Réf. : Cass. civ. 1, 6 septembre 2017, n° 16-15.941, F-P+B (N° Lexbase : A1207WR7)
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N0072BXX
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par Anne-Laure Blouet Patin
Le 15 Septembre 2017
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Réf. : Cass. civ. 3, 7 septembre 2017, n° 16-15.012, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A8443WQR)
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N0052BX9
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par Julien Prigent
Le 14 Septembre 2017
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Réf. : CE Ass., 19 juillet 2017, n° 403928,403948, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A2077WNA)
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N0028BXC
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par Vincent Daumas, Rapporteur public au Conseil d'Etat
Le 14 Septembre 2017
Indiquons tout d'abord, à ce propos, que le juge peut se trouver saisi, directement, d'un recours pour excès de pouvoir dirigé contre la décision prise par l'autorité administrative d'organiser une consultation du public -ce qui n'est pas la configuration de la présente affaire-. L'examen d'un tel recours par le juge ne pose pas de difficulté particulière hormis celle tenant à la question de sa recevabilité. Même si la décision d'organiser une consultation ne sera sans doute pas toujours formalisée, nous pensons qu'en général, ce recours devrait être jugé recevable au regard de son objet. Car une fois identifiée une telle décision, il paraît difficile de la ravaler au rang de simple mesure préparatoire, insusceptible de recours (1). L'expression, par une autorité administrative, de la volonté de recourir à une procédure de consultation du public nous paraît revêtir un caractère décisoire et produire des effets propres -notamment parce que la consultation a des implications, parfois importantes, en termes de dépenses pour l'autorité qui l'organise-. Il est possible de tenter une analogie, sur ce point, avec la délibération prescrivant l'adoption ou la révision d'un plan local d'urbanisme, délibération qui porte, d'une part, sur les objectifs généraux poursuivis par le projet d'élaboration ou de révision de ce document d'urbanisme et, d'autre part, sur les modalités de la concertation avec les habitants et les associations locales : vous jugez cette délibération susceptible de recours devant le juge de l'excès de pouvoir (CE Sect., 5 mai 2017, n° 388902 N° Lexbase : A1651WDI, à publier au Recueil).
Il est encore possible d'imaginer un recours direct contre les résultats de la consultation -ou du moins contre l'acte constatant ces résultats-. Mais pour le coup, il n'est guère douteux qu'un tel recours serait irrecevable car dirigé contre un acte purement préparatoire ou, en tout cas, non décisoire, et à l'un ou l'autre de ces titres insusceptible de recours. De manière constante, et si l'on met de côté l'encoche très circonscrite résultant de vos récentes décisions d'Assemblée "Fairvesta" et "Numericable" (2), vous rejetez comme irrecevables les recours dirigés contre de simples avis, dès lors qu'ils sont véritablement dépourvus de caractère décisoire et ne produisent pas d'effets juridiques (3). Et tel doit être le cas de l'avis qui ressort des résultats d'une consultation du public, qui ne peut légalement avoir d'autre portée que d'éclairer l'autorité administrative.
La configuration contentieuse qui nous intéresse plus particulièrement est toute autre : c'est celle dans laquelle le juge est saisi d'une demande d'annulation d'un acte, à l'appui de laquelle il est soutenu qu'une consultation du public organisée à titre facultatif, et intervenue en amont de cet acte, est irrégulière.
Dans une telle configuration, il y a lieu de s'interroger, en tout premier lieu, sur l'opérance du moyen soulevé. Lorsqu'une consultation, quelle qu'elle soit, est prévue à titre obligatoire, autrement dit lorsqu'elle constitue une condition de légalité de l'acte administratif pris en aval et dont il est demandé au juge de prononcer l'annulation, l'opérance du moyen tiré de l'absence ou de l'irrégularité de cette consultation ne fait aucun doute : il s'agit d'un moyen de légalité externe critiquant la procédure préalable à l'adoption de l'acte attaqué. En revanche, lorsque la consultation critiquée a été organisée à titre facultatif, l'opérance du moyen est moins évidente : le lien entre la consultation et l'acte attaqué n'étant pas affirmé par un texte, il doit être apprécié par le juge. Celui-ci devra vérifier, au vu des circonstances de l'espèce, si la consultation critiquée fait bien partie intégrante du processus ayant conduit à l'adoption de l'acte attaqué, si elle s'insère dans la procédure suivie préalablement à cette adoption. En règle générale, cette vérification ne devrait pas poser de difficulté et l'opérance du moyen tiré de l'irrégularité de la consultation se déduira sans peine de son objet même -car la consultation aura été organisée précisément en vue de l'adoption de l'acte attaquée-. Devraient en revanche être écartés comme inopérants les moyens critiquant des consultations qui ne présentent pas de lien suffisant avec l'acte attaqué -nous pensons notamment aux consultations organisées très en amont de celui-ci ou dont l'objet est très général, par exemple parce qu'elles visent à recueillir les observations du public sur la qualité d'un service ou les orientations souhaitables d'une politique publique-.
D'autres questions d'opérance -mais aussi de recevabilité- des moyens par lesquels est critiquée la régularité d'une procédure préalable de consultation du public, suivie à titre facultatif, sont susceptibles de se poser. L'autorité qui a organisé la consultation aura normalement adopté, en amont de celle-ci, une décision formelle fixant l'objet et précisant les modalités de la consultation. Une critique soulevée à l'appui du recours dirigé contre l'acte adopté à l'issue de la consultation et tirée, par exemple, du caractère insuffisant des moyens de contrôle prévus pour en assurer la sincérité pourra alors s'analyser, selon la manière dont elle est formulée, comme un moyen critiquant, par la voie de l'exception, la légalité de la décision préalable arrêtant l'objet et les modalités de la consultation. Dans cette dernière hypothèse, il nous semble que devraient être admises, tout à la fois, l'opérance et la recevabilité de l'exception d'illégalité, nous pas en recourant au cadre général, nécessairement strict, fixé par votre décision de section "Sodemel" du 11 juillet 2011 (4), mais en retenant l'existence d'une opération complexe -réserve d'ailleurs rappelée par votre avis de section du 30 décembre 2013 (5)-. Lorsqu'une autorité administrative organise une consultation du public précisément en vue de prendre un acte donné et arrête, avant d'y procéder, l'objet et les modalités de cette consultation, les actes successifs qu'elle adopte, depuis la décision de recourir à une consultation jusqu'à l'acte final pris au vu de ses résultats, en passant par la définition du cadre de la consultation et les opérations matérielles de déroulement de cette consultation, entretiennent entre eux un lien tel qu'ils méritent à notre avis cette qualification d'opération complexe (6).
Enfin, toute irrégularité entachant l'une ou l'autre des étapes de cette procédure administrative complexe que constitue l'organisation d'une consultation du public est-elle de nature à entraîner l'illégalité de l'acte pris à son issue ? La réponse est négative : s'agissant d'irrégularités de procédure (7), il incombera au juge de les passer au crible de votre jurisprudence "Danthony" (8).
Rappelons qu'au terme du considérant de principe adopté en 2011 par votre assemblée, si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d'une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n'est de nature à entacher d'illégalité la décision prise que s'il ressort des pièces du dossier qu'il a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu'il a privé les intéressés d'une garantie.
Ce considérant loge à la même enseigne les procédures obligatoires et les procédures facultatives. Et pourtant, nous confessons avoir été tenté, et plus qu'un instant de raison, de vous proposer de préciser, à l'occasion de la présente affaire, qu'un vice affectant le déroulement d'une procédure administrative préalable suivie à titre facultatif n'entache d'illégalité l'acte pris à son issue que s'il est susceptible d'avoir exercé une influence sur le sens de cet acte. Autrement dit, de regarder l'hypothèse de la privation d'une garantie comme inapplicable, par construction, aux procédures suivies à titre facultatif.
Cette tentation était motivée par deux principales considérations. La première est que, dans l'état de votre jurisprudence antérieure à "Danthony", vous ne tiriez les conséquences d'irrégularités éventuellement commises dans le déroulement d'une procédure suivie à titre facultatif que lorsque ces irrégularités avaient exercé, en fait, une influence sur l'acte pris à son issue (CE Sect., 19 mars 1976, n° 98266 N° Lexbase : A2948B8P, au Recueil, p. 167 (9)). Vous ne vous intéressiez donc qu'à l'influence sur le sens de l'acte. La seconde considération expliquant notre tentation tient au caractère à première vue paradoxal de la notion de garantie appliquée à une procédure suivie à titre facultatif. Pas toujours évidente à cerner lorsqu'une règle de procédure est prévue à titre obligatoire (10), cette notion apparaît d'autant plus fuyante lorsqu'une autorité administrative se soumet d'elle-même à une procédure que rien ne lui impose : puisqu'elle peut à tout moment y renoncer, où est la garantie ?
Néanmoins, à la réflexion, nous croyons que la notion de garantie peut avoir une pertinence en matière de procédures suivies à titre facultatif -et c'est vrai tout particulièrement des procédures complexes telles qu'une consultation préalable du public-. Tout dépend, au fond, de l'échelle à laquelle on se place pour apprécier cette notion de garantie. Il est possible de se demander si la procédure suivie à titre facultatif est, prise dans son ensemble, une garantie -ce à quoi il est tentant de répondre, nous l'avons dit, par la négative-. Mais il est possible aussi d'adopter une échelle d'analyse plus fine et d'envisager la notion de garantie au regard de chacune des règles dont l'ensemble constitue la procédure suivie à titre facultatif. A ce niveau d'analyse, certaines de ces règles peuvent apparaître comme des garanties. Ainsi, dans le cas d'une procédure de consultation du public suivie à titre facultatif, comme celle en cause dans la présente affaire, il est difficile de ne pas regarder certains des principes énoncés par l'article L. 131-1 du Code des relations entre le public et l'administration comme des garanties -garanties données au public et tendant à assurer que la consultation, certes suivie à titre facultatif, sera sincère-.
Il est difficile de retirer, de l'examen de vos décisions faisant application de la jurisprudence "Danthony", une orientation claire quant à l'échelle à laquelle il convient de se placer pour apprécier la notion de garantie au sens de cette jurisprudence. S'agissant de procédures prévues à titre obligatoire, il vous est arrivé d'adopter une approche plutôt analytique : dans le cas de l'obligation de consulter un organisme collégial avant d'infliger à un militaire une sanction du 3e groupe, vous avez regardé la méconnaissance d'une des règles régissant la composition de cet organisme comme constituant, en elle-même, une garantie (CE, 22 février 2012, n° 343052 N° Lexbase : A3400IDB, aux tables du Recueil). Inversement, dans le cas de procédures obligatoires complexes comme la réalisation préalable d'une étude d'impact ou celle d'une enquête publique, vous avez adopté une approche plus synthétique, allant jusqu'à reformuler le considérant de principe "Danthony", dans son volet "garantie", en fonction de l'objectif principalement poursuivi par la procédure en cause : l'information complète de la population dans le cas d'une étude d'impact en matière d'environnement (CE, 30 janvier 2013, n° 347347 N° Lexbase : A4390I4D, aux tables du Recueil sur un autre point (11)) ; l'information et la participation de l'ensemble des personnes intéressées par l'opération envisagée dans le cas d'une enquête publique (CE, 3 juin 2013, n° 345174 N° Lexbase : A3359KGI, aux tables du Recueil). Toutefois, dans le cas de l'enquête publique, vous avez récemment rappelé, alors qu'était en cause la méconnaissance d'une règle n'ayant pas principalement pour objet d'assurer l'information et la participation du public, que le considérant de principe "Danthony" restait entièrement pertinent (CE, 28 avril 2017, n° 397015 N° Lexbase : A8433WQE, aux tables du Recueil sur un autre point).
Il est permis de voir, dans cette obscure clarté qui émane de la notion de garantie au sens de la jurisprudence "Danthony", une manifestation du pragmatisme du juge. Tout en permettant d'éviter des annulations trop mécaniques, elle demeure aussi une épée de Damoclès, un aiguillon destiné à rappeler à l'administration, constamment, que les procédures ne doivent pas être prises à la légère. Vrai pour les procédures suivies à titre obligatoire, il nous semble que ce l'est tout autant pour celles suivies à titre facultatif, et en particulier pour les procédures de consultation du public. Lorsque l'administration décide, même à titre facultatif, de s'engager dans une telle démarche de consultation, elle doit le faire sérieusement, en respectant scrupuleusement l'ensemble des règles qui alors s'imposent à elle. Au final, nous sommes d'avis qu'il n'est pas souhaitable d'envoyer, à l'occasion de la présente affaire, un signal qui serait nécessairement perçu comme un assouplissement, en cantonnant l'annulation à la seule hypothèse où les irrégularités commises ont été susceptibles d'exercer une influence sur le sens de l'acte contesté.
2.4. Il reste à appliquer le cadre général ainsi défini à la résolution de l'affaire.
Vous aurez relevé d'emblée qu'elle se présente dans une configuration un peu particulière au regard du cadre général que nous avons dessiné.
La procédure suivie à titre facultatif que critiquent les requêtes n'a pas été organisée immédiatement en amont de l'acte attaqué, par l'autorité administrative qui a pris cet acte ; elle a été organisée par une autre autorité administrative, avant de rendre un avis que l'autorité qui a pris l'acte attaqué était tenue de recueillir. Vous êtes donc en présence d'une imbrication de deux procédures administratives, la première dans l'ordre chronologique ayant été suivie à titre facultatif, la seconde à titre obligatoire, l'enchaînement des deux débouchant sur l'acte attaqué. Cela ne rend pas pour autant inopérante par principe la critique de la première : à partir du moment où le Premier ministre devait consulter le conseil régional, une éventuelle irrégularité de l'avis émis par celui-ci est susceptible d'avoir une incidence sur la légalité du décret attaqué ; et à partir du moment où le conseil régional a choisi de procéder à une consultation du public, une éventuelle irrégularité de cette consultation est susceptible de retentir sur la régularité de son avis.
Ceci précisé, voyons plus en détail les moyens qui vous sont soumis.
2.4.1. Le premier est tiré de ce que le Premier ministre se serait cru, à tort, lié par l'avis du conseil régional, et aurait ainsi entaché le décret attaqué d'incompétence négative.
A l'appui de ce moyen, les requérants se prévalent, principalement, d'une lettre signée du Premier ministre du 9 août 2016, adressée à un parlementaire, ainsi que d'une lettre signée du chef de cabinet du Premier ministre du 23 août 2016, adressée au président du syndicat intercommunal pour la promotion des langues occitane et catalane. Ces lettres, rédigées en termes identiques, rappellent la consultation organisée à l'initiative du conseil régional, sur la base de laquelle un débat s'est tenu en son sein, avant d'indiquer : "Aussi, le Gouvernement s'en remet à la décision qui en est issue". Ces termes sont pour le moins maladroits, c'est certain, en particulier lorsqu'ils font mention d'une décision là où il n'y avait qu'un simple avis. Pour autant, nous ne croyons pas que cela suffise pour établir que le Premier ministre aurait abdiqué sa compétence en renonçant à exercer tout pouvoir d'appréciation.
Il est exact que vous avez déjà annulé, pour ce motif, une décision de sanction d'un magistrat prise par le garde des sceaux, parce qu'il s'était entièrement remis à un simple avis du Conseil supérieur de la magistrature (CE Sect., 20 juin 2003, n° 248242 N° Lexbase : A0627C94, au Recueil). Mais dans cette affaire, le garde des sceaux avait annoncé publiquement, avant même de connaître cet avis, qu'il le suivrait quel que fût son sens, position ensuite confirmée par le directeur des services judiciaires dans ses déclarations devant le Conseil supérieur de la magistrature, et encore confortée par la circonstance que la décision de sanction s'appropriait sans réserve le contenu de son avis. C'est au vu de l'ensemble de ces circonstances que vous avez jugé apportée la preuve de la renonciation du ministre à l'exercice du pouvoir qui lui appartenait. Inversement, par une décision plus ancienne rendue à l'occasion d'un recours contre un décret d'extradition, vous aviez refusé de juger, au vu de la seule circonstance que le Gouvernement avait l'intention de se conformer en principe à l'avis de la chambre d'accusation, qu'il s'était à tort cru lié par l'avis favorable que celle-ci avait ultérieurement émis (CE, 7 juillet 1978, n° 10079 N° Lexbase : A5442AIE, au Recueil sur un autre point).
Comme le soulignait Francis Lamy dans ses conclusions sur votre décision du 20 juin 2003 précitée, le moyen tiré de ce que l'auteur d'un acte administratif a renoncé à tort à exercer sa compétence pose avant tout une question de preuve. Celle-ci n'est pas facile à apporter puisqu'elle suppose de mettre au jour quelle a été l'intention de l'auteur de cet acte à la date de son édiction. Comme le soulignait encore votre commissaire du gouvernement, de simples déclarations antérieures à cet acte sont à cet égard, en général, insuffisantes : indiquer s'en remettre à un tiers constitue alors, le plus souvent, un moyen commode d'éviter le débat ; de telles déclarations reflètent une posture davantage que la réalité des choses. En l'espèce, les déclarations du Premier ministre dont les requérants se prévalent, qui sont antérieures de plus d'un mois au décret attaqué, nous paraissent relever de cette catégorie. On trouve en outre au dossier une lettre du 1er septembre 2016 du chef de cabinet du ministre de l'intérieur, contresignataire du décret attaqué, dans laquelle les rôles respectifs du conseil régional et du Gouvernement apparaissent pour ce qu'ils sont : simple avis d'un côté, pouvoir de décision de l'autre. Enfin, le Conseil d'Etat a été consulté sur le projet de décret, et l'on peut raisonnablement penser qu'il a rappelé au Premier ministre, avant que celui-ci y appose sa signature, que le pouvoir de décision lui incombait.
2.4.2. Un deuxième moyen, similaire au premier, est tiré de ce que le conseil régional, lorsqu'il a émis son avis, se serait lui-même cru à tort lié par les résultats de la consultation.
Le moyen n'est assurément pas fondé. Le rapport de la présidente du conseil régional sur le projet de délibération exprimant l'avis donné au Gouvernement ne fait apparaître, contrairement à ce qui est soutenu, aucune abdication par le conseil régional de sa propre compétence -pas plus que les motifs de cette délibération-. Soulignons que le sens de cette dernière a été acquis par une majorité de 85 voix sur 158, ce qui manifeste qu'un débat s'est tenu. Quant aux déclarations de divers membres du conseil régional dans la presse, dont sa présidente, il en ressort seulement l'intention de tenir compte des résultats de la consultation -ce qui était la moindre des choses-. Là encore, les éléments de preuve avancés à l'appui du moyen nous paraissent insuffisants pour établir que le conseil régional aurait renoncé à son pouvoir d'appréciation.
2.4.3. Toutes les critiques ensuite formulées sont tirées de l'irrégularité de la procédure de consultation du public.
Disons tout d'abord que ces critiques nous paraissent opérantes, sans aucun doute, dès lors que la consultation organisée en l'espèce, bien qu'intervenue à titre facultatif, fait partie intégrante du processus ayant conduit à l'adoption de l'avis du conseil régional. Cette consultation facultative constitue par conséquent une procédure préalable à cet avis et les requérants peuvent utilement soutenir que la consultation est irrégulière, pour en déduire l'irrégularité de l'avis en question.
La première critique soulevée est une critique de principe. Selon le Comité pour l'autodétermination de la Catalogne Nord (CACN), le conseil régional ne pouvait légalement décider d'organiser la procédure de consultation litigieuse dans d'autres conditions que celles prévues par les dispositions, soit de l'article LO. 1112-1 du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L1866GUN), soit de l'article L. 1112-15 du même code (N° Lexbase : L1787GUQ). Les premières sont relatives au référendum local, les secondes à la consultation locale des électeurs. La question est d'importance puisque l'argumentation de l'association requérante revient à soutenir que les collectivités territoriales ne peuvent recourir à aucune forme de consultation du public en dehors de ces deux procédures prévues par le Code général des collectivités territoriales -il s'agit, au fond, d'une critique formulée sur le terrain de la jurisprudence " Chocolat de régime Dardenne"-, mais d'une critique de portée structurelle puisqu'elle affecte l'ensemble des consultations du public organisées par l'ensemble des collectivités territoriales. Nous n'éprouvons guère de doute, cependant, à écarter cette argumentation. Les dispositions précitées du Code général des collectivités territoriales offrent aux collectivités territoriales la possibilité de recourir, pour régler une affaire relevant de leurs compétences, soit à un référendum local, soit à une consultation de leurs électeurs, selon les modalités qu'elles précisent. Elles ne peuvent pas être lues comme interdisant aux collectivités territoriales de mettre en oeuvre d'autres formes d'association du public à l'exercice de leurs compétences. Il est envisageable, bien sûr, de contrôler un éventuel détournement de procédure (12). Mais ce qu'a voulu faire le conseil régional en l'espèce, en consultant toutes les personnes âgées de plus de quinze ans habitant la région ou déclarant y avoir leurs attaches, s'inscrit très clairement en dehors du cadre des dispositions des articles LO. 1112-1 et L. 1112-15 du Code général des collectivités territoriales.
Les autres critiques formulées par les requérants à l'encontre de la procédure de consultation du public portent moins sur le principe de cette consultation que sur les modalités selon lesquelles elle s'est déroulée.
En premier lieu, les requérants critiquent le choix de n'avoir pas consulté les seules personnes inscrites sur les listes électorales dans une commune de la région -c'est-à-dire les seules personnes ayant la qualité d'électeur dans la région-. La critique procède directement de l'idée que la région aurait dû respecter les dispositions du Code général des collectivités territoriales relatives au référendum local et à la consultation des électeurs -idée que nous venons d'écarter-. Mais on peut aussi y voir un moyen tiré de ce que la définition par la région du public qu'elle a choisi de consulter n'était pas adaptée au regard de l'objet de la consultation. Vous écarterez ce moyen. La définition de ce public est certes large et, comme le souligne le CACN, elle inclut des personnes n'ayant pas le droit de vote -des mineurs, des étrangers, des personnes privées de leurs droits civiques-, ainsi que des personnes qui n'habitent pas la région. Pour autant, la définition du public consulté -toutes les personnes de plus de quinze ans habitant la région ou déclarant y avoir leurs attaches- est en rapport avec l'objet de la consultation et elle n'est pas de nature, au regard de cet objet, à en avoir affecté la sincérité. Par ailleurs, l'utilisation du terme "consultation citoyenne" n'est pas davantage constitutive d'une irrégularité, alors même, comme y insiste le CACN, qu'ont pu participer des personnes n'ayant pas la qualité de citoyen. Eu égard à l'information donnée au public sur les modalités de la consultation, l'appellation utilisée n'était pas de nature à induire quiconque en erreur.
En deuxième lieu, les requérants critiquent l'utilisation de la "méthode de Condorcet" pour la présentation et l'analyse des résultats de la consultation, et relèvent que la délibération du conseil régional du 15 avril 2016 fixant les modalités de la consultation ne prévoyait pas d'y recourir. Toutefois, l'utilisation de cette méthode n'a pas abouti en l'espèce au paradoxe éponyme. Et elle était particulièrement adaptée compte tenu des modalités de consultation retenues par la région, puisqu'elle permet de dégager le résultat d'un vote consistant à classer plusieurs choix possibles dans un ordre de préférence -c'était précisément ce qui était demandé au public consulté-. Il n'était donc pas besoin, comme le soutient le CACN, sans préciser d'où il tire une telle exigence, d'organiser un "second tour" entre les deux noms ayant été classés par le plus grand nombre de participants en première position.
En troisième lieu, les requérants font valoir que le nombre d'avis exprimés, à savoir un peu plus de 200 000, était trop faible pour être représentatif de l'opinion de la population. Il est exact que ce chiffre paraît peu élevé si on le compare aux quelques 5,8 millions d'habitants de la région. Mais une telle circonstance est en elle-même sans incidence sur la régularité de la consultation. Il est constant que la région a fait le nécessaire pour permettre à toutes les personnes concernées d'y participer -par le biais de publications dans la presse régionale et sur son site internet-. Il est constant également que la région a rendu publics les résultats, sans occulter le chiffre de la participation. Enfin, elle n'a nullement présenté la consultation comme revêtant une portée décisionnelle mais, au contraire, comme destinée à éclairer son choix, parmi d'autres éléments d'appréciation.
En quatrième lieu, les requérants soutiennent que les conditions dans lesquelles la consultation s'est déroulée ne permettaient pas d'en garantir la sincérité. Bien qu'elle ne soit guère précise, il est possible de voir dans cette critique un moyen tiré de ce que la région ne s'est pas dotée de moyens de contrôle adéquats, propres à empêcher que le résultat de la consultation soit vicié, notamment par des avis à répétition ou par des avis émis par des personnes extérieures au public consulté. Nous avons dit tout à l'heure que ces moyens de contrôle devaient être proportionnés et qu'il y avait lieu d'apprécier ce rapport de proportionnalité au regard de l'objet de la consultation et de la délimitation du public consulté. La consultation organisée en l'espèce a revêtu un caractère essentiellement quantitatif. Il s'agissait de voter, selon des modalités un peu particulières certes -en exprimant un ordre de préférence-, mais seulement de voter. Il était donc nécessaire pour la région de prévoir des mesures de nature à faire échec à d'éventuelles pratiques de vote multiple. Quant à la définition du public consulté, elle était volontairement très ouverte puisque pouvaient participer, notamment, les personnes "déclarant avoir leurs attaches" dans la région. Un tel critère ne permettait pas d'identifier a priori les personnes concernées par la consultation. Il n'était donc pas possible pour la région d'arrêter l'équivalent d'une liste électorale, et par conséquent il était inutile de mettre en place un système consistant à vérifier l'identité des personnes participant à la consultation. Il ressort des pièces du dossier qu'il était notamment exigé des personnes exprimant leur avis sur internet qu'elles renseignent un numéro de téléphone portable valable en France et une adresse électronique, dont la validité était vérifiée, et qui étaient utilisés pour contrôler l'absence de doublons. De tels moyens de contrôle étaient suffisants, eu égard à l'objet de la consultation et au public concerné, pour prévenir les pratiques de vote multiple et donc assurer la sincérité de cette consultation.
Au final, aucune des critiques soulevées par les requérants ne permet de considérer que la consultation organisée par la région serait entachée d'irrégularité.
Parvenu au terme de l'examen des requêtes, nous croyons que les requérants ne sont pas fondés à demander l'annulation de l'article 1er du décret attaqué. La région présente des conclusions au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3227AL4). Nous pensons qu'elle aurait eu qualité pour former tierce opposition contre votre décision si elle n'avait pas été mise en cause et qu'elle doit, en conséquence, être regardée comme une partie au sens de ces dispositions (13). Vous pourrez faire droit partiellement à sa demande.
Par ces motifs nous concluons dans le sens qui suit :
1. Admission des interventions ;
2. Rejet des requêtes ;
3. Mise à la charge des requérants, dans chacune des deux affaires, d'une somme de 1 500 euros au bénéfice de la région, au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative.
(1) Voir sur cette notion CE, 12 octobre 1979, n° 10756 (N° Lexbase : A2083AKD), aux tables du Recueil ; CE, 30 octobre 1987, n° 59268 (N° Lexbase : A3923APY), aux tables du Recueil ; CE, 23 février 2000, n° 205261 (N° Lexbase : A9483AGC), aux tables du Recueil ; CE Ass., 26 octobre 2001, n° 216471 (N° Lexbase : A1828AXY), au Recueil.
(2) CE Ass., 21 mars 2016, n°s 368082 (N° Lexbase : A4320Q8I) et 390023 (N° Lexbase : A4296Q8M), au Recueil.
(3) Voir par exemple, illustrant cette jurisprudence, CE, 27 mai 1987, n° 83292 (N° Lexbase : A3342APH), au Recueil, p. 181.
(4) CE Sect., 11 juillet 2011, n° 320735 (N° Lexbase : A0245HWY), au Recueil.
(5) CE Sect., 30 décembre 2013, n° 367615 (N° Lexbase : A9253KSI), au Recueil.
(6) La solution CE Sect., 5 mai 2017, n° 388902 (N° Lexbase : A1651WDI), à publier au Recueil, paraît à cet égard un cas particulier.
(7) Y compris lorsque se trouve critiquée, par la voie de l'exception, l'illégalité interne de la décision par laquelle l'administration fixe, tout au début de la procédure, l'objet et les modalités de la consultation (voir en ce sens CE 14 novembre 2012, n° 340539 (N° Lexbase : A8642IWY), aux tables du Recueil).
(8) CE Ass., 23 décembre 2011, n° 335033 (N° Lexbase : A9048H8M), au Recueil, p. 649.
(9) Voir aussi, pour des décisions plus récentes, CE, 20 mars 1992, n° 105321 (N° Lexbase : A5525AR3), aux tables du Recueil ; CE, 30 octobre 1996, n° 162136 et 162269 (N° Lexbase : A1289APG), aux tables du Recueil ; CE, 11 juin 1999, n° 177970 (N° Lexbase : A4897AXN), inédite au Recueil ; CE, 8 juillet 2009, n° 314236 (N° Lexbase : A7127EIS), au Recueil ; CE, 3 décembre 2010, n° 332540 et 332679 (N° Lexbase : A4460GM7), aux tables du Recueil sur un autre point.
(10) Voyez par exemple la solution retenue dans CE Sect., 23 octobre 2015, n° 369113 (N° Lexbase : A0318NUC), au Recueil, éclairée par les conclusions contraires de Benoît Bohnert.
(11) Solution reprenant celle dégagée, avant l'intervention de la jurisprudence "Danthony", par CE, 14 octobre 2011, n° 323257 (N° Lexbase : A7408HYZ), aux tables du Recueil.
(12) Plusieurs jugements de tribunaux administratifs offrent des exemples d'un tel contrôle : par exemple TA Grenoble, 23 décembre 2009, n° 0904415 ; TA Melun, 30 mars 2016, n° 1508263.
(13) Voir sur ce point CE, 10 janvier 2005, n° 265838 (N° Lexbase : A0079DGZ), aux tables du Recueil.
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Réf. : CE Ass., 19 juillet 2017, n° 403928,403948, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A2077WNA)
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par Vincent Daumas, Rapporteur public au Conseil d'Etat
Le 14 Septembre 2017
En application de l'article 2 de la loi du 16 janvier 2015, le conseil régional de la nouvelle région issue du regroupement des anciennes régions Midi-Pyrénées et Languedoc-Roussillon s'est prononcé en faveur de la dénomination "région Occitanie". Et c'est effectivement le nom retenu par l'article 1er du décret n° 2016-1264 du 28 septembre 2016 (N° Lexbase : L3011LAR). Une première association et deux particuliers par une première requête, une seconde association par une seconde requête, vous demandent d'annuler cette disposition. La première association a été constituée pour défendre une autre dénomination que celle retenue par le décret qu'elle attaque : "Occitanie - Pays Catalan". La seconde association requérante défend, plus largement, un objectif d'autodétermination des populations catalanes vivant au nord de la frontière franco-espagnole.
Disons immédiatement que ces deux requêtes sont recevables et que la fin de non-recevoir soulevée par le ministre de l'Intérieur à l'encontre de la seconde, tirée d'une insuffisante motivation, n'est pas fondée. Disons aussi que de nombreux intervenants viennent à l'appui de la première : le département des Pyrénées-Orientales, la quasi-totalité des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre du département, un syndicat mixte, ainsi que le syndicat intercommunal pour la promotion des langues occitane et catalane. En guise de motivation, les intervenants se bornent à déclarer qu'ils s'approprient tous les moyens présentés par l'association requérante ; c'est suffisant, toutefois, pour que leurs interventions soient regardées comme motivées (5) et donc, à cet égard, recevables (6). Par ailleurs, ils nous paraissent tous disposer d'un intérêt suffisant pour intervenir au soutien de la demande d'annulation du décret. Vous pourrez admettre ces interventions.
1. Les moyens critiquant le choix du nom "Occitanie", tous soulevés à l'appui de la première requête, ne sont pas les plus difficiles.
1.1. Certains ne sont pas sérieux, voire non assortis des précisions nécessaires pour en apprécier le bien-fondé.
Ainsi de l'invocation d'une méconnaissance, par le choix du nom "Occitanie", de "l'unité linguistique de la République". Contrairement à ce que la requête paraît suggérer, il n'existe pas, dans le bloc de constitutionnalité, une telle règle ou un tel principe. Aux termes de l'article 2 de la Constitution (N° Lexbase : L0828AH7), certes, la langue de la République est le français. Mais le choix du nom incriminé ne porte en rien atteinte à ce principe. Au demeurant, l'invocation de "l'unité linguistique de la République" se distingue mal, dans la requête, du moyen selon lequel le décret attaqué porterait atteinte à l'indivisibilité de la République.
L'existence du principe constitutionnel d'indivisibilité de la République ne fait quant à elle aucun doute (7). Mais son invocation est selon nous inopérante à l'appui d'un recours contre un décret nommant une région. Il ressort de la jurisprudence du Conseil constitutionnel (8) que l'indivisibilité de la République est un principe d'organisation institutionnelle impliquant une forme unitaire de l'Etat et de l'exercice de la fonction législative. Or aucun nom de région, quel qu'il soit, ne peut avoir pour effet, par lui-même, de modifier l'équilibre des institutions. Le Conseil constitutionnel a par exemple jugé, en ce sens, que la dénomination "pays d'outre-mer", dès lors qu'elle n'emporte aucun effet de droit, n'est pas contraire à la Constitution (décision n° 2004-490 DC du 12 février 2004 N° Lexbase : A8653DQK, cons. 13).
Le moyen tiré de la méconnaissance du principe d'égalité n'est pas davantage sérieux. Il confine lui aussi à l'inopérance puisque le décret attaqué traite de la même manière tous les habitants de la région. On comprend, bien sûr, la logique de la requête : à partir du moment où le décret fait le choix d'une dénomination dont la connotation est moins géographique ou même historique que linguistique et culturelle, il aurait dû retenir un nom faisant référence, à la fois, à l'ensemble occitan et à l'ensemble catalan. Mais cette argumentation rejoint la critique de l'appréciation portée sur les faits par l'auteur du décret. Elle ne nous paraît pas revêtir une portée utile sur le terrain du principe d'égalité.
1.2. L'argumentation présentée sous la double bannière de l'erreur de droit et de l'erreur manifeste d'appréciation donne davantage matière à discussion.
Les requérants critiquent le choix d'un nom qui, selon eux, n'aurait aucun lien avec une réalité historique ou géographique, en méconnaissance de ce qu'ils identifient comme une règle gouvernant la dénomination des régions.
Sous l'angle de l'erreur de droit, la critique ne peut être accueillie car la règle dont se prévalent les requérants n'existe pas. S'il est vrai que les noms de régions ont, jusqu'à présent, principalement fait référence à des entités géographiques ou à des provinces historiques, il ne s'en déduit pas l'existence d'une règle -il est même difficile d'y voir, tant la collectivité territoriale régionale est de création récente, une habitude-. Au demeurant, comme le fait remarquer la région en défense, le nom "Occitanie" n'est pas dépourvu de racines historiques : les Etats généraux du Languedoc, sous l'ancien régime, se réunissaient sous l'appellation -latine- Comitia Occitaniae.
Reste l'erreur manifeste d'appréciation invoquée par les requérants.
Vous confirmerez d'abord, ce que vous n'avez jamais eu l'occasion de juger, que le contrôle du juge de l'excès de pouvoir sur l'appréciation portée par l'autorité compétente pour nommer une région se limite bel et bien à l'erreur manifeste. Cette appréciation n'est guidée par aucune règle expresse, pas davantage que celle que porte l'autorité administrative lorsqu'elle nomme une commune, sur laquelle vous n'exercez qu'un contrôle restreint (voyez CE Sect., 22 avril 1955, n° 21262 N° Lexbase : A8990ALK, Rec., p. 203 ; CE 20 janvier 1988, n° 62900 N° Lexbase : A7534APQ, au Recueil).
Eu égard à ce contrôle restreint, nous ne croyons pas possible de censurer le choix fait par le décret attaqué. Certes, comme le font valoir les requérants, l'aire linguistique et culturelle occitane est loin de correspondre exactement aux limites administratives de la région : d'autres contrées marquées par la langue et la culture d'oc s'étendent au-delà de ces limites, principalement dans les régions Nouvelle-Aquitaine, Auvergne-Rhône-Alpes et Provence-Alpes-Côte d'Azur ; et à l'inverse, la quasi-totalité du territoire correspondant au département des Pyrénées-Orientales, inclus dans la nouvelle région, est marquée par la langue et la culture catalane, et non par l'occitan. Il n'en reste pas moins que la plus grande partie du territoire de la nouvelle région est incluse dans ce qui correspond, historiquement, au coeur de l'aire linguistique et culturelle occitane. Et ce constat suffit, à notre sens, pour considérer que l'appellation "Occitanie" retenue par le décret attaqué n'est pas entachée d'une erreur d'appréciation manifeste.
Bien sûr, en opportunité, il est permis d'estimer, avec les requérants, qu'un nom plus neutre, faisant exclusivement référence à la géographie, eût été préférable ; ou que, le parti ayant été pris d'y refléter la marque imprimée par une langue et une culture régionale, il aurait été bon de faire une place à l'autre ensemble linguistique et culturel régional présent dans le ressort de la nouvelle collectivité territoriale. Mais ce débat, tout à fait légitime, ne nous paraît pas avoir sa place devant le juge.
2. Ce qui fait l'essentiel de l'intérêt de l'affaire, et ce qui justifie son examen par votre assemblée, ce sont les moyens critiquant les conditions dans lesquelles est intervenu le choix du nom "Occitanie".
Pour en apprécier la portée, quelques mots tout d'abord des circonstances dans lesquelles le conseil régional de la nouvelle région s'est prononcé en faveur de ce nom.
En vue de rendre sur ce point l'avis prévu par l'article 2 de la loi du 16 janvier 2015, le conseil régional a, par une délibération de sa commission permanente du 11 mars 2016, décidé d'adopter un calendrier et une méthode générale du "processus de détermination du nom" de la région, comportant une "phase institutionnelle" et une "phase citoyenne". Il s'est agi, dans un premier temps, de recueillir l'avis de divers institutions et organismes régionaux, notamment celui du conseil économique, social et environnemental régional, et de constituer un "comité du nom de la région", composé de diverses personnalités locales et chargé d'assister le conseil régional dans sa réflexion. Par une résolution du 4 avril 2016, ce comité a transmis au conseil régional une liste de huit propositions et il a recommandé l'organisation d'une consultation ouverte "au plus grand nombre" sur ces propositions, afin "d'éclairer la collectivité régionale" "aux côtés des avis exprimés dans le cadre de la consultation institutionnelle".
Par une délibération du 15 avril 2016, le conseil régional a clôturé la phase institutionnelle du processus et décidé de soumettre à une consultation publique, ouverte à toutes les personnes âgées de plus de quinze ans habitant la région ou déclarant y avoir leurs attaches, une liste de cinq propositions de nom issues des huit propositions transmises par le "comité du nom de la région". Ces propositions étaient les suivantes : "Occitanie", "Languedoc-Pyrénées", "Pyrénées-Méditerranée", "Occitanie-Pays Catalan" et "Languedoc". Dans le cadre de cette consultation, les personnes intéressées ont pu, du 9 mai au 10 juin 2016, faire connaître leur ordre de préférence entre les cinq noms proposés, soit en se connectant sur le site internet de la région, soit en renvoyant à ses services un formulaire papier. Les résultats de la consultation ont été publiés sur le site internet de la région. Le nom "Occitanie" a été placé au premier rang par 44,90 % des avis exprimés, très nettement devant le nom "Languedoc-Pyrénées", arrivé en deuxième position des propositions placées au premier rang.
C'est au vu du déroulement de l'ensemble de ce processus, et notamment des résultats de la consultation publique organisée, que le conseil régional s'est prononcé, par une délibération du 24 juin 2016, en faveur de la dénomination "région Occitanie".
Les moyens soulevés par les requérants autres que ceux déjà examinés tournent tous, d'une manière ou d'une autre, autour de la consultation publique organisée à l'initiative du conseil régional -que celui-ci n'a pu s'empêcher d'affubler de l'épithète "citoyenne"-. Résumons-les très brièvement : les requérants reprochent d'abord au Premier ministre, informé des résultats de la consultation, d'avoir abdiqué son pouvoir d'appréciation et ainsi méconnu l'étendue de sa compétence en s'en remettant entièrement à l'avis du conseil régional ; ils soulèvent ensuite un moyen tiré de ce que l'avis du conseil régional est entaché d'irrégularité, cette assemblée ayant selon eux commis la même erreur au vu des résultats de la consultation ; ils soutiennent enfin que la procédure de consultation du public organisée en amont de l'avis rendu par le conseil régional est irrégulière à plusieurs titres.
Ces différentes critiques, et tout particulièrement la dernière d'entre elles, posent la question du cadre juridique dans lequel s'inscrivent les différentes formes de consultation du public, lorsqu'elles interviennent à titre facultatif, en dehors des hypothèses prévues par des dispositions législatives ou réglementaires particulières. Elles invitent également à se pencher sur l'office du juge administratif lorsqu'il est saisi, à l'appui d'un recours dirigé contre un acte pris à la suite d'une telle consultation, de moyens tirés de ce que cette consultation est irrégulière.
2.1. Avant d'explorer ces questions, il faut se faire une idée des pratiques auxquelles correspond le recours, à titre facultatif, à la consultation du public.
Ces pratiques, bien qu'elles ne soient pas nouvelles, suscitent un intérêt croissant. L'assemblée générale du Conseil d'Etat s'est penchée de manière approfondie sur le sujet à l'occasion de l'adoption du rapport annuel 2011, en adoptant l'étude intitulée "Consulter autrement, participer effectivement". Le conseil d'orientation de l'édition publique et de l'information administrative a adopté tout récemment, en novembre dernier, un document consacré aux consultations ouvertes sur internet organisées par les administrations. Enfin une mission d'information du Sénat a déposé, il y moins de deux mois, un rapport dont l'objet est plus large (9) mais qui consacre d'importants développements à la problématique de l'association du public aux décisions des autorités administratives. Les données dont font état ces différents rapports, complétées par les recherches effectuées par votre troisième chambre, reflètent une réalité bouillonnante, contrastée et évolutive.
Une réalité bouillonnante, d'abord : le recours à la consultation du public est de plus en plus fréquent. Le constat se vérifie quelle que soit l'administration concernée. C'est vrai de l'Etat, y compris dans l'exercice de la fonction législative. Le projet de loi pour une République numérique, devenu la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 (N° Lexbase : L4795LAT), a par exemple donné lieu à une consultation de grande ampleur sur internet, mobilisant plus de 20 000 contributeurs, qui ont voté près de 150 000 fois et déposé plus de 8 500 arguments. C'est vrai aussi, bien sûr, des collectivités territoriales. Il est ainsi frappant de constater que parmi les nouvelles régions dont l'organe délibérant devait, en application de l'article 2 de la loi du 16 janvier 2015, émettre un avis sur leur dénomination, toutes ont eu recours à des procédures préalables de consultation du public. Certaines pratiques de consultation acquièrent en outre un caractère permanent, à l'image des "budgets participatifs" mis en place par certaines collectivités territoriales, qui permettent aux habitants de proposer ou de commenter des projets et parfois de les soutenir en votant en leur faveur -une trentaine de communes sont dotées de telles procédures, articulées avec leur calendrier budgétaire, dont plusieurs agglomérations importantes comme Paris, Rennes, Grenoble, Dijon et Metz-. Ce bouillonnement s'explique facilement : consultation et participation du public apparaissent, à tort ou à raison, et non sans ambiguïtés, comme de possibles remèdes à la crise de la démocratie représentative et plus globalement de l'action publique.
Une réalité contrastée, ensuite : la consultation du public recouvre des enjeux et revêt des formes très diverses. Les enjeux peuvent être extrêmement variés, aussi bien au regard du sujet de la consultation que de sa proximité avec la décision. Les sujets sont aussi diversifiés que les domaines d'action de l'administration, et vont du plus anodin -par exemple les horaires d'ouverture qui arrangent le mieux les usagers de la crèche municipale- au plus sensible -on pense à la consultation organisée sur le projet de transfert, sur la commune de Notre-Dame-des-Landes, de l'aéroport de Nantes-Atlantique-. Mais l'enjeu dépend aussi de la plus ou moins grande proximité de la consultation par rapport à la décision : très en amont de toute décision, certaines consultations se bornent à recueillir le sentiment du public sur l'action de l'administration ; d'autres, à l'opposé, sont organisées en vue d'éclairer une décision particulière. Les formes de la consultation sont également variées, aussi bien au regard des moyens utilisés que de la nature de l'avis sollicité. Parmi les moyens utilisés pour recueillir l'avis du public, internet et les technologies qui l'accompagnent côtoient d'autres instruments plus classiques que sont, notamment, l'enquête publique au moyen d'un registre et d'un rapport, les panels de citoyens, les réunions publiques ou la consultation des électeurs par l'organisation d'un scrutin. Quant à la nature de l'avis sollicité, il est souvent davantage qualitatif que quantitatif : il s'agit de recueillir des observations, des idées, voire des propositions, et plus rarement de compter les avis favorables ou défavorables à un projet. Les deux aspects, qualitatif et quantitatif, peuvent au demeurant être présents simultanément lorsque les personnes consultées sont en mesure aussi bien d'émettre une suggestion que d'appuyer celle proposée par un autre participant à la consultation -ce que permettent les technologies d'internet-.
Une réalité évolutive, enfin : l'usage privilégié d'internet pour consulter le public suscite l'innovation. Cet usage d'internet a été rendu possible par ce que l'on a appelé le "Web 2.0", c'est-à-dire, au risque de simplifier à l'excès, l'évolution d'internet vers davantage d'interactivité, grâce au déploiement de technologies permettant aux usagers du réseau non seulement de recevoir, mais aussi de produire, partager et exploiter des données. Les consultations du public sur internet font ainsi souvent appel à des prestataires privés qui mettent à la disposition des administrations des services inspirés des réseaux sociaux ou des outils de travail collaboratif développés sur internet. Et en retour, les exigences de fiabilité et de sécurité formulées par les administrations qui recourent à ce type de consultation incitent ces prestataires privés à élaborer de nouveaux moyens techniques permettant de vérifier l'authenticité des avis émis et de sauvegarder l'intégrité des données recueillies. C'est ainsi un véritable "marché de la consultation" qui est en train d'émerger. Il est sans doute trop tôt pour prédire son avenir. Mais il n'est pas invraisemblable qu'au regard de l'intérêt général qui s'attache à l'utilisation, par l'administration, de services propres à garantir le déroulement dans de bonnes conditions des consultations qu'elles organisent, des formes de certification finissent par être mises en place.
2.2. Ce rapide tour d'horizon achevé, il est temps de se pencher sur le cadre juridique applicable aux consultations du public organisées à titre facultatif.
Ces consultations sont, en toute première analyse, parfaitement légales. Vous jugez depuis fort longtemps qu'en principe, une autorité administrative est libre de recueillir, avant de prendre sa décision, tous les éléments d'information qui lui paraissent utiles, et notamment de solliciter des avis, à la condition toutefois de ne pas s'estimer liée par ces avis (CE, 19 février 1904 n° 7497, au Recueil, p. 132, avec résumé des conclusions Romieu ; CE Sect., 27 avril 1956, n° 77398, au Recueil, p. 171 ; CE, 6 mars 1957, n° 94675, au Recueil, p. 147 ; CE Sect., 3 juillet 1981, n° 16496 N° Lexbase : A6253AKS, au Recueil, p. 295 ; plus récemment CE, 18 juin 2014, n° 369377 N° Lexbase : A6272MRQ, aux tables du Recueil, point 7). On tire ainsi, de votre jurisprudence ancienne et constante, une première condition de légalité qui vient encadrer le recours à une procédure de consultation du public : ce recours ne doit pas s'accompagner d'une abdication par l'administration de sa compétence. A la différence d'un référendum, dont la portée est décisionnelle, la consultation du public, quelle qu'en soit la forme, ne dessaisit pas l'administration, qui ne peut renoncer à son pouvoir d'appréciation et de décision (10).
A cette prohibition de l'incompétence négative s'ajoute, il est bon de le rappeler, la prohibition de toute incompétence positive. L'autorité administrative qui organise une consultation du public ne peut légalement le faire que lorsque l'objet de cette consultation ressortit à son champ de compétence. Une région ne pourrait ainsi organiser une consultation portant sur le nom d'une région voisine. Un département ne pourrait organiser une consultation sur les orientations souhaitables en matière de développement économique de son territoire -compétence qui n'appartient qu'à la région-. Une commune ne pourrait organiser une consultation sur la politique migratoire, qui relève de l'Etat. En revanche, n'encourt aucune critique d'incompétence l'autorité administrative qui organise une consultation du public sur un sujet à propos duquel, sans être compétente pour prendre aucune décision, elle est invitée à exprimer un avis. Cette solution vaudrait aussi bien, selon nous, lorsque le recueil de cet avis est prévu par un texte (11) que lorsqu'il est sollicité, à titre facultatif, par l'autorité administrative compétente pour prendre une décision.
Comme pour toute autre procédure suivie à titre facultatif, il faut encore que la consultation du public soit, au vu des règles de procédure applicables, possible dans son principe, à défaut d'être légalement requise. Il est en effet des hypothèses dans lesquelles les textes régissent étroitement la procédure préalable à l'édiction d'un acte administratif, à telle enseigne que l'ajout d'un élément de procédure non prévu par ces textes est susceptible de se traduire par un contournement, un affaiblissement ou un gauchissement de ceux qu'ils imposent. Vous aurez reconnu le courant jurisprudentiel illustré, notamment, par la décision de section SARL "Chocolat de régime Dardenne" du 8 janvier 1982 (CE, n° 17270 N° Lexbase : A8223AKR, au Recueil, p. 1 ; voir dans le même sens CE Sect., 26 janvier 1951, n° 88059, au Recueil, p. 43 ; CE, 7 février 1968, n° 65771 et 65797, aux tables du Recueil pp. 827-1021 ; CE, 19 mai 1993, n° 86743 N° Lexbase : A9619AM9, au Recueil ; plus récemment CE 18 juin 2014, n° 369377, préc.). Les autorités administratives doivent donc faire montre de prudence lorsqu'elles sont amenées à prendre des actes selon des modalités procédurales précisément prévues par les textes applicables, et d'autant plus que celles-ci incluent une forme de consultation du public (12). Prétendre, dans une telle hypothèse, y ajouter une autre forme de consultation du public aurait toutes les chances de se heurter à la jurisprudence précitée.
Enfin, et toujours suivant votre jurisprudence la plus classique, lorsque l'autorité administrative décide, sans y être légalement tenue, de recueillir un avis destiné à l'éclairer, elle doit procéder au recueil de cet avis dans des conditions régulières (CE Sect., 14 novembre 1969, n° 72330 N° Lexbase : A0326B8L, au Recueil, p. 499 ; CE Sect., 15 mars 1974, n° 85703 N° Lexbase : A0538B8G, au Recueil, p. 188 ; pour une illustration récente, CE, 4 juin 2012, n° 351976 N° Lexbase : A4053ING, aux tables du Recueil). Les conditions de régularité de cette consultation sont faciles à déterminer lorsque l'autorité administrative décide de recourir à une procédure qui, même si elle ne s'impose pas à elle, est définie par les textes (13) : il lui revient alors de respecter ces textes. Lorsqu'au contraire -et c'est l'hypothèse qui nous intéresse- l'autorité administrative organise une procédure de consultation sui generis, non prévue par les textes, cela ne signifie pas qu'elle peut agir à sa guise, de manière arbitraire. Elle reste soumise aux principes généraux qui régissent l'action administrative -nous pensons notamment aux principes d'égalité et d'impartialité, rappelés par les dispositions de l'article L. 100-2 du Code des relations entre le public et l'administration (N° Lexbase : L1765KNP)-. Elle doit également respecter les modalités de la procédure qu'elle a elle-même arrêtée -voyez en ce sens votre décision du CE, 10 octobre 1994, n° 108691 N° Lexbase : A2946ASW, aux tables du Recueil)-. Et elle doit, évidemment, ne pas détourner la procédure de consultation de son objet : alors même qu'elle serait organisée compétemment et légale dans son principe, une autorité administrative qui utiliserait une consultation du public non pour être éclairée sur un sujet mais dans un autre but -par exemple afin d'influencer, grâce aux résultats de la consultation, une décision relevant d'un tiers- entacherait cette consultation d'illégalité par détournement de pouvoir.
En outre, lorsqu'une autorité administrative décide, en dehors des cas régis par des dispositions législatives ou réglementaires particulières, d'associer le public à la conception d'une réforme ou à l'élaboration d'un projet ou d'un acte, elle se trouve soumise à une série d'obligations prévues par les dispositions de l'article L. 131-1 du Code des relations entre le public et l'administration, issues de l'ordonnance n° 2015-1341 du 23 octobre 2015, relative aux dispositions législatives de ce code (N° Lexbase : L0347KN8) (14). Ces dispositions constituent l'ensemble du chapitre Ier ("Principes généraux") du titre III ("L'association du public aux décisions prises par l'administration") du livre Ier ("Les échanges avec l'administration") du Code des relations entre le public et l'administration. Il s'agit de dispositions nouvelles, entrées en vigueur au 1er janvier 2016 (15), dont les autorités administratives et les requérants n'ont sans doute pas encore totalement pris la mesure -relevons que, dans le présent litige, aucune des parties n'en fait mention. Leur genèse mérite d'être rappelée : il ressort du rapport au Président de la République sur le projet d'ordonnance que les principes directeurs qu'elles énoncent traduisent la prise en compte de recommandations émises par le Conseil d'Etat dans le rapport public annuel pour 2011 que nous évoquions tout à l'heure. Ces principes directeurs sont les suivants : il incombe à l'autorité administrative qui organise la procédure d'en rendre publiques les modalités, de mettre à la disposition des personnes concernées les informations utiles, de leur assurer un délai raisonnable pour participer et de veiller à ce que les résultats ou les suites envisagées soient, au moment approprié, rendus publics.
Au-delà de ces principes généraux énoncés par l'article L. 131-1 du Code des relations entre le public et l'administration, au-delà des règles déjà explicitées par votre jurisprudence en matière de procédures non obligatoires, nous croyons également que toute procédure de consultation du public, même suivie à titre facultatif, est soumise à une exigence de sincérité.
Il vous est déjà arrivé à plusieurs reprises, presque par inadvertance, et très naturellement, de faire mention de cette idée de sincérité de la consultation dans vos décisions. Voyez par exemple, à propos de la consultation d'organes délibérants de collectivités territoriales, préalablement à la décision de création d'un parc national, CE Ass., 29 juin 1973, n° 81768 N° Lexbase : A9825B8E, au Recueil p. 447 : vous y vérifiez qu'aucune manoeuvre n'a été commise qui serait de nature à "vicier la sincérité de [la] consultation". Voyez aussi, à propos d'une procédure de concertation organisée en application du Code de l'environnement, CE, 28 mars 2011, n° 330256 N° Lexbase : A3739HMG, aux tables du Recueil, p. 967 sur un autre point : vous y vérifiez l'absence "d'irrégularités entachant la sincérité de la consultation du public". Voyez encore, à propos de l'avis du comité d'entreprise sollicité sur le projet de licenciement de l'un de ses membres, CE, 1er février 1995, n° 136334 N° Lexbase : A2564ANB, inédite au Recueil : vous y censurez une décision d'autorisation de licenciement au motif que le comité d'établissement "ne s'est pas prononcé dans des conditions de nature à assurer la sincérité de sa consultation". La circonstance que ces décisions aient été rendues dans des hypothèses de consultations organisées à titre obligatoire est à nos yeux sans incidence et nous croyons l'exigence de sincérité de la consultation tout aussi valide lorsque cette dernière est organisée à titre facultatif. Car l'exigence dont il s'agit se déduit de l'objet même de toute consultation, qui est, comme le rappelle votre jurisprudence, d'"éclairer" l'administration, ainsi que des principes d'égalité et d'impartialité qui s'imposent, en toute hypothèse, à son action. Le respect de cet objet et de ces principes implique, à notre sens, que la consultation du public soit organisée afin de parvenir à un résultat de nature à éclairer l'autorité administrative, sans qu'une partie du public consulté, voire des personnes extérieures à celui-ci, puissent avoir la possibilité de biaiser ce résultat, ni que l'autorité administrative puisse elle-même l'influencer dans un sens conforme à ses attentes.
Ces implications de l'exigence de sincérité vont loin.
Sans prétendre à l'exhaustivité, il nous semble s'en déduire, tout d'abord, que l'autorité administrative qui organise la consultation doit retenir une définition du public consulté qui soit en rapport avec l'objet de la consultation et de nature, au regard de cet objet, à lui permettre de recueillir un avis utile. Pourrait ainsi, à nos yeux, être regardée comme insincère une procédure pour laquelle le public consulté a été défini de telle sorte que son résultat est à coup sûr déjà acquis, par exemple parce qu'il ne peut, compte tenu de cette définition, qu'être favorable ou défavorable au projet qui lui est soumis.
De l'exigence de sincérité de la consultation découle encore la nécessité, pour l'autorité administrative qui l'organise, de se doter des moyens propres à empêcher que son résultat soit vicié, notamment par des avis à répétition ou par des avis émis par des personnes extérieures au public qu'elle a choisi de consulter. Il faut toutefois se garder, sur ce point, de faire peser des obligations disproportionnées sur l'administration. Le risque serait de mettre un coup d'arrêt au développement des procédures de consultation : non seulement parce que la sécurisation de ces procédures a toujours un coût pour l'administration ; mais aussi parce que cette sécurisation se traduit, en général, par davantage de contraintes pour le public consulté, en termes par exemple de renseignements à fournir, de sorte qu'un surcroît de précautions tend à décourager sa participation. C'est pourquoi -ce point est important à nos yeux- les moyens mobilisés par l'administration pour assurer la sincérité de la consultation doivent être adaptés en fonction de l'objet de cette consultation et de la délimitation du public consulté. Le critère de l'objet de la consultation permet, entre autres, de faire le départ entre les consultations purement qualitatives et celles qui revêtent une dimension quantitative : dans le cas des premières, qui tendent seulement à recueillir des idées ou des propositions, il importe assez peu qu'une même personne puisse réitérer la même contribution un très grand nombre de fois -car seule compte, au final, la pertinence de cette contribution- ; inversement, dans le cas des secondes, il est au contraire nécessaire de faire échec à des pratiques de "vote multiple" qui pourraient en fausser les résultats. Quant au critère de la délimitation du public consulté, il permet de prendre en compte la plus ou moins grande précision que l'autorité organisatrice a choisi de donner au périmètre de la consultation. Il s'agit, en recourant à ces deux critères, d'assurer une exacte adaptation des moyens de contrôle déployés par l'autorité qui organise la consultation aux enjeux de cette dernière.
(1) A l'exception de la région issue de la Haute-Normandie et de la Basse-Normandie, pour laquelle le nouveau nom a paru s'imposer...
(2) Vous avez refusé de renvoyer au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité présentée, dans le cadre du présent contentieux, à l'encontre de cette disposition (CE, 13 décembre 2016, n° 403928 N° Lexbase : A2077WNA, inédite au Recueil).
(3) CGCT, art. L. 2111-1 (N° Lexbase : L6943I7B).
(4) CGCT, art. L. 3111-1 (N° Lexbase : L6936I7Z).
(5) Voir par exemple CE, 7 avril 2004, n° 250187 (N° Lexbase : A9799DBK), aux tables du Recueil sur un autre point.
(6) CE Sect., 12 juin 1981, n° 13173, 13175 (N° Lexbase : A4822AKS), au Recueil, p. 256.
(7) Voir en ce sens Cons const., décision n° 76-71 DC du 30 décembre 1976 (N° Lexbase : A7922ACE), cons. 5.
(8) Voir notamment Cons const., décisions n°s 84-177 DC du 30 août 1984 (N° Lexbase : A8094ACR), cons. 6-7 ; 93-329 DC du 13 janvier 1994 (N° Lexbase : A8296ACA), cons. 21 ; 99-412 DC du 15 juin 1999 (N° Lexbase : A8771ACT), cons. 6 et 10 ; 2014-407 QPC du 18 juillet 2014 (N° Lexbase : A5089MUZ), cons. 17-20.
(9) Démocratie représentative, démocratie participative, démocratie paritaire : comment décider avec efficacité et légitimité en France en 2017, rapport enregistré à la présidence du Sénat le 17 mai 2017.
(10) Ce rappel dissipe une des ambiguïtés qui, très souvent, accompagnent le recours aux mécanismes de consultation du public : ils ne sont pas la manifestation d'une forme de démocratie directe.
(11) C'est l'hypothèse de la présente affaire.
(12) On pense au premier chef aux procédures préalables aux décisions administratives ayant une incidence sur l'environnement, qui mettent en oeuvre le principe constitutionnel et conventionnel de participation du public à l'élaboration de ces décisions (Charte de l'environnement, art. 7 ; Convention d'Aarhus du 25 juin 1998, sur l'accès à l'information, la participation du public au processus décisionnel et l'accès à la justice en matière d'environnement).
(13) Par exemple lorsqu'elle consulte sans y être tenue une commission administrative dont l'existence, la composition et les modalités de fonctionnement sont prévues par les textes.
(14) Ordonnance n° 2015-1341 du 23 octobre 2015, relative aux dispositions législatives du code des relations entre le public et l'administration.
(15) Voir l'article 10 de l'ordonnance.
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Réf. : CJUE, 6 septembre 2017, aff. C-643/15 (N° Lexbase : A7057WQG)
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par Yann Le Foll
Le 14 Septembre 2017
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Réf. : Cass. civ. 1, 13 juillet 2017, n° 16-24.084, FS-P+B (N° Lexbase : A9894WME) ; CE référé, 26 juillet 2017, n° 412618 (N° Lexbase : A7953WNU) ; TA Dijon, 28 août 2017, n° 1502100 (N° Lexbase : A3375WQ3)
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N0089BXL
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par Adeline Gouttenoire, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux, Directrice de l'Institut des Mineurs de Bordeaux et Directrice du CERFAP, Directrice scientifique des Encyclopédies de droit de la famille
Le 14 Septembre 2017
Cadre privilégié. Les décisions relatives à l'autorité parentale et plus largement des décisions portant sur les relations d'un enfant avec les personnes de son entourage constituent le cadre privilégié de la mise en oeuvre du principe de primauté de l'intérêt de l'enfant.
L'arrêt de la Cour de cassation du 13 juillet 2017 est relatif aux relations d'un enfant avec l'ancienne concubine de sa mère. C'est l'article 371-4 du Code civil (N° Lexbase : L8011IWM) qui prévoit que "si tel est l'intérêt de l'enfant, le juge aux affaires familiales fixe les modalités des relations entre l'enfant et un tiers, parent ou non". Ce texte s'applique notamment au beau-parent, entendu comme la personne qui forme ou a formé un couple avec l'un des parents de l'enfant Ce dernier est concerné par ce texte qui vise particulièrement depuis la loi n° 2013-404 du 17 mai 2013 (N° Lexbase : L7926IWH), le tiers "qui a résidé de manière stable avec l'enfant et l'un de ses parents, a pourvu à son éducation, à son entretien ou à son installation, et a noué avec lui des liens affectifs durables".
Exigence de conformité à l'intérêt de l'enfant. Même si la formulation du texte l'incite à envisager les relations de l'enfant avec l'ancien conjoint ou concubin de son parent avec une particulière bienveillance, le juge aux affaires familiales doit fonder sa décision d'accorder ou non un droit de visite et d'hébergement à ce dernier sur l'intérêt de l'enfant, comme le précise expressément le texte, conformément au principe de primauté de l'intérêt supérieur de l'enfant dans toute décision le concernant consacré par l'article 3 § 1 de la Convention internationale des droits de l'enfant (N° Lexbase : L6807BHL).
Divergence de solutions. C'est justement la question de la conformité du droit de visite et d'hébergement de la concubine à l'intérêt de l'enfant qui est centrale dans la décision du 13 juillet 2017, comme elle l'avait été dans une autre décision portant sur le même sujet du 23 octobre 2013 (1). Or, la solution approuvée par la Cour de cassation dans l'une et l'autre des décisions est différente : en 2013 la Haute juridiction avait admis le rejet de la demande de droit de visite et d'hébergement de l'ancienne concubine de la mère alors qu'en 2017 elle rejette le pourvoi contre la décision qui l'accueille. Les faits à l'origine des deux arrêts étaient pourtant similaires. Dans les deux cas, en effet, il s'agissait d'un enfant né d'un projet parental commun dans le cadre d'un couple de femmes qui s'étaient séparées alors que l'enfant avait deux ou trois ans. La filiation de l'enfant était établie à l'égard de la seule mère biologique, laquelle avait fait obstacle à ses relations avec son ancienne compagne après la séparation.
Appréciation souveraine. Dans l'arrêt de 2017 comme dans celui de 2013, la Cour de cassation affirme clairement que l'appréciation de l'intérêt de l'enfant relève du pouvoir souverain des juges du fond, ce qui peut sans doute expliquer pour partie la contrariété de solution entre les deux décisions. Toutefois, en détaillant les motifs de la cour d'appel, les deux arrêts fournissent des indications sur le contenu de l'intérêt de l'enfant placé dans la situation envisagée.
Evolution. La comparaison des deux décisions pourrait permettre de penser que la Cour de cassation a évolué vers une approche plus favorable à l'octroi d'un droit de visite et d'hébergement à la personne qui s'est comportée comme la mère de l'enfant avant sa naissance et dans les années qui l'ont suivie. Surtout, l'analyse comparée des deux décisions pourrait indiquer que le juge devrait désormais accorder moins de poids à la rupture des relations de l'enfant avec l'ex-concubine de sa mère, provoquée après la séparation par cette dernière. En effet, en 2013, la Cour de cassation avait approuvé la cour d'appel d'avoir rejeté la demande en se fondant essentiellement sur le motif tiré de la rupture des relations entre l'enfant et l'ancienne concubine de sa mère ainsi que sur le fait que l'enfant "avait manifesté une franche hostilité au fait de devoir la suivre à l'occasion du droit de visite et d'hébergement octroyé par les premiers juges". C'est d'ailleurs sur ce point que l'arrêt du 23 octobre 2013 avait pu être critiqué (2). L'arrêt de 2017, qui approuve la cour d'appel d'avoir accueilli la demande de droit de visite, est beaucoup plus détaillé. La Cour de cassation relève l'existence d'un projet parental commun au moment de la conception de l'enfant, d'une vie commune de deux ans, le fait que l'ex-concubine de la mère considérait l'enfant comme sa fille, et qu'il existait un lien affectif durable entre elles, dont la rupture n'est due qu'au refus de la mère de maintenir cette relation.
Liens affectifs durables. La Cour de cassation, dans l'arrêt du 13 juillet 2017, reprend ensuite les énonciations de l'arrêt d'appel selon lesquelles "l'intérêt de l'enfant commande qu'elle ait accès aux circonstances exactes de sa conception, de sa naissance, ainsi que des premiers temps de son existence, sans que cela n'empêche une relation affective de qualité avec l'actuel compagnon de sa mère, et que l'existence de relations conflictuelles entre les parties n'est pas un obstacle suffisant pour justifier le rejet de la demande [...] dès lors qu'Alice, décrite comme une enfant épanouie et équilibrée, est en mesure de renouer des liens affectifs avec cette dernière". Ainsi, la Haute juridiction semble sous-entendre que la rupture des relations, à l'initiative de la mère de l'enfant, ne constitue plus une raison suffisante pour refuser un droit de visite à la personne qui a participé à son éducation durant les premières années de sa vie. En outre, le fait que l'ex-concubine de la mère ne sollicite dans un premier temps qu'un simple droit de visite en proposant de se déplacer pour voir l'enfant, est interprété par la cour d'appel, et repris par la Cour de cassation, comme un témoignage de l'intérêt qu'elle porte à l'enfant et "de son désir de ne pas la brusquer en reprenant de manière progressive et adaptée des contacts avec elle, avant de pouvoir à nouveau la recevoir à son domicile".
Tendance favorable au beau-parent. Même s'il convient de rester prudent s'agissant d'une décision portant sur une notion soumise à l'appréciation des juges du fond, il semblerait que l'arrêt du 13 juillet 2017 s'inscrive dans une tendance favorable au maintien des relations entre l'enfant et son parent affectif, nonobstant la séparation du couple à l'origine du projet parental et la volonté du parent biologique de rompre ces liens. Il doit ainsi être rapproché de l'arrêt du 4 janvier 2017 (3) qui, dans des circonstances similaires, a refusé de mettre fin à la délégation de l'exercice de l'autorité parentale au motif que "la volonté de la mère de mettre fin à la délégation et au partage de l'exercice de l'autorité parentale est exclusivement inspirée par des considérations d'ordre personnel et qu'il n'est pas établi que la séparation du couple a des répercussions négatives sur l'enfant".
2. Le choix du traitement médical (CE référé, 26 juillet 2017, n° 412618 N° Lexbase : A7953WNU)
Intérêt de l'enfant sous-entendu. Même s'il ne le vise pas formellement, l'arrêt du Conseil d'Etat du 26 juillet 2017 doit être classé parmi les décisions récentes qui s'inscrivent dans la mise en oeuvre du principe de primauté de l'intérêt de l'enfant pour toute décision le concernant. Il s'agissait d'une décision médicale à propos de laquelle s'opposaient parents et médecins.
Référé. En l'espèce, les parents d'un enfant de dix ans, atteint d'une leucémie, souhaitaient imposer à l'équipe médicale la mise en place d'un traitement curatif (une chimiothérapie) au lieu des soins palliatifs que celle-ci jugeait plus adaptés à la situation médicale du mineur. Le juge administratif était saisi, sur le fondement de l'article L. 521-2 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3058ALT), d'une demande tendant à ce que soit ordonnée une mesure de sauvegarde du droit au respect de la vie garanti par l'article 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L4753AQ4).
Choix d'un traitement. Pour rejeter la demande des parents, le Conseil d'Etat précise tout d'abord que "le litige porté devant le juge des référés ne concerne pas la suspension d'un traitement ou le refus d'en entreprendre un au sens de l'article L. 1110-5-1 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L4208KYI) mais le choix d'administrer un traitement plutôt qu'un autre, au vu du bilan qu'il appartient aux médecins d'effectuer en tenant compte, d'une part, des risques encourus et, d'autre part, du bénéfice escompté". On notera cependant qu'il s'agissait de choisir entre un traitement curatif et des soins palliatifs ce qui aurait pu être assimilé à un refus d'entreprendre un traitement et surtout que le choix effectué privait le mineur de toute chance de guérison, ce qui explique le fondement de l'article 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme qui consacre le droit à la vie.
Appréciation de l'intérêt de l'enfant. Le Conseil d'Etat procède ensuite à une analyse minutieuse de la situation pour déterminer si le choix opéré par l'équipe médicale était bien dans l'intérêt de l'enfant, même si la notion est en elle-même formellement absente de son raisonnement. Le juge administratif constate que l'équipe médicale qui prenait en charge l'enfant, approuvée par une autre équipe hospitalière, a établi que le traitement souhaité par les parents était à la fois contre-indiqué, difficile à mettre en oeuvre et inutile vu l'état du mineur. Il relève également que le traitement palliatif proposé par les médecins, visant à contrôler la maladie de l'enfant, a permis une stabilisation du nombre des cellules leucémiques et qu'il donne lieu à un suivi régulier conduisant à son adaptation. Le Conseil d'Etat en déduit que "le choix du traitement administré [...] résulte de l'appréciation comparée des bénéfices escomptés des deux stratégies thérapeutiques en débat ainsi que des risques, en particulier vitaux, qui y sont attachés" et que "dans ces conditions et dès lors qu'une prise en charge thérapeutique est assurée par l'hôpital, il n'appartient pas au juge des référés [...] de prescrire à l'équipe médicale que soit administré un autre traitement que celui qu'elle a choisi de pratiquer à l'issue du bilan qu'il lui appartient d'effectuer".
A contrario. On peut sans doute considérer qu'a contrario, le juge administratif aurait pu imposer aux médecins l'administration d'un traitement médical s'il l'avait jugé nécessaire pour préserver la santé de l'enfant et s'il avait constaté que le traitement mis en oeuvre ne préservait pas suffisamment son état de santé, autrement dit s'il n'était pas conforme à son intérêt, entendu comme la meilleure préservation de ses besoins fondamentaux.
3. Le régime alimentaire proposé dans les cantines scolaires (TA Dijon, 28 août 2017, n° 1502100 N° Lexbase : A3375WQ3)
Décision collective. La décision du 28 août 2017 du tribunal administratif de Dijon relative aux régimes de substitution dans les cantines scolaires constitue une illustration remarquable de la mise en oeuvre du principe de primauté de l'intérêt supérieur de l'enfant dans le cadre d'une décision relative à une catégorie d'enfants. Le Conseil d'Etat a déjà annulé par le passé deux décrets susceptibles de s'appliquer à un groupe d'enfants, concernant, pour l'un les mineurs incarcérés (4), et pour l'autre, les mineurs étrangers en situation irrégulière (5). L'intérêt de la décision dijonnaise est de fournir des précisions quant aux modalités et au contenu du contrôle de la conformité d'une décision collective au principe de primauté de l'intérêt supérieur de l'enfant. Le juge administratif procède en trois étapes.
Applicabilité du principe de primauté de l'enfant. Tout d'abord, le tribunal administratif justifie l'applicabilité du principe de primauté de l'intérêt supérieur de l'enfant à la décision litigieuse, en considérant que, si le service public de la restauration scolaire a un caractère facultatif et que l'obligation de proposer aux enfants un menu de substitution ne résulte d'aucune disposition conventionnelle, constitutionnelle, législative ou réglementaire, "la mesure consistant à mettre fin à une telle pratique affecte de manière suffisamment directe et certaine la situation des enfants fréquentant une cantine scolaire et constitue ainsi une décision dans l'appréciation de laquelle son auteur doit, en vertu de l'article 3-1 de la CIDE, accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur de l'enfant".
Modalités du contrôle. Le tribunal administratif de Dijon prend soin ensuite d'expliquer la teneur de la conformité du contrôle de la disposition en cause à l'intérêt de l'enfant en s'inspirant des Observations générales du Comité des droits de l'enfant de 2013 sur le droit de l'enfant à ce que son intérêt supérieur soit une considération primordiale (6). Ces observations précisent notamment que lorsqu'une décision qui aura des incidences sur un groupe défini d'enfants doit être prise, le processus décisionnel doit comporter une évaluation de ces incidences sur les enfants, les Etats parties devant expliquer "comment ce droit a été respecté dans la décision, à savoir ce qui a été considéré comme étant dans l'intérêt supérieur de l'enfant, sur la base de quels critères et comment l'intérêt supérieur de l'enfant a été mis en balance avec d'autres considérations".
Mise en oeuvre du contrôle. Dans sa décision du 28 août 2017, le tribunal administratif de Dijon met en oeuvre les préceptes du Comité des droits de l'enfant et juge, sur le fond, que la décision de supprimer les menus de substitution sans porc, alors que ceux-ci étaient proposés depuis 1984 dans les cantines scolaires et permettaient la prise en compte de la liberté de conscience des enfants et des parents, n'était pas justifiée par une contrainte technique mais par une position de principe fondée sur une conception du principe de laïcité. La justification invoquée par la ville selon laquelle les enfants bénéficiant du régime de substitution étaient fichés et regroupés par tables ce qui permettait d'identifier leur religion est rejetée par le tribunal qui considère que l'impossibilité d'une méthode alternative, notamment par recours à des questionnaires anonymisés ou par mise en place d'un self-service, n'a pas été démontrée.
Circonstances particulières de l'espèce. Cette analyse amène le juge administratif à conclure que la décision en cause ne peut être "dans les circonstances particulières de l'espèce", regardée comme ayant accordé, une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants concernés. La formule traduit la prudence du tribunal de Dijon qui limite la portée de sa décision à la situation particulière qu'il avait à juger, procédant ainsi, dans le cadre d'un contrôle de légalité, à une appréciation in concreto de l'intérêt de l'enfant, caractérisée notamment par la pratique ancienne et durable à laquelle la décision litigieuse mettait fin.
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Réf. : Cass. civ. 3, 6 juillet 2017, n° 16-15.752, FS-P+B (N° Lexbase : A1152WR4)
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par Marien Malet, Titulaire de l'examen professionnel d'Huissier de justice, Master 2 Droit processuel, procédures et voies d'exécutions
Le 14 Septembre 2017
En l'espèce, la société bailleresse soucieuse de préserver ses intérêts a fait réaliser une saisie conservatoire de biens meubles. La réalisation de cet acte lui est permise soit sur une autorisation judiciaire (1) soit, en cas d'impayés, sur le seul fondement d'un contrat écrit de louage d'immeuble (2). Dans l'affaire commentée, ni la lecture de l'arrêt de la Cour de cassation ni de celle de celui de la cour d'appel de Douai (3) ne permettent d'affirmer que c'est sur le fondement du seul bail que la saisie conservatoire a pu être réalisée. On sait, néanmoins, qu'elle le fut en l'absence de l'occupante, mais en présence de deux témoins (4) et avec le concours d'un serrurier.
Il est ici l'occasion de rappeler que la pénétration forcée d'un local d'habitation n'est possible s'agissant d'une mesure conservatoire qu'avec l'autorisation expresse du juge de l'exécution. En effet, l'article L. 142-3 du Code des procédures civiles d'exécution (N° Lexbase : L5824IR7) dispose qu'à "l'expiration d'un délai de huit jours à compter d'un commandement de payer signifié par un huissier de justice et resté sans effet, celui-ci peut, sur justification du titre exécutoire, pénétrer dans un lieu servant à l'habitation et, le cas échéant, faire procéder à l'ouverture des portes et des meubles". Or, s'agissant de la procédure de saisie conservatoire de biens meubles, il n'existe aucun commandement de payer préalable et le créancier poursuivant n'est pas forcément porteur d'un titre exécutoire. Comme les professeurs Perrot et Théry l'ont indiqué, "il faut en effet se garder de confondre deux problèmes différents : d'une part, le droit de procéder à une mesure conservatoire sans autorisation préalable du juge, et d'autre part, l'exécution matérielle de cette mesure. La dispense d'autorisation ne concerne que le premier des deux problèmes, en ce sens que le créancier tire de la loi le droit de pratiquer une mesure conservatoire. Mais, elle ne concerne pas le second problème relatif à l'exécution matérielle des opérations. Si donc le créancier entend pénétrer en force dans un local privé pour y saisir conservatoirement les biens qui s'y trouvent, la dispense de l'article L. 68 -C. proc. civ. d'exécution, art. L. 511-2 (N° Lexbase : L5914IRH)-ne suffit pas : il doit nécessairement se soumettre aux dispositions des articles L. 20 et 21 -C. proc. civ. d'exécution, art. L. 142-3 (N° Lexbase : L5824IR7) et L 142-1 N° Lexbase : L5822IR3)-. Et dès lors, si le créancier ne se prévaut pas d'un titre exécutoire, une autorisation préalable du juge reste nécessaire pour pénétrer dans un local privé dont l'occupant refuse l'accès" (5). Les arrêts de l'espèce sont taisants sur ce point.
Quatorze jours plus tard, ayant appris du voisinage le départ de la locataire, l'huissier de justice "dans le but de vérifier le sort des meubles saisis" (sic) (6) a, en l'absence de l'occupante du local, fait de nouveau ouvrir la porte par un serrurier avec le concours des deux témoins dont l'assistance est exigée par l'article L. 142-1 du Code des procédures civiles d'exécution. Constatant l'état d'abandon du logement et la disparition des biens inventoriés dans le procès-verbal de saisie conservatoire de biens meubles, l'huissier de justice a dressé un procès-verbal de reprise du logement et fait changer les clefs de la serrure. C'est le formalisme "particulier" de cette reprise qui fut reproché à l'huissier de justice.
La procédure de reprise des locaux abandonnés applicables aux baux entrant dans le champ d'application de la loi du 6 juillet 1989 (7) a été créée par la loi n° 2010-1609 du 22 décembre 2010, relative à l'exécution des décisions de justice, aux conditions d'exercice de certaines professions réglementées et aux experts judiciaires (N° Lexbase : L9762INU), aux conditions d'exercice de certaines professions réglementées et aux experts judiciaires (8). Cette procédure est venue combler la carence du droit antérieur qui obligeait le propriétaire à dérouler la procédure d'expulsion et à respecter les nombreux délais qu'elle impose alors qu'il sait que le locataire a d'ores et déjà quitté le logement.
Cette procédure de reprise des locaux abandonnés (9), parce que d'abord basée sur des soupçons est encadrée et nécessite dans un deuxième temps l'intervention du juge.
Elle s'initie par l'envoi d'une mise en demeure (10) d'avoir à justifier de l'occupation du logement. Si le locataire justifie de son occupation, la procédure s'arrête. S'il n'en justifie pas dans le délai d'un mois, le bailleur peut faire constater par huissier de justice l'état d'abandon du logement en présence des personnes visées à l'article L. 142-1 du Code des procédures civiles d'exécution (N° Lexbase : L5822IR3). Si les constatations confirment les soupçons, une requête doit être déposée devant le juge d'instance du lieu de situation de l'immeuble afin que celui-ci constate l'état d'abandon, la résiliation du bail et statue sur le sort des biens restés sur place. S'il est fait droit à la demande du bailleur, une copie revêtue de la formule exécutoire est signifiée au locataire et aux derniers occupants de son chef connus du bailleur. Ceux-ci peuvent alors former opposition à l'ordonnance dans le délai d'un mois.
Si aucune opposition n'est formée, l'ordonnance produit tous les effets d'un jugement passé en force de chose jugée et alors l'huissier de justice peut procéder à la reprise du logement.
En l'espèce, cette procédure n'a pas été respectée et l'huissier de justice a établi son procès-verbal de reprise qu'après avoir dressé un procès-verbal de saisie conservatoire de biens meubles. Aucune mise en demeure d'avoir à justifier de l'occupation du logement n'a été transmise à la preneuse, et aucune décision de justice n'a constaté ou prononcé la résiliation du bail consacrant une violation de domicile.
La cour d'appel jugera, à juste titre, illicite la reprise ainsi opérée du logement. Fort de cela, la preneuse chercha à obtenir réparation de son préjudice.
II - Le droit à réparation résultant de l'illicéité de la reprise
Si pour la cour d'appel de Douai, le caractère illicite de la reprise du logement ne faisait pas de doute, elle estimait que la preneuse ne rapportait pas la preuve de l'existence d'un préjudice matériel ou moral né de celle-ci.
L'argumentation de l'huissier de justice attaqué résidait dans le départ volontaire de la preneuse pour se réinstaller dans une autre commune et y scolariser ses enfants tel que le démontrait une attestation du maire de ladite commune.
Autre argument énoncé, celui de la garde des biens meubles saisis conservatoirement. En effet, l'article R. 522-1, 4° du Code des procédures civiles d'exécution (N° Lexbase : L2548ITK) dispose que le procès-verbal de saisie conservatoire de biens meubles corporels doit mentionner, en caractères très apparents, que les biens saisis sont indisponibles et qu'ils sont placés sous la garde du débiteur, qu'ils ne peuvent être ni aliénés ni déplacés sauf si une cause légitime rend leur déplacement nécessaire. Dans cette dernière occurrence, le gardien est tenu d'en informer préalablement le créancier et de lui indiquer le lieu où ils seront placés. A défaut, le débiteur s'expose aux sanctions prévues à l'article 314-6 du Code pénal (N° Lexbase : L1918AMY). En l'espèce, la débitrice n'a assurément pas respecté ces règles, pas plus que celles relatives au formalisme de la résiliation du contrat de bail se contentant de partir, selon l'expression consacrée, à la cloche de bois.
La cour d'appel de Douai a estimé que la débitrice ne démontrait pas que "la reprise du logement dont elle s'était volontairement retirée pour intégrer une autre habitation, au surplus dans des conditions répréhensibles au regard de ses obligations de gardien des meubles saisis entre ses mains à titre conservatoire", lui créait un préjudice indemnisable.
La Cour de cassation casse cet arrêt au visa de l'article 1382 (N° Lexbase : L1488ABQ) devenu 1240 (N° Lexbase : L0950KZ9) du Code civil retenant que la seule constatation d'une reprise illicite d'un logement ouvre droit à réparation.
Les circonstances de la rupture pourront simplement influer sur le montant de l'indemnisation que la cour d'appel de Douai autrement composée aura à fixer.
Cet arrêt illustre l'importance, de recourir aux services d'un huissier de justice pour reprendre la possession d'un logement abandonné, encore faut-il que celui-ci applique correctement la procédure de reprise des locaux abandonnés. Sinon l'abandon fait le larron.
(1) C. proc. civ. d'exécution, art. L. 511-1 (N° Lexbase : L5913IRG ; sur les conditions de l'obtention de l'autorisation judiciaire préalable, cf. l’Ouvrage "Voies d'exécution" N° Lexbase : E9734E8Z).
(2) C. proc. civ. d'exécution, art. L. 511-2 (N° Lexbase : L5914IRH).
(3) CA, Douai, 28 mai 2015, n° 14/04722 (N° Lexbase : A9635NIP).
(4) Ceux visés à l'article L. 142-1 du Code des procédures civiles d'exécution (N° Lexbase : L5822IR3 ; cf. l’Ouvrage "Voies d'exécution" N° Lexbase : E8386E84).
(5) R. Perrot et Ph. Théry, Procédures civiles d'exécution, Dalloz, 2005, n° 788.
(6) L'acte de vérification des biens meubles saisis est prévu par l'article R. 522-9 du Code des procédures civiles d'exécution (N° Lexbase : L2556ITT), mais s'effectue après l'acte de conversion de la saisie conservatoire de biens meubles corporels en saisie vente.
(7) Loi n° 89-462 du 6 juillet 1989, tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986, art. 2 (N° Lexbase : L8461AGH).
(8) Loi n° 2010-1609 du 22 décembre 2010, relative à l'exécution des décisions de justice, aux conditions d'exercice de certaines professions réglementées et aux experts judiciaires (N° Lexbase : L9762INU).
(9) Décret n° 2011-945 du 10 août 2011, relatif aux procédures de résiliation de baux d'habitation et de reprise des lieux en cas d'abandon (N° Lexbase : L9781IQC).
(10) Laquelle peut être contenue dans un commandement de payer aux fins de résiliation de bail.
(11) Loi n° 89-462 du 6 juillet 1989, tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986, art. 14-1.
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Réf. : Cons. const., décisions du 8 septembre 2017, n°s 2017-752 DC (N° Lexbase : A8755WQC) et 2017-753 DC (N° Lexbase : A8756WQD)
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N0019BXY
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par Yann Le Foll
Le 14 Septembre 2017
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Réf. : Cass. civ. 2, 7 septembre 2017, n° 16-15.531, FS-P+B (N° Lexbase : A1225WRS)
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N0029BXD
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par Aziber Seïd Algadi
Le 14 Septembre 2017
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Réf. : Cass. crim., 22 août 2017, n° 17-85.031, F-P+B (N° Lexbase : A3350WQ7)
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N0051BX8
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par Aziber Seïd Algadi
Le 15 Septembre 2017
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Réf. : Cass. soc., 7 septembre 2017, n° 15-26.722, FS-P+B (N° Lexbase : A1192WRL)
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N0033BXI
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par Charlotte Moronval
Le 14 Septembre 2017
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Réf. : Cons. const., décision n° 2017-751 DC du 7 septembre 2017 (N° Lexbase : A8417WQS)
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N0010BXN
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par Charlotte Moronval
Le 14 Septembre 2017
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N9921BWD
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par Roger Mulamba Katamba, Avocat au Barreau de Kinshasa/Matete et Associé-Gérant au Cabinet RMK & Associés, Arbitre à la Cour Commune de Justice et d'Arbitrage de l'OHADA
Le 15 Septembre 2017
Ainsi, au moment où ce secteur attire beaucoup d'investisseurs nationaux et étrangers et à l'heure de la mise en application de ce nouveau droit des sociétés, il nous a paru important d'apprécier certaines de ses dispositions au regard des règles particulières applicables aux sociétés exerçant des activités réglementées dont les sociétés minières.
I - Cadre juridique régissant le secteur minier en république démocratique du Congo
Le secteur des mines en République Démocratique du Congo a connu une évolution législative graduelle allant de la période du Congo belge (législation coloniale) à la période du Congo indépendant (législation postcoloniale).
A - Législation minière coloniale
La législation coloniale dans le secteur des mines commence par le décret du 16 décembre 1910 modifié et complété par le décret du 16 avril 1919 lequel réglemente la recherche et l'exploitation minière uniquement dans le Katanga. Il a fallu attendre 1937 pour avoir une législation minière englobant l'ensemble du territoire national avec la promulgation du décret du 24 mars 1937. Cette législation était l'émanation du Gouvernement du Congo belge.
Ce dernier décret a subsisté après l'indépendance du Congo le 30 juin 1960 et a accompagné le pays pendant plus de trois ans.
B - Législation minière postcoloniale
Le Congo en tant qu'Etat indépendant connaîtra sa première réglementation dans ce secteur avec l'ordonnance-loi n° 67/231 du 3 mai 1967 portant législation générale sur les mines et les hydrocarbures plus tard abrogée par l'ordonnance-loi n° 81-013 du 2 avril 1981 portant législation générale sur les mines et les hydrocarbures. Cette législation est restée en vigueur jusqu'en 2002, date à laquelle le législateur a innové en mettant sur pied une nouvelle législation incitative par la loi n° 007 /2002 du 11 juillet 2002 portant Code minier complétée par ses mesures d'application contenues dans le décret n° 038/2003 du 26 mars 2003 portant Règlement minier. Ces deux derniers textes constituent la base du cadre juridique régissant le secteur minier en RDC.
Le champ d'application de la réforme du cadre juridique mise en place par l'Etat congolais à travers ce nouveau code concerne uniquement la recherche, l'exploitation, la transformation, le transport et la commercialisation des substances minérales classées en mines ou en carrières ainsi que sur l'exploitation artisanale des substances et à la commercialisation de celles-ci. Les domaines des hydrocarbures et les eaux thermales ou minérales sont régis par des législations particulières (9).
Par ce nouveau cadre juridique, l'Etat congolais a voulu offrir aux investisseurs, personnes physiques ou morales, un environnement juridique, fiscal, douanier et de change favorable au développement de leurs activités dans ce secteur des mines (10).
Comme il ressort de l'exposé des motifs du nouveau Code minier, le législateur a tenu à mettre sur pied une législation incitative avec des procédures d'octroi des droits miniers ou de carrières objectives, rapides et transparentes.
C - L'incidence de la législation minière sur la constitution des sociétés commerciales
En principe, le Code et le Règlement minier n'édictent nullement des conditions ou règles supplétives à la constitution des sociétés commerciales de ce secteur (11).
Raison pour laquelle lorsqu'ils parlent des sociétés minières, ces textes renvoient aux personnes morales régulièrement constituées, c'est-à-dire dans le respect des règles légales de constitution des sociétés commerciales en vigueur au moment de leur constitution (12).
Depuis le 13 juillet 2012, date de l'adhésion de la République démocratique du Congo au Traité de l'OHADA (N° Lexbase : L3251LGI), le droit en vigueur en cette matière est l'Acte Uniforme sur les Sociétés Commerciales et le Groupement d'Intérêt Economique (AUSCGIE) (N° Lexbase : L0647LG3).
1 - Caractère abrogatoire et impératif du droit OHADA des sociétés commerciales
L'article 10 du Traité relatif à l'harmonisation du droit des affaires en Afrique dispose que "les Actes uniformes sont directement applicables et obligatoires dans les Etats parties nonobstant toute disposition contraire du droit interne antérieure ou postérieure".
Cette disposition présente la particularité d'abroger, pour les matières que le droit OHADA régit toutes les dispositions de droit national qui ont le même objet que les Actes uniformes ou qui leur sont contraires (15).
Ainsi, lorsqu'un Acte uniforme entre en vigueur, il devient directement applicable et obligatoire ; il se substitue donc aux règles de droit interne existantes. Cette règle est impérative et concerne tout texte de droit interne présent ou à venir. C'est le principe de l'applicabilité directe consacré par l'article 10 du Traité.
Il se dégage le caractère de supranationalité des Actes uniformes qui est la manifestation de la suprématie du droit communautaire sur le droit interne pour les matières faisant l'objet de l'harmonisation (16). La jurisprudence précise en outre que la publication de ces Actes au Journal officiel d'un Etat partie est sans incidence sur leur entrée en vigueur immédiate (17).
Il en découle que les dispositions de l'AUSCGIE s'appliquent sans exception à toutes les sociétés commerciales quelle que soient leurs formes ou leurs objets étant entendu que ces dispositions sont impératives. Telle est la volonté du législateur OHADA confirmée par l'article 2 dudit Acte Uniforme (18).
C'est dire que le droit uniforme est marqué d'une très forte dose de caractère d'ordre public (19).
Ainsi, le statut particulier reconnu à certaines sociétés commerciales étant uniquement lié à leur objet social, il va de soi que celles-ci sont aussi régies par cet Acte uniforme. Cette position a été consolidée par la Cour commune de justice et d'arbitrage de l'OHADA (CCJA) en son avis n° 001/2001/EP du 30 avril 2001 lorsqu'elle affirme que les dispositions de l'AUSCGIE étant d'ordre public et s'appliquant à toutes les sociétés commerciales à raison de leur forme et quel que soit leur objet régissent les sociétés soumises à un régime particulier entrant dans le cadre juridique ainsi défini (20).
En cette matière, les seules dérogations admises sont celles prévues par l'AUSCGIE lui-même et qui renvoie à cet égard aux dispositions législatives du droit interne applicables aux sociétés soumises à un régime particulier.
2 - Régime particulier
Pour cette dernière catégorie des sociétés commerciales, c'est-à-dire celles soumises à un régime particulier, l'article 916 de l'AUSCGIE apporte un tempérament au principe du caractère abrogatoire édicté par l'article 10 du Traité.
En effet, cet article dispose que "le présent Acte uniforme s'applique aux sociétés soumises à un régime particulier sous réserve des dispositions législatives ou réglementaires auxquelles elles sont assujetties.
Les clauses des statuts de ces sociétés, conformes aux dispositions abrogées par le présent Acte uniforme mais contraires aux dispositions du présent Acte uniforme et non prévues par le régime particulier desdites sociétés, sont mises en harmonie avec le présent Acte uniforme dans les conditions prévues à l'article 908" (21).
Comme on peut le constater, cette disposition laisse donc subsister les dispositions législatives internes spécifiques auxquelles les sociétés commerciales à statut particulier sont soumises.
Le législateur communautaire ne donne pas un contenu à la notion de "statut particulier". Cependant, il ressort du commentaire d'un avis de CCJA du 30 avril 2001 que le régime particulier de l'article 916 n'est pas un régime spécial qui déroge au droit commun ; il ne concerne par conséquent que les points spécifiques tenant par exemple à l'origine publique d'une portion au moins du capital social de la société d'Etat ou à économie mixte (22). Ce régime particulier peut aussi trouver sa justification notamment dans le souci du législateur de maintenir un ordre public monétaire et financier interne sain. C'est le cas du secteur des assurances, banque et de crédit ou dans certaines considérations liées à la notion de souveraineté nationale dans le secteur des mines.
C'est ainsi que l'exposé des motifs du Code minier de la République Démocratique du Congo affirme le principe de la propriété de l'Etat sur les substances minérales dans les gites minérales, notamment les gites minéraux naturels, artificiels, géothermiques et les eaux souterraines se trouvant sur la surface du sol ou le sous-sol. L'accès à la recherche et l'exploitation de ces substances n'est autorisé qu'au moyen des droits accordés en vertu des dispositions du Code minier (23).
Les sociétés à statut particulier restent régies par l'Acte uniforme qui est, à ce titre, le droit commun des sociétés tandis que les règles particulières du droit interne ne s'appliquent que pour autant qu'elles ne soient pas contraires à celui-ci (24).
Dans le cadre de cette réflexion, nous examinerons uniquement les règles spécifiques applicables aux sociétés minières.
II - Règles spécifiques liées au statut particulier des sociétés minières
L'Acte Uniforme (AUSCGIE) édicte des dispositions légales sur la constitution de toutes les sociétés commerciales. Il s'agit notamment des règles liées au siège, à l'objet social, à la participation au capital social ou actionnariat, aux différentes formes d'apports, etc..
L'exploitation industrielle des mines, carrières et de tout gisement de ressources naturelles étant un acte de commerce par nature (25), les sociétés qui s'adonnent à cette activité sont donc des sociétés commerciales et doivent de ce fait être constituées conformément à l'Acte uniforme qui constitue actuellement le droit des sociétés applicable en République démocratique du Congo.
Cependant, ces sociétés doivent remplir, lors de leur création ou pendant leur existence un certain nombre de conditions édictées par le Code et le Règlement minier pour leur fonctionnement effectif dans ce domaine spécifique des mines.
Comme nous l'avons relevé ci-haut, il s'agit, non pas des conditions de constitution supplétives à celles édictées par l'Acte Uniforme mais plutôt, des conditions ou spécificités dont elles doivent tenir compte pour l'accomplissement de leur objet social.
Il en découle que pareilles sociétés commerciales régulièrement constituées restent valables et aptes juridiquement mais, elles se trouveront paralysées dans leur fonctionnement, surtout en ce qui concerne l'accomplissement de certains actes découlant de la réalisation de leur objet social dans le secteur minier pour défaut d'accomplissement de ces conditions particulières.
Ces conditions sont liées au siège (A) et à l'objet social (B) ainsi qu'à l'actionnariat ou participation au capital social (C).
A - Le siège social
S'agissant du siège social, les articles 13 et 23 de l'AUSCGIE en font une mention obligatoire dans les statuts. Aussi, l'article 24 offre la possibilité ou le choix pour les associés de fixer le siège social soit au lieu du principal établissement de la société, soit à son centre de direction administrative et financière.
Ainsi, il est admis que certaines sociétés ont un ou plusieurs sièges administratifs distincts du siège social et où se trouvent certains services de direction (26).
Or, il n'est toujours pas évident en pratique que le centre de direction administrative et financière d'une société se trouve dans le même pays que celui de son principal établissement ou autrement dit, celui dans lequel elle est immatriculée (27).
Tel n'est pas le cas des sociétés à statut particulier. A ce propos, l'article 21 de l'AUSCGIE précise que, lorsque l'activité exercée par la société est réglementée, la société doit se conformer aux règles particulières auxquelles ladite activité est soumise.
Il en est ainsi des sociétés minières qui sont constituées pour un but bien déterminé à savoir, la recherche et/ou l'exploitation des substances minières, et qui de ce fait doivent être éligibles à détenir des droits miniers, soit de recherche soit d'exploitation.
Ainsi, une société peut être constituée régulièrement conformément à la loi, mais ne pas être éligible à détenir des droits miniers en rapport avec les exigences fixées par la législation minière quant à son siège social en RDC.
A ce propos, parlant des conditions d'octroi du permis de recherche et du permis d'exploitation (28), les articles 96 et 143 du Règlement minier renvoient aux conditions d'éligibilité prévues à l'article 23 du Code minier qui dispose entre autres conditions pour les sociétés commerciales de droit congolais que celles-ci doivent avoir leurs sièges sociaux et administratifs dans le territoire national.
Est visé ici, le domicile de la personne morale en tant que sujet de droit ; le lieu où se réunissent ses organes d'administration et de direction mieux, là où se trouve son principal établissement (29).
Il en découle qu'au moment de la demande des droits miniers, la société minière doit avoir son siège social et administratif en République démocratique du Congo. Notons que le siège social doit être localisé par une adresse géographique suffisamment précise ; la seule domiciliation à une simple boite postale n'étant pas suffisante (30).
Ces spécificités peuvent faire l'objet de modification aux statuts sociaux lorsque le changement d'activités s'opère au cours de la vie sociale d'une société précédemment créée et n'ayant pas eu au départ les activités des mines comme son objet social.
Une société peut donc, au moment de sa constitution, avoir un siège social en dehors du territoire national ; elle n'est donc pas éligible à détenir des droits miniers. C'est donc au moment de la demande de ces droits qu'elle doit tenir compte des conditions particulières, en l'occurrence avoir le siège social sur le territoire national.
Il y a lieu de constater lors de la constitution de la société minière que c'est en amont que les associés doivent tenir compte de ces conditions particulières car, au départ, elle est une société commerciale comme tout autre dont la notion du siège social obéirait uniquement à l'article 23 de l'AUSCGIE si jamais elle ne se livre aux activités minières.
Quant aux sociétés étrangères, elles ne peuvent que détenir des droits miniers et/ou de carrières de recherches, à condition d'être régulièrement constituées dans leurs pays d'origine. En outre, elles sont tenues d'élire domicile auprès d'un mandataire en mines et carrières établi dans le territoire de la République Démocratique du Congo et d'agir par son intermédiaire (31).
Il convient ici de relever aussi le cas de la succursale. Cette question revêt une importance capitale étant donné que dans l'espace OHADA un véritable statut juridique est reconnu à cette entité sous couvert de laquelle toute entreprise a droit actuellement de mener ses activités (32).
L'AUSCGIE définit la succursale comme un établissement commercial ou industriel ou de prestations de services appartenant à une société ou à une personne physique et doté d'une certaine autonomie de gestion (AUSCGIE, art. 116). Elle peut donc être un établissement d'une société ou d'une personne physique étrangère.
Toutefois, bien que soumise à l'obligation d'immatriculation au Registre de Commerce et du Crédit mobilier, la succursale est dépourvue de personnalité juridique autonome distincte de celle de la société ou de la personne physique propriétaire (AUSCGIE, art. 117 et 119) (33). Elle est simplement un département décentralisé dénué de patrimoine et jouissant de la surface financière et du crédit de son propriétaire auquel elle est attachée (34).
A la différence de la filiale qui est une entité juridique dotée d'une personnalité juridique propre et qui est assujettie à la lex societatis du lieu de son siège social, la succursale répond principalement au droit de la société qui l'a créée, avec quelques exceptions en matière de droit local applicable à l'implantation (35).
Etant ainsi dépourvue d'une individualité juridique propre, la succursale ne peut prétendre à détenir les droits miniers et/ou de carrières de recherches et d'exploitation (36).
Bien plus, la précarité de sa durée qui est de deux ans lorsqu'elle appartient à une société étrangère (37) l'exclut automatiquement de l'éligibilité aux droits miniers de recherche et d'exploitation dont la validité varie entre quatre et trente ans avec possibilité de renouvellement, exception faite des droits de carrières dont la durée minimum est d'une année (38).
La situation est la même pour le bureau de représentation ou de liaison qui est aussi dépourvu d'une personnalité juridique distincte de celle de la société qui l'a créé (39).
B - L'objet social
En principe, comme nous l'avons souligné ci haut, la société minière est une personne morale régulièrement constituée conformément aux lois en vigueur en République Démocratique du Congo en l'occurrence, l'AUSCGIE.
Au sujet de l'objet social, les articles 19 et 20 de l'AUSCGIE précisent que toute société a un objet qui est constitué par l'activité qu'elle entreprend et qui doit être déterminé et décrit dans ses statuts ; cet objet doit être licite.
Dans la pratique, il est parfois difficile voire impossible de donner une énumération précise et complète des opérations auxquelles on envisage de se livrer conformément à l'objet social. Il en découle donc une tendance à indiquer de façon approximative et générale le champ d'activités de la société.
Aussi, le grand mouvement d'adaptation des structures qui caractérise l'évolution économique contemporaine et qui implique le regroupement, la diversification ou la transplantation géographique des activités rend plus nécessaire une formulation souple et extensive de l'objet social (40).
D'où la tendance persistante vers certaines formulations de l'objet social dans les statuts sociaux telles que :
-"... il est constitué sous le régime de la législation en République Démocratique du Congo une société à responsabilité limitée ayant pour objet le commerce général et l'import-export ;
-... la société a pour objet l'exploitation, la fabrication, l'importation, l'exportation, l'achat, la vente, la distribution des produits commerciaux.
-... la société pourra réaliser toutes opérations mobilières ou immobilières généralement quelconques se rattachant directement ou indirectement à son objet social..." ;
Ce genre de formulations revêt un caractère aussi large qu'imprécis ne pouvant pas permettre de circonscrire limitativement le champ d'activités de la société.
Il se dégage une violation de l'article 23 du Code minier qui exige que pour être éligible à détenir les droits miniers, l'objet social doit porter sur les activités minières.
Il en découle qu'une société peut être régulièrement constituée et avoir un objet social licite conformément aux articles 19 et 20 de l'AUSCGIE sans être pour autant éligible à détenir les droits miniers si cet objet ne porte pas exclusivement sur les activités minières.
Les associés sont donc tenus, s'ils veulent que leur société exerce des activités minières, au respect de cette exigence légale d'éligibilité, lors de la rédaction des actes constitutifs ou lors de la demande des droits miniers en procédant par une assemblée générale extraordinaire modificative des statuts sociaux.
C - L'actionnariat ou la participation au capital social
Les conditions liées à l'actionnariat ou à la participation au capital social sont à considérer dans les cas ci-après :
- l'octroi d'un droit minier d'exploitation (1) ;
- l'acquisition d'un droit minier d'exploitation par cession ou transmission (2).
1 - A l'octroi d'un droit minier d'exploitation
Une société minière qui détient un permis de recherche s'attend à la possibilité d'exploiter un gisement découvert à l'issue des travaux de prospection. Pour cela, une fois le gisement trouvé, elle est tenue, avant d'entamer les travaux d'exploitation d'en obtenir un permis d'exploitation sur demande auprès du Cadastre minier (41).
Ainsi, lorsqu'il pose les conditions de l'octroi de ce permis, le Code minier dispose notamment à l'article 71, point d, que le requérant a l'obligation de céder à l'Etat 5 % des parts du capital social de la société. Ces parts sont libres de toute charge et non diluables.
Au voeu de l'article 144 du Règlement minier, cette obligation se concrétise lors de l'introduction de la demande du permis d'exploitation au cadastre minier par le dépôt d'une déclaration notariée de cession à l'Etat de 5 % du capital social établie par la personne ou les personnes légalement compétentes de la société. La partie finale de cet acte d'engagement comprend une requête tendant à demander à l'Etat congolais d'apporter les précisions sur la personne physique qui va acquérir les parts ou les actions, la date de la première rencontre sur la question de la cession ainsi que les personnes mandatées par l'Etat à cette rencontre.
L'obligation édictée par l'article 71 du Code minier sur l'octroi du permis d'exploitation s'impose également au demandeur d'un permis d'exploitation des rejets (42).
Il en découle que les statuts constitutifs de la société requérante doivent être modifiés pour tenir compte de cette spécificité légale liée au statut particulier applicable aux sociétés minières. Le non-respect de cette exigence rendra la société non éligible aux droits miniers bien que régulièrement constituée. L'accomplissement de l'objet social se trouvera ainsi paralysé faute des titres miniers.
Soulignons la situation d'une société de droit étranger détentrice d'un permis de recherche et qui voudrait le transformer en permis d'exploitation.
Pour le législateur congolais, pareille société ne peut en principe détenir que le permis de recherche. Avant d'en solliciter la transformation en permis d'exploitation, elle est tenue, aux termes de l'article 26 du Règlement minier de créer dans un délai de six mois avant l'expiration de son droit minier ou des carrières, une société de droit congolais à qui elle cédera son titre minier. Cette dernière est tenue au respect des prescriptions de l'article 71 point d s'agissant de la souscription obligatoire et sans contrepartie de l'Etat au capital social.
En outre, si le titre à obtenir est un permis d'exploitation de petite mine (PEPM) (43), il y a également une condition liée à l'actionnariat ou participation au capital social qui doit être prise en compte par les associés de la requérante dans les statuts sociaux.
En effet, l'article 104, alinéa 2, du Code minier dispose à ce propos qu'en plus des conditions énumérées aux litera b et c de l'article 71 du même Code, toute personne de nationalité étrangère désireuse d'obtenir un permis d'exploitation de petite mine doit créer une société de droit congolais en association avec une ou plusieurs personnes de nationalité congolaise dont la participation ne peut être inférieure à 25 % du capital social.
Il y a lieu de relever que lorsque le permis de recherche est détenu par une personne physique, la transformation en permis d'exploitation interviendra sans que le Requérant, personne physique ne soit tenu à l'obligation de l'article 71 point d..
L'explication de cette particularité est liée au fait que le partage du patrimoine des particuliers avec l'Etat n'est pas possible en droit congolais. Aussi, il n'était pas reconnu légalement aux personnes physiques le droit de créer des sociétés unipersonnelles dotées d'un capital social susceptible de modification notamment par la voie de cession des parts sociales (44).
Cette particularité n'est plus logiquement d'actualité depuis l'entrée en vigueur en République Démocratique du Congo du droit OHADA le 12 septembre 2012. L'article 5 de l'AUSCGIE consacre la possibilité de la création d'une société unipersonnelle par une seule personne appelée associé unique.
Cela étant, les demandeurs des permis d'exploitations opérant par des sociétés unipersonnelles seront tenus aussi à l'obligation de la souscription obligatoire et sans contrepartie de l'Etat de 5 % de leur capital social ; ce qui entraîne la fin de l'unipersonnalité et la transformation de la société en société pluripersonnelle avec au moins deux associés ou actionnaires dont l'Etat congolais.
2 - L'acquisition d'un droit minier d'exploitation par cession ou transmission
a - La cession
Le cessionnaire d'un droit minier d'exploitation est soumis aux mêmes conditions que celles du demandeur d'un permis d'exploitation lorsque celui-ci est détenu par une personne morale. il s'en suit pour cela qu'il est aussi tenu de céder à l'Etat congolais 5 % du capital social. Telle est l'économie de la lecture combinée des articles 23, 71 et 182 du Code minier.
b - La transmission
Au voeu de l'article 187 du Code minier, les droits miniers sont susceptibles de transmission en tout ou en partie en vertu d'un contrat de fusion et pour cause de décès.
Pour cela, la procédure y relative reste la même qu'en matière de cession (45).
Dans tous les deux cas (cession et transmission), la modification des statuts sociaux s'imposera aux associés du cessionnaire avec l'entrée de l'Etat au capital social de ce dernier.
Soulignons le cas de la cession d'un droit minier d'exploitation détenu par une personne physique. En effet, le détenteur d'un tel droit pourra le céder à une société sans l'obligation d'une contrepartie de 5 % de participation étatique au capital social du cessionnaire. C'est ainsi que l'on constatera qu'il y a des sociétés minières détentrices de permis d'exploitation avec participation de l'Etat au capital et celles sans cette participation.
III - Conclusion
Le cadre juridique régissant le secteur des mines en RDC, tel qu'organisé par le Code et le Règlement miniers, n'édicte pas des conditions de constitution des sociétés commerciales supplétives à celles édictées par l'AUSCGIE.
Abordant la question de l'éligibilité aux droits miniers et/ou des carrières, ces textes renvoient entre autres aux personnes morales constituées conformément à la loi c'est-à-dire, en conformité avec la législation sur les sociétés commerciales en vigueur au moment de la promulgation du Code et de ses mesures d'application.
Il se trouve cependant que, depuis l'entrée en vigueur du droit de l'OHADA en RDC le 12 septembre 2012, l'AUSCGIE, qui est l'une des composantes de ce nouvel arsenal juridique communautaire, est devenu le droit commun des sociétés avec cette circonstance que toutes les sociétés doivent s'y conformer. Nous avons souligné le principe dégagé par l'article 10 du Traité créant le droit communautaire lequel consacre le caractère abrogatoire et supranational des Actes uniformes issus de l'OHADA donc l'AUSCGIE.
Toutefois, l'article 916 de ce dernier Acte uniforme apporte un tempérament à ce principe. Cette disposition laisse subsister les dispositions législatives spécifiques auxquelles les sociétés à régime particulier sont soumises pour autant que celles-ci ne lui soient pas contraires. Rentrent dans cette catégorie notamment, les sociétés minières.
Pour celles-ci, nous avons examiné les conditions particulières édictées par le Code et le règlement miniers. Ces sociétés commerciales, bien que régulièrement constituées conformément à la législation en vigueur c'est-à-dire à l'AUSCGIE et aptes juridiquement, elles se trouveront paralysées dans leur fonctionnement quant à l'accomplissement de certains actes découlant de la réalisation de leur objet social dans le secteur minier comme nous l'avons démontré pour défaut d'accomplissement de ces conditions particulières. Il s'agit principalement des conditions de leur éligibilité aux droits miniers, liées au siège social et à l'objet social ainsi que de la participation de l'Etat au capital social.
Ces particularités des Code et Règlement miniers ne sont nullement des conditions de constitution supplétives à celles édictées par l'AUSCGIE mais plutôt, des conditions ou spécificités à prendre en considération à la création ou au courant de l'existence de la société.
Il importe donc, lors de la rédaction des statuts sociaux ou à l'occasion de leurs modifications, de tenir compte de la particularité du régime juridique auquel les sociétés minières sont soumises. Il y va de leur éligibilité à détenir les titres miniers dont la jouissance constitue l'élément essentiel dont la jouissance constitue l'élément essentiel de la réalisation de l'objet social.
(1) voir le site : www.mines-rdc.cd sur les potentialités minières de la RDC.
(2) Guide économique et commercial de la RDC 2013, DRC Contacts 2013, p. 16.
(3) cf. le site internet précité.
(4) Statistiques minières 2003 à 2012, ministère des Mines RDC, septembre 2013.
(5) En application de l'article 9 de la Constitution de la RDC, le Code minier, dans son exposé des motifs, réaffirme le principe de la propriété de l'Etat sur les substances minérales contenues dans les gîtes minéraux naturels, artificiels, géothermiques et les eaux souterraines se trouvant sur la surface du sol et du sous-sol. Cependant, il est reconnu au titulaire d'un droit minier ou de carrière d'exploitation, la propriété des produits marchands, c'est-à-dire, les substances minérales, sous quelque forme que se soit, extraites en vertu des droits miniers ou de carrières d'exploitation et/ou tout produit élaboré à partir de ces substances dans les usines de concentration à des fins commerciales.
(6) Lukombe Nghenda, Droit congolais des sociétés, T 1, PUC, Kinshasa 1999, p. 14.
(7) Ce Traité est entré en vigueur en République Démocratique du Congo le 12 septembre 2012 ce conformément à l'alinéa 2 du Traité qui dispose qu'à l'égard de tout Etat signataire déposant ultérieurement son instrument de ratification, le Traité et les Actes uniformes adoptés avant la ratification entreront en vigueur soixante jours après la date dudit dépôt.
(8) Acte Uniforme du 17 avril 1997, relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d'intérêt économique, J.O. OHADA n° 2, 1er octobre 1997, p. 1 et s..
(9) Voir l'exposé des motifs de la loi n° 007/2002 du 11 juillet 2002 portant Code minier, Journal officiel de la R.D.C, 43 ème année, numéro spécial, 15 juillet 2002.
(10) E. Mukendi Wafwana, Le droit minier, Vol. 1, Principes de gestion du domaine minier, éd. Juricongo -Bruylant, 2005, p. 8.
(11) Loi n° 007/2002 du 11 juillet 2002 portant Code minier, Journal officiel de la R.D.C, 43ème année, numéro spécial, 15 juillet 2002 et le décret n° 038/2003 du 26 mars 2003, portant règlement minier, Journal officiel de la RDC, 44 ème année, numéro spécial, 1er avril 2003.
(12) Comme nous l'avons souligné dans l'introduction, les règles de constitution des sociétés commerciales renvoyaient à un certain nombre des textes de loi notamment au décret du Roi souverain du 27 février 1887 sur les sociétés commerciales, au décret du 19 septembre 1965 complétant celui du 23 juin 1960. Il y a aussi l'arrêté royal du 22 juin 1928 et le décret du 24 mars 1956 sur les sociétés coopératives.
(13) C'est l'article 3, alinéa 1 de ce Traité qui institue l'Organisation pour l'Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA) comme l'institution devant assurer les taches prévues audit Traité.
(14) L'Acte Uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d'intérêt économique a été adopté le 17 avril 1997. Cet Acte a fait l'objet de révision le 30 janvier 2014 ; la publication de l'Acte révisé au Journal officiel de l'OHADA se trouve dans son numéro spécial du 4 février 2014.
(15) Traité signé à Port Louis le 17 octobre 1993 par 16 pays d'Afrique auxquels s'est joint la République Démocratique du Congo le 12 septembre 2012.
(16) G. Kenfack Douajni , L'abandon de souveraineté dans le Traité OHADA, Penant, n° 830 Mai-août 1999, cité par A. Mouloul, Comprendre l'Organisation pour l'Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA), 2ème édition. Voir aussi l'avis de la CCJA n° 001 /2001/EP du 30 avril 2001.
(17) CA du centre, n° 333/civ, 2/8/2002, www.ohada.com, Ohadata J-04-470, cité par J. Kodo, L'application des Actes uniformes de l'OHADA, Academia Bruylant, P.U.R, p. 49.
(18) L'article 2 du Traité dispose que : "Les statuts de la société commerciale et du groupement d'intérêt économique ne peuvent déroger aux dispositions du présent Acte uniforme, sauf dans les cas où celui-ci autorise expressément l'associé unique ou les associés, soit à substituer des clauses statutaires aux dispositions du présent Acte uniforme, soit à compléter par des clauses statutaires les dispositions du présent Acte uniforme".
(19) J. Issa Sayegh, Le caractère d'ordre public des dispositions de l'Acte Uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d'intérêt économique, Ohadata, D-O9 -39 cité par B. Le Bars, Droit des sociétés et de l'arbitrage international, pratique en droit de l'OHADA, Joly édition, Paris 2011, p. 8.
(20) F. Onana Etundi et J. M. Mbock Biumla, Cinq ans de jurisprudence de la Cour commune de justice et d'arbitrage de l'OHADA (CCJA), 1999-2004, Presse de l'AMA, 1er édition 2005, p. 145.
(21) Article 916 de l'AUSCGIE, in Code Bleu OHADA, 3ème édition, Ruriafrica 2014.
(22) CCJA, avis n° 001/2007/EP du 30 avril 2001, notes sous l'article 916, Traité et actes uniformes commentés et annotés, 4ème éd. 2012, Juriscope, 2012, p. 655.
(23) Exposé des motifs de la loi n° 007/2002 du 11 juillet 2002 portant Code minier, JO de la RDC, 43ème année, numéro spécial, 15 juillet 2002.
(24) CA Abidjan, arrêt n° 615 du 20 mai 2003, Port Autonome d'Abidjan (PAA) C/ Entreprise Graviers et Sables (EGS)). Ohadata J-03-276 ; CA de Niamey, ordonnance de référé n° 110 du 11 juillet 2001, Ohadata J-02-36.
(25) L'article 3 de l'Acte Uniforme portant sur le droit commercial général classe l'exploitation industrielle des mines, carrières et de tout gisement de ressources naturelles parmi les actes de commerce par nature.
(26) L. Nghenda, Droit congolais des sociétés, éd. PUC, Tome 1, p. 120.
(27) E. L. Owenga Odinga, Droit minier, Régime minier général pour les mines et les carrières, Tome 1, Publications pour la promotion du droit congolais, Kinshasa 2014, p. 465.
(28) En droit minier congolais, le permis de recherche est un droit réel, immobilier, exclusif, cessible et transmissible. Il est constaté par un titre minier appelé Certificat de recherche. Le permis d'exploitation est aussi un droit réel, immobilier, exclusif, cessible et transmissible. Toutefois, à la différence du permis de recherche, le permis d'exploitation est amodiable. Il est constaté par un titre minier dénommé certificat d'exploitation.
(29) E. Mukendi Wafwana, op cit., éd. Juricongo-Bruylant, 2005, p. 106.
(30) Article 25 de l'AUSCGIE du 30 janvier 2014 in OHADA Code bleu, 3 ème éd. 2014, p. 161.
(31) Les Mandataires en mines et carrières sont des auxiliaires à l'administration des mines. Au terme de l'article 25 du Code minier, ces auxiliaires sont préalablement agrées par le ministre des Mines suivant les conditions fixées à l'article 32 du Règlement minier. Le ministère des Mines tient et publie une liste de ces Mandataires laquelle est actualisée annuellement.
(32) M. Lecerf et Olivier Boisseau Chartrain, Quel avenir pour les succursales des sociétés étrangères dans l'OHADA ?, in Les grands articles de doctrine de l'OHADA parus au Recueil Penant de 2000 à 2013, éd. Juris Africa, Paris 2013, p. 128-131.
(33) L'immatriculation de la succursale au RCCM ne lui confère nullement la personnalité juridique ; elle constitue uniquement une mesure de publicité.
(34) CA N'djamena, n° 281/2000, 5-5-2000, Rev. Juridique Tchadienne, n° 1, mai-juillet 2001, p.21 ; Ohadata j-06-58, cité par Code pratique Francis Lefebvre, OHADA Traité, Actes uniformes et Règlements annotés, éd. Francis Lefebvre, 2013, p. 965.
(35) Benoit Le Bars, Droit des sociétés et de l'arbitrage international, Joly éditions, Paris, 2011, p. 388, 389.
(36) L'article 23 du Code minier précise que sont éligibles aux droits miniers et de carrières notamment, toute personne physique majeure de nationalité étrangère ainsi que toute personne morale de droit étranger. Il s'agit ici des individualités juridiques régulièrement constituées alors que la succursale, au vu de l'article 117 de l'AUSCGIE, n'a pas de personnalité juridique autonome, distincte de celle de la société ou de la personne physique propriétaire. Les droits et obligations qui naissent à l'occasion de son activité ou qui résultent de son existence sont compris dans le patrimoine de la société ou de la personne physique propriétaire.
(37) L'AUSCGIE révisé du 30 janvier 2014 précise que cette durée peut être renouvelée une fois sur dispense accordée par arrêté du ministre chargé du Commerce de l'Etat partie dans lequel la succursale est située.
(38) La société étrangère dont il est question est toute société qui n'a pas son siège social dans l'un des Etats membres au Traité de l'OHADA.
(39) Le bureau de représentation ou de liaison est une nouveauté apportée par la réforme de l'AUSCGIE du 30 janvier 2014 (Voir les articles 120-1 à 120-5 de l'AUSCGIE révisé adopté à Ouagadougou le 30 janvier 2014, JO de l'OHADA, numéro spécial du 4 février 2014).
(40) Francis Lefebvre, Droit des affaires, Sociétés commerciales 2007, Mise à jour au 1er septembre 2006, p. 42.
(41) Au vu de l'article 12 du Code minier, le cadastre minier est un service public doté de la personnalité juridique et d'une autonomie financière. Il est placé sous la tutelle des ministères des Finances et des Mines. Ses attributions sont également fixées dans la même disposition.
(42) Le permis d'exploitation des rejets est un droit réel, immobilier, exclusif, cessible, transmissible et amodiable. Ce droit est constaté par un titre minier appelé Certificat d'exploitation des rejets. Abordant les conditions d'octroi de ce titre minier, l'article 92 du Code minier renvoie seulement aux prescriptions de ses articles 71 et 72.
(43) Le permis d'exploitation de petite mine est un droit réel, immobilier, exclusif, cessible, transmissible et amodiable. Ce droit est constaté par un titre minier appelé Certificat d'exploitation de petite mine.
(44) E. Mukendi Wafwana, op cit., p 162.
(45) Règlement minier, art. 381.
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Réf. : CJUE, 7 septembre 2017, aff. C-559/16 (N° Lexbase : A8421WQX)
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par Vincent Téchené
Le 14 Septembre 2017
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