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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication
Le 27 Mars 2014
Si l'on en croit le nouveau credo -et le terme ainsi choisi n'est pas anodin-, la RSE, en ce qu'elle induit un comportement "éthique" des entreprises par le respect de normes environnementales, sociales et économiques, sur leur propre initiative, ressemble, à s'y méprendre, aux professions de foi qui marquent l'entrée dans une communauté (celle des codes de conduite, des certifications, normes ou labels) d'un nouvel adepte.
Que l'on nous pardonne, ainsi, ce parallélisme aux accents profanes ! Mais, lorsque les professeurs Cozian, Viandier et Deboissy écrivent, dans leur manuel de Droit des sociétés (Litec, 19ème édition, 2006), que "la personne morale n'est pas une personne ; ni souffrante ; ni aimante, sans chair et sans os, la personne morale est un être artificiel. Et Casanova le savait bien, qui poursuivit nonnes et nonnettes, mais ne tenta jamais de séduire une congrégation ; on n'a jamais troussé une personne morale", comment ne pas s'étonner, après, que la RSE, dont l'émergence date des années 1970, mais dont l'essor date du sommet de la Terre de Johannesbourg en 2002, tente, rien de moins, de contrarier l'anarchisme supposé des entreprises ?
Et les pontifes de la RSE n'en sont pas moins institutionnels, à l'aura certaine ; qu'on en juge : la Banque mondiale qui publie des recommandations et propose un cours pour sensibiliser les entreprises en vue de leur permettre la mise en oeuvre du concept de RSE ; l'OCDE qui édicte des recommandations et des lignes directrices que les gouvernements adressent aux entreprises multinationales ; la Commission européenne qui défend une politique volontariste dans le domaine de la RSE depuis son premier livre vert en 2001, suivi d'une communication, en 2002, renouvelée en 2006 ; et, bien évidemment, les gouvernements, eux-mêmes, qui à travers leur législation, principalement fiscale, incitent à l'adoption de comportements "éthiques" (la loi de finances pour 2009 et sa cohorte de réductions et crédits d'impôt en faveur de l'environnement en est un exemple). Une croyance dans la fonction intimement sociale de l'entreprise telle, qu'en juin 2000 fut créée, en France, un observatoire de la RSE (ORSE), afin de rendre plus compréhensible l'ensemble de ses outils qui impactent le fonctionnement des entreprises et de leurs interlocuteurs (investisseurs, salariés...) et d'identifier ses différents enjeux en s'appuyant sur la classification parties prenantes.
Pour autant, que conscience et droit fassent bon ménage n'est pas une première en soi (dans une société laïque s'entend) : la finance et ses codes éthiques et, plus récemment, la finance islamique montrent la voie d'une moralisation normative de l'économie et, au premier, chef de ses actrices principales, les entreprises.
Non, ce qui peut paraître suspect, c'est la communication interne (au titre du management) et externe (au titre du marketing) qui peut être orchestrée autour de l'adoption d'un code bonne conduite, d'un programme de gestion des risques, d'une surveillance accrue des principes de sécurité, d'une veille des projets de gestion des connaissances, de programmes d'assurance qualité, etc. Et, à tout dire, la RSE est-elle un concept visant à accroître la notoriété et à rendre positive l'image de certaines multinationales ou est-elle un véritable pilier de la construction normative ? Par ailleurs, la RSE est-elle un concept qui s'applique aux grandes firmes comme aux TPE ?
"Mieux vaut une conscience tranquille qu'une destinée prospère. J'aime mieux un bon sommeil qu'un bon lit". Par cet aphorisme, Victor Hugo ne nous rappelle-t-il pas que, derrière les personnes morales, il y a des personnes physiques, elles-mêmes enclines ou non à la moralisation de leur activité et à l'éthique de leurs actions. Autrement dit, que les entreprises aient une fonction sociétale et une responsabilité qui en découle n'est pas une nouveauté, ce qu'il l'est plus éminemment, aujourd'hui, c'est qu'il convient, désormais, que les personnes physiques dirigeantes des entreprises (et manifestement des grandes entreprises qui seraient perdues dans un magma amoral) soient convaincues qu'elles ont une responsabilité sociétale elles-mêmes.
Faut-il, alors, abandonner Max Weber pour qui "toute activité orientée selon l'éthique peut être subordonnée à deux maximes totalement différentes et irréductiblement opposées : l'éthique de responsabilité ou l'éthique de conviction" ? Il y a des credos qui ont force de la chose jugée bien plus que la loi ou la jurisprudence... Pour y voir plus clair, nous vous invitons à lire un compte-rendu de la conférence organisée par la Cour de cassation, sur le sujet, le 19 janvier dernier, réalisée par Anne Lebescond pour Lexbase Hebdo - édition sociale.
*William Shakespeare, Jules César
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
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Réf. : Cass. soc., 13 janvier 2009, n° 07-44.398, Société Ericsson France, FS-P+B (N° Lexbase : A3525ECK)
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N3654BI8
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par Sébastien Tournaux, Docteur en droit, Chargé d'enseignement à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV
Le 07 Octobre 2010
Résumé
Dès lors que l'employeur lui a notifié un licenciement pour motif économique, la salariée est recevable à invoquer une violation de l'ordre des licenciements, peu important qu'elle ait accepté de bénéficier du revenu de substitution mis en place par l'employeur, jusqu'à la liquidation des droits à la retraite. |
Commentaire
I - Licenciement prononcé malgré un départ en préretraite : l'ordre des licenciements doit être appliqué
Les dispositions du Code du travail relatives à l'ordre des licenciements pour motif économique ont pour objet de diriger, au moins pour partie, le choix de l'employeur s'agissant des salariés qui seront concernés par le licenciement envisagé.
L'ancien article L. 321-1-1 du Code du travail (N° Lexbase : L8922G7L), devenu les articles L. 1233-5 et suivants du nouveau Code (N° Lexbase : L1106H9T), impose, en effet, à l'employeur de prendre en considération, notamment, "les charges de famille et, en particulier, celles de parents isolés, l'ancienneté de service dans l'établissement ou l'entreprise, la situation des salariés qui présentent des caractéristiques sociales rendant leur réinsertion professionnelle particulièrement difficile, notamment, des personnes handicapées et des salariés âgés, les qualités professionnelles appréciées par catégorie", pour déterminer lesquels des salariés devront être licenciés.
Le législateur comme le juge sont, par conséquent, très vigilants quant au respect de cette obligation. En effet, le non-respect des critères imposés constitue une contravention punie de 750 euros d'amende (1). En outre, la Cour de cassation estime que le non-respect des règles relatives à l'ordre des licenciements cause nécessairement au salarié un préjudice qui doit être réparé par l'allocation de dommages-intérêts (2), bien qu'elle n'aille pas jusqu'à considérer que ce manquement puisse priver le licenciement de sa cause réelle et sérieuse (3).
Ces critères, dont l'alinéa 3 de l'article L. 321-1-1 impose la prise en considération, mettent souvent les seniors en situation favorable puisque, par hypothèse, ils ont fréquemment une plus grande ancienneté de service dans l'établissement et (ou) sont susceptibles de présenter des difficultés de réinsertion professionnelle (4). Il peut, dès lors, être tentant, pour l'employeur, d'écarter les règles liées à l'ordre du licenciement pour ces salariés dont la baisse de productivité est, souvent, injustement mise en cause.
L'employeur a, en effet, les moyens de favoriser le départ des salariés les plus âgés, notamment, grâce aux nombreux mécanismes de préretraite qu'il peut leur proposer (5). Cependant, et c'est là l'apport de la décision commentée, cette faculté ne le dispense pas de respecter les règles relatives à l'ordre des licenciements.
Dans le cadre d'un licenciement économique collectif, la société met en place un plan de sauvegarde de l'emploi, lequel prévoit, notamment, la possibilité pour les salariés de conclure une "convention de préretraite d'entreprise". Une salariée, présente dans l'entreprise depuis trente-trois ans, adhère à cette convention le 26 septembre 2002, avant d'être licenciée quatre jours plus tard. A la suite de ce licenciement, la salariée saisit la juridiction prud'homale d'une demande de dommages-intérêts pour non-respect des critères de l'ordre des licenciements, demande à laquelle les juges du fond font droit.
L'employeur, formant pourvoi en cassation, fait valoir que, dès lors que la salariée avait opté pour la convention de préretraite d'entreprise, elle était irrecevable à remettre en cause le respect des critères de l'ordre des licenciements. S'opposant à cette argumentation, la Chambre sociale de la Cour de cassation rejette le pourvoi par cet arrêt rendu le 13 janvier 2009. Pour ce faire, elle estime que, "dès lors que l'employeur lui a notifié un licenciement pour motif économique, la salariée est recevable à invoquer une violation de l'ordre des licenciements, peu important qu'elle ait accepté de bénéficier du revenu de substitution mis en place par l'employeur, jusqu'à la liquidation des droits à la retraite".
En d'autres termes, l'acceptation par la salariée de partir en préretraite n'a pas pour effet de dispenser l'employeur de respecter les règles relatives à l'ordre des licenciements, dès lors qu'il lui a notifié le licenciement. Au premier regard, cette solution pourrait paraître constituer un revirement de jurisprudence puisque la Cour juge habituellement que les règles de l'ordre des licenciements peuvent être écartées lorsque la rupture du contrat de travail intervient en raison d'un départ en préretraite, ce départ fût-il négocié. A l'observation, il n'en est rien et la Cour de cassation ne fait, finalement, que rappeler que l'existence d'un licenciement implique nécessairement que les règles relatives à l'ordre des licenciements soient bien respectées.
II - Licenciement prononcé malgré un départ en préretraite : un problème de cohérence ?
Il semble qu'il soit tout à fait essentiel que la rupture du contrat de travail intervienne par le biais d'un licenciement pour que les critères de l'ordre des licenciements aient à être respectés.
En effet, la Cour de cassation a déjà eu l'occasion de juger, par exemple, que le fait qu'une proposition de modification du contrat de travail soit acceptée par un salarié et refusée par un autre justifiait que ne soient pas mises en oeuvres les règles relatives à l'ordre des licenciements (6). De la même manière, des accords de rupture négociée, conclus dans le cadre de départs volontaires prévus par le plan de sauvegarde de l'emploi, n'impliquent pas que les salariés concernés par une telle mesure bénéficient des règles relatives à l'ordre des licenciements (7). Enfin, des mesures de reclassement mises en oeuvre à l'égard de certains salariés sans qu'aucun licenciement ne soit prononcé dispensent l'employeur de mettre en oeuvre les critères d'ordre des licenciements (8). Cependant, dans l'ensemble de ces espèces, aucun licenciement n'avait été formellement prononcé à l'encontre des salariés.
Pour en revenir aux mécanismes de préretraite, il ne fait aucun doute que ceux-ci puissent être inclus dans un plan de sauvegarde de l'emploi (9). Dans cette hypothèse, la Cour de cassation estimait habituellement que l'employeur, qui s'était borné à prévoir la mise en préretraite ou le reclassement des salariés occupés dans le service qu'il entendait supprimer sans qu'aucun licenciement n'ait été décidé, n'avait pas à mettre en oeuvre les dispositions relatives à l'ordre des licenciements (10).
Mais il ne faut pas s'y tromper, la Chambre sociale reste bien fidèle à sa jurisprudence antérieure puisque, dans cette affaire, la salariée, à qui était proposée une préretraite, avait bien fait l'objet d'un véritable licenciement. Autrement dit, la rupture du contrat de travail ne découlait pas de la convention de préretraite, laquelle aurait, pourtant, parfaitement pu intégrer une rupture négociée.
Si, sur le plan formel, il n'y a donc là qu'application mécanique de la distinction posée par la Cour de cassation entre existence et absence de licenciement, il faut bien reconnaître que l'harmonie de ces solutions n'est guère assurée sur le fond.
En effet, qu'intervienne, ou non, un licenciement, quelle est la différence fondamentale entre, d'une part, un salarié qui accepte d'être placé en préretraite et qui, de ce fait, voit son contrat rompu et, d'autre part, un salarié qui accepte un même mécanisme de préretraite, mais dont la rupture du contrat de travail ne découle pas de la "convention de préretraite", mais d'un licenciement prononcé quelques jours plus tard, en bonne et due forme ? Cette question se fait d'autant plus lancinante en l'espèce puisque le salarié et l'employeur avaient conclu une "convention de préretraite d'entreprise". La salariée avait donc manifestement accepté le principe de son départ en préretraite, si bien qu'il s'agissait probablement plus d'un départ négocié que d'une résiliation unilatérale de l'employeur, nonobstant les formes respectées par l'employeur. Certes, les apparences sont sauves, puisque la Cour de cassation voit dans l'acceptation de cette convention de préretraite la seule acceptation de "bénéficier du revenu de substitution mis en place par l'employeur".
Une autre question mérite d'être posée, celle du maintien de la jurisprudence antérieure, selon laquelle le départ négocié en préretraite sans licenciement dispense l'employeur de mettre en oeuvre les critères de l'ordre des licenciements. Dans le sillage de l'article L. 1233-3, alinéa 2, du Code du travail, l'ensemble de la procédure de licenciement économique, y compris celle de l'ordre des licenciements, doit trouver à s'appliquer "à toute rupture du contrat de travail, à l'exclusion de la rupture conventionnelle visée aux articles L. 1237-11 et suivants", lorsque la rupture résulte d'une cause économique.
Si cette règle peut, à juste titre, être atténuée lors d'un départ volontaire du salarié à la retraite (11), il paraît très discutable de l'évincer pour une rupture conventionnelle. Or, en réaffirmant, au détour de sa motivation, que les règles de l'ordre des licenciements s'appliquent "dès lors que l'employeur lui avait notifié un licenciement pour motif économique", la Chambre sociale laisse entendre qu'en l'absence d'un tel licenciement formellement notifié, les critères de l'ordre des licenciements n'auraient pas eu à être respectés.
(1) C. trav., art. R. 1238-1 (N° Lexbase : L2267IA9).
(2) Cass. soc., 5 décembre 2006, n° 04-48.800, M. Joël Niguet, F-D (N° Lexbase : A8293DSX).
(3) V. Cass. soc., 18 novembre 2003, n° 01-43.028, M. François Harmand c/ Société Spie Enertrans, F-D (N° Lexbase : A1977DAH) ; Cass. soc., 7 février 1990, n° 87-42.383, M. Buisson, ès qualités de syndic à la liquidation des biens de la c/ Mme Augeard et autres (N° Lexbase : A9086AAR).
(4) On rappellera, d'ailleurs, que l'emploi des seniors constitue l'une des grandes préoccupations contemporaines, v., sur ce thème : M.-C. Amauger-Lattes, I. Desbarats, La démocratie sociale est-elle possible en France ? L'exemple de l'emploi des seniors, JCP éd. G, 2008, I, 151 ; M.-C. Amauger-Lattes, I. Desbarats, Ch. Vicens, L'emploi des seniors : la politique des petits pas, SSL du 11 février 2008, p. 6.
(5) Bien que nombre d'entre eux aient été abrogés, il subsiste, encore, aujourd'hui de nombreux mécanismes de préretraite, ce qui ne va d'ailleurs pas sans une certaine contradiction avec l'objectif avancé par les pouvoirs publics de promouvoir l'emploi des seniors. Au risque d'un inventaire "à la Prévert", on trouve :
- la préretraite totale du FNE, qui assure aux salariés âgés licenciés pour un motif économique, et qui ne peuvent bénéficier de mesures de reclassement, un revenu de remplacement jusqu'à liquidation de leur retraite à taux plein (C. trav., art. L. 5123-2 N° Lexbase : L2054H9X) ;
- la préretraite progressive du FNE, cependant, abrogée par la loi n° 2003-775 du 21 août 2003, portant réforme des retraites (N° Lexbase : L9595CAM) ;
- la préretraite amiante, instituée par la loi n°98-1194 du 23 décembre 1998, de financement de la Sécurité sociale pour 1999, art. 41 (N° Lexbase : L9058ASB) ;
- la préretraite totale UNEDIC, mise en place par l'ANI du 6 septembre 1995, relatif au développement de l'emploi en contrepartie de la cessation d'activité de salariés totalisant 160 trimestres, et plus, de cotisations aux régimes de base d'assurance vieillesse. Il a été mis fin au dispositif puisque de telles préretraites ne peuvent plus être mises en place depuis le 1er juillet 2003 ;
- la préretraite dite de pénibilité (C. trav., art. R. 5123-22 N° Lexbase : L2695IA3) ;
- la préretraite pour les agriculteurs en difficulté, instituée par le décret n° 2007-1516 du 22 octobre 2007, relatif à la mise en oeuvre d'une mesure de préretraite pour les agriculteurs en difficulté (N° Lexbase : L7526HYE), dispositif abrogé par le décret n° 2008-1111 du 30 octobre 2008, modifiant et abrogeant le décret n° 2007-1516 du 22 octobre 2007, relatif à la mise en oeuvre d'une mesure de préretraite pour les agriculteurs en difficulté (N° Lexbase : L7123IBG).
(6) Cass. soc., 18 décembre 2000, n° 98-44.577, M. Pascal Remazeilles c/ Société Moorea Underwater Scuba-Diving Tahiti (MUST) (N° Lexbase : A9844ATR).
(7) Cass. soc., 12 juillet 2004, n° 02-19.175, Comité central d'entreprise Elf exploration production c/ Société Elf Exploration Production, F-D (N° Lexbase : A1037DDR).
(8) Cass. soc., 10 mai 1999, n° 96-19.828, Fédération française des syndicats CFDT banques et sociétés c/ Société générale et autre (N° Lexbase : A4551AGN).
(9) Pour des illustrations de mécanismes de préretraite prévus par le plan social ou le plan de sauvegarde de l'emploi, v. Cass. soc., 16 mai 2007, n° 05-45.943, M. Raymond Reignoux, F-D (N° Lexbase : A2528DWK) ; Cass. soc., 29 janvier 2003, n° 00-46.322, Société Total raffinage distribution c/ M. Fernand Fresquet, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7667A4Q).
(10) V. Cass. soc., 3 décembre 1996, n° 94-22.163, Comité d'établissement de l'usine IBM de Montpellier c/ Société IBM France (N° Lexbase : A9605AAY) ; Cass. soc., 19 mai 1999, n° 96-45.653, M. Alphonse Scheck c/ Société Secométal, société anonyme (N° Lexbase : A8448AX8).
(11) Sur la question plus générale de la mise à la retraite ou du départ à la retraite dans le cadre d'un licenciement économique, v. Cass. soc., 18 mars 2008, n° 07-40.269, Société Helvétia compagnie suisse d'assurances, FS-P+B+R (N° Lexbase : A4953D7L) et les obs. de Ch. Willmann, La mise en retraite pour raisons économiques ne constitue pas un licenciement, Lexbase Hebdo n° 299 du 3 avril 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N6296BEW).
Décision
Cass. soc., 13 janvier 2009, n° 07-44.398, Société Ericsson France, FS-P+B (N° Lexbase : A3525ECK) Rejet, CA Paris, 21ème ch., sect. C, 5 juillet 2007 Textes cités : C. trav., art. L. 321-1-1 (N° Lexbase : L8922G7L), devenu les articles L. 1233-5 et suivants (N° Lexbase : L1106H9T) ; C. trav., art. L. 321-4-1 (N° Lexbase : L8926G7Q), devenu les articles L. 1233-61 et suivants (N° Lexbase : L1236H9N) Mots-clés : licenciement économique ; ordre des licenciements ; plan de sauvegarde de l'emploi ; préretraite. Lien base : |
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N3648BIX
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par Anne Lebescond - Journaliste juridique et relations publiques
Le 07 Octobre 2010
Compte tenu de l'importance des enjeux, un cadre juridique doit être rapidement trouvé. C'est dans cette optique que la Cour de cassation, en collaboration avec la Chaire Régulation de Science Po, a, autour d'une table ronde intitulée "L'entreprise et sa responsabilité sociétale" (4), dressé le bilan actuel de la RSE et de son évolution. Elle a, également, exploré différentes pistes juridiques, en vue de la rendre plus efficiente.
La diversité des profils des intervenants a permis d'appréhender ce sujet sous ses principaux aspects. Jacques Kheliff, Directeur du développement durable au sein du groupe chimique Rhodia, a exposé la politique de RSE de son entreprise, précurseur en la matière. L'intervention de la Fédération Internationale des Salariés de la Chimie, de l'Energie et des Mines -ICEM- (5) -représentée par son Secrétaire général, Manfred Warda-, dans la politique RSE de ce groupe (nommée "Rhodia Way"), par le biais de la signature avec l'entreprise, en 2005, d'un accord cadre mondial de RSE (ci-après, ACM) (6), cautionne, autant qu'elle accompagne celle-ci dans sa responsabilisation vis-à-vis de l'environnement, de l'économie et des travailleurs concernés. Si, sur le plan international, l'intégration d'une telle démarche comme principe de gouvernance d'un groupe nécessite la caution d'un syndicat international, la concertation et la négociation avec les salariés, leurs représentants et les syndicats nationaux doivent, de la même façon, être assurées. Bernard Saincy, ancien Responsable du collectif développement durable à la CGT, a, sur ce point, enrichi le débat. Les aspects juridiques de cette "auto-régulation" des entreprises ont, enfin, été abordés par Christine Neau-Leduc, Professeur de droit à l'Université Montpellier I.
I - Aspects pratiques de la RSE - pour un exemple de politique sociale : les droits sociaux tels qu'envisagés par le groupe chimique Rhodia, sous le contrôle de l'ICEM
La politique de RSE du groupe Rhodia repose, naturellement, sur les trois piliers du développement durable. "Rhodia way" consiste, notamment, en un référentiel d'engagements, à la fois, outil d'autoévaluation, guide de management et levier de dialogue interne et externe. Concernant le pilier qui nous intéresse tout particulièrement, relatif aux droits sociaux, le groupe cherche à développer l'employabilité, en améliorant, par exemple, la polyvalence des collaborateurs, grâce aux formations, et en favorisant l'insertion locale. Rhodia a, récemment, signé un "engagement national pour l'insertion des jeunes des quartiers" avec le ministère de l'Economie, des Finances et de l'Emploi, visant à favoriser leur accès à l'entreprise, et une charte de Responsabilité sociale appliquée au travail temporaire, avec Adecco et Adia. L'entreprise se concentre aussi spécialement sur la garantie de la santé et de la sécurité de ses collaborateurs, préoccupation indispensable compte tenu de son activité. La notion de "collaborateur" est, ici, entendue au sens large, en ce qu'elle regroupe tant les propres salariés de Rhodia, que ceux de ses fournisseurs et de ses sous-traitants. L'application de "Rhodia way" fait, en outre, l'objet de contrôles rigoureux. Récemment intégrée au Brésil et en Chine, l'application de la RSE définie par le groupe a pu être vérifiée lors de visites des établissements de l'entreprise, au cours desquelles le dialogue a été instauré entre les hauts dirigeants du groupe et ses collaborateurs sur place.
Sur le contenu de cet ACM, Rhodia s'est engagée à respecter les normes universelles existantes, engagements qui, comme le précise Manfred Warda, ne se substituent pas à celles-ci, mais les complètent. Il s'agit, notamment :
- des conventions de l'Organisation internationale du travail (conventions 87, 98, 135, relatives aux droits fondamentaux sur la liberté syndicale, conventions 29 et 105, sur l'interdiction du travail forcé, convention 138, sur l'interdiction du travail des enfants, conventions 100 et 111, sur l'égalité des chances et de traitement en matière d'emploi et de rémunération entre les hommes et les femmes... ) ;
- des 10 principes du pacte mondial de l'ONU ;
- des droits de l'Homme ;
- et des normes générales du travail (liberté d'association, droit à la négociation collective...).
Le groupe a, également, formulé des engagements propres en la matière, notamment, concernant la protection sociale et le droit au syndicalisme.
II - Aspects proprement juridiques de la RSE
Christine Neau-Leduc a souligné l'intérêt de la RSE en tant que nouvel outil pour le juriste. Consciente de l'effet "marketing" de l'intégration d'un tel concept dans les politiques manageriales de certaines entreprises, elle invite, cependant, à considérer la bonne foi de beaucoup d'acteurs économiques sur ce "joli sujet juridique", ainsi qu'elle le qualifie.
Après avoir abordé la diversité des approches (engagement unilatéral dans le cadre de codes de bonne conduite, de chartes, de référentiels de responsabilité ; engagements négociés dans le cadre des accords cadres mondiaux), ainsi que la diversité des parties (les entreprises en premier lieu, les fédérations internationales telles l'ICM, les représentants des filiales, les collaborateurs...), l'intervenante s'est interrogée sur la légitimité des entreprises à créer une norme ou à s'approprier une norme internationale existante (initialement à destination, non des sociétés, mais des Etats), soulignant les risques d'un "self service" de l'autorégulation. Elle estime, néanmoins, que cette première démarche, nécessaire, doit être encouragée.
S'ajoute à ce danger, un facteur de complexité tenant au contexte international de la RSE (dont le cadre privilégié est la mondialisation), notamment, en termes de juge compétent et de loi applicable. Quatre principales problématiques juridiques soulevées par ce concept ont, parallèlement, été identifiées par la juriste : le contexte juridique de la RSE, son contenu, son support et ses enjeux.
A Le contexte juridique de la RSE
Les ACM (dénombrés à plus de 80 à l'heure actuelle), conclus entre les multinationales et les fédérations internationales de travailleurs, notamment, définissent un certain nombre de droits sociaux. Ils imposent une garantie minimale de ceux-ci au niveau mondial, pour chaque groupe concerné, ainsi que, le cas échéant, pour ses sous-traitants et fournisseurs. La matière dépasse de loin le simple droit social, puisque les thèmes d'environnement et d'économie sont, également, abordés dans ces accords. Toutefois, bien que les sujets traités soient identiques, aucune convention ne se ressemble, puisque chacune résulte de la technique contractuelle et, donc, de la négociation.
Souvent, la RSE naîtra d'une démarche unilatérale de l'entreprise et s'orientera, par la suite, vers un accord négocié. Le caractère volontaire de cette initiative suscite des interrogations, quant à une éventuelle volonté du groupe en cause d'éluder la norme sociale légale et d'empêcher toute intervention à venir du législateur. Christine Neau-Leduc considère ce débat injustifié, en ce qu'il confond la norme volontaire de l'entreprise, d'origine privée, et la norme législative obligatoire, d'origine étatique. Or, en application du principe, unanimement admis, selon lequel, la convention tient lieu de loi à ceux qui la forment, l'origine privée de la norme volontaire n'enlève en rien son caractère obligatoire.
La question de la nature et de l'ampleur de la sanction attachée à la règle se pose également : jusqu'à quel point les entreprises sont-elles liées par leurs engagements volontaires ? En vertu de l'effet obligatoire des contrats, énoncé ci-dessus, elles sont tenues de les respecter. Cependant, en vertu de l'effet relatif des contrats, seules les parties à l'ACM devraient pouvoir s'en prévaloir. Or, ni les salariés, ni les ONG, ni les collectivités locales ou territoriales, par exemple, ne sont parties. Est-ce donc à dire que l'accord n'est pas invocable par ces derniers ? Faute de contentieux (cela dit, personne ne s'en plaindra), la question reste en suspend. Probablement, ainsi que l'universitaire le souligne, le régime sera-t-il le même que celui des conventions collectives (opposables aux salariés), dès lors qu'un syndicat sera partie au contrat ?
B - Le contenu de la RSE
Le contenu de la norme volontaire indique si l'entreprise a fait le choix d'une politique de RSE de "polichinelle", dans l'unique objectif de réaliser un "coup marketing", ou si sa politique en la matière est sérieuse et engagée. Dans le premier cas, le salarié, qui souhaiterait s'en prévaloir, pourrait, éventuellement, arguer d'une obligation de loyauté renforcée de la part de l'entreprise.
La question du contenu de la norme pose celle, sous-jacente, de son périmètre. L'ACM s'applique-t-il aux filiales, en cas de silence du texte sur ce point ? L'application est-elle automatique, alors même que celles-ci n'auraient pas signé l'accord ? La réponse n'est pas évidente.
Enfin, l'intervenante insiste sur l'attention particulière qui doit être portée aux clauses de suivi et de contrôle de l'application de l'ACM, ainsi qu'à celles relatives à l'interprétation des termes. Elle souligne l'importance de la création de commissions de règlements des conflits, pour assurer plus d'efficacité dans l'application de la convention.
C - Le support juridique de la RSE
Christine Neau-Leduc distingue l'engagement unilatéral (charte éthique, code de bonne conduite...), pour lequel il existe une facilité de dénonciation, de l'accord négocié.
Dans ce dernier cas, entre les parties, l'ACM est un contrat de droit commun régi par le droit commun des obligations. A l'égard des salariés, si l'accord a été conclu avec un syndicat, ils pourront s'en prévaloir, de la même façon qu'ils sont autorisés à se prévaloir des conventions collectives.
La question de l'opposabilité de l'accord aux salariés des filiales internationales est plus difficile à trancher. Si la filiale n'est pas partie à l'accord, en vertu du principe de l'effet relatif des conventions, ses salariés ne pourront, a priori, pas s'en prévaloir. Dans le cas contraire, le salarié recherchera l'engagement réel de la filiale par rapport au droit national applicable. Enfin, dans le cas où la filiale n'est pas partie à l'accord, mais intégré dans son périmètre, qui, de la société, partie à l'accord, ou de la filiale, est tenue à l'égard du salarié de cette dernière ? Il peut être considéré, dans ce cadre, que la société mère détient un mandat de la part de sa filiale, qui sera, dès lors, engagée vis-à-vis de son salarié. Il est, également, possible d'envisager l'application de la théorie du co-employeur. Dans cette hypothèse, c'est la société mère qui sera, alors, tenue.
D - Les enjeux juridiques de la RSE
Les enjeux juridiques de la RSE sont aussi importants qu'ils sont nombreux.
Beaucoup souhaitent une intervention du "législateur international", en la personne de l'Organisation internationale du travail, par exemple (qui pourrait, notamment, remplir les fonctions de médiateur en cas de conflit). La RSE présente, également, un réel intérêt, en termes de représentation collective sur le plan transnational (avec l'intervention croissante de syndicats internationaux, tels l'ICEM) et en termes de découverte de nouveaux interlocuteurs (collectivités territoriales, ONG...).
Cependant, malgré l'urgence de la situation, nombreuses sont les interrogations qui n'ont pas encore trouvé de réponses précises. Comme nous l'avons déjà souligné, ce concept peine à se définir rapidement et hésite encore entre deux options : constituer un "nouveau droit social de firme", dont les principes de droit s'appliqueraient à tous les salariés d'un même groupe dans le monde ou se revendiquer "lex laboratoria", soit un droit coutumier international dégageant des principes communs en matière d'environnement, d'économie et de droits sociaux. Loin de l'une ou de l'autre solution, la RSE présente, aujourd'hui, autant de visages qu'il y a d'entreprises pour l'initier. Ne perdons, toutefois, pas espoir : c'est parce que la pratique des conventions collectives existait, qu'elles ont été officiellement instituées. Peut-être en ira-t-il de même pour les ACM.
(1) Littéralement : faire le bien, en faisant bien.
(2) La RSE est née sous le nom britannique de "Corporate Social Responsibility".
(3) Le rapport Halte à la croissance, rendu en 1972 par des chercheurs du MIT (Massachussets Institute of Technology) pour le Club de Rome (qui regroupait de hautes personnalités de différents pays, souhaitant que la recherche s'empare du problème de l'évolution du monde pris dans sa globalité pour tenter de cerner les limites de la croissance économique) marque la naissance du développement durable. Il montre l'incompatibilité entre un système basé sur la croissance infinie et les limites de notre planète.
(4) Cette table ronde s'inscrit dans le cycle de conférences organisées par la Cour de cassation et la Chaire Régulation de Sciences Po et consacrées au droit et à l'économie des relations de travail et de la protection sociale.
(5) International Federation of Chemical Energy, Mine and General Workers' Unions.
(6) Intitulé Accord mondial de responsabilité sociétale et environnementale entre Rhodia et l'ICEM, version renégociée, mars 2008.
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par Daniel Faucher, Consultant au CRIDON de Paris
Le 07 Octobre 2010
Dès lors que la réalité du projet de cession est établie avant l'entrée en vigueur de la loi qui exonère la cession d'une branche d'activité, un médecin peut bénéficier de cette exonération à raison du transfert de son activité individuelle à une société dont il était l'associé quasi-unique. Le Comité pour la répression des abus de droit, qui siégeait pour une des dernières fois dans sa composition avant que celle-ci ne soit modifiée par la le collectif budgétaire, n'a pas validé la mise en oeuvre de la procédure spécifique puisqu'il était prouvé que le contribuable, engagé dans la cession de sa clientèle, n'avait fait que profiter de l'effet "d'aubaine" que représentait l'adoption et l'entrée en vigueur du texte nouveau.
1. L'effet "d'aubaine"
Chaque règle fiscale nouvelle engendre un effet d'aubaine. Deux types de comportements peuvent être détectés. En premier lieu, le contribuable qui a pris la décision de donner un bien et en provisionne les conséquences financières profite ainsi de l'allègement de la fiscalité introduite par la loi après cette prise de décision. Tel est le cas de parents dont un des enfants vient d'acquérir un immeuble d'habitation vétuste et qui a décidé de l'aider à financer les travaux de rénovation. Une augmentation de l'abattement en ligne directe lui permet d'augmenter le montant de la somme donnée puisque dans une telle hypothèse le donateur prend systématiquement en charge le paiement des droits de donation. L'enveloppe globale est, ainsi, répartie différemment, moins pour le Trésor Public, plus pour le donataire. En second lieu, le contribuable, qui découvre l'existence d'une exonération temporaire de droits relative à des dons manuels, peut envisager d'aider un enfant qui était en situation de recherche d'un premier logement. A cet égard, il est constaté que la moitié des parents, donateurs, qui aident leurs descendants, agissent soit pour qu'ils puissent se loger, soit financièrement. En effet, les transmissions déclarées ou non, selon l'importance des sommes sont effectuées, soit à l'occasion de grosses dépenses, comme lors d'une acquisition immobilière ou de l'installation de descendants, soit, pour des sommes moindres, pendant les études de ces derniers (Etude Insee Première, Transferts intergénérationnels entre vifs : aides et donations, n° 1127, mars 2007).
Cet effet "d'aubaine" doit être distingué de l'optimisation fiscale. Or, dans le langage courant, optimiser, c'est améliorer. Optimiser est donc une action. L'optimisation traduit un état d'esprit plus actif que celui d'une simple gestion. La gestion est une obligation qui pèse sur le sujet fiscal, alors que l'optimisation traduit une action, une action délibérée.
En matière fiscale, l'optimisation représente le choix de la moindre imposition par des moyens légaux. En effet, la recherche de tout contribuable est de trouver les moyens de réduire la charge fiscale des opérations qu'il envisage. La définition de l'optimisation fiscale a pour limite et référence trois principes. Le premier selon lequel elle n'est que l'antichambre de l'abus de droit et doit en être distingué. Le second selon lequel la multiplicité des régimes fiscaux pouvant être invoqués encourage l'optimisation et, enfin, en dernier lieu, elle permet au pater familias de remplir son obligation morale.
a) L'optimisation fiscale doit être distinguée de l'abus de droit. En effet, si l'excès d'imagination, qui est à l'optimisation ce que le vice est à la vertu, est parfois répréhensible, la démarche qui consiste à exploiter au mieux de ses intérêts la législation fiscale est saine. Selon la nouvelle définition légale, introduite par le collectif budgétaire pour 2008, l'abus de droit est démontré lorsque soit "les actes passés par un contribuable ont un caractère fictif, soit que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, s'il n'avait pas passé ces actes, auraient normalement supportées, eu égard à sa situation ou à ses activités réelles".
Ainsi, l'abus de droit est-il caractérisé lorsque l'acte a un caractère fictif ou lorsque l'intention du contribuable est d'éluder ou d'atténuer une imposition en respectant la lettre de la loi, mais pas son esprit.
La frontière est donc ténue entre l'habileté fiscale et l'abus, que le regretté professeur Cozian dénommait "le péché des surdoués de la fiscalité". L'abus est le détournement de l'esprit de la règle fiscale, à l'encontre des motifs qui l'ont inspirée.
En effet, dans ses conclusions sur une affaire ayant donnée lieu à un arrêt du Conseil d'Etat en date du 8 juillet 1977 (CE Contentieux, 8 juillet 1977, n° 04158 N° Lexbase : A9197AZN), le commissaire du Gouvernement, monsieur Bruno Martin Laprade, avait précisé : "Pour terminer, nous remarquerons que la société A a agi avec beaucoup d'habileté dans cette affaire mais contrairement à ce que paraît considérer l'administration, l'habileté des contribuables n'est pas nécessairement de nature à justifier un redressement".
De même, le juge a décidé que les préoccupations fiscale sont licites, seule la fraude étant prohibée (Cass. com., 19 avril 1988, n° 86-19.079, Madame Dozinel N° Lexbase : A7796AAY).
Ainsi, tout contribuable est libre d'arbitrer entre les différentes possibilités que lui offre la législation fiscale dans le sens le plus avantageux pour lui, dès lors que ses choix sont dépourvus de toute intention frauduleuse (Bienvenu et Lambert, Droit fiscal, PUF Droit, coll. droit fondamental, classiques 2003, p. 205 et 2006). La fiscalité est un outil de gestion et non un cadre rigide à respecter.
L'optimisation fiscale, comme l'abus de droit, est la recherche d'un but fiscal, à la différence que, dans le cas de l'optimisation ce but n'est pas exclusif alors que, dans le cas de l'abus de droit, ce but est exclusif. C'est là que se situe toute la différence entre optimisation "astucieuse", non répréhensible et l'optimisation "dévoyée", répréhensible. C'est au regard du résultat que le but est mis à jour : le contribuable a-t'il dans l'opération réalisée par lui un intérêt autre que la seule économie fiscale ?
On remarquera que l'adoption de la notion de "but essentiellement" fiscal pour définir l'abus de droit aurait signé l'arrêt de mort de toute optimisation.
En conclusion, l'optimisation fiscale est une façon intelligente de gérer la fiscalité, c'est-à-dire un outil de gestion active.
b) L'interventionnisme de la loi dans le domaine fiscal et la prolifération des textes encouragent l'optimisation.
Du financement des besoins de l'Etat, la fiscalité est devenue un outil de politique économique dont l'objectif est d'influencer les décisions des sujets fiscaux.
Ainsi, par exemple, une réduction temporaire de droits de donation de 50 %, quel que soit l'âge du donateur, à condition que la donation porte sur la pleine propriété d'un bien, a pour objectif de permettre une fluidité des patrimoines.
Il en est de même, par exemple, de l'extension aux donations de l'abattement sur les transmissions d'entreprises conditionnée à un pacte de conservation. Cet abattement avait, et a toujours, pour objectif de permettre la transmission en assurant la stabilité des entreprises et la poursuite de l'activité par les successeurs.
De même, l'enfant, déjà retraité et n'ayant aucun besoin, qui dans la donation partage transgénérationnelle envisagée par son père laisse son propre fils être appelé à la donation, ne fait qu'utiliser les innovations de la loi civile, non contrariées par la loi fiscale.
c) L'optimisation fiscale n'est que le respect de l'obligation morale du contribuable envers ses héritiers, et lui-même, de n'acquitter qu'un impôt juste, c'est-à-dire celui que la loi lui impose de régler, en utilisant cette dernière de la façon la plus intelligente possible.
Le juge a ainsi, de longue date, décidé qu'un contribuable n'était pas dans l'obligation de choisir, entre deux solutions, la voie la plus imposée.
Tel est le cas par exemple de celui, qui, désireux de transmettre un patrimoine, préfère le donner directement, laissant son bénéficiaire libre de le céder, plutôt que de le céder lui-même, avant d'en donner le produit de la cession après prélèvement de la plus value, puisque la première solution permet d'effacer toute plus-value. Dans cette hypothèse, comme dans d'autres, c'est la loi qui incite à préférer la solution de la donation.
Autrement dit, c'est la connaissance de la loi qui conduit le contribuable averti à choisir la voie la moins imposée. Connaitre la loi et agir en fonction de cette connaissance n'est qu'un choix légal et ne peut-être un abus. En revanche, détourner la loi pour en tirer un avantage qu'elle n'entendait pas conférer marque la volonté de réduire, voire d'écarter, l'imposition à laquelle l'opération envisagée conduisait.
L'optimisation fiscale ne serait donc que la conséquence légale d'un comportement actif face à la loi, étant supposé que le contribuable entend respecter l'obligation morale que lui impose une gestion de bon père de famille.
2. Effet "d'aubaine" et vente à soi même
L'article 238 quaterdecies du CGI (N° Lexbase : L4934HLC) a institué une exonération temporaire, du 16 juin 2004 au 31 décembre 2005, de plus values professionnelles réalisées à l'occasion de la cession d'une branche compète d'activité d'une entreprise à caractère industriel, commercial, artisanal ou libéral dont la valeur du fonds de commerce ou de la clientèle n'excède pas 300 000 euros. Cette disposition avait pour objectif de permettre, par exemple, à un commerçant dont l'affaire était d'une rentabilité moyenne, mais qui disposait d'un droit au bail dont le prix de cession pouvait être élevé et générer d'importantes plus values, de céder son affaire dans de bonnes conditions. Pour l'application de ce dispositif, l'administration considère que le cédant ne doit pas exercer, en droit ou en fait, directement ou indirectement, la direction effective de la personne morale cessionnaire (RES n° 2005/20 FP-FE). De surcroît, la loi de finances rectificative pour 2004 (loi n° 2004-1485, 30 décembre 2004 N° Lexbase : L5204GUB) a institué un "garde fou" en décidant que la mesure de faveur était inapplicable en présence de montages organisant ce que l'on appelle une vente à soi-même par société interposée, et les commentaires administratifs ont précisé que la mise en société "ne saurait autoriser la réalisation, en franchise d'impôt, d'opérations de refinancement dans lesquelles l'activité serait poursuivie, en fait, par le même exploitant après transmission à titre onéreux dans des conditions financières détériorées, notamment du fait du recours à l'emprunt" (instruction du 25 février 2005, BOI 4 B-1-05 N° Lexbase : X9107ACB).
Le recours à ce dispositif de la part des professions libérales a donné lieu de nombreuses procédures sur le fondement de l'abus de droit. Ainsi, le Comité vient de valider cette procédure à propos d'un avocat qui avait cédé son activité à une SELARL, dont il était l'associé majoritaire à 95 %, en précisant que cette opération consistait en une vente à soi-même contraire aux objectifs poursuivis par le législateur. De tels avis ne sont pas sans pouvoir être critiqués (aff. n° 2008-09). En effet, le contribuable est en droit, pour justifier son habileté fiscale, d'invoquer deux des grands principes de notre fiscalité que sont, d'une part, celui de la liberté du mode d'exercice de la profession et, d'autre part, celui de la liberté de gestion financière.
En revanche le Comité a refusé de valider la mise en oeuvre de la procédure spécifique pour un ophtalmologiste qui avait cédé son activité à une SELARL, au motif principal que le praticien avait entrepris la cession avant le vote de la loi du 9 août 2004, instituant l'exonération temporaire. En effet, la réalité du projet était établie à la fois par des consultations juridiques et des démarches accomplies afin d'élargir l'activité de son cabinet (aff. 2008-14). Autrement dit, le contribuable n'avait fait que profiter d'un effet "d'aubaine" !
Le choix de l'ouverture d'un compte joint entre deux époux mariés sous le régime de la séparation de biens, suivi de l'alimentation de ce compte par un seul peut avoir pour objectif d'accorder à l'épouse, qui n'exerçait aucune activité rémunérée, de disposer de sommes correspondant à une contrepartie de l'adaptation par elle de son mode de vie à la carrière de son époux. Cet objectif interdit la réintégration de la totalité du compte à la succession de l'époux sur le fondement de l'article 753 du CGI (N° Lexbase : L8091HLA).
1. La présomption de l'article 753 du CGI...
A la suite du décès d'un époux, l'administration entendait faire application de la présomption de l'article 753 du CGI, ayant constaté qu'un compte-joint entre les deux époux avait été alimenté exclusivement par le défunt. Ainsi, la totalité du solde du compte, et non la moitié, devait figurer à l'actif de sa succession. En effet, l'article 753 du CGI, qui prévoit que les sommes figurant sur un compte-joint entre deux personnes sont considérées, pour la perception des droits de mutation à titre gratuit, comme appartenant pour moitié à chacune, supporte la preuve contraire. Cette preuve résulte du mode de fonctionnement du compte, et principalement de son approvisionnement.
2. ...inapplicable au motif du paiement d'une dette.
La cour d'appel de Paris n'a pas validé l'application de la présomption sans examiner les motifs de l'alimentation exclusive par un seul des co-titulaires du compte joint. Il est vrai que, sans cette analyse, la réintégration à la succession du mari était incontestable puisqu'il alimentait seul le compte et que l'épouse n'avait aucun revenu propre que ce soit à raison d'une activité ou d'une fortune personnelle. Or, l'intention de l'époux, en déposant des fonds personnels sur ce compte était de fournir une contrepartie à l'épouse qui avait du adapter son mode de vie à la carrière de son époux. Celui-ci qui, au terme de son activité professionnelle, était directeur adjoint de la Banque de France avait, en effet, imposé à son épouse des contraintes de mobilité et de disponibilité qui dépassaient les obligations du mariage. Sans la qualifier ainsi expressément, la cour a donc fait appel à la notion de donation rémunératoire, dont on sait qu'elle se définit comme la remise de biens à une personne en contrepartie de services rendus. Entre époux cette donation, non taxable puisqu'il existe une contrepartie, est souvent invoquée en cas de collaboration non rémunérée d'un des époux à l'activité de l'autre, mais aussi en cas d'activité du conjoint dans la gestion du ménage et la direction du foyer lorsque cette activité excède la contribution normale aux charges du mariage (Cass. civ. 1, 20 mai 1981, n° 80-11544, publié N° Lexbase : A2712CIB ; TGI Paris, 8 juillet 2004, n° 03-06439). Cependant, au cas particulier, une difficulté reste à résoudre. En effet, comme toute donation, une donation rémunératoire impose une dépossession incontestable du donateur qui acquitte sa dette. Or, il a déjà été jugé que le virement à un compte joint ouvert au nom du donateur et du donataire ne permet pas de réaliser la tradition nécessaire à la validité du don manuel. Autrement dit, la tradition réelle, qui implique la dépossession du donateur, ne peut être réalisée par un virement d'un compte personnel au compte joint dont sont co-titulaires le donateur et la donataire, parce que le donneur d'ordre reste libre à tout moment de retirer seul les sommes existant sur le compte-joint. En principe, la donation ne peut être réalisée qu'à l'occasion d'un retrait du compte-joint effectué par le co-titulaire que celui qui a versé les fonds entendait avantager. En cas de pourvoi en cassation, la Haute juridiction tranchera.
Cette demande qui s'apparente à un quitus fiscal, permet à un redevable de provoquer le contrôle d'une succession ou d'une donation. Cette procédure, issue de la proposition n° 26 du rapport "Fouquet" (Améliorer la sécurité juridique des relations entre l'administration fiscale et les contribuables : une nouvelle approche, Rapp. O. Fouquet, juin 2008) est présentée comme permettant d'assurer une sécurité plus grande et plus rapide pour les contribuables. En effet, au lieu d'être soumis, par exemple, aux aléas d'un contrôle de valeur sur un bien immobilier transmis par voie de donation, et ce dans un délai pouvant atteindre la troisième année suivant celle de l'enregistrement, le donataire pourra provoquer ce contrôle dans les trois mois.
1. Conditions d'application
Si la loi mentionne la nature des actes concernés, elle n'apporte aucune précision sur la nature du contrôle. En revanche, sont précisés les contribuables pouvant demander l'application de cette procédure, le délai d'introduction de la demande, ainsi que la portée de la garantie.
a) Mutations concernées
Les mutations concernées sont les actes de mutation entre vifs et les déclarations de succession. Pour ces dernières, aucune difficulté d'appréciation, puisque c'est la nature du document qui est visé, soit la déclaration de succession, et ce, quel que soit son auteur, l'héritier lui-même ou un tiers mandaté à cet effet.
Pour les actes de mutation entre vifs, la notion d'acte et de mutation entre vifs semblent viser les seules donations passées devant notaire. En effet, la combinaison des articles 893 (N° Lexbase : L0034HPX) et 931 (N° Lexbase : L0088HPX) du Code civil conduit à cette conclusion. Les dons manuels devraient donc être écartés.
b) Nature du contrôle
En raison de la nature des actes, le contrôle portera principalement sur la valeur des biens transmis, immeubles, meubles et parts ou titres de sociétés. Cependant, s'agissant d'une déclaration de succession, ce contrôle pourrait également porter, par exemple, sur la justification du passif. En effet, rien dans le texte légal ne vient limiter la garantie à un type de contrôle spécifique, comme par exemple, le seul contrôle de valeur (il est vrai que le texte qui utilise le vocable "rehaussement" utilisé dans le texte légal peut susciter des interrogations dans la mesure où ce terme est fréquemment utilisé en matière de contrôle de valeur). Cependant, la mesure nouvelle ne respecterait pas l'objectif poursuivi, à savoir la sécurité de l'acte, si cette sécurité n'était que partielle. De surcroît, rien dans le rapport "Fouquet", ni dans l'exposé des motifs de la loi, ne permet de limiter l'étendue de la garantie au seul contrôle de valeur.
c) Contribuables pouvant effectuer la demande de contrôle
Le bénéfice de ce contrôle est réservé aux contribuables ayant respecté leur obligations déclaratives et qui se sont acquittés des droits dus avant d'avoir été destinataires d'une mise en demeure ou d'un avis de mise en recouvrement. Face au risque de "cavalier seul" fiscal, qui pourrait entraîner des conflits entre héritiers ou donataires, la loi impose que la demande émane de bénéficiaires (héritiers ou donataires) d'au moins un tiers de l'actif net déclaré et transmis lors de la mutation.
d) Délai
La demande doit être effectuée dans un délai de trois mois à compter de l'enregistrement de l'acte ou de la donation. En pratique, une telle demande pourra être jointe à l'acte au moment de son dépôt aux fins d'enregistrement. Ce court délai se justifie par l'objectif poursuivi par cette nouvelle procédure : destinée à améliorer la perception du contrôle qui, lorsqu'il est diligenté en limite de prescription abrégée, soit pratiquement quatre ans après la transmission, est mal vécue. Il ne serait pas logique d'accorder un délai plus long pour en effectuer la demande.
2. Portée de la garantie
a) Principe
Lorsque les conditions requises sont satisfaites, aucun rehaussement d'imposition ne peut être proposé postérieurement au délai d'un an suivant la date de réception de la demande de contrôle. Cette période d'un an est prorogée, le cas échéant, du délai de réponse du contribuable aux demandes de renseignements, justifications ou éclaircissements de l'administration, pour la partie excédant le délai prévu à l'article L. 11 du LPF (N° Lexbase : L8436AE8) (la prorogation se justifie par le fait que l'administration ne doit pas être pénalisée par un contribuable qui tarderait à fournir les renseignements demandés).
b) Exclusion
Cette garantie ne s'applique pas aux rehaussements d'imposition qui sont la conséquence d'omission, dans l'acte ou la déclaration, de biens, droits, valeurs ou de donations antérieures ou qui procèdent de la remise en cause d'une exonération ou d'un régime de taxation favorable en raison du non-respect d'un engagement ou d'une condition prévue pour en bénéficier (par exemple : exonération partielle des articles 787 B N° Lexbase : L3703IC7 et 787 C N° Lexbase : L5505H9R du CGI). Cette garantie est également exclue en cas d'application de la procédure prévue à l'article L. 64 du LPF (N° Lexbase : L4668ICU).
c) Conséquences des rappels
La loi ne précisant pas le redevable des rappels en cas de rehaussement de valeurs, à la suite d'un contrôle sur demande, il devrait être considéré, dans l'hypothèse où, dans une donation, le donateur a pris en charge le paiement des droits, et de leurs suites et conséquences, que seul ce dernier en serait le redevable.
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Le 07 Octobre 2010
I - Sous-traitance
Dans un arrêt du 3 décembre 2008, la Cour de cassation rappelle, au visa des articles 1134 du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC), 1er et 6 de la loi du 31 décembre 1975 (N° Lexbase : L5127A8E), que l'institution, dans les marchés publics, d'un paiement direct du sous-traitant par le maître de l'ouvrage ne fait pas disparaître le contrat de sous-traitance et laisse au sous-traitant la faculté d'agir en paiement contre l'entrepreneur principal ou de solliciter la fixation de sa créance, sans être contraint d'épuiser auparavant les voies de recours contre le maître de l'ouvrage (voir déjà Cass. civ. 3, 15 janvier 1992, n° 90-11.356, Société Levaux et fils et autre c/ Société Sondages étanchements forages injections N° Lexbase : A5001AHP).
Ainsi, même si les marchés publics prévoient des modalités de paiement direct par le maître d'ouvrage, il n'en demeure pas moins que le lien contractuel existant entre l'entrepreneur principal et le sous-traitant persiste.
En l'espèce, la Cour de cassation censure l'arrêt d'appel, qui avait refusé l'inscription de la créance du sous-traitant au passif de l'entreprise aux motifs qu'il n'aurait pas épuisé ses voies de recours contre le maître d'ouvrage, et confirme, ainsi, que le paiement direct dont bénéficie le sous-traitant n'est pas exclusif de sa liberté d'action à l'encontre de l'entreprise principale.
II - Vente immobilière
La vente d'immeuble à rénover (VIR) a été instituée par la loi portant engagement national pour le logement (loi n° 2006-872 du 13 juillet 2006, dite "ENL" N° Lexbase : L2466HKK).
Pour mémoire, il résulte de l'article L. 262-1 du Code de la construction et de l'habitation (N° Lexbase : L1974HPS) que toute personne qui vend un immeuble bâti ou une partie d'immeuble bâti, à usage d'habitation ou à usage professionnel et d'habitation, ou destiné après travaux à l'un de ces usages, qui s'engage, dans un délai déterminé par le contrat, à réaliser, directement ou indirectement, des travaux sur cet immeuble ou cette partie d'immeuble et qui perçoit des sommes d'argent de l'acquéreur avant la livraison des travaux doit conclure avec l'acquéreur un contrat de vente d'immeuble à rénover.
Le décret rendant effectives ces dispositions législatives a été publié au Journal officiel du 18 décembre 2008.
Il est d'application immédiate.
Dès lors que le vendeur d'un bien immobilier, même profane, a connaissance de la présence de mérules affectant la structure du plancher, il ne peut, pour se soustraire à la garantie des vices cachés, se retrancher derrière la clause de non garantie stipulée dans l'acte de vente.
En l'espèce, la connaissance du vice résultait du fait que la structure du plancher était menacée par l'attaque de champignons, lesquels étaient suffisamment développés pour que le vendeur ne puisse y voir l'expression d'une simple vétusté.
Les solives étaient, en outre, totalement dégradées sur 30 à 40 cm, créant un vide par rapport au mur porteur si bien que le vendeur avait mis en place des poutres de soutien et de renforcement à côté des solives infestées.
De telles dégradations ne pouvaient, même pour des profanes, ne pas induire la présence de mérule.
Dans cet arrêt, la Cour de cassation précise également, au visa des articles 1643 (N° Lexbase : L1746ABB) et 1645 (N° Lexbase : L1748ABD) du Code civil l'étendue de la réparation due par le vendeur de mauvaise foi au titre de la garantie des vices cachés.
Les juges du fond avaient fait application de la clause élusive de responsabilité pour les atteintes de mérules dans les autres zones que celles pour lesquelles la connaissance du vice par le vendeur était établie.
La Cour de cassation censure les juges du fond et indique que la connaissance de la présence de mérules dans l'immeuble obligeait le vendeur de mauvaise foi à réparer tous les désordres imputables à ce vice.
Ainsi, dès lors qu'il a connaissance d'une partie du vice, le vendeur est présumé de mauvaise foi pour la totalité du vice.
Attirer l'attention de l'acquéreur d'un bien immobilier sur le fait que, quelques années plus tôt, il avait été relevé la présence d'insectes ennemis dans les bois d'une partie de la charpente, suffit-il à voir qualifier le vice d'"apparent" au moment de la vente et ainsi exonérer le vendeur de toute garantie ?
C'est notamment à cette question que répond la Cour de cassation dans un arrêt du 17 décembre 2008.
Elle retient que, dès lors que la charpente se trouvait, au moment de la vente, en mauvais état à la suite d'une infestation quasi généralisée due aux insectes à larves xylophages, qui avait dégradé de nombreux éléments dont beaucoup étaient à la limite de la rupture et qui s'étendait à des lames du parquet du plancher des combles et à des solives, l'existence d'un vice caché au moment de la vente était caractérisée.
Le fait que, dans l'acte de vente, le vendeur ait attiré l'attention de l'acquéreur sur la présence, quelques mois après sa propre acquisition de l'immeuble, d'insectes ennemis des bois dans une partie de la charpente ainsi que sur travaux d'éradication entrepris, ne suffit pas à établir que l'acquéreur avait connaissance du vice lors de la vente, ni même que le vice puisse être qualifié d'"apparent".
La Cour de cassation précise, au demeurant, qu'il ne pouvait être imposé aux acquéreurs de soulever la laine de verre qui recouvrait les bois de la charpente pour voir les pièces dégradées.
Ainsi, les acquéreurs, même s'ils ont eu connaissance de la présence, antérieurement à la vente, d'insectes xylophages, n'étaient pas tenus d'une obligation "renforcée" de s'informer sur l'état de l'immeuble au moment de la vente.
III - Copropriété
Le déploiement des réseaux de communications électroniques à très haut débit en fibre optique sur tout le territoire constitue un enjeu économique majeur de sorte que le Gouvernement s'est fixé un objectif ambitieux d'au moins 4 millions d'abonnés au très haut débit d'ici à 2012.
Pour atteindre cet objectif, le Gouvernement a défini un programme pour le très haut débit visant notamment à réduire les coûts de déploiement, à faciliter le câblage des immeubles et à permettre l'accès de tous aux débits nécessaires pour les services du futur.
Dans le cadre de ce programme, plusieurs dispositions ont été inscrites dans la loi de modernisation de l'économie, et notamment :
- l'inscription de droit à l'ordre du jour des assemblées de copropriété des propositions commerciales des opérateurs ;
- l'instauration d'un droit à la fibre optique, inspiré du "droit à l'antenne" ;
- l'encadrement des conventions entre propriétaires et opérateurs ;
- la mutualisation des câblages installés dans les immeubles ;
- le pré-équipement des immeubles neufs en fibre optique.
Les décrets publiés le 16 janvier 2009 au Journal officiel permettront ainsi l'entrée en vigueur :
- du "droit au très haut débit" selon lequel le propriétaire d'un immeuble ne pourra pas s'opposer à ce qu'un occupant soit raccordé à un réseau très haut débit, sauf motif sérieux et légitime, tout comme il a, aujourd'hui, le droit d'avoir accès à une antenne TV ;
- de l'encadrement par voie conventionnelle des relations entre propriétaires et opérateurs. Les conventions ainsi conclues protégeront les propriétaires des démarches abusives et garantiront que le coût des travaux est bien à la charge des opérateurs ;
- du pré-câblage des immeubles neufs en fibre optique. Ainsi tous les immeubles de plus de 25 logements seront pré-câblés en fibre optique à partir de 2010.
IV - Droit des biens : action en bornage
Par cet arrêt du 7 janvier 2009, la Cour de cassation rappelle les règles de compétence juridictionnelle applicables aux actions en bornage.
Il résulte de l'article R. 221-12 du Code de l'organisation judiciaire (N° Lexbase : L6637IA3) que les actions en bornage relèvent de la compétence du tribunal d'instance.
Et, l'article R. 321-22 du Code de l'organisation judiciaire applicable à la cause (devenu R. 221-40 N° Lexbase : L6609IAZ) précise que le tribunal d'instance connaît de toutes les demandes incidentes, exceptions ou moyens de défense, qui ne soulèvent pas une question relevant de la compétence exclusive d'une autre juridiction, alors même qu'ils exigeraient l'interprétation d'un contrat.
Toutefois, si l'exception ou le moyen de défense implique l'examen d'une question de nature immobilière pétitoire, le tribunal d'instance pourra se prononcer, mais à charge d'appel.
En application de ces textes, une cour d'appel a exactement retenu que le juge d'instance, saisi d'une action en bornage, était compétent pour statuer sur la revendication de propriété d'une parcelle opposée comme moyen de défense à l'action (voir déjà Cass. civ. 3, 23 février 2005, n° 03-17.899, FS-P+B+I N° Lexbase : A8709DGN).
James Alexandre Dupichot,
Avocat associé
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22 avenue de Friedland
75008 Paris
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Réf. : Cass. civ. 1, 22 janvier 2009, n° 05-20.176, Crédit mutuel de Saint-Marcellin c/ Mme X, FS+P+B+I (N° Lexbase : A5557ECS)
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par Vincent Téchené, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition privée générale
Le 07 Octobre 2010
La solution semblait entendue ; à la faveur d'une jurisprudence constante, d'ailleurs énoncée dans l'arrêt du 26 octobre 2004, l'établissement de crédit était quasiment assuré d'obtenir gain de cause devant la Haute juridiction. Pourtant tel ne fût pas le cas.
En effet, dans son arrêt du 22 janvier 2009, la première chambre civile rejette le pourvoi énonçant, dans un attendu de principe, que "la méconnaissance des dispositions d'ordre public du Code de la consommation peut être relevée d'office par le juge". Dès lors, le tribunal pouvait retenir que le compte de l'emprunteur ayant fonctionné en position débitrice plus de trois mois sans qu'une offre de crédit conforme aux dispositions des articles L. 311-1 (N° Lexbase : L6711AB8) et suivants du Code de la consommation lui ait été proposée, de sorte que les dispositions de l'article L. 311-2 du même code n'ont pas été respectées, et donc prononcer la déchéance du droit aux intérêts de la banque.
Jusqu'alors, la position la Cour de cassation était diamétralement opposée, puisque cette dernière considérait que les juges du fond ne pouvaient relever d'office les dispositions protectrices des emprunteurs issues du Code de la consommation (2). Pour la Haute juridiction, en effet, la méconnaissance des exigences en matière de crédit à la consommation ne pouvait être opposée qu'à la demande de la personne que ces dispositions ont pour objet de protéger. Ce faisant, la Cour appliquait une jurisprudence constante, qui veut que le juge ne peut relever d'office un moyen que s'il se rapporte à l'ordre public de direction et non à l'ordre public de protection.
Mais, cette position, notamment, fondée sur le principe selon lequel "le juge doit se prononcer sur tout ce qui est demandé et seulement sur ce qui est demandé" (C. proc. civ., art. 5 N° Lexbase : L2632ADT) souffrait certaines critiques qui portaient tant sur l'opportunité d'une telle position, que sur son fondement juridique.
Ainsi, l'impossibilité pour le juge de relever d'office la méconnaissance par le banquier des obligations découlant des articles L. 311-1 et suivants du Code de la consommation se heurtait, notamment, à l'objectif du droit de la consommation qui est de compenser le déséquilibre contractuel en prescrivant des dispositions protectrices en faveur des consommateurs. Ainsi, dans son rapport (3) sur la loi "Chatel" (loi n° 2008-3 du 3 janvier 2008, pour le développement de la concurrence au service des consommateurs N° Lexbase : L7006H3U), Gérard Cornu relevait que, la plupart du temps, les litiges en droit de la consommation relèvent de la compétence du tribunal d'instance, devant lequel le ministère d'avocat n'est pas obligatoire et, ignorant souvent les dispositions protectrices du droit de la consommation, le consommateur n'apparaît pas nécessairement en mesure d'invoquer un argument juridique décisif lui permettant de faire valoir son droit. Or, le juge ne pouvant aller au secours du consommateur en soulevant d'office, dans le cadre du débat contentieux, un moyen de droit relatif à l'application du droit de la consommation, le droit de la consommation perd de son effectivité.
Mais, surtout, à côté de cet argument, la doctrine développait, habituellement, une critique plus juridique : en retenant que le juge ne peut relever d'office la méconnaissance des dispositions des articles L. 311-1 et suivants du Code de la consommation, la Cour régulatrice se refuserait à appliquer les dispositions du Code de procédure civil fixant les pouvoirs du juge dans le cadre d'un procès civil, et, notamment, celles issues de l'article 12 (N° Lexbase : L2043ADZ) qui énonce que "le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables". Le juge disposerait bien, dans le cadre d'un litige, du pouvoir de relever d'office un moyen de droit, quelle que soit sa nature, qu'il ait pour objet de protéger un intérêt privé ou l'intérêt général. Comme l'a justement souligné Yannick Dagorne-Labbe (4) "il n'y a donc pas lieu de faire application de l'adage ubi lex non distinguit nec nos distinguire debemus".
A ces critiques, s'ajoutait une opposition de poids, celle de la Cour de justice des Communautés européennes : la solution qu'avait fait sienne la Cour de cassation ne faisait donc pas l'unanimité, loin s'en faut !
Ainsi, tout d'abord, dans son arrêt "Oceano" du 27 juin 2000, la CJCE posait le principe selon lequel la protection que la Directive 93/13 du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (N° Lexbase : L7468AU7), assure à ceux-ci implique que le juge national puisse apprécier d'office le caractère abusif d'une clause du contrat qui lui est soumis lorsqu'il examine la recevabilité d'une demande introduite devant les juridictions nationales (5). Elle a, par la suite, confirmé cette solution dans l'arrêt "Cofidis" du 21 novembre 2002, dans lequel elle affirme qu'une loi interne ne peut limiter dans le temps la faculté qu'il convient de reconnaître au juge de relever d'office le caractère abusif d'une clause. Elle considère, ainsi, que "la fixation d'une limite temporelle au pouvoir du juge d'écarter d'office ou à la suite d'une exception soulevée par le consommateur de telles clauses [abusives] est de nature à porter atteinte à l'effectivité voulue" par la Directive.
Enfin, dernièrement, dans l'arrêt "Franfinance" du 4 octobre 2007, les juges communautaires (7) devaient, logiquement, élargir la règle qu'ils ont dégagée en matière de clause abusive aux crédits à la consommation, énonçant que la Directive 87/102 (Directive du 22 décembre 1986, relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres en matière de crédit à la consommation N° Lexbase : L9737AU8), telle que modifiée par la Directive 98/7 (Directive du 16 février 1998 N° Lexbase : L9949AUZ), doit être interprétée en ce sens qu'elle permet au juge national d'appliquer d'office les dispositions transposant en droit interne son article 11 § 2. En d'autres termes, la CJCE considère que le juge français doit pouvoir relever d'office un moyen tiré de la méconnaissance par le professionnel des conditions de régularité de l'offre de crédit à la consommation.
Dans ce contexte, le revirement, opéré par la première chambre civile de la Cour de cassation dans l'arrêt du 22 janvier 2009, doit donc être salué. Toutefois, le changement de cap de jurisprudence est-il uniquement motivé par les critiques doctrinales et les solutions énoncées par la juridiction communautaire, alors, que durant plusieurs années, la Haute juridiction semble y avoir fait la sourde oreille, maintenant sa position antérieure ? En témoigne, d'ailleurs, l'arrêt du 26 octobre 2004, où, ayant à connaître pour la première fois des faits ayant donné lieu à l'arrêt du 22 janvier 2009, elle avait confirmé l'impossibilité pour le juge de relever d'office la méconnaissance aux dispositions du Code de la consommation.
Nous nous permettons d'en douter. En effet, il convient de rappeler qu'entre temps, le droit a changé. La loi "Chatel", publiée au Journal officiel du 5 janvier 2008, a introduit une réforme fondamentale : la saisine d'office du juge. Désormais, l'article L. 141-4 du Code de la consommation (N° Lexbase : L5771H9M) dispose que "le juge peut soulever d'office toutes les dispositions du présent code, dans les litiges nés de son application". Si l'introduction de cette disposition dans le Code de la consommation, à l'initiative de Gérard Cornu, alerté par le Médiateur de la République, ne fait pas l'unanimité, elle a le mérite de clarifier les règles et de mettre fin aux débats houleux opposant la Cour de cassation à la majorité de la doctrine et la CJCE.
Alors que les nouvelles dispositions issues de la loi pour le développement de la concurrence n'étaient pas applicables au litige, la Cour de cassation a donc cru bon d'opérer un revirement jurisprudentiel qui s'imposait à elle. En effet, si en principe, les lois de procédure ont un effet immédiat et régissent donc sans attendre les instances en cours (8), lorsqu'une loi nouvelle intervient alors que le pourvoi est pendant devant la Cour de cassation, elle ne peut recevoir application devant cette juridiction (9). Or, en l'espèce, le jugement contre lequel le pourvoi est formé ayant été rendu par le tribunal d'instance de Grenoble le 6 avril 2005, on doit en déduire, en application des principes relatifs à l'application des lois de procédure dégagés ci-dessus, que la règle énoncée par le nouvel article L. 141-4 du Code de la consommation, issue de la loi du 3 janvier 2008, ne devait pas recevoir application devant la Cour de cassation. Cela explique, notamment, que l'arrêt du 22 janvier 2009 n'ait pas été rendu au visa de l'article L. 141-4 du Code de la consommation. Toutefois, la Haute juridiction ne pouvait conserver une position qui s'avèrerait être contra legem au regard des nouvelles règles ; on ne peut que se féliciter du revirement opéré dans l'arrêt du 22 janvier 2009, que celui-ci ait été motivé par une application anticipée des dispositions de l'article L. 141-4 du Code de la consommation ou par une prise en compte des critiques faites à l'égard de son ancienne position.
Cet arrêt mais, finalement surtout, la consécration légale de la possibilité offerte au juge de soulever d'office les dispositions du Code de la consommation, dans les litiges nés de son application, devraient ainsi conduire à une application plus générale et systématique du droit de la consommation, qui a enfin reçu "ses lettres de noblesse et on ne peut que s'en féliciter" (10).
(1) Cass. civ. 1, 26 octobre 2004, n° 02-12.658, Caisse de Crédit mutuel de Saint-Marcellin, F-D (N° Lexbase : A6648DDL).
(2) Cf., notamment, Cass. civ. 1, 15 février 2000, n° 98-12.713, Société Cofica c/ M. Grine (N° Lexbase : A3612AUC), Contrats conc. conso., 2000, comm. 16 ; Cass. civ. 1, 10 juillet 2002, n° 00-22.199, Société Cofinoga c/ Mme Patricia Villelga, F-P (N° Lexbase : A1058AZ9) ; Cass. civ. 1, 16 mars 2004, deux arrêts, n° 99-17.955, Société Cofica c/ M. Jean-Michel Lavaud, F-P+B (N° Lexbase : A5657DB7) et n° 99-17.957, Société Cofidis c/ M. Jean-Pierre Dutrey, FP-D (N° Lexbase : A5658DB8).
(3) Rapport n° 111 (2007-2008) de M. Gérard Cornu, fait au nom de la commission des affaires économiques, déposé le 5 décembre 2007.
(4) Y. Dagorne-Labbe, La violation de l'article L. 311-9 du Code de la consommation ne peut être relevée d'office par le juge, JCP éd. G, 2004, II, 10129, note sous Cass. civ. 1, 16 mars 2004, deux arrêts, préc..
(5) CJCE, 27 juin 2000, aff. C-240/98, Océano Grupo Editorial SA (N° Lexbase : A5920AYW), JCP éd. G, 2001, II, 10513, note M. Carballo Fidalgo et G. Paisant.
(6) CJCE, 21 novembre 2002, aff. C-473/00, Cofidis SA c/ Jean-Louis Fredout (N° Lexbase : A0407A79), JCP éd. E, 2003, 279, note C. Baude-Texidor et I. Fadlallah.
(7) CJCE, 4 octobre 2007, aff. C-429/05, Max Rampion c/ Franfinance SA (N° Lexbase : A2716DZM).
(8) Roubier, Le droit transitoire, 2ème éd., 1960, n° 101 à 106 ; L. Bach , Contribution à l'étude de la notion de "rétroactivité de la loi", Baden-Baden, Nomos, 1981 ; J. Héron, Etude structurale de l'application de la loi dans le temps, RTDCiv., 1985, 77.
(9) Normand, obs. Rev. trim., 1976, 390, n° 1. La Cour de cassation juge les jugements et non pas les litiges et ne peut apprécier la décision des juges du fond qu'au vu de la loi applicable ; en revanche cette même loi s'appliquera devant la cour de renvoi.
(10) G. Raymond, Les modifications au droit de la consommation apportées par la loi n° 2008-3 du 3 janvier 2008, JCP éd. E, 2008, 1383.
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Réf. : Cass. soc., 13 janvier 2009, n° 07-17.692, Syndicat des producteurs du miel de France (SPMF) c/ Union nationale de l'apiculture française (UNAF) et a., FS-P+B+R (N° Lexbase : A3401ECX)
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N3659BID
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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV
Le 07 Octobre 2010
Résumé
Selon l'article 2 de la Convention n° 87 de l'OIT, ratifiée par la France, et relative à la liberté syndicale et à la protection du droit syndical, les travailleurs et les employeurs, sans distinction d'aucune sorte, ont le droit de constituer des organisations de leur choix. Selon l'article 5 du même texte, ces organisations ont le droit de former d'autres groupements. C'est à bon droit que la cour d'appel a retenu que l'article L. 411-2 (N° Lexbase : L6304ACH), devenu l'article L. 2131-2, du Code du travail, qui suppose l'existence d'activités rémunérées à l'exclusion des activités désintéressées ou philanthropiques, ne distingue pas selon que ces activités sont exercées à titre exclusif, accessoire ou occasionnel, ni selon que les revenus qui en sont tirés constituent un revenu principal ou accessoire, de sorte que peuvent constituer un syndicat les producteurs de miel et que doit être considéré comme tel tout apiculteur qui commercialise ses produits. |
Commentaire
I - La notion de profession
Selon l'alinéa 1er de l'article L. 2131-2 du Code du travail, "les syndicats ou associations professionnels de personnes exerçant la même profession, des métiers similaires ou des métiers connexes concourant à l'établissement de produits déterminés ou la même profession libérale peuvent se constituer librement".
Il résulte de ce texte que seules les personnes exerçant une profession peuvent fonder un syndicat ou y adhérer. Cette exigence constitue la différence essentielle entre les syndicats et les associations. Il importe de relever, bien que cela ne faisait pas de difficultés en l'espèce, qu'il est possible d'exercer une profession sans être, par ailleurs, salarié ou employeur. Cela démontre bien que la constitution d'un syndicat ou l'adhésion à un tel groupement ne leur est nullement réservée.
Cela étant précisé, toute la difficulté réside dans la détermination de ce qu'il faut entendre par profession. Ainsi qu'a pu l'affirmer un auteur, "on retiendra que la profession se caractérise par une activité habituelle, procurant des moyens de subsistance et mettant son auteur en relation avec un environnement socio-économique. Il résulte de cette approche qu'une activité qui serait, d'une part, non habituelle et, d'autre part, totalement désintéressée, ne serait pas une activité professionnelle. Un passe-temps [la chasse] ne peut être assimilé à une profession [T. civ. Langres, 9 décembre 1887 ; DP, 1888, 3, p. 136] ; il en est de même de toute activité d'entraide qui serait purement gratuite, inspirée par l'amitié ou la solidarité" (J. Frossard, Syndicats professionnels Liberté syndicale ; J.-Cl. Travail Traité, Fasc. 12-10, 1997, n° 13).
Il ressort, au premier chef, de cette affirmation, qu'il ne peut y avoir profession sans exercice d'une activité. En conséquence, le fait d'être propriétaire ou locataire permet, certes, de faire partie d'une association, mais n'autorise pas la formation d'un syndicat. De même, les étudiants ne sauraient défendre leurs intérêts en constituant un syndicat. La loi prévoit, cependant, une exception : les particuliers occupant des employés de maison peuvent se grouper en syndicat pour la défense des intérêts qu'ils ont en commun en tant qu'employeur de ces salariés (C. trav., art. L. 2131-2, al. 2). En outre, on sait qu'un retraité ou un chômeur peut rester membre de son syndicat ou adhérer à un syndicat (C. trav., art. L. 2141-2 N° Lexbase : L2147H9E). Sans doute cette possibilité doit-elle être, d'ailleurs, étendue à tout ancien professionnel et non seulement aux seuls anciens salariés, nonobstant la lettre du texte.
Si l'exercice d'une activité est nécessaire pour que l'on puisse considérer qu'il y a profession, elle n'est pas suffisante. Il faut, encore, que cette activité soit rémunérée. C'est ce que confirme la Cour de cassation dans l'arrêt rapporté.
En l'espèce, le Syndicat des producteurs du miel de France (SPMF) avait saisi le juge afin qu'il soit fait interdiction à l'Union nationale de l'apiculture française (UNAF) et au Syndicat national de l'apiculture (SNA) de se présenter sous la dénomination de syndicat ou d'union de syndicats, faute de réunir exclusivement des personnes exerçant habituellement l'activité professionnelle d'apiculteur au sens du droit fiscal. Débouté de ses demandes en appel, le SPMF a formé un pourvoi en cassation. A l'appui de celui-ci, il était avancé que la condition de concourir à l'établissement d'un produit déterminé, serait-ce en vendant ce produit et en en retirant des revenus occasionnels, n'est pas suffisants pour satisfaire aux exigences de ce texte, de sorte qu'en statuant par les motifs qui reviennent à faire abstraction de la condition, par ailleurs, énoncée par l'article L. 411-2 (L. 2131-2, nouv.) du Code du travail, relative à la qualité de professionnel des membres d'un syndicat, la cour d'appel a méconnu les dispositions de ce texte.
Cette argumentation est écartée par la Cour de cassation qui affirme que "c'est à bon droit que la cour d'appel a retenu que l'article L. 411-2, devenu l'article L. 2131-2 du Code du travail, qui suppose l'existence d'activités rémunérées à l'exclusion des activités désintéressées ou philanthropiques, ne distingue pas selon que ces activités sont exercées à titre exclusif, accessoire ou occasionnel, ni selon que les revenus qui en sont tirés constituent un revenu principal ou accessoire de sorte que peuvent constituer un syndicat tous les producteurs de miel et que doit être considéré comme tel tout apiculteur qui commercialise ses produits".
Ce motif de principe est riche d'enseignements. La Cour de cassation confirme qu'il ne saurait y avoir de profession, au sens de l'article L. 2131-2 du Code du travail, sans l'exercice d'une activité rémunérée. Par suite, des personnes exerçant une activité désintéressée ou philanthropique ne sauraient constituer un syndicat, pas plus qu'elles ne peuvent y adhérer. De même, on s'accordera, avec la Cour de cassation, pour considérer qu'il n'y a pas lieu de tenir compte du fait que l'activité rémunérée est exercée à titre exclusif ou accessoire, ni que les revenus qui en sont tirés constituent un revenu principal ou accessoire. Il importe seulement que l'activité soit rémunérée.
En revanche, on pourra s'étonner de l'affirmation selon laquelle il importe, également, peu que l'activité soit exercée à titre occasionnel. On pouvait, en effet, penser, avec le Professeur Frossard (v. supra) que la "profession" devait s'entendre d'une activité habituelle et non point simplement occasionnelle. La Cour de cassation n'est pas de cet avis, ce qui conduit à une certaine extension de la notion de profession. Les faits de l'espèce démontrent, cependant, que cette position n'est pas dénuée de pertinence. En effet, ainsi que le souligne la Chambre sociale, doit être considéré comme producteur de miel, tout apiculteur qui commercialise ses produits. Or, cette production, et par voie de conséquence la commercialisation des produits qui en résulte, peut effectivement n'être qu'occasionnelle sans que, pour autant, ce fait interdise la reconnaissance d'une profession et, donc, la constitution d'un syndicat destiné à défendre les intérêts de cette profession.
II - Le regroupement des syndicats
Les syndicats constitués localement peuvent se regrouper et constituer, selon la terminologie du législateur des "unions" (C. trav., art. L. 2133-1 N° Lexbase : L2129H9Q à L. 2133-3, qui constituent un chapitre III intitulé "Unions de syndicats"). Cette liberté de regroupement des syndicats est, également, affirmée par l'article 5 de la Convention n° 87 de l'OIT, relative à la liberté syndicale et à la protection du droit syndical, qui précise que les organisations syndicales ont le droit de former d'autres groupements (1). Le regroupement des syndicats conduit à la constitution d'unions, de fédérations et de confédérations.
Il va de soi qu'une union de syndicats ne peut être constituée que de syndicats professionnels au sens de la loi, c'est-à-dire remplissant les exigences de l'article L. 2131-2 du Code du travail. En l'espèce, il était reproché à l'arrêt attaqué d'avoir débouté le SPMF de sa demande tendant à voir interdire au SNA et à l'UNAF de se présenter sous la dénomination de syndicat après avoir constaté qu'il résultait de leurs statuts que ceux-ci ne pouvaient avoir pour membres que des groupements constitués en syndicats, d'où il se déduisait que ces entités pouvaient avoir, tout au plus, la qualité d'unions de syndicats et non de syndicats. Une telle argumentation n'est pas recevable. En effet, il ne peut y avoir d'union de syndicats au sens de la loi que si celle-ci résulte du regroupement de syndicats professionnels. Par voie de conséquence, l'absence de syndicats professionnels interdit toute qualification d'union de syndicats.
Il convient, en outre, de relever que, en vertu de l'article L. 2133-3 du Code du travail (N° Lexbase : L2133H9U), "les unions de syndicats jouissent de tous les droits conférés aux syndicats professionnels par le présent titre". Cela démontre qu'il ne saurait y avoir de différences de nature entre les syndicats et les unions qu'ils constituent. Par voie de conséquence, on est tenté de dire qu'il importe peu que le groupement visé soit qualifié de syndicat ou d'union de syndicats.
(1) Cet article dispose précisément que "les organisations de travailleurs et d'employeurs ont le droit de constituer des fédérations et des confédérations, ainsi que celui de s'y affilier, et toute organisation, fédération ou confédération a le droit de s'affilier à des organisations internationales de travailleurs et d'employeurs".
Décision
Cass. soc., 13 janvier 2009, n° 07-17.692, Syndicat des producteurs du miel de France (SPMF) c/ Union nationale de l'apiculture française (UNAF) et a., FS-P+B+R (N° Lexbase : A3401ECX) Rejet, CA Paris, 1ère ch., sect. A, 29 mai 2007, n° 06/03788, Syndicat des producteurs du miel de France (SPMF) (N° Lexbase : A0049DX4) Textes concernés : Convention n° 87 de l'OIT relative à la liberté syndicale et à la protection du droit syndical, art. 2 et 5 ; C. trav., art. L. 2131-2 (N° Lexbase : L2110H9Z) Mots-clefs : syndicats ; constitution ; conditions ; profession ; notion ; regroupement ; unions. |
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Réf. : Cass. com., 16 décembre 2008, n° 07-13.081, Comptable des impôts de Menton, chargé du recouvrement, agissant sous l'autorité du directeur des services fiscaux des Alpes Maritimes et du directeur général des impôts, FS-P+B (N° Lexbase : A8963EBL)
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N3650BIZ
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par Laura Sautonie-Laguionie, Maître de conférences à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV, Membre du CERDAC (Centre d'enseignement et de recherche en droit des affaires et des contrats)
Le 07 Octobre 2010
En l'espèce, le 15 mai 1995, une SCI a acquis un programme immobilier. Se plaçant sous le régime des marchands de biens, elle s'est engagée à revendre les biens avant le 15 mai 2000. Ayant opté pour le régime de TVA, par application des dispositions des articles 242-0-A (N° Lexbase : L0925HNL) et suivants de l'annexe II au Code général des impôts, elle a obtenu un remboursement de crédit de TVA. Le 16 novembre 1999, la SCI a été placée en redressement judiciaire assorti d'un plan de continuation prorogé jusqu'au 16 octobre 2003. A la suite d'une vérification de comptabilité en mars 2002, l'administration fiscale a considéré que certains biens immobiliers, n'ayant pas été revendus dans le délai légal de cinq ans, étaient sortis du champ de la TVA immobilière et constituaient des livraisons à soi-même. A ce titre, elle a notifié un redressement de TVA. La SCI, le représentant des créanciers ainsi que le commissaire à l'exécution du plan, se sont alors opposés au paiement de cette créance, en soutenant qu'il s'agissait d'une créance antérieure qui se trouvait éteinte faute d'avoir été déclarée dans les délais à la procédure.
Cette thèse, consacrée en appel, est rejetée par la Cour de cassation au visa des articles L. 621-32 (N° Lexbase : L6884AIS) et L. 621-43 (N° Lexbase : L6895AI9) du Code de commerce (dans leur rédaction antérieure à la loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005, de sauvegarde des entreprises N° Lexbase : L5150HGT), ensemble les articles 257-7° et 257-8°-1-c du Code général des impôts (N° Lexbase : L3554IAU), au motif que "la taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé l'acquisition d'un immeuble est regardée comme déductible tant que cet immeuble demeure, pendant la durée du délai de cinq ans fixée à l'article 257-7° du Code général des impôts, destiné à la vente ; que l'immeuble invendu à l'expiration de ce délai, changeant d'affectation, sort du champ d'application de cet article ; qu'à défaut d'un reversement de la taxe sur la valeur ajoutée, celle-ci est due au titre d'une livraison à soi-même de l'immeuble resté en stock, en application des dispositions de l'article 258-8°-1 du même code". Elle reproche donc à la cour d'appel d'avoir retenu que le fait générateur de la créance de l'administration fiscale était antérieur à l'ouverture de la procédure collective, et d'en avoir déduit que, faute de déclaration dans le délai et de relevé de forclusion, la créance était éteinte, alors que ce fait générateur était l'expiration du délai de cinq ans. Ce délai ayant expiré après le jugement d'ouverture, la créance de l'administration n'était pas une créance antérieure et n'avait donc pas à être déclarée. En conséquence la Cour casse et annule l'arrêt d'appel pour violation des textes susvisés.
Cet arrêt de principe du 16 décembre 2008 montre que, en cas de procédure collective, le sort d'une créance est étroitement lié à la date de son fait générateur. En l'espèce, le caractère postérieur du fait générateur de la créance de TVA permet à l'administration fiscale d'échapper à l'extinction de sa créance, et de bénéficier automatiquement du traitement privilégié réservé aux créances postérieures. Du moins en allait-il ainsi avant la loi du 26 juillet 2005, qui n'était pas applicable en l'espèce. Désormais, le privilège n'est plus attribué à toutes les créances postérieures mais seulement à celles d'entre elles qui satisfont à des critères complémentaires, fondés sur la finalité de la créance. Dès lors, si l'arrêt du 16 décembre 2008 conduit à privilégier une créance de TVA au seul titre du caractère postérieur de son fait générateur (I), le traitement privilégié d'une telle créance paraît, en revanche, incertain sous l'empire de la loi du 26 juillet 2005 (II).
I - Le traitement privilégié d'une créance de TVA au titre de son fait générateur postérieur
En l'espèce, l'identification du fait générateur de la créance de TVA posait une difficulté car, pour le recouvrement des mêmes sommes, l'administration fiscale pouvait en réalité agir sur deux fondements. Un reversement de TVA immobilière était dû car les biens à raison desquels un droit à déduction avait été exercé n'en remplissaient plus les conditions. Or, en tant que telle, la créance de reversement de TVA trouvait certainement son origine antérieurement au jugement d'ouverture et constituait, comme l'a retenu la cour d'appel, une créance antérieure. Néanmoins, cet arrêt a, à juste titre, été cassé, car les textes du Code général des impôts permettent à l'administration de percevoir le reversement de la TVA, non en tant que tel, mais au titre d'une nouvelle créance, née du changement d'affectation du bien qui justifie l'application d'un autre régime d'imposition : la livraison à soi-même.
A - Un traitement privilégié exclu au titre d'un reversement de la TVA
Placée sous le régime des marchands de biens, la SCI bénéficiait, au titre du programme immobilier acquis, d'un droit à déduction de TVA, ce qui, en l'espèce, lui avait permis d'obtenir le remboursement d'un crédit de TVA. Toutefois, ce droit à déduction de la TVA n'était pas définitif puisqu'il était subordonné à la revente des biens acquis dans un délai de cinq ans. La SCI était donc titulaire d'un droit à déduction de la TVA sous condition résolutoire, à savoir le défaut de revente des biens dans le délai légal. Cette qualification permet d'identifier les droits de chacune des parties, conformément aux dispositions de l'article 1183, alinéa 2, du Code civil (N° Lexbase : L1285AB9). Selon ce texte, la condition résolutoire "ne suspend point l'exécution de l'obligation", ce qui permettait à la SCI d'obtenir une exécution immédiate de son droit à déduction de TVA. Mais, toujours selon l'alinéa 2 de l'article 1183, la condition résolutoire "oblige le créancier à restituer ce qu'il a reçu, dans le cas où l'évènement prévu par la condition arrive". Ainsi, comme tout débiteur d'une créance sous condition résolutoire, l'administration fiscale était corrélativement dans la situation d'un créancier sous condition suspensive : elle avait le droit d'obtenir le reversement de la TVA si les biens concernés n'étaient pas revendus dans le délai légal.
En conséquence, l'administration fiscale était titulaire d'une créance née avant la procédure collective, même si, à cette date, l'exigibilité de cette créance était encore incertaine. Comme l'a retenu la cour d'appel, le fait générateur de cette créance résultait de la première opération ouvrant droit au versement de la TVA déductible, soit en l'espèce la date d'acquisition du programme immobilier. Dès cette date, l'administration disposait d'une créance sous condition suspensive, et il lui appartenait donc, à l'ouverture de la procédure collective, d'en faire déclaration. Pour cela, il lui suffisait d'identifier les biens non encore vendus à cette date et de déclarer sa créance de reversement de TVA à titre provisionnel, par application de l'ancien article L. 621-43 du Code de commerce (2).
En dépit de cette analyse, la cassation de l'arrêt d'appel était inévitable dans la mesure où, en l'espèce, l'administration fiscale n'agissait pas au titre d'un reversement de TVA mais au titre d'une nouvelle créance de TVA, née du changement d'affectation du bien non vendu à l'expiration du délai légal.
B - Un traitement privilégié fondé sur une nouvelle créance de TVA
Selon la Cour de cassation, lorsque le bien ayant justifié la déduction de TVA n'a pas été revendu dans le délai légal, ce bien "changeant d'affectation, sort du champ d'application de [l'article 257-7° du Code général des impôts] ; à défaut d'un reversement de la taxe sur la valeur ajoutée, celle-ci est due au titre d'une livraison à soi-même de l'immeuble resté en stock", par application de l'article 258-8°-1-c du même code. Autrement dit, à défaut de revente du bien dans le délai, le débiteur peut procéder au reversement de la TVA. Mais si tel n'est pas le cas, le Code général des impôts ouvre un nouveau droit à l'administration, qui n'est pas un droit au reversement de la TVA, mais le droit de percevoir la TVA au titre d'une livraison à soi-même. Or ce nouveau droit résulte, selon la Cour, du changement d'affectation du bien, qui marque l'assujettissement de celui-ci à un nouveau régime fiscal. C'est donc le changement d'affectation du bien qui constitue le fait générateur de la créance de TVA due au titre d'une livraison à soi-même.
Ce changement d'affectation se produisant au jour où les biens concernés ne remplissent plus les conditions ayant justifié le droit à déduction de la TVA, la nouvelle créance fiscale a pour fait générateur l'expiration du délai légal de revente. En l'espèce, ce délai ayant expiré après le jugement d'ouverture de la procédure collective, la Cour de cassation en déduit logiquement que la créance de l'administration fiscale n'était pas une créance antérieure à la procédure.
On constatera que la combinaison des textes applicables fournit une belle occasion à l'administration fiscale d'échapper à l'extinction de sa créance. En effet, sa créance de reversement de TVA, faute d'avoir été déclarée, était forclose ce qui, en l'état du droit alors applicable, emportait son extinction (3). Mais, pouvant se prévaloir d'une créance nouvelle, née postérieurement à l'ouverture de la procédure collective, l'administration échappe non seulement à la forclusion, mais bénéficie, dans le même temps, du régime favorable des créances postérieures : dispense de déclaration et, surtout, droit immédiat au paiement ou, à défaut, classement privilégié de la créance.
Si elle est incontestable d'un point de vue technique, la solution rendue pervertit, néanmoins, quelque peu la finalité du privilège des créances postérieures. Ce privilège est censé, d'une part, ne pas profiter à ceux dont le droit de créance était déjà né avant la procédure collective, et, d'autre part, bénéficier aux seules créances postérieures utiles à la poursuite de l'activité ou à la procédure (4). Or, sur le premier point, on admettra que la nouvelle créance de l'administration fiscale lui permet en réalité de percevoir des sommes qui, sur le principe, lui étaient déjà dues avant l'ouverture de la procédure collective. Quant au second point, l'utilité de la créance pour la procédure collective paraît discutable, ce qui, sous l'empire de la loi du 26 juillet 2005, pourrait conduire à écarter tout privilège pour l'administration fiscale dans une telle hypothèse.
II - Un traitement privilégié devenu incertain sous la loi du 26 juillet 2005
Depuis l'entrée en vigueur de la loi du 26 juillet 2005, il ne suffit plus qu'une créance ait un fait générateur postérieur au jugement d'ouverture pour bénéficier d'un traitement privilégié. Outre ce critère chronologique, qui est maintenu (5), le nouvel article L. 622-17 du Code de commerce (N° Lexbase : L3876HB8) (6) pose un critère téléologique qui suppose d'apprécier la finalité de la créance postérieure. Sont seules privilégiées les créances "nées pour les besoins du déroulement la procédure ou de la période d'observation, ou en contrepartie d'une prestation fournie au débiteur, pour son activité professionnelle, pendant cette période". L'ordonnance n° 2008-1345 du 18 décembre 2008, portant réforme du droit des entreprises en difficultés (N° Lexbase : L2777ICT), supprime, pour sa part, pour les procédures ouvertes après le 15 février 2009, la référence à l'activité professionnelle, s'agissant des créances nées en contrepartie d'une prestation fournie au débiteur (7).
La portée de l'arrêt du 16 décembre 2008 sous l'empire du nouveau droit des procédures collectives suppose d'apprécier la finalité de la créance de TVA, due au titre d'une livraison à soi-même. Faute de satisfaire au nouveau critère téléologique, cette créance ne devrait plus bénéficier du privilège, ce qui pose plus largement la question de la limitation du nombre des créances fiscales privilégiées.
A - L'appréciation nouvelle de la finalité de la créance de TVA
Bien avant la réforme de la loi du 26 juillet 2005, le traitement privilégié des créances au seul titre de leur fait générateur postérieur au jugement d'ouverture était largement critiqué. Il a été relevé que ce privilège, qui déroge au principe d'égalité des créanciers, n'est légitime que s'il est tenu compte de la finalité de la créance (8), ou plus exactement de la finalité de l'opération qui en est la source (9). Il a principalement été avancé qu'une créance ne peut être privilégiée que si elle est liée à la poursuite d'activité (10) ou si elle est née des besoins de la procédure (11). En subordonnant le privilège des créances postérieures à un nouveau critère téléologique, la loi du 26 juillet 2005 a semblé consacrer les voeux ainsi formulés. Le résultat n'est, toutefois, pas pleinement satisfaisant. En identifiant les créances privilégiées comme les créances postérieures nées pour les besoins du déroulement de la procédure ou de la période d'observation ou en contrepartie d'une prestation fournie au débiteur, le législateur n'a pas suffisamment clarifié le domaine du privilège des créances postérieures. Les créances privilégiées sont classées dans trois catégories dont les contours sont flous, au point qu'il est parfois difficile de déterminer si une créance postérieure y trouve sa place. Il en va ainsi de la créance de TVA qui, en tant que créance légale, se prête mal à une telle classification.
Il paraît, tout d'abord, difficile de retenir que la créance de TVA est née en contrepartie d'une prestation fournie au débiteur. Il s'agit ici de privilégier ceux qui ont fourni au débiteur une prestation en tant que telle mais aussi un bien ou un service (12). Cette catégorie semble avoir été créée pour les créances contractuelles, même s'il est possible d'y faire entrer d'autres créances résultant d'une prestation, telle une indemnité d'occupation (13). Les créances fiscales doivent en être exclues dans la mesure où elles n'ont pas leur cause dans une prestation fournie au débiteur : elles ne sont pas la contrepartie d'une prestation mais une charge imposée par la loi. Tout en relevant que de telles créances ne satisfont pas à la lettre du texte, certains auteurs considèrent, néanmoins, qu'elles doivent être intégrées dans cette catégorie car "on voit mal [...] que la loi de sauvegarde ait entendu permettre au débiteur en sauvegarde, redressement ou liquidation de ne pas payer ses impôts"(14). Il ne s'agit, toutefois, pas d'admettre qu'un débiteur en procédure collective ne paie pas ses impôts mais seulement de déterminer si ce paiement doit être un paiement privilégié ou soumis aux règles ordinaires de déclaration fondées sur le principe d'égalité des créanciers. Dans la mesure où la place des créances fiscales ne ressort pas clairement de la lettre de l'article L. 622-17 (N° Lexbase : L3876HB8), la seule voie possible est d'en identifier le contenu d'après son esprit. A ce titre, la catégorie des créances nées en contrepartie d'une prestation fournie au débiteur convient mal aux créances fiscales. D'une part, l'intégration de ces créances dans cette catégorie suppose un véritable forçage du texte qui se réfère à la contrepartie d'une prestation. D'autre part, une telle interprétation conduit à intégrer toutes les créances fiscales postérieures dans le domaine du privilège, et c'est alors prendre le risque de retrouver les dérives que la loi du 26 juillet 2005 est censée corriger. Ce risque est d'autant plus grand à la suite de l'ordonnance du 18 décembre 2008 qui, en supprimant la référence à l'activité professionnelle du débiteur, permet aux créances nées en contrepartie d'une prestation fournie au débiteur pour ses besoins personnels d'être privilégiées (15). Placées dans cette catégorie, les créances fiscales postérieures, qu'elles soient dues au titre de l'activité professionnelle ou des besoins personnels du débiteur, seraient alors toutes privilégiées.
Il ne paraît pas davantage possible d'inclure les créances fiscales dans la catégorie des créances nées pour les besoins du déroulement de la procédure. Celle-ci vise les frais judiciaires entendus lato sensu, c'est-à-dire les frais liés à la mise en mouvement de l'institution judiciaire et de ses auxiliaires (16).
Reste alors la catégorie des créances nées pour les besoins de la période d'observation. Si l'on admet qu'il s'agit d'une catégorie distincte de la précédente, elle doit couvrir des créances autres que celles nées pour les besoins du déroulement de la procédure (17). Les textes posant un principe de maintien de l'activité pendant la période d'observation (18), les créances nées pour les besoins de cette période comprennent au moins les différentes créances générées par le maintien de l'activité professionnelle (19). Or, de même que doivent être privilégiés ceux qui se voient imposer la poursuite d'un contrat en cours, doivent être privilégiés ceux dont les droits naissent automatiquement de l'activité poursuivie (20). Entrent alors dans cette catégorie les créances fiscales dont le fait générateur découle de la poursuite de l'exploitation pendant la période d'observation. Cette analyse conduit à limiter les créances fiscales privilégiées.
B - La limitation consécutive des créances fiscales privilégiées
En premier lieu, quel est le sort, comme en l'espèce, d'une créance de TVA due au titre d'une livraison à soi-même ? Une telle créance n'apparaît pas comme une charge liée au maintien de l'activité professionnelle pendant la période d'observation mais comme une créance née du changement d'affectation d'un bien après l'ouverture de la procédure collective. Postérieure au jugement d'ouverture, cette créance n'a pas pour autant à bénéficier d'un statut de faveur dans un contexte de procédure collective qui postule l'égalité des créanciers. La solution de l'arrêt du 16 décembre 2008 ne devrait donc pas être reconduite sous la loi nouvelle, une telle créance relevant, par conséquent, du régime des créances postérieures non privilégiées qui désormais doivent être déclarées (21).
En second lieu, quel est le sort des autres créances fiscales ? Si l'on retient que seules les créances nées du maintien de l'activité professionnelle pendant la période d'observation satisfont aux critères légaux du privilège, il faut distinguer au sein des créances fiscales selon qu'elles sont liées ou non à l'exploitation.
Les créances fiscales liées à l'exploitation peuvent être regroupées en deux catégories.
La première est celle des créances fiscales liées à l'exercice de l'activité professionnelle. Celles dont le fait générateur est postérieur au jugement d'ouverture seront alors privilégiées.
Il en va ainsi pour l'impôt sur les sociétés ou l'impôt sur le revenu. Deux précisions sont, toutefois, nécessaires. Tout d'abord, s'agissant de l'impôt sur le revenu, seule la fraction d'impôt due au titre des bénéfices (catégorie des BIC, BA ou BNC) devrait être privilégiée puisqu'il s'agit là de la seule créance fiscale due au titre de la poursuite d'activité. Mais l'impôt sur le revenu étant un impôt global, on voit mal en pratique comment identifier cette fraction pour y limiter le privilège. Ensuite, seul l'impôt dû au titre du maintien de l'activité pendant la période d'observation doit être privilégié. Or, en droit fiscal, le principe d'annualité conduit à retenir une appréciation formelle du fait générateur de ces impôts, date d'expiration de l'année civile pour l'impôt sur le revenu ou date de clôture de l'exercice comptable pour l'impôt sur les sociétés (22). Cette appréciation formelle du fait générateur n'est toutefois guère satisfaisante en cas de procédure collective : si une procédure est ouverte le 1er décembre 2008, il n'y a pas lieu de privilégier tout l'impôt dû au titre de l'année 2008 alors même que le 31 décembre survient pendant la période d'observation. Sans doute convient-il dans ce contexte de retenir une approche plus substantielle du fait générateur de l'impôt pour apprécier sa cause, sa raison d'être. Cela conduit alors, tout en retenant un fait générateur au 31 décembre ou à la clôture de l'exercice comptable, à fractionner prorata temporis l'impôt dû, pour ne privilégier que la somme correspondant à l'imposition des bénéfices dégagés par l'activité pendant la période d'observation (23).
La catégorie des créances fiscales liées à l'exploitation comprend ensuite la TVA due au titre de la poursuite d'une activité économique, à savoir la TVA due au titre de livraisons de biens ou de prestations de services pendant la période d'observation. De même, la taxe professionnelle doit être privilégiée si son fait générateur (existence de l'entreprise au 1er janvier) est postérieur au jugement d'ouverture. Enfin, les cotisations sociales et les taxes sur les salaires, dues au titre de l'activité pendant la période d'observation, doivent également être privilégiées.
La seconde catégorie des créances fiscales liées à l'exploitation vise les impôts dus à raison d'un bien affecté à l'exploitation. Ainsi, la taxe foncière d'un immeuble affecté à l'exploitation doit être privilégiée si son fait générateur (1er janvier, selon l'article 1415 du Code général des impôts N° Lexbase : L3728IC3) est postérieur au jugement d'ouverture. Certains contestent le fait qu'un tel impôt soit né pour une opération de la période d'observation (24). Pourtant, dès lors qu'il est affecté à l'exploitation, l'immeuble est l'un des éléments nécessaires à la poursuite de l'activité pendant cette période (25).
Les créances fiscales qui ne sont pas liées à l'exploitation pendant la période d'observation doivent être exclues du domaine du privilège. Il s'agit là d'impôts dus à titre personnel par le débiteur. Il en va ainsi de la taxe foncière ou de la taxe d'habitation due au titre du logement personnel du débiteur (26), ou encore de l'impôt de solidarité sur la fortune, au titre duquel les biens professionnels sont exonérés.
La limitation du domaine du privilège des créances postérieures introduite par la loi du 26 juillet 2005 avait, notamment, pour but d'inciter les créanciers à contracter avec une entreprise en procédure collective, en les assurant d'un privilège plus efficace bénéficiant aux seules créances utiles à la procédure ou à la poursuite d'activité (27). Face à l'imprécision du critère téléologique retenu, et faute d'une clarification par l'ordonnance du 18 décembre 2008, c'est, désormais, à la jurisprudence qu'il revient d'identifier quelles sont les créances postérieures privilégiées, en espérant qu'elle prenne garde à ne pas rétablir l'ensemble des solutions antérieures, alors dictées par la seule considération du fait générateur de la créance et non de sa finalité.
(1) D., 2009, act. jur., p. 164, obs. A. Lienhard ; Dr. Fiscal, 2009, n° 4, comm. 87.
(2) Devenu l'article L. 622-24 du Code de commerce (N° Lexbase : L3744HBB).
(3) Ancien article L. 621-46, alinéa 4, du Code de commerce (N° Lexbase : L6898AIC).
(4) Pour ce fondement du privilège, avant même la loi du 26 juillet 2005, v. M. Cabrillac et Ph. Pétel, JCP éd. E, 2003, 1396, n° 16.
(5) Tout comme le critère de régularité de la créance.
(6) Applicable à la sauvegarde, et, sur renvoi de l'article L. 631-14 (N° Lexbase : L4025HBP), au redressement judiciaire. Adde, au stade de la liquidation, l'article L. 641-13 du Code de commerce (N° Lexbase : L3904HB9), qui retient les mêmes critères, en procédant aux adaptations nécessaires.
(7) V. les articles 29 et 107 de l'ordonnance qui modifient respectivement les articles L. 622-17 et L. 641-13 du Code de commerce.
(8) C. Saint-Alary-Houin, La date de naissance des créances en droit des procédures collectives, LPA, 9 novembre, 2004, n° 224, p. 11 et s., spéc. n° 23.
(9) V. F. Pérochon et R. Bonhomme, Entreprises en difficulté Instruments de crédit et de paiement, LGDJ, 7ème éd., 2006, n° 303.
(10) V., notamment, Y. Guyon, Droit des affaires, tome II, 8ème éd., 2001, n° 2148. Adde, le rapport annuel de la Cour de cassation, pour 2002, p. 30.
(11) V. Ph. Pétel, Pour une relecture de l'article L. 621-32 du Code de commerce (ancien article 40 de la loi du 25 janvier 1985), Mélanges en l'honneur de Y. Guyon, Dalloz, 2003, p. 917 et s. ; C. Saint-Alary-Houin, art. préc. n° 23.
(12) V. F. Pérochon et R. Bonhomme, op. cit., n° 312.
(13) Ibid..
(14) M. Jeantin et P. Le Cannu, Droit commercial. Entreprises en difficulté, Dalloz, 7ème éd., 2006, n° 770.
(15) V., en ce sens, le rapport remis au Président de la République sur l'ordonnance n° 2008-1345. Comp. l'actuel article L. 622-7 du Code de commerce, qui permet le paiement immédiat des seules créances liées aux besoins de la vie courante du débiteur personne physique et des créances alimentaires.
(16) V. F. Gréau, Pour un véritable privilège de procédure, LPA, 12 juin 2008, n° 118, p. 4 et s., n° 16.
(17) V. en ce sens, M. Jeantin et P. Le Cannu, op. cit., n° 767.
(18) V., pour la sauvegarde, article L. 622-9 du Code de commerce (N° Lexbase : L3868HBU) ; également applicable sur renvoi de l'article L. 631-14 au redressement judiciaire. Au titre de la liquidation, les créances visées sont celles nées "pour les besoins, le cas échéant, de la période d'observation antérieure", laquelle a donc bien supposé, au titre des textes précités, une poursuite de l'activité.
(19) Rappr. F. Pérochon et R. Bonhomme, op. cit., n° 303 et s., qui traitent du privilège des créances postérieures au titre "du financement de la période d'observation".
(20) Comp. F. Gréau, Pour un véritable privilège de procédure, art. préc., selon lequel le privilège a pour fondement de récompenser, outre les créanciers auxquels la poursuite du contrat est imposée, les seuls créanciers ayant volontairement décidé de contracter avec l'entreprise en difficulté. Cela conduit l'auteur, en matière fiscale, à écarter toutes les créances fiscales du domaine du privilège, sauf celles de TVA ou de cotisations salariales, au motif que "l'entreprise n'est pas le véritable débiteur mais collecte ces sommes pour le compte du consommateur final ou du salarié" (n° 32).
(21) C. com., art. L. 622-24, al. 5 (N° Lexbase : L3744HBB).
(22) V., en ce sens, Cass. com. 16 décembre 2008, n° 08-12.142, Société Network music group, F-P+B (N° Lexbase : A9237EBQ) qui, en conséquence, refuse de déterminer le sort de la créance due au titre de l'impôt sur les sociétés dans une procédure collective en référence à la date de perception de l'impôt.
(23) V. en ce sens, F. Pérochon et R. Bonhomme, op. cit. n° 314-1.
(24) V. F. Pérochon et R. Bonhomme, op. cit., n° 314-1.
(25) Rappr. C. Saint-Alary-Houin, Droit des entreprises en difficulté, Domat-Montchrestien, 5ème éd., 2006, n° 604.
(26) V. en ce sens, Ph. Pétel, art. préc. ; C. Saint-Alary-Houin, op. cit., n° 604.
(27) Rappr. F. Pérochon et R. Bonhomme, op. cit., n° 303 et 304.
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Réf. : CE 1° et 6° s-s-r., 17 décembre 2008, n° 305409, M. Falcoz (N° Lexbase : A8857EBN)
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par Frédéric Dieu, commissaire du Gouvernement près la cour administrative d'appel de Marseille
Le 07 Octobre 2010
I - Bien que les propriétaires bénéficient, en principe, du droit de reconstruire à l'identique leurs immeubles involontairement détruits...
A - En affirmant en principe le droit à reconstruction, la "loi SRU" a fait de l'exception la règle
1 - La situation antérieure à l'adoption de la "loi SRU"
Antérieurement à la loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000, relative à la solidarité et au renouvellement urbains (N° Lexbase : L9087ARY), dite "loi SRU", la question de la reconstruction d'un bâtiment ayant subi un sinistre ne faisait l'objet d'aucune disposition expresse dans le Code de l'urbanisme : seules les dispositions relatives à certaines contributions d'urbanisme visaient à exonérer le propriétaire ayant procédé à la reconstruction d'un certain nombre de taxes et contributions d'urbanisme (1). Ainsi, puisque l'existence antérieure d'une construction ne créait aucun droit au profit de son propriétaire, le permis de construire sollicité par ce dernier en vue de la reconstruction d'un bâtiment sinistré était instruit comme une demande ordinaire, ce qui signifie que toutes les dispositions législatives et réglementaires en vigueur à la date d'instruction de la demande de reconstruction lui étaient opposables. Or, entre la date d'édification de la construction en cause et la date de la demande de reconstruction de celle-ci, les dispositions d'urbanisme avaient pu évoluer défavorablement pour le propriétaire.
2 - Origine et objet du droit de reconstruction à l'identique
Le droit de reconstruction à l'identique, issu de l'article 207 de la "loi SRU" et d'un amendement déposé par le sénateur Hérisson (amendement n° 804 adopté par le Sénat lors de la séance du 18 mai 2000), a d'abord eu pour but de remédier aux conséquences de la tempête qui avait dévasté une grande partie de la France à la fin du mois de décembre 1999 : il s'agissait d'éviter que les propriétaires de maison détruites par un évènement climatologique exceptionnel se voient opposer des dispositions nouvelles plus restrictives.
Aux termes du nouvel article L. 111-3 du Code de l'urbanisme, "la reconstruction à l'identique d'un bâtiment détruit par un sinistre est autorisée nonobstant toute disposition d'urbanisme contraire, sauf si la carte communale ou le plan local d'urbanisme en dispose autrement, dès lors qu'il a été régulièrement édifié". L'article L. 111-3 met donc en place un système de hiérarchie des normes à la fois complexe et paradoxal puisqu'il affirme -et il s'agit d'un principe énoncé dans un texte de loi- que la reconstruction à l'identique d'un bâtiment détruit par sinistre est un droit, que ce droit s'applique "nonobstant toute disposition d'urbanisme contraire" (ce qui signifie que les autres dispositions législatives et, à plus forte raison, réglementaires, ne peuvent y faire obstacle) aux constructions "qui ont été régulièrement édifiées" (c'est-à-dire édifiées en vertu d'un permis de construire définitif ou avant l'instauration des autorisations de bâtir), tout en réservant aux autorités locales la possibilité d'interdire le droit de reconstruire. En effet, ce droit s'applique "sauf si la carte communale ou le plan local d'urbanisme en dispose autrement".
Si donc le législateur n'a pas voulu que des dispositions d'urbanisme -aussi bien de valeur législative que réglementaire- fassent échec, en règle générale, au droit de reconstruire, et s'il a, ainsi, institué une disposition spéciale qui déroge à toutes les autres, il n'a pas voulu, non plus, que le principe spécial se développe alors que des situations locales peuvent nécessiter des restrictions, voire une interdiction pure et simple.
B - Les conditions et le champ d'application du droit de reconstruction à l'identique
1 - Les conditions d'application du droit de reconstruction à l'identique
Comme on l'a vu, le droit de reconstruction à l'identique ne peut s'appliquer qu'à des constructions (initialement) régulièrement édifiées. Il importe donc de distinguer la construction irrégulièrement édifiée de la construction non conforme, c'est-à-dire de la construction édifiée conformément aux prescriptions d'un permis de construire, mais devenue non conforme aux nouvelles règles d'urbanisme. L'appréciation de la régularité d'une construction nécessite de remonter à l'origine de son édification, tandis que l'appréciation de sa conformité s'effectue, le cas échéant, au regard de l'évolution des normes d'urbanisme, de sécurité ou d'environnement, qu'elles soient locales ou nationales. Une construction est donc irrégulière lorsqu'elle a été édifiée sans permis de construire et qu'elle n'a pas été régularisée, ou lorsqu'elle a été édifiée en vertu d'un permis de construire qui a été annulé par le juge administratif ou retiré par l'administration. Le droit de reconstruction vise en outre une reconstruction "à l'identique", ce qui signifie, selon une réponse ministérielle, que le bâtiment devra être reconstruit "tel qu'il avait été initialement autorisé, malgré les évolutions plus restrictives des règles d'urbanisme postérieures à son autorisation" (QE n° 7447 de M. Bouvard Michel, JOANQ du 2 décembre 2002, p. 4549, réponse publ. 17 mars 2003, p. 2040, 12ème législature N° Lexbase : L6395ICT), la même réponse ajoutant que si le projet est différent de la construction d'origine, il "sera apprécié compte tenu des règles d'urbanisme en vigueur lors de la reconstruction".
Au total, dès lors que ses conditions d'application sont réunies, le droit de reconstruction à l'identique bénéficie au propriétaire, nonobstant l'évolution des règles d'urbanisme après la date de construction, et donc malgré le caractère non conforme de cette construction à ces règles en vigueur à la date de la demande de reconstruction. La jurisprudence "Sekler" (CE, 27 mai 1988, n° 79530, Mme Sekler N° Lexbase : A7698APS, au Recueil, p. 223), selon laquelle le permis ayant autorisé des travaux sur une construction non conforme au plan d'occupation des sols est légal si ces travaux rendent l'immeuble plus conforme aux dispositions méconnues, ou sont étrangers à ces dispositions, est donc ainsi écartée. En conséquence, le maire ne pourra pas refuser le permis autorisant la reconstruction au motif que les travaux projetés ne rendent pas l'immeuble plus conforme aux nouvelles dispositions d'urbanisme, ou qu'ils ne sont pas étrangers à ces nouvelles dispositions.
2 - Le champ d'application matériel du droit de reconstruction à l'identique
Le champ d'application matériel du droit de reconstruction à l'identique dépend de l'appréciation portée par le juge sur l'existence, ou non, d'un "sinistre" ayant occasionné la destruction du bâtiment en cause. Le terme de "sinistre" implique, en fait, une destruction involontaire d'un immeuble qui n'était pas en ruine (2). Ainsi, entrent dans la catégorie des sinistres les dégâts causés par des tempêtes (3), des avalanches (4), un attentat (5) ou encore par un incendie (6). En revanche, le fait de procéder volontairement à la démolition d'un édifice existant exclut la qualification de sinistre, et donc le bénéfice du droit de reconstruction à l'identique (7), et il en est de même lorsque la destruction est imputable au préposé du pétitionnaire (8).
Le champ d'application temporel du droit de reconstruction à l'identique est, par ailleurs, étendu, puisque les dispositions de l'article L. 111-3 du Code de l'urbanisme s'appliquent même si le sinistre est intervenu antérieurement à l'entrée en vigueur de la "loi SRU" (CE, 5 mars 2003, n° 252422, M. Lepoutre et autres N° Lexbase : A5057A7G). Ainsi que l'indique le commissaire du Gouvernement dans ses conclusions sous cette décision, "la loi permet simplement, sans disposer pour le passé, de tirer les conséquences pour l'avenir de situations passées".
S'agissant, enfin, du champ d'application personnel du droit de reconstruction à l'identique, il faut souligner que le permis de construire étant attaché à un terrain, et non à une personne, le bénéfice de l'article L. 111-3 peut être revendiqué par le nouveau propriétaire du terrain en cause (QE n° 66640 de Mme Zimmermann Marie-Jo, JOANQ du 7 juin 2005, p. 5729, réponse publ. 20 septembre 2005, p. 8816, 12ème législature N° Lexbase : L6394ICS).
II - ...ce droit s'efface dès lors qu'une disposition d'urbanisme locale fait apparaître que son application pourrait porter atteinte à la sécurité des occupants
A - Outre les dispositions des documents d'urbanisme locaux, les décisions individuelles du maire peuvent faire obstacle à la mise en oeuvre du droit de reconstruction à l'identique
1 - Les dispositions des plans d'occupation des sols ou des plans locaux d'urbanisme peuvent faire obstacle au droit de reconstruction à l'identique
Le droit de reconstruction à l'identique n'est pas absolu, dès lors que le plan local d'urbanisme (9) et la carte d'urbanisme peuvent interdire la reconstruction dans une zone considérée (les documents locaux d'urbanisme ne pouvant, en revanche, désigner les bâtiments pour lesquels la reconstruction est prohibée). Le POS ou le PLU peut, non seulement, interdire totalement la reconstruction après sinistre, mais aussi se contenter de la restreindre en déterminant les secteurs et les cas où la reconstruction est admise et les conditions auxquelles elle est alors soumise : condition tenant au délai de reconstruction (l'article L. 111-3 n'en fixant pas) et au volume des bâtiments, à leur aspect (ce qui revient à accepter la reconstruction, mais pas à l'identique).
Ainsi, selon la jurisprudence, un POS ou un PLU peut, non seulement, exclure le droit de reconstruire mais aussi l'encadrer, notamment en le limitant dans le temps (10). Par ailleurs, le plan d'occupation des sols peut valablement encadrer le droit de reconstruire à l'identique en subordonnant son application à l'absence de changement de destination des bâtiments dont la reconstruction est projetée (CAA Lyon, 2 février 2006, 02LY02286, Préfet de la Savoie N° Lexbase : A6571ECD). Le juge administratif a, également, eu l'occasion de préciser que l'obligation de reconstruire à l'identique s'appliquait aux constructions implantées sur des terrains situés en zone agricole, "alors même que les besoins de l'exploitation impliqueraient la modification des bâtiments" (11). Cet arrêt confirme, ainsi, l'interprétation stricte qui est faite par le juge administratif des conditions présidant à l'application du droit de reconstruction à l'identique : le texte de l'article L. 111-3 ne fait l'objet d'aucune interprétation "progressiste" ou dynamique, ce qui signifie qu'un permis de reconstruire ne peut être délivré pour un bâtiment, certes différent de celui détruit qui existait auparavant sur les lieux, mais mieux adapté aux nécessités de l'entreprise qu'il abrite. Il est vrai qu'en adoptant une telle interprétation, le juge administratif serait, nécessairement, conduit à s'immiscer dans l'appréciation et l'action de l'administration locale.
2 - Lorsqu'elles sont motivées par les risques pesant sur la sécurité des occupants, les décisions individuelles du maire peuvent, également, y faire obstacle
Par un avis de section du 23 février 2005 (CE 1° et 6° s-s-r., 23 février 2005, n° 271270, Mme Hutin N° Lexbase : A8486DGE), le Conseil a précisé et limité par voie jurisprudentielle la portée du dispositif de reconstruction à l'identique. Il résulte de cet avis que les servitudes et règles d'urbanisme de sécurité font obstacle au droit de reconstruire, à la condition qu'elles soient justifiées par la prévention d'un "risque certain et prévisible" (ce qui ne signifie pas "prévu"), et que ce risque "soit de nature à mettre gravement en danger" (et non pas "simplement" en danger) les occupants de l'immeuble dont la reconstruction est projetée. Autrement dit, le critère déterminant est la sécurité des occupants du bâtiment et non celle de ce bâtiment lui-même : ainsi, la seule circonstance qu'un bâtiment coure, par exemple, un risque d'inondation ou d'incendie ne suffit pas à justifier le bénéfice du droit de reconstruction, puisqu'il faut encore s'interroger sur l'ampleur de ce sinistre et sur les conséquences qu'il peut emporter sur la sécurité des occupants.
En outre, le refus du bénéfice de l'article L. 111-3 n'est pas, nécessairement, dépendant de l'approbation préalable d'un document sécuritaire couvrant la zone de situation de l'immeuble sinistré (de type, par exemple, plan de prévention des risques naturels ou technologiques). C'est, d'ailleurs, dans l'hypothèse d'un défaut d'application par le maire de l'article R. 111-2 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L7368HZW) dans l'instruction du permis que le conseil a été interrogé. Or, ce texte du règlement national d'urbanisme ne suppose aucune "pré-délimitation" d'une zone de risque dans un quelconque document, d'urbanisme ou non, puisqu'il peut être appliqué même en l'absence de plan local d'urbanisme ou de carte communale. Par ailleurs, la reconstruction est radicalement impossible si le sinistre la motivant résulte précisément du risque qu'il faut désormais prévenir (ce qui peut être le cas des immeubles situés dans les zones d'avalanches ou dans certaines zones inondables). Toutefois, et bien entendu, si la reconstruction peut être refusée "notamment" lorsque le risque à prévenir est celui qui est la cause du sinistre ayant motivé la demande, elle peut, également, l'être lorsque l'immeuble a été détruit pour une autre cause que celle qui engendre, désormais, le danger grave à prévenir.
B - Le Conseil d'Etat opte pour une interprétation souple, extensive et finaliste de la faculté d'opposition au droit de reconstruction à l'identique
1 - Une interprétation souple et extensive des dispositions d'urbanisme pouvant faire obstacle au droit de reconstruction à l'identique
Dans la décision "Falcoz" du 17 décembre 2008, le Conseil d'Etat a fait prévaloir une interprétation souple et extensive de la faculté d'opposition au droit de reconstruction à l'identique, sur une interprétation stricte de l'article L. 111-3. Le Conseil a, en effet, estimé que les dispositions d'un PPRNP peuvent faire obstacle à ce droit, alors même qu'elles se prononcent uniquement sur le caractère inconstructible de la zone dans laquelle est implanté le bâtiment sinistré. Autrement dit, dès lors que la sécurité publique est en jeu, une assimilation est faite entre construction nouvelle et "construction reconstruite", l'interdiction d'ériger une construction nouvelle valant interdiction de reconstruire une construction sinistrée.
Une interprétation stricte et littérale de l'article L. 111-3, en particulier des termes selon lesquels aucune disposition d'urbanisme contraire ne peut être opposée au droit à reconstruction "sauf si la carte communale ou le plan local d'urbanisme en dispose autrement", aurait conduit à exiger que le PLU eût explicitement écarté le droit à reconstruction (en faisant, en quelque sorte, "écran" à l'application de l'article L. 111-3). C'est, selon nous, cette interprétation qu'a retenue le Conseil dans la décision "Commune de Bagnères-de-Bigorre" (CE 1° et 6° s-s-r., 23 novembre 2005, n° 279721, Commune de Bagnères-de-Bigorre N° Lexbase : A7372DLM), puisque le Conseil considère qu'il résulte des dispositions de l'article L. 111-3 du Code de l'urbanisme que "seuls la carte communale ou le plan local d'urbanisme d'une commune peuvent faire obstacle, par des dispositions expresses, à la reconstruction à l'identique des bâtiments après sinistre" et, qu'en revanche, "alors même qu'une zone de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager constitue une servitude d'utilité publique devant être annexée au plan local d'urbanisme en application de l'article L. 642-2 du Code du patrimoine (N° Lexbase : L3982HCH), un tel document [...] ne peut légalement contenir des dispositions interdisant de telles reconstructions".
Toutefois, dans la décision du 17 décembre 2008, le Conseil d'Etat a été sensible à l'objet de ces plans et à leur dimension de sécurité publique, laquelle, dans la ligne de l'avis "Hutin", justifiait donc qu'un sort particulier leur fût accordé à raison de leur objet même. Le Conseil d'Etat a, ainsi, adopté une interprétation souple et extensive de la faculté d'opposition au droit de reconstruction en considérant que cette opposition pouvait résulter, non seulement, d'une disposition du PLU mais encore d'une disposition du PPRNP annexé à ce PLU.
Dans la décision du 17 décembre 2008, le Conseil d'Etat a estimé que la réserve du PLU ou de la carte communale fixée à l'article L. 111-3 exigeait, simplement, que l'une des dispositions du PLU fît obstacle à la reconstruction à l'identique, cette disposition figurât-elle dans une annexe à ce PLU. Le critère "formel" de cet article (l'opposition explicite au droit à reconstruction dans le document d'urbanisme) est donc apprécié de façon souple, notamment lorsque, comme en l'espèce, l'interdiction de construire est motivée par l'atteinte à la sécurité publique. Dès lors que le PPRNP déclare une zone inconstructible, il fait obstacle au droit à reconstruction de l'article L. 111-3, même s'il n'a pas pris le soin de préciser que le droit à reconstruction était, également, interdit.
2 - Une interprétation finaliste, justifiée par le but de sécurité publique assigné à ces dispositions
Dans ses conclusions sous l'avis "Hutin", Yann Aguila, commissaire du Gouvernement, estimait que "la véritable justification de cette réserve (figurant à l'article R 111-2) tient à la nature même du motif tiré de la sécurité publique. Un tel motif a, au sens propre du terme, un caractère d'ordre public : c'est un impératif auquel on ne peut déroger. L'autorité administrative ne peut pas prendre une décision qui mettrait en danger la sécurité des personnes. Dans cet esprit, le législateur doit être présumé avoir entendu concilier le droit à reconstruire, inspiré par des motifs d'équité, avec les impératifs de la sécurité publique, qui sont de valeur constitutionnelle et dont l'article R. 111-2 se borne à tirer des conséquences dans la partie réglementaire du Code de l'urbanisme".
Or, si la jurisprudence "Hutin" permet de déroger au droit garanti par l'article L. 111-3 en dehors de toute disposition du PLU, dès lors qu'il y a un risque certain et prévisible pour la sécurité des occupants, une telle dérogation doit nécessairement, et à plus forte raison, pouvoir résulter des dispositions spécifiques intégrées au PLU en vue de prévenir de tels risques, telles que les dispositions du PPRNP. La doctrine a, d'ailleurs, tôt fait de considérer que "les servitudes d'utilité publique liées à la sécurité doivent pouvoir s'opposer au droit de reconstruire l'immeuble sinistré" (D. Dutrieux, Reconstruction après sinistre et bâtiment régulièrement édifié, JCP éd. N, 2003, n° 1635). En outre, dans une réponse ministérielle du 28 janvier 2002 (QE n° 65052 de M. Goulard François, JOANQ du 6 août 2001, p. 4468, réponse publ. 28 janvier 2002, p. 472, 11ème législature N° Lexbase : L6393ICR), le ministre de l'Equipement, après avoir indiqué que "le fait qu'un document d'urbanisme rende une zone inconstructible ne suffit pas, en soi, à faire obstacle au droit à reconstruire à l'identique un bâtiment détruit par un sinistre", ajoutait que cela valait "sauf si l'interdiction générale de construire est motivée par une atteinte grave à la sécurité publique". Il est donc toujours loisible à l'autorité locale de refuser une demande de reconstruction sur le fondement de "dispositions générales" justifiées par un motif de sécurité, ce qui signifie que l'administration peut restreindre ce droit, soit en prévoyant une disposition expresse à cet effet (figurant dans le PLU), soit, via, notamment, un PPRNP, en procédant à un classement en zone inconstructible pour des motifs de sécurité. Comme l'indique Isabelle de Silva dans ses conclusions sous la décision "Falcoz" du 17 décembre 2008, "dès lors que la sécurité publique est en jeu, l'interdiction d'ériger une construction nouvelle vaut interdiction de reconstruire une construction sinistrée".
La solution retenue par le Conseil d'Etat est tout à fait cohérente avec l'avis "Hutin" et relève même du bon sens : comment, en effet, pourrait-on imposer, et même permettre, à l'administration d'autoriser le propriétaire d'un bâtiment sinistré à le reconstruire, alors que cette reconstruction ferait courir à ce dernier des dangers pour sa sécurité ? Non seulement l'administration peut, pour des motifs tenant à la sécurité des occupants du bâtiment, refuser la demande de reconstruction mais il nous semble qu'elle doit le faire, sous peine d'engager sa responsabilité, tant administrative que pénale, puisque la responsabilité pénale de l'autorité administrative risquerait d'être engagée en cas d'atteinte à la sécurité des biens et des personnes, seul un ordre express de la loi pouvant, alors, exonérer l'administration de cette responsabilité (C. pén., art. 122-4 N° Lexbase : L7158ALP). En effet, en autorisant une reconstruction dangereuse pour la sécurité des occupants, l'administration peut engager sa responsabilité vis-à-vis de ceux-ci dans le cas où, à l'occasion de cette reconstruction, ils subiraient un quelconque préjudice.
Toutefois, en permettant à des dispositions issues de servitudes d'utilité publique de déroger au principe du droit à reconstruction, l'arrêt du 17 décembre 2008 n'ouvre-t-elle pas une brèche encore plus importante dans l'extension de ce droit ? Autrement dit, cette décision ne conduit-elle pas à rendre opposables à ce droit toutes les servitudes d'utilité publique ?
On le voit, la portée de la décision "Falcoz", et l'ampleur donnée à l'encadrement et à la limitation du droit de reconstruction à l'identique, dépendront largement de la portée qui sera donnée à la condition de risque certain et prévisible mettant gravement en danger la sécurité des occupants du bâtiment. L'on peut, cependant, prévoir que l'exception de sécurité constituera fréquemment un frein à la reconstruction, dès lors que la destruction du bâtiment en cause aura elle-même manifesté l'existence d'un danger pour ses occupants.
(1) Taxe locale d'équipement, participation pour dépassement du coefficient d'occupation des sols, taxe additionnelle pour le financement des conseils d'architecture, d'urbanisme et d'environnement ; Cf. loi n° 73-1128 du 21 décembre 1973, de finances rectificative pour 1973 N° Lexbase : L6412ICH).
(2) B. Pavy, La reconstruction à l'identique d'un bâtiment détruit par sinistre après la loi SRU, Répertoire Defrénois, 2001, p. 1230.
(3) CA Colmar, 12 avril 2001, Commune de Wolfisheim c/ Koegler et Rohfritch, RDI, 2001, p. 397, note Soler-Couteaux.
(4) CE 1° et 6° s-s-r., 23 novembre 2005, n° 279721, Commune de Bagnères-de-Bigorre (N° Lexbase : A7372DLM), aux Tables, Construction-Urbanisme, 2006, n° 94, note Godfrin, BJDU, 2006, p. 92, conclusions Devys ; CE 1° et 6° s-s-r., 17 décembre 2008, n° 305409, M. Falcoz, à paraître au Recueil.
(5) CE, 5 mars 2003, n° 252422, M. Lepoutre et autres (N° Lexbase : A5057A7G), Construction-Urbanisme, 2003, n° 188, note Cornille, BJDU, 2003, p. 13, conclusions Stahl, RDI, 2003, p. 371, note Robineau-Israël, JCP éd. A, 2003, n° 1709, note Billet.
(6) CE 3° et 8° s-s-r., 20 février 2002, n° 235725, Plan (N° Lexbase : A1521AYY), BJDU, 2002, conclusions Mignon ; CE 5° et 7° s-s-r., 30 décembre 2002, n° 214850, M. Boissard (N° Lexbase : A6513A4Y), BJDU, 2003, p. 82, conclusions Chauvaux.
(7) CAA Marseille, 21 mars 2002, n° 98MA01738, Commune de Nîmes c/ M. Salivet (N° Lexbase : A4672AZ3), BJDU, 2002, p. 318.
(8) TA Strasbourg, 1er juin 2004, n° 0202228, M. Wagner c/ Commune de Herrlisheim-près-Colmar.
(9) Et les POS approuvés avant l'entrée en vigueur de la "loi SRU" qui comporteraient une interdiction explicite de reconstruire les bâtiments sinistrés dans certaines zones (QE n° 65052 de M. Goulard François, JOANQ du 6 août 2001, p. 4468, réponse publ. 28 janvier 2002, p. 472, 11ème législature N° Lexbase : L6393ICR).
(10) CAA Bordeaux, 21 novembre 2005, n° 02BX01600, Mme Silvana Assier de Pompignan c/ Commune de Saint-Romain-de-Benet (N° Lexbase : A5192DMA), Construction-Urbanisme, 2006, n° 94, note Godfrin, BJDU, 2006, p. 11, conclusions Pouzoulet : limitation du droit de reconstruction aux bâtiments détruits depuis moins de deux ans.
(11) CAA Versailles, 2ème ch., 6 avril 2006, n° 05VE00396, Jannez (N° Lexbase : A1298DPR), Construction-Urbanisme, 2006, n° 199, note Cornille.
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