La lettre juridique n°768 du 17 janvier 2019

La lettre juridique - Édition n°768

Baux commerciaux

[Textes] Le nouveau congé pour transformer à usage principal d’habitation un immeuble existant

Réf. : Loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018, portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (N° Lexbase : L8700LM8)

Lecture: 11 min

N7249BXR

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par Julien Prigent, Avocat à la cour d'appel de Paris, Mutelet-Prigent & Associés, Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Baux commerciaux"

Le 16 Janvier 2019

Selon l’étude d’impact de la loi «ELAN», «dans les zones tendues, le parc de bureaux obsolètes et vacants constitue un gisement pour répondre à des besoins d’urgence et pour créer une nouvelle offre de logements en transformant les bâtiments» (étude d’impact, p. 66).

 

Toujours selon l’étude d’impact, «le stock de bureaux vacants en Ile-de-France est évalué à près de 3,5 millions de m² en 2017» et « une étude de l'Atelier parisien d'urbanisme (Apur) avait déjà révélé, en 2013, que sur les 18 millions de mètres carrés de bureaux parisiens (16,7 millions si l'on ne considère que les 3 500 parcelles de plus de 1 000 m²), 840 000 m² sont potentiellement transformables en logements» (étude d’impact, p. 66).

Afin de favoriser la transformation de bureaux en logement, la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique, dite loi «ELAN», est intervenue à plusieurs niveaux :

- institution d’un bonus de constructibilité de 30 % pour la «transformation à usage principal d'habitation d'un immeuble existant par reconstruction, rénovation ou réhabilitation » (articles 28 de la loi «ELAN» et L. 152-6 du Code de l’urbanisme N° Lexbase : L9958LMR) ;

- dérogation aux obligations de mixité sociale du plan local d’urbanisme pour ce type d’opération (articles 28 de la loi «Elan» et L. 152-6 du Code de l’urbanisme) ;

- création d’une catégorie d’immeuble de «moyenne hauteur» afin de faciliter la réversibilité de bureaux en logement par un rapprochement des exigences normatives s’appliquant aux immeubles entre 28 et 50 mètres (étude d’impact, p. 70 ; articles 30 de la loi «ELAN» et L. 122-1 du Code de la construction et de l’habitation N° Lexbase : L9959LMS) ;

- institution d’un «dispositif visant à assurer la protection et la préservation de locaux vacants par l'occupation de résidents temporaires, notamment à des fins de logement, d'hébergement, d'insertion et d'accompagnement social» (articles 29 de la loi «ELAN») ;

- création d’une nouvelle faculté de résiliation au profit du bailleur qui souhaite «transformer à usage principal d'habitation un immeuble existant par reconstruction, rénovation ou réhabilitation» (articles 28 de la loi «ELAN» et L. 145-4 du Code de commerce N° Lexbase : L9957LMQ).

 

1. Description de la modification introduite par la loi «ELAN» à l’article L. 145-4 du Code de commerce  

 

La loi «ELAN» comporte un article 28, situé dans le chapitre III «Favoriser la transformation de bureaux en logements» du titre Ier «Construire plus ; mieux et moins cher», qui dispose que «au troisième alinéa de l'article L. 145-4 du Code de commerce, après le mot : ‘usage’, sont insérés les mots : ‘de transformer à usage principal d'habitation un immeuble existant par reconstruction, rénovation ou réhabilitation’».

Avant sa modification par la loi «ELAN», l’article L. 145-4 du Code de commerce (N° Lexbase : L2010KGK) disposait que :

«La durée du contrat de location ne peut être inférieure à neuf ans.

Toutefois, le preneur a la faculté de donner congé à l'expiration d'une période triennale, au moins six mois à l'avance, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ou par acte extrajudiciaire. Les baux conclus pour une durée supérieure à neuf ans, les baux des locaux construits en vue d'une seule utilisation, les baux des locaux à usage exclusif de bureaux et ceux des locaux de stockage mentionnés au 3° du III de l'article 231 ter du Code général des impôts (N° Lexbase : L9102LKC) peuvent comporter des stipulations contraires.

Le bailleur a la même faculté, dans les formes et délai de l'article L. 145-9 (N° Lexbase : L2009KGI), s'il entend invoquer les dispositions des articles L. 145-18 (N° Lexbase : L2006KGE), L. 145-21 (N° Lexbase : L5749AIR), L. 145-23-1 (N° Lexbase : L0804HPH) et L. 145-24 (N° Lexbase : L5752AIU) afin de construire, de reconstruire ou de surélever l'immeuble existant, de réaffecter le local d'habitation accessoire à cet usage ou d'exécuter des travaux prescrits ou autorisés dans le cadre d'une opération de restauration immobilière et en cas de démolition de l'immeuble dans le cadre d'un projet de renouvellement urbain.

Le preneur ayant demandé à bénéficier de ses droits à la retraite du régime social auquel il est affilié ou ayant été admis au bénéfice d'une pension d'invalidité attribuée dans le cadre de ce régime social a la faculté de donner congé dans les formes et délais prévus au deuxième alinéa du présent article. Il en est de même pour ses ayants droit en cas de décès du preneur.

Les dispositions de l'alinéa précédent sont applicables à l'associé unique d'une entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée, ou au gérant majoritaire depuis au moins deux ans d'une société à responsabilité limitée, lorsque celle-ci est titulaire du bail».

 

Dans sa rédaction actuelle, l’article L. 145-4 du Code de commerce (N° Lexbase : L9957LMQ) dispose, les ajouts résultant de la loi «ELAN» apparaissant en gras, que :

« La durée du contrat de location ne peut être inférieure à neuf ans.

Toutefois, le preneur a la faculté de donner congé à l'expiration d'une période triennale, au moins six mois à l'avance, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ou par acte extrajudiciaire. Les baux conclus pour une durée supérieure à neuf ans, les baux des locaux construits en vue d'une seule utilisation, les baux des locaux à usage exclusif de bureaux et ceux des locaux de stockage mentionnés au 3° du III de l'article 231 ter du code général des impôts peuvent comporter des stipulations contraires.

Le bailleur a la même faculté, dans les formes et délai de l'article L. 145-9, s'il entend invoquer les dispositions des articles L. 145-18, L. 145-21, L. 145-23-1 et L. 145-24 afin de construire, de reconstruire ou de surélever l'immeuble existant, de réaffecter le local d'habitation accessoire à cet usage, de transformer à usage principal d'habitation un immeuble existant par reconstruction, rénovation ou réhabilitation ou d'exécuter des travaux prescrits ou autorisés dans le cadre d'une opération de restauration immobilière et en cas de démolition de l'immeuble dans le cadre d'un projet de renouvellement urbain.

Le preneur ayant demandé à bénéficier de ses droits à la retraite du régime social auquel il est affilié ou ayant été admis au bénéfice d'une pension d'invalidité attribuée dans le cadre de ce régime social a la faculté de donner congé dans les formes et délais prévus au deuxième alinéa du présent article. Il en est de même pour ses ayants droit en cas de décès du preneur.

Les dispositions de l'alinéa précédent sont applicables à l'associé unique d'une entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée, ou au gérant majoritaire depuis au moins deux ans d'une société à responsabilité limitée, lorsque celle-ci est titulaire du bail».

 

2. Facultés de résiliation triennale du bailleur

 

Le bail commercial est un contrat qui, en principe, n’a de durée ferme que pour le bailleur.

 

L’article L. 145-4 du Code de commerce offre en effet au preneur la possibilité de mettre un terme à un bail commercial en cours à chaque échéance triennale, sous réserve du respect d’un délai de préavis de six mois.

 

Il doit être rappelé que le preneur peut toutefois renoncer à sa faculté de résiliation triennale, mais seulement si le bail commercial porte sur un local monovalent, à un usage exclusif de bureaux ou de stockage, cette restriction ayant été introduite par la loi dite «Pinel» (loi n° 2014-626 du 18 juin 2014, relative à l'artisanat, au commerce et aux très petites entreprises N° Lexbase : L4967I3D).

 

Le bailleur dispose également d’une faculté triennale mais qui ne peut être exercée que dans certaines hypothèses :

 

(i) Congé pour construire ou reconstruire l'immeuble existant (C. com., art. L. 145-4 et L. 145-18 [LXB=L2006KG).

 

(ii) Congé pour «exécuter des travaux prescrits ou autorisés dans le cadre d'une opération de restauration immobilière et en cas de démolition de l'immeuble dans le cadre d'un projet de renouvellement urbain» (C. com., art. L. 145-4), l’article L. 145-18 du Code de commerce visant également le refus de renouvellement «pour effectuer des travaux nécessitant l'évacuation des lieux compris dans un secteur ou périmètre prévu aux articles L. 313-4 [(LXB=L0263LN3]) et L. 313-4-2 (N° Lexbase : L0262LNZdu Code de l'urbanisme et autorisés ou prescrits dans les conditions prévues audits articles».

 

L’article L. 313-4 du Code de l’urbanisme est relatif aux opérations de restauration immobilière consistant en « des travaux de remise en état, d'amélioration de l'habitat, comprenant l'aménagement, y compris par démolition, d'accès aux services de secours ou d'évacuation des personnes au regard du risque incendie, de modernisation ou de démolition ayant pour objet ou pour effet la transformation des conditions d'habitabilité d'un immeuble ou d'un ensemble d'immeubles ». Selon ce texte, « lorsqu'elles ne sont pas prévues par un plan de sauvegarde et de mise en valeur approuvé, elles doivent être déclarées d'utilité publique». Un plan de sauvegarde et de mise en valeur peut être établi sur tout ou partie du site patrimonial remarquable créé en application du titre III du livre VI du code du patrimoine (C. urb., art. L. 313-1 N° Lexbase : L2600K98).

 

L’article L. 313-4-2 du Code de l’urbanisme dispose que «après le prononcé de la déclaration d'utilité publique, la personne qui en a pris l'initiative arrête, pour chaque immeuble à restaurer, le programme des travaux à réaliser dans un délai qu'elle fixe».

 

Le projet de renouvellement urbain est prévu par l’article L. 300-1 du Code de l’urbanisme (N° Lexbase : L9919LMC).

 

Dans ces deux cas, le bailleur doit régler une indemnité d’éviction, sauf s’il offre au locataire évincé un local correspondant à ses besoins et possibilités, situé à un emplacement équivalent (C. com., art. L. 145-18).

 

Il doit être rappelé que le bailleur dispose également d’un droit de reprise à tout moment en cours de bail pour effectuer ces travaux («travaux nécessitant l'évacuation des lieux compris dans un secteur ou périmètre prévu aux articles L. 313-4 et L. 313-4-2 du Code de l'urbanisme et autorisés ou prescrits dans les conditions prévues auxdits articles»), s’il  offre de reporter le bail sur un local équivalent dans le même immeuble ou dans un autre immeuble.

 

(iii)  Reprise temporaire pour surélever l’immeuble (C. com., art. L. 145-21 N° Lexbase : L5749AIR)

 

L’indemnité due au locataire est alors égale au préjudice subi pendant cette éviction qui n’et que temporaire, sans pouvoir excéder trois ans de loyer.

 

(iv) Congé pour réaffecter le local d’habitation accessoire à cet usage : articles L. 145-4 et L. 145-23-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L0804HPH).

Dans ce cas, le loyer du bail est diminué pour tenir compte des surfaces retranchées.

 

(v) Congé donné par le propriétaire qui a obtenu un permis de construire un local d'habitation sur tout ou partie d'un des terrains visés au 2° de l'article L. 145-1 : article L. 145-24 du Code de commerce (N° Lexbase : L5752AIU).

Dans ces deux derniers cas, le locataire n’a pas droit en principe à une indemnité d’éviction.

 

L’article 28 de loi «ELAN», en modifiant l’article L. 145-4 du Code de commerce, a créé une nouvelle faculté de résiliation triennale au profit du bailleur. Il s’agit de l’hypothèse dans laquelle le bailleur souhaite «transformer à usage principal d'habitation un immeuble existant par reconstruction, rénovation ou réhabilitation».

 

3. Nouveau congé pour transformer à usage principal d'habitation un immeuble existant par reconstruction, rénovation ou réhabilitation

 

L’objectif de la création d’une nouvelle faculté de résiliation au profit du bailleur, introduite par un amendement au projet de loi initial, est de «permettre aux bailleurs qui transforment un immeuble existant en un immeuble principal d’habitation (donc par exemple un immeuble de bureaux en un immeuble de logements) de donner congé aux locataires à chaque échéance triennale du bail. Cela facilitera la transformation des immeubles de bureaux en logements. L’amendement complète ainsi l’article L. 145-4 du Code du commerce qui permet déjà au bailleur de donner congé à l’expiration d’une période triennale dans certains cas» (amendement n° CE1309 présenté par M. Lioger, rapporteur).

 

Il s’agit d’une véritable innovation dès lors qu’un tel congé pourra être donné, à l’expiration d’une période triennale mais vraisemblablement également en cours de tacite prolongation, en dehors d’un cas de reconstruction déjà prévu aux articles L. 145-4 et L. 145-18 du Code de commerce. A cet égard, il peut être rappelé que le congé pour reconstruire visé au dernier de ces textes ne peut concerner de simples travaux de transformation ou d’aménagements (Cass. com., 7 juillet 1959 N° Lexbase : A8128AT9) ou une reconstruction partielle.

 

La transformation de l’immeuble existant en un immeuble principal d’habitation pourra en effet résulter d’une rénovation ou d’une réhabilitation, ces termes n’étant toutefois pas définis. 

 

Il peut être noté que la mention selon laquelle le bailleur peut donner congé afin de transformer à usage principal d’habitation un immeuble par reconstruction est redondante avec la faculté du bailleur, qui existait déjà avant la loi «ELAN», de donner un congé pour reconstruire, sans autre précision. La possibilité pour le bailleur d’échapper au paiement de l’indemnité d’éviction en offrant un local de remplacement n’est pas prévue pour le congé notifié dans le cadre de la transformation de l’immeuble.

 

La notion d’«immeuble principal d’habitation», visée par l’article L. 145-4 du Code de commerce modifié, n’est pas précisée. Dès lors que l’habitation est l’usage principal, il ne semble pas exclu que certains locaux de l’immeuble puissent être affectés à un usage autre, commercial notamment.

 

Certaines décisions rendues dans le cadre de l’application de l’article L. 145-18 du Code de commerce devraient trouver également à s’appliquer dans le cadre de cette nouvelle faculté de résiliation, notamment en ce qui concerne l’intention du bailleur qui délivre le congé d’effectuer les travaux en cas de revente projetée de l’immeuble (Cass. civ. 3, 27 octobre 1993, n° 91-16.964 N° Lexbase : A4352AGB ; Cass. civ. 3, 12 juillet 1995, n° 93-10.133 N° Lexbase : A8568AGG ; Cass. civ. 3, 27 novembre 2012, n° 10-30.071, F-D N° Lexbase : A8686IXY).

 

Il n’est pas expressément précisé que le locataire aura droit, dans ce cas, à une indemnité d’éviction, contrairement à l’hypothèse du congé pour construire ou reconstruire ou pour effectuer des travaux nécessitant l'évacuation des lieux compris dans un secteur ou périmètre prévu aux articles L. 313-4 et L. 313-4-2 du Code de l'urbanisme (C. com., art. L. 145-18).

 

Or, certains des congés visés à l’article L. 145-4 du Code de commerce n’ouvrent pas droit au preneur à une indemnité d’éviction (réaffectation du local d’habitation accessoire à cet usage et construction d’un local d’habitation sur un terrain).

Toutefois, dans ces dernières hypothèses, le locataire n’est pas privé de son fonds de commerce, ce qui justifie la solution.

 

En tout état de cause, l’article L. 145-14 du Code de commerce (N° Lexbase : L5742AII) dispose, à titre de règle générale, que «le bailleur peut refuser le renouvellement du bail. Toutefois, le bailleur doit, sauf exceptions prévues aux articles L. 145-17 (N° Lexbase : L5745AIM) et suivants, payer au locataire évincé une indemnité dite d'éviction égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement».

 

Le bailleur qui délivre un congé pour transformer à usage principal d’habitation un immeuble existant devrait donc être tenu de régler une indemnité d’éviction au locataire.

 

newsid:467249

Contrat de travail

[Brèves] Reconnaissance d’un contrat de travail entre un chauffeur et la plate-forme de réservation en ligne Uber

Réf. : CA Paris, Pôle 6, 2ème ch., 10 janvier 2019, n° 18/08357 (N° Lexbase : A7295YSY)

Lecture: 2 min

N7153BX9

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par Charlotte Moronval

Le 16 Janvier 2019

► Le contrat liant un chauffeur indépendant à la plate-forme de réservation en ligne Uber s’analyse en un contrat de travail.

 

Telle est la solution retenue par la cour d'appel de Paris dans un arrêt rendu le 10 janvier 2019 (CA Paris, Pôle 6, 2ème ch., 10 janvier 2019, n° 18/08357 N° Lexbase : A7295YSY ; concernant les travailleurs des plateformes en ligne, voir également Cass. soc., 28 novembre 2018, n° 17-20.079, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A0887YN8 où la Chambre sociale reconnaît qu’une plate-forme en ligne est un employeur lorsqu’elle contrôle et a le pouvoir de sanctionner ses coursiers).


Dans cette affaire, la société Uber décide de désactiver, sans explications, le compte d’un de ses chauffeurs, le privant de la possibilité de recevoir de nouvelles demandes de réservation. Celui-ci décide de saisir le conseil de prud’hommes de Paris pour contester les conditions de cette rupture qu’il assimile à un licenciement abusif. Il demande également la requalification de sa relation de travail avec la société Uber en contrat de travail à durée indéterminée. Le conseil de prud’hommes de Paris estime que le contrat est de nature commerciale et dit que le conseil de prud’hommes est incompétent au profit du tribunal de commerce de Paris. Le chauffeur décide de faire appel de cette décision.


Enonçant la solution précitée, la cour d’appel infirme le jugement du conseil de prud’hommes de Paris. Pour elle, un faisceau suffisant d’indices se trouve réuni pour permettre au chauffeur de caractériser le lien de subordination dans lequel il se trouvait lors de ses connexions à la plateforme Uber et d’ainsi renverser la présomption simple de non-salariat que font peser sur lui les dispositions de l’article L. 8221-6, I du Code du travail (N° Lexbase : L8160KGC). Elle relève notamment que le chauffeur n'a pu se constituer aucune clientèle propre et ne fixait pas librement ses tarifs ni les conditions d'exercice de sa prestation de transport. En outre, si un chauffeur décide de se déconnecter, la plate-forme se réserve le droit de désactiver ou autrement restreindre l'accès ou l'utilisation de l'application. Cela a pour effet d'inciter les chauffeurs à rester connectés pour espérer effectuer une course et, ainsi, à se tenir constamment, pendant la durée de la connexion, à la disposition de la société Uber, sans pouvoir réellement choisir librement, comme le ferait un chauffeur indépendant, la course qui leur convient ou non.

 

Les juges renvoient l’affaire devant le conseil de prud’hommes de Paris (sur Les exemples dans lesquels le lien de subordination juridique est retenu, cf. l’Ouvrage "Droit du travail" N° Lexbase : E7628ESC). 

newsid:467153

Energie

[Brèves] Illégalité de la restriction de la bonification des certificats d'économies d'énergie au remplacement des seules chaudières au fioul

Réf. : CE 9° et 10° ch.-r., 11 janvier 2019, n° 418745, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A0148YTN)

Lecture: 1 min

N7169BXS

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par Yann Le Foll

Le 16 Janvier 2019

Est illégale la subordination de la bonification des certificats d'économies d'énergie au remplacement des seules chaudières au fioul, à l'exclusion de toute autre source d'énergie non renouvelable présentant des caractéristiques analogues au regard des objectifs poursuivis. Telle est la solution dégagée par le Conseil d'Etat dans un arrêt rendu le 11 janvier 2019 (CE 9° et 10° ch.-r., 11 janvier 2019, n° 418745, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A0148YTN).

 

Si l'objet de la réglementation relative aux obligations d'économies d'énergie est de maîtriser la consommation finale d'énergie, il résulte des articles L. 100-1 (N° Lexbase : L3090KGK),  L. 221-7 (N° Lexbase : L3141KGG),  R. 221-18 (N° Lexbase : L0314LIH) et  R. 221-19 (N° Lexbase : L1525KWE) du Code de l'énergie qu'il est loisible au ministre  de la Transition écologique et solidaire, pour déterminer les modalités de bonification des certificats d'économies d'énergie, de tenir compte des objectifs de développement de l'utilisation des énergies renouvelables et de réduction des émissions de gaz à effet de serre et, à cette fin, de favoriser l'utilisation des énergies renouvelables faiblement émettrices de CO2 au détriment d'énergies fossiles non renouvelables.

 

Le Conseil d’Etat apporte, toutefois, un tempérament résultant en la solution précitée. L'arrêté du 22 décembre 2017 (N° Lexbase : L9683LH4), modifiant l'arrêté du 29 décembre 2014, relatif aux modalités d'application de la troisième période du dispositif des certificats d'économie d'énergie, est donc annulé en tant qu'il limite le champ de la bonification des opérations portant sur les équipements produisant de la chaleur aux cas de remplacement d'une chaudière au fioul.

newsid:467169

Fiscalité du patrimoine

[Brèves] Les dispositions de l’article 885 V bis du CGI renvoyées devant le Conseil constitutionnel

Réf. : Cass. com., 10 janvier 2019, n° 18-40.038 F-D (N° Lexbase : A7302YSA)

Lecture: 1 min

N7152BX8

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par Marie-Claire Sgarra

Le 16 Janvier 2019

Les dispositions concernant le calcul de la réduction de l’impôt de solidarité sur la fortune par la différence entre le total des impôts acquittés par le contribuable en France et à l’étranger au titre de ses revenus et produits et 75 % de ces mêmes revenus nets de frais professionnels sont renvoyées devant le Conseil constitutionnel.

 

Telle est la solution retenue par la Chambre commerciale de la Cour de cassation dans un arrêt du 10 janvier 2019 (Cass. com., 10 janvier 2019, n° 18-40.038, F-D N° Lexbase : A7302YSA).

 

Les dispositions contestées ont pour effet d’intégrer dans le revenu du contribuable, pour le calcul du plafonnement de l’impôt de solidarité sur la fortune, des sommes, qui au titre des plus-values, ne correspondent pas à des bénéfices ou revenus que le contribuable a réalisés dont il a disposé au cours de la même année d’imposition.

 

En l’absence de prise en compte de l’érosion de la valeur de la monnaie ni application d’abattement ou exonération sur le montant de la plus-value brute, ces dispositions sont susceptibles de méconnaître le respect des capacités contributives des contribuables (cf. le BoFip - Impôts annoté N° Lexbase : X3130AMU).

newsid:467152

Justice

[Focus] La création du droit par l’algorithme - Analyse du cas des gilets jaunes

Lecture: 7 min

N7155BXB

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par Guillaume Léguevaques, Docteur en droit, Attaché temporaire d’enseignement et de recherche, IEJUC EA1919, Université Toulouse 1 Capitole

Le 16 Janvier 2019

La mobilisation des gilets jaunes est l’expression d’une contestation qui, dès l’origine, s’est faite sans les corps intermédiaires ni les partis politiques. La difficulté réside alors dans le fait d’identifier les revendications de chacun. Exprimées sur les réseaux sociaux, un algorithme a réussi à identifier cette contestation avant la première journée de manifestation (I). Dans ces conditions, un algorithme juridique aurait alors été capable d’anticiper la mobilisation en générant une norme complémentaire dérivée pour proposer immédiatement des solutions. La tradition juridique française demeure pourtant réticente à se servir de cette fonction particulière de l’algorithme. Le primat du législateur en constitue le chantre et cette prudence se mesure à l’aune du cas des gilets jaunes. Déterminant pour saisir l’enjeu de la contestation, l’usage de l’algorithme est modéré quand il s’agit de lui laisser le soin de créer une solution juridique (II).  

           

L’algorithme doit-il être mobilisé pour créer le droit face au cas particulier des gilets jaunes ?   

 

I - Le rôle de l’algorithme dans l’identification des contestations

 

 

La mobilisation des gilets jaunes est née spontanément la semaine du 12 novembre 2018. Elle s’est structurée sur les réseaux sociaux échappant ainsi au contrôle des partis politiques et des syndicats. Par le biais du numérique, les gilets jaunes se sont rassemblés autour de causes communes avant d’appeler à une première journée de mobilisation le samedi 17 novembre 2018. En rejetant les corps classiques, le mouvement a pourtant pris le risque d’être désorganisé, inaudible et confidentiel. Les différentes semaines de contestation ont cependant dissipé les quelques doutes. Il a alors fallu prendre la mesure de la contestation en un temps record avant d’y apporter une réponse juridique. Sans porte-parole et sans leader, toute la difficulté a résidé et réside encore dans le traitement de l’information pour identifier les revendications de chacun. Cette information est pourtant détenue, depuis l’origine, par l’algorithme du réseau social Facebook. L’enjeu est alors de savoir si, d’un point de vue juridique, l’intelligence artificielle est susceptible d’offrir des solutions pour sortir d’une contestation sociale.  

 

Elément essentiel de l’intelligence juridique artificielle, l’algorithme est un langage destiné à être programmé et donner des instructions. Son introduction dans les logiciels juridiques ou encore les réseaux sociaux permet «une exécution automatisée des opérations » [1]. Défini comme «l’étude de la résolution de problèmes par la mise en œuvre de suites d’opérations élémentaires selon un processus défini aboutissant à une solution» [2], l’algorithme offre une puissance de calcul exponentielle. Etait-il pour autant possible d’anticiper la mobilisation des gilets jaunes à travers l’identification de comportement contestataire grandissant au sein de la société française ? La réponse est peu évidente. Si d’un point de vue communicationnel l’algorithme performe, la tradition juridique française est réticente à l’empirisme. Si «les algorithmes rassurent par leur logique mathématique implacable» [3], la question de son usage juridique dans le cas des gilets jaunes se pose. Il est en effet «beaucoup plus délicat d’apprendre à des algorithmes le droit souple que le droit dur» [4]. La distinction entre le droit souple et le droit dur consacre la double fonction de l’algorithme : prédire et dire le droit.

 

L’approche singulière d’Eric Chol apporte une réponse [5]. En s’intéressant à la modification du code de l’algorithme au début de l’année 2018 sur le réseau social Facebook, des contestations solitaires, disséminées dans toute la France, ont pu être identifiées, sélectionnées avant d’être rapprochées. Le codage offre donc, bien avant la première manifestation concrète du 17 novembre 2018, des perspectives sur le traitement de l’information en temps réel. En ce sens, l’algorithme, s’il est employé par le législateur, «participe à la mise en œuvre du droit» [6] à travers un traitement massif de données [7]. Pourtant, depuis l’avènement de la mathématisation du raisonnement juridique, le législateur s’efforce d’encadrer les algorithmes en laissant ses bienfaits à la marge du droit [8]. Il opère une lecture inverse en tentant d’en limiter les effets à travers un cadre juridique sans chercher à savoir «comment les algorithmes sont en train de se saisir du droit» [9]. Si, une «décision produisant des effets juridiques à l’égard d’une personne ne peut être prise sur le seul fondement d’un traitement automatisé de données […]» [10], l’usage de l’algorithme face à la mobilisation des gilets jaunes permettrait, à travers la libre expression sur les réseaux sociaux, de sélectionner les contestations majoritaires pour y apporter une réponse adaptée dans un temps record. L'utilisation prudente de l’algorithme s’explique néanmoins par la volonté de garder une «distance critique» [11] face aux «pièges» [12] qu’il tend.

 

 

II - Le rôle l’algorithme dans la détermination d’une solution juridique

 

 

Si l’algorithme est capable de créer du droit en saisissant les aspirations immédiates de la société, l’emploi de cette fonction était la bienvenue à l’origine de la contestation. «La loi des algorithmes rejoint sous cet angle les usages et toutes ces normativités immanentes et spontanées, qui ne s’imposent pas de l’extérieur, mais de l’intérieur, loin de toute discussion, de toute délibération et de toute évaluation. Il faut rappeler combien la loi des algorithmes repose sur un jeu d’échanges et d’interactions entre l’utilisateur et l’algorithme : l’utilisateur, par son comportement, influence l’algorithme, lequel en retour, par ses informations, influence l’utilisateur, etc.» [13]. L’algorithme «appréhende les conduites au regard, non pas de normes abstraites, mais des flux de données recueillies, c’est-à-dire la pratique» [14]. En identifiant parfaitement les contestations, la technologie du deep learning est capable de générer une norme complémentaire dérivée pour répondre à l’attente des gilets jaunes. Selon les situations, l’intelligence artificielle a en effet atteint le stade où les logiciels peuvent s’adapter afin de livrer des résultats qui étaient d’ordinaire l’apanage de la réflexion humaine.    

 

Le Professeur Croze en souligne néanmoins les risques puisque le droit s’abandonne à des corrélations. «Ce sont les cigognes qui apportent les bébés. Une étude statistique fondée sur une méthodologie rigoureuse établit en effet une corrélation entre le nombre de cigognes et le nombre de naissances humaines sur un territoire donné. C’est une relation de corrélation, pas de causalité. C’est un fait, non une règle» [15]. Dès lors, si les gilets jaunes se plaignent de la hausse des taxes sur les carburants, cela ne signifie pas nécessairement qu’ils en exigent la baisse. Par convictions écologiques, certains attendent en effet des solutions alternatives. Pourtant, l’algorithme propose une réponse juridique dans ce qui n’est qu’une corrélation de faits bruts contestation, prix du carburant, difficulté à se déplacer. En prenant en compte trop rapidement les mouvements spontanés, la loi perd de sa nature et de son éclat en assouvissant les intérêts égoïstes à travers des «systèmes automatiques de modélisation du social» [16]. Elle devient ainsi «le miroir des normativités les plus immanentes» [17]. De surcroît, «les statistiques relèvent de l’empire du fait. C’est l’une des manifestations de l’importance des éléments factuels dans la réflexion, la production et l’activité juridique. Une sorte de revanche du fait qui grignote l’empire du droit» [18]. La production normative propre à l’algorithme s’extrait de toute évaluation et délibération pour n’être que l’exact reflet de la société. Si une telle avancée est séduisante, elle comporte en réalité des risques majeurs. Les algorithmes sont à l’origine de normes complémentaires dérivées, sur la seule base d’une programmation. La figure tutélaire du législateur disparaît progressivement pour laisser place à des formules mathématiques. En soumettant la matière juridique au comportement du citoyen, la norme est exposée à une instabilité excessive. Par une programmation informatique, dès que le code identifie un élément, il l’associe à une conséquence et propose une norme. A travers le déclin de la normativité juridique descendante [19], le droit s’inscrit dans un système ouvert aux différents faits environnementaux. Dans ces conditions, le droit risque d’être noyé dans un flot incessant de normes «immanences portées par les algorithmes» [20]. La mobilisation des gilets jaunes illustre cet écueil à travers le caractère hétéroclite des revendications.  

 

Dans le prolongement de la solution que l’algorithme est susceptible d’apporter, pour qu’un fait puisse donner naissance à une norme, il faut qu’il se répète pendant «une longue tradition de respect du principe» [21]. La gestion des gilets jaunes par l’algorithme se heurte alors aux nécessités d’un temps long afin que l’empirisme fasse le droit car «ce n’est pas parce qu’une chose est, que cette chose, ou une autre, doit être» [22]. Le fait que cette mobilisation s’inscrive dans sa neuvième semaine de contestation n’est pas suffisant pour l’algorithme. L’identification de comportements prompts à générer une norme complémentaire dérivée impose un temps plus long laissé à la libre appréciation des pouvoirs publics et des programmateurs. L’algorithme doit en effet repérer une répétition, l’enregistrer [23], la traduire mathématiquement par un codage informatique, s’assurer qu’elle inscrive dans la durée tout en veillant à ce qu’elle soit considérée comme obligatoire [24] par les sujets de droit [25] et d’intérêt général.    

 

Sur ce dernier point, l’usage parcellaire de l’algorithme au cas des gilets jaunes s’entend. Le droit est le fruit d’une réflexion et d’une concertation destinées à servir l’intérêt général et non l’intérêt collectif [26]. Si l’algorithme sert le législateur en lui communiquant immédiatement des informations relatives aux mutations attendues sur les taxes pétrolières ou encore le pouvoir d’achat, quels que soient la contestation et sa gravité, l’algorithme ne doit pas être employé trop rapidement pour dire le droit, car «la morale des algorithmes est la morale des forts. User de cette technique c’est adhérer à une certaine conception du droit en général […] libertaire qui prétend développer un monde sans Etat et sans droit étatique, un ordre juridique autonome, avec ses propres valeurs, ses propres principes et ses propres règles» [27]. Pour attirer l’attention sur un tel risque, Alain Supiot, auteur de l’ouvrage La gouvernance par le nombre, emploie l’expression de gouvernance par les algorithmes [28]. L’expression souligne la place de l’algorithme dans la production et la mise en œuvre d’une norme complémentaire dérivée, automatisée et personnelle. Dans ces conditions, la gouvernance par l’algorithme doit être un complément à la gouvernance par la loi en ce qu’elle perfectionne la norme en répondant à des attentes et en lui évitant le risque d’être désuète. La mobilisation des gilets jaunes montre qu’il faut donc davantage voir l’algorithme comme un assistant et non moins comme un substitut législatif. 

 

 

[1] S. Chassagnard-Pinet, Les usages des algorithmes en droit : prédire ou dire le droit ?, D., IP/IT/, 2017, 495.

[2] Arrêté du 27 juin 1989 relatif à l'enrichissement du vocabulaire de l'informatique, En ce sens, E. Marique et A. Strowel, Gouverner par la loi ou les algorithmes : de la norme générale de comportement au guidage rapproché des conduites, D. IP/IT 2017, 519 ; H. Croze, Justice prédictive. La factualisation du droit, JCP éd. G., n° 5, 2017, 101 ; J.-B. Duclercq, Les effets de la multiplication des algorithmes informatiques sur l’ordonnancement juridique, CCE, novembre 2015, Etude 20, p. 2 ; G. Chantepie, Le droit en algorithmes ou la fin de la norme délibérée ?, D. IP/IT 2017, 522 ; L. Larret-Chahine, Les algorithmes et l'aide à la décision de justice, Colloque, Sécurité et justice, Le défi de l’algorithme, inhesj.fr, 27 juin 2017 ; H. Cazaux-Charles, Sécurité et justice, Le défi de l’algorithme, Colloque, inhesj.fr, 27 juin 2017 ; A. Supiot, La gouvernance par les nombres, Fayard, 2015.

[3] B. Barraud, Le coup de data permanent, la loi des algorithmes, chron. 35.

[4] Ibidem.

[5] E. Chol, Gilets jaunes : la révolution en algorithme, Le courrier international, 14 décembre 2018.

[6] S. Chassagnard-Pinet, Les usages des algorithmes en droit : prédire ou dire le droit ?, préc., 495.

[7] Le traitement massif des données est dit Big data. Le législateur procède à des études d'impact avant de légiférer ou de réglementer. Tel est le cas dans l’expérimentation de la loi travail. Dans la factualisation du droit, les algorithmes interfèrent dans l’élaboration normative via les «possibilités qu’ils offrent de simuler les conséquences économiques et sociales qu’un nouveau dispositif législatif est susceptible de produire» (S. Chassagnard-Pinet, Les usages des algorithmes en droit : prédire ou dire le droit ?, préc., 495). Le logiciel Worksim l’a montré en assistant les parlementaires lors de la loi votée le 8 août 2016, relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels (N° Lexbase : L8436K9C). Sur la base d’algorithmes programmés par un mathématicien et un informaticien, il a été possible de reconstituer le marché du travail français. Par une programmation annexe, le législateur a pu mesurer efficacement l’influence de sa réforme et opérer des ajustements. Aux vues des nombreuses contestations politiques et sociales, il n’est toutefois pas certains que le logiciel ait convaincu. Indépendamment du climat politique, la sécurité juridique et l’algorithme font cause commune en participant de concert à une loi de qualité prompte à répondre à l’intérêt général.

[8] Conseil d’Etat, Le numérique et les droits fondamentaux, Rapport annuel, 2014, LDF, 2014, p. 6.

[9] S. Chassagnard-Pinet, Les usages des algorithmes en droit : prédire ou dire le droit ?, préc., 495.

[10] Article 10 alinéa 2 de la loi n° 78-17, 6 janvier 1978, relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés modifiée par la loi n° 2004-801 du 6 août 2004, relative à la protection des personnes physiques à l’égard des traitements de données à caractère personnel (N° Lexbase : L0722GTW), JORF du 7 août 2004, p. 14063.

[11] E. Marique et A. Strowel, Gouverner par la loi ou les algorithmes : de la norme générale de comportement au guidage rapproché des conduites, préc., 520.

[12] Ibidem, c’est nous qui soulignons : «Le pouvoir des programmeurs dans la structuration du code, qui désormais fait loi, est particulièrement important. Les programmeurs sont amenés à effectuer des arbitrages sur des valeurs, sur l'importance des règles juridiques et sur l'interprétation de ces dernières, alors qu'ils n'ont pas été initiés à la technique du droit, ni amenés à réfléchir à ses finalités. Confronté à l'usage accru des algorithmes en droit, le juriste, avocat, juge ou fonctionnaire conservera un rôle décisif s'il use de sa formation pour interroger les règles, leur ordonnancement, la pertinence de leur application à un cas d'espèce, leur équité, afin de pointer ces biais de programmation qui donnent lieu à des résultats insatisfaisants ou simplement injustes».

[13] B. Barraud, Le coup de data permanent, la loi des algorithmes, préc. 35.

[14] S. Chassagnard-pinet, Les usages des algorithmes en droit : prédire ou dire le droit ?, préc., 495.

[15] H. Croze, Justice prédictive. La factualisation du droit, préc., 101 :

[16] E. Marique et A. Strowel, Gouverner par la loi ou les algorithmes : de la norme générale de comportement au guidage rapproché des conduites, préc. 517.

[17] Ibidem.

[18] H. Croze, Justice prédictive. La factualisation du droit, préc., 101.

[19] B. Barraud, Le coup de data permanent, la loi des algorithmes, préc., chron. 35 : «La loi des algorithmes est significative du glissement du gouvernement politique délibéré et vertical vers la gouvernance mathématique automatique et horizontale. Cette automaticité et cette horizontalité proviennent du fait qu’il ne s’agit plus d’imposer des devoir-être à des être ; au contraire, les être s’imposent aux devoir-être, les faits s’imposent aux normes, deviennent normes. Telle est la conséquence de la généralisation des pratiques statistiques et de la multiplication des corrélations de données. La loi des algorithmes est donc symptomatique de la factualisation du juridique. C’est ainsi que la « loi de Hume» et l’idée d’une séparation nette entre être et devoir-être, entre fait et droit  -peut-être contestable d’ailleurs, car que vaut le droit détaché des faits et des pratiques qu’il est supposé saisir ?- perd toute force didactique à l’épreuve de la loi des algorithmes».

[20] S. Chassagnard-Pinet, Les usages des algorithmes en droit : prédire ou dire le droit ?, préc., 495.

[21] V. Bouvier, Le Conseil constitutionnel et la coutume, sur les principes fondamentaux reconnus par les lois de la république, in La coutume, Droits-3, 1986, p. 93.

[22] M. Troper, Du fondement de la coutume à la coutume comme fondement , Droits-3, 1986, p. 11.

[23] Sur les risques du droit à la vie privée v. J.-B. Duclercq, Les effets de la multiplication des algorithmes informatiques sur l’ordonnancement juridique, préc., p. 2. «L’usage d’algorithmes ne conduirait pas seulement à accéder à des normes diffuses et méconnues. Il permet de déceler des traces de nos actions, dans les différents champs de notre vie sociale. Consciemment semés ou non, ces signaux sont autant de traces laissées, qui permettent d’envisager une mesure globale de l’activité du monde, l’algorithme ‘'prenant’ par rapprochements successifs, dégageant des corrélations» (G. Chantepie, Le droit en algorithmes ou la fin de la norme délibérée ?, préc., 522)

[24] L’algorithme renforce naturellement le lien social en s’efforçant d’être accepté. La norme complémentaire dérivée, par transposition à la coutume, brillera par sa «souplesse» et son «caractère démocratique» (M. Troper, Du fondement de la coutume à la coutume comme fondement , préc., p. 13). «L’usage, pour engendrer la coutume, doit avoir, chez ceux qui le pratiquent, le caractère d’exercice d’un droit subjectif, qui contienne l’expression d’une règle de droit objectif; autrement dit, que les actes composant cet usage n’ont d’effet, pour la création du droit, que s’ils ont lieu dans la pensée d’une sanction sociale effective» (F. Gény cité par B. Oppetit, Sur la coutume en droit privé, in La coutume, Droits-3, 1986, p. 44).

[25] L’étude poursuit le parallélisme avec la coutume : dans la thèse romano canonique, «la coutume naît d’un usage dont la répétition doit s’étendre dans la durée : la transformation de l’usage en coutume s’opère alors sous l’empire d’un élément psychologique, l’opinio juris seu necessitatis» (B. Oppetit, ibidem).

[26] L’algorithme ne garantit toutefois pas que les revendications adoptées par les gilets jaunes soient conformes à l’intérêt général. Or, depuis l’avènement de l’algorithme en droit, aucune commission de contrôle n’a été créée pour s’assurer que la norme automatique a effectivement des vertus pour l’intérêt général -et non l’intérêt collectif-.

[27] M. Mekki, Le contrat, objet des smart contracts (Partie 1), D. IP/IT, 2018, 409.

[28] A. Supiot, La gouvernance par les nombres, Fayard, 2015.

newsid:467155

Pénal

[Brèves] Quand un avocat «Twittos» est reconnu «débatteur public» par la Cour de cassation...

Réf. : Cass. crim., 8 janvier 2019, n° 17-81.396, F-D (N° Lexbase : A6482YSU)

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N7143BXT

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par June Perot

Le 16 Janvier 2019

► Les propos tenus par un avocat sur un réseau social imposant des réponses lapidaires, s’inscrivant dans une controverse sur l’action de la justice pénale, à l’occasion de la préparation de la campagne présidentielle de 2012, constitutive en soi d’un débat public d’intérêt général, et qui comportent une invective répondant de façon spontanée à l’interpellation d’un internaute sur les thèses défendues par la partie civile, quelles que fussent la grossièreté et la virulence des termes employés, n’excèdent pas les limites admissibles de la liberté d’expression ;

 

la Cour relève en effet que les propos ne tendaient pas à atteindre les personnes dans leur dignité ou leur réputation, mais exprimaient l’opinion de leur auteur, sur un mode satirique et potache, dans le cadre d’une polémique ouverte sur les idées prônées par une association défendant une conception de la justice opposée à celle que le prévenu, en tant que praticien et débatteur public, entendait lui-même promouvoir ainsi.

 

Ainsi statue la Chambre criminelle de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 8 janvier 2019 (Cass. crim., 8 janvier 2019, n° 17-81.396, F-D N° Lexbase : A6482YSU).

 

Au cas de l’espèce, l’Institut pour la Justice, une association ayant notamment pour objet la promotion «d’une meilleure organisation du système judiciaire en France, et de meilleures politiques de protection de la personne et du maintien de l’ordre public», a porté plainte et s'est constitué partie civile des chefs de diffamation et injure publiques envers un particulier, après qu’un avocat animant un blog consacré à la justice, ainsi qu’un compte Twitter sous pseudonymat, eut publié plusieurs messages mettant en cause le "Pacte 2012 pour la justice" que cette association avait établi à l'intention des candidats à la prochaine élection présidentielle et qui faisait l'objet d'une pétition sur internet.

 

L’avocat blogueur critiquait tant les thèses et objectifs du texte que la fiabilité du décompte des signataires de la pétition. Il avait ainsi publié sur son compte Twitter, les 8 et 9 novembre 2011, des messages comportant les propos "L'Institut pour la justice en est donc réduit à utiliser des bots pour spamer sur Twitter pour promouvoir son dernier étron ?" et "Que je me torcherais bien avec l'Institut pour la Justice si je n'avais pas peur de salir mon caca". Il a alors été renvoyé devant le tribunal correctionnel sous la prévention d’injure publique.

 

En première instance, les juges l’ont retenu dans les liens de la prévention. L’intéressé, à titre principal, et le ministère public, à titre incident, ont relevé appel de la décision. La condamnation a été confirmée en cause d’appel pour les propos "Que je me torcherais bien avec l'Institut pour la Justice si je n'avais pas peur de salir mon caca". La décision a toutefois été infirmée pour les autres propos. Des pourvois ont été formés par les parties.

 

Reprenant la solution précitée, la Haute juridiction procède à une cassation sans renvoi de l’affaire. A noter, par ailleurs, que, s’agissant du pourvoi formé par l’Institut pour la Justice, celui-ci est déclaré irrecevable comme ne respectant pas les prescriptions de l’article 576, alinéa 2, du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L2811IPS).

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Procédure civile

[Brèves] Irrégularité de fond résultant du défaut de capacité de représentation d’une partie : admission de la régularisation avant que le juge ne statue

Réf. : Cass. civ. 2, 10 janvier 2019, n° 17-28.805, F-P+B (N° Lexbase : A9731YS9)

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N7165BXN

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par Aziber Seïd Algadi

Le 16 Janvier 2019

► L’irrégularité de fond que constitue le défaut de capacité d’une personne assurant la représentation d’une partie en justice, peut être couverte si la cause de cette nullité a disparu au moment où le juge statue.

 

Telle est la précision apportée par un arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, rendu le 10 janvier 2019 (Cass. civ. 2, 10 janvier 2019, n° 17-28.805, F-P+B N° Lexbase : A9731YS9 ; il convient de relever que le défaut de capacité ou de pouvoir d'une personne assurant la représentation d'une partie en justice constitue une irrégularité de fond qui entache l'acte de procédure d'une nullité de fond, sans que celui qui l'invoque ait à justifier d'un grief ; en ce sens, CA Versailles, 30 octobre 2018, n° 18/05766 N° Lexbase : A7234YIR).

 

En l’espèce, une banque ayant fait délivrer un commandement de payer valant saisie immobilière à l’encontre de ses débiteurs, a fait assigner ces derniers à l’audience d’orientation d’un juge de l’exécution.

 

Pour prononcer la nullité du commandement de payer valant saisie immobilière et ordonner sa radiation, la cour d’appel (CA Versailles, 6 juillet 2017, n° 17/00001 N° Lexbase : A2676WPS) après avoir relevé que ce commandement portait constitution d’un avocat honoraire dépourvu de la capacité de représenter une partie en justice, retient que cette irrégularité constitue une nullité de fond qui affecte la validité et partant l’existence même de l’acte et ne saurait faire l’objet d’une régularisation.

 

A tort. En statuant ainsi, alors que l’irrégularité avait été couverte, avant que le juge de l’exécution ne statue, par la délivrance d’une assignation à comparaître à l’audience d’orientation mentionnant la constitution d’un avocat ayant le pouvoir de représenter la banque dans la procédure de saisie-immobilière, la cour d’appel a violé les articles 117 (N° Lexbase : L1403H4Q) et 121 (N° Lexbase : L1412H43) du Code de procédure civile (cf. l’Ouvrage «Procédure civile», La nullité pour vice de fond N° Lexbase : E1152EU9).

newsid:467165

Rel. collectives de travail

[Jurisprudence] L’établissement distinct : caractérisation et contestation

Réf. : Cass. soc., 19 décembre 2018, n° 18-23.655, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A0670YRA)

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N7173BXX

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par Gilles Auzero, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux

Le 16 Janvier 2019

Comité social et économique • établissement distinct • caractérisation • contestation • compétence et pouvoirs du juge judiciaire

 

Résumé

 

En application de l’article L. 2313-5 du Code du travail (N° Lexbase : L8474LGX), relèvent de la compétence du tribunal d’instance, en dernier ressort, à l’exclusion de tout autre recours, les contestations élevées contre la décision de l’autorité administrative fixant le nombre et le périmètre des établissements distincts. Il appartient, en conséquence, au tribunal d’instance d’examiner l’ensemble des contestations, qu’elles portent sur la légalité externe ou sur la légalité interne de la décision de la Direccte, et, s’il les dit mal fondées, de confirmer la décision, s’il les accueille partiellement ou totalement, de statuer à nouveau, par une décision se substituant à celle de l’autorité administrative, sur les questions demeurant en litige.

 

Selon l’article L. 2313-4 du Code du travail (N° Lexbase : L8475LGY), en l’absence d’accord conclu dans les conditions mentionnées aux articles L. 2313-2 (N° Lexbase : L8477LG3) et L. 2313-3 (N° Lexbase : L8476LGZ) du même Code, le nombre et le périmètre des établissements distincts pour la mise en place des comités sociaux et économiques sont fixés compte tenu de l’autonomie de gestion du responsable de l’établissement, notamment en matière de gestion du personnel. Il en résulte que caractérise, au sens de ce texte, un établissement distinct, l’établissement qui présente, notamment en raison de l’étendue des délégations de compétence dont dispose son responsable, une autonomie suffisante en ce qui concerne la gestion du personnel et l’exécution du service.

 

Instituant, comme on le sait, le comité social et économique, l’ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017 (N° Lexbase : L7628LGM) a, accessoirement, établi un critère permettant de caractériser l’établissement distinct dans le périmètre duquel l’institution représentative du personnel en cause a vocation à être installée. Dès lors que les établissements distincts sont fixés par l’employeur seul, doit nécessairement être pris en compte «l’autonomie de gestion du responsable de l’établissement, notamment en matière de gestion du personnel». A l’évidence puisé dans la jurisprudence du Conseil d’Etat, ce critère devait être encore explicité et précisé par la Cour de cassation. L’arrêt rendu le 19 décembre 2019, paré du label «PBRI», lui en donne l’occasion et démontre que la Chambre sociale entend reprendre à son compte la jurisprudence administrative. Là n’est pas le seul intérêt de la décision, qui conduit également la Cour de cassation à prendre parti sur la compétence et les pouvoirs du juge judiciaire, seul compétent en la matière depuis la loi n° 2015-990 du 6 août 2015, pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques (N° Lexbase : L4876KEC), dite «loi Rebsamen».

 

 

Observations

 

I -  Compétence et pouvoirs du juge judiciaire

 

Les évolutions législatives. Jusqu’à l’ordonnance n° 2005-1478 du 1er décembre 2005, de simplification du droit dans le domaine des élections aux institutions représentatives du personnel (N° Lexbase : L4068HDZ), les litiges relatifs à la reconnaissance d’établissements distincts relevaient du juge d’instance lorsqu’ils surgissaient à propos de l’élection des délégués du personnel ou de la désignation des délégués syndicaux et de l’autorité administrative lorsqu’ils concernaient la mise en place d’un comité d’établissement. Avec l’ordonnance précitée, à défaut d’accord entre le chef d’entreprise et les organisations syndicales intéressées, c’est à l’autorité administrative seule qu’il appartenait de reconnaître la qualité d’établissements distincts, qu’il s’agisse d’élire des délégués du personnel ou de mettre en place des comités d’établissement (C. trav., anc. art. L. 2314-31 N° Lexbase : L2662H9H et L. 2327-7 N° Lexbase : L7191K99). Cette même ordonnance n’avait cependant pas remis en cause la compétence du juge judiciaire s’agissant de la détermination de l’établissement distinct pour les délégués syndicaux.

 

La loi «Rebsamen» du 6 août 2015 a mis un terme à cette dualité de compétence en confiant le contentieux au juge judiciaire. Elle a, toutefois, maintenu une intervention préalable du Direccte, sans doute le plus à même de déterminer le périmètre et le nombre des établissements distincts. Instituant le comité social et économique, les ordonnances «Macron» n’ont pas remis en cause ce dispositif.

 

Désormais, et sans qu’il soit besoin de rentrer dans le détail de la question [1], le périmètre et le nombre d’établissements distincts ont, par priorité si l’on peut dire, vocation à être fixés par accord [2]. En l’absence d’accord, l’employeur peut agir de manière unilatérale [3]. Mais, en cas de litige portant sur sa décision, ces éléments sont alors fixés par l'autorité administrative [4]. Enfin, aux termes du second alinéa de l’article L. 2313-5 du Code du travail, «la décision de l'autorité administrative peut faire l'objet d'un recours devant le juge judiciaire, à l'exclusion de tout autre recours administratif ou contentieux».

 

Nonobstant les termes forts du texte, on pouvait s’interroger sur la compétence et les pouvoirs du juge judiciaire. On rappellera, à cet égard, que semblable bloc de compétence est conféré au juge judiciaire en matière de rupture conventionnelle, l’article L. 1237-14 du Code du travail (N° Lexbase : L8504IA9) disposant que «tout litige concernant la convention, l’homologation ou le refus d’homologation relève de la compétence du conseil des prud’hommes, à l’exclusion de tout autre recours contentieux ou administratif». Pour autant, la Cour de cassation n’en a pas moins considéré «qu'il n'entre pas dans les pouvoirs du juge judiciaire de prononcer, en lieu et place de l'autorité administrative, l'homologation d'une convention de rupture conclue en application des articles L. 1237-11 (N° Lexbase : L8512IAI) et suivants du Code du travail» [5].

 

L’interprétation prétorienne. En l’espèce, à la suite de l’échec des négociations menées entre la direction et les organisations syndicales du groupe public ferroviaire (le groupe SNCF) pour la détermination du nombre et du périmètre des établissements distincts des trois établissements publics industriels et commerciaux (EPIC) composant le groupe, la direction de la SNCF avait fixé unilatéralement, par deux décisions des 19 février et 23 mars 2018, le périmètre des trente-trois établissements distincts retenus pour la mise en place des comités sociaux et économiques au sein des trois EPIC. Deux organisations syndicales ont alors saisi la Direccte pour contester ces décisions. Par décision du 30 mai 2018, l’autorité administrative a fixé le nombre et le périmètre des établissements distincts selon les mêmes modalités que celles figurant dans la décision de l’employeur. Les deux organisations syndicales ont consécutivement formé un recours contre la décision de la Direccte devant le tribunal d’instance.

 

Le pourvoi posait clairement la question de l’étendue des compétences du tribunal d’instance, statuant comme instance de recours sur les décisions de la Direccte. En l’occurrence, le tribunal d’instance avait admis sa compétence, sauf en ce qui concerne les contestations portant sur la régularité formelle de la décision administrative (respect des principes d’impartialité et de contradictoire), dont il avait considéré qu’elles ne pouvaient relever du juge judiciaire.

 

Telle n’est pas la position retenue par la Cour de cassation qui, sur le fondement des dispositions de l’article L. 2313-5 du Code du travail, retient «qu’il appartient […] au tribunal d’instance d’examiner l’ensemble des contestations, qu’elles portent sur la légalité externe ou sur la légalité interne de la décision de la Direccte». La Chambre sociale ajoute que si le juge dit mal fondées les contestations, il lui appartient de confirmer la décision et, s’il les accueille partiellement ou totalement, de statuer à nouveau, par une décision se substituant à celle de l’autorité administrative, sur les questions demeurant en litige.

 

La décision n’est toutefois pas censurée, dès lors que le tribunal d’instance, après avoir écarté la contestation portant sur la légalité externe de la décision, a statué sur le fond du litige et fixé lui-même le nombre et le périmètre des établissements distincts, ce qu’il aurait été amené à faire s’il avait accueilli la contestation sur la légalité externe et qu’il l’avait dite fondée. Le moyen reprochant au tribunal d’instance de n’avoir pas annulé la décision administrative était donc finalement inopérant, le résultat juridique escompté de la demande d’annulation ayant été atteint.

 

La solution doit être approuvée au regard de la lettre même de l’article L. 2313-5 du Code du travail. Mais il faut alors admettre qu’elle contraste nettement avec celle retenue à propos de la rupture conventionnelle. Dans la mesure où, comme il a été dit, les dispositions de l’article L. 1237-14 sont rédigées de manière identique s’agissant de la compétence et des pouvoirs du juge judiciaire, on peine à justifier la différence de position retenue dans chacun des deux cas. Sans doute le principe de la séparation des pouvoirs peut-il être invoqué pour justifier la solution retenue dans la décision du 14 janvier 2016. Mais elle aurait alors tout aussi bien pu l’être s’agissant de la détermination du périmètre et du nombre des établissements distincts.

 

II - Les critères de l’établissement distinct pour la mise en place du comité social et économique

 

Le critère légal. Antérieurement aux ordonnances «Macron», la loi était muette quant aux critères permettant de caractériser un établissement distinct pour la mise en place des institutions représentatives du personnel élues [6]. Il convenait, dès lors, de s’en remettre à la jurisprudence. Pour sa part, la Cour de cassation avait fini par retenir que «l'établissement distinct permettant l'élection de délégués du personnel se caractérise par le regroupement d'au moins onze salariés constituant une communauté de travail ayant des intérêts propres, susceptible de générer des réclamations communes et spécifiques et travaillant sous la direction d'un représentant de l'employeur, peu important que celui-ci ait le pouvoir de se prononcer sur ces réclamations» [7]. S’agissant des comités d’établissement, le Conseil d’Etat avait, dès 1973 [8], fondé l’établissement distinct sur trois critères : l’existence d’une implantation géographique distincte, la stabilité de la structure et enfin «l’autonomie de l’établissement». Cette dernière exigence était tout à fait justifiée, dès lors que, renvoyant aux pouvoirs consentis au chef d’établissement, elle assurait que le comité d’établissement doté, comme on le sait, d’importantes prérogatives dans le domaine économique puisse pleinement les exercer. Plus précisément, dès lors que celles-ci se traduisent fondamentalement par le droit à être consulté sur un certain nombre de décision, le comité d’établissement perd toute utilité en ce domaine si le chef d’établissement est dépourvu de pouvoirs propres.

 

Ce critère a été entériné par le législateur de 2017. En effet, ainsi que le précise l’article L. 2313-4 du Code du travail, en l’absence d’accord «l'employeur fixe le nombre et le périmètre des établissements distincts, compte tenu de l'autonomie de gestion du responsable de l'établissement, notamment en matière de gestion du personnel». Il faut ici comprendre que ce critère n’a lieu d’être pris en compte que lorsque c’est l’employeur qui arrête le périmètre et le nombre des établissements distincts [9]. Par suite, les parties à un accord peuvent tout à fait déterminer le périmètre et le nombre des établissements distincts sans prendre en considération l’autonomie de gestion du responsable de l’établissement.

 

Le litige. Pour en revenir à l’arrêt sous examen, on apprend, à la lecture du communiqué l’accompagnant, qu’au sein de la SNCF, il existait, avant la réforme, 31 comités d’établissement, 600 CHSCT et 1800 délégations du personnel. La décision de la Direccte fixait à 33 le nombre total de comités sociaux et économiques. Le pourvoi portait donc sur l’interprétation à retenir du critère de l’«autonomie de gestion du responsable de l’établissement, notamment en matière de gestion du personnel», devenu critère unique de détermination des établissements distincts pour la mise en place des comités économiques et sociaux en l’absence d’accord.

 

Les organisations syndicales demanderesses soutenaient, en substance, que cette «autonomie de gestion» doit seulement être suffisante, dans plusieurs de ses aspects (gestion du personnel et gestion de l’activité économique), compte tenu de l’objectif poursuivi, qui est de permettre au responsable d’établissement de présider utilement ce comité, c’est-à-dire l’informer, le consulter et engager un dialogue utile avec ses membres, sans impliquer une indépendance totale de l’établissement par rapport à la structure centrale d’entreprise. Il est ensuite notamment argué que la détermination de l’autonomie suffisante pour la reconnaissance de l’établissement distinct, au sens de l’installation d’un comité d’établissement, doit prendre en compte la fusion au sein des comités sociaux et économiques des attributions et prérogatives de représentation anciennement dévolues aux comités d’entreprise, aux délégués du personnel et aux comités d’hygiène et de sécurité des conditions de travail (CHSCT), et de l’impératif que les conditions de fonctionnement du comité social et économique permettent une prise en compte effective des intérêts des salariés, notamment ceux exerçant leur activité hors de l’entreprise ou dans des unités dispersées. En l’espèce, en ne prenant pas en considération, comme l’y invitait la fédération exposante, cet impératif de prise en compte effective des intérêts des salariés, en particulier quant à la nécessité d’une représentation -de proximité- anciennement dévolue au délégués du personnel et quant aux prérogatives en matière de santé et de sécurité anciennement dévolues au CHSCT, dans son appréciation du critère d’autonomie suffisante de l’établissement distinct, le tribunal d’instance a violé les articles L. 2313-4 et L. 2313-5 du Code du travail, ensemble les articles 6 et 8 du Préambule de la Constitution de 1946 (N° Lexbase : L6821BH4).

 

Ces arguments n’auront pas convaincu la Cour de cassation qui, pour rejeter le pourvoi, affirme d’abord, après avoir rappelé les termes de l’article L. 2313-4 du Code du travail, «qu’il en résulte que caractérise au sens de ce texte un établissement distinct l’établissement qui présente, notamment en raison de l’étendue des délégations de compétence dont dispose son responsable, une autonomie suffisante en ce qui concerne la gestion du personnel et l’exécution du service». La Chambre sociale relève, ensuite, «que le tribunal d’instance a, par une appréciation souveraine des éléments de fait et de preuve fournis par les parties, constaté qu’il existe, pour l’EPIC SNCF, une concentration des pouvoirs au sein de la direction générale de l’EPIC, tant en matière de conduite de l’activité que pour les actes de gestion, justifiant un comité social et économique unique, pour l’EPIC SNCF mobilités, une organisation autour de six activités (TER, transilien, voyages, matériels industriels, gares et connexions et fret), elles-mêmes réparties, s’agissant des activités TER, transilien et voyages, sur des directions régionales ayant à leur tête des responsables disposant d’une autonomie de gestion suffisante, justifiant la mise en place de vingt-six comités économiques et sociaux, et pour l’EPIC SNCF réseau, une nouvelle organisation par activités avec une direction régionale Ile de France, trois directions zone de production, une direction technique, et une direction fonctions transverses, chacun des responsables de ces directions disposant d’une délégation de pouvoirs lui assurant une autonomie de gestion suffisante, que les documents fournis par les organisations syndicales à l’appui de leur contestation, soit ne correspondaient plus à l’organisation actuelle des directions au sein des EPIC compte de la réorganisation des services autour des pôles d’activité, soit ne démontraient pas l’existence de pouvoirs effectifs des responsables en matière de gestion du personnel ou d’exécution du service ; qu’il a pu en déduire, sans violer les textes visés au moyen, l’existence de trente-trois établissements distincts au sein du groupe SNCF».

 

Une solution attendue. Appelée à donner son interprétation du critère légal de «l’autonomie de gestion du responsable de l’établissement, notamment en matière de gestion du personnel», la Cour de cassation reprend, pour ce faire et comme on pouvait s’y attendre, la jurisprudence du Conseil d’Etat [10]. En visant une «autonomie suffisante en ce qui concerne la gestion du personnel et l’exécution du service», la Chambre sociale signifie ainsi très clairement que l’autonomie en matière de gestion du personnel ne suffit pas. Il convient que lui soit adjointe une autonomie dans la gestion de l’activité [11]. Cela doit être pleinement approuvé dès lors que, faut-il le rappeler, l’une des missions essentielles du comité social et économique est de donner un avis sur les décisions économiques concernant l’établissement.

 

Mais cette assertion conduit alors à relever l’un des défauts du critère légal permettant de caractériser l’établissement distinct. Celui-ci doit, en effet, être pris en compte pour la constitution de tous les établissements distincts, c’est-à-dire sans qu’il faille distinguer selon qu’ils emploient plus ou moins de cinquante salariés. Or, faut-il le rappeler, le comité social et économique mis en place dans un établissement de moins de cinquante salariés ne dispose pas du droit à être consulté. Pourtant, cet établissement ne pourra être caractérisé que si son responsable dispose d’une autonomie de gestion suffisante. Cela devrait conduire à la constitution d’établissements distincts de grande taille, en excluant toute préoccupation de proximité. La décision sous examen le confirme, la Cour de cassation écartant, sans que l’on puisse lui en faire le reproche, le critère de proximité que le syndicat requérant lui demandait d’ajouter à la loi.

 

Un autre inconvénient du critère établi par la loi, d’ores et déjà relevé en doctrine [12], réside dans le fait qu’il conduit à privilégier le mode d’organisation et d’exercice du pouvoir patronal de direction. Ce faisant, l’employeur pourra modeler à sa guise l’entreprise en déléguant ou ne déléguant pas ses pouvoirs aux personnes placées à la tête de ses démembrements. On mesure dès lors sans peine tout l’intérêt qu’il peut y avoir à déterminer le périmètre des établissements distincts par voie d’accord et, sans doute, la nécessité qu’il y a pour l’employeur à essayer, dans un premier temps, d’obtenir un accord avant de procéder par décision unilatérale [13].

 

Il faut, pour conclure, se demander si les autres critères que le Conseil d’Etat avait retenu pour caractériser un établissement distinct, à savoir le critère du lieu géographique et celui de la stabilité, peuvent encore jouer un rôle. Cela n’est pas complètement à exclure. Mais, en tout état de cause, il faut rappeler que ces critères n’étaient pas considérés comme déterminants par le Conseil d’état, à la différence de l’autonomie de gestion.

 

Décision

 

Cass. soc., 19 décembre 2018, n° 18-23.655, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A0670YRA)

 

Rejet (TI Saint-Denis, contentieux des élections professionnelles, 11 octobre 2018)

 

Texte concerné : C. trav., art. L. 2315-5 (N° Lexbase : L8517LGK).

 

Lien base : (N° Lexbase : E2288GAY).

 

 

[1] Pour plus de précisions, v. G. Auzero, D. Baugard, E. Dockès, Droit du travail, Précis D., 32ème éd., 2019, § 1138 ; G. Loiseau, P. Lokiec, L. Pécaut-Rivolier, P.-Y. Verkindt, Droit de la représentation du personnel, D. Action, 2019/2020, pp. 89 et s..

[2] La loi renvoie d’abord à un accord d’entreprise (C. trav., art. L. 2313-2 N° Lexbase : L8477LG3) et, «en l'absence d'accord conclu dans les conditions mentionnées à l'article L. 2313-2 et en l'absence de délégué syndical», à un accord entre l'employeur et le comité social et économique, adopté à la majorité des membres titulaires élus de la délégation du personnel du comité (C. trav., art. L. 2313-3 N° Lexbase : L8476LGZ).

[3] C. trav., art. L. 2313-4 (N° Lexbase : L8475LGY). On s’accordera avec G. Loiseau, P. Lokiec, L. Pécaut-Rivolier, P.-Y. Verkindt pour considérer que l’employeur est tenu de prendre une décision et que sa carence peut être contestée devant l’autorité administrative (ouvrage préc., § 113.42).

[4] C. trav., art. L. 2313-5 (N° Lexbase : L8474LGX). Ainsi que le laisse clairement entendre ce texte, l’intervention de l’autorité administrative est exclue lorsqu’un accord a été conclu.

[5] Cass. soc., 14 janvier 2016, n° 14-26.220, FS-P+B (N° Lexbase : A9536N3L), JCP éd. S, 2016, 1079, note G. Loiseau.

[6] Pour le délégué syndical, v. infra.

[7] Cass. soc., 29 janvier 2003, n° 01-60.628, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7668A4R), Bull. civ. V, n° 30. Il est à noter que, postérieurement à l’ordonnance n° 2005-1478 du 1er décembre 2005, de simplification du droit dans le domaine des élections aux institutions représentatives du personnel (N° Lexbase : L4068HDZ), le Conseil d’Etat n’avait pas été amené à se prononcer sur la définition de l’établissement distinct pour la mise en place des délégués du personnel.

[8] CE, 29 juin 1973, n° 77982 (N° Lexbase : A9823B8C), Dr. soc., 1974, p. 50, note J. Savatier.

[9] Il doit également être nécessairement pris en compte par l’autorité administrative en cas de litige.

[10] Cela est clairement confirmé par le communiqué accompagnant l’arrêt.

[11] Autonomie dont on relèvera qu’elle doit être simplement «suffisante» ; ce qui laisse une marge d’appréciation au juge.

[12] G. Auzero, D. Baugard, E. Dockès, ouvrage préc., p. 1338. V. aussi, G. Loiseau, P. Lokiec, L. Pécaut-Rivolier, P.-Y. Verkindt, ouvrage préc., § 113.25, qui relèvent que le critère en cause «donne en définitive entièrement la main à l’employeur sur la détermination des périmètres de représentation, qui dépendent en effet totalement des pouvoirs que le chef d’entreprise décide de donner à ses représentants».

[13] Démarche qui nous paraît commander par le principe constitutionnel de participation.

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Rel. individuelles de travail

[Brèves] Mesures visant à supprimer les écarts de rémunération entre les femmes et les hommes dans l'entreprise et relatives à la lutte contre les violences sexuelles et les agissements sexistes au travail

Réf. : Décret n° 2019-15 du 8 janvier 2019, portant application des dispositions visant à supprimer les écarts de rémunération entre les femmes et les hommes dans l'entreprise et relatives à la lutte contre les violences sexuelles et les agissements sexistes au travail (N° Lexbase : L8693LNB)

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N7141BXR

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par Charlotte Moronval

Le 16 Janvier 2019

Publié au Journal officiel du 9 janvier 2018, le décret n° 2019-15 du 8 janvier 2019, portant application des dispositions visant à supprimer les écarts de rémunération entre les femmes et les hommes dans l'entreprise et relatives à la lutte contre les violences sexuelles et les agissements sexistes au travail (N° Lexbase : L8693LNB) est pris pour l'application des articles 104 et 105 de la loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018, pour la liberté de choisir son avenir professionnel (N° Lexbase : L9567LLW).

 

Ce texte :

  • précise la méthodologie de calcul des indicateurs relatifs aux écarts de rémunération entre les femmes et les hommes et aux actions mises en œuvre pour les supprimer, ainsi que leurs modalités de publication ;
  • précise les délais de publication du niveau de résultat par l'entreprise au regard des indicateurs, qui est publié annuellement, au plus tard le 1er mars de l'année en cours, au titre de l'année précédente ;
  • définit les conditions de fixation de la pénalité financière pouvant être appliquée en l'absence de résultats trois ans après la première publication des indicateurs par l'entreprise d'un niveau de résultat inférieur à soixante-quinze points ;
  • précise le niveau de résultat en deçà duquel des mesures de correction doivent être mises en œuvre et l'employeur peut se voir appliquer une pénalité financière à l'issue d'un délai de trois ans ;
  • détermine la liste des services et des autorités compétents en matière de harcèlement sexuel ;
  • définit les mesures transitoires applicables en matière de publication du niveau de résultat obtenu par l'entreprise.

 

Le décret est entré en vigueur le 1er janvier 2019.

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Taxe sur la valeur ajoutée (TVA)

[Brèves] Nature des opérations dans le cadre de contrats de démolition et de contrats d’achats pour démontage en présence de traitement de déchets

Réf. : CJUE, 10 janvier 2018, aff. C-410/17 (N° Lexbase : A6538YSX)

Lecture: 4 min

N7149BX3

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par Marie-Claire Sgarra

Le 16 Janvier 2019

► La législation européenne, relative au système de TVA, doit être interprétée en ce sens que, lorsque, en vertu d’un contrat de démolition, le prestataire, à savoir une société de travaux de démolition, est tenu d’effectuer des travaux de démolition et peut, dans la mesure où les déchets de démolition contiennent de la ferraille, revendre cette ferraille, ce contrat comprend une prestation de services à titre onéreux, à savoir la prestation des travaux de démolition, et, en outre, une livraison de biens à titre onéreux, à savoir la livraison de ladite ferraille, si l’acquéreur, à savoir cette société, attribue une valeur à cette livraison, dont il tient compte lors de la fixation du prix proposé pour la prestation des travaux de démolition, ladite livraison n’étant toutefois soumise à la taxe sur la valeur ajoutée qu’à condition qu’elle soit effectuée par un assujetti agissant en tant que tel ;

 

► par ailleurs, lorsque, en vertu d’un contrat d’achat pour démontage, l’acquéreur, à savoir une société de travaux de démolition, achète un bien à démonter et s’engage, sous peine d’une amende contractuelle, à démolir ou à démonter et à évacuer ce bien, ainsi qu’à évacuer les déchets dans un délai déterminé dans le contrat, ce contrat comprend une livraison de biens à titre onéreux, à savoir la livraison d’un bien à démonter, cette livraison n’étant soumise à la taxe sur la valeur ajoutée qu’à condition qu’elle soit effectuée par un assujetti agissant en tant que tel, ce qu’il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier ; dans la mesure où l’acquéreur est tenu de démolir ou de démonter et d’évacuer ce bien, ainsi que d’évacuer les déchets en résultant, répondant ainsi spécifiquement aux besoins du vendeur, ce qu’il revient à la juridiction de renvoi de vérifier, ce contrat comprend, en outre, une prestation de services à titre onéreux, à savoir la prestation de travaux de démolition ou de démontage et d’évacuation, si cet acquéreur attribue une valeur à cette prestation dont il tient compte dans le prix qu’il propose, en tant que facteur réduisant le prix d’achat du bien à démonter, ce qu’il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier.

 

Telles sont les solutions retenues par la CJUE dans un arrêt du 10 janvier 2018 (CJUE, 10 janvier 2018, aff. C-410/17 N° Lexbase : A6538YSX).

 

En l’espèce, une société spécialisée dans les services environnementaux dans le secteur de l’industrie et de la construction, travaille pour différents secteurs industriels, dans l’immobilier et dans la construction et fournit des services environnementaux en Finlande et en Suède. Ses domaines d’activité comprennent les services industriels et immobiliers, les services de démolition et les services de recyclage et de traitement des déchets. Dans le cadre de ses activités, cette société a fourni, en vertu d’un contrat de démolition, des travaux de démolition à ses clients. Conformément aux conditions contractuelles générales pour les services de construction, les obligations de la société comprennent également l’évacuation et le traitement adéquats des matériaux à enlever et des déchets.

 

Une partie des matériaux et des déchets constituent des ferrailles et des déchets lors de la vente dont l’obligation fiscale incombe à l’acquéreur. Il s’agit en partie de biens que la société au litige peut revendre à des entreprises qui rachètent de la ferraille recyclable et qui évalue à l’avance la quantité de ces biens et le prix auquel elle pourra les revendre et en tient compte pour la fixation du prix dans le cadre de l’établissement d’une offre pour les travaux de démolition, afin que le prix proposé au client pour ces travaux soit le plus concurrentiel possible.

 

Par ailleurs, la société rachète à ses clients de vieilles machines et de vieux appareils que, en vertu d’un contrat d’achat pour démontage, elle est tenue de démolir ou de démonter et d’évacuer des locaux ou du site de l’établissement du client concerné, de même que d’évacuer les déchets en résultant, conformément aux conditions déterminées dans le contrat.

 

La société a sollicité une décision préalable auprès de l’administration fiscale à propos du calcul du montant de la TVA due, dans le cadre du contrat de démolition, au titre de la fourniture des travaux de démolition et, dans le cadre du contrat d’achat pour démontage, au titre de l’achat de ferraille et de déchets métalliques. Par décision préalable du 11 juin 2015, portant sur la période allant du 11 juin 2015 au 31 décembre 2016, l’administration fiscale a, d’une part, déclaré que, dans le cadre d’un contrat de démolition, elle doit être considérée comme vendant un service de démolition à son client et comme achetant de la ferraille à celui-ci. Cette administration en a conclu qu’elle doit s’acquitter de la TVA sur le service qu’elle fournit à son client ainsi que, dans le cadre du mécanisme d’autoliquidation, sur la ferraille qu’elle achète à celui-ci. D’autre part, l’administration fiscale a déclaré dans cette même décision préalable que, en ce qui concerne le contrat d’achat pour démontage, la société est considérée comme fournissant un service de démolition à son client et comme achetant de la ferraille à celui-ci. Cette administration en a conclu que la société doit s’acquitter de la TVA sur la prestation de services qu’elle fournit à son client ainsi que, dans le cadre du mécanisme d’autoliquidation, sur la ferraille qu’elle achète auprès de celui-ci. Dans aucun des deux cas de figure faisant l’objet de la décision préalable, l’administration fiscale n’a pris position sur la formation du prix de la contrepartie.

 

La juridiction de renvoi a estimé que, dans le cas du contrat de démolition, la société fournissait une prestation à titre onéreux et que, dans le cas du contrat d’achat pour démontage, elle avait acquis un bien à titre onéreux. Le litige au principal portait ainsi sur le point de savoir si, dans le premier cas, elle acquiert également un bien à titre onéreux et si, dans le second cas, elle fournit également un service à titre onéreux.

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