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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication
Le 27 Mars 2014
Mais, depuis Edgar Faure, il faut dire que nos gouvernants ont appris l'art de faire passer des vessies pour des lanternes ! Plus besoin de taxer ce qui ne l'était pas encore, à l'oraison funèbre d'un impôt, il suffit d'en changer la dénomination honnie et d'en modifier quelque peu l'assiette, et tel le chevalier d'Eon, plus personne, pas même le Prince, ne sait plus à quel "sein" se vouer...
Annoncée à grand renfort de tambour communicatif en février dernier, la suppression de la taxe professionnelle, impôt souvent raillé comme "complexe", "contre-productif" et finalement "stupide" -si tant est qu'un impôt puisse être intrinsèquement intelligent-, n'aura pas, sans surprise, emporté l'adhésion de tous.
Au premier rang des mécontents, les élus locaux craignent, à juste titre, une paupérisation des finances de leurs communes, intercommunalités, départements et autres régions. En effet, la taxe décriée avait cette particularité d'innerver l'ensemble des collectivités territoriales, liant intimement l'entreprise à un territoire administratif. Avec la "suppression", il s'agit de compenser les 18 milliards d'euros de ressources manquantes en sus des 10 milliards déjà distribués au titre des différentes exonérations et allégements votés depuis trente ans, afin de corriger les effets anti-investissements de la taxe. On rappellera, à titre subsidiaire, que certaines collectivités ont maille à partir avec les effets de la crise financière, du fait de placements hasardeux : le moment de cette suppression est donc bien choisi ! L'arlésienne aurait pu tenir la dragée haute encore quelques temps...
Suivent assurément les entreprises non concernées par cette "suppression" ! Cette fois, la démarche du Gouvernement n'est pas entravée par le caractère symbolique de la suppression de la taxe professionnelle, comme cela put être le cas avec la "suppression" des droits de successions -qui n'en est pas une, car sauf abattements les droits demeurent-. La dotation des collectivités locales ou territoriales n'est effectivement pas un sujet fort mobilisateur au sein de l'opinion publique, plus attachée à la symbolique de l'égalitarisme des droits de successions. A cette heure, la taxe professionnelle est bien supprimée (article 2 du projet de loi de finances pour 2010)... elle est remplacée par une contribution économique territoriale composée d'une cotisation locale d'activité et d'une cotisation complémentaire. La première cotisation serait assise sur des bases foncières et la seconde sur une fraction de la valeur ajoutée des entreprises... Etant entendu, d'après les derniers débats parlementaires, que seules les entreprises réalisant un chiffre d'affaires annuel inférieur à 500 000 euros seraient exonérées de la seconde cotisation... Toutes les entreprises étant, de droit commun, assujetties à la première ! Plus qu'une suppression, c'est une mitochondrie à laquelle nous invite le Gouvernement : une séparation des bases d'imposition de la taxe professionnelle actuelle au profit de deux taxes assises l'une sur le foncier et l'autre sur l'investissement, afin d'encourager l'investissement des PME et de ne pas pénaliser les entreprises industrielles "riches" d'équipements et d'immobilisations.
Et, l'on aurait dû se douter qu'avec un expert en génétique comme le Président de la République, accélérateur de cette réforme "urgente", l'on se retrouve face à un gène récessif : le régime dérogatoire des professions libérales. En effet, le dispositif actuel de la taxe professionnelle prévoit un régime dérogatoire applicable aux professionnels libéraux soumis au régime d'imposition des bénéfices non commerciaux et employant moins de cinq salariés : ceux-ci ne sont imposés que sur la valeur locative foncière, mais pour compenser l'absence de double imposition, ils sont taxés à hauteur de 6 % de leurs recettes. Ce dispositif entraîne, finalement, une imposition plus forte que celle fixée par le droit commun à la charge des professionnels concernés. Or, comme le souligne, cette semaine, dans nos colonnes, Maître Jean-Yves Mercier, avocat associé de CMS Bureau Francis Lefebvre, le projet de loi de finances pour 2010 envisage de maintenir ce régime dérogatoire. Les professionnels libéraux répondant aux critères susvisés seraient dispensés de la cotisation complémentaire, mais seraient redevables de la cotisation locale d'activité à hauteur de 6 % de leurs recettes. Un tel dispositif reviendrait à les imposer systématiquement plus lourdement que l'ensemble des autres assujettis.
Au final ? Et bien à l'heure de la régionalisation européenne, les régions semblent être les parents pauvres de la territorialisation de la nouvelle cotisation obtenue de haute lutte par les députés face au Gouvernement plus enclin à la péréquation. Si Clemenceau, à travers l'un de ses traits d'esprit, pouvait faire rire en clamant que "la France est un pays extrêmement fertile : on y plante des fonctionnaires et il y pousse des impôts", désormais la suppression de postes de fonctionnaires ne garantie pas la suppression d'impôt... tout juste un découpage dentellier.. Enfin, il semble que le dispositif promis à la publication au Journal officiel compte encore de ces inégalités contre productives, alors que les professions libérales représentent 640 000 entreprises, 1,7 millions d'emplois, 190 milliards de chiffre d'affaires et 65 000 entreprises crées en 2007, comme nous le rappelait Brigitte Longuet, la semaine dernière, dans notre édition professions. Gageons qu'elle prendra, avec d'autres, ce problème d'équité à bras le corps, dans le cadre de sa récente mission.
Reste à savoir si cette suppression emportera les raisins de la colère ou servira de trompe l'oeil...
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
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Réf. : CAA Marseille, 4ème ch., 1er septembre 2009, n° 06MA02917, M. Sébastien X, Mentionné aux Tables du Recueil Lebon (N° Lexbase : A4155ELH)
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N1745BML
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par Guy Quillévéré, Rapporteur public près le tribunal administratif de Nantes
Le 07 Octobre 2010
La décision "Boffa" de la cour administrative d'appel de Marseille juge que l'article 7 de la convention n'est pas applicable aux enfants nés à Monaco "d'exilés fiscaux" qui ne peuvent être soumis à l'impôt sur le revenu en France du seul fait de leur nationalité. La cour prolonge la décision "Mme Mori-Bodin" (CE Contentieux, 5 octobre 2007, n° 292388, Minefi c/ Mme Mori-Bodin, Publié au Recueil Lebon N° Lexbase : A6691DYH), qui soulignait le caractère autonome des dispositions de l'article 7-1 de la Convention franco-monégasque au regard des autres stipulations de cette Convention. La cour administrative d'appel de Marseille articule, toutefois, l'application des dispositions de l'article 7-1 avec celles de l'article 4 A du CGI : la Convention franco-monégasque se voit appliquer les règles jurisprudentielles retenues par le Conseil d'Etat pour la mise en oeuvre des conventions fiscales internationales bilatérales destinées à éviter les doubles impositions. Dès lors, lorsque les stipulations de l'article 7-1 de la Convention franco-monégasque sont sans portée utile pour fixer le domicile fiscal d'un français résidant à Monaco, l'impôt est assis par les dispositions des articles 4 A et 4 B (N° Lexbase : L1010HLY) du CGI.
1. Les dispositions relatives aux personnes de nationalité française ne pouvant justifier de cinq ans de résidence habituelle à Monaco, à la date du 13 octobre 1962, ne s'appliquent qu'aux Français qui avaient transféré leur résidence à Monaco à la date de signature de la convention
La résidence sur le territoire de la principauté de Monaco n'a pas à être démontrée lorsque l'on y est né et que l'on n'y a pas transporté son domicile ou sa résidence et, cela, alors même qu'un ascendant l'aurait fait auparavant : les dispositions de l'article 7-1 de la Convention de 1963, qui fixent en France le domicile fiscal des Français résidant à Monaco, sont alors sans portée utile.
1.1. Les stipulations de l'article 7-1 de la Convention franco-monégasque soumettent à l'impôt sur le revenu les français installés à Monaco après le 13 octobre 1957
La décision de la cour administrative d'appel de Marseille apporte un éclairage supplémentaire à la lecture et à la mise en oeuvre des dispositions de l'article 7-1 de la Convention franco-monégasque de 1963. L'article 7-1 concerne tous les Français, quel que soit le pays dans lequel ils résidaient avant de s'installer à Monaco, alors que les Français établis hors de France n'étaient pas concernés par les Conventions franco-monégasques de 1945 et de 1951. La Convention, s'agissant des français résidant déjà à Monaco à la date de son entrée en vigueur, précise qu'échappent à l'impôt sur le revenu ceux qui peuvent justifier de cinq années au moins de résidence habituelle à Monaco au 13 octobre 1962. La Convention reconnaît, donc, aux Français qui prouvent qu'ils se sont établis, au plus tard, à Monaco, le 13 octobre 1957, le droit d'échapper à l'impôt sur le revenu en France. Le Conseil d'Etat est alors venu, dans son arrêt du 5 octobre 2007, juger que les ressortissants français résidant à Monaco peuvent, afin de justifier qu'ils résidaient dans la Principauté depuis le 13 octobre 1957 au plus tard, produire tous éléments de preuve sans être obligés de fournir le certificat de domicile auquel font référence les dispositions de l'article 22-3 de la Convention franco-monégasque en date du 18 mai 1963.
La cour administrative d'appel de Marseille avait à se prononcer, en l'espèce, sur la situation de fait d'une personne qui, de par sa naissance, possède la double nationalité, française et italienne. La cour, dans sa décision du 1er septembre 2009, juge que M. B., qui a été assujetti en France à l'IR au titre des années 1998 à 2000 n'entre tout simplement pas dans le champ d'application des dispositions de l'article 7 de la Convention franco-monégasque. Les difficultés d'interprétation de cet article viennent de son champ particulièrement large, ce qu'avait souligné le commissaire du Gouvernement, Laurent Olléon, sous l'arrêt du Conseil d'Etat du 5 octobre 2007.
La décision de la cour administrative d'appel de Marseille montre que le temps qui passe efface, tout simplement, la pertinence et l'intérêt de la mise en oeuvre de dispositions de l'article 7-1 de la Convention franco-monégasque de 1963, autrefois édictées pour encadrer une réalité de fait, le départ de Français quittant la France pour s'installer dans la principauté pour des raisons purement fiscales. Si cette réalité ne demeure pas sans contenu aujourd'hui, il est loisible de se demander jusqu'à quel moment et au regard de quels liens familiaux il faut faire supporter aux descendants les conséquences d'un exil autrefois initié dans un but essentiellement fiscal. Il faut avoir à l'esprit, ainsi que le rappelle le Rapporteur public de la cour administrative d'appel de Marseille, Olivier Emmanuelli que "les rédacteurs de l'article 7 de la Convention franco-monégasque souhaitaient, en 1963, tarir le flux des personnes de nationalité française qui étaient tentées de s'établir dans la Principauté pour des raisons fiscales".
La cour administrative d'appel de Marseille juge que cet article 7-1, toujours en vigueur, ne doit pas s'appliquer aux descendants des personnes qui ont transporté à Monaco leur domicile ou leur résidence. Pour que les dispositions de l'article 7-1 soient applicables, il faut qu'il y ait transfert de domicile à Monaco. Or, une personne qui a toujours été domiciliée à Monaco, n'y a jamais transféré son domicile et n'entre pas dans le champ d'application des dispositions de l'article 7-1 de la Convention de 1963, ces dispositions ne fixent, donc, pas le lieu de sa résidence. Le transport du domicile ou de la résidence au regard de la situation de fait d'une personne née à Monaco et qui n'a pas transporté ailleurs son domicile recouvre une "interrogation sans contenu", alors même qu'un ascendant se serait établi dans la principauté pour des raisons fiscales.
1.2. Les enfants nés à Monaco "d'exilés fiscaux" ne peuvent être soumis à l'impôt sur le revenu en France du seul fait de leur nationalité
La cour administrative d'appel de Marseille, dans sa décision "Boffa" fait aussi une application littérale de la Convention. Si les dispositions de l'article 7-1 de la Convention franco-monégasque vise les personnes physiques de nationalité française, c'est à la condition qu'elles transportent à Monaco leur domicile ou leur résidence ou que ces personnes ne puissent justifier de cinq ans de résidence habituelle à Monaco à la date du 13 octobre 1962. La nationalité qui, certes, traduit l'appartenance juridique à la population constitutive d'un Etat et conditionne pour chaque individu l'étendue de ses droits, ne saurait, au regard de la lettre des dispositions de l'article 7-1 de la Convention franco-monégasque, suffire à assujettir en France à l'IR un résident monégasque, s'il ne justifie pas de cinq années de résidence habituelle à Monaco à la date du 13 octobre 1962.
L'absence de transport du domicile ou de la résidence suffit à écarter l'exigence ou la nécessité de prouver une durée de résidence, dès lors, tout simplement, que la lettre de la disposition de l'article 7-1 de la Convention franco-monégasque ne prévoit pas qu'un tel élément de preuve doive être apporté. M. B., en l'espèce, n'entre tout simplement pas dans le champ d'application de l'article 7 de la Convention franco-monégasque sur lequel s'est fondée l'administration fiscale pour l'assujettir à l'IR. Les dispositions des conventions fiscales sont d'interprétation stricte (CE contentieux, 6 mai 1996, n° 154217 Ministre c/ SA Quartz d'Alsace N° Lexbase : A9123AN9 : arrêt à propos duquel, le commissaire du Gouvernement Bachelier soulignait que "comme il est de règle en matière d'interprétation des conventions, ces dispositions [celles de la convention fiscale] sont d'interprétation stricte"). La cour administrative d'appel de Marseille, dans le droit fil de la mise en oeuvre de cette règle, interprète les stipulations des articles 7-1 de la Convention franco-monégasque du 18 mai 1963, conformément au principe général d'interprétation littérale de telles conventions qu'il s'agisse de sa lettre, de son contexte, de son objet ou de son but. Ce principe de l'application littérale est, par exemple, illustré dans un arrêt du Conseil d'Etat du 16 février 1990 (CE, 16 février 1990, n° 68627 et n° 68628, SAS France N° Lexbase : A4700AQ7) ou dans un arrêt du 30 décembre 1996 (CE, 30 décembre 1996, n° 128611, Ministre c/ Benmiloud N° Lexbase : A2104APM).
Le principe d'interprétation littérale des conventions, ainsi appliqué à la Convention franco-monégasque du 18 mai 1963, la place dans le droit commun de la mise en oeuvre des conventions fiscales internationales classiques, c'est-à-dire des conventions fiscales bilatérales destinées à éviter les doubles impositions.
Au-delà, de la mise en oeuvre de ce "principe général" d'application littérale, la cour administrative d'appel de Marseille a fondé sa décision en comblant le silence des dispositions de l'article 7-1 par une référence à l'article 4 A du CGI.
2. Les dispositions de l'article 7-1 de la Convention franco-monégasque, si elles sont autonomes par rapport aux stipulations de l'article 22-3 de la même convention, ne le sont pas vis-à-vis des dispositions des articles 4 A et 4 B du CGI
La décision de la cour administrative d'appel de Marseille vient atténuer la spécificité de la Convention fiscale franco-monégasque en dépit du fait qu'elle ne vise pas à supprimer les doubles impositions mais à prévenir l'évasion fiscale. Si l'article 7-1 désigne, par dérogation, la résidence, ce sont les règles du CGI qui fixent la base imposable.
2.1. Une atténuation de la spécificité de la Convention franco-monégasque
La Convention franco-monégasque a essentiellement pour objet de prévoir l'institution à Monaco d'un impôt sur les bénéfices, de définir le régime applicable en matière d'IR aux Français installés à Monaco et de fixer les règles d'assistance administrative entre les deux pays. La Convention franco-monégasque du 18 mai 1963 est donc différente, dans son objet, des autres conventions fiscales conclues par la France. Elle n'est pas destinée à éviter les doubles impositions entre les deux pays mais à régler des problèmes de voisinages liés à la différence des régimes fiscaux. Ce qu'elle vise à prévenir, ce ne sont pas des situations de doubles impositions mais de double absence d'imposition.
Ce qui était vrai pour la plupart des conventions fiscales internationales pouvait ne pas l'être pour la Convention fiscale franco-monégasque. Les dispositions de l'article 7-1 de la Convention de 1963 disjoignent, contrairement à toute autre convention fiscale internationale, le droit et le fait. En effet, dans le cadre des conventions classiques de lutte contre les doubles impositions, une personne résidant dans un Etat contractant ne peut qu'être domiciliée fiscalement dans cet Etat au titre de son "foyer permanent d'habitation". La cour administrative d'appel de Marseille, en refusant de disjoindre le droit et le fait, s'agissant d'un contribuable né à Monaco, et qui y a toujours résidé, retrouve et fait application du droit commun des règles de mise en oeuvre des conventions fiscales internationales de lutte contre les doubles impositions. C'est la référence au domicile fiscal qui justifie l'assujettissement à l'IR. Ces dispositions ne précisent, toutefois, pas comment déterminer le domicile fiscal.
La cour administrative d'appel de Marseille refuse, alors, de le faire en s'appuyant seulement sur la lettre de l'article 7-1 de la Convention franco-monégasque et de retenir, par exemple, la nationalité française de M. B.. La cour renvoie, dans le silence des stipulations de l'article 7-1 de la Convention de 1963, aux dispositions de l'article 4 A du CGI.
2.2. Lorsque les stipulations de l'article 7-1 de la Convention franco-monégasque sont sans portée pour fixer le domicile fiscal d'un Français résidant à Monaco, l'impôt est assis par les dispositions des articles 4 A et 4 B du CGI
En l'absence de définition de la résidence fiscale par les dispositions de l'article 7-1 de la Convention de 1963, et en l'absence de toute disposition qui fasse explicitement obstacle à la notion de domicile fiscal au sens des article 4 A et 4 B du CGI, les dispositions de l'article 7-1 ne peuvent, à elles seules, être regardées comme permettant la détermination du domicile fiscal de M. B.. Ce qui est repris ici, c'est le principe selon lequel une convention fiscale ne peut fonder une imposition (CE, 17 mars 1993, n° 85894, Memmi N° Lexbase : A8711AML). L'article 7-1 de la Convention de 1963, comme le soulignait la motivation de l'arrêt du Conseil d'Etat du 5 octobre 2007, désigne en France le domicile fiscal des Français résidant à Monaco, mais ce sont les dispositions des articles 4 A et 4 B qui fondent l'impôt et cela d'autant plus que la lettre de l'article 7-1 de la Convention de 1963 n'est d'aucun secours. Ce n'est, toutefois, que pour le seul impôt sur le revenu que la convention rend applicable les articles 4 A et 4 B du CGI. S'agissant de la notion de résidence, le système actuel qui vaut en droit français est issu d'une réforme réalisée par la loi n° 76-1234 du 20 décembre 1976 (N° Lexbase : L8856IEQ), le droit français ne faisant référence qu'aux notions de domicile fiscal et de source de revenu, les critères de résidence habituelle et de nationalité ayant été abandonnés. Le domicile fiscal est donc indépendant de son domicile civil ou de son domicile ordinaire.
En l'espèce, la décision de la cour administrative d'appel de Marseille se réfère explicitement au seul article 4 A du CGI et juge que, ni les dispositions de l'article 4 A du CGI, en l'absence de revenus de source française, ni aucune autre disposition du CGI, ne permettent l'assujettissement de M. B. à l'impôt sur le revenu en France. La cour fonde, donc, l'imposition sur les dispositions de l'article 4 A du CGI, confirmant, ainsi, le fait que les stipulations de l'article 7-1 de la Convention franco-monégasque ne constituent pas une base légale d'imposition des résidants à Monaco. Sur le terrain de l'article 4 B du CGI, il eût, alors, aussi été possible de dire que M. B. avait tout à la fois son foyer et le lieu de son séjour principal à Monaco, les critères retenus par l'arrêt de section "Larcher" (CE, 3 novembre 1995, n° 126513 N° Lexbase : A6488ANM), pouvant réduire encore ce qui demeure de la spécificité de la Convention franco-monégasque du 18 mai 1963 qui rentre progressivement dans le droit commun des conventions de double imposition.
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Réf. : Cass. civ. 1, 30 septembre 2009, n° 08-18.398, M. Jules François Telitsine, F-P+B (N° Lexbase : A5908ELE)
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par Adeline Gouttenoire, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directrice de l'Institut des Mineurs de Bordeaux
Le 07 Octobre 2010
L'arrêt du 30 septembre 2009 s'inscrit dans le droit fil d'une jurisprudence plutôt extensive quant à l'interprétation du motif légitime justifiant le refus d'une expertise génétique dans le cadre d'une contestation d'une filiation établie depuis longtemps (2). Il reprend indirectement, deux motifs essentiels de ne pas ordonner l'expertise (3) déjà présents dans les arrêts antérieurs : la volonté (I) et le temps (II), auquel elle ajoute un nouvel élément, l'intérêt purement financier du demandeur à l'action (III).
I - L'influence de la volonté
Volonté de l'auteur de la reconnaissance. Dans sa motivation, approuvée par la Cour de cassation, la cour d'appel insiste sur les éléments témoignant de la volonté du père prétendu d'établir et de maintenir le lien de filiation. La volonté de l'auteur de la reconnaissance est un argument déjà invoqué par le passé pour refuser de remettre en cause, à travers l'expertise génétique, le lien de filiation. Ainsi, dans un arrêt du 25 avril 2007 (4), la Cour de cassation avait admis que la volonté constante du père d'assumer sa paternité -certes conjuguée à des difficultés matérielles pour procéder à l'expertise- permettait de caractériser le motif légitime rendant impossible l'expertise génétique. Toutefois, dans l'affaire en cause dans l'arrêt du 30 septembre 2009, l'auteur de la reconnaissance n'a sans doute voulu maintenir le lien de filiation que parce qu'il pensait être vraiment le père de l'enfant. Son attitude change d'ailleurs après la révélation de l'impossibilité biologique de sa filiation puisqu'il intervient volontairement à l'action en contestation de la reconnaissance. On peut alors s'interroger sur le poids qu'il convient d'accorder à la volonté d'une personne induite en erreur... Dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt de 2007, la cour d'appel avait, en effet, relevé des manifestations permanentes d'affection de la part du père qui faisaient largement défaut dans la seconde affaire.
La volonté de l'enfant. La volonté de l'enfant a également exercé dans certains cas une influence sur la décision du juge de refuser une expertise génétique. Une décision du tribunal de grande instance de Lyon (5) a ainsi refusé une expertise génétique dans le cadre d'une contestation de maternité, au nom de l'intérêt supérieur de l'enfant, en se référant à la volonté du mineur âgé de plus de quinze ans de ne pas bouleverser ses conditions de vie. Ces solutions auraient pu s'inspirer de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme qui accorde beaucoup d'importance aux sentiments de l'enfant et à son désir de conserver ou non sa filiation (6). Elle considère ainsi dans l'arrêt "Mizzi" (7) comme dans l'arrêt "Paulik" (8), que l'impossibilité pour un homme de contester sa paternité est d'autant moins justifiée que l'enfant concerné, adulte, avait déclaré ne pas avoir d'objection à ce que le requérant désavoue sa paternité.
Effet déstabilisateur de l'action. En réalité, c'est la volonté de l'enfant de conserver sa filiation, et donc le caractère déstabilisant pour lui de la remise en cause de celle-ci qui est prise en compte par le juge. De ce point de vue "le droit de l'enfant à une filiation pourrait bien s'entendre non seulement du droit d'établir sa filiation mais également du droit de protéger celle-ci contre des contestations intempestives" (9). Cet argument a convaincu les juges dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt du 30 septembre 2009. La cour d'appel a, en effet, relevé, le caractère déstabilisateur de la demande en annulation de la reconnaissance "sur une personne actuellement âgée de 62 ans". Il semble que l'âge de "l'enfant" concerné par la filiation en cause revêt une importance certaine pour les juges. On peut, en effet, considérer qu'après toutes ces années, la filiation est un élément de l'identité de la personne et que sa remise en cause pourrait avoir des conséquences psychologiques profondes. Et ce, même si, comme en l'espèce, le titre fondant la filiation n'est pas corroborée par une possession d'état.
II - L'influence de l'écoulement du temps
Double référence au temps. La motivation de la cour d'appel, approuvée par la Cour de cassation, fait doublement référence à la période particulièrement longue qui s'est écoulée entre l'établissement et la contestation de la filiation en se plaçant du point de vue des personnes concernées : elle constate, d'une part, que l'auteur de la reconnaissance ne l'a pas contestée pendant plus de 60 ans et, d'autre part, que la personne reconnue a vécu avec cette filiation pendant 62 ans.
Prescription. On peut se demander comment une telle situation est possible. Même si celle-ci est régie par l'ancien droit, il n'en reste pas moins que la prescription applicable à l'action en contestation ou en annulation de la reconnaissance faisait l'objet d'une prescription trentenaire qui était largement établie ! Cet argument n'a toutefois pas été soulevé par le défendeur, ce qui peut paraître curieux. La démonstration aurait, en effet, été beaucoup plus simple que le raisonnement consistant à établir l'existence d'un motif légitime de ne pas ordonner une expertise génétique. Peut-être la défenderesse craignait-elle que ne soit soulevée l'impossibilité dans laquelle se trouvait l'auteur de la reconnaissance, et du même coup son fils légitime, de contester une filiation dont il pensait à tort qu'elle était fondée sur la réalité biologique. Toutefois, il est difficile de savoir si les juges auraient admis le report du point de départ du délai de prescription au jour de la connaissance par le père de l'absence de conformité de la filiation à la réalité biologique.
Stabilité des filiations. Le passage du temps, s'il ne prend pas formellement la forme d'une prescription dans cette affaire, n'est à l'évidence, pas étranger à sa solution. D'autant plus que la réforme de la filiation a eu notamment pour objectif de conférer une plus grande stabilité, de par l'effet du temps, aux filiations établies, notamment par la réduction à dix ans de la prescription de principe en matière de filiation. Cette orientation législative ne peut pas ne pas influencer les décisions rendues après l'entrée en vigueur des nouveaux textes mêmes si elles sont fondées sur l'ancien droit.
III - L'influence du caractère "strictement financier" de la motivation du demandeur
Inédit. La cour d'appel énonce clairement parmi les motifs légitimes lui permettant de refuser l'expertise, et donc la remise en cause de la filiation, le fait que "la demande en annulation de la reconnaissance n'était causée que par un intérêt strictement financier". Même si ce n'est pas tout à fait inédit que la Cour de cassation se montre sensible au caractère purement matériel de l'objectif du demandeur à l'action en justice (10), c'est la première fois qu'elle admet aussi ouvertement la prise en compte d'un tel argument en y faisant franchement référence comme élément justifiant, parmi d'autres, le refus de l'expertise biologique (11).
Qualité du demandeur. La nature de l'objectif du demandeur est incontestablement liée à sa qualité. C'est bien parce qu'il s'agissait d'un autre descendant de l'auteur de la reconnaissance que cet intérêt est purement personnel et matériel. Il n'est, en effet, pas personnellement et directement concerné par la filiation qu'il remet en cause. Les faits à l'origine de l'arrêt établissent qu'il a agi en annulation de la reconnaissance pour des raisons patrimoniales. L'argument n'aurait pas eu le même poids si le demandeur avait été le père lui-même, ce dernier ayant un intérêt personnel -un droit, relevant selon la Cour européenne des droits de l'Homme, du droit à la vie privée (12)- à remettre en cause une filiation dont il pense qu'elle est mensongère. Le fait qu'il se soit joint à l'action de son fils n'a manifestement pas suffi aux juges pour considérer que la contestation de la filiation n'avait pas seulement un objectif patrimonial.
Proportionnalité. La prise en compte de l'intérêt purement patrimonial du demandeur à l'action introduit, en réalité, de manière incidente et sans que cela ne soit formulé expressément une dose de proportionnalité dans le raisonnement. Les juges semblent procéder sans le dire à une pesée des intérêts : d'un côté l'intérêt de celle dont la filiation est établie depuis plus de 60 ans à ne pas voir remis en cause un élément de son identité personnelle, de l'autre l'intérêt purement matériel de celui qui souhaite l'annulation d'un lien qui gêne ses projets patrimoniaux. Les juges ont considéré, sans doute légitimement, qu'un intérêt purement patrimonial ne justifiait pas les effets désastreux sur le plan personnel de la destruction du lien de filiation.
(1) Cass. civ. 1, 28 mars 2000, n° 98-12.806, Mme X c/ M. Y (N° Lexbase : A8717AHC), D., 2000, p. 731, note Th. Garé ; D., 2001, somm., p. 976, obs. F. Granet Lambrechts ; JCP éd. G, 2000, II, 10409, concl. C. Petit, note M.-Ch. Monsallier-Saint-Mleux ; Dr. Famille, 2000, comm. n° 72, note P. Murat ; Defénois, 2000, p. 769, obs. J. Massip ; RTDCiv., 2000, p. 304, obs. J. Hauser.
(2) A noter, cependant, l'arrêt du 28 mai 2008 (Cass. civ. 1, 28 mai 2008, n° 07-15.037, FS-P+B+I N° Lexbase : A7686D88 et nos obs., Expertise génétique : le rappel (à l'ordre) de la Cour de cassation, Lexbase Hebdo n° 307 du 3 juin 2008 - édition privée générale N° Lexbase : N2166BGC), qui traduit la volonté de la Cour de cassation de ne pas étendre de manière excessive la liste des motifs légitimes permettant de refuser une expertise.
(3) Constitue, également, des motifs de ne pas ordonner l'expertise, l'existence d'autres éléments, tels que des présomptions ou des expertises antérieures, permettant d'aboutir à une certitude quant à la filiation recherchée ou contestée : Cass. civ. 1, 12 juin 2001, n° 98-21.796, M. Herculano Fernandes c/ Mme Luisa Moreira-Marinho (N° Lexbase : A5816ATL), Dr. fam., 2001, comm. n° 2, obs. P. Murat ; Cass. civ. 1, 24 septembre 2002, n° 00-22.466, Mlle Jessica Leban c/ Mme Catherine Marius, F-P (N° Lexbase : A4910AZU), Dr. fam., 2003, comm. n° 23, note P. Murat, RTDCiv., 2003, p. 71, obs. J. Hauser ; Cass. civ. 1, 3 novembre 2004, n° 02-11.699, Mme Eliane Hazard, épouse Coyard c/ Mme Jeannine Hazard, épouse Langlais, F-D (N° Lexbase : A7552DD3) ; Cass. civ. 1, 9 décembre 2003, n° 02-10.097, M. Saïd Oihdi c/ Mme Marie-Christine Boukef, épouse Oihdi, F-D (N° Lexbase : A4311DAW) ; Cass. civ. 1, 30 mars 2004, n° 01-00.823, M. René Lepez c/ M. Claude Lepez, F-D (N° Lexbase : A7415DBA), Dr. fam., 2004, comm. n° 96, obs. P. Murat.
(4) Cass. civ. 1, 25 avril 2007, n° 06-13.872, M. Henri Gabert, F-P+B premier moyen (N° Lexbase : A0331DW8), AJ fam., 2007. 273, obs. F. Chénedé ; Dr. fam., 2007, comm. n° 170, obs. P. Murat ; JCP éd. G, 2008. I. 102, obs. Y. Favier.
(5) TGI Lyon, 5 juillet 2007, D., 2007, p. 3052, obs. A. Gouttenoire.
(6) F. Dekeuwer-Defossez, obs. préc..
(7) CEDH, 12 janvier 2006, req. n° 26111/02, Mizzi c/ Malte.
(8) CEDH, 10 octobre 2006, req. n° 10699/05, Paulik c/ Slovaquie.
(9) Nos obs. préc..
(10) V. déjà Cass. civ. 1, 14 novembre 2006, n° 04-20.131, F- D (N° Lexbase : A9268DLT), Dr. famille, 2006, comm. 33 et les obs. de P. Murat.
(11) P. Murat, obs. sous l'arrêt commenté, Dr. fam., 2009, à paraître.
(12) La Cour européenne consacre, sur le fondement du droit à la vie privée, un droit de contester sa paternité juridique lorsque celle-ci ne correspond pas à la réalité biologique, F. Sudre et alii, Les grands arrêts de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, PUF 2009, p. 525, et réf. cit..
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par Anne Lebescond, Journaliste juridique
Le 07 Octobre 2010
Or, l'objet essentiel de la réforme consiste à exclure systématiquement de l'assiette de l'imposition la valeur locative des équipements et des biens mobiliers. Dès lors, le régime dérogatoire susvisé, visant à équilibrer la situation des professionnels libéraux, perdrait sa justification. Pourtant, le PLF prévoit son maintien, au grand mécontentement des professionnels concernés, ainsi que nous l'expose Maître Jean-Yves Mercier, avocat associé de CMS Bureau Francis Lefebvre.
Lexbase : Quel est le régime de la taxe professionnelle ? Que modifie le PLF 2010 ?
Jean-Yves Mercier : La taxe professionnelle est un impôt local établi commune par commune, dû par toute personne physique ou morale française ou étrangère qui exerce en France à titre habituel une activité professionnelle non salariée et perçu par les collectivités territoriales (communes, départements, régions) et par les EPCI à fiscalité propre. Son assiette repose sur deux éléments : la valeur locative foncière et la valeur locative des équipements et des biens mobiliers.
Depuis quelques années, la règle est d'obliger l'entreprise à cotiser pour un montant au moins égal à 1,5 % de sa valeur ajoutée. Ainsi, lorsque l'imposition à percevoir est inférieure à ce pourcentage, l'entreprise est assujettie à ce montant minimal, via l'application d'un différentiel. Cette règle ne joue, toutefois, que pour les entreprises qui réalisent un chiffre d'affaires supérieur à 7,6 millions d'euros. La loi institue, par ailleurs, un plafond fixé à 3,5 % de la valeur ajoutée. En cas de dépassement, l'Etat rembourse le différentiel.
Le Président de la République, estimant que l'imposition des équipements et des biens mobiliers freine considérablement l'investissement, a annoncé, début 2009, la suppression de la taxe professionnelle et son remplacement par une nouvelle taxe dont l'assiette se limiterait à la valeur locative foncière. L'article 2 du PLF 2010 va dans ce sens en instituant la CET. Celle-ci serait composée :
- d'une part, d'une cotisation locale d'activité (CLA) assise sur les bases foncières -lesquelles seraient minorées de 15 % pour les établissements industriels-, dont le produit irait aux communes et dont le taux serait fixé par elles ;
- et, d'autre part, d'une cotisation complémentaire (CC) assise sur la valeur ajoutée des entreprises réalisant un chiffre d'affaires d'au moins 500 000 euros ; cette dernière cotisation serait perçue selon un taux progressif allant de 0,5 % à 1,5 % et son produit serait réparti entre les départements et les régions.
C'est du moins ce qui résultait des prévisions initiales du projet gouvernemental. Mais, l'Assemblée nationale a, en première lecture, décidé d'affecter aux communes 20 % du produit de la cotisation complémentaire.
Lexbase : En quoi consiste le régime dérogatoire actuel applicable aux professionnels libéraux ayant opté pour le régime des BNC ? Pourquoi le maintenir dans le cadre de la CET ?
Jean-Yves Mercier : Le dispositif actuel de la taxe professionnelle prévoit un régime dérogatoire applicable aux professionnels libéraux soumis au régime d'imposition des bénéfices non commerciaux (BNC) et employant moins de cinq salariés (soit, plus de 70 % des avocats) (2) : ceux-ci ne sont imposés que sur la valeur locative foncière, mais pour compenser l'absence d'imposition des équipements mobiliers, ils sont taxés à hauteur de 6 % de leurs recettes. Ce dispositif entraîne déjà actuellement une imposition généralement plus forte que celle assignée à la généralité des assujettis.
Le PLF 2010 envisage de maintenir ce régime dérogatoire. Les professionnels libéraux répondant aux critères susvisés seraient, certes, dispensés de la CC, mais seraient redevables de la CLA sur une base incluant 6 % de leurs recettes. Un tel dispositif reviendrait à les imposer systématiquement plus lourdement que l'ensemble des autres assujettis. Ainsi, ceux dont les recettes n'excèdent pas 500 000 euros paieraient toujours en plus la CLA calculée sur 6 % de leurs recettes (leurs homologues du régime général étant affranchis de la cotisation complémentaire à ce niveau de chiffre d'affaires).
Le dispositif dérogatoire serait donc, maintenu, alors, pourtant, que ses justifications disparaîtraient : aujourd'hui, la taxation sur les recettes équilibre l'imposition à laquelle les autres entreprises sont soumises sur la valeur de leurs équipements mobiliers, imposition à laquelle elles vont désormais échapper par la vertu de la réforme
La seule justification au maintien du dispositif serait, dès lors, d'ordre budgétaire : suivant les indications données au cours des débats parlementaires, l'assujettissement au droit commun des professions libérales soumises au régime des BNC ferait perdre à l'Etat environ 900 millions d'euros. Pour fixer les idées, ce chiffre correspond à un niveau individuel moyen de recettes s'établissant à 55 000 euros si le nombre de contribuables concernés est de l'ordre du million. Il n'en demeure pas moins qu'en l'absence d'autres justifications, le maintien du régime dérogatoire créerait une rupture d'égalité devant l'impôt.
Les professionnels libéraux concernés sont, en outre, très préoccupés par le fait que l'effort complémentaire qui leur serait demandé par rapport à la charge des autres assujettis évoluerait au gré des décisions prises par les communes sur les taux d'imposition, alors que les assujettis à la cotisation complémentaire seront protégés par un système qui leur assure une imposition à un taux uniforme, fixé au niveau national.
Lexbase : Quelles ont été les réactions du CNB ? Quelles sont les voies de recours envisageables ?
Jean-Yves Mercier : Naturellement, le CNB s'est ému, dès l'annonce par Christine Lagarde, du maintien de ce régime dérogatoire. Le Conseil a constitué un groupe de travail ad hoc qui collabore avec l'UNAPL (Union nationale des professions libérales) et l'ANAAFA (Association nationale d'assistance administrative et fiscale des avocats). Il a obtenu que soit déposé devant la Commission des finances de l'Assemblée nationale, par Arlette Grosskost, député du Haut-Rhin, un amendement visant à supprimer ce régime. Charles de Courson (député Nouveau Centre) a, également, déposé un amendement en ce sens, à la demande de l'UNAPL. Ceux-ci n'ont, cependant, pas été retenus lors de la séance de l'Assemblée du 20 octobre dernier. La suggestion d'abaisser la taxation à 4 %, au lieu de 6 % des recettes, n'a, elle non plus, guère connu de succès.
Si le texte du PLF 2010 venait à être adopté tel quel, en dépit de ses fortes contrariétés par rapport aux exigences constitutionnelles, je ne suis malheureusement pas certain que soixante députés ou sénateurs s'accorderaient sur une saisine du Conseil constitutionnel touchant ce point précis. Nos députés et sénateurs sont aussi des maires... Le dispositif ne pourrait, alors, être contesté devant le Conseil, que dans le cadre de la question préjudicielle de constitutionnalité instaurée par l'article 29 de la loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008, de modernisation des institutions de la Vème République (N° Lexbase : L7298IAK). Un autre angle de contestation pourrait consister à se plaindre devant les tribunaux administratifs d'une atteinte aux biens sanctionnable sur le fondement de la discrimination, par l'invocation des articles 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L4747AQT) et de l'article 1er de son protocole additionnel n° 1 (N° Lexbase : L1625AZ9).
En tout état de cause, si le régime dérogatoire demeure dans le nouveau dispositif, les professionnels libéraux seront incités, plus que jamais, à créer des structures d'exercice assujetties à l'impôt sur les sociétés. Les sociétés relevant de cet impôt relèvent, en effet, du régime de droit commun et elles présentent bien d'autres avantages que celui d'éviter la surtaxation dont nous parlons.
(1) "La taxe professionnelle se caractérise par son impact néfaste sur l'investissement. La taxation des équipements et biens mobiliers, en renchérissant le coût des facteurs de production, contribue à l'insuffisance des investissements productifs, alors même que ceux-ci ont un impact déterminant sur la croissance et l'emploi à moyen terme. Elle pénalise tout particulièrement les secteurs intensifs en investissements, qui sont souvent parmi les plus exposés à la concurrence internationale et sont déjà soumis par ailleurs à des prélèvements élevés au regard de la moyenne européenne. La taxe professionnelle, qui n'a pas d'équivalent à l'étranger, constitue ainsi un handicap pour les entreprises implantées en France", Anne-Lise Lonné, PLF 2010 : une "réforme en profondeur de la structure de notre fiscalité", Lexbase Hebdo n° 366 du 7 octobre 2009 - édition fiscale général (N° Lexbase : N0753BMT).
(2) Dans le cas d'une pluralité de professionnels libéraux associés, le nombre de cinq salariés se détermine par associé.
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Réf. : Cass. civ. 2, 10 septembre 2009, n° 08-15.510, Caisse régionale d'assurance maladie d'Ile de France, F-P+B (N° Lexbase : A8958EKY)
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par Marion Del Sol, Professeur à l'Université de Bretagne Occidentale (IODE UMR CNRS 6262 - Université de Rennes 1)
Le 07 Octobre 2010
Résumé
Si, aux termes du troisième alinéa de l'article D. 242-6-13 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L9192ADS), ne peut être considéré comme un établissement nouvellement créé celui issu d'un précédent établissement dans lequel a été exercée une activité similaire, avec les mêmes moyens de production et ayant repris au moins la moitié du personnel, cette disposition, destinée à empêcher qu'aucune structure ne reprenne le risque, n'interdit pas au juge de la tarification, en présence d'une scission d'entreprise, de rechercher, par une appréciation souveraine des faits et des éléments de preuve, la société ou l'établissement issu de cette scission ayant repris le risque qui avait été aggravé par l'accident du travail ou la maladie professionnelle. |
I - Enjeux de la notion d'établissement nouveau
Les modalités permettant de déterminer le montant de la cotisation "Accidents du travail" sont complexes, une distinction devant, notamment, être opérée selon l'effectif de l'établissement ou de l'entreprise dont celui-ci relève. Ainsi, pour les entreprises soumises de par leur effectif au taux mixte et, a fortiori, au taux réel (2), la sinistralité passée est déterminante du montant de la cotisation, puisqu'il y a lieu de prendre en considération leurs résultats propres qui correspondent aux dépenses réglées aux salariés de l'établissement au titre des AT-MP au cours des trois dernières années (valeur du risque au sens de l'article D. 242-6-3 du Code de la Sécurité sociale N° Lexbase : L9180ADD).
Cependant, les établissements nouveaux se voient appliquer un mode de tarification particulier en matière de cotisations AT-MP. Quel que soit l'effectif employé, ils relèvent du taux collectif durant leur année de création et les deux années civiles suivantes (CSS, art. D. 242-6-13, al. 1er) ; ce n'est qu'au terme de cette période qu'il convient de les soumettre aux règles de tarification de droit commun (taux collectif, mixte ou réel en fonction de l'effectif) et, le cas échéant, de tenir compte de leur sinistralité passée.
Délimiter les contours de l'établissement nouveau au sens de cette réglementation AT-MP présente un intérêt financier à terme lorsque l'établissement n'est pas créé ex nihilo, mais résulte de restructurations. En effet, si l'on considère que l'établissement est nouveau au sens de l'article D. 242-6-13, troisième alinéa, les dépenses afférentes à des accidents antérieurs aux trois années d'application du taux collectif ne pourront pas être imputées à cet établissement. L'enjeu peut s'avérer important pour l'établissement concerné au plan financier, notamment si la structure dont est issue cet établissement avait enregistré précédemment de nombreux accidents du travail et/ou des accidents d'une gravité élevée générant des dépenses conséquentes d'indemnisation. Mais l'enjeu dépasse le seul cadre de l'établissement car les dépenses consécutives à certains sinistres peuvent alors être "en déshérence", c'est-à-dire ne faire l'objet d'aucune imputation à un compte employeur et donc, in fine, être supportées par l'ensemble des cotisants de la branche AT-MP.
II - Notion d'établissement nouveau en cas de restructuration
Le seul texte faisant référence aux hypothèses de restructurations est l'article D. 242-6-13 du Code de la Sécurité sociale, dont l'alinéa 3 dispose que "ne peut être considéré comme un établissement nouvellement créé celui issu d'un précédent établissement dans lequel a été exercée une activité similaire, avec les mêmes moyens de production et ayant repris au moins la moitié du personnel". Il vise notamment à éviter que, par le seul effet d'un nouveau découpage juridique, le risque antérieur créé par une structure n'ait pas de "repreneur" (3).
Sur le fondement de ce texte, la jurisprudence recourt à la notion de rupture de risque, le juge du fond (4) étant invité à vérifier si -consécutivement à la restructuration- existe un risque nouveau dans l'établissement en cause pouvant justifier l'application du taux collectif ; à défaut, les risques passés doivent être intégrés dans le compte de l'établissement concerné. Il a ainsi été jugé que, lorsque la reprise de sociétés n'emporte aucune rupture de risque, les cotisations dues par une société cessionnaire doivent être calculées en fonction des risques survenus aux salariés des sociétés cédées, même si ceux-ci n'ont pas été repris par le nouvel exploitant (5).
L'arrêt du 10 septembre 2009 concerne une hypothèse de fusion-scission à l'issue de laquelle se posait la question de l'imputation des conséquences d'un accident du travail mortel survenu à un salarié de la société faisant l'objet de la scission. Les actifs, la production et une majorité des personnels de la société scindée avaient été repris à sa charge par une société A, alors que l'activité à l'origine de l'accident était, quant à elle, reprise par une société B. La caisse régionale d'assurance maladie (Cram) avait imputé au compte de la société A le risque antérieur, mais avait vu sa décision invalidée par la Cour nationale de l'incapacité et de la tarification des accidents du travail (CNITAAT) au motif qu'il n'y avait pas continuité du risque puisque l'activité avait été reprise par la société B.
Devant la Cour de cassation, était en jeu l'interprétation des termes de l'alinéa 3 de l'article D. 242-6-13, qui précise sur quels critères un établissement issu d'une précédente entité ne peut être considéré comme nouvellement créé : une activité similaire -les mêmes moyens de production- la reprise d'au moins la moitié du personnel. Selon le pourvoi développé par la Cram, il s'agit là de critères cumulatifs pouvant être vérifiés au sein de la société A, mais partiellement absents au sein de la société B (notamment l'élément tenant à la reprise d'une majorité de salariés de la société scindée) ; c'est donc dans le cadre de la société A que le risque professionnel se serait poursuivi légitimant ainsi l'imputation à celle-ci des conséquences de l'accident survenu antérieurement dans la société scindée.
La deuxième chambre civile rejette le pourvoi, refusant de considérer que les éléments de l'alinéa 3 de l'article D. 242-6-13 constituent des critères stricto sensu, qui lieraient le juge dans son appréciation. L'attendu principal est, de ce point de vue, exempt de toute ambiguïté. Il y est affirmé que l'alinéa 3 "n'interdit pas au juge de la tarification, en présence d'une scission d'entreprise, de rechercher par une appréciation souveraine des faits et des éléments de preuve, la société ou l'établissement issus de cette scission ayant repris le risque qui avait été aggravé par l'accident du travail ou la maladie professionnelle". L'énumération de l'article D. 242-6-13 n'est qu'indicative, les éléments cités devant dès lors être considérés comme de simples indices même si, dans la plupart des cas, il s'agira certainement d'indices déterminants. Ce faisant, la Cour de cassation entend s'attacher principalement à la finalité de la disposition en cause, qui est "d'empêcher qu'aucune structure ne reprenne le risque" et donne une portée relative au texte réglementaire. En l'espèce, c'était à la charge de la société B qu'il convenait de mettre l'aggravation du risque car c'est elle qui l'avait repris (6).
Confrontées à des opérations de scission emportant scission de l'activité, les Cram semblent donc invitées à rechercher quelle entité a repris l'activité génératrice du risque, car c'est à celle-ci qu'il conviendra d'imputer les conséquences de l'accident antérieur quand bien même l'entité en cause ne cumulerait pas tous les "critères" posés à l'article D. 242-6-13.
La solution est logique car c'est la reprise effective du risque qui importe davantage que la notion d'établissement nouveau (ou non), dont les éléments d'appréciation de l'article D. 242-6-13 peuvent parfois, comme en l'espèce, masquer la réalité du risque professionnel. Mais, au regard de la complexité de certaines opérations de scission, la mise en oeuvre par les Cram pourrait s'avérer délicate ; il n'est pas certain que les organismes de tarification disposent de toutes les informations nécessaires pour identifier l'entité repreneuse du risque et ce, quand bien même l'article L. 242-5 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L7980G7P) met à la charge de l'employeur l'obligation de déclarer "toute circonstance de nature à aggraver les risques".
Décision
Cass. civ. 2, 10 septembre 2009, n° 08-15.510, Caisse régionale d'assurance maladie d'Ile de France, F-P+B (N° Lexbase : A8958EKY) Cour nationale de l'incapacité et de la tarification de l'assurance des accidents du travail, sect. tarification, 6 mars 2008 Texte visé : CSS, art. D. 242-6-13 (N° Lexbase : L9192ADS) Lien base : (N° Lexbase : E1603AE4) |
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par Julien Prigent, Avocat à la cour d'appel de Paris, Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Baux commerciaux"
Le 07 Octobre 2010
Les dispositions de l'article L. 145-41 du Code de commerce (N° Lexbase : L5769AII) concernent exclusivement la résiliation du bail pour manquement à une obligation contractuelle.
En l'espèce, par acte du 20 janvier 2003, avaient été donnés à bail des locaux à usage commercial. L'article 19 de ce bail stipulait, par dérogation aux dispositions de l'article 1722 du Code civil (N° Lexbase : L1844ABW), que "si les locaux viennent à être détruits en partie par cas fortuit indépendant de la volonté du bailleur, la présente location sera obligatoirement résiliée de plein droit et sans aucune indemnité, le preneur renonçant expressément à se maintenir dans les lieux loués moyennant une diminution du loyer". Le 11 juin 2004, un incendie avait détruit une grande partie des locaux loués. A la suite de ce sinistre, le preneur avait assigné le bailleur pour obtenir une réduction du loyer jusqu'à réception des travaux de remise en état lui incombant. Le bailleur avait demandé reconventionnellement que soit constatée la résiliation de plein droit du bail par application de la clause précitée et que soit ordonnée l'expulsion du locataire.
Le preneur reprochait aux juges du fond d'avoir constaté cette résiliation alors qu'aucun commandement préalable ne lui avait été signifié.
En effet, aux termes de l'article L. 145-41 du Code de commerce, "toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu'un mois après un commandement demeuré infructueux". Ces dispositions visent à tempérer la radicalité des effets des clauses résolutoires insérées dans les baux qui, à défaut de telles dispositions, permettraient de résilier un bail commercial dès le premier manquement du preneur à ses obligations. En effet, le preneur disposera d'un délai d'un mois pour lui permettre de régulariser la situation. A défaut de délivrance d'un commandement préalable, la résiliation par l'effet de la clause résolutoire ne pourra pas être constatée (Cass. civ. 3, 20 février 1991, n° 89-18.212, M. Armand de Bluts c/ Mme Marcelle Mandron N° Lexbase : A9598ATN).
Le but de l'exigence d'un commandement préalable, à savoir permettre au preneur de régulariser la situation puisque l'article L. 145-41 du Code de commerce précise que la résiliation ne peut avoir lieu que si le commandement est resté infructueux, permet également de déterminer les limites de cette exigence. En effet, et comme l'affirme la Cour de cassation dans l'arrêt rapporté, cette exigence ne se justifie qu'autant qu'est en cause un manquement contractuel. En ce sens, les dispositions du dernier alinéa de l'article L. 145-41 du Code de commerce, qui permettent au juge de suspendre les effets de la clause résolutoire, subordonnent l'absence de résiliation à la "libération" du preneur dans les conditions fixées par le juge, exprimant ainsi le lien étroit et indissociable qui existe entre ces dispositions et un manquement du preneur.
La décision commentée doit donc être pleinement approuvée. Le bail étant résilié de plein droit en raison de la destruction, partielle, des locaux, aucun commandement préalable n'était nécessaire. Un commandement aurait été vain puisque les locaux avaient été détruits par un cas fortuit et non en raison d'une faute du preneur. Un commandement aurait supposé au préalable une infraction, inexistante en l'espèce, et auquel en conséquence il ne pouvait a fortiori être remédié.
L'approche téléologique des dispositions imposant un commandement préalable afin d'en déterminer le champ d'application connaît, néanmoins, ses limites. En effet, elle pourrait conduire à soutenir qu'un commandement préalable n'est pas nécessaire lorsque l'infraction n'est pas régularisable. Ce n'est, toutefois, pas le sens de la jurisprudence actuelle. La Cour de cassation a, en effet, à maintes reprises, affirmé l'exigence d'un commandement alors même que l'infraction n'est pas régularisable, telle, par exemple, l'absence de convocation du bailleur à concourir à un acte de cession du droit au bail, exigence qui peut être stipulée au contrat (Cass. civ. 3, 19 avril 2005, n° 03-21.202, F-D N° Lexbase : A9636DHD ; Cass. civ. 3, 30 mai 1996, n° 93-17.201, Epoux Boulmier c/ Société Croquemitoufle et autres N° Lexbase : A9379ABY).
En résumé, le bailleur qui souhaite obtenir la résiliation de plein droit du bail en application d'une clause stipulée à ce dernier devra délivrer un commandement préalable lorsque cette résiliation est fondée sur un manquement contractuel, pour tout manquement contractuel, qu'il soit ou non régularisable, mais seulement en présence d'un manquement contractuel.
En présence d'un bail commercial portant sur des locaux dont une partie est désignée comme correspondant à des locaux d'habitation, pèse sur le bailleur une obligation de délivrer un logement décent si le preneur a son habitation principale dans ces locaux.
En l'espèce, un preneur avait acquis, le 8 septembre 1989, un fonds de commerce de boulangerie exploité dans des locaux commerciaux donnés à bail. Il avait assigné le bailleur aux fins, notamment, de le voir condamner à exécuter dans les lieux donnés à bail servant à l'habitation principale du preneur des travaux permettant l'installation des éléments d'équipement et de confort visés à l'article 3 du décret n° 2002-120 du 30 janvier 2002 (N° Lexbase : L4298A3L). Les juges du fond ayant accueilli sa demande, le bailleur s'est pourvu en cassation.
L'article 1719 du Code civil (N° Lexbase : L1841ABS) dispose, en effet, que "le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu'il soit besoin d'aucune stipulation particulière [...] de délivrer au preneur la chose louée et, s'il s'agit de son habitation principale, un logement décent", les caractéristiques du logement décent étant édictées par le décret n° 2002-120 du 30 janvier 2002.
Le bailleur avait soulevé trois arguments qui, selon lui, devaient conduire à la mise à l'écart de l'obligation de délivrer un logement décent.
Il invoquait, tout d'abord, que le preneur n'avait pas son habitation principale dans les locaux loués. Il n'est guère contestable, en effet, que, dans ce cas, l'obligation de délivrer un logement décent n'aurait pas eu à s'appliquer, l'article 1719 du Code civil visant expressément l'habitation principale du preneur. Sur ce point, la Cour de cassation se retranche derrière le pouvoir souverain des juges du fond qui avaient constaté que le preneur y avait bien son habitation principale.
Le bailleur prétendait également que l'exigence d'un logement décent ne s'appliquait pas à un "bail commercial". Il est vrai que le bail mixte à usage commercial et d'habitation a été qualifié de "commercial" pour le tout (en ce sens, Cass. civ. 3, 13 juin 1968, n° 66-12.134, Epoux Boireau c/ Dudognon N° Lexbase : A1000AUL ; Cass. civ. 3, 16 octobre 1974, n° 73-13.720, Epoux Bosc c/ Epoux Tournier N° Lexbase : A7067AGT ; Cass. civ. 3, 1er octobre 1997, n° 95-14.322, Etablissement Belmont Voyages Marco Polo c/ Madame Mazo N° Lexbase : A1844ACB). Il pouvait donc être soutenu que des dispositions relatives aux locaux loués à l'usage d'habitation ne devraient pas s'appliquer à un tel bail. L'argument n'est toutefois guère pertinent car à partir du moment où une partie des locaux est à usage d'habitation, il est difficile d'exclure l'application de l'article 1719 du Code civil, ressortissant du droit commun du bail, si le preneur y a son habitation principale : ubi lex distinguit, nec nos distinguere debemus. L'arrêt rapporté confirme, s'il en était besoin, que l'exigence d'un logement décent s'applique à un bail mixte à usage commercial et d'habitation, pour la partie destinée à cette dernière et s'il s'agit de l'habitation principale du preneur.
La véritable question en l'espèce était celle posée dans la deuxième branche du moyen. Le bailleur y soutenait, en substance, que le bail était "purement" commercial, tout d'abord parce qu'il avait reçu cette qualification (et non celle de bail mixte) et, ensuite, parce que la destination des locaux était commerciale sans qu'il ait été expressément stipulé qu'une partie des locaux serait à usage d'habitation. Il importerait peu, selon ce raisonnement, qu'une partie des locaux puisse être désignée comme des locaux à usage d'habitation (appartement, salon, etc.). Dès lors que les locaux seraient effectivement à destination commerciale pour le tout, l'usage d'habitation serait contraire à la destination du bail et il serait difficilement imaginable que le preneur puisse invoquer le bénéficie d'un droit découlant d'une infraction contractuelle.
La question est celle du conflit entre la destination du bail et la désignation des locaux sur laquelle la jurisprudence a déjà eu l'occasion de se prononcer. Il avait ainsi été jugé qu'en présence d'un bail dont l'assiette était constituée d'une boutique et d'un "logement" au premier étage, l'ensemble des locaux était à usage commercial car "aucune interdiction quant à l'utilisation du local du premier étage pour l'exercice de l'activité commerciale" n'était stipulée (Cass. civ. 3, 17 novembre 1998, n° 97-15.301, M. Jean-Pierre, Paul Pomier et autres c/ M. Armand, Raymond Bentat N° Lexbase : A0632CWC ; voir, également en ce sens, Cass. civ. 3, 4 mars 2008, n° 07-13.881, F-D N° Lexbase : A3354D7D). Il avait été également affirmé que la "simple désignation des lieux ne suffisait pas à contredire le caractère professionnel du bail" (Cass. civ. 3, 6 décembre 1995, n° 94-13.195, M. Henry Duc Dodon c/ M. Joseph Aloth et autres N° Lexbase : A8359CNW).
Le conflit entre destination et désignation semblait en conséquence tranché en faveur de la destination, encore qu'aux termes des arrêts précités du 17 novembre 1998 et 4 mars 2008, il soit simplement affirmé que le locataire a la faculté d'utiliser la partie des locaux dont la désignation pouvait laisser entendre qu'il s'agissait de la partie "habitation". Il ne saurait être conclu, à partir de ces seules décisions, que le preneur aurait l'interdiction de les utiliser pour son habitation.
L'arrêt rapporté semble, implicitement, trancher le conflit destination/désignation dans un sens différent puisqu'il approuve les juges du fond d'avoir retenu que le bailleur était tenu de délivrer un logement décent en relevant que le bail était commercial, tout en reprenant la clause de désignation, et que le preneur y avait son habitation principale. En conséquence, la Cour de cassation semble avoir retenu implicitement que le preneur pouvait affecter une partie des locaux à un usage d'habitation, cet usage de fait par le preneur ne pouvant avoir en lui-même valeur de destination contractuelle, il faudrait en conclure qu'en présence d'un bail commercial comportant des locaux dont une partie est désignée comme un logement d'habitation, ces derniers peuvent être utilisés à un tel usage. Certes, la question n'était pas posée directement à la Haute juridiction de savoir si le preneur commettait ou non une infraction aux stipulations du bail dans ce cas. Il semble, toutefois, difficile de faire peser sur une partie à un contrat une obligation dont la naissance aurait pour origine un manquement contractuel de l'autre partie.
Il ressort, enfin, de cet arrêt que le preneur est bien fondé à réclamer des dommages et intérêts en cas de violation par le bailleur de son obligation de délivrer un logement décent, même s'il n'a pas préalablement demandé une remise en conformité des locaux.
L'application des règles relatives au logement d'habitation en présence d'un bail à usage mixte, commercial et d'habitation, s'est également posée en matière d'expulsion.
Le commandement de quitter les lieux qui ne répond pas aux exigences de forme prescrites par l'article 195 du décret du 31 juillet 1992 (N° Lexbase : L4362GL7) est affecté d'un vice de forme. En conséquence, la nullité qui découle de ce vice de forme est, en application de l'article 114 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1950ADL), subordonnée à la preuve de l'existence d'un grief. Ces règles sont applicables en présence d'un bail mixte à usage commercial et d'habitation.
En l'espèce, des locaux à usage commercial et d'habitation avaient été donnés à bail. Se prévalant d'un arrêt ayant constaté la résiliation de ce bail et autorisé l'expulsion du preneur, le bailleur avait fait délivrer à celui-ci un commandement de quitter les lieux. Le preneur avait alors saisi le juge de l'exécution en vue d'obtenir l'annulation de ce commandement et, subsidiairement, avait sollicité un sursis à statuer ainsi que l'octroi de délais.
Il invoquait le non-respect des dispositions de l'article 195 du décret du 31 juillet 1992 qui disposent que "lorsque l'expulsion porte sur un local affecté à l'habitation principale de la personne expulsée ou de tout occupant de son chef, le commandement d'avoir à libérer les locaux contient, à peine de nullité, en plus des mentions prévues à l'article 194 (N° Lexbase : L4360GL3), la reproduction de l'article 62 de la loi du 9 juillet 1991 (N° Lexbase : L4664AH9) et celle des articles L. 613-1 (N° Lexbase : L2710IDQ) à L. 613-5 du Code de la construction et de l'habitation".
L'article 194 du décret du 31 juillet 1992 précise que le commandement, qui doit prendre la forme d'un acte d'huissier de justice signifié à la personne, doit contenir :
- l'indication du titre exécutoire en vertu duquel l'expulsion est poursuivie ;
- la désignation de la juridiction devant laquelle peuvent être portées les demandes de délais et toutes contestations relatives à l'exécution des opérations d'expulsion ;
- l'indication de la date à partir de laquelle les locaux devront être libérés ;
- et l'avertissement qu'à compter de cette date il pourra être procédé à l'expulsion forcée du débiteur ainsi qu'à celle de tout occupant de son chef.
L'article 62 de la loi n° 91-650 du 9 juillet 1991 (N° Lexbase : L4664AH9) dispose, notamment et sauf exception, que lorsque "l'expulsion porte sur un local affecté à l'habitation principale de la personne expulsée ou de tout occupant de son chef", elle ne peut avoir qu'à l'expiration d'un délai de deux mois.
Enfin, les dispositions des articles L. 613-1 à L. 613-5 du Code de la construction et de l'habitation autorisent, à certaines conditions, l'octroi judiciaire de délais de grâce pour quitter les locaux. Ces dispositions doivent apparaître au commandement de quitter les lieux afin d'informer le preneur de la gravité des conséquences d'un tel acte et des recours dont il dispose.
L'arrêt rapporté rappelle que le non-respect de ces prescriptions est une nullité de forme qui n'est sanctionnée qu'à la condition que l'omission ait causé un grief à la personne expulsée, conformément à l'article 114 du Code de procédure civile (voir, déjà en ce sens, Cass. civ. 2, 13 juillet 2006, n° 04-13.248, FS-P+B N° Lexbase : A4274DQD). Ce grief pourrait, par exemple, résider dans la méconnaissance du destinataire du commandement des recours dont il disposait et qui aurait pu faire obstacle à l'expulsion... Il est vrai, toutefois, que ce grief ne serait avéré qu'une fois l'expulsion effectuée, auquel cas, l'utilité d'un tel recours pourrait être discutable.
L'autre intérêt de cette décision est qu'elle a été rendue dans une espèce où le bail portait sur des locaux à usage commercial et d'habitation. Même si la question n'avait pas été posée directement à la Cour de cassation, cet arrêt fait une application des dispositions de l'article 195 du décret du 31 juillet 1992 lorsque l'occupation résultait d'un tel bail, dans la mesure où elles concernent, fusse partiellement, un "local affecté à l'habitation principale".
En conséquence, et bien qu'un bail mixte à usage commercial et d'habitation soit commercial au regard du statut locatif le régissant (voir, par exemple, Cass. civ. 3, 1er octobre 1997, n° 95-14.322, préc.), les dispositions relatives à l'expulsion de locaux à usage d'habitation qui sont inclus dans son assiette peuvent être applicables dès lors que le preneur y a son habitation principale.
Concernant l'expulsion, il doit être rappelé également que l'occupant de locaux commerciaux, même en l'absence de partie à usage d'habitation, peut se voir accorder un délai de grâce sur le fondement des articles L. 613-1 et suivants du Code de commerce (Cass. civ. 2, 4 juillet 2007, n° 06-14.601, FS-P+B N° Lexbase : A0825DXT).
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Réf. : Cass. soc., 14 octobre 2009, n° 08-42.878, M. David Pascal Lazaro Guerreiro c/ Société Point P, FS-P+B+R (N° Lexbase : A0951EM8)
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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale
Le 07 Octobre 2010
Résumé
1° L'employeur, tenu d'une obligation de sécurité de résultat, doit en assurer l'effectivité et prendre en compte les recommandations du médecin du travail et, en cas de refus, faire connaître les motifs qui s'opposent à ce qu'il y soit donné suite. Lorsque le salarié fait valoir que l'employeur n'a pas adapté son poste de travail conformément aux recommandations du médecin du travail, il appartient à l'employeur de justifier qu'il a procédé à une telle adaptation. 2° La prise d'acte de la rupture par le salarié en raison de faits qu'il reproche à son employeur entraîne la rupture immédiate du contrat de travail et ne peut être rétractée. |
I - Obligation de sécurité de l'employeur et adaptation du poste de travail
C'est à partir de 2002 que la Cour de cassation a formalisé l'existence, à la charge de l'employeur, d'une obligation de sécurité de résultat, à l'occasion de la redéfinition de la faute inexcusable de l'employeur et dans le cadre de la législation professionnelle. Selon la Chambre sociale de la Cour de cassation, en effet, l'employeur est débiteur, à l'égard de ses salariés, d'une "obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées par ce salarié du fait des produits fabriqués ou utilisés par l'entreprise" (1). Cette solution, initialement dégagée en présence de maladies professionnelles, fut étendue aux accidents du travail (2), puis reprise par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation (3) et l'Assemblée plénière (4).
La Cour de cassation a, ensuite, rattaché à l'obligation de sécurité de résultat de l'employeur le respect de la loi "Evin", interdisant de fumer dans les entreprises, pour protéger les salariés du tabagisme passif (5), la législation relative au harcèlement moral (6), puis celle relative aux salariés inaptes, singulièrement l'obligation d'assurer aux salariés la visite médicale de reprise (7) et de tenir compte des préconisations du médecin du travail (8), pour indiquer à l'employeur qu'en cas de désaccord avec le médecin du travail il lui appartient de le ressaisir (9), à défaut de quoi tout licenciement ultérieur du salarié sera considéré comme étant injustifié (10). Cette tendance s'est confirmée pour justifier l'annulation du salarié qui a valablement exercé son droit de retrait (11) ou, encore; autoriser le juge des référés à suspendre une mesure de réorganisation faisant craindre pour la sécurité des salariés (12).
Dès lors que l'employeur ne respecte pas les préconisations du médecin du travail, il est, par ailleurs, tenu de s'en justifier, à défaut de quoi le licenciement du salarié qui pourrait intervenir sera privé de cause réelle et sérieuse (13).
Dans cette affaire, un salarié, victime d'un accident du travail, avait subi une première visite de reprise aux termes de laquelle le médecin du travail avait indiqué qu'"une inaptitude au poste est à prévoir", et qu'en attendant le salarié pouvait "être affecté à un poste excluant le port de charges supérieures à 10 kg. L'avis d'aptitude sera précisé à l'issue de la seconde visite". Considérant que l'employeur n'avait pas tenu compte de cette préconisation dans l'attente de la seconde visite, le salarié avait pris acte de la rupture du contrat de travail, avant de se rétracter quelques jours plus tard et d'être licencié pour faute grave.
Statuant dans le cadre du régime de la prise d'acte, la cour d'appel de Paris avait débouté le salarié de ses demandes et considéré qu'il n'était pas démontré que la société n'avait pas respecté les prescriptions temporaires du médecin du travail mentionnées dans la fiche d'aptitude.
Cet arrêt est cassé. Après avoir rappelé "que l'employeur, tenu d'une obligation de sécurité de résultat, doit en assurer l'effectivité ; qu'il doit prendre en compte les recommandations du médecin du travail et, en cas de refus, faire connaître les motifs qui s'opposent à ce qu'il y soit donné suite ; qu'il en résulte que, lorsque le salarié fait valoir que l'employeur n'a pas adapté son poste de travail conformément aux recommandations du médecin du travail, il appartient à l'employeur de justifier qu'il a procédé à une telle adaptation", la Haute juridiction indique que le salarié avait été déclaré partiellement inapte à son emploi à l'issue du premier examen médical de reprise par le médecin du travail et qu'il appartenait à l'employeur, qui avait réaffecté le salarié à son emploi habituel, de justifier de l'adaptation du poste de travail du salarié ou des raisons pour lesquelles une telle adaptation était impossible.
La solution est parfaitement conforme aux règles qui gouvernent la preuve. L'article 1315, alinéa 2, du Code civil (N° Lexbase : L1426ABG), dispose, en effet, très clairement, dans des dispositions applicables aux obligations en général, que "celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation". Or, tel est bien le cas de l'employeur débiteur d'une obligation de sécurité lui imposant de suivre les recommandations du médecin du travail. Il s'agit, d'ailleurs, bien ici d'une solution fondée sur l'application des règles qui gouvernent la preuve, car la Haute juridiction n'impose pas à l'employeur d'obligation de résultat quant au reclassement du salarié ; ce dernier peut, en effet, ne pas suivre les préconisations du médecin du travail, à condition, toutefois, de s'en justifier concrètement.
II - Prise d'acte et rétractation
Redéfinie à la fois dans ses modalités et ses effets en 2003 (14), la prise d'acte par le salarié de la rupture de son contrat de travail a livré, en six ans, presque tous ses secrets. On sait, en effet, qu'il s'agit d'un mode de rupture du contrat de travail distinct de la démission et du licenciement, dans son expression, mais qui emprunte à l'un ou l'autre de ses régimes quant à ses effets, selon que les griefs formulés contre l'employeur sont ou non jugés suffisants pour justifier la décision.
Une fois formalisée, la prise rompt immédiatement le contrat de travail, sans qu'il soit question, ici, d'un quelconque préavis, et ce même si elle produit les effets d'une démission (15). L'employeur qui dispose d'un certain délai pour renoncer au bénéfice de la clause de non-concurrence devra donc se méfier car le délai de renonciation part de la réception de la lettre (16) et non du licenciement qu'il aurait pu prononcer par la suite et qui sera de toute façon nul et non avenu, puisque la rupture du contrat de travail aura déjà été consommée (17).
C'est ce caractère "immédiat" de la rupture qui se trouve ici confirmé (18), la Cour de cassation en tirant une conséquence inédite, puisque sa Chambre sociale en déduit qu'elle ne peut être "rétractée". Le caractère non-rétractable de la prise d'acte tranche ainsi nettement avec le régime de la démission qui peut valablement l'être, dès lors que le salarié, agissant sous le coup de la colère ou d'une violente émotion, se rétracte dans un temps voisin de la démission (19).
La formule lapidaire de la Haute juridiction, selon laquelle "la prise d'acte de la rupture par le salarié en raison de faits qu'il reproche à son employeur entraîne la rupture immédiate du contrat de travail" et "qu'il s'ensuit qu'elle ne peut être rétractée", semble particulièrement sévère, car elle ne laisse au salarié aucun moyen de faire machine arrière, y compris dans l'hypothèse où il aurait agi sous le coup de la colère ou d'une violente émotion, hypothèses admises en matière de retrait de la démission.
Cette crainte doit, toutefois, être tempérée car, dans cette affaire, c'est l'employeur, et non le salarié, qui réclamait le bénéfice d'une prétendue rétractation de la prise d'acte, et pour échapper à la condamnation pour licenciement sans cause réelle et sérieuse car les griefs formulés par le salarié étaient avérés et suffisamment graves pour justifier la rupture (le non suivi des préconisations du médecin du travail).
On peut alors raisonnablement espérer que dans d'autres circonstances où la prise d'acte serait susceptible de produire les effets d'une démission, en raison de son caractère injustifié, la Cour de cassation saurait admettre la rétractation de celle-ci s'il apparaissait, par exemple, que la volonté du salarié a pu être altérée par les circonstances, et dès lors que l'employeur n'aurait par ailleurs pas tiré toutes les conséquences de cette décision.
Décision
Cass. soc., 14 octobre 2009, n° 08 42.878, M. David Pascal Lazaro Guerreiro c/ Société Point P, FS P+B+R (N° Lexbase : A0951EM8) Cassation CA Paris, 22ème ch., sect. B, 27 février 2007, n° 05/07262, M. David Pascal Lazaro Guerreiro c/ SA Point P (N° Lexbase : A0919DYP) Texte visé : C. trav., art. L. 4624-1 (N° Lexbase : L1874H9B) Mots clefs : accident du travail ; inaptitude ; médecin du travail ; obligation de sécurité de résultat ; prise d'acte Lien base : |
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Réf. : Cass. soc., 14 octobre 2009, n° 08-40.723, FP-P+B (N° Lexbase : A0925EM9)
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N1821BME
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par Christophe Willmann, Professeur à l'Université de Rouen et Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Droit de la Sécurité sociale"
Le 21 Octobre 2014
Résumé
En application des articles 16 et 17 du Règlement communautaire n° 1346/2000 du 29 mai 2000, relatif aux procédures d'insolvabilité, toute décision ouvrant une procédure d'insolvabilité prise par une juridiction d'un Etat membre compétente en vertu de l'article 3 de ce Règlement est reconnue dans tous les autres Etats membres dès qu'elle produit ses effets dans l'état d'ouverture et produit, sans aucune autre formalité, dans tout autre Etat membre, les effets que lui attribue la loi de l'Etat d'ouverture. L'ouverture en Allemagne, en application du Règlement n° 1346/2000 du 29 mai 2000, d'une procédure collective à l'égard de l'employeur, le 7 avril 2003, soit avant les prises d'acte de la rupture (en mai 2003) était à l'origine du non-paiement des salaires depuis cette date. La carence de l'employeur dans le paiement des salaires ne pouvait être fautive qu'entre le 30 mars et de 7 avril 2003. Ce manquement ne suffit pas à justifier la décision des salariés de prendre acte de la rupture de leur contrat de travail dès lors qu'était mise en oeuvre la garantie des créances salariales liée à l'insolvabilité de l'employeur. |
I - Non-paiement des salaires par l'employeur et prise en charge des salariés au titre du Règlement n° 1346/2000 du 29 mai 2000
A- Application du Règlement n° 1346/2000
Le droit européen et communautaire comprend, en matière de protection des salariés contre l'insolvabilité, plusieurs références : la Directive 80/987/CEE du Conseil du 20 octobre 1980, relative à la protection des travailleurs salariés en cas d'insolvabilité de l'employeur (N° Lexbase : L9435AUY), modifiée par la Directive 2002/74/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 septembre 2002 (N° Lexbase : L9629A4E) et le Règlement (CE) n° 1346/2000 du Conseil, du 29 mai 2000, relatif aux procédures d'insolvabilité (2).
Ce Règlement établit un cadre commun pour les procédures d'insolvabilité au sein de l'Union européenne. Les dispositions harmonisées relatives aux procédures d'insolvabilité visent à éviter le déplacement des avoirs ou de procédures judiciaires d'un Etat membre à l'autre pour pouvoir bénéficier de la meilleure situation juridique au détriment des créanciers ("forum shopping"). Le Règlement s'applique aux procédures d'insolvabilité ouvertes après son entrée en vigueur le 31 mai 2002. Les annexes du Règlement énumèrent précisément les procédures d'insolvabilité visées dans les Etats membres (annexe A), les procédures de liquidation (annexe B) et les syndics (annexe C).
Pour assurer des procédures plus uniformes afin d'éviter que les parties ne soient incitées à déplacer des avoirs ou des procédures judiciaires d'un Etat à un autre en vue d'améliorer leur situation juridique ("forum shopping"), les solutions proposées par le Règlement n° 1346/2000 reposent sur le principe de l'universalité de la procédure, tout en conservant la possibilité d'ouvrir des procédures secondaires limitées au territoire de l'Etat membre concerné.
Le Règlement s'applique aux procédures collectives fondées sur l'insolvabilité du débiteur qui entraînent le dessaisissement partiel ou total de ce débiteur, ainsi que la désignation d'un syndic (article 1er). Les décisions prises par la juridiction responsable de la procédure principale sont immédiatement reconnues par tous les Etats membres, sans contrôle supplémentaire, sauf si cette reconnaissance a des effets contraires à son ordre public, dans le cas de décisions limitant le secret postal ou la liberté individuelle.
En l'espèce, en application des articles 16 et 17 du Règlement communautaire n° 1346/2000 du 29 mai 2000, relatif aux procédures d'insolvabilité, toute décision ouvrant une procédure d'insolvabilité prise par une juridiction d'un Etat membre compétente en vertu de l'article 3 de ce Règlement est reconnue dans tous les autres Etats membres dès qu'elle produit ses effets dans l'état d'ouverture et produit, sans aucune autre formalité, dans tout autre Etat membre, les effets que lui attribue la loi de l'Etat d'ouverture.
B - Reconnaissance de la procédure d'insolvabilité
Le droit communautaire donne une réponse simple et efficace à cette question, a priori très complexe, de reconnaissance de la procédure d'insolvabilité.
D'une part, le Règlement (CE) n° 1346/2000 du Conseil, du 29 mai 2000, relatif aux procédures d'insolvabilité (article 16), précise que toute décision ouvrant une procédure d'insolvabilité prise par une juridiction d'un Etat membre compétente (en vertu de l'article 3) est reconnue dans tous les autres Etats membres, dès qu'elle produit ses effets dans l'Etat d'ouverture. Cette règle s'applique également lorsque le débiteur, du fait de sa qualité, n'est pas susceptible de faire l'objet d'une procédure d'insolvabilité dans les autres Etats membres. La reconnaissance d'une procédure visée à l'article 3 § 1 ne fait pas obstacle à l'ouverture d'une procédure (visée à l'article 3 § 2) par une juridiction d'un autre Etat membre. Dans ce cas, cette dernière procédure est une procédure secondaire d'insolvabilité.
D'autre part, le Règlement (CE) n° 1346/2000 du Conseil du 29 mai 2000 (article 17) règle les effets de la reconnaissance. La décision d'ouverture d'une procédure (visée à l'article 3 § 1) produit, sans aucune autre formalité, dans tout autre Etat membre, les effets que lui attribue la loi de l'Etat d'ouverture, sauf disposition contraire du Règlement n° 1346/2000 et aussi longtemps qu'aucune procédure (visée à l'article 3 § 2) n'est ouverte dans cet autre Etat membre. Les effets d'une procédure (visée à l'article 3 § 2) ne peuvent être contestés dans les autres Etats membres. Toute limitation des droits des créanciers, notamment un sursis des paiements ou une remise de dette résultant de cette procédure, ne peut être opposée, quant aux biens situés sur le territoire d'un autre Etat membre, qu'aux créanciers qui ont exprimé leur accord.
En l'espèce, la société Isotech avait fait l'objet d'un premier jugement du tribunal d'instance de Karlsruhe le 7 avril 2003, ouvrant la procédure collective de la société et désignant Me B. en qualité d'administrateur provisoire. Ce jugement, qui constituait la société Isotech en état de cessation des paiements, puisqu'il lui interdisait d'effectuer tout acte de disposition, de recevoir tout paiement et suspendait toute mesure d'exécution forcée, avait nécessairement effet à l'égard de tous et, notamment, des salariés, même s'ils n'étaient pas parties à la procédure. La société Isotech avait fait l'objet d'un second jugement le 1er juin 2003, ouvrant la procédure d'insolvabilité, jugement ayant fait l'objet des publications légales et ayant effet à l'égard de tous.
II - Caractère non fautif de la carence de l'employeur pour non paiement des salaires
A - Prise d'acte et qualification de faute du comportement de l'employeur
Un salarié peut prendre acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur (3). En fonction du caractère fautif, ou non, de ces faits, découle un régime spécifique à la rupture : effets du licenciement si les faits sont bien fautifs, effets de la démission dans le cas contraire.
Sont considérés comme fautifs le refus de faire convoquer le salarié par la médecine du travail (4) ; le retard répété dans le paiement des salaires, sans raison valable (5) ; le refus de verser au salarié des primes qui lui sont normalement dues (6) ; le non-respect par l'employeur de la législation anti-tabac (7) ; la modification unilatérale du contrat de travail, le salarié ayant été affecté fréquemment sur des chantiers autres que ceux prévus par le contrat de travail (8) ; le non-paiement intégral des salaires (9) ; la réduction du salaire fixe et le règlement partiel des commissions (10) ; ou, encore, l'absence de versement des salaires conventionnellement garantis au salarié pendant son arrêt pour maladie (11).
En l'espèce, certains salariés ont fait grief à l'employeur de ne pas avoir payé le salaire du mois d'avril 2003, qui était échu le 1er mai 2003. Les juges du fond avaient rappelé le principe fondamental selon lequel le paiement des salaires à bonne date constitue l'obligation essentielle à la charge de l'employeur : de simples difficultés économiques ne sauraient autoriser l'employeur à s'affranchir de cette obligation.
Mais la gravité de ce manquement doit être appréciée au regard de la connaissance que pouvait avoir ces salariés, à la date du 31 mai 2003, de la situation économique de l'entreprise allemande et de l'imminence du dépôt de bilan, qui devait permettre le règlement rapide des salaires par l'organisme de garantie. Ces salariés avaient connaissance de la situation économique de la société Isotech qui avait fait l'objet d'un premier jugement du tribunal d'instance de Karlsruhe le 7 avril 2003, ouvrant la procédure collective de la société. Dans ce contexte, la prise d'acte de la rupture ne permet pas d'en imputer les effets à l'employeur, alors que les salariés savaient manifestement qu'une procédure collective était, d'ores et déjà, ouverte en Allemagne et qu'une issue rapide allait intervenir dans le cadre des dispositions collectives. Le retard du paiement du salaire depuis 12 jours dans un contexte de difficultés économiques connu des salariés ne peut constituer un manquement suffisamment grave justifiant la rupture du contrat de travail aux torts de l'employeur.
Les salariés, déboutés par la cour d'appel, invoquaient, devant la Cour de cassation, deux arguments : le retard dans le paiement du salaire caractérise à lui seul un manquement de l'employeur à une obligation essentielle du contrat de travail justifiant la prise d'acte de la rupture par le salarié aux torts exclusifs de l'employeur ; et l'ouverture d'une procédure collective ne dispense pas l'employeur du paiement des salaires.
Ces arguments avaient du poids, en ce sens qu'ils faisaient écho à la jurisprudence de la Cour de cassation sur le caractère fautif du non-paiement par l'employeur des salaires, rendant justifié la prise d'acte de rupture du contrat de travail par un salarié (12).
Par l'arrêt rapporté, la Cour de cassation, avec une certaine sagesse, écarte ces moyens invoqués par les salariés. La carence de l'employeur dans le paiement des salaires ne pouvait être fautive qu'entre le 30 mars et de 7 avril 2003. Ce manquement ne suffit pas à justifier la décision des salariés de prendre acte de la rupture de leur contrat de travail, dès lors qu'était mise en oeuvre la garantie des créances salariales liées à l'insolvabilité de l'employeur.
B - Prise d'acte : effets juridique de l'absence de qualification de fait fautif
En l'absence de faits suffisamment graves pour justifier la rupture aux torts de l'employeur, la prise d'acte du salarié a les effets d'une démission (13).
(1) Sur la prise d'acte produisant les effets d'une démission, cf. l’Ouvrage "Droit du travail" .
(2) Le Règlement (CE) n° 603/2005 du Conseil du 12 avril 2005 a modifié les listes des procédures d'insolvabilité, des procédures de liquidation et des syndics figurant aux annexes A, B et C du Règlement (CE) n° 1346/2000, pour tenir compte des modifications des législations de certains Etats membres (à savoir la Belgique, l'Espagne, l'Italie, la Lettonie, la Lituanie, Malte, la Hongrie, l'Autriche, la Pologne, le Portugal et le Royaume-Uni). Le Règlement (CE) n° 694/2006 (N° Lexbase : L4912HIR) modifie les annexes A (procédures d'insolvabilité visées par l'article 2 du Règlement (CE) n° 1346/2000) et C (les syndics visés par ce même article) concernant la France.
(3) Cass. soc., 25 juin 2003, 3 arrêts, n° 01-42.335, M. Patrice Célestin c/ EURL Perl Apprets, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A8976C8X), n° 01-42.679, Société Technoram c/ M. Thierry Levaudel, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A8977C8Y) et n° 01-43.578, Mme Nicole Chiche c/ Société Ecoles de danse Gérard Louas, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A8978C8Z) ; lire les obs. de Ch. Radé, Autolicenciement : enfin le retour à la raison !, Lexbase Hebdo n° 78 du 3 juillet 2003 - édition sociale (N° Lexbase : N8027AAK).
(4) Cass. soc., 15 octobre 2003, n° 01-43.571, Société Aux produits du Nyonsais c/ M. Jacky Richard, inédit (N° Lexbase : A8327C9B) ; lire les obs. de Ch. Radé, Inaptitude médicale et autolicenciement : un employeur averti en vaut deux !, Lexbase Hebdo n° 91 du 23 octobre 2003 - édition sociale (N° Lexbase : N9165AAP).
(5) Cass. soc., 24 avril 2003, n° 00-45.404, Mme Pascale Coniglio, F-D (N° Lexbase : A4999BM4).
(6) Cass. soc., 21 janvier 2003, n° 00-44.502, Société Sogeposte, FS-P+B+R (N° Lexbase : A7345A4S) ; lire les obs. de G. Auzero, Autolicenciement d'un salarié protégé : réflexions autour de la rupture du contrat de travail à l'initiative du salarié, Lexbase Hebdo n° 57 du 6 février 2003 - édition sociale (N° Lexbase : N5763AAP).
(7) Cass. soc., 29 juin 2005, n° 03-44.412, Société Acme Protection c/ Mme Francine Lefebvre, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A8545DIC) ; lire les obs. de N. Mingant, La prise d'acte de la rupture pour non-respect par l'employeur de la législation anti-tabac, Lexbase Hebdo n° 176 du 14 juillet 2005 - édition sociale (N° Lexbase : N6574AIC).
(8) Cass. soc., 30 juin 2009, n° 08-41.935, Société Nett service 59, anciennement dénommée Nett service Hainaut Cambresis, F-D (N° Lexbase : A5946EI3).
(9) Cass. soc., 15 novembre 2006, n° 05-40.466, Société Oddo sécurities Europe, anciennement dénommée CLSE France Groupe Oddo, F-D (N° Lexbase : A3443DSC) ; v., aussi, Cass. soc., 25 avril 2007, n° 05-44.903, Société JS Concept, F-D (N° Lexbase : A0239DWR) ; CA Rennes, 8ème ch., sect. C, 10 avril 2008, n° 07/02997, Madame Claude Fouchier c/ Madame Ségolène Royal (N° Lexbase : A9064D7T) ; CA Rennes, 8ème ch., sect. C, 10 avril 2008, n° 07/03024, Madame Evelyne Pathouot c/ Madame Ségolène Royal (N° Lexbase : A9065D7U).
(10) Cass. soc., 7 avril 2009, n° 07-42.190, M. Pierre Chiche, F-D (N° Lexbase : A1024EGZ).
(11) Cass. soc., 6 juillet 2004, n° 02-42.642, Société Aspirotechnique c/ M. Jean Rémy Rio, F-D (N° Lexbase : A0393DDW).
(12) Cass. soc., 15 novembre 2006, n° 05-40.466, préc. ; Cass. soc., 24 avril 2003, n° 00-45.404, préc..
(13) Cass. soc., 19 janvier 2005, n° 03-45.018, M. Philippe Cot c/ Société Climb, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A0940DGW) et les obs. de Ch. Radé, Nouvelles précisions concernant la prise d'acte par le salarié de la rupture du contrat, Lexbase Hebdo n° 153 du 2 février 2005 - édition sociale (N° Lexbase : N4456ABN) ; Cass. soc., 22 octobre 1997, n° 95-43.364, Mme Nicole Lisabois c/ Assédic de l'Eure-et-Loir, service AGS et autres (N° Lexbase : A2902AGL) ; Cass. soc., 17 février 2004, n° 01-42.427, M. André Caroff c/ Société Cloître Imprimeurs, F-D (N° Lexbase : A3153DBE) ; Cass. soc., 20 janvier 2004, n° 01-41.598, M. Jean-Yves Dubreuil c/ Société Meridien France, F-D (N° Lexbase : A8708DAR).
Décision
Cass. soc., 14 octobre 2009, n° 08-40.723, M. Goumane, FP-P+B (N° Lexbase : A0925EM9) Rejet CA Colmar, 6 décembre 2007 et 29 avril 2008 Textes visés : C. trav., art. L. 1221-1 (N° Lexbase : L0767H9B), L. 1231-1, L. 1232-1 (N° Lexbase : L8654IAR) et L. 1235-3 (N° Lexbase : L1342H9L) ; Règlement communautaire n° 1346/2000 du 29 mai 2000, relatif aux procédures d'insolvabilité (N° Lexbase : L6914AUM) Mots-clefs : prise d'acte de la rupture du contrat de travail ; indemnisation ; paiement des salaires ; carence de l'employeur ; faute (non) ; insolvabilité ; Règlement n° 1346/2000 du 29 mai 2000 application (oui) |
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par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition publique
Le 07 Octobre 2010
Elsa Sacksick : Annoncé de longue date, ce nouveau texte abroge et remplace le précédent CCAG Travaux, approuvé il y a plus de 30 ans par le décret n° 76-87 du 21 janvier 1976 (N° Lexbase : L4632GU4). Du point de vue de la hiérarchie des normes, l'abrogation d'un décret par arrêté laisse perplexe, même si l'article 13 du Code des marchés publics (N° Lexbase : L2673HPP) (qui a, lui-même, été adopté par décret) précise que les CCAG sont approuvés par "arrêté du ministre chargé de l'Economie et des ministres intéressés".
Il n'entrera en vigueur que le 1er janvier 2010, afin de permettre aux différentes personnes concernées de se familiariser avec les nouvelles clauses qu'il contient.
Comme son prédécesseur, il s'agit d'un document contractuel facultatif qui ne s'appliquera qu'aux marchés qui s'y réfèrent, mais il fait peu de doute qu'il sera adopté par la très grande majorité des acheteurs publics.
De manière générale, ce nouveau CCAG Travaux s'inscrit dans une perspective de simplification, d'accélération et de rééquilibrage du dispositif contractuel au profit des cocontractants de l'administration.
Lexbase : Quels sont les principaux apports du nouveau CCAG Travaux ?
Elsa Sacksick : L'on peut saluer l'effort de clarification du nouveau CCAG Travaux qui s'inscrit dans une démarche plus générale de cohérence rédactionnelle entre les 5 nouveaux CCAG (arrêté du 19 janvier 2009, portant approbation du cahier des clauses administratives générales des marchés publics de fournitures courantes et de services (CCAG-FCS) N° Lexbase : L0565IDB, arrêtés du 16 septembre 2009 approuvant les CCAG-MI N° Lexbase : L8692IEN, CCAG-PI N° Lexbase : L8693IEP, et CCAG-TIC N° Lexbase : L8694IEQ).
Mais beaucoup des ajouts sont, en réalité, une reprise des dispositions légales et réglementaires qui s'imposent aux cocontractants.
Pour ne pas faire un inventaire "à la Prévert", on citera deux exemples qui illustrent nos propos : la sous-traitance et la résiliation.
Concernant la sous-traitance, le nouveau CCAG Travaux y consacre un article et établit explicitement une distinction entre sous-traitants directs et indirects. Cette distinction n'existait pas sous l'empire de l'ancien CCAG et n'est pas mentionnée dans le Code des marchés publics. En revanche, elle provient de la loi n° 75-1134 du 31 décembre 1975, relative à la sous-traitance modifiée (N° Lexbase : L5137A8R), qui prévoit des modes de règlement particuliers pour les sous-traitants indirects. Ceux-ci ne peuvent prétendre au paiement direct par le maître d'ouvrage, mais le paiement de leurs prestations est garanti par une obligation de caution personnelle et solidaire, ou de délégation de paiement par le sous-traitant qui sous-traite à son tour certaines opérations (appelé "entrepreneur principal").
Le nouveau CCAG précise les obligations de chaque entrepreneur dans les cas de sous-traitance en chaîne. Il ne fait, en réalité, que reprendre les obligations découlant de la loi n° 75-1134, tout en insistant sur leur application à l'ensemble des sous-traitants. Le nouveau CCAG Travaux subordonne expressément l'exécution des travaux par un sous-traitant à son acceptation par le maître d'ouvrage, qui doit, en outre, produire l'agrément des conditions de paiement du sous-traitant. Par ailleurs, les transmissions de pièces justificatives des garanties de paiement des sous-traitants doivent être "effectuées par l'intermédiaire de tous les entrepreneurs principaux successifs éventuels jusqu'au sous-traitant direct concerné" (article 3.6.2.7 du CCAG travaux. Le but est clairement de lutter contre la sous-traitance occulte.
Quant à la question de la résiliation du marché, le nouveau CCAG établit, d'abord, une modification de présentation et d'organisation du chapitre "résiliation du marché interruption des travaux". En effet, l'article relatif aux "mesures coercitives", qui figurait dans un autre chapitre sous l'empire de l'ancien CCAG est maintenant intégré au chapitre sur la résiliation. L'effort d'organisation aboutit à un chapitre clair qui regroupe, dans des articles nouvellement rédigés, l'ensemble des cas de résiliation (y compris pour faute, ou en cas d'incapacité de poursuite des travaux pour une raison extérieure au marché), et les modalités de liquidation de la résiliation.
Et, bien entendu, on ne peut pas ne pas s'arrêter sur la réécriture de l'article 50 tant décrié.
Lexbase : L'article 50 prévoit de nouvelles modalités de règlement des litiges : pouvez-vous nous les expliciter et nous exposer les conséquences concrètes que cette nouvelle procédure entraînera pour les praticiens et les cocontractants ?
Elsa Sacksick : En remplacement de l'ancienne procédure longue, complexe et souvent décrite comme ne visant, en réalité, qu'à faire commettre un faux-pas à l'entrepreneur, les rédacteurs de cet article ont souhaité afficher une réelle volonté de règlement amiable des litiges.
Et, cette volonté transparaît dès la première phrase du nouvel article selon laquelle "le représentant du pouvoir adjudicateur et le titulaire s'efforceront de régler à l'amiable tout différend éventuel relatif à l'interprétation des stipulations du marché ou à l'exécution des prestations objet du marché".
Concrètement, le nouvel article prévoit une procédure simplifiée et accélérée.
Ainsi, dans l'hypothèse où un différend survient entre l'entrepreneur et le maître d'oeuvre, ou directement avec le maître d'ouvrage (l'ancienne distinction entre ces deux types de litiges n'a pas été reprise), l'entrepreneur n'est plus tenu que de transmettre un seul "mémoire en réclamation", alors qu'en ce qui concerne les litiges survenus avec le maître d'oeuvre, il était précédemment obligé de présenter deux mémoires.
Ce mémoire doit être transmis au représentant du pouvoir adjudicateur et non plus au maître d'oeuvre (mais ce dernier doit cependant en recevoir copie afin de pouvoir donner son avis). La réponse du pouvoir adjudicateur doit ensuite intervenir dans un délai de 45 jours, au lieu des 2 mois prévus auparavant.
Concernant plus particulièrement les litiges relatifs au décompte général du marché, le nouveau texte semble mettre fin aux problèmes que posait l'articulation entre les anciens articles 13 (N° Lexbase : L6912G8I) et 50 (N° Lexbase : L6954G83) du CCAG.
Le nouvel article 50.5 rappelle, par ailleurs, la possibilité pour les parties d'avoir recours à une procédure de conciliation selon les modalités qu'elles déterminent, ou à l'arbitrage dans les conditions prévues à l'article 128 du Code des marchés publics (N° Lexbase : L2788HPX).
A noter, également, que cette nouvelle version du texte a été l'occasion d'une mise en cohérence sémantique de l'article 50 et, plus généralement, d'ailleurs, de l'ensemble du CCAG Travaux avec son environnement juridique, la notion de "personne responsable du marché" anciennement utilisée est, ainsi, remplacée par celle de "représentant du pouvoir adjudicateur" adoptée, depuis quelques temps déjà, dans le Code des marchés publics.
En définitive, l'effort fourni dans la rédaction de ce nouveau texte dans le sens d'une plus grande sécurité juridique semble devoir être salué et permet d'espérer que, dans quelques années, l'image actuelle d'un article 50 "nid à contentieux" ait été remplacée, dans l'esprit des acheteurs publics, de leurs cocontractants et de leurs conseils, par celle d'une procédure amiable efficace et équilibrée.
Lexbase : Comment le nouveau CCAG Travaux intègre-t-il les préoccupations environnementales ?
Elsa Sacksick : Si le nouveau CCAG travaux comporte des dispositions nouvelles relatives à la protection de l'environnement, les avancées sont timides.
En premier lieu, il préconise le respect des obligations législatives et règlementaires en matière environnementale. Comme dans les cinq nouveaux CCAG, cette disposition figure au premier chapitre du CCAG Travaux, à l'article 7. L'obligation de se conformer aux prescriptions existantes en matière de protection de l'environnement paraît, de prime abord, tautologique mais, en réalité, elle n'est pas qu'un effet d'annonce, puisqu'elle est assortie de moyens de contraintes. D'abord, le titulaire devra pouvoir justifier tout le long du marché et pendant la période de garantie, de la conformité des opérations qu'il mène avec la règlementation environnementale, "sur simple demande du représentant du pouvoir adjudicateur". Ensuite, le non-respect des prescriptions en matière de protection de l'environnement peut justifier la résiliation du marché sur le fondement de faute du titulaire (article 43.3.1 a). Ces nouvelles dispositions devraient aboutir à un meilleur respect des dispositions environnementales, par des moyens contraignants propres aux marchés publics de travaux.
En second lieu, le CCAG travaux comporte des dispositions spécifiques à la gestion des déchets. D'abord, le souci de développement durable dans la gestion des déchets apparaît lorsqu'est traitée la question des démolitions de construction. Alors que, sous l'empire de l'ancien CCAG, l'entrepreneur n'était "tenu, en ce qui concerne les matériaux et produits provenant de démolition ou de démontage, à aucune précaution particulière pour leur dépôt, ni à aucune obligation de tri en vue de leur réemploi" (article 39.92 de l'ancien CCAG), le nouveau CCAG préconise, au contraire, le tri ou le réemploi des déchets issus de démolitions (article 31.10.2). Ensuite, un article général dédié à la gestion des déchets fait apparaître la question du développement durable (article 36). La gestion, la valorisation et l'élimination des déchets peuvent faire l'objet d'une contractualisation avec le titulaire du marché. Ce dernier doit aussi être garant de la traçabilité des déchets.
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