Réf. : Cass. crim., 8 janvier 2019, n° 17-81.396, F-D (N° Lexbase : A6482YSU)
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par Kaltoum Gachi, Avocate au Barreau de Paris, Docteur en Droit, Chargée d'enseignement à l'Université Paris II
Le 23 Janvier 2019
Mots-clefs : Jurisprudence • Avocat • Twitter • Liberté d'expression
Résumé : La Chambre criminelle de la Cour de cassation a considéré que les propos tenus par Maître Eolas sur twitter, que l’Institut pour la Justice considérait injurieux et diffamatoires, ne dépassaient pas les limites admissibles de la liberté d’expression. Elle a ainsi indiqué que les propos «s’inscrivaient dans la même controverse sur l’action de la Justice pénale, à l’occasion de la préparation de la campagne aux élections présidentielles de 2012, constitutive d’un débat public d’intérêt général» et que «l’invective qu’ils comportaient répondait également de façon spontanée à l’interpellation d’un internaute sur les thèses défendues par la partie civile et ce, sur un réseau social imposant des réponses lapidaires, et, quelles que fussent la grossièreté et la virulence des termes employés, ils ne tendaient pas à atteindre les personnes dans leur dignité ou leur réputation, mais exprimaient l'opinion de leur auteur sur un mode satirique et potache, dans le cadre d’une polémique ouverte sur les idées prônées par une association défendant une conception de la Justice opposée à celle que le prévenu, en tant que praticien et débatteur public, entendait lui-même promouvoir, de sorte qu’en dépit de leur outrance, de tels propos n’excédaient pas les limites admissibles de la liberté d'expression dans un pays démocratique».
L’article 10 de la Convention européenne des droits de l’Homme (N° Lexbase : L4743AQQ) protège le droit à la liberté d’expression. Si des limitations sont prévues par le paragraphe 2 de cet article, elles sont d’interprétation particulièrement étroite. C’est au visa de ces dispositions et au rappel de cette règle qu’a été rendu l’arrêt de la Chambre criminelle de la Cour de cassation du 8 janvier 2019 qui a cassé sans renvoi l’arrêt de la cour d’appel de Versailles condamnant Maître Eolas pour des propos conduisant l’Institut pour la Justice (IPJ) à déposer une plainte avec constitution de partie civile des chefs de diffamation et d’injure publiques.
Ce célèbre avocat blogueur avait critiqué tant les thèses et objectifs du texte que la fiabilité du décompte des signataires d’une pétition mise en ligne par cet institut et avait publié sur son compte twitter, les 8 et 9 novembre 2011, des messages comportant les propos suivants : «L'Institut pour la justice en est donc réduit à utiliser des bots pour spamer sur Twitter pour promouvoir son dernier étron ?» et «Que je me torcherais bien avec l'Institut pour la Justice si je n'avais pas peur de salir mon caca».
Renvoyé devant le tribunal correctionnel de Nanterre, les premiers juges l’avaient déclaré coupable de diffamation et d'injure publiques et l’avaient condamné à une amende de 2 000 euros avec sursis ainsi qu’au versement de la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts. Sur appel du prévenu, la cour d'appel de Versailles avait infirmé le jugement qui lui était déféré en le relaxant du délit de diffamation. Les juges du second degré avaient, en effet, considéré que le fait d'écrire sur twitter, que le compteur de signature de la pétition mise en ligne par l'IPJ était «bidon» et qu'il s'agissait d'une «manipulation» n'induisait pas que l'IPJ ait eu «la volonté de truquer ou de fausser les résultats de la pétition», contrairement à ce que soutenait la partie civile. La cour d’appel avait également estimé que la «concision des messages», sur ce réseau social, qui limite les caractères au nombre de 140, ne permettait pas à l'auteur du message de «développer une argumentation précise, contrairement à un article de fond». La juridiction d’appel constatait également que, lors de l'audience, la partie civile avait elle-même reconnu «qu'il était possible à une personne de signer [la pétition] à plusieurs reprises dès lors qu'elle se présentait sous des adresses mél différentes». Dans ces conditions, les propos litigieux, qui ne visaient qu'à dénoncer, en termes véhéments «les anomalies dans la réalisation de la pétition» ne pouvaient tomber sous le coup de la répression au titre de la diffamation. En revanche, s’agissant de l'injure, la cour d'appel avait retenu le délit pour le message «Je me torcherais bien avec l'Institut pour la Justice, si je n'avais pas peur de salir mon caca», en ce qu’il dépassait, selon elle, «la dose d'exagération et de provocation admissible». Outre les dommages et intérêts, l’amende avait été fixée à 500 euros, la Cour relevant que le prévenu n'avait jamais été condamné et que les propos injurieux avaient été tenus à 4 heures 43 du matin, sous le coup de la fatigue.
Le pourvoi offrait une large marge de manœuvre à la Chambre criminelle qui devait se prononcer sur la question de savoir si ces propos dépassaient ou non les limites admissibles de la liberté d’expression.
Son office est, on le sait, extrêmement important en droit de la presse puisqu’elle se reconnaît, en la matière, «le droit d’examiner elle-même l’article dont les termes sont placés sous ses yeux, d’en rechercher et d’en déterminer le véritable sens et la portée dans leurs rapports avec la qualification légale» (par ex. : Cass. crim., 16 novembre 1993, n° 90-83.128 N° Lexbase : A3411ACC ; Cass. crim., 3 juillet 1996, n° 94-82647, publié au bulletin N° Lexbase : A9049CEU). Il lui appartient ainsi d’exercer son contrôle sur le point de savoir si dans les écrits poursuivis ou les propos retenus dans la prévention se retrouvent les éléments légaux de la diffamation ou de l’injure publique, tels qu’ils sont définis par la loi du 29 juillet 1881 (Cass. crim., 5 mai 1953, Bull. crim. n° 156 ; Cass. crim., 9 janvier 1958, Bull. crim. n° 48 ; Cass. crim., 4 novembre 1972, ibid. n° 325 ; 26 mai 1987, ibid. n° 217 ; Cass. crim., 16 octobre 2001, n° 00-87320, publié au bulletin N° Lexbase : A1028AXD). Elle se reconnaît le même pouvoir en ce qui concerne les causes d’exonération dont peut se prévaloir le prévenu.
Exerçant pleinement sa mission, la Cour de cassation a rappelé, à l’occasion de la présente affaire, que «la liberté d'expression ne peut être soumise à des ingérences que dans les cas où celles-ci constituent des mesures nécessaires au regard du paragraphe 2 de ce texte» et a censuré l’arrêt de la cour d’appel en lui reprochant d’avoir elle-même constaté que les propos litigieux «s’inscrivaient dans la même controverse sur l’action de la Justice pénale, à l’occasion de la préparation de la campagne aux élections présidentielles de 2012, constitutive d’un débat public d’intérêt général». Elle a affirmé que «l’invective qu’ils comportaient répondait également de façon spontanée à l’interpellation d’un internaute sur les thèses défendues par la partie civile et ce, sur un réseau social imposant des réponses lapidaires, et, quelles que fussent la grossièreté et la virulence des termes employés, ils ne tendaient pas à atteindre les personnes dans leur dignité ou leur réputation, mais exprimaient l'opinion de leur auteur sur un mode satirique et potache, dans le cadre d’une polémique ouverte sur les idées prônées par une association défendant une conception de la Justice opposée à celle que le prévenu, en tant que praticien et débatteur public, entendait lui-même promouvoir, de sorte qu’en dépit de leur outrance, de tels propos n’excédaient pas les limites admissibles de la liberté d'expression dans un pays démocratique».
Aux termes de ces motifs, la Chambre criminelle a cassé sans renvoi, en application de l’article L. 411-3 du Code de l’organisation judiciaire (N° Lexbase : L2546LBW), l’arrêt d’appel. Pour considérer, au cas concret, que les limites admissibles de la liberté d’expression n’avaient pas été dépassées, la Cour de cassation a utilisé des critères d’appréciation qui méritent d’être soigneusement examinés (I) en traduisant incontestablement un élargissement de la liberté d’expression, amplement justifié compte tenu du contexte (II).
I - Les critères d’appréciation
Peut-être faut-il rappeler que constitue une injure, au sens de l’article 29 alinéa 2 de la loi du 29 juillet 1881 (N° Lexbase : L5204AH9), «toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d'aucun fait». Dans la présente affaire, la Chambre criminelle n’est pas revenue sur le caractère injurieux des propos en évoquant expressément «l’invective» qu’ils comportaient pour se placer sur le strict terrain de l’examen d’une cause éventuelle d’exonération. A cet égard, la décision commentée fait référence à deux principaux éléments qui démontrent que les limites admissibles de la liberté d’expression n’ont pas été dépassées. Elle s’est fondée, en premier lieu, sur l’existence d’un débat public d’intérêt général (A) et, en second lieu, sur le caractère spontané de la réponse sur le réseau social twitter, imposant des formulations lapidaires (B).
A - L’existence d’un débat public d’intérêt général
En affirmant, après la cour d’appel, que les propos de Maître Eolas «s’inscrivaient dans la même controverse sur l’action de la Justice pénale, à l’occasion de la préparation de la campagne aux élections présidentielles de 2012, constitutive d’un débat public d’intérêt général», la Chambre criminelle souligne là un critère de haute valeur puisqu’il assouplit la rigueur de l’appréciation en conférant à la liberté d’expression une portée plus large.
Ce critère est traditionnellement rattaché à la bonne foi en matière de diffamation. Rappelons à cet égard qu’à la différence de l’injure, la diffamation renferme l’imputation d’un fait précis susceptible de faire l’objet, sans difficulté, d’un débat contradictoire. Or, l’auteur d’une diffamation peut s’exonérer de sa responsabilité pénale en rapportant la preuve de sa bonne foi (Cass. crim., 24 mai 2005, n° 03-86.460, FS-P+F N° Lexbase : A7657DIG Bull. crim., n° 155), laquelle ne se confond pas avec la preuve de la vérité des faits, qui est un autre fait justificatif propre à la diffamation. Sur ce point, il a été jugé qu’«en matière de diffamation la preuve de la vérité du fait diffamatoire et la bonne foi constituent deux questions distinctes ; […] en conséquence, le prévenu qui n'entend pas offrir la preuve de la vérité du fait diffamatoire ne saurait être déchu du droit d'exciper de sa bonne foi». La diffamation comporte en effet un élément moral, la mauvaise foi, dont l’existence est présumée par la jurisprudence.
Si l’admission de la bonne foi suppose que l’auteur des propos ait agi, cumulativement, sans animosité personnelle, en poursuivant un but légitime, avec prudence et mesure dans l’expression, il est admis que ces exigences doivent être examinées avec souplesse lorsque le sujet abordé est dit «d’intérêt général». Ainsi, la Cour européenne des droits de l’Homme rappelle régulièrement qu’il existe un principe général de «libre discussion de questions d'intérêt général» (CEDH, 3 avril 2012, Req. 42857/05 N° Lexbase : A1295IHG). Il ressort, en particulier, de la jurisprudence européenne que «si tout individu qui s'engage dans un débat public d'intérêt général, comme l'est par définition une campagne électorale, est certes tenu de ne pas dépasser certaines limites quant au respect de la réputation et des droits d'autrui, il lui est également permis de recourir à une certaine dose d'exagération, voire de provocation, c'est-à-dire d'être quelque peu immodéré dans ses propos» (CEDH, 7 novembre 2006, Req. 12697/03 N° Lexbase : A1924DS3). La jurisprudence de la Chambre criminelle s’inscrit dans le même sens (Cass. crim., 29 mars 2011, n° 10-85.887, F-P+B N° Lexbase : A1344HR9, Bull. crim., n° 61 ; Cass. crim., 27 avril 2011, n° 10-83.771, F-P+B N° Lexbase : A2733HSZ ; Cass. crim., 11 juin 2013, n° 12-83.487, F-P+B N° Lexbase : A5728KGA ; Cass. crim., 8 avril 2014, n° 12-88.095, F-P+B+I N° Lexbase : A6858MIT ; Cass. crim., 6 mai 2014, Bull. crim., n° 121 ; Cass. crim., 10 avril 2018, n° 17-81.347, F-D N° Lexbase : A1429XLI ; Cass. crim., 10 mai 2017, n° 16-81.555, F-D N° Lexbase : A8898WCK).
L’utilisation de ce critère du débat d’intérêt général pour des faits injurieux s’avère dès lors originale puisqu’on pouvait considérer que l’existence de ce débat se concevait plus aisément lorsque les propos imputés ou allégués revêtaient une précision suffisante pour constituer une diffamation. Mais il convient néanmoins de relever que la Cour européenne, qui ne s’attache pas aux qualifications proprement internes, avait considéré, à maintes reprises, que des propos écrits ou oraux pouvaient être regardés comme relevant de «la libre discussion de questions d’intérêt général» en dépit de leur nature incisive et même insultante (v., not., CEDH, 14 mars 2013, Req. 26118/10 N° Lexbase : A6606I9K, § 56-62). La décision du 8 janvier 2019 s’inscrit donc dans le droit fil de ces solutions.
B - Le caractère spontané et nécessairement concis du tweet
La Cour de cassation ne s’est pas uniquement référée au débat public d’intérêt général, elle a également énoncé, pour considérer que les limites admissibles à la liberté d’expression n’avaient pas été dépassées par les propos dénoncés, que «l’invective qu’ils comportaient répondait également de façon spontanée à l’interpellation d’un internaute sur les thèses défendues par la partie civile et ce, sur un réseau social imposant des réponses lapidaires». C’est dire que, tout en admettant que les termes employés comportaient une invective et constituaient par là une injure, elle a estimé que la spontanéité de la réponse, qui ne doit pas excéder 140 caractères, devait être prise en considération.
Ce second critère n’est pas sans rappeler l’excuse légale de provocation, cause d’exonération spécifique à l’injure et prévue à l’article 33 alinéa 2 de la loi de 1881. Invocable dans le cas des injures envers particulier uniquement, cette excuse ne peut exonérer son auteur de sa responsabilité pénale que si elle constitue une riposte directe à une provocation de nature à atteindre l'auteur soit dans son honneur ou sa considération, soit dans ses intérêts pécuniaires ou moraux (Cass. crim., 26 déembre 1956, Bull. crim., n° 883 ; Cass. crim., 10 mai 2006, n° 05-82.971, FS-D N° Lexbase : A3993KIQ). La jurisprudence a précisé que, pour excuser l’injure, la provocation devait être personnelle, injuste et directe. Il doit donc exister un lien de causalité entre la provocation et l'injure qui implique aussi l'immédiateté de la riposte et sa proportionnalité (Cass. crim., 24 novembre 2009, n° 09-83.256, F-P+F N° Lexbase : A3566EPR ; Cass. crim., 13 avril 1999, n° 98-81625 N° Lexbase : A3820AUZ, Bull. crim., n° 77). On parle de riposte immédiate et irréfléchie.
Or, en l’espèce, la référence à la réponse spontanée de Maître Eolas s’inscrit dans une même logique d’immédiateté et c’est d’ailleurs ce que soutenait le moyen qui rappelait qu’en matière d’injure publique, la provocation résulte d’actes de nature à atteindre les intérêts moraux du prévenu et qu’au cas d’espèce, les affirmations contenues dans le «Pacte 2012» rédigé par l’IPJ, reposant sur l’idée que la Justice pénale serait exagérément laxiste et insuffisamment protectrice des intérêts des victimes d’infractions, heurtaient les convictions dont le demandeur au pourvoi faisait lui-même la promotion publique sur son blog et sur le réseau twitter.
Toutefois, la Cour de cassation s’est plus largement fondée sur la particularité du réseau social, en indiquant que le prévenu avait répondu, en termes nécessairement lapidaires, à l’interpellation d’un internaute, le sujet abordé étant d’intérêt général et la liberté d’expression y étant nécessairement plus largement conçue.
II - Une liberté d’expression élargie
L’arrêt du 8 janvier 2019 s’inscrit dans une lignée jurisprudentielle favorable à la liberté d’expression inspirée, de toute évidence, des exigences européennes.
La Cour européenne des droits de l’Homme a rappelé, à plusieurs reprises, que la liberté d'expression constituait l’un des fondements essentiels d'une société démocratique, ainsi que l'une des conditions primordiales de son progrès et de l’épanouissement de chacun (CEDH, 8 juillet 1986, Req. 12/1984/84/131, Lingens N° Lexbase : A6312AWP série A n° 103, p. 26, § 41). Elle a également affirmé que si elle peut être assortie d'exceptions, celles-ci «appellent toutefois une interprétation étroite, et le besoin de la restreindre doit se trouver établi de manière convaincante» (CEDH 26 novembre 1991, Observer et Guardian c/ Royaume-Uni, série A n° 216, p. 30, § 59), ce qui fait naturellement écho à l’attendu de principe de la décision commentée.
Au cas présent, indépendamment de la spécificité du réseau social twitter, de la spontanéité/brièveté imposée de la réponse imposée sur ce réseau, la Cour de cassation a également évoqué la qualité de l’auteur «praticien et débatteur public».
Certes, sa qualité d’avocat n’était pas expressément mentionnée et on sait que la Cour européenne a eu l’occasion de se prononcer sur la liberté d’expression de l’avocat (V. not., CEDH, 23 novembre 1983, Req. 8919/80 N° Lexbase : A5139PZD ; CEDH, 20 mai 1998, Req. 56/1997/840/1046 N° Lexbase : A7417AWM ; CEDH, 15 décembre 2005, Req. 73797/01, N° Lexbase : A9564DLS ; CEDH, 17 juillet 2007, req. n° 30278/04 ; CEDH, 24 janvier 2008, req. n° 17155/03 ; pour une étude d'ensemble, V., L. François, La liberté d'expression de l'avocat en droit européen, Gaz. Pal., 21 juin 2007, n° 172, p. 2). La Cour européenne avait, dans l’affaire "Morice contre France", évoqué le «statut spécifique des avocats, intermédiaires entre les justiciables et les tribunaux», qui «leur fait occuper une position centrale dans l'administration de la Justice» (CEDH, 23 avril 2015, Req. 29369/10 N° Lexbase : A0406NHI).
Toutefois, si la qualité d’avocat n’avait pas lieu d’être soulignée en l’espèce, Maître Eolas intervenant en tant que «praticien et débatteur public», sa conception radicalement différente de celle de l’IPJ a évidemment été notée. La Cour de cassation a ainsi jugé que les propos «exprimaient l'opinion de leur auteur sur un mode satirique et potache, dans le cadre d’une polémique ouverte sur les idées prônées par une association défendant une conception de la Justice opposée à celle que le prévenu, en tant que praticien et débatteur public, entendait lui-même promouvoir, de sorte qu’en dépit de leur outrance, de tels propos n’excédaient pas les limites admissibles de la liberté d'expression dans un pays démocratique». Si l’outrance des propos a également été soulignée, l’auteur pouvait toutefois s’exprimer de la manière qui lui paraissait la plus adaptée aux circonstances dès lors que, ainsi que l’a précisé la Chambre criminelle, les termes employés «ne tendaient pas à atteindre les personnes dans leur dignité ou leur réputation».
Pour terminer, on indiquera que, dans une autre affaire, la Cour de cassation a, au même visa, cassé sans renvoi un arrêt d’appel qui avait condamné la personne qui avait apposé sur les affiches de la manif pour tous, partie civile, le mot «homophobes». Alors que la cour d’appel avait condamné le prévenu du chef d’injure publique, la Cour de cassation avait estimé que l’emploi de ce qualificatif s’inscrivait dans le débat d’intérêt général sur la loi autorisant le mariage des couples de même sexe, auquel l’association partie civile s’était vivement opposée, cependant que l’association présidée par le prévenu avait milité en sa faveur, de sorte que, relevant d’une libre opinion sur l’action et les prises de position de la partie civile, il ne dépassait pas les limites admissibles de la liberté d’expression (Cass. crim., 23 janvier 2018, n° 16-87.545, F-D N° Lexbase : A8696XBP).
On ne peut que se réjouir de la présente décision qui retient une conception de la liberté d’expression reposant sur le pluralisme des idées, quelle que soit la manière dont elles sont exprimées.
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newsid:467364
Réf. : CE 4° ch., 28 décembre 2018, n° 409633, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A8467YRZ)
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N7253BXW
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par Marie Le Guerroué
Le 23 Janvier 2019
► L'inscription d'un avocat au barreau de Paris ne caractérisant pas un exercice de la profession d'avocat dans le ressort du tribunal de grande instance de Nanterre, un magistrat en disponibilité ayant exercé dans le ressort de ce TGI peut s’inscrire comme avocat au barreau de Paris.
Telle est la précision apportée par le Conseil d’Etat dans sa décision du 28 décembre 2018 (CE 4° ch., 28 décembre 2018, n° 409633, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A8467YRZ).
La directrice des services judiciaires avait rejeté la demande par laquelle un magistrat exerçant dans le ressort du TGI de Nanterre, sollicitait le renouvellement de sa mise en disponibilité, en vue d'exercer la profession d'avocat au barreau de Paris. Cette décision avait été suspendue par le juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise. Le Garde des Sceaux se pourvoit en cassation.
Le Conseil d’Etat a considéré que le juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise avait pu, sans commettre d'erreur de droit, retenir comme étant, en l'état de l'instruction, de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de la délibération attaquée le moyen tiré de ce que l'inscription d'un avocat au barreau de Paris ne caractérise pas, au sens des dispositions de l'ordonnance organique du 22 décembre 1958 (ordonnance n° 58-1270 portant loi organique relative au statut de la magistrature N° Lexbase : L5336AGQ), un "exercice de la profession d'avocat dans le ressort" du tribunal de grande instance de Nanterre, alors même que la postulation auprès de ce tribunal est, à titre dérogatoire, en vertu des dispositions de la loi du 31 décembre 1971 (N° Lexbase : L6343AGZ), ouverte aux avocats inscrits au barreau de Paris.
Le pourvoi du Garde des Sceaux est, par conséquent, rejeté (cf. l’Ouvrage «La profession d’avocat» N° Lexbase : E7996ETC).
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Réf. : Cass. civ. 2, 17 janvier 2019, n° 18-10.198, F-P+B (N° Lexbase : A6592YTC)
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N7284BX3
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par Marie Le Guerroué
Le 23 Janvier 2019
► Une convention sur le principe d’un honoraire de résultat peut résulter d’un échange de courrier avec le client ; nonobstant le désaccord sur leur montant.
Ainsi statue la deuxième chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt du 17 janvier 2019 (Cass. civ. 2, 17 janvier 2019, n° 18-10.198, F-P+B N° Lexbase : A6592YTC).
En l’espèce, une société avait chargé un avocat de défendre ses intérêts dans un litige. L’avocat avait fait connaître ses conditions tarifaires pour son intervention dans le contentieux judiciaire relatif à la résiliation du bail commercial dans laquelle il indiquait son taux horaire et précisait, qu’en fin de dossier, il pourrait solliciter un honoraire de résultat. Il avait modifié son taux horaire par la suite. Par un courrier électronique, la société avait proposé à l’avocat de lui verser un honoraire de résultat de 22 750 euros HT, offre qui avait été refusée, l’avocat réclamant la somme de 68 400 euros TTC. Cette réclamation avait été refusée par les associés par une lettre. Le litige avait pris fin à la suite de négociations amiables, un accord étant signé entre les parties. L’avocat avait saisi le Bâtonnier de son Ordre afin d’obtenir la fixation des honoraires qu’il réclamait à la société. Le Bâtonnier avait rejeté la demande au titre de l’honoraire de résultat.
Pour rejeter la demande de l’avocat au titre d’un honoraire de résultat, l’ordonnance énonçait que l’honoraire de résultat devait répondre à deux conditions, à savoir la conclusion d’une convention d’honoraires et la facturation de diligences accomplies. Elle ajoutait que si l’article 10 de la loi du 31 décembre 1971 (N° Lexbase : L6343AGZ) n’exige pas que les modalités de fixation du complément d’honoraires soient déterminées dans la convention des parties, il exige néanmoins que le principe de l’honoraire de résultat soit acquis, l’accord du client sur le principe de l’honoraire de résultat devant être exprès et ne pouvant en tout état de cause être simplement «explicite». En l’espèce, si les associés avaient envisagé de proposer le versement de la somme de 22 750 euros HT par courriel, il n’en demeure pas moins qu’ils n’avaient jamais signé la moindre convention d’honoraires de résultat avec l’avocat définissant précisément la mission qu’il lui aurait confiée en contrepartie, étant observé que les deux courriers adressés par l’avocat ont pour finalité de faire connaître le taux horaire qu’il pratique dans le cadre de la seule procédure liée à la résiliation du bail qu’il avait été chargé de mener. Pour la cour, il était constant que la participation de l’avocat à la rédaction du protocole d’accord et à la négociation avec le notaire de la partie adverse n’avait pas fait l’objet d’une convention d’honoraires ni de diligences, ni de résultat. La société n’avait jamais accepté le principe de paiement d’un honoraire de résultat.
Pour la Haute Cour, au contraire, en statuant ainsi, alors, d’une part, qu’il avait estimé que l’avocat avait participé à la négociation entre la société et son bailleur pour mettre fin à leur litige, d’autre part, relevé que, par courrier électronique la société, donnant suite à deux lettres de l’avocat relatives à sa rémunération, avait proposé le paiement d’un honoraire de résultat, ce dont il résultait l’existence d’une convention sur le principe d’un tel honoraire, nonobstant un désaccord sur son montant qui devait conduire le juge de l’honoraire à l’apprécier, le premier président, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé l'article 1134 du Code civil (N° Lexbase : L0857KZR) et l'article 10 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 (cf. l’Ouvrage «La profession d’avocat» N° Lexbase : E4923E44).
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Réf. : Cass. soc., 16 janvier 2019, n° 17-12.479, FS-P+B (N° Lexbase : A6571YTK)
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N7283BXZ
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par Blanche Chaumet
Le 23 Janvier 2019
► N’est pas dans un lien de subordination avec la société l’associé unique de cette société, qui avait exercé les fonctions de gérant jusqu'au 30 novembre 2011, et disposait du pouvoir de révoquer le gérant, ce qui excluait toute dépendance attachée à la qualité de salarié.
Telle est la règle dégagée par la Chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 16 janvier 2019 (Cass. soc., 16 janvier 2019, n° 17-12.479, FS-P+B N° Lexbase : A6571YTK).
En l’espèce, invoquant un contrat de travail conclu le 10 décembre 2011 avec une société, l’associé unique de la société, qui avait exercé les fonctions de gérant jusqu'au 30 novembre 2011 a saisi la juridiction prud'homale pour faire fixer sa créance au titre d'un rappel de salaires et des congés payés afférents, des indemnités de rupture et de dommages-intérêts.
La cour d’appel (CA Paris, Pôle 6, 10ème ch., 11 janvier 2017, n° 16/01232 N° Lexbase : A0786S7A) ayant confirmé le jugement déféré en ce qu’il a dit ne pas lui reconnaître la qualité de salarié et en ce qu’il l’a débouté de l’ensemble de ses demandes, le salarié s’est pourvu en cassation.
Cependant, en énonçant la règle susvisée, la Haute juridiction rejette le pourvoi (sur les Exemples dans lesquels le lien de subordination juridique n'est pas retenu, cf. l’Ouvrage «Droit du travail» N° Lexbase : E7629ESD).
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Réf. : Cass. civ. 1, 16 janvier 2019, n° 18-50.047, FS-P+B+I (N° Lexbase : A1717YTR)
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N7252BXU
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par Yann Le Foll
Le 23 Janvier 2019
► L’étranger qui entend contester la régularité de la décision le plaçant en rétention administrative doit saisir le juge des libertés et de la détention par requête adressée par tout moyen avant l’expiration d’un délai de quarante-huit heures à compter de la notification de cette décision. Ainsi statue la Cour de cassation le 16 janvier 2019 (Cass. civ. 1, 16 janvier 2019, n° 18-50.047, FS-P+B+I N° Lexbase : A1717YTR).
Pour prononcer la mise en liberté de M. X, l’ordonnance retient que la décision de placement en rétention est irrégulière en l’absence de dispositions réglementaires permettant la prise en compte de la vulnérabilité des étrangers, au sens de l’article L. 551-1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (N° Lexbase : L2116LMC).
Selon la Cour suprême, en statuant ainsi, alors qu’il n’était pas régulièrement saisi d’une contestation de la régularité de la décision de placement en rétention, en l’absence de requête déposée à cette fin par l’étranger, le premier président a violé les articles L. 512-1, III, 1er alinéa (N° Lexbase : L1944LMX) et R. 552-10-1 (N° Lexbase : L4734LNN) du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.
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Réf. : Cass. crim., 12 décembre 2018, n° 17-85.736, F-P+B+I (N° Lexbase : A1469YQH)
Lecture: 6 min
N7267BXG
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par Pauline Le Monnier de Gouville, Maître de conférences en droit privé à l’Université Paris II Panthéon-Assas, Directrice des études de l’Institut d’Etudes Judiciaires Pierre Raynaud
Le 24 Janvier 2019
Mots-clés : délit de solidarité • application de la loi pénale dans le temps • rétroactivité • loi pour une immigration maîtrisée
Résumé : par un arrêt du 12 décembre 2018, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a fait application immédiate des dispositions plus favorables de l’article L. 622-4, 3° du CESEDA (N° Lexbase : L1972LMY), modifié par la loi n° 2018-778 du 10 septembre 2018 (N° Lexbase : L9696LLP), à des faits d’aide à la circulation et au séjour irréguliers d’étrangers, commis antérieurement à son entrée en vigueur.
«Que devient un pays, une culture, une langue, quand l'hospitalité […] peut devenir un crime ?», s’interrogeait en 1996 le philosophe Jacques Derrida à propos de l’appellation antinomique «délit de solidarité» [1].
Alors qu’a été adoptée la loi n° 2018-778 du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie [2], la Chambre criminelle a eu l’occasion de se prononcer, pour la première fois, sur les nouvelles dispositions de l’article L. 622-4, 3°, du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, relatives au «délit de solidarité» [3], ainsi modifiées par l’article 38 de ladite loi.
Par un arrêt de la cour d’appel d’Aix-en-Provence du 11 septembre 2017, un homme était condamné pour avoir facilité la circulation et le séjour d’environ deux-cents migrants Soudanais et Erythréens et pour les avoir aidés à passer la frontière italo-française. En première instance, le prévenu, qui se présentait comme le porte-parole des migrants et des militants associatifs, avait été déclaré coupable du chef de délit d’aide à l’entrée, à la circulation et au séjour irréguliers, sur le fondement de l’article L. 622-1 du CESEDA (N° Lexbase : L8951IU3), mais avait été renvoyé des fins de la poursuite pour le délit d’installation en réunion sur le terrain d’autrui sans autorisation. Le ministère public, le prévenu et la SNCF, partie civile déboutée de ses demandes, interjetaient appel de de ladite décision. De son côté, l’intéressé invoquait l’existence d’une immunité pénale, prévue par l’article L. 622-4, 3° lorsque l’aide apportée n’a «donné lieu à aucune contrepartie directe ou indirecte et consistait à fournir des conseils juridiques ou des prestations de restauration, d’hébergement ou de soins médicaux destinées à assurer des conditions de vie dignes et décentes à l’étranger, ou bien toute autre aide visant à préserver la dignité ou l’intégrité physique de celui-ci» [4]. La cour d’appel ne l’entendait pas ainsi. Selon elle, en effet, «la matérialité des faits n’est pas contestée, […] le prévenu savait que les migrants pris en charge étaient démunis de titre de séjour». Elle déniait en outre toute existence d’une immunité humanitaire, dès lors que l’action du prévenu «s’inscrivait dans une démarche d’action militante en vue de soustraire des étrangers aux contrôles mis en œuvre par les autorités pour appliquer les dispositions légales relatives à l’immigration». Or, «lorsque l’aide s’inscrit dans une contestation globale de la loi, elle n’entre pas dans les exemptions prévues mais sert une cause militante qui ne répond pas à une situation de détresse [du migrant, de sorte que] cette contestation constitu[ait] une contrepartie» à l’aide apportée. Les juges du fond condamnaient ainsi le prévenu à quatre mois d’emprisonnement avec sursis pour avoir porté assistance aux migrants en infirmant, par ailleurs, le jugement, déclarant également l’agriculteur coupable du chef d’installation sur le terrain d’autrui sans autorisation et aux intérêts civils.
L’affaire avait d’autant fait grand bruit que c’est à l’occasion du pourvoi en cassation qu’était soulevée une question prioritaire de constitutionnalité fondée sur le principe de fraternité, donnant lieu à la célèbre décision du Conseil constitutionnel du 6 juillet 2018 [5]. Cette question soutenait que l’article L. 622-1 du CESEDA et l’absence d’exemption pénale en faveur de personnes poursuivies pour tout acte humanitaire réalisé sans contrepartie directe ou indirecte, ainsi que l’inapplication de l’article L. 622-4, 3° à l’entrée et à la circulation d’un étranger en situation irrégulière sur le territoire français contrevenaient au principe de légalité et de nécessité des délits et des peines, au principe d’égalité devant la justice et au principe de fraternité [6]. Le Conseil constitutionnel jugeait alors, de manière pour le moins éclatante, que «la fraternité est un principe à valeur constitutionnelle» (§ 7). Au soutien de cette affirmation, plusieurs dispositions de la Constitution faisant référence à la fraternité étaient mobilisées : son préambule, l’article 72-3 (N° Lexbase : L8825HBH) mais aussi la devise de la République telle que proclamée par l’article 2, alinéa 4 - «Liberté, Egalité, Fraternité». Ce principe nouvellement identifié permettait ainsi au Conseil constitutionnel de reconnaître la liberté pour chacun «d’aider autrui, dans un but humanitaire, sans considération de la régularité de son séjour sur le territoire national» (§ 8). Et d’ajouter, cependant, qu’un tel principe doit se concilier avec la sauvegarde de l’ordre public, dont participe l’objectif de lutte contre l’immigration irrégulière (§ 9-10). Les juges constitutionnels prenaient alors le soin de distinguer l’aide au séjour et à la circulation -devant bénéficier largement des immunités humanitaires-, et l’aide à l’entrée sur le territoire national, qui continue de constituer un délit : «en réprimant toute aide apportée à la circulation de l’étranger en situation irrégulière, y compris si elle constitue l’accessoire de l’aide au séjour de l’étranger et si elle est motivée par un but humanitaire, le législateur n’a pas assuré une conciliation équilibrée entre le principe de fraternité et l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public» (§ 13). Forts du principe de fraternité nouvellement consacré, les Sages estimaient contraire à la Constitution la limitation des exemptions prévues à l’article L. 622-4 aux seules aides au séjour irrégulier des étrangers. Conscients, néanmoins, des difficultés que provoquerait une effectivité immédiate de cette inconstitutionnalité, ils choisissaient d’en reporter les effets au 1er décembre 2018.
Le législateur devait prendre acte de cette importante décision ; tel fut l’objet de la loi précitée du 10 septembre 2018 modifiant la rédaction de l’article L. 622-4, relatif aux immunités humanitaires, afin d’en étendre le champ d’application et d’évincer les poursuites pénales lorsque l’aide à la circulation et au séjour irréguliers «a consisté à fournir des conseils ou accompagnements juridiques, linguistiques ou sociaux, ou toute autre aide apportée dans un but exclusivement humanitaire».
C’est ainsi dans ce contexte, chargé en actualités, que la Cour de cassation devait se prononcer à propos de la présente affaire sujette à nos observations. Les faits reprochés avaient été commis en octobre 2016, antérieurement, donc, à la loi du 10 septembre 2018 et à la décision du Conseil constitutionnel. L’article 71 de la loi nouvelle, précisément, prévoit que la loi est d’application immédiate. En outre, l’article L. 622-4 ainsi modifié entre dans le champ d’application de l’article 112-1 du Code pénal (N° Lexbase : L2215AMY), lequel consacre le principe de la rétroactivité de la loi pénale plus douce. En effet, au regard de l’ancien texte, deux conditions étaient requises pour échapper à toute poursuite : ne recevoir aucune «contrepartie directe ou indirecte» (rien n’en précisant la nature, au risque d’interprétations les plus diverses) ; apporter une aide entrant dans l’une des catégories limitativement prévues par la loi. L’on regrettait, au demeurant, que les types d’aide autorisée ne soient pas toujours clairement définis (où commence et où cesse l’aide tendant «préserver la dignité ou l’intégrité physique» ?) et puissent -en fonction de l’interprétation qui en serait donnée- s’avérer trop limités. Donner des cours d’alphabétisation, par exemple, pouvait bien ne pas entrer dans le champ de l’exonération. Parce que les nouvelles dispositions définissent de manière plus large qu’auparavant l’immunité accordée pour des faits d’aide à la circulation et au séjour irréguliers, en précisant que l’aide apportée a consisté à «fournir des conseils ou accompagnements juridiques, linguistiques ou sociaux» ou en une «toute autre aide apportée dans un but exclusivement humanitaire», la nature du texte doit être considérée comme plus douce et donc favorable au prévenu. Ainsi, au visa de l’article 112-1 du Code pénal, la Cour de cassation fait application, sans surprise aucune, du principe de rétroactivité in mitius : elle vient rappeler qu’«il résulte d[e ce texte] que les dispositions nouvelles s’appliquent aux infractions commises avant leur entrée en vigueur dès lors qu’elles n’ont pas donné lieu à une condamnation passée en force de chose jugée, lorsqu’elles sont moins sévères que les dispositions anciennes».
Reste que l’arrêt commenté prononce une cassation avec renvoi. Il appartiendra dès lors à la cour d’appel de Lyon d’apprécier le caractère humanitaire de l’action de l’intéressé. L’affaire est par ailleurs loin d’être achevée : ce dernier a en effet admis s’être plusieurs fois rendu à Vintimille, de l’autre côté de la frontière, afin de prendre en charge d’autres migrants et de les conduire à son propre domicile ou dans des locaux désaffectés de la SNCF. La décision de la cour d’appel de Lyon est donc attendue et l’on veut croire que le principe de fraternité, auquel la Cour de cassation ne fait ici nullement référence, parviendra à servir d’autres causes.
[1] Le 21 décembre 1996, le philosophe improvisait une intervention lors d’une soirée de solidarité avec les sans-papiers au Théâtre des Amandiers de Nanterre qu’il accepta, ensuite, de transcrire pour la revue du Groupe d’information et de soutien des immigrés, Plein droit (n° 34) sous le titre «Quand j’ai entendu l’expression “délit d’hospitalité”…» : v. Le Monde, Ce que Jacques Derrida pensait du «délit d’hospitalité» en 1996, 19 janvier 2018, qui reproduit cette intervention. Soulignons qu’étymologiquement, les termes d’ «hospitalité» et d’«hostilité» proviennent du même terme, «hostis», lequel, dans un premier sens, signifie l’étranger, puis, dans un second, l’ennemi. Parce que l’étranger peut être reçu et accueilli, le terme «hostis» connaît alors un dérivé, «hospes», ayant notamment donné les mots français d'hôte, d'hospice, d'hôpital, et d’hospitalité.
[2] V. S. Slama, Loi «immigration - asile - intégration», une loi d’entre deux, Lexbase éd. pub., 2018, n° 517 (N° Lexbase : N5782BXG).
[3] V. S. Slama, Délit de solidarité : actualité d’un délit d’une autre époque, Lexbase éd. pub., 2017, n° 456 (N° Lexbase : N7658BWK) et, du même auteur, Délit d’aide à l’entrée, à la circulation et au séjour irréguliers : controverses sur la légitimité d’un «délit d’humanité», AJ pénal, 2011, 496 ; C. Lazerges, Le délit de solidarité, une atteinte aux valeurs de la République, RSC, 2018, 267 ; CNCDH, Avis sur l'aide à l'entrée, à la circulation et au séjour irréguliers, 19 novembre 2009 et Avis Mettre fin au délit de solidarité, 18 mai 2017 ; P. Le Monnier de Gouville, Liberté, Egalité, Solidarité, Lexbase Pénal, juin 2018 (N° Lexbase : N4569BXI).
[4] Sur ce point, v. D. Roets, A quoi sert le fait justificatif spécial d’humanité de l’article L622-4 3° du CESEDA ?, AJ pénal., 2017, 535.
[5] Cons. const., décision n° 2018-717/718 QPC, du 6 juillet 2018 (N° Lexbase : A1710XWA), Lexbase éd. pub., 2018, n° 515 (N° Lexbase : N5498BXW), note S. Slama ; ibid. Lexbase éd. pub., n° 510 (N° Lexbase : N4929BXT), obs. M. Le Guerroué ; Dalloz actualité, 10 juillet 2018, obs. E. Maupin ; D., 2018. 1894, et les obs., note C. Saas ; AJDA, 2018. 1421 ; ibid. 1781 ; ibid. 1786 ; ibid. 1781, note J. Roux , note V. Tchen ; AJ fam., 2018. 426 et les obs. ; RFDA, 2018. 959, note J.-E. Schoettl ; ibid. 966, note M. Verpeaux ; Constitutions, 2018. 341, Décision. V. également M. Borgetto, Sur le principe constitutionnel de fraternité, RDLF, 2018, chron. n° 14.
[6] Cass. crim., 9 mai 2018, n° 17-85.736, F-D (N° Lexbase : A6181XMU).
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Réf. : Cons. const., décision n° 2018-755 QPC, 15 janvier 2019 (N° Lexbase : A0704YTA)
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N7259BX7
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par Marie-Claire Sgarra
Le 23 Janvier 2019
►Les dispositions prévoyant le calcul de plafonnement de l’impôt sur la fortune immobilière sont conformes à la Constitution.
Telle est la solution retenue par le Conseil constitutionnel dans une décision du 15 janvier 2019 (Cons. const., décision n° 2018-755 QPC, 15 janvier 2019 N° Lexbase : A0704YTA).
Pour rappel, l’impôt sur la fortune immobilière est plafonné en fonction des revenus du contribuables. Le cumul de l’IFI et des impositions sur les revenus ne peut excéder 75 % du total des revenus du contribuable.
La constitutionnalité de l’article 979, II du Code général des impôts (N° Lexbase : L9129LHL) avait été soulevée par un contribuable, estimant que ces dispositions portaient atteinte au principe d’égalité devant les charges publiques.
Cet article prévoit que, pour la mise en œuvre des dispositions relatives au plafonnement de l’impôt sur la fortune immobilière en fonction du revenu, il convient de prendre en compte les plus-values sans considération des abattements pour durée de détention et sans application d’un coefficient d’érosion monétaire. Ce dispositif avait pour effet, selon le requérant de majorer artificiellement les revenus pris en compte pour le calcul du plafonnement.
Le Conseil constitutionnel considère, en premier lieu, que l’IFI ne figure pas au nombre des impositions sur le revenu. En instituant cet impôt, le législateur a entendu frapper la capacité contributive que confère la détention d'un ensemble de biens et de droits immobiliers. Les dispositions contestées n'ont ainsi pas pour objet de déterminer les conditions d'imposition des plus-values, mais les modalités selon lesquelles ces plus-values sont prises en compte dans les revenus en fonction desquels est plafonné l'impôt sur la fortune immobilière. Par ailleurs, en prenant en compte, dans le calcul de ce plafonnement, les plus-values à hauteur de leur montant brut, le législateur a intégré aux revenus du contribuable des sommes correspondant à des revenus que ce dernier a réalisés et dont il a disposé au cours de la même année. Le fait que les dispositions contestées incluent dans ces revenus les plus-values réalisées par le contribuable, sans prendre en compte l'érosion monétaire entre la date d'acquisition des biens ou droits et celle de leur cession, ne méconnaît pas l'exigence de prise en compte des facultés contributives.
La présente décision fera l’objet d’un commentaire ultérieur (cf. le BoFip - Impôts annoté N° Lexbase : X1263AUC).
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newsid:467259
Réf. : CNIL, délib. n° SAN 2019-001, 21 janvier 2019 (N° Lexbase : X0990BDZ)
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N7299BXM
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par Vincent Téchené
Le 23 Janvier 2019
► Le 21 janvier 2019, la formation restreinte de la CNIL a prononcé une sanction de 50 millions d’euros à l’encontre de la société Google en application du «RGPD» (Règlement n° 2016/679 du 27 avril 2016 N° Lexbase : L0189K8I) pour manque de transparence, information insatisfaisante et absence de consentement valable pour la personnalisation de la publicité (CNIL, délib. n° SAN 2019-001, 21 janvier 2019 N° Lexbase : X0990BDZ ; cf. CNIL, communiqué du 21 janvier 2019).
Les 25 et 28 mai 2018, la CNIL a reçu des plaintes collectives de deux associations qui reprochaient à Google de ne pas disposer d’une base juridique valable pour traiter les données personnelles des utilisateurs de ses services, notamment à des fins de personnalisation de la publicité.
La CNIL a commencé à instruire ces plaintes. Par ailleurs, le 1er juin 2018, conformément aux dispositions relatives à la coopération européenne fixées par le «RGPD», la CNIL a soumis ces deux plaintes à ses homologues européens pour vérifier si elle était compétente pour les traiter. En l’espèce, les échanges avec les autres autorités, notamment l’autorité de protection irlandaise où se situe le siège européen de Google, n’ont pas permis de considérer que Google disposait d’un établissement principal dans l’Union européenne. En effet, à la date à laquelle la CNIL a entrepris ses poursuites, l’établissement irlandais ne disposait pas d’un pouvoir de décision sur les traitements mis en œuvre dans le cadre du système d’exploitation Android et des services fournis par Google en lien avec la création d’un compte utilisateur lors de la configuration d’un téléphone mobile. Le système dit du «guichet unique» n’étant pas applicable, la CNIL, au même titre que toutes les autres autorités de protection de l’Union, était dès lors compétente pour prendre des décisions concernant les traitements mis en œuvre par Google.
Sur la base des investigations menées, la formation restreinte a constaté deux séries de manquements au «RGPD».
Elle relève d’abord un manquement aux obligations de transparence et d’information, les informations fournies par Google n’étant pas aisément accessibles pour les utilisateurs.
En effet, l’architecture générale de l’information choisie par la société ne permet pas de respecter les obligations du Règlement. Des informations essentielles, telles que les finalités pour lesquelles les données sont traitées, la durée de conservation des données ou les catégories de données utilisées pour la personnalisation de la publicité, sont excessivement disséminées dans plusieurs documents, qui comportent des boutons et liens qu’il est nécessaire d’activer pour prendre connaissance d’informations complémentaires. L’information pertinente n’est accessible qu’après plusieurs étapes, impliquant parfois jusqu’à cinq ou six actions. C’est par exemple le cas si un utilisateur veut disposer d’informations complètes sur la collecte de ses informations pour la personnalisation des publicités, ou pour sa géolocalisation.
De même, la formation restreinte constate que les informations délivrées ne sont pas toujours claires et compréhensibles.
La CNIL constate ensuite un manquement à l’obligation de disposer d’une base légale pour les traitements de personnalisation de la publicité.
La société Google invoque s’appuyer sur le consentement des utilisateurs pour traiter leurs données à des fins de personnalisation de la publicité. Or la formation restreinte estime que le consentement n’est pas valablement recueilli pour deux raisons.
Tout d’abord, le consentement des utilisateurs n’est pas suffisamment éclairé. L’information sur ces traitements, diluée dans plusieurs documents ne permet pas à l’utilisateur de prendre conscience de leur ampleur.
Ensuite, la formation restreinte constate que le consentement recueilli n’est pas «spécifique» et «univoque».
Certes, lors de la création d’un compte, l’utilisateur a la possibilité de modifier certains des paramètres associés au compte et il est notamment possible de paramétrer les modalités d’affichage des annonces personnalisées. Mais, le «RGPD» n’est pas pour autant respecté : en effet, non seulement l’utilisateur doit faire la démarche de cliquer sur «plus d’options» pour accéder au paramétrage, mais en plus l’affichage d’annonces personnalisées est pré-coché par défaut. Or le consentement n’est «univoque», comme l’exige le «RGPD», qu’à la condition que l’utilisateur effectue un acte positif (cocher une case non pré-cochée par exemple). Enfin, avant de créer son compte, l’utilisateur est invité à cocher les cases «j’accepte les conditions d’utilisation de Google» et «j’accepte que mes informations soient utilisées telles que décrit ci-dessus et détaillées dans les règles de confidentialité» pour pouvoir créer son compte. Un tel procédé conduit l’utilisateur à consentir en bloc, pour toutes les finalités poursuivies par Google sur la base de cet accord. Or le consentement n’est «spécifique», comme l’exige le «RGPD», qu’à la condition qu’il soit donné de manière distincte pour chaque finalité.
En prononçant une sanction de 50 millions d’euros, c’est la première fois que la CNIL fait application des nouveaux plafonds de sanctions prévus par le «RGPD».
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Réf. : Cons. const., décision n° 2018-756 QPC, du 17 janvier 2019 (N° Lexbase : A3174YTQ)
Lecture: 3 min
N7258BX4
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par June Perot
Le 23 Janvier 2019
► Les dispositions de l’article 697-1 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L4031IRQ), dans leur rédaction issue de la loi du 13 décembre 2011 (N° Lexbase : L3703IRL), et qui donnent compétence à des juridictions spécialisées en matière militaire pour connaître des infractions commises par les militaires de la gendarmerie lorsque ceux-ci agissent dans le cadre du maintien de l’ordre, sont conformes à la Constitution ;
► le Conseil constitutionnel relève en effet que ces juridictions spécialisées présentent des garanties égales à celles des juridictions pénales de droit commun, notamment quant au respect des principes d’indépendance et d’impartialité des juridictions ;
► il relève également que les particularités de l’état militaire et le statut qu’il confère aux militaires de la gendarmerie justifie que le législateur ait prévu une spécialisation des formations juridictionnelles chargées de connaître des infractions de droit commun commises par eux ; il en déduit que le législateur n’a pas instauré de discrimination injustifiée entre les justiciables.
Telle est la position adoptée par le Conseil constitutionnel dans sa décision rendue le 17 janvier 2019 (Cons. const., décision n° 2018-756 QPC, du 17 janvier 2019 (N° Lexbase : A3174YTQ).
Le Conseil constitutionnel avait été saisi par la Cour de cassation (Cass. crim., 16 octobre 2018, n° 18-82.903, F-D N° Lexbase : A6572YGI) d’une QPC portant sur les dispositions de l’article 697-1 du Code de procédure pénale et, plus particulièrement, sur l’alinéa 3 qui énonce «elles restent néanmoins compétentes à leur égard pour les infractions commises dans le service du maintien de l’ordre». Le requérant soutenait que ces dispositions méconnaitraient le principe d’égalité devant la justice en ce qu’elles donnent compétence à des juridictions spécialisées en matière militaire pour connaître des infractions commises par les militaires de la gendarmerie dans l’exercice du service du maintien de l’ordre ; ces dispositions instituant ainsi une différence de traitement entre les parties civiles selon que l’auteur de l’infraction commise dans ce cadre présente la qualité de militaire ou celle de membre de la police nationale.
Le Conseil constitutionnel retient, en premier lieu, que les juridictions spécialisées présentent trois spécificités par rapport aux juridictions ordinaires :
En conséquence, en raison de ces règles d’organisation et de composition, elles présentent des garanties égales à celles de droit commun.
Le Conseil relève ensuite que la gendarmerie nationale relève des forces armées. A ce titre, les militaires de la gendarmerie sont soumis aux devoirs et sujétions de l'état militaire définis à la quatrième partie du Code de la défense. Comme les autres militaires, ils sont justiciables, en raison de leur statut, des infractions d'ordre militaire prévues aux articles L. 321-1 (N° Lexbase : L2956HTN) à L. 324-11 du Code de justice militaire, lesquelles peuvent être commises de manière connexe à des infractions de droit commun. En outre, ils sont justiciables, en vertu de l'article L. 311-3 du même code (N° Lexbase : L2944HT9), de peines militaires spécifiques, prononcées par la juridiction, comme la destitution ou la perte de grade. Enfin, ils sont également soumis à certaines procédures spécifiques d'exécution des peines, définies au titre VI du livre II du même code. Compte tenu de ces particularités de l'état militaire, il était loisible au législateur, au nom de l'objectif de valeur constitutionnelle de bonne administration de la justice, de prévoir la spécialisation des formations juridictionnelles chargées de connaître des infractions de droit commun commises par eux dans l'exercice de leur service, afin de favoriser une meilleure appréhension de ces particularités.
Dès lors, le Conseil constitutionnel estime qu’en dépit des similitudes du cadre d'action des militaires de la gendarmerie et des membres de la police nationale dans le service du maintien de l'ordre, le législateur n'a pas, en se fondant sur les particularités de l'état militaire des gendarmes pour prévoir la compétence des juridictions spécialisées en matière militaire, instauré de discrimination injustifiée entre les justiciables. Il lui était loisible de procéder ainsi indépendamment de la circonstance qu'il ait prévu une exception à la compétence des juridictions spécialisées en matière militaire dans le cas particulier d'infractions commises à l'occasion de l'exercice par les militaires de la gendarmerie de leurs fonctions relatives à la police judiciaire ou administrative.
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Réf. : CJUE, 15 janvier 2019, aff. C-258/17 (N° Lexbase : A0151YTR)
Lecture: 2 min
N7255BXY
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par Laïla Bedja
Le 22 Janvier 2019
► L’article 2 de la Directive 2000/78/CE du Conseil, du 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail (N° Lexbase : L3822AU4), doit être interprété en ce sens qu’il s’applique, après l’expiration du délai de transposition de cette Directive, à savoir à partir du 3 décembre 2003, aux effets futurs d’une décision disciplinaire définitive, adoptée avant l’entrée en vigueur de ladite Directive, ordonnant la mise à la retraite d’un fonctionnaire, assortie d’une réduction du montant de sa pension ;
► la Directive 2000/78 doit être interprétée en ce sens que, dans une telle situation, elle impose à la juridiction nationale de réexaminer, pour la période débutant le 3 décembre 2003, non pas la sanction disciplinaire définitive ordonnant la mise à la retraite anticipée du fonctionnaire concerné, mais la réduction du montant de sa pension, pour déterminer le montant qu’il aurait perçu en l’absence de toute discrimination fondée sur l’orientation sexuelle.
Telle est la solution retenue par la CJUE dans un arrêt rendu le 17 janvier 2019 (CJUE, 15 janvier 2019, aff. C-258/17 N° Lexbase : A0151YTR).
L’affaire concerne un fonctionnaire de police autrichien, qui a, en raison d’une tentative d’attentat à la pudeur commise sur des mineurs de sexe masculin, été sanctionné disciplinairement par une mise à la retraite, assortie d’une réduction de 25 % du montant de sa pension.
Le fonctionnaire a formé un recours devant l’autorité disciplinaire afin, notamment, que celle-ci annule la décision disciplinaire du 10 juin 1975 et suspende la procédure disciplinaire engagée contre lui.
La cour administrative a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante : "L’article 2 de la Directive [2000/78] s’oppose-t-il au maintien des effets juridiques d’une décision administrative définitive en matière de droit disciplinaire des fonctionnaires (décision disciplinaire) ordonnant le départ à la retraite d’un fonctionnaire assorti d’une réduction du montant de sa pension lorsque, à la date de son adoption, des dispositions du droit de l’Union, en particulier la Directive 2000/78, n’étaient pas encore applicables à cette décision administrative, mais qu’une décision (imaginaire) comparable enfreindrait cette directive si elle avait été adoptée après l’entrée en vigueur de celle-ci ?"
C’est par la solution précitée que la Cour répond à la Cour administrative autrichienne.
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Réf. : Cass. civ. 1, 12 décembre 2018, n° 17-31.758, FS-P+B (N° Lexbase : A6944YQA)
Lecture: 5 min
N7269BXI
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par Thibault Lachacinski et Fabienne Fajgenbaum, Avocats à la Cour, Nataf Fajgenbaum et Associés
Le 23 Janvier 2019
Le Château Ducru-Beaucaillou (AOC Saint-Julien) et le château Grand-Puy-Lacoste (AOC Pauillac) sont deux grands vins de Bordeaux, respectivement classés deuxième et cinquième grands crus dans la classification officielle des vins de Bordeaux de 1855. A suivre la hiérarchie œnologique, l'on pourrait légitimement s'attendre à ce que les qualités gustatives du premier l'emportent sur celle du second. Telle n'est pourtant pas l'analyse qui a été faite par Monsieur Q., dégustateur spécialisé dans les crus bordelais qui, après avoir procédé à une dégustation comparative à l'aveugle de bouteilles achetées entre 1995 et 2009, avait estimé que, bien que moins cher, le château Grand-Puy-Lacoste l'emportait pour 7 des 12 millésimes testés.
La revue «Terre de vins» en avait tiré un article intitulé "Ducru-Beaucaillou épinglé" publié en novembre 2012, reproduisant notamment l'analyse suivante de Monsieur Q. : "Les performances très décevantes des Ducru-Beaucaillou (Saint-Julien) 2009, 2008, 2005, interrogent et inquiètent. Le nouveau style se cherche et manque de définition. Ces variations donnent une impression de cafouillage choquant dans une aussi belle marque. L'héritage est-il trop lourd à porter ? [...] Pour l'instant je ne vois aucun intérêt pour les amateurs à posséder ce vin dans sa cave".
Sauf que, de l'aveu même de Monsieur Q., une inversion de deux notes attribuées lors de la dégustation avait entaché cet article d'une erreur matérielle.
Il n'en fallait pas davantage pour susciter la colère de la société exploitant Château Ducru-Beaucaillou. Ajoutez à cela que les propriétaires des châteaux Grand-Puy-Lacoste et Ducru-Beaucaillou sont frères et que leurs relations n'étaient manifestement pas au beau fixe… De quoi générer une procédure qui vient de donner lieu à un arrêt rendu le 12 décembre 2018 par la première chambre civile de la Cour de cassation, ayant censuré la cour d'appel de Montpellier (CA Montpellier, 31 octobre 2017, n° 15/03890 N° Lexbase : A5207WX7) au motif que "si les appréciations portées par Monsieur Q. […] ne faisaient qu'exprimer son opinion et relevaient, par suite, du droit de libre critique, il incombait à la société Terre de vins, en sa qualité d'éditeur de presse, de procéder à la vérification des éléments factuels qu'elle portait elle-même à la connaissance du public et qui avaient un caractère dénigrant". La cour rappelle ainsi que l'éditeur de presse se doit bien entendu de vérifier préalablement les informations qu'il diffuse ; à défaut, il est susceptible d'engager sa responsabilité sur le plan civil.
L'attendu de principe de l'arrêt du 12 décembre 2018, particulièrement riche, est intéressant en ce qu'il précise les contours du régime de responsabilité civile qui prévaut en matière d'édition.
Reprenant un attendu rédigé dans le cadre d'une précédente décision du 11 juillet 2018 [1], déjà au visa des articles 1240 du Code civil (N° Lexbase : L0950KZ9) ensemble l'article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (N° Lexbase : L4743AQQ), la Cour rappelle en premier lieu que "même en l'absence d'une situation de concurrence directe et effective entre les personnes concernées, la publication, par l'une, de propos de nature à jeter le discrédit sur un produit fabriqué ou commercialisé par l'autre, peut constituer un acte de dénigrement, sans que la caractérisation d'une telle faute exige la constatation d'un élément intentionnel ; […] cependant, lorsque les appréciations portées sur un produit concernent un sujet d'intérêt général et reposent sur une base factuelle suffisante, leur divulgation relève du droit à la liberté d'expression, qui inclut le droit de libre critique, et ne saurait, dès lors, être regardée comme fautive, sous réserve qu'elles soient exprimées avec une certaine mesure".
En d'autres termes, la bonne foi est indifférente pour apprécier l'existence, ou non, d'actes fautifs de dénigrement : elle ne peut donc pas servir d'excuse pour échapper à sa responsabilité. Il en va différemment s'agissant du travail de vérification des faits : une base factuelle suffisante peut être exonératoire de responsabilité sous la double réserve que le sujet traité concerne l'intérêt général et que l'appréciation en cause aient été exprimée avec retenue. La rigueur factuelle assure ainsi un accès privilégié sur le chemin de la liberté d'expression. Elle permet en tout cas (et fort heureusement) à un œnologue d'exercer librement son activité de critique et d'émettre un avis par nature subjectif, pour autant qu'il soit étayé.
Il est également intéressant de relever que l'existence d'une situation de concurrence directe et effective entre les protagonistes est indifférente pour la qualification de dénigrement. En effet, si le dénigrement représente l'un des types de comportements fautifs sanctionnés au titre de la concurrence déloyale, la Cour de cassation a dit pour droit qu'"une situation de concurrence directe ou effective entre les sociétés considérées n'est pas une condition de l'action en concurrence déloyale qui exige seulement l'existence de faits fautifs générateurs d'un préjudice" [2].
L'arrêt du 12 décembre 2018 nous enseigne par ailleurs que "l'éditeur de presse, tenu de fournir des informations fiables et précises, doit procéder à la vérification des faits qu'il porte lui-même à la connaissance du public ; […] à défaut, la diffusion d'une information inexacte et dénigrante sur un produit est de nature à engager sa responsabilité" [3].
Dès lors, c'est à tort que la cour d'appel de Montpellier avait écarté la responsabilité civile de l'éditeur de la Revue des Vins alors que celle-ci, sans aucune vérification, avait repris à son compte l'analyse de Monsieur Q. et l'erreur matérielle (inversion de notes) qu'elle contenait. En effet, l'éditeur ne pouvait valablement se contenter de renvoyer à la réputation flatteuse de l'œnologue alors que pèse sur lui un véritable devoir de vérification des éléments factuels qu'il porte à la connaissance du public.
A cet égard, il est intéressant de constater que la première chambre civile prend le soin de relever que l'absence d'incrimination des appréciations portées par Monsieur Q. par le Château Ducru-Beaucaillou était sans incidence sur la responsabilité de l'éditeur de la Revue des Vins. Parallèlement, l'arrêt du 12 décembre 2018 rappelle qu'il n'y a pas lieu de mettre hors de cause la société de Monsieur Q., "dont la présence est nécessaire devant la juridiction de renvoi". En d'autres termes, si la faute originelle du critique œnologique n'exonérerait pas l'organe de presse de sa responsabilité civile, elle pourrait néanmoins le conduire à s'expliquer devant la cour de renvoi. De ce fait, Monsieur Q. pourrait finalement voir sa responsabilité engagée du fait de l'erreur commise, bien qu'il ait postérieurement reconnu et rectifié son erreur. La cour de renvoi nous le dira. En attendant, notre arrêt démontre que tout un chacun peut avoir à répondre de propos critiques qu'il émet à l'égard de tiers sur Internet ou sur les réseaux sociaux.
La présente affaire est également l'occasion de revenir sur une notion aux contours parfois nébuleux : le dénigrement. Le fondement du dénigrement permet de sanctionner le comportement déloyal consistant à "répandre des appréciations touchant les produits, les services ou les prestations d'une entreprise lorsqu'elles portent atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne physique ou morale qui l'exploite" [4]. Le dénigrement est donc fautif lorsqu'il dépasse le stade du simple point de vue et devient malveillant, remettant en question non pas directement la personne physique ou morale mais la qualité des produits ou services qu'elle propose.
En cela, il convient de distinguer le dénigrement, sanctionné au visa de l'article 1240 du Code civil et qui relève donc de la responsabilité civile de droit commun, des faits qui, portant directement atteinte à l'honneur ou à la considération de personnes physiques ou morales, relèvent des prévisions de l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881 (N° Lexbase : L7589AIW) [5].
Ces deux fondements sont exclusifs l'un de l'autre, de sorte que les abus de la liberté d'expression prévus et réprimés par la loi du 29 juillet 1881 ne peuvent être réparés sur le fondement de l'article 1240 du Code civil. Notamment, il ne saurait être question de trouver dans la responsabilité civile un moyen utile pour pallier un défaut de diligence, tenant notamment à l'expiration du délai de prescription trimestrielle prévue par la loi sur la liberté de la presse [6].
En l'espèce, il semble acquis que la critique exprimée par Monsieur Q. ne portait pas sur l'exploitant du château Ducru-Beaucaillou mais bien sur la qualité, jugée insuffisante, de ses vins. C'est dès lors de façon parfaitement justifiée que l'action en justice a été engagée devant les juridictions civiles et non sur le fondement de la loi sur la liberté de la presse. De la même manière, la première chambre civile a eu l'occasion d'approuver une cour d'appel qui avait sanctionné au titre du dénigrement le fait d'avoir qualifié un vin de "picrate, à peine buvable" au motif que l'article en question ne mettait pas directement en cause les compétences de l'exploitant et ne visait qu'à critiquer son vin [7]. De même, a été sanctionné au titre du dénigrement un guide gastronomique se plaignant de la mauvaise qualité des plats et des risques pour la santé les clients [8].
Le présent arrêt de la Cour de cassation rappelle ainsi que le fondement juridique du dénigrement conserve un véritable intérêt, permettant par exemple une condamnation facilitée des propos fautifs tenus sur Internet. Il envoie par ailleurs un message bienvenu de rappel de leur responsabilité aux auteurs sur Internet et plus généralement aux éditeurs de presse, l'immatérialité du support ne les exemptant pas d'un devoir de vérification préalable et de modération. Un appel à la modération d'ailleurs largement diffusé depuis de nombreuses années par les autorités sanitaires en matière de consommation de vin…
[1] Cass. civ. 1, 11 juillet 2018, n° 17-21.457, FS-P+B (N° Lexbase : A9607XX4) ; dans le même sens, Cass. crim., 17 mars 2015, n° 13-85.138, F-D (N° Lexbase : A1978NEY).
[2] Cass. com., 3 mai 2016, n° 14-24.905, F-D (N° Lexbase : A3348RNC).
[3] Dans le même sens, toujours dans le domaine du vin, Cass. civ. 1, 5 juillet 2006, n° 05-16.614, F-P+B (N° Lexbase : A3809DQ7).
[4] CA Paris, 21 novembre 2013, n° 12/23396 (N° Lexbase : A8895KP7) ; cf. également, CA Paris, 14 janvier 2015, n° 12/18602 (N° Lexbase : A2302M97) ; Cass. civ. 1, 27 novembre 2013, n° 12-24.651, FS-P+B+I (N° Lexbase : A2233KQR).
[5] Cass. civ. 1, 20 septembre 2012, n° 11.20.963, F-D (N° Lexbase : A2445ITQ) ; Cass. civ. 2, 5 juillet 2000, n° 98-14.255, publié (N° Lexbase : A9087AGN), Bull. civ. II, n° 109 ; Cass. civ. 2, 8 avril 2004, n° 02-17.588, F-P+B (N° Lexbase : A8330DB7).
[6] Cinq ans en matière de dénigrement.
[7] Cass. civ. 1, 5 juillet 2006, précité.
[8] S'agissant d'un guide se plaignant de la mauvaise qualité des plats d'un restaurant à l'enseigne Carte blanche et des risques pour la santé les clients, Cass. crim., 10 septembre 2013, n° 11-86.311, FS-P+B (N° Lexbase : A1615KLE).
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:467269
Réf. : Cass. civ. 3, 17 janvier 2019, n° 17-26.695, FS-P+B+I (N° Lexbase : A3170YTL)
Lecture: 2 min
N7257BX3
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par Gözde Lalloz
Le 23 Janvier 2019
► Le nu-propriétaire indivis de droits sociaux a la qualité d’associé et est recevable à agir en désignation d’un administrateur provisoire.
Telle est la solution de la Cour de cassation dans sa décision datée du 17 janvier 2019 (Cass. civ. 3, 17 janvier 2019, n° 17-26.695, FS-P+B+I N° Lexbase : A3170YTL).
En l’espèce, à la suite du décès de l’associé majoritaire et gérant de la SCI, les descendants directs de ce dernier ont été désignés nus-propriétaires indivis des parts de la société. Faisant valoir qu’elle n’avait pas été informée de la tenue d’une assemblée générale au cours de laquelle son frère, nu-propriétaire indivis également, avait été choisi en qualité de gérant unique de la SCI, la nue-propriétaire a initié une action pour obtenir la désignation d’un administrateur provisoire avec mission de convoquer une assemblée générale afin de désigner un nouveau gérant et d’examiner les comptes.
La SCI et le gérant nouvellement désigné font grief à l’arrêt de la cour d’appel d’Aix-en-Provence daté du 29 juin 2017 (CA Aix-en-Provence, 29 juin 2017, n° 16/19180 N° Lexbase : A2776WLE) de déclarer la demande recevable alors que, selon la SCI :
Or, la Cour de cassation confirme la décision de la cour d’appel et rappelle le principe selon lequel le nu-propriétaire indivis de droits sociaux a la qualité d’associé et est recevable à agir seul en désignation d’un administrateur provisoire (cf. l’Ouvrage «Droit des sociétés» N° Lexbase : E7131ADH).
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newsid:467257
Réf. : CE 5° et 6° ch.-r., 28 décembre 2018, n° 408743, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A8465YRX)
Lecture: 6 min
N7280BXW
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par Julie Burguburu, Rapporteur public au Conseil d'Etat
Le 23 Janvier 2019
Dans un arrêt rendu le 28 décembre 2018, le Conseil d’Etat a dit pour droit que, si l'usage d'une construction résulte en principe de la destination figurant à son permis de construire, lorsqu'une construction, en raison de son ancienneté, a été édifiée sans permis de construire et que son usage initial a depuis longtemps cessé en raison de son abandon, l'administration, saisie d'une demande d'autorisation de construire, ne peut légalement fonder sa décision sur l'usage initial de la construction. Il lui incombe d'examiner si, compte tenu de l'usage qu'impliquent les travaux pour lesquels une autorisation est demandée, celle-ci peut être légalement accordée sur le fondement des règles d'urbanisme applicables. Lexbase Hebdo - édition publique vous propose de retrouver les conclusions anonymisées du Rapporteur public, Julie Burguburu.
M. X est propriétaire d’un terrain à Hyères, dans le Var, sur lequel est implantée une ancienne bergerie en pierre qu’il souhaiterait réhabiliter, dans le cadre d’une reconstruction à l’identique. Le bâtiment semble à l’abandon depuis des décennies. Si ses murs porteurs sont intacts, il n’a plus de vitre ni de toit, ce à quoi le pétitionnaire veut remédier en construisant toit, portes et fenêtres ainsi que des aménagements intérieurs.
Le permis de construire sollicité pour ce faire lui a toutefois été refusé par une décision de 7 octobre 2011, confirmé par une décision implicite de rejet de son recours gracieux. Il a alors saisi le tribunal administratif de Toulon d’une demande en annulation, également rejetée par jugement du 15 octobre 2014, confirmé par un arrêt du 6 janvier 2017 de la cour de Marseille (CAA Marseille, 6 janvier 2017, n° 14MA04914 N° Lexbase : A9994S7B) contre lequel il a formé un pourvoi en cassation, à juste titre croyons-nous.
Précisons d’abord la procédure. En l’espèce, la demande de permis avait été initialement refusée sur la méconnaissance de deux dispositions du PLU qui a été annulé par un jugement postérieur du tribunal administratif de Toulon. Alors que le tribunal s’était toutefois fondé sur l’imprécision de la demande de M. X pour confirmer le refus, la cour, après avoir censuré ce raisonnement, a examiné ce refus au regard des dispositions du POS de 1999, à nouveau en vigueur conformément à l’ancien article L. 121-8 du Code de l’urbanisme (aujourd’hui L. 600-12 N° Lexbase : L0030LNG) pour finalement faire droit à la substitution de motifs demandée par la commune et de nature à justifier la persistance du refus malgré l’annulation du PLU (voyez CE, 30 décembre 2009, n° 319942 N° Lexbase : A0419EQL, aux Tables, p. 990).
En l’espèce, la cour s’est plus précisément fondée sur l’article 1NA du POS selon lequel dans la zone en cause, ne peuvent être autorisés que des travaux qui soit, «pour les constructions à usage d’habitation existantes» visent à «améliorer le confort et la stabilité des bâtiments », soit, « pour les constructions existantes à usage agricole», sont «des constructions nouvelles à caractère précaire et démontable (notamment les serres ‘tunnel’)». Les autres constructions de toute nature et, notamment, nouvelles y sont interdites.
Faisant application de ces dispositions, la cour a d’abord relevé que contrairement à ce que soutenait la commune, le projet ne concernait pas une ruine mais une construction existante. Elle a toutefois poursuivi en précisant que cette construction était un bâtiment à usage principal de bergerie, dont l’existence est attestée au XIXème siècle et que s’il avait pu abriter également le berger en sus du troupeau, seule une surface de 32 m² avait été à usage d’habitation sur les 128 m² de superficie au sol. Elle en a déduit que cette partie à usage d’habitation présentait un caractère accessoire et qu’en application des dispositions de l’article R. 421-14 du Code de l’urbanisme (N° Lexbase : L2746KWM) selon lequel les locaux accessoires sont réputés avoir la même destination que le local principal (principe repris à l’article R. 151-29 du code N° Lexbase : L0313KWI), la construction existante devait être regardée pour l’application du POS en totalité comme ayant une destination agricole, ce qui l’a finalement conduite à confirmer le refus du permis puisque le projet ne consistait pas en une «construction nouvelle à caractère précaire et démontable».
Pour contester ce raisonnement, le pourvoi soutient notamment que la cour aurait commis une erreur de droit en distinguant selon que l’usage d’habitation serait principal ou accessoire, le pétitionnaire étant en droit de renforcer l’ensemble de la construction dès lors qu’elle abrite une partie à usage d’habitation. Il relève aussi qu’en tout état de cause, les dispositions du POS n’interdisaient pas de conforter des bâtiments à usage agricole mais seulement de projeter des constructions nouvelles. Enfin et surtout, il invoque une erreur de droit à s’être fondée sur la destination initiale de la construction -et c’est ce dernier point qui nous a plus particulièrement retenue-.
Il n’est d’abord pas douteux qu’en principe et en application des textes déjà cités, l’appréciation de la destination d’un bâtiment s’apprécie au regard de son usage principal. Et celui-ci résultera généralement du permis de construire en vertu duquel il a été édifié ce qui permettra d’éviter le contournement de la législation d’urbanisme. Par suite, des travaux d’aménagement qui ont pour effet de changer, ne serait-ce que partiellement, la destination de la construction ne sont pas dispensés de permis (CE, 25 octobre 2006, n° 289515 N° Lexbase : A4855DSM, aux Tables, p. 1105) et la circonstance qu’elle ait ensuite servi à d’autres usages ne lui fait pas perdre sa destination initiale (CE, 9 juillet 1986 n° 51172 N° Lexbase : A4786AM9, p. 201).
Encore faites-vous preuve de pragmatisme si l’usage a finalement consacré le changement de destination : ainsi avez-vous jugé que les travaux portant sur une construction existante et qui n’ont pas pour effet d’en changer la destination peuvent être exemptés de permis sans qu’y fasse obstacle, en l’absence de fraude, la circonstance que plusieurs années avant la réalisation des travaux en cause, la destination de la construction avait été modifiée sans autorisation (CE, 12 janvier 2007, n° 274362 N° Lexbase : A4746DTX, aux Tables, p. 1124).
La situation se présente toutefois nécessairement différemment dans le cas de bâtiments anciens, d’une part parce qu’ils sont généralement dépourvus d’autorisation, construits antérieurement à son institution mais aussi, d’autre part, parce que la destination initiale a pu s’être perdue, être oubliée ou n’avoir plus de sens. Il semble alors un peu vain de se livrer à une étude historique pour rechercher l’usage effectif qui en a été fait à un moment donné.
Vous vous êtes ainsi fondés sur «les caractéristiques propres d’une construction» pour juger que son inoccupation durant une longue période n’avait pu suffire à en changer la destination d’habitation (CE, 9 décembre 2011, n° 335707 N° Lexbase : A1762H4Z, aux Tables, p. 1187). Vous avez de même jugé qu’un bâtiment ancien, apparemment une grange, qui ne disposait pas du confort d’un logement moderne mais était néanmoins utilisé de façon partielle pour un usage d’habitation pouvait relever de cette destination et qu’ainsi les travaux d’aménagement réalisés n’avaient pas eu pour effet d’en changer la destination (CE, 31 mars 2010, n° 306122 N° Lexbase : A4169EUX, aux Tables sur un autre point). Concluant sur cette affaire, Cyril Roger-Lacan estimait effectivement que «lorsqu’il est manifeste que le bâtiment n’a plus, en tout état de cause, d’usage agricole depuis bien longtemps, on peut raisonnablement admettre que le doute concernant sa destination puisse profiter à l’administré qui souhaite y effectuer des travaux».
Cette réflexion peut s’appuyer sur un exemple encore plus frappant : vous avez en effet admis qu’une ancienne filature ayant cessé toute activité depuis de nombreuses années avait perdu sa destination industrielle et qu’ainsi sa transformation en maison d'habitation n'entraînait aucun changement de destination (CE, 20 mai 1996, n° 125012 N° Lexbase : A8869ANS, aux Tables, p. 1210 sur ce point).
Le cas d’espèce qui vous est présenté aujourd’hui nous semble se placer dans le droit fil de ce courant jurisprudentiel que vous pourriez préciser qui, lorsque l’usage originel a pu se perdre en raison de son abandon pendant de longues années, examine si les caractéristiques propres du bâtiment autorisent la destination requise par la demande.
La cour a ici relevé, on l’a dit, que la bergerie était attestée au XIXème siècle mais comme souvent, le bâtiment avait un double usage, agricole et d’habitation, qu’il est artificiel de distinguer alors au demeurant qu’il n’est pas contesté que cet usage s’est perdu au moins depuis la seconde guerre mondiale. La bergerie est aujourd’hui un bâtiment de 128 m² situé au fond du jardin d’une résidence d’habitation, si ce n’est en ruine, au moins très dégradé dont il ne reste essentiellement que les murs porteurs, quelques rives de tuiles, la trace de placards et un conduit de cheminée. De ces éléments, il est certain qu’il peut être regardé, sous réserve de la réalisation des travaux nécessaires, comme de nature à servir d’habitation.
Dans ces conditions, la cour ne pouvait sans commettre d’erreur de droit se fonder sur la seule circonstance qu’il s’agissait originellement d’une bergerie pour en déduire l’usage agricole alors qu’il n’est pas contesté que celui-ci avait été abandonné depuis des décennies et que les caractéristiques propres du bâtiment n’étaient pas exclusives d’un usage d’habitation.
Par ces motifs nous concluons et sans qu’il soit besoin de vous prononcer sur les autres moyens du pourvoi, à l’annulation de l’arrêt de la cour, au renvoi de l’affaire devant la cour de Marseille et à ce qu’une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de Hyères au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3227AL4).
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