La lettre juridique n°442 du 2 juin 2011

La lettre juridique - Édition n°442

Éditorial

Socrate, Manet et l'ingénieur automobile : trois suicides, trois dénonciations, un même responsable...

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N3032BS4

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 27 Mars 2014


"Aujourd'hui, je me suis imposé une triste mission. J'ai pensé que j'avais charge de parler ici d'un peintre qui s'est fait sauter la cervelle, il y a quelques jours, et dont aucun de mes confrères ne s'occupera sans doute. Le bruit courait qu'un artiste venait de se tuer, à la suite du refus de ses toiles par le jury. J'ai voulu voir l'atelier où le malheureux s'était suicidé ; je suis parvenu à connaître la rue et le numéro, et je sors à peine de la pièce sinistre dont le parquet a encore de larges taches rougeâtres. Ne pensez-vous pas qu'il est bon de faire pénétrer le public dans cette pièce ? J'ai comme un plaisir amer à me dire que, dès le début de ma besogne, je me heurte contre une tombe"...

C'est par ces quelques mots empruntés à Emile Zola, dans Un suicide in L'Evénement, écrits le 19 avril 1866, que nous voulions introduire cet arrêt rendu par la cour d'appel de Versailles, le 19 mai 2011, retenant la faute inexcusable d'un constructeur automobile après le suicide d'un des salariés sur son lieu de travail. Car, quelle que soit l'époque, les ressorts du suicide, qu'ils touchent à l'honneur ou au désespoir, sont constants ; et, il y a comme une violation de l'intimité des suicidés à en discourir. Mais, dans le cas de cet artiste sacrifié sur l'autel de la critique de son temps, comme dans celui de cet ingénieur automobile sacrifié sur celui de la productivité, un devoir de dénonciation supplante nécessairement celui de la réserve et du respect de la mort privée, afin que la société prenne garde à secourir ceux qui ne voient, comme seule liberté restante, que celle de sauter de vie à trépas.

Enfin ! Qu'il y a t'il de commun entre Socrate et sa ciguë, le suicidé esthétisé de Manet et cet ingénieur de la vallée de Chevreuse ? L'idéation suicidaire : l'idée que se sont faite ces trois hommes selon laquelle le suicide pouvait constituer une solution à la situation dans laquelle ils se trouvaient et qu'ils jugeaient insupportable ou bien à la douleur morale et à la détresse qu'ils éprouvaient. Socrate préféra le suicide à l'altération et l'ostracisme, le suicidé de Manet n'est autre que l'artiste peintre de Zola, échappant au désespoir du mépris de ses pairs, et l'ingénieur automobile n'avait trouvé, comme solution face au stress généré par les objectifs de production et de productivité imposés, que d'enjamber la passerelle située au troisième étage du bâtiment principal de "La Ruche", chutant plus de dix mètres en dessous, chute ayant entraîné sa mort immédiate.

Pour faire écho aux thèses d'Emile Durkheim, longtemps, nos sociétés ont accepté le "suicide altruiste" de nos soldats pour sauver nos valeurs et/ou leur honneur. Et, déjà des voix se lèvent devant le sacrifice des armées en campagne dans les contrées orientales et moyen-orientales, s'interrogeant non tant sur "l'utilité" de ces sacrifices que sur les valeurs sensées être défendues... Ces mêmes sociétés acceptent, toutefois, moins le "suicide égoïste" des adolescents solitaires et des vieillards désocialisés, reconnaissant, depuis quelques années, maintenant, le caractère pathologique de leurs idéations suicidaires et décrétant quelque plan de lutte contre la solitude et le mal-être, de plus en plus symptomatiques de nos sociétés désagrégées et individualistes. Quant au "suicide fataliste", celui des kamikazes et autres satis indiens, le choc culturel est tel, entre sociétés atomisées et sociétés collectives, que nous ne saurions véritablement l'appréhender. Reste le "suicide anomique", résultat d'une inadaptation aux changements sociaux trop rapides et aux nouveaux repères moraux, dont nous avons encore du mal à reconnaître la pathologie. Mais, prenons garde : à travers le suicide de cet ingénieur accompli, père de famille, pathologie de la société, il y a assurément.

Déjà Paul Valéry, dans Tel quel, parlait de cette souffrance à laquelle on ne peut mettre fin qu'avec sa propre vie ; souffrances qui ont crû, encore, ces dernières années, avec la crise économique et financière conjoncturelle, sur fond de crise sociale et culturelle structurelle. Dernier opus en date : le 26 avril 2011 au matin, un salarié d'un opérateur téléphonique, âgé de 57 ans, s'est suicidé, en s'immolant par le feu sur le parking d'un des sites de l'entreprise. Ironie du sort, l'homme en cause était représentant du personnel et préventeur, c'est-à-dire chargé des conditions de travail, de l'hygiène et de la sécurité, depuis plusieurs années... Mais, la modernisation à marche forcée de l'entreprise, désormais privée, et la suppression de seize mille postes entre 2006 et 2008, accompagnée de mobilités contraintes, auront, semble-t-il, eu raison de l'état psychique de cet employé, pourtant dit "protégé". 13 salariés en 2008, 19 en 2009, auront dénoncé une importante crise sociale au sein de l'entreprise, un système de management controversé, au point que le PDG, "passé de mode", dû se retirer. En 2008, le taux de suicide était de 16,2 pour 100 000 habitants... les cyniques diront que l'entreprise de téléphonie comptait 100 000 salariés, faites le ratio... Pour autant, les suicidés peuvent-ils être de même sexe, de même âge, de même classe sociale... de la même entreprise, sans s'interroger véritablement sur les raisons du malaise et les solutions qu'il convient d'apporter ?

Ce n'est plus un simple plan de prévention contre le stress au travail, issu d'un énième rapport parlementaire, dont le dernier en date, le rapport "Lefrand", est déjà décrié pour son absence de mesures concrètes et coercitives, qui est désormais requis. Les juges ordonnent l'obligation de sécurité de résultat en la matière, comme lorsqu'il s'agissait de prémunir les salariés contre le tabagisme passif et le harcèlement. Il reste aux entreprises d'assurer le bien être psychologique de leurs salariés, du moins à faire en sorte que la sphère professionnelle ne conditionne pas une crise suicidaire.

Est-ce, pour autant, un voeu pieux ? Cette jurisprudence ne vise-t-elle, empreinte de pragmatisme, qu'à une meilleure indemnisation des familles des victimes, via une qualification du suicide en accident du travail ? Imagine-t-on une société s'assurer que ses salariés repartent, effectivement, avec le sourire à la nuit tombante, après une journée de travail éthiquement orchestrée ? Certes, la responsabilité sociale des entreprises progresse, mais pour 10 % au plus du tissu salarial : les grandes entreprises. On envisage mal des PME, dont les patrons sont, eux-mêmes, sujets au stress et devant faire face pour eux, comme pour leurs entreprises, à des changements radicaux d'organisation, de technologies et de règles juridiques, avoir le temps et les moyens de se consacrer, outre mesure, à l'état hypothétiquement suicidaire de leurs salariés.

Alors, outre les initiatives bienvenues, comme cet "appel des 44" réunissant médecins du travail, psychiatres, psychologues et sociologues, et demandant la création d'un observatoire des suicides et des conduites suicidaires en France, demeure l'attention de chacun pour son voisin de bureau, qu'il soit un homme, de 39-50 ans, en rupture sociale et familiale, ou non...

Quant aux entreprises, elles pourront toujours tenter d'insérer, dans les contrats de travail de leurs salariés, une clause de "non-suicide", comme cette société basée en Chine et chargée de fabriquer des smartphones pour une société américaine en plein essor commercial. Connaissant une "vague de suicides", les dirigeants de cette entreprise chinoise, imposant à leurs salariés 12 heures de travail quotidien, debout et dans le silence, n'avaient rien trouvé de mieux que d'imposer, en outre, une telle clause aux fins d'exclure leur responsabilité sociale et financière... Bien entendu, une telle clause contractuelle, limitant ou excluant la responsabilité de l'entreprise, dans le cadre d'un préjudice délictuel n'est pas valable... Mais jusqu'où le déni social peut-il obstruer la nécessité de reconnaître que les changements socio-professionnels, rapides et importants, que connaissent nos sociétés occidentales nécessitent un accompagnement plus marqué à l'adresse de toutes les générations ?

Au premier Concile de Braga qui, en 561, déclarait le suicide criminel dans la chrétienté, sauf chez les "fous", nous répondrons que c'est la société toute entière qui passerait pour folle, si elle ne prenait pas au sérieux ces 130 000 tentatives et plus de 11 000 suicidés par an (rien qu'en France), pour prendre, enfin, les mesures effectives et efficaces qui s'imposent... comme elle annonce vouloir le faire dans la cadre de la sécurité routière, endeuillie par 3 500 morts annuelles.

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Avocats/Gestion de cabinet

[Jurisprudence] L'incidence de la liquidation judiciaire d'un avocat sur l'exercice de son activité professionnelle

Réf. : Cass. com., 5 avril 2011, n° 10-30.232, FS-P+B (N° Lexbase : A3425HN8)

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N4127BSN

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par Deen Gibirila, Professeur à la Faculté de droit et science politique, Université Toulouse 1 Capitole

Le 08 Juin 2011

La loi de sauvegarde des entreprises du 26 juillet 2005 (loi n° 2005-845 N° Lexbase : L5150HGT) a rendu possible l'ouverture d'une procédure collective à l'égard de toute personne physique exerçant une activité professionnelle indépendante, y compris une profession libérale soumise à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé (1). Pour autant, le législateur n'a pu envisager toutes les difficultés particulières auxquelles les membres des professions indépendantes ou libérales peuvent être confrontés à l'occasion d'une semblable procédure, laissant le soin aux tribunaux de les résoudre au fur et à mesure. Il en va notamment ainsi de la profession d'avocat, qu'elle soit exercée en nom personnel ou dans le cadre d'une structure sociétaire, telle qu'une société civile professionnelle ou une société d'exercice libéral. L'arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation du 5 avril 2011 en atteste. Il concerne un avocat au barreau de Thionville, gérant et associé unique d'une SELARL qui a été successivement mise en redressement et en liquidation judiciaires par jugements des 22 juillet 2008 et 30 juin 2009. Par décisions des 7 et 11 avril, 18 et 28 juillet 2008, le Bâtonnier de l'Ordre des avocats a nommé des administrateurs provisoires de la SELARL. Par une autre décision du 24 septembre 2008, le conseil de l'Ordre a omis cet avocat du tableau. L'appel interjeté par ce dernier a été repoussé par la juridiction de seconde instance de Colmar qui a invoqué sa mise en liquidation judiciaire et l'interdiction d'exercer son activité professionnelle pour justifier la décision de l'omettre du tableau. Saisie du pourvoi en cassation formé par l'avocat, la Haute juridiction censure l'arrêt de la cour d'appel de Colmar du 23 novembre 2009, mais seulement en ce qu'il a confirmé la décision qui a omis l'intéressé du tableau. Considérant qu'il y a eu atteinte aux dispositions, outre des articles L. 641-9 (N° Lexbase : L3951HBX) et L. 640-2 (N° Lexbase : L4039HB9) du Code de commerce, dans leur rédaction issue de la loi du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises, des articles 104 et 105 du décret du 27 novembre 1991, organisant la profession d'avocat (décret n° 91-1197 N° Lexbase : L8168AID), elle remet sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et les renvoie pour être fait droit devant la cour d'appel de Nancy (II). Les autres moyens allégués par le demandeur à l'appui du recours en cassation sont rejetés par la Chambre commerciale (I).

I - Le rejet partiel du pourvoi formé contre l'arrêt de la cour d'appel de Colmar

A - La cessation de l'administration provisoire devenue sans intérêt

S'applique en la matière le décret n° 93-492 du 25 mars 1993 (N° Lexbase : L4321A4S), pris pour l'application à la profession d'avocat de la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990, relative à l'exercice sous forme de sociétés des professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé (N° Lexbase : L3046AIN). L'article 29 de ce texte prévoit la désignation d'un ou de plusieurs administrateurs provisoires pour l'accomplissement de tous les actes professionnels relevant des fonctions de la société ou des associés à l'encontre de qui une prohibition d'exercice des fonctions d'avocat a été prononcée.
Néanmoins, quand la société elle-même se trouve ultérieurement confrontée à une procédure de liquidation judiciaire impliquant la nomination d'un liquidateur judiciaire, le maintien dans leurs fonctions d'administrateurs provisoires auparavant désignés devient sans objet. Cela explique aisément que l'arrêt rapporté estime irrecevable, parce que désormais dépourvu d'intérêt, le moyen de cassation qui dénonce cette désignation intervenue à l'époque où la SELARL avait la maîtrise de ses biens.
Pareillement, le liquidateur qui ne peut agir qu'au nom du débiteur actionnaire de la société n'est pas recevable à demander la désignation d'un administrateur provisoire de la société, au motif que son représentant légal est soumis à une procédure de liquidation judiciaire (2).

B - La privation de l'avocat en liquidation judiciaire du droit d'exercer sa profession à titre personnel

L'avocat, mis en liquidation judiciaire en sa qualité de débiteur personne physique, se trouve privé de certaines prérogatives.
D'une part, il est dessaisi de plein droit à partir du jugement ouvrant ou prononçant la procédure collective, de l'administration et de la disposition de ses biens, y compris de ceux acquis à n'importe quel titre, aussi longtemps que la liquidation judiciaire n'est pas clôturée (3). Le jugement de liquidation judiciaire emporte dessaisissement notamment des parts dans le capital d'une société, mais non de ses attributions de représentant légal de celle-ci (4).
D'autre part, il lui est interdit d'accomplir tout au long de la liquidation judiciaire les diverses activités dont l'exercice est exposé à l'ouverture d'une telle procédure : activité commerciale, artisanale, agricole ou professionnelle indépendante, y compris une profession libérale soumise à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé (5). Dès lors, l'avocat exerçant en nom propre ne saurait durant la procédure continuer son activité selon cette modalité. Il n'est tout de même pas privé de la possibilité d'exercer une autre activité professionnelle (6), car cette disposition n'est pas une sanction mais une mesure de protection (7). En effet, si une seconde procédure collective ne peut être ouverte à l'encontre d'une personne, sauf avant l'ordonnance du 18 décembre 2008 (ordonnance n° 2008-1345 N° Lexbase : L2777ICT) qui a supprimé la mise en redressement ou en liquidation judiciaire personnelle en sa qualité de dirigeant (8), tant que la précédente n'a pas été clôturée, cette personne ne peut bénéficier de la protection conférée par la procédure collective si elle est confrontée à d'importantes difficultés financières dans sa nouvelle activité.

L'interdiction de poursuivre l'activité libérale a pu être perçue comme contraire aux droits et libertés protégés par la Constitution et, par conséquent, faisant échec au principe garanti de la liberté du travail, si bien qu'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) a été posée à ce sujet. La Chambre commerciale de la Cour de cassation ne l'a toutefois pas transmise au Conseil constitutionnel, non point en raison du manque de sérieux de ladite question, mais parce que l'avocat auteur de la question était seulement en redressement judiciaire exclusif d'un empêchement légal, au lieu d'une liquidation judiciaire (9). Une des conditions de recevabilité d'une question prioritaire de constitutionnalité ne se trouvait pas remplie dans cette affaire. Il convient effectivement que la disposition législative litigieuse s'applique au différend ou à la procédure, une question ne pouvant être examinée en dehors de tout contexte contentieux.
En revanche, dans l'espèce rapportée même si cela n'avait pas été le cas, la QPC aurait pu être posée dans la mesure où elle se rapportait à la liquidation judiciaire d'un avocat.

II - La cassation partielle de l'arrêt rendu par la cour d'appel de Colmar

A - L'omission du tableau règlementairement justifiée

Sur cette question qui constitue le point crucial du litige, la Cour de cassation juge clairement que la décision d'omettre un avocat du tableau ne peut être prise par le conseil de l'Ordre que dans les conditions des articles 104 et 105 du décret du 27 novembre 1991 qui ne visent pas la privation temporaire d'exercice de la profession d'avocat prévue par l'article L. 641-9 du Code de commerce. Autrement dit, la décision du conseil de l'Ordre d'omettre du tableau un avocat ne peut être justifiée par sa liquidation judiciaire qui lui fait défense d'exercer une activité susceptible d'être soumise à une procédure collective.

Certes, le conseil de l'Ordre doit ou peut omettre un avocat du tableau d'un barreau qui constitue la liste des avocats inscrits, encore faut-il que cela soit en toute conformité des énonciations des articles 104 et 105 précités. Ceux-ci concernent les cas d'omission obligatoire ou facultative limitativement énoncés. Pour les premiers, il s'agit de l'exclusion ou de l'incompatibilité professionnelles légalement prévues, du non-respect des obligations de garantie ou d'assurance. Les seconds regroupent : tout d'abord, l'empêchement réel d'exercice de la profession d'avocat en raison soit de maladie ou d'infirmité graves et permanentes, soit de l'acceptation d'activités étrangères au barreau ; ensuite, le non-paiement sans motif valable des contributions aux charges de l'ordre ou de la cotisation à la Caisse nationale des barreaux français ou au Conseil national des barreaux ; enfin, le non-exercice effectif sans motifs légitimes de la profession d'avocat.

L'omission est une mesure purement administrative prise par le conseil de l'Ordre des avocats, d'office ou à la demande du procureur général ou de l'intéressé (10). L'avocat omis doit s'abstenir d'accomplir tout acte professionnel et, entre autres, de revêtir le costume de la profession, ainsi que d'utiliser le titre d'avocat.

B - L'omission du tableau injustifiée de l'avocat en liquidation judiciaire

Les cas d'omission du tableau réglementairement justifiée étant limitativement énumérés, toute autre hypothèse non envisagée par le décret précité de 1991 ne saurait être valablement retenue par les juges.
Tout naturellement, fort de cette idée, le juge du droit décide, en l'espèce, que la liquidation judiciaire, pas plus que l'interdiction d'exercice qui s'ensuit, ne constitue une cause d'omission du tableau. En effet, la liquidation et l'interdiction ne sont pas des sanctions disciplinaires. L'omission du tableau est une mesure administrative qui n'intervient que dans des cas bien précis, notamment d'empêchement d'exercice de la profession tels qu'incompatibilité, maladie, infirmité, activité étrangère au barreau, parmi lesquels ne figure pas la liquidation judiciaire.

A en croire la disposition qui rend possible l'omission du tableau l'avocat qui, sans motifs légitimes, n'exerce pas effectivement sa profession, il s'avère que c'est pour une raison indépendante de sa volonté et, par conséquent légitime puisque dictée par la loi, que l'avocat en liquidation judiciaire ne travaille plus en cette qualité. En outre, si l'article L. 641-9, III, du Code de commerce fait défense à un avocat en liquidation judiciaire d'exercer à titre individuel, il ne lui interdit pas de le faire en tant qu'associé, collaborateur ou salarié, car en aucune de ses qualités il ne peut être personnellement être mis en procédure collective. S'agissant précisément d'un avocat associé, peu importe le groupement social au sein duquel il accomplit son travail, société civile professionnelle (SCP) ou société d'exercice libéral (SEL), il n'exerce pas une activité professionnelle indépendante (11). Les rémunérations perçues subissent toutefois l'effet réel de la procédure, sous réserve de la fraction insaisissable s'il s'agit de salaires (12).

La solution se justifie par le fait que la disposition de l'article L. 641-9, III, qui défend à tout débiteur personne physique en liquidation judiciaire d'exercer en cours de procédure collective une activité susceptible d'être soumise à une telle procédure (commerçant, artisan, agriculteur, toute autre profession indépendante) ne se conçoit pas comme une sanction, mais comme une mesure de protection destinée à prévenir les effets du principe "procédure sur procédure ne vaut" (13) qui, rappelons le, interdit d'ouvrir une seconde procédure collective envers une personne aussi longtemps que la précédente n'a pas pris fin.

L'omission du tableau d'un avocat pour l'unique motif de sa liquidation judiciaire constituerait un frein à liberté de choisir un autre mode d'accomplissement de l'activité conciliable avec pareille procédure collective. C'est ce qui justifie que le décret du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat, consacré en cela par la jurisprudence, ne l'a pas mentionné parmi les cas d'omission d'un avocat du tableau.
La présente décision de la Cour de cassation dément l'opinon qui admet l'omission du tableau de l'avocat dès l'ouverture à son égard d'une procédure de liquidation judiciaire, même si cette opinion préconise que le pouvoir réglementaire adapte les articles 104 et 105 du décret de 1991 (14). Par ailleurs, elle rend désuet le règlement intérieur du barreau de Paris qui autorise le prononcé d'office d'omission du tableau, lorsque le conseil de l'Ordre constate que "l'avocat ou la structure dont il est associé est dans l'impossibilité de faire face au passif exigible avec son actif disponible" (15). De plus, elle présente l'intérêt de permettre à l'avocat de reprendre son activité professionnelle après la clôture de la procédure de liquidation judiciaire, sans être tenu d'effectuer les démarches requises pour s'inscrire à nouveau au tableau.
Indépendamment de la liquidation judiciaire d'un avocat, objet du présent litige, mais dans la suite logique de celui-ci, il convient de signaler que la peine disciplinaire d'interdiction temporaire susceptible de toucher un avocat n'est pas une hypothèse d'omission du tableau (16). Aussi, son cabinet peut-il continuer à fonctionner sous l'administration provisoire, et l'intéressé ainsi sanctionné peut alléguer que le défaut d'exercice temporaire de sa profession ne relève pas de sa propre volonté.


(1) C. com., art. L. 611-5 (N° Lexbase : L3164IM7 conciliation), L. 620-2 (N° Lexbase : L8850IN4 sauvegarde), L. 631-2 (N° Lexbase : L8853IN9 redressement judiciaire) et L. 640-2 (N° Lexbase : L8862INK liquidation judiciaire) ; nos obs., Droit des entreprises en difficulté, Defrénois, Lextenso éd., 2009, n° 206 à 208.
(2) Cass. com., 27 novembre 2001, n° 97-22.086, FS-P (N° Lexbase : A2780AXA), Bull. civ. IV, n° 189 ; D., 2002, AJ p. 92, obs. A. Lienhard ; JCP éd. E, 2002, n° 20, p. 805, obs. Ph. Pétel ; Bull. Joly Sociétés, 2002, p. 212, note M. Sénéchal.
(3) C. com., art. L. 641-9, I, al. 1er (N° Lexbase : L3951HBX).
(4) Cass. com., 27 novembre 2001, préc., note 2 ; Cass. civ. 3, 19 décembre 2007, n° 06-18.811, FS-P+B (N° Lexbase : A1214D3D), Bull. Joly Sociétés, 2008, p. 321, note D. Voinot.
(5) C. com., art. L. 641-9, III, renvoyant à C. com., art. L. 640-2 (N° Lexbase : L4039HB9).
(6) Cass. com., 5 juillet 2005, n° 04-13.255, FS-P+B (N° Lexbase : A8995DIY), Bull. civ. IV, n° 152 ; D., 2005, AJ p. 2146, obs. A. Lienhard ; Gaz. Pal., 4-5 novembre 2005, p. 30, obs. D. Voinot ; JCP éd. E, 2006, n° 2, p. 72, obs. Ph. Pétel.
(7) QE n° 2059 de Mme Chantal Bourragué, JOANQ 7 août 2007, p. 5107, réponse publ. 15 janvier 2008, p. 381, 13ème législature (N° Lexbase : L3852IQQ).
(8) Cass. com., 4 janvier 2005, n° 03-14.150, FS-P+B (N° Lexbase : A8733DE8) ; D., 2005, AJ p. 215, obs. A. Lienhard ; JCP éd. E, 2005, n° 17, p. 712, obs. Ph. Pétel ; Gaz. Pal., 29-30 avril 2005, p. 26, obs. F.-X. Lucas ; Defrénois, 2005, p. 1000, nos obs. ; Bull. Joly Sociétés, 2005, p. 571, note M. Sénéchal ; Rev. sociétés, 2005, p. 451, note Th. Bonneau ; P.-M. Le Corre, Un tempérament au principe "faillite sur faillite ne vaut", Lexbase Hebdo n° 158 du 10 mars 2005 - édition affaires (N° Lexbase : N4881ABE). .
(9) Cass. com., 19 octobre 2010, n° 10-40.035, F-D (irrecevabilité) ; D., 2010, AJ p. 2511, obs. A. Lienhard.
(10) Décret n° 91-1197, art. 106.
(11) Cass. com., 9 février 2010, 3 arrêts, n° 08-15.191, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7436ERT), n° 08-17.144, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7437ERU) et n° 08-17.670, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7438ERW) ; D., 2010, AJ p. 434, obs. A. Lienhard ; JCP éd. G, 2010, n° 22, 220, note J.-J. Barbiéri ; JCP éd. E, 2010, n° 11, 1267, note A. Cerati-Gauthier ; Defrénois, 2010, p. 1474, nos obs. ; Gaz. Pal., 16 mars 2010, n° 75, p. 8, note M.-P. Dumont-Lefrand ; Bull. Joly Sociétés, 2010, p. 489, note J.-J. Daigre. Sur ces arrêts, nos obs., Conditions de redressement ou de liquidation judiciaire d'un avocat associé d'une SELARL ou d'une SCP, RJDA, 6/2010, p. 564 ; R. Bonhomme, Procédures collectives et exercice d'une activité libérale, Rev. proc. coll., mars 2010, étude 6 ; E. Le Corre-Broly in Chronique mensuelle de droit des entreprises en difficulté de Pierre-Michel Le Corre et Emmanuelle Le Corre-Broly - Mars 2010, Lexbase Hebdo n° 387 du 17 mars 2010 - édition privée générale (N° Lexbase : N5949BNN).
(12) Cass. com., 13 avril 2010, n° 08-19.074, FS-P+B N° Lexbase : A0473EWG) ; D., 2010, AJ, p. 1072 ; P.-M. Le Corre in Chronique mensuelle de droit des entreprises en difficulté de Pierre-Michel Le Corre et Emmanuelle Le Corre-Broly - Mai 2010, Lexbase Hebdo n° 395 du 20 mai 2010 - édition privée générale (N° Lexbase : N1927BP3).
(13) Rép. min. n° 2059, JOAN Q, 15 janvier 2008, préc..
(14) H. Ader et A. Damien, Règles de la profession d'avocat, Dalloz action 2011-2012, n° 59.52.
(15) RIBP, P.73.1.1.
(16) Cass. civ. 1, 15 juin 1999, n° 96-19641, publié (N° Lexbase : A5834CHK), Bull. civ. I, n° 200.

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Avocats/Institutions représentatives

[Questions à...] Le point de vue d'un Bâtonnier aujourd'hui... Sylvie Leroy, Bâtonnier de l'Ordre des avocats du barreau de Chartres

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N4126BSM

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par Anne-Laure Blouet Patin, Directrice de la Rédaction

Le 08 Juin 2011

Régulièrement, les éditions juridiques Lexbase se plaisent à donner la parole au Bâtonnier d'un des Barreaux qui constituent le maillage ordinal de la profession d'avocat, afin qu'il ou elle évoque, avec nos lecteurs, son point de vue sur l'avenir des professions juridiques et, plus particulièrement, celui sur la profession qui l'anime au quotidien, et ses ambitions pour le Barreau dont il ou elle a la charge. Aujourd'hui, rencontre avec... Sylvie Leroy, Bâtonnier de l'Ordre des avocats du barreau de Chartres.

Lexbase : Pouvez-vous nous présenter le barreau de Chartres ?

Sylvie Leroy : Le barreau de Chartres est un barreau moyen. Il est composé de 137 avocats. La féminisation est importante sur les cinq dernières années et nous sommes à plus de 50 % de femmes inscrites au barreau. C'est un barreau jeune et dynamique. Les avocats sont répartis sur tout le département d'Eure et Loir : Chartres, préfecture d'Eure et Loir, et sur les trois sous-préfectures : Dreux, Châteaudun et Nogent le Rotrou. Notre clientèle est une population urbaine et rurale. Urbaine sur Chartres et Dreux et rurale sur Nogent le Rotrou et Châteaudun. Les villes de Dreux et Chartres ont une démographie plus importante que sur les zones rurales, donc une clientèle avec des besoins différents. Les avocats assistent et conseillent les particuliers en matière de procédures pénales, droit de la famille, droit du travail mais également les entreprises. Nous entretenons des partenariats avec la Chambre de commerce et la Chambre des métiers et assurons des permanences destinées aux chefs d'entreprise. Notre barreau s'adapte à l'évolution très rapide de la profession depuis les cinq dernières années avec une volonté de maintenir en son sein une confraternité qui a toujours été notre force et qui a attiré les jeunes avocats vers Chartres.

Lexbase : Bâtonnier depuis le début de l'année, qu'allez-vous prévoir pour votre barreau durant ce mandat ?

Sylvie Leroy : A mon arrivée, j'ai mis en place le nouveau site internet commandé par mon prédécesseur et organisé un colloque qui se tiendra le 9 juin 2011 sur le thème "Internet ! prévisible et imprévisible" (lire N° Lexbase : N4092BSD). Au cours de ce colloque, nous réfléchirons sur la cybercriminalité et sur les problématiques des nouvelles technologies dans le monde professionnel et dans la vie quotidienne des citoyens.

Il est également important d'entretenir au sein des barreaux une convivialité et, sur le premier trimestre, nous nous sommes réunis avec les confrères autours de déjeuners "pizza" pour mieux se connaître et échanger sur l'évolution de notre profession. J'ai beaucoup apprécié la participation importante de mes confrères. Je souhaite organiser d'autres rencontres conviviales et la prochaine est prévue avec les magistrats au château de Maintenon.

Enfin, comme tous les barreaux, nous nous heurtons à des événements difficiles et douloureux et il est important d'être aux côtés des uns et des autres et d'apporter un soutien.

Lexbase : Comment s'est organisée la mise en place de la nouvelle garde à vue au sein de votre barreau ? Que pensez-vous des propositions de financement émanant du Conseil national des barreaux et de la Chancellerie ?

Sylvie Leroy : Depuis le début de mon mandat, je travaille sur les réformes importantes qui vont marquer l'année 2011, la réforme de la garde à vue qui est devenue effective dès le 15 avril et en fin d'année, la réforme de la cour d'appel avec la suppression des avoués et les échanges dématérialisés avec les juridictions. Dès le 15 avril, grâce une grande solidarité et confraternité des confrères, l'organisation de la nouvelle garde à vue a été possible en raison du sérieux et du professionnalisme de l'ensemble du barreau.

Quelles que soient leurs compétences et leurs spécialisations, je crois que les confrères sont conscients des difficultés rencontrées car nous sommes un barreau de taille moyenne. Il faut une organisation qui nécessite l'investissement de tous les avocats. Il n'est pas possible d'envisager des permanences avec seulement des avocats volontaires, lesquels sont en nombre insuffisant.

La profession doit s'adapter à l'évolution. Concernant la réforme de la garde à vue qui prévoit la présence effective d'un conseil aux côtés d'une personne mise en garde à vue, les avocats doivent assumer leur serment et s'organiser.

Mais cette réforme n'est pas satisfaisante et il est nécessaire que le Conseil national des barreaux poursuive des échanges avec les pouvoirs publics afin que cette loi puisse être effective et efficace.

Au niveau de notre barreau, nous allons poursuivre nos discussions au sein de la Commission pénale, du conseil de l'Ordre pour améliorer la mise en place de la réforme et qu'elle soit compatible avec les impératifs de l'ensemble des confrères.

J'attends avec impatience le 1er juin puisque c'est à cette date que la loi du 14 avril 2011 sera effective et la Chancellerie devrait transmettre au barreau une enveloppe budgétaire complémentaire pour assurer le financement des permanences de garde à vue.

Dans cette période intermédiaire, les confrères ont assumé leurs obligations sans rémunération.

Cependant, les contraintes de la réforme qui imposent une présence importante, des interventions de nuit et des déplacements géographiques importants compte tenu de la surface de notre département, entraînent des difficultés nombreuses pour les avocats qui doivent assumer les audiences de leur cabinet, la réception de leurs clients et la préparation des dossiers.

C'est pourquoi, le financement annoncé par la Chancellerie paraît insuffisant mais les négociations se poursuivent avec le Conseil national des barreaux et il faut avoir du recul sur quelques mois pour voir quel sera le nombre d'interventions effectives dans le cadre de cette nouvelle garde à vue et la charge qu'elle va représenter pour nos cabinets.

Lexbase : Comment se déroule le passage au RPVA dans votre barreau ?

Sylvie Leroy : Le passage au RPVA, dans le barreau, se fait progressivement dans le cadre d'échanges importants avec le tribunal. A ce jour, près de 70 % des avocats sont équipés du RPVA et cet outil deviendra indispensable puisque la cour d'appel développe la dématérialisation des procédures.

La communication électronique impose d'avancer vers d'autres façons de travailler avec les juridictions mais sera, après la période de mise en place et de transition, un progrès.

Certes, actuellement nous sommes confrontés à quelques difficultés de connexion et à la lenteur du système et il faut s'habituer à des mises en état sans échanger directement et contradictoirement avec les juges et les confrères.

Lexbase : Du côté des nouveautés, l'acte d'avocat a fait son entrée dans le paysage juridique le 28 mars dernier ; comment appréhendez-vous ce nouvel outil ?

Sylvie Leroy : Il faut considérer que c'est toujours une chance lorsque notre profession s'ouvre sur de nouveaux champs d'activité. L'acte d'avocat va, dans l'immédiat, être peu utilisé dans les cabinets généralistes de province mais je l'espère, se développera.

Cet acte contresigné de l'avocat aura une force probante renforcée et pourra être proposé à nos clients dans divers domaines : droit de la famille, droit commercial, droit du travail, droit de l'immobilier. La profession d'avocat a toujours su innover et s'adapter et j'espère que ce sera un nouvel outil de développement dans notre profession.

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Baux commerciaux

[Chronique] Chronique d'actualité en droit des baux commerciaux

Lecture: 13 min

N4200BSD

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par Julien Prigent, avocat à la cour d'appel de Paris, Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Baux commerciaux"

Le 08 Juin 2011

Lexbase Hebdo - édition affaires vous propose, cette semaine, de retrouver une chronique en droit des baux commerciaux qui revient sur les deux actualités majeures du mois de mai en la matière.
Il s'agit, d'abord, de la création par la loi de simplification et d'amélioration de la qualité du droit, publiée au Journal officiel du 18 mai 2011 (loi n° 2011-525 du 17 mai 2011 de simplification et d'amélioration de la qualité du droit), d'un nouvel indice trimestriel des loyers des activités tertiaires ayant pour but d'éviter de soumettre les professionnels concernés au seul indice du coût de la construction, jugé trop fluctuant.
Julien Prigent a, ensuite choisi, de revenir dans sa chronique sur un arrêt de la troisième chambre civile de la Cour de cassation en date du 4 mai 2011 (Cass. civ. 3, 4 mai 2011, n° 09-72.550, Société Centrale Jemmapes, FS-P+B), qui apporte deux enseignements :
- d'une part, sur l'autorisation tacite d'une sous-location, il précise que dès lors que le bailleur principal savait, dès la conclusion du bail initial, que les locaux avaient vocation à être sous-loués en totalité, que les clauses du bail prenaient en compte cette situation et que des relations directes entre le bailleur principal et le sous-locataire se sont poursuivies au cours des baux successifs, le bailleur a tacitement agréé cette sous-location ;
- et, d'autre part, sur la renonciation du bailleur à se prévaloir d'une condition du droit au renouvellement du locataire principal, il énonce que dès lors que le bailleur savait que les locaux donnés à bail avaient vocation à être sous-loués dans leur totalité et que le bail stipulait que les locaux devaient être maintenus constamment utilisés soit par le preneur lui-même, soit par ses sous-locataires, il doit être considéré que les parties avaient entendu soumettre le bail au statut des baux commerciaux sans faire de l'exploitation des lieux par le locataire principal une condition nécessaire à son application.
  • Création d'un nouvel indice trimestriel des loyers des activités tertiaires (ILAT) (loi n° 2011-525 du 17 mai 2011, de simplification et d'amélioration de la qualité du droit N° Lexbase : L2893IQ9)

L'article 63 de la loi n° 2011-525 du 17 mai 2011 de simplification et d'amélioration de la qualité du droit a créé un nouvel indice trimestriel des loyers des activités tertiaires.

Il doit être rappelé que l'indexation automatique des prix de biens ou de services est, par principe, interdite (C. mon. fin., art. L. 112-1 N° Lexbase : L5471ICM), sous réserve, toutefois, des dispositions du premier alinéa de l'article L. 112-2 N° Lexbase : L3110IQA et des articles L. 112-3 (N° Lexbase : L3109IQ9), L. 112-3-1 (N° Lexbase : L5555ICQ) et L. 112-4 (N° Lexbase : L1465IEY) du Code monétaire et financier.

L'article L. 112-2 du Code monétaire et financier interdit toute clause prévoyant des indexations fondées sur les prix des biens, produits ou services n'ayant pas de relation directe avec l'objet du statut ou de la convention ou avec l'activité de l'une des parties. Il autorise a contrario les indexations qui répondent à cette condition d'une relation directe. L'article L. 112-2 répute également en relation directe avec l'objet d'une convention relative à un immeuble bâti toute clause prévoyant une indexation sur la variation de l'indice national du coût de la construction publié par l'Institut national des statistiques et des études économiques.

Les clauses d'indexation stipulées dans un bail commercial fondées sur la variation de l'indice INSEE du coût de la construction sont en conséquence valables.

L'article L. 112-2 du Code monétaire et financier répute également en relation directe avec l'objet d'une convention relative à un immeuble bâti, pour des activités commerciales ou artisanales définies par décret, toute clause prévoyant une indexation sur la variation de l'indice trimestriel des loyers commerciaux. Cet indice, calculé en partie en fonction de l'indice des prix à la consommation, a été créé par la loi n° 2008-776 du 4 août 2008, de modernisation de l'économie, dite "LME" (N° Lexbase : L7358IAR) qui avait également modifié l'article L. 112-3 du Code monétaire et financier pour préciser que, par dérogation aux dispositions de l'article L. 112-1 et des premier et deuxième alinéas de l'article L. 112-2, et selon des modalités définies par décret, peuvent être indexés sur le niveau général des prix les loyers prévus par les conventions portant sur un local d'habitation ou sur un local affecté à certaines activités commerciales (cf. nos obs., La "modernisation" du statut des baux commerciaux par la loi de modernisation de l'économie, Lexbase Hebdo n° 317 du 11 septembre 2008 - édition privée générale N° Lexbase : N9855BG4). L'article D. 112-2 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L7525IBC) précise que les activités mentionnées dans la seconde phrase du premier alinéa de l'article L. 112-2 du Code monétaire et financier sont les activités commerciales, y compris celles exercées par les artisans, et ont été expressément exclues les activités commerciales exercées dans des locaux à usage exclusif de bureaux, y compris les plates-formes logistiques, ainsi que les activités industrielles au sens de l'article L. 110-1, 5°, du code de commerce.

Le législateur avait tenté à deux reprises de créer, et de rendre conforme aux dispositions relatives aux clauses d'indexation, un indice spécifique aux activités économiques autres que celles visées à l'article D. 112-2 du Code monétaire et financier, l'indice trimestriel des loyers des activités tertiaires (ILAT) :
- une première fois avec l'article 145 la loi n° 2009-1673, 30 décembre 2009, de finances pour 2010 (N° Lexbase : L1816IGD), déclaré non conforme à la constitution en raison du fait que ses dispositions étaient étrangères au domaine des lois de finance (Cons. const., décision n° 2009-599 DC, 29 décembre 2009 N° Lexbase : A9026EPY) ;
- une seconde fois avec l'article 12 de la loi n° 2010-658 du 15 juin 2010, relative à l'entrepreneur individuel à responsabilité limitée (N° Lexbase : L5476IMR), également déclaré non conforme à la constitution (Cons. const., décision n° 2010-607 DC, 10 juin 2010 N° Lexbase : A8021EYQ) en raison de l'absence de lien direct de ses dispositions avec celles qui figuraient dans le projet de loi relatif à l'entrepreneur individuel à responsabilité limitée.

L'article 63 de la loi du 17 mai 2011 n'a pas été censuré par le Conseil constitutionnel.

Il ajoute un nouvel alinéa à l'article L. 112-2 du Code monétaire et financier qui dispose que : "est également réputée en relation directe avec l'objet d'une convention relative à un immeuble toute clause prévoyant, pour les activités autres que celles visées au premier alinéa ainsi que pour les activités exercées par les professions libérales, une indexation sur la variation de l'indice trimestriel des loyers des activités tertiaires publié par l'Institut national de la statistique et des études économiques dans des conditions fixées par décret".

Cet indice concerne en conséquence toutes les activités autres que les activités commerciales ou artisanales définies à l'article D. 112-2 du Code monétaire et financier. Sont également visées les activités exercées par les professions libérales. L'article 63 a, en outre, ajouté, concernant les activités pour lesquelles l'indice trimestriel des loyers commerciaux peut être stipulé, les activités "artisanales" (déjà antérieurement visées par l'article D. 112-2 du Code monétaire et financier).

Cet indice sera publié dans des conditions qui seront fixées par décret.

L'ILAT devant être composé en partie de l'indice de l'évolution des prix à la consommation, l'article 112-3 du Code monétaire et financier a également été modifié pour créer une nouvelle dérogation à l'interdiction des indexations sur le niveau général des prix pour "les loyers prévus par les conventions portant sur un local à usage des activités prévues au deuxième alinéa de l'article L. 112-2". S'agissant des activités pour lesquelles l'indice des loyers commerciaux est autorisé, il a été également précisé au sein de ce texte qu'il pouvait s'agir des activités artisanales.

Enfin, les dispositions des articles L. 145-34 (N° Lexbase : L3108IQ8) et L. 145-38 (N° Lexbase : L3107IQ7) du Code de commerce ont également été modifiées pour prendre en compte la création de ce nouvel indice. Désormais, et à l'instar de ce qui était déjà prévu pour l'indice des loyers commerciaux, le taux de variation du loyer en renouvellement ou du loyer révisé ne pourra excéder celui, "s'il est applicable", de l'indice trimestriel des loyers des activités tertiaires.

  • Précisions sur la validité et les effets d'une sous location (Cass. civ. 3, 4 mai 2011, n° 09-72.550, FS-P+B N° Lexbase : A2542HQ9)

1 - Sur l'autorisation tacite d'une sous-location

Dès lors que le bailleur principal savait, dès la conclusion du bail initial, que les locaux avaient vocation à être sous-loués en totalité, que les clauses du bail prenaient en compte cette situation et que des relations directes entre le bailleur principal et le sous-locataire se sont poursuivies au cours des baux successifs, le bailleur a tacitement agréé cette sous-location.

Tel est l'enseignement d'un arrêt de la Cour de cassation du 4 mai 2011.

En l'espèce, par acte du 1er avril 1996, un bailleur avait renouvelé pour neuf ans à compter du 1er mars 1996, le bail consenti par acte du 4 mai 1987 portant sur des locaux à usage d'établissement d'enseignement et de formation. Le preneur avait consenti, le 1er juin 1987, un bail commercial portant sur la totalité des locaux et ce sous-bail a été renouvelé par acte du 20 juin 1996 à effet du 1er mars 1996. Par acte extrajudiciaire du 29 octobre 2004, le bailleur avait délivré congé pour le 1er juin 2005 au locataire principal, sans offre de renouvellement ni indemnité d'éviction, en lui déniant le droit au statut en l'absence d'exercice dans les lieux d'une activité et, à titre subsidiaire, pour motifs graves et légitimes pour défaut d'appel du bailleur à concourir à la conclusion des sous-baux. Le sous-locataire s'étant vu reconnaître par les juges du fond un droit au renouvellement à l'encontre du bailleur principal, ce dernier s'est pourvu en cassation.

L'article L. 145-32 du Code de commerce (N° Lexbase : L5760AI8) précise que le sous-locataire peut demander le renouvellement de son bail au locataire principal "dans la mesure des droits que ce dernier tient lui-même du propriétaire". Toujours selon ce texte, à "l'expiration" du bail principal, le sous-locataire dispose d'un droit direct au renouvellement à l'égard du bailleur principal à la condition que ce dernier ait autorisé ou agréé la sous-location et que les lieux ne soient pas indivisibles matériellement ou dans la commune intention des parties.

La première condition de la reconnaissance au profit du sous-locataire d'un droit direct au renouvellement réside donc dans l'insuffisance des droits du locataire principal. A défaut, le sous-locataire ne peut solliciter le renouvellement de son bail qu'à l'égard du locataire principal (Cass. civ. 3, 6 décembre 1972, n° 71-13.240 N° Lexbase : A6818AGM ; Cass. civ. 3, 17 juillet 1987, n° 86-11.714 N° Lexbase : A8227AGS). Dans l'arrêt rapporté, et avant de reconnaître au sous-locataire un droit direct au renouvellement à l'égard du preneur, la Cour de cassation relève que le bail principal avait pris fin. La première condition de l'article L. 145-32 du Code de commerce était donc remplie.

Le bailleur, et il s'agit de la deuxième condition d'un droit direct au renouvellement, doit également avoir autorisé ou agréé la sous-location "expressément ou tacitement". L'autorisation générale de sous-louer, prévue par le bail, n'est pas suffisante pour conférer aux sous-locataires commerçants, non expressément ou tacitement agréés par le propriétaire, un droit direct au renouvellement (Cass. civ. 3, 22 janvier 1992, n° 90-13.736 N° Lexbase : A7891AGD). Dans l'arrêt du 4 mai 2011, aucune autorisation ou aucun agrément exprès n'avait été produit par le sous-locataire qui a tenté de soutenir en conséquence l'existence d'une autorisation ou d'un agrément tacite.

En effet, et selon les éléments relevés par les juges du fond, le bailleur savait que les locaux avaient vocation à être sous-loués en totalité au sous-locataire dont il connaissait l'identité. Les clauses du bail, elles-mêmes, prenaient en compte cette situation. En outre, des relations directes s'étaient établies entre le bailleur principal et le sous-locataire au cours des baux successifs pour l'exécution de travaux ou de contrôles de la commission de sécurité. Le bailleur avait enfin accepté précédemment de renouveler le bail principal à une époque où il savait que les lieux étaient sous-loués au sous-locataire qui invoquait à son encontre un droit au renouvellement. L'ensemble de ces éléments, selon les juges du fond approuvés par la Cour de cassation, traduit l'autorisation tacite du bailleur à la sous-location.

Enfin, la troisième condition du droit direct au renouvellement du sous-locataire visée à l'article L. 145-32 du Code de commerce, relative à l'absence d'indivisibilité des locaux, ne semble pas avoir suscité de difficulté en l'espèce.

Les conditions habituelles du droit au renouvellement du preneur (C. com., art. L. 145-1 N° Lexbase : L2327IBS et L. 145-8 N° Lexbase : L2248IBU), que le sous-locataire doit a priori remplir également, n'ont pas été non plus discutées devant la Cour de cassation.

En conséquence, le sous-locataire disposait en l'espèce d'un droit au renouvellement de son bail à l'égard du bailleur principal.

2 - Sur la renonciation du bailleur à se prévaloir d'une condition du droit au renouvellement du locataire principal

Dès lors que le bailleur savait que les locaux donnés à bail avaient vocation à être sous-loués dans leur totalité et que le bail stipulait que les locaux devaient être maintenus constamment utilisés soit par le preneur lui-même, soit par ses sous-locataires, il doit être considéré que les parties avaient entendu soumettre le bail au statut des baux commerciaux sans faire de l'exploitation des lieux par le locataire principal une condition nécessaire à son application.

Tel est le second enseignement de l'arrêt précité du 4 mai 2011.

Dans cette affaire, les juges du fond avaient, non seulement, reconnu au sous-locataire un droit direct au renouvellement à l'égard du bailleur principal, mais le preneur principal s'était également vu reconnaître un droit au renouvellement de son propre bail.

La solution est, de prime abord, curieuse.

En effet, les lieux étaient sous-loués en totalité. Or, le droit au renouvellement du preneur est subordonné à l'existence dans les lieux loués d'un fonds de commerce lui appartenant. Cette condition découle de l'article L. 145-1 du Code de commerce qui dispose que le statut des baux commerciaux s'applique "aux baux des immeubles ou locaux dans lesquels un fonds est exploité, que ce fonds appartienne, soit à un commerçant ou à un industriel immatriculé au registre du commerce et des sociétés, soit à un chef d'une entreprise immatriculée au répertoire des métiers, accomplissant ou non des actes de commerce". L'article L. 145-8 de ce code précise également que "le droit au renouvellement du bail ne peut être invoqué que par le propriétaire du fonds qui est exploité dans les lieux". En présence d'une sous-location totale, le fonds de commerce n'est pas exploité par le preneur qui ne peut pas non plus en être le propriétaire. En conséquence, le locataire principal ne devrait pas pouvoir bénéficier d'un droit direct au renouvellement en cas de sous-location totale (Cass. civ. 3, 29 octobre 1985, n° 84-14.391 N° Lexbase : A7679AGI).

Dans l'arrêt rapporté, et malgré une sous-location totale, le locataire principal s'est vu reconnaître un droit au renouvellement. Les juges du fond, approuvés par la Cour de cassation, ont effet estimé que les parties avaient entendu soumettre le bail au statut des baux commerciaux sans faire de l'exploitation des lieux par le locataire (le terme bailleur est employé dans l'arrêt, semble-t-il par erreur) principal une condition nécessaire à son application. A cette fin, il avait été rappelé que les lieux avaient vocation à être sous-loués en totalité et il avait également été relevé que le bail stipulait que les locaux devaient être maintenus constamment utilisés, soit par le preneur lui-même, soit par ses sous-locataires.

Il s'agissait en conséquence d'une extension conventionnelle du statut des baux commerciaux qui semblait toutefois "ciblée" pour ne concerner que la condition relative à l'exploitation des lieux par le preneur. La Cour de cassation reconnaît depuis longtemps aux parties la faculté de décider de l'application du statut des baux commerciaux à une convention qui n'y serait a priori pas soumise, à la condition que cette volonté d'extension du statut ne soit pas équivoque (en ce sens Cass. 3 civ. 3, 6 juillet 1982, n° 80-12.958 N° Lexbase : A7483AGA ; Cass. civ. 3, 23 mars 1994, n° 92-15.035 N° Lexbase : A6995ABP ; voir également, à propos de la condition tenant à l'exploitation des lieux, Cass. civ. 3, 20 mars 1984, n° 82-12.753 N° Lexbase : A0207AAW).

Il doit être noté que les locaux avaient été loués pour l'exercice d'une activité d'enseignement et de formation, ce qui pourrait constituer une cause légale d'extension du statut des baux commerciaux (C. com., art. L. 145-2 N° Lexbase : L2371IBG). Même dans cette hypothèse, le preneur doit être propriétaire du " fonds d'enseignement " (Cass. civ. 3, 16 décembre 1980, n° 79-12.955 N° Lexbase : A7431AGC). Il n'a pas toutefois à être immatriculé (Cass. civ. 3, 21 février 2007, n° 06-11.832, FS-P+B N° Lexbase : A4188DUN).

La question se pose de l'étendue d'une adoption conventionnelle et de savoir si elle peut ne porter que sur l'une des conditions du droit au renouvellement. Ainsi, par exemple, dans l'arrêt rapporté, s'il pouvait être soutenu que les parties avaient entendu soumettre le bail au statut des baux commerciaux, en dépit de l'absence de fonds de commerce appartenant au preneur, ce dernier pouvait-il, pour autant, bénéficier d'un droit au renouvellement alors qu'il n'était pas immatriculé au registre du commerce et des sociétés ? L'arrêt rapporté incite à apporter une réponse positive. En effet, il était reproché à la cour d'appel, au troisième moyen du pourvoi, de n'avoir pas vérifié que le preneur était immatriculé à la date de délivrance du congé et à celle de l'expiration du bail. Sans évoquer le fait que cette condition n'avait pas nécessairement à être remplie si le statut était applicable en raison d'une activité d'enseignement dans les locaux, la Cour de cassation rejette ce moyen au motif que les parties étaient convenues d'une soumission conventionnelle, ce qui n'avait pourtant pas été relevé de manière aussi explicite par la cour d'appel (CA Paris, 16ème ch., sect. A, 9 septembre 2009, n° 08/00655 N° Lexbase : A4388EQL). La Haute cour considère donc que la condition relative à l'immatriculation n'avait pas à être vérifiée. Ce n'est donc pas seulement la condition tenant à l'exploitation des lieux par le locataire principal auxquelles les parties auraient renoncé. La renonciation à cette dernière condition ne semble pas toutefois devoir impliquer automatiquement une renonciation à la condition de l'immatriculation. En tout état de cause, la Cour de cassation fonde sa décision sur l'existence d'une soumission volontaire au statut. La renonciation à se prévaloir de l'une des conditions d'application du statut des baux commerciaux ou du droit au renouvellement semble ainsi ne pouvoir constituer qu'une renonciation "globale", empêchant les parties, en pratique surtout le bailleur, de se prévaloir du défaut d'une autre des conditions du droit au renouvellement. Un arrêt avait pu être interprété comme empêchant le "dépeçage" du statut des baux commerciaux en cas d'extension conventionnelle : dans ce cas, c'est tout le statut, à tout les moins ses dispositions impératives, qui deviennent applicables (Ass. plén., 17 mai 2002, n° 00-11.664, publié N° Lexbase : A6534AYN), sans que les parties puissent conventionnellement en mettre à l'écart certaines, même si elles n'étaient par définition pas applicables de plein droit.

L'arrêt commenté permettrait de soutenir que l'adoption conventionnelle ne peut également pas être partielle en ce qui concerne les conditions auxquelles il est renoncé pour voir le statut s'appliquer.

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Fiscalité du patrimoine

[Evénement] La réforme de la fiscalité du patrimoine : premières analyses du projet de loi de finances rectificative pour 2011

Lecture: 15 min

N3016BSI

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par Sophie Cazaillet, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition fiscale

Le 17 Novembre 2011

Le Master 2 Ingénierie juridique et fiscale du patrimoine de l'Université Paris I, en collaboration avec la Fédération nationale droit du patrimoine et l'Institut de recherche juridique de la Sorbonne, a organisé, le vendredi 20 mai 2011, au tribunal de commerce de Paris, plusieurs tables rondes autour du thème de la réforme de la fiscalité du patrimoine. Le contenu de cette réforme est inscrit dans le projet de loi de finances rectificative pour 2011, déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale le 12 mai 2011. Des praticiens du droit du patrimoine, avocats, notaires, professionnels de la banque privée et de l'assurance, mais aussi des professeurs, se sont réunis pour disséquer ce projet de loi, qui ne manque pas de susciter des réactions. Le 6 juin 2011, le projet de loi de finances rectificative devrait être en discussion. Thierry Revet, Directeur du master organisateur, nous rappelle l'origine du débat sur la fiscalité du patrimoine : l'affaire "Woerth/Bettencourt". Cette genèse teinte la réforme fiscale de politique. Selon lui, cet avis étant partagé par une majorité, le projet aurait pu être plus simple, et plus édulcoré. La surprise frappe à la lecture du retour sur la loi "TEPA" concernant les droits de succession. L'"exit tax" amène le volet "lutte contre l'évasion fiscale", souvent présent dans les textes fiscaux de ces dernières années. L'assurance vie est la grande absente du texte présenté, alors que l'on en avait beaucoup parlé, il y a quelques mois, et que le Gouvernement avait calmé le débat, le décalant à cette fameuse réforme. Voici un résumé des discussions qui ont eu lieu sur la réforme fiscale de grande envergure de cette année, animées par Philippe Neau-Leduc, Professeur à l'Université Paris I.
  • Première table ronde : suppression du bouclier fiscal et modifications de l'ISF

La réforme de base porte sur l'ISF, impôt circonstanciel, qui, aujourd'hui, n'est plus de circonstance. En effet, cet impôt frappe le capital, qui a été, un temps, générateur de revenus importants, ceux-ci ayant considérablement baissé depuis, faisant naître un sentiment d'injustice profond chez ses redevables. Les contestations avaient été provoquées par le scandale de la valeur de l'immobilier à l'Île-de-ré, les retraités ayant dû vendre leurs biens pour payer l'ISF, alors qu'ils y avaient placé les économies d'une vie.

Pascal Julien Saint-Amand, notaire à Paris, explique avec humour que l'ISF n'a plus qu'un intérêt aujourd'hui : donner du travail aux conseils. Cet impôt injuste, "stupide" même, aurait dû être abrogé, purement et simplement, mais la teinte politique de la réforme l'a interdit, et l'interdira encore longtemps. Pourtant, tous les Etats qui avaient, à l'exemple de la France, institué l'ISF, l'ont, depuis, abrogé.

Le système de seuil est critiqué. En effet, l'injustice de l'ISF se renforce avec un relèvement de la première tranche qui profite aux 300 000 "heureux mais pauvres" futurs ex-redevables, mais qui alourdit la charge fiscale pour les patrimoines plus importants. A partir de 2012, les patrimoines de plus de 1 300 000 euros verront l'assiette de l'ISF élargie, celle-ci comprenant la totalité du patrimoine, dès le premier euro. La conservation du système de tranche aurait permis le maintien d'une grande lisibilité. Le dispositif consistant à lutter contre l'effet de seuil est compliqué. L'ISF ne baissera que pour les contribuables qui ne bénéficiaient ni du plafonnement spécifique à l'ISF, ni du bouclier fiscal.

Christine Valence, représentant la banque privée de BNP Paribas, soulève le problème de la déclaration de l'ISF. Celle-ci, en 2012, sera allégée, puisque le contribuable n'aura plus à faire apparaître un état détaillé des biens de son patrimoine. L'effet pervers de cette simplification est le doute soulevé quant au délai de reprise de l'administration fiscale. Celui-ci passe de trois à six ans si l'administration est contrainte de rechercher la composition de l'assiette d'un impôt. Or, c'est précisément ce qui va se passer avec le nouveau mode de déclaration. Le conseil de l'intervenante est de continuer à dresser un état détaillé de ses biens, pour éviter que l'administration fiscale ne puisse étendre son action. Ce qui était une mesure de simplification complique, en réalité, les choses.

Le bouclier fiscal est abrogé, mais les "réductions ISF pour investissement dans les PME" et les "actions philanthropiques" (ainsi que la résidence principale) sont conservées. Elles seront d'autant plus encouragées, et conduiront à des constructions compliquées du patrimoine.

Jean-François Desbuquois, Avocat associé au sein du cabinet Fidal, revient sur le problème auquel vont être confrontés les actionnaires familiaux, qui, souvent, possèdent des parts de grande valeur, mais récoltent peu de dividendes. L'ISF qui, à l'origine, devait être payé par les revenus du capital taxé, prend un aspect confiscatoire, en particulier dans ce cas de figure.

Le projet a pour ambition de régler certaines difficultés nées de la pratique des mécanismes mis en place pour favoriser les biens professionnels. Tout d'abord, lorsqu'un dirigeant possédait plusieurs sociétés, l'administration acceptait qu'il y ait cumul des avantages liés au régime des biens professionnels à la condition que lesdites sociétés aient une activité similaire, connexe ou complémentaire. Ces éléments, qui ont nourri d'abondants contentieux, sont supprimés. Le cumul est autorisé sous de nouvelles conditions. Notamment, l'appréciation de la rémunération se fait sur l'ensemble des sommes perçues par le dirigeant du fait de son activité dans toutes les sociétés. Ensuite, concernant le problème de la dilution des participations, fréquente en cas de PME en phase de croissance, qui, pour financer cette croissance, opère une augmentation de capital, le texte prévoit que s'il y a eu exonération pendant cinq ans et que la participation tombe en-dessous des 25 %, mais reste au-dessus des 12,5 %, l'exonération continue si un pacte d'actionnaires réunit plus de 25 % des parts. Enfin, concernant le pacte "Dutreil" (CGI, art. 885 I bis N° Lexbase : L3472IAT), la condition d'engagement des associés détenant une certaine participation va perdre de sa rigidité. Il sera possible, pour un actionnaire, de sortir de cet engagement, mais d'y faire entrer le cessionnaire de ses parts. Toutefois, et c'est le point négatif, vidant de son intérêt cette mesure, le délai de conservation des titres pendant deux ans repart de zéro. De plus, tous les actionnaires doivent signer à nouveau l'engagement.

Christine Valence revient sur les trusts. Enfin, une définition fiscale est apportée par le projet de loi : il s'agit de "l'ensemble des relations juridiques créées dans le droit d'un Etat autre que la France, par une personne qui a la qualité de constituant, par acte entre vifs ou à cause de mort, en vue d'y placer des biens ou droits, sous le contrôle d'un administrateur, dans l'intérêt d'un ou de plusieurs bénéficiaires, ou pour la réalisation d'un objectif déterminé".

Il n'est pas question de la propriété apparente, qui est pourtant l'apanage du "trustee", devenu "administrateur" après traduction. En effet, le "trustee", en droit britannique, gère le patrimoine avant sa transmission complète du donateur ou de cujus au bénéficiaire de la donation ou héritier. Pendant le laps de temps prévu avant transmission complète, il est réputé avoir la propriété apparente des biens mis en trust. Cette notion de Common law n'est pas introduite en droit français par le projet de loi. Il n'existe pas non plus de distinction entre le trust révocable ou irrévocable.

Si la part des biens transmis lors d'une succession peut être déterminée, alors on applique le droit commun des successions. Dans le cas inverse, la taxation s'opère au taux le plus élevé pour les lignes directes (45 %) lorsque le bénéficiaire de la transmission est un descendant, et au taux de 60 % dans les autres cas. L'évasion fiscale est visée dans cette mesure, puisque si elle a motivé la constitution du trust, la taxation est complétée d'une pénalité de 60 %. Il en va de même en cas de constitution du trust dans un territoire non coopératif, ou si le constituant est domicilié en France au moment de la constitution.

Concernant l'ISF, il est dû du fait de la seule détention du patrimoine apporté au trust. Le constituant ou le bénéficiaire sont taxés, selon les cas. Le taux appliqué est le plus élevé et l'ISF est collecté auprès de l'administrateur, du constituant et des bénéficiaires, selon les cas. Toutefois, s'ils sont soumis à l'ISF par ailleurs, ils ne sont pas taxés, même s'ils n'ont pas, en réalité, supporté l'impôt.

  • Deuxième table ronde : droits de succession et de donation

Jean-François Desbuquois nous rappelle le "leitmotiv" de la réforme : éviter toute perte budgétaire. La suppression du bouclier fiscal et la taxation au premier euro des patrimoines dont la valeur excède 1 300 000 euros ne suffisant pas, le projet de loi de finances rectificative multiplie les mesures. Les deux dernières tranches d'imposition des successions et des donations sont augmentées de 5 points, passant de 35 à 40 %, et de 40 à 45 %. Les personnes concernées par ces augmentations seront, selon les estimations, 1 600 chez les héritiers et 700 chez les bénéficiaires d'une donation. Les recettes attendues n'étant pas suffisantes, d'autres mesures sont prises.

La durée du rappel fiscal est augmentée et passe de six à dix ans. Le rappel consiste à prendre en compte toutes les transmissions faites à une personne, pour l'évaluation des impositions. Outre le fait que cette mesure, ainsi que la précédente et que la suivante, ne vont pas inciter à transmettre à titre gratuit, du vivant ou à cause de mort, les contribuables peuvent craindre pour leurs transmissions actuelles puisque l'administration a demandé à pouvoir bénéficier de cet allongement sur des périodes qui sont prescrites. Les rappels en cours sur les six années précédentes pourraient se faire sur quatre années antérieures de plus. Cela pose un vrai problème de sécurité juridique pour les contribuables, et il reste à attendre la réaction des députés, et la défense qu'ils feront des intérêts des personnes privées.

La dernière mesure concerne les réductions de droits de donation liées à l'âge du donateur, qui sont purement et simplement supprimées. L'effet sur les "successions anticipées" sera négatif, notamment sur les transmissions des petites entreprises, qui bénéficiaient et usaient de ces réductions.

Les trois intervenants de cette table ronde conseillent trois options :
- abandonner les donations et successions "classiques" pour se tourner vers l'assurance-vie qui, alors que cela était annoncé, n'est pas touchée par la réforme (Christine Valence) ;
- attendre que les choses se mettent en place, que des décrets d'application soient pris, surtout bien réfléchir avant de donner, et prendre en compte le coût fiscal (Marc Iwanesko) ;
- soit transmettre tout de suite, avant l'entrée en vigueur de la loi, soit transmettre progressivement, sur la durée (Jean-François Desbuquois).

Ces questions de temps sont l'occasion, pour les intervenants, de revenir sur les dates d'entrée en vigueur des différentes mesures :
- l'"exit tax" devrait être appliquée à compter du 3 mars 2012 ;
- les mesures relatives aux donations et aux successions sont prévues pour juillet, le Gouvernement voulant les appliquer le plus vite possible ;
- la taxe sur les résidences secondaires détenues par les non-résidents en France devrait être appliquée à compter du 1er janvier 2012 ;
- les nouvelles déclarations d'ISF sont prévues pour septembre, décalées pour pouvoir prendre en compte la réforme. En effet, en temps normal, la déclaration ISF se fait avant le 15 juin.

Les discussions du projet de loi de finances sont prévues pour le 6 juin 2011. La volonté affichée du Gouvernement est d'aller vite.

  • Troisième table ronde : résidence secondaire des propriétaires non domiciliés en France

Pascal Julien Saint-Amand soulève l'incohérence de faire participer les non-résidents au financement des services publics français alors qu'ils n'en profitent que deux mois par an. C'est pourtant ce que prévoit la mesure consistant à taxer les résidences secondaires que ces personnes ont en France.

La nouvelle taxe prend des allures de taxe d'habitation, puisqu'elle est assise sur la valeur locative cadastrale du bien. En moyenne, cette nouvelle disposition devrait faire peser sur les non-résidents une contribution de 500 euros. Ce montant pourrait, toutefois, être augmenté, en cas de révision des valeurs cadastrales. Dans l'exposé des motifs du projet de loi, le Gouvernement explique que, comme il ne bénéficie pas du produit de la taxe d'habitation, réservé aux collectivités territoriales, il est normal qu'il devienne le bénéficiaire d'une taxe similaire. Le point positif de cette nouvelle taxe est la suppression de l'article 164 C du CGI (N° Lexbase : L2839HLQ), qui prévoit une imposition assise sur trois fois la valeur locative des immeubles détenus par les non-résidents provenant d'Etats qui n'ont pas signé de convention sur l'IR avec la France. Le nouveau système conduira donc, pour eux, à une réduction d'assiette.

Franck Le Mentec, Avocat associé au sein du cabinet Cotty, Vivant, Marchisio & Lauzeral, s'intéresse au caractère potentiellement discriminatoire de la taxe. Outre le fait qu'elle soit anecdotique, le législateur a pris soin de la rendre "eurocompatible". En effet, les résidents et les non-résidents ne sont pas dans une situation comparable, dit la CJUE. La situation du non-résident est comparable à celle du résident s'il tire la majorité de ses revenus de l'Etat en cause. C'est pourquoi, lorsque la résidence éligible à la taxe produit plus de 75 % des revenus globaux du non-résident, celui-ci est exonéré du paiement de la taxe.

En cas de question prioritaire de constitutionnalité, le dispositif devrait résister aussi. En Argentine, pays qui partage avec la France une Constitution et une jurisprudence constitutionnelle très proches, une taxe similaire a été validée.

  • Quatrième table ronde : l'"exit tax" (expatriés)

Gauthier Blanluet, Professeur à l'Université Paris II, nous explique le mécanisme d'"exit tax" antérieur à celui institué par le projet de loi de finances, et pourquoi il a été sanctionné par la CJUE. L'"exit tax" de l'article 167 bis du CGI (N° Lexbase : L2850HL7) prévoyait une taxation des plus-values latentes sur participations supérieures à 25 % dans le capital d'une société, due par les contribuables français qui s'expatriaient, au moment du transfert de leur résidence. Ce dispositif était assoupli par un sursis d'imposition, applicable seulement si le contribuable en cause avait constitué des garanties. Celles-ci consistaient en la désignation d'un représentant en France et en un dépôt de sommes sur le compte du Trésor. L'arrêt de la CJUE du 11 mars 2004 (CJUE, 11mars 2004, aff. C-9/02 N° Lexbase : A5001DBT) a porté un coup d'arrêt à cette mesure, jugée contraire à la liberté d'établissement (TFUE, art. 49 N° Lexbase : L2697IPL).

L'article 167 ter du CGI, que le projet de loi de finances propose d'insérer, fait renaître de ses cendres ce mécanisme. Quelques différences sont notables, puisqu'elles devraient permettre son "euroconformité". Les redevables de cette taxe sont les contribuables qui s'expatrient après avoir résidé plus de 6 ans en France. Toutefois, si le transfert de résidence s'opère dans un Etat membre de l'UE, un sursis de paiement inconditionnel est applicable. Si, au contraire, le transfert de résidence s'opère dans un Etat tiers à l'Union européenne (UE), le sursis de paiement est conditionné à la constitution de garanties, sauf si l'expatriation est motivée par des raisons professionnelles. C'est cette distinction qui devrait faire passer le texte dans les mailles du filet communautaire.

Par ailleurs, le dispositif antérieur est élargi. En effet, il s'applique aux plus-values latentes sur les participations supérieures à 1 %, et non plus à 25 %. Ces participations s'entendent des parts détenues dans des sociétés soumises à l'impôt sur les sociétés en France ou à un impôt équivalent. Ainsi, les parts détenues dans des sociétés étrangères sont concernées. Si le taux de participation est inférieur à 1 %, la plus-value latente est tout de même taxée si la valeur des titres est supérieure à 1 300 000 euros.

Si le contribuable cède ou donne ses titres, cette opération devient imposable, par expiration du sursis. Un dégrèvement est toutefois appliqué si la cession intervient plus de 8 ans après le transfert de résidence (au lieu de 5 ans dans le dispositif antérieur), ou si, n'ayant pas cédé ses parts, le contribuable revient en France. Ce dégrèvement ne concerne que l'impôt sur le revenu, pas les prélèvements sociaux. En ce qui concerne les donations, si le contribuable démontre que le transfert de résidence n'a pas eu pour but d'éluder l'impôt, le sursis de paiement n'expire pas à l'occasion de la transmission. L'imposition de la plus-value de donation n'existe pas en droit français. Ce dispositif est donc applicable exclusivement aux résidents français qui s'expatrient. Il semble que cette taxation vienne s'ajouter aux droits de donation, normalement dus sur ce type de transmission. Il en résulte une double imposition interne. Cela va à l'encontre de la règle exposée par le projet de loi de finances, selon laquelle l'impôt dû sur une donation à l'étranger viendrait en diminution de l'impôt dû en France à raison de l'"exit tax". Pourquoi lutter contre la double imposition transnationale et pas contre celle qui aura lieu à l'intérieur des frontières nationales ?

Cécile Louis-Lucas, Directrice des expertises au sein de la Banque privée 1818, rappelle les conditions dans lesquelles a été rendu l'arrêt de la CJUE : le contribuable frappé par l'"exit tax" avait attaqué le décret n° 99-590 du 6 juillet 1999 (N° Lexbase : L5391G9K), portant application de l'article 24 de la loi n° 98-1266 du 30 décembre 1998, de finances pour 1999 (N° Lexbase : L1137ATB), instituant la taxe litigieuse. Le Conseil d'Etat avait posé une question préjudicielle à la CJUE (CE 9° s-s., 14 décembre 2001, n° 211341, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A7339AX4). A la suite de la réponse de la CJUE (CJCE, 11 mars 2004, aff. C-9/02 N° Lexbase : A5001DBT), selon laquelle cette taxe était contraire à la liberté d'établissement, le Gouvernement avait plusieurs options :
- modifier le champ d'application de l'article 167 bis du CGI, afin de ne l'appliquer qu'aux expatriations vers des Etats tiers à l'UE ;
- modifier le champ d'application de l'article 167 bis du CGI, afin de ne l'appliquer qu'aux expatriations non motivées par un objectif professionnel, afin de sortir du champ de la liberté d'établissement ;
- alléger les contraintes de garanties obligatoires pour bénéficier du sursis de paiement.
A la surprise générale, l'article 167 bis du CGI a été supprimé.

En 2006, la CJUE a rendu une décision sur un même type de taxe, applicable cette fois aux Pays-Bas (CJCE, 7 septembre 2006, aff. C-470/04 N° Lexbase : A9487DQG). A la suite de l'arrêt de 2004, les Pays-Bas ont modifié leur législation, similaire à la législation française, et ont, notamment, supprimé les garanties. Mais un résident expatrié a provoqué l'examen du texte antérieur à 2004 par la Cour de Luxembourg, par le biais d'une question préjudicielle. L'Etat néerlandais invoquait les raisons impérieuses d'intérêt général que sont la lutte contre l'évasion fiscale et la maintien d'une cohérence fiscale pour justifier l'atteinte à la liberté d'établissement portée par la taxe. L'argument de la cohérence fiscale n'aurait pu être utilisé en France. En effet, la plus-value latente était taxée sur la somme résultant de la différence entre la valeur d'origine des titres et leur valeur à la sortie du territoire. Or, la plus-value imposable lors de la cession était égale à la différence entre la valeur d'origine et la valeur au moment de la cession. L'imposition de la plus-value latente n'avait aucun impact, alors qu'aux Pays-Bas, la plus-value latente, une fois imposée, va devenir le point de comparaison, la "valeur d'origine", retenue pour l'imposition de la plus-value de cession ultérieure.

Franck Le Mentec examine les éventuelles contrariétés de cette mesure avec les conventions internationales. Il distingue deux groupes de conventions internationales :
- les conventions rédigées selon le modèle OCDE, dans lesquelles les plus-values de cession de titres sont imposables dans l'Etat du cédant ;
- les conventions dans lesquelles est incluse une clause de participation substantielle, qui prévoit que, lorsque la participation dans une société dépasse les 25 % de son capital, la plus-value de cession de titres est taxable dans l'Etat du cessionnaire.

L'articulation de la nouvelle "exit tax" avec les conventions fiscales signées par la France se fait par une pirouette, une fiction légale, introduite dans le but de faire échec aux stipulations conventionnelles : le transfert de résidence est réputé avoir eu lieu la veille du départ effectif. Le départ géographique est donc dissocié de l'évènement fiscal. La plus-value latente est celle évaluée à J-1. Dès lors, l'opération est domestique, et non transfrontalière. Les conventions fiscales sont contournées.

Quant à la cession réelle, qui emporte imposition de la plus-value, par expiration du sursis de paiement ou du fait même de la cession, la France a prévu un dispositif d'imputation de l'impôt étranger sur l'assiette française. Ainsi, par une disposition de droit interne, elle contourne à nouveau les conventions.

Cette situation devrait poser des difficultés. La Cour suprême néerlandaise a déjà eu à traiter de ce type de disposition. Elle a décidé que "si par une fiction légale est opéré un transfert du droit d'imposer d'un pays à un autre, ceci est contraire aux règles de droit fiscal international et à l'article 31 de la Convention de Vienne, relatif à la bonne foi". L'"exit tax" serait donc en contrariété avec les textes de droit international.

En conclusion, on peut dire que le projet de loi de finances rectificative pour 2011 va à l'encontre d'une loi toute récente, la loi de simplification du droit (loi n° 2011-525 du 17 mai 2011, de simplification et d'amélioration de la qualité du droit N° Lexbase : L2893IQ9). En effet, mise à part pour les trusts, avec une définition incomplète, et pour le pacte "Dutreil", mais sans intérêt, le projet complique tout. La suppression du bouclier fiscal, qui est une simplification nette, crée d'autres difficultés, plus grandes encore que ne l'aurait été son maintien. Au nom de l'équilibre des finances publiques, principe qui n'est pas critiqué ici, des taux sont relevés, des assiettes élargies, des taxes créées. Le nouvel horizon de la fiscalité du patrimoine n'est pas bouleversé outre mesure, mais les modifications apportées par ce texte vont avoir un vrai impact sur les comportements. Les débats à l'Assemblée nationale et au Sénat ne devraient pas être houleux, mais les recours pour excès de pouvoir contre les décrets d'application, les questions prioritaires de constitutionnalité et les questions préjudicielles devraient se multiplier. Pour reprendre la formule de Pascal Julien Saint-Amand, ce projet a le mérite d'apporter du travail aux conseils.

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Internet

[Manifestations à venir] Les entretiens juridiques du barreau de Chartres : internet "prévisible et imprévisible !"

Lecture: 2 min

N4092BSD

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Le 08 Juin 2011

Le jeudi 9 juin 2011 aura lieu un colloque organisé par le barreau de Chartres, en partenariat avec la chambre de commerce et d'industrie, portant sur l'impact de l'internet tant sur la vie privée que sur la vie professionnelle. L'objectif affiché du Bâtonnier Sylvie Leroy est d'aborder un thème qui soit commun tant aux avocats, juristes qu'aux responsables d'entreprises.
  • Programme

9h00 - Ouverture des portes + accueil café
9h20 - Mot de bienvenue de Sylvie Leroy, Bâtonnier du barreau de Chartres
9h30 - Intervention de Joël Alexandre, Président de la Chambre de commerce et d'industrie d'Eure-et-Loir
9h45 - Allocution de Bernard Benhamou, Délégué général aux usages de l'internet, ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche
10h00 - L'impact de l'internet sur le droit du travail : Thierry Tonnellier, Juriste spécialiste du droit de l'internet, Chargé d'enseignement à l'Université Panthéon-Assas ; François-Xavier Huille, Président du MEDEF Eure-et-Loir et Mathieu Jouanny, Directeur des Ressources Humaines, FCI Automotive France. Modérateur : Claire Ginisty-Morin, Avocat au barreau de Chartres
11h00 - L'impact d'internet sur le management : Anthony Poncier, Consultant-Directeur au sein du cabinet Useo
11h15 - L'addiction, comment se protéger ? : Bertrand Vachey, Psychiatre, spécialiste des addictions à internet ; Patrick Meynier, Commissaire divisionnaire, Directeur de la direction départementale de la sécurité publique d'Eure-et-Loir et Justine Atlan, Directrice d'e-Enfance. Modérateur : Alain Malet, ancien Bâtonnier du barreau de Chartres.
12h00 - Clôture des travaux par Jean Seither, Président du tribunal de grande instance de Chartres
12h30 - Buffet (sur réservation)
14h15 - Intervention de Nicolas Houx, Juge d'instruction au tribunal de grande instance de Evreux
14h30 - La fraude, une escroquerie répandue sur internet : Thierry Tonnellier ; Michel Hacault, Directeur Audit Inspection du Crédit Mutuel et Nicolas Houx, Juge d'instruction. Modérateur : Anne-Gaëlle Le Roy, Avocat au barreau de Chartres
15h30 - La gestion de l'information sur internet : Jean-Paul Pinte, Docteur en sciences de l'information et de la communication, Maître de conférences à l'Université Catholique de Lille
15h45 - L'e-réputation : la destruction ou la valorisation des images d'une personne sur internet : Pascal Lointier, Président du CLUSIF (Club de la sécurité des systèmes d'information français), Conseiller en sécurité de l'information (AIG Europe) ; Thierry Tonnellier et Jean-Paul Pinte. Modérateur : Isabelle Guerin, Avocat au barreau de Chartres
16h30 - La protection de la vie privée : obligations légales, filtrage du courrier électronique, correspondance privée, réseaux sociaux : Pascal Lointier ; Jean-Paul Pinte et Thierry Tonnellier. Modérateur : Odile Bordier, ancien Bâtonnier du barreau de Chartres
18h00 - Questions/Réponses
18h30 - Cocktail

  • Date

Jeudi 9 juin 2011
9h00-18h30

  • Lieu

Chambre de commerce et d'industrie d'Eure-et-Loir
5 bis avenue Marcel Proust
28 000 Chartres

  • Contact

Louise Monnot
lmonnot@lexposia.com
01 44 83 66 72

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Libertés publiques

[Questions à...] Opération "QPC" sur les contrôles d'identité au faciès - Questions à Jérôme Karsenti, Président de la section SAF de Créteil, avocat au barreau du Val-de-Marne

Lecture: 6 min

N4202BSG

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par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition publique et Anne-Lise Lonné, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition privée

Le 08 Juin 2011

Le 23 mai 2011, a été lancée, par un collectif d'une cinquantaine d'avocats, à l'initiative du Syndicat des avocats de France (SAF) et pour une durée de quinze jours, une action dans la plupart des grands barreaux français visant à déposer des questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) portant sur l'article 78-2 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L7648IPX), dès lors que des cas de contrôle d'identité visiblement arbitraires se présenteraient. A ce jour, plusieurs QPC ont déjà été transmises à la Cour de cassation. Pour en savoir plus sur cette opération, Lexbase Hebdo - édition privée et Lexbase Hebdo - édition publique ont rencontré Jérôme Karsenti, Président de la section SAF de Créteil, avocat au barreau du Val-de-Marne, qui a accepté de répondre à nos questions. Lexbase : Pouvez-vous nous préciser dans quel contexte cette opération a été menée ?

Jérôme Karsenti : Cela fait un certain nombre d'années que nous réfléchissons, en tant qu'avocats, au problème des discriminations au faciès, notamment commises par les services de police, et, par conséquent, à la mise en place d'un outil juridique de lutte contre cette discrimination. Après les émeutes de 2005, est née une Commission "Discriminations" au sein du SAF. Il nous est apparu que la problématique essentielle de ces émeutes se situait dans le fait, pour une partie des habitants de ces quartiers, d'avoir perdu le sentiment d'appartenir à la communauté nationale, et que cela était probablement mêlé à un sentiment de discrimination. Cette discrimination est ressentie au niveau de l'accès à un logement décent, de l'accès à l'école, et de l'accès aux services. Elle apparaît également au niveau des contrôles d'identité, les jeunes de ces quartiers pouvant se faire contrôler plusieurs fois dans la journée. Ces contrôles systématiques, arbitraires et discriminatoires participent du sentiment d'être rejetés et de ne pas faire partie de la communauté nationale.

C'est ainsi que la fondation Open Society, financée par le philanthrope américain Georges Soros, qui investit beaucoup d'argent dans le monde entier dans la lutte contre les discriminations, a réalisé, en 2009, un premier rapport sur cette question, à vocation scientifique, en collaboration avec le CNRS. Il s'agissait d'un "testing" géant réalisé sur plusieurs semaines, qui s'était déroulé Gare du Nord. Cette opération avait permis de démontrer que les personnes qui étaient "perçues" d'origine maghrébine ou de couleur noire, avaient entre trois et neuf fois plus de risques d'être contrôlées que les autres.

Dans ce prolongement, les avocats du SAF ont organisé, en collaboration avec Open society, dans le cadre du colloque annuel de droit pénal qui se tient à Bobigny, un colloque sur la thématique "Contrôles d'identité, contrôle au faciès : les nouveaux moyens de défense". Nous avions effectivement le sentiment que, dans le cadre des comparutions immédiates, les procédures qui dégénéraient en outrages et rébellion avaient pour origine des contrôles d'identité au faciès. Avec le rapport d'Open society, nous sommes partis de ce constat empirique et scientifique, pour réfléchir aux moyens et aux outils juridiques de lutte contre ces contrôles d'identité au faciès. C'est ainsi que nous avons réfléchi à démontrer en quoi les dispositions de l'article 78-2, alinéas 1, 2, 3 et 4 du Code de procédure pénale, pouvaient être anticonstitutionnelles afin de soulever les questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) correspondantes.

La fondation Open society, qui finance l'opération, a pu demander les conseils d'un constitutionnaliste, Dominique Rousseau, qui a réalisé une consultation servant de base à la rédaction de la QPC. Cette QPC a été corédigée par Maxime Cessieu, du SAF, en charge de la Commission pénale, par le cabinet de William Bourdon, et quelques autres cabinets parisiens. Il s'agit, donc, d'une action collective.

A partir de la rédaction de cette QPC, nous avons, ensuite, mis en place la stratégie de mise en oeuvre qui était fondée, à la fois, sur l'effet de surprise, sur une durée de temps déterminée (quinze jours) et sur des moyens conséquents, puisque nous avons pu compter sur une cinquantaine d'avocats pour couvrir à peu près tous les tribunaux que l'on avait sélectionnés, ainsi que sur une communication médiatique nous permettant d'accréditer et de "populariser" cette action.

Les différents tribunaux qui sont partie prenante sont ceux de Paris, Versailles, Nanterre, Créteil, Meaux, Lille, Lyon et Marseille. Concrètement, les avocats du collectif examinent toutes les procédures chaque jour et formulent une QPC pour celles qui sont fondées sur les dispositions de l'article 78-2. A ce jour, nous avons obtenu la transmission à la Cour de cassation de plusieurs QPC.

Lexbase : En quoi soutenez-vous que les dispositions de l'article 78-2 sont-elles anticonstitutionnelles ?

Jérôme Karsenti : Nous estimons que les quatre premiers alinéas de l'article 78-2 sont sujets à QPC et nous avons développé quatre moyens à l'appui de ces QPC. Le premier principe qui nous paraît être violé est celui de l'intelligibilité et de l'accessibilité de la loi. Avant la réforme issue de la loi n° 2003-239 du 18 mars 2003, pour la sécurité intérieure (N° Lexbase : L9731A9B), la justification du contrôle reposait sur la notion "d'indices graves et concordants" qui est une notion objective. La loi du 18 mars 2003 a modifié ces dispositions par des "raisons plausibles de soupçonner que".

Ainsi que nous l'expliquons dans nos moyens, "le remplacement de la condition d'un véritable 'indice' par de simples 'raisons de soupçonner' consiste donc à substituer un élément matériel objectif (l'indice) par la subjectivité du contrôleur. La rédaction de ces dispositions ouvre donc la porte à une application complètement arbitraire. La réalité des faits, au fondement du contrôle d'identité, a ainsi disparu au profit d'une appréciation subjective et par ailleurs invérifiable, de l'officier de police judiciaire. Une telle imprécision de rédaction rompt de ce fait la nécessaire conciliation entre la prévention des délits et des crimes, d'une part, et la protection des libertés constitutionnelles, d'autre part. La marge d'appréciation laissée aux autorités de l'Etat est en effet absolue et générale : elle n'est nullement conditionnée ni encadrée, alors même qu'elle affecte le droit à un recours effectif, la liberté d'aller et venir du citoyen ainsi que son droit à la sûreté".

S'agissant de "la liberté d'aller et de venir", le Conseil constitutionnel a déjà été amené à préciser que le principe de "la liberté d'aller et de venir" n'était pas bafoué par un contrôle d'identité, dès lors que celui-ci est justifié "par l'exigence liée à la recherche des auteurs d'infraction et à la prévention d'atteintes à l'ordre public" (Cons. const., décision n° 80-127 DC du 20 janvier 1981 N° Lexbase : A8028ACC). Toutefois, nous poursuivons notre analyse en soutenant qu'à partir du moment où la justification du contrôle d'identité repose sur une notion totalement subjective, ce contrôle n'entre plus dans le cadre d'un équilibre "sûreté/liberté" et la disproportion emporte, de ce fait, une violation de la liberté d'aller et venir.

Le troisième principe qui est violé, et qui à mon sens, est au coeur du sujet, est celui du droit à un recours effectif. Le principe constitutionnel est que tout acte ou tout fait doit être soumis au contrôle du juge. Or, le contrôle d'identité est un acte de police qui est finalement insusceptible de recours.

En effet, lorsque nous intervenons en tant qu'avocat, c'est parce que le contrôle d'identité a donné lieu à une poursuite, autrement dit qu'il aura dégénéré ou que la personne n'était pas en règle. Mais il faut se rendre compte que, dans 90 % des cas, le contrôle d'identité ne donne lieu à aucune poursuite ; il s'agit donc d'un acte de police invisible, qui ne peut pas être soumis au contrôle du juge. Et c'est précisément ce type de contrôle, qui n'aura donné lieu à aucune poursuite, qui apparaît comme étant le plus insultant et le plus insupportable.

Le dernier moyen repose sur le fameux principe d'égalité devant la loi. Nous visons ici les rapports qui ont été rendus par le CNRS, et par Open society et dont les résultats montrent que les personnes étant perçues comme "noires" et celles étant perçues comme "arabes" ont été contrôlées de manière disproportionnée par rapport aux personnes perçues comme "blanches". Cette étude démontre que les pratiques quotidiennes des services de police sont, consciemment ou non, discriminatoires et fondées non pas sur des éléments objectifs, mais sur l'apparence de la personne contrôlée. Cette pratique discriminatoire est naturellement rendue possible par la formulation même de l'article 78-2 du Code de procédure pénale et l'absence de garantie procédurale suffisante.

Lexbase : Que préconisez-vous pour rendre la pratique des contrôles d'identité en conformité avec l'ensemble de ces principes constitutionnels ?

Jérôme Karsenti : Nous demandons très simplement que soit adopté un système proche du système britannique, lequel prévoit, pour tout contrôle, la délivrance de "stop form" (littéralement formulaires d'arrêt) sur lesquels doivent figurer la date, l'heure, le motif et le fondement juridique du contrôle. Ce système permet, d'une part, d'éviter les contrôles abusifs à répétition, et d'autre part, si tel est le cas, de donner un élément objectif pour vérifier que le contrôle a été réalisé de manière régulière ou pas. Il s'agirait donc de formaliser la procédure, afin qu'il y ait une traçabilité des motifs et du moment.

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Procédure pénale

[Chronique] La chronique de procédure pénale de Guillaume Beaussonie et Madeleine Sanchez, docteurs en droit, membres du Laboratoire Wesford et de l'Institut de droit privé de l'Université Toulouse I - Capitole (EA 1920) - Juin 2011

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N4093BSE

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Le 08 Juin 2011

Sans véritable surprise, la procédure pénale est en ébullition : réforme de la garde à vue bien sûr, qui n'empêche pas la jurisprudence d'apporter les précisions qui s'imposent, par exemple en soulignant que le juge pénal ne peut fonder sa décision sur un aveu recueilli lors d'une garde à vue hors la présence d'un avocat, lorsque celui-ci a été par la suite rétracté (Cass. crim., 11 mai 2011, n° 10-84.251, FS-P+B+R+I) ; résistance plus ou moins prévisible du Conseil constitutionnel qui, non seulement, ne sanctionne pas l'absence de motivation des arrêts de cours d'assises, mais aussi, déclare conformes à la Constitution les articles 393 et 803-2 du Code de procédure pénale (Cons. const., décision n° 2011-125 QPC, du 6 mai 2011) ; audace de ce dernier, au contraire, dans la poursuite de l'instauration d'une égalité pourtant polémique entre les parties du procès pénal (Cons. const., décision n° 2011-112 QPC, du 1er avril 2011). Enfin, comment ne pas revenir sur le refus de la Cour de cassation de transmettre au Conseil constitutionnel la notoire question prioritaire de constitutionnalité relative à la prescription de l'action publique (Ass. plén., 20 mai 2011, 4 arrêts, n° 11-90.025, n° 11-90.032, n° 11-90.033 et n° 11-90.042, P+B+R+I) ? I. La méfiance envers l'aveu
  • Ne peut fonder une déclaration de culpabilité l'aveu réalisé sans la possibilité d'être assisté par un avocat (Cass. crim., 11 mai 2011, n° 10-84.251, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A1160HRE)

Le 11 mai 2011, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a rendu une décision importante en matière probatoire. Elle a jugé qu'une déclaration de culpabilité ne pouvait se fonder "sur des déclarations enregistrées au cours de la garde à vue par lesquelles la personne a contribué à sa propre incrimination sans avoir pu être assistée par un avocat, et ensuite rétractées". La procédure s'étant déroulée en 2007, ces aveux avaient été réalisés sans l'assistance d'un avocat.

Le recueil et la force de l'aveu dans le système probatoire sont remis en question par cet arrêt. Néanmoins, sa solution ne doit pas surprendre. L'arrêt du 11 mai 2011 n'est que l'aboutissement de modifications progressives concernant le traitement de l'aveu réalisé durant la phase préparatoire de la procédure.

Quelques semaines auparavant, la loi n° 2011-392 du 14 avril 2011, relative à la garde à vue, précisait la nature essentiellement probatoire de cette dernière, qui se déduit des objectifs qu'elle est supposée remplir, comme "permettre l'exécution des investigations impliquant la présence ou la participation de la personne" ou "empêcher que la personne ne modifie les preuves ou indices matériels" (1). Le législateur prenait surtout de nouvelles dispositions, destinées à protéger davantage le gardé à vue. Ce faisant, il encadrait l'une des preuves les plus recherchées au moyen de cette privation temporaire de liberté : l'aveu.

En effet, même si l'aveu n'est qu'un mode de preuve parmi d'autres, comme en atteste l'article 428 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3262DGW), en vertu duquel "l'aveu, comme tout élément de preuve, est laissé à la libre appréciation des juges", il bénéficie d'un poids considérable dès son recueil. C'est cette puissance, contestée de longue date, que la loi du 14 avril 2011, relative à la garde à vue, tend à neutraliser dans certaines circonstances. A cette fin, elle complète, dès son premier article, l'article préliminaire troisièmement du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L8532H4R) par un alinéa ainsi rédigé : "En matière criminelle et correctionnelle, aucune condamnation ne peut être prononcée contre une personne sur le seul fondement de déclarations qu'elle a faites sans avoir pu s'entretenir avec un avocat et être assistée par lui" (2).

Les déclarations concernées englobent celles faites devant un juge d'instruction ou devant une juridiction de jugement mais, dans ces hypothèses, la présence de l'avocat est suffisamment organisée par les dispositions du Code de procédure pénale pour que l'alinéa nouveau s'adresse en réalité principalement aux déclarations recueillies à l'occasion de la garde à vue. Antérieurement aux arrêts d'Assemblée plénière du 15 avril 2011 (3) et à la loi du 14 avril 2011 dont l'entrée en vigueur anticipée a été sollicitée par voie de circulaire, de telles déclarations étaient alors nécessairement réalisées hors la présence d'un avocat, le défenseur n'étant pas présent durant les auditions de son client.

Par l'arrêt du 11 mai 2011, la Chambre criminelle procède donc à l'application immédiate de la théorie consacrée par le nouvel alinéa de l'article préliminaire du Code de procédure pénale : la théorie de la corroboration. Cette dernière consiste à exiger la corroboration d'une preuve jugée trop fragile pour fonder une condamnation pénale (4). Déjà prévue par la loi aux sujets des déclarations anonymes ou émanant de repentis (5), et par la jurisprudence dans d'autres hypothèses (6), elle est logiquement étendue aux déclarations du gardé à vue recueillies sans pouvoir bénéficier de l'assistance d'un avocat.

"Logiquement" parce que les impératifs de la jurisprudence européenne ne laissaient pas d'autres choix à la France. En effet, la Cour européenne avait déjà posé l'exigence de corroboration dans cette situation précise par l'arrêt "Salduz contre Turquie", point de départ des bouleversements actuels de la garde à vue. Elle a, en effet, décidé qu'il "est en principe porté une atteinte irrémédiable aux droits de la défense lorsque des déclarations incriminantes faites lors d'un interrogatoire de police subi sans assistance possible d'un avocat sont utilisées pour fonder une condamnation" (7).

Une décision de la cour d'appel de Nancy, en date du 19 janvier 2010 (8), faisait déjà usage de l'exigence de corroboration dans la situation concernée, refusant d'annuler la garde à vue des intéressés parce que les procès-verbaux d'audition recueillis pendant celle-ci avaient été écartés des débats et n'avaient donc pas porté atteinte de façon irrémédiable à leur droit de se défendre. Deux arrêts de la Chambre criminelle de la Cour de cassation des 4 et 18 janvier 2011 optaient pour une solution similaire (9). Précédée par l'avant-projet du futur Code de procédure pénale (10), la loi n° 2011 du 14 avril 2011 l'a solennellement consacrée dans l'article préliminaire du Code de procédure pénale.

La Chambre criminelle n'a fait que l'appliquer à son tour dans la décision du 11 mai 2011 commentée.

Le rejet de l'aveu réalisé sans possibilité d'être assisté d'un défenseur et non corroboré par d'autres éléments de preuve rassure sans doute ceux qui redoutent l'aveu. Le système français d'intime conviction permet déjà d'écarter une preuve jugée trop fragile, en ne lui accordant aucune force probante, mais il ne suffit pas à se conformer à la solution imposée par la Cour de Strasbourg.

Cette solution a, néanmoins, une conséquence redoutable pour le gardé à vue. Elle rend la remise en cause de l'aveu particulièrement ardue lorsqu'il est réalisé en présence d'un conseil, alors que ce dernier n'a pour l'instant pas les moyens d'établir une véritable stratégie de défense avec son client et qu'il intervient, en toute hypothèse, en urgence.

Madeleine Sanchez, docteur en droit, IDP UT1 (EA 1920)

II. La confiance envers le Ministère public

  • Sont conformes à la liberté individuelle et aux droits de la défense les articles 803-2 (N° Lexbase : L5728DYS) et 393 (N° Lexbase : L3799AZQ) du Code de procédure pénale, qui organisent le défèrement d'une personne devant le procureur de la République à l'issue de sa garde à vue, sous réserve que le procureur ne consigne pas les déclarations de la personne déférée dans le procès-verbal de comparution (Cons. const., décision n° 2011-125 QPC, du 6 mai 2011 N° Lexbase : A7885HPQ)

La comparution immédiate, procédure pénale expéditive, ne pouvait échapper à la question prioritaire de constitutionnalité. C'est, cependant, dans une bien petite mesure qu'elle s'y soumet en l'espèce, puisqu'il n'était demandé au Conseil constitutionnel que de se prononcer sur la rencontre ayant lieu entre le procureur de la République et la personne venant de faire l'objet d'une garde à vue, lorsque a été décidée par celui-là la comparution devant un juge de celle-ci. Il ne s'agit alors, en principe, que d'informer la personne mise en cause de l'orientation procédurale programmée par le Ministère public, ainsi que des droits dont elle va conséquemment disposer. Pour cette raison, la loi n'impose pas que l'avocat soit présent lors de ce défèrement.

Que retenir de cette décision ? Tout d'abord, il n'y a rien d'inconstitutionnel, d'une part, à placer sous le contrôle du Ministère public -qui s'inscrit donc au sein de l'autorité judiciaire (11)- la personne qui a fait l'objet d'une garde à vue et qui est désormais destinée à être renvoyée, dans la journée, devant une juridiction d'instruction ou de jugement. En effet, si rien ne s'oppose à ce qu'une telle personne soit, en vertu de l'article 803-3 du Code de procédure pénale, privée de liberté durant vingt heures sous le seul contrôle du Ministère public (12), a fortiori rien ne s'oppose à ce qu'elle le soit, en vertu de l'article 803-2 du même code, durant un temps moins important. Bien curieux raisonnement que de faire de l'exception (13) la justification du principe ! L'analogie a ses raisons que la raison ne connaît point.

D'autre part, il n'y a rien d'inconstitutionnel non plus à ce que l'avocat de la personne déférée ne soit pas convié à participer à cette rencontre, et à ce que cette dernière n'ait pas encore, à ce stade, accès à son dossier. En effet, si l'essor du droit à l'assistance effective d'un avocat est une circonstance de droit qui justifie le réexamen de l'article 393 du Code de procédure pénale (14), le défèrement n'a pour objet que de permettre au Ministère public d'informer la personne mise en cause du choix qui a été fait relativement à l'action publique. En revanche, précise le Conseil constitutionnel, le procureur de la République ne doit pas profiter de cette situation pour interroger la personne et, par là même, consigner les déclarations de celle-ci sur les faits qui font l'objet de la poursuite, dans le procès-verbal mentionnant les formalités de la comparution. Cette relativisation de l'enjeu du défèrement souffre quand même du maintien de la possibilité, pour la personne bientôt poursuivie, de faire des déclarations spontanées : outre que seul un avocat permettrait à ces déclarations d'avoir la pertinence suffisante pour être utilisables d'un point de vue procédural, à quoi bon pouvoir les faire si elles ne sont finalement pas consignées dans le procès-verbal ?

Ensuite et enfin, le raisonnement mené par le Conseil constitutionnel dans cette décision, fût-il très succinct, mérite que l'on s'y arrête. En conséquence du succès de la question prioritaire de constitutionnalité en matière pénale, un corps décisionnel important s'est déjà formé, auquel le Conseil se réfère volontiers pour fonder ses solutions. En l'espèce, c'est la mobilisation de deux décisions rendues en 2010 qui constitue le coeur de sa motivation. Plus que jamais, à l'instar de ce qui s'est passé hier avec la Cour européenne des droits de l'Homme, il va aujourd'hui falloir compter avec la jurisprudence du Conseil constitutionnel.

Guillaume Beaussonie, docteur en droit, IDP UT1 (EA 1920), Laboratoire Wesford

III. La recherche d'égalité

  • Est contraire "à l'équilibre entre les parties au procès pénal dans l'accès de la voie du recours en cassation" l'article 618-1 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3993AZW) qui offre à la seule partie civile un droit au remboursement des frais irrépétibles (Cons. const., décision n° 2011-112 QPC, du 1er avril 2011 N° Lexbase : A1900HMC)

Les atteintes à l'égalité des parties au procès pénal sont parfois censurées au moyen d'un contrôle de conventionnalité, sur le fondement de l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L7558AIR) qui protège l'égalité des armes (15). En l'espèce, c'est grâce à une question prioritaire de constitutionnalité que le Conseil constitutionnel sanctionne une disposition à l'origine d'une rupture d'égalité au détriment du mis en cause et au profit de la partie civile.

L'inégalité provient de l'article 618-1 du Code de procédure pénale, en vertu duquel "la Cour [de cassation] condamne l'auteur de l'infraction à payer à la partie civile la somme qu'elle détermine, au titre des frais non payés par l'Etat et exposés par celle-ci". Alors que la charge des frais de défense peut être, à l'occasion de toute autre procédure, imposée au perdant, devant la Cour de cassation, seule la partie civile bénéficie d'une telle faveur. En effet, aucune disposition équivalente n'existe au profit du mis en cause. C'est cette lacune que vient sanctionner le Conseil constitutionnel. En rappelant qu'"aucune disposition constitutionnelle n'impose qu'une partie au procès puisse obtenir du perdant le remboursement des frais qu'elle a exposés en vue de l'instance" dans sa décision du 1er avril 2011, il préfère refuser ce droit aux deux parties, plutôt que de ne l'accorder qu'à l'une d'elles.

Néanmoins, le Conseil constitutionnel reporte au 1er janvier 2012 la date de l'abrogation de l'article 618-1 du Code de procédure pénale afin de laisser au législateur le soin de décider de la meilleure solution à adopter en la matière.

Cette décision pourrait être l'occasion d'harmoniser le dispositif existant, actuellement très éclaté, alors que l'insertion d'un texte unique dans le titre consacré aux frais de justice, comme l'est aujourd'hui l'article 800-2 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L4263AZW), consacré à un problème similaire, suffirait à englober l'ensemble des hypothèses prévues par de multiples textes aujourd'hui.

En effet, actuellement, la partie civile peut obtenir le remboursement des frais irrépétibles de la part du condamné sur le fondement de dispositions propres à chaque juridiction concernée (16). Cette faculté lui a été ouverte, lors de la procédure suivie devant la Cour de cassation, par la loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 (N° Lexbase : L0618AIQ). C'est la même loi qui a offert au mis en cause bénéficiant d'un non-lieu, d'une relaxe ou d'un acquittement le même droit au remboursement, en principe payé par l'Etat, ce dernier pouvant mettre l'indemnité à la charge de la partie civile sous certaines conditions (17). Il est regrettable que l'extension du droit au remboursement réalisé par cette loi n'ait pas été l'occasion de l'harmonisation aujourd'hui nécessaire.

Madeleine Sanchez, docteur en droit, IDP UT1 (EA 1920)

IV. Le statu quo en matière de prescription de l'action publique

Si l'on se doutait que, jouant son rôle de filtre, la Cour de cassation ne pourrait s'abstenir de contrôler elle-même la constitutionnalité des dispositions qui lui étaient soumises à cette fin, jamais cela n'était apparu avec autant d'évidence que dans les quatre arrêts rendus par l'Assemblée plénière de la Cour de cassation le 20 mai 2011. Le contexte de ces décisions est bien connu de tous : un ancien maire de Paris, par la suite devenu président de la République -en matière de prescription de l'action publique, la précision est d'importance-, est poursuivi pour différentes infractions commises il y a plus de quinze ans, soit bien après le délai de principe de trois ans fixé, en la matière, par l'article 8 du Code de procédure pénale. Lors du procès enfin ouvert, trois questions prioritaires de constitutionnalité sont posées, contestant la conformité à la Constitution, d'une part, de l'extension, par le biais du mécanisme de la connexité, des effets d'un acte interruptif de prescription d'une infraction donnée à d'autres infractions et, d'autre part, du report du point de départ de la prescription de certaines infractions, dites clandestines ou occultes, au jour de leur apparition dans des conditions permettant l'exercice de l'action publique. A ces trois questions, s'ajoute opportunément celle posée par une personne mise en examen pour assassinat et recel de vol avec arme, le jeu de la connexité ayant seul permis, malgré la gravité des faits, l'ouverture des poursuites à son encontre.

Ce particulier intérêt de la Cour de cassation pour de telles questions n'étonne guère : de différentes façons, sa Chambre criminelle a effectivement démontré une hostilité manifeste envers l'idée que l'on se doit d'oublier une infraction qui semble pourtant avoir été commise (18), à tel point que l'on peut même déceler, dans la réforme de la prescription civile, quelques influences de la jurisprudence pénale (19). Les trois techniques utilisées par la Cour sont les suivantes : profiter de l'absence de définition légale des causes d'interruption et de suspension pour en promouvoir la conception la plus extensive ; utiliser le mécanisme de la connexité afin de faire d'une infraction déjà prescrite une infraction qui ne l'est plus, en raison du lien étroit qu'elle entretient avec une autre infraction, qui ne l'est pas encore ; reporter le point de départ de la prescription. Si l'exemple le plus caricatural de ce phénomène réside certainement dans la perception d'un simple soit-transmis comme acte interruptif de prescription (20), seules les deux dernières techniques sont en cause dans les importants arrêts rendus par l'Assemblée plénière le 20 mai 2011.

Nul ne s'offusquerait sérieusement de cette politique jurisprudentielle, celle-ci étant finalement conforme aux volontés de l'opinion publique et, partant, à celles du législateur contemporain si, précisément, il ne s'agissait pas d'une politique jurisprudentielle ; le juge pénal n'a-t-il pas dénaturé des textes qui n'ont jamais eu vocation à être interprétés de la sorte ? La question mérite à ce point d'être posée que, selon le premier requérant, il aurait fallu empêcher la Cour de cassation de se prononcer sur le sujet, c'est-à-dire saisir directement le Conseil constitutionnel de l'interrogation. La Cour de cassation ne pourrait pas, en effet, prétendre à l'impartialité qui s'impose en vertu de l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme, puisqu'il s'agirait alors, pour elle, de se prononcer sur une interprétation dont elle est par ailleurs l'auteur. A cela, la Cour réplique par l'évidence : il n'y a qu'une Cour de cassation, autrement dit pas d'alternative au filtre opérée par cette dernière. Et elle relance par une double négation désormais récurrente qui, quant à elle, n'a rien d'une évidence : "ne portant pas sur l'interprétation d'une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n'aurait pas eu l'occasion de faire application, la question n'est pas nouvelle". Cela signifie que le Conseil constitutionnel a déjà eu l'occasion de se prononcer sur la constitutionnalité des articles 7 et 8 du Code de procédure pénale. Cela est vrai, lesdits articles ayant été modifiés à plusieurs reprises durant ces dernières années (21), mais le Conseil constitutionnel a-t-il déjà eu cette opportunité en ce qui concerne leur interprétation par la Cour de cassation ? Non, sans aucun doute, les interrogations sur le statut constitutionnel de l'interprétation étant, pour l'essentiel, relativement récentes (22).

Le problème de leur nouveauté mis à part, la Cour de cassation examine le caractère sérieux des questions prioritaires de constitutionnalité dont la présence permettrait, à elle seule, un renvoi devant le Conseil constitutionnel. Toutefois, il n'existe d'abord pas, selon lui, de "principe de prescription de l'action publique" à valeur constitutionnelle, soit qu'il s'agisse d'en faire un PFLR, soit que ce principe procède des articles 7 (N° Lexbase : L1371A9N) et 8 (N° Lexbase : L1372A9P) de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen. L'affirmation n'est pas sans rappeler celle qui concernait le principe d'indisponibilité de l'action publique (23). Au final, tout ce qui semble se rapporter à l'action publique paraît avoir vocation à rester en dehors de la Constitution. Peut-être est-ce là l'aveu d'une sorte de vide constitutionnel en la matière, ou peut-être s'agit-il plutôt de la marque -de plus en plus évidente- de l'existence d'une large méconnaissance, par tous, de ce que constitue vraiment l'action publique.

Ensuite, selon l'Assemblée plénière de la Cour de cassation, l'exigence de prévisibilité de la loi n'est pas heurtée, puisque "les règles relatives au point de départ de la prescription de l'action publique et à l'incidence que la connexité des infractions peut exercer sur elle, sont anciennes, connues, constantes et reposent sur des critères précis et objectifs". Ces "règles" s'entendant nécessairement, notamment par la référence faite à la constance, de la jurisprudence tout autant que de la loi, il s'agit là, pour le moins, d'une consécration constitutionnelle d'une conception matérielle de la loi, similaire à celle prônée depuis longtemps par la Cour européenne des droits de l'Homme (24).

Au regard de ce même impératif de légalité, dont on ne soulignera jamais assez à quel point il est important en droit pénal, la Cour de cassation précise que l'exclusivité de la compétence légale en matière pénale, telle qu'elle résulte des articles 8 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen et 34 de la Constitution (N° Lexbase : L0860AHC), n'est pas remise en question. Parle-t-on, alors, de la loi au sens formel ou au sens matériel du terme ? Renvoyant, quant à eux, directement à la source, lesdits articles ne peuvent s'appliquer que pour défendre une conception formelle de la loi, dont il n'est pas sûr qu'elle soit véritablement promue par ces arrêts du 20 mai 2011.

A cela s'ajoute que la Cour de cassation agrée la consécration d'un nouveau corollaire du principe de légalité, qui résulterait de la fin de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen, et que les requérants semblent assimiler au principe de l'interprétation stricte ou au principe de sécurité juridique : le principe d'"application légale de la loi". Ne l'identifiant pas vraiment elle non plus, la Cour répond que l'exigence d'une loi légalement appliquée "est satisfaite par le droit à un recours effectif devant une juridiction, qui découle de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen (N° Lexbase : L1363A9D)". Voilà qui n'est pas très clair et qui démontre que, même sur ce que tout le monde croit connaître, en l'occurrence le principe de légalité, il reste encore quelques éclaircissements à apporter (25).

Enfin, suivant l'incitation de l'un des requérants, la Cour de cassation est amenée à reconnaître que, ni la présomption d'innocence, ni le principe d'égalité devant la loi, ne sont remis en cause par les articles 7, 8 et 9 du Code de procédure pénale. On peut, au moins, concéder à la Cour que le problème se situe sans aucun doute ailleurs.

Guillaume Beaussonie, docteur en droit, IDP UT1 (EA 1920), Laboratoire Wesford


(1) C. pr. pén., art. 62-2 nouveau (N° Lexbase : L9627IPA).
(2) Souligné par nous.
(3) Ass. plén., 15 avril 2011, 4 arrêts, n° 10-17.049 (N° Lexbase : A5043HN4), n° 10-30.242 (N° Lexbase : A5044HN7), n° 10-30.313 (N° Lexbase : A5050HND) et n° 10-30.316 (N° Lexbase : A5045HN8), sur lesquels lire, par exemple, Romain Ollard, Le droit à un procès équitable justifie la mise à mort immédiate et sans délai du régime de la garde à vue, Lexbase Hebdo n° 437 du 28 avril 2011 - édition privée (N° Lexbase : N0626BSY).
(4) Sur ce point, voir notre thèse, Contribution à l'étude de la preuve pénale, Université Toulouse I - Capitole, 2010, nos 376 et s..
(5) C. pr. pén., art. 706-62 (N° Lexbase : L4521AZH), pour les déclarations du témoin anonyme ; C. pr. pén., art. 706-24 (N° Lexbase : L0888HHD) et 706-87 (N° Lexbase : L5768DYB), pour les déclarations des officiers ou agents de police judiciaire ayant agi sous une identité d'emprunt, en matière de terrorisme ou de criminalité organisée ; C. pén., art. 132-78, al. 4 (N° Lexbase : L0432DZZ), pour les repentis.
(6) Par exemple, au sujet d'un enregistrement clandestin dans l'affaire dite des "paillotes corses", voir Cass. crim., 13 octobre 2004, n° 03-81.763, FS-P+F (N° Lexbase : A6196DDT), Bull. crim., n° 243 ; RPDP, 2005, p. 410, obs. C. Ambroise-Casterot.
(7) CEDH, 27 novembre 2008, Req. 36391/02 (N° Lexbase : A3220EPX), § 55. Voir également CEDH, 2 mars 2010, Req. 54729/00 (N° Lexbase : A9713ESK), §§ 82-92.
(8) CA Nancy, 4ème ch., 19 janvier 2010, n° 09/01766 (N° Lexbase : A7916EQA).
(9) Cass. crim., 4 janvier 2011, n° 10-85.520, F-P+B+I (N° Lexbase : A7671GPS) ; Cass. crim., 18 janvier 2011, n° 10-83.750, F-P+B+I (N° Lexbase : A8612GQZ), sur lesquels voir notre chronique, Lexbase Hebdo n° 434 du 31 mars 2011 - édition privée (N° Lexbase : N7686BR4).
(10) Il prévoyait un article 113-4 ainsi libellé : "En matière criminelle et correctionnelle, aucune condamnation ne peut être prononcée contre une personne sur le seul fondement des déclarations qu'elle a faites sans avoir été en mesure de bénéficier de l'assistance d'un avocat".
(11) Voir nos différentes remarques à cet égard dans nos précédentes chroniques : Lexbase Hebdo n° 427 du 10 février 2011 - édition privée (N° Lexbase : N3516BRN) et Lexbase Hebdo n° 434 du 31 mars 2011 - édition privée (N° Lexbase : N7686BR4).
(12) Voir Cons. const., 17 décembre 2010, décision n° 2010-80 QPC (N° Lexbase : A1872GNN) et nos observations in Chronique de procédure pénale, Lexbase Hebdo n° 427 du 10 février 2011 - édition privée (N° Lexbase : N3516BRN).
(13) L'article 803-3 du Code de procédure pénale précise, en effet, qu'il ne s'applique qu'"en cas de nécessité et par dérogation aux dispositions de l'article 803-2".
(14) Sur ce changement de circonstance de droit, voir la décision notoire relative à la garde à vue à laquelle le Conseil constitutionnel se réfère expressément en l'espèce : décision n° 2010-14/22 QPC du 30 juillet 2010 (N° Lexbase : A4551E7P).
(15) Voir, par exemple, Cass. crim., 17 septembre 2008, n° 08-80.598, F-P+F (N° Lexbase : A5071EA3), censurant le droit d'appel plus long du procureur général sur ce fondement.
(16) C. pr. pén., art. 216, al. 2 (N° Lexbase : L3600AZD) devant les juridictions d'instruction ; C. pr. pén., art. 543 (N° Lexbase : L3299IQA) devant le tribunal de police ; C. pr. pén., art. 475-1 (N° Lexbase : L3915HWW) et 512 (N° Lexbase : L4412AZG) devant les juridictions correctionnelles ; C. pr. pén., art. 375 (N° Lexbase : L3770AZN) devant la cour d'assises ; enfin, C. pr. pén., art. 618-1 (N° Lexbase : L3993AZW), désormais en sursis, devant la Cour de cassation.
(17) C. pr. pén., art. 800-2 (N° Lexbase : L4263AZW). Sur cette disposition, voir l'étude d'Olivier Mouysset, La charge des frais de défense de la personne renvoyée des fins de la poursuite, Droit pénal, 2006, étude n° 1.
(18) Sur cette importante question, voir la thèse de Madeline Royo, Contribution à l'étude de la prescription de l'action publique, thèse, Toulouse I, 2010.
(19) Par exemple, voir C. civ., art. 2227 nouveau (N° Lexbase : L7182IAA) : "Le droit de propriété est imprescriptible. Sous cette réserve, les actions réelles immobilières se prescrivent par trente ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer".
(20) Voir surtout Cass. crim., 20 février 2002, n° 01-85.042, FS-P+F+I (N° Lexbase : A0295AYL), Bull. crim., n° 42. Cet exemple est assurément caricatural car, s'il démontre sans conteste la volonté de la Cour de cassation de ne rien faire pour faciliter la prescription d'une infraction, la systématisation de cette jurisprudence conduit davantage à reconnaître sa logique que sa souplesse. Dit autrement, il n'est absolument pas illogique que certains soit-transmis interrompent la prescription de l'action publique.
(21) Voir loi n° 89-487 du 10 juillet 1989, art. 16 (N° Lexbase : L4002IQB) ; loi n° 98-468 du 17 juin 1998, art. 25 et 26 (N° Lexbase : L8570AIA) ; loi n° 2004-204 du 9 mars 2004, art. 72 (N° Lexbase : L1768DP8).
(22) Voir, à ce sujet, notre Chronique de procédure pénale - mars 2011, Lexbase Hebdo n° 434 du 31 mars 2011 - édition privée (N° Lexbase : N7686BR4).
(23) Voir Cons. const., 10 décembre 2010, décision n° 2010-77 QPC (N° Lexbase : A7112GMD) et nos obs. (N° Lexbase : N3516BRN).
(24) Voir, par exemple, CEDH, 24 avril 1990, Req. 7/1989/167/223 (N° Lexbase : A6323AW4), § 29 ; CEDH, 24 avril 1990, Req. 4/1989/164/220 (N° Lexbase : A6324AW7), § 28.
(25) Voir, par exemple, Guillaume Beaussonie, Prolégomènes à l'étude de la force normative de la loi en droit pénal contemporain, in La force normative, naissance d'un concept, ouvrage collectif sous la direction de C. Thibierge, LGDJ-Bruylant, 2009, p. 361.

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Procédures fiscales

[Chronique] Chronique de procédures fiscales - Mai 2011

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N3021BSP

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par Thierry Lambert, Professeur à l'Université Paul Cézanne Aix-Marseille III

Le 08 Juin 2011

Lexbase Hebdo - édition fiscale vous propose de retrouver la chronique d'actualités en procédures fiscales réalisée par Thierry Lambert, Professeur à l'Université Paul Cézanne - Aix-Marseille III. Dans le cadre de cette chronique, notre auteur reviendra sur trois décisions rendues par le Conseil d'Etat : pour commencer, sera analysée une décision traitant de l'obligation pesant sur l'administration fiscale de communiquer au contribuable qui en fait la demande les documents sur lesquels elle fonde une proposition de redressement. Ce principe, fondamental pour le respect du contradictoire, a tout de même des limites. L'une d'elles concerne les documents déposés par une société au tribunal de grande instance, en application d'une obligation légale de les rendre publics. En effet, ces documents étant accessibles au public, l'administration n'a pas à les communiquer (CE 9° et 10° s-s-r., 3 mai 2011, n° 318676, mentionné aux tables du recueil Lebon). Pour continuer, il sera question de l'abus de droit fiscal, dont le Conseil d'Etat écarte l'application lorsque l'administration fiscale nie la qualification de contrat de location pour le requalifier en contrat de crédit-bail (CE 3° s-s., 6 mai 2011, n° 320204, inédit au recueil Lebon). Il faut rappeler la lourdeur de la procédure de l'abus de droit fiscal, qui doit donc être utilisée parcimonieusement, et dans les cas où elle est d'application stricte. Pour finir, notre auteur revient sur l'allongement du délai de reprise à dix ans en cas de révélation d'omission ou d'insuffisance de déclaration lors d'une instance pénale. Cette règle n'impose pas à l'administration d'attendre le verdict du juge répressif pour redresser le contribuable, comme le rappelle le Conseil d'Etat (CE 3° s-s., 6 mai 2011, n° 334301, inédit au recueil Lebon).
  • Communication des documents fondant un redressement au contribuable qui le demande : exclusion des documents déposés par une société au tribunal de grande instance en application d'une obligation légale de les rendre publics (CE 9° et 10° s-s-r., 3 mai 2011, n° 318676, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A0934HQN)

Le contribuable a fait l'objet d'une vérification de comptabilité concernant les bénéfices non commerciaux qu'il a perçus au titre des années 1996 et 1997. A la suite de cette vérification, des rehaussements lui ont été notifiés car l'administration a considéré que celui-ci avait minoré la plus-value réalisée à l'occasion de la cession de titres d'une société anonyme dont il était administrateur.

Le contribuable avait retenu une valeur unitaire de cession de 10 000 francs (1 624,49 euros) alors que le dernier titre côté, à la date du 29 décembre 1995, était seulement de 8 000 francs (1 219,59 euros).

L'administration a fait valoir qu'elle avait retenu la valeur précitée après consultation des comptes de la société déposés au greffe du tribunal de commerce. Ce dépôt, visé par l'article L. 232-23 du Code de commerce (N° Lexbase : L2419IB9), obligatoire pour toute société par actions, permet que les comptes soient annexés au registre du commerce et des sociétés et qu'ils soient rendus accessibles au public.

Il est un principe selon lequel l'administration doit informer le contribuable, quand elle envisage de rehausser ou d'arrêter d'office des bases d'imposition, de l'origine et de la teneur des renseignements obtenus auprès de tiers (LPF, art. L. 76 N° Lexbase : L5568G4Y). En outre, elle communique, avant la mise en recouvrement, une copie des documents au contribuable qui en fait la demande.

Elle doit le faire avant la mise en recouvrement, ce qui permet au contribuable de discuter la provenance de ces documents, mais aussi de demander à ce que ceux-ci soient mis à sa disposition. Soulignons, d'ailleurs, que, pour le Conseil d'Etat, la demande du contribuable peut porter sur tout document utilisé par l'administration pour établir les impositions et, notamment, sur ceux dont elle s'est prévalue pour fonder le redressement, y compris dans la réponse aux observations du contribuable (CE 3° et 8° s-s-r., 7 novembre 2008, n° 300662, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A1738EBY, RJF, 2009, 1, comm. 55). Précisons, enfin, que, pour la Cour de cassation, l'administration a l'obligation de communiquer, à la demande du contribuable, les documents fondant les redressements qu'elle a utilisés pour établir l'imposition, dans leur intégralité, et non les seuls renseignements tirés de ces documents (Cass. com., 9 juin 2009, n° 08-14.806, FS-P+B N° Lexbase : A0698EIP, RJF, 2009, 10, comm. 890).

Rappelons qu'il appartient au contribuable d'établir qu'il a demandé à l'administration la communication des documents en cause avant la mise en recouvrement (CE 8° et 3° s-s-r., 1er mars 2000, n° 181665, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A9255AGU, BDCF, 2000, 50, concl. Arrighi de Casanova).

La doctrine administrative précise que cette obligation d'informer le contribuable sur la teneur des renseignements et documents implique d'exposer, dans la proposition de rectification, le contenu des renseignements et documents utilisés au titre de la motivation des rehaussements. Elle ajoute que l'obligation d'information porte à la fois sur l'origine des renseignements et documents, mais aussi sur les conditions de leur obtention (instruction du 21 septembre 2006, BOI 13 L 6-06 N° Lexbase : X7347ADH).

Ce dispositif, protecteur des droits du contribuable, ne trouve pas à s'appliquer dans l'affaire qui nous occupe. En effet, en l'espèce, les documents sont déposés, en vertu d'une obligation légale, au greffe du tribunal. L'administration peut, sans dommage, les consulter librement. Elle n'en demeure pas moins soumise à l'obligation de motivation des rehaussements proposés.

A suivre le Conseil d'Etat, l'obligation de communication de l'administration ne peut porter que sur les documents originaux, ou les copies de ces documents, effectivement détenus par l'administration fiscale (CE 9° et 10° s-s-r., 14 février 2001, n° 203465, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A8871AQM, RJF, 2001, 5, comm. 648). Au cas où les documents ne sont pas détenus par l'administration, qui en a seulement pris connaissance, mais par un service de police judiciaire ou la bibliothèque nationale par exemple, il appartient à l'administration d'orienter le contribuable vers ces services.

Concernant des données accessibles au public, une cour administrative d'appel a jugé que, dans l'hypothèse où l'administration s'est bornée à consulter une base de données accessible au public, elle peut valablement renvoyer le contribuable à la consultation de cette source d'information, sans être tenue de lui adresser un support écrit des renseignements obtenus (CAA Lyon, 4ème ch., 10 mai 2007, n° 08LY00917, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A5130EXB, RJF, 2007, 11, comm. 1290).

La Haute assemblée règle l'affaire au fond conformément aux dispositions de l'article L. 821-2 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3298ALQ). Il a été jugé que l'administration pouvait consulter les comptes annuels de la société au greffe du tribunal et qu'elle n'était pas tenue d'informer le contribuable de l'origine de cette information.

En conséquence, le contribuable n'est pas fondé à soutenir que la procédure d'imposition est irrégulière.

  • L'administration qui écarte la qualification de contrat de location pour lui préférer celle de crédit-bail, et qui ne se fonde pas explicitement sur l'article L. 64 du LPF, n'a pas à en respecter la procédure ad hoc (CE 3° s-s., 6 mai 2011, n° 320204, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A0935HQP)

Une société anonyme (SA), qui exerce une activité d'imprimerie spécialisée, a conclu avec une autre société un contrat dit "de location financière d'une durée de deux ans portant sur une presse rotative". Le contrat prévoyait le versement d'une première somme, suivie de 23 mensualités.

La SA a fait l'objet d'une vérification de comptabilité. A cette occasion, l'administration a réintégré, dans le résultat de cette société, les mensualités versées en exécution du contrat qui liait les deux entreprises, et qu'elle avait porté dans ses charges au titre de loyers. Pour l'administration, les sommes étaient versées en exécution d'un contrat de vente à tempérament, avec une clause de réserve de propriété. Par conséquent, ces versements ne pouvaient pas être qualifiés de charges déductibles.

Une fois encore se pose la question de la qualification juridique de l'opération au regard de l'article L. 64 du LPF (N° Lexbase : L4668ICU). Autrement dit, l'opération peut-elle être qualifiée d'abus de droit ?

Le Conseil d'Etat a jugé que, même lorsque le contribuable conclut un contrat dans l'unique but d'atténuer ses charges fiscales, celui-ci ne peut pas constituer un abus de droit, lorsque la charge fiscale de l'intéressé ne se trouve pas modifiée par cet acte (CE 8° et 3° s-s-r., 5 mars 2007, n° 284457, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A6799DUD, RJF, 2007, 5, comm. 600). En revanche, est constitutif d'abus de droit un acte de rachat de titres par une société, au motif qu'il a été dicté par le seul objectif d'éluder, ou d'atténuer, la charge fiscale (CE 7° s-s., 30 juin 1982, n° 16391 N° Lexbase : A8501AK3, RJF, 1982, 5, comm. 483). Il en va de même de la réalisation d'opérations d'achat à tempérament sous le couvert de contrats de location de courte durée systématiquement suivis du rachat des matériels loués, dans le seul but d'atténuer les charges fiscales (CAA Nancy, plénière, 5 décembre 1989, n° 89NC00103, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A9981AWL, RJF, 1990, 3, comm. 282).

Rappelons que n'entre pas dans le champ d'application de l'article L. 64 précité la remise en cause, par l'administration, de la portée d'un contrat qui, sans déguiser la réalisation ou le transfert d'aucun revenu, tend à bénéficier abusivement d'un crédit d'impôt ou d'un taux d'imposition réduit (CE 3° et 8° s-s-r., 29 décembre 2006, n° 283314, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A3666DTX, Droit fiscal, 2007, 4, comm. 87, concl. Séners).

Afin de soutenir sa thèse, l'administration a fait valoir que la qualification du contrat de vente à tempérament avec une clause de réserve de propriété ressortait de ce que la période de location, limitée à deux ans, était brève, mais aussi que le premier loyer représentait une part importante du coût de la presse et, qu'en outre, la société avait pris en charge de nombreuses pannes de la machine. Elle s'était comportée comme un propriétaire. L'entreprise avait, d'ailleurs, fini par ne plus payer de loyer, puis elle avait procédé à l'acquisition de la presse.

Dès lors, l'administration avait requalifié le contrat en tenant compte de la commune intention des parties révélées, en fait, lors de son exécution.

La jurisprudence retient que l'administration ne peut être regardée comme ayant mis en oeuvre la procédure de répression des abus de droit, dès lors qu'elle n'a pas écarté des contrats au motif qu'ils dissimuleraient une réalité différente, mais qu'elle s'est bornée à requalifier les sommes versées en exécution de ces contrats (CE 8° et 3° s-s-r., 23 juin 2000, n° 196143, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A0680AW4, RJF, 9-10, 2000, comm. 1041). De la même façon, l'administration ne se place pas implicitement sur le terrain de l'abus de droit, mais seulement sur celui de la qualification du contrat lorsqu'elle fait valoir, non que les contrats visés ont été conclus de manière fictive, ou dans le seul but d'échapper à l'impôt, mais que la qualification qu'ils donnent aux prestations fournies ne correspond pas à leur nature réelle et que les sommes versées en exécution de ces contrats sont partiellement dépourvues de contreparties (CE 3° et 8° s-s-r., 30 juillet 2003, n° 232004, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A2423C9M, RJF, 2003, 11, comm. 1273).

L'administration n'a jamais fait valoir la fictivité du contrat ou le fait que celui-ci aurait été conclu pour éluder l'impôt. Constitue un abus de droit, par exemple, l'acte fictif, tel qu'un bail fictif, contracté afin de déduire la totalité des charges d'un immeuble (CE 7° et 9° s-s-r., 15 janvier 1982, n° 16110, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A0438B8Q, Droit fiscal, 1982, comm. 1372). La qualification est la même concernant un contrat de location-gérance qui dissimule une opération de cession de fonds de commerce, dès lors que la totalité des moyens de production et la clientèle ont été transférés au locataire gérant (CAA Paris, 3ème ch., 22 juin 1995, n° 94PA00604, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A1248BI3, RJF, 1996, 2, comm. 216).

Dans cette affaire, le Conseil d'Etat retient que l'administration qui écarte la qualification de contrat de location pour retenir celle de crédit-bail, et qui ne se fonde pas explicitement sur l'article L. 64 du LPF, n'a pas à en respecter la procédure.

  • L'allongement du délai de reprise à dix ans en cas de révélation d'omission ou d'insuffisance de déclaration lors d'une instance pénale n'impose pas à l'administration d'attendre le verdict du juge répressif pour redresser le contribuable (CE 3° s-s., 6 mai 2011, n° 334301, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A0954HQE)

Dans cette affaire, l'administration a exercé son droit de communication auprès du procureur de la République qui avait ouvert une instance pénale à l'encontre d'un couple de contribuables. A cette occasion, elle a pris connaissance d'une insuffisance de déclaration et en a tiré les conclusions qui s'imposaient.

L'article L. 82 C du LPF (N° Lexbase : L8456AEW) permet, à l'occasion de toute instance devant les juridictions civiles ou criminelles, au ministère public, de communiquer les dossiers à l'administration des finances. L'article 11 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L7022A4T), relatif au secret de l'instruction, ne fait pas obstacle à l'exercice du droit de communication de l'administration fiscale visé par l'article L. 82 C du LPF. En conséquence, les agents de l'administration fiscale qui obtiennent des pièces de procédure pénale, dans le cadre régulier de l'exercice du droit de communication, peuvent les produire à l'appui d'une demande d'autorisation de visite et de saisie visée par l'article L. 16 B du LPF (N° Lexbase : L0549IHS) (Cass. com., 16 novembre 1999, n° 97-30.376 et n° 97-30.377, non publié au Bulletin N° Lexbase : A3269AYQ, RJF, 2000, 3, comm. 369).

Le ministère public, qui fait partie de l'autorité judiciaire, peut se fonder sur les dispositions de l'article L. 101 du LPF (N° Lexbase : L7897AE9) pour communiquer à l'administration fiscale tout dossier, document ou renseignement établi ou recueilli à l'occasion d'une instance judiciaire, civile ou pénale, de nature à étayer un contrôle fiscal (CE 8° et 9° s-s-r., 10 décembre 1999, n° 181977, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A5079AXE, BDCF, 2000, 2, concl. Arrighi de Casanova). Il appartient à l'autorité judiciaire, qu'elle soit ou non saisie d'une demande de la part de l'administration fiscale, d'apprécier souverainement si les renseignements ou pièces qu'elle détient sont, ou non, au nombre des indications qui, étant de nature à faire présumer une fraude fiscale, doivent être communiquées à l'administration fiscale (CE 8° et 9° s-s-r., 8 juin 1998, n° 168322, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A7339ASM, RJF, 1998, 8-9, comm. 983).

Un contribuable qui a été informé, par les propositions de rectifications, de l'origine et de la teneur des renseignements obtenus par l'administration auprès de l'autorité judiciaire, a été mis en situation, avant le recouvrement des impositions, d'en demander la communication (CE 8° et 3° s-s-r., 27 avril 2009, n° 308445, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A6418EGS, RJF, 2009, 7, comm. 614).

Dans cette affaire, le Conseil d'Etat fonde sa décision au regard de l'article L. 170 du LPF (N° Lexbase : L8523AEE). Celui-ci prévoit, qu'y compris dans l'hypothèse où les délais de reprise sont écoulés (LPF, art. L. 169 N° Lexbase : L0499IP8), les omissions ou insuffisances révélées par une instance devant les tribunaux, ou par une réclamation contentieuse, peuvent être réparées par l'administration jusqu'à la fin de l'année suivant celle de la "décision" qui clos l'instance, et au plus tard jusqu'à la fin de dixième année qui suit celle au titre de laquelle l'imposition est due. Peu importe que le contribuable soit mis en examen ou accusé. La doctrine administrative précise que par "décision", il faut entendre celle rendue par l'une des autorités compétentes pour statuer au cours de la procédure contentieuse de réclamation, à l'exclusion de toute décision de dégrèvement prise d'office (DB 13 L-1212). La phase d'instruction qui précède le procès pénal doit être regardée comme faisant partie de l'instance au sens de l'article L. 170, sans qu'il y ait lieu de distinguer selon que cette instruction se déroule en France ou devant des juridictions étrangères (CAA Versailles, 3ème ch., 25 mars 2008, n° 07VE01277, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A0742D8Y, RJF, 2008, 8-9, comm. 992).

L'article L. 170 précité ne limite pas la nature des instances devant les tribunaux permettant de faire courir le délai spécial (CE 3° et 8° s-s-r., 5 mai 2008, n° 280496, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A4268D8L, RJF, 2008, 8-9, comm. 995).

A remarquer que le fait que l'administration ait saisi le procureur de la République des faits dont elle a eu connaissance, en application de l'article 40 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L5531DYI), ne fait pas obstacle à ce qu'elle invoque le bénéfice des dispositions de l'article L. 170 du LPF lorsque les conditions de son application sont réunies (CE 9° et 10° s-s-r., 29 avril 2009, n° 299949, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A6406EGD, RJF, 2009, 7, comm. 669).

Le délai de prescription de dix ans ne court pas à partir seulement de la date à laquelle l'omission ou l'insuffisance d'imposition a été révélée par la réclamation contentieuse du contribuable, mais à partir de la date du fait qui a donné naissance à l'obligation fiscale du contribuable (CE 9° et 7° s-s-r., 19 avril 1989, n° 42057, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A1049AQW, Droit fiscal, 1989, comm. 1538).

Les juges du Palais-Royal ont entendu affirmer que les dispositions de l'article L. 170 précitées ne font pas obstacle à ce que l'administration puisse corriger les insuffisances et les omissions, révélées lors de l'instance pénale, sans attendre qu'intervienne la décision du tribunal mettant fin à l'instance. Cette position est conforme à la jurisprudence rendue en la matière (CE 10° et 9° s-s-r., 20 février 2008, n° 281130, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A0420D7P, RJF, 2008, 5, comm. 583).

newsid:423021

Public général

[Doctrine] Loi du 17 mai 2011, de simplification et d'amélioration de la qualité de la loi : présentation des dispositions de droit public

Réf. : Loi n° 2011-525 du 17 mai 2011, de simplification et d'amélioration de la qualité du droit (N° Lexbase : L2893IQ9)

Lecture: 16 min

N3033BS7

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par Christophe De Bernardinis, Maître de conférences à l'Université de Metz

Le 08 Juin 2011

Employée aujourd'hui dans les discours tant politiques que juridiques, en doctrine ou encore dans différents rapports, la simplification du droit n'est pas sans paradoxe. Elle est même peut-être impossible et est, en ce cens, dénoncée comme fournissant "un mythe" ou "un slogan" selon Jacques Moreau et François Terré (1), ou encore comme procédant d'une "illusion" selon le Conseil d'Etat (2). Mais si la notion interpelle, le constat est largement partagé des effets extrêmement nocifs de la complexité du droit sur l'attractivité du pays, sur la compétitivité des entreprises, ou encore la vie quotidienne des citoyens. Etienne Blanc a, ainsi, pu relever que, "dans le flot ininterrompu de normes, le citoyen risque de se noyer. L'adage en vertu duquel nul n'est censé ignorer la loi pourrait bien être relégué au rang de simple proverbe et l'exception d'ignorance [...] devenir la règle"(3) et (4). Depuis 2002, le Gouvernement s'est engagé dans un effort assez inédit de réexamen des règles de droit en vigueur pour en améliorer l'architecture et la lisibilité, faisant en sorte qu'elle soit mieux acceptée et donc, par voie de conséquence, plus efficace. Une première étape a été franchie avec l'adoption de la loi n° 2003-591 du 2 juillet 2003, habilitant le Gouvernement à simplifier le droit (5). Ce mouvement de simplification s'est ensuite poursuivi pour couvrir l'ensemble des branches du droit (6). La loi du 17 mai 2011, de simplification et d'amélioration de la qualité du droit (7) s'inscrit dans ce cadre, c'est la troisième et dernière loi de la législature qui achève, ainsi, le travail mené depuis plusieurs années par les députés et les sénateurs pour simplifier le droit français et le rendre plus intelligible. Les deux précédentes lois (8) ont permis d'abroger un grand nombre de textes désuets, de clarifier de nombreux pans de notre législation, de corriger des erreurs de rédaction ou de coordination et de simplifier, voire de supprimer certaines démarches administratives pesantes. La dernière loi de simplification comprend pas moins de 200 articles modifiant plus de 48 codes et relevant de thématiques très diverses et d'inégale valeur. Les principales mesures ont des impacts dans des domaines aussi variés que l'architecture, le droit de la construction, le traitement des eaux usées, le "diagnostic plomb", la recherche des termites, le droit social, les incendies, les groupements d'intérêt public, les offices publics de l'habitat, le Code pénal, les agences de mannequins ou encore l'ENA, le droit des sociétés... et la liste est encore longue. Il y a immanquablement un développement inflationniste lié au contenu de ces lois de simplification, 30 articles pour la première d'entre elles, 140 pour la seconde et près de 200 articles pour la troisième, développement inflationniste, notamment dénoncée par le rapporteur de la commission des lois du Sénat. Comme ce dernier peut le noter, "ce rendez-vous législatif est aujourd'hui très attendu de toutes parts car il est devenu le véhicule commode pour porter, notamment, les amendements des différents ministères qui soit ne peuvent espérer le dépôt d'un projet de loi par le Gouvernement sur le court terme, soit souffrent des aléas et des contraintes du processus parlementaire" (9).

Sous l'intitulé de simplification apparaît, en effet, un texte touffu et hétéroclite qui renferme des sujets multiples dont certains produisent des conséquences lourdes pour notre ordonnancement juridique. L'objectif du texte ne s'en tenant pas aux seules rectifications, coordinations, suppressions et simplifications qui y concourent. L'absence de frontière du texte et son caractère éminemment disparate ont pu, ainsi, être interprétés comme une altération des objectifs de valeur constitutionnelle de clarté et de sincérité du débat parlementaire et d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi, voire comme un assemblage de "cavaliers législatifs". Saisi successivement par soixante sénateurs, puis par soixante députés, le Conseil constitutionnel a relevé, d'une part, qu'aucune exigence constitutionnelle n'impose que les dispositions d'un projet ou d'une proposition présentent un objet analogue et que, d'autre part, la complexité de la loi et l'hétérogénéité des dispositions de la loi ne sauraient, à elles seules, porter atteinte à l'objectif d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi (10). La Constitution n'interdit pas l'adoption de textes au contenu très hétérogène tant que les dispositions sont suffisamment précises et non équivoques (11). Pour autant, si le Conseil constitutionnel n'a que relativement retouché le texte, le travail essentiel avait déjà été fait au préalable par la commission des lois du Sénat, qui a conservé toutes les dispositions de simplification et d'allègement du bloc législatif, mais qui a supprimé toutes les dispositions qui s'en écartaient pour, selon le rapporteur, "à l'avenir revenir à l'esprit qui a animé à l'origine cet utile mouvement de toilettage du droit pour s'en tenir aux seules rectifications, coordinations, suppressions et simplifications qui y concourent" (12).

Au final, et en ce qui concerne plus spécifiquement les aspects de droit public, le texte de la loi est inspiré de plusieurs sources, dont le rapport que le président de la commission des lois, Jean-Luc Warsmann, a remis au Premier ministre en janvier dernier (13), mais aussi les études du Conseil d'Etat de 1996 sur les groupements d'intérêt public (14) et de 2008 sur le droit de préemption (15) et sur les recours administratifs préalables obligatoires (RAPO) (16). Ces trois sujets forment, avec diverses mesures concernant les collectivités territoriales, les principaux volets de droit public du texte. Il convient, ainsi, de traiter d'abord des dispositions de la loi qui globalement poursuivent le mouvement, déjà commencé dans les précédentes lois de simplification, en faveur de l'efficience des actions publiques (I). La loi donne, enfin, un statut législatif unique pour les groupements d'intérêt public (II) et, si les modifications en matière d'urbanisme auraient dû être plus conséquentes, il reste, néanmoins, certaines simplifications non négligeables (III).

I - La poursuite du mouvement en faveur de l'efficience de l'action publique

Parmi les nombreuses dispositions intéressant le droit public, on peut faire le tri entre celles qui intéressent la fonction publique de manière générale (17), la principale étant l'instauration du recours administratif préalable obligatoire dans la fonction publique (RAPO) (A), et celles intéressant, notamment, les collectivités territoriales (B).

A - L'instauration du recours administratif préalable obligatoire dans la fonction publique

Comme peut le relever Jean-François Brisson, "la question des recours administratifs préalables obligatoires constitue depuis plus de vingt ans une sorte de serpent de mer de la réforme du contentieux administratif, revenant sous les feux de l'actualité à intervalle régulier sans que les mystères qui entourent ces types de procédures aient été entièrement levés" (18). On leur prête des vertus, notamment celles de permettre aux usagers d'obtenir la réformation des décisions les concernant, avec des chances raisonnables de succès et d'éviter une procédure juridictionnelle longue et coûteuse. En ce sens, c'est un mode alternatif de règlement qui connaît une extension progressive et qui constitue un moyen simple, rapide et peu coûteux de régler les différends entre le citoyen et l'administration.

Pour autant, ces vertus sont loin d'être nécessairement tournées vers l'intérêt des personnes concernées. Dans certains domaines, celles-ci peuvent, en effet, avoir la conviction d'être contraintes à une formalité qui retarde la saisine du juge et aboutit, in fine, à la confirmation d'un refus initial. Ce sentiment est d'autant plus aigu qu'assez souvent, la procédure prend la forme d'un recours hiérarchique "classique", pareille procédure pouvant être légitimement perçue comme une complication procédurale rétrograde dans la mesure où l'obligation du recours préalable réintroduit le concept ancien d'administrateur-juge.

Se fondant essentiellement sur les vertus d'une telle procédure, la loi rend effectif dans la fonction publique cette procédure longtemps mise de côté. L'article 14 de la loi propose, à titre expérimental et pour une durée de trois ans à compter de la promulgation de la loi, que "les recours contentieux formés par certains agents soumis aux dispositions de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, portant droits et obligations des fonctionnaires à l'encontre d'actes relatifs à leur situation personnelle" fassent l'objet d'un RAPO (19).

L'instauration du RAPO dans la fonction publique n'est pas totalement une nouveauté, elle a été prévue à l'article 23 de la loi n° 2000-597 du 30 juin 2000, relative au référé devant les juridictions administratives (20). Si, pour les militaires, cet article a trouvé une traduction concrète, notamment avec la création en 2001 d'une commission des recours des militaires, pour la fonction publique "civile", dans ses trois versants, toutes les tentatives d'application réglementaire se sont soldées par un échec, depuis plus de dix ans (21).

Le Gouvernement ajoute, dans l'exposé sommaire de l'amendement relatif à l'article en cause dans la proposition de loi, qu'aucune des formules envisagées "n'ont paru satisfaisantes, les unes étaient déresponsabilisantes, les autres d'une lourdeur et d'un coût excessif, les autres, enfin, empiétaient sur les compétences des organisations syndicales, notamment au sein des commissions administratives paritaires".

Dans une première version, la proposition de loi se situait dans une perspective d'application directe aux trois fonctions publiques, mais la version finale adoptée a préféré une démarche plus progressive, à savoir une introduction à titre expérimental (22). Cette expérimentation doit permettre d'en montrer les résultats positifs, pour lever "les incertitudes et les réticences des administrations et des organisations syndicales" (23). Il est, également, indiqué dans l'exposé sommaire qu'un décret en Conseil d'Etat organisera le dispositif en suivant trois principes : éviter toute situation de concurrence avec le champ des compétences des CAP (commissions administratives paritaires) ; écarter toute obligation de créer des instances tierces (commissions, médiateurs, interlocuteurs du personnel...) ; et privilégier un recours gracieux obligatoire auprès de l'auteur de la décision contestée plutôt qu'un recours hiérarchique.

B - Les mesures intéressant les collectivités territoriales

Parmi les mesures intéressant plus ou moins directement les collectivités territoriales dont il est assez difficile de faire le tri, on signalera l'article 4 qui prévoit l'échange des données entre administrations. Cette modification a pour but de dispenser les personnes ayant déjà produit une pièce justificative auprès d'une autorité administrative d'avoir à la fournir à nouveau. Dans le même ordre d'idée, l'article 6 prévoit l'obligation, pour une autorité administrative recevant une demande entachée d'une vice de forme susceptible d'être régularisée, d'inviter l'auteur de la demande à la régulariser et de lui indiquer les formalités à respecter, ainsi que les dispositions légales et réglementaires qui les prévoient.

La loi simplifie ensuite les procédures de nomination dans les différents conseils des autorités locales lorsqu'il y a un poste à pourvoir. L'article 76 de la loi visait initialement à simplifier la procédure des nominations auxquelles doit procéder le conseil municipal en le dispensant de l'organisation d'un scrutin secret en cas de candidature unique. Cette simplification a été étendue au régime de nomination des conseils régionaux et généraux.

La loi crée aussi un nouveau pouvoir de police spéciale du maire : la police de la défense extérieure contre l'incendie (article 77 de la loi) (24). Elle confie aux communes le soin d'assurer en permanence l'alimentation en eau des moyens de lutte contre les incendies et inscrit cette compétence de gestion au rang des compétences communales, qui, à ce titre, pourra être transférée à un établissement public de coopération intercommunale (EPCI). La loi prévoit, dans ce cadre, la faculté, pour les maires des communes membres, de transférer au président de l'établissement leur pouvoir de police spéciale, et elle donne aux communes les moyens de mettre en oeuvre cette police spéciale en chargeant les communes d'implanter et de gérer les points d'eau nécessaires aux services d'incendie et de secours. Cet apport était attendu depuis de nombreuses années par les élus locaux, la circulaire de 1951 en vigueur jusque là posant, en effet, des difficultés de mise en oeuvre, et n'étant que très inégalement appliquée. Un décret et un arrêté viendront préciser la nouvelle procédure.

Enfin, autre disposition à signaler : la loi redéfinit les conditions de la régionalisation de la formation des détenus à titre expérimental (article 68 de la loi) : l'Etat peut, pour une durée maximale de quatre ans à compter du 1er janvier 2012, confier aux régions, sur leur demande, l'organisation et le financement des actions de formation professionnelle continue des personnes détenues dans les établissements pénitentiaires situés sur leur territoire. L'Etat participe, alors, au financement des charges supplémentaires en crédits et en personnel supportées par chaque région expérimentatrice. A ce titre, les services ou parties des services qui participent à l'exercice de la compétence faisant l'objet de cette expérimentation peuvent être mis à disposition de la région à titre gratuit et pour une quotité de travail à déterminer.

Parmi les dispositions supprimées par la commission des lois du sénat, il faut relever la mesure qui devait donner, à titre expérimental pour une durée de trois ans, la possibilité à des collectivités territoriales et à leurs groupements de consulter des tribunaux administratifs et une cour administrative d'appel sur des questions relevant de leur compétence (25). Mais, devant le risque élevé de désorganisation des juridictions administratives, la commission des lois du Sénat a supprimé cette disposition. Les juridictions administratives doivent faire face à un afflux de demandes qui remettraient en cause le bon exercice de leur activité juridictionnelle, alors que le législateur est déjà conduit à développer les procédures à juge unique. L'organisation et les effectifs des juridictions administratives ne paraissent pas permettre l'engagement d'une telle expérimentation, sans que soit remis en cause le respect de délais de jugement raisonnables.

II - Un statut législatif unique pour les groupements d'intérêt public

Apparue pour la première fois dans l'ordre juridique en 1982 (26), la formule des groupements d'intérêt public permet à des collectivités publiques de s'associer entre elles et avec des personnes privées, normalement pour une durée limitée, afin d'exercer ensemble une activité d'intérêt général ou de réaliser un projet commun. Initialement créée dans le domaine de la recherche, cette formule a ensuite été appliquée à de nombreux domaines tels que le développement local (avec les maisons de service public), la santé (agences régionales d'hospitalisation), la culture, le social (maisons départementale des personnes handicapées), la justice, ou même l'urbanisme (agences d'urbanisme). Quinze ans après les préconisations données par le Conseil d'Etat en 1996, et confronté à la diversité et à la variété des régimes juridiques de ces groupements (A), le législateur s'est finalement efforcé d'harmoniser les règles juridiques applicables à cette catégorie de personnes morales (B).

A - Des objets et des régimes juridiques très variés

Il existe, aujourd'hui, plusieurs dizaines de catégories de groupements d'intérêt public créées par la loi, ayant donné lieu à la création de centaines de ces groupements avec des objets très différents, des modalités d'organisation et de fonctionnement souvent hétérogènes, et avec parfois des régimes juridiques incertains. Comme le fait remarquer l'auteur de la proposition de loi, "certaines créations se sont opérées dans un certain désordre, tant sur la forme que sur le fond : institution par des dispositions législatives sans cohérence entre elles, définition de modalités de fonctionnement différentes sans que de réels impératifs le justifient, confusion dans les organismes dirigeants, etc. Les statuts du personnel restent parfois imprécis. Certains groupements d'intérêt public ont été créés sans que leurs principes de fonctionnement ne soient clairement fixés : il appartient alors à la jurisprudence de les définir".

C'est pourquoi, dès 1993, le Gouvernement a demandé au Conseil d'Etat de dresser un bilan du régime juridique des groupements d'intérêt public. Si le Conseil d'Etat, dans son étude, notait le succès des groupements d'intérêt public (27), il notait aussi la perte de cohérence initiale du dispositif et préconisait qu'un "texte législatif unique" fixe l'ensemble des règles de nature législative applicables à cette matière et se substitue à l'ensemble des textes existants. Il avait établi un projet de texte de 22 articles dont la loi s'inspire largement. Le Gouvernement avait, ainsi, préparé une ordonnance sur les groupements d'intérêt public, en application de l'article 56 de la loi n° 2004-1343 du 9 décembre 2004, de simplification du droit (28), mais ce texte n'a jamais vu le jour.

Il fallait fixer un cadre législatif général aux groupements d'intérêt public afin, non seulement de donner davantage d'unité à cet outil, mais également de lever certaines incertitudes, telles que leur nature publique ou privée, les mentions obligatoires ou facultatives de la convention constitutive entre les membres du groupement, ou encore la définition du statut de leur personnel. Il s'agissait donc de préserver la souplesse structurelle qui fait le prix de ce groupement, tout en harmonisant et précisant leurs règles de constitution, de fonctionnement et de contrôle.

B - Un statut commun de droit public

Dans le sillage de la jurisprudence "GIP 'Habitat et interventions sociales pour les mal-logés et les sans-abris' c/ Mme Verdier" (29), le groupement d'intérêt public est défini à l'article 98 de la loi comme "une personne morale de droit public dotée de l'autonomie administrative et financière. Il est constitué par convention approuvée par l'Etat soit entre plusieurs personnes morales de droit public, soit entre l'une ou plusieurs d'entre elles, et une ou plusieurs personnes morales de droit privé. Ces personnes y exercent ensemble des activités d'intérêt général à but non lucratif, en mettant en commun les moyens nécessaires à leur exercice".

La loi rappelle qu'il s'agit d'une personne morale de droit public dotée de l'autonomie administrative et financière, constituée par convention approuvée par l'Etat (article 100), soit entre plusieurs personnes morales de droit public, soit entre l'une ou plusieurs d'entre elles et une ou plusieurs personnes morales de droit privé. Ces personnes y exercent ensemble des activités d'intérêt général à but non lucratif, en mettant en commun les moyens nécessaires à leur exercice (article 98). La convention constitutive doit mentionner un certain nombre d'informations comme l'objet et l'adresse (article 99) et, également, l'ajout de membres (article 102). Dorénavant, avec l'adoption d'un statut unique applicable aux groupements d'intérêt public, les principes classiques, qui leur sont applicables, sont déclinés aux travers des différents articles de la loi. Les règles de majorité dans le capital sont explicitées par le fait que les personnes morales de droit public et les personnes morales de droit privé chargées d'une mission de service public doivent détenir ensemble plus de la moitié du capital ou des voix dans les organes délibérants (article 103), même si le groupement peut ne pas avoir de capital (article 104). L'organe délibérant du groupement est l'assemblée générale -avec tous les membres disposant d'une voix chacun- avec un possible conseil d'administration (article 105) et un directeur (article 106).

Sur le fonctionnement, il n'y a pas de partage de bénéfice et les possibles excédents sont à finalité du groupement ou mis en réserve (article 107). De même, les membres contribuent aux dettes à proportion de leur part dans le capital ou de leur contribution aux charges. Il n'y a pas de solidarité à l'égard des tiers (article 108). La comptabilité est assurée selon les règles du droit privé, sauf choix inverse dans la convention constitutive ou membres uniquement de droit public (article 112). Un commissaire du Gouvernement peut être désigné par l'Etat pour le contrôle des activités et la gestion du groupement (article 114). Le contrôle est celui de la Cour des comptes (article 115). Les derniers articles sont relatifs à la dissolution du groupement d'intérêt public par l'arrivée du terme de la convention, par décision de l'assemblée générale, ou par décision de l'autorité administrative ayant approuvé la convention (article 116) qui entraînera sa liquidation.

A noter, pour terminer, que des précautions ont, cependant, été prises pour éviter une prolifération abusive et un usage détourné de cet instrument juridique, puisque l'article 98 de la loi du 17 mai 2011 interdit aux collectivités territoriales et à leurs groupements de constituer entre eux des groupements d'intérêt public pour exercer ensemble des activités qui peuvent être confiées à l'un des organismes publics de coopération prévus à la cinquième partie du Code général des collectivités territoriales. En d'autres termes, il s'agit d'éviter que la logique de mise en cohérence du développement de l'intercommunalité portée par loi n° 2010-1563 du 16 décembre 2010, de réforme des collectivités territoriales (30) ne soit contrariée par le recours à la formule du GIP.

III - Les simplifications en matière d'urbanisme

La loi devait contenir plusieurs dispositions intéressant directement le droit de l'urbanisme, et en particulier les droits de préemption, mais la loi a, toutefois, été dépouillée de son principal objet par la commission des lois du Sénat, qui a purement et simplement abandonné la réforme sur les droits de préemption (A). En revanche, le texte a été enrichi par un certain nombre de dispositions qui ne manquent pas d'intérêt, notamment celles tenant à une meilleure prise en compte des entrées de ville (B).

A - L'abandon de la réforme du droit de préemption

La proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale refondait intégralement les trois premiers chapitres du titre 1er du livre II du Code de l'urbanisme sur le fondement des solutions préconisées par le rapport du Conseil d'Etat (31) pris sur le même thème. Le texte avait pour ambition de sécuriser les procédures en instituant deux droits de préemption de nature différente en lieu et place du "droit de préemption urbain" connu jusque là.

Le droit de préemption urbain devait être redéfini et recentré sur sa vocation première : son champ d'application est réduit aux seules zones urbaines ou à urbaniser. Il devenait un simple droit de priorité quand un immeuble pouvait intéresser une commune en l'absence de projet déterminé. Il devait permettre à son titulaire d'acquérir aux prix et conditions de la déclaration d'intention d'aliéner ou de la dernière enchère ou surenchère en cas d'adjudication. Sa particularité tenait à ce que le titulaire du droit de préemption ne pouvait acquérir qu'aux prix et conditions de la déclaration d'intention d'aliéner sans possibilité de proposer un prix inférieur ou de contraindre le propriétaire qui désirait vendre à saisir le juge de l'expropriation.

Un nouveau droit de préemption était, en outre, créé sous la qualification simple de "droit de préemption" à l'intérieur des périmètres de protection ou de périmètres de projets d'aménagement. La notion de "périmètres de protection" reprenait les possibilités de préemption actuellement exercées dans le cadre du DPU mais qui ne portaient pas nécessairement sur des zones urbaines. Les périmètres des zones d'aménagement devaient, quant à eux, se substituer aux zones d'aménagement différé (ZAD). Ces innovations poursuivaient deux objectifs majeurs : renforcer, en premier lieu, les droits des propriétaires lors de la préemption et mieux encadrer, en second lieu, les suites de la préemption. L'institution des deux régimes distincts trouvant sa justification dans la nécessité de réduire l'importance du contentieux lié à la motivation des décisions de préemption.

La commission des lois du Sénat a supprimé l'ensemble de ces dispositions dans la mesure où cette réforme a été, sur le fond, contestée par les élus locaux (32) et que, sur la forme, elle ne constituait pas une "simplification" mais une refonte totale des droits de préemption (33). A noter, néanmoins, que cette refonte totale pourrait à nouveau occuper les esprits puisque M. Hervé Maurey a déposé à la présidence du Sénat, le 25 février 2011, une proposition de loi visant à améliorer et sécuriser l'exercice du droit de préemption en préservant, de manière générale, les prérogatives, cette fois, du titulaire du droit de préemption (34).

B - La prise en compte des entrées de ville

Espaces convoités, car traversés par des flux de circulation excédant la capacité des réseaux existants, les entrées de ville ont subi, depuis trente ans, une logique d'occupation et non d'aménagement. A l'inverse des centres anciens, relativement bien préservés, ces périmètres intermédiaires situés le long des voies publiques, entre les zones urbaines et les espaces ruraux, ont trop rarement fait l'objet de prescriptions urbanistiques ou architecturales. Une proposition de loi relative à l'amélioration des qualités urbaines, architecturales et paysagères des entrées de villes avait été adoptée en ce sens au Sénat le 10 décembre 2009, mais le retard dans la discussion de la loi a incité la commission des lois du Sénat à adopter deux articles qui reprennent la proposition de loi.

Le premier étend la liste des objectifs assignés aux documents d'urbanisme en y ajoutant la préservation "de la qualité urbaine, architecturale et paysagère des entrées de ville" (35). Il prévoit, également, que, dans les communes non couvertes par un schéma de cohérence territoriale, le préfet peut faire obstacle à l'entrée en vigueur du plan local d'urbanisme approuvé si celui-ci comprend "des dispositions applicables aux entrées de villes incompatibles avec la prise en compte des nuisances, de la sécurité, et de la qualité urbaine, architecturale et paysagère" (36). Le second article concerne le principe d'interdiction des constructions et installations en dehors des espaces urbanisés des communes posé par l'article L. 111-1-4 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L3229IQN). Ce principe est étendu aux routes non visées par l'article en cause mais identifiées par les SCOT en raison de leur importance pour le respect des principes de sécurité, d'accessibilité et de qualité architecturale des entrées de ville (37).


(1) J. Moreau et F. Terré, La simplification du droit, Mélanges Béguin, Lexis Nexis, 2005, p. 536-538.
(2) Rapport public du Conseil d'Etat 2006, Considérations générales : Sécurité juridique et complexité du droit, Etudes et Documents, n° 57, Documentation française, 2006, p. 273.
(3) Rapport d'E. Blanc, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république sur le projet de loi portant habilitation du Gouvernement à prendre par ordonnance des mesures de simplification et de codification du droit, Assemblée nationale, n° 752, avril 2003, p. 7.
(4) L'exception d'ignorance avait été définie par un décret du 5 novembre 1870 pris par le Gouvernement de défense nationale qui est restée en vigueur jusqu'au 1er juin 2004, soit plus de 130 ans. L'article 5 de ce décret autorisait les tribunaux et les autorités administratives à considérer que des citoyens mal informés pouvaient être exonérés de la responsabilité de certaines fautes.
(5) Loi n° 2003-591 du 2 juillet 2003, habilitant le Gouvernement à simplifier le droit (N° Lexbase : L6771BHA), JO, 3 juillet 2003, p. 11192.
(6) Voir, par ex., la loi n° 2004-1343 du 9 décembre 2004, de simplification du droit (N° Lexbase : L4734GUU), JO, 10 décembre 2004, p. 20857.
(7) Loi n° 2011-525 du 17 mai 2011, de simplification et d'amélioration de la qualité du droit (N° Lexbase : L2893IQ9), JO, 18 mai 2011, p. 8537.
(8) Loi n° 2007-1787 du 20 décembre 2007, relative à la simplification du droit (N° Lexbase : L5483H3H), JO, 21 décembre 2007, p. 20639 ; loi n° 2009-526 du 12 mai 2009,de simplification et de clarification du droit et d'allègement des procédures, JO, 13 mai 2009, p. 7920.
(9) Rapport n° 20 (2010-2011) de M. Bernard Saugey fait au nom de la Commission des lois, déposé le 6 octobre 2010, tome 1er.
(10) Cons. const., décision n° 2011-629 DC du 12 mai 2011, Loi de simplification et d'amélioration de la qualité du droit (N° Lexbase : A3053HQ7).
(11) En application de la jurisprudence constante du Conseil constitutionnel sur les cavaliers législatifs, celui-ci a censuré l'article 187 de la loi, relatif au recrutement des auditeurs de deuxième classe du Conseil d'Etat parmi les anciens élèves de l'Ecole nationale d'administration. Il avait été introduit par amendement et ne présentait pas de lien, même indirect, avec les dispositions figurant dans la proposition de loi initiale.
(12) Rapport n° 20 (2010-2011) de M. Bernard Saugey, précité.
(13) Rapport de J.-L. Warsmann sur la simplification du droit remis au 1er ministre le 29 janvier 2009.
(14) Conseil d'Etat, Les groupements d'intérêt public, Etudes du Conseil d'Etat, La Documentation française, 1997.
(15) Conseil d'Etat, Le droit de préemption, Etudes du Conseil d'Etat, La Documentation française, 2008.
(16) Conseil d'Etat, Les recours administratifs préalables obligatoires, Etudes du Conseil d'Etat, La Documentation française, 2008.
(17) A noter que la commission des lois du Sénat a supprimé les dispositions qui organisaient la procédure de retrait de la protection fonctionnelle des fonctionnaires, militaires et maires. La commission a estimé que ce sujet méritait d'être approfondi et le dispositif proposé affiné.
(18) J.-F. Brisson, Les RAPO en droit public français, alternative au juge ou voie sans issue ?, Archives de la Chaire Mutations de l'action publique et du droit public (MADP), Sciences Politiques, 13 mars 2009.
(19) Loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, portant droits et obligations des fonctionnaires (N° Lexbase : L6938AG3), JO, 14 juillet 1983, p. 2174 ; par ailleurs, les actes relatifs au recrutement ou à l'exercice du pouvoir disciplinaire ne seraient pas concernés.
(20) JO, 1er juillet 2000, p. 9948.
(21) C'est le décret n° 2001-407 du 7 mai 2001, organisant la procédure de recours administratif préalable aux recours contentieux formés à l'encontre d'actes relatifs à la situation personnelle des militaires (N° Lexbase : L3285HDZ) (JO, 11 mai 2001, p. 7486), qui en a précisé les modalités pour les militaires, mais aucun texte réglementaire ne l'a rendue applicable pour les agents soumis aux dispositions de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, portant droits et obligations des fonctionnaires.
(22) L'exposé sommaire de l'amendement présenté par le Gouvernement à l'origine de ce choix note que "quelques administrations ont développé des actions de médiation et de recours gracieux permettant d'éviter la saisine systématique du juge", comme à l'Education nationale, à la Justice ou à la Jeunesse et aux Sports. C'est pourquoi "il est proposé de procéder pragmatiquement en s'engageant dans une expérimentation avec des administrations volontaires".
(23) Pour mieux appréhender ces résultats, l'article 14 de la de loi ajoute, d'ailleurs, que cette expérimentation "fait l'objet d'un rapport remis chaque année au Parlement, jusqu'au terme de celle-ci".
(24) CGCT, art. L. 2213-32 (N° Lexbase : L3028IQ9).
(25) La question transmise pour avis à la juridiction administrative devait faire l'objet d'une délibération motivée de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement. Elle ne pouvait être soumise pour avis à la juridiction administrative si une autorité juridictionnelle en était saisie. La question devait être transmise au représentant de l'Etat dans le département, si elle émanait d'une commune, d'un groupement de communes ou d'un département, ou au représentant de l'Etat dans la région, si elle était posée par une région. La consultation du tribunal administratif ou de la cour administrative d'appel était ensuite lancée par une saisine conjointe de l'organe exécutif de la collectivité ou du groupement et du représentant de l'Etat. La juridiction devait rendre son avis dans un délai de quatre mois.
(26) Loi n° 82-610 du 15 juillet 1982 d'orientation et de programmation pour la recherche et le développement technologique de la France, art. 21 (N° Lexbase : L6628AGL), JO, 16 juillet 1982, p. 2270.
(27) Succès qui tenait à la possibilité de concilier la souplesse de fonctionnement avec les garanties de l'intérêt général et du service public.
(28) JO, 10 décembre 2004, p. 20857.
(29) T. confl., 14 février 2000, n° 3170 (N° Lexbase : A5559BQX).
(30) Loi n° 2010-1563 du 16 décembre 2010, de réforme des collectivités territoriales (N° Lexbase : L9056INQ), JO, 17 décembre 2010, p. 22146.
(31) Conseil d'Etat, Le droit de préemption, Etudes du Conseil d'Etat, La Documentation française, 2008, préc..
(32) Les sénateurs ont fait part de leurs inquiétudes, notamment en ce qui concerne les modalités de fixation du prix d'acquisition dans le cadre du droit de préemption urbain, qui ont pour effet de limiter les possibilités de négociation des collectivités publiques.
(33) La commission des lois a considéré que, bien qu'un certain nombre d'innovations contenues dans la proposition adoptée par les députés soient opportunes, la réforme proposée ne relève pas "d'une logique de simplification et d'amélioration de la qualité du droit", de sorte qu'elle n'a pas vocation à figurer dans une loi de simplification.
(34) Proposition de loi visant à améliorer et sécuriser l'exercice du droit de préemption, Doc. Sénat, n° 323, 25 février 2011.
(35) Modification de l'article L. 121-1 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L3226IQK) (article 123 de la loi).
(36) Modification de l'article L. 123-12 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L3227IQL) (article 123 de la loi).
(37) Article 124 de la loi.

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Rel. collectives de travail

[Jurisprudence] Des conséquences de "la désaffiliation-affiliation" d'un syndicat postérieurement à la loi du 20 août 2008

Réf. : Cass. soc., 18 mai 2011, 5 arrêts, n° 10-21.705, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A2902HRW), n° 10-60.069, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A2903HRX), n° 10-60.300, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A2906HR3), n° 10-60.264, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A2904HRY) et n° 10-60.273, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A2905HRZ)

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N3039BSD

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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV

Le 08 Juin 2011

Dans notre pays caractérisé par le pluralisme syndical, il n'est pas rare qu'un syndicat primaire quitte une confédération pour en rejoindre une autre. Ce phénomène de "désaffiliation-affiliation" est fort peu envisagé par le Code du travail. Il était pourtant prévisible qu'il susciterait de nouvelles interrogations postérieurement à l'adoption de la loi du 20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail (N° Lexbase : L7392IAZ), compte tenu principalement de l'importance accordée à l'audience électorale des syndicats. Par une série de cinq arrêts rendus le 18 mai 2011, tous parés du fameux label "PBRI", la Cour de cassation a apporté des réponses à ces questions, considérant notamment que l'affiliation confédérale sous laquelle un syndicat a présenté des candidats au premier tour des élections des membres titulaires des comités d'entreprise constitue un élément essentiel du vote des électeurs. Dans l'un de ces arrêts, ce n'était toutefois pas la "désaffiliation-affiliation" d'un syndicat qui était en cause mais le changement d'affiliation d'élus. Pour autant, la solution retenue par la Cour de cassation peut être aisément rapprochée de celle retenue dans les autres décisions.
Résumé

Cass. soc., 18 mai 2011, n° 10-21.705 et n° 10-60.069

L'affiliation confédérale sous laquelle un syndicat a présenté des candidats au premier tour des élections des membres titulaires du comité d'entreprise constitue un élément essentiel du vote des électeurs. Il s'ensuit qu'en cas de désaffiliation après ces élections le syndicat ne peut continuer à se prévaloir des suffrages ainsi recueillis pour se prétendre représentatif.

Cass. soc., 18 mai 2011, n° 10-60.300

L'affiliation confédérale sous laquelle un syndicat a présenté des candidats au premier tour des élections des membres titulaires des comités d'entreprise constitue un élément essentiel du vote des électeurs. Il s'ensuit qu'en cas de désaffiliation de ce syndicat, la confédération ou l'une de ses fédérations ou unions peut, si elle justifie de l'existence dans l'entreprise, au jour de la désignation, d'une section syndicale constituée sous son sigle, procéder à la désignation d'un délégué syndical afin de maintenir dans l'entreprise la présence du mouvement syndical auquel les électeurs ont accordé au moins 10 % de leurs suffrages.

Cass. soc., 18 mai 2011, n° 10-60.264

Si les dispositions transitoires des articles 11-IV et 13 de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008 ont maintenu jusqu'aux résultats des premières élections professionnelles postérieures à la date de la publication de la loi, à titre de présomption qui n'est pas susceptible de preuve contraire, la représentativité des syndicats à qui cette qualité était reconnue avant cette date, soit par affiliation à l'une des organisations syndicales représentatives au niveau national interprofessionnel, soit parce qu'ils remplissaient les critères énoncés à l'article L. 2121-1 du Code du travail (N° Lexbase : L5751IAA) alors en vigueur, les nouvelles dispositions légales, interprétées à la lumière des alinéas 6 et 8 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 (N° Lexbase : L1356A94) excluent qu'un syndicat qui bénéficiait de cette présomption en raison de son affiliation à une confédération représentative au plan national interprofessionnel la conserve à ce titre après qu'il s'est désaffilié de ladite confédération.

Cass. soc., 18 mai 2011, n° 10-60.273

L'affiliation confédérale sous laquelle un syndicat a présenté des candidats aux élections des membres du comité d'entreprise constitue un élément essentiel du vote des électeurs. Il s'ensuit que, pour apprécier les conditions d'ouverture du droit pour un syndicat de désigner un représentant syndical au comité d'entreprise conformément à l'article L. 2324-2 du Code du travail (N° Lexbase : L3724IBK), ne peuvent être considérés comme ses élus les salariés qui n'ont pas été candidats sur les listes présentées par ce syndicat lors des dernières élections.

Observations

I - L'importance de l'affiliation confédérale

  • Affiliation

En application de l'article L. 2133-1 du Code du travail (N° Lexbase : L2129H9Q), "les syndicats professionnels régulièrement constitués peuvent se concerter pour l'étude et la défense de leurs intérêts matériels et moraux". Ce texte assure ainsi la libre constitution des unions et fédérations de syndicats. Par suite, un syndicat primaire peut faire le choix de l'autonomie, en ne rejoignant aucune structure plus vaste, ou décider, au contraire, de se regrouper avec d'autres, que ce soit sur un mode horizontal (unions) ou sur un mode vertical (fédérations). Ces unions et fédérations se regroupent ensuite en confédérations dont les membres sont toutefois les syndicats primaires (1). En résumé, s'offre à tout syndicat une option entre l'autonomie ou l'affiliation à une structure plus vaste.

Jusqu'à la loi du 20 août 2008, portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail, on sait que l'affiliation d'un syndicat à une confédération reconnue représentative au niveau national interprofessionnel lui permettait de bénéficier d'une présomption irréfragable de représentativité. Quant aux syndicats ayant fait le choix de l'autonomie, il leur était néanmoins permis de prouver leur représentativité. Sous réserve de quelques dispositions transitoires, sur lesquelles il nous sera donné de revenir, la réforme précitée a fait voler ce schéma en éclat, en ne laissant subsister, à plus ou moins long terme, que la seule représentativité prouvée. Dans cette nouvelle situation, l'affiliation syndicale n'a, à l'évidence, plus le même sens. De même, la "désaffiliation" du syndicat suscite des interrogations renouvelées.

  • "Désaffiliation"

Un syndicat primaire peut quitter une confédération de différentes manières. Cette "désaffiliation" peut résulter de l'exclusion du syndicat de la confédération (2) ou de sa démission, généralement prévue par les statuts des confédérations. Elle peut aussi être le fait d'une scission syndicale, définie comme l'éclatement du syndicat par suite de dissensions internes (3). Dans cette hypothèse, une majorité veut entraîner le syndicat à adhérer à une nouvelle confédération contre le gré d'une minorité (4). Ces scissions syndicales ont, par le passé, généré d'importants contentieux, spécialement lors de la division entre CGT et CGT-FO en 1947. A l'époque, le contentieux portait essentiellement sur la dévolution des biens et des archives du syndicat (5).

On pouvait légitimement penser que, postérieurement à l'adoption de la loi du 20 août 2008, "la désaffiliation-affiliation" d'un syndicat allait poser d'autres problèmes, notamment au regard des nouveaux critères de la représentativité syndicale et, singulièrement, de l'audience électorale et de l'exigence que le syndicat ait une ancienneté minimale de deux ans dans le champ d'application professionnel et géographique couvrant le niveau de négociation.

La Cour de cassation a d'ailleurs déjà eu à connaître de l'impact d'une "désaffiliation-affiliation" sur ce dernier critère. Dans cette espèce, était déjà en cause le Syndicat des transports et des activités aéroportuaires sur les aéroports parisiens (STAAAP), qui, en mai 2009, a choisi de rejoindre l'UNSA alors qu'il était, depuis sa création en 2001, affilié à la CFTC (6). Pour aller à l'essentiel, le tribunal d'instance saisi du litige avait jugé que l'affiliation du syndicat à l'UNSA avait entraîné la création d'un nouveau syndicat et que, par conséquent, le décompte de l'ancienneté devait se faire à compter de la nouvelle affiliation. La Chambre sociale a censuré cette décision, considérant que le syndicat STAAAP avait fait usage de sa liberté d'élaborer ses statuts, d'élire ses représentants et de s'affilier à une confédération et qu'il n'était pas contesté qu'il avait toujours pour objet l'étude et la défense des droits ainsi que des intérêts matériels et moraux, tant collectifs qu'individuels de ses membres. En d'autres termes, la "désaffiliation-affiliation" n'ayant pas pour effet d'entraîner la constitution d'un nouveau syndicat, l'ancienneté du syndicat devait être conservée (7).

Rappelant que l'affiliation d'un syndicat à une confédération relève de la liberté syndicale, la Cour de cassation prend soin de souligner que le syndicat avait conservé son objet, tel qu'il est d'ailleurs défini par l'article L. 2131-1 du Code du travail (N° Lexbase : L2109H9Y). Ce faisant, mais la prudence doit être ici de mise, on peut se demander si la Cour de cassation n'entendait pas ainsi signifier que l'affiliation à telle ou telle confédération ne présente pas un aspect substantiel. Les arrêts rapportés ne nous paraissent guère en conformité avec cette interprétation. Mais ce sont d'autres conséquences de la "désaffiliation-affiliation" qui étaient ici en cause.

II - Les conséquences de la "désaffiliation-affiliation" du syndicat

  • Présentation

Ainsi que nous l'avons évoqué en préambule, quatre des cinq arrêts sous examen intéressent la "désaffiliation-affiliation" d'un syndicat. Plus précisément, dans chacun de ces arrêts, était en cause le STAAAP, dont on a vu, qu'en mai 2009, il s'était désaffilié de la CFTC pour s'affilier l'UNSA. La Cour de cassation était appelée à se prononcer sur les conséquences de cette opération, d'une part, sur l'audience électorale du syndicat et, d'autre part, sur la présomption transitoire de représentativité.

  • Conséquences sur l'audience électorale antérieure

Dans l'arrêt rendu sous le pourvoi n° 10-21.705, Mme X avait été désignée déléguée syndicale au sein de la société Service prestation hygiène (société SPH) le 17 septembre 2008 par le syndicat STAAAP CFTC. Aux élections de représentants du personnel qui s'étaient déroulées en janvier 2009, ce syndicat avait obtenu plus de 10 % des suffrages. Il avait confirmé, le 20 janvier 2009, le maintien dans son mandat de Mme X. Le 7 mai 2009, le syndicat STAAAP s'était désaffilié de la CFTC pour s'affilier à la Fédération autonome des transports (FAT UNSA). Le 10 mars 2010, la Fédération générale des transports CFTC avait désigné Mme Y en qualité de déléguée syndicale, tandis que, par lettre du 7 avril 2010, le syndicat STAAAP UNSA confirmait la désignation de Mme X comme déléguée syndicale de son syndicat. La société SPH a contesté la désignation de Mme X.

Pour débouter la société SPH de sa contestation et valider la désignation de Mme X en qualité de délégué syndical du syndicat STAAAP UNSA, le tribunal d'instance, après avoir relevé qu'aux dernières élections professionnelles la CFTC avait obtenu 11,54 % des suffrages, avait énoncé qu'il était constant que c'était en réalité le STAAAP alors affilié à la CFTC qui avait présenté des candidats à cette élection et, qu'en outre, c'était Mme X, candidate du STAAAP alors affilié à la CFTC, qui avait réuni sur son nom les trois voix sur les vingt-six valablement exprimées, et qu'ainsi le STAAAP, dont la personnalité morale s'était poursuivie en dépit de son changement d'affiliation, avait bien obtenu au moins 10 % des suffrages exprimés lors des dernières élections.

Cette décision est censurée par la Cour de cassation au visa des articles L. 2122-1 (N° Lexbase : L3823IB9) et L. 2143-1 du Code du travail (N° Lexbase : L2177H9I). Ainsi que l'affirme la Chambre sociale, "l'affiliation confédérale sous laquelle un syndicat a présenté des candidats au premier tour des élections des membres titulaires des comités d'entreprise constitue un élément essentiel du vote des électeurs ; qu'il s'ensuit qu'en cas de désaffiliation après ces élections, le syndicat ne peut plus continuer à se prévaloir des suffrages ainsi obtenus pour se prétendre représentatif". Par conséquent, en statuant comme elle l'a fait, "alors que le syndicat STAAAP ne pouvait invoquer, pour établir sa représentativité, des suffrages obtenus alors qu'il était affilié à la confédération CFTC et qu'il n'y était plus au jour de la désignation, le tribunal a violé les textes susvisés".

Cette solution, que l'on retrouve dans l'arrêt rendu sous le pourvoi n° 10-60.069 (8), nous paraît devoir être entièrement approuvée. On ne saurait dire que la Cour de cassation a ainsi fait respecter la lettre de la loi, totalement muette sur le problème dont elle était saisie. En revanche, la solution nous paraît tout à fait conforme à son esprit.

Il n'est guère besoin de rappeler que, depuis la loi du 20 août 2008, la représentativité des syndicats dépend étroitement de l'audience électorale qu'ils ont obtenue lors des dernières élections professionnelles dans l'entreprise (C. trav., art. L. 2121-1). Ces élections n'ont donc plus le même sens qu'autrefois. Alors qu'antérieurement à la réforme elles permettaient essentiellement, sinon exclusivement (9), aux salariés de se choisir des représentants du personnel, elles conduisent également aujourd'hui à conférer la représentativité à un syndicat. En d'autres termes, le choix des électeurs n'est plus seulement dicté par la personne des candidats qui se présentent mais aussi, et surtout, par leur affiliation syndicale (10). La Cour de cassation ne dit pas autre chose lorsqu'elle affirme que "l'affiliation confédérale sous laquelle un syndicat a présenté des candidats au premier tour des élections des membres titulaires des comités d'entreprise constitue un élément essentiel du vote des électeurs". Cela est d'autant plus vrai que les suffrages recueillis ne permettent pas uniquement de déterminer la représentativité des syndicats primaires dans l'entreprise. De leur addition, découle aussi la représentativité des organisations syndicales dans les branches et au niveau interprofessionnel.

Il faut donc admettre qu'en cas de désaffiliation après les élections, le syndicat ne peut plus continuer à se prévaloir des suffrages obtenus alors qu'il était affilié à une autre confédération pour se prétendre représentatif. En retenant la solution contraire, la Cour de cassation aurait créé un hiatus entre la représentativité dans l'entreprise et celle dans les branches et au niveau interprofessionnel et aurait méconnu l'intention des électeurs même si, il ne faut pas se le cacher, dans bien des cas, leur choix continuera de dépendre de la personne des candidats et non, ou dans une moindre mesure, de leur affiliation syndicale. Mais, à l'inverse, on peut parfaitement imaginer que tel ou tel électeur ayant voté pour une liste CFTC n'aurait pas nécessairement donné son vote à une liste présentée par un syndicat UNSA, serait-elle composée des mêmes personnes. Il faut remarquer que la Cour de cassation n'affirme pas que l'affiliation confédérale constitue "l'"élément essentiel du vote des électeurs, mais "un" élément essentiel de ce vote. Le choix de l'article indéfini laisse à penser que, pour la Cour de cassation, il faut présumer que c'est l'affiliation syndicale qui dicte le choix des électeurs. Mais ne peut-on pas alors envisager que cette présomption soit simple ? La solution retenue paraît l'exclure.

On peut, au demeurant, penser que la solution sera la même dans l'hypothèse où un syndicat autonome ayant obtenu au moins 10 % des suffrages lors des élections professionnelles choisirait par la suite de rejoindre une confédération. En ce cas, c'est son indépendance qui constitue un élément essentiel du vote des électeurs.

La "désaffiliation-affiliation" d'un syndicat ou encore l'affiliation d'un syndicat initialement indépendant conduit à lui faire perdre la représentativité acquise grâce aux suffrages obtenus lors des élections. Remarquons que le fait que le syndicat ne perde pas sa personnalité juridique postérieurement à cette décision ne change rien à l'affaire, cette considération étant étrangère à la question posée. Pour autant, on doit se demander, à la lecture des arrêts en cause, si l'affiliation confédérale du syndicat ne devient pas ainsi, de façon générale, un élément essentiel à l'objet du syndicat. Si tel était le cas, la "désaffiliation-affiliation" n'aurait certes pas pour effet de faire perdre au syndicat sa personnalité juridique. En revanche, on est en droit de se demander si une telle décision peut, dans le silence des statuts, être adoptée à la majorité. N'est-ce pas ici l'unanimité des adhérents qui devrait être requise ? (11)

Il faut, pour conclure sur ce point, relever que les arrêts rendus par la Cour de cassation ne permettent pas de déterminer le sort du mandat du délégué syndical désigné par un syndicat représentatif qui ne l'est plus en raison de sa "désaffiliation". Dans les deux décisions sous examen, le syndicat STAAAP avait, en effet, soit confirmé la désignation, soit procédé à une nouvelle désignation postérieurement à sa "désaffiliation", ouvrant ainsi aux intéressés une faculté de contestation. Que se serait-il passé, si le syndicat était resté passif, laissant en quelque sorte subsister le mandat du délégué initialement désigné ? La solution nous paraît résider dans la caducité du mandat, compte tenu de la disparition d'un élément essentiel de sa validité.

  • Conséquences pour la confédération, fédération et union auxquelles appartenait le syndicat

Dans l'arrêt rendu sous le pourvoi n° 10-60.300, rendu au visa des articles L. 2122-1 (N° Lexbase : L3823IB9) et L. 2143-3 (N° Lexbase : L3719IBD) du Code du travail, la Cour de cassation reprend la solution de principe évoquée précédemment, selon laquelle "l'affiliation confédérale sous laquelle un syndicat a présenté des candidats au premier tour des élections des membres titulaires des comités d'entreprise constitue un élément essentiel du vote des électeurs". Mais elle en tire cette fois-ci pour conséquence "qu'en cas de désaffiliation de ce syndicat, la confédération ou l'une de ses fédérations ou unions peut, si elle justifie de l'existence dans l'entreprise, au jour de la désignation, d'une section syndicale constituée sous son sigle, procéder à la désignation d'un délégué syndical afin de maintenir dans l'entreprise la présence du mouvement syndical auquel les électeurs ont accordé au moins 10 % de leurs suffrages".

Cette solution, qui tire au fond les conséquences des deux décisions précédemment évoquées, ne semble pouvoir être qu'approuvée. On aura compris que le syndicat ne peut plus, postérieurement à sa "désaffiliation", se prévaloir des voix obtenues alors qu'il appartenait à la confédération délaissée. En revanche, ces voix restent l'apanage de cette même confédération et, à travers elle, de la fédération ou de l'union à laquelle était affilié le syndicat (12). Cela n'est pas sans rappeler une décision antérieure de la Cour de cassation dans laquelle elle a considéré que "l'affiliation d'un syndicat à une union permet à cette dernière de se prévaloir des adhérents du syndicat pour l'exercice des prérogatives découlant de la loi" (13).

Ces arrêts procèdent d'une même logique. Alors que jusqu'à la loi du 20 août 2008 la représentativité était bâtie sur une logique "descendante", spécialement en raison de la représentativité d'emprunt, elle l'est désormais de manière "ascendante". Dans la mesure où l'on admet que les suffrages exprimés aux élections professionnelles sont avant tout orientés par une étiquette syndicale, il faut considérer que, postérieurement à la "désaffiliation" du syndicat par l'intermédiaire duquel ils ont été obtenus, les groupements auxquels ce syndicat appartenait, et qui relèvent de la même étiquette, restent en droit de se prévaloir de cette audience électorale.

En application de l'article L. 2133-3 du Code du travail (N° Lexbase : L2133H9U), "les unions de syndicats jouissent de tous les droits conférés aux syndicats professionnels par le présent titre". Par voie de conséquence, et la solution n'est pas nouvelle (14), une union de syndicats, une fédération ou une confédération peut désigner un délégué syndical dans l'entreprise. Mais, pour ce faire, l'union de syndicats est soumise aux mêmes exigences que le syndicat primaire. De là l'affirmation de la Cour de cassation selon laquelle la confédération ou l'une de ses fédérations ou unions doit justifier de l'existence dans l'entreprise, au jour de la désignation, d'une section syndicale constituée sous son sigle. Il s'agit là du rappel de l'une des conditions posées par l'article L. 2143-3 du Code du travail (N° Lexbase : L3719IBD) à la validité de la désignation d'un délégué syndical.

Mais, précisément, ce n'est pas la seule condition. Il résulte du même texte que l'organisation syndicale mandante doit être représentative dans l'entreprise et que le salarié désigné doit avoir obtenu au moins 10 % des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections professionnelles. Or, la Cour de cassation fait peu de cas de ces exigences, soulignant même que le tribunal devait seulement vérifier l'existence d'une section syndicale constituée sous le sigle de l'union au jour de la désignation.

L'affirmation est troublante. Sans doute l'alinéa 2 de l'article L. 2143-3 dispose-t-il que "s'il ne reste, dans l'entreprise ou l'établissement, plus aucun candidat aux élections professionnelles qui remplit les conditions mentionnées au premier alinéa, une organisation syndicale représentative peut désigner un délégué syndical parmi les autres candidats ou, à défaut, parmi ses adhérents au sein de l'entreprise ou de l'établissement". Mais, à tout le moins, convient-il de vérifier que tel est bien le cas.

Mais c'est certainement l'exigence de représentativité qui fait ici problème. Un syndicat primaire qui obtient au moins 10 % des suffrages aux élections professionnelles dans l'entreprise est bien représentatif à ce niveau. On peut aussi admettre que l'union de syndicats à laquelle il appartient est en droit de se prévaloir de ces suffrages. Pour autant, et à strictement parler, cela ne la rend pas représentative dans l'entreprise. Pour ne prendre qu'un exemple, une fédération n'est représentative que si elle a obtenu au moins 8 % des suffrages au niveau de la branche tout entière. La Cour de cassation s'en tient à l'affirmation selon laquelle la solution retenue a pour effet "de maintenir dans l'entreprise la présence du mouvement syndical auquel les électeurs ont accordé au moins 10 % des suffrages", en passant sous silence la question de la représentativité et le principe de concordance (15). On peut ici se demander si la Cour de cassation ne tire pas des conséquences excessives de la "désaffiliation-affiliation" des syndicats primaires.

  • Conséquences sur la présomption transitoire de représentativité

Dans l'arrêt rendu sous le pourvoi n° 10-60.264, le STAAAP, dont on sait désormais qu'il était affilié à la CFTC jusqu'en 2009, avait désigné, le 11 mars 2010, un délégué syndical au sein de la société Swissport services CDG.

Le syndicat STAAAP UNSA reprochait au jugement attaqué d'avoir constaté son absence de représentativité au sein de l'entreprise et d'avoir annulé en conséquence la désignation litigieuse. A l'appui de son pourvoi, il avançait qu'en application des dispositions transitoires des articles 11 IV, et 13 de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008 est maintenue, jusqu'aux résultats des premières élections professionnelles postérieures à la date publication de la loi, à titre de présomption qui n'est pas susceptible de preuve contraire, la représentativité des syndicats à qui cette qualité était reconnue, avant cette date, soit par affiliation à l'une des organisations syndicales représentatives au niveau national ou interprofessionnel, soit parce qu'ils remplissaient les critères énoncés à l'article L. 2121 -du Code du travail alors en vigueur. En conséquence, le tribunal, en considérant que la désaffiliation du syndicat STAAAP de la CFTC avait entraîné la déchéance de sa présomption de représentativité, après avoir pourtant constaté que les syndicats de la société Swissport se trouvaient au jour de l'élection en cause dans la période transitoire et que le syndicat STAAAP était représentatif comme affilié à la CFTC au jour de l'entrée en vigueur de la loi du 20 août 2008, n'aurait pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, violant ainsi les articles 11, IV, et 13 de la loi n° 2008 789 du 20 août 2008.

La Cour de cassation rejette le pourvoi, considérant "que si les dispositions transitoires des articles 11 IV et 13 de la loi n° 789 du 20 août 2008 ont maintenu jusqu'aux résultats des premières élections professionnelles postérieures à la date de la publication de la loi, à titre de présomption qui n'est pas susceptible de preuve contraire, la représentativité des syndicats à qui cette qualité était reconnue avant cette date, soit par affiliation à l'une des organisations syndicales représentatives au niveau national interprofessionnel, soit parce qu'ils remplissaient les critères énoncés à l'article L. 2121 1 du Code du travail alors en vigueur, les nouvelles dispositions légales, interprétées à la lumière des alinéas 6 et 8 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 excluent qu'un syndicat qui bénéficiait de cette présomption en raison de son affiliation à une confédération représentative au plan national interprofessionnel la conserve à ce titre après qu'il s'est désaffilié de ladite confédération".

Cette solution, qui nous paraît tomber sous le sens, n'appelle guère de commentaire. Le syndicat avait, en effet, procédé à une bien curieuse interprétation de la présomption de représentativité maintenue en application des dispositions transitoires de la loi du 20 août 2008 (16). Sans doute la Cour de cassation a-t-elle affirmé que cette présomption est irréfragable, interdisant par là-même, à qui que ce soit, de la contester (17). Mais, liée à une affiliation confédérale, cette présomption cesse, en bonne logique, au jour où le syndicat quitte la confédération. On est ici tenté de dire que la présomption de représentativité perd alors sa cause.

Cela étant, dans la mesure où l'on se trouve encore dans la période transitoire, postérieurement à sa "désaffiliation-affiliation", le syndicat est en mesure d'établir qu'il est représentatif, soit en s'affiliant à une confédération représentative au plan national et interprofessionnel (18), soit en en prouvant qu'il remplit les nouveaux critères légaux de représentativité, à l'exception de celui lié à l'audience électorale.

III - Les conséquences du changement d'affiliation des élus

  • Une problématique différente

L'arrêt rendu sous le pourvoi n° 10-60.273 offre une problématique différente. En l'espèce, lors des élections des membres du comité de l'établissement de Bourg-en-Bresse de la société Renault Truck qui s'étaient tenues le 12 juin 2008, les syndicats FO, CFDT, CGT et CFE CGC avaient présenté des candidats et le syndicat FO avait obtenu plusieurs élus. Par lettre du 5 février 2010, l'ensemble des délégués du personnel, des membres du comité d'établissement et des représentants syndicaux de cette organisation ont indiqué qu'ils démissionnaient de ce syndicat pour créer une section syndicale affiliée au syndicat Sud industrie Rhône Alpes lequel, avait, le 4 février 2010, informé l'employeur de cette création et désigné un représentant de la section syndicale. Le syndicat FO a informé l'employeur, le 12 février 2010, qu'il révoquait les mandats de ses représentants, l'employeur prenant acte de ce changement d'affiliation. Par lettre du 15 mars 2010, adressée au directeur de l'établissement de Bourg-en-Bresse, le syndicat Sud industrie Rhône Alpes a désigné MM. X. et Y. en qualité de représentants syndicaux au comité d'établissement, désignations que la société Renault Truck a contestées.

Le syndicat Sud industrie Rhône-Alpes reprochait au jugement attaqué d'avoir annulé les désignations de MM. X. et Y. en qualité de représentant syndicaux au comité d'établissement de Bourg-en-Bresse de la société pour des motifs tirés d'une part de la violation de l'article L. 2324-2 du Code du travail en ajoutant à la loi une condition qu'elle ne comporte pas tirée de ce que seul un syndicat qui a présenté des candidats à l'élection du comité d'établissement et y a eu des élus peut désigner un représentant syndical à ce comité, alors qu'il suffit qu'un syndicat ait des élus au comité et que cette condition doit s'apprécier à la date de la désignation, d'autre part, d'une violation du principe de la liberté syndicale, et enfin d'une fausse application de la loi du 20 août 2008, qui n'exige pas que le syndicat qui désigne un représentant syndical au comité d'établissement soit représentatif.

Ainsi qu'on le constate, le problème qui était soumis à la Cour de cassation ne procédait pas, à la différence des arrêts précédemment examinés, de la "désaffiliation-affiliation" d'un syndicat, mais du changement d'affiliation des élus d'un syndicat. Pour autant, et sans grande surprise, la Chambre sociale apporte à la question qui lui était posée une réponse similaire aux solutions retenues dans les arrêts précités.

  • Une solution similaire

Reprenant la solution de principe déjà envisagée précédemment, la Cour de cassation indique "que l'affiliation confédérale sous laquelle un syndicat a présenté des candidats aux élections des membres du comité d'entreprise constitue un élément essentiel du vote des électeurs". Elle en déduit que "pour apprécier les conditions d'ouverture du droit pour un syndicat de désigner un représentant syndical au comité d'entreprise conformément à l'article L. 2324-2 du Code du travail, ne peuvent être considérés comme ses élus les salariés qui n'ont pas été candidats sur les listes présentées par ce syndicat lors des dernières élections".

Par voie de conséquence, "sans méconnaître le principe de la liberté syndicale individuelle des salariés, ni exiger que le syndicat soit représentatif dans l'établissement, le tribunal a exactement décidé que le changement d'affiliation des élus FO au comité d'entreprise, décidé après l'élection, ne pouvait ouvrir au syndicat Sud, auquel ces élus s'étaient ultérieurement affiliés, le droit de désigner des représentants syndicaux au comité d'établissement dès lors que le syndicat Sud n'avait pas eu d'élus lors du dernier scrutin".

La solution nous paraît, là encore, devoir être approuvée. Depuis la loi du 20 août 2008, dans les entreprises de plus de trois cents salariés, un syndicat ne peut nommer un représentant au comité d'entreprise que s'il y a des élus (C. trav., art. L. 2324-2). En revanche, et contrairement à la règle applicable antérieurement à la réforme, le syndicat en question n'a nul besoin d'être représentatif (19). Un syndicat ne saurait prétendre avoir des élus au comité d'entreprise lorsque ces derniers, pour l'avoir rejoint a posteriori, ont toutefois été élus sur une liste présentée par un autre syndicat. Admettre le contraire reviendrait à méconnaître le choix qui a été fait par les électeurs qui, comme il a été dit précédemment, est présumé lié à l'affiliation du syndicat. En votant pour une liste syndicale donnée, ces électeurs ont certes entendu se choisir des représentants, mais aussi conférer au syndicat ayant présenté la liste de candidats des prérogatives et la représentativité.

A notre sens, le changement d'affiliation des élus rend le mandat de représentant syndical au comité d'entreprise caduc (20). En revanche, le sort des mandats élus reste posé. Sans doute ceux-ci dépendent des suffrages des salariés et non de la désignation donnée par un syndicat. Pour autant, peut-on admettre que des salariés restent délégué du personnel ou membre du comité d'entreprise alors qu'ils ont été élus sur une liste déposé par un syndicat qu'ils ont depuis quitté ? L'importance de l'affiliation syndicale incite à répondre par la négative.


(1) J.-M. Verdier, Syndicats et droit syndical, Volume I, Liberté, structures, action, Dalloz, 2ème édition, 1987, n° 110 et s..
(2) Pour une illustration, v. Cass. soc., 15 décembre 2004, n° 04-60.020, FS-P+B (N° Lexbase : A4927DE9).
(3) J. Pélissier, G. Auzero, E. Dockès, Droit du travail, Précis Dalloz, 25ème édition, 2010, n° 889.
(4) La scission ne doit donc pas être confondue avec la démission collective suivie de la constitution d'un syndicat rival ou encore, comme dans l'arrêt rendu sous le pourvoi n° 10-60.273 avec la démission de l'ensemble des représentants du personnel d'une organisation suivie de la création d'une section syndicale affiliée à un autre syndicat.
(5) V. J. Pélissier, G. Auzero, E. Dockès, op. et loc. cit.. La scission syndicale pose d'autres problèmes, lorsqu'il s'agit par exemple de l'attribution des sièges dévolus à l'ancienne confédération dans les caisses de Sécurité sociale (Cass. civ. 2, 10 février 1967, publié, Dr. soc., 1967, p. 584, note J.-M. Verdier).
(6) Dans quatre des cinq arrêts sous commentaire c'est ce même syndicat qui est en cause.
(7) Cass. soc., 3 mars 2010, n° 09-60.283, FS-P+B+R (N° Lexbase : A6615ESS). V. les obs., Un syndicat ne perd pas sa personnalité juridique en s'affiliant à une nouvelle confédération, Lexbase Hebdo n° 387 du 18 mars 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N5908BN7).
(8) Dans cette affaire aussi le syndicat STAAAP entendait se prévaloir des suffrages obtenus alors qu'il était affilié à la CFTC pour désigner, postérieurement à son affiliation à l'UNSA, un délégué syndical.
(9) Il faut en effet rappeler qu'antérieurement à la loi de 2008, la Cour de cassation tenait déjà compte de l'audience électorale du syndicat dans l'appréciation de la représentativité.
(10) Cette idée explique aussi à notre sens pourquoi la Cour de cassation considère que, s'agissant de la mesure de la représentativité, "le nombre de voix recueillies par les organisations syndicales à prendre en considération pour le décompte des suffrages exprimés en leur faveur est le nombre de suffrages exprimés au profit de chaque liste, sans qu'il y ait lieu, s'agissant de la mesure de la représentativité de ces organisations, de tenir compte d'éventuelles ratures de noms de candidats" : Cass. soc., 6 janvier 2011, n° 10-60.168, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7332GNU). V. nos obs., Modalités de calcul du score électoral permettant de déterminer l'audience des organisations syndicales, Lexbase Hebdo n° 424 du 20 janvier 2011 - édition sociale (N° Lexbase : N1563BRC).
(11) Question qui nous ramène aux problèmes suscités par la division entre CGT et CGT-FO et à quelques vieux arrêts de la Cour de cassation.
(12) Cela aboutit à une forme de réification des votes qui appartiennent moins au syndicat qu'à l'union de syndicats dont il fait partie.
(13) Cass. soc., 13 janvier 2010, n° 09-60.155, FS-P+B+R (N° Lexbase : A3134EQ7), Dr. soc., 2010, p. 597, obs. F. Petit.
(14) V. J. Pélissier, G. Auzero, E. Dockès, ouvrage préc., n° 966 et la jsp. citée.
(15) Remarquons que dans l'arrêt précité du 13 janvier 2010 la représentativité n'était pas en cause puisque le litige portait sur la constitution d'une section syndicale et la désignation d'un représentant de la section syndicale, prérogatives qui ne dépendent pas de la représentativité.
(16) Sur ces dispositions, v. notamment J. Pélissier, G. Auzero, E. Dockès, op. cit., n° 904 et s..
(17) Cass. soc., 11 juillet 2009, n° 09-60.011, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7069EIN).
(18) Ce qui n'est pas le cas de l'UNSA.
(19) Cass. soc., 8 juillet 2009, n° 09-60.015, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7070EIP)
(20) On peut néanmoins penser que le syndicat mandant révoquera le mandat.

Décisions

Cass. soc., 18 mai 2011, n° 10-21.705, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A2902HRW)

Cassation, TI Aulnay-sous-Bois, 21 juillet 2010

Cass. soc., 18 mai 2011, n° 10-60.069, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A2903HRX)

Rejet, TI Gonesse, 15 janvier 2010

Textes visés : C. trav., art. L. 2122-1 (N° Lexbase : L3823IB9) et L. 2143-1 (N° Lexbase : L2177H9I)

Mots-clés : représentativité, audience électorale, affiliation confédérale, désaffiliation, délégué syndical, désignation, conditions

Liens base : (N° Lexbase : E4606ETR)

Cass. soc., 18 mai 2011, n° 10-60.300, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A2906HR3)

Cassation, TI Aulnay-sous-Bois, 11 juin 2010

Textes visés : C. trav., art. L. 2122-1 (N° Lexbase : L3823IB9) et L. 2143-3 (N° Lexbase : L3719IBD)

Mots-clés : représentativité, audience électorale, affiliation confédérale, désaffiliation, délégué syndical, désignation par une union de syndicats

Liens base : (N° Lexbase : E4606ETR)

Cass. soc., 18 mai 2011, n° 10-60.264, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A2904HRY)

Rejet, TI Gonesse, 29 avril 2010

Textes concernés : articles 11 IV, et 13 de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008 (N° Lexbase : L7392IAZ)

Mots-clés : représentativité, dispositions transitoires, présomption irréfragable, affiliation confédérale, désaffiliation

Liens base : (N° Lexbase : E4606ETR)

Cass. soc., 18 mai 2011, n° 10-60.273, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A2905HRZ)

Rejet, TI Bourg-en-Bresse, 3 mai 2010

Texte concerné : C. trav., art. L. 2324-2 (N° Lexbase : L3724IBK)

Mots-clés : comité d'entreprise, représentant syndical, désignation, conditions, élus, désaffiliation des élus.

Liens base : (N° Lexbase : E4606ETR)

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Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] Mise à disposition de personnel : la Cour de cassation resserre son contrôle

Réf. : Cass. soc., 18 mai 2011, n° 09-69.175, FS-P+B (N° Lexbase : A2612HSK)

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N4199BSC

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par Christophe Willmann, Professeur à l'Université de Rouen et Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Protection sociale"

Le 08 Juin 2011

La Cour de cassation place sous haute surveillance les opérations de mise à disposition menées par les entreprises qui transfèrent leur personnel d'une société à une autre. Les techniques et instruments mis en place varient autant que les qualifications retenues : prêt de main d'oeuvre ; marchandage ; notion de "coemployeur" (qualification que la Cour de cassation utilise lorsqu'il existe entre deux sociétés une confusion d'intérêts, d'activités et de direction et en tire la conséquence que lorsque le salarié a pour coemployeurs des entités faisant partie d'un même groupe, la cessation d'activité de l'une d'elles ne peut constituer une cause économique de licenciement (1)) ou enfin portage salarial (2). La Cour de cassation s'est montrée attentive à la qualification juridique donnée à ces montages, dans la mesure où le législateur a posé comme principe fondamental qu'exceptionnellement autorisé dans quelques cas bien délimités (service à la personne, associations intermédiaires, travail temporaire, fédération sportive ..., C. trav., art. L. 8241-1, alinéa 2 N° Lexbase : L3717IBB), le prêt de main-d'oeuvre à but lucratif est prohibé, sauf si les opérations de prêt de main-d'oeuvre à but sont réalisées de manière non lucrative (C. trav., art. L. 8241-2 N° Lexbase : L3648H9Y). Il en va de même pour le marchandage, en tant qu'opération à but lucratif de fourniture de main-d'oeuvre ayant pour conséquence de causer un tort aux salariés concernés ou d'écarter l'application des dispositions de la loi, de règlement ou de convention ou accord collectif de travail (C. trav., art. L. 8234-1 N° Lexbase : L3642H9R et L. 8231-1 N° Lexbase : L3633H9G). Au-delà des qualifications retenues, le juge veille également au statut des salariés, aussi bien en matière de relations individuelles que collectives de travail. En 2007, la Cour de cassation jugeait que les travailleurs mis à disposition d'une entreprise, intégrés de façon étroite et permanente à la communauté de travail qu'elle constitue sont, à ce même titre, électeurs aux élections des membres du comité d'entreprise ou d'établissement et des délégués du personnel (3). De même, à la condition d'être salarié de l'entreprise d'origine au moment de la désignation, un salarié détaché peut y être investi d'un mandat de délégué syndical (4). En 2009, elle a reconsidéré la qualification d'une opération de prestation de services (5). En 2011, elle a précisé le régime de l'obligation de reclassement d'une société mère, vis-à-vis du salarié détaché dans une filiale (6).
Résumé

La rémunération contractuelle d'un salarié constitue un élément du contrat de travail qui ne peut être modifié ni dans son montant ni dans sa structure sans son accord, peu important que l'employeur prétende que le nouveau mode de rémunération est sans effet sur le montant global de la rémunération du salarié.

Le salarié, dont la prise d'acte de la rupture du contrat de travail est justifiée et qui n'est pas tenu d'exécuter un préavis, a droit à être indemnisé de la perte de chance d'utiliser les droits qu'il a acquis au titre du droit individuel à la formation.

La demande d'un salarié en paiement d'une somme au titre du travail dissimulé est recevable, dès lors qu'il avait été fait application au salarié d'une convention de forfait-jours illicite. Mais le salarié a été privé du paiement des heures supplémentaires effectuées, faute pour la convention collective des sociétés financières qui lui était applicable (conformément à l'article L. 8241-2 du Code du travail) de prévoir la possibilité d'y recourir.

Par un arrêt rendu le 18 mai 2011, la Cour s'est prononcée sur une opération de mise à disposition d'un salarié d'une société (société John Deere) au profit d'une autre (société John Deere crédit). Ayant refusé une modification de sa rémunération, le salarié a pris acte de la rupture du contrat de travail le 30 novembre 2006 et saisi la juridiction prud'homale pour faire juger que la prise d'acte produisait les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et obtenir l'indemnisation des heures acquises depuis 2005 au titre du droit individuel à la formation et le paiement de sommes au titre du travail dissimulé et d'heures supplémentaires.

L'intérêt de l'arrêt rapporté est double : il permet de mieux saisir la qualification de l'opération de mise à disposition du personnel (I) ; il souligne les conséquences de l'illicéité d'une mise à disposition pour le salarié, au regard d'une prise d'acte et de la réparation du préjudice (II).

I - Qualification de l'opération de mise à disposition du personnel

A - Prohibition légale

La ligne de conduite des entreprise est strictement délimitée et encadrée par le législateur (C. trav., art. L. 8231-1, L. 8241-1, L. 3121-22 N° Lexbase : L0314H9I et L. 3121-45 N° Lexbase : L3952IBY) :

- toute opération à but lucratif ayant pour objet exclusif le prêt de main d'oeuvre est interdite (C. trav., art. L. 8241-1 à L. 8243-2 N° Lexbase : L3653H98) ;

- est également interdit tout marchandage défini comme une opération à but lucratif de fourniture de main-d'oeuvre qui a, pour effet, de causer un préjudice au salarié en éludant l'application de dispositions légales ou de stipulations d'une convention ou d'un accord collectif de travail (C. trav., art. L. 8231-1 à L. 8234-2 N° Lexbase : L3644H9T).

La Cour de cassation (arrêt rapporté) complète la prohibition légale par cette précision : l'interdiction de prêt de main d'oeuvre concerne également l'entreprise utilisatrice. Cette règle n'est pas mentionnée par le législateur, qui ne la mentionne pas (notamment aux articles L. 8241-1 et L. 8241-2).

Surtout, la Cour de cassation avance un principe nouveau : le caractère lucratif de l'opération peut résulter d'un accroissement de flexibilité dans la gestion du personnel et de l'économie de charges procurés à cette dernière. La précision est d'importance, dans la mesure où le législateur prohibe un comportement (l'opération de mise à disposition du personnel à titre lucratif) mais ne le définit pas (on ne sait pas ce que recouvre le caractère lucratif de l'opération).

B - Caractère profitable de l'opération de mise à disposition

1 - Eléments d'appréciation du caractère profitable de l'opération de mise à disposition

La Cour de cassation a été amenée à distinguer certaines opérations de mise à disposition du personnel et procéder à leur qualification, en utilisant le critère de la rémunération du salarié, selon qu'il soit pris en charge intégralement ou pas (7).

La Cour de cassation utilise le critère du mode de rémunération de l'entreprise prêteuse pour distinguer le contrat de sous-traitance du contrat de prêt de main d'oeuvre illicite. Si une entreprise fournit une prestation de services et non pas uniquement de la main-d'oeuvre, elle demandera une rémunération forfaitaire et non un prix en fonction des heures ou des jours travaillés (8). Une rémunération calendaire est un indice du contrat de sous-traitance licite (9). Au contraire, constitue un prêt de main d'oeuvre illicite et non une sous-traitance licite la prestation de services dont la rémunération est calculée suivant un taux horaire multiplié par le nombre d'heures effectuées (10).

Ainsi, la Cour de cassation considère le caractère lucratif établi lorsque,

- le travail effectué par les salariés d'une société au profit d'une autre société était facturé à cette dernière en fonction du temps passé (11) ;

- lorsque la rémunération des salariés est calculée en fonction de la durée de la mise à la disposition de l'entreprise utilisatrice, du nombre et de la qualification des travailleurs détachés (12) ;

- le prix facturé lors du prêt de main d'oeuvre caractérise une marge bénéficiaire (13) ;

- le but lucratif est caractérisé par le seul fait que le prêt de main-d'oeuvre a été effectué à titre onéreux (14).

Dans une affaire en date du 16 mai 2000 (15), le dirigeant d'une société, poursuivi pour prêt de main-d'oeuvre illicite, s'était pourvu en cassation au motif que les juges du fond n'avaient pas constaté la poursuite d'un gain ou d'un profit par la société prêteuse ou la société utilisatrice. Or, selon le demandeur, le but lucratif qui est un des éléments constitutifs de l'infraction de prêt de main d'oeuvre illicite supposait la poursuite d'un tel gain ou d'un profit. Cet argumentaire a été rejeté par la Cour de cassation qui estime que le but lucratif est caractérisé par le fait que le travail effectué par les salariés était facturé à cette société en fonction du temps passé.

2 - Appréciation judiciaire

En l'espèce, pour rejeter la demande du salarié de paiement par la société John Deere crédit d'une somme au titre du travail dissimulé et d'heures supplémentaires, les juges du fond ont retenu que la société John Deere ne retirait pas le moindre profit de l'opération de mise à disposition du salarié auprès de la société John Deere crédit, la rémunération de ce salarié étant refacturée au centime près à la société John Deere crédit. La Cour de cassation reprend à son compte cette observation : la société John Deere crédit ne supportait aucun frais de gestion de personnel hormis le strict remboursement du salaire et des charges sociales.

Mais si l'opération peut sembler a priori blanche, et donc non susceptible de rentrer dans les prévisions de l'article L. 8241-1 du Code du travail (prêt de main d'oeuvre à caractère lucratif), la Cour de cassation ne s'arrête pas à ce constat : en effet (ainsi qu'elle le rappelle dans son attendu de principe), le caractère lucratif de l'opération peut résulter d'un accroissement de flexibilité dans la gestion du personnel et de l'économie de charges procurés à cette dernière.

Bref, l'opération de prêt de main d'oeuvre peut se faire à coût constant (et donc, ne pas révéler un caractère lucratif) mais pourtant être illicite (au sens de l'article L. 8241-1 du Code du travail) par le simple fait que :

- l'opération résulte d'un accroissement de flexibilité dans la gestion du personnel ;

- en raison de l'économie de charges procurée à l'entreprise.

II - Conséquence de l'illicéité d'une mise à disposition pour le salarié : la qualification de prise d'acte et la réparation du préjudice

La reconnaissance du caractère illicite d'une opération de mise à disposition entraîne, pour le salarié, deux conséquences : une rupture de son contrat de travail (question de la qualification d'une prise d'acte)(A) ; une réparation du préjudice subi (B).

A - Effets de l'opération de mise à disposition sur le statut du salarié

1 - Modification du salaire

En l'espèce, les juges du fond avaient rejeté la demande du salarié tendant à faire juger que la prise d'acte de la rupture de son contrat de travail produisait les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse. En effet, l'augmentation du salaire de base en octobre 2006 (de 7 %) permettait de compenser la baisse du taux des primes (de 6 %) : aussi, la modification n'avait pas d'incidence sur le montant de la rémunération. La Cour de cassation, plutôt raisonnablement, rejette la solution : la rémunération contractuelle d'un salarié constitue un élément du contrat de travail qui ne peut être modifié ni dans son montant ni dans sa structure sans son accord, peu important que l'employeur prétende que le nouveau mode de rémunération est sans effet sur le montant global de la rémunération du salarié.

2 - Modification du salaire et prise d'acte

En l'espèce, les juges du fond ont relevé que le salarié n'établit pas que la rémunération perçue pour un forfait-jours était moindre que celle qui lui aurait été allouée s'il avait relevé de la convention collective qu'il revendique. En effet dans une telle hypothèse, son salaire de base aurait été différent et le paiement d'heures supplémentaires éventuelles aurait été réglementé. Il s'ensuit qu'il n'était pas fondé à soutenir que sa mise à disposition était illicite et qu'elle l'a privé du bénéfice d'une convention collective qui lui aurait ouvert droit à une meilleure rémunération au travers du paiement d'heures supplémentaires.

Là encore, la Cour de cassation écarte la solution retenue par les juges du fond. La Cour relève qu'il a été fait application au salarié d'une convention de forfait-jours illicite, faute pour la convention collective des sociétés financières qui lui était applicable (conformément à l'article L. 8241-2 du Code du travail) de prévoir la possibilité d'y recourir, ce qui l'avait privé du paiement des heures supplémentaires effectuées.

B - Réparation du préjudice lié à la rupture du contrat de travail

L'article L. 8223-1 du Code du travail (N° Lexbase : L3616H9S) prévoit, en cas de licenciement d'un salarié dont le travail a été dissimulé, le versement d'une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire. Cette indemnité a, pour objet, d'assurer une réparation minimale du préjudice subi par le salarié du fait de la dissimulation du travail, qui conduit, faute de versement de cotisations sociales, à une perte de droits. Le caractère forfaitaire de l'indemnité est destiné à compenser la difficulté, pour ce salarié, de prouver le nombre d'heures de travail accompli. Le Conseil constitutionnel a précisé, il y a peu, que cette indemnité, qui est distincte des sanctions pénales prévues par les articles L. 8224-1 et suivants du Code du travail (N° Lexbase : L3622H9Z), ne constitue pas une sanction ayant le caractère d'une punition au sens de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'Homme de 1789 (N° Lexbase : L1372A9P) (16).

Le plus important réside dans la jurisprudence de la Cour de cassation, laquelle admet le cumul de l'indemnité forfaitaire avec d'autres indemnités. En effet, les dispositions de l'article L. 8223-1 du Code du travail ne font pas obstacle au cumul de l'indemnité forfaitaire avec les indemnités de toute nature auxquelles le salarié a droit en cas de rupture de la relation de travail, à la seule exception de l'indemnité légale ou conventionnelle de licenciement. Ainsi, l'indemnité forfaitaire (prévue par l'article L. 8223-1 du Code du travail) et l'indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement se cumulent (17).

L'indemnité forfaitaire (C. trav., art. L. 8223-1) se cumule avec :

- l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (18) ;

- les dommages-intérêts pour violation de l'ordre des licenciements (19) ;

- l'indemnité compensatrice de préavis et de l'indemnité de congés payés (20) ;

- l'indemnité conventionnelle de licenciement (21) ;

- enfin, l'indemnisation de la perte de chance d'utiliser les droits qu'il a acquis au titre du droit individuel à la formation (C. trav., art. L. 6323-1 N° Lexbase : L3634H9H). En effet, la Cour de cassation décide (arrêt rapporté) que le salarié, dont la prise d'acte de la rupture du contrat de travail est justifiée et qui n'est pas tenu d'exécuter un préavis, a droit à être indemnisé de la perte de chance d'utiliser les droits qu'il a acquis au titre du droit individuel à la formation. La solution n'est pas inédite, la Cour de cassation et les juges du fond se sont déjà prononcés en ce sens, admettant la réparation du préjudice pour perte de chance de faire liquider ses droits acquis en matière de droit individuel à la formation (22).


(1) Cass. soc., 18 janvier 2011, n° 09-69.199, FS-P+B+R (N° Lexbase : A2851GQN), v. les obs. de G. Auzero, Coemployeurs : qualification et effets sur la validité des licenciements économiques, Lexbase Hebdo n° 426 du 3 février 2011 - édition sociale (N° Lexbase : N3365BR3) ; Les coemployeurs in Les concepts émergents en Droit des affaires, ss. la direc. d'E. Le Dolley, LGDJ, 2010, p. 43.
(2) Cass. soc., 17 février 2010, 2 arrêts, n° 08-45.298, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A9244ERS) et n° 08-40.671, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A9243ERR), v. nos obs., Statut du salarié "porté" : la Cour de cassation plus audacieuse que le législateur !, Lexbase Hebdo n° 384 du 25 février 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N2567BNE) ; TGI de Paris, 1ère ch., sect. soc., 18 mars 2008, n° 06/08817 (N° Lexbase : A9156D7A), v. nos obs., Le TGI de Paris requalifie en contrat de travail l'activité des portés d'une société de portage salarial, Lexbase Hebdo n° 303 du 8 mai 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N8880BEM). V. aussi L. Casaux-Labrunée, Le portage salarial : travail salarié ou travail indépendant ?, Dr. soc., 2007, p. 58 ; L. Casaux-Labrunée (dir.), Le portage salarial - Fraude ou nouvelle forme d'organisation du travail ?, n° spécial SSL, supplément n° 1332, 10 décembre 2007 ; J.-Y. Kerbourc'h, Le portage salarial : prestation de service ou prêt de main d'oeuvre illicite ?, Dr. soc., 2007, p. 72 ; P. Morvan, Eloge juridique et épistémologique du portage salarial, Dr. soc., 2007, p. 607 ; J.-J. Dupeyroux, Le roi est nu - Réponse à P. Morvan, Dr. soc., 2007, p. 616.
(3) Cass. soc., 28 février 2007, n° 06-60.171, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A4007DUX) ; RDT, 2007, p. 229, note M.-L. Morin ; D., 2007, pan., note J. Pélissier. V. aussi Cass. soc., , deux arrêts, 1er avril 2008, n° 07-60.287, FS-P+B (N° Lexbase : A7751D79) et n° 07-60.283, FS-P+B (N° Lexbase : A7750D78) et les obs. de S. Martin-Cuénot, Effectif et électorat des salariés mis à disposition : principe et conditions, Lexbase Hebdo n° 301 du 17 avril 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N7621BEY) et Cass. soc., 19 janvier 2011, n° 10-60.296, F-P+B. (N° Lexbase : A2991GQT) et les obs. de S. Tournaux, Le salarié mis à disposition, membre de l'effectif sans être électeur ?, Lexbase Hebdo n° 426 du 3 février 2011 - édition sociale (N° Lexbase : N3364BRZ).
(4) Cass. soc., 27 mai 2009, n° 08-60.569, F-P+B (N° Lexbase : A3992EHC) et les obs. de G. Auzero, Un salarié détaché peut être désigné en qualité de délégué syndical dans son entreprise d'origine, Lexbase Hebdo n° 354 du 11 Juin 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N6428BKB).
(5) Cass. crim., 3 mars 2009, n° 07-81.043, F-P+F (N° Lexbase : A0847EE4) et les obs. de G. Auzero, Prestation de services transnationale et prêt illicite de main-d'oeuvre, Lexbase Hebdo n° 344 du 2 avril 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N9953BIH).
(6) V. Cass. soc., 30 mars 2011, n° 09-70.306, FS-P+B+R (N° Lexbase : A3925HMC) et nos obs., Détachement dans une filiale : la société mère reste débitrice de l'obligation de reclassement, Lexbase Hebdo n° 436 du 14 avril 2011 - édition sociale (N° Lexbase : N9666BRG).
(7) Cass. crim., 20 mars 2007, n° 05-85.253, F-P+F+I (N° Lexbase : A9502DUH), v. les obs. de A. Serrano, Prêt illicite de main-d'oeuvre : retour sur le but lucratif de l'opération, Lexbase Hebdo n° 258 du 3 mai 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N9152BA9).
(8) Cass. crim., 25 avril 1989, n° 88-84.222, publié (N° Lexbase : A3386ABZ) ; Cass. crim., 26 mai 1988, n° 86-91.989, publié (N° Lexbase : A0826CKS) ; Cass. crim., 18 mars 1997, n° 96-82.254, inédit (N° Lexbase : A3341CWN).
(9) Cass. crim., 22 juin 1993, n° 92-82.928, inédit (N° Lexbase : A8590AGA) ; Cass. soc., 25 septembre 1990, n° 88-19.856, publié (N° Lexbase : A4398ACU).
(10) Cass. crim., 22 juin 1993, n° 92-82.928, inédit (N° Lexbase : A8590AGA).
(11) Cass. crim., 16 mai 2000, n° 99-85.485, inédit (N° Lexbase : A2257CU7).
(12) Cass. crim., 5 décembre 1995, n° 94-85.681, inédit (N° Lexbase : A2670CN9).
(13) Cass. crim., 16 juin 1998, n° 97-80.138, publié (N° Lexbase : A6333AGN) ; Cass. soc., 17 juin 2005, n° 03-13.707, FS-P+B (N° Lexbase : A7475DIP).
(14) Cass. crim., 27 mai 1999, n° 98-82.934, inédit (N° Lexbase : A1593C4R).
(15) Cass. crim., 16 mai 2000, n° 99-85.485, inédit (N° Lexbase : A2257CU7).
(16) V. Cons. const., 25 mars 2011, n° 2011-111 QPC (N° Lexbase : A3848HHY), v. nos obs., L'indemnité légale pour travail dissimulé n'est pas une peine ayant le caractère de punition, Lexbase Hebdo n° 437 du 28 avril 2011 - édition sociale (N° Lexbase : N0660BSA).
(17) Cass. soc., 12 janvier 2006, n° 04-43.105, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A3492DMB), v. les obs. de S. Martin-Cuenot, Cumul de l'indemnité forfaitaire de l'article L. 324-11-1 du Code du travail avec les indemnités de rupture : généralisation et clarification, Lexbase Hebdo n° 199 du 26 janvier 2006 - édition sociale (N° Lexbase : N3592AKA), à propos de Cass. soc., six arrêts, 12 janvier 2006, FP-P+B+R+I, n° 03-44.777 (N° Lexbase : A3378DM3) ; n° 04-42.190 (N° Lexbase : A3488DM7), n° 04-43.105, n° 04-40.991 (N° Lexbase : A3477DMQ), n° 03-46.800 (N° Lexbase : A3383DMA) et n° 04-41.769 (N° Lexbase : A3486DM3).
(18) Cass. soc., 12 janvier 2006, n° 03-46.800, préc..
(19) Cass. soc., 12 janvier 2006, n° 04-41.769, préc..
(20) Cass. soc., 12 janvier 2006, n° 04-40.991, préc..
(21) Cass. soc., 25 mai 2005, n° 02-44.468, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A3955DIC) ; v. les obs. de G. Auzero, Travail dissimulé : revirement quant à la possibilité de cumuler l'indemnité forfaitaire de l'article L. 324-11-1 du Code du travail et les indemnités de rupture, Lexbase Hebdo n° 171 du 9 juin 2005 - édition sociale (N° Lexbase : N5137AI4).
(22) Cass. Soc., 19 mai 2010, n° 08-45.090, F-D (N° Lexbase : A3783EXE) ; CA Montpellier, 12 novembre 2008, n° 08/03719 (N° Lexbase : A0933GL7) ; CA Montpellier, 24 septembre 2008, n° 08/02350 (N° Lexbase : A9759GKN) ; CA Rennes, 19 février 2008, n° 06/03381 ; CA Lyon ch. soc., 21 novembre 2007, n° 06/04390 (N° Lexbase : A9489ESA) ; Voir aussi, implicitement cependant, Cass. Soc., deux arrêts, 20 janvier 2010, n° 08-41.697, F-P+B sur le troisième moyen (N° Lexbase : A4681EQG), Bull. civ. V, n° 16 et n° 08-41.652 (N° Lexbase : A4678EQC).

Décision

Cass. soc., 18 mai 2011, n° 09-69.175, FS-P+B (N° Lexbase : A2612HSK)

Textes concernés : C. trav., art. L. 6323-1 (N° Lexbase : L3634H9H), L. 6323-17 (N° Lexbase : L9632IEH), L. 8231-1 (N° Lexbase : L3633H9G), L. 8241-1 (N° Lexbase : L3717IBB), L. 3121-22 (N° Lexbase : L0314H9I) et L. 3121-45 (N° Lexbase : L3952IBY)

Mots-clés : rupture du contrat de travail, prise d'acte, justification (oui), perte de chance, DIF, réparation, travail dissimulé, réparation salarié, non-paiement d'heures supplémentaires, privation, préjudice, faute de l'employeur

Liens base : et (N° Lexbase : E7590ESW)

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Sociétés

[Textes] Loi de simplification et d'amélioration de la qualité du droit : aspects de droit des sociétés

Réf. : Loi n° 2011-525 du 17 mai 2011, de simplification et d'amélioration de la qualité du droit (N° Lexbase : L2893IQ9)

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N4094BSG

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par Vincent Téchené, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition affaires

Le 08 Juin 2011

Troisième volet d'un travail législatif d'envergure, la loi de simplification et d'amélioration de la qualité du droit, a été publiée au Journal officiel du 18 mai 2011. Les deux précédentes propositions de loi, qui s'inscrivent dans cette démarche législatives et qui sont respectivement devenues la loi n° 2007-1787 du 20 décembre 2007, relative à la simplification du droit (N° Lexbase : L5483H3H) et la loi n° 2009-526 du 12 mai 2009, de simplification et de clarification du droit et d'allègement des procédures (N° Lexbase : L1612IEG), ont permis d'abroger un grand nombre de textes désuets, de clarifier de nombreux pans de notre législation, de corriger des erreurs de rédaction ou de coordination et de simplifier -voire de supprimer- certaines démarches administratives pesant sur nos concitoyens. La loi du 17 mai 2011, dite "SAQD", a plusieurs sources : certaines mesures sont issues du rapport sur la qualité et la simplification du droit que le député Jean-Luc Warsmann, parlementaire à l'origine de ce texte, avait remis au Premier ministre le 29 janvier 2009 ; d'autres mesures résultent d'un travail réalisé au sein de la commission des lois avec le concours d'une équipe de juristes et de scientifiques tendant à identifier les normes désuètes, inappliquées ou contraires à des normes supérieures en matière pénale ; certaines mesures proviennent des sollicitations de nos concitoyens, notamment par l'intermédiaire du site internet "Simplifions la loi" ; enfin, quelques mesures, proposées par les ministères, ont été élaborées en concertation étroite avec le Gouvernement. Comme ses prédécesseurs, la loi "SAQD", forte de 200 articles, balaye la plupart des matières : notamment le droit social (1), les droits pénal et civil (2), le droit comptable (3) ou encore le droit public (4). Le droit des affaires n'est pas en reste ; la réforme s'y est bien entendu intéressée et les modifications substantielles qu'elle y apporte touchent, en premier lieu, le droit des sociétés (5). Lexbase Hebdo - édition affaires vous propose donc cette semaine un aperçu des dispositions de ce texte qui viennent modifier le droit des sociétés. 

1 - Simplification des obligations comptables des sociétés (articles 55 et 57)

L'article 55 de la loi du 17 mai 2011 ouvre la possibilité aux personnes morales mentionnées à l'article L. 123-16 du Code de commerce (N° Lexbase : L3094IQN), c'est-à-dire qui ne dépasse deux des seuils prévus à l'article R. 123-200 (N° Lexbase : L9953HYB 3 650 000 euros de total du bilan ; un montant net du chiffre d'affaires de 7 300 000 euros et un nombre moyen de salariés permanents employés au cours de l'exercice inférieur à 50), et placées sur option ou de plein droit sous le régime réel simplifié d'imposition de présenter une annexe comptable établie selon un modèle abrégé fixé par un règlement de l'Autorité des normes comptables (C. com. art. L. 123-16-1). Cet article précise, en outre, que les changements de règles ou de méthodes comptables d'un exercice à l'autre, qui doivent être justifiés dans l'annexe, sont signalés uniquement dans son rapport par le commissaire aux comptes, lorsqu'il en existe un, l'obligation de les mentionner dans le rapport de gestion disparaissant (C. com., art. 123-17, nouv. N° Lexbase : L3093IQM).
Il étend également aux personnes morales ayant la qualité de commerçant et placées, sur option ou de plein droit, sous le régime réel simplifié d'imposition, à l'exception des sociétés contrôlées par une société qui établit des comptes consolidés, la possibilité de tenir une comptabilité de trésorerie, c'est-à-dire de n'enregistrer les créances et les dettes qu'à la clôture de l'exercice (C. com., art. L. 123-25, nouv. N° Lexbase : L3092IQL). Par ailleurs afin d'assurer la concordance entre les dispositions du Code de commerce et le Code général des impôts, il est inséré après le 1 de l'article 302 septies A ter A du Code général des impôts (N° Lexbase : L3096IQQ), un nouvel alinéa 1 bis prévoyant des dispositions analogues au nouvel article L. 123-25 du Code de commerce.

On notera que le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 12 mai 2011 (Cons. const., décision n° 2011-629 DC, du 12 mai 2011 N° Lexbase : A3053HQ7), a censuré à la marge le texte adopté en dernière lecture du Parlement, en raison de son caractère de cavalier législatif. Ainsi, un nouvel article L. 233-17-1 du Code de commerce prévoyait que les sociétés étaient exemptées de l'obligation d'établir et de publier des comptes consolidés et un rapport sur la gestion du groupe lorsque toutes les entreprises contrôlées de manière exclusive ou conjointe ou dans lesquelles elles exerçaient une influence notable présentaient, tant individuellement que collectivement, un intérêt négligeable par rapport à l'objectif défini à l'article L. 233-21 du Code de commerce (N° Lexbase : L6324AI3). Toutefois, cette disposition, qui transposait l'article 2 de la Directive 2009/49/CE du Parlement européen et du Conseil du 18 juin 2009 (N° Lexbase : L4495IE9), devrait se retrouver dans un prochain texte.

2 - Simplification du régime de communication des conventions conclues entre une société et un mandataire social ou un actionnaire (article 58)

Les conventions conclues entre, d'une part, une société anonyme et, d'autre part, un de ses mandataires sociaux, un de ses actionnaires détenant plus de 10 % des droits de vote ou encore une société qui la contrôle, si elles portent "sur des opérations courantes et conclues à des conditions normales", n'ont pas à faire l'objet d'une autorisation préalable par le conseil d'administration ou de surveillance, contrairement aux conventions réglementées.

Cependant, depuis la loi "NRE" (loi n° 2001-420 du 15 mai 2001, relative aux nouvelles régulations économiques N° Lexbase : L8295ASZ), les conventions simples devaient être transmises par l'intéressé au président du conseil d'administration ou du conseil de surveillance. En outre, la liste et l'objet des conventions courantes étaient communiqués aux membres du conseil et aux commissaires aux comptes (C. com., art. L. 225-39, al. 2, anc. N° Lexbase : L5910AIQ et L. 225-87, al. 2, anc. N° Lexbase : L5958AII) et étaient mis à la disposition des actionnaires qui en faisaient la demande avant l'assemblée générale (C. com., art. L. 225-115, 6° N° Lexbase : L8260GQY). Des obligations analogues existaient dans les sociétés par actions simplifiées (C. com. art. L. 227-11, anc. N° Lexbase : L6166AI9). L'article 58 de la loi "SAQD" abroge les seconds alinéas des articles L. 225-39 (N° Lexbase : L3100IQU) et L. 225-87 (N° Lexbase : L3099IQT), le 6° de l'article L. 225-115 (N° Lexbase : L3098IQS) et modifie l'article L. 227-11 (N° Lexbase : L3097IQR), de sorte que, désormais, les conventions simples ne sont plus soumises à cette procédure. Il a pu, en effet, apparaître que ces obligations, qui entraînaient d'importantes formalités et la production de nombreux documents, ne présentaient pas de réel intérêt pour les membres des conseils et pour les actionnaires.

3 - Suppression de la communication du livre d'inventaire aux actionnaires (article 59)

L'article L. 225-115 du Code de commerce (N° Lexbase : L3098IQS) liste les documents dont l'actionnaire a droit d'obtenir la communication. L'article 59 de la loi du 17 mai 2011 modifie cet article pour supprimer de cette liste l'inventaire, dont les actionnaires de SA et de SCA ne peuvent donc plus avoir communication.
L'article 59 supprime également la référence au livre d'inventaire à l'article 1743 du Code général des impôts (N° Lexbase : L3101IQW) qui fixe les sanctions applicables en cas d'écritures inexactes ou fictives dans les livres comptables.

4 - Simplification des procédures d'augmentations de capital (articles 60 et 61)

La loi "SAQD" apporte diverses modifications aux opérations d'augmentation de capital : certaines concernent les augmentations réservées aux salariés ; les autres intéressent les augmentations avec suppression du droit préférentiel de souscription (DPS).

Augmentations de capital réservé aux salariés (article 60). Aux termes du premier alinéa de l'article L. 225-129-6 du Code de commerce (N° Lexbase : L3102IQX), lors de toute décision d'augmentation du capital par apport en numéraire, l'assemblée générale extraordinaire doit se prononcer sur un projet de résolution tendant à la réalisation d'une augmentation de capital dans les conditions prévues aux articles L. 3332-18 (N° Lexbase : L1278H99) à L. 3332-24 du Code du travail, à savoir la réalisation d'une augmentation de capital qui serait réservée aux adhérents du plan d'épargne d'entreprise. En complétant l'article L. 225-129-6 du Code de commerce de la mention restrictive suivante "lorsque la société a des salariés", l'article 60 de la loi du 17 mai 2011 dispense explicitement les sociétés qui n'ont pas de salariés et qui décident de procéder à une augmentation de capital de faire se prononcer l'assemblée générale extraordinaire des actionnaires sur la participation à l'augmentation de capital des salariés adhérents d'un plan d'épargne d'entreprise.

Par ailleurs cet article complète l'article L. 225-129-6 du Code de commerce d'un nouvel alinéa aux termes duquel les deux premiers alinéas de l'article ne sont pas applicables aux sociétés contrôlées au sens de l'article L. 233-16 du Code de commerce (N° Lexbase : L6319AIU), lorsque la société qui les contrôle a mis en place, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article L. 3344-1 du Code du travail (N° Lexbase : L1383H94), un dispositif d'augmentation de capital dont peuvent bénéficier les salariés des sociétés contrôlées Les filiales contrôlées, au sein duquel est applicable un accord d'épargne de groupe, sont donc dispensées :
- d'une part, de faire se prononcer l'assemblée générale extraordinaire des actionnaires sur la participation des salariés adhérents d'un plan d'épargne d'entreprise en cas d'augmentation de capital ;
- d'autre part, de convoquer une assemblée générale extraordinaire tous les trois ans pour se prononcer sur une augmentation de capital réservée aux salariés adhérents d'un plan d'épargne d'entreprise, lorsque les actions détenues par les salariés représentent moins de 3 % du capital.

Augmentation de capital d'une société anonyme avec suppression du droit préférentiel de souscription (article 61). L'article 61 de la loi "SAQD" procède à la réécriture de l'article L. 225-135 du Code de commerce (N° Lexbase : L3103IQY) pour préciser l'intervention du commissaire aux comptes dans la procédure d'augmentation du capital avec suppression du droit préférentiel de souscription. D'abord le nouveau texte reprend la distinction entre délégation de pouvoir (hypothèse dans laquelle l'assemblée générale extraordinaire a décidé l'augmentation du capital mais délégué au conseil d'administration ou au directoire le pouvoir de fixer les modalités de l'émission des titres) d'une part, et délégation de compétence, d'autre part (lorsque l'assemblée générale extraordinaire délègue au conseil d'administration ou au directoire sa compétence pour décider de l'augmentation de capital elle-même), ainsi que l'obligation pour l'AGE de statuer sur rapport du conseil d'administration ou du directoire.

Toutefois, l'obligation pour l'AGE de statuer sur rapport du commissaire aux comptes n'est maintenue que si elle fixe, elle-même, toutes les modalités, ou si elle délègue son pouvoir, sauf exception visées par le premier alinéa du 1° de l'article L. 225-136 (N° Lexbase : L6220ICD, prix d'émission des titres est fixé de manière réglementaire). Dans le cas d'une délégation de compétence de l'assemblée générale au conseil d'administration ou au directoire, le rapport des commissaires aux comptes n'est donc plus requis. Lorsqu'il est fait usage d'une délégation de pouvoir ou de compétence, le conseil d'administration ou le directoire, ainsi que le commissaire aux comptes, établissent chacun un rapport sur les conditions définitives de l'opération, qui est présenté à l'assemblée générale ordinaire suivante, le rapport du conseil d'administration ou du directoire satisfaisant à l'obligation de l'article L. 225-129-5 du Code de commerce, selon lequel le conseil d'administration ou le directoire établit un rapport complémentaire en cas d'usage d'une délégation de pouvoir ou de compétence.

Enfin, les règles régissant la situation des sociétés dont les titres de capital sont admis aux négociations sur un marché réglementé sont inchangées, de même que subsiste le renvoi à un décret en Conseil d'État pour la fixation des conditions dans lesquelles sont établis les rapports

5 - Possibilité pour le commissaire aux comptes de reprendre une procédure d'alerte interrompue (article 62)

L'article 62 de la loi du 17 mai 2011 modifie, dans le Code de commerce, les articles L. 234-1 (N° Lexbase : L3106IQ4), relatif aux sociétés anonymes, L. 234-2 (N° Lexbase : L3105IQ3), relatif aux autres sociétés, et L. 612-3 (N° Lexbase : L3104IQZ), relatif aux personnes morales de droit privé ayant une activité économique, pour conférer un effet suspensif à l'arrêt de la procédure d'alerte par le commissaire aux comptes et lui donner la possibilité de reprendre celle-ci au stade où elle avait été précédemment arrêtée. Ainsi, aux termes des nouvelles dispositions, dans un délai de six mois à compter du déclenchement de la procédure d'alerte, le commissaire aux comptes peut en reprendre le cours au point où il avait estimé pouvoir y mettre un terme lorsque, en dépit des éléments ayant motivé son appréciation, la continuité de l'exploitation demeure compromise et que l'urgence commande l'adoption de mesures immédiates.
Ces dispositions sont applicables aux procédures en cours à la date de la publication de la présente loi.

Par ailleurs, les conditions d'intervention du commissaire aux comptes sont clarifiées. Ainsi, s'agissant des sociétés anonymes, il est précisé que l'assemblée générale peut être convoquée "lorsque le conseil d'administration ou le conseil de surveillance n'a pas été réuni pour délibérer sur les faits relevés ou lorsque le commissaire aux comptes n'a pas été convoqué à cette séance" (C. com., art. L. 234-1, al. 3, nouv.). Pour les autres sociétés, lorsque le commissaire aux comptes relève, à l'occasion de l'exercice de sa mission, des faits de nature à compromettre la continuité de l'exploitation, il est désormais prévu qu'il en informe le président du tribunal de commerce "dès réception de la réponse [du dirigeant] ou à défaut de réponse sous quinze jours" et il établit un rapport spécial et invite le dirigeant à faire délibérer sur les faits relevés par une assemblée générale "à défaut de réponse du dirigeant".

Enfin, concernant enfin les personnes morales de droit privé ayant une activité économique il est précisé que l'assemblée générale est convoquée "lorsque l'organe collégial de la personne morale n'a pas été réuni pour délibérer sur les faits relevés ou lorsque le commissaire aux comptes n'a pas été convoqué à cette séance" (C. com., art. L. 612-3, al. 3, nouv.).

6 - Opérations de fusion et scission (article 64)

L'article 64 de la loi du 17 mai 2011 reprend les articles 1er à 5 du projet de loi portant transposition de diverses Directives du Parlement européen et du Conseil en matière civile et commerciale, déposé au Sénat le 22 septembre 2010, pour procéder à une transposition directe de la Directive 2009/109/CE du 16 septembre 2009, concernant les obligations en matière de rapports et de documentation en cas de fusion ou de scission de sociétés (N° Lexbase : L8322IEX). Pour rappel le texte européen procède à une simplification des règles applicables aux procédures de fusions et de scissions des sociétés commerciales, visant notamment à supprimer, dans certains cas de fusion ou de scission, le rapport du conseil d'administration ou du directoire, ainsi que le rapport de l'expert indépendant.

Information des actionnaires. Le I de l'article 64 modifie le dernier alinéa de l'article L. 236-9 du Code de commerce (N° Lexbase : L3114IQE), afin d'assurer la transposition de l'article 2, paragraphe 4, de la Directive. Il ouvre la possibilité aux actionnaires des sociétés participant à une fusion de décider à l'unanimité que le conseil d'administration ou le directoire n'établira pas de rapport sur la fusion.
Il prévoit, en outre, l'obligation, pour les organes d'administration ou de direction des sociétés participant à la fusion, d'informer leurs actionnaires respectifs, après l'établissement du rapport sur la fusion, de toute modification importante de l'actif et du passif de la société intervenue entre la date de l'établissement du projet de fusion et la date des assemblées appelées à se prononcer sur l'opération ; les conseils d'administration ou les directoires des sociétés participant à l'opération doivent aussi en aviser les conseils d'administration ou directoires des autres sociétés participant à l'opération, afin que ceux-ci informent leurs actionnaires.
Les modalités de mise en oeuvre de ces informations doivent être précisées par un décret en Conseil d'Etat.

Absorption d'une filiale détenue à 100 %. Le II de l'article 64 de la loi du 17 mai 2011 modifie l'article L. 236-11 du Code de commerce (N° Lexbase : L3113IQD), pour assurer la transposition de l'article 2, paragraphe 9, de la Directive 2009/109/CE qui complète et modifie la procédure simplifiée de fusion applicable lorsque la société absorbante détient toutes les actions et autres titres conférant un droit de vote dans l'assemblée générale de la société absorbée. La Directive rend obligatoire cette procédure simplifiée, qui était auparavant facultative. L'article L. 236-11 prévoyait déjà, dans une hypothèse de fusion absorption, une procédure simplifiée, en n'exigeant pas l'approbation du projet de fusion par l'assemblée des actionnaires des sociétés absorbées, filiales à 100 % de la société absorbante. Cette exemption est étendue, désormais, à toutes les sociétés participant à l'opération. Par ailleurs, un ou plusieurs actionnaires de la société absorbante, possédant au moins 5 % du capital social, gardent la possibilité de faire convoquer l'assemblée générale extraordinaire afin que celle-ci se prononce sur l'approbation du projet de fusion.

Absorption d'une filiale détenue à 90 % au moins. Le III de l'article 64 de la loi du 17 mai 2011 crée un nouvel article L. 236-11-1 dans le Code de commerce (N° Lexbase : L3037IQK), destiné à transposer les paragraphes 10 et 11 de l'article 2 de la Directive 2009/109/CE. Ces articles imposent aux Etats-membres de prévoir une procédure de fusion simplifiée dans l'hypothèse où la fusion absorption d'une filiale est réalisée par sa société mère possédant 90 % ou plus de ses droits de vote, sans toutefois détenir la totalité des actions. Ce faisant, la Directive rend obligatoire une procédure qui était auparavant optionnelle pour les Etats-membres. La simplification consiste, en particulier, en la suppression de l'approbation de l'assemblée générale extraordinaire des actionnaires de la société absorbante. Aussi ce nouvel article L. 236-11-1 prévoit-il que lorsque, depuis le dépôt au greffe du tribunal de commerce du projet de fusion et jusqu'à la réalisation de l'opération, la société absorbante détient en permanence au moins 90 % des droits de vote des sociétés absorbées, sans en détenir la totalité :

- il n'y a pas lieu à approbation de la fusion par l'assemblée générale extraordinaire de la société absorbante, toutefois et conformément à ce qui est prévu pour l'absorption d'une filiale détenue à 100 %, un ou plusieurs actionnaires de la société absorbante réunissant au moins 5 % du capital social peuvent demander en justice la désignation d'un mandataire aux fins de convoquer l'assemblée générale extraordinaire de la société absorbante pour qu'elle se prononce sur l'approbation de la fusion ;

- il n'y a pas lieu à l'établissement des rapports du conseil d'administration ou du directoire (C. com., art. L. 236-9), ainsi que des commissaires à la fusion (C. com., art. L. 236-10 N° Lexbase : L2498IB7) lorsque les actionnaires minoritaires de la société absorbée se sont vu proposer, préalablement à la fusion, le rachat de leurs actions par la société absorbante à un prix correspondant à la valeur de celles-ci, déterminé selon les modalités prévues par le texte. Ainsi, le prix doit être déterminé dans les conditions prévues à l'article 1843-4 du Code civil (N° Lexbase : L2018ABD, à dire d'expert), si les actions de la société absorbée ne sont pas admises aux négociations sur un marché réglementé. Si les actions de la société absorbée sont admises aux négociations sur un marché réglementé le prix est fixé dans le cadre d'une offre publique initiée dans les conditions et selon les modalités fixées par le règlement général de l'Autorité des marchés financiers. Enfin, si les actions de la société absorbée sont admises aux négociations sur un système multilatéral de négociation qui se soumet aux dispositions législatives ou réglementaires visant à protéger les investisseurs contre les opérations d'initiés, les manipulations de cours et la diffusion de fausses informations, le prix est fixé dans le cadre d'une offre répondant aux deux précédentes conditions.

Scissions. Le IV de l'article 64 de la loi du 17 mai 2011 modifie l'article L. 236-16 du Code de commerce, étend aux scissions les dispositions relatives à la fusion simplifiée, dans le cas où la société scindée est détenue à 100 % par les sociétés bénéficiaires de la scission, en application de l'article 3, paragraphe 7, de la Directive 2009/109/CE. Enfin, le V de l'article 64 modifie l'article L. 236-17 du Code de commerce (N° Lexbase : L3111IQB) afin de satisfaire aux exigences de l'article 3, paragraphe 8, de la Directive, qui tend à simplifier la procédure de scission réalisée par apport à des sociétés anonymes nouvelles et supprime, dans ce cas, les rapports tant du conseil d'administration ou du directoire que ceux des experts indépendants.

L'entrée en vigueur de ce nouveau dispositif est applicable aux fusions et aux scissions à compter du 31 août 2011. Il s'applique aux SA et, par renvoi, aux SCA (C. com., art. L. 226-1 N° Lexbase : L6142AIC) et aux SAS (C. com., art. L. 227-1 N° Lexbase : L2477IBD).

7 - Clarification de certaines incriminations concernant les dirigeants de sociétés (article 159)

L'article 159 de la loi du 17 mai 2011 vient réparer certaines incohérences de dispositions pénales du Code de commerce qui visent, d'une part, les dirigeants de sociétés et, d'autre part, les commissaires aux comptes

Incriminations concernant les dirigeants de sociétés. En premier lieu, le 1° de l'article 159 modifie l'article L. 242-30 du Code de commerce (N° Lexbase : L3309IQM) pour étendre expressément aux membres des directoires et des conseils de surveillance des sociétés anonymes l'application de l'intégralité des peines prévues pour les présidents, directeurs généraux et administrateurs des sociétés de forme classique. Dans sa rédaction antérieure, seules les peines prévues aux articles L. 242-6 (N° Lexbase : L6420AIM) à L. 242-29 étaient applicables, à l'exception, sans réelle justification, de celles prévues aux articles L. 242-1 (N° Lexbase : L6245ICB) à L. 242-5. Or, les articles L. 242-1 à L. 242-5 traitent des infractions relatives à la constitution des sociétés, qui peuvent tout autant concerner les dirigeants des sociétés anonymes à directoire et conseil de surveillance. En renvoyant aux articles L. 242-1 à L. 242-29, la nouvelle formulation de l'article L. 242-30 comble un vide juridique et une incohérence dans le droit pénal des sociétés. De la sorte, la totalité des peines concernant les dirigeants des sociétés anonymes de type moniste concerne aussi les dirigeants des sociétés anonymes de forme dualiste.

Le 3° de l'article 159 clarifie, ensuite, la rédaction de l'article L. 820-4 (N° Lexbase : L3311IQP). Le 1° de l'article L. 820-4, dans sa rédaction issue de la "NRE", punissait de deux ans d'emprisonnement et d'une amende de 30 000 euros le fait que pour tout dirigeant de personne ou d'entité tenue d'avoir un commissaire aux comptes de ne pas en provoquer la désignation ou de ne pas le convoquer à toute assemblée générale, le 2° punissant des mêmes peines les dirigeants des mêmes sociétés qui entravent l'accomplissement de leur mission. Il en résultait que seuls les dirigeants des sociétés contraintes légalement d'avoir un commissaire aux comptes étaient visés par ces incriminations. Or, une société qui décide librement de se doter d'un commissaire aux comptes ne doit pas ensuite pouvoir s'exonérer de sa présence lors de l'assemblée générale et a fortiori l'empêcher d'accomplir sa mission. Dès lors, l'article L. 820-4 du Code de commerce est modifié pour étendre à toute société ayant un commissaire aux comptes et pas seulement pour celles qui sont légalement tenues d'en avoir, la sanction de l'absence de convocation du commissaire aux comptes à l'assemblée générale ou les obstacles entravant l'accomplissement de sa mission de vérification et de contrôle.

Incrimination concernant les commissaires aux comptes. Le 4° de l'article 159 modifie l'article L. 820-7 du Code de commerce (N° Lexbase : L3312IQQ) qui, dans sa rédaction antérieure, disposait qu'"est puni d'un emprisonnement de cinq ans et d'une amende de 75 000 euros le fait, pour toute personne, de donner ou confirmer soit en son nom personnel, soit au titre d'associé dans une société de commissaires aux comptes des informations mensongères sur la situation de la personne morale ou de ne pas révéler au procureur de la République les faits délictueux dont il a eu connaissance". Ainsi, au lieu de viser le commissaire aux comptes comme auteur de l'infraction, le texte fait référence à "toute personne", en omettant d'ailleurs d'accorder en genre la suite de la phrase, au point qu'il a pu sembler permis de penser qu'il vise la personne (au féminin) qui ne révèle pas au procureur de la République les faits délictueux dont "il" (au masculin) a connaissance, ce qui semble limiter l'obligation de révélation aux seules infractions dont le procureur est déjà informé. Dès lors, afin de permettre de condamner pour le délit visé à cet article une personne qui exercerait sans droit de telles fonctions, est désormais visée, non pas directement le commissaire aux comptes, mais "la personne qui exerce les fonctions de commissaire aux comptes", en supprimant par conséquent l'allusion aux différentes formes d'exercice de la profession (exercice par une personne physique ou au titre d'associé dans une société de commissaires aux comptes) devenue inutile. Il est, par ailleurs, mis fin à une ambiguïté rédactionnelle.

Enfin, le 2° de l'article 159 modifie quant à lui l'article L. 244-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L3310IQN) qui précisait que les articles L. 242-20 (N° Lexbase : L6434AI7), L. 242-26 (N° Lexbase : L6440AID) et L. 242-27 (N° Lexbase : L6441AIE) de ce même code sont applicables aux commissaires aux comptes des sociétés par actions simplifiées. Or les articles L. 242-26 et L. 242-27 ont été abrogés par l'article 113 de la loi "NRE", leur contenu a été transféré aux articles L. 820-6 (N° Lexbase : L2206ATU) et L. 820-7. Cet oubli de coordination est donc réparé et le renvoi actualisé.


(1) Sur les dispositions concernant le droit social, lire Ch. Willmann, Travail et protection sociale : les réformes éclectiques et cosmétiques de la loi n° 2011-525 du 17 mai 2011 de simplification et d'amélioration de la qualité du droit, Lexbase Hebdo n° 441 du 26 mai 2011 - édition sociale (N° Lexbase : N2981BS9).
(2) Sur les dispositions concernant le droit civil et le droit pénal, lire A.-L. Lonné, Loi de simplification et d'amélioration de la qualité du droit : présentation des dispositions de droit civil et de droit pénal, Lexbase Hebdo n° 441 du 26 mai 2011 édition privée (N° Lexbase : N2983BSB).
(3) Sur les dispositions concernant le droit comptable, lire R. Obert, Les dispositions "comptables" de la loi de simplification et d'amélioration de la qualité du droit, à paraître in Lexbase Hebdo n° 443 du 9 juin - édition fiscale.
(4) Sur les dispositions concernant le droit public, Ch. De Bernardinis, Loi du 17 mai 2011, de simplification et d'amélioration de la qualité de la loi : présentation des dispositions de droit public, Lexbase Hebdo n° 203 du 2 juin 2011 (N° Lexbase : N3033BS7).
(5) Sur les autres dispositions, touchant notamment le droit commercial, le droit de la concurrence et le droit de la consommation, lire nos obs. Loi de simplification et d'amélioration de la qualité du droit : aspects de droit commercial, concurrence et consommation, Lexbase Hebdo n° 253 du 2 juin 2011 - édition affaires (N° Lexbase : N4112BS4)

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