La lettre juridique n°370 du 5 novembre 2009

La lettre juridique - Édition n°370

Éditorial

Marx à l'heure des stock-options et le problème de la détermination de la valeur d'échange de la force de travail

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N3529BMN

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 27 Mars 2014


"Ce qui sur le marché fait directement vis-à-vis au capitaliste, ce n'est pas le travail mais le travailleur. Ce que celui-ci vend, c'est lui-même, sa force de travail. Dès qu'il commence à mettre cette force en mouvement, à travailler dès que son travail existe, ce travail a déjà cessé de lui appartenir et ne peut plus désormais être vendu par lui. Le travail est la substance et la mesure inhérente des valeurs mais il n'a lui-même aucune valeur" - Karl Marx.

Est-ce là l'origine du malentendu qui règne en matière d'évaluation salariale, apanage de l'employeur ? En effet, l'indétermination objective de "la valeur d'échange de la force de travail" empêcherait, alors, de dépasser la simple alternative aux termes de laquelle si tout travail mérite salaire, toute insatisfaction patronale dans ce travail mérite le licenciement.

Aussi, qu'il nous soit permis de penser que la théorie marxiste du salaire aura lourdement grevé l'appréhension humaniste du duo travail/salaire. La conception matérialiste des rapports sociaux aura, éventuellement, entravé leur relativité et leur temporalité ; l'universalisation des théories n'est pas forcement la bienvenue lorsqu'il en va de la description de la diversité des relations qui unissent les hommes... même au sein d'un rapport salarial.

Preuve en est : l'employeur ne peut pas prononcer, à l'encontre des salariés fautifs, de sanctions pécuniaires. Ainsi, l'employeur ne peut pas attribuer une sanction qui a pour objet la diminution de la rémunération. Le problème évident avec ce genre de principe aux sentiments les plus nobles, visant à protéger la partie au contrat de travail présumée la plus faible, c'est qu'a priori la seule contrainte matérielle et réelle pesant sur le salarié, et mise à la disposition de l'employeur, demeure dans le versement du salaire -si l'on voudra bien écarter la problématique de la détention du capital et, ce faisant de l'outil de travail, qui mondialisation et dilution actionnariale obligent, sont assez loin de préoccuper réellement le seul salarié, mais intéressent aussi le dirigeant d'entreprise-.

Ainsi, l'article L. 1331-2 du Code du travail prohibe toute amende et autre sanction pécuniaire, toute disposition contraire étant réputée non écrite ; et sur cette base, la retenue sur salaire, la réduction d'un élément variable de salaire, la suppression d'une prime en invoquant un fait fautif du salarié sont des sanctions pécuniaires prohibées. Par conséquent, l'employeur insatisfait, même temporairement, du travail accompli par son salarié sera prié de s'en démettre ; autrement dit, la seule sanction est le licenciement -si tant est qu'il soit causé-. Et, au final, une diminution du salaire, même causée, est illicite ; en revanche, un licenciement fondé sur la même cause -une faute dans l'exécution du travail- pourra être pleinement validé par le juge.

Et, ce dernier de prohiber le retrait d'un véhicule de fonction qui est un avantage en nature, comme sanction pécuniaire ; ou encore la privation d'une prime de fin d'année, même en cas de faute grave. Cette même faute grave, c'est-à-dire, traditionnellement, celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise, qui, aux termes d'un arrêt de la Chambre sociale de la Cour de cassation du 21 octobre 2009, ne justifie pas non plus la privation de la faculté de lever d'options d'achat. Dès lors, cette privation ne pouvait être prévue par le plan de stock-options.

Exit Caton l'ancien et son "je préfère bien faire et ne pas être remercié que de mal faire et ne pas être sanctionné" ! Le Code du travail censure le Censeur et prône l'inverse : l'employeur a seulement le droit de gratifier ou... de licencier... point de demie mesure, si ce n'est la stagflation salariale qui, dans de nombreuses circonstances, peut paraître, elle-même, satisfaisante au salarié.

Mais, on ne pourra pas reprocher au juge d'être incohérent en matière de stock-options ; à partir du moment où la loi et la jurisprudence tendent à les intégrer dans le droit commun de la rémunération, tout empêchement, toute contrainte en la matière s'appréhendent comme une sanction prohibée.

L'ennui, en l'espèce, c'est que l'économie générale ou plutôt le fondement économique des stock-options n'est pas le fruit d'une relation salariale classique. D'un point de vue marxiste, on pourrait dire que l'attribution de stock-options n'est pas la valorisation de la commercialisation de la force de travail auprès de l'employeur. D'abord, parce que les attributaires sont, dans leur grande majorité, les dirigeants sociaux des entreprises... donc les employeurs eux-mêmes. Ensuite, parce que le fondement des stock-options relève de la théorie de l'agence qui donne la primauté à la création de valeur pour l'actionnaire. Il s'agit grossièrement de faire en sorte que la part variable de la rémunération des dirigeants les pousse à oeuvrer prioritairement en faveur de la performance à long terme de l'entreprise, avec comme postulat le fait que le cours de bourse traduit effectivement cette performance. Au final, il s'agit de maximiser le profit de l'actionnaire et de permettre au dirigeant d'en tirer, en échange, des bénéfices.

Aussi, quid de la valorisation du louage de la force de travail du dirigeant ou du cadre subordonné à l'actionnaire, lorsqu'il perçoit, d'ores et déjà, un salaire ? L'attribution de stock-options ne relève nullement de la valorisation du travail, mais de la valorisation de la compréhension par le dirigeant des intérêts premiers des actionnaires de l'entreprise qu'il dirige. Or, quid de l'état de cette intégration managériale, lorsque l'attributaire d'options d'achat commet une faute grave, entravant irrémédiablement sa relation contractuelle avec l'employeur ? Quelle est la légitimité de tirer profit d'une performance de l'entreprise à laquelle l'attributaire n'a, finalement, pas, partiellement ou entièrement, contribué ?

Le salaire est "le nom particulier donné au prix de la force de travail appelé d'ordinaire prix du travail, il n'est que le nom donné au prix de cette marchandise particulière" écrivait Marx ! Pas si particulière que cela : en droit commun, une fois d'accord sur l'objet et le prix du contrat de travail, la force obligatoire contraindra les deux parties, sauf que là, l'employeur ne peut pas réclamer la rescision pour cause de lésion... Et, Marx de nous laisser devant une simple forme (le salaire comme valorisation monétaire de la force de travail) sans nous fournir ni les moyens d'en justifier le contenu (les formes de réalisation), ni les moyens de comprendre le rapport que ces masses monétaires entretiennent avec la valeur (cf. La théorie marxiste du salaire par J.P. Daubigney et G. Meyer).

De toute manière, "il n'y a qu'un moyen légitime qui est le travail de se procurer de l'argent, et comme une foule de gens ne veulent pas l'employer, il en résulte une foule de malentendus" ironisait Alexandre Dumas, fils.

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Rémunération

[Jurisprudence] La privation de stock-options devient une sanction pécuniaire prohibée

Réf. : Cass. soc., 21 octobre 2009, n° 08-42.026, Mme Delphine Nebon Carle, FS-P+B (N° Lexbase : A2748EMQ)

Lecture: 7 min

N3526BMK

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par Sébastien Tournaux, Maître de conférences à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV

Le 07 Octobre 2010


Les stock-options parfois accordées aux salariés dans les entreprises sont considérées comme des accessoires au contrat de travail. Si la qualification de rémunération ne leur est pas expressément accordée, leur régime juridique s'y apparente pourtant en de nombreux points. Il reste que, jusqu'ici, la Cour de cassation refusait de considérer que la caducité des stock-options, prévue par le plan de stock-options en cas de licenciement pour faute grave, puisse constituer une sanction pécuniaire prohibée. C'est désormais chose faite puisqu'un arrêt de la Chambre sociale, rendu le 21 octobre 2009, juge que la privation de la faculté de lever les options en cas de licenciement pour faute grave constitue une sanction pécuniaire prohibée qui ne pouvait être prévue par le plan de stock-options. Cette incompatibilité désormais reconnue entre faute grave et droit au bénéfice de stock-options (I) doit être saluée tant elle est justifiée et que ses effets sont précautionneusement pondérés (II).

Résumé

La privation de la faculté de lever les options en cas de licenciement pour faute grave constitue une sanction pécuniaire prohibée qui ne pouvait être prévue par le plan de stock-options.

I - L'incompatibilité reconnue entre faute grave et privation du droit de bénéficier de stock-options

  • Le principe de la prohibition des sanctions pécuniaires

La rémunération est un élément fondamental de la relation de travail. Elément qualifiant permettant de distinguer le contrat de travail du bénévolat, elle est surtout la contrepartie de la prestation de travail et constitue la véritable cause de l'engagement contractuel du salarié. La rémunération est tellement essentielle à la relation de travail qu'elle fait l'objet d'un soin tout particulier de la jurisprudence de la Cour de cassation, qui ne permet aucune entorse au principe selon lequel la rémunération du salarié ne peut être modifiée sans son accord.

Cette protection toute particulière de la rémunération du salarié trouve une illustration législative tout à fait topique dans la prohibition des sanctions pécuniaires.

L'article L. 1331-2 du Code du travail (N° Lexbase : L1860H9R) dispose, en effet, que "les amendes ou autres sanctions pécuniaires sont interdites" et ajoute que "toute disposition ou stipulation contraire est réputée non écrite". Si l'employeur dispose d'un large panel de sanctions pouvant être prononcées à l'encontre d'un salarié fautif, de l'avertissement jusqu'au licenciement pour faute, il lui est formellement interdit d'opérer des retenues sur salaire. Cette interdiction est jugée à ce point fondamentale qu'elle fait l'objet d'une infraction pénale prévue par l'article L. 1334-1 du Code du travail (N° Lexbase : L1876H9D).

  • Illustrations de sanctions pécuniaires prohibées

Au titre de la prohibition des sanctions pécuniaires, de nombreux procédés ont été jugés illicites par la Cour de cassation.

Il est évidemment interdit à l'employeur de refuser le versement d'une prime à un salarié en raison d'une faute (1), quand bien même la possibilité d'une telle privation serait prévue par la convention collective (2). La suppression d'un avantage en nature en raison d'un comportement fautif n'est pas plus tolérée par le juge (3). La prohibition s'applique encore lorsque la mesure prise par l'employeur a pour effet de modifier la structure de la rémunération et donc, indirectement, de diminuer la rémunération du salarié (4).

  • La privation de stock-options au titre d'une sanction

La prohibition des sanctions pécuniaires trouve-t-elle à s'appliquer lorsque le salarié est privé de la faculté de bénéficier de stock-options ? La question est d'importance car de nombreux plans de stock-options prévoient expressément que le salarié est déchu de son droit d'option s'il quitte l'entreprise (5). Cette mesure est adoptée dans l'idée de fidéliser les salariés à qui sont attribuées ces options (6).

La Cour de cassation juge que "la subordination du maintien des stock-options à la présence du salarié dans l'entreprise n'est pas, en soi, constitutive d'une atteinte aux libertés et droits fondamentaux de celui-ci" (7). Elle considère donc que ces clauses sont valables, à la condition, toutefois, d'être rendues opposables au salarié (8).

Dans une décision datant de 2004, la Chambre sociale de la Cour de cassation, interrogée sur la compatibilité de telles clauses avec la prohibition des sanctions pécuniaires avait estimé "qu'aucune plus-value n'étant réalisée au jour de la rupture du contrat [du salarié], la perte du droit de lever l'option ne [pouvait] s'analyser, à cette date, en une mesure affectant la rémunération du salarié" (9). La Chambre sociale de la Cour de cassation semble aujourd'hui revenir sur cette interprétation.

  • En l'espèce : revirement de jurisprudence

Les faits de l'affaire commentée sont relativement simples. Une salariée était licenciée pour une faute grave dont la qualification était confirmée par les juges d'appel. La cour d'appel débouta en outre la salariée de sa demande en paiement au titre des stock-options en se basant sur le plan d'achat d'action qui prévoyait la caducité des options en cas de licenciement du bénéficiaire pour faute grave.

Alors que la salariée n'avait pas renouvelé cette présentation devant la Cour de cassation, la Chambre sociale relève d'office le moyen tiré de la violation de la prohibition des sanctions pécuniaires. Au visa de l'article L. 1331-2 du Code du travail, la Haute juridiction casse l'arrêt d'appel sur ce point en jugeant "que la privation de la faculté de lever les options en cas de licenciement pour faute grave constitue une sanction pécuniaire prohibée qui ne pouvait être prévue par le plan de 'stock-options'".

II - L'incompatibilité justifiée entre faute grave et privation du droit de bénéficier de stock-options

S'il s'agit incontestablement d'un changement de cap opéré par la Chambre sociale, il doit être remarqué, d'abord, que cette évolution paraît plutôt bienvenue et, ensuite, qu'elle ne devrait pas avoir une portée trop importante.

  • Le rattachement implicite des stock-options à la rémunération du salarié

Cette solution est bienvenue car la perte du droit d'option constitue, au moins potentiellement, une perte de rémunération pour les salariés concernés.

Le bénéfice de stock-options n'est pas à proprement parler qualifié de rémunération par les juges du travail. Pour autant, ils estiment généralement que les stock-options figurent au rang des accessoires au contrat de travail (11). Or, on connaît d'autres conventions accessoires au contrat de travail, qui sont parfois qualifiées de rémunération : tel est, par exemple, le cas d'un contrat de bail conclu à des conditions avantageuses entre un employeur et son salarié ; tel est, encore, le cas d'un contrat de prêt dont l'objet est le prêt d'un véhicule de l'entreprise à titre gracieux. Dès lors, pourquoi ne pas voir dans les stock-options ce qu'elles sont, c'est-à-dire un complément de rémunération accessoire accordé au salarié (12) ?

Si la qualification de rémunération peut être retenue, elle ne suffit pas à conclure que la privation de l'option constitue une sanction pécuniaire prohibée. Il faut encore démontrer que la mesure a été prise en raison d'une faute du salarié et qu'elle mène concrètement à une perte de rémunération pour celui-ci.

  • La privation d'un élément de rémunération en raison d'une faute

S'agissant de l'existence de la faute, elle ne fait aucun doute en l'espèce puisque le plan d'achat d'option de l'entreprise limitait expressément la perte des options aux salariés licenciés pour faute grave. Comme le rappellent certains auteurs, "la qualification de sanction tient à la cause de la mesure" (13). Si la privation des options pour toute cause de rupture du contrat de travail n'aurait pu être qualifiée de sanction pécuniaire prohibée, la limitation de la déchéance des options au cas de faute grave est, sans équivoque, une sanction.

  • L'indifférence du caractère aléatoire de la rémunération dont le salarié est privé

S'agissant de la perte effective de rémunération, c'est certainement là que la qualification faisait le plus difficulté. C'est d'ailleurs cet argument qui avait jusqu'ici incliné la Cour de cassation à refuser la qualification de sanction pécuniaire prohibée, faute de plus-value réalisée au jour de la rupture du contrat.

Cependant, toute difficulté n'est pas insurmontable et le caractère éventuel des gains du salarié ne nous paraît pas devoir faire obstacle à la qualification de sanction pécuniaire prohibée. En effet, il arrive régulièrement que le droit prenne en compte l'aléa pour considérer que, malgré le caractère éventuel du droit auquel cet aléa s'attache, il existait une éventualité de gain qui doit être prise en compte.

Cela est, notamment, le cas dans le cadre de la responsabilité civile délictuelle depuis que la Cour de cassation accepte que soient réparés les préjudices dits de "perte de chance". De la même manière, le fait que le contrat d'assurance repose par nature sur un aléa ne prive pas l'assureur du droit de réclamer le paiement de la police quand bien même aucun sinistre ne se serait produit.

  • Une solution strictement limitée au cas de faute commise par le salarié

Il convient enfin de remarquer que la solution rendue par la Cour de cassation devrait se limiter à certains plans d'actions qui distinguent selon le motif de la rupture du contrat de travail.

En effet, la formule adoptée par la Cour de cassation en 2004 paraît toujours d'actualité : une clause du plan prévoyant la caducité des options lorsque le salarié quitte l'entreprise n'est pas "en soi" constitutive d'une atteinte à ses libertés et droits fondamentaux. A contrario, seules certaines clauses peuvent constituer une telle atteinte. A condition de considérer que la prohibition des sanctions pécuniaires relève d'un droit fondamental du salarié, la clause du plan limitant la privation d'option aux salariés licenciés pour faute grave n'est pas valable.

C'est d'ailleurs expressément parce que la clause du plan limitait, en l'espèce, la perte des options aux salariés licenciés pour faute grave que la Cour de cassation considère qu'elle "ne pouvait être prévue par le plan de stock-options".

On peut également imaginer que la solution de la Cour de cassation serait la même si la clause du plan de stock-options prévoyait que toute faute du salarié justifiant un licenciement permet la privation des options. En revanche, il nous semble qu'il en aurait été différemment si le plan avait prévu la perte des options en cas de rupture du contrat de travail, quand bien même le contrat aurait été rompu pour licenciement reposant sur une faute grave.

Concrètement, il suffira donc, à l'avenir, aux organes dirigeants des sociétés de rédiger ces clauses de manière suffisamment générale pour que tout salarié dont le contrat de travail est résilié soit privé de stock-options. Ces clauses seront alors valables, exactement comme le sont les clauses conventionnelles qui réduisent le montant d'une prime d'assiduité pour les salariés sans distinction de la cause de leur absence, qu'elle soit fautive ou non.


(1) Cass. soc., 19 novembre 1997, n° 95-44.309, Société Ciapem c/ M. Metral et autres (N° Lexbase : A2144ACE).
(2) Cass. soc., 11 février 2009, n° 07-42.584, M. Grégory Benoît, FS-P+B+R (N° Lexbase : A1264ED8) et les obs. de G. Auzero, Une sanction pécuniaire prohibée ne peut faire l'objet d'une stipulation conventionnelle, Lexbase Hebdo n° 339 du 25 février 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N5753BIW).
(3) Sur la suppression d'un avantage constitué par la mise à disposition d'un véhicule de fonction, v. Cass. soc., 12 décembre 2000, n° 98-44.760, M. Portanguen c/ Société Cecorev (N° Lexbase : A1160AIS), Dr. soc., 2001, p. 195, obs. A. Mazeaud.
(4) Sur la retenue opérée en application d'une "clause de malus" prévoyant une diminution des commissions acquises d'un pourcentage correspondant au taux d'annulation des ventes, une telle retenue ayant pour effet de priver le salarié d'une partie des commissions qui lui étaient dues sur des ventes effectivement réalisées, v. Cass. soc., 4 juillet 2007, n° 06-40.160, Société UPC France, F-D (N° Lexbase : A0951DXI).
(5) C'est le conseil d'administration ou le directoire qui fixe, dans le cadre de l'autorisation qui lui a été accordée par l'assemblée générale extraordinaire, les conditions dans lesquelles seront consenties les options de souscription ou d'achat (C. com., art. L. 225-177 et s. N° Lexbase : L8278GQN).
(6) Cela permet également d'éviter que les actions ne deviennent trop rapidement la propriété d'actionnaires extérieurs à l'entreprise. V. R. Vatinet, La nature juridique des stock-options précisée par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, JCP éd. S, 2005, 1417.
(7) Cass. soc., 20 octobre 2004, n° 02-41.860, M. Ariel Beresniak c/ Société Glaxosmithkline, FS-D (N° Lexbase : A6432DDL) et les obs. de G. Auzero, Opposabilité aux salariés du règlement du plan de stocks-options et perte du droit de lever les options, Lexbase Hebdo n° 141 du 3 novembre 2004 - édition sociale (N° Lexbase : N3335AB7).
(8) Sur les difficultés d'interprétation de ce caractère "opposable", v. Cass. soc., 15 janvier 2002, n° 99-45.979, M. Jean-Noël Navarro c/ Société Go sport, FS-P (N° Lexbase : A8113AXR), Bull. civ. V, n° 12, Bull. Joly, 2002, p. 633, note H. Le Nabasque.
(9) Cass. soc., 20 octobre 2004, n° 02-41.860, préc..
(10) Un premier moyen soulevé par le salarié consistait à contester la qualification de faute grave et à reprocher aux juges d'appel un inversement de la charge de la preuve. La Cour de cassation rejette le pourvoi sur ce moyen que nous n'examinerons pas plus avant.
(11) Cass. soc., 21 juin 2005, n° 02-45.479, Société Unilog c/ Mme Caroline Quelquejay, FS-P+B (N° Lexbase : A8041DIN), JCP éd. S, 2005, 1183, note B. Boubli.
(12) Dans ce sens, v. J.-B. Lenhof, Variations sur la notion d'accessoire du contrat de travail et compétence du juge face au salarié actionnaire, Lexbase Hebdo n° 321 du 8 octobre 2008 - édition privée générale (N° Lexbase : N3864BHL).
(13) J. Pélissier, A. Supiot, A. Jeammaud, Droit du travail, Dalloz, 24ème éd., 2008, avec la coll. de G. Auzero, p. 807.


Décision

Cass. soc., 21 octobre 2009, n° 08-42.026, Mme Delphine Nebon Carle, FS-P+B (N° Lexbase : A2748EMQ)

Cassation partielle, CA Lyon, ch. soc., 4 mars 2008

Texte visé : C. trav., art. L. 1331-2 (N° Lexbase : L1860H9R)

Mots-clés : stock-options ; sanction pécuniaire prohibée

Liens base : (N° Lexbase : E2786ETD) et

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Assurances

[Chronique] Chronique en droit des assurances dirigée par Véronique Nicolas, Professeur, avec Sébastien Beaugendre, Maître de conférences - Novembre 2009

Lecture: 24 min

N3554BML

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Le 07 Octobre 2010

Lexbase Hebdo - édition privée générale vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique en droit des assurances dirigée par Véronique Nicolas, Professeur, en collaboration avec Sébastien Beaugendre, Maître de conférences à la Faculté de droit de Nantes, tous deux membres de l'IRDP (Institut de recherche en droit privé). Au sommaire de cette chronique, on retiendra, en matière de contrats d'assurance vie, d'une part, un arrêt du 8 octobre 2009 par lequel la Cour de cassation reconnaît quelques limites aux prétentions d'un assuré actif qui prétendait s'être trompé après avoir fait usage de plusieurs des techniques ou modalités de gestion offertes par le contrat d'assurance lui-même et, d'autre part, un arrêt du 22 octobre 2009 qui revient sur les caractéristiques essentielles de ce type de contrat. A l'honneur également de cette chronique, un autre arrêt du 22 octobre 2009 qui se penche sur l'impact de l'effet interruptif du contrat d'assurance opéré par saisine en référés sur la recevabilité de demandes reconventionnelles élevées au cours de l'instance au fond. Enfin, un arrêt du 8 octobre 2009 s'arrête sur les diligences attendues d'un assuré au prisme des clauses d'exclusion de garantie.
  • Reconnaissance de limites aux prétentions de certains assurés de contrats d'assurance vie après des rachats et arbitrages (Cass. civ. 2, 8 octobre 2009, n° 08-18.928, FS-P+B N° Lexbase : A8789EL4)

Ces dernières années, se sont multipliées les affaires dans lesquelles un assuré ayant souscrit un contrat d'assurance vie prétend ne pas avoir donné, lors de sa formation, un véritable consentement valable (1), ou bien qu'il n'avait pas été informé au sens où l'entendait la Cour de cassation à la lecture de l'article L. 132-5-1 du Code des assurances (N° Lexbase : L9839HE7). Et les lecteurs de cette chronique se souviennent, sans doute, que notre Haute juridiction privatiste n'avait pas hésité à énoncer, en toutes lettres, que dans les contrats d'assurance de groupe, l'exercice de la faculté de renonciation par l'assuré, accordée en guise de sanction du non-respect de l'article L. 132-5-1 du Code des assurances par l'assureur, est discrétionnaire, sans exigence donc de bonne foi de la part de cet assuré (2). Un tel raisonnement avait, non sans logique, heurté de nombreux membres de la doctrine, laquelle, en public, n'avait pas hésité à formuler son inquiétude à l'un des rédacteurs de ces arrêts (3).

Par conséquent, le présent arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation en date du 8 octobre 2009 ne peut que retenir l'attention. Les objections doctrinales auraient-elles été prises, au moins pour partie, en considération ? Peu importe. D'une manière globale, il semble que s'accroissent les hypothèses où les magistrats ne s'en laissent plus conter. La Cour de cassation commence à débouter les assurés qui enfilaient le vêtement de l'ignorance et poussaient l'outrecuidance jusqu'à se parer d'une absence choquante de bonne foi autorisée. Toutefois, là n'est pas le seul intérêt de cette décision. Celle-ci a aussi le mérite de ne pas raisonner sur le seul terrain du droit des assurances, mais aussi sur celui du droit commun des contrats et notamment de l'article 1108 du Code civil (N° Lexbase : L1014AB8).

Notons, d'ores et déjà, avant même de relater l'intégralité des faits, que ceux-ci débutent en 2000, c'est-à-dire à une date où certaines opérations financières étaient connues, pour ne pas dire fréquentes dans le cadre de ce type de contrats. A cette période donc, une femme adhère, par un intermédiaire, à un contrat d'assurance sur la vie proposé par Axa. Au cours des trois premières années, elle effectue des opérations que l'on peut qualifier d'opérations de gestion de son contrat. Ainsi, sont réalisés plusieurs rachats partiels, des arbitrages et, enfin, le rachat partiel maximal qui soit permis. Soudain, en 2003, l'assurée s'aperçoit d'une baisse du rendement de son épargne. Et de se précipiter au tribunal pour tenter d'obtenir gain de cause en sollicitant la nullité du contrat.

Ce n'est donc pas la première fois que la Cour de cassation doit trancher dans des circonstances proches ; mais, cette fois, l'assignation portait sur divers aspects. Outre, la nullité du contrat, l'assurée demandait la résiliation pour inexécution du contrat -ce qui ne manque pas de piment, ou, disons de manière moins triviale, d'audace-, et, à titre très subsidiaire, l'octroi de dommages-intérêts pour manquement de l'assureur et de l'intermédiaire d'assurance à leurs obligations respectives précontractuelles d'information prévues à l'article L. 132-5-1 du Code des assurances, comme à leur obligation globale de conseil. La Cour de cassation ne va pas faire droit aux prétentions de l'assurée relatives à la nullité ou à la résiliation du contrat d'assurance vie. En revanche, elle lui accordera une indemnisation, sur le fondement inattendu de l'article 1382 du Code civil (N° Lexbase : L1488ABQ), relatif à la responsabilité délictuelle.

L'attendu de l'arrêt étant important, même si ce dernier apparaît bien n'être que d'espèce, sa reproduction s'impose : "le contrat est clairement défini par les conditions générales valant note d'information comme étant un contrat collectif d'assurance sur la vie, régi par le Code des assurances ; que même à admettre que Madame X a fait une erreur de choix de placement, cette erreur ne peut en aucun cas s'analyser en une erreur sur la substance de ce placement lui-même, laquelle était claire, tout comme ne constitue pas une erreur sur la substance du contrat le fait qu'elle n'ait pas perçu l'économie du contrat". Cet attendu est riche et appelle divers commentaires qui doivent être dissociés.

Tout d'abord, l'étonnement est de rigueur en constatant que la Cour de cassation semble revenir sur sa jurisprudence antérieure, notamment de 2006 (4), relative à l'exigence, dans les contrats d'assurance de groupe, de la remise systématique d'une notice d'information distincte. La surprise est de mise car notre Haute cour avait, à diverses reprises, persisté dans cette voie, démontrant ainsi son attachement à ce formalisme. En d'autres termes, même lorsque l'information avait été effective, complète et claire, notamment dans les conditions générales du contrat d'assurance, ce constat ne suffisait pas à satisfaire, selon nos Hauts magistrats, les exigences textuelles de l'article L. 132-5-1 du Code des assurances.

Nous étions de ceux qui jugeaient cette analyse sévère voire trop rigoureuse. En effet, pour qui a déjà manipulé les fameuses notices d'information, rédigées en caractères réduits et peu attractifs, il n'est pas certain que la remise de ce document constitue une aide considérable à la compréhension des assurés. Au-delà de cette considération matérielle, l'accumulation de supports d'information ne rend pas celle-ci plus simple et fluide, loin s'en faut. Certes, dans le cadre des assurances de groupe, ce n'est pas l'adhérent qui a négocié le contrat d'assurance et qui, donc, a pu prendre le temps de mesurer les avantages des différentes clauses ; pour autant, lui fournir une notice n'est pas l'unique solution envisageable. Enfin, lorsque la preuve peut être apportée de l'accomplissement de son obligation par l'assureur, le fait que la jurisprudence s'attache à la remise impérative de ce document pour remplir les exigences de l'article L. 132-5 du Code des assurances (N° Lexbase : L4192H97) et de l'article L. 132-5-1, peut apparaître restrictif et trop administratif...

La Cour de cassation ouvre donc une autre perspective, attendue en partie. Que l'on nous comprenne bien, elle ne remet pas en cause l'intérêt des notices d'information : tout assureur ayant fourni celle-ci à l'adhérent ne pourra rien se voir reproché. Toutefois, elle offre une voie parallèle, qui a le mérite d'exister, même si elle devra être bien encadrée pour ne pas donner lieu à des abus : la vigilance devra rester la règle de prudence minimale ; le devoir d'information de l'assureur ou de son représentant ne saurait être tronqué d'éléments déterminants. L'équilibre est un point de plénitude difficile à atteindre. Il reste donc à scruter les arrêts ultérieurs pour vérifier la portée exacte de la souplesse qu'elle a ainsi instaurée.

Ensuite, notre Haute juridiction de droit privé rejette la demande de nullité du contrat pour vice du consentement et plus précisément erreur sur la substance au sens de l'article 1108 du Code civil. Elle prend d'ailleurs le soin, pour éviter toute incompréhension sur ce qu'est, en l'espèce, cette erreur sur la substance, d'indiquer qu'elle s'entend aussi bien du placement financier lui-même, que du contrat global et de son économie générale, selon une formule chère à nos magistrats depuis quelques années. En effet, les contrats d'assurance vie, on le sait par coeur comme disent nos étudiants, ont une double fonction admise : l'objectif de prévoyance et la recherche d'une épargne. Pour autant, et si l'on persistait à raisonner en droit commun des contrats, nous pourrions faire remarquer que l'assureur ne s'engage plus souvent à une obligation de résultat, mais seulement de moyens.

Là aussi, la solution ne peut donc qu'être approuvée, sauf à tuer dans l'oeuf ce type de placement pourtant tant prisé des Français. Toutefois, les considérations économiques ne sauraient prendre le pas sur le juridique. Or, justement, de ce point de vue là aussi les propos sont bienvenus car il est plus sain, pour l'équilibre du droit, son rôle et sa mission d'encourager l'absence de bonne foi. Or, un assuré ne peut sérieusement prétendre ne pas avoir compris le fonctionnement de son contrat après avoir procédé à diverses opérations financières. Prenant l'expression au pied de la lettre, nous pourrions gloser en disant que connaître les qualités de la chose suppose que l'on en comprenne les inconvénients. Le propos serait juridiquement approximatif ; cependant, l'image serait exacte.

Ce que la Cour de cassation refuse surtout de prendre en considération, c'est l'attitude de l'adhérent. Après avoir fait usage de plusieurs des techniques ou modalités de gestion offertes par le contrat d'assurance lui-même, les diverses formes de retrait ou les arbitrages -qui ne sont pas d'une simplicité telle que l'on puisse les mettre en oeuvre par mégarde, par inattention et en toute incompréhension-, il n'est pas permis, à l'assuré, actif, de prétendre s'être trompé. La solution est heureuse car ce n'est pas celle qui avait précédemment été retenue par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation qui s'était déjà prononcée sur ce point, le 19 février dernier, dans un arrêt "La Mondiale" (Cass. civ. 2, 19 février 2009, n° 08-12.280, FS-P+B N° Lexbase : A4025EDG). Or, les adhérents et leurs avocats étaient de plus en plus nombreux, à avoir mesuré -suivant un nouveau principe d'intelligence sélective, sans doute- l'avantage qu'ils pouvaient tirer de cette jurisprudence pour obtenir des dommages-intérêts illégitimes. C'était encourager la cupidité et le vice.

Pour autant, si la Cour de cassation rectifie en quelque sorte -ce qui peut permettre de comprendre qu'il ne s'agisse pas d'un arrêt bénéficiant d'une large publicité- le fondement juridique sur lequel elle s'appuyait auparavant et qui avait été tant décriée, elle ne refuse pas de reconnaître l'existence d'un manque d'information de la part de l'assureur à l'égard de son assuré, ce qui, au cas par cas, peut tout à fait se justifier. Cependant, ce nouveau fondement juridique laisse dubitatif, de prime abord, puisqu'il s'agit de l'article 1382 du Code civil. Certes, la Cour de cassation a déjà accordé une indemnisation à l'assuré dans ce type de circonstances. Le sentiment que les tribunaux tâtonnent pour trouver l'assise juridique convenant à leur volonté, tout en nuances et légitime, à la fois de sanctionner les silences trompeurs des assureurs lors de la conclusion des contrats d'assurance vie, et, la perfidie des adhérents, perdure donc.

Véronique Nicolas, Professeur agrégé, Faculté de droit de l'Université de Nantes, Directrice du master II "Responsabilité civile et assurances", vice-doyen, Membre de l'IRDP

  • Les caractéristiques essentielles d'un contrat d'assurance vie (Cass. civ. 2, 22 octobre 2009, n° 08-20.801, FS-P+B N° Lexbase : A2727EMX)

Chacun sait que le contrat d'assurance n'a jamais été officiellement défini. La loi fondamentale et fondatrice du 13 juillet 1930 n'a pas tranché ; les textes ultérieurs, pas davantage. Pourtant, deux tentatives avaient déjà eu lieu. La première provenait de la commission présidée par Charles Lyon-Caen, à laquelle avait été confié le soin de proposer un texte de loi sur le contrat d'assurance. Après quelques années de travail, celle-ci avait proposé une définition du contrat d'assurance ; hélas, ce texte n'avait jamais été voté, en raison notamment de l'entrée en guerre de la France en 1914. En 1924, une seconde commission avait alors été désignée afin d'élaborer un nouveau projet. Cette dernière, présidée par Henri Capitant, bien que s'étant inspirée des résultats de la première commission, avait opté pour une autre approche : c'était l'opération d'assurance plus que le contrat qui était privilégiée. Quoiqu'il en soit, aucune de ces définitions ne sera jamais adoptée.

En réaction à ce propos pouvant apparaître réprobateur, il sera objecté que nombre de contrats spéciaux n'ont jamais fait l'objet de la moindre précision de la part du législateur : que l'on songe au contrat de travail ou au contrat d'entreprise, pour se limiter à ces simples illustrations. Il est donc fréquent que la doctrine soit sollicitée pour dégager les critères ou caractères déterminants ; en tous les cas, il revient aux magistrats de trancher. En droit des assurances, longtemps, cette situation n'a pas suscité de difficultés. Nous ne révélerons rien en rappelant qu'il était globalement admis qu'un contrat d'assurance de dommages devait comprendre le versement d'une prime, l'existence d'un risque et la survenance probable d'un sinistre entraînant l'exécution, par l'assureur, de son obligation principale de règlement d'une indemnité (5).

Même si des hésitations relatives à la qualification idoine de tel ou tel contrat pouvaient parfois naître ; ces hypothèses n'étaient guère fréquentes (6). Avec le développement des assurances vie, et plus exactement des contrats d'assurance en cas de vie, et des assurances mixtes, la situation a évolué. Sans revenir sur le sempiternel refrain (7) relatif aux quatre arrêts en date du 23 novembre 2004 (8) qui, cela dit, sont symptomatiques du contexte juridique actuel, il n'est pas inutile de s'attarder sur cette difficulté pratique que rencontrent tant les assurés eux-mêmes que leurs avocats et les magistrats. L'arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation du 22 octobre dernier en fournit une occasion intéressante.

Un chef d'entreprise avait, en vertu de la convention collective nationale dont il dépendait, l'obligation de prévoir une protection sociale complémentaire. A l'instar des directives, il disposait, pour y parvenir, du choix des moyens : accord auprès d'une institution de prévoyance, d'une caisse autonome mutualiste ou d'un organisme d'assurance. Il avait opté pour cette dernière formule et il avait souscrit un contrat auprès de l'assureur, Axa France vie, pour l'ensemble de son personnel cadre. Le contrat offrait le versement d'un capital en cas de décès d'un salarié, assuré. Toutefois -et c'est logique dans ce qu'il faut bien d'ores et déjà indiquer être un contrat d'assurance de groupe-, deux conditions devaient être respectées : le paiement des primes par l'assureur et, ce qui est encore plus évident dans un contrat d'assurance vie, l'absence de résiliation de ce dernier.

L'arrêt de la Cour de cassation prend le soin, qui n'est pas innocent, d'apporter des précisions qui pourraient apparaître de détails, mais qui, en réalité, expliquent la confusion née dans l'esprit des intéressés. Il insiste notamment sur le référentiel qui devait été utilisé pour fixer le montant du capital d'assurance : trois fois, en l'espèce, le plafond annuel de la Sécurité sociale de l'année en cours, lors du décès de l'assuré.

En septembre 2001, l'un de ses cadres décède alors qu'il était toujours salarié de cette société. Sa femme sollicite le versement du capital décès et s'entend répondre, par l'employeur, que le contrat avait été résilié quelques jours plus tôt, en raison de l'absence de paiement d'une cotisation par l'employeur, peut-être sans que ce dernier ait donc eu le temps de conclure un nouvel accord.

La veuve assigne l'employeur et appelle en la cause l'assureur. Or, elle se fonde, pour agir, sur l'article L. 932-9 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L2792HIA). La cour d'appel de Caen condamne le chef d'entreprise à payer le montant du capital décès. Elle raisonne en fonction du droit de la Sécurité sociale et prétend que "les conditions de la protection sociale complémentaire obligatoire des salariés ne pouvait dépendre du choix de l'employeur de recourir à un prestataire déterminé" et que "l'assureur ne pouvait se prévaloir utilement des dispositions du Code des assurances qui n'ont pas vocation à s'appliquer dans le cadre spécifique du droit social", puis encore "que tel est d'ailleurs le sens de l'article L. 932-9 du Code des la Sécurité sociale qui, dans la présente situation, imposait à l'institution concernée de poursuivre le paiement des cotisations, sans pouvoir priver d'effet la garantie souscrite au profit du salarié". La Cour de cassation ne l'entend pas ainsi ; elle casse et annule en expliquant que l'article L. 932-9 du Code de la Sécurité sociale est une disposition qui, selon l'article L. 931-1 (N° Lexbase : L2760HI3) du même code, ne s'applique qu'aux "opérations collectives à adhésion obligatoire des institutions de prévoyance à l'exclusion des contrats souscrits auprès d'une société d'assurance, qui restent régis par les dispositions du droit des assurances".

On l'aura compris, si de telles hésitations sont concevables, légitimes et compréhensibles, c'est que les différences entre ces deux types de contrat sont souvent infimes. Même le spécialiste aguerri est souvent contraint d'approfondir longuement toutes les clauses du contrat, pour être certain de ne pas commettre une erreur. La confusion est d'autant plus autorisée que le langage employé est troublant, en raison de sa dualité de sens. C'est que les professionnels du droit des assurances, sans volonté perfide, tentent de rendre clair à l'esprit des assurés profanes, non spécialistes d'une matière qui devient d'une rare complexité, des dispositions, pour ne pas dire parfois un montage juridique, qui n'est pas d'accès aisé. Toutefois les attitudes commerciales ne s'accommodent pas toujours des exigences juridiques. Convenons, en tous les cas, que l'absence de définition du contrat d'assurance ne facilite pas la tâche.

Plus encore, désormais, il semble parfois que le seul critère du contrat d'assurance n'est pas loin de devenir la qualité d'assureur privé du cocontractant de l'assuré, comme seul élément de distinction. C'est tout au moins ce que suggère la présente décision. Nous avions, en son temps, déjà souligné que, dans certaines circonstances, l'existence d'une entreprise d'assurance est le seul moyen permettant de dissocier les contrats d'assurance (9). Or, on sait que, depuis un célèbre arbitrage des années 1950 entre la banque et l'assurance, la profession n'est plus un moyen suffisant pour connaître la nature juridique du contrat. Pourtant, dans le cas présent, nous n'en sommes pas loin. Gageons cependant que ce constat ne laissera pas les demandeurs satisfaits. Encore ne convient-il pas d'évoquer la perception trouble, pour employer un euphémisme, lors de la formation d'un tel contrat, que l'assuré, surtout lorsqu'il est tiers bénéficiaire, peut avoir de la situation...

Véronique Nicolas, Professeur agrégé, Faculté de droit de l'Université de Nantes, Directrice du master II "Responsabilité civile et assurances", vice-doyen, Membre de l'IRDP

  • Du caractère général de l'effet interruptif du contrat d'assurance opéré par saisine en référés : impact sur la recevabilité de demandes reconventionnelles élevées au cours de l'instance au fond (Cass. civ. 2, 22 octobre 2009, n° 07-21.487, FS-P+B N° Lexbase : A2615EMS)

Les questions de prescriptions appliquées au contrat d'assurance ont, en ce moment, les honneurs de l'actualité.

Nous avions en effet, dans cette chronique, attiré l'attention du lecteur sur un arrêt, dans lequel nous avions pu déceler une forme d'hommage indirect à la réforme de la prescription civile par la loi du 17 juin 2008 (Cass. civ. 2, 3 septembre 2009, n° 08-18.092, Etablissement français du sang (EFS), F-P+B N° Lexbase : A8428EKD et nos obs., in Chronique en droit des assurances dirigée par Véronique Nicolas, Professeur, avec Sébastien Beaugendre, Maître de conférences - Octobre 2009, Lexbase Hebdo n° 365 du 1er octobre 2009 - édition privée générale N° Lexbase : N9403BLT).

Trois arrêts publiés rendus au mois d'octobre 2009 portant à nouveau sur des problèmes de prescription en matière d'assurance (10), il est nécessaire de s'y pencher une nouvelle fois.

C'est d'abord un arrêt de censure rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation le 22 octobre 2009 (n° 07-21.487) qui mérite attention.

En l'espèce, après le passage de cyclones en 1999 en Guadeloupe, un assuré, dont sept appartements furent touchés, obtint de son assureur une expertise amiable. Une difficulté dut survenir dans le règlement du sinistre qui poussa l'assuré à saisir le juge des référés. Celui-ci, par ordonnance du 13 avril 2000, condamna l'assureur à payer la somme amiablement fixée et ordonna une mesure d'expertise judiciaire concernant cinq des appartements endommagés. Cette ordonnance a été confirmée par un arrêt du 9 septembre 2002 et l'expert judiciaire a rendu son rapport le 4 octobre 2002, en concluant à des travaux d'un montant inférieur à ceux retenus par l'expertise amiable.

L'assureur saisit un tribunal de grande instance d'une action au fond en répétition de l'indu.

Au cours de cette instance, l'assuré a cherché, par voie de demandes reconventionnelles, à obtenir le paiement d'indemnités supplémentaires, au titre de "pertes d'exploitation et indemnités journalières".

Les premiers juges ont considéré ces demandes additionnelles irrecevables, les jugeant prescrites, au sens où le délai biennal de l'article L. 114-1 du Code des assurances (N° Lexbase : L2640HWP) aurait été, selon eux, acquis à la date à laquelle ces demandes ont été formées.

La cour d'appel de Basse-Terre a approuvé les premiers juges, considérant que "c'est à bon droit que les juges de première instance ont estimé que ces demandes, qui apparaissaient pour la première fois plus de deux ans après l'événement générateur du dommage se [sont heurtées] à la prescription de l'article L. 114-1 du Code des assurances (N° Lexbase : L2640HWP)".

L'opinion de la Cour de cassation est toute différente. Au visa de l'article L. 114-2 du Code des assurances (N° Lexbase : L0076AA3), elle énonce : "Attendu que toute désignation d'expert à la suite d'un sinistre interrompt la prescription pour tous les chefs de préjudice qui en sont résultés, alors même que l'expertise ne porterait que sur certains d'entre eux".

Ayant ainsi englobé dans le "champ de la prescription" tous les chefs de préjudice liés au sinistre, la Cour de cassation va constater que "les demandes reconventionnelles avaient été formées le 23 septembre 2003 et que l'effet interruptif de la prescription résultant de la désignation d'un expert par l'ordonnance de référé du 13 avril 2000, s'était prolongé jusqu'à l'arrêt du 9 septembre 2002 statuant sur l'appel interjeté contre cette ordonnance", pour en déduire que la cour d'appel a violé l'article L 114-2 du Code des assurances.

La prescription n'était donc acquise qu'au 9 septembre 2004, de sorte que les demandes reconventionnelles formées le 23 septembre 2003 étaient recevables.

Cette solution, selon laquelle l'interruption vaut pour "tous les chefs de préjudice" engendrés par l'évènement garanti, traduit un effet interruptif général.

Bien que la solution ne soit pas nouvelle, cette confirmation demeure importante.

En effet, si par le passé, la prescription n'était interrompue qu'à l'égard de l'objet de l'action strictement entendue (11), la doctrine (12) a relevé une évolution jurisprudentielle sur cette question.

Il a ainsi été jugé que l'interruption de la prescription résultant d'une expertise judiciaire vaut pour l'ensemble des polices d'assurance (13) et que l'effet interruptif n'est pas limité au seul dommage corporel pour lequel l'expertise est diligentée, mais s'étend à tous les chefs de préjudice, corporels comme matériels résultant du sinistre (14).

L'arrêt du 22 octobre 2009 s'inscrit dans ce mouvement de "généralisation" de l'effet interruptif de la prescription biennale, ici par désignation d'un expert judiciaire. Il réitère une solution exprimée, dans des termes identiques, par un arrêt rendu par la première chambre civile le 29 février 2000 (15).

Ce précédent arrêt avait conduit la doctrine à s'interroger sur le bien-fondé de cette solution.

M. Mayaux avait souligné que, en raison du silence de l'article L. 114-2 du Code des assurances, qui évoque simplement la désignation d'expert "à la suite d'un sinistre" sans autre précision, "une analogie est tentante avec l'article L. 114-1, selon lequel le point de départ de la prescription est constitué par 'l'événement qui donne naissance à l'action'. Dès lors, tout dépendrait de cet événement et donc de la manière dont la police définit le sinistre. En présence d'un événement unique (un vol, un incendie), l'interruption vaudrait pour tous les dommages consécutifs. En revanche, si la police couvre un risque 'composite', c'est-à-dire composé de plusieurs événements successifs (par exemple des pertes d'exploitations consécutives à un incendie), il y aurait lieu de s'interroger sur le lien d'indivisibilité entre les garanties" (16).

L'effet interruptif serait même, théoriquement, plus compliqué à soutenir lorsque tous les "chefs de préjudice" conduisent à mettre en oeuvre, auprès du même assureur, des contrats d'assurance de nature différentes (ex. : assurance de chose et assurance de responsabilité).

Dans l'arrêt rapporté, concernant des pertes d'exploitation consécutives à un ouragan, la Cour de cassation n'introduit aucune distinction de la sorte.

On pourra donc considérer que sa volonté de compenser la courte durée de cette prescription biennale par une interprétation compréhensive de l'effet interruptif au service de l'intérêt de l'assuré qui ne soulèverait pas immédiatement, mais néanmoins en restant dans le délai biennal, des éléments du sinistre (ici les pertes d'exploitation).

Il y a lieu de l'approuver car une telle solution validant un effet interruptif "par delà" l'objet primitif de l'expertise judiciaire, conduit également, comme le rappelle la Cour de cassation dans son autre arrêt du même 22 octobre 2009 (pourvoi n° 08-19.840), à ce "que toute décision judiciaire apportant une modification quelconque à une mission d'expertise, ordonnée par une précédente décision, a un effet interruptif de prescription à l'égard de toutes les parties et pour tous les chefs de préjudice procédant du sinistre en litige".

Bien que la solution ne soit, là encore, point nouvelle (elle confirme une solution posée en 2004) (17), elle s'inscrit dans une volonté bien comprise de ne pas permettre à l'assureur d'exciper trop aisément du bénéfice de la prescription.

La jurisprudence sait, même en dehors des principes issus de la réforme de 2008, sauvegarder un équilibre dans les rapports entre assureurs et assurés par le droit de la prescription.

Sébastien Beaugendre, Maître de conférences, Faculté de droit de Nantes, Membre de l'IRDP (Institut de Recherche en Droit Privé)

  • Les diligences attendues d'un assuré au prisme des clauses d'exclusion de garantie (Cass. civ. 2, 8 octobre 2009, n° 08-19.646, F-P+B N° Lexbase : A8810ELU)

Le contrat d'assurance est, dit-on souvent, un contrat d'extrême bonne foi. Celle-ci s'entend à chaque moment du contrat : dans sa phase précontractuelle, lors de la conclusion du contrat comme au cours de ce contrat qui, du fait de son caractère successif, nécessite de la part de l'assuré qu'il veille à ce que son contrat soit toujours "en phase" avec les circonstances évolutives de ses activités.

Celles-ci peuvent, le cas échéant, entraîner une modification du risque et influer sur l'opinion que l'assureur porte sur le risque. C'est pourquoi les dispositions de l'article L. 113-2, 3° du Code des assurances (N° Lexbase : L0061AAI) font obligation à l'assuré de déclarer, en cours de contrat, les circonstances nouvelles qui ont pour conséquence soit d'aggraver les risques, soit d'en créer de nouveaux, et rendent de ce fait inexactes ou caduques les réponses faites à l'assureur, notamment dans le formulaire de déclaration du risque.

L'omission ou la déclaration inexacte de la part de l'assuré est sanctionnée par la nullité du contrat si la mauvaise foi de l'assuré est établie (cf. C. assur., art. L. 113-8 N° Lexbase : L0064AAM), et par voie de réduction proportionnelle lorsque l'assuré est de bonne foi et que la constatation n'a lieu qu'après sinistre.

Le comportement diligent de l'assuré peut aussi avoir été envisagé par l'assureur au titre de ses conditions de garantie ou au titre des exclusions de garantie, notamment lorsque l'assuré ne respecterait pas telle ou telle mesure de prévention expressément consignée.

C'est dans un tel contexte que la décision de la Cour de cassation du 8 octobre 2009, publiée au Bulletin, vient apporter une contribution intéressante.

Sans doute ne vient-elle pas "révolutionner" le droit en la matière.

Il n'en demeure pas moins que les arrêts censurant des juges du fond dans leur interprétation de la clause d'exclusion de garantie du contrat d'assurance litigieux en procédant à une cassation pour violation de la loi ne sont pas légion.

On notera que cette censure est une cassation pour violation de la loi (et non une "simple" cassation pour manque de base légale) car les juges du fond se voient reprocher d'avoir véritablement dénaturé le contrat d'assurance, singulièrement la clause d'exclusion litigieuse, en considérant que le comportement de l'assuré l'a placé dans des circonstances répondant à la clause d'exclusion.

L'assurée est ici une société propriétaire d'une discothèque dont l'établissement a été détruit par un incendie survenu le 22 août 1995. L'élément de complication de ce dossier provient de ce que cet incendie a fait suite à deux tentatives d'incendie les 10 et 12 août 1995.

L'assureur, considérant que l'assuré n'avait pris aucune mesure consécutivement à ces tentatives pour éviter qu'un incendie ne survienne, s'est placé dans les conditions de mise en oeuvre d'une clause d'exclusion libellée comme suit : "sont toujours exclus les dommages qui résultent, sauf cas de force majeure [...] de l'insuffisance, soit d'une réparation soit d'une modification indispensable, notamment à la suite d'une précédente manifestation d'un dommage, des locaux ou installations dont l'assuré est propriétaire ou occupant, plus généralement des biens assurés".

Est-ce à dire qu'une "précédente manifestation du dommage" était survenue ?

A proprement parler non, puisque les tentatives d'incendie ne sont pas des incendies !

Les juges du fond ont toutefois considéré acquise la clause d'exclusion aux motifs que "le gérant de la société avait connaissance ou conscience d'un danger imminent de survenance d'un incendie, événement garanti, en ce que les locaux avaient fait l'objet de deux tentatives d'incendie très rapprochées ; que la société n'a accompli aucune diligence après lesdites tentatives pour accroître la surveillance de la discothèque, y compris après la fermeture ; qu'enfin, les préconisations des gendarmes qui sont intervenus sur place le 14 août, consistant dans la pose d'une barre de métal à souder sous la porte de secours pour éviter tout interstice, n'ont pas été suivies d'effet alors que si le temps pour accomplir ces travaux restait réduit dans le cadre de la semaine du 15 août, la société avait l'obligation, dans les meilleurs délais, de tout faire pour éviter la survenance d'un sinistre, y compris des travaux de sécurité non visés par le contrat d'assurance ; que la société n'a accompli aucune diligence alors qu'elle avait matériellement le temps de le faire et que la pose provisoire d'une barre ne heurtait pas les consignes de sécurité exigées par le contrat et demeurait valable le temps de régulariser la situation en requérant un spécialiste ; qu'au besoin, il était aisé à la société de contacter son assureur pour l'informer de la situation et lui demander des conseils appropriés".

Les juges du fond avaient donc déduit de l'absence de diligence de l'assuré, n'ayant accompli aucune mesure de prévention consécutivement aux "alertes" constituées par les deux tentatives d'incendie.

C'était aller un peu vite en besogne, dès lors que la clause d'exclusion litigieuse ne prévoyait pas de sanctionner une inaction de l'assuré de la sorte.

Il est particulièrement surprenant de lire que l'assuré avait l'obligation de tout faire pour éviter la survenance d'un sinistre, y compris des travaux de sécurité non visés par le contrat d'assurance.

Les juges du fond attendraient donc de l'assuré qu'il aille "plus loin" que les stipulations de son contrat d'assurance prévues au titre des mesures de protection !

Seule une lecture approfondie du contrat d'assurance litigieux permettrait de cerner si l'assureur avait ici érigé le respect de ces mesures en conditions de garantie ou le non-respect de celles-ci en clauses d'exclusion.

A lire le pourvoi annexé, il semble que les conditions spéciales dudit contrat aient visé au titre d'exclusions, "les événements dont l'assuré a sciemment facilité, aggravé, laissé faciliter ou laissé s'aggraver la survenance".

Il y aurait donc matière à discuter sur le point de savoir si la passivité de l'assuré relève d'un comportement ayant "sciemment facilité" la survenance de l'incendie.

Quelle que soit la teneur exacte du contrat, on ne peut s'empêcher de penser que les juges du fond cherchaient, peu ou prou, à accueillir la théorie anglo-saxonne de la "mitigation of losses" dite aussi "mitigation of damages". Mais c'est omettre que la Cour de cassation n'est pas favorable à une telle obligation de minimiser les pertes de son cocontractant (cf. le principe : "la victime n'est pas tenue de limiter son préjudice dans l'intérêt du responsable" énoncé par Cass. civ. 2, 19 juin 2003, deux arrêts, n° 00-22.302, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A8749C8K et n° 01-13.289, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A8763C83).

C'est surtout utiliser le droit des assurances, qui peut beaucoup mais pas "tout", en faisant produire effet à une clause d'exclusion alors que celle-ci ne semblait pas acquise, le comportement de l'assuré ne correspondant pas à une faute intentionnelle au sens du droit des assurances. Il suffit de rappeler que l'imprudence, même caractérisée, ne constitue pas une faute intentionnelle (18).

Réflexion faite, on peut se demander si, plutôt que de se placer sur le terrain de l'acquisition de la clause d'exclusion, l'assureur n'aurait pas mieux été inspiré de se placer, au moins subsidiairement, sur le terrain de la modification du contrat, par aggravation du risque, les "circonstances nouvelles" constituées par les tentatives d'incendie récurrentes ayant été de nature à modifier son opinion du risque. L'assureur aurait alors pu concentrer ses griefs sur l'attitude passive de l'assuré en discutant du point de savoir si elle confinait, ou non, à la mauvaise foi...

Sébastien Beaugendre, Maître de conférences, Faculté de droit de Nantes, Membre de l'IRDP (Institut de Recherche en Droit Privé)


(1) Cass. civ. 2, 10 juillet 2008, n° 07-12.072, Société Sogecap, FS-P+B (N° Lexbase : A6238D9W), et nos obs., L'obligation d'information de l'article L. 132-5-1 du Code des assurances : confirmation et amplification, Lexbase Hebdo n° 316 du 3 septembre 2008 - édition privée générale (N° Lexbase : N7363BGS).
(2) Cass. civ. 2, 5 octobre 2006, n° 05-16.329, F-P+B sur les premier et troisième moyens (N° Lexbase : A4986DR4) ; Cass. civ. 2, 7 mars 2006, n° 05-10.366, Société Axa courtage c/ M. F. Varagne, FS-P+B (N° Lexbase : A5091DNU), Bull. civ. II, n° 63, p. 57 et Cass. civ. 2, 7 mars 2006, n° 05-12.338, Société La Mondiale Partenaire c/ Philippe Senacq, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A4391DNX), Bull. civ. II, n° 63, p. 57 et nos obs. préc..
(3) Colloque AJAR du 9 décembre 2008 sur l'actualité en droit des assurances. Voir le site de la FFSA.
(4) Voir supra.
(5) Y. Lambert-Faivre et L. Leveneur, Le contrat d'assurance, Dalloz, 12ème éd., 2005, n° 306, p. 252 ; Lamy assurances, Le contrat par J. Kullmann, 2009, n° 2, p.7.
(6) V. Nicolas, Essai d'une nouvelle analyse du contrat d'assurance, LGDJ 1996, préf. J. Héron, n° 287 et s., p. 133 et s..
(7) Voir, historiquement : M. Grimaldi, Réflexions sur l'assurance vie et le droit patrimonial de la famille, Rép. Défr., 1994, n° 35841, p. 737 ; V. Nicolas, Essai d'une nouvelle analyse du contrat d'assurance, Thèse, dacty. 1994, LGDJ, 1996, préf. J. Héron. Puis : L. Aynès, Des arrêts politiques, Droit et patrimoine, janvier 2005, n° 133, p. 11 ; F. Leduc et Ph. Pierre, Assurance-placement : une qualification déplacée, RCA, février 2005, n° 3, p. 7 ; R. Libchaber, Rép. Défr., 2005, n° 07/05, chron. 38142, p. 607 ; A.-M. Ribeyre, Assurance-vie : le débat se déplace de l'aléa vers la prime excessive, Droit et patrimoine, janvier 2005, n° 133, p. 10. Dans le sens contraire : B. Beignier, D., 2005, p. 1905 ; H. Lécuyer, Promesses jurisprudentielles de longue vie à l'assurance-vie, J. Cl. Droit de la famille, mars 2005, chron. n° 6, p. 11.
(8) Cass. mixte, 23 novembre 2004, 4 arrêts, n° 03-13.673 (N° Lexbase : A0919DER), n° 01-13.592 (N° Lexbase : A0225DE3), n° 02-11.352 (N° Lexbase : A0235DEG) et n° 02-17.507 (N° Lexbase : A0265DEK), Bull. n° 4, p. 9.
(9) V. Nicolas, Essai d'une nouvelle analyse du contrat d'assurance, préc., n° 287 et s., p. 135 et s..
(10) Cass. civ. 2, 22 octobre 2009, 2 arrêts, n° 07-21.487, FS-P+B et n° 08-19.840, Société GAN assurances IARD, FS-P+B (N° Lexbase : A2709EMB) ; Cass. civ. 2, 8 octobre 2009, n° 08-17.151, Société Garantie mutuelle des fonctionnaires (GMF), FS-P+B (N° Lexbase : A8755ELT).
(11) En ce sens, Cass. civ. 1, 21 mars 1995, n° 91-18.360, M. Nicolas Colonna c/ Compagnie d'assurances La Populaire, Groupe des populaires d'assurances (GPA) (N° Lexbase : A0366CY9), RGAT, 1995, p. 345, note L. Mayaux, qui, s'agissant de deux polices non indivisibles ayant deux objets distincts, déclare prescrite l'action engagée contre le même assureur au titre de la seconde police ; adde Cass. civ. 1, 20 octobre 1998, n° 96-10.301, M. Marchand c/ Compagnie Elvia assurances (N° Lexbase : A3210CIQ), RGDA, 1999, p. 1997, note L. Fonlladosa.
(12) Là-dessus, cf. les observations de Julien Soubiran in Code des assurances commenté, Litec, ss dir. de B. Beignier et J.-M. Do Carmo Silva, 2009, sous art. L. 114-2, spéc., p. 142-143.
(13) cf. Cass. civ. 1, 12 janvier 1999, n° 96-16.845, Compagnie La Mondiale accident c/ Mme Rolande Béglet (N° Lexbase : A7830CRG), RGDA, 1999, p. 339, note L. Mayaux.
(14) Cf. Cass. civ. 1, 29 février 2000, n° 96-22.884, Compagnie Le Continent c/ Mme Pauline et autres (N° Lexbase : A5118AWH), Bull. civ. I, n° 61; RGDA, 2000, p. 507, note L. Mayaux ; RCA, 2000, comm. 174.
(15) Cass. civ. 1, 29 février 2000, préc..
(16) L. Mayaux, RGDA, 2000-2, p. 507.
(17) Cass. civ. 1, 27 janvier 2004, n° 01-10.748, M. Iqbal Rahim c/ Mutuelle assurance artisanale de France (MAAF), F-D (N° Lexbase : A0344DBD), RGDA, 2004, p. 397, note J. Kullmann, RCA, 2004, comm. 121.
(18) Cass. civ. 1, 24 mars 1987, n° 85-14.224, M. Tonazzo c/ Compagnie d''assurances La France (N° Lexbase : A1284AHZ), Bull. civ. I, n° 102.

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[Questions à...] Communication et marketing des cabinets d'avocats - Questions à Paola Pozzi-Dazza, Directrice de la communication et du marketing du cabinet Salans

Lecture: 8 min

N3547BMC

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par Anne Lebescond, Journaliste juridique

Le 26 Septembre 2014

Lexbase Hebdo - édition professions a choisi, cette semaine, de s'arrêter sur le thème de la publicité personnelle de l'avocat, en dressant un état des lieux de la réglementation en la matière (cf. La publicité personnelle de l'avocat - Etat des lieux, Lexbase Hebdo n° 6 du 5 novembre 2009 - édition professions N° Lexbase : N3608BML). Et, afin de passer de la théorie à la pratique, nous avons souhaité recueillir l'avis d'un professionnel de la communication et du marketing des avocats.
Paola Pozzi-Dazza est diplômée d'une grande école de commerce et de Sciences Po Paris. Elle a, d'abord, fait ses armes chez l'Oréal, puis, dans une agence de communication, avant d'aller vers la communication juridique, en rejoignant le cabinet Clifford Chance. Forte de ces expériences, elle a, depuis 2006, la responsabilité du service communication et marketing du cabinet Salans. Celle-ci a accepté de se prêter au jeu : elle nous livre son analyse des divers outils de communication laissés à la disposition des avocats et nous éclaire sur la politique de communication et de marketing de son cabinet.

Lexbase : La réglementation de la publicité personnelle de l'avocat n'a cessé de s'assouplir ces dernières années. La profession a-t-elle conscience de l'importance de la communication et du marketing ? Jusqu'où peut-on aller, selon vous, dans cette ouverture ?

Paola Pozzi-Dazza : La profession a progressivement pris conscience de l'importance de la communication et du marketing. La problématique s'est posée, dans un premier temps, pour des raisons d'efficacité, dans le cadre des appels d'offre, puis, d'un point de vue concurrentiel, avec l'implantation en France de cabinets d'avocats étrangers.

Ces activités sont, en effet, depuis toujours, parties intégrantes du mode d'exercice des cabinets anglo-saxons, structurés comme des groupes ou des entreprises. Leur arrivée sur le marché du droit français a dépoussiéré, sur bien des aspects, notre conception de l'avocature, et, notamment, sur ce point. Aujourd'hui, le secteur du droit est devenu fortement concurrentiel, imposant à chacun de réfléchir sur la nécessité de mettre en place une politique de communication et de marketing permettant une visibilité du cabinet, une fidélisation de la clientèle et une augmentation de "ses parts de marché" et, par là, de son chiffre d'affaires. Même les cabinets transactionnels (dits "de niche") intègrent, désormais, ces outils au quotidien. Le Conseil national des Barreaux et le Barreau de Paris, notamment, ont contribué à réveiller les esprits, faisant de la communication un véritable cheval de bataille.

Pour autant, la profession n'est pas encore rompue à ces méthodes et n'a pas toujours conscience des enjeux en cause. Si les structures importantes, qu'elles soient étrangères ou françaises, ont toutes attribué à la communication et au marketing une place de choix, beaucoup de cabinets de petite taille ou de taille moyenne ne sont pas au fait de la réglementation de la publicité personnelle des avocats. Demandez à des avocats s'ils sont autorisés à faire de la publicité et un certain nombre vous répondront encore que cela ne leur est pas permis, alors, pourtant, que le principe, depuis déjà plusieurs années, est l'autorisation. Ceci s'explique, en particulier, par l'idée que se font les avocats de leur déontologie et par la force de l'interdiction de la publicité, sous le régime antérieur.

Néanmoins, les mentalités évoluent et il est fort à parier que le mouvement s'intensifiera au cours des prochaines années, en dépit du contexte actuel de crise économique. Celui-ci ne doit, en effet, pas être un frein à la communication. C'est lors de telles périodes que l'avocat doit d'autant plus marquer sa différence. Toutefois, certains seront tentés de repousser ou de stopper leurs actions de communication, eu égard à leur coût et au délai d'attente pour un retour sur investissement. Miser sur la communication implique nécessairement une vision à moyen et long termes et non à brève échéance. Mais, les retombées de telles actions sont trop bénéfiques pour en faire l'économie.

Sur le point de savoir jusqu'où peut aller cette ouverture, en France, je ne prêcherai, bien entendu, pas contre ma paroisse. A mon sens, dès lors que sont préservés les intérêts des clients et que sont respectés les principes essentiels régissant la profession (notamment, sur le plan déontologique), tout doit pouvoir être envisagé. La question qui se pose n'est pas tant quoi faire, mais comment le faire.

Lexbase : Quelles questions faut-il se poser préalablement à la mise en place d'une politique de communication et de marketing au sein d'un cabinet ?

Paola Pozzi-Dazza : La mise en place d'une politique de communication et de marketing au sein d'un cabinet ne doit pas être prise à la légère et implique que soit posé, en amont, un certain nombre de questions.

L'audit de l'image du cabinet et de sa relation client est un préalable indispensable à une telle démarche. Il convient, dans ce cadre, de s'interroger sur son identité, ses valeurs, ses atouts, ses faiblesses et ses différences, ce qui permettra de dégager un discours à véhiculer, par la suite, sur les différents supports de communication. Il faut, ensuite, définir la politique que souhaite suivre l'avocat. Pour ce faire, il faut déterminer quels sont les objectifs poursuivis, les moyens pour les atteindre et le calendrier. Les associés peuvent décider seuls de leur stratégie ou recourir à des agences spécialisées. Le budget sera, bien entendu, au centre des préoccupations et impliquera, notamment, que l'on réfléchisse sur une externalisation ou une internalisation de ces fonctions de support. S'il était encore récemment inférieur à 1 % du chiffre d'affaires dans la plupart des structures, le budget moyen alloué à la publicité est, désormais, de l'ordre de 3 à 4 %.

Lexbase : Quels sont les différents outils de communication et de marketing à la disposition des avocats ?

Paola Pozzi-Dazza : Aujourd'hui, les outils de communication sont divers et variés.

Les outils de communication traditionnels (ceux utilisés a minima par la majorité des avocats) ont trait à l'identité en tant que telle du cabinet. Il s'agit, en particulier, de la plaque apposée à l'entrée du cabinet, des cartes de visite, du papier à lettre, des plaquettes de présentation et du site internet. Ces outils sont tous mentionnés et régis par l'article 10-1 du Règlement intérieur national (RIN) (N° Lexbase : L4063IP8). La réflexion sur la marque est sous-jacente à tous ces supports de communication.

Parallèlement à ces instruments classiques se sont développés de nouveaux outils, dont l'objectif est de personnaliser au mieux la relation client/avocat. Notamment, les cabinets qui ont intégré les fonctions de communication et de marketing recourent, désormais, systématiquement aux sondages, enquêtes et interviews de leurs clients, en ce qu'ils leur permettent de mettre le doigt sur leurs atouts et leurs faiblesses et, le cas échéant, de réagir rapidement et efficacement. L'avocat peut choisir de recourir à un tiers pour procéder à ces démarches, afin d'en renforcer l'objectivité. Les réunions annuelles, semestrielles, voire mensuelles, avec certains clients répondent, aussi, à cet impératif de rapprochement. Des actions pédagogiques sont mises en place au profit des clients, qui permettent à ceux-ci l'accès à la documentation juridique du cabinet, aux veilles juridiques élaborées en interne et à des formations et séminaires sur des thèmes récurrents ou d'actualité. Des outils plus avant-gardistes ont, également, émergé récemment, avec le développement des nouvelles technologies, faisant du site internet de l'avocat une plate-forme de services multiples et un lieu de rencontres et d'échanges virtuels.

Concernant les cabinets implantés dans plusieurs pays, la tendance est actuellement au business development cross-border. Cette nouvelle façon de gérer la relation client répond à un double constat : celui d'une connaissance limitée du client de l'ensemble des compétences et de la qualité de l'expertise d'un cabinet aux niveaux national et mondial et celui de l'ignorance par les avocats d'un même cabinet de l'intervention de différents bureaux sur les dossiers d'un même client. La nouvelle fonction de business developers (sorte de référents), adjointe au service communication et marketing du cabinet, a pour mission de combler ces lacunes, via une coordination des différentes actions pour un même client sur les plans international, régional et local. Le client sera orienté par ces référents, en fonction de ses besoins, vers les interlocuteurs des différents bureaux et départements du cabinet. Ceux-ci travailleront, de leur côté, en totale synergie.

Afin d'affiner leur "politique publicitaire", les marketers des cabinets adhèrent à des réseaux et clubs de réflexions (comme le Club Juristes Associés, par exemple), lieux propices aux échanges. Le succès de ces clubs -notamment, la présence croissante, aux côtés des cabinets internationaux, de cabinets de taille moyenne ou de petite taille- témoigne de l'importance croissante de la communication et du marketing pour les avocats. Enfin, la presse, notamment, la presse économique et spécialisée, ne doit pas être négligée. Elle contribue, en effet, grandement à faire connaître l'expertise des cabinets auprès des professionnels ; elle consolide et protège leur réputation. Elle permet, en outre, une valorisation du cabinet dans les annuaires juridiques, véritables outils de référence des directions juridiques.

Lexbase : Quelle place occupent la communication et le marketing chez Salans ?

Paola Pozzi-Dazza : Salans a, naturellement misé sur la communication et le marketing, fonction incontournable compte tenu de l'envergure du cabinet. Le département communication et marketing que je dirige est, actuellement, composé de trois personnes, chacune ayant ses spécialités : l'une est affectée à l'analyse du marché et au business development, l'autre est en charge des relations presse, des relations publiques et de la communication interne et, enfin, la dernière s'occupe du classement de nos avocats au sein des annuaires juridiques.

Nous utilisons, bien entendu, l'ensemble des moyens de communication que j'ai cités précédemment. Nous nous concentrons, en particulier, sur les perspectives liées aux nouvelles technologies et sur le business development. Dans ce cadre, ont été récemment mis en place pour répondre à l'accroissement des flux d'investissement :

- le Global French Desk (afin d'encourager l'expansion de notre offre "francophone")

- le German International Practice Group (réseau regroupant des avocats et des fiscalistes parlant allemand de 12 pays et proposant aux sociétés issues de pays germaniques un suivi personnalisé sur les marchés clés d'Europe, de CEI et d'Asie) ;

- et, pour répondre à l'évolution du marché chinois, le China Desk.

L'objectif de ces desks est, à chaque fois, de fournir aux clients un service sur mesure comprenant des interlocuteurs identifiés, une implantation forte et ancienne sur l'ensemble des régions concernées et une bonne connaissance du fonctionnement des sociétés locales.

Nous développons, également, tous les moyens permettant une relation client/avocat privilégiée : nous organisons, bien sûr, régulièrement des séminaires et formations et diffusons des newsletters et des client alerts ; de manière plus originale, nous utilisons également notre salle de cinéma comme vecteur de communication (salle classée depuis l'époque où l'immeuble était le siège de Pathé) et, en octobre 2008, nous avons associé nos clients à la célébration des 30 ans du cabinet autour de l'exposition sur le Futurisme au centre Georges Pompidou.

Nous favorisons, enfin, les relations avec la presse. Nous entretenons des relations privilégiées, notamment, avec le Times, La Tribune, l'Expansion, etc..

Cette politique approfondie de communication et de marketing se révèle payante : nous sommes référencés dans les annuaires juridiques (Chambers, PLC, Legal 500, etc.). Le bureau de Paris s'est vu décerner le prix de "Law Firm of the Year: France" lors des PLC Law Firm Awards 2009 (1). Cette distinction résulte de la consultation de plus de 5 500 juristes d'entreprises français et étrangers invités par PLC Which Lawyer à sélectionner le meilleur cabinet français.

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Bancaire

[Textes] Le financement des petites et moyennes entreprises

Réf. : Loi n° 2009-1255 du 19 octobre 2009, tendant à favoriser l'accès au crédit des petites et moyennes entreprises et à améliorer le fonctionnement des marchés financiers (N° Lexbase : L8707IE9)

Lecture: 18 min

N3617BMW

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par Alexandre Bordenave, Avocat au Barreau des Hauts-de-Seine, chargé d'enseignement à l'ENS Cachan

Le 07 Octobre 2010

Au panthéon des textes de droit fédéral des Etats-Unis figure sans conteste le Small Business Act du 30 juillet 1953. Témoignage juridique de la foi durable que la culture américaine met dans le mythe du "self made man", sa section 202 déclare : "le Gouvernement doit aider, conseiller et protéger dans toute la mesure du possible les intérêts de la petite entreprise, afin de préserver l'esprit de libre concurrence [...] et de maintenir en la renforçant l'économie de la Nation dans son ensemble" (1). La vocation de cette loi-cadre est de favoriser l'essor de la petite et moyenne entreprise (PME) au travers des principales réalisations suivantes : création de la Small Business Administration, préférence donnée aux PME nationales pour une partie des marchés publics, ou octroi de garanties publiques pour faciliter l'accès aux financements bancaires. Inspirée de longue date par la démarche, la Commission européenne a fini par publier le 25 juin 2008 une communication intitulée "Think Small First : Priorité aux PME - Un Small Business Act pour l'Europe" (2) proposant l'adoption d'un nouveau Règlement général d'exemption par catégorie portant sur les aides d'Etat favorables aux PME et l'introduction de la société privée européenne qui devrait permettre de créer une société sous une forme unique dans toute l'Union européenne. L'initiative n'est pas la première du genre : auparavant, les bonnes fées communautaires s'étaient déjà penchées sur le berceau des PME en soulignant "le rôle capital des PME dans la stimulation de la croissance et de l'emploi" et en plaidant pour une "politique moderne des PME" (3).

En France, de nombreuses études s'accordent sur le fait que l'absence d'un équivalent au mittlestand allemand (4) emporte des conséquences dommageables sur l'économie nationale (5). Très récemment, un rapport du Conseil d'analyse économique a contribué à recentrer la réflexion autour du cas spécifique d'une des clés de la croissance des PME : leur financement. La loi n° 2009-1255 du 19 octobre 2009, tendant à favoriser l'accès au crédit des petites et moyennes entreprises et à améliorer le fonctionnement des marchés financiers (ci-après la loi de 2009), entend apporter une réponse juridique (et politique) à cette question (6).

La loi de 2009 n'a rien d'une révolution copernicienne : plutôt vient-elle compléter, préciser et renforcer des dispositions législatives présentes dans notre ordre juridique depuis plusieurs années. Après tout, la loi n° 2005-882 du 2 août 2005, en faveur des petites et moyennes entreprises (N° Lexbase : L7582HEK), entendait déjà "faciliter le financement des projets" des PME (7) ! D'ailleurs, au niveau national, l'appétence pour les mesures dans cette direction s'accélère : quelques semaines avant la loi de 2009, la loi n° 2009-122 du 4 février 2009, de finances rectificative pour 2009 (N° Lexbase : L7222ICH), avait introduit des dispositions ayant pour objet le renforcement des dispositifs de garantie afin d'offrir plus de prêts aux entreprises et le remboursement par anticipation des créances des entreprises sur l'Etat pour soulager la trésorerie des PME.

La loi de 2009 offre une bonne occasion de dresser un bilan général du droit français du financement des PME. Dans le prolongement des textes précédents consacrés à cette cause, et au-delà des mesures purement conjoncturelles (que nous n'évoquerons pas plus amplement ici), la loi de 2009 laisse apparaître une stratégie législative à double détente : il faut consolider les sources de financement dont bénéficient les PME (I) et diversifier ces mêmes sources (II).

I - La consolidation des sources de financement des petites et moyennes entreprises

Le rapport du Conseil d'analyse économique précité en fait état dès ses premières pages : historiquement, les entreprises françaises ont privilégié le recours à l'endettement par rapport aux fonds propres (8). Le travers vaut également pour les PME, les banques restant "sans surprise les principaux acteurs concernés" (9) en la matière. Sans surprise, ce sont donc, d'abord, les financements bancaires que le législateur souhaite pérenniser en recherchant une transparence maximale dans la relation de crédit (A) et en s'assurant des conditions de l'équilibre de ladite relation (B).

A - La transparence de la relation de crédit

Cédant à la plus belle des sirènes juridiques de notre temps, déjà très présente en matière de droit bancaire et financier (10), la loi de 2009 vante les mérites de la transparence : elle doit présider en matière d'appréciation du risque de crédit de la PME par les établissements de crédit et les assureurs-crédit. Sur cette appréciation, repose une grande partie de l'octroi, mais aussi des conditions, des financements bancaires et de leur pérennité pour les PME.

1 - La transparence imposée aux établissements de crédit

La loi de 2009 s'était assignée comme principal objectif de "donner aux entrepreneurs une meilleure visibilité sur les conditions qui entourent l'octroi des concours bancaires" (11). Deux de ses dispositions y participent.

Tout d'abord, les établissements de crédit peuvent se voir contraints à fournir aux entreprises emprunteuses les raisons de l'éventuelle rupture des concours à durée indéterminée, autres qu'occasionnels, dont elles bénéficient (C. mon. fin., art. L. 313-12, al. 1er N° Lexbase : L8719IEN). Après tout, puisque notre système juridique est familier de la théorie de la rupture abusive de crédit (12), il n'y a rien d'étonnant à cela. Cette nouvelle obligation expresse souffre d'exceptions issues des "dispositions légales applicables" (au rang desquelles, par exemple, les contraintes liées aux obligations déclaratives de l'article L. 561-19 du Code monétaire et financier N° Lexbase : L7130IC3).

Ensuite, de la même manière, les établissements de crédit peuvent désormais avoir à communiquer aux entreprises candidates à l'emprunt "une explication sur les éléments ayant conduit aux décisions de notation les concernant" (C. mon. fin., art. L. 313-12-1 N° Lexbase : L8732IE7). C'est une erreur que d'associer exclusivement la notation financière aux agences de notation. Ce serait négliger l'existence des systèmes de notation parapublics, tels le FIBEN (13), et des systèmes de notation internes aux établissements de crédit. En France, ces systèmes internes sont réglementés par les dispositions de l'arrêté du 20 février 2007 (14) ; ce sont les résultats des évaluations produites au moyen de ces systèmes internes que les établissements de crédit devront révéler aux entreprises. Faudra-t-il assortir cette communication d'éléments pédagogiques sur la méthodologie de notation interne ? Sur l'épistémologie de l'approche foundation et de l'approche advanced ? Le nouvel article L. 313-12-1 ne l'impose pas, mais (15) en toute rigueur cela devrait s'avérer nécessaire pour que la PME informée le soit en connaissance de cause.

En résumé : l'entreprise a droit d'obtenir des explications sur le mauvais sort qui lui est réservé par sa ou ses banques. Faut-il en déduire que ce n'était pas le cas jusqu'alors ? Permettons-nous d'en douter. L'intérêt des dispositions nouvelles est d'insister sur une exigence de bon sens, portant sur des informations certainement plus cruciales pour les PME qui s'appuient plus systématiquement sur le système bancaire que d'autres entreprises (16).

Pour ménager la chèvre et le chou, et mû par un souci de cohérence, le législateur a choisi de n'imposer la transmission de l'ensemble des informations décrites plus haut que sur demande de l'entreprise et uniquement à destination de celle-ci (17). Parce qu'il ne faudrait pas que l'information sur la mauvaise santé conjoncturelle ou chronique d'une entreprise lui nuise outre mesure, les établissements de crédit sont appelés, en effet, à la discrétion sur ces éléments : ils ne pourront être ni demandés par les tiers, ni communiqués à un tiers (18). Extension du secret bancaire ou simple obligation de confidentialité (19) ? Un peu des deux, sans doute.

2 - La transparence imposée aux assureurs-crédit

L'assurance-crédit est une opération d'assurance (20) permettant à une entreprise commerciale de se garantir auprès d'une compagnie d'assurances contre le risque normal de défaut de ses débiteurs au titre des créances détenues sur ces derniers (21). Les assureurs-crédit sont des partenaires de grande importance des entreprises : non seulement ils les prémunissent contre les sinistres générés par leurs mésaventures commerciales, mais en plus leur soutien représente un atout majeur dans l'obtention de concours bancaires puisqu'il assure les ressources financières nécessaires au remboursement des financements consentis. L'importance des assureurs-crédit est, également, mise en évidence par l'économie des opérations d'affacturage, dont la documentation contractuelle stipule fréquemment parmi les critères d'éligibilité des créances la couverture par une police d'assurance crédit.

Au printemps 2009, les assureurs-crédits (22) ont été pointés du doigt par les pouvoirs publics au nom du fait qu'ils se désengageraient trop massivement et trop rapidement de leurs engagements en période de crise. Dans le souci d'y pallier, plusieurs mesures ont été prises : en particulier, c'est l'oeuvre du décret n° 2009-527 du 12 mai 2009 (décret portant modalités d'application de l'article 21 de la loi n° 2009-431 du 20 avril 2009 de finances rectificative pour 2009 instituant le Fonds de sécurisation du crédit interentreprises N° Lexbase : L1650IET) instaurant les garanties CAP et CAP+ qui permettent de compléter, via la Caisse centrale de réassurance, les garanties accordées par les assureurs-crédit. La loi de 2009, dans son article 6, ajoute sa pierre à l'édifice en insérant dans le Code des assurances un article L. 113-4-1 (N° Lexbase : L8733IE8) exigeant de tout assureur-crédit "qui renonce à garantir les créances détenues par son assuré sur un client de ce dernier" qu'il motive sa décision. L'esprit du texte est le même que celui qui anime les nouvelles dispositions des articles L. 313-12 et L. 313-12-1 (que nous avons décrites plus avant). D'ailleurs, comme pour ces dernières, l'explication n'est due que pour autant qu'elle soit requise. Toutefois, rien n'est prévu en matière de confidentialité...

En quoi ces mesures bénéficieront-elles aux PME ? Au moins parce qu'elles sollicitent souvent les banques (le leitmotiv de cette chronique...) et que l'assurance-crédit présente des liens réels avec le financement bancaire. En revanche, les derniers chiffres disponibles indiquent que les entreprises françaises de 6 à 500 salariés n'utilisent que très peu les services des assureurs-crédit (23) ; l'effet pourrait être limité.

Plus généralement, la circonspection est de mise quant à l'impact de l'exigence de transparence. Elle doit permettre aux PME de savoir pourquoi le soutien d'un institutionnel du financement leur est retiré. Evidemment, cette discipline est appréciable mais elle n'assure pas nécessairement qu'à défaut de pouvoir donner une motivation recevable, les établissements de crédit et les assureurs-crédits maintiendront leur soutien. La vérité, c'est que les établissements de crédit et les assureurs-crédit ont généralement des raisons tout à fait valables pour stopper leurs concours. Ce que le législateur semble avoir en point de mire, c'est un "échange constructif" (24) : les explications doivent donc permettre à la PME de réagir et de corriger les défauts structurels ou conjoncturels qu'on lui reproche. Permettons-nous d'être sceptique : les réformes prennent parfois du temps, et l'exigence de financement ne le tolère pas toujours.

B - L'équilibre de la relation de crédit

Sans doute y a-t-il quelque chose de vain à vouloir faire en sorte que la relation entre une PME et sa banque soit équilibrée : souvent, la réalité économique parle autrement. Pourtant le législateur s'y emploie, sensible aux conditions de la prise de risque et de la rupture de la relation de crédit.

1 - L'équilibre dans la prise de risque

Entreprises moins structurées, parfois désireuses d'investir dans des projets fortement innovants (25), les PME sont souvent perçues par les établissements de crédit comme des emprunteurs à profil risqué. Pour équilibrer la prise de risque et, partant, l'encourager au niveau bancaire, le législateur a pris deux initiatives dans la loi n° 2003-721 du 1er août 2003, pour l'initiative économique (N° Lexbase : L3557BLC), et dans la loi n° 2005-882.

Tout d'abord, il a exclu du champ d'application des règles de l'usure les "prêts accordés à une personne physique agissant pour ses besoins professionnels ou à une personne morale se livrant à une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou professionnelle non commerciale" (C. consom., art. L. 313-3, al. 4 N° Lexbase : L1519HI4). Autrement dit, la quasi-totalité des prêts (26) aux entreprises (quelle que soit leur forme juridique (27)) n'est plus sous la contrainte de la restriction tarifaire du taux usuraire. Cela doit permettre la fixation de taux d'intérêt reflétant mieux le risque pris par l'établissement de crédit dans l'opération. Des enquêtes mettent en évidence que cette réforme a permis l'augmentation des "premiers crédits" accordés à de jeunes entreprises sans pour autant accroître le risque de défaillances des PME (28).

Ensuite, il a éténdu le régime des prêts participatifs aux entreprises individuelles (29), ce qui permet d'associer étroitement et de manière équilibrée des acteurs bancaires ou (non bancaires (30)) à la réussite d'une entreprise sans être aucunement limité par les règles concernant l'usure (C. mon. fin., art. L. 313-17 N° Lexbase : L8015HBH) (31).

Ces deux corps de règles permettent assurément une meilleure rémunération du risque pris par les établissements de crédit dans leurs opérations avec les PME : un double-pas en direction d'une relation équilibrée au profit de la banque, mais qui profite, par voie de conséquence, à l'entreprise.

2 - L'équilibre de la rupture de la relation de crédit

Nous avons précédemment fait référence à l'article L. 313-12 du Code monétaire et financier, consécration légale de la théorie de la rupture abusive de crédit. Jusqu'à présent, cet article prévoyait que tout concours à durée indéterminée (autre qu'occasionnel) consenti par un établissement de crédit à une entreprise ne peut être réduit ou interrompu qu'à l'expiration d'un délai de préavis fixé par décret. Issu dudit décret (32), l'article D. 313-14-1 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L3725HG3) fixait ce délai à soixante jours.

Encore une fois : grandes consommatrices du crédit bancaire (qu'elles utilisent notamment pour financer des actifs circulants non couverts par leur fonds de roulement), les PME sont particulièrement sensibles à de tels garde-fous légaux (33). Alerté par la CGPME (34) du fait que le délai moyen observé en pratique était de quinze jours, le législateur a profité de la loi de 2009 (art. 1er) pour modifier l'article L. 313-12 du Code monétaire et financier afin de "relever au niveau législatif" (35) le délai minimal de préavis de soixante jours. La démarche est faiblement convaincante : certes, le normativisme kelsénien inféode le décret à la loi... mais rien ne fait pour autant du premier un instrument juridique moins contraignant par principe.

Etait-il possible d'aller plus loin ? Entre autres choses : aurait-il été possible d'étendre les dispositions de l'article L. 313-12 du Code monétaire et financier aux autorisations de découvert accordées tacitement (36) ? Sans doute pas, au risque de rigidifier les relations banques-PME. Donnons acte au législateur que la consolidation législative du préavis de soixante jours tend peu ou prou à une "pérennisation à court terme" (le délai de préavis), sans trop de heurts, de ces relations apparemment rééquilibrées.

Consolider les financements bancaires des PME est certes indispensable, mais pas suffisant : on s'accorde généralement pour dire que, s'agissant des PME françaises, la faible diversification des sources de financement est un obstacle majeur de leur développement. Y remédier impose de faire plus que renforcer les sanctions applicables aux établissements de crédit qui manqueraient à leur obligation d'emploi des fonds collectés sur les livrets A et livrets de développement durable non centralisés à la Caisse des dépôts et consignations (loi de 2009, art. 4). D'ailleurs, le législateur a choisi de s'atteler plus amplement à ce chantier.

II - La diversification des sources de financement des petites et moyennes entreprises

Les PME n'exploitent que de manière lacunaire les vertus du recul du schéma d'intermédiation bancaire (37). Les concernant, l'intensification des financements sur fonds propres (A) et du recours aux marchés financiers (B) paraissent des pistes envisageables, susceptibles de favoriser leur essor en s'appuyant sur des financements diversifiés.

A - L'encouragement au financement en fonds propres

Les fonds (ou capitaux) propres sont des ressources financières pérennes de l'entreprise : pour l'essentiel, ils englobent le capital social (38), les bénéfices non-distribués et le quasi capital. Il est donc encore possible de distinguer dans le développement des ressources en capitaux et celles sous forme de dettes subordonnées.

1 - Le recours au capital-investissement

Les investissements en capitaux dans une PME (39) correspondent fréquemment à la figure économique du capital-investissement. Le capital-investissement (ou venture capital) est une activité qui consiste pour un investisseur à participer au capital d'une société, généralement non cotée. C'est l'affaire des business angels : mécaniquement, il concerne au premier chef les PME à la recherche de soutiens financiers durables pour leurs projets de développement.

Le droit français reconnaît un certain nombre d'acteurs spécifiques au capital-investissement. Il n'est pas possible ici de consacrer des développements importants au régime applicable à chacun de ces acteurs (40) ; aussi se contentera-t-on de les citer.

D'une part, existent des fonds communs de placement propres à la démarche du capital investissement. Il s'agit des fonds communs de placement à risques (FCPR) (C. mon. fin., art. L. 214-36 N° Lexbase : L2242IBN et s.) -investis pour au moins 50 % en titres participatifs et non cotés- et des fonds communs de placement dans l'innovation (FCPI) (C. mon. fin., art. L. 214-41 N° Lexbase : L5469ICK) -qui sont des FCPR dont 60 % au moins sont investis dans le capital de sociétés innovantes-. Si les FCPR et les FCPI sont relativement anciens (41), le fonds d'investissement de proximité (FIP) (C. mon. fin., art. L. 214-41-1 N° Lexbase : L5468ICI) est une création plus récente puisqu'il ne remonte qu'à la loi n° 2003-721 du 1er août 2003 : dans les grandes lignes, les FIP sont des FCPR investis pour 60 % au moins dans des sociétés qui exercent leur activité au sein d'une zone géographique restreinte et dont 10 % desdits 60 % sont consacrés à des entreprises "exerçant leur activité ou juridiquement constituées depuis moins de cinq ans". Certains FCPR dits "FCPR fiscaux", les FCPI et les FIP offrent à leurs investisseurs le bénéfice d'avantages fiscaux.

D'autre part, sont consacrées des sociétés de capital-risque (lato sensu). Il s'agit de sociétés de droit commun auxquelles est attaché un régime fiscal de faveur tant pour leurs actionnaires que pour elles-mêmes parce qu'elles financent les PME. Il s'agit historiquement des sociétés financières d'innovation (42) et des sociétés de développement régional (43) -point de départ du capital-investissement à la française- ; mais aussi, des sociétés de capital risque (44) (stricto sensu) et des sociétés unipersonnelles d'investissement à risque (45) -véritables business angels à la française-.

Le droit français est donc plutôt bien équipé en matière de capital-investissement, ce qui contribue certainement à expliquer que la France est le deuxième pays d'Europe en la matière. L'efficacité des dispositifs existants pourrait peut-être profiter du renforcement de certaines dispositions fiscales favorables, ce qui a commencé à être fait récemment avec la loi n° 2007-1223 du 21 août 2007, en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat (N° Lexbase : L2417HY8) (46).

2 - Le recours à la dette subordonnée

La dette subordonnée permet de renforcer les fonds propres d'une société, en ce qu'elle constitue une ressource extrêmement stable (47) puisque son principe est de n'être remboursable qu'après désintéressement de l'ensemble des créanciers de la société. En droit français, elle prend deux formes principales :

- les prêts participatifs de l'article L. 313-13 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L7977HB3) ;

- et les titres subordonnés de l'article L. 228-97 du Code de commerce (N° Lexbase : L8340GQX).

Précédemment, nous avons exposé que les PME pouvaient bénéficier de prêts participatifs ; elles peuvent également être émettrices de titres subordonnés dans les conditions prévues par l'article L. 228-39 du Code de commerce (N° Lexbase : L6214AIY). Ces financements s'inscrivent dans leurs fonds propres, leur faisant profiter de leurs qualités de pérennité et d'équité.

B - L'encouragement au financement via les marchés financiers

Ici aussi, nul besoin de faire le départ entre le financement en capital et le financement par la dette : les marchés financiers permettent de trouver des investisseurs dans les deux poches de liquidités. La loi de 2009 souhaitait ouvrir cette source de financement aux PME en facilitant le recours à Alternext et à la finance islamique ; les essais ont été inégalement transformés.

1 - Le recours bienvenu à Alternext

A l'occasion de l'examen en commission des finances de la proposition ayant accouché de la loi de 2009, l'Assemblée nationale a introduit trois articles visant à faciliter le transfert de la cotation de certaines PME d'Euronext vers Alternext.

Créé en 2005 (48), et inspiré de l'Alternative Investment Market britannique mis en place dix ans plus tôt, Alternext est destiné à offrir une alternative aux PME désireuses d'accéder aux marchés financiers sans avoir les moyens matériels et humains adéquats pour se conformer aux conditions d'accès à un marché réglementé (tel Euronext). Car Alternext n'est pas un marché réglementé au sens de l'article L. 421-1 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L2994HZW), mais un simple marché organisé par Euronext.

Dans un contexte économique troublé, pour éviter que certaines entreprises ne se retirent purement et simplement de la cote, se privant ainsi d'une source de financement à part entière, le législateur a voulu assouplir les conditions de transfert entre Euronext et Alternext en instituant une procédure simplifiée de retrait suivie d'une admission sur Alternext (loi de 2009, art. 11 à 13). Les principales règles introduites sont les suivantes :

- le transfert ne peut intervenir qu'à la triple condition que le public en ait été préalablement informé (C. mon. fin., art. L. 421-14, V al. 1er N° Lexbase : L5537IC3), que la décision ait été prise par l'assemblée générale (49) des actionnaires de l'émetteur (id., al. 2) et que la capitalisation de la société en cause soit inférieur à un milliard d'euros (id., al. 3)... ce qui devrait être le cas en matière de PME ! ;

- une fois le transfert acquis, les obligations déclaratives de franchissement de seuils perdurent pendant trois ans (C. mon. fin., art. L. 233-7-1 N° Lexbase : L8725IEU). Il en va de même pour l'application des dispositions du régime des offres publiques (C. mon. fin., art. L. 433-5 N° Lexbase : L8728IEY). Il s'agit de s'assurer que le transfert sur Alternext n'a pas pour objet de s'exonérer du respect de certaines des règles cardinales du droit des marchés financiers.

L'effort est louable, même s'il ne va pas aussi loin que les recommandations du rapport du Conseil d'analyse économique précité qui suggéraient (en particulier) des dispenses de prospectus pour les offres de faible importance (50).

2 - L'appel maladroit à la finance islamique

Concernant la loi de 2009, le Sénat avait introduit dans le texte voté par l'Assemblée nationale en première lecture un amendement (art. 16) modifiant l'article 2011 du Code civil (N° Lexbase : L6507HWW) pour y préciser que "le fiduciaire exerce la propriété fiduciaire des actifs figurant dans le patrimoine du fiduciaire, au profit du ou des bénéficiaires". Objectif affiché : "permettre l'émission d'instruments financiers conformes aux principes de la finance islamique, en particulier des suku" (peu ou prou, les obligations islamiques) (51).

A l'évidence, comme un auteur très en verve a pu le faire remarquer, la précision était inutile -car notre droit "connaît et pratique la propriété avec charge"- et juridiquement dangereuse -qu'est-ce que la "propriété fiduciaire des actifs" ?- (52) Pourtant, les débats parlementaires en commission ne se sont pas tant concentrés sur ces questions de technique juridique que sur la compatibilité de cette disposition avec le principe constitutionnel de laïcité.

Toujours est-il que ceux qui ont saisi le Conseil constitutionnel au sujet de l'article précité ont été plus habiles que ceux dont les propos tenus en commission sont révélateurs de leur faible connaissance de la finance islamique (53). Non, ce n'est pas au nom du principe de laïcité que le Conseil constitutionnel a été saisi, mais pour motif que l'article 45 de la Constitution (N° Lexbase : L1306A9A) exigeant un lien entre les amendements déposés et le texte initial n'avait pas été respecté. Donnant raison aux parlementaires saisissants, le Conseil constitutionnel a déclaré contraire à la Constitution l'article 16 de la loi de 2009 compte tenu du fait qu'il ne présentait "aucun lien, même indirect, avec celles qui figuraient dans la proposition de loi" (54).

Certes, la finance islamique peut sans doute profiter aux PME, dont les activités sont souvent halal. Assurer et assumer le développement en France de cette finance alternative nécessitera, toutefois, plus qu'un obscur cavalier législatif.

Sur un plan similaire au revers technique subi par les partisans de la finance islamique, il faut citer l'abandon de l'article de la proposition de loi qui imposait que 2 % au minimum du total des encours des contrats d'assurance-vie en actions soient investis dans le capital de PME (55). Au final, on concèdera que c'est symptomatique du caractère en retrait de la loi de 2009 par rapport à ce qu'elle aurait pu être. Il n'en reste pas moins qu'elle contribue à enrichir le terreau déjà fertile qu'est le droit français en matière de financement des PME. Certes, il existe bien des suggestions pour faire encore mieux, telle la suppression du super-privilège de l'AGS (56). Spontanément, notre faveur irait plus volontiers vers les propositions relatives à la sortie de l'affacturage du champ du monopole bancaire, ne serait-ce que parce que qualifier une cession de créances non échues d'opération de crédit est parfaitement contestable (57). Une telle libéralisation (qui pourrait, évidemment, s'entourer de précautions) de cette technique de gestion du poste client profiterait sans doute aux PME. Ou alors, il faudrait redécouvrir puis chanter les vertus de la titrisation, qui valorise aussi le poste client, en appuyant l'émergence de nouvelles plateformes dédiées aux PME. Ainsi, peut-être, pointe à l'horizon une raison supplémentaire de raviver la foi en un mode de financement mis à l'index avec facilité. Une posture de partisan du développement des PME pourrait le justifier ; tout se trouve lié : "il faut beaucoup de naïveté ou de mauvaise foi pour penser que les hommes choisissent leurs croyances indépendamment de leur condition" (58).


(1) Cité et traduit par F. Grignon, Aider les PME : L'exemple américain, Sénat, rapport d'information n° 374, 1996/1997.
(2) Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, Comité économique et social européen et au Comité des régions (COM(2008) 394 final).
(3) Le rôle capital des petites et moyennes entreprises dans la stimulation de la croissance et de l'emploi - Une révision à mi-parcours de la politique moderne des PME, communication de la Commission au Conseil, au Parlement européen, Comité économique et social Européen et au Comité des Régions (COM(2007) 592 final du 4 octobre 2007). Le droit communautaire définit les PME comme des entreprises de moins de 250 salariés et dont le chiffre d'affaires annuel n'excède pas 50 millions d'euros ou dont le total du bilan annuel n'excède pas 43 millions d'euros (Règlement 70/2001 CE de la Commission du 12 janvier 2001 concernant l'application des articles 87 et 88 du traité CE aux aides d'Etat en faveur des petites et moyennes entreprises, annexe I, art. 1 N° Lexbase : L1557DPD).
(4) Le coussin de PME allemande du tissu économique allemand
(5) J.-P Betbeze et C. Saint-Etienne, Une Stratégie PME pour la France, Rapport du Conseil d'analyse économique, 2006.
(6) Du moins, c'est son principal objet : elle inclut également un alignement du régime des dates de valeur des chèques sur celui mis en place par l'ordonnance n° 2009-866 du 15 juillet 2009, relative aux conditions régissant la fourniture de services de paiement et portant création des établissements de paiement (N° Lexbase : L4658IEA), pour les instruments de paiement (art. 17) (cf. nos obs., Aperçu du nouveau dispositif normatif relatif aux activités de paiement en France Lexbase Hebdo n° 365 du 1er octobre 2009 - édition privée générale N° Lexbase : N9413BL9) et une augmentation de la participation de la France aux ressources du FMI à la suite des décisions prises lors du sommet du G 20 du 2 avril 2009 (art. 19).
(7) Discours de présentation de la loi en faveur des petites et moyennes entreprises de Renaud Dutreil devant le Sénat, 13 juin 2005.
(8) Rapport du Conseil d'analyse économique, Le Financement des PME, p. 7.
(9) Rapport de Chantal Brunel fait au nom de la Commission des finances, de l'économie générale et du plan sur la proposition de loi tendant à favoriser l'accès au crédit des petites et moyennes entreprises, n° 1516, p. 12.
(10) Le devoir de mise en garde du banquier dispensateur de crédit, très en vogue, n'en est-il pas une bonne manifestation ?
(11) Rapport n° 1516, op. cit., p. 13.
(12) A propos de laquelle : Y. Guyon, La rupture abusive de crédit, Revue de droit bancaire et financier, novembre décembre 2002, p. 369 et s..
(13) Il s'agit du fichier bancaire des entreprises, administré depuis 1982 par la Banque de France. A partir d'informations collectées auprès des entreprises, des établissements de crédit et des greffes de tribunaux de commerce, la Banque de France attribue une cote reflétant la capacité des entreprises à honorer leurs engagements financiers à un horizon de trois ans. Le FIBEN a permis à la Banque de France d'être inscrite sur la liste communautaire des organismes externes évaluateurs de crédit (OEEC).
(14) Arrêté du 20 février 2007, modifiant les règlements du Comité de la réglementation bancaire n° 90-02, n° 90-15, n° 91-05, n° 92-12, n° 93-05 et n° 95-02 (N° Lexbase : L5431HUP). Cet arrêté est issu de la transposition de la Directive 2006/48/CE du 14 juin 2006, concernant l'accès à l'activité des établissements de crédit et son exercice (N° Lexbase : L1385HKI). Les systèmes de notation interne ont fait l'objet de développements dans un précédent commentaire : cf., nos obs., Premières modifications de la directive "Fonds Propres" à la suite de la crise financière, Lexbase Hebdo n° 352 du 28 mai 2009 - édition privée générale (N° Lexbase : N4483BKA).
(15) Même si, à l'évidence, ce n'est pas ce qui est recherché par le législateur.
(16) Et souvent sur un faible nombre de banques, voire une seule : Le Financement des PME, op. cit., p. 50 et s..
(17) C. mon. fin., art. L. 313-12, al. 1er (N° Lexbase : L8719IEN), in fine pour les retraits de concours bancaire et C. mon. fin., art. L. 313-12-1 (N° Lexbase : L8732IE7) pour les explications sur la notation financière.
(18) Idem.
(19) Celle à laquelle fait référence J. Lasserre-Capdeville, Le secret bancaire en 2009 : un principe en voie de disparition, D., 2009, p. 165.
(20) Même si l'article L. 111-1 du Code des assurances (N° Lexbase : L8727IEX) l'exclut du champ d'application des textes gouvernant le contrat d'assurance.
(21) Qui (généralement) doivent également être des entreprises commerciales.
(22) Pour mémoire, citons les principaux acteurs de ce marché en France : SFAC, COFACE, ATRADIUS...
(23) Seulement 18 % d'entre elles : Le Financement des PME, op. cit., p. 75. De facto, ces entreprises sont des PME (même si la définition communautaire -voir note 3 supra- est plus restrictive).
(24) La proposition de loi l'évoquait : op. cit., p. 23.
(25) Ne perdons pas de vue que les start-up sont des PME.
(26) A l'exception notable des découverts en compte (C. mon. fin., art. L. 313-5-1 N° Lexbase : L7975HBY).
(27) Il faut ici (comme pour l'ensemble de cet article, d'ailleurs) entendre l'entreprise dans le sens proposé par la Cour de justice des Communautés européennes : "toute entité exerçant une activité économique, indépendamment du statut juridique de cette entité et de son mode de financement et que, d' autre part, l' activité de placement est une activité économique" (CJCE, 23 avril 1991, aff. C-41/90, Klaus Höfner et Fritz Elser contre Macrotron GmbH N° Lexbase : A0092AWC, p. I-01979).
(28) Par exemple, D. Garbrielli, M. Housni-Fellah, V. Oung, Les incidences de la réforme de l'usure sur les modalités de financement des petites et moyennes entreprises, Rapport au Parlement. Résumé disponible dans le Bulletin de la Banque de France, n° 157, janvier 2007.
(29) Sans que cette opération n'emporte "par elle-même, constitution d'une société entre les parties au contrat" (C. mon. fin., art. L. 313-13, al. 2 N° Lexbase : L7977HB3).
(30) Les "prêteurs participatifs" sont les établissements de crédit, les sociétés commerciales, certains établissements publics, les sociétés et mutuelles d'assurance, certaines associations sans but lucratif et certaines mutuelles et unions (C. mon. fin., art. L. 313-13, al. 1er).
(31) Le prêt participatif présente trois caractéristiques principales : sa rémunération peut être indexée sur toute ou partie des performances financières de l'emprunteur (C. mon . fin., art. L. 313-17 N° Lexbase : L8015HBH), il ne peut être remboursé qu'après désintéressement complet de tous les créanciers privilégiés ou chirographaires de l'emprunteur (C. mon. fin., art. L. 313-15 N° Lexbase : L7979HB7) et est inscrit parmi les fonds propres de ce dernier (C. mon. fin., art. L. 313-14 N° Lexbase : L7978HB4).
(32) En l'occurrence, le décret n° 2005-1743 du 30 décembre 2005, portant application de l'article L. 313-12 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L6443HED).
(33) Même si l'ensemble des entreprises en sont les bénéficiaires.
(34) Confédération Générale des Petites et Moyennes Entreprises, syndicat regroupant environ 1,5 million de PME.
(35) Rapport n° 442 (2008-2009) de M. Philippe Marini, fait au nom de la Commission des finances, déposé le 27 mai 2009, sur la proposition de loi tendant à favoriser l'accès au crédit des petites et moyennes entreprises, p. 10.
(36) Car il faut noter que le champ d'application de la théorie de la rupture abusive de crédit n'est pas clairement déterminé. D'aucuns pensent qu'il ne se limite pas au seul cas des crédits d'exploitation. En ce sens, voir Th. Bonneau, Droit bancaire, Montchrestien, 8ème éd., 2009, n° 695 : "Il nous semble seulement que les motifs de révocation autres que ceux visés à l'alinéa 2 de l'article L. 313-12 et qui seraient prévus par une clause résolutoire ou qui justifieraient une demande de résolution judiciaire ne peuvent permettre la rupture du concours que si la banque a respecté un délai de préavis". Une nouvelle rédaction de l'article L. 313-12 du Code monétaire et financier aurait pu contribuer à simplifier le débat.
(37) Cf. Le Financement des PME, op. cit., p. 50. Certains préfèrent y voir une "nouvelle intermédiation" (cf. Z. Sekfali, Droit des financements structurés, Revue Banque Edition, 1ère éd., 2004).
(38) Nos développements ne concernent donc ici que les PME constituées sous forme de société.
(39) En laissant ici de côté ceux des entrepreneurs fondateurs.
(40) L'excellent ouvrage de F.-D. Poitrinal le fait : Le Capital-investissement -, Guide juridique et fiscal, Revue Banque Editeur, 3ème édition, 2007.
(41) Ils ont été créés respectivement par la loi n° 83-1 du 3 janvier 1983, sur le développement de l'investissement et la protection de l'épargne (N° Lexbase : L9111AGK), et par la loi n° 96-1181 du 30 décembre 1996, de finances pour 1997 (N° Lexbase : L2058A4Y).
(42) Loi n° 72-650 du 11 juillet 1972 portant diverses dispositions d'ordre économique et financier (N° Lexbase : L2604DY4)
(43) Décret n° 55-876 du 30 juin 1955, relatif aux sociétés de développement régional (N° Lexbase : L6053A3L).
(44) Loi n° 85-695 du 11 juillet 1985, portant diverses dispositions d'ordre économique et financier (N° Lexbase : L9116AGQ).
(45) Loi n° 2003-1311 du 30 décembre 2003, de finances pour 2004 (N° Lexbase : L6348DM3).
(46) Loi dont l'article 16 prévoit des réductions d'ISF en contrepartie de souscriptions au capital d'une PME ou de parts de fonds d'investissement de proximité.
(47) D'ailleurs, les accords de Bâle invitent à la traiter comme des fonds propres à part entière.
(48) Voir J.-B. Lenhof, Alternext, marché organisé : vers un nouveau syndrome du "hors cote" ?, Lexbase Hebdo n° 175 du 7 juillet 2005 - édition affaires (N° Lexbase : N6336AII).
(49) Ordinaire, il faut comprendre.
(50) Le Financement des PME, op. cit., p. 46.
(51) Rapport n° 442 (2008-2009) de Ph. Marini, préc..
(52) J. Charlin , Fiducie, sukuk et autre murabaha ou ijara - A propos de la finance islamique, JCP éd. E, 2009, n° 1946, n° 13 et s..
(53) Ils auraient été inspirés de lire une brève introduction en la matière. Par exemple, nos obs., Les charmes exotiques de la loi de modernisation de l'économie, Lebase Hebdo n° 315 du 31 juillet 2008 - édition privée générale (N° Lexbase : N7052BGB).
(54) Pour de plus amples développements sur cette décision : B. Mathieu, Le Conseil constitutionnel poursuit la chasse aux "cavaliers législatifs", JCP éd. G, 2009, n° 399.
(55) Obligation qui aurait, de toutes façons, été contraire au droit communautaire : cf., nota., l'article 24 de la Directive 2002/83/CE du Parlement européen et du Conseil du 5 novembre 2002 concernant l'assurance directe sur la vie (N° Lexbase : L7763A8Z), qui dispose que "les Etats membres n'exigent pas des entreprises d'assurance qu'elles effectuent des placements dans des catégories d'actifs déterminées".
(56) Cf., le désormais classique, rapport Le Financement des PME, op. cit., p. 65 (nota.).
(57) Voir, récemment, R. Marty, Cession de créances : détermination du prix en fonction du recouvrement des créances, JCG éd. E, 2009, 1946.
(58) C. Levi-Strauss, Tristes tropiques, 1955.

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Fiscalité internationale

[Jurisprudence] La non-conformité au droit communautaire de l'ancien régime d'exonération de la taxe de 3 % n'est que partielle

Réf. : Cass. com., 29 septembre 2009, n° 08-14.538, Directeur général des finances publiques, F-P+B (N° Lexbase : A5819EL4)

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par Frédéric Dieu, Rapporteur public près la cour administrative d'appel de Marseille

Le 07 Octobre 2010

Par un arrêt du 29 septembre 2009 à paraître au Bulletin, la Chambre commerciale de la Cour de cassation a consacré la non-application de la taxe de 3 % sur la valeur vénale des immeubles à toutes les personnes morales ayant leur siège dans un Etat ayant conclu avec la France une convention d'assistance administrative ou un Traité de non-discrimination.
En l'espèce, la cour d'appel d'Aix-en-Provence avait annulé une procédure d'imposition en retenant que la CJCE, dans son arrêt "Elisa" du 11 octobre 2007 (CJCE, 11 octobre 2007, aff. C-451/05, Européenne et Luxembourgeoise d'investissements SA (ELISA) c/ Directeur général des impôts N° Lexbase : A7180DYL), n'avait pas dit que la taxe de 3 % de l'article 990 D du CGI (N° Lexbase : L5483H9X) était contraire au droit européen mais que le régime d'exonération dépendant de la nationalité lui était contraire, de sorte que, selon la cour d'appel, toute société devait être en mesure de prouver qu'elle ne poursuivait pas un but frauduleux.

La Cour de cassation a censuré ce raisonnement en indiquant que, s'agissant des personnes morales qui ont leur siège social dans un Etat ayant conclu avec la France une convention d'assistance administrative ou un Traité de non-discrimination, le dispositif litigieux ne porte pas atteinte au principe communautaire de libre circulation des capitaux , dès lors qu'il permet à ces personnes, en toutes circonstances, d'obtenir le bénéfice de l'exonération en justifiant, soit du dépôt des déclarations de taxe de 3 % visées par l'article 990 E, 2° du CGI (N° Lexbase : L5484H9Y), soit de l'engagement prévu à l'article 990 E, 3°. Pour toutes ces personnes morales, l'exonération de la taxe est donc de droit, dès lors qu'elles ont communiqué les renseignements prévus par ces dispositions.

En conséquence, celles-ci ne peuvent invoquer la non-conformité au droit communautaire du régime d'exonération de la taxe de 3 % pour échapper à leur obligation de communication de ces renseignements et, donc, à l'imposition.

1. La portée de l'arrêt "Elisa"

1.1. L'exonération de la taxe de 3 % est subordonnée à l'existence de stipulations conventionnelles en matière d'assistance administrative ou de non-discrimination

Rappelons que, dans son régime antérieur à l'entrée en vigueur des dispositions de l'article 20 de la loi de finances rectificative pour 2007 (loi n° 2007-1824 du 25 décembre 2007 N° Lexbase : L5490H3Q), la taxe de 3 % sur la valeur vénale des immeubles s'appliquait aux "personnes morales qui, directement ou par personne interposée, possèdent un ou plusieurs immeubles situés en France ou sont titulaires de droits réels portant sur ces biens" (CGI, article 990 D). Le contentieux relatif à cette taxe s'était cristallisé autour de ses modalités d'exonération.

Les dispositions de l'article 990 E du CGI prévoyaient, en effet, et prévoient toujours, que la taxe n'est pas applicable aux personnes morales dont le siège est situé dans un pays ou territoire ayant conclu avec la France une convention fiscale comportant une clause d'assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales (CGI, art. 990 E, 2°) ou une convention fiscale comportant une clause de non-discrimination selon la nationalité (CGI, art. 990 E, 3°). Les personnes morales dont le siège est situé dans un pays ou territoire ayant conclu avec la France une de ces conventions, dès lors qu'elles souhaitent bénéficier de l'exonération, doivent fournir annuellement à l'administration fiscale une liste de renseignements dont, notamment, certaines informations relatives aux biens immobiliers possédés en France et aux modalités de répartition du capital social.

Malgré la réforme intervenue en 1993, qui place les sociétés françaises dans le champ d'application de la taxe de 3 %, seules les personnes morales qui ont leur siège hors de France sont donc effectivement concernées par cette imposition. En effet, il suffit, pour les personnes morales dont le siège est situé en France, de déposer chaque année une déclaration n° 2746, ou de prendre l'engagement de communiquer à l'administration, sur sa demande, les renseignements contenus dans cette déclaration afin d'échapper à la taxe. Pour les personnes morales dont le siège est situé à l'étranger, la communication de ces renseignements est insuffisante, puisque le bénéfice de l'exonération nécessite, en outre, que l'Etat du siège soit lié à la France par une convention fiscale comportant soit une clause d'égalité de traitement (ou de non-discrimination), soit une clause d'assistance administrative : les personnes morales n'ayant pas leur siège de direction en France sont ainsi soumises à une condition supplémentaire, à savoir l'existence d'une convention conclue entre la France et leur Etat de rattachement. Les sociétés étrangères, et notamment communautaires, se trouvent, ainsi, potentiellement placées dans une situation moins favorable que les sociétés françaises ou les autres sociétés communautaires bénéficiant d'une convention fiscale, malgré l'identité de leur situation au regard du fait générateur de la taxe : la possession d'un immeuble ou de droits immobiliers en France au 1er janvier de l'année considérée.

1.2. Le régime d'exonération de la taxe de 3 % est contraire au droit communautaire en ce qu'il exclut de son bénéfice les personnes morales ne pouvant se prévaloir de telles stipulations

Dans son arrêt "Elisa" du 11 octobre 2007, la CJCE a relevé qu'à défaut d'une convention d'assistance administrative ou d'une convention comportant une clause de non-discrimination, "une personne morale qui n'a pas son siège de direction en France se trouve privée de la possibilité de demander utilement l'exonération de la taxe litigieuse en vertu des articles 990 D et 990 E, points 2 et 3, du CGI. Or, compte tenu du fait qu'il appartient aux seuls Etats concernés de décider de s'engager par voie conventionnelle, il s'avère que la condition liée à l'existence d'une convention d'assistance administrative ou d'un traité est susceptible d'entraîner de facto, pour cette catégorie de personnes morales, un régime permanent de non exonération de la taxe litigieuse" (point n° 76). En d'autres termes, contrairement aux personnes morales "communautaires" dont l'Etat de rattachement est lié à la France par une convention d'assistance administrative ou une convention fiscale comportant une clause de non-discrimination et qui, donc, peuvent justifier de l'inapplicabilité de la taxe à leur situation, les personnes morales "communautaires" dont l'Etat de rattachement n'est pas lié à la France par l'une ou l'autre de ces conventions ne peuvent jamais justifier de l'inapplicabilité de la taxe à leur situation : au contraire, l'applicabilité de la taxe est en quelque sorte présumée (il y a une présomption d'imposabilité) et l'imposition est systématique. L'on se trouve, ainsi, face à une situation dans laquelle le contribuable n'a aucun moyen de faire valoir ses droits et, en particulier, d'apporter la preuve qu'il n'entre pas dans le champ d'application de l'impôt auquel l'administration veut le soumettre. La seule différence est qu'ici le contribuable n'est pas de la même nationalité que l'administration fiscale et qu'une relation interétatique s'interpose, fait écran, entre lui et cette administration.

Dans l'affaire jugée par la CJCE, la société Européenne et Luxembourgeoise d'investissements SA ("Elisa"), qui possédait indirectement des immeubles sur le territoire français et était, donc, soumise aux dispositions de l'article 990 D du CGI imposant une taxe sur la valeur vénale des immeubles possédés en France par des personnes morales, ne pouvait, au regard des dispositions conventionnelles bilatérales entre la France et le Luxembourg, bénéficier de l'exonération prévue au 2° de l'article 990 E du CGI ni de celle figurant au 3° de cet article. En effet, elle était exclue du champ des stipulations relatives à l'assistance administrative de la convention fiscale franco-luxembourgeoise du 1er avril 1958, et cette convention ne contenait pas de clause de non-discrimination selon la nationalité.

Cependant, les dispositions de l'article 11 de la Directive 77/799 concernant l'assistance mutuelle des autorités compétentes des Etats membres dans le domaine des impôts directs (N° Lexbase : L9296AUT) permettent aux Etats membres de maintenir ou de conclure des accords bilatéraux ayant le même objet que la Directive et, donc, de maintenir ou d'établir une forme de coopération allant au-delà de celle prévue par la Directive. Une convention fiscale bilatérale ne peut, donc, s'appliquer que si elle comporte, quant à l'échange d'informations, des obligations plus larges que celles imposées par la Directive. Le principe selon lequel une convention fiscale bilatérale ne peut être appliquée que dans la mesure où elle ne limite en aucune manière l'applicabilité de la Directive 77/799, est confirmé par la jurisprudence de la Cour, selon laquelle les Etats membres ne peuvent exciper d'une convention fiscale bilatérale aux fins d'échapper aux obligations qui leur incombent en vertu du Traité (CJCE, 14 décembre 2006, aff. C 170/05, Denkavit Internationaal et Denkavit France N° Lexbase : A8816DSC, Rec. p. I 11949, point 53). Il ne serait donc pas possible, par exemple, d'exclure certains contribuables du champ d'application de la Directive par application d'une convention fiscale bilatérale. Cette solution ne fait que manifester la supériorité des dispositions communautaires sur les stipulations des conventions bilatérales conclues par les Etats membres.

La question se posait de savoir si la Directive 77/99 suffisait, en l'absence d'obligations d'échanges d'informations issues d'une convention fiscale bilatérale, à atteindre ce but et concrètement à permettre à l'administration fiscale française de disposer des renseignements nécessaires et d'éviter toute élision de la taxe par une personne morale établie à l'étranger. La CJCE a apporté une réponse affirmative à cette question. En effet, l'on ne peut pas, et l'on ne doit pas, exclure a priori la possibilité que le contribuable soit en mesure de fournir les pièces justificatives pertinentes permettant aux autorités fiscales de l'Etat membre d'imposition de vérifier, de façon claire et précise, qu'il ne tente pas d'éviter ou d'éluder le paiement de taxes. Or, aucune des dispositions relatives à la taxe sur la valeur vénale des immeubles ne permet aux personnes morales qui sont exclues du champ d'application d'une convention fiscale prévoyant une assistance administrative et ne peuvent bénéficier d'une clause de non-discrimination, mais qui investissent dans des immeubles situés en France, de fournir des pièces justificatives pour établir l'identité de leurs actionnaires et toute autre information que les autorités fiscales françaises estiment nécessaire. Ces personnes morales se voient, donc, soumises à une sorte de présomption de fraude qu'elles n'ont même pas la possibilité de combattre : en d'autres termes, il est fait obstacle, en toutes circonstances, à ce qu'elles prouvent qu'elles ne poursuivent pas un objectif frauduleux (point n° 99 de l'arrêt).

Ainsi, malgré l'engagement qui pourrait être pris par la société en cause de communiquer ces renseignements à l'administration fiscale française, l'exonération de la taxe de 3 % lui serait refusée au motif que l'Etat dont elle a la nationalité n'est pas liée à la France par une convention fiscale comportant une clause permettant d'invoquer le bénéfice de l'une des exonérations prévues aux articles 990-E 2° ou 3° du CGI. La condition de proportionnalité fait ici clairement défaut, puisque malgré la communication des renseignements permettant à l'administration fiscale d'assurer l'assujettissement des personnes concernées aux impôts auxquels la taxe de 3 % se substitue, l'exonération sera néanmoins refusée du seul fait de la localisation du siège de la société.

Les dispositions de la Directive 77/799 et leur interprétation par la jurisprudence la CJCE révèlent, au contraire, que les objectifs de lutte contre l'évasion fiscale et d'efficacité des contrôles fiscaux sont atteints par l'application de cette Directive même s'ils ne peuvent l'être par des stipulations de conventions bilatérales. Au total, l'on voit donc que la CJCE, dans l'arrêt "Elisa", a estimé que le régime d'exonération de la taxe de 3 % était contraire au droit communautaire seulement en ce qu'il excluait les personnes morales ayant leur siège dans un Etat (membre ou non membre de l'Union européenne) n'ayant pas conclu avec la France une convention fiscale comportant une clause d'assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales ou une convention fiscale comportant une clause de non-discrimination selon la nationalité.

2. Une interprétation stricte de l'arrêt "Elisa"

2.1. Pour les personnes morales pouvant se prévaloir de stipulations conventionnelles, le bénéfice de l'exonération de la taxe de 3 % est uniquement subordonné à la fourniture de renseignements à l'administration fiscale française

L'arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation du 29 septembre 2009 rappelle opportunément que, conformément à l'arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes du 11 octobre 2007, l'ancien dispositif de la taxe de 3 % prévue aux article 990 D et suivants du CGI, n'est contraire au principe de libre circulation des capitaux prévu à l'ancien article 73 B du Traité CE que pour les seuls cas où il aboutit à priver, en toutes circonstances, les personnes morales qui n'entrent pas dans le champ d'application d'une convention d'assistance administrative ou ne relevant pas d'un Traité comportant une clause de non-discrimination en matière fiscale, de la faculté de démontrer qu'elles ne poursuivent pas un objectif frauduleux.

En conséquence, s'agissant des personnes morales qui ont leur siège social dans un Etat ayant conclu avec la France une convention d'assistance administrative ou un Traité de non-discrimination, le dispositif litigieux ne porte pas atteinte à l'article 73 B du Traité CE dès lors qu'il permet à ces personnes, en toutes circonstances, d'obtenir le bénéfice de l'exonération en justifiant simplement, soit du dépôt des déclarations de taxe de 3 % visées par l'article 990 E, 2° du CGI, soit de l'engagement prévu à l'article 990 E, 3° du même code.

Précisons, à cet égard, que les personnes morales dont le siège est situé dans un pays ou territoire ayant conclu avec la France une convention fiscale comportant une clause d'assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales (CGI, art. 990 E, 2°), dès lors qu'elles souhaitent bénéficier de l'exonération, doivent déposer chaque année, avant le 16 mai de l'année considérée, une déclaration n° 2746 comportant les renseignements suivants : lieu de situation, consistance et valeur vénale des immeubles et droits immobiliers possédés en France, directement ou par l'intermédiaire d'une ou plusieurs personnes morales interposées, au 1er janvier de l'année ; identité et adresse de leurs actionnaires, associés ou autres membres à la même date ; nombre des actions et parts détenues par chacun d'eux. Cette déclaration doit être souscrite sans erreur ou omission par toute personne morale, maillon de l'éventuelle chaîne de participations. Quant aux sociétés qui veulent bénéficier de l'exonération subordonnée à l'existence d'une clause de non-discrimination, elles doivent, soit communiquer chaque année à l'administration certains renseignements similaires à ceux susmentionnés, soit s'engager à procéder à une telle communication à la demande de l'administration fiscale. Le bénéfice de l'exonération prévue par l'article 990 E, 3° du CGI, nécessite l'existence d'une convention fiscale conclue entre la France et l'Etat du siège de la société, comportant une clause de non-discrimination selon la nationalité présentant les caractéristiques suivantes : elle doit être applicable aux nationaux, et non aux seules personnes physiques ; les nationaux doivent être expressément définis dans la convention comme incluant les personnes morales ; la clause de non-discrimination doit viser expressément les impôts de toute nature ou dénomination ; la personne morale qui entend bénéficier de l'exonération doit communiquer chaque année à l'administration fiscale les mêmes renseignements qu'en ce qui concerne l'exonération en matière de convention d'assistance administrative, ou prendre l'engagement de communiquer de tels renseignements, ainsi que la justification de la résidence fiscale de ses actionnaires, associés, ou autres membres. Précisons que l'engagement de procéder à la communication de ces renseignements doit être souscrit dans les deux mois de la date d'acquisition des biens immobiliers.

Dans l'espèce jugée par la Chambre commerciale de la Cour de cassation, la société Témis, qui avait son siège en Belgique et qui était couverte par une convention d'assistance administrative franco-belge, n'avait pas bénéficié de l'exonération de taxe de 3 % faute d'avoir souscrit dans le délai légal les déclarations exigées par les dispositions du CGI. C'est donc pour ce seul motif qu'elle ne pouvait bénéficier de l'exonération. Autrement dit, c'est parce qu'elle n'avait pas fourni ces renseignements à l'administration fiscale française, et non pas parce qu'elle n'avait pas prouvé devant celle-ci qu'elle ne poursuivait pas un but frauduleux, qu'elle ne pouvait revendiquer l'exonération de la taxe.

Au contraire, la cour d'appel d'Aix-en-Provence avait jugé que le régime d'exonération dépendant de la nationalité était, sans aucune distinction, contraire au droit européen et qu'il importait que la société prouve, par tous moyens, qu'elle ne poursuivait pas un but frauduleux. L'erreur de la cour d'appel portait sur l'objet et l'étendue de la non-conformité du dispositif de la taxe de 3 % au principe communautaire de liberté de circulation des capitaux : la cour d'appel avait jugé que cette non-conformité était générale et absolue alors qu'elle n'est que partielle puisque limitée au cas des personnes morales qui n'entrent pas dans le champ d'application d'une convention d'assistance administrative ou qui ne relèvent pas d'un Traité comportant une clause de non-discrimination en matière fiscale. Par ailleurs, les personnes morales pouvant se prévaloir d'une telle convention ou d'une telle clause, pour prouver qu'elles ne poursuivent pas un but frauduleux, doivent seulement fournir à l'administration fiscale française les renseignements prévus à l'article 990 E du CGI.

2.2. Une solution qui anticipe sur la nouvelle rédaction des dispositions relatives à la taxe de 3 %

En application des dispositions de l'article 20 de la loi de finances rectificative n° 2007-1824 du 25 décembre 2007, la taxe de 3 % n'est désormais plus applicable aux entités juridiques (personnes morales, organismes, fiducies ou institutions comparables) qui ont leur siège en France (métropole et DOM) ou dans un autre Etat membre de l'Union européenne. Ainsi, afin de se conformer au droit communautaire, le dispositif en cause ne fait plus de distinction selon que l'entité a son siège en France ou dans un autre Etat membre de l'Union européenne.

La solution retenue par la Chambre commerciale de la Cour de cassation, qui consiste à affirmer qu'une personne morale ayant son siège dans un Etat membre de la Communauté ayant conclu avec la France une convention comportant une clause d'assistance administrative ou une convention comportant une clause de non-discrimination doit seulement, pour bénéficier de l'exonération de la taxe de 3 %, fournir les renseignements prévus à l'article 990 E du CGI, cette solution donc reste valable dans le cadre de ce nouveau dispositif même si, désormais, c'est le simple fait d'avoir son siège dans un tel Etat qui permet de revendiquer cette exonération, l'existence de telles stipulations conventionnelles n'étant plus exigée. Soulignons, cependant, qu'avant même l'entrée en vigueur des dispositions de l'article 20 de la loi de finances rectificative pour 2007, l'existence d'une double condition (siège dans un Etat membre de l'UE + conclusion entre cet Etat et la France d'une convention comportant une clause d'assistance administrative ou d'une convention comportant une clause de non discrimination) était purement théorique puisqu'en pratique, tous les Etats membres de l'UE avaient signé avec la France une telle convention, la situation des holdings luxembourgeoises étant à cet égard tout à fait exceptionnelle.

Soulignons, enfin, que la solution retenue par la Chambre commerciale de la Cour de cassation intéressera les personnes morales ayant leur siège dans un Etat non membre de l'UE mais lié à la France par une convention d'assistance administrative et/ou une convention comportant une clause de non-discrimination en matière fiscale : ces personnes bénéficient, en effet, du même régime d'exonération (subordonné à la fourniture de renseignements à l'administration fiscale française) que les personnes morales ayant leur siège en France ou dans un autre Etat membre de l'UE.

A l'inverse, la solution retenue par la Chambre commerciale de la Cour de cassation rappelle que l'application du principe communautaire de non-discrimination en matière de libre circulation des capitaux est limitée puisqu'elle ne met pas fin à la discrimination dont sont potentiellement victimes les personnes morales non communautaires détenant des immeubles en France mais étant rattachées à un Etat n'ayant pas conclu avec la France une convention d'assistance d'administration ou une convention comportant une clause de non-discrimination (1). Sur ce point également, la solution retenue par la Chambre commerciale de la Cour de cassation reste valable après l'entrée en vigueur des dispositions de l'article 20 de la loi de finances rectificative pour 2007 qui se sont bornées à supprimer la discrimination entre personnes morales communautaires.


(1) Il s'agit essentiellement des pays autres que l'Afrique du Sud, l'Albanie, l'Algérie, l'Argentine, l'Arménie, l'Australie, l'Azerbaïdjan, le Bangladesh, le Bénin, la Bolivie, le Botswana, le Brésil, le Burkina Faso, le Cameroun, le Canada, la République Centrafricaine, la Chine, le Congo, la Corée du Sud, la Côte d'Ivoire, l'Egypte, les Emirats arabes unis, l'Equateur, l'Estonie, les Etats-Unis, le Gabon, le Ghana, la Guinée, l'Île Maurice, l'Inde, l'Indonésie, l'Iran, Israël, la Jamaïque, le Japon, la Jordanie, le Kazakhstan, le Koweït, la Lettonie, le Liban, la Lituanie, la Macédoine, Madagascar, la Malaisie, le Malawi, le Mali, le Maroc, la Mauritanie, le Mexique, Monaco, la Mongolie, la Namibie, le Niger, le Nigéria, la Norvège, la Nouvelle-Zélande, l'Ouzbékistan, le Pakistan, les Philippines, la Russie, Singapour, le Sri Lanka, la Suisse, la Thaïlande, le Togo, Trinité et Tobago, la Tunisie, la Turquie, l'Ukraine, le Venezuela, le Vietnam, la Yougoslavie, la Zambie et le Zimbabwe, pays qui ont conclu avec la France une convention d'assistance administrative. Précisons que plusieurs de ces pays sont également couverts par une convention fiscale comportant une clause d'égalité de traitement ou de non-discrimination : il s'agit de l'Argentine, le Bangladesh, le Botswana, le Brésil, la Chine, le Congo, la Corée du Sud, l'Egypte, l'Equateur, les Etats-Unis, l'Ile Maurice, l'Iran, le Liban, la Macédoine, Madagascar, le Malawi, le Maroc, le Nigéria, le Sri Lanka, la Suisse, la Thaïlande, Trinité et Tobago, la Yougoslavie et la Zambie.

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Avocats

[Jurisprudence] Les conditions d'ouverture d'une procédure collective à l'égard d'un avocat

Réf. : CA Paris, Pôle 5, 8ème ch., 29 septembre 2009, n° 09/08231(N° Lexbase : A7105ELQ)

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N1861BMU

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par Deen Gibirila, Professeur à la Faculté de droit et de science politique, Université Toulouse 1 Capitole

Le 07 Octobre 2010

Comme tout "faillitiste" le sait, la loi de sauvegarde des entreprises du 26 juillet 2005 (loi n° 2005-845, 26 juillet 2005, de sauvegarde des entreprises N° Lexbase : L5150HGT) a permis l'accession aux procédures de sauvegarde, de redressement et de liquidation judiciaire, des "personnes physiques exerçant une activité professionnelle indépendante, y compris une profession libérale soumise à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé" (1).

Cette innovation est heureuse dans la mesure où les professionnels libéraux étaient exclus des procédures collectives applicables aux commerçants, artisans et agriculteurs. Ils le sont à l'heure actuelle en raison de leur statut, non seulement de la procédure de surendettement prévue aux articles L. 330-1 (N° Lexbase : L2360IBZ) et suivants du Code de la consommation qui ne couvrent que les dettes non professionnelles (2), mais encore de la procédure de rétablissement personnel instaurée par la loi n° 2003-710 du 1er août 2003 (N° Lexbase : L3558BLD).

La mise en oeuvre des nouvelles dispositions légales ne va, cependant, pas sans difficultés auxquelles les tribunaux apportent progressivement des solutions sous l'oeil attentif de la doctrine qui ne manque pas de les commenter.

Ainsi a-t-il fallu, entre autres, non seulement cerner les notions de personnes physiques, de professions indépendantes, mais encore soumettre au même régime de la sauvegarde des entreprises des professions indépendantes aussi différentes les unes des autres, telles que celle d'avocat ou de pharmacien qui est la fois un professionnel libéral et un commerçant (3).

S'agissant des avocats, l'arrêt rendu par la cour d'appel de Paris, le 29 septembre 2009, constitue une nouvelle pierre apportée à l'édifice jurisprudentiel relatif à l'application des procédures collectives aux membres des professions libérales.
1 - Le principal protagoniste de l'affaire a exercé la profession d'avocat au barreau de Seine Saint-Denis, au sein d'une Selarl unipersonnelle immatriculée au RCS de Bobigny. Il en a été le gérant depuis le 14 janvier 2003.

Le 6 octobre 2008, il a régularisé au greffe du tribunal de grande instance de Meaux une déclaration de cessation des paiements et sollicité l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire. Sur réquisitions conformes du procureur de la République, cette juridiction l'a débouté de sa demande pour ne pas avoir justifié d'une activité professionnelle indépendante qui ne soit pas accessoire à celle de la profession d'avocat dont les prestations seraient facturées et comptabilisées indépendamment et dont les seuls revenus permettraient d'envisager un plan de redressement, afin de rembourser le passif déclaré le 6 octobre 2008 à titre personnel.

L'intéressé exerce un recours auprès de la cour d'appel de Paris, en sollicitant que soit réformé le jugement rendu en première instance et, par conséquent, l'ouverture à son égard de la période d'observation d'une procédure de redressement judiciaire, la désignation d'un mandataire judiciaire qu'il lui plaira, la fixation de la date de cessation des paiements et le renvoi de l'affaire devant une juridiction autre que le tribunal de grande instance de Meaux.

Pour tenter d'emporter la conviction des juges de seconde instance, l'appelant fait état de plusieurs éléments :

- la procédure de sauvegarde dont a fait l'objet la Selarl unipersonnelle au sein de laquelle il exerce la profession d'avocat ;

- la déclaration par lui de la cessation des paiements de la Selarl ;

- ses diligences au greffe du tribunal de commerce pour que l'extrait Kbis de la société mentionne que celle-ci est sans activité à la date du 30 juin 2009 ;

- son courrier adressé à l'ordre des avocats l'informant que dorénavant il exercerait son activité professionnelle à titre individuel ;

- l'appel qu'il a interjeté à l'encontre de la décision de conversion en liquidation judiciaire de la sauvegarde prononcée par jugement du 30 juin 2009 à la demande du mandataire faite le 22 juin de cette année ;

- sa décision du 10 juillet 2009 de prononcer la dissolution anticipée de la Selarl et de se désigner comme liquidateur.

Peine perdue ; sa demande est repoussée par la cour d'appel de Paris.

2 - Se pose la question de savoir si l'avocat en cause dans le présent litige peut bénéficier ou non d'une procédure de redressement judiciaire en qualité de professionnel libéral. Pour y répondre, il convient de se demander si l'intéressé remplit bien les conditions posées par l'article L. 631-2 du Code de commerce (N° Lexbase : L3325IC7) qui cite les personnes susceptibles de connaître une procédure collective.

Si le caractère d'activité libérale d'un avocat n'est pas discuté, il faut toutefois distinguer d'une part, l'avocat exerçant à titre individuel et la société d'exercice libéral qui répondent tout à fait aux conditions édictées par le texte précité ; d'autre part, l'avocat associé d'une société d'exercice libéral, d'une société civile professionnelle, ou membre d'un groupement d'intérêt économique et, a fortiori, l'avocat collaborateur ou salarié qui échappent aux procédures collectives.

En effet, le professionnel indépendant ou le membre de profession libérale, tel que l'avocat, associé unique et gérant d'une société d'exercice libéral à responsabilité limitée (Selarl), ne peut faire l'objet d'une procédure collective s'il n'exploite pas pour son propre compte une entreprise libérale, mais exerce ses fonctions au nom de la dite Selarl (4). La solution se justifie par l'autonomie de l'entreprise par rapport à celui qui la dirige (5).

C'est également le cas du gérant majoritaire d'une SARL. Bien que relevant du statut fiscal et social des travailleurs indépendants qui est d'ordre public, il ne saurait être mis en redressement judiciaire. En effet, il n'exerce pas une activité professionnelle indépendante visée par les procédures collectives, car il agit au nom de la société qu'il représente, et non en son nom personnel (6).

En l'espèce, au regard de cette tendance jurisprudentielle, seule la Selarl est exposée à une procédure collective. Elle a, d'ailleurs, été l'objet d'une liquidation judiciaire issue de la conversion de la procédure de sauvegarde initiale.

C'est en ce sens que statue ici la cour d'appel de Paris. Elle exclut d'autant plus l'avocat de l'application de la procédure de redressement judiciaire, que le Conseil de l'ordre dont il dit avoir informé de l'exercice individuel de la profession d'avocat n'a pris aucune nouvelle délibération pour modifier les modalités de l'exercice professionnel et inscrire l'intéressé à titre individuel et indépendant. De surcroît, dans une audience du 21 septembre 2009, la Caisse nationale des barreaux français (CNBF) a demandé son omission du tableau. Aussi, au jour de l'actuelle décision de justice, l'intéressé ne justifie pas de la qualité permettant sa mise en redressement judiciaire.

Cette décision de justice, conforme à l'orientation jurisprudentielle imprimée par la Cour de cassation, est logique. Elle traduit une des conséquences de l'interposition d'une personne morale dans l'exercice d'une activité libérale, mettant ainsi les membres de la société à l'abri d'une procédure collective seule applicable à celle-ci.

Il faut tout de même constater en la matière, l'inconstance de certains juges du fond, y compris la cour d'appel de Paris. Cette dernière a, certes, considéré que tout associé de Selarl ne saurait être mis en liquidation judiciaire "faute d'exploiter pour son propre compte une entreprise libérale" (7). Mais, elle a, également, estimé que l'exercice de la profession libérale et indépendante d'avocat au sein d'une société d'exercice libéral n'est qu'une modalité, si bien que l'avocat assigné en redressement ou en liquidation judiciaire ne peut opposer la cessation d'activité depuis plus d'un an prévue par les articles L. 631-5 (N° Lexbase : L3429ICY) et L. 640-5 (N° Lexbase : L3335ICI) du Code de commerce (8). Elle a, par la suite, précisé que "la loi du 26 juillet 2005 ne subordonne pas son application aux personnes physiques exerçant une profession indépendante à la condition qu'elles n'exercent pas en société" (9).

De son côté, la cour d'appel de Montpellier a accueilli la demande d'ouverture par le trésor public et le comptable des impôts de la procédure collective d'une avocate exerçant dans le cadre d'une société civile professionnelle (10). Cette incertitude jurisprudentielle incline à penser que le débat relatif à la mise en procédure collective d'un avocat exerçant dans le cadre d'une société n'est peut-être pas clos.


(1) C. com., art. L. 620-2 (N° Lexbase : L3445ICL), L. 631-2 (N° Lexbase : L3325IC7) et L. 640-2 (N° Lexbase : L3393ICN). Parmi les études les plus récentes : V. Thomas, Notaire associé et procédures collectives, D., 2008, Point de vue, p. 1632 ; C. Lebel, Problématique de l'ouverture d'une procédure à l'égard d'un professionnel libéral, Rev. proc. coll., 2008, n° 3, p. 4 ; A. Cerati-Gauthier, Application de la loi de sauvegarde des entreprises aux professions libérales, JCP éd. E, 2008, n° 48, 2436.
(2) Cass. com., 30 septembre 2008, n° 07-15.446, Caisse autonome de retraite et de prévoyance des infirmiers, masseurs-kinésithérapeutes, pédicures-podologues, orthophonistes et orthophistes "CARPIMKO", FS-P+B (N° Lexbase : A5875EAT), BRDA, 20/2008, n° 7 ; Defrénois 2009, p. 1394, obs. D. Gibirila ; Gaz. proc. coll., 2009, n° 1, p. 25, obs. C. Lebel, à propos d'un masseur kinésithérapeute.
(3) Ph. Reigné, L'application aux professions libérales des procédures de prévention et de traitement des difficultés des entreprises, LPA, 10 juin 2004, n° 116, p. 10, spéc. n° 9.
(4) CA Paris, 3ème ch., sect. A, 20 novembre 2007, n° 07/03359 (N° Lexbase : A8583D3B), Defrénois, 2008, p. 1229, obs. D. Gibirila ; JCP éd. G, 2008, I, 123, obs. R. Martin ; JCP éd. E, 2008, n° 2, 1045, note C. Lebel ; Bull. Joly Sociétés, 2008, p. 210, note N. Tagliarino-Vignal ; LPA, 28 mars 2008, n° 64, p. 14, note G. Chabot. V. aussi, CA Chambéry, 14 mai 2007 et CA Versailles, 21 juin 2007 : Gaz. proc. coll. 2007, n° 3, p. 21, obs. P.-M. Le Corre ; Bull. Sociétés Joly 2007, p. 1234, note G. Auzero. CA Paris, 3ème ch., sect. A, 11 mars 2008, n° 07/18826 (N° Lexbase : A7122D7W), Bull. Joly Sociétés, 2008, p. 784, note B. Saintourens ; Rev. sociétés, 2008, p. 677, note I. Urbain-Parléani.
(5) A. Brunet, De la distinction de l'homme et de l'entreprise, Etudes dédiées à R. Roblot, p. 470, LGDJ, 1984.
(6) Cass. com., 12 nocembre 2008, n° 07-16.998, Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF) de La Savoie, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A2091EB3), Defrénois, 2009, p. 1397, obs. D. Gibirila ; JCP éd. E, 2009, n° 2, 1023, note C. Lebel ; Bull. Joly Sociétés, 2009, p. 278, note P.-M. Le Corre, rejetant le pourvoi contre CA Chambéry, 14 mai 2007, préc. Sur ces arrêts, J.-L. Vallens, Le travailleur indépendant n'est pas un professionnel indépendant, RLDA, janvier 2009, n° 2033. V. aussi, C. Lebel, Le cotisant est-il un débiteur ?, Gaz. pal., 23-24 janvier 2008, p. 19.
(7) CA Paris, 3ème ch., sect. A, 20 novembre 2007, n° 07/03359, préc. ; CA Paris, 3ème ch., sect. A, 11 mars 2008, n° 07/18826, préc..
(8) CA Paris, 3ème ch., sect. B, 26 juin 2008, n° 07/18805 (N° Lexbase : A4585D9P), Gaz. Pal., 14-16 septembre 2008, p. 19, note F. Iacovelli.
(9) CA Paris, 3ème ch., sect. B, 18 septembre 2008, n° 07/17034 (N° Lexbase : A8183EAC), D. 2008, act. jur. p. 2666.
(10) CA Montpellier, 20 mai 2008, Dr. sociétés, mars 2009, n° 59, obs. J.-P. Legros.

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Marchés publics

[Jurisprudence] La qualification juridique d'un contrat conclu par l'Etat français à l'étranger pour le compte d'un autre Etat

Réf. : CE 2° et 7° s-s-r., 7 octobre 2009, n° 311360, Société internationale du bâtiment et du génie civil (N° Lexbase : A8621ELU)

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par François Brenet, Professeur de droit public à l'Université Paris VIII Vincennes Saint-Denis et directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition publique

Le 07 Octobre 2010

Le temps du droit a parfois ses mystères ! Voici une question juridique longtemps restée sans réponse, ou ayant donné lieu à des prises de position parfois hésitantes, qui reçoit, à quelques mois d'intervalle, une réponse sans équivoque du Conseil d'Etat. Voici une question juridique naguère délaissée par la doctrine qui donne lieu, à quelques années d'intervalle, à trois remarquables thèses de doctorat (1). Cette question, hier évitée ou délaissée, et aujourd'hui sur le devant de la scène jurisprudentielle et doctrinale, est celle de la qualification juridique des contrats conclus par les personnes publiques françaises à l'étranger. L'arrêt "Société internationale du bâtiment et de génie civil" rendu par le Conseil d'Etat le 7 octobre 2009 apporte, en effet, une utile précision en indiquant qu'un marché conclu par l'Etat français à l'étranger pour le compte d'un autre Etat n'est pas un contrat administratif, et ne peut donc donner lieu à un contentieux relevant de la compétence du juge administratif. Plus précisément, la société internationale du bâtiment et du génie civil au Mali (SIBAGEC-Mali), siégeant à Bamako, s'était portée candidate à un appel d'offres restreint lancé par l'ambassade de France au Mali, pour la construction de l'école de maintien de la paix à Bamako. Comme le soulignait M. Nicolas Boulouis dans ses conclusions (2), cette école a vocation à former des officiers africains en vue de la participation à des opérations de maintien de la paix menées sous l'égide de l'Organisation des Nations-Unies, de l'Organisation de l'Unité Africaine ou d'autres organisations régionales. Dans la perspective de l'agrandissement de cette école, une procédure de passation d'un marché public a été lancée et c'est l'offre de la SOMAFREC qui a finalement été retenue par l'ambassade de France, ambassade agissant en tant que maître d'ouvrage délégué. Contestant le rejet de son offre, la SIBAGEC-Mali a, alors, cru bon de saisir le Conseil d'Etat d'une action en responsabilité visant à condamner l'Etat français à réparer le préjudice que lui aurait causé l'attribution illégale dudit contrat. L'action ne se voulait pas seulement symbolique, puisque la société requérante réclamait la somme de 790 562,25 euros au titre de son manque à gagner. Comme l'on pouvait s'y attendre au regard des solutions jurisprudentielles les plus récentes, le Conseil d'Etat a conclu à son incompétence, confirmant, ainsi, sa volonté de ne pas s'immiscer dans le contentieux des contrats publics signés et exécutés à l'étranger par des personnes publiques françaises.

Même si elle ne surprend pas à première vue, parce qu'elle témoigne du souci du juge administratif de rester un juge d'attribution en matière de contrats internationaux (I), la solution n'en demeure pas moins intéressante car elle est fondée sur un raisonnement original qui revient à s'interroger sur la compétence du juge national (juge administratif ou juge judiciaire), sans avoir évoqué, au préalable, la question de la compétence éventuelle des juridictions étrangères (II).

I - Le juge administratif, juge d'attribution en matière de contrat international

Il faut d'abord partir d'un constat, celui de l'existence de plus en plus fréquente de contrats conclus par des personnes publiques françaises et présentant un caractère international. Tel est le cas, notamment, des contrats conclus entre deux Etats, entre deux personnes publiques infra-étatiques relevant de deux Etats différents, ou encore de l'ensemble des contrats conclus par une personne publique française et présentant un élément d'extranéité, soit parce qu'ils ont été conclus à l'étranger, soit parce qu'ils ont été exécutés à l'étranger (3).

Ces contrats d'un type particulier posent immédiatement une difficulté d'importance qui peut être présentée de la façon suivante : comment concilier leur caractère international avec leur nature juridique telle qu'elle résulte de l'application des règles de qualification et de compétence fixées par l'ordre juridique interne ? Comment concilier, en d'autres termes, le fait que ces contrats sont le plus souvent des contrats administratifs en droit interne avec la circonstance, essentielle par ailleurs, qu'ils possèdent une dimension internationale ? Cette interrogation n'est pas seulement théorique. Elle a, en effet, une grande importance pratique qui se révèle bien souvent en cas de litige, puisqu'il faut, alors, déterminer le juge compétent pour en connaître et le droit applicable pour le résoudre. Pour y répondre, le Conseil d'Etat a posé des règles claires dans l'arrêt "Tégos" du 19 novembre 1999, en distinguant nettement la question de la détermination de la compétence des juridictions françaises ou étrangères (A), de celle de la détermination de la compétence des juridictions françaises administratives ou judiciaires (B).

A - La détermination de la compétence des juridictions françaises ou des juridictions étrangères par le droit applicable au litige : la compétence suit le fond

Comme l'a montré Malik Laazouzi dans sa thèse (4), la position du juge administratif a considérablement évolué au fil du temps. Dans un premier temps, il a largement admis sa compétence pour connaître de tels contrats, sans ressentir la nécessité de la justifier même s'il pouvait être conduit à appliquer le droit étranger (5), c'est-à-dire le droit local. Dans un deuxième temps, le Conseil d'Etat n'a pas hésité à mettre en avant la nature administrative du contrat pour légitimer sa compétence tout en admettant qu'un tel contrat administratif international pouvait être régi par le seul droit étranger. Cette solution avait pour elle le mérite de la simplicité puisqu'elle réglait la question de la détermination de la compétence juridictionnelle : le juge administratif était compétent en raison de la nature administrative du contrat. Il n'en demeure pas moins qu'elle posait une difficulté théorique redoutable, puisqu'elle impliquait qu'un contrat administratif totalement régi par le droit étranger puisse relever de la compétence du juge administratif (6).

Pour le dire autrement, cette solution impliquait que la compétence suive la notion (7), à défaut d'être déterminée par le droit applicable au litige. L'arrêt "Blanco" (8) trouvait, ainsi, ses limites en matière de contrat administratif international, et la compétence du juge administratif se trouvait aussi potentiellement fragilisée puisqu'il pouvait être appelé à statuer sur un litige intégralement déconnecté du droit administratif français (9). Conscient de cette difficulté, le Conseil d'Etat a, alors, opté pour une autre solution à compter du désormais célèbre arrêt "Tégos" (10). Saisi d'un litige relatif à un contrat de recrutement d'un agent public français à l'étranger, la section du Contentieux a, en effet, considéré que "le juge administratif n'est pas compétent pour connaître d'un litige né de l'exécution d'un contrat qui n'est en aucune façon régi par le droit français". A partir de cet arrêt, confirmé par la suite (11), le juge administratif se refuse donc à admettre sa compétence à chaque fois que le contrat litigieux n'est pas, d'une façon ou d'une autre, régi par "le droit public français" (12). Le juge ne raisonne donc plus par rapport à l'identification d'un contrat administratif (identification textuelle ou jurisprudentielle), mais par rapport au droit applicable au contrat (droit étranger ou droit français). La compétence juridictionnelle est logiquement déterminée par rapport au droit applicable, et non pas par rapport à la notion de contrat administratif.

De ce point de vue, l'on peut donc admettre avec F. Melleray, que l'arrêt "Tégos" est "le pendant, du point de vue du droit international, de l'arrêt Blanco" (13). Prolongeant ce raisonnement, le Conseil d'Etat a admis dans son arrêt "SCP de médecins Reichheld et Sturtzer" du 30 mars 2005 (14), que le juge administratif français était un "juge d'attribution en matière de contrat international" et qu'il n'était pas compétent "pour apprécier la validité d'un contrat qui n'est en aucune façon régi par le droit français". Plus encore, il a reconnu que son incompétence pouvait déboucher sur la compétence de son homologue judiciaire en application des règles de conflits de lois et de compétence juridictionnelle.

B - La détermination de la compétence au sein de l'ordre juridictionnel français par le jeu des critères du contrat administratif : la compétence suit la notion

Deux arrêts rendus en 2008 ont pu susciter les interrogations légitimes de la doctrine car ils ont adopté des solutions contradictoires. Dans l'arrêt "Société Colas Djibouti" du 4 juillet 2008 (15), le Conseil d'Etat a dénié la compétence du juge des référés précontractuels pour connaître d'un contrat relatif à la construction d'une trésorerie et à la restructuration du consulat général de France à Djibouti. Nul doute qu'un tel contrat aurait été qualifié de marché public s'il avait été conclu et exécuté en France. Il reste que le Conseil d'Etat a considéré que "le contrat litigieux, qui devait être signé et exécuté en dehors du territoire français, n'était soumis au Code des marchés publics, ni par application de ce code, ni par la volonté de la personne publique ; qu'il ne constituait pas non plus un marché au sens du droit communautaire". Dans l'arrêt "Institut européen d'archéologie sous-marine" du 25 juillet 2008 (16), le Conseil d'Etat a, au contraire, admis sa compétence s'agissant d'un contrat conclu et exécuté en Egypte entre un établissement public français à caractère scientifique, culturel et professionnel (l'institut français d'archéologie orientale du Caire-IFAO) et une association de droit français (l'Institut européen d'archéologie sous-marine-IEASM).

La lecture croisée de ces deux solutions pose, à l'évidence, un problème car le premier arrêt refuse d'admettre l'extraterritorialité du Code des marchés publics (lequel ne peut donc s'appliquer qu'aux seuls contrats conclus par les pouvoirs adjudicateurs sur le territoire français), alors que le second admet, implicitement certes, l'extraterritorialité des critères jurisprudentiels du contrat administratif (lesquels s'appliquent donc aux contrats conclus à l'étranger). Cette distinction n'est, assurément, pas satisfaisante, même si elle peut se comprendre d'un point de vue pratique (17). Pour autant, faut-il déduire de ces deux arrêts que la détermination de la nature juridique du contrat suffit, à elle seule, à déterminer la compétence juridictionnelle ? Sans doute pas. Il nous semble qu'il existe une différence notable entre ces deux arrêts de 2008 et les arrêts "Tégos" et "SCP de médecins Reichheld et Sturtzer". Dans ces deux dernières affaires, le juge administratif s'est interrogé sur le droit applicable au contrat (droit local ou droit français) avant de conclure à son incompétence en cas d'application exclusive du droit local. Mais ces deux arrêts n'ont aucunement précisé que les critères jurisprudentiels et textuels français du contrat administratif seraient systématiquement, et nécessairement, mis hors-jeu. Ils peuvent être interprétés comme signifiant que les critères du contrat administratif continuent à jouer leur rôle, dès lors qu'il est préalablement apparu que le contrat litigieux n'était pas exclusivement soumis au droit local.

Si cette interprétation était la bonne, ce qui n'est absolument pas certain, l'on pourrait, alors, synthétiser l'état du droit de la façon suivante. Un contrat exclusivement soumis au droit local ne relève pas de la compétence du juge administratif et il n'y a pas lieu, à ce stade, de s'interroger sur la qualification jurisprudentielle ou textuelle du contrat. En revanche, dès lors qu'il apparaît que les parties n'ont pas entendu soumettre leur contrat au seul droit local, alors les critères de qualification du contrat administratif retrouvent leur utilité. Soit ils sont réalisés, et le juge administratif est compétent, soit ils ne le sont pas (ce qui sera nécessairement le cas dans l'hypothèse où le contrat en cause est un marché public), et le litige relèvera, alors, de la compétence du juge judiciaire. Il reste à savoir si l'arrêt "Société internationale du bâtiment et de génie civil" du 7 octobre 2009 confirme cette interprétation.

II - L'incompétence du juge administratif français en matière de contrat conclu par une personne publique nationale pour le compte d'un Etat étranger

La solution retenue par le Conseil d'Etat dans la présente espèce n'est guère contestable dans son principe (A). Elle l'est, davantage, dans ses fondements (B), en ce qu'elle semble faire fi de la méthode fixée par l'arrêt "Tégos".

A - Une décision justifiée dans son principe

Qu'un contrat signé par une personne publique française pour le compte d'un Etat étranger et exécuté, au surplus, dans ce dernier, ne soit pas qualifié d'administratif, ne doit pas surprendre. Le fait que le contrat ait été conclu dans le cadre de la coopération internationale militaire de défense, comme le souligne le Conseil d'Etat, ne change, d'ailleurs, rien à la solution puisque le contrat ne pouvait pas être qualifié d'administratif, faute d'avoir été conclu par une personne publique française comme l'exige les critères jurisprudentiels nationaux.

Le critère organique du contrat administratif n'était pas satisfait car l'Etat n'intervenait pas pour son propre compte, mais pour le compte des autorités maliennes. Agissant comme mandataire de l'Etat malien, il ne pouvait pas être considéré comme une véritable partie au contrat mais bien, au contraire, comme un intermédiaire, comme un représentant. L'on était donc en présence d'une sorte de mandat inversé. Le mandat est, en effet, traditionnellement utilisé en droit des contrats administratifs pour justifier la nature administrative de certains contrats conclus entre deux personnes privées, dont il apparaît à l'analyse que l'une d'entre elles, au moins, agit comme mandataire d'une personne publique. Ce mandat peut être un mandat au sens du Code civil (C. civ, art. 1984 N° Lexbase : L2207ABD et suivants). Mais il peut aussi s'agir d'un mandat propre au droit administratif (18), dont l'identification peut être justifiée par la mise en évidence des relations très fortes unissant l'une des personnes privées contractante à l'administration (critère relationnel), ou par l'objet du contrat (critère matériel tenant, notamment, à la réalisation de travaux routiers ou autoroutiers, etc.).

Dans la présente espèce, il n'était donc pas question d'un contrat conclu entre deux personnes privées, mais bien d'un contrat conclu entre une personne publique et une personne privée. Toutefois, la première (l'Etat français) agissait non pas pour son propre compte, mais pour celui d'un Etat étranger. Le contrat litigieux ne pouvait donc pas être qualifié d'administratif compte tenu de la non-réalisation du critère organique qui demeure particulièrement importante en matière contractuelle. Justifiée dans son principe, la solution retenue par le Conseil d'Etat dans le présent arrêt nous semble, néanmoins, contestable dans ses fondements.

B - Une décision contestable dans ses fondements

Comme l'indiquait le Président Jacques Arrighi de Casanova dans ses conclusions sous la décision "Tégos", "il faut d'abord déterminer si le droit français est applicable [...] et c'est seulement en cas de réponse affirmative que la question de la compétence du juge administratif français peut se poser", et que, par suite, les critères du contrat administratif peuvent intervenir. Or, l'on ne trouve trace d'un tel raisonnement en deux temps (question de la compétence des juridictions françaises ou étrangères puis, en cas de compétence du juge français, question de la compétence des juridictions administratives ou judiciaires) ni dans l'arrêt "Société internationale du bâtiment et de génie civil", ni dans les conclusions du rapporteur public M. Nicolas Boulouis. Le Conseil d'Etat semble avoir raisonné comme si la compétence du juge français était acquise. Une telle façon de procéder appelle plusieurs remarques.

La première tient au fait que le Conseil d'Etat a pu considérer implicitement que le contrat litigieux relevait en partie, au moins, des règles du droit public français et que son contentieux ressortissait donc de la compétence des juridictions nationales. Si tel était le cas, le présent arrêt viendrait alors confirmer, et non pas infirmer, la jurisprudence "Tégos". En vérité, l'on peut douter que le juge administratif ait entendu régler la question de façon implicite, ne serait-ce parce qu'il y avait de fortes probabilités pour que le contrat litigieux soit entièrement soumis au droit local. Dès lors que l'Etat français agissait pour le compte des autorités maliennes, l'on ne voit pas trop quel intérêt il aurait pu avoir à ce que le droit applicable soit le droit français et non le droit malien.

La deuxième remarque a trait à l'avenir de la jurisprudence "Tégos". La lecture croisée de l'arrêt ici commenté et des arrêts rendus en juillet 2008 ("Société Colas Djibouti" et "Institut européen d'archéologie sous-marine") incite à s'interroger sur sa portée. Dans ces trois derniers arrêts, le Conseil d'Etat a, en effet, pris le parti de s'interroger sur la réalisation des critères (textuels et jurisprudentiels) du contrat administratif sans se poser la question de savoir, au préalable, si les contrats litigieux étaient soumis au droit public français, et si leur contentieux relevait, par conséquent, des juridictions nationales. Un tel raisonnement revient à considérer que le juge administratif est le juge de droit commun des contrats internationaux de l'administration, et non un juge d'attribution comme le Conseil d'Etat avait pu lui-même le souligner dans l'arrêt "SCP de médecins Reichheld et Sturtzer" du 30 mars 2005. Tout se passe comme s'il avait décidé de s'ériger en juge naturel des contrats internationaux de l'administration, quitte, ensuite, à se défausser sur le juge judiciaire en cas de qualification privée desdits contrats. En attendant une prise de position nette du Conseil d'Etat dans le sens du maintien du raisonnement en deux temps posé par l'arrêt "Tégos" ou dans le sens de son abandon, l'on doit reconnaitre que l'une et l'autre présentent des inconvénients.

Ce sont précisément ces inconvénients qui constituent l'objet de notre troisième remarque. Comme cela a déjà été souligné plus haut, la solution posée en 1999 visait à supprimer l'existence de contrats administratifs entièrement soumis à un droit étranger, c'est-à-dire à vider du champ de compétence du juge administratif des contrats ne relevant, en aucune façon, du droit public français. Cet objectif était tout à fait légitime. Il reste qu'en faisant du droit applicable au contrat le critère permettant de déterminer la compétence des juridictions nationales ou étrangères, le Conseil d'Etat a placé la volonté des parties au centre du débat en leur donnant la possibilité de choisir leur juge, alors que l'on sait que les règles de compétence sont d'ordre public et donc, en principe, hors de leur portée. En replaçant le débat sur la question de la réalisation des critères du contrat administratif, le Conseil d'Etat parvient à contourner cet inconvénient. Mais il ne le fait que partiellement, car les parties auront alors la possibilité de choisir d'insérer dans leur contrat une clause exorbitante qui lui donnera une nature administrative.

En conclusion, force est de constater que l'état du droit n'est, pour le moment, guère satisfaisant. Alors que la jurisprudence "Tégos" semblait avoir réglé la question de la qualification des contrats internationaux de l'administration, les arrêts les plus récents témoignent de ce qu'elle est aujourd'hui insidieusement contestée. Il reste à savoir si les arrêts en cause sont de simples coups d'essai ou s'ils concrétisent un changement plus profond.


(1) M. Audit, Les conventions transnationales entre personnes publiques, LGDJ, 2002 ; S. Lemaire, Les contrats internationaux de l'administration, LGDJ, 2005 ; M. Laazouzi, Les contrats administratifs à caractère international, Economica, 2008.
(2) Que nous remercions pour leur aimable communication.
(3) Exemples empruntés à M. Pierre Mayer dans sa préface à la thèse de M. Malik Laazouzi, Les contrats administratifs à caractère international, Economica, 2008, Collection "Recherches juridiques", tome 18.
(4) M. Laazouzi, Les contrats administratifs à caractère international, précité, p. 6 et s.
(5) CE 11 janvier 1952, Sieur Habib Bechara, Rec. CE, p. 30.
(6) CE 3° et 11° s-s-r., 3 juillet 1968, n° 68333, Lavigne et Le Mée (N° Lexbase : A2302B7E), Rec. CE, p. 884, concl. G. Braibant, AJDA, 1969, p. 259 ; CE 8 mai 1968, n° 69766, Epoux Fourny (N° Lexbase : A5608B7T), Rec. CE, p. 28 ; CE 28 janvier 1983, n° 15093, Mme Johnston (N° Lexbase : A9431ALU), Rec. CE, p. 28, Rev. crit. dr. int. priv., 1985, p. 316, concl. M. Franc et note P. Rodière ; CE 7 janvier 1987, n° 32262, Mme Félicien (N° Lexbase : A3547AP3), Rec. CE, p. 805 ; CE 10 mars 1997, n° 163182, Mme de Waele (N° Lexbase : A8993ADG), Rec. CE, p. 741.
(7) J.-F. Lachaume, La liaison entre la compétence et le fond en droit administratif, in L'exorbitance du droit administratif en question(s), Etudes réunies par F. Melleray, Paris, Poitiers, diff. LGDJ, 2004, p. 71 et s..
(8) T. confl., 8 février 1873, n° 00012, Blanco (N° Lexbase : A8170BDX).
(9) C'est ce que reconnaissait J. Arrighi de Casanova dans ses conclusions sur l'arrêt "Tégos" (citées ci-après) : "En réalité, ce que nous contestons dans la jurisprudence de Waele, ce n'est pas la place exclusive faite au droit étranger en l'absence de règle française applicable.C'est seulement la conséquence qui en est tirée quant à la qualification d'agent public et à la compétence de la juridiction administrative française. Cette conséquence [...] est erronée au regard du principe de liaison de la compétence et du fond" (c'est nous qui soulignons).
(10) CE Contentieux, 19 novembre 1999, n° 183648, Tégos (N° Lexbase : A5131AXC), Rec. CE, p. 356, JDI, 2000, p. 742, note J.-F. Flauss, Rev. crit. dr. int. priv., 2000, p. 409, concl. J. Arrighi de Casanova, note S. Lemaire, JCP éd. A, 2000, IV, 1439, obs. M.-C. Rouault, RDP, 2000, p. 378, obs. C. Guettier, RFDA, 2000, p. 833, concl. J. Arrighi de Casanova.
(11) T. conf., 22 octobre 2001, Mmes Issa et Le Gouy, Rec. CE, p. 751, Dr. adm., mai 2002, p. 29, obs. R. S.
(12) Formule que l'on retrouve sous la plume de J. Arrighi de Casanova dans ses conclusions sous l'arrêt "Tégos" (RFDA, 2000, spéc. p. 838), et dans la jurisprudence postérieure (CE, 28 juillet 2000, n° 204025, Mmes Issa et Le Gouy N° Lexbase : A6576ATQ).
(13) F. Melleray, La qualification juridique des contrats conclus à l'étranger par des personnes publiques françaises, RFDA, 2009, p. 1123.
(14) CE 1° et 6° s-s-r., 30 mars 2005, n° 262964, SCP de médecins Reichheld et Sturtzer (N° Lexbase : A4383DHS), Rec. CE, p. 129, AJDA, 2005, p. 1844, note M. Audit, JCP éd. A, 2005, I, p. 145, n° 9, chron. C. Boiteau ; Contrats Marchés publ., 2005, p. 18, note W. Zimmer.
(15) CE 2° et 7° s-s-r., 4 juillet 2008, n° 316028, Société Colas Djibouti (N° Lexbase : A4527D9K).
(16) CE 9° et 10° s-s-r., 25 juillet 2008, n° 304172, Institut européen d'archéologie sous-marine (N° Lexbase : A7921D9A).
(17) Il n'est sans doute pas aussi facile de respecter le Code des marchés publics à l'étranger qu'en France. Les risques de contradiction avec la législation locale existent et la réalité matérielle peut s'y opposer.
(18) M. Canedo, Le mandat administratif, LGDJ, 2001, BDP, tome 216.

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Droit international privé

[Jurisprudence] Procédures de divorce concurrentes : la France donne plein effet à la décision étrangère première rendue

Réf. : Cass. civ. 1, 30 septembre 2009, n° 08-18.769, M. Antoine Barre, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A5918ELR)

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par Sandrine Sana-Chaillé de Néré, Professeur, Université Montesquieu-Bordeaux IV, membre du CERDAC

Le 07 Octobre 2010

Le 30 septembre 2009, la première chambre civile de la Cour de cassation a rendu une série de quatre arrêts consacrés aux conflits de juridiction et destinés à une large publicité (1). Parmi eux, celui qui fait l'objet de notre commentaire présente l'originalité de mêler les questions de compétence directe et indirecte, d'effet des jugements étrangers, de conflit de procédures ou encore d'autorité de chose jugée. L'affaire se noue autour d'un conflit familial ordinaire : des époux mariés aux Etats-Unis s'installent en France l'année suivant leur mariage et y vivent ensemble pendant douze ans. Ils y donnent naissance à trois enfants. A la fin de l'année 2004, l'épouse, de nationalité américaine, rentre aux Etats-Unis avec les trois enfants. La procédure de divorce est initiée en France par le mari, lui-même de nationalité française. C'est alors que débute une sorte de concurrence entre les juridictions françaises et les juridictions américaines puisqu'une requête en divorce est également déposée moins d'un mois plus tard par l'épouse devant un tribunal du Massachusetts. Les deux procédures vont être menées parallèlement mais c'est la juridiction américaine qui, faute de recours exercé par le mari, rendra la première un jugement définitif. Le divorce est donc prononcé aux Etats-Unis le 17 mai 2006 cependant que la cour d'appel de Toulouse est saisie d'un recours contre l'ordonnance de non-conciliation et les mesures provisoires afférentes décidées par le juge aux affaires familiales.

Le 20 mai 2008, prenant acte de la décision américaine, la cour d'appel de Toulouse déclare sans objet la procédure de divorce engagée devant les juridictions françaises.

Un pourvoi est formé contre cette décision. Le principal reproche adressé à l'arrêt d'appel est d'avoir donné effet au jugement de divorce américain et donc, en définitive, de lui avoir reconnu l'autorité de la chose jugée. Pour asseoir ses arguments, l'auteur du pourvoi invoque pêle-mêle la violation du principe de la contradiction, l'irrégularité du jugement étranger, la fraude et l'ordre public international. La Cour de cassation écarte ces différents éléments et valide le raisonnement tenu par les juges d'appel. Même si elle ne l'énonce pas très clairement, cet arrêt est pour la Haute juridiction l'occasion de rappeler qu'un jugement étranger rendu en matière d'état des personnes produit effet en France sans exequatur. Il doit donc en être tenu compte même si les juridictions françaises ont été les premières saisies de la question qu'il tranche. L'autorité de la chose jugée leur impose alors de se dessaisir puisque la procédure qui leur est soumise s'en trouve privée d'objet. Mais pour aboutir à ce résultat, encore fallait-il que la régularité internationale du jugement étranger ait été vérifiée. L'arrêt rendu le 30 septembre 2009 pose donc à la fois la question des conditions de la reconnaissance d'une décision étrangère et celle de ses effets.

Les jugements rendus en matière d'état des personnes, tels que les jugements de divorce, produisent effets en France sans exequatur. Ils bénéficient d'une reconnaissance de plano. Lorsqu'une procédure ouverte en France a pour objet la même demande que celle à propos de laquelle un tel jugement est rendu, la reconnaissance de ce jugement sera invoquée au titre de l'exception de chose jugée. Mais, pour que cette exception puisse être retenue, le juge doit vérifier la régularité internationale de la décision étrangère. On sait que dans ce cadre, trois conditions doivent être remplies (2).

La première condition tient à la compétence de l'autorité étrangère dont émane la décision. On parle, traditionnellement mais de manière inappropriée, de la compétence indirecte du juge étranger. Il s'agit de vérifier si, aux yeux du juge devant lequel la décision est invoquée, l'autorité étrangère s'est valablement reconnue compétente. Pour procéder à cette vérification, il n'est pas question, ici, de faire application des règles de compétence internationale de l'ordre juridique étranger, ni même de se prononcer sur la compétence étrangère en "bilatéralisant" les règles françaises de compétence internationale. Comme l'a indiqué l'arrêt "Simitch" (3), il revient au juge français d'estimer si "le litige se rattache d'une manière caractérisée au pays dont le juge a été saisi et si le choix de la juridiction n'a pas été frauduleux". En l'espèce, les liens entre l'affaire et le tribunal américain étaient difficilement contestables puisque, d'une part, l'épouse était de nationalité américaine et, d'autre part, c'est aux Etats-Unis que se trouvait sa résidence ainsi que celle des enfants du couple. On remarquera que, pour justifier la compétence reconnue au juge américain, la cour d'appel use d'un critère retenu par le Règlement communautaire "Bruxelles II Bis" du 27 novembre 2003 (Règlement (CE) n° 2201/2003, relatif à la compétence, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parental N° Lexbase : L0159DYK). Elle évoque, en effet, la conjonction de la nationalité du demandeur et de sa résidence depuis plus de six mois dans ce même pays (4). Le Règlement "Bruxelles II Bis" n'était évidemment pas en cause en l'espèce et la cour d'appel ne l'évoque d'ailleurs pas. Mais puisque les chefs de compétence qu'il retient sont supposés révéler des rattachements significatifs, la cour d'appel a pu s'en inspirer pour apprécier le rattachement entre le litige et la juridiction d'un Etat tiers.

Les deuxième et troisième conditions sont relatives à la conformité de la décision étrangère à l'ordre public du for et à l'absence de fraude. Elles sont évoquées de manière quelque peu désordonnée par l'auteur du pourvoi mais invitent le juge français à se pencher sur la question de la litispendance internationale et sur celle de la fraude au jugement. La question de la litispendance pouvait en effet se poser puisque deux procédures portant sur le même objet et entre les mêmes parties sont menées simultanément dans deux Etats différents. Mais ici, c'est à la juridiction américaine, saisie en second lieu, qu'il revenait de se prononcer sur ce point et de décider, le cas échéant, de se dessaisir. Elle ne l'a pas fait et, en l'absence de toute convention internationale applicable en l'espèce, le juge français n'avait rien à y redire. Il ne lui appartient pas, en effet, d'exiger d'un juge étranger qu'il se conforme à notre façon de traiter la litispendance. La solution pourrait se discuter, notamment au stade de l'exequatur ou de la reconnaissance. Mais la Cour de cassation adopte ici une position libérale qui a pour avantage d'éviter que deux décisions concurrentes (et potentiellement divergentes) soient rendues à propos d'un même litige.

La question de la fraude, enfin, est abordée sous l'angle de la fraude au jugement (5). En saisissant les juridictions américaines concurremment aux juridictions françaises premières saisies, l'épouse n'a-t-elle pas eu un comportement frauduleux ? Celui-ci serait avéré s'il était démontré que la saisine d'une juridiction étrangère permettait à l'épouse d'obtenir une décision plus favorable que celle qu'elle pouvait espérer du juge français. Mais, même dans ce cas, encore faudrait-il, pour que la fraude soit reconnue, que le jugement obtenu à l'étranger soit destiné à être invoqué principalement en France (6). Si, au contraire, le jugement étranger doit produire ses effets à l'étranger autant qu'en France parce que la situation personnelle des intéressés se répartit sur plusieurs territoires, il est difficile de retenir la fraude. L'auteur de la deuxième saisine ne peut en effet se voir reprocher d'avoir obtenu une décision à l'étranger dans le seul but de s'en prévaloir en France. C'est ainsi que l'a entendu la Cour de cassation et il faut l'en approuver. Si la compétence concurrente de deux ordres juridictionnels invite au forum shopping et -malheureusement- favorise la course au procès, il n'est pas en soi frauduleux de s'y adonner.

Après vérification de ces conditions, la régularité internationale du jugement rendu aux Etats-Unis est donc admise et celui-ci produit effet de plano sans que l'exequatur ait à être demandé. Or, c'est justement cette efficacité reconnue à la décision étrangère qui va provoquer l'interruption de la procédure française. Celle-ci devient, en effet, sans objet puisque la question qu'elle devait résoudre a déjà été tranchée par le jugement américain. A ce stade, la seule difficulté qui pourrait subsister tient à la primauté de la saisine française, primauté qui est finalement contrecarrée par la plus grande rapidité de décision américaine, de sorte que l'on pouvait se demander s'il fallait tenir compte de cette décision étrangère rendue par un juge qui, s'il avait appliqué nos règles, aurait dû se dessaisir. Mais, en réalité, cette objection a déjà été écartée : pour admettre la régularité internationale du jugement étranger, le juge français a nécessairement considéré que la compétence américaine devait être respectée. Il ne lui est, dès lors, plus possible, au stade ultime du raisonnement, de refuser cette compétence sous prétexte qu'il était le premier saisi. La Cour de cassation l'a très bien compris et l'exprime clairement en réponse aux griefs confus du pourvoi : "la cour d'appel a pu en déduire que, la juridiction française fut-elle première saisie (7), le jugement de divorce du 17 mai 2006 prononcé par le juge du Massachusetts devait être reconnu en France". En d'autres termes, la procédure américaine ayant été menée sans que la compétence du juge étranger puisse être contestée, la décision qui en est issue s'impose, par l'autorité de la chose jugée, aux juridictions françaises saisies de la même question.

Il n'est pas sûr que dans la situation inverse où la décision française serait intervenue avant que le juge américain se prononce, les autorités américaines aient fait jouer l'autorité de chose jugée pour interrompre leur procédure. Il semble en effet qu'aux yeux du juge du Massachusetts la compétence française ne pouvait être retenue (8). Mais cette absence potentielle de réciprocité n'est pas une raison suffisante pour refuser, en France, la prise en compte du jugement américain dès lors qu'elle permet de satisfaire l'exigence de bonne administration de la justice internationale.


(1) Ces quatre arrêts sont annotés P+B+R+I. Les trois arrêts rendus le même jour que l'arrêt commenté sont les suivants : Cass. civ. 1, 30 septembre 2009, 3 arrêts, n° 08-19.793, Mme Nathalie Roche, épouse Dopke, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A5943ELP) ; n° 08-16.141, M. Jacques Colleau, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A5841ELW) et n° 08-17.587, Société Saudi Basic Industries Corporation, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A5888ELN).
(2) La condition traditionnelle relative à la loi appliquée par le juge étranger a été abandonnée par l'arrêt "Cornelissen" du 20 février 2007 (Cass. civ. 1, 20 fevrier 2007, n° 05-14.082, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A2537DUI, D., 2007, p. 1115, note d'Avout et Bollée ; Rev. Crit. DIP, 2007, p. 420, note Ancel et Muir Watt).
(3) Cass. civ. 1, 6 février 1985, n° 83-11.241, Mme S. c/ S. (N° Lexbase : A0251AHR), Rev. Crit. DIP, 1985, p. 369 ; JDI, 1985, p. 460.
(4) Critère retenu par l'article 3-1 a) du Règlement n° 2201/2003.
(5) Sur la distinction entre la fraude à la loi et la fraude au jugement, voir Mayer et Heuzé, Droit international privé, n° 393.
(6) En ce sens Mayer et Heuzé, Droit international privé, n° 395.
(7) C'est nous qui soulignons.
(8) C'est ce que l'on devine à la lecture de la deuxième branche du second moyen.

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Licenciement

[Questions à...] PSE : vilain petit canard ou cygne d'Ionie du licenciement économique ?... Questions à Maître Catherine Davico-Hoarau, Avocate à la Cour, Coblence & Associés

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N3602BMD

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par Fany Lalanne, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition sociale

Le 07 Octobre 2010

Heureux qui, comme l'employeur, a fait un beau PSE,
Ou comme cestuy-là qui conquit les tribunaux,
Et puis est retourné, plein d'usage et raison,
Diriger sa société le reste de son âge !


Le premier vers des Regrets de Joachim du Bellay, voire le premier quatrain, pourrait sans nul doute être aisément détourné, quoique la magie de la poésie initiale ici quelque peu envolée... et de faire de l'employeur un Ulysse des temps modernes ! Point de sirènes, cyclope, nymphe ou autres Lotophages, mais des organisations syndicales, un CHSCT, un expert-comptable et des juges jalonneraient son Odyssée. Et l'errance pourrait être longue... Obligatoire dans les établissements d'au moins cinquante salariés dès lors que le nombre de licenciements est au moins égal à 10 sur 30 jours, le plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) n'est pas qu'affaire de chiffre (1). Il poursuit un double objectif. Le premier a un rôle préventif, il s'agit de limiter le nombre de licenciements pour motif économique. Le second est curatif, dans la mesure où il entre en oeuvre avec le reclassement des personnes licenciées. Pour autant, le PSE peut vite devenir la bête noire de tout employeur rencontrant des difficultés économiques tant son formalisme n'est que rigueur et les moyens de suspendre la procédure nombreux. Pour faire le point sur la question, Lexbase Hebdo - édition sociale a rencontré Maître Catherine Davico-Hoarau, Avocate à la Cour, Coblence & Associés. Lexbase : Pourquoi le PSE a-t-il aujourd'hui si mauvaise presse ? Les employeurs semblent rechigner à le mettre en place et les salariés le redouter !

Catherine Davico-Hoarau : Je ne suis pas tout à fait d'accord. Dans certains cas, les organisations syndicales, voire même les salariés, le demandent, surtout lorsque les procédures de licenciement collectif pour motif économique font appel au volontariat.

Dans le langage actuel, on appelle, à tort, PSE, toute procédure de licenciement collectif pour motif économique, alors que le plan de sauvegarde de l'emploi, qui s'intègre dans la procédure de licenciement économique portant sur dix salariés et plus dans une même période de 30 jours, est un acte unilatéral de l'employeur matérialisé sous la forme d'un document contenant des mesures visant à éviter les licenciements ou en limiter le nombre, telles que des actions en vue du reclassement interne ou externe, des actions de soutien à la création d'activités nouvelles ou à la reprise d'activité existante par les salariés, des actions de formation de validation des acquis de l'expérience....

Le PSE fait partie de la procédure de licenciement économique de plus de dix salariés et plus sur une même période de 30 jours, mais n'est pas la procédure de licenciement économique.

Pour en revenir à la question, pendant un certain temps, les organisations syndicales préféraient que les entreprises privilégient les cessions d'activité plutôt que des licenciements collectifs économiques. Au lieu d'être licenciés par leur entreprise, les salariés étaient transférés de plein droit au repreneur en application de l'article L. 122-12 du Code du travail (N° Lexbase : L5562ACY), devenu L. 1224-1 (N° Lexbase : L0840H9Y).

Mais ce choix de gestion n'a plus le vent en poupe depuis qu'à la suite de certaines cessions, les repreneurs ont eux-mêmes rencontré de graves difficultés économiques et ont été contraints soit de se déclarer en cessation de paiement, soit de mettre en oeuvre une procédure de licenciement collectif pour motif économique, dont les mesures du PSE étaient beaucoup moins intéressantes que celles qui auraient été mises en oeuvre dans l'entreprise cédante. De ce fait, aujourd'hui, les organisations syndicales exigent parfois, à l'annonce d'une cession partielle, la mise en oeuvre d'une procédure de licenciement pour motif économique intégrant une application volontaire de l'article L. 1224-1 du Code du travail.

En revanche, les entreprises, quant à elles, rechignent effectivement à mettre en oeuvre une procédure de licenciement collectif pour motif économique compte tenu de la longueur de ces procédures émaillées de contentieux dont les salariés sont malheureusement les otages. En effet, entre l'annonce d'une procédure de licenciement collectif pour motif économique et la notification des licenciements, les salariés se retrouvent parfois plusieurs mois dans l'incertitude quant à leur avenir professionnel, ignorant s'ils seront, ou non, inclus dans le PSE.

Lexbase : Qu'est-ce qui explique une telle lenteur de la procédure ?

Catherine Davico-Hoarau : Si le législateur a prévu un calendrier légal qui est fonction et de la désignation, ou non, d'un expert-comptable et du nombre de licenciements envisagés, les risques de contentieux sont multiples : demande de suspension de la procédure par les organisations syndicales ou les instances représentatives du personnel pour défaut d'informations, pour irrégularité dans la tenue des réunions, demande de nullité pour insuffisance du PSE, difficulté sur l'établissement de l'ordre du jour...

Il y a également de plus en plus de contentieux sur l'appréciation des catégories professionnelles, que la Cour de cassation définit comme "l'ensemble des salariés qui exercent au sein de l'entreprise, des fonctions de même nature supposant une formation commune" (2), et sur les critères dans l'ordre des licenciements (3).

Le comité d'entreprise ou, à défaut, les délégués du personnel, doivent émettre un avis sur les critères dans l'ordre des licenciements (C. trav., art. L. 1233-5 et s. N° Lexbase : L1106H9T), or ceux-ci doivent s'appliquer, à défaut d'accord d'entreprise, au niveau de l'entreprise et non au niveau des établissements, même si les licenciements ne concernent pas tous les établissements d'une même entreprise : comment expliquer à un salarié qu'il doit être licencié alors qu'il travaille dans une usine qui ne connait pas de réduction d'emplois, alors qu'un autre salarié, qui travaille dans un établissement dont la fermeture est envisagée ne va pas être concerné au regard de la mise en oeuvre des critères ? Et comment l'entreprise peut-elle gérer de telles situations ?

En outre, une nouvelle instance représentative du personnel fait son entrée en force dans les contentieux : il s'agit du CHSCT, qui, lui aussi, peut désigner un expert. En effet, la procédure de licenciement collectif pour motif économique peut résulter d'une réorganisation et qui dit réorganisation dit modification des conditions de travail et possibilité, dès lors, pour le CHSCT, de désigner un expert (4).

Le comité d'entreprise ne voudra rendre son avis sur la procédure de licenciement collectif pour motif économique qu'une fois que le CHSCT aura émis son avis sur les projets de réorganisation, ce qui suppose que l'expert désigné par le CHSCT ait déposé son rapport. Dans cette hypothèse les délais s'allongent, sans parler du coût pour l'entreprise, car les frais des expertises sont à sa charge.

Lexbase : Pour autant, il a ses avantages, notamment une certaine souplesse concernant les voies de recours possibles. Ne facilite-t-il pas la contestation par le CE, les organisations syndicales, voire les salariés eux-mêmes ?

Catherine Davico-Hoarau : Effectivement, les procédures de licenciement collectif sont source de contentieux tant d'un point de vue collectif que d'un point de vue individuel, puisque le salarié dispose d'un droit propre à contester tant le motif de son licenciement, l'absence de reclassement que le PSE dont il peut demander la nullité. Il peut également contester le fait qu'il ait été choisi au regard des critères dans l'ordre des licenciements. Mais le droit du salarié ne nait qu'une fois la procédure collective achevée et son licenciement notifié.

Le contentieux s'est développé sur les recherches de reclassement, puisque cette obligation s'étend à toutes les entreprises du groupe auquel appartient l'entreprise qui licencie, y compris aux entreprises étrangères. Cette obligation de recherche de reclassement au sein d'entreprises étrangères est devenue aberrante. En effet, elle conduit à obliger une entreprise à proposer à un salarié français un reclassement au sein d'une filiale en Inde, alors même que le salaire mensuel dans ce pays est de 65 euros par mois ! A défaut, et alors même qu'aucun salarié ne va accepter un tel reclassement, les tribunaux vont considérer que le licenciement pour motif économique est sans cause réelle et sérieuse !

Des parlementaires ont trouvé scandaleux que les entreprises proposent un reclassement en Inde à 65 euros par mois, parlant même de mauvaise foi, oubliant que les entreprises subissent, en la matière, une évolution jurisprudentielle aberrante et ont déposé une proposition de loi visant à modifier le texte en la matière en ajoutant un alinéa sur les reclassements en interne pour les entreprises ayant des établissements à l'étranger : l'employeur devra préalablement demander au salarié sa mobilité, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui, le questionnaire intervenant après le refus du salarié à une proposition de reclassement- avec une rémunération équivalente.

Lexbase : Finalement, le PSE ne mériterait-il pas un "petit coup de jeune" ? Il reste lourd à mettre en place tout en étant obligatoire... quelle serait la solution ?

Catherine Davico-Hoarau : Je pense que tout ce qui est procédure CHSCT devrait être parallèle à la procédure de licenciement économique afin qu'elle n'impacte pas cette dernière. La procédure légale existe, elle est enfermée dans des délais et pour les respecter, il faut éviter de multiplier les consultations à d'autres instances. Ce serait l'une des solutions envisageables afin d'alléger les délais.

De plus, le législateur, dans un souci de simplification, avait retenu qu'un comité dispose d'un délai de quinze jours pour saisir le juge en cas d'irrégularité. Sauf que les juges ont appliqué ce délai aux irrégularités formelles et non aux irrégularités de fond, ce qui implique un défaut de sécurisation certain pour les entreprises. Ce point serait peut-être également à réviser.

Lexbase : La solution ne serait-elle pas en une sorte d'hybride entre GPEC et PSE, qui interviendrait en amont de toute procédure de licenciement économique ?

Catherine Davico-Hoarau : Il ne faut pas oublier que la procédure de licenciement économique s'inscrit dans un contexte de difficultés économiques, qui conduit à ce que les entreprises n'ont alors pas d'autres choix que celui de licencier. La GPEC, qui repose sur les départs volontaires, ne saurait gérer à elle seule ce genre de situation de crise. Que faire, en effet, lorsqu'une société n'a pas résolu ses difficultés économiques après avoir proposé des départs volontaires ?


(1) Par ailleurs, si, au cours d'une année civile, l'entreprise a procédé au licenciement pour motif économique de plus de 18 personnes sans avoir eu à présenter un plan de sauvegarde de l'emploi, elle doit soumettre le prochain licenciement envisagé au cours des 3 mois suivant la fin de l'année civile à la réglementation sur ces plans ; si l'entreprise a procédé pendant 3 mois consécutifs à des licenciements pour motif économique de plus de 10 personnes au total, sans atteindre 10 personnes dans une même période de 30 jours, elle doit soumettre tout nouveau licenciement économique envisagé au cours des 3 mois suivants à la réglementation sur les plans de sauvegarde de l'emploi. Lorsqu'au moins 10 salariés ont refusé la modification d'un élément essentiel de leur contrat de travail proposée par leur employeur pour un motif d'ordre économique, et que leur licenciement est envisagé, celui-ci est soumis aux dispositions applicables en cas de licenciement collectif pour motif économique, et, notamment, à l'obligation, pour l'employeur, d'établir et de mettre en oeuvre un plan de sauvegarde de l'emploi.
(2) Cass. soc., 13 février 1997, n° 95-16.648, Société des Grands Magasins de la Samaritaine c/ Comité d'entreprisede la société des Grands Magasinsde la Samaritaine (N° Lexbase : A1924ACA).
(3) Dernièrement encore, Cass. soc., 7 juillet 2009, n° 08-40.637, Société Bayle-Chanel-Geoffroy, agissant en qualité de commissaire à l'exécution du plan de cession de la société anonyme Bata Hellocourt, F-D (N° Lexbase : A7516EI9).
(4) Cass. soc., 5 mars 2008, n° 06-45.888, Société Snecma, FS-P+B+R (N° Lexbase : A3292D73) et les obs. de Ch. Radé, L'obligation de sécurité de l'employeur plus forte que le pouvoir de direction, Lexbase Hebdo n° 297 du 19 mars 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N4384BE4).

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