excéder 10 % du capital social à la date de la décision d’attribution de actions», étant précisé que dans certaines hypothèses ce seuil peut être porté à 15 % ou 30 %. Comme la doctrine s’en était émue lors de son vote initial par le législateur [22], cette rédaction couvrait l’ensemble des actions attribuées gratuitement, en ce compris celles qui n’avaient pas été effectivement attribuées ou encore celles qui avaient été attribuées et dont la période de conservation avait expiré et qu’il devient impossible de distinguer des actions normalement souscrites. L’administration fiscale avait accepté d’exclure les actions gratuites non-effectivement attribuées de ce calcul [23], mais le législateur n’avait, jusqu’à présent, pas jugé pertinent d’insérer cette précision dans le Code de commerce. 

C’est désormais chose faite : le 2ème alinéa de l’article L. 225-197-1, I du Code de commerce est complété par la loi «PACTE» pour exclure de l’appréciation des plafonds applicables aux actions attribuées gratuitement «les actions qui n’ont pas été définitivement attribuées au terme de la période d’acquisition prévue au sixième alinéa [de l’article L. 225-197-1, I du Code de commerce] ainsi que les actions qui ne sont plus soumises à l’obligation de conservation prévue au septième alinéa [de l’article L. 225-197-1, I du Code de commerce]». Le législateur a donc consacré la solution retenue par l’administration fiscale (pour les actions attribuées mais non effectivement attribuées) et celle appelée de ses vœux par la doctrine (pour les actions attribuées dont la période de conservation a expiré).

 

[1] A la date de rédaction de cet article, la loi «PACTE» a été votée par l’Assemblée  nationale et le Sénat et a fait l’objet d’une décision du Conseil constitutionnel en date du 16 mai 2019.

[2] Cette terminologie est employée volontairement dans la mesure où la loi «PACTE» vise selon le cas, seulement les sociétés dont les actions sont admises sur un marché réglementé ou également celles dont les actions sont admises sur un système multilatéral de négociation.

[3] Directive 2004/25/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 avril 2004 concernant les offres publiques d’acquisition (N° Lexbase : L2413DYZ).

[4] En 2018, d’après l’étude d’impact concernant le projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises en date du 18 juin 2018, seuls cinq pays européens (Italie, Pays-Bas, Luxembourg, Lituanie et France) sur vingt-huit appliqueraient le seuil de 95%.

[5] A titre d’exemple, la Suisse, Singapour, et Hong-Kong.

[6] Article 100 de la loi «PACTE».

[7] C. com., art. L. 228-11 (N° Lexbase : L2412IBX).

[8] Ces exceptions consistent à prévoir statutairement des actions à droit de vote double avec certaines conditions (C. com., art. L. 225-123 N° Lexbase : L9613IZ3 et L. 225-124 N° Lexbase : L7674LBT, limitant cette faculté aux actions entièrement libérées et faisant l'objet d'une inscription nominative depuis deux ans au moins) et une limitation générale des droits de vote par actionnaire (C. com., art. L. 225-125).

[9] B. Brignon Bastien, et Th. Granier, Fasc. 1803 : Actions De Préférence, Lexis Nexis 360, 16 août 2017 ; R. Kaddouch, Le droit de vote attaché aux actions de préférence, Actes pratiques, 2005 n° 82 p. 37.

[10] G. de Ternay, SAS et actions de préférence : modus operandi, JCP éd. E, 2005, 568.

[11] A titre d’exemple, les sociétés publiques locales, les sociétés publiques locales d’aménagement, les sociétés d’économie mixtes locales et les sociétés d’économie mixte à opération unique doivent être structurées sous forme de SA.

[12] H. Bosvieux, La nouvelle règlementation du droit de vote dans les sociétés par actions, Commentaire de la Loi du 13 Novembre 1933, Journal des Sociétés, janvier 1934.

[13] Laurence Boisseau, Les actions à droit de vote multiple ont toujours la cote, Les Echos, 7 mai 2019 ; Robertson Tan Andrea Benjamin, Dual-Class Shares, Second-class investors ?, Bloomberg.com, 15 janvier 2019.

[14] EUMEDION, Corporate Governance Forum, Position Paper 28 June 2016.

[15] Alain Couret, L’action de préférence rachetable à la demande du porteur, Bulletin Joly Sociétés, n° 4, janvier 2008, Arnaud Reygrobellet, Les actions de préférence sous les feux de l’actualité, RTDF, 2008, n° 1.

[16] Notamment, Droit des sociétés n° 4, avril 2015, comm. 62, CA Nancy 1ére civ, 16 juin 2014, n° 13/01988 (N° Lexbase : A5705MRQ).

[17] Directive 2012/30/UE du Parlement Européen et du Conseil du 25 octobre 2012 tendant à coordonner, pour les rendre équivalentes, les garanties qui sont exigées dans les Etats membres des sociétés au sens de l’article 54, deuxième alinéa, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, en vue de la protection des intérêts tant des associés que des tiers, en ce qui concerne la constitution de la société anonyme ainsi que le maintien et les modifications de son capital (N° Lexbase : L4938IUG).

[18] S. Vermeille et A. Bézert, Plaidoyer en faveur de l’introduction des actions de préférence rachetables à l’initiative de l’actionnaire en droit français, RTDF n° 4, 2015.

[19] R. Mortier, Les actions rachetables, Actes Pratiques et Ingénierie Sociétaire, n° 140, mars 2015.

[20] C. com., art. L. 225-214 (N° Lexbase : L4621ISX). La Cour de cassation exclut de prononcer la nullité des achats par une société de ses propres actions réalisées en violation de l'article L. 225-206, II du Code de commerce (N° Lexbase : L8297GQD) : cf. Cass. civ. 1, 17 décembre 2009, n° 08-12.344, FS-P+B N° Lexbase : A7100EPN, Bull. civ. I, n° 255).

[21] Cette évolution consacre une nouvelle fois la dissociation entre capital, d’une part, et fonds propres et quasi-fonds propres, d’autre part, alors qu’il était déjà admis que des titres de dette comme les obligations remboursables en actions puissent constituer des fonds propres ou quasi fonds propres.

[22] Avis du comité juridique de l’ANSA du 20 janvier 2005, dossier ANSA n° 05-005 ; avis du comité juridique de l’ANSA du 2 avril 2014, dossier ANSA n° 14-027 ; commentaire sous article L. 225-197-1 du Code de commerce, Code des sociétés, Dalloz, 2018. V. B. Saintourens et Ph. Emy, Nouvelle étape de simplification du droit des sociétés par la loi n° 2012-397 du 22 mars 2012, Rev. Sociétés, 2012 ; F. Basdevant, F. Martin Laprade, L’attribution gratuite d’actions, Actes Pratiques et Ingénierie Sociétaire, n° 121, janvier 2012.

[23] BOI-RSA-ES-20-20-10-10, n° 140 (N° Lexbase : X7383ALZ).

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