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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication
Le 27 Mars 2014
"Nemo censetur ignogare legem" ! Soit ! Mais égalité devant la loi ne signifie pas égalité devant le droit... Il fut un temps où les justiciables assuraient eux-mêmes leur défense -et pas seulement devant les tribunaux d'instance !- au risque évident de ne pas emporter la conviction des juges, tant, déjà, la combinaison de la connaissance des lois et de l'art oratoire semblait nécessaire sinon à l'éclatement de la vérité, du moins à l'administration de la Justice. C'est pourquoi la défense des intérêts personnels ou patrimoniaux d'autrui est, sans doute, l'un des plus anciens métiers qu'il soit : il en va du bon fonctionnement des sociétés législatives et judiciaires comme d'un sacerdoce. Sans officier judiciaire, c'est-à-dire sans avocat, comment inscrire la Justice au Panthéon des principes démocratiques ?
Alors, ce n'est pas un hasard si l'idée de "garantir un équitable accès aux tribunaux et à la justice" fut tardive, notamment, en France. Ce n'est qu'en 1851 que ce voeu est formulé au sein de la loi. Le contexte y est propice, la deuxième République et l'élection du Président Bonaparte au suffrage universel direct aidant... Mais, de là à mettre en place un système d'aide à l'accès au droit et à la défense de leurs intérêts au profit des plus démunis... Ce ne sera chose faite qu'au travers de la loi n° 72-11 du 3 janvier 1972, instituant l'aide judiciaire qui reconnaît un droit à l'aide judiciaire, totale ou partielle, subordonné à un seuil de revenu. Pour autant, le lecteur aura remarqué que la société juridique se complexifiant, la défense des intérêts des justiciables n'intervient pas uniquement dans les prétoires ! Une prise en charge totale ou partielle des frais du procès, mais aussi des frais afférents à l'informtion et au conseil, notamment sur les modes de résolution des conflits alternatifs au procès marquèrent, alors, le dispositif de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, relative à l'aide juridique, colonne vertébrale du système actuel.
Un système qui, près de vingt ans après, apparaît comme asphyxié. L'aide juridictionnelle : réformer un système à bout de souffle, tel est le titre éloquent du rapport d'information n° 23 (2007-2008) de M. Roland du Luart, fait au nom de la commission des finances, déposé le 9 octobre 2007. Selon les auteurs du rapport, l'aide juridictionnelle est traversée par "une crise financière doublée d'une crise morale. L'heure n'est plus aux 'replâtrages' et encore moins aux effets d'annonce. Le système appelle, bien au contraire, une 'remise à plat', qui tienne compte des attentes comme des responsabilités de chacune des parties prenantes".
Le propos est fort, mais à la lecture froide des chiffres et au recensement de l'insatisfaction des justiciables comme des avocats, il ne semble pas être une hyperbole. En 1991, 348 587 admissions à l'aide juridictionnelle étaient dénombrées, contre 904 532 en 2006. Les raisons en sont connues : une complexification législative, une judiciarisation de la société, triplée d'une paupérisation des justiciables... Et, l'on prendra soin de ne pas sous-estimer les différents mouvements dans les barreaux témoignant du mécontentement de la profession d'avocat ; la charge de cette profession libérale, quelque peu particulière, devenant plus lourde sous l'effet de l'augmentation considérable des admissions et la rétribution correspondante aux missions couvrant de plus en plus difficilement les frais de cabinets. A l'image des médecins en grève, soumis pourtant au serment d'Hippocrate, c'est avec un déchirement de conscience que l'avocat suspend son engagement pour la Justice.
Derniers éléments de réponse : le maintien de l'engagement prioritaire de l'Etat sans diminution de l'enveloppe budgétaire actuelle ; le rééquilibrage d'un barème horaire en temps passé assorti d'un taux horaire en remplacement des unités de valeur ; une étude d'impact des nouveaux textes pour trouver les financements nécessaires. Tel est le triptyque préconisé par le rapport "Darrois". Et, si le Conseil national des barreaux a rappelé son opposition à la taxation du chiffre d'affaires des professionnels du droit et, notamment, des avocats eu égard à leur contribution majoritaire au système, il s'est dit favorable à la taxation des actes juridiques et a proposé, en outre, des sources de financement complémentaire et des mesures fiscales d'accompagnement. Par ailleurs, le Conseil national suggère, pour alimenter le budget de l'aide juridictionnelle à périmètre constant d'interventions, que le financement du taux horaire soit effectué en deux volets : une partie par l'Etat, une partie par le financement complémentaire garanti par l'Etat et sans désengagement. Ce sujet, sur lequel revient, cette semaine, notre édition professions, est, par conséquent, l'un des piliers des réformes des professions juridiques et, plus largement, de la Justice à venir.
En l'an de Rome 673 (79 av.-JC), la défense de Sextus Roscius est assurée par un jeune avocat de vingt-sept ans, encore inconnu : Marcus Tullius Cicero (Cicéron). Le jeune homme, dénué d'instruction, vivant dans les champs, étranger aux affaires, inconnu à Rome, est accusé de parricide. Cicéron est commis d'office par la puissante famille Caecilii Metelli et doit affronter un célèbre procureur, Erucius. Et c'est au cours de sa plaidoirie que l'avocat clamera le fameux "Cui bono ?" ("A qui profite le crime ?"). Cicéron parvient à prouver que son client n'a pu avoir la volonté ni les moyens de tuer son père ; et sa plaidoirie emporte la conviction du jury qui acquitte Sextus Roscius, faute de preuves...
L'aide juridictionnelle eut, très tôt, de belles heures et de belles lettres. Gageons qu'elle en écrive de nouvelles. Mais, aujourd'hui, c'est l'existence même de cette aide pour les plus démunis qui pourrait être remise en cause.
"C'est affreux de connaître le secret d'un autre et de ne pas pouvoir l'aider" - Anton Tchekhov, Oncle Vania
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N1662BMI
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par Anne Lebescond, Journaliste juridique
Le 07 Octobre 2010
Lexbase : Pourquoi Hervé Novelli a-t-il décidé de vous confier cette mission sur les professions libérales maintenant ?
Brigitte Longuet : Au sortir de la crise, les professions libérales sont très fragilisées et doivent profiter d'une nouvelle impulsion, eu égard à leur importance économique (640 000 entreprises, 1,7 millions d'emplois, 190 milliards de chiffre d'affaires et 65 000 entreprises crées en 2007). La mission qui m'a été confiée par le Gouvernement s'inscrit dans cette nécessité.
Elle s'inscrit, également, dans le cadre de la transposition en cours de la Directive 2006/123 du 12 décembre 2006, relative aux services dans le marché intérieur (N° Lexbase : L8989HT4), dite Directive "Services". Ce texte, dont la transposition doit intervenir au plus tard le 28 décembre prochain, vise à créer un véritable marché intérieur des services, en facilitant la liberté d'établissement et l'exercice des prestataires de services dans d'autres Etats membres et en améliorant le choix offert aux consommateurs et la qualité des services fournis. Il pose, notamment, des problématiques concurrentielles évidentes. Il m'a été demandé de formuler des propositions pour le 1er décembre 2009, afin, notamment, de permettre aux professionnels libéraux de se définir par rapport à cette législation à mettre en place sur le plan interne.
Lexbase : En quoi consiste la mission qui vous a été confiée ? Sur quels sujets devez-vous vous pencher ?
Brigitte Longuet : Pour que les professions libérales bénéficient d'une meilleure prise en compte de leur spécificité dans l'élaboration des politiques publiques, il est impératif de les définir et de créer un socle commun aux vingt-sept professions réglementées et au cent cinquante professions non réglementées.
Pour ce faire, un état des lieux de chaque profession doit être dressé. La tâche est complexe, compte tenu de la diversité des professions, mais, également, en raison du nombre de textes applicables à chacune d'entre elles (pour exemple, la profession d'avocat est régie par les Directive "Qualification" et "Services"). Plusieurs critères de définition peuvent, cependant, être dégagés. Dans tous les cas, il s'agit :
- de fournir une prestation de services à caractère intellectuel ;
- de façon indépendante (les professionnels étant des entrepreneurs) ;
- et de façon responsable, les problématiques de responsabilité personnelle étant fondamentales en la matière.
Il faut, également, garder à l'esprit que les professions libérales réglementées et, pour une partie des non réglementées se soumettent à une autodiscipline, librement consentie, ce qui n'arrive que très rarement dans une économie de marché. Il s'agit d'une spécificité fondamentale devant être mise en exergue dans une société globalisée comme la nôtre, en ce qu'elle répond à des problématiques très actuelles d'éthique, de déontologie, de compliance et de sécurité.
L'élaboration d'une définition du secteur des professions libérales facilitera l'appréhension des autres composantes de la mission qui m'a été confiée :
- clarifier les règles d'affiliation aux différents régimes de sécurité sociale, en particulier pour les activités nouvelles et non réglementées ;
- examiner les différents régimes de responsabilité personnelle applicables aux professionnels libéraux et, le cas échéant, les ajuster ;
- faciliter le recours des entreprises aux services des professions libérales et améliorer qualitativement les prestations offertes à ces entreprises, notamment, par le biais de l'interprofessionnalité ;
- et, enfin, étudier les dispositifs actuels d'accompagnement individuel des entreprises libérales et favoriser le maillage du territoire national.
Enfin, de nombreuses mesures ont été prises ces dernières années concernant les professionnels libéraux (instauration du statut du collaborateur libéral, du statut du retraité libéral actif, assouplissement du régime des locaux commerciaux, etc.). Ces mesures ne sont, toutefois, pas suffisantes et contribuent au pointillisme législatif existant depuis l'origine en la matière. Il convient, donc, de "globaliser " les différents régimes existants (l'objectif étant de se rapprocher un maximum du droit commun, tout en conservant les spécificités propres aux professions libérales) et de revoir les dispositions récurrentes, désuètes ou contradictoires.
Pour mener au mieux cette mission, mon approche sur ces différents aspects se doit d'être transversale, économique, pragmatique et simplificatrice. Pour exemple, l'appréhension de sujets sociaux tels les retraites ou les avantages maternité doit être transversale, afin d'assurer l'égalité entre les professions, les différences de traitement existantes n'ayant aucune légitimité en ces matières. Concernant plus particulièrement le rapprochement des professions, je suis plus favorable à une interprofessionnalité ponctuelle (mise en place en fonction des opérations traitées), que structurelle, qui implique nécessairement plus de rigidité. Je tiens, également, à n'exclure personne des réflexions en cours et je procède, donc, quotidiennement à un très grand nombre d'auditions de tous les acteurs (professionnels, syndicats, ordres, spécialistes...).
Lexbase : Hervé Novelli souhaite que vous formuliez des propositions sur tous ces sujets pour le 1er décembre 2009. Ce délai vous semble-t-il suffisant ?
Brigitte Longuet : Il est vrai que le délai est court. Hervé Novelli, en tant que secrétaire d'Etat, raisonne comme un entrepreneur. Il souhaite que lui soient proposées rapidement des mesures efficaces et concrètes, en vue d'une réforme législative à intervenir vraisemblablement début 2010. Mais, si le calendrier fixé est serré, il n'est pas irréalisable, d'autant que je travaille sur ces problématiques depuis de nombreuses années, que j'ai eu l'occasion de rencontrer un grand nombre d'acteurs et que des travaux ont, déjà, été entrepris sur tous ces sujets, notamment par la Commission nationale de concertation sur les professions libérales (CNCPL), à laquelle j'appartiens depuis six ans. Je compte, donc, partir de ces précieux travaux, qui ont le mérite d'être exhaustifs et pertinents.
En réalité, s'il a été difficile de réformer les professions libérales jusqu'à présent, c'est surtout parce que chacun est très attaché à sa profession, son mode d'exercice et se montre frileux ou ne s'intéresse pas nécessairement à ce qui se passe chez son voisin. Mais cet "isolement" est néfaste sur du long terme. Il est, désormais, impératif que les professionnels libéraux aient conscience de leur appartenance à une communauté. Les régimes auxquels ils sont soumis doivent être clarifiés et tendre à un socle commun. Leur poids doit être renforcé.
Lexbase : Certains sujets sur lesquels vous vous penchez sont communs à ceux traités dans le rapport remis par la commission "Darrois". Comment comptez-vous articuler vos travaux avec ceux de cette commission ?
Brigitte Longuet : Certains sujets, comme celui du rapprochement des professions, se recoupent effectivement. Hervé Novelli en était conscient, puisqu'il indique, dans sa lettre de mission que mes "éventuelles propositions en la matière, notamment concernant l'évolution des sociétés de participations financières des professions libérales (SPFPL), devront être de nature transversale et en cohérence avec les recommandations émises plus spécifiquement dans le domaine des professions juridiques par la Commission présidée par Jean-Michel Darrois".
Aucune de mes propositions n'ira, donc, en contradiction avec les excellentes préconisations du rapport "Darrois". Tout au plus, je n'aborderai peut-être pas ces sujets sous le même angle. Je tiens réellement à adopter une approche économique et pragmatique des professions libérales. Pour cette raison, par exemple, je favoriserai certainement l'interprofessionnalité ponctuelle, plutôt que celle structurelle recommandée par la commission "Darrois". L'approche structurelle se justifie dans le cadre des professions du droit. La mission qui m'a été confiée est, quant à elle, plus globale, en ce qu'elle porte sur plus de cent soixante-dix professions différentes.
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N1645BMU
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par Anne Lebescond, Journaliste juridique
Le 07 Octobre 2010
Face aux défaillances du dispositif actuel (I), la commission "Darrois" a formulé un bon nombre de propositions dans son rapport (II), qui ont entraîné, pour la plupart, l'adhésion des avocats et des professionnels du droit. Celle de l'Etat est moins évidente ; ce dernier se désengage progressivement depuis 2007, alors même que la commission a insisté sur la nécessité de son accompagnement (III).
Faut-il rappeler au Gouvernement ce proverbe anglais : "la meilleure charité est la justice pour tous" ?
I - Les défaillances du dispositif actuel
Le dispositif actuel de financement de l'aide juridictionnelle est fixé par la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, relative à l'aide juridique (N° Lexbase : L8607BBE), et le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 (N° Lexbase : L0627ATE), portant application de cette loi. Aux termes de l'article 67 de la loi, "le financement de l'aide juridictionnelle [qu'elle soit partielle ou totale] est assuré par l'Etat". En 2007, l'enveloppe globale allouée était de 327 millions d'euros. Elle n'a, depuis, cessé de se diminuer, passant à 300 millions d'euros en 2009 à 297,8 millions, pour 2010, ainsi que le prévoit le projet de loi de finances. Deviendra-t-elle, en ces temps de crise, une peau de chagrin ?
C'est sur cette enveloppe qu'est prélevée la rétribution des avocats auxquels recourent les bénéficiaires de l'aide. Celle-ci est déterminée en fonction du produit de l'unité de valeur (UV) prévue par la loi de finances et de coefficients différents suivant les procédures. Les avocats ne peuvent prétendre à aucune rémunération complémentaire, lorsqu'ils assistent une personne bénéficiant de l'aide totale. En revanche, lorsqu'il s'agit d'une aide partielle, des honoraires complémentaires librement négociés peuvent être exigés. Ils doivent faire l'objet d'une convention écrite préalable, fixant le montant et les modalités de paiement, indiquant le montant de la part contributive de l'Etat et les voies de recours en cas de contestation. Ce régime indemnitaire est pointé du doigt par les professionnels, en ce qu'il est sans rapport avec le travail fourni. Les avocats prétendent à une rémunération juste et équilibrée, à l'image de ce qui avait été préconisé par le rapport "Bouchet" en 2001. Ce document consacre le principe d'une véritable rémunération de la prestation intellectuelle de l'avocat, qui prendrait, également, en compte les frais de fonctionnement de la structure d'exercice.
Quant aux bénéficiaires de l'aide juridictionnelle, leurs revenus doivent entrer dans les limites de barèmes établis au niveau national. Les demandeurs peuvent prétendre à une aide totale ou partielle. Dans ce dernier cas, ils supportent la partie des frais de justice excédant la part contributive de l'Etat (elle-même variable suivant leurs ressources). Un grand nombre de justiciables -en particulier, de la classe moyenne-, dont les revenus excèdent les plafonds de ressources fixés, se trouve exclu du système et voit la justice placée hors de sa portée ; effet de seuil oblige. Ceux-là n'ont d'autres choix, alors, que de souscrire à des assurances de protection juridique, dont la couverture est, somme toute, bien limitée.
II - Les propositions du rapport "Darrois"
La commission "Darrois" s'est penchée longuement sur la question de la réforme de l'aide juridictionnelle et de l'accès au droit. Elle y a consacré la troisième et dernière partie de son rapport, qui formule pas moins de quinze propositions en la matière, visant à mieux satisfaire les besoins des consommateurs, à diversifier le financement de l'accès au droit et à mieux maîtriser les coûts de l'aide juridictionnelle.
Sur les deuxième et troisième points, le rapport souligne la nécessité de réaffirmer l'engagement de l'Etat dans le financement de l'aide juridictionnelle. Il mise, également, sur la recherche de financements complémentaires et préconise d'y associer les professionnels du droit. La commission envisage, en effet, la création d'une taxe sur le chiffre d'affaires, dont la gestion serait confiée au Haut conseil des professions du droit. Cette taxation pourrait s'appliquer à tous les professionnels du droit, au sens le plus large. Le rapport mentionne, notamment, les professions qui exercent une activité juridique, à titre principal ou accessoire (avocats, avoués, notaires, huissiers de justice, commissaires-priseurs judiciaires, administrateurs judiciaires et mandataires -judiciaires), les professions réglementées, les professeurs de droit pour leur activité commerciale, les juristes d'entreprises et toutes les personnes pratiquant le droit à titre accessoire dans le cadre d'une profession non réglementée (autorisée à le faire du fait d'une qualification et dans la limite de cette qualification), les personnes chargées d'une mission de service public, les associations reconnues d'utilité publique, les syndicats et associations professionnels et les organes de presse autorisés à donner des consultations juridiques ou à rédiger des actes sous -seing privé. Seraient, toutefois, exonérés les professionnels dont le chiffre d'affaires n'excéderait pas 120 000 euros par an (ce qui représente plus des deux tiers des cabinets). La commission a, donc, préféré la solution de cette taxation à celle préconisée dans le rapport "du Luart", reprise par Rachida Dati en 2007, alors Garde des Sceaux, et décriée par l'opinion publique, d'instaurer un ticket modérateur, laissant à la charge du bénéficiaire de l'aide une part de la dépense de justice liée à son affaire.
La commission accompagne cette mesure phare d'autres propositions. Elle souhaite, notamment, que l'assurance de protection juridique devienne le complément de toute assurance obligatoire (police multirisque habitation, assurance scolaire...). Plus original, elle recommande de transposer le dispositif du médecin référant : tout "candidat" à l'aide juridictionnelle serait "orienté" vers telle ou telle procédure judiciaire ou amiable ou vers un assureur (pour souscrire une assurance de protection juridique), au cours d'une consultation juridique préalable, pour toute action en matière civile. Une clause de "retour à meilleure fortune" permettrait au juge de retirer l'aide. Il serait, par ailleurs, créé une CARPA par conseil des barreaux de cour d'appel et les barreaux seraient autorisés à recruter des avocats collaborateurs, qui prendraient en charge les missions d'aide juridictionnelle. La commission prône le développement des règlements alternatifs des conflits (notamment, celui de la procédure dite "participative").
Sur la question de la rémunération des avocats, le rapport est plutôt laconique et reste dans la logique indemnitaire actuelle. Le système de la rétribution est conservé, l'accent étant mis sur les dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, quant à la possibilité de rémunérer l'avocat au moyen d'une indemnité due par l'adversaire du bénéficiaire de l'aide juridictionnelle condamné aux dépens (1).
III - Les réactions
S'il est favorable à la création d'une taxe, le CNB refuse qu'elle puisse être prélevée sur le chiffre d'affaires, compte tenu de la contribution déjà majoritaire des avocats au système. Il propose, à la place, de créer une taxe sur les actes juridiques, "pourcentage infinitésimal, [mais] qui s'applique[ra] à tous les contrats (actes d'avocats, de notaires, d'agents immobiliers, contrats d'assurance...)" (selon les propos d'Albert Iweins, alors président du CNB). Le Conseil se dit, également, favorable à un rééquilibrage d'un barème horaire en temps passé, assorti d'un taux horaire en remplacement des unités de valeur (UV).
Il souligne la nécessité impérieuse de réaffirmer l'engagement de l'Etat dans le financement de l'aide, sans réduction de l'enveloppe. Or, il a dû constater, récemment, une nouvelle baisse significative de son montant : le budget alloué à l'aide juridictionnelle et à l'accès au droit dans le projet de loi de finances pour 2010 (PLF 2010) s'élève à 297,8 millions euros, soit une baisse de 7,8 % par rapport à 2009, alors que les prévisions du nombre de bénéficiaires sont en progression de 3 %.
La réaction du CNB est vive et ne se fait pas attendre : "ce budget n'est absolument pas à la hauteur des ambitions affichées par le Gouvernement en ce domaine et constitue à périmètre constant un réel désengagement de l'Etat en matière d'aide juridictionnelle, sans aucune prise en compte des projets de réforme à venir". Ainsi, "même si les services de l'Etat devaient mettre en oeuvre de façon efficace le mécanisme d'incitation budgétaire lié aux résultats du recouvrement de l'aide juridictionnelle (24 millions d'euros supplémentaires dans le PLF 2010), il n'existerait aucune garantie que ces crédits soient bien affectés à l'aide juridictionnelle dans le cadre du collectif budgétaire de fin d'année. Le PLF 2010 reste dans une logique d'indemnisation et non de rémunération des avocats, le montant de l'UV n'ayant pas été revalorisé depuis 2006" (2). Outre le rejet d'une logique indemnitaire quant à leur rémunération, certains avocats dénoncent, également, le rôle donné par la commission "Darrois" aux assurances de protection juridique, en ce qu'il transfère le coût de la justice sur la tête du justiciable (3) et le regroupement des CARPA.
Quant aux notaires, ils disent partager "la volonté affichée de la commission 'Darrois' de favoriser l'accès de tous au droit et rappellent qu'ils y contribuent déjà par les conseils quotidiens et gratuits délivrés dans les 4 495 offices, les prestations non rémunérées dans les maisons du droit et les consultations gratuites qu'ils organisent régulièrement partout en France". Mais, si la proposition de la commission de créer une taxe devait être retenue, il est, selon eux, "évident que cette réforme devrait concerner tous ceux qui réalisent des prestations juridiques : avocats, banquiers, assureurs, experts-comptables..." (4).
(1) Cf. loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, relative à l'aide juridique, art. 37 (N° Lexbase : L8607BBE) : "En toute matière, l'avocat du bénéficiaire de l'aide juridictionnelle partielle ou totale peut demander au juge de condamner la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès, et non bénéficiaire de l'aide juridictionnelle, à lui payer une somme au titre des honoraires et frais, non compris dans les dépens, que le bénéficiaire de l'aide aurait exposés s'il n'avait pas eu cette aide. Si le juge fait droit à sa demande, l'avocat dispose d'un délai de douze mois à compter du jour où la décision est passée en force de chose jugée pour recouvrer la somme qui lui a été allouée. S'il recouvre cette somme, il renonce à percevoir la part contributive de l'Etat. S'il n'en recouvre qu'une partie, la fraction recouvrée vient en déduction de la part contributive de l'Etat. Si, à l'issue du délai de douze mois mentionné au troisième alinéa, l'avocat n'a pas demandé le versement de tout ou partie de la part contributive de l'Etat, il est réputé avoir renoncé à celle-ci".
(2) Cf. communiqué de presse du CNB du 19 octobre 2009, Le Conseil national constate un nouveau désengagement de l'Etat en matière d'aide juridictionnelle dans le projet de loi de finance pour 2010.
(3) "Il est par ailleurs inadmissible de transférer la charge de l'aide juridictionnelle aux seuls justiciables au travers d'une assurance recours juridique rendue obligatoire qui ne pourrait que renchérir le coût de l'accès à la justice et générer des inégalités manifestes" (réunion du conseil de l'Ordre des avocats de Bayonne du 17 juillet 2009).
(4) Cf. communiqué de presse du Conseil supérieur du notariat du 8 avril 2009.
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Réf. : Loi n° 2009-972 du 3 août 2009, relative à la mobilité et aux parcours professionnels dans la fonction publique (N° Lexbase : L6084IE3)
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par Frédéric Dieu, Rapporteur public près la cour administrative d'appel de Marseille
Le 07 Octobre 2010
I - Le développement des mobilités
A - Le départ des fonctionnaires et l'accès à la fonction publique
1 - Le droit au départ
L'article 4 de la loi consacre "un droit au départ". Il ne s'agit pas d'un droit au départ définitif mais de l'impossibilité pour l'administration, sauf nécessités du service ou avis d'incompatibilité rendu par la commission de déontologie, de s'opposer à la demande d'un fonctionnaire désirant être placé en détachement, en disponibilité ou hors cadres, voire souhaitant être intégré directement dans une autre administration.
La rédaction initiale du projet de loi mentionnait une obtention de plein droit sous réserve des nécessités du service, ce qui s'avérait assez paradoxal. La nouvelle rédaction de la loi évite l'écueil du "plein droit sous réserve" et pose un délai de préavis pouvant aller jusqu'à six mois. Toutefois, ce droit au départ n'est pas applicable aux mutations prononcées par la voie d'un tableau de mutation.
2 - L'ouverture de la fonction publique au détachement, à l'intégration et à l'accès direct
Le nouvel article 13 bis de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, portant droits et obligations des fonctionnaires (N° Lexbase : L6938AG3) pose le principe de l'accès par voie de détachement, éventuellement suivi d'une intégration ou par voie d'intégration directe à tous les corps (1) et cadres d'emplois. Ce principe d'ouverture générale doit s'imposer à toutes les dispositions contraires pouvant être contenues dans les décrets portant statuts particuliers, ceci afin de peser sur les corps qui restreignent les possibilités d'accueil en détachement et restent, ainsi, très fermés. Néanmoins, la nouvelle loi dispose que le détachement et l'intégration directe des fonctionnaires pourront se faire dans tous les corps et cadres d'emplois comparables à ceux auxquels ils appartiennent. L'équivalence sera appréciée essentiellement en fonction de la catégorie des corps concernés et des missions exercées par les agents sans, toutefois, pouvoir outrepasser les exigences de diplômes dans le cas des professions réglementées. Les corps qui comportent des attributions d'ordre juridictionnel ne sont pas concernés par cette réforme.
Le fonctionnaire détaché, admis à poursuivre son détachement au-delà d'une période de cinq ans, se verra proposer une intégration dans l'administration d'accueil. Derrière ce nouveau droit à l'intégration après cinq ans de détachement se cachent des considérations gouvernementales plus pragmatiques visant à "orienter" des fonctionnaires de l'Etat vers la fonction publique territoriale. Toutefois, les collectivités territoriales, qui ont déjà intégré des agents publics de France Télécom et des personnels TOS (Techniciens, Ouvriers et de Service), seront peut-être enclines à mettre fin au détachement au terme des cinq ans pour ne pas être obligées de proposer l'intégration.
Enfin, les règles du détachement ont été revisitées. Sans mettre fin au principe de la double carrière, l'article 5 de la loi du 3 août 2009 en a sérieusement nuancé la rigueur, en ajoutant, dans les trois fonctions publiques civiles, qu'il est tenu compte, lors de la réintégration à l'issue d'un détachement, du grade et de l'échelon atteints dans le corps ou cadre d'emplois de détachement, sous réserve, naturellement, qu'ils soient plus favorables à l'intéressé. Dans le même esprit, le fonctionnaire intégré dans un corps, ou cadre d'emplois, d'accueil doit voir le grade et l'échelon de son corps, ou cadre d'emplois, d'origine pris en compte. Cependant, les rivalités existant entre fonctions publiques, en particulier entre fonction publique de l'Etat et fonction publique territoriale, évolueront probablement moins rapidement que le droit de la fonction publique. Il est, en effet, fréquent que les fonctionnaires d'Etat en détachement soient pénalisés dans leur avancement et bloqués dans leur carrière au motif qu'ils sont destinés à réintégrer prochainement leur corps d'origine et qu'ils sont en concurrence avec des fonctionnaires territoriaux.
B - Les mouvements au sein de la fonction publique
1 - La restructuration et la réorientation professionnelle
Le statut général de la fonction publique de l'Etat compte, désormais, de nouveaux articles rassemblés au sein d'une sous-section intitulée "Réorientation professionnelle" située au sein de la section "Activité" du chapitre V. Ce placement indique qu'il ne s'agit pas d'une nouvelle position statutaire proprement dite, mais d'une variante de la position d'activité comme peut l'être la mise à disposition.
Le fonctionnaire peut être placé en situation de réorientation professionnelle "en cas de restructuration d'une administration de l'Etat ou de l'un de ses établissements publics administratifs [...] dès lors que son emploi est susceptible d'être supprimé". Cela ne renseigne guère sur ce qu'est une restructuration sur le plan juridique ou sur ce qu'est un emploi "susceptible d'être supprimé", et la loi ne donne aucune définition de la réorientation professionnelle, contrairement à ce qu'il en est pour les autres positions statutaires. La rédaction de l'avant-projet de loi était plus explicite, en énonçant que "la réorientation professionnelle est la situation dans laquelle peut être placé le fonctionnaire dont l'emploi a été supprimé ou modifié de façon substantielle".
Dans cette situation de réorientation professionnelle, le fonctionnaire qui sera concrètement à la recherche d'un emploi pourra être tenu de suivre des actions de formation. Cette situation de réorientation professionnelle, qui ne connaît théoriquement pas de délai, prend fin lorsque le fonctionnaire accède à un nouvel emploi, ou s'il refuse "successivement trois offres d'emploi public fermes et précises correspondant à son grade et à son projet personnalisé d'évolution professionnelle, et tenant compte de sa situation de famille et de son lieu de résidence habituel". Dans ce dernier cas, le fonctionnaire peut être placé en disponibilité d'office (donc sans traitement et sans droits à la retraite durant cette période) ou admis à la retraite. Soulignons, à cet égard, que la disponibilité d'office se termine soit par un reclassement, soit par la mise à la retraite ou le licenciement si le fonctionnaire n'a pas acquis suffisamment de droits à pension.
Afin d'atténuer le choc, notamment, financier des restructurations d'administration, le législateur a prévu, à l'article 6 de la loi, la mise en place d'une indemnité "d'accompagnement à la mobilité" dont le montant correspond "à la différence entre le montant indemnitaire effectivement perçu dans l'emploi d'origine et le plafond des régimes indemnitaires applicable à l'emploi d'accueil".
2 - La réforme de la mise à disposition des fonctionnaires de l'Etat
Le régime de la mise à disposition des fonctionnaires de l'Etat est, une nouvelle fois, modifié, deux ans à peine après avoir connu une réforme d'ensemble avec la loi n° 2007-148 du 2 février 2007, de modernisation de la fonction publique (N° Lexbase : L2882HUB), qui réaffirmait l'exigence d'une convention de mise à disposition et celle d'une obligation de remboursement entre les employeurs publics. La loi du 3 août 2009 apporte une nuance à cette obligation puisque, désormais, lorsqu'un fonctionnaire d'Etat est mis à disposition d'une collectivité territoriale ou de l'un de ses établissements publics, ou d'un établissement public de santé ou médico-social, il peut être dérogé à la règle du remboursement pendant un an au maximum, et sur la moitié, au plus, de la dépense de personnel afférente.
Cette dérogation, qui s'analyse comme une "prime à la mise à disposition", manifeste à nouveau la volonté de l'Etat de favoriser, par une subvention, la mise à disposition de ses agents auprès d'autres personnes publiques.
3 - Le cumul d'emplois publics à temps non complet
La loi du 3 août 2009 a introduit, à titre expérimental et pour une durée de cinq ans dans les trois fonctions publiques, la possibilité pour les fonctionnaires, sous réserve de leur accord, de cumuler des emplois permanents à temps non complet relevant des trois fonctions publiques. Le fonctionnaire doit, cependant, exercer un service au moins égal au mi-temps dans l'emploi correspondant au grade du corps dont il relève, et le cumul doit lui assurer un service équivalent à un emploi à temps complet et une rémunération correspondante.
La mise en oeuvre de cette faculté pourra poser des difficultés. En effet, comment faut-il interpréter la règle selon laquelle le fonctionnaire doit bénéficier d'un service équivalent à un temps complet ? Faut-il comprendre qu'il est impossible de travailler plus alors que, dans la fonction publique territoriale, il est possible de dépasser de 15 % la durée totale d'un service normal ? Par ailleurs, le texte ne protège pas véritablement l'agent d'une suppression de l'un de ses emplois, à moins que l'on considère que l'employeur sera tenu de réaffecter le fonctionnaire sur un autre emploi à temps non complet, ce qui ne sera pas toujours possible.
II - Les nouvelles dispositions relatives au recrutement dans la fonction publique
A - Le recours à l'intérim et la reprise des contrats
1 - Le recours à l'intérim
Le recours à l'intérim par les personnes publiques a été l'une des mesures les plus contestées de la loi, tant par les syndicats que par l'opposition parlementaire. Il n'était jusqu'alors toléré qu'en cas de circonstances exceptionnelles. Il n'en demeure pas moins qu'il est à présent autorisé pour les trois fonctions publiques, qui peuvent faire appel à des salariés pour des tâches non durables exclusivement dans les cas suivants : remplacement momentané d'un agent, vacance temporaire d'un emploi, accroissement temporaire d'activité, besoin occasionnel ou saisonnier. La durée des missions et des contrats oscille, selon les cas, entre un et deux ans.
Les nouvelles dispositions inscrites dans le Code du travail, et, notamment, les articles L. 1251-60 (N° Lexbase : L6231IEI) et suivants, rappellent que les intérimaires travaillant au sein des personnes publiques sont soumis aux obligations des agents publics et bénéficient, en contrepartie, de la protection fonctionnelle. Si l'emploi du salarié se poursuit au-delà de sa mission sans qu'ait été conclu un nouveau contrat, le salarié est alors réputé lié à la personne morale de droit public par un contrat à durée déterminée de trois ans. L'ancienneté est appréciée de manière rétroactive à compter du premier jour de la mission. Le législateur a attribué au juge administratif les litiges qui opposeront les salariés à "la personne publique gérant un service public administratif".
Ce nouveau dispositif pourrait concurrencer le recrutement d'agents non titulaires et le rôle des centres de gestion dans la fonction publique territoriale. Toutefois, il n'est pas sûr qu'il y soit recouru, car étant plus onéreux que le recrutement de simples non titulaires. Ce dispositif pourrait, en fait, s'appliquer à la fonction publique hospitalière, afin, notamment, de recruter par voie d'intérim des infirmières.
2 - Le transfert d'activités et reprises des contrats
Le nouvel article 14 ter de la loi du 13 juillet 1983 (N° Lexbase : L6938AG3) dispose que "lorsque l'activité d'une personne morale de droit public employant des agents non titulaires de droit public est reprise par une autre personne publique dans le cadre d'un service public administratif, cette personne publique propose à ces agents un contrat de droit public, à durée déterminée ou indéterminée selon la nature du contrat dont ils sont titulaires". Classiquement, le contrat proposé doit reprendre les clauses substantielles du précédent contrat, notamment en matière de rémunération. L'ancienneté est, également, décomptée puisque les services accomplis chez l'ancien employeur comptent comme services accomplis au sein de la personne publique d'accueil. En cas de refus des agents d'accepter le contrat qui leur est proposé, ils seront licenciés conformément aux règles du licenciement des agents non titulaires de droit public. Cette mesure devrait faciliter la mise en oeuvre des "agences de service public" et les restructurations d'administrations.
Le législateur a, également, apporté des précisions lorsque l'activité d'une entité économique employant des salariés de droit privé est, par transfert de cette entité, reprise par une personne publique dans le cadre d'un service public administratif. Si les salariés refusent le contrat de droit public qui leur est proposé, le Code du travail précise, désormais, que leur contrat prend fin de plein droit et qu'ils sont licenciés conformément à ce code et aux stipulations de leur contrat.
La loi ajoute, enfin, un article L. 1224-3-1 au Code du travail (N° Lexbase : L6235IEN) et innove en prévoyant l'hypothèse de l'activité d'une personne publique employant des agents non-titulaires de droit public reprise par une personne morale de droit privé, ou par un organisme de droit public gérant un service public industriel et commercial. Ces derniers doivent proposer un contrat de droit privé reprenant les clauses substantielles du précédent contrat. En cas de refus des agents non titulaires, le licenciement se fait selon les règles prévues par le droit public.
B - La modification des règles relatives aux concours d'accès à la fonction publique
1 - L'ouverture des concours internes aux ressortissants communautaires
Après bien des réticences, l'accès des ressortissants communautaires ou d'un Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen (Islande, Norvège, Liechtenstein) aux concours internes de la fonction publique a été autorisé par le législateur. Cette mesure est le fruit d'une lente évolution juridique dont la dernière étape datait de la loi n° 2005-843 du 26 juillet 2005, portant diverses mesures de transposition du droit communautaire à la fonction publique (N° Lexbase : L7061HEA), qui avait généralisé le principe de l'accès des ressortissants communautaires aux concours externes de la fonction publique française, en modifiant l'article 5 bis de la loi du 13 juillet 1983. Toutefois, pour les concours externes comme pour les concours internes, il n'est, pour l'instant, pas possible d'accéder aux emplois dont les attributions, soit ne sont pas séparables de l'exercice de la souveraineté, soit comportent une participation directe ou indirecte à l'exercice de prérogatives de puissance publique.
La loi du 3 août 2009 exige, à l'égard des candidats, une durée de services accomplis dans une administration ou un organisme dont les missions sont comparables à celles des administrations françaises et établissements publics administratifs français. Il n'est donc pas nécessaire, pour un candidat d'origine communautaire au concours interne, d'être fonctionnaire ou agent public dans son pays. En revanche, cette qualité est encore indispensable aujourd'hui pour les candidats français. Ce cas de discrimination à rebours correspond à une volonté politique de ne pas ouvrir les concours internes à des candidats qui viendraient du secteur privé et dont les missions seraient comparables à celles du secteur public (cliniques, établissements d'enseignement privé), ces candidats pouvant évidemment se présenter aux concours externes.
2 - La suppression des limites d'âge
La politique de suppression des limites d'âge dans la fonction publique se poursuit. La loi n° 2005-846 du 26 juillet 2005, habilitant le Gouvernement à prendre, par voie d'ordonnance, des mesures d'urgence pour l'emploi (N° Lexbase : L8804G9X), avait permis aux pouvoirs publics d'édicter l'ordonnance n° 2005-901 du 2 août 2005, relative aux conditions d'âge dans la fonction publique et instituant un nouveau parcours d'accès aux carrières de la fonction publique territoriale, de la fonction publique hospitalière et de la fonction publique de l'Etat (N° Lexbase : L0755HBL), qui avait posé le principe de la suppression des limites d'âge dans la fonction publique. Néanmoins, le cinquième alinéa de l'article 6 de la loi du 13 juillet 1983 (N° Lexbase : L5233AHB) prévoyait toujours la possibilité de maintenir des conditions d'âge "pour le recrutement par voie de concours dans des corps, cadres d'emplois ou emplois, lorsque l'accès à ceux-ci est subordonné à l'accomplissement d'une période de scolarité préalable d'une durée au moins égale à deux ans". Cet alinéa de l'article 6 est donc, désormais, abrogé.
III - Les diverses dispositions dites "de simplification"
A - Entretien professionnel et déontologie
1 - Généralisation et évaluation de l'entretien professionnel de préférence à la notation
Le terme d'évaluation fait officiellement son entrée dans le statut général de la fonction publique de l'Etat, le chapitre VI de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984, portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat (N° Lexbase : L7077AG9), étant, désormais, intitulé "Evaluation, notation, avancement, mutation, reclassement". Le changement ne relève pas de la pure symbolique ou d'une simple modification terminologique mais correspond, également, à la généralisation de l'entretien professionnel annuel conduit par le supérieur hiérarchique direct, qui peut ne pas être le notateur (CE 1° et 6° s-s-r., 6 décembre 2006, n° 287453, Mme Titon N° Lexbase : A8511DSZ). La réforme de la notation avait été initiée dans la fonction publique de l'Etat par le décret n° 2002-682 du 29 avril 2002, relatif aux conditions générales d'évaluation, de notation et d'avancement des fonctionnaires de l'Etat (N° Lexbase : L0969G8E), qui avait fait de l'évaluation des agents l'un de ses points forts. La loi n° 2007-148 du 2 février 2007, de modernisation de la fonction publique (N° Lexbase : L2882HUB), avait, ensuite, ajouté un article 55 bis à la loi du 11 janvier 1984, autorisant l'expérimentation, par les administrations d'Etat, à se fonder sur un entretien professionnel pour les avancements d'échelon et de grade.
La loi du 3 août 2009 parachève ce processus en réécrivant l'article 55 de la loi du 11 janvier 1984, qui met fin à la notation, sauf dispositions contraires de statuts particuliers, et fonde l'appréciation de la valeur professionnelle des agents sur l'entretien professionnel annuel. La réforme doit entrer en vigueur au 1er janvier 2012, l'expérimentation étant reconduite jusqu'à cette date.
La même voie semble empruntée pour réformer, dans le même sens, la fonction publique hospitalière, l'expérimentation de l'entretien professionnel étant prolongé jusqu'en 2011 avec un bilan prévu pour 2012, dont nul ne doute qu'il sera favorable à l'instauration durable de l'évaluation et à la suppression de la notation.
La fonction publique territoriale n'est pas oubliée par ces évolutions. L'article 15 de la loi, curieusement situé en plein chapitre consacré au développement des mobilités, met en place pour les années 2008, 2009 et 2010 l'expérimentation de l'entretien professionnel, avec un bilan prévu pour le 31 juillet 2011.
2 - La déontologie des agents publics
L'article 25 de la loi du 13 juillet 1983, qui traite des questions de cumuls et de prises illégales d'intérêts dans la fonction publique est, une nouvelle fois, modifié alors qu'il avait déjà été réécrit par la loi du 2 février 2007. Les modifications vont dans le sens de l'assouplissement et s'inscrivent, finalement, dans l'esprit de la réforme conduite deux ans auparavant. Depuis 2007, il n'était plus interdit aux agents publics de cumuler leur emploi avec la création ou la reprise d'une entreprise. Ce dispositif a suscité un véritable engouement chez les agents publics, et la loi du 3 août 2009 fait donc passer à deux ans au lieu d'une année la durée pendant laquelle un agent peut cumuler ces deux activités, la prolongation d'une année supplémentaire demeurant possible. Au terme de ces trois années, l'agent devra choisir entre sa carrière dans la fonction publique ou son activité privée.
Par ailleurs, et toujours dans le sens de la loi de 2007, l'article 25 de la loi du 13 juillet 1983 a été modifié pour donner la possibilité aux fonctionnaires et agents non titulaires occupant un emploi représentant 70 % (et non plus 50 %) ou moins de la durée légale du travail des agents à temps complet, d'exercer une activité privée lucrative. Ce dispositif est censé s'adresser principalement aux agents travaillant dans les très petites communes.
Enfin, à la suite de "l'affaire Pérol" et de la démission de deux des membres de la Commission de déontologie, l'article 17 de la loi du 3 août 2009 a, d'une part, rendu obligatoire la saisine de la commission pour les collaborateurs du Président de la République et les membres d'un cabinet ministériel, et, d'autre part, donné au président de la Commission le pouvoir de s'autosaisir dans un délai de dix jours à compter de l'embauche de l'agent ou de la création de l'entreprise ou de l'organisme privé. En cas d'avis d'incompatibilité, le contrat de l'agent prend fin sans préavis ni indemnité de rupture. Cette modification de l'article 87 de la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993, relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques (N° Lexbase : L7152AHD), devrait permettre d'éviter les cas, que n'avaient pas su anticiper les réformes précédentes, où l'agent et l'administration ne veulent pas saisir la commission.
B - Les mesures relatives à la fonction publique territoriale
1 - La création de statuts d'emplois dans la fonction publique territoriale
L'article 36 de la loi du 3 août 2009 prévoit la création de statuts d'emplois dans la fonction publique territoriale pour certains emplois "comportant des responsabilités d'encadrement, de direction de services, de conseil ou d'expertise, ou de conduite de projet" (loi du 26 janvier 1984, art. 6-1 nouveau). Il s'agit d'emplois fonctionnels qui prendront place à côté des emplois fonctionnels déjà existants de direction. Ces statuts seront fixés par décrets en Conseil d'Etat et l'on pourra, alors, véritablement mesurer les différences séparant les uns des autres. La décision de créer de tels emplois, pourvus exclusivement par la voie du détachement, relèvera évidemment de l'assemblée délibérante de la collectivité ou de l'établissement public concerné. Il est dérogé à l'article 67 de la loi du 26 janvier 1984 (N° Lexbase : L6935AHC) puisqu'à l'expiration du détachement, "le fonctionnaire qui, avant sa nomination dans un de ces emplois, relevait de la même collectivité territoriale ou du même établissement public, est réaffecté dans un emploi correspondant à son grade dans cette collectivité ou cet établissement".
Cette création répond à ce qui a déjà été institué pour les administrations de l'Etat qui peuvent créer des emplois d'expert de haut niveau et de directeur de projet. Ces emplois sont occupés par voie de détachement par des fonctionnaires expérimentés et bénéficient d'une rémunération attractive allant de l'indice brut 901 jusqu'à la hors échelle C.
Nul ne doute que les collectivités territoriales aient de véritables besoins dans le domaine de l'expertise, de l'audit et de la direction de projet et que ces fonctions doivent être confiées à des cadres de haut niveau. Toutefois, en vertu de cette approche fonctionnelle de la fonction publique, la loi autorise la création d'emplois et non de cadres d'emplois qui pourront, en conséquence, être retirés à leurs bénéficiaires dans l'intérêt du service. Ces emplois pourront, d'ailleurs, être conçus sur mesure pour donner une solution transitoire à des hauts fonctionnaires dont la carrière est bloquée dans l'accès à de plus hautes fonctions. Au sein de la fonction publique de l'Etat, ce système peut permettre d'éviter qu'un haut fonctionnaire ayant enchaîné des postes de sous-directeur et auquel l'on confie une mission ne redevienne simple administrateur civil et subisse, ainsi, une "moins-value" sur le plan de la rémunération et du régime indemnitaire.
2 - La protection sociale des fonctionnaires territoriaux par leurs employeurs
L'article 38 de la loi du 3 août 2009 modifie la loi du 26 janvier 1984 et ajoute des articles supplémentaires relatifs au financement de la protection sociale complémentaire. L'article 39 de la loi n° 2007-148 du 2 février 2007 de modernisation de la fonction publique avait ajouté un article 22 bis au statut général définissant le caractère social et l'étendue du champ de cette protection. Ce nouvel article dispose que les personnes publiques employeurs "peuvent contribuer au financement des garanties de protection sociale complémentaire auxquelles les agents qu'elles emploient souscrivent", et que "la participation des personnes publiques est réservée aux contrats ou règlements garantissant la mise en oeuvre de dispositifs de solidarité entre les bénéficiaires, actifs et retraités". Il prévoit que les modalités d'application de ce nouveau texte seront fixées par décret en Conseil d'Etat, ce qui a été fait pour la fonction publique de l'Etat.
La réforme de 2009 vient donner un cadre législatif plus précis au futur décret concernant la fonction publique territoriale qui, au nom du principe de libre administration et en considération du grand nombre d'employeurs territoriaux, ne pouvait se voir appliquer le même texte réglementaire qu'à l'Etat. La condition de solidarité sera donc attestée par un label ou vérifiée dans le cadre d'une procédure de mise en concurrence. Ces contrats en matière de santé ou de prévoyance pourront être proposés par les mutuelles, les institutions de prévoyance et les entreprises d'assurance. Les collectivités pourront, alors, conclure avec ces organismes dans le cadre d'une procédure de mise en concurrence transparente et non discriminatoire une convention de participation au titre d'un contrat ou règlement à adhésion individuelle et facultative réservée à leurs agents. Toutefois, seuls les agents et retraités ayant adhéré pourront bénéficier de cette aide de leur employeur. Les centres de gestion pourront conclure des conventions de participation pour le compte des collectivités.
(1) Cela concerne même les militaires, en vertu de l'article L. 4132-13 du Code de la défense (N° Lexbase : L6259IEK), l'accès des fonctionnaires civils aux corps militaires ne pouvant, cependant, s'effectuer que par la voie d'un détachement suivi, le cas échéant, d'une intégration et non par la voie d'une intégration directe.
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par Sophie Tatot, Avocat au barreau de Paris, cabinet Lefèvre Pelletier et associés
Le 07 Octobre 2010
L'exigence de réactivité empêche les laboratoires pharmaceutiques de s'attarder sur les précautions juridiques nécessaires à prendre afin d'éviter une mise en jeu de leur responsabilité en cas de survenance d'effets indésirables.
La question de la responsabilité des laboratoires du fait des produits défectueux est pourtant un sujet d'actualité. A la lumière de la décision de la première chambre civile de la Cour de cassation en date du 9 juillet 2009 dans le contentieux de la vaccination contre l'hépatite B, tout laboratoire peut voir sa responsabilité civile engagée du fait des produits défectueux sur le fondement de l'article 1386-4 du Code civil (N° Lexbase : L1497AB3), si la notice de présentation du vaccin commercialisé ne contient pas au nombre des effets secondaires indésirables, celui qui est à l'origine du dommage (Cass. civ. 1, 9 juillet 2009, n° 08-11.073, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A7250EID et lire les obs. de Ch. Radé, Panorama de responsabilité civile médicale (avril à juillet 2009) (première partie), Lexbase Hebdo n° 359 du 16 juillet 2009 - édition privée générale N° Lexbase : N0028BLM).
Le laboratoire fabricant est, en effet, soumis à une obligation d'information à l'égard du consommateur (C. civ., art. 1386-4). La notice doit remplir pleinement ce rôle d'information et surtout répondre aux exigences des articles R. 5121-137 (N° Lexbase : L5052IBQ) à R.5121-149 du Code de la santé publique régissant les bonnes pratiques de notice. Depuis l'arrêt précité, il est possible d'engager la responsabilité d'un laboratoire en raison de l'absence de mention de l'effet indésirable sur la notice, ou pour "défaut extrinsèque", c'est-à-dire défaut d'information du patient.
En conséquence, outre la preuve des mentions obligatoires, il appartiendra désormais au laboratoire fabricant ou exploitant du médicament immunologique, en cas d'effets indésirables rapportés par un patient, de démontrer qu'il a parfaitement rempli son obligation d'information à l'égard de ce dernier, dès lors que le lien causal entre le médicament défectueux et le dommage subi par le patient peut être déduit de faits que la jurisprudence qualifie de "présomptions graves, précises et concordantes" (Cass. civ.1, 9 juillet 2009, n° 08-11.073, préc.).
Les conséquences sur l'organisme de l'administration d'un médicament ne sont pas exclusivement bénéfiques et celle-ci s'accompagne d'effets indésirables. Une AMM est délivrée sur la base d'une étude du rapport bénéfice/risque, qui doit se révéler favorable, mais qui n'exclut pas les effets indésirables. Certains sont donc révélés lors des essais précliniques, d'autres le sont souvent après leur mise en circulation puisque l'objet même de la pharmacovigilance est la "surveillance du risque d'effet indésirable résultant de l'utilisation des médicaments et produits à usage humain" (C. santé publ., art. R. 5121-150 N° Lexbase : L4443H9G).
Toutefois, en l'état actuel de la législation, le laboratoire pharmaceutique fabricant, exploitant ou titulaire de l'AMM et le pharmacien responsable in fine, restent responsables des effets indésirables du médicament commercialisé. En conséquence, au regard de l'évolution de la jurisprudence, on ne saurait trop conseiller aux laboratoires pharmaceutiques concernés de renforcer leur vigilance et de s'assurer que la notice de présentation de tous les médicaments à commercialiser, et notamment celle des vaccins, contient bien tous les effets indésirables relevés lors des essais précliniques. Il s'agit, en réalité, d'un véritable travail d'anticipation pour les laboratoires qui requiert à la fois une compétence pharmaceutique mais également juridique.
En effet, la sécurité sanitaire étant plus que jamais devenue une priorité, il semblerait que la jurisprudence tende à exiger des laboratoires pharmaceutiques fabricant ou exploitant, la délivrance, par l'intermédiaire de la notice, d'une information claire et précise, non seulement sur les risques encourus mais également sur les risques exceptionnels voire envisageables, c'est-à-dire qui pourraient survenir en cas de sensibilité particulière du patient ou d'interactions médicamenteuses.
La pertinence et la précision de l'information délivrée par le laboratoire pharmaceutique dépendra donc de la qualité de rédaction de la notice sur le plan de l'exhaustivité des effets indésirables. Toutefois, à moins d'y insérer des mentions visant à démontrer que le laboratoire a fait le nécessaire pour accomplir son obligation d'information, ce qui est impossible en l'état actuel de la législation, la mise en jeu de la responsabilité des laboratoires pharmaceutique du fait des produits défectueux est une véritable épée de Damoclès.
Doit-on, pour autant, prendre exemple sur les Etats-Unis qui ont accordé, par le vote d'un amendement à une Déclaration du 15 juin 2009, prise dans le cadre du Prep Act (1), une protection juridique aux laboratoires dans le cadre de la campagne de vaccination contre la grippe H1N1 ? En France, l'article L. 3110-3 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L7639HWT ; transféré à l'article L. 3131-3 du Code de la santé publique N° Lexbase : L9615HZ7 par l'effet de l'article premier de la loi n° 2007-294 du 5 mars 2007, relative à la préparation du système de santé à des menaces sanitaires de grande ampleur N° Lexbase : L5933HUB) prévoit une "immunité juridique" pour les laboratoires pharmaceutiques dans des cas exceptionnels mais s'empresse de rappeler que ces dispositions ne les "exonèrent pas de l'engagement de leur responsabilité dans les conditions de droit commun en raison de la fabrication ou de la mise sur le marché du médicament", sauf à démontrer, sur le fondement de l'article 1386-11 du Code civil (N° Lexbase : L1504ABC), que "l'état des connaissances scientifiques et techniques, au moment où il [le laboratoire] a mis le produit en circulation, n'a pas permis de déceler l'existence du défaut".
La vie des laboratoires n'est pas près d'être un long fleuve tranquille...
(1) Législation sur la préparation et les urgences publiques
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Le 07 Octobre 2010
La société R vend à une autre, la société A, des marchandises sous clause de réserve de propriété. L'acheteur A revend à des filiales, B, ces marchandises, sans en payer le prix au vendeur d'origine. Après la mise en redressement judiciaire de l'acheteur d'origine (A), puis 15 jours après en liquidation judiciaire, le vendeur réservataire (R) a exercé une action en revendication ou défaut de leur prix, puis en a demandé le paiement entend aux sous-acquéreurs (B), eux-mêmes placés en redressement judiciaire 15 jours après l'acheteur d'origine (A), ce redressement étant 15 jours plus tard converti en liquidation judiciaire.
La cour d'appel avait accepté la condamnation du liquidateur des filiales B à payer les sommes restant dues au vendeur réservataire, la société R. Ayant formé un pourvoi, la question posée à la Cour de cassation par le liquidateur était de savoir si le vendeur réservataire pouvait obtenir paiement du sous-acquéreur, qui n'avait pas payé le prix de revente des marchandises vendues sous clause de réserve de propriété, alors qu'il avait été placé en redressement puis en liquidation judiciaire. A cette question, la Cour de cassation va apporter une réponse négative et casser l'arrêt de la cour d'appel. Elle va, d'abord, énoncer en principe que "l'action en paiement exercée par le vendeur initial à l'encontre d'un sous-acquéreur de biens vendus sous clause de réserve de propriété s'analyse en une action personnelle et non en une action réelle". Elle va, ensuite, en tirer la conséquence en relevant que "l'action en paiement du prix laissé impayé par les filiales tendait au paiement d'une créance antérieure aux jugements d'ouverture des procédures collectives de celles-ci, la cour d'appel a violé les textes susvisés".
L'arrêt a été rendu au visa des articles L. 622-7 (N° Lexbase : L3866HBS), L. 622-21 (N° Lexbase : L3741HB8), L. 624-18 (N° Lexbase : L4091HB7), L. 631-14 (N° Lexbase : L4025HBP) et L. 631-18 (N° Lexbase : L4029HBT) du Code de commerce, dans leur rédaction issue de la loi de sauvegarde des entreprises du 26 juillet 2005 (loi n° 2005-845 N° Lexbase : L5150HGT).
La clause de réserve de propriété permet à un vendeur de revendiquer le bien vendu, qui reste sa propriété tant que le prix de vente n'est pas intégralement payé. Lorsque l'acheteur initial a revendu le bien à un sous-acquéreur, la revendication du bien entre les mains de ce dernier est, par principe, impossible. L'article 2276 du Code civil (N° Lexbase : L7197IAS) y fait obstacle, dès lors, du moins, que le sous-acquéreur est de bonne foi, c'est-à-dire qu'il est, lors de l'acquisition (1), dans l'ignorance que son auteur n'est pas encore propriétaire du bien, ce qui peut être le cas en présence d'une clause de réserve de propriété, lorsque le vendeur d'origine n'a pas été payé (2).
Les droits du vendeur réservataire ne sont toutefois pas anéantis. Le Code de commerce lui ouvre en effet la possibilité d'exercer une revendication du prix de revente entre les mains du sous-acquéreur, dès lors que ce prix n'a pas été payé à l'acheteur intermédiaire à la date du jugement d'ouverture. C'est l'objet de l'article L. 624-18 du Code de commerce, texte de la sauvegarde applicable en redressement et en liquidation judiciaire. Pour cela, le vendeur réservataire doit exercer une action en revendication du bien ou du prix dans la procédure collective de l'acheteur.
La revendication du prix de revente est fondée sur la subrogation réelle (3) : le droit de propriété sur le bien dont disposait le vendeur initial réservataire est reporté sur la créance de prix de revente du bien (4). Est évoquée, à cet égard, une "revendication de substitution" (5).
La cour d'appel avait considéré que la créance de l'acquéreur sur le sous-acquéreur se substitue aux marchandises, par voie de subrogation réelle, ce qui, croyait-elle, permettait de considérer que la condamnation du sous-acquéreur était possible nonobstant son état de redressement ou de liquidation judiciaire. C'était aller trop vite en besogne. C'était, en effet, confondre l'action réelle en revendication exercée dans la procédure collective de l'acheteur et l'action personnelle en paiement exercée contre le sous-acquéreur. Même si ces actions sont toutes deux couramment désignées sous le vocable de "revendication du prix", elles sont parfaitement distinctes. L'ambivalence de cette expression a bien été mise en évidence (6).
En effet, ainsi que l'a lumineusement analysé un auteur (7), l'action réelle en revendication du prix dans la procédure collective de l'acquéreur-revendeur se double d'une action personnelle en paiement de la créance du prix de revente contre le sous-acquéreur. La revendication par le vendeur initial de la créance du prix dans la procédure collective constitue l'action réelle en revendication stricto sensu qui fonde la seconde action, l'action personnelle en paiement contre le sous-acquéreur, dont dispose le vendeur initial.
Il est indiscutable que la recevabilité et le caractère fondé de la première action -l'action réelle en revendication- conditionnent le succès de la seconde action -l'action personnelle en paiement-. Pour autant, encore faut-il que la seconde action -l'action personnelle en paiement- puisse être exercée contre le sous-acquéreur. A ce stade, il faut tenir compte de l'éventuelle procédure collective qui atteint le sous-acquéreur. Dès lors que ce dernier est placé sous sauvegarde, en redressement ou en liquidation judiciaire, les droits de ses créanciers se trouvent atteints. S'appliquent, comme dans toute procédure collective de paiement, la règle de l'interdiction des paiements éditée par l'article L. 622-7 du Code de commerce (N° Lexbase : L3389ICI) et celle de l'arrêt des poursuites individuelles énoncée par l'article L. 622-21 du même code (N° Lexbase : L3452ICT). On comprend, dès lors, le visa de ces deux textes par la Cour de cassation, dans la présente espèce.
L'action personnelle en paiement étant, comme son nom l'indique, une action en paiement d'une créance antérieure au jugement, elle est interdite ou interrompue par l'effet du jugement d'ouverture. En l'espèce, n'ayant pas été entamée au jour du jugement d'ouverture de la procédure collective des sous-acquéreurs, elle est interdite. La condamnation au paiement ne pouvant intervenir, d'évidence, le paiement ne peut avoir lieu. Peu importe, à cet égard, que la condamnation soit dirigée contre le liquidateur des filiales, sous-acquéreurs des biens vendus sous clause de réserve de propriété. Le liquidateur ne fait que représenter les filiales, c'est-à-dire les sous-acquéreurs. Il ne peut donc es qualités être condamné au paiement.
Bien que l'affirmation selon laquelle "l'action en paiement exercée par le vendeur initial à l'encontre d'un sous-acquéreur de biens vendus sous clause de réserve de propriété s'analyse en une action personnelle et non en une action réelle" soit posée pour la première fois par la Cour de cassation, elle ne peut surprendre. En effet, la solution constituait déjà le fondement d'au moins deux décisions précédemment rendues par la Cour de cassation.
Tranchant une première difficulté, la Cour de cassation a considéré que l'action du vendeur initial exerçant une revendication sur le prix est indépendante du sort de la créance née de la revente du bien par l'acheteur-revendeur au sous-acquéreur. Il a, en effet, été jugé que le vendeur réservataire de propriété "peut revendiquer le prix impayé par le sous-acquéreur en redressement ou liquidation judiciaires, peu important que la créance détenue par l'acquéreur initial à l'encontre du sous-acquéreur soit éteinte pour n'avoir pas été déclarée au passif de ce dernier" (8). La solution est justifiée par la subrogation réelle, qui s'opère à la date de la revente (9), cependant que le "flottement notionnel" est dénoncé, qui consiste à évoquer le "propriétaire d'une créance" (10).
Cette position se justifie pleinement, puisque l'action en revendication s'exerce à l'encontre de la procédure collective et, dès lors que les conditions de recevabilité de celle-ci au jour de l'ouverture de la procédure sont réunies, cette action en revendication doit prospérer. Celle-ci se double alors d'une action personnelle du vendeur initial à l'encontre du sous-acquéreur. Cette action, du fait de la règle de l'interdiction des paiements, se transforme alors en un droit pour le vendeur initial de déclarer sa créance au passif du sous-acquéreur à hauteur de la créance de prix que ce dernier restait devoir à son propre vendeur, l'acquéreur-revendeur.
La seconde question posée à la Cour de cassation était de savoir si le sous-acquéreur pouvait opposer au vendeur initial l'exception d'inexécution par le revendeur de son obligation pour refuser de régler le prix. La Chambre commerciale avait semblé y être hostile (11), mais l'arrêt n'était pas très significatif, s'agissant de l'absence de réponse à un moyen (12). La solution avait clairement été posée par une cour d'appel (13). La Cour de cassation devait ensuite, dans un arrêt de principe, énoncer que la revente opère, par l'effet de subrogation réelle, transport dans le patrimoine du vendeur initial du prix ou de la partie du prix impayé par les sous-acquéreurs au jour de l'ouverture de la procédure collective de l'acheteur. Il en résulte que le sous-acquéreur ne peut opposer au vendeur initial les exceptions qu'il aurait pu opposer à son propre vendeur (14). La solution est justifiée pour la même raison que celle exposée précédemment : l'action personnelle du vendeur initial à l'encontre du sous-acquéreur est distincte de l'action en paiement dont peut se prévaloir l'acquéreur-revendeur à l'encontre de son propre acquéreur. Le vendeur réservataire de propriété exerce à l'encontre du sous-acquéreur non pas l'action en paiement dont est titulaire l'acquéreur-revendeur, mais une action personnelle en paiement. Le sous-acquéreur ne peut donc opposer au vendeur initial l'exception d'inexécution par le revendeur de son obligation, laquelle ne concerne que les rapports entre le revendeur et son acquéreur, auxquels le vendeur initial est un tiers.
Le sous-acquéreur, qui ne se libérera valablement qu'entre les mains du propriétaire, non entre celle du débiteur ou de son liquidateur (15), n'aura à s'exécuter que si la revendication est acceptée par le mandataire de justice compétent ou, à défaut, par le juge-commissaire. De même, la prétention du vendeur sous clause de réserve de propriété, qui entend demander au factor, auquel avaient été transmises les créances de revente des biens, la restitution de sommes par lui encaissées sur des sous-acquéreurs, à la suite de l'annulation du contrat d'affacturage, ne pourra prospérer que si sa demande en revendication a été acceptée (16).
Ainsi, au final, la cour d'appel a été censurée, en l'espèce, pour avoir oublié que ce que l'on appelle en pratique la revendication du prix recouvre bien deux actions distinctes, une action réelle en revendication exercée contre la procédure collective et une action personnelle en paiement initiée contre le sous-acquéreur, qui ne suivent pas nécessairement le même sort, même si le succès de l'action réelle est une condition sine qua non du succès de l'action personnelle en paiement.
Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, Directeur du CERDP (ex Crajefe) et Directeur du Master 2 Droit des difficultés d'entreprises
Aux termes des dispositions de l'article 2306 du Code civil (N° Lexbase : L1204HIG, C. civ., art. 2029, anc. N° Lexbase : L2264ABH), "la caution qui a payé la dette est subrogée à tous les droits qu'avait le créancier contre le débiteur". Cet article, propre au cautionnement, n'est que la reprise d'une règle générale posée par l'article 1251, 3°, du Code civil (N° Lexbase : L0268HPM) qui dispose que "la subrogation a lieu de plein droit : [...] 3° au profit de celui qui, étant tenu avec d'autres ou pour d'autres au paiement de la dette, avait intérêt de l'acquitter". Cette disposition ouvre un cas de subrogation légale au profit de celui qui paye, en y étant tenu, la dette d'autrui. Cette subrogation, qui intervient à l'exact moment du paiement, a pour effet d'investir le subrogé de tous les droits et actions que le créancier subrogeant détenait à l'encontre du débiteur.
Dans l'hypothèse où le débiteur fait l'objet d'une procédure collective, la question s'est posée de savoir si la caution se trouvait dans l'obligation de procéder à la déclaration de créances résultant de cette subrogation. Dans l'espèce commentée, une banque s'était portée caution du remboursement des sommes qu'une société pourrait devoir à deux compagnies pétrolières. Avant que la banque, caution, ait été appelée, le débiteur principal avait fait l'objet d'une procédure de redressement judiciaire. Les créanciers avaient déclaré leur créance au passif du débiteur puis actionné la caution, laquelle s'était exécutée alors même que le délai de déclaration de créances n'était pas encore expiré.
Le paiement avait donné lieu à l'établissement d'une quittance subrogative sur la base de laquelle la banque, caution, avait demandé son admission aux lieu et place des sociétés pétrolières.
Le juge-commissaire avait prononcé l'admission de la banque subrogée. Cependant, la cour d'appel avait infirmé la décision du juge-commissaire. Pour statuer ainsi et rejeter la demande de la banque, les juges d'appel avaient considéré que, dès lors que le paiement effectué par la banque, caution, était intervenu postérieurement à l'ouverture de la procédure collective et à l'intérieur du délai de déclaration de créances, il incombait à la caution de déclarer sa propre créance résultant de cette subrogation, ce qu'elle s'était gardée de faire.
Dans son arrêt en date du 22 septembre 2009, la Chambre commerciale de la Cour de cassation casse l'arrêt d'appel au motif que "la caution solvens qui a payé après l'ouverture de la procédure collective du débiteur principal, n'est pas tenue de déclarer sa créance subrogatoire lorsque le créancier a lui-même, avant paiement, déclaré sa créance, peu important que le paiement ait eu lieu avant l'expiration du délai légal de déclaration".
Dans des circonstances analogues, les Hauts magistrats avaient déjà eu l'occasion de poser la solution selon laquelle le recours subrogatoire de la caution est préservé par une déclaration de créance effectuée par le créancier au passif du débiteur principal (17). Cependant, même si la solution n'est pas totalement nouvelle, cette confirmation mérite d'être soulignée et nous donne l'occasion de cerner la situation de la caution qui a procédé, après jugement d'ouverture, et à l'intérieur du délai de déclaration de créance, au paiement de la celle-ci.
Rappelons que la caution dispose de plusieurs recours contre le débiteur principal (18). Lui est d'abord ouvert un recours "exceptionnel", avant paiement, que lui offre l'article 2309 du Code civil (N° Lexbase : L1208HIL). La jurisprudence a récemment considéré que cette créance de recours, qui est une variété de recours personnel, naît de l'engagement de caution (19) et doit donc donner lieu à une déclaration de créance de la caution au passif du débiteur principal.
La caution dispose également de deux sortes d'actions en remboursement contre le débiteur principal : l'action personnelle en remboursement (C. civ., art. 2305 N° Lexbase : L1203HIE) et l'action subrogatoire en remboursement (C. civ., art. 2306 [LXB= L1204HIG]).
En exerçant l'action subrogatoire, la caution -pour reprendre l'expression d'une doctrine éminente (20)- "chausse les bottes du créancier désintéressé" et "bénéficie des avantages de sa position et souffre de ses faiblesses". Ainsi, pourra-t-elle bénéficier des sûretés du créancier (par exemple hypothèque, réserve de propriété, etc.) mais ne pourra, au travers de cette action, prétendre qu'à un remboursement limité au montant payé.
Pour sa part, l'action personnelle en remboursement lui permettra d'obtenir, outre le remboursement intégral du paiement effectué par elle, le remboursement de ses frais personnels, des intérêts à partir de son propre paiement ou des dommages-intérêts si l'exécution lui a causé un préjudice particulier.
Ces créances de recours doivent-elles donner lieu à déclaration ? Cette question est naturellement intimement liée à celle de leur fait générateur.
La Cour de cassation a considéré que, pour déterminer le fait générateur de la créance de recours personnel de la caution, il ne fallait pas prendre en considération la date de paiement effectué par cette dernière, ce qui aurait conduit à faire naître au profit de la caution une créance postérieure dès lors que son paiement aurait été postérieur au jugement d'ouverture. Au contraire, la Chambre commerciale affirme catégoriquement que la créance de recours personnel de la caution solvens naît de l'engagement de caution (21).
S'agissant du recours subrogatoire, dès lors que la caution "chausse les bottes du créancier désintéressé", la créance de la caution fondée sur ce recours est nécessairement antérieure, dès lors que la créance du créancier l'est également.
Ainsi, quel que soit le type de recours exercé par la caution, à partir du moment où la créance garantie est antérieure au jugement d'ouverture, la créance de recours de la caution l'est également et sera, à ce titre, appelée à être déclarée au passif. Cependant, la caution doit-elle nécessairement et systématiquement déclarer cette créance issue de son recours subrogatoire ?
Dès lors que la caution a désintéressé le créancier avant l'ouverture de la procédure collective, la réponse doit, indiscutablement, être affirmative.
Lorsque la caution a désintéressé le créancier après l'ouverture de la procédure collective et à l'intérieur du délai de déclaration de créance, la réponse doit être plus nuancée car il faut distinguer selon que le créancier a, de son côté, procédé ou non à la déclaration de sa créance qui était, par hypothèse, impayée au jour du jugement d'ouverture de la procédure collective du débiteur principal.
Si le créancier a procédé à la déclaration de créance avant d'être réglé par la caution, il ressort de l'arrêt rapporté que la caution ne sera pas tenue de déclarer sa créance de recours subrogatoire. La solution est parfaitement logique : dès lors que la caution, qui a "chaussé les bottes du créancier", se prévaut de son recours subrogatoire, elle peut à sa place, prétendre à l'admission de sa créance au passif. Une déclaration par la caution d'une créance fondée sur le recours subrogatoire serait d'ailleurs redondante comme faisant doublon avec la propre déclaration de créance du créancier dans les droits duquel la caution se trouve subrogée. Cependant, contre toute attente, la Chambre commerciale considère que la caution est en droit de déclarer également sa créance de remboursement fondée sur le recours subrogatoire en jugeant que "la créance dont la caution dispose par subrogation contre le débiteur principal est celle du subrogeant et peut donner lieu à une autre admission au passif du débiteur principal au profit de cette caution en sa qualité de subrogée dans les droits du créancier garanti" (22). Eu égard à la formulation large employée par la Cour de cassation, la solution, bien que rendue dans une hypothèse de sous-cautionnement (23), semble avoir vocation à s'appliquer en dehors même de cette hypothèse.
Si, en revanche, le créancier n'a pas procédé à la déclaration de sa créance avant d'être réglé par la caution à l'intérieur du délai de déclaration de créance, cette dernière doit, au contraire, impérativement procéder à une déclaration de créance fondée sur le recours subrogatoire (24).
La Cour de cassation a précisé que, si le créancier reçoit paiement à l'intérieur du délai de déclaration de créance, il n'a pas à déclarer sa créance (25). Cette solution semble sujette à critique dès lors que, par principe, sont soumis à l'obligation de déclarer leur créance les créanciers dont la créance est antérieure au jugement d'ouverture afin que soit tirée une photographie du passif au jour de l'ouverture de la procédure. Le juge-commissaire doit, en effet, admettre la créance pour le montant dû au jour du jugement d'ouverture sans prendre en compte les paiements intervenus postérieurement qui émaneraient par exemple d'une caution (26). On conçoit mal, dans ces conditions, comment le créancier pourrait être dispensé de cette obligation de déclarer dès lors qu'il est créancier au jour du jugement d'ouverture. Cette situation peut, en outre, placer la caution dans une situation particulièrement délicate : dans l'hypothèse où le paiement effectué par la caution interviendrait quelques jours avant l'expiration du délai de déclaration de créance -voire le jour même de son expiration-, le créancier se trouverait dispensé d'avoir à déclarer sa créance alors que, dans le même temps, la caution se trouverait "au pied du mur" et devrait déclarer sa créance de recours subrogatoire sans délai. Il ne resterait plus à la caution qu'à d'obtenir un hypothétique relevé de forclusion ou à tenter de se prévaloir des dispositions de l'article 2314 du Code civil (N° Lexbase : L1373HIP) pour espérer être déchargée à hauteur du préjudice que lui aurait causé le fait que le créancier, tout en actionnant la caution juste avant l'expiration du délai de déclaration, n'ait pas déclaré sa créance.
Il aurait semblé plus rationnel de maintenir l'obligation pour le créancier de déclarer sa créance, dès lors que celle-ci existe au jour du jugement d'ouverture et ainsi dispenser, systématiquement et symétriquement, la caution d'avoir à procéder à la déclaration d'une créance fondée sur son recours subrogatoire.
Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences à l'Université du Sud-Toulon-Var, Directrice du Master 2 Droit de la banque et de la société financière de la Faculté de droit de Toulon
(1) CA Paris, 5ème ch., sect. B, 4 février 1999, RJDA, 1999/11, n° 1236.
(2) Cass. com., 5 octobre 1993, n° 91-15.453, Société Illig Adolf Mashinenbau et Cie c/ M. Piollet, ès qualités de commissaire à l'exécution du plan de cession de la société Danglade, et autres, publié (N° Lexbase : A5736AB3), Bull. civ. IV, n° 317 ; Rev. huissiers, 1994, 187, note D. Vidal.
(3) Sur cette analyse, v. F. Pérochon, La revendication du prix de revente, D. Affaires, 1996, 1402, n° 14 ; M. Laroche, Revendication et propriété - Du droit des procédures collectives au droit des biens, coll. Th. Doctorat et notariat, t. 24, éd. Defrénois, 2007, p. 290, n° 450.
(4) V., not. F., Pérochon, Dictionnaire Permanent, Difficultés des entreprises, Clause de réserve de propriété et revendication, n° 58 ; E. Le Corre-Broly, La revendication du prix de revente sous l'éclairage de la jurisprudence, Gaz. proc. coll., 2007/4, p. 3.
(5) M. Laroche, Revendication et propriété - Du droit des procédures collectives au droit des biens, préc..
(6) F. Pérochon, Dictionnaire Permanent, Difficultés des entreprises, Clause de réserve de propriété et revendication, nº 61.
(7) F. Pérochon, Dictionnaire Permanent, Difficultés des entreprises, Clause de réserve de propriété et revendication, nº 61 ; F. Pérochon, R. Bonhomme, Entreprises en difficulté - Instruments de crédit et de paiement, LGDJ, 7ème éd., n° 550-2.
(8) Cass. com., 21 février 2006, n° 04-19.672, Société Poncinoise de charpente et de menuiserie c/ Société Ceratherm, FS-P+B+R (N° Lexbase : A1801DNZ), Bull. civ. IV, n° 43 ; D., 2006, AJ 718, obs. A. Lienhard, pan. 2255, obs. crit. F.-X. Lucas ; JCP éd. E, 2006, chron. 1569, p. 672, n° 9, obs. M. Cabrillac ; Act. proc. coll., 2006/7, n° 81, note J. Vallansan ; Gaz. proc. coll., 2006/2, p. 49, obs. E. Le Corre-Broly ; RTDCom., 2007, 233, n° 5, obs. A. Martin-Serf ; Rev. proc. coll., 2006/4, p. 361, n° 3, obs. M.-H. Monsérié-Bon ; RJ com., 2006/5, p. 394, note J.-P. Sortais.
(9) V. obs. M. Cabrillac, sous Cass. com., 21 février 2006, n° 04-19.672, préc., JCP éd. E, 2006, chron. 1569, p. 672, n° 9 ; obs. E. Le Corre-Broly, Gaz. proc. coll. 2006/2, p. 49 ; F. Pérochon, Dictionnaire permanent - Recouvrement de créances et procédures d'exécution, Clause de réserve de propriété, n° 61 ; adde, F. Pérochon, La revendication du prix de revente, préc..
(10) F.-X. Lucas, obs. préc., sous Cass. com., 21 février 2006, préc..
(11) Cass com., 3 janvier 1995, n° 93-11.093, Société Saunier-Duval c/ Société TCHP et autres, publié (N° Lexbase : A8228ABD), Bull. civ. IV, n° 3, JCP éd. E, 1995, I, 457, obs. M. Cabrillac et Ph. Pétel ; Rev. proc. coll., 1995, 198, n° 11, obs. B. Soinne.
(12) A. Lienhard, D., 2007, AJ 1729, note sous Cass. com., 5 juin 2007, n° 05-21.349, M. Günter Bastubbe, FS-P+B (N° Lexbase : A5511DWZ).
(13) CA Poitiers, ch. civ., 1ère sect., 16 mars 1994, Rev. proc. coll., 1995, 476, n° 13.
(14) Cass. com., 5 juin 2007, n° 05-21.349, préc. ; D., 2007, AJ 1729, note A. Lienhard ; Act. proc. coll., 200713, n° 153, note E. Le Corre-Broly ; RD banc. et fin., juillet-août 2007, p. 21, n° 155, note D. Legeais ; Rev. proc. coll., 2007/4, p. 224, n° 1, obs. M.-H. Monsérié-Bon ; JCP éd. E, 2008, chron. 1207, n° 11, p. 32, obs. crit. M. Cabrillac et Ph. Pétel ; RTDCom., 2008, 622, n° 3, obs. A. Martin-Serf.
(15) CA Paris, 3 décembre 1997, Rev. proc. coll., 2001, 19, n° 12, obs. B. Soinne.
(16) Cass. com., 20 septembre. 2005, n° 04-10.129, M. Günter Bastubbe c/ Société GE Factofrance SNC, F-D (N° Lexbase : A5137DKH).
(17) Cass com., 26 mai 1999, n° 96-16.126, Groupe Saint-Père, anciennement société Agrilait Ouest portefeuille, c/ M. René Terrier et autres, inédit (N° Lexbase : A8826AGY).
(18) Sur la question, v. not., M. Cabrillac, C. Mouly, S. Cabrillac, Ph. Pétel, Droit des sûretés, Litec, 8ème éd, n° 269 et s..
(19) Cass com., 3 février 2009, n° 06-20.070, Mme Maria Carlino, divorcée de Bruijn, FS-P+B (N° Lexbase : A9438ECK), JCP éd. E, 2009, 1347, n° 12, obs. M. Cabrillac.
(20) M. Cabrillac, C. Mouly, S. Cabrillac, P. Pétel, Droit des sûretés, préc., n° 271.
(21) Cass. com., 1er mars 2005, n° 02-13.176, M. Louis, Pierre, Marie Gaborit c/ M. Edouard Guinard, F-D (N° Lexbase : A0946DHI), D., 2005, jur. p. 1365, note P.-M. Le Corre, Gaz. proc. coll., 2005/2, p. 42, obs. P.-M. Le Corre, P.-M. Le Corre, La créance de recours de la caution solvens après clôture de la liquidation judiciaire pour insuffisance d'actif, Lexbase Hebdo n° 168 du 19 mai 2005 - édition affaires (N° Lexbase : N4227AIE) ; Cass com., 1er avril 2008, n° 07-12.238, M. Florent Rovira, F-D (N° Lexbase : A7710D7P), JCP éd. E, 2008, chron. 2013, n° 7, obs. Ph. Simler ; Cass. com., 30 septembre 2008, n° 07-18.479, M. Philippe Blériot, F-D (N° Lexbase : A5948EAK) ; v., dans le même sens, à propos du recours de la caution solvens contre un cofidéjusseur, Cass. com., 16 juin 2004, n° 01-17.199, M. Philippe Jeannerot c/ M. Adine Nevada, FS-P+B (N° Lexbase : A7318DCZ), Bull. civ. IV, n° 123, D., 2004, AJ p. 2046, Act. proc. coll., 2004/15, n° 185, note D. Legeais, JCP éd. E, 2005, chron. 31, p. 32, n° 15, obs. M. Cabrillac, RD banc. et fin., 2004/5, p. 326, n° 200, obs. D. Legeais et 2004/6, p. 410, n° 244, obs. F.-X. Lucas, RTDCom., 2004, p. 812, note A. Martin-Serf, RTDCiv., 2004, p. 758, n° 2, obs. P. Crocq, Gaz. Pal., 1 au 3 août 2004, p. 12, note P.-M. Le Corre, Du fait générateur de la créance de remboursement détenue par la caution, Lexbase Hebdo n° 129 du 15 juillet 2004 - édition affaires (N° Lexbase : N2336AB7). Selon cet arrêt, "la créance de la caution qui a payé la dette et qui agit contre son cofidéjusseur sur le fondement de l'article 2033 du Code civil [devenu C. civ., art. 2310 N° Lexbase : L1209HIM], prend naissance à la date de l'engagement de caution".
(22) Cass. com., 4 octobre 2005, n° 04-11.390, M. Jean-Claude Masson c/ Crédit agricole mutuel de Franche-Comté, F-P+B (N° Lexbase : A7104DKC), Bull. civ. IV, n° 197 ; JCP éd. E, 2006, chron. 1066, p. 76, n° 14, obs. M. Cabrillac, JCP éd. E, 2006, chron. 1753, p. 856, n° 7, obs. Ph. Simler.
(23) Ce qui est relevé par un auteur : M. Cabrillac, sous Cass. com., 4 octobre 2005, préc. dans ses obs. préc..
(24) Cass com., 13 avril 1999, n° 96-18.183, M. Cardi c/ Crédit d'équipement des petites et moyennes entreprises (CEPME), publié (N° Lexbase : A8042AGX), Bull. civ. IV, n° 85 ; D. Affaires, 1999, p. 906, obs. V. Avéna-Robardet ; D., 2000, somm. p. 99, obs. A. Honorat ; Act. proc. coll., 1999/10, n° 133 ; JCP éd. E, 1999, chron. 1534, n° 13, obs. M. Cabrillac ; LPA, 8 juin 1999, n° 113, p. 6, note P.-M. Le Corre ; RTDCom., 1999, p. 973, obs. A. Martin-Serf.
(25) Cass com., 21 février 2006, n° 05-10.603, Société Fuchs labo auto c/ M. Franck Candelier, F-D (N° Lexbase : A1871DNM), JCP éd. E, 2006, chron. 1753, p. 855, n° 7, obs. Ph. Simler ; Gaz. proc. coll., 2006/3, p. 39, obs. P.-M. Le Corre.
(26) Cass. com., 2 février 1999, n° 95-15.291, Société Premeco, publié (N° Lexbase : A2192A4X), Bull. civ. IV, n° 34, D. affaires, 1999, p. 636, obs. L. F. ; JCP éd. G, 1999, I, 139, n° 5, obs. M. Cabrillac, RTDCom., 1999, p. 974, obs. A. Martin-Serf, Rev. proc. coll., 2000, 56, n° 5, obs. E. Kerckhove, LPA, n° 65 du 1er avril 1999, p. 7 ; Cass. com., 24 juin 2003, 2 arrêts, n° 01-11.944, Société Banque nationale de Paris Paribas (BNP Paribas) c/ Société Tersac, F-D (N° Lexbase : A9704C8W) et n° 02-11.062, Société BNP Paribas c/ Société Arend et compagnie, F-D (N° Lexbase : A9833C8P).
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Le 07 Octobre 2010
I - Le droit au procès équitable dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme
Deux décisions importantes ont été rendues par la Cour européenne des droits de l'Homme à propos du principe d'impartialité. La juridiction strasbourgeoise a, d'abord, rendu un arrêt "Dubus SA c/ France" (1) dans lequel elle porte une appréciation sur l'impartialité dans la procédure conduite devant la Commission bancaire. Par la suite, la CEDH a rendu un arrêt "Mérigaud c/ France", dans lequel elle a également statué sur le respect de l'impartialité dans la procédure disciplinaire devant les juridictions ordinales des géomètres-experts.
Il est intéressant de comparer ces deux affaires car, même si la première statue au regard de sanctions attribuées à la "matière pénale" au sens de la Convention et que le second a rattaché les sanctions disciplinaires contre un géomètre expert à la "matière civile", les deux décisions font une appréciation comparable du principe d'impartialité objective au cours de la procédure. On sait que l'impartialité objective porte sur la question des cumuls de fonctions au cours d'une même procédure. Pour apprécier cette impartialité, la CEDH analyse principalement trois fonctions : la saisine de la juridiction, l'instruction du dossier et la décision au fond.
Dans l'affaire "Dubus SA c/ France", une personne s'était vu infliger un blâme par la Commission bancaire et elle estimait que la confusion des acteurs de la procédure de sanction portait atteinte au principe d'impartialité. Le grief de partialité reposait principalement sur la faculté d'autosaisine de la Commission bancaire. Ainsi, la procédure de sanction découlait d'un acte pris par la Commission bancaire elle-même. Par la suite, la sanction fut prise par le président et cinq membres de la Commission. De cette confusion des rôles, la CEDH déduit que "la société requérante pouvait raisonnablement avoir l'impression que ce sont les mêmes personnes qui l'ont poursuivie et jugée" (§ 60). Dans cette affaire, la Cour européenne a procédé à une analyse globale de la procédure en considérant que la séparation des fonctions n'était pas suffisamment garantie au cours de la procédure devant la Commission bancaire. Elle s'est, également, penchée avec plus de précision sur la question de l'autosaisine, en considérant que si celle-ci ne portait pas atteinte, en soi, au droit au procès équitable, il était nécessaire de la subordonner au principe d'impartialité. Tel n'a pas été le cas en l'espèce, puisque la Cour juge que "l'impression que la culpabilité de la requérante a été établie dès le stade de l'ouverture de la procédure". Cette position correspond, d'ailleurs, à celle prise par la Chambre commerciale de la Cour de cassation depuis le début des années quatre-vingt-dix (2). En d'autres termes, une juridiction peut se voir attribuer un pouvoir d'autosaisine à condition que l'acte de saisine ne fasse pas apparaître de préjugé sur le fond du dossier.
L'affaire "Mérigaud c/ France" concernait une procédure disciplinaire ordinale conduite contre un géomètre-expert. La CEDH a considéré que cette affaire relevait de la matière civile au sens de l'article 6 § 1 de la Convention car elle portait sur une sanction relative à l'exercice d'une profession libérale (3). La procédure disciplinaire avait été menée en deux temps. Une première décision avait été prise par le conseil régional de l'ordre des géomètres experts. En appel, l'affaire était portée devant le conseil supérieur des géomètres experts.
A cet égard, la Cour européenne a eu l'occasion de rappeler sa jurisprudence classique selon laquelle : "ou bien lesdites juridictions remplissent elles-mêmes les exigences de l'article 6 § 1, ou bien elles n'y répondent pas mais subissent le contrôle ultérieur d'un organe judiciaire de pleine juridiction présentant, lui, les garanties de cet article" (4). Selon cette jurisprudence, la violation de l'article 6 § 1 au premier degré de la procédure peut être couverte s'il existe un recours devant une juridiction qui présente toutes les garanties du procès équitable. Cette solution est particulièrement adaptée aux procédures disciplinaires ordinales. L'exercice des voies de recours est alors une manière de rétablir le respect du droit au procès équitable.
Dans cette optique, la Cour européenne a été amenée à juger dans l'affaire "Mérigaud", que le conseil régional de l'ordre n'avait pas été impartial, mais que cette irrégularité pouvait être corrigée par le recours devant le conseil supérieur de l'ordre. Une partie du débat s'est ainsi focalisée sur la procédure d'appel. Il était notamment reproché au conseil supérieur de l'ordre de cumuler des fonctions d'instruction et de jugement. Plus précisément, les membres de la commission d'instruction de ce conseil avaient également participé au jugement de l'affaire. On sait que depuis l'arrêt de principe "Hauschildt c/ Danemark" du 24 mai 1989 (5) la Cour européenne procède à une appréciation in concreto de l'impartialité. Elle juge ainsi que le cumul de fonctions n'est pas, en soi, une atteinte à l'impartialité, mais que les personnes qui sont intervenues au cours de l'instruction ne doivent pas avoir été conduites à se forger une opinion sur le fond du dossier, c'est-à-dire, un préjugé sur l'affaire. C'est précisément la conclusion à laquelle la Cour parvient dans l'arrêt "Mérigaud". Elle affirme ainsi que "rien ne permet de croire que la nature et l'étendue des tâches des membres de la commission d'instruction durant la phase d'instruction aient porté atteinte à leur impartialité objective lors du délibéré". On en déduit que les membres de la formation de jugement -qui avaient également participé à l'instruction du dossier- n'avaient acquis, du fait de leur première fonction, aucun préjugé sur l'affaire.
La position adoptée par la Cour européenne dans cet arrêt possède un double apport. D'une part, la juridiction strasbourgeoise considère qu'en l'espèce, le cumul de fonctions d'instruction et de jugement n'a pas porté atteinte au principe d'impartialité. D'autre part, elle en tire toutes les conséquences au regard de la procédure puisque le respect de l'article 6 § 1 en appel permet de couvrir les irrégularités qui avaient été constatées en première instance devant le conseil régional de l'ordre.
Sans constituer des décisions de principe, les deux arrêts "Dubus" et "Mérigaud" sont intéressants car ils rappellent les règles essentielles qui régissent les rapports entre cumul de fonctions et impartialité. Les cumuls de fonctions (ici saisine/jugement et instruction/jugement) ne sont pas contraires par nature à l'exigence d'impartialité. En revanche, la Cour européenne apprécie au cas par cas si une personne qui a participé à une phase de la procédure s'est forgée ou non, à l'occasion de ces participations, un préjugé sur l'affaire. Si la réponse est affirmative, le juge perd son impartialité et ne peut siéger dans la juridiction de jugement.
En dernier lieu, il est intéressant de souligner que le raisonnement tenu par la Cour européenne est exactement identique, que la procédure relève de la matière civile ou pénale, qu'elle se déroule devant une juridiction, une autorité administrative indépendante ou dans le cadre d'une procédure ordinale.
II - Le droit au procès équitable dans la jurisprudence de la Cour de cassation
L'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme est appliqué régulièrement par la Cour de cassation et l'on ne compte plus les pourvois qui invoquent cette stipulation si large, qu'elle englobe une grande partie des principes de la procédure civile. Dans le flot des décisions rendues en la matière, trois arrêts de la Cour de cassation retiennent l'attention.
Dans un arrêt rendu le 10 septembre 2009 la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a repris une jurisprudence, désormais traditionnelle, qui exclut l'application de l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'Homme à la procédure de récusation.
Le motif est toujours le même (6). Selon la Cour de cassation, "la procédure de récusation, qui ne porte pas sur le bien-fondé d'une accusation en matière pénale et ne concerne pas une contestation sur un droit ou une obligation de caractère civil, n'entre pas dans le champ d'application de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales".
En l'espèce, une partie avait soulevé une cause de récusation, mais la procédure de récusation avait été conduite sans que le demandeur soit informé de la date d'audience. La solution est d'ailleurs conforme à l'article 351 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L3928HWE), selon lequel "l'affaire est examinée sans qu'il soit nécessaire d'appeler les parties, ni le juge récusé". La procédure de récusation est ainsi conçue de façon expéditive (aucun recours n'est admis) et administrative (le respect du contradictoire n'est pas appliqué).
A en juger par l'abondante jurisprudence, ce caractère non-contradictoire de la procédure prête le flanc à la contestation. La position de la Cour de cassation est ainsi délicate à tenir. D'une part, elle écarte l'application de l'article 6 § 1 et des principes qui lui sont associés. D'autre part, elle juge que la procédure de récusation ne porte pas atteinte au principe du contradictoire prévu par l'article 16 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L2222ADN) (7).
Si l'on s'en tient à une interprétation stricte du principe du contradictoire, l'attitude de la Cour de cassation est pour le moins surprenante. Sauf à juger que la récusation est une mesure d'administration judiciaire, on voit mal comment le Code de procédure civile et la Cour de cassation peuvent écarter avec tant de facilité l'application du principe le plus fondamental de la procédure civile. La question se pose alors de savoir si l'attitude de la Haute juridiction française résistera à l'influence de la Cour européenne des droits de l'Homme. Cela pourrait conduire à une refonte complète de la procédure de récusation.
Un arrêt du 24 septembre 2009 a donné l'occasion à la première chambre civile de la Cour de cassation de confronter le très jeune principe de concentration des moyens à celui du procès équitable. Dans cette espèce, un couple d'employés avait été autorisé à demeurer dans une maison appartenant à leur employeur. Au décès de l'employeur, les héritiers avaient demandé en justice l'expulsion du couple d'employés en sollicitant la résiliation judiciaire du contrat de prêt. La demande fut pourtant rejetée et les propriétaires agirent à nouveau en justice en fondant leur action sur le droit de résiliation unilatérale du contrat de prêt à durée indéterminée. Cette prétention fut rejetée à nouveau, mais cette fois, en application de la jurisprudence, désormais bien établie en matière d'autorité de la chose jugée, selon laquelle "il incombe au demandeur de présenter dès l'instance relative à la première demande l'ensemble des moyens qu'il estime de nature à fonder celle-ci" (8). Les propriétaires déboutés formèrent alors un pourvoi en invoquant l'incompatibilité du principe de concentration des moyens avec l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme.
La Cour de cassation rejette le pourvoi de façon laconique en affirmant que la cour d'appel, qui a fait une application stricte du principe de concentration des moyens, a pu "en déduire, en l'absence de faits nouveaux venus modifier la situation ainsi antérieurement reconnue en justice, et sans encourir les griefs de violation de l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'Homme", que les demandeurs étaient irrecevables en leurs prétentions, lesquelles tendaient aux mêmes fins que celles présentées au cours d'une précédente procédure. La motivation est inexistante, mais l'arrêt a le mérite de la clarté. Reste à savoir si la position tenue par la Cour de cassation est conforme à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme sur le droit au juge (9). La réponse à cette question n'est pas évidente. Certes, dans cette espèce, les propriétaires ont eu accès à la justice. L'inefficacité de leur première défense les a conduit à être déboutés de leur action. L'interdiction posée par la Cour de cassation, d'agir sur un autre fondement juridique constitue une forme de négation du droit d'agir en justice, négation d'autant plus dommageable, ici, qu'elle conduit à porter atteinte au droit de propriété. On mesure ainsi que la concentration des moyens, si elle constitue un principe favorisant l'efficacité et la qualité de la procédure, constitue également un mécanisme susceptible de porter atteinte aux droits substantiels les plus fondamentaux. Une application sans nuance de cette règle de procédure n'est pas sans risque au regard des principes de la Convention.
Lorsqu'un soupçon de partialité pèse sur un juge, une option est ouverte à la partie qui souhaite mettre ce juge à l'écart. D'une part, il est possible de soulever l'une des causes de récusation prévue à l'article 341 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L3918HWZ). D'autre part, la Cour de cassation a jugé que "l'article 341, qui prévoit limitativement huit cas de récusation, n'épuise pas nécessairement l'exigence d'impartialité requise de toute juridiction" (10). On en déduit qu'au-delà des causes limitatives de récusation, une partie peut demander la mise à l'écart d'un magistrat qui ne satisferait pas à l'exigence d'impartialité au sens de l'article 6 § 1 de la CESDH. En effet, si un juge partial siège dans une juridiction, il est possible de soulever l'irrégularité procédurale et d'obtenir l'annulation de la décision rendue en présence de ce juge.
Cette option est aujourd'hui acquise en droit français et le débat porte sur la question de savoir à quel moment la partie qui conteste l'impartialité d'un juge doit soulever ce grief. S'agissant de la récusation, le Code de procédure civile précise à l'article 342 (N° Lexbase : L3919HW3) que la demande de récusation doit être formulée dès que la partie a connaissance de la composition de la juridiction. L'Assemblée plénière a d'ailleurs jugé, dans un arrêt de principe, qu'une partie, en s'abstenant de soulever une cause de récusation au cours des débats, a renoncé au droit d'invoquer l'article 6 § 1 devant la Cour de cassation (11). Enfin, l'article 430, alinéa 2, du Code de procédure civile (N° Lexbase : L2669AD9) précise, à propos de la formation de la juridiction de jugement, que "les contestations afférentes à sa régularité doivent être présentées, à peine d'irrecevabilité, dès l'ouverture des débats ou dès la révélation de l'irrégularité si celle-ci survient postérieurement, faute de quoi aucune nullité ne pourra être ultérieurement prononcée de ce chef, même d'office".
C'est dans ce contexte qu'est intervenu un arrêt intéressant rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation le 10 septembre 2009 (12). En l'espèce, une partie avait fait appel d'un jugement ayant autorisé la vente aux enchères d'un immeuble lui appartenant et le conseiller de la mise en état avait déclaré l'appel irrecevable. Cette décision fit l'objet d'un recours devant la cour d'appel et la juridiction statua dans une composition qui comprenait ce magistrat. L'irrégularité procédurale était ici évidente. En effet, la Cour de cassation juge depuis de nombreuses années, sur le fondement de l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'Homme, qu'un même magistrat ne peut statuer deux fois en première instance puis en appel, sur la même question (13). C'est pour cette raison que l'appelant souleva le défaut de partialité dès l'ouverture des débats devant la cour d'appel.
Pourtant, les juges du second degré déclarèrent irrecevable le moyen pris de la composition irrégulière de la cour d'appel, au motif que ce moyen n'avait pas été invoqué en temps utile. La composition de la juridiction était connue des parties avant l'ouverture des débats et la demanderesse aurait dû s'en prévaloir dès qu'elle en avait connaissance. La cour d'appel appliquait ainsi à l'irrégularité procédurale de l'article 430 du Code de procédure civile le régime des causes de récusation prévu par l'article 342 du même code.
La solution n'a pas échappé à la cassation. En effet, la Haute juridiction a affirmé qu'"en statuant ainsi, dans une composition où siégeait le magistrat qui avait rendu l'ordonnance déférée, et alors que M. X avait soulevé dès l'ouverture des débats cette irrégularité, la cour d'appel a violé le texte susvisé".
La solution paraît ici évidente puisque l'appelant avait appliqué l'article 430, alinéa 2, à la lettre en soulevant l'irrégularité procédurale "dès l'ouverture des débats".
On peut donc résumer aujourd'hui la situation de la manière suivante. Il existe deux façons de soulever le défaut d'impartialité d'un magistrat en procédure civile : soit en demandant la récusation du magistrat si l'une des causes de récusation se présente, soit en contestant la régularité de la composition de la juridiction.
Si la partie opte pour la récusation, elle doit présenter sa demande "dès qu'elle a connaissance de la cause de récusation" et au plus tard avant la clôture des débats (C. proc. civ., art. 342).
Si la partie opte pour la contestation de la régularité de la composition, elle doit présenter cette contestation "dès l'ouverture des débats" ou "dès la révélation de l'irrégularité si celle-ci survient postérieurement" (C. proc. civ., art. 430).
Ces règles étaient déjà contenues dans le Code de procédure civile, mais il a fallu une lente construction jurisprudentielle pour que l'on puisse y voir plus clair.
(1) Cf. sur cet arrêt, A. Bordenave, Non-conformité à l'article 6 § 1 de la CESDH de la procédure devant la Commission bancaire, Lexbase Hebdo n° 361 du 30 juillet 2009 - édition privée générale (N° Lexbase : N1487BLN) ; D., 2009, p. 2247, note A. Couret.
(2) A propos du pouvoir d'autosaisine du juge-commissaire : Cass. com., 3 novembre 1992, n° 90-16.751, M Haillot c/ M Soinne, ès qualités de liquidateur et représentant des créanciers (N° Lexbase : A4234ABG) ; Cass. com. 16 mars 1993, n° 91-10.314, Mme Cruces c/ Soinne (N° Lexbase : A3205AR7), D., 1993, juris., p. 538.
(3) Bien que la procédure s'achève par un recours devant le Conseil d'Etat.
(4) CEDH, 20 mai 1998, Req. 38/1997/822/1025-1028, Gautrin et autres c/ France, § 57 (N° Lexbase : A6967AWX) ; Recueil des arrêts et décisions 1998, III.
(5) CEDH, 24 mai 1989, Req. 11/1987/134/188, Hauschildt (N° Lexbase : A8363AWN).
(6) Cf. not. Cass. civ. 2, 14 octobre 2004, n° 02-18.708, Société civile agricole Aquigem, FS-P+B (N° Lexbase : A6014DD4), Bull. civ. II, n° 457.
(7) Cf., not., Cass. civ. 2, 1er décembre 2005, n° 04-18.874, M. Maurice Halison c/ Procureur général, F-D (N° Lexbase : A8532DLL), selon lequel, "l'absence de communication à la partie requérante de l'avis du président de la juridiction visé par la demande ne peut être sanctionnée, ni au titre de l'article précité, ni pour méconnaissance du principe de la contradiction énoncé par l'article 16 du Nouveau Code de procédure civile".
(8) Ass. plén. 7 juillet 2006, n° 04-10.672, M. Gilbert Cesareo, P+B+R+I (N° Lexbase : A4261DQU) ; D., 2006, p. 2135 ; Procédures n° 10, octobre 2006, comm. 201.
(9) Cf. CEDH, 21 février 1975, Req. 4451/70, Golder c/ Royaume-Uni (N° Lexbase : A1951D7E).
(10) Cass. civ. 1, 28 avril 1998, n° 96-11.637, M. X c/ M. Y et autres (N° Lexbase : A2196ACC), JCP éd. G, 1999, II, 10102.
(11) Ass. plén., 24 novembre 2000, n° 99-12.412, Mme Delpech c/ Société Delpech et fils (N° Lexbase : A3217AUP).
(12) Voir, également, le commentaire du Professeur Putman, JCP éd. G, 2009, 19 octobre 2009, n° 352.
(13) Cf., not., Cass. civ. 3, 27 mars 1991, n° 89-13.239, Mlle Dehlinger c/ Epoux Braun et autres (N° Lexbase : A1960AB9), Bull. civ. III, n° 105.
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Réf. : Cass. soc., 29 septembre 2009, n° 08-43.166, M. Alain Desaint c/ Société Axa France IARD et a., F-D (N° Lexbase : A5987ELC)
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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale
Le 07 Octobre 2010
Résumé
Aucun changement des conditions de travail, ayant pour effet de mettre fin à ses mandats, ne peut être imposé sans son accord à un représentant du personnel. |
I - Le caractère classiquement absolu du droit de veto des salariés protégés
La Cour de cassation a consacré, dans l'arrêt "Raquin", rendu en 1987, le droit, pour les salariés, de refuser une modification substantielle de leur contrat de travail (1). Après 1996, la Haute juridiction a modifié sa terminologie et son approche de la question pour affirmer le droit de refuser une modification du contrat de travail et l'obligation d'accepter un simple changement des conditions de travail (2).
Cette différence de régime ne s'applique, toutefois, qu'aux salariés ordinaires ; les salariés protégés ont, en effet, toujours bénéficié d'un privilège, celui de voir le droit de veto s'étendre, également, aux simples changements de conditions de travail (3).
L'analyse de la jurisprudence rendue jusqu'à une date récente ne faisait état d'aucune restriction à ce droit de veto, accréditant la thèse d'un droit absolu et discrétionnaire dont l'exercice ne serait pas subordonné à la preuve que le changement envisagé pourrait entraver l'exercice du mandat, à l'instar du juge pénal lorsqu'il cherche à caractériser, dans les mêmes circonstances, le délit d'entrave (4).
Une décision rendue en 2008 avait, toutefois, jeté le trouble sur cette jurisprudence et suggéré qu'une évolution vers un exercice finalisé de ce droit de veto pourrait bien être engagée (5). Dans cette décision, en effet, la Cour de cassation avait affirmé "qu'aucun changement de ses conditions de travail ne pouvait être imposé à [un salarié], en sa qualité de représentant du personnel, sans son accord et que la décision de mutation d'office, qui a eu pour effet de mettre fin immédiatement à ses mandats, constituait un trouble manifestement illicite auquel il appartenait au juge des référés judiciaires de mettre fin, nonobstant la contestation de la régularité de la mutation que celui-ci, en sa qualité de fonctionnaire, avait engagée devant le juge administratif", ce qui semblait suggérer que le refus de mutation du salarié était justifié par l'impact sur le mandat, à savoir sa disparition, précision inutile si l'exercice du droit est absolu.
Ce nouvel arrêt inédit, rendu le 29 septembre 2009, par la Chambre sociale de la Cour de cassation relance le débat.
Dans cette affaire, un salarié avait été engagé, en 1975, en qualité de documentaliste de la branche maritime. Il avait exercé des fonctions de représentant syndical et représentant du personnel à compter de 1989. A la suite d'un différend avec le groupe auquel appartenait son entreprise, il avait saisi la justice pour être rétabli dans ses fonctions d'origine, mais avait été débouté par les juges du fond, au motif "qu'aucun élément ne permet de caractériser un changement dans la nature des fonctions exercées et son niveau de responsabilité". L'arrêt est cassé. Après avoir affirmé le principe selon lequel "aucun changement des conditions de travail, ayant pour effet de mettre fin à ses mandats, ne peut être imposé sans son accord à un représentant du personnel", la Haute juridiction fait, en effet, grief aux juges du fond d'avoir privé leur décision de base légale, car ils n'avaient pas recherché "si la nouvelle affectation du salarié ne l'avait pas empêché de poursuivre l'exercice de ses mandats représentatifs, ce dont il se déduirait nécessairement que le changement de service constituait un changement des conditions de travail du salarié, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision".
Comme dans l'arrêt rendu en 2008, l'interprétation a contrario suggérerait que, lorsque le changement dans les conditions de travail ne l'empêche pas de poursuivre l'exercice de son ou de ses mandats, le salarié n'est pas en droit de s'y opposer.
Même s'il faut toujours se méfier des interprétations a contrario et qu'il faudra sans doute attendre une décision posant de manière explicite la règle, celle-ci nous semble bienvenue et souhaitable. Nous pensons même que la solution devrait être encore étendue.
II - Vers une limitation du droit de veto aux seuls changements ayant un impact sur l'exercice des mandats ?
On sait, depuis de nombreuses années, que la Chambre criminelle a caractérisé le délit d'entrave lorsque l'employeur imposait au salarié une modification de son contrat de travail destinée à entraver l'exercice de son mandat (6).
Il nous semble qu'une solution comparable, adaptée à la question civile, devrait prévaloir lorsqu'est en cause un simplement changement des conditions de travail.
A s'en tenir aux deux décisions rendues en 2008 et 2009, le salarié pourrait, bien entendu, refuser un changement de ses conditions de travail lorsque celui-ci l'empêcherait d'exercer ses mandats (mutation en application d'une clause de mobilité, changement d'attributions entraînant un changement de site, nouvel horaire de travail le privant de contact avec les autres salariés, etc.).
Il nous semble que le salarié ne devrait pouvoir refuser les changements dans ses conditions de travail que si ceux-ci, même sans l'empêcher d'exercer ses fonctions, en modifient de manière significative les conditions.
Il semble, en effet, très excessif d'affirmer qu'un salarié protégé peut refuser tout changement de ses conditions de travail, y compris lorsque celui-ci est sans incidence sur l'exercice de son mandat, car le droit de veto qui lui est reconnu ne sert alors plus à protéger l'exercice de celui-ci et perd sa raison d'être. Certes, l'employeur pourra saisir l'inspecteur du travail d'une demande d'autorisation de le licencier, mais on imagine aisément que ce dernier sera peu enclin à l'accorder pour un différend portant sur un simplement changement des conditions de travail...
Décision
Cass. soc., 29 septembre 2009, n° 08-43.166, M. Alain Desaint c/ Société Axa France IARD et a., F-D (N° Lexbase : A5987ELC) Cassation partielle de CA Paris,18ème ch., sect. D, 6 mai 2008, n° 06/06801, M. Alain Desaint (N° Lexbase : A6831D8I) Texte visé : C. trav., art. L. 2411-5 (N° Lexbase : L0150H9G) Mots clefs : salariés protégés ; changement des conditions de travail ; refus Lien base : |
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par Frédéric Dal Vecchio, Juriste-Fiscaliste et Chargé d'enseignement à l'Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines
Le 07 Octobre 2010
A la suite de la décision "Janfin" rendue par le Conseil d'Etat en septembre 2006 (CE Contentieux, 27 septembre 2006, n° 260050, Société Janfin N° Lexbase : A3224DRT) consacrant la règle fraus omnia corrumpit en matière d'abus de droit et de la réforme opérée par le Parlement en décembre 2008 (loi n° 2008-1443 du 30 décembre 2008, de finances rectificative pour 2008, art. 35 N° Lexbase : L3784IC7), l'abus de droit se caractérise, notamment, par la recherche du bénéfice d'une application littérale des textes ou de décisions à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs : la présente décision "Axa" commentée en est l'une des deux premières applications (1) qui va s'appuyer sur l'intention du législateur lorsqu'il a créé l'avoir fiscal en 1965. Au coeur de ce conflit, figure la question de la "cession" de fait des avoirs fiscaux -à laquelle l'administration fiscale n'a pas été insensible- et de leur possible répression au moyen des textes en vigueur avant la réforme.
On sait, en effet, que le champ d'application rationae materiae de l'article L. 64 du LPF (N° Lexbase : L3908ALC), applicable aux faits de l'espèce, ne permettait pas à l'administration d'obtenir gain de cause sur ce terrain car l'utilisation de l'avoir fiscal comme paiement de l'impôt ne déguisait ni la réalisation ni le transfert de bénéfices ou de revenus.
C'est donc sur le fondement de la fraude à la loi, tel que défini par le Conseil d'Etat en 2006, que la répression des abus de droit a retrouvé une certaine jeunesse : tout ce qui ne relevait pas du champ d'application de l'article L. 64 était, alors, susceptible d'être combattu au nom de ce principe général du droit miraculeusement ressuscité par le truchement du droit communautaire (CJCE, 21 février 2006, aff. C-255/02, Halifax plc c/ Commissioners of Customs & Excise N° Lexbase : A0045DNY) dont on soulignera qu'il est particulièrement piquant de constater qu'il a fallu attendre une décision de l'organe judiciaire de l'Union européenne, rendue en matière de taxe sur la valeur ajoutée, pour rappeler à la juridiction française un principe applicable en matière fiscale.
L'administration fiscale en a tiré d'immédiates conséquences afin de mettre un terme à certaines opérations portant sur les avoirs fiscaux. L'avoir fiscal, introduit en droit français par la loi du 12 juillet 1965 (CGI, art. 158 bis N° Lexbase : L2608HL8) et abrogé depuis le 1er janvier 2005 (loi n° 2003-1311 du 30 décembre 2003, de finances pour 2004 N° Lexbase : L6348DM3), était un crédit d'impôt attribué aux personnes physiques ou morales (2) bénéficiant d'une distribution de dividendes émanant de sociétés françaises redevables de l'impôt sur les sociétés. On déduit des termes de l'article 209 bis (N° Lexbase : L3880HLB), alors en vigueur, qu'il ne pouvait être cédé : seul le bénéficiaire de la distribution avait vocation à utiliser l'avoir fiscal.
Or, les faits relatifs à la décision "Axa" rapportent qu'une cinquantaine d'opérations d'emprunt et cent trente-deux achats à réméré ont été contestés devant les juges du fond (CAA Paris, 15 mars 2007, n° 04PA03397, Société AXA venant aux droits de la Société Banque d'Orsay N° Lexbase : A8310DUC) par l'administration fiscale. En effet, le recours au contrat de vente à réméré (C. civ., art. 1659 N° Lexbase : L1769AB7) -qui est une vente avec une faculté de rachat, c'est-à-dire sous condition résolutoire (Cass. civ. 3, 31 janvier 1984, n° 82-13.549, SA Foncière Verdun c/ Caisse des dépôts et consignations N° Lexbase : A9999AGG)- a permis de détenir des valeurs mobilières pendant une période très courte dès lors que les vendeurs à réméré ont systématiquement exercé leur faculté de rachat après le paiement des dividendes. Ainsi, le contribuable s'est vu attribuer le dividende et l'avoir fiscal correspondant (3).
Saisi par le ministre d'un pourvoi en cassation, le Conseil d'Etat n'abondera pas dans le sens des écritures de l'administration fiscale, d'une part, parce que les opérations en question n'étaient pas artificielles : en effet, par nature, le réméré comporte un risque d'une absence de rachat et les emprunts ne prémunissent pas "l'emprunteur des risques encourus pendant la durée de détention des titres". D'autre part, le Conseil d'Etat s'est appuyé sur les objectifs du législateur de 1965 -favoriser l'actionnariat et valoriser la place financière de Paris- et surtout sur le fait que le Parlement n'a jamais entendu subordonner l'utilisation de l'avoir fiscal à une condition de durée minimum de détention des titres.
Dans cette affaire, qui est l'une des deux premières décisions relatives à "la recherche [...] du bénéfice d'une application littérale des dispositions [instituant l'avoir fiscal] à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs", l'intention du législateur était limpide et il n'y avait pas de doute sérieux quant à ce point. Cependant, les conclusions du rapporteur public Laurent Olléon (Dr. fisc., 2009, comm. 484) énoncent des situations pour lesquelles il sera bien difficile de déceler l'intention du législateur : certains textes sont issus d'une ordonnance ou d'amendements adoptés sans qu'un débat puisse éclairer utilement l'exégète.
De beaux procès d'intention en perspective, donc...
La théorie prétorienne de l'acte anormal de gestion est la transposition du "concept commercial d'acte non conforme à l'intérêt social mais avec deux différences de taille : seule l'administration peut l'invoquer et elle peut agir d'office" (concl. Racine sous CE Contentieux, 27 juillet 1984, n° 34588, SA Renfort Service c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A7122ALD). Dans l'hypothèse d'une procédure contradictoire, la preuve incombe, alors, à l'administration fiscale (CE Contentieux, 15 février 1999, n° 172171, SARL Le Centre d'Etude c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A4784AXH ; contra : en cas de procédure d'imposition d'office : CE Contentieux, 8 janvier 1993, n° 87631, M. Bernard Spitaletto c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A7997AM7).
La théorie de l'acte anormal de gestion est une borne au principe de liberté de gestion des contribuables en matière d'imposition des bénéfices : elle vise les dépenses injustifiées ou exagérées ainsi que les renonciations à recette qui peuvent, notamment, prendre la forme de cautionnement fourni à titre gratuit (CE Contentieux, 17 février 1992, n° 74272, Société Carrefour N° Lexbase : A5069AR8), de prêts et d'avances sans intérêt (CE 9° et 10° s-s-r., 28 mars 2008, n° 277522, SA Clément N° Lexbase : A5917D7B) ou d'abandons de loyers (CE Contentieux, 9 octobre 1991, n° 71413, SA immobilière et de participations Festa N° Lexbase : A9123AQX). Dans toutes ces hypothèses, se pose la question de l'existence et de la preuve d'une contrepartie propre à l'entreprise qui a consenti l'aide en question.
Au cas particulier, la société SNC Immobilière GSE détenait des participations au capital de sociétés étrangères sises au Portugal dont l'objet était la construction d'immeubles destinés à la vente. Cette société mère a inscrit à l'actif de son bilan, sous le poste "autres participations", les sommes versées au titre d'apports en capital ou de "versements supplémentaires" financés par fonds propres ou par emprunt. Ayant affecté la quote-part des frais financiers liés aux emprunts au prix de revient des participations acquises, la société SNC Immobilière GSE a procédé à la déduction fiscale des frais financiers. A la suite d'une vérification de comptabilité, le service a remis en cause la déductibilité de ces frais financiers car, d'une part, la société contribuable aurait dû les refacturer aux filiales concernées, ce qui, en l'absence d'intérêt propre, caractérise un acte anormal de gestion ; d'autre part, la société SNC Immobilière GSE a pris une décision de gestion qui lui était opposable dès lors qu'elle avait inscrit à l'actif du bilan lesdits frais.
Les juges du fond (CAA Marseille, 3ème ch., 11 janvier 2007, n° 02MA02451, SNC Immobilière GSE N° Lexbase : A8959DTY) vont abonder dans le sens de la thèse de l'administration fiscale et ils considéreront comme inopérante la circonstance selon laquelle la loi portugaise interdisait de rémunérer les "versements supplémentaires".
Cette décision est censurée par le Conseil d'Etat pour erreur de droit et inexacte qualification juridique : les Hauts magistrats, réglant l'affaire au fond (CJA, art. L. 821-2 N° Lexbase : L3298ALQ), s'appuient sur les dispositions de la loi commerciale portugaise (4) qui régissent les versements en cause. Par un considérant de principe, la Haute juridiction administrative dit pour droit qu'il ne peut y avoir d'acte anormal de gestion dans les circonstances ci-dessus rappelées lorsque la réglementation du pays où est implantée la filiale interdit le versement des intérêts en question.
On sait, depuis une décision de principe datant de 1958, que des prêts sans intérêt consentis par une société mère à ses filiales françaises ne sont pas susceptibles d'être remis en cause au nom de l'acte anormal de gestion toutes choses égales par ailleurs (CE, 7° s-s., 7 juillet 1958, n° 35977, Dupont, 1958, p. 575, RO, p. 188, Doc. prat., EFL, BIC IX § 54950). Il en est de même lorsqu'il s'agit d'aider des filiales étrangères (CE Contentieux, 11 février 1994, n° 119726, SA Les Editions Jean-Claude Lattes N° Lexbase : A9752ARM). Or, l'intérêt de cette décision est la prise en compte de la législation portugaise afin de qualifier les versements effectués qui ne peuvent être appréhendés comme des avances consenties par la société française à ses filiales étrangères, mais comme des éléments de leur capital en application des dispositions du Code des sociétés commerciales portugais. Par conséquent, si le droit applicable au Portugal interdit le versement d'intérêts, il ne pouvait être reproché à l'entreprise française de ne pas les avoir refacturés. L'arrêt rendu par le Conseil d'Etat doit être d'autant plus approuvé qu'il consacre l'absence d'autonomie de l'acte anormal de gestion au sens où le juge de l'impôt a pris en compte les circonstances de cette espèce propres à une législation étrangère dont le contribuable français subit indirectement les conséquences : la théorie de l'acte anormal de gestion ne procède pas d'une conception autistique !
De plus, il est intéressant de souligner que l'administration soutenait que l'entreprise française aurait fort bien pu contourner l'interdiction légale portugaise en recourant à une augmentation de capital ou bien par des apports en capital plus importants. Or, de jurisprudence constante, d'une part, "un contribuable n'est jamais tenu de tirer des affaires qu'il traite le maximum de profits que les circonstances lui auraient permis de réaliser" ; d'autre part, le principe de non-immixtion dans la gestion des entreprises interdit à l'administration fiscale de reprocher au contribuable la déduction de charges financières générées par un emprunt au motif qu'il aurait pu recourir à d'autres sources de financement (CE Contentieux, 4 novembre 1983, n° 34516 N° Lexbase : A1322AMW) : la présente décision, dans un contexte international, est un salutaire rappel aux fondamentaux (v. notamment : CE Contentieux, 30 décembre 2003, n° 233894, SA Andritz N° Lexbase : A6487DAI (6)).
Enfin, s'agissant de la décision de gestion opposée par l'administration fiscale à la société requérante en conséquence de l'inscription, à l'actif du bilan, des intérêts d'emprunt, tant le Code général des impôts (CGI, ann. III, art. 38 quinquies N° Lexbase : L6526HLB) que la doctrine administrative (7) (instruction du 17 décembre 1984, BOI 4 G-6-84, § 98 N° Lexbase : X7813AAM) invocable (LPF, art. L. 80 A N° Lexbase : L8568AE3) s'opposent, de toute façon, à leur prise en compte sur le plan fiscal, de sorte que le service ne pouvait reprocher au contribuable d'avoir procédé à leur déduction par voie extra-comptable sur le tableau 2058-A.
Lorsque des contribuables domiciliés à l'étranger effectuent occasionnellement des plus-values immobilières en France, des dispositions particulières prévoient un prélèvement d'un tiers (8) sous réserve des stipulations de conventions fiscales bilatérales éventuellement applicables.
Une association de droit anglais, dont l'objet est de promouvoir les ventes de produits à base de laine, a été imposée (CGI, art. 244 bis A N° Lexbase : L5032HLX) au titre d'une plus-value réalisée à la suite de la vente d'un immeuble parisien en 1999.
Ayant saisi le tribunal administratif, les premiers juges ont donné gain de cause à la requérante, dès lors qu'elle a pu prouver que son siège était, en réalité, situé en France.
Cependant, ainsi que le relèvent les conseillers de la cour administrative d'appel de Paris saisie par le ministre, l'instruction établit que c'est l'association de droit anglais qui a acquis le bien immobilier litigieux et non le bureau parisien non doté de la personnalité morale ; ce qui justifie que la décision des premiers juges soit infirmée en appel.
Afin d'échapper au prélèvement institué par l'article 244 bis A du CGI, l'association requérante faisait valoir plusieurs arguments : en premier lieu, elle prétendait exploiter en France une entreprise industrielle et commerciale à laquelle était affecté l'immeuble en question. Cependant, l'administration fera valoir qu'elle n'a été destinataire d'aucun bilan à ce titre et que, pour écarter l'application de l'article 244 bis A du CGI, l'immeuble en question devait avoir été inscrit au bilan ou au tableau des immobilisations. Il s'agit d'une précaution du législateur dont on perçoit la finalité lorsqu'un résident fiscal étranger tente d'opposer l'exploitation d'une entreprise en France sans l'avoir préalablement déclarée.
En second lieu, l'association requérante entendait se prévaloir de la clause de non-discrimination (Convention France - Royaume Uni, Londres du 22 mai 1968, art. 25 N° Lexbase : L6745BHB) applicable aux nationaux français ou britanniques interdisant aux Etats de réserver un traitement fiscal défavorable fondé sur la nationalité du contribuable. Sauf réserve particulière, la clause conventionnelle de non-discrimination n'est pas invocable lorsque la loi opère une distinction entre les résidents et les non-résidents puisque l'on sait qu'ils ne sont pas placés dans la même situation. La jurisprudence, relative à l'application de l'article 244 bis du CGI en matière de profits immobiliers à titre habituel, s'est déjà prononcée dans le sens d'une absence de discrimination lorsque la différence de traitement était fondée sur le lieu de l'établissement auquel se rattachait l'immeuble et non sur le lieu du siège social qui détermine la nationalité de la personne morale (CE 3° et 8° s-s-r., 15 décembre 2004, n° 257337, Société de promotion écologique N° Lexbase : A4512DET). Ce principe est repris au cas d'espèce par la cour administrative d'appel de Paris pour l'application de l'article 244 bis A du CGI : la juridiction d'appel va s'atteler à démontrer, d'une part, que l'activité, en France, de publicité de l'association anglaise devait s'analyser comme étant constitutive d'une opération à caractère lucratif au sens de l'article 206-1 du CGI (N° Lexbase : L3761HLU) ; d'autre part, qu'il n'y avait pas discrimination, au sens de l'article 25 de la convention précitée, dont aurait pu se prévaloir l'association requérante dès lors qu'elle n'apporte aucun élément abondant dans le sens d'un prélèvement supérieur à celui qu'aurait supporté une association lambda dont le siège aurait été situé en France et soumise à l'IS. On attendra la confirmation du Conseil d'Etat quant au raisonnement suivi par les juges du fond.
(1) La décision "Axa" doit être rapprochée d'un autre arrêt rendu le même jour : CE 3° et 8° s-s-r., 7 septembre 2009, n° 305596, Société Henri Goldfarb (N° Lexbase : A8914EKD) ; CAA Douai, 2ème ch., 13 mars 2007, n° 04DA00980, SA Henri Goldfarb (N° Lexbase : A2788DW8).
(2) Le taux de 50 % sera progressivement ramené à 10 % entre 1999 et 2003.
(3) "L'achat à réméré est un contrat signé entre les parties -en l'occurrence la banque [d'Orsay] et des sociétés du groupe Groupama- par lequel l'acheteur s'engage à restituer au vendeur les actions acquises à réméré sur la base du prix d'achat majoré d'une indemnité d'immobilisation destinée à compenser le coût de son refinancement, puisqu'il a emprunté pour les acheter, et diminué du montant du dividende encaissé et d'une pénalité exprimée en pourcentage du prix de vente, qui représentait 50 % de l'avoir fiscal", concl. L. Olléon, Dr. fisc., 2009, comm. 484.
(4) Code des sociétés commerciales portugais, art. 210 à 213.
(5) CE 8° s-s.., 7 juillet 1958, n° 35977, Dr. fisc,. 1958, comm. 938.
(6) "Mais considérant que les dispositions précitées de l'article 57 du Code général des impôts n'ont, pas davantage que les stipulations de l'article 6 § 5 précité de la convention franco-autrichienne, pour objet ou pour effet d'autoriser l'administration fiscale à apprécier le caractère normal du choix opéré par une entreprise étrangère de financer par l'octroi d'un prêt, de préférence à un apport de fonds propres, l'activité d'une entreprise française qu'elle détient ou contrôle et à en tirer, le cas échéant, de quelconques conséquences fiscales".
(7) "Les frais financiers retenus comptablement pour le calcul de la valeur d'origine de l'immobilisation présentent, du point de vue fiscal, le caractère de charges annuelles et, par suite, doivent être déduits de manière extra-comptable pour la détermination du résultat imposable (tableau n° 2058-AN, ligne XG)".
(8) Le prélèvement est de 50 % lorsque les plus-values revêtent un caractère habituel (CGI, art. 244 bis N° Lexbase : L2517HNK).
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Réf. : Délibération de la Cnil n° 2009-201 du 16 avril 2009, de la formation restreinte prononçant une sanction pécuniaire à l'encontre de la société Jean-Marc Philippe (N° Lexbase : X6250AGL)
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par Fany Lalanne, Rédactrice en chef Lexbase Hebdo - édition sociale
Le 07 Octobre 2010
Dans cette affaire, la Cnil avait été saisie d'une plainte d'une salariée faisant part de l'absence de déclaration d'un système de vidéosurveillance dans son entreprise et de divers abus de ce système. Elle déclarait, notamment, que les caméras filmaient en continu les lieux ouverts, ou non, au public, y compris les pièces réservées au personnel où aucun matériel n'était stocké et une réserve où se changeaient les salariés. La délégation de la Cnil a effectivement constaté, lors de son contrôle, qu'un système de vidéosurveillance était implanté, les images étant enregistrées en continu sur un support numérique. Elle a, par ailleurs, relevé qu'au siège social, plusieurs caméras filmaient les lieux ouverts au public et les lieux réservés au personnel où aucune marchandise n'était stockée, les responsables de la société pouvant se connecter à un serveur à distance afin de visualiser les images. En outre, au siège, les images filmées étaient également accessibles à partir de deux postes de supervision situés à l'accueil et dans le bureau du PDG. S'agissant de la durée de conservation des images, le logiciel de vidéosurveillance était paramétré pour les conserver pendant 7 jours. Il est apparu, en outre, que ce système n'avait fait l'objet d'aucune déclaration préalable et, lors du contrôle de la Cnil, les responsables de la société n'avaient pas pu produire à la délégation l'arrêté préfectoral autorisant sa mise en place. Enfin, quant à l'information des personnes, il a été constaté que le panonceau d'information faisant référence à la loi du 21 janvier 1995, ainsi qu'au décret du 17 octobre 1996, était apposé de façon peu visible et qu'aucun affichage ne figurait sur la porte d'entrée de l'établissement. L'information prévue à l'article 32 de la loi du 6 janvier 1978 modifiée n'était pas non plus suffisamment délivrée aux salariés, une phrase dans les contrats de travail conclus depuis l'installation du système, mentionnant que "la salariée est informée qu'un système de vidéosurveillance est installé dans tous les sites de l'entreprise". En revanche, les salariés, dont les contrats de travail avaient été signés avant la mise en place du système de vidéosurveillance, n'avaient pas été prévenus de manière individuelle de l'existence de ce dispositif.
Après une mise en demeure de se mettre en conformité avec la loi "Informatique et Libertés", la société n'a que partiellement modifié ses pratiques et a maintenu son système de vidéosurveillance en l'état. Faute de réponse satisfaisante, la formation contentieuse de la Cnil a donc considéré que le fonctionnement du système de vidéosurveillance constituait une collecte illicite de données, disproportionnée au regard de la finalité de lutte contre le vol. Une sanction pécuniaire d'un montant de 10 000 euros a, dans cette optique, été prononcée à l'encontre de la société le 16 avril 2009.
Le système juridique applicable en matière de vidéosurveillance est pour le moins complexe. Coexistent, en effet, d'une manière générale, deux régimes juridiques : celui de la loi "Informatique et Libertés" de 1978 et celui de l'article 10 de la loi du 21 janvier 1995, d'orientation et de programmation pour la sécurité.
Ils impliquent de distinguer lieu public et lieu privé. Lorsque le dispositif de vidéosurveillance est installé dans un lieu public ou ouvert au public et qu'aucune image n'est enregistrée et conservée dans des traitements informatisés ou des fichiers structurés, seule une autorisation préfectorale est nécessaire. En revanche, lorsque le dispositif est installé dans un lieu privé ou non ouvert au public et que les images sont enregistrées ou conservées dans des traitements informatisés ou des fichiers structurés qui permettent d'identifier des personnes physiques, une déclaration auprès de la Cnil est nécessaire. Dans ces deux hypothèses, le régime juridique est donc tout à fait clair et sans appel. Les choses se compliquent lorsque le dispositif de vidéosurveillance est installé dans un lieu mixte et les images enregistrées dans un fichier ou traitées informatiquement. Dans cette dernière hypothèse, si une déclaration auprès de la Cnil est logiquement nécessaire, se pose, cependant, tout aussi légitimement, la question du cumul avec la loi de 1995.
Pour résumer, l'entreprise étant juridiquement un lieu privé, elle n'est pas concernée par la loi "Pasqua" du 21 janvier 1995, sauf si le champ de la vidéosurveillance porte sur une partie de la voie publique, une demande d'autorisation en préfecture est, alors, obligatoire.
L'employeur a donc le droit de surveiller ses salariés en ayant recours à un système de vidéosurveillance. Ce droit découle de son pouvoir disciplinaire au sens large et, plus spécifiquement, de son droit de contrôler le travail de ses salariés. Le Code du travail reste relativement parcellaire à ce sujet. Notons, cependant, qu'il prévoit qu'aucune information concernant personnellement un salarié ne peut être collectée par un dispositif qui n'a pas été porté préalablement à sa connaissance (C. trav., art. L. 1222-4 N° Lexbase : L0814H9Z). Par ailleurs, le comité d'entreprise doit être informé et consulté, préalablement à la décision de mise en oeuvre dans l'entreprise, sur les moyens ou les techniques permettant un contrôle de l'activité des salariés (C. trav., art. L. 2323-32 N° Lexbase : L2810H9X).
Il faudra donc une nouvelle fois s'en remettre à la Haute juridiction et les juges s'avèrent, ici, plus prolixes que le législateur, permettant de définir et de délimiter une notion au contenu pour le moins ductile. Ainsi se sont-ils penchés sur la licéité des procédés mis en oeuvre, un arrêt, rendu le 7 juin 2006, retenant que la vidéosurveillance ne constituait pas une preuve licite dans le cas où le comité d'entreprise ignorait la présence du système dans les locaux (3). De même, les bandes vidéo issues de systèmes de surveillance qui n'ont pas été portés à la connaissance des salariés sont jugés illicites (4). En revanche, la Chambre sociale a affirmé à plusieurs reprises que l'employeur peut installer un système de vidéosurveillance de pièces d'entrepôt dans lesquelles les salariés ne travaillent pas, les enregistrements vidéo constituant alors un moyen de preuve licite (5). Enfin, et peut-être surtout, la mise en oeuvre d'un système de vidéosurveillance des salariés doit nécessairement respecter le principe de proportionnalité, en ce sens qu'elle ne doit pas porter une atteinte disproportionnée à leurs droits et libertés (6).
Ce sont tous ces principes que vient rappeler la Cnil dans sa délibération du 16 avril 2009, principes qui, s'ils peuvent apparaître, de prime abord, quelque peu prétoriens, n'en restent pas moins garant de la protection des libertés individuelles des salariés.
La Commission rappelle donc, dans cette délibération, qu'aux termes de l'article 6 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978, les données à caractère personnel doivent être collectées et traitées de manière loyale et licite. Et au même article de préciser que ces données sont collectées pour des finalités déterminées, explicites et légitimes et ne sont pas traitées ultérieurement de manière incompatible avec ces finalités. Or, dans cette affaire, cette même commission avait déjà mis la société en demeure de prendre toutes les mesures nécessaires afin que la mise en oeuvre du système de vidéosurveillance soit strictement limitée à l'objectif de lutte contre le vol et ne conduise pas à placer les salariés sous une surveillance constante. Or, la société n'avait pris aucune mesure afin de limiter la surveillance de ses employés. Ainsi, après avoir rappelé que la mise en oeuvre d'un système de vidéosurveillance doit obligatoirement respecter le principe de proportionnalité et être strictement nécessaire à l'objectif poursuivi, la Cnil soutient avec force que "dès lors qu'un dispositif de vidéosurveillance est susceptible de viser des membres du personnel, le nombre, l'emplacement, l'orientation, les périodes de fonctionnement des caméras ou la nature des tâches accomplies par les personnes concernées, sont autant d'élément à prendre en compte lors de l'installation du système". En l'espèce, la surveillance constante des employés apparaît, dès lors, excessive et le dispositif de vidéosurveillance n'est pas strictement limité à l'objectif de lutte contre le vol mais conduit, au contraire, à placer les personnes visées sous une surveillance disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi.
Aux termes de l'article 32 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978, le responsable du traitement est tenu d'informer les personnes concernées par le traitement, notamment de sa finalité, du caractère obligatoire ou facultatif des réponses, des destinataires des informations, ainsi que de leurs droits d'accès, de rectification et, le cas échéant, d'opposition. Or, dans cette affaire, l'information inscrite dans les contrats de travail des personnes employées postérieurement à la mise en oeuvre du dispositif de vidéosurveillance, ainsi que celle mentionnée dans le courrier-type, s'avèrent incomplètes puisque les finalités poursuivies, les destinataires des images et les modalités concrètes de l'exercice du droit d'accès dont disposent les personnes concernées, ne sont pas indiqués.
Il y a quand même peut-être quelque chose de gênant dans tout cela. En effet, finalement, l'enjeu principal des deux grands principes entourant la vidéosurveillance dans l'entreprise (information et proportionnalité) ne réside-t-il pas dans la licéité de la preuve plus que dans la protection des droits et autres libertés individuelles des salariés ? D'aucuns avanceront que l'un n'empêche pas l'autre. Pour autant, et si l'on raisonne, a contrario, si l'employeur a le droit de contrôler et de surveiller l'activité de ses salariés pendant le temps de travail, tout enregistrement, quels qu'en soient les motifs, d'images ou de paroles à leur insu, constituant un mode de preuve illicite (7), cela implique que le mode de preuve devient licite dès lors que le salarié a connaissance de l'existence d'un système de vidéosurveillance ou autre système d'enregistrement. On le sait, la jurisprudence a été plus loin encore, en reconnaissant que la vidéo peut constituer un moyen de preuve, lorsqu'elle est issue d'un dispositif de surveillance des locaux et non des salariés, cette règle étant fort heureusement limitée aux procédés de surveillance des entrepôts, ou autres locaux de rangements, dans lesquels les salariés ne travaillent pas. Or, la Cour régulatrice n'a-t-elle pas jugé qu'aucune disposition légale ne permet aux juges répressifs d'écarter les moyens de preuve produits par les parties au seul motif qu'ils auraient été obtenus de façon illicite ou déloyale et qu'il leur appartient seulement d'en apprécier la valeur probante (8) ? Peut-être qu'ici encore la Cour de cassation gagnerait en clarté et en harmonisation.
(1) Loi n° 78-17 du 6 janvier 1978, relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, modifié par la loi n° 2004-801 du 6 août 2004 (N° Lexbase : L8794AGS).
(2) Loi n° 95-73 du 21 janvier 1995, d'orientation et de programmation relative à la sécurité (N° Lexbase : L8331AIE) ; décret n° 96-926 du 17 octobre 1996, relatif à la vidéosurveillance, pris pour l'application des articles 10 et 10-1 de la loi n° 95-73 du 21 janvier 1995, d'orientation et de programmation relative à la sécurité (N° Lexbase : L6416ICM) ; circulaire 22 octobre 1996, relative à l'application de l'article 10 de la loi n° 95-73 du 21 janvier 1995, d'orientation et de programmation relative à la sécurité (N° Lexbase : L7964HG3).
(3) Cass. soc., 7 juin 2006, n° 04-43.866, M. Michel Girouard, FS-P+B (N° Lexbase : A8544DP7) et les obs. de G. Auzero, Conditions de licéité d'un système de vidéo surveillance des salariés, Lexbase Hebdo n° 220 du 21 juin 2006 - édition sociale (N° Lexbase : N9857AKB). En ce sens, déjà, Cass. soc., 15 mai 2001, n° 99-42.219, Société Transports frigorifiques européens (TFE) c/ M. Mourad Smari, publié (N° Lexbase : A5741AGQ).
(4) Cass. soc., 20 novembre 1991, n° 88-43.120, Mme Neocel c/ M. Spaeter, publié (N° Lexbase : A9301AAQ) ; Cass. soc., 15 mai 2002, n° 00-42.885, Mme Marylin Foritano, épouse Servière c/ société Sodimix, F-D (N° Lexbase : A6648AYU).
(5) Cass. soc., 19 avril 2005, n° 02-46.295, M. Patrick Lembert c/ Société Immodef, F-P+B (N° Lexbase : A9552DHA) et les obs. de S. Martin-Cuenot, Faute, preuve et vidéo, Lexbase Hebdo n° 166 du 4 mai 2005 - édition sociale (N° Lexbase : N3922AI4).
(6) TGI Paris, 19 avril 2005, n° 05/00382, Comité d'entreprise d'Effia Services c/ Fédération des Syndicats Sud Rail (N° Lexbase : A0577DI9) et les obs. de G. Auzero, De l'illicéité d'un système de "badgeage" par empreintes digitales, Lexbase Hebdo n° 167 du 12 mai 2005 - édition sociale (N° Lexbase : N4025AIW).
(7) Cass. soc., 20 novembre 1991, n° 88-43.120, préc..
(8) Cass. crim., 6 avril 1994, n° 93-82.717, Dupuy Bernard (N° Lexbase : A1967AA4).
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