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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication
Le 30 Décembre 2016
Ainsi donc, la loi sur la transparence, la lutte contre la corruption et la modernisation de la vie économique, dite loi "Sapin II", car le premier opus datait de 1993 (presque aussi long qu'Indiana Jones IV -et il faut voir le résultat cinématographique !-), vient d'être promulguée au Journal officiel.
Comme de coutume, d'une soixantaine d'articles faisant montre de cohérence, le projet de loi, atteint d'une boulimie gargantuesque coutumière, est passé à 169 articles, faisant feu de tout bois pour renforcer la transparence de la démocratie et de l'économie ; lutter plus efficacement contre la corruption, notamment par la création d'une Agence nationale de prévention et de détection de la corruption ; moderniser de la vie économique -autrement dit supprimer les entraves et les effets de seuil enrayant le développement économique-.
Le Conseil constitutionnel fut particulièrement clément, ce 8 décembre 2016, en validant la grande majorité des mesures phares du texte de loi, à l'exception notable et médiatique de de l'instauration d'un reporting fiscal pays par pays ; les Sages estimant que l'obligation faite à certaines sociétés de rendre publics des indicateurs économiques et fiscaux pays par pays était de nature à permettre à l'ensemble des opérateurs qui interviennent sur les marchés où s'exercent ces activités, et en particulier à leurs concurrents, d'identifier des éléments essentiels de leur stratégie industrielle et commerciale. Le Conseil constitutionnel a donc jugé que ces dispositions portaient une atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre et étaient ainsi contraires à la Constitution.
Pèle mêle, on trouve donc dans la loi nouvelle l'extension à toutes les personnes morales de la compétence de l'agence française anticorruption ; le renforcement des garanties et des règles pour assurer la constitutionnalité de la nouvelle procédure de transaction pour les entreprises mises en cause pour des faits de corruption (office du juge chargé de valider la transaction, suspension de la prescription pendant l'exécution de la transaction, indemnisation systématique de la victime, publicité...) ; et sur la commande publique, des apports issus des travaux de la commission des lois sur la ratification des ordonnances sur les marchés publics.
Mais, la loi comprend aussi des mesures sur la rémunération des patrons ; la publicité interdite pour les sites internet proposant des instruments financiers très risqués ; la possibilité pour les consommateurs de résilier annuellement leur assurance emprunteur ; l'encadrement des retraits en matière d'assurance-vie ; la possibilité pour les artisans de suivre le stage obligatoire a posteriori ; comme l'extension du régime micro-entreprise aux EURL ; ou la revalorisation des seuils du régime micro et de la franchise de TVA.
Bref, cela part dans tous les sens... et bien malin qui saura l'impact d'un telle loi fourre-tout sur le dynamisme de l'économie et le retour... de la confiance.
Il est un thème qui, lui, marque la société d'une empreinte plus structurelle : c'est le parallèle entre la transparence des actions des lobbies et la protection des lanceurs d'alertes.
D'un côté, la loi crée un répertoire numérique des "représentants d'intérêt", sous le contrôle de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP). Les lobbyistes (mais aussi les entreprises, les ONG, les associations...) devront s'y enregistrer pour rencontrer ceux qui participent à la décision publique et l'élaboration de la loi : ministres et leur cabinet, parlementaires et leurs collaborateurs, certains hauts fonctionnaires et élus locaux. Les lobbyistes devront donc divulguer le nom de leurs clients et transmettre des bilans, comprenant dépenses et chiffres d'affaires liés à leurs activités. En cas de manquement, les représentants d'intérêts s'exposeront à des peines allant jusqu'à un an d'emprisonnement et 15 000 euros d'amende.
De l'autre côté, la loi crée un statut du lanceur d'alerte qu'elle définit comme celui qui révèle ou signale, de manière désintéressée et de bonne foi, un crime ou un délit, une violation grave et manifeste d'un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France de la loi ou du règlement, ou une menace ou un préjudice graves pour l'intérêt général, dont (il) a eu personnellement connaissance. La protection de ce lanceur d'alerte est renforcée contre les représailles, bénéficiant des services du Défenseur des droits. Les entreprises de plus de 50 personnes, les communes de plus de 10 000 habitants et les administrations de l'Etat devront mettre en place des procédures de recueil des alertes.
Que nous disent ces deux mesures ?
D'abord, pour reprendre Jürgen Habermas, dont la pensée combine le matérialisme historique de Marx avec le pragmatisme américain pour donner naissance "l'agir communicationnel" par opposition à "l'agir stratégique", "les déficits démocratiques se font sentir chaque fois que le cercle des personnes qui participent aux décisions démocratiques ne recoupe pas le cercle de ceux qui subissent les conséquences de ces décisions". C'est précisément de cette manière que les théoriciens libéraux justifiaient l'incursion des lobbies dans l'élaboration de la loi, dans l'encadrement de la société civile. Ainsi, pour Toqueville, "une association politique, industrielle, commerciale ou même scientifique ou littéraire, est un citoyen éclairé et puissant qu'on ne saurait plier à volonté ni opprimer dans l'ombre, et qui, en défendant ses droits particuliers contre les exigences du Pouvoir sauve les libertés communes". Cela revenait, en fait, à demander, mais le plus souvent prendre l'avis des experts de la société avant de légiférer. Louable en soit, le système -d'essence américaine- tentait de faire ainsi en sorte que les représentants ne soient pas déconnectés du menu peuple ou de l'activité économique elle-même, à l'heure de la fonctionnarisation de la politique. Mais, car il y a un mais.... Outre l'image négative d'opacité et de trafic d'influence qui colle à la peau du lobbyiste, il s'avérait de plus en plus que le législateur ou son entourage proche n'était pas si déconnecté avec le monde dit réel, notamment, des grandes entreprises, à force de "passerelles" opportunément négociées au board de grandes entreprises ou de grands cabinets de conseil... Les cercles étaient donc circonscrits... et pour cause, législateurs et lobbyistes pouvaient parfois être les mêmes personnes asynchroniquement, fort heureusement.
Aussi, il est naturel que les lobbies se fassent, désormais, supplanter, dans l'opinion publique du moins, par ces lanceurs d'alertes... responsables notamment de la promulgation de la loi "Sapin II " elle-même et de bien d'autres. Sans affaires internationales et autres "leaks", de fraudes, de corruptions, de trafiques d'influences... l'éveil de la conscience politique aurait sans doute était plus... tardif.
Et l'on retrouve, dès lors, notre dichotomie favorite, celle de l'intérêt commun versus l'intérêt général.
Reprenant le rapport public du Conseil d'Etat, publié en 1999, sur la notion d'intérêt général et évoqué dans un précédent éditorial :
"L'intérêt général, qui exige le dépassement des intérêts particuliers, est d'abord, dans cette perspective, l'expression de la volonté générale, ce qui confère à l'Etat la mission de poursuivre des fins qui s'imposent à l'ensemble des individus, par-delà leurs intérêts particuliers".
Sans aller plus loin, on comprend que le lobbyiste, si clairvoyant soit-il ne peut pas intrinsèquement oeuvrer pour l'intérêt général, ni même transcender son appartenance et ses intérêts particuliers.
"S'il se limitait à la simple conjugaison des intérêts particuliers, l'intérêt général ne serait, le plus souvent, que l'expression des intérêts les plus puissants, le souci de la liberté l'emportant sur celui de l'égalité". Voilà la justification de la transparence et du registre des lobbies en faveur d'un renouveau démocratique.
"Pourtant, le débat sur l'intérêt général n'est pas seulement l'affaire des pouvoirs publics. Il concerne, en réalité, chaque citoyen. La recherche de l'intérêt général implique, ou l'a vu, la capacité pour chacun de prendre de la distance avec ses propres intérêts". Voilà la cadeau apporté aux lanceurs d'alerte dans la hotte gouvernementale, reconnus et un peu mieux protégés aujourd'hui avec la loi "Sapin II".
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Réf. : Cass. soc., 8 décembre 2016, n° 15-16.999, FS-P+B (N° Lexbase : A3879SPD)
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N5690BWN
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Le 30 Décembre 2016
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Réf. : Cass. civ. 1, 8 décembre 2016, n° 15-27.201, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A1552SP8)
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Le 30 Décembre 2016
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par Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université Nice Côte d'Azur, Directeur du Master 2 Droit des entreprises en difficulté de la Faculté de droit de Nice et Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences - HDR à l'Université de Nice Côte d'Azur
Le 30 Décembre 2016
L'article L 624-16, alinéa 3, du Code de commerce (N° Lexbase : L3509ICX) dispose que "la revendication en nature peut également s'en nature peut également s'exercer sur des biens fongibles lorsque des biens de même nature et de même qualité se trouvent entre les mains du débiteur ou de toute personne les détenant pour son compte". Ce texte, qui consacre la solution dégagée par la Cour de cassation, ne permet pas de régler la difficulté qui se présente lorsque plusieurs propriétaires revendiquent les mêmes choses fongibles et alors que les quantités entre les mains du débiteur ne sont pas suffisantes à satisfaire toutes les demandes.
En l'espèce, trois fournisseurs avaient vendu une certaine quantité de carburant sous clause de réserve de propriété. L'un d'entre eux avait présenté une demande en revendication avant les deux autres, demande à laquelle l'administrateur judiciaire avait acquiescé. Puis les deux autres fournisseurs avaient ultérieurement présenté concomitamment une demande en revendication dans le délai de revendication. La cour d'appel d'Amiens avait jugé que leur revendication ne pouvait plus s'exercer que sur le carburant restant, déduction faite de la quantité revendiquée par le fournisseur le plus diligent. Ainsi, le premier revendiquant est le premier servi.
Cette position n'est pas partagée par la Chambre commerciale. Dans un arrêt appelé à la plus large diffusion (P+B+R+I), la Cour de cassation reproche aux juges du fond d'avoir privilégié le revendiquant le plus diligent au détriment des autres fournisseurs ayant également présenté leur demande en revendication dans le délai légal. La Cour pose en principe que "lorsque plusieurs vendeurs avec réserve de propriété revendiquent, dans le délai de trois mois [prévu par l'article L. 624-9 N° Lexbase : L3492ICC], les mêmes biens, ceux-ci doivent être restitués à proportion de la quantité livrée par chacun d'eux et restant impayée à la date de l'ouverture" de la procédure collective.
Pour résoudre la difficulté qui se présentait, plusieurs solutions étaient envisageables.
La première pouvait consister à permettre au propriétaire prouvant qu'il avait livré tel bien, par exemple, en l'occurrence, parce que le carburant avait été entreposé dans des containers identifiés, de le reprendre à l'exclusion des autres. Cette thèse ne pouvait d'évidence être retenue. On se souvient que c'est la loi du 10 juin 1994 (loi n° 94-475 N° Lexbase : L9127AG7), qui a assoupli la tâche du revendiquant, en matière de choses fongibles. Depuis cette législation, le revendiquant n'a plus à prouver que les choses revendiquées sont celles qu'il a livrées, dès lors qu'existent entre les mains du débiteur, "des biens de même espèce et de même qualité". L'article 2369 du Code civil (N° Lexbase : L6966ICY), issu de la rédaction de l'ordonnance du 23 mars 2006 (ordonnance n° 2006-346 N° Lexbase : L8127HHH), reprend la solution, pour la faire devenir le principe de droit commun. La Cour de cassation a logiquement considère que la règle est de fond (1), et non de preuve. Il en résulte qu'il sera inutile de prouver l'identité des biens revendiqués avec ceux livrés. Symétriquement, la preuve de l'absence d'identité entre biens revendiqués et biens livrés ne conduira pas au rejet de la revendication. Il suffira de démontrer l'existence de biens fongibles (2).
La deuxième possibilité était de retenir la solution de la cour d'appel : celui qui le premier revendique sera le premier servi. Nous avions estimé que cette solution selon laquelle le premier revendiquant devra être servi ne pouvait trouver application (3), l'opinion contraire ayant cependant été émise (4). Outre qu'elle ne repose sur aucun fondement, elle est parfaitement inique pour ceux qui, tout en étant dans les délais, ont présenté leur demande en revendication ultérieurement. Surtout, elle est inextricable si les revendications ont été présentées le même jour. Elle aboutit également à une impasse, si les personnes ayant présenté leur revendication en second lieu, forment un recours à l'encontre de l'ordonnance rendue au profit du premier ayant exercé sa revendication, ce qu'elles peuvent faire, puisqu'elles sont bien des personnes dont les droits sont susceptibles d'être affectés par l'ordonnance attaquée.
La troisième possibilité consistait à suivre la position d'un juge-commissaire appliquant la présomption Fifo (first in/first out), c'est à dire premier entré/premier sorti, pour décider que le calcul des créances devait se faire au prorata des dernières livraisons des derniers fournisseurs à concurrence des stocks constatés (5). Nous avions indiqué que "cette technique est doublement critiquable en ce qu'elle confond revendication et droit de créance, d'une part, et en ce qu'elle fait jouer une règle de preuve, qui repose sur la présomption Fifo là où la Cour de cassation voit une règle de fond " (6).
La quatrième et dernière possibilité était d'utiliser la technique de la "néo-revendication", chère à Françoise Pérochon (7). On ne traite plus alors vraiment les revendiquant comme des propriétaires, mais plutôt comme des créanciers.
Deux modalités sont alors concevables.
La première consiste à calculer les droits de chaque propriétaire par rapport à leurs créances (8). Cette solution se heurte à deux obstacles. Le premier tient au fait que, même si les propriétaires sont traités comme des créanciers, ils ne sont pas titulaires de créances, mais de droits réels sur des biens. Le second tient au fait que cette technique désavantagerait par trop le vendeur ayant vendu au meilleur prix et serait en conséquence injuste.
C'est pourquoi, nous avions estimé (9), partageant en cela l'opinion avec l'école montpelliéraine (10), préférable de calculer les droits du revendiquant en fonction du nombre de biens livrés et non payés, par rapport au volume total de biens de même nature entre les mains du débiteur, et de procéder ensuite à une règle de trois. C'est exactement la solution retenue par la Cour de cassation.
La question du droit à restitution des différents revendiquants de biens fongibles étant réglée, une autre difficulté se présente : l'administrateur ou, à défaut, le mandataire judiciaire, ou en liquidation le liquidateur, peut-il procéder à la restitution des biens avant l'expiration du délai de revendication ? La Chambre commerciale répond également à cette question en posant le principe selon lequel "si l'administrateur judiciaire peut, conformément [à l'article L. 624-17 du Code de commerce N° Lexbase : L1413HI8], acquiescer à de telles demandes en revendication [portant sur des biens fongibles], il ne peut procéder à la restitution des biens avant l'expiration du délai de revendication". Cette solution, est la seule permettant à chacun des revendiquant de mêmes biens fongibles, de faire valoir utilement leur droit à revendication et à restitution.
Les professionnels du mandat de justice retiendront l'enseignement essentiel pour eux de cet arrêt : se garder systématiquement de procéder immédiatement à la restitution des biens revendiqués lorsque ceux-ci sont fongibles. La restitution ne pourra intervenir qu'à l'expiration du délai de trois mois à compter de la publication du jugement d'ouverture au BODACC, lorsqu'ils seront certains de ne pas s'exposer à devoir répartir les biens entre plusieurs prétendants.
La Cour de cassation, avec cet arrêt, fait très bien le départ entre l'acquiescement à la revendication, c'est-à-dire la reconnaissance de l'opposabilité du droit de propriété, et la restitution. La solution posée nous apparaît incompatible avec une solution récemment posée par la Cour de cassation (11), et critiquée (12), selon laquelle le mandataire de justice pourrait acquiescer partiellement à une demande en revendication. Le mandataire de justice reconnaît ou non l'opposabilité du droit de propriété et cela ne peut être partiel. En revanche, après avoir acquiescé, il ne restituera que dans la limite de ce qui peut l'être, et, le cas échéant, comme cela est le cas en l'espèce, que dans la limite des droits respectifs des revendiquants de choses fongibles.
Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université Nice Côte d'Azur, Directeur du Master 2 Droit des entreprises en difficulté de la Faculté de droit de Nice, Membre CERDP (EA 1201), Avocat au barreau de Nice
La loi n° 2003-721 du 1er août 2003, pour l'initiative économique (N° Lexbase : L3557BLC), a créé la déclaration notariée d'insaisissabilité par laquelle l'entrepreneur personne physique pouvait empêcher la saisie de sa résidence principale. Depuis la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 (N° Lexbase : L7358IAR), l'insaisissabilité peut être étendue à tous biens fonciers bâtis ou non, dès lorsqu'ils ne sont pas affectés à l'activité professionnelle, ce qui conserve à la déclaration notariée d'insaisissabilité un intérêt depuis que la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 (13), pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques (N° Lexbase : L4876KEC), dite loi "Macron", a instauré l'insaisissabilité légale de la résidence principale (C. com., art. L. 526-1 N° Lexbase : L2000KG8).
Ce mécanisme de la déclaration notariée d'insaisissabilité rend l'immeuble du déclarant insaisissable de la part de ses créanciers professionnels (c'est-à-dire les créanciers dont la créance est née dans le cadre de l'activité du professionnel indépendant) dont la créance serait née après la publication de cette déclaration.
En cas de procédure collective du professionnel indépendant, l'intérêt d'avoir procédé à une telle déclaration est évident car le liquidateur judiciaire ne peut pas saisir et vendre l'immeuble objet d'une déclaration notariée d'insaisissabilité si le débiteur a tout à la fois des créanciers ayant le droit de saisir l'immeuble (les créanciers antérieurs à la publicité de la déclaration notariée d'insaisissabilité et les créanciers dont la créance n'a pas de rapport avec l'activité professionnelle) et des créanciers n'ayant pas ce droit (les créanciers professionnels postérieurs à la publicité de la déclaration notariée d'insaisissabilité). Cette solution défendue par un auteur (14) puis posée en jurisprudence (15), s'explique au regard de l'article L. 622-20, alinéa 1er, du Code de commerce (N° Lexbase : L7288IZX) (16) qui dispose que "le mandataire judiciaire désigné par le tribunal a seul qualité pour agir au nom et dans l'intérêt collectif des créanciers", cet intérêt collectif étant défini comme "l'intérêt de la collectivité que constituent l'ensemble des créanciers" (17). En conséquence, le liquidateur ne peut donc agir que dans l'intérêt de tous les créanciers. Il est en revanche privé du droit d'agir dans le seul intérêt personnel d'un créancier ou d'un groupe de créanciers (par exemple, le groupe des créanciers auxquels la déclaration notariée d'insaisissabilité serait inopposable). Le liquidateur ne peut donc saisir l'immeuble du débiteur que si la déclaration notariée d'insaisissabilité est inopposable à tous les créanciers, l'immeuble étant ainsi le gage commun de ceux-ci.
D'où l'intérêt de préciser quelles sont les conditions d'opposabilité de la déclaration. L'opposabilité de la déclaration notariée d'insaisissabilité aux créanciers professionnels résulte d'une publicité effectuée au service de la publicité foncière (ex conservation des hypothèques) et dans un registre professionnel (pour les artisans, au répertoire des métiers, et, pour les commerçants, au registre du commerce et des sociétés) ou dans un journal d'annonces légales pour les personnes non tenues de s'immatriculer. Dès lors que la publicité est régulièrement effectuée, la déclaration notariée d'insaisissabilité est opposable aux créanciers professionnels dont la créance est née postérieurement à cette publicité. Si, au contraire, la publicité est irrégulière, la déclaration cesse d'être opposable aux créanciers auxquels elle aurait dû l'être, de sorte qu'elle devient inopposable à tous.
On comprend ainsi l'importance qu'il y a à publier régulièrement la déclaration notariée d'insaisissabilité, et la question s'est posée de savoir si le liquidateur pouvait contester la régularité de cette publicité.
Puisque l'irrégularité de la publicité de la déclaration notariée rend inopposable à tous la déclaration, il doit en découler la possibilité pour le liquidateur de réaliser l'immeuble qui est alors le gage commun des créanciers. Il semblait donc logique que le liquidateur puisse contester la régularité de la publicité. Pourtant, dans un premier temps, par un arrêt du 13 mars 2012 (18), la Cour de cassation a dénié ce droit au liquidateur en jugeant que "Attendu que, pour accueillir la demande du liquidateur, l'arrêt [d'appel] retient que celui-ci peut se prévaloir de l'absence de publication de la déclaration d'insaisissabilité au registre du commerce et des sociétés dans lequel M. [L.] était aussi immatriculé ; attendu qu'en statuant ainsi, alors que l'intérêt collectif des créanciers ne résulte pas de l'irrégularité de la publicité de la déclaration d'insaisissabilité, la cour d'appel a violé les textes susvisés".
Cette solution a été, à juste titre, critiquée en doctrine (19) car l'action en contestation de la régularité de la publicité de la déclaration notariée d'insaisissabilité est incontestablement une action qui tend à la défense de l'intérêt collectif des créanciers. En effet, si cette action prospère, elle permet de faire "tomber" l'immeuble objet de la déclaration dans l'escarcelle du gage commun des créanciers. Ainsi, priver le liquidateur de la possibilité de contester la régularité de la publicité le conduit à le priver d'agir en défense de l'intérêt collectif des créanciers : le liquidateur ne pourra reconstituer le gage commun des créanciers en y faisant entrer le bien objet de la déclaration et ne pourra réaliser le bien dans le cadre de la procédure collective.
C'est pourquoi un auteur qui nous est cher (20) a parfaitement mis en évidence que, puisque la régularité de la publicité est une condition préalable à l'efficacité de la déclaration notariée d'insaisissabilité, elle doit pouvoir être discutée par le liquidateur.
Les critiques ont été entendues par les Hauts magistrats. Par un arrêt de revirement, qui constitue, en la forme, un modèle du genre, la Chambre commerciale affirme que "Attendu que cette décision [la décision de la cour d'appel] était conforme à la jurisprudence alors applicable (Com. 13 mars 2012, B IV, n° 53, pourvoi n° 11-15.438 [Cass. com., 13 mars 2012, n° 11-15.438, FS-P+B N° Lexbase : A8907IEM]) ; que toutefois cette solution a eu pour effet de priver les organes de la procédure collective de la possibilité de contester l'opposabilité de la déclaration d'insaisissabilité à la procédure ; qu'en outre, par un arrêt du 2 juin 2015, B IV n° 94 (pourvoi n° 13-24.714 [Cass. com., 2 juin 2015, n° 13-24.714, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A8367NIQ]), la Chambre commerciale financière et économique de la Cour de cassation a jugé que les organes de la procédure collective avaient qualité à agir pour la protection et la reconstitution du gage commun des créanciers ; qu'il apparaît donc nécessaire de modifier la solution résultant de l'arrêt de 13 mars 2012 et de retenir que, désormais, la déclaration d'insaisissabilité n'étant opposable à la liquidation judiciaire que si elle a fait l'objet d'une publicité régulière, le liquidateur, qui a qualité pour agir au nom et dans l'intérêt collectif des créanciers, est recevable à en contester la régularité à l'appui d'une demande tendant à reconstituer le gage commun des créanciers". Le revirement ne pouvait être plus clair ! Dans les procédures en cours, les liquidateurs peuvent donc désormais contester la régularité des publicités des déclarations notariées d'insaisissabilité. Il existe sans doute nombre de procédures collectives, aujourd'hui clôturées, initialement ouvertes à l'égard d'un débiteur personne physique ayant irrégulièrement publié une déclaration notariée d'insaisissabilité. Il n'est peut-être pas trop tard pour assurer la défense des créanciers privés de ce qui aurait dû faire partie de leur gage commun. En effet, comme l'a relevé un auteur (21), le liquidateur pourrait songer à solliciter la réouverture des dossiers dans lesquels l'immeuble n'a pas été vendu, alors que la publicité était irrégulière.
Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences - HDR à l'Université de Nice Côte d'Azur, Co-directrice du Master 2 Droit des entreprises en difficulté, Membre du CERDP (EA 1201)
(1) Cass. com., 5 mars 2002, n° 98-17.585, FS-P (N° Lexbase : A1915AYL), Bull. civ. IV, n° 48 ; D., 2002, AJ 1139, obs. A. Lienhard ; Act. proc. coll., 2002/9, n° 115, note D. Mainguy ; RDBF, 2002/3, p. 128, n° 91, obs. D. Legeais ; RTDCiv., 2002. 339, obs. P. Crocq ; RTDCiv., 2002, 327, obs. Th. Revet ; JCP éd. E, 2002, Chron. 1380, n° 12, obs. M. Cabrillac ; Rev. proc. coll., 2003, p. 307, n° 5, obs. M.-H. Monsèrié-Bon.
(2) Cass. com., 13 novembre 2002, n° 00-10.284, F-D (N° Lexbase : A7308A33), Act. proc. coll., 2003, n° 7 ; JCP éd. E, 2003, Jur. 667, note Forgues ; RTDCom., 2003. 571, n° 8, obs. A. Martin-Serf ; Rev. proc. coll., 2003, p. 308, n° 5, obs. M.-H. Monsèrié-Bon.
(3) Notre ouvrage, Droit et pratique des procédures collectives, Dalloz Action, 9ème éd., 2017/2018, n° 816.53.
(4) B. Soinne, Traité théorique et pratique des procédures collectives, Litec, 1995, n° 1942.
(5) T. com. Poitiers, ord. J.-C., 10 octobre 2014, n° 2014M0240 (N° Lexbase : A4403M3H), Gaz. Pal., 18 janvier 2015, no 18, p. 29, note crit. E. Le Corre-Broly ; E. Le Corre Broly -note crit.-, in Chron., Lexbase, éd. aff. 2014, n° 402 (N° Lexbase : N4641BUG) : décision aimablement communiquée par Maître Marie Capel, mandataire judiciaire.
(6) Notre ouvrage, Droit et pratique des procédures collectives, préc. n° 816.53.
(7) F. Pérochon, La revendication des biens fongibles par le vendeur, LPA, 14 septembre 1994, p. 82, n° 9 et s..
(8) En ce sens : J.-CL. COM., P. Crocq, fasc. 2545, [Situation du vendeur de meubles - Clause de réserve de propriété], 2015, n° 97.
(9) Notre ouvrage, Droit et pratique des procédures collectives, préc. n° 816.53.
(10) F. Pérochon, Entreprises en difficulté, 10ème éd., LGDJ - Lextenso, 2014, 10ème éd., n° 1617, note 54 ; Ph. Pétel, Retour sur la revendication de choses fongibles, Mél. Tricot, LexisNexis - Dalloz, 2011, p. 571.
(11) Cass. com., 3 mai 2016, n° 14-24.586, F-P+B (N° Lexbase : A3352RNH) ; Gaz. Pal., 18 octobre 2016, n° 36, p. 63, note crit. E. Le Corre- Broly ; Act. proc. coll., 2016/10, comm. 135, note F. Petit ; JCP éd. E, 2016, chron. 1465, n° 9, note Ph. Pétel ; Bull. Joly Entrep. en diff., 2016, 324, note L. Le Mesle ; Ch. Lebel, Lexbase, éd. aff., 2016, n° 468 (N° Lexbase : N3045BWP).
(12) E. Le Corre- Broly, note préc. sous Cass. com., 3 mai 2016, n° 14-24.586, préc..
(13) JORF n° 0181 du 7 août 2015, page 1 353.
(14) P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, Dalloz Action, 5è éd., 2009, n° 582.13.
(15) Cass. com., 28 juin 2011, n° 10-15.482, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A6407HUT), D., 2011, actu 1751, note A. Lienhard ; D., 2012, pan. 1573, note P. Crocq ; D., 2012, pan. 2202, note P.-M. Le Corre ; Gaz. pal., 7 octobre 2011, n° 280, p. 11, note L. Antonini-Cochin ; Act. proc. coll., 2011/13, comm. 203, note L. Fin-Langer ; JCP éd. E, 2011, 1551, note F. Pérochon ; JCP éd. E, chron. 1596, n° 4, obs. Ph. Pétel ; JCP éd. E, 2011, 375, note Ch. Lebel ; JCP éd. E, 412, obs. M. Rousille ; Rev. sociétés, septembre 2011, 526, note Ph. Roussel Galle ; Bull. Joly Ent. en diff., septembre/octobre 2011, comm. 125, p. 242, note L. Camensuli-Feillard ; RDBF, septembre/octobre 2011, comm. 171, note S. Piedelièvre ; Defrénois 2011, 40083, note F. Vauvillé ; Dr. & patr., novembre 2011, n° 208, 74, note P. Crocq ; Rev. proc. coll., septembre 2011, Etudes 23, note L. Fin-Langer ; JCP éd. E, 19 janvier 2012, chron., n° 11, obs. Ph. Delebecque ; LPA, 28 septembre 2011, n° 193, p. 11, note G. Teboul ; Dr. et procédures, octobre 2011, p. 234, note F. Vinckel ; Rev. proc. coll., mai 2012, comm. 111, note C. Lisanti ; Dr. & patr., septembre 2012, n° 217, p. 102, note M.-H. Monsérié-Bon ; P.-M. Le Corre, in Chron., Lexbase, éd. aff., 2011 n° 259 (N° Lexbase : N6983BSG).
(16) Applicable en redressement judiciaire par l'article L. 631-14, I (N° Lexbase : L7317IZZ) et en liquidation judiciaire par l'article L. 641-4, alinéa 3 (N° Lexbase : L7328IZG).
(17) F. Derrida, P. Godé et J.-P. Sortais, avec la collab. d'A. Honorat, Redressement et liquidation judiciaires des entreprises, 3ème éd., Dalloz, 1991, n° 510.
(18) Cass. com., 13 mars 2012, n° 11-15.438, FS-P+B (N° Lexbase : A8907IEM) ; D., 2012, Actu 807, note A. Lienhard ; D., 2012, pan. 1573, note P. Crocq ; D., 2012, pan. 2203, note P.-M. Le Corre ; Act. proc. coll., 2012, comm. 105, note J. Vallansan ; Bull. Joly Entrep. en diff., mai 2012, comm. 88, p. 147, note L. Camensuli-Feuillard ; Rev. sociétés, 2012, 393, note L.-C. Henry ; JCP éd. E, 2012, chron. 1508, n° 8, obs. Ph. Pétel ; JCP éd. E, 2012, 1325, note P.-M. Le Corre ; Rev. proc. coll., 2012, comm. 112, note C. Lisanti ; Gaz. Pal., 28 juin 2012, Jur. 1693, note S. Cabrillac ; Gaz. Pal., 26 mai 2012, jur. 1526, note J. Théron ; Bul. Joly Sociétés, juin 2012, comm. 263, note M.-H. Monsèrié-Bon ; P.-M. Le Corre, in Chron., 2012, n° 293 (N° Lexbase : N1549BTK).
(19) P.-M. Le Corre, Les questions soulevées par la déclaration notariée d'insaisissabilité en cas de liquidation judiciaire, Gaz. Pal. 28 avril 2012, n° 118, p. 5 et s., Question n° 4.
(20) P.-M. Le Corre, Les questions soulevées par la déclaration notariée d'insaisissabilité en cas de liquidation judiciaire, préc..
(21) P.-M. Le Corre, Possibilité pour le liquidateur de contester la publicité de la DNI, Gaz. pal., 2017, éd. spéc. Entreprises en difficulté, à paraître en janvier 2017.
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Réf. : CE 3°, 8°, 9° et 10° ch.-r., 5 décembre 2016, n° 398859, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A9672SNK)
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Le 07 Janvier 2017
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Réf. : CE 4° et 5° ch.-r., 9 décembre 2016, n° 394766, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A4023SPP)
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Le 30 Décembre 2016
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Réf. : Cons. const., décision n° 2016-601 QPC, du 9 décembre 2016 (N° Lexbase : A1549SP3)
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Le 30 Décembre 2016
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Réf. : Loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016, relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (N° Lexbase : L6482LBP)
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Le 30 Décembre 2016
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Réf. : Cass. soc., 1er décembre 2016, n° 15-21.609, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7976SLY)
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par Christophe Radé, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale
Le 30 Décembre 2016
Résumé
Si le défaut du ou des entretiens prévus par le premier de ces textes, relatif à la conclusion d'une convention de rupture, entraîne la nullité de la convention, c'est à celui qui invoque cette cause de nullité d'en établir l'existence. |
Commentaire
I - L'édiction d'une règle de fond : la nullité de la rupture conventionnelle du contrat de travail pour défaut d'entretien(s) préalable(s)
Cadre juridique. L'article L. 1237-12 du Code du travail (N° Lexbase : L8193IAP) dispose que "les parties au contrat conviennent du principe d'une rupture conventionnelle lors d'un ou plusieurs entretiens", mais ne précise pas le sort de la rupture lorsque cette exigence n'est pas respectée. Or, on sait que la Chambre sociale de la Cour de cassation n'a imposé l'annulation automatique de la rupture que dans le cas où le salarié ne s'est pas vu remettre une copie de la convention (1) sans qu'il soit besoin de prouver que le salarié a été ainsi privé de la possibilité d'exercer ses droits (2). Pour le reste, la violation des règles fixées par le Code ne sera sanctionnée par la nullité de la convention de rupture que s'il est démontré qu'elle a altéré le consentement du salarié ; c'est ce qui a été jugé à propos du défaut d'information du salarié d'une entreprise ne disposant pas d'institutions représentatives du personnel sur la possibilité de se faire assister, lors de l'entretien au cours duquel les parties au contrat de travail conviennent de la rupture du contrat, par un conseiller du salarié choisi sur la liste dressée par l'autorité administrative (3) ; pour l'absence d'information du salarié sur la possibilité de prendre contact avec le service public de l'emploi en vue d'envisager la suite de son parcours professionnel (4) ; pour l'erreur commise dans la convention de rupture sur la date d'expiration du délai de quinze jours prévu par l'article L. 1237-13 du Code du travail (N° Lexbase : L8385IAS) (5) ; pour l'erreur commise dans le calcul de l'indemnité de rupture conventionnelle (6) car dans cette hypothèse le salarié pourra saisir le juge pour réclamer le solde (7), sauf preuve d'une fraude (8) ou d'un vice du consentement (9).
Restait à déterminer quelle sanction serait retenue par la Cour de cassation dans l'hypothèse où l'exigence d'au moins un entretien préalable ne serait pas respectée.
Les faits. Un salarié, exerçant au moment de la rupture de son contrat de travail les fonctions de responsable de l'informatique médicale, a conclu avec son employeur une convention de rupture du contrat de travail en janvier 2001, qui fut homologuée. Le salarié saisit postérieurement la juridiction prud'homale de demandes tendant à l'annulation de la rupture conventionnelle et d'indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, le salarié prétendant que les deux entretiens préalables prévus par la convention ne s'étaient pas tenus. Il avait obtenu gain de cause en appel, les magistrats ayant considéré que l'employeur ne produisait aucun élément matériellement vérifiable permettant d'en attester la réalité.
La cassation. C'est cette affirmation qui vaut à la cour d'appel de voir son arrêt cassé pour violation des articles L. 1237-12 du Code du travail et 1315, devenu 1353 (N° Lexbase : L1013KZK), du Code civil. Après avoir affirmé que "si le défaut du ou des entretiens prévus par le premier de ces textes, relatif à la conclusion d'une convention de rupture, entraîne la nullité de la convention, c'est à celui qui invoque cette cause de nullité d'en établir l'existence", la Haute juridiction observe qu'en faisant peser cette preuve sur les épaules de l'employeur la cour d'appel a inversé la charge de la preuve.
II - Une solution doublement justifiée
Sur le fond. La Cour a tout d'abord considéré, comme la cour d'appel d'ailleurs, que le non-respect de l'exigence d'un ou de plusieurs entretiens préalables devait entraîner la nullité de la convention, en raison de l'importance de cette formalité. C'est ce qu'indique très clairement la note explicative jointe à la décision : "Cette rédaction n'est source d'aucune ambiguïté en ce qu'il est clair qu'elle fait du ou des entretiens une condition substantielle de la rupture conventionnelle et prolonge d'ailleurs l'article qui précède selon lequel la rupture conventionnelle est soumise aux dispositions de la présente section destinées à garantir la liberté du consentement des parties. En d'autres termes, l'entretien (ou les entretiens) précédant la conclusion d'une convention de rupture est l'une des mesures voulue tant par les partenaires sociaux que par le législateur pour garantir la liberté du consentement des parties".
Nous partageons pleinement cette analyse.
La rupture conventionnelle repose en effet sur le pari que les règles procédurales permettent de s'assurer du respect de la liberté et de l'intégrité du consentement du salarié, le tout sous la vigilance de l'autorité administrative qui peut refuser d'homologuer la convention si elle considère que le salarié a été contraint de signer la convention alors qu'il ne le souhaitait pas vraiment. Toutes les exigences procédurales n'ont pas, au regard de cet objectif de préservation du consentement du salarié, la même valeur, et il est logique que la Cour de cassation opère une distinction entre les exigences secondaires, dont la violation n'entraîne pas a priori la nullité de la convention (sauf preuve de leur impact réel sur le consentement du salarié), et les exigences substantielles qui sont de nature à garantir l'information complète du salarié et la possibilité de réfléchir à sa volonté de rompre son contrat de travail, dont la violation entraîne de plein droit la nullité de la convention.
Dans un tel contexte où les parties disposent de larges prérogatives et où le contrôle de la DIRECCTE risque d'être des plus sommaires, les éléments de la procédure destinés à garantir que le salarié a eu le temps nécessaire pour mûrir sa décision doivent être dès lors protégés efficacement, et donc sanctionnés par la nullité en cas de violation. Tel est évidemment le cas de l'exigence d'un ou de plusieurs entretiens préalables au cours desquels salarié et employeur s'entendent sur les raisons de la rupture, règlent d'éventuels points demeurant en suspens (date d'effet de la convention, sort d'une éventuelle clause de non-concurrence), voire règlent tel ou tel différend portant sur des heures ou des primes non payées. Dans le cadre d'une rupture conventionnelle, l'existence de discussions menées directement par les intéressés est donc cruciale.
Sur le plan probatoire. La cassation n'est pas ici intervenue sur le premier point, puisque la Cour de cassation considère, comme la cour d'appel, que la violation de l'accord procédural des parties portant sur l'existence de deux réunions devait entraîner la nullité de la rupture conventionnelle, mais sur l'affirmation selon laquelle c'est à l'employeur qu'il appartenait de prouver que les deux réunions s'étaient bien tenues. Or, pour la Haute juridiction, la charge de cette preuve incombe à celui "qui invoque cette cause de nullité".
Ici encore, la solution est logique.
On sait que deux approches de la charge de la preuve sont possibles.
La première est l'approche processuelle et résulte de l'article 9 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1123H4D) aux termes duquel "Il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention." Cette règle détermine la charge de la preuve selon la qualité de demandeur, ou de défendeur, dans la procédure.
Une seconde approche existe et est propre au droit des obligations. La règle figurait classiquement à l'article 1315 du Code civil et se trouve depuis le 1er octobre 2016 à l'article 1353, comme l'indique d'ailleurs clairement la Cour de cassation dans son visa. Si le premier alinéa de ce texte reprend le principe énoncé par l'article 9 du Code de procédure civile, son second alinéa inverse la charge de la preuve lorsque le débat porte non pas sur l'existence de l'obligation litigieuse, mais sur l'exécution litigieuse d'une obligation dont le principe est admis ; c'est alors logiquement au débiteur de l'obligation qu'il appartient de prouver qu'il s'est bien acquitté de celle-ci.
Dans notre affaire, le Code du travail ne fait peser la charge d'organiser le ou les entretiens préalables sur aucune des parties en particulier, contrairement à la solution qui prévaut en matière de licenciement, ce qui est parfaitement logique : comme son nom l'indique, la rupture conventionnelle repose sur un accord des parties portant sur le principe de la rupture, l'organisation de la procédure et les effets de la cessation des relations contractuelles. Il n'y a donc pas de raison de considérer que l'employeur serait en quelque sorte le débiteur de l'organisation de l'entretien préalable, comme il l'est en matière de licenciement qui est le mode de rupture unilatérale du contrat à son initiative. Chaque partie est donc, au même titre, tenue par cette obligation, ce qui entraîne mécaniquement un partage de la charge de la preuve portant sur la réalisation du ou des entretiens préalables. Reste alors la question de la place du salarié et de l'employeur dans le procès ; dans cette affaire, c'est le salarié qui prétendait que les deux entretiens prévus par les parties n'avaient pas été réalisés, et c'est donc à ce dernier que revenait la charge d'en rapporter la preuve.
Certes, cette charge est difficile puisqu'il s'agit de prouver qu'un entretien n'a pas eu lieu, ce qui constitue la preuve d'un fait négatif, délicate à rapporter. Mais s'agissant de la preuve d'un fait juridique, cette preuve pourra être établie par tout moyen, notamment par présomption, et on peut imaginer que si le salarié étaie sa demande par des témoignages d'autres salariés témoignant qu'ils n'ont eu connaissance que d'un seul entretien et non des deux, alors on peut penser que sauf à ce que l'employeur établisse avec certitude la tenue d'un second entretien, il succombera. Mais si le salarié ne dispose d'aucun élément pour étayer son allégation, alors il est logique qu'il succombe, d'autant plus que l'effet s'attachant au défaut d'un entretien est étendu, puisqu'il s'agit de la nullité de la rupture conventionnelle et certainement la requalification de la rupture en licenciement sans cause réelle et sérieuse, entraînant le versement au salarié des indemnités afférentes.
(1) Cass. soc., 6 février 2013, n° 11-27.000, FS-P+B+R (N° Lexbase : A5796I7S) et lire S. Tournaux, Lexbase, éd. soc., n° 516, 2013 (N° Lexbase : N5793BTQ) ; RDT, 2013, p. 258, obs. F. Taquet.
(2) "La cour d'appel a, par ce seul motif, légalement justifié".
(3) Cass. soc., 29 janvier 2014, n° 12-27.594, FS-P+B (N° Lexbase : A2279MDR).
(4) Cass. soc., 29 janvier 2014, n° 12-24.951, FS-P+B (N° Lexbase : A4267MDE).
(5) Cass. soc., 29 janvier 2014, n° 12-24.539, publié (N° Lexbase : A2278MDQ) et lire S. Tournaux, Lexbase, éd. soc., n° 558, 2014 (N° Lexbase : N0766BUW).
(6) En moyenne 7780 euros en 2009, alors que pour la même période la moyenne des indemnités de licenciement était de 3580.
(7) Cass. soc., 10 décembre 2014, n° 13-22.134, FS-P+B (N° Lexbase : A6058M7I), lire S. Tournaux, Lexbase, éd. soc., n° 596, 2015 (N° Lexbase : N5316BUG).
(8) Exemple : le fait que ladite convention a été signée et antidatée afin de pouvoir adresser la demande d'homologation à l'administration sans attendre le délai de rétractation : CA Paris, Pôle 6, 5ème ch., 27 juin 2013, n° 11/03173 (N° Lexbase : A9727KHQ).
(9) Cass. soc., 8 juillet 2015, n° 14-10.139, FS-P+B (N° Lexbase : A7439NMH), lire G. Auzero, Lexbase, éd. soc., n° 625, 2015 (N° Lexbase : N8937BUK).
Décision
Cass. soc., 1er décembre 2016, n° 15-21.609, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7976SLY) Cassation partielle (CA Toulouse, 4è ch., section 2, chambre sociale, 22 mai 2015) Textes : C. trav., art. L. 1237-12 (N° Lexbase : L8193IAP) et C. civ., art. 1315, devenu 1353 (N° Lexbase : L1013KZK). Mots clef : rupture conventionnelle ; entretien préalable ; nullité ; preuve. Lien base : (N° Lexbase : E0223E7E) |
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Réf. : Cass. soc., 7 décembre 2016, n° 14-27.232, FS-P+B+R (N° Lexbase : A3867SPW)
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N5681BWC
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Le 30 Décembre 2016
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Réf. : CJUE, 20 octobre 2016, aff. C-24/15 (N° Lexbase : A0046R89)
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N5726BWY
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par Sabrina Le Normand-Caillère, Maître de conférences à l'Université d'Orléans, Co-directrice du Master 2 Droit des affaires et fiscalité
Le 30 Décembre 2016
Lors d'un contrôle, l'administration fiscale allemande a estimé que les conditions d'exonération n'étaient pas réunies en 2007. Selon elle, il s'agissait d'une livraison taxée en Allemagne. En conséquence, elle a émis un avis rectificatif d'imposition à la TVA pour la seule année 2007. Saisi du recours, le tribunal des finances allemand a relevé que le véhicule se trouvait déjà en Espagne en 2007. Cet élément a conduit l'administration fiscale à annuler cet avis rectificatif. Elle a ainsi déduit que le transfert du véhicule vers l'Espagne en 2006 était soumis à la TVA. Selon l'administration, le transfert ne pouvait être exonéré au motif de l'absence tant du numéro d'identification à la TVA attribué par l'Espagne que de la preuve comptable exigée pour l'exonération de la TVA.
L'entrepreneur a formé un nouveau recours à l'encontre de cette décision devant la juridiction de renvoi. Celle-ci a alors considéré, d'une part, qu'il n'y avait pas de livraison intracommunautaire en raison de l'absence de lien temporel et matériel suffisant entre l'expédition du véhicule en Espagne et la vente de celui-ci dans cet Etat membre. Elle a ajouté, d'autre part, que le transfert intracommunautaire réalisé au cours de l'année 2006 était soumis à la TVA. Toutefois, la juridiction de renvoi s'est demandée si le transfert devait ou non bénéficier d'une exonération de TVA. Elle a ainsi relevé que l'entrepreneur n'avait pas pris toutes les mesures raisonnables pour indiquer un numéro d'identification à la TVA attribué par l'Etat membre de destination. Pour autant, aucun indice sérieux n'a été relevé quant à l'existence d'une fraude. La juridiction a ainsi considéré que l'entreteneur avait simplement commis une erreur de droit en comptabilisant l'opération de transfert et la vente ultérieure en tant que livraison intracommunautaire et n'avait fait aucune fausse déclaration à l'administration fiscale. Elle en a déduit que l'exonération ne saurait, selon elle, être refusée dès lors que les conditions matérielles sont remplies. Un refus serait donc contraire au principe de neutralité fiscale et de proportionnalité. Au regard de ces circonstances, le tribunal des finances a décidé de surseoir à statuer et a saisi la Cour de justice de l'Union européenne à titre préjudiciel.
Saisie du litige, la Cour a ainsi dû rechercher si un Etat membre peut ou non refuser le bénéfice de l'exonération pour un transfert intracommunautaire lorsque l'assujetti n'a pas pris toutes les mesures raisonnables concernant les exigences formelles relatives à l'indication du numéro d'identification à la TVA, mais qu'il n'existe aucun indice sérieux suggérant l'existence d'une fraude, que le bien a été transféré à destination d'un autre Etat membre et que les autres conditions d'exonération sont remplies ?
Lors de sa décision du 20 octobre 2016, la Cour de justice de l'Union européenne répond négativement. Selon elle, en l'absence de fraude fiscale, un assujetti ayant réalisé un transfert de biens, remplissant l'ensemble des conditions d'exonération des livraisons intracommunautaires au sein de l'Union européenne ne peut se voir refuser le bénéfice de l'exonération et ce, même si le numéro d'identification attribué à l'Etat membre de destination fait défaut.
En l'espèce, le bien était simplement transféré vers une partie de l'entreprise se situant dans un autre Etat membre. Pour qualifier cette opération au regard de la TVA, la Cour de justice de l'Union européenne revient sur la notion de "transfert intracommunautaire" et notamment sur sa distinction avec celle de "livraison intracommunautaire". Au sens strict, un transfert intracommunautaire ne constitue pas une livraison de biens, l'assujetti conservant le pouvoir de disposer du bien comme un propriétaire. Recourant à une fiction, la Directive-TVA assimile toutefois le transfert intracommunautaire à une livraison réalisée à titre onéreux (1). N'étant pas éligible à l'exonération spécifique des véhicules de transport neufs (2), le transfert pourrait dès lors être exonéré de TVA dans le pays d'origine si les conditions exigées par la Directive-TVA sont remplies. Au regard de l'article 28 quater de la sixième Directive, deux conditions sont traditionnellement exigées pour bénéficier de l'exonération dans le pays d'origine. La première consiste en l'expédition ou le transport d'un bien par le vendeur ou par l'acquéreur ou pour leur compte d'un Etat membre de l'Union européenne à un autre Etat membre. La seconde requiert que la livraison soit effectuée pour un autre assujetti ou pour une personne morale non assujettie, agissant en tant que tel dans un Etat membre autre que celui du départ de l'expédition ou du transport des biens. En l'espèce, ces conditions étaient réunies. L'entrepreneur a acquis un véhicule pour l'affecter à son entreprise en Allemagne puis l'a expédié en Espagne pour continuer à être utilisé par l'entrepreneur à des fins professionnelles. Au regard des textes, le transfert se trouvait ainsi exonéré de TVA dans le pays de départ (TVA allemande) pour être imposé dans le pays d'arrivée (TVA espagnole). Au regard de la Directive-TVA, l'ensemble des conditions de fond exigées était au cas présent remplies. La Directive ne faisant nullement mention de la communication d'un numéro d'identification à la TVA, le refus opposé par les autorités allemandes au bénéfice de l'exonération prévue en matière de livraison intracommunautaire ne peut dès lors se fonder à lui seul, sur le défaut de numéro d'immatriculation.
La Directive-TVA autorise les Etat membres à adopter des mesures destinées à assurer la perception de la TVA et ce, notamment afin d'éviter toute fraude. Toutefois, elles ne doivent pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre de tels objectifs, notamment en mettant à mal le principe de neutralité fiscale de la TVA. Pour la Cour de justice de l'Union européenne, une mesure nationale va au-delà de ce qui est nécessaire afin d'assurer l'exacte perception de la taxe "si elle subordonne, pour l'essentiel, le droit à l'exonération de la TVA au respect d'obligations formelles, sans prendre en compte les exigences de fond et, notamment, sans s'interroger sur le point de savoir si celles-ci étaient satisfaites". Au regard de la jurisprudence communautaire, les opérations doivent être taxées en prenant en compte avant tout leurs considérations objectives (3).
Lors d'un arrêt du 27 septembre 2012, la Cour de justice de l'Union européenne avait déjà décidé que l'obligation de communiquer le numéro de TVA de l'acquéreur du bien constituait une exigence formelle au regard du droit à l'exonération de TVA (4). Elle avait ainsi considéré que des exigences formelles ne pouvaient en aucun cas remettre en cause le droit à déduction ou le droit à exonération de la TVA au titre d'une livraison intracommunautaire dans la mesure où les conditions matérielles qui font naître ces droits sont remplies (5). Avec cette décision du 20 octobre 2016, la Cour étend le bénéfice de cette jurisprudence aux transferts intracommunautaires. Si le transfert de bien répond aux conditions de fond de la Directive-TVA s'agissant de l'exonération de la TVA, le principe de neutralité fiscale exige que l'exonération soit accordée à l'assujetti et ce, même si certaines exigences formelles ont été omises. De cette décision, il ressort que la transmission du numéro d'identification constitue, non pas en soi une condition de fond pour exonérer de TVA un transfert intracommunautaire, mais seulement une simple règle de preuve que l'assujetti ait bien agi en tant que tel et que le transfert ait été réalisé pour les besoins de son entreprise (6). Cette position est également celle du Conseil d'Etat. A l'instar de la Cour de justice de l'Union européenne, le Conseil d'Etat applique un régime de preuve objective. Lors d'un arrêt du 6 mars 2014, les Hauts magistrats ont considéré que si le non respect d'exigences formelles était insuffisant à lui seul pour remettre en cause l'exonération, il pouvait en revanche constituer une preuve supplémentaire corroborant l'absence de flux physique de biens (7).
Toutefois, ce principe n'est pas absolu. La Cour justice de l'Union européenne réserve le sort de deux hypothèses d'ores et déjà définies par la jurisprudence : d'une part, l'existence d'une fraude fiscale et, d'autre part, l'absence de preuve d'une condition de fond liée à la violation d'une exigence formelle.
D'une part, dans cette décision du 20 octobre 2016, la Cour de justice de l'Union européenne énonce que "le principe de neutralité fiscale ne saurait être invoqué, aux fins de l'exonération de la TVA, par un assujetti qui a intentionnellement participé à une fraude fiscale qui a mis en péril le fonctionnement du système commun de la TVA". L'exonération des livraisons intracommunautaires a conduit certains opérateurs à tirer profit des difficultés administratives inhérentes aux flux transfrontaliers afin d'échapper in fine au paiement de la TVA ou plus encore, de déduire une TVA non effectivement acquittée (8). Le droit d'un assujetti d'être exonéré peut alors se trouver remis en cause par l'administration fiscale si celle-ci arrive à prouver la fraude. Toute la complexité de ces contentieux réside dans la difficulté de concilier l'impératif de sécurité juridique, pour ne pas pénaliser le fournisseur de bonne foi, avec l'objectif de lutte contre la fraude fiscale. Il en est ainsi en matière de fraude carrousel (9). Dans ce type de schéma, il est possible que les "livraisons effectives côtoient des livraisons fictives, sous des apparences de régularité, et que des opérateurs de bonne foi, ont pu être impliqués, à leur insu, dans le circuit de fraude" (10). Face à de telles fraudes, deux questions se posent aux autorités administratives et juridictionnelles. La première consiste à déterminer si le transfert des biens dans un autre Etat membre a réellement eu lieu. La seconde tient ensuite à définir si l'opérateur soumis à vérification pouvait légitimement ignorer le caractère frauduleux des opérations. Les juges apprécient alors la sincérité fiscale de l'assujetti au regard du nombre d'opérations entachées de fraude dans le circuit. En l'espèce, la Cour de justice écarte, tout comme l'administration fiscale allemande, l'existence d'une telle fraude. Cela amène à envisager la deuxième hypothèse.
D'autre part, selon la Cour de justice de l'Union européenne, "la violation d'une exigence formelle peut conduire au refus d'exonération de la TVA si cette violation a pour effet d'empêcher la preuve certaine que les exigences de fond ont été satisfaites". Dans la décision présentement commentée, cette hypothèse est également écartée par Cour de justice de l'Union européenne au motif que l'administration fiscale disposait de toutes les informations permettant de constater les conditions matérielles du transfert exonéré.
Ainsi, une fois écartée ces deux exceptions, la conclusion s'imposait d'elle même. L'exonération de TVA ne saurait pas plus être refusée à l'assujetti au motif qu'il n'a pas pris toutes les mesures pouvant être raisonnablement exigées de lui afin de satisfaire à une obligation formelle, tenant à la transmission du numéro d'identification à la TVA attribuée par l'Etat membre de destination du transfert intracommunautaire.
(1) V. également : CGI. art. 256, III (N° Lexbase : L0374IWR). Le transfert présente donc cinq caractéristiques : il est effectué par un assujetti à la TVA dans un Etat membre de l'Union européenne ; il concerne les biens de son entreprise ; il est réalisé pour les besoins de son entreprise ; le transport ou l'expédition est réalisé par l'assujetti ou pour son compte ; le bien est envoyé dans un autre Etat membre de l'Union européenne, à destination essentiellement d'une succursale ou d'un établissement de l'assujetti.
(2) Article 28 quater de la sixième Directive (désormais article 138-1 de la Directive 2006/112 du 28 novembre 2006 N° Lexbase : L7664HTZ).
(3) CJCE, 27 septembre 2007, aff. C-146/05 (N° Lexbase : A5696DYM), pt 31 : Dr. fisc., 2007, n° 46, act. 1098 ; RJF, 2007, n° 1512.
(4) CJUE, 27 septembre 2012, aff. C-587/10 (N° Lexbase : A4354ITG), pt 46 : Europe 2012, comm. 466, obs. A.-L. Mosbrucker ; CJUE, 1er mars 2012, aff. C-280/10 (N° Lexbase : A7144IDX), pt 43; CJUE, 21 octobre 2010, aff. C-385/09 (N° Lexbase : A2204GCM), pt 42 : Europe 2010, comm. 405, note A. Rigaux ; CJUE, 30 septembre 2010, aff. C-392/09 (N° Lexbase : A6582GAZ), pt 39 ; CJCE, 8 mai 2008, aff. C-95/07 et aff. C-96/07 (N° Lexbase : A5448D8B), pt 63 ; CJUE, 12 juillet 2012, aff. C-284/11 (N° Lexbase : A8483IQA), pt 62 ; CJCE, 27 septembre 2007, aff. C-146/05, préc., pt 31 : Dr. fisc., 2007, n° 46, act. 1098 ; RJF, 2007, n° 1512.
(5) CJUE, 14 mars 2013, aff. C-527/11 (N° Lexbase : A6630I9G) : RJF, 7/2013, n° 795.
(6) Pour une étude approfondie sur ces questions : Y. Sérandour, TVA et irrégularités de forme au sein de l'UE : illustrations récentes, Dr. fisc., 2013, n° 41, étude 464.
(7) CE 3° et 8° s-s-r., 6 mars 2014, n° 362827, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A4199MGM) : RJF, 6/14, n° 556. Voir en revanche la position contraire de l'administration fiscale. En matière de livraison intracommunautaire, elle exige que le vendeur s'assure de l'existence et de la validité du numéro d'identification à la TVA communiqué par l'acquéreur. Le cas échéant, en l'absence de numéro d'identification, elle considère que la livraison doit être soumise à la TVA (BOI-TVA-CHAMP-30-20-10 n° 100 N° Lexbase : X9049ALQ).
(8) Y. Sérandour, La fraude à la TVA sur les livraisons intracommunautaires, Dr. fisc., 2011, n° 36, ét. 491.
(9) Dans son étude relative à la fraude sur les livraisons intracommunautaires, le Professeur Yolande Sérandour explique les techniques employées en matière de fraude dite carrousel (Y. Sérandour, La fraude à la TVA sur les livraisons intracommunautaires, Dr. fisc., 2011, n° 36, ét. 491, § 1): "Une entreprise A située dans un Etat membre autre que la France vend des marchandises à une entreprise B établie en France. A est exonérée de TVA et B doit autoliquider la TVA en France. B revend les marchandises à un client C, également établi en France en lui facturant la TVA française, mais sans la reverser. C déduit cette TVA facturée puis revend les marchandises, parfois au premier vendeur, en l'occurrence A. Afin de compliquer la découverte de cette fraude, les complices multiplient les reventes et intercalent ainsi plusieurs entreprises, souvent dans l'ignorance du circuit frauduleux. Si l'on ajoute que le fraudeur disparaît très rapidement du circuit économique concerné, il est illusoire d'espérer un recouvrement a posteriori. Le trésor public de chaque Etat membre perd ainsi beaucoup de TVA sur des acquisitions intracommunautaires, sur des reventes avec TVA non reversée et à l'occasion de l'exercice de droits à déduction ne correspondant à aucune TVA acquittée par les fournisseurs. Ni l'Union européenne, ni les Etats membres ne pouvaient rester inertes". V. également : J. Bellaiche, Les mécanismes de la fraude à la TVA - Cas pratique, Lexbase, éd. fisc., n° 605, 2015 N° Lexbase : N6448BUD). M. Cozian et Fl. Deboissy, Précis de fiscalité des entreprises, 38ème éd., LexisNexis, 2014, n° 1519 et s., pp. 638 et s. ; ou encore v. nos obs, Preuve de la fraude carrousel lors d'une livraison intracommunautaire, Lexbase, éd. fisc., n° 622, 2015 (N° Lexbase : N8592BUR), sous CAA Lyon, 2 juin 2015, n° 14LY00096 (N° Lexbase : A0161NMW).
(10) J.-P. Maublanc, La preuve de la réalité et de la sincérité des livraisons intracommunautaires de biens, Rev. dr. transp., 2013, n° 3, chron. 6.
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