Réf. : Procès verbal d'interprétation n° 1 de l'ANI du 11 janvier 2008, de modernisation du marché du travail
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N3525BIE
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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale
Le 07 Octobre 2010
Résumé
1° Les partenaires sociaux n'ont jamais envisagé d'étendre le bénéfice de l'indemnité interprofessionnelle de rupture au cas de rupture du contrat de travail pour départ à la retraite à l'initiative du salarié. 2° La référence, dans l'article 12-a), au montant de l'indemnité de l'article 11, s'entend du montant de l'indemnité interprofessionnelle ou de l'indemnité conventionnelle de licenciement si celle-ci est plus favorable. |
I - L'opinion des partenaires sociaux
1.1. L'inapplication de l'indemnité interprofessionnelle de rupture en cas de départ à la retraite du salarié
L'ANI du 11 janvier 2008 a, dans son article 11, "institué une indemnité de rupture interprofessionnelle unique dont le montant ne peut être inférieur, sauf dispositions conventionnelles plus favorables à partir d'un an d'ancienneté dans l'entreprise, à un cinquième de mois par année d'ancienneté".
Très rapidement, on s'est interrogé sur la portée de la référence, très générale, à la notion de "rupture", singulièrement s'agissant de modes de rupture du contrat de travail prévoyant légalement le bénéfice d'une indemnité spécifique moins importante.
C'est le cas du salarié qui part volontairement à la retraite. Dans cette hypothèse, en effet, l'article L. 1237-9 du Code du travail (N° Lexbase : L1407H9Y) prévoit le versement d'une indemnité légale spécifique, dont le montant est fixé, par l'article D. 1237-1 du même code (N° Lexbase : L2272IAE), à un demi-mois de salaire après dix ans d'ancienneté, un mois après quinze ans d'ancienneté, un mois et demi de salaire après vingt ans d'ancienneté et deux mois de salaire après trente ans d'ancienneté.
L'enjeu est, alors, clair. Un salarié ayant, ainsi, 6 ans d'ancienneté ne percevra rien, au titre de l'indemnité légale de mise à la retraite, alors que s'il bénéficie de l'indemnité interconventionnelle de rupture, il percevra un peu plus d'un mois de salaire.
Le procès-verbal d'interprétation en date du 15 décembre 2008 a choisi d'exclure l'hypothèse de la mise à la retraite du champ d'application de l'indemnité interprofessionnelle de rupture : "s'agissant de savoir si le bénéfice de ces indemnités de rupture s'applique en cas de départ à la retraite à l'initiative du salarié, les signataires de l'accord national interprofessionnel du 11 janvier 2008, sur la modernisation du marché du travail, indiquent que les dispositions de l'article 11 point 3 visaient uniquement à unifier le montant des indemnités légales de licenciement qui était différent suivant qu'il s'agissait d'un licenciement économique ou non", et ajoutent qu'"ils n'ont jamais envisagé d'étendre le bénéfice de ces indemnités au cas de rupture du contrat de travail pour départ à la retraite à l'initiative du salarié d'autant que la question des départs en retraite n'a, à aucun moment, été abordée au cours des négociations ayant conduit à la conclusion dudit accord".
Cette interprétation nous semble conforme, non seulement à l'intention des signataires, mais, également, aux principes qui gouvernent l'interprétation des textes juridiques. Certes, il n'y a, en principe, pas lieu de distinguer là où la loi ne distingue pas. Mais l'accord conclu ne portait pas sur la question des retraites, qui semblait donc, a priori, en dehors du champ de la négociation. Par ailleurs, la référence un peu vague à la "rupture" s'expliquait par le souci d'élargir le bénéfice de l'indemnité à d'autres cas que le licenciement et, singulièrement, à la rupture conventionnelle du contrat de travail, prévue à l'article 12 de l'accord et qui fait précisément référence au montant de cette indemnité interprofessionnelle de rupture pour fixer le plancher de l'indemnité de rupture conventionnelle.
Ajoutons que le départ volontaire à la retraite s'apparente plus à la démission qu'au licenciement et que la notion de "rupture", visée par l'article 11, fait implicitement référence aux ruptures à l'initiative de l'employeur ; la référence à la fraction d'un cinquième de mois de salaire par année d'ancienneté désigne, d'ailleurs, directement l'indemnité légale de licenciement due au salarié, avant la loi du 25 juin 2008, licencié pour motif économique (4). On imagine, alors, difficilement que le salarié qui démissionne pourrait revendiquer le bénéfice de l'indemnité interprofessionnelle...
1.2. L'assimilation contestable de l'indemnité de rupture conventionnelle et de l'indemnité conventionnelle de licenciement
L'article 12 de l'accord, qui concerne la rupture conventionnelle du contrat de travail, a prévu, pour le salarié, le bénéfice d'une "indemnité spécifique de rupture conventionnelle" non assujettie aux prélèvements sociaux et fiscaux et "dont le montant ne peut être inférieur à celui de l'indemnité de rupture prévu à l'article 11".
Cette formule de renvoi analogique fait incontestablement difficulté car deux interprétations peuvent être envisagées, selon que "le montant" stipulé à l'article 12 vise uniquement celui de l'indemnité de rupture interprofessionnelle d'un cinquième ou englobe, également, les hypothèses où des "dispositions conventionnelles plus favorables" existeraient, ce qui alignerait le montant de l'indemnité spécifique de rupture conventionnelle sur celui de l'indemnité conventionnelle de licenciement.
La loi du 25 juin 2008, qui a repris certaines des dispositions de l'accord, a retenu, pour sa part, une solution qui aligne clairement le niveau de l'indemnité spécifique de rupture conventionnelle légale sur celui de l'indemnité légale de licenciement, puisque le texte de l'article L. 1237-13 du Code du travail (N° Lexbase : L8385IAS) renvoie expressément à l'article L. 1234-9 du même code (N° Lexbase : L8135IAK), siège de la seule indemnité légale de licenciement.
La loi du 25 juin 2008 ne s'est, toutefois, pas substituée aux dispositions de l'accord du 11 janvier 2008 ayant le même objet. Si certaines des dispositions de cet accord ne présentaient, en effet, pas de caractère normatif, compte tenu de l'intention même des partenaires sociaux, d'autres, en revanche, étaient conçues pour s'appliquer par elle-même, sans qu'une intervention du législateur ne soit nécessaire (5).
C'est bien le cas des dispositions de l'article 11, qui met en place une indemnité interprofessionnelle de rupture, et de l'article 12, qui prévoit les modalités de l'indemnité spécifique de rupture conventionnelle, le dispositif souhaité par les partenaires sociaux ayant été mis en place par la loi du 25 juin 2008.
Nous sommes donc bien, aujourd'hui, dans une situation où coexistent des règles légales et des règles conventionnelles concurrentes ; dans ce cas, les dispositions de l'ANI s'appliquent dès lors qu'elles sont plus favorables aux salariés que celles prévues par la loi. Se pose, alors, la question du montant de l'indemnité spécifique de rupture conventionnelle prévue par l'article 12 de l'ANI. Si le renvoi à l'article 11 et à une indemnité "dont le montant ne peut être inférieur à celui de l'indemnité de rupture prévue à l'article 11" vise, également, les indemnités conventionnelles plus favorables, alors l'indemnité prévue par l'accord interprofessionnel est plus favorable que l'indemnité légale et devra donc s'appliquer.
II - Interprétation des partenaires sociaux
Les partenaires sociaux ont souhaité répondre à cette question dans le sens le plus large, ce qui aboutit à aligner le montant de l'indemnité (interprofessionnelle) de rupture conventionnelle sur celui de l'indemnité conventionnelle de licenciement, lorsqu'elle existe et que son montant est, bien entendu, supérieur à celui de l'indemnité de rupture interprofessionnelle unique. Selon les signataires du procès-verbal, en effet, "les dispositions conventionnelles plus favorables auxquelles il est, ainsi, fait référence, visent les dispositions relatives au montant des indemnités de licenciement prévues par la convention collective applicable. C'est donc bien le montant des indemnités de licenciement prévues par la convention collective applicable auquel renvoie l'article 12-a) précité et qui, lorsqu'il est supérieur au montant de l'indemnité légale de licenciement, doit constituer le plancher de l'indemnité spécifique due en cas de rupture conventionnelle".
Les signataires fournissent, dans le procès-verbal, l'explication d'une telle interprétation ; ils ont, "en effet, voulu, en prévoyant le versement d'une indemnité spécifique d'un montant au moins égal à celui de l'indemnité conventionnelle de licenciement lorsque ce montant est supérieur à celui de l'indemnité légale, garantir la liberté de consentement des parties à la rupture conventionnelle et éviter tout risque de transfert à l'Unedic de la prise en charge financière de démissions déguisées".
Le moins que l'on puisse dire est qu'il est particulièrement surprenant que les trois organisations patronales signataires de l'accord (le Medef, la CGPME et l'UPA) aient, également, signé le protocole d'interprétation et que deux des quatre organisations syndicales de salariés, qui avaient signé l'accord (la CGT n'avait pas signé l'accord du 11 janvier 2008), ne l'aient, en revanche, pas signé (la CFTC et FO), alors que celui-ci est, pourtant, très favorable aux salariés.
La justification de cette interprétation est, également, surprenante, puisqu'il s'agit de garantir la liberté du consentement des parties et d'éviter des démissions déguisées faisant supporter à l'assurance-chômage le coût de rupture qu'elle ne devrait pas, en principe, assumer. En d'autres termes, le rehaussement du montant de l'indemnité de rupture conventionnelle devrait faire réfléchir les employeurs qui souhaiteraient faire "plaisir" aux salariés qui veulent quitter volontairement l'entreprise.
L'argument tiré de la volonté de garantir la liberté du consentement des salariés est plus intéressant. En termes pudiques, les partenaires sociaux cherchent à éviter que la rupture conventionnelle ne soit utilisée pour contourner la législation sur le licenciement pour motif économique. Certes, la loi du 25 juin 2008 écarte le recours à ce mode de rupture dans le cadre des plans de sauvegarde de l'emploi et des accords de GPEC, mais elle a, également, écarté, par son article 5 l'application de toutes les règles du licenciement pour motif économique, en cas de recours à la rupture conventionnelle lorsque celui-ci est permis, alors que telle n'était manifestement pas l'intention des partenaires sociaux, qui avaient, au contraire, insisté sur leur désir de ne pas "remettre en cause les modalités de rupture existantes du CDI, ni porter atteinte aux procédures de licenciements collectifs pour cause économique engagées par l'entreprise" (article 12).
Il s'agit donc, et l'on voudra bien nous pardonner cette trivialité, de la réponse du berger à la bergère ; le législateur a voulu utiliser la rupture conventionnelle pour évincer le droit du licenciement économique, alors les partenaires sociaux tentent de neutraliser la tentative en alignant le montant de l'indemnité de rupture conventionnelle sur celui de l'indemnité conventionnelle de licenciement, lorsqu'elle existe, ce qui enlève, pour les entreprises en tout cas, une grande partie de l'intérêt de ce mode de rupture.
L'article 12 de l'accord dispose que le salarié qui conclut avec son employeur une "rupture conventionnelle" a droit à une indemnité "dont le montant ne peut être inférieur à celui de l'indemnité de rupture prévue à l'article 11".
Ce texte vise bien "le montant [...] de l'indemnité de rupture" de l'article 11, et non le montant des indemnités auxquelles le salarié aurait droit s'il avait été licencié. Il s'agit donc bien d'aligner le montant de l'indemnité spécifique de rupture conventionnelle sur celui de l'indemnité interprofessionnelle de rupture de l'article 11, sans créer une assimilation parfaite avec la situation du salarié licencié.
L'interprétation retenue dans le Protocole du 15 décembre 2008 procède donc d'une confusion entre l'indemnité interprofessionnelle de rupture et les sommes versées au salarié à l'occasion de son licenciement. Lorsqu'un salarié est en situation de percevoir une indemnité contractuelle de licenciement parce que son montant est plus élevé que celui de l'indemnité légale ou interprofessionnelle, c'est bien cette indemnité qu'il perçoit, et non l'indemnité interprofessionnelle pour partie et l'indemnité conventionnelle pour le surplus, ou l'indemnité interprofessionnelle dont le montant serait majoré par un accord conclu à un niveau inférieur, ce qui est totalement impossible puisque des sources de niveau distinct ne peuvent se modifier, mais uniquement entrer en concurrence. Assimiler l'indemnité interprofessionnelle mise en place par l'article 11 et l'indemnité contractuelle plus favorable, à laquelle le salarié aura éventuellement droit, comme le font les partenaires sociaux qui ont signé le Protocole du 15 décembre 2008, équivaut, alors, à confondre le montant des indemnités perçues et le montant de l'indemnité interprofessionnelle de rupture, ce qui est regrettable.
Ce choix d'aligner le montant de l'indemnité spécifique de rupture conventionnelle sur le seul montant de l'indemnité interprofessionnelle de rupture est, d'ailleurs, parfaitement logique.
L'accord du 11 janvier 2008, tout comme la loi du 25 juin 2008, a entendu consacrer la rupture conventionnelle comme un mode de rupture autonome du licenciement dans des cas de figure où le salarié accepte le principe de la rupture du contrat de travail. Il est donc parfaitement logique que les droits indemnitaires du salarié dont le contrat a été conventionnellement rompu ne soient pas les mêmes que ceux du salarié licencié, car les deux situations sont distinctes et doivent donc être soumises à des régimes eux-mêmes différents.
Dans ces conditions, l'interprétation retenue, et qui banalise totalement le régime indemnitaire de la rupture conventionnelle en le calquant sur celui du licenciement, pourrait bien sonner avant tout comme un message adressé aux entreprises, sans que, sur le plan juridique, la question ait été examinée avec toute la rigueur nécessaire.
(1) Voir notre numéro spécial Lexbase Hebdo n° 289 du 23 janvier 2008 - édition sociale.
(2) Sur cette question, nos obs., Que reste-t-il de l'accord de modernisation du marché du travail du 11 janvier 2008 après la loi du 25 juin 2008 ?, Lexbase Hebdo n° 319 du 25 septembre 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N1900BHT).
(3) Dernièrement, Cass. soc., 2 décembre 2008, n° 07-44.132, Caisse nationale des caisses d'épargne et de prévoyance (CNCEP), FS-P+B (N° Lexbase : A5319EBM) et nos obs., L'interprétation de la convention collective en questions, Lexbase Hebdo n° 331 du 18 décembre 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N0479BIL).
(4) On relèvera, d'ailleurs, que cette indemnité n'est pas nécessairement plus favorable aux salariés que l'indemnité légale, dans la mesure où elle n'intègre pas la majoration de deux quinzièmes par année d'ancienneté au-delà de dix ans.
(5) En ce sens, v. nos obs., Que reste-t-il de l'accord de modernisation du marché du travail du 11 janvier 2008 après la loi du 25 juin 2008 ?, préc..
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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication
Le 27 Mars 2014
On se souvient que cette la loi créait, principalement, et ce même si cogitationis poenam nemo patitur ("Nul ne peut être puni pour de simples pensées"), deux nouvelles mesures : la surveillance de sûreté et la rétention de sûreté. La surveillance de sûreté prolonge les obligations de la surveillance judiciaire et du suivi socio-judiciaire du condamné. La rétention de sûreté s'applique aux personnes condamnées à une peine de prison de 15 ans ou plus et prévoit que celles-ci puissent être retenues dans des centres fermés à l'expiration de leur peine si elles sont considérées comme toujours dangereuses.
Mais, le Conseil constitutionnel a jugé que cette loi ne pouvait s'appliquer aux criminels condamnés avant sa date de promulgation et l'a, donc, limitée aux personnes qui, après leur libération, violeraient les obligations auxquelles elles sont soumises dans le cadre d'une surveillance de sûreté (port du bracelet électronique, obligation de soins médicaux...).
Qu'à cela ne tienne : le Président de la République confiait, aussitôt, une mission à Vincent Lamanda, Premier Président de la Cour de cassation, afin de rédiger un rapport visant à "Amoindrir les risques de récidive criminelle des condamnés dangereux". Le rapport, remis le 30 mai 2008, au travers 23 propositions relevant tantôt de la loi, tantôt de la gestion pénitentiaire, évita l'écueil de "la rétroactivité de la loi pénale plus sévère", pour se consacrer à la prévention des risques et à l'encadrement psychologique et médical des détenus, avant d'envisager toute mesure de sûreté complémentaire. On notera ainsi les recommandations n° 6 (faire figurer la prévention de la récidive dans les missions des services pénitentiaires d'insertion et de probation), n° 12 (prévoir, en cas de violation des obligations de la surveillance de sûreté, la possibilité, de soumettre l'intéressé à de nouvelles obligations de contrôle, la rétention de sûreté demeurant l'ultime recours), ou encore, la recommandation n° 14 (mettre en place, sans délai, une prise en charge médico-sociale, psychologique et éducative des condamnés dangereux, si possible, dès le début de leur détention).
Si tôt dit, si tôt repris : le Garde des sceaux présentait, en novembre dernier, un projet de loi tirant les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel, et prenant en compte les préconisations de ce rapport, projet de loi sur lequel revient, cette semaine, Dorothée Bourgault-Coudevylle, Maître de conférences à la Faculté de droit de Douai - Université d'Artois.
De l'aveu même du Gouvernement, le texte vise à assurer un contrôle aussi longtemps que nécessaire dans le cadre d'une surveillance de sûreté. Il permet de prendre en compte l'évolution du comportement de la personne sous surveillance de sûreté en adaptant les obligations auxquelles elle est tenue. Ces obligations pourront être allégées, ou renforcées par des mesures de contrôle supplémentaires. Toutefois, si les personnes ne s'y plient pas, elles pourront être placées en rétention de sûreté pour permettre une prise en charge plus adaptée. Le projet de loi précise, également, que les mesures de surveillance et de rétention peuvent être de nouveau appliquées si la personne venait à être de nouveau condamnée à une peine de prison. Enfin, il ouvre le bénéfice de l'aide juridique aux personnes placées en rétention, afin qu'elles aient l'assistance d'un avocat.
La loi du 25 février 2008 avait été adoptée contre l'avis même de la plupart des syndicats de magistrats et d'avocats. Même repensée, afin de réaffirmer le caractère exceptionnel de la sûreté, le projet de loi intervient dans un contexte pénitentiaire difficile qui laisse augurer une incompréhension sur l'ordonnancement des mesures urgentes qu'il convient d'adopter en matière pénale, aujourd'hui ; "le directeur de l'Administration pénitentiaire [ayant] qualifié [...], de préoccupante la vague de suicides enregistrée depuis le début de l'année 2009 dans les prisons françaises, alors que l'Observatoire international des prisons (OIP) a demandé au Parlement de créer une nouvelle commission d'enquête pour prendre la mesure de la profonde dégradation survenue sur nombre d'aspects de la situation carcérale' depuis les derniers rapports parlementaires en 2000" (communiqué AP du 15 janvier 2009).
En dehors des moyens financiers qu'il conviendrait de mettre en oeuvre afin de répondre à cette situation "préoccupante", et sans tomber dans les préconisations de La Tête des autres de Marcel Aymé, pour lequel "les hommes appelés à en juger d'autres devraient avoir fait un stage de deux ou trois mois en prison", l'on peut, toutefois, se réjouir que trois arrêts rendus le 17 décembre 2008 par le Conseil d'Etat consacrent le contrôle croissant de l'administration pénitentiaire par le juge administratif. Dans une première décision (CE 1° et 6° s-s-r., 17 décembre 2008, n° 292088), le Conseil d'Etat confirme qu'en cas de décès accidentel d'un détenu, une faute simple dans l'organisation ou le fonctionnement des services pénitentiaires engage leur responsabilité. Deux détenus ayant trouvé la mort à la suite d'un incendie volontaire provoqué par l'un de leurs co-détenus, l'enchaînement de plusieurs circonstances, dont aucune ne pouvait être considérée comme une faute "lourde" a suffi à engager la responsabilité de l'Etat. Dans la deuxième affaire (CE 1° et 6° s-s-r., 17 décembre 2008, n° 293786), le Conseil juge que les décisions de placement d'un détenu à l'isolement peuvent être contestées devant le juge administratif. Ces décisions ne peuvent intervenir que lorsqu'aucune autre solution ne permet d'assurer la sécurité de l'établissement pénitentiaire ou des personnes. Cette décision constitue donc une évolution importante par rapport à la jurisprudence antérieure, qui considérait que le juge n'était pas compétent pour se prononcer sur les mesures de placement. Enfin, dans la dernière affaire (CE 1° et 6° s-s-r., 17 décembre 2008, n° 305594), le Conseil indique que, si les directeurs des établissements pénitentiaires, en tant que chefs de service, sont tenus de prendre les mesures nécessaires pour protéger la vie des détenus, compte tenu de leur vulnérabilité et de leur situation d'entière dépendance vis-à-vis de l'administration pénitentiaire, en revanche, le refus du ministre de la Justice de remplacer tous les matelas en mousse, rapidement combustible, à housse amovible par des matelas aux housses inamovibles, ne méconnaissait pas les obligations de protection de la vie des détenus incombant à l'administration.
Malgré les garde-fous, chacun conviendra, toutefois, que nulla certior custodia innocentia ("nulle sauvegarde n'est plus sûre que l'innocence").
* Stendhal, Le rouge et le noir
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Réf. : CE 3° et 8° s-s-r., 11 décembre 2008, n° 296429, M. et Mme Gonnord (N° Lexbase : A7010EBA)
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N3533BIP
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par Guy Quillévéré, Commissaire du Gouvernement près le tribunal administratif de Nantes
Le 07 Octobre 2010
Le Conseil d'Etat, dans son arrêt "Gonnord", prolongeant sa jurisprudence "Peyrot" du 30 novembre 1990 (CE, 30 novembre, 1990, n° 80567, Peyrot N° Lexbase : A4828AQU), juge que la vente est parfaite au sens des dispositions de l'article 1583 du Code civil (N° Lexbase : L1669ABG), antérieurement au 31 décembre 1993, dès lors que le protocole signé le 27 juillet 1993 permet au vu de ses clauses de déterminer le prix de vente des actions par des éléments ne dépendant pas de la volonté de l'une des parties ou de la réalisation d'accords ultérieurs. La Haute juridiction s'appuie, ainsi, sur une interprétation stricte de la volonté de parties, la circonstance que, sur le fondement des dispositions de l'article 1592 du Code civil, le prix pouvait être déterminé par l'intervention d'un tiers étant inopérante sur la détermination de la date du fait générateur. Cet arrêt complète le courant jurisprudentiel né de l'application des clauses de complément de prix, en précisant que le fait générateur est réalisé si le prix est simplement déterminable et même s'il n'est pas déterminé à la date de signature du protocole.
1. La plus-value de cession se rattache à l'année au cours de laquelle est intervenu le transfert de propriété des actions
Le fait générateur d'une plus value de cession de droits sociaux est constitué par la cession elle-même (1.1), et les modalités et les dates de paiement du prix sont sans influence sur le transfert de propriété (1.2).
1.1. La date du transfert de propriété des titres s'apprécie en fonction des règles posées par le Code civil
Deux arrêts du Conseil d'Etat en date du 23 juin 1976 et du 26 juillet 1978 (CE 7° et 9° s-s-r., 23 juin 1976, n° 00051, Finances c/ Sieur X N° Lexbase : A6037B84 ; CE Contentieux, 26 juillet 1978, n° 01885, Sieur X N° Lexbase : A4118AID) ont posé le principe selon lequel la plus-value est imposable au titre de l'année au cours de laquelle les titres ont été cédés. Ce sont les dispositions du Code civil qui éclairent la règle fiscale puisqu'en vertu des dispositions de l'article 1583 du Code civil : "la vente est parfaite entre les parties et la propriété est acquise de plein droit à l'acheteur à l'égard du vendeur, dès qu'on est convenu de la chose et du prix, quoique la chose n'a pas encore été livrée ni le prix payé". Ainsi, la plus-value est imposable au titre de l'année au cours de laquelle les actions ont été cédées et cette date est celle au cours de laquelle le transfert de propriété a été réalisé entre les parties. La cession d'actions d'une société anonyme est alors réalisée à la date à laquelle s'opère entre les parties le transfert de propriété des titres, conformément aux dispositions de l'article 1583 du Code civil (CE 10 juillet 1981, n° 17953 N° Lexbase : A4886AK8 ; ou encore CAA Nantes, 1ère ch., 22 décembre 1993, n° 92NT00230, Feydieu N° Lexbase : A4383BHS).
Il est cependant possible, pour les parties, de renoncer à fixer elles-mêmes au jour de leur accord le prix de cession et de préférer, lorsque, par exemple, un ensemble de sociétés sur la base d'un même protocole cède ses actions, de confier le soin de cette fixation à un tiers impartial en application des dispositions de l'article 1592 du Code civil. Telle était le cas dans l'arrêt du Conseil d'Etat "Gonnord", la partie la plus diligente pouvant saisir le président du tribunal de commerce afin que celui-ci désigne un tiers expert agissant en application des dispositions de l'article 1592 du Code civil.
1.2. La mise en oeuvre des règles du Code civil est parfois obscurcie par les clauses contractuelles
La mise en oeuvre des dispositions du Code civil s'accorde ordinairement avec un principe fondateur du droit fiscal qui est le principe de l'annualité. L'accord sur la chose et sur le prix est, en principe, concrétisé dans l'acte d'engagement. En l'espèce, l'article 3 de la convention en date du 27 juillet 1993 avait prévu des modalités pratiques complexes de fixation du prix, dans le cadre d'une cession globale. Il est vrai que les clauses contractuelles rendent difficile la mise en oeuvre du principe d'annualité et emportent des interrogations sur le montant qui doit normalement être déclaré par le contribuable ou sur le montant que doit imposer l'administration. L'exigence d'une détermination du prix est une condition de validité du contrat de vente et donc de la cession de droits sociaux. Toutefois, le principe posé par la jurisprudence est que les modalités et les dates de paiement du prix sont sans influence sur le fait générateur de l'imposition. La plus-value se rattache à l'année au cours de laquelle est intervenu le transfert de propriété quelles que soient les modalités et les dates de paiement du prix (CE plénière, 26 juillet 1978, n° 1885, précité ; ou encore CE, 30 novembre 1990, n° 80567, Peyrot, précité, arrêt précisant que la plus-value de cession d'actions est imposable au titre de l'année de cession, sans qu'y fasse obstacle la circonstance que le cédant ait dû ultérieurement, par le jeu de la condition résolutoire, racheter ces actions).
La jurisprudence est venue éclairer quelques situations conventionnelles complexes. Ainsi, lorsque l'acte de cession comporte une clause "d'earn out", le Conseil d'Etat a jugé que ce complément de prix doit être retenu pour calculer la plus-value taxable au titre de l'année de cession, dès lors qu'il est déterminé à partir de données comptables arrêtées au 31 décembre de l'année en cause (CE 9° et 10° s-s-r., 29 décembre 2000, n° 182185, M. et Mme Bellane N° Lexbase : A2136AIX). Elle s'oppose, par ailleurs, à ce que l'assiette de la plus-value, acquise au jour de la cession qui constitue le fait générateur de l'impôt, puisse être remise en cause rétroactivement par la survenance d'un événement postérieur. Une jurisprudence assez fournie est venue préciser l'application de la règle fiscale en cas de non-paiement du prix (CE, 16 juin 2003, n° 241983, Gardet N° Lexbase : A8688C8B ; ou en cas de mise en jeu de la clause de garantie de passif : CE, 22 mars 1991, n° 67966, Domenjoud N° Lexbase : A9308AQS : RJF, 5/91, n° 615 ; ou encore CE 3° et 8° s-s-r., 27 juillet 2006, n° 285579, Minefi c/ Massonnet N° Lexbase : A8042DQW).
En fait, le juge exclut de regarder les clauses contractuelles comme suspensives dès lors que le prix est déterminé par une méthode qui ne nécessite plus de nouvel accord des parties, ou s'appuie sur une méthode objective de calcul à partir de la comptabilité. Lorsque les règles civiles de la vente ne sont pas satisfaites, le contrat de cession encourt une nullité, qui aurait alors pour effet fiscal de faire disparaître le fait générateur de l'imposition de la plus-value.
2. La commune intention des parties est l'alpha et l'oméga de la détermination du fait générateur de l'imposition pour une cession d'action
Si le prix peut être laissé, en application des dispositions de l'article 1592 du Code civil à l'arbitrage d'un tiers (2.1.), encore faut-il, pour que la vente soit suspensive que les éléments alors pris en compte dépendent de la volonté des parties (2.2.).
2.1. Le prix de cession peut être laissé à l'arbitrage d'un tiers en application des dispositions de l'article 1592 du Code civil
L'article 1591 du Code civil (N° Lexbase : L1677ABQ) dispose que "le prix de la vente doit être déterminé et désigné par les parties". Toutefois, si le prix ne peut être déterminé au jour de la conclusion du contrat, il peut être déterminable à partir d'éléments objectifs échappant à la volonté de l'un ou de l'autre des cocontractants. C'est dans ce prolongement que se placent les dispositions de l'article 1592 du Code civil qui prévoient que les parties peuvent renoncer à fixer elles-mêmes au jour de leur accord le prix de cession préférant à cet égard confier le soin de cette fixation à un tiers impartial. Notons qu'il peut naître de la mise en oeuvre de ces dispositions un risque d'indétermination du prix des cessions d'actions, cette indétermination pouvant emporter nullité de la vente. L'arrêt "Gonnord" rappelle de ce point de vue que la nullité de la cession de droits sociaux pour indétermination du prix n'aurait joué que si la fixation de ce prix avait dépendu d'un accord ultérieur des parties à leur engagement réciproque de vendre et d'acheter, le 31 décembre 1993.
Le protocole signé le 27 juillet 1993 indique que l'ensemble des associés de la société Fleury Michon développement qui détenait 84,4 % du capital de la société Callixte Producteur et les associés minoritaires de la société Callixte Producteur, laquelle résultait de la fusion le 30 juillet 1993 de deux autres sociétés, cèdent leurs actions pour un prix de base global de 100 millions de francs (soit plus de 15 millions d'euros). La convention de cession prévoit en application de son article 3 que le prix est susceptible de varier à la hausse ou à la baisse en fonction des résultats ou des situations nettes comptables des sociétés cédées arrêtés au 31 décembre 1992 ou au 31 juillet 1993. En l'espèce, un tiers, sur le fondement des dispositions de l'article 1592 du Code civil a été saisi par le tribunal, il a alors fixé le prix de cession des actions à 52 millions de francs (7,9 millions d'euros). Le Conseil d'Etat juge que les stipulations contractuelles ne portent que sur les conditions d'exécution de la convention et ne peuvent être regardées comme des conditions suspensives édictées au profit des cédants, le prix des actions, s'il n'est pas déterminé à la date de cession, étant, cependant, parfaitement déterminable.
2.2. Le fait générateur intervient si le prix de cession est, aux termes des clauses contractuelles, déterminable sans nouvelle manifestation de la volonté des parties et même s'il n'est pas déterminé à la date de cession des actions
L'accord sur la chose et sur le prix, non pas déterminé mais déterminable, dans le cadre du protocole d'accord en date du 27 juillet 1993 est intervenu dès la date de signature, le 27 juillet 1993. La détermination du prix de cession des actions n'est tributaire d'aucune manifestation de volonté des parties postérieure à la date de signature du protocole, la volonté des parties étant connue et permettant de liquider le prix de la cession des actions, certes après la date de signature du protocole, mais sans nouvelle manifestation de volonté. La vente est alors, dès cette date, au sens du 1583 du Code civil, pure et parfaite. Dans ces conditions, le transfert de propriété est immédiat, la cession des actions en litige survient avant le 31 décembre 1993. La plus-value de cession est donc imposable au titre de l'année 1993, conformément au principe d'imposition de la plus-value à la date du transfert de propriété et indépendamment des modalités de paiement. Seules la réalisation d'accords ultérieurs aurait conduit à une solution différente, le prix de vente étant alors indéterminé, la vente pouvant être regardée comme nulle. Il reste que, si la détermination du prix conditionne, alors, les conditions fiscales de l'acquéreur, la solution retenue par le Conseil d'Etat, dans son arrêt "Gonnord" réserve le cas où le prix de cession est fixé en fonction d'un bilan à établir dont le mode d'établissement (Cass. com., 13 janvier 1971, n° 69-12.174, Estournet c/ Dufour et autres N° Lexbase : A6633AGR) ou encore celui où la détermination du prix nécessite un établissement contradictoire du bilan à la veille de la régularisation de la cession (Cass. com., 14 décembre 1999, n° 97-15.654, Epoux Fin c/ M. Baverez et autres N° Lexbase : A8145AGR).
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Le 07 Octobre 2010
La question des conclusions récapitulatives exigées devant le tribunal de grande instance et devant la cour d'appel donne toujours lieu à une jurisprudence importante. On signalera donc en premier lieu l'arrêt rendu par la deuxième chambre civile du 18 décembre 2008 (Cass. civ. 2, 18 décembre 2008, n° 07-20.238, FS-P+B N° Lexbase : A9065EBD). Au cours d'une instance d'appel, l'appelant avait successivement déposé des conclusions tendant à l'infirmation du jugement, puis un autre jeu sollicitant une expertise. Ce second jeu de conclusions n'était pas récapitulatif. La cour d'appel avait donc appliqué strictement la sanction de l'article 954, alinéa 2, du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1054H4S) selon laquelle les parties sont réputées avoir abandonné les prétentions et moyens invoqués dans des conclusions antérieures.
La Cour de cassation applique, ici, une solution désormais traditionnelle (1), à savoir que les conclusions soumises à l'obligation de récapitulation sont celles qui "déterminent l'objet du litige ou soulèvent un incident de nature à mettre fin à l'instance". Dans l'espèce étudiée, la Cour de cassation constate que "la demande d'expertise était présentée dans des conclusions qui ne déterminaient pas l'objet du litige et ne soulevaient pas un incident de nature à mettre fin à l'instance". Elle en déduit que les conclusions qui contenaient cette demande n'étaient pas soumises à l'obligation de récapitulation.
Dans un autre arrêt du 18 décembre 2008 (Cass. civ. 2, 18 décembre 2008, n° 07-20.889, F-P+B N° Lexbase : A9094EBG), la deuxième chambre civile de la Cour de cassation avait à statuer sur le défaut de comparution du défendeur dû à la négligence du demandeur. En l'espèce, une action avait été exercée devant le juge de proximité et ce dernier avait invité le demandeur à citer le défendeur devant lui. Le jour de l'audience, le juge de proximité constatait, d'une part, que le défendeur n'avait pas comparu, mais, d'autre part, qu'il n'avait pas été cité. A l'évidence, la situation était contraire à l'article 14 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1131H4N) qui interdit de juger une personne qui n'a été ni entendue, ni appelée. Mais la solution était rendue plus complexe par l'article 472 du même code (N° Lexbase : L6584H7Y) qui prévoit que, si le défendeur ne comparait pas, "il est néanmoins statué au fond" et que le juge ne peut faire droit à la demande que s'il l'estime "régulière, recevable et bien fondée". Le juge de proximité avait cru pouvoir déclarer la demande irrecevable pour omission de citation du défendeur.
La Cour de cassation casse cette décision. Elle rappelle justement que l'omission imputable au demandeur ne constituait pas une fin de non-recevoir, mais qu'il s'agissait plutôt d'une négligence. La sanction adéquate du défaut de diligence des parties consiste dans la radiation du rôle (C. proc. civ., art. 381 N° Lexbase : L2256H4C). La solution est tout à la fois logique et efficace puisque le demandeur qui a oublié de citer le défendeur ne pourra voir sa demande examinée par le juge en raison, non d'une fin de non-recevoir ou d'une irrégularité procédurale, mais simplement en raison d'un incident d'instance. L'affaire peut être rétablie dans le rôle sur justification de l'accomplissement de la formalité (C. proc. civ., art. 383, al. 2 N° Lexbase : L2268H4R).
L'astreinte est une mesure d'exécution qui peut être accessoire à tout jugement (loi n° 91-650 du 9 juillet 1991, portant réforme des procédures civiles d'exécution, art. 33 N° Lexbase : L4632AHZ). La jurisprudence affirme constamment que l'astreinte est distincte de la condamnation sur laquelle elle s'appuie et, notamment, qu'il s'agit d'une mesure personnelle (2). Dans un arrêt du 18 décembre 2008 (Cass. civ. 2, 18 décembre 2008, n° 07-20.562, FS-P+B N° Lexbase : A9084EB3), la question s'est posée de la transmission de l'astreinte aux héritiers. Dans les faits, un locataire avait été condamné sous astreinte à libérer un local. Malgré l'injonction du juge, le locataire n'avait pas exécuté la décision et il était décédé quelque temps plus tard. Le demandeur avait alors poursuivi la liquidation de l'astreinte contre la veuve du locataire en qualité d'héritière.
La cour d'appel avait cru pouvoir rejeter la demande en raison du caractère personnel de l'astreinte. Selon les juges du second degré, cette mesure ne concernait que le défunt et non ses héritiers. La Cour de cassation a, pourtant, censuré cette décision, en affirmant que "le caractère personnel de l'astreinte ne s'oppose pas à ce que sa liquidation, qui tend à une condamnation pécuniaire, puisse être poursuivie contre les héritiers du débiteur pour la période antérieure à son décès". En d'autres termes, l'astreinte, en tant que condamnation pécuniaire, entre dans le patrimoine de la personne condamnée qui en est débitrice jusqu'à son décès. Au cours de la période entre l'injonction et le décès, une "dette d'astreinte" est née de façon définitive et cette dette, même si elle n'a pas été liquidée, se transmet aux héritiers. La personnalité de l'astreinte n'est donc pas assimilable au principe de personnalité des peines du Code pénal.
L'effet dévolutif de l'appel est un principe qui présente encore des zones d'ombre, notamment dans ses rapports avec le principe du contradictoire (Cass. civ. 2, 18 décembre 2008, n° 07-21.906, F-P+B N° Lexbase : A9127EBN). En l'espèce, un litige opposait deux sociétés. Un jugement de première instance avait tranché une partie du litige au fond en condamnant l'une des sociétés, mais sans statuer sur les pénalités de retard. Sans attendre la suite, le demandeur avait formé un appel général de la décision. L'intimé concluait simplement à l'irrecevabilité de l'appel. La cour d'appel décida, pourtant, de trancher le fond du litige, tant sur la condamnation principale que sur les intérêts de retard.
L'intimé reprochait ainsi à la cour d'appel de n'avoir pas respecté le principe du contradictoire en statuant sur le fond sans l'inviter à s'expliquer. Par ailleurs, l'intimé reprochait encore à la cour d'appel d'avoir "évoqué" sur la question des pénalités de retard, toujours en violation du principe du contradictoire. Il est vrai que cette situation ne correspondait pas à une évocation au sens de l'article 568 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6721H73) mais on pouvait reconnaître que la cour d'appel avait été un peu rapide en se prononçant sur l'entier litige sans avoir demandé à l'intimé de s'expliquer sur le fond tranché en première instance et sur la partie du litige jugée pour la première fois en appel (les pénalités de retard).
La Cour de cassation rejette, pourtant, les deux moyens du pourvoi en affirmant que "l'appelant ayant déféré l'entier litige à la cour d'appel par un acte d'appel général et conclu à l'infirmation des chefs du jugement lui faisant grief, la cour d'appel, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, a pu statuer sur l'ensemble des données de ce litige, sans être tenue d'inviter la société Le Nigen industries à s'expliquer sur le fond". Même si elle suit la logique de l'effet dévolutif, la solution est un peu sévère. Elle est certainement inspirée par une certaine idée de la loyauté qui doit conduire les parties à ne pas se retrancher derrière une défense dilatoire pour retarder l'issue inévitable d'une instance. La loyauté consiste, notamment, à ne pas retarder inutilement l'issue d'une instance en présentant dans le même temps des conclusions tendant à une fin de non-recevoir et une défense sur le fond du litige dont la cour d'appel est saisie en raison de l'effet l'évolutif. Plus que d'un équilibre entre l'effet dévolutif et le contradictoire, il s'agit plutôt dans cette décision d'une combinaison de l'effet dévolutif et de la coopération.
L'arbitrage vient de donner lieu à une décision importante qui a les honneurs de la publication sur internet et au Bulletin de la Cour de cassation. Cette décision de la première chambre civile rendue le 17 décembre 2008 (Cass. civ. 1, 17 décembre 2008, n° 07-19.915, FS-P+B+I N° Lexbase : A8645EBS) concernait la mission d'amiable compositeur de la cour d'appel statuant sur une décision arbitrale. Un litige entre deux sociétés avait donné lieu à la constitution d'un tribunal arbitral statuant en amiable compositeur et à charge d'appel. Pour autant, la cour d'appel ne s'était prononcée sur l'affaire qu'au regard des règles de droit applicables au litige. La Cour de cassation censure cette attitude en affirmant dans un motif solennel que "l'arbitre tranche le litige conformément aux règles de droit à moins que, dans la convention d'arbitrage, les parties ne lui aient conféré mission de statuer comme amiable compositeur ; que le juge d'appel, lorsque les parties se sont réservé expressément cette possibilité, statue comme amiable compositeur lorsque l'arbitre avait cette mission".
La solution n'est qu'une stricte application de l'article 1483 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6448H7X) in fine et la Cour de cassation en déduit logiquement qu'en "statuant ainsi, sans faire aucune référence à l'équité ou à la mission d'amiable compositeur qui lui avait été conférée, la cour d'appel a violé les textes susvisés".
L'apport de l'arrêt réside donc principalement dans le fait que la cour d'appel doit se référer expressément dans sa décision à sa mission d'amiable compositeur ou plus généralement à l'équité.
II - Question préjudicielle, régime juridique
La question préjudicielle, qui suit le régime juridique des exceptions de procédure, doit être présentée avant toute défense au fond et fin de non-recevoir. Cette règle ne s'applique pas à la question préjudicielle communautaire (Cass. civ. 2, 18 décembre 2008, n° 08-11.438, FS-P+B N° Lexbase : A9228EBE)
L'arrêt rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation le 18 décembre 2008 rappelle la règle de principe applicable aux exceptions de procédure selon laquelle l'exception doit être soulevée in limine litis, c'est-à-dire avant toute fin de non-recevoir et défense au fond. Les juges font une application fréquente de ce principe au sujet des exceptions de nullité pour irrégularité de forme. En cela, l'arrêt commenté est original puisqu'il concerne une question préjudicielle. En l'espèce, une partie avait formulé, au cours de la procédure, une demande de sursis à statuer jusqu'à une décision à intervenir devant la juridiction administrative, puis une autre liée à une demande de saisine de la Cour de justice des Communautés européennes. La cour d'appel a déclaré ces deux demandes de sursis à statuer irrecevables car elles n'avaient pas été présentées in limine litis.
Les arguments du pourvoi sont intéressants et méritent d'être détaillés. Le premier moyen visait la question préjudicielle devant la CJCE. L'auteur du pourvoi considérait que cette question préjudicielle concernait l'interprétation du droit communautaire et touchait le fond du litige. Il s'agissait donc d'une action au fond susceptible d'être présentée en tout état de cause. Le second moyen alléguait que la question préjudicielle devant le juge administratif portait sur les statuts d'une mutuelle et sur sa capacité à agir. Elle touchait donc le droit d'action en justice et pouvait être présentée à toute hauteur de la procédure.
La question posée à la Cour de cassation consistait donc à qualifier juridiquement la question préjudicielle pour lui appliquer ensuite le régime juridique adéquat. La question est délicate, car la question préjudicielle n'est pas visée par le Code de procédure civile (3). Plus particulièrement, elle ne figure pas dans la liste des moyens de défense du titre V du livre premier du Code de procédure civile.
A cette question, on peut imaginer plusieurs réponses. La première, évoquée par le pourvoi, consiste à dire que la nature procédurale de la question préjudicielle dépend du contenu de cette question. Si la question qui relève de la compétence d'une autre juridiction (juge administratif, communautaire) porte sur le fond du litige, elle suit le régime d'une défense au fond. Si cette question porte sur la capacité pour agir, elle suit le régime d'une nullité de fond (4). Une deuxième réponse pourrait consister à assimiler la question préjudicielle au sursis à statuer. Le sursis n'est pas un moyen de défense, mais un incident d'instance. D'un point de vue purement théorique, il ne doit pas subir la rigueur procédurale de présentation des exceptions. La jurisprudence décide même que la décision de surseoir à statuer est une mesure d'administration judiciaire (5). La troisième réponse se déduit de l'article 73 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1290H4K) qui définit les exceptions de procédure comme "tout moyen qui tend soit à déclarer la procédure irrégulière ou éteinte, soit à en suspendre le cours". La question préjudicielle et le sursis qui lui est attaché tendent à suspendre le cours de la procédure. On parle ainsi traditionnellement d'exception préjudicielle.
La réponse de la Cour de cassation emprunte partiellement son raisonnement à la troisième analyse. S'agissant de la demande de sursis à statuer en vue d'une question préjudicielle devant le juge administratif, la Cour affirme "qu'en vertu de l'article 74 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1293H4N), l'exception tirée de l'existence d'une question préjudicielle, qui tend à suspendre le cours de la procédure jusqu'à la décision d'une autre juridiction, doit, à peine d'irrecevabilité, être soulevée avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir, alors même que les règles invoquées au soutien de l'exception seraient d'ordre public".
La décision est ici sans ambiguïté. La Cour de cassation parle bien d'une "exception tirée de l'existence d'une question préjudicielle". Dès lors, cette exception tombe sous le coup du principe énoncé à l'article 74 du Code de procédure civile selon lequel "les exceptions doivent, à peine d'irrecevabilité, être soulevées simultanément et avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir".
Ce raisonnement peut recevoir l'approbation, car il est marqué par une certaine rigueur juridique. Une fois qualifiée d'exception de procédure, la question préjudicielle entre dans le régime général des exceptions. Cela correspond, d'ailleurs, à une jurisprudence initiée il y a déjà plusieurs années (6). Mais l'on s'étonne alors que la Cour de cassation apporte une autre réponse s'agissant de la question préjudicielle devant la Cour de justice des Communautés européennes.
En effet, la cour d'appel avait rejeté la demande de sursis comme tardive. La Cour de cassation prend le contre-pied de cette décision en affirmant "qu'en statuant ainsi, alors qu'une telle demande, qui tend au renvoi de l'affaire devant cette Cour pour interprétation des textes communautaires, peut être présentée en tout état de cause et même à titre subsidiaire, la cour d'appel a violé les textes susvisés".
On retient donc que la question préjudicielle communautaire peut être présentée en tout état de cause devant le juge civil. La solution est simple, mais son explication n'est pas évidente. Du reste, la Cour de cassation ne fournit qu'un embryon d'analyse en qualifiant l'exception préjudicielle communautaire de "renvoi [...] pour interprétation des textes communautaires". Cette analyse n'est pas convaincante dans la mesure où le renvoi préjudiciel vers le juge administratif peut poursuivre la même finalité.
Il faut donc explorer une autre hypothèse et considérer que la question préjudicielle communautaire ne relève pas du mécanisme de l'exception de procédure. Il y a, peut-être ici, un embryon de réponse, car le recours préjudiciel communautaire ne peut être sollicité que par une juridiction. La doctrine parle ainsi du "dialogue des juges" (7). La question préjudicielle communautaire ne constituerait donc pas une action en défense au sens du Code de procédure civile, mais une procédure entre juridictions, qui peut être sollicitée par une partie, mais aussi décidée d'office par le juge.
On retiendra donc surtout de l'arrêt sa double solution. Par principe, l'exception préjudicielle doit être présentée avant toute défense au fond et fin de non-recevoir. Par dérogation, la question préjudicielle communautaire peut être soulevée par une partie en tout état de cause.
III - Juge de la mise en état et fin de non-recevoir
Le juge (ou le conseiller) de la mise en état peut se prononcer sur les fins de non-recevoir (solution implicite). Seule la décision d'irrecevabilité acquiert l'autorité de la chose jugée. Si elle est rejetée par le juge de la mise en état, l'allégation d'irrecevabilité peut à nouveau être présentée devant la cour d'appel (Cass. civ. 2, 18 décembre 2008, 2 arrêt, n° 08-11.103, F-P+B N° Lexbase : A9221EB7 et n° 07-20.599, F-P+B N° Lexbase : A9086EB7).
La compétence du juge de la mise en état pour statuer sur les fins de non-recevoir est une question délicate. L'article 771 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6999H7D) énonce ainsi que "lorsque la demande est présentée postérieurement à sa désignation, le juge de la mise en état est, jusqu'à son dessaisissement, seul compétent, à l'exclusion de toute autre formation du tribunal" pour statuer sur un certain nombre de questions (exceptions de procédures, incidents mettant fin à l'instance...). Pour autant, les fins de non-recevoir ne sont pas prévues par l'article 771. Dans un avis rendu le 13 novembre 2006 (8), la Cour de cassation avait, d'ailleurs, affirmé que les "incidents mettant fin à l'instance" de l'article 771 ne visaient pas les fins de non-recevoir. On aurait pu en déduire que le juge de la mise en état n'était pas compétent pour statuer sur les fins de non-recevoir mais certains auteurs ont estimé que l'avis rendu par la Cour de cassation induisait simplement que les fins de non-recevoir pouvaient être aussi soulevées devant la juridiction de jugement (9). En d'autres termes, l'article 771 ne viserait que les mesures relevant de la compétence exclusive du JME alors que d'autres mesures (non visées) pourraient relever de la compétence conjointe du JME et de la formation de jugement.
Deux décisions du 18 décembre 2008 viennent s'ajouter au débat sans toutefois lever toutes les ambiguïtés sur la question des fins de non-recevoir devant le juge de la mise en état.
Dans la première espèce (n° 08-11.103), le litige avait donné lieu à un arrêt de cassation avec renvoi et l'une des parties alléguait que la cour d'appel de renvoi avait été saisie tardivement (au-delà du délai de quatre mois prévu par le Code). Cette allégation fut présentée, une première fois, devant le conseiller de la mise en état, lequel la rejeta. Puis l'allégation fut portée, une seconde fois, devant la cour d'appel statuant en formation de jugement.
La question se posait de savoir si la juridiction de jugement pouvait statuer une seconde fois sur une prétention formulée devant le conseiller de la mise en état et tranchée par lui.
L'auteur du pourvoi estimait implicitement que le délai de quatre mois constituait un délai de péremption et que le moyen tiré de ce délai constituait un incident d'instance. Selon l'argumentation, la décision du conseiller de la mise en état sur cet incident d'instance avait acquis l'autorité de la chose jugée de sorte que la cour d'appel ne pouvait plus en être saisie.
La Cour de cassation rejette cette argumentation. Elle reprend, d'abord, la solution dégagée dans l'avis précité du 13 novembre 2006 selon lequel "les incidents mettant fin à l'instance visés par le deuxième alinéa de l'article 771 du Code de procédure civile comme relevant de la compétence exclusive du conseiller de la mise en état sont ceux mentionnés par les articles 384 (N° Lexbase : L2272H4W) et 385 (N° Lexbase : L2273H4X) du même code et n'incluent pas les fins de non-recevoir" (10). Elle considère, ensuite, que "le délai de saisine de la cour de renvoi prévu par l'article 1034 (N° Lexbase : L1309H4A) de ce code étant, non un délai de péremption, mais un délai de forclusion dont la sanction est soumise au régime des fins de non-recevoir". Elle en déduit que la cour d'appel a statué à juste titre sur le moyen tiré de l'inobservation de ce délai.
En matière de fin de non-recevoir, la Cour de cassation semble donc admettre dans cet arrêt la compétence conjointe ou successive du juge de la mise en état puis de la juridiction de jugement. Le rejet d'une fin de non-recevoir par le juge de la mise en était n'aurait donc pas autorité de la chose jugée.
C'est en ce sens que statue le second arrêt étudié (n° 07-20.599). Dans cette affaire, le conseiller de la mise en état avait été saisi d'une prétention tendant à voir déclaré l'appel irrecevable (11). Le magistrat avait rejeté cette prétention et l'intimé soulevait, à nouveau, l'irrecevabilité de l'appel devant la juridiction de jugement. La cour d'appel ne répondit, pourtant, pas aux conclusions d'irrecevabilité.
La Cour de cassation sanctionne cette attitude en affirmant que la cour d'appel "était tenue de statuer sur cette fin de non-recevoir, peu important qu'elle ait été écartée par le conseiller de la mise en état par une ordonnance qui, n'ayant pas mis fin à l'instance, était dépourvue de l'autorité de la chose jugée au principal".
Cet arrêt confirme la compétence conjointe ou simultanée du conseiller de la mise en état et de la cour d'appel pour statuer sur cette fin de non-recevoir. Elle en déduit logiquement que la décision de rejet de la fin de non-recevoir par le conseiller de la mise en état n'a pas d'autorité de la chose jugée dans la mesure où elle ne met pas fin à l'instance. A l'inverse, si le conseiller déclare l'appel irrecevable, sa décision, qui met fin à l'instance, peut être déférée par simple requête à la cour (12). Au-delà de ce délai, la décision du conseiller qui n'a pas été déférée à la cour acquiert l'autorité de la chose jugée.
Les deux décisions commentées ne sont pas tout à fait explicites, mais elles confirment tout de même l'approche doctrinale selon laquelle les fins de non-recevoir relèvent de la compétence du juge de la mise en état, puis de la cour d'appel. Si cette jurisprudence devait être confirmée, on se trouverait alors face à deux hypothèses :
- soit, le juge de la mise en état (ou le conseiller) rejette la fin de non-recevoir. Cette décision est dépourvue de l'autorité de la chose jugée et la prétention peut être à nouveau soulevée devant la juridiction de jugement ;
- soit, le juge de la mise en état prononce l'irrecevabilité de l'action (ou de l'appel). Cette décision mettant fin à l'instance, elle peut être attaquée par les voies de recours adéquates. En l'absence de recours dans le délai imparti, la décision acquiert l'autorité de la chose jugée.
Il n'en reste pas moins que l'article 771 demeure ambigu dans sa formulation et qu'une meilleure rédaction permettrait de connaître exactement le champ de compétence du juge de la mise en état.
Etienne Vergès, Professeur à l'Université de Grenoble II
(1) Voir, not., Cass. civ. 1, 24 septembre 2002, n° 00-21.060, M. Famara Dieme c/ Procureur général près la cour d'appel de Paris, F-D (N° Lexbase : A4930AZM), Procédures, 2002, com. 223.
(2) Not., Cass. civ. 1, 3 avril 2002, n° 00-10.893, Mme Yvette Vernhet c/ Syndicat des copropriétaires de l'immeuble Le Cordoue, F-P (N° Lexbase : A4265AYM), Bull civ. I, n° 104.
(3) Si l'on excepte certaines dispositions particulières sur la nationalité (C. proc. civ., art. 1041 N° Lexbase : L1328H4X à 1043).
(4) Le pourvoi parle du droit d'action et semble donc évoquer une fin de non-recevoir, mais l'on sait que le défaut de capacité est visé dans la liste limitative des nullités de fond de l'article 117 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1403H4Q).
(5) Cass. soc., 3 février 1986, n° 83-43.487, La Société Barton-Guestier c/ Manceau (N° Lexbase : A2821AAQ), JCP éd. S, 1986, IV, 107.
(6) Cass. com., 8 février 1982, n° 79-12.174, Société Assurances et Prévoyance Internationales API (N° Lexbase : A5705CGE), Bull. civ. IV, n° 49 ; Cass. civ. 1, 16 octobre 1985, n° 84-12.323, Repiquet, Mme Blanchard c/ Epoux Guignard (N° Lexbase : A5300AAK), Bull. civ. I, n° 264.
(7) S. Guinchard, F. Ferrand, C. Chainais, Procédure civile, Dalloz, 29ème éd., 2008, p. 369 ; L. Cadiet, E. Jeuland, Droit judiciaire privé, Litec, 5ème éd., p. 151 (les auteurs évoquent l'expression "de juge à juge" utilisée par la CJCE).
(8) Cass. avis., 13 novembre 2006, JCP éd. G, 2007, II, 10027.
(9) R. Perrot, Procédures, janvier 2007, comm. 8.
(10) On note, au passage, que la Cour de cassation applique au conseiller de la mise en état les dispositions relatives au juge de la mise en état de l'article 771 conformément aux prescriptions de l'article 910, alinéa 1er (N° Lexbase : L0954H44).
(11) Il faut remarquer ici que la recevabilité de l'appel est une compétence du conseiller de la mise en état expressément prévue par l'article 911 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L0955H47).
(12) C. proc. civ., art. 914 (N° Lexbase : L0963H4G).
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Réf. : Cass. soc., 16 décembre 2008, n° 07-15.019, Société Jean Caby, venant aux droits de la société par actions simplifiée Imperator, FS-P+B (N° Lexbase : A8971EBU)
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par Sébastien Tournaux, Docteur en droit, Chargé d'enseignement à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV
Le 12 Décembre 2023
Le régime applicable à la convention de reclassement personnalisé reste, en grande partie, à construire, puisque ce mécanisme, mis en place par la loi de cohésion sociale du 18 janvier 2005 (loi n° 2005-32 du 18 janvier 2005, de programmation pour la cohésion sociale N° Lexbase : L6384G49), n'a, jusqu'ici, fait l'objet que de peu de recours devant la Cour de cassation (1). Après avoir réglé la question de la contestation de la cause réelle et sérieuse du motif économique invoqué après rupture négociée découlant de la convention de reclassement personnalisé (2), la Cour de cassation s'intéresse aux problèmes liés à l'obligation de proposer au salarié une telle convention. En effet, si le texte semblait réserver cette obligation au licenciement stricto sensu, le champ d'application extensible des règles du licenciement économique pouvait laisser présager que l'obligation s'imposerait, également, à l'employeur en cas de rupture négociée. C'est bien ce présage que vient confirmer la Chambre sociale de la Cour de cassation, par un arrêt rendu le 16 décembre 2008 (I). Il paraît, alors, utile de s'interroger sur les conséquences d'une telle décision, bref, sur l'avenir de la convention de reclassement personnalisé (II).
Résumé En cas de résiliation amiable du contrat de travail d'un salarié conclue en raison de circonstances caractérisant un motif économique, l'employeur est tenu de proposer au salarié les mesures d'évaluation des compétences professionnelles et d'accompagnement prévues par l'article L. 321-4-2 du Code du travail (N° Lexbase : L6081H94, C. trav., art. L. 1233-65, recod. N° Lexbase : L1247H93) ; à défaut, il doit verser une contribution aux organismes visés à l'article L. 351-21 de ce code (N° Lexbase : L1521DPZ, C. trav., art. L. 5427-1, recod. N° Lexbase : L3008H9B). |
Commentaire
I - L'extension logique de l'obligation de proposer une convention de reclassement personnalisé
La convention de reclassement personnalisé a remplacé le mécanisme du plan d'aide au retour à l'emploi (PARE) anticipé et trouve une parenté dans l'ancienne convention de conversion. Dans la lignée de cette dernière, elle a pour objet de permettre au salarié "de bénéficier, après la rupture de son contrat de travail, d'actions de soutien psychologique, d'orientation, d'accompagnement, d'évaluation des compétences professionnelles et de formation destinées à favoriser son reclassement" (3).
Lorsque l'employeur d'une entreprise de moins de mille salariés envisage de prononcer le licenciement d'un salarié pour motif économique, il est tenu de lui proposer de signer une telle convention de reclassement personnalisé. L'employeur informe individuellement et par écrit le salarié du contenu de la convention. Cette information individuelle doit comporter la date de remise faisant courir le délai de réflexion de 14 jours du salarié, le délai imparti au salarié pour donner sa réponse et la date de rupture de son contrat de travail en cas d'acceptation de la convention (4). Ce document est remis contre récépissé au salarié, soit lors de l'entretien préalable au licenciement, soit à l'issue de la dernière réunion de consultation des représentants du personnel s'il s'agit d'un licenciement collectif de plus de dix salariés dans la même période de trente jours. Enfin, il comporte un volet "bulletin d'acceptation" détachable, à compléter par le salarié et à remettre à l'employeur s'il souhaite bénéficier de cette mesure.
La sanction du manquement à cette obligation est, elle aussi, prévue par le Code du travail. Par application de son ancien article L. 321-4-2 II (N° Lexbase : L6081H94) (5), tout employeur qui procède au licenciement pour motif économique d'un salarié sans lui proposer le bénéfice d'une convention de reclassement personnalisé doit verser aux Assedic une contribution égale à deux mois de salaire brut moyen, moyenne calculée sur les douze derniers mois travaillés.
Il demeurait, cependant, la question de l'applicabilité de ce régime à une rupture du contrat de travail intervenue par un autre mode que le licenciement, quoique bien justifiée par un motif économique.
C'est là que l'affaire commentée apporte un détail nouveau au régime de la convention de reclassement personnalisé. Un salarié avait conclu avec son employeur "une convention de résiliation amiable de son contrat de travail". L'Assedic, au vu des circonstances de la rupture, s'estima redevable de la contribution-sanction prévue par le Code du travail en cas de manquement de l'employeur à son obligation d'informer le salarié de son droit à conclure une convention de reclassement personnalisé. Elle émit donc une contrainte à laquelle l'employeur s'opposa. Le juge de proximité de Saint-Etienne rejeta l'opposition (6) si bien que l'employeur se pourvut en cassation.
La Chambre sociale de la Cour de cassation, par cet arrêt du 16 décembre 2008, rejette le pourvoi, en jugeant que, "en cas de résiliation amiable du contrat de travail d'un salarié conclue en raison de circonstances caractérisant un motif économique, l'employeur est tenu de proposer au salarié les mesures d'évaluation des compétences professionnelles et d'accompagnement prévues par l'article L. 321-4-2 du Code du travail". Elle en déduit que l'employeur était bien redevable de la contribution prévue en cas de manquement à une telle obligation.
Ce faisant, la Cour de cassation procède à une extension du texte de l'article L. 321-4-2 qui, comme le soutenait, d'ailleurs, l'employeur, paraît limiter son champ d'application au licenciement stricto sensu. Cela n'est, à vrai dire, guère étonnant, tant le législateur, comme la Haute juridiction, ont tendance à étendre l'ensemble des procédures du licenciement pour motif économique à d'autres mode de rupture reposant, eux aussi, sur une justification économique. Dans la lignée de cette décision, il est, d'ores et déjà, possible d'envisager que d'autres sanctions viendront s'ajouter à un tel manquement, non plus à l'égard de l'Assedic, comme le prévoit le Code du travail, mais directement au salarié ayant subi ce manquement.
II - Les conséquences prévisibles de l'extension de l'obligation de proposer une convention de reclassement personnalisé
Le champ d'application de la procédure encadrant le licenciement pour motif économique a, depuis longtemps, été largement étendu au-delà du licenciement au sens strict.
On se souviendra, ainsi, que, dès 1996, la Cour de cassation avait étendu aux propositions de modification du contrat de travail justifiée par un motif économique l'obligation pour l'employeur de mettre en oeuvre un plan social (7). Dans la même logique, les juges avaient été précédés par le législateur qui, en 1992, avait ajouté un second alinéa à l'article L. 321-1 du Code du travail (N° Lexbase : L8921G7K), texte en vertu duquel étaient rendues applicables les règles du licenciement économique à toute rupture du contrat de travail résultant d'une cause économique. Enfin, et surtout, les règles du licenciement avaient en partie été étendues à la rupture négociée résultant de la conclusion d'une convention de reclassement personnalisé, le salarié demeurant en mesure de contester le caractère réel et sérieux des difficultés économiques (8).
Cette tendance devait donc, très logiquement, se retrouver en matière de convention de reclassement personnalisé. Si le seul licenciement était visé dans le texte en imposant la proposition, comme, d'ailleurs, dans la grande majorité des textes relatifs à la rupture du contrat de travail en raison de difficultés économiques, la convention devait, également, être proposée en cas de rupture amiable (9). Il s'agissait, d'ailleurs, là, comme le soulignait le Professeur Willmann, de la solution préconisée lors des travaux parlementaires relatifs au vote de la loi de cohésion sociale (10).
Il reste que cette logique de rattachement de la rupture conventionnelle au régime du licenciement a été très nettement abandonnée lors de l'entrée en vigueur de la loi portant modernisation du marché du travail du 25 juin 2008 s'agissant de la nouvelle rupture conventionnelle du contrat de travail (11). En effet, la loi pose une exception à l'article L. 1233-3, alinéa 2, du Code du travail (N° Lexbase : L9888HW7), article ayant recodifié l'article L. 321-1, alinéa 2, du même code. La rupture conventionnelle ne nécessite donc pas la mise en oeuvre de la procédure de licenciement pour motif économique. En bon respect des termes de cette loi, l'obligation de proposer une convention de reclassement personnalisé ne devrait donc pas être imposée à l'employeur concluant une rupture conventionnelle justifiée par un motif économique. Le manque de cohérence d'ensemble, déjà dénoncée, ne s'en trouvera que renforcé (12).
Enfin, on peut se demander si l'employeur ne pourrait pas être, à l'avenir, contraint à d'autres sanctions que le seul versement de la contribution de l'article L. 321-4-2 de l'ancien Code du travail. L'observation de la jurisprudence s'étant développée, en son temps, pour la mise en application de l'obligation de l'employeur d'informer le salarié de sa possibilité de conclure une convention de conversion incline, en effet, à une telle conclusion.
L'employeur qui procédait au licenciement pour motif économique d'un salarié sans lui proposer le bénéfice d'une convention de conversion devait verser aux Assedics une contribution égale à un mois de salaire brut moyen des 12 derniers mois travaillés (13). Mais, la jurisprudence avait admis que la méconnaissance par l'employeur de l'obligation de proposer une convention de conversion emportait nécessairement pour le salarié un préjudice qui devait être réparée par l'allocation de dommages-intérêts (14). Cette indemnité pouvait se cumuler avec une indemnité pour irrégularité de la procédure ou pour défaut de cause réelle et sérieuse du licenciement (15).
Si, par un raisonnement a pari, il y a fort à penser que ces sanctions pourront, également, être infligées à un employeur manquant à l'obligation de proposer une convention de reclassement personnalisé, il est, également, fort probable que ces sanctions puissent être prononcées quand bien même la rupture ne résulterait pas d'un licenciement stricto sensu mais, comme en l'espèce, d'une rupture négociée.
(1) A notre connaissance, c'est, seulement, la troisième décision rendue par la Cour de cassation en matière de reclassement personnalisé. V. Cass. soc., 5 mars 2008, n° 07-41.964, FS-P+B+R (N° Lexbase : A3379D7B) et les obs. de Ch. Willmann, Convention de reclassement personnalisé et contestation du motif économique de la rupture du contrat de travail, Lexbase Hebdo n° 297 du 20 mars 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N4460BEW), JCP éd. S, 2008, 1334, note F. Dumont ; RDT, 2008, n° 6, p. 385, note E. Dularch. V., également, Cass. soc., 3 décembre 2008, n° 07-44.067, F-D (N° Lexbase : A5317EBK). Ces deux décisions portaient sur la possibilité, pour le salarié, de contester l'existence d'une cause réelle et sérieuse du licenciement, alors même que la conclusion de la convention de reclassement personnalisé avait eu pour effet de rompre le contrat de travail d'un commun accord.
V., encore, un arrêt rendu par le Conseil d'Etat annulant un arrêté d'agrément de la convention du 18 janvier 2006, relative à la convention de reclassement personnalisé : CE, 1° et 6° s-s-r., 31 janvier 2007, n° 292828, Union nationale de coordination des associations militaires (N° Lexbase : A7740DTT) et les obs. de Ch. Willmann, Le Conseil d'Etat valide la convention d'assurance chômage du 18 janvier 2006, mais pas la convention portant sur la convention de reclassement personnalisé, Lexbase Hebdo n° 249 du 22 février 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N0772BAT).
(2) Cass. soc., 5 mars 2008, n° 07-41.964, préc..
(3) Selon les termes de l'ancien article L. 321-4-2 (N° Lexbase : L6081H94) recodifié à l'article L. 1233-65 du Code du travail (N° Lexbase : L1247H93).
(4) Sur cette procédure, v. Convention de reclassement personnalisé : questions à... François Farmine, avocat au barreau de Paris, Lexbase Hebdo n° 186 du 19 octobre 2005 - édition sociale (N° Lexbase : N9649AI9).
(5) Devenu l'article L. 1235-16 du nouveau code (N° Lexbase : L1367H9I).
(6) Si le fait que la décision attaquée devant la Cour de cassation ait été rendue par la juridiction de proximité peut étonner, cela n'a, pourtant, rien d'anormal. En effet, le juge de proximité est compétent et statue en premier et dernier ressort en matière civile pour les litiges personnels et mobiliers n'excédant pas quatre mille euros. Le litige opposant l'Assedic à un employeur ne pouvait relever du conseil de prud'hommes à défaut de contrat de travail entre les parties, pas plus qu'il ne pouvait ressortir du tribunal des affaires de Sécurité sociale, l'indemnisation du chômage n'étant pas une branche de la Sécurité sociale.
(7) Cass. soc., 3 décembre 1996, n° 95-17.352, publié (N° Lexbase : A2180AAY) ; Cass. soc., 3 décembre 1996, n° 95-20.360, publié (N° Lexbase : A2182AA3), Dr. soc., 1997, p. 18, rapp. P. Waquet, note J. Savatier ; RJS, 1997, p. 12, concl. P. Lyon-Caen. L'appréciation très contestée faite par la Cour de cassation en la matière a, depuis lors, été repoussée par l'effet de la loi de cohésion sociale du 18 janvier 2005. Sur cette question, v. Ch. Radé, L'abandon de la jurisprudence "Framatome" et "Majorette", Lexbase Hebdo n° 153 du 2 février 2005 - édition sociale (N° Lexbase : N4503ABE).
(8) Cass. soc., 5 mars 2008, n° 07-41.964, préc..
(9) L'extension a, parfois, été plus difficile à apprécier, avec une tendance de la Chambre sociale à se contredire, comme ce fut le cas en matière de départ volontaire résultant d'un accord collectif. V. Cass. soc., 13 septembre 2005, n° 04-40.135, FS-P+B (N° Lexbase : A4536DK9) et les obs. de Ch. Radé, Accords négociés et licenciements économiques, ou le mariage de la carpe et du lapin, Lexbase Hebdo n° 183 du 28 septembre 2005 - édition sociale (N° Lexbase : N8886AIX). En sens inverse, v. Cass. soc., 24 mai 2006, n° 04-44.605, F-P (N° Lexbase : A7487DPY) et les obs. de S. Martin-Cuenot, Rupture amiable et licenciement économique : la rupture ?, Lexbase Hebdo n° 219 du 14 juin 2006 - édition sociale (N° Lexbase : N9596AKM).
(10) V. Ch. Willmann, La convention de reclassement personnalisé, Lexbase Hebdo n° 168 du 19 mai 2005 - édition sociale (N° Lexbase : N4337AIH).
(11) V. nos obs., Article 5 de la loi portant modernisation du marché du travail : la rupture conventionnelle du contrat de travail, Lexbase Hebdo n° 312 du 9 Juillet 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N5222BGI).
(12) Ibid..
(13) C. trav., art. L. 321-13-1, abrogé (N° Lexbase : L6128ACX).
(14) Cass. soc., 8 juillet 1997, n° 95-40.062, publié (N° Lexbase : A4126AA3).
(15) Cass. soc., 6 juillet 1999, n° 97-41.743, publié (N° Lexbase : A8106AYU) ; Cass. soc., 8 juillet 2003, n° 01-42.170, F-P+B (N° Lexbase : A1082C9X) et les obs. de S. Martin-Cuenot, Les conséquences du maintien des obligations de l'employeur en matière de convention de conversion, Lexbase Hebdo n° 82 du 31 juillet 2003 - édition sociale (N° Lexbase : N8310AAZ).
Décision Cass. soc., 16 décembre 2008, n° 07-15.019, FS-P+B (N° Lexbase : A8971EBU) Rejet, Juridiction de proximité, Saint-Etienne, 31 janvier 2007 Textes cités : C. trav., L. 321-4-2 (N° Lexbase : L6081H94, art. L. 1233-65, recod. N° Lexbase : L1247H93) et L. 351-21 (N° Lexbase : L1521DPZ, art. L. 5427-1, recod. N° Lexbase : L3008H9B). Mots-clés : licenciement économique ; rupture négociée ; convention de reclassement personnalisé ; obligation de proposer la convention au salarié ; sanction. Lien base : |
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par Fany Lalanne, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition sociale
Le 07 Octobre 2010
Lexbase : Votre démarche a été/est de faire reconnaître la qualité de salariés aux participants aux émissions dîtes de télé-réalité en faisant requalifier en contrat de travail les contrats passés entre les participants et les sociétés de production. Cela implique-t'il une redéfinition implicite de ce type d'émission ?
Jérémie Assous : Il n'est pas question de "redéfinition implicite". Il faut bien garder à l'esprit que la définition proposée par les sociétés de production, qui tend à faire croire que les participants vivent, sans contrainte, une expérience personnelle réelle donnant lieu à la diffusion de films constituant les seuls extraits de leur vie quotidienne, n'est destinée qu'aux seuls téléspectateurs pour asseoir l'intérêt et la nouveauté du concept. Or, dans les rapports entre les sociétés de production et les participants, le postulat de la réalité, opposé à ce qui est artificiel, a toujours été inexistant, les circonstances de fait plaçant ces derniers dans des situations scénarisées, créées de toutes pièces par la production en fonction d'une ligne narrative prédéterminée. Dès lors, le concept de "télé-réalité" n'est qu'un sous-genre de la catégorie des oeuvres audiovisuelles de fiction. En ce sens, il emprunte aux sitcoms, ou situations comedies, et peut se définir comme une succession de scènes préétablies contenues dans un scénario, avec un thème défini, que ce soit la séduction ou, encore, la mode, la musique, l'aventure... En effet, ces émissions présentent toutes les caractéristiques des oeuvres de fiction, telles un scénario imposant un casting drastique, un règlement permettant à la production de diriger constamment les participants tenus de répéter des scènes jusqu'à obtention d'un produit correspondant à la ligne éditoriale, un montage artificiel et l'intervention systématique d'une voix off afin de parachever l'histoire. Pour s'en convaincre, il suffit de constater que ces émissions sont déclinées dans des dizaines de pays dans le monde, chaque année, sur la base du même format.
Le concept de réalité, faussement avancé par les sociétés de production, pourrait, en revanche, conduire certains à envisager la qualification d'oeuvre documentaire. Sur ce point, il convient de souligner que le 11 mars 2004, le tribunal administratif de Paris a annulé la décision du directeur du Centre National de la Cinématographie, qui avait qualifié l'émission de télé-réalité "Popstar" "d'oeuvre audiovisuelle documentaire". En effet, le tribunal, suivi par la cour administrative d'appel, a considéré que le contenu de l'émission ne lui préexiste pas et qu'il a été créé pour ses propres besoins de production et de diffusion. En conséquence, il a jugé que ledit programme ne pouvait pas appartenir au genre "documentaire de création". En effet, et justement, dans un film documentaire, la réalité préexiste nécessairement au tournage et c'est cette réalité qui motive la réalisation et la production de l'oeuvre audiovisuelle, sans que celle-ci soit modifiée au regard d'impératifs scénaristiques et sans intervention du téléspectateur dans l'évolution du programme. C'est l'individu, filmé dans son quotidien, qui est l'objet même du documentaire, l'objectif du réalisateur et du producteur étant de rendre compte, le plus fidèlement possible, des éléments par eux observés. Au contraire, dans les programmes de télé-réalité, les participants sont extraits de leur quotidien pour intégrer un cadre artificiel au sein duquel ils sont tenus de suivre un scénario, sous les directives constantes de la production.
Lexbase : En matière de relation de travail, il n'y a pas lieu de s'attacher à la qualification contractuelle retenue par les parties. Quel type de contrat avaient signé les participants à "l'Ile de la tentation" ?
Jérémie Assous : Les participants, qu'ils soient "tentateurs" ou "membres d'un couple" ont tous signé un contrat identique, intitulé "Règlement de Participants", qui leur impose de nombreuses obligations et sujétions dans le cadre du tournage de l'émission et par lequel ils cèdent leurs droits sur leur image au profit de la société de production. Ils ont, également, consenti une exclusivité concernant la commercialisation de produits dérivés relativement à leur voix, leur nom et leur image. Enfin, ils ont passé une convention concernant la réalisation de reportages photographiques pendant et après le tournage de l'émission.
Quelle que soit la dénomination retenue, il convient de rappeler que, sur le fondement de l'article 12 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1127H4I), qui dispose que le juge "doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s'arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée", la Chambre Sociale de la Cour de Cassation, suivant l'arrêt d'Assemblée plénière du 4 mars 1983 (3), a considéré, par une décision en date du 19 décembre 2000, que "l'existence d'une relation de travail ne dépend, ni de la volonté exprimée par les parties, ni de la dénomination qu'elles ont donnée à leur convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité des travailleurs" (4).
Lexbase : Par trois décisions du 12 février 2008, la cour d'appel de Paris a considéré que la relation nouée entre la société de production et les candidats devait être requalifiée en relation salariale. Dans le cadre des émissions de télé-réalité, comment établir l'existence d'un contrat de travail ?
Jérémie Assous : Le contrat de travail suppose la réunion de trois conditions cumulatives : une prestation de travail, effectuée sous la subordination d'un employeur, en contrepartie d'une rémunération, le critère principal demeurant celui du lien de subordination.
Concernant la prestation de travail, celle-ci est envisagée de manière très large, tant par la jurisprudence que par la doctrine et se définit comme une activité ayant une valeur économique certaine exercée en faveur d'une autre personne. Ainsi, comme le soutiennent, très justement, les professeurs J. Pélissier, A. Jeammaud et A. Supiot, la prestation de travail consiste, pour une personne, à mettre son activité à la disposition d'une autre. Elle peut, dans cette optique, être manuelle, physique, intellectuelle, artistique ou sportive. En l'espèce, les participants ont bien exercé une prestation de travail puisqu'ils ont développé un ensemble d'activités coordonnées par la production dans l'objectif commun de fabriquer un programme audiovisuel ayant une valeur économique. L'absence de caractère professionnel et la notion de plaisir ne saurait exclure la reconnaissance d'une prestation de travail, ainsi que l'a rappelé la CJCE, dans un arrêt du 3 juillet 1986 (5), par lequel elle soutient que le caractère professionnel d'une prestation de travail n'est pas indispensable à la qualification de contrat de travail.
Concernant le lien de subordination, celui-ci a été défini par la Cour de cassation, dans un arrêt du 13 novembre 1996, comme "l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné" (6). Il faut donc caractériser une dépendance juridique. En l'espèce, cet état a été clairement constaté concernant les participants aux émissions, eu égard aux ordres et aux directives qu'ils devaient scrupuleusement et constamment suivre, sous peine d'exclusion du programme, outre la perspective que la société de production s'était réservée en cas de non respect du "Règlement de Participants" et des directives imposées par elles. Ainsi, le lien de subordination a pu se vérifier au regard, notamment, de la détermination des tâches à accomplir et des modalités de leur exécution, de la détermination du lieu de travail, des horaires de travail, ainsi que des heures de coucher et de lever, de la fourniture du matériel nécessaire à l'exécution des tâches et de la prise en charge, par la production, de frais divers (transports, repas...), le tout sous peine de sanctions prévues par le "Règlement de Participants".
La société de production a tenté d'échapper à cet évident constat en assimilant les contraintes imposées aux participants, qu'elle reconnaît, par ailleurs, à celles découlant de la participation à une épreuve sportive. Or, cet argument se révèle inopérant, dans la mesure où les règlements encadrant le déroulement d'épreuves sportives, élaborés par des instances spécifiques, contiennent des règles prédéterminées non modifiables en cours d'épreuve. En l'espèce, outre le fait qu'aucun des programmes ne constitue un jeu, au sens de l'article 1964 du Code civil (N° Lexbase : L1036ABY), il convient de souligner que les sociétés de production modifient unilatéralement, discrétionnairement et à tout moment les règles du programme, en fonction des impératifs scénaristiques qu'elles se fixent. Cette assimilation se doit donc d'être écartée et le lien de subordination ne saurait être contesté.
Concernant la rémunération, tous les participants ont perçu une somme de 1 500 euros et ce, quelle que soit la saison, qui constitue, sans aucun doute possible, la contrepartie du travail déployé par eux. Celle-ci a été "déguisée" en "minimum garanti", à valoir sur les royalties à percevoir sur les exploitations merchandisings et/ou promotionnelles associant l'image des participants. Or, cette qualification succombe devant la constatation de ce qu'aucune exploitation de tels produits n'a jamais été entreprise depuis 2002. L'existence d'une véritable rémunération est, d'ailleurs, confirmée à la lecture du "Règlement de Participants", qui prévoit le non paiement de ladite somme en cas du non-respect, par les participants, des obligations qu'il édicte. A cet égard, il convient de souligner que l'administration fiscale a qualifié de rémunération les sommes reçues par un participant à une émission similaire à celle de "L'Ile de la Tentation" (7).
Il apparait donc clairement que les trois éléments constitutifs du contrat de travail se trouvaient, ici, réunis.
Lexbase : Pourquoi ne pas reconnaître aux participants des émissions de télé-réalité la qualité d'artistes du spectacle, pour lesquels il existe une présomption de salariat, conformément à l'article L. 7121-3 du Code du travail (N° Lexbase : L3102H9R) ?
Jérémie Assous : Les participants ont effectivement fourni, durant le tournage, une véritable prestation artistique, qui a consisté à jouer, soit le rôle d'un "tentateur", soit celui de "membre d'un couple", suivant une mise en scène déterminée par le producteur, laquelle laissait une place certaine à l'improvisation, sans que celle-ci soit exclusive de la qualité d'artiste-interprète. Ainsi, les relations salariales vérifiées entre la société de production et les participants devraient être soumises à la Convention collective nationale du 30 décembre 1992, relative aux artistes-interprètes engagés pour des émissions de télévision. Il n'est pas, ici, question d'évaluer le talent artistique des participants, mais de vérifier que le travail effectué répond aux critères définis par la jurisprudence, l'article L. 212-1 du Code de la propriété intellectuelle, ne définissant pas de façon précise la notion d'artiste-interprète. En l'espèce, comme nous l'avons vu, les participants sont tenus d'exécuter les scénarii établis par la production. D'ailleurs, le conseil des prud'hommes de Paris a reconnu, dans ses jugements du 30 novembre 2005 (8), la qualité d'artiste du spectacle au bénéfice des participants à l'émission "L'Ile de la Tentation". La cour d'appel de Paris, dans sa décision du 12 février 2008, n'exclut pas la qualité d'artiste-interprète par principe, mais écarte cette qualification, faute, pour les demandeurs, d'en avoir rapporté la preuve. Rappelons, enfin, que la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a considéré, dans un arrêt du 14 décembre 2004, que "doivent être qualifiés d'artistes du spectacle les personnes participant à une manifestation destinée à un public et faisant appel à leur talent personnel" (9).
Lexbase : Quelles sont les conséquences juridiques qu'emporte la requalification des contrats en contrat de travail ?
Jérémie Assous : Le "Règlement de Participants", requalifié en contrat de travail à durée indéterminée, conduit au paiement, au profit des participants, d'un rappel de salaire, d'heures supplémentaires (art. 5.7.1), des heures de nuit, pendant lesquels ils ont été à la disposition de la production (art. 5.8), des jours fériés (5.9) et d'une indemnisation au titre du repos compensateur obligatoire (10).
Par ailleurs, les articles L. 1241-1 (N° Lexbase : L1427H9Q) et suivants du Code du travail précisent qu'un contrat de travail à durée indéterminée ne peut être rompu qu'en respectant une procédure de licenciement et pour une cause réelle et sérieuse. Dès lors, n'ayant pas bénéficié desdites dispositions relatives à la rupture du contrat de travail, les participants sont en droit de solliciter le paiement d'une indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement et d'une indemnité au titre du préjudice subi du fait de l'absence de licenciement causé, outre le paiement d'une indemnité compensatrice de préavis.
De plus, la société de production, professionnel de l'audiovisuel, ne pouvant ignorer les règles du droit du travail qui lui sont applicable a sciemment dissimilé une activité salariée, de sorte que les participants bénéficient, à ce titre, d'une indemnité forfaitaire représentant six mois de salaire, tenant compte des heures supplémentaires travaillées par eux.
Les participants sollicitent, enfin, une indemnité pour préjudice distinct, consécutive à l'atteinte aux libertés individuelles (C. trav., art. L. 1121-1 N° Lexbase : L0670H9P), aux durées maximales de travail (C. trav., art. L. 3121-34 N° Lexbase : L0328H9Z et L. 3121-35 N° Lexbase : L0329H93), au repos quotidien (C. trav., art. L. 3131-1 N° Lexbase : L0453H9N) et au repos hebdomadaire (C. trav., art. L. 3132-1 N° Lexbase : L0455H9Q et s.).
Lexbase : Pour terminer, comment définiriez-vous le travail ?
Jérémie Assous : Le travail se définit, classiquement, comme l'"activité de l'homme appliquée à la production, à la création, à l'entretien de quelque chose" (11). Il doit, surtout, être appréhendé comme un concept évolutif s'adaptant à l'évolution sociale et accueillant des activités nouvelles. Une prestation de travail ne devient un métier que par son ancrage dans les représentations sociétales et s'acquiert donc par le temps.
Conscientes de la réalisation d'une véritable prestation par les participants aux émissions de télé-réalité, certaines sociétés de production, ayant initié l'intégration du concept dans le paysage audiovisuel français, ont eu recours au contrat de travail dans le cadre de la production de plusieurs émissions de ce type.
(1) Le Monde, 28 décembre 2002. Concernant "L'Ile de la Tentation", dont il est, ici, plus particulièrement question, la société Glem la définit de la façon suivante : "Quatre couples non mariés, non pacsés, sans enfant, testent leurs sentiments mutuels lors d'un séjour de douze jours sur une île exotique, au cours duquel ils sont filmés dans leur quotidien, notamment, pendant les activités (plongée, équitation, ski nautique, voile...) qu'ils partagent avec des célibataires de sexe opposés. A l'issue de ce séjour, les participants font le point sur leurs sentiments envers leur partenaire. Il n'y a ni gagnant, ni prix".
(2) CA Paris, 18ème ch., sect. D, 12 février 2008, 3 arrêts, n° 07/02721, SA société Glem (N° Lexbase : A0261D7S), n° 07/02722 (N° Lexbase : A0260D7R) et n° 07/02723 (N° Lexbase : A0250D7E), lire les obs. de S. Tournaux, Les candidats salariés de "l'Ile de la tentation", Lexbase Hebdo n° 296 du 12 mars 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N3805BEN).
(3) Ass. plén., 4 mars 1983, n° 81-15.290, SA Ecole des Roches (N° Lexbase : A3665ABD).
(4) Cass. soc., 19 décembre 2000, n° 98-40.572, M. Labbane c/ Chambre syndicale des loueurs d'automobiles de place de 2ème classe de Paris Ile-de-France et autre (N° Lexbase : A2020AIN).
(5) CJCE, 3 juillet 1986, aff. C-66/85, Deborah Lawrie - Blum c/ Land Baden-Württemberg (N° Lexbase : A8251AU7).
(6) Cass. soc., 13 novembre 1996, n° 94-13.187, Société générale c/ Urssaf de la Haute-Garonne (N° Lexbase : A9731ABZ).
(7) Il faut souligner, à cet égard, que le Trésor public a, récemment, opéré un redressement fiscal sur les gains de l'un des candidats, estimant, en substance, qu'il ne s'agissait pas d'un jeu, mais d'une fiction.
(8) CPH Paris, 30 novembre 2005, 3 jugements, n° 04/00618, Monsieur Arnaud Laize c/ Société Glem (N° Lexbase : A0715D7M), n° 04/00621, Monsieur Anthony Brocheton c/ Société Glem (N° Lexbase : A0716D7N) et n° 04/00622, Madame Marie Adamiak c/ Société Glem (N° Lexbase : A0717D7P).
(9) Cass. civ. 2, 14 décembre 2004, n° 03-30.387, Société La Française d'images c/ Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF) de Paris, FS-D (N° Lexbase : A4877DED).
(10) C. trav., art. L. 3121-31 (N° Lexbase : L0489H9Y).
(11) Définition du Larousse.
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Réf. : Projet de loi du 5 novembre 2008, tendant à amoindrir le risque de récidive criminelle et portant diverses dispositions de procédure pénale
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par Dorothée Bourgault-Coudevylle, Maître de conférences à la Faculté de droit de Douai - Université d'Artois
Le 07 Octobre 2010
Dans sa décision du 21 février 2008, le Conseil constitutionnel avait estimé que "la rétention de sûreté, eu égard à sa nature privative de liberté, à la durée de cette privation, à son caractère sans limite et au fait qu'elle est prononcée après une condamnation par une juridiction ne saurait être appliquée à des personnes condamnées avant la publication de la loi ou faisant l'objet d'une condamnation postérieure à cette date pour des faits commis antérieurement". Cette position, conforme au principe de non-rétroactivité des lois pénales plus sévères, n'en revenait pas moins à réduire quasiment à néant l'intérêt à court terme du nouveau dispositif, en retardant de fait l'entrée en vigueur des nouvelles dispositions.
C'est dans ce contexte que le Président de la République décidait de confier au Premier Président de la Cour de cassation la mission de rédiger des propositions d'adaptation de notre droit afin de réduire les risques de récidive de certains criminels déjà condamnés. Dès le 25 février 2008, Vincent Lamanda faisait savoir, par l'intermédiaire de son cabinet, qu'il refuserait toute remise en cause de la décision du Conseil constitutionnel !
Comme on pouvait s'y attendre, le rapport ne comporte aucune recommandation sur ce point. Il réaffirme que la rétention de sûreté ne pourra connaître un début d'application que dans une douzaine d'années, compte tenu des délais nécessaires pour l'instruction et le jugement des faits commis après le 25 février 2008, et de la durée d'une peine de réclusion criminelle (au moins quinze ans, mais qui, par le jeu des réductions de peines est susceptible d'être diminuée dans son exécution de trois à cinq ans).
En revanche, le rapport mentionne une hypothèse dans laquelle la rétention de sûreté pourrait être prononcée dès à présent. En effet, cette dernière peut être prononcée dans deux cas de figure très différents, soit lorsqu'elle a été prévue par la cour d'assises dans son verdict (C. proc. pén., art. 706-53-13 N° Lexbase : L6246H99), soit si l'intéressé, placé sous surveillance de sûreté, ne respecte pas les obligations de celle-ci (C. proc. pén., art. 706-53-19, al. 3 N° Lexbase : L6240H9Y). Or la surveillance de sûreté est applicable quelle que soit la date de commission des faits, dès lors qu'elle prolonge un suivi socio-judiciaire ou une surveillance judiciaire (cf. rapport préc., p. 45). Il semble admis que la violation des obligations de la surveillance de sûreté constitue un fait nouveau et peut donc, dès aujourd'hui, conduire au prononcé d'une rétention de sûreté, alors même que les faits à l'origine des obligations de l'intéressé ont été commis antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi du 25 février 2008.
L'article 706-53-19, alinéa 3, du Code de procédure pénale, non censuré par le Conseil constitutionnel, permet, en effet, quand la personne sous surveillance de sûreté méconnaît ses obligations et qu'elle présente à nouveau une particulière dangerosité caractérisée par la probabilité très élevée de commettre à nouveau l'une des infractions ouvrant la possibilité d'un placement en rétention de sûreté, que le président de la juridiction régionale de la rétention sûreté puisse ordonner en urgence son placement provisoire dans un centre socio-médico-judiciaire de sûreté. La rétention de sûreté pourrait ainsi, par ce biais, connaître une application effective dans un délai beaucoup plus court.
Le présent projet de loi ne revient pas sur cette question. Bien au contraire, il s'attache plutôt à tirer les conséquences des différentes réserves d'interprétation formulées par le Conseil constitutionnel lors de l'examen de la loi du 25 février 2008. C'est ainsi que plusieurs articles dudit projet tendent à renforcer le caractère exceptionnel de la rétention de sûreté.
II - Dispositions tendant à renforcer le caractère exceptionnel de la rétention de sûreté
Les deux premiers articles du projet de loi tendent à renforcer le caractère exceptionnel du placement en rétention de sûreté, reprenant en cela les différentes réserves d'interprétation formulées par le Conseil constitutionnel à l'occasion de l'examen de la loi.
Par une première réserve d'interprétation, le Conseil constitutionnel avait, en effet, considéré "qu'eu égard à la gravité de l'atteinte qu'elle porte à la liberté individuelle, la rétention de sûreté ne saurait constituer une mesure nécessaire que si aucune autre mesure moins attentatoire à cette liberté ne peut suffisamment prévenir la commission d'actes portant gravement atteinte à l'intégrité des personnes que ces dispositions garantissent". Tout en ajoutant que la mesure ne pourra être regardée comme nécessaire au but poursuivi que si "la rétention de sûreté n'a pu être évitée par des soins et une prise en charge pendant l'exécution de la peine" et "qu'il appartiendra, dès lors à la juridiction régionale de la rétention de sûreté de vérifier que la personne condamnée a effectivement été mise en mesure de bénéficier, pendant l'exécution de sa peine de la prise en charge et des soins adaptés au trouble de la personnalité dont il souffre".
L'article 1er du projet propose ainsi de consacrer, dans le Code de procédure pénale, cette importante réserve d'interprétation, en ajoutant un nouvel alinéa après le deuxième alinéa de l'article 706-53-15 (N° Lexbase : L6244H97) aux termes duquel "la juridiction régionale ne peut prononcer une rétention de sûreté qu'après avoir vérifié que la personne condamnée a effectivement été mise en mesure de bénéficier, pendant l'exécution de sa peine, d'une prise en charge médicale, sociale ou psychologique adaptée au trouble de la personnalité dont elle souffre".
Cet ajout, conforme aux préconisations du rapport "Lamanda", pourrait constituer le véritable point d'achoppement des dispositions instaurant la rétention de sûreté. Ainsi que le relevait déjà le rapport, du fait de cette réserve constitutionnelle, la prise en charge médico-sociale, psychologique et éducative du condamné pendant l'exécution de sa peine s'impose non seulement pour des raisons médicales mais aussi pour des raisons juridiques. Priver l'intéressé de soins en prison lui permettrait, en fin de peine, de contester le bien fondé d'une rétention de sûreté devant la juridiction régionale de la rétention de sûreté (cf., en ce sens, rapport, p. 56)
Le risque est réel. Selon une estimation faite au 7 mars 2008 (cf. rapport préc., p. 59), dans plus de la moitié des juridictions, les injonctions de soins, rendues systématiques par la loi du 10 août 2007 (loi n° 2007-1198, renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs N° Lexbase : L1390HY7), ne peuvent être mises en place de manière satisfaisante en raison du nombre insuffisant de médecins coordonnateurs, médecins psychiatres et autres psychologues. Certes, le rapport recommande de mettre en place, sans délai, une prise en charge des condamnés dangereux, si possible, dès le début de leur détention. Et, pour ce faire, il propose de renforcer les effectifs des services pénitentiaires, d'augmenter le nombre de médecins coordonnateurs et les moyens dont sont dotés les services médico-psychologiques des établissements pénitentiaires. Il recommande, également, de favoriser la formation des médecins à la médecine pénitentiaire et de revaloriser les conditions matérielles de leur intervention en milieu pénitentiaire. Il y a urgence à évoluer sur ce point.
L'article 2 du projet traduit la recommandation n° 12 du rapport "Lamanda". Il prévoit la possibilité de renforcer les obligations susceptibles d'être imposées à l'intéressé dans le cadre d'une surveillance de sûreté afin que le placement en rétention de sûreté demeure l'ultime recours. Il propose de compléter l'article 706-53-19 du Code de procédure pénale par un alinéa ainsi rédigé : "le placement en centre socio-médico-judiciaire de sûreté [...] ne peut être ordonné qu'à la condition qu'un renforcement des obligations de la surveillance de sûreté apparaisse insuffisant pour prévenir la commission des infractions mentionnées à l'article 706-53-13".
Ce nouvel ajout devrait permettre de corriger un travers auquel peut aboutir la loi du 25 février 2008. Dans l'hypothèse où la surveillance de sûreté est décidée à la suite d'une surveillance judiciaire ou encore d'un suivi socio judiciaire, la juridiction régionale de la rétention de sûreté peut décider de prolonger en tout ou en partie les obligations auxquelles la personne était astreinte dans ce cadre. En revanche, il n'est actuellement pas possible d'ajouter une ou plusieurs obligations -telles qu'un placement sous surveillance électronique mobile par exemple- si celles-ci n'ont pas été précédemment prévues. Ceci avait été décidé lors du vote de la loi, en raison des contraintes fortes imposées au condamné dans le cadre de la surveillance de sûreté, alors qu'il a purgé sa peine. Il était apparu nécessaire de ne pas aggraver la situation de l'intéressé en lui imposant de nouvelles obligations. Mais ceci conduit à l'effet pervers de ne laisser d'autres alternatives, en cas d'insuffisances des obligations, que de placer la personne en rétention de sûreté.
La modification apportée par le présent projet de loi devrait permettre à la juridiction régionale de la rétention de sûreté de pouvoir compléter les obligations d'une surveillance de sûreté par un placement sous surveillance électronique mobile qui n'aurait pas déjà été ordonné, si le comportement de la personne le justifie et réserver ainsi le placement en rétention de sûreté dans le seul cas où un renforcement des obligations ne serait pas suffisant pour prévenir le risque de récidive.
III - Dispositions tendant à corriger certaines imperfections de la loi dans la mise en oeuvre de la rétention de sûreté et de la surveillance de sûreté
L'article 3 du projet prévoit la création d'un nouvel article 706-53-21 au sein du Code de procédure pénale (l'actuel article 706-53-21 N° Lexbase : L6238H9W devenant l'article 753-53-22), dans lequel il est précisé que "la rétention de sûreté et la surveillance de sûreté sont suspendues par toute détention intervenue au cours de leur exécution", comme le code le prévoit déjà s'agissant du sursis avec mise l'épreuve (C. pén., art. 132-43 N° Lexbase : L2229AMI). Sauf bien évidemment si la détention excède une durée d'un an. Dans ce dernier cas l'article 706-53-21 prévoit dans un second alinéa que "la reprise de la rétention de sûreté ou de la surveillance de sûreté doit être confirmée par la juridiction régionale de la rétention de sûreté au plus tard dans un délai de trois mois après la cessation de la détention, à défaut de quoi il est mis fin d'office à la mesure".
L'article 4 du projet de loi s'attache à corriger une aberration, relevée par le rapport "Lamanda", auxquelles l'application des dispositions de la loi du 25 février 2008 peut aboutir.
En l'état des dispositions, la surveillance de sûreté n'est envisageable que dans deux cas, soit comme alternative à la rétention de sûreté ou encore lorsque celle-ci prend fin, soit à la suite d'un suivi socio-judiciaire (applicable pour des faits commis à partir de 1998) ou d'une surveillance judiciaire (applicable quelle que soit la date des faits). En revanche, une surveillance de sûreté ne peut être imposée directement après la fin de la période d'incarcération et notamment à la suite d'une libération conditionnelle. Il s'ensuit que, si une surveillance judiciaire est menée à son terme sans incident, elle pourra se prolonger par une surveillance de sûreté. Alors qu'en revanche, en cas d'échec de la mesure et de réincarcération du condamné, la surveillance judiciaire ayant pris fin, aucune mesure de surveillance de sûreté ne pourra ensuite être prononcée. Comme le relève le rapport précité, cela aboutit à une situation plus que choquante puisque celui qui respecte les règles continue d'être surveillé alors que celui qui les transgresse pourra ensuite échapper à tout contrôle. Certains condamnés auraient déjà compris qu'une brève réincarcération in extremis peut les affranchir totalement d'obligations après leur sortie de prison (cf. rapport préc., p. 51).
C'est pourquoi l'article 4 prévoit de compléter l'article 723-37 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L6252H9G) par un nouvel alinéa, aux termes duquel : "La juridiction régionale peut également, selon les modalités prévues à l'article 706-53-15, ordonner une surveillance de sûreté à l'égard d'une personne placée sous surveillance judiciaire à laquelle toutes les réductions de peine ont été retirées, en application du premier alinéa de l'article 723-35 à la suite d'une violation des obligations auxquelles elle était soumise dans des conditions qui font apparaître des risques qu'elle commette à nouveau l'une des infractions mentionnées à l'article 706-53-13. La surveillance de sûreté s'applique dès la libération de la personne".
Cette modification apparaît d'autant plus indispensable que le non-respect de la surveillance judiciaire laisse apparaître un risque encore plus grand de récidive.
Enfin, l'article 5 complète la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, relative à l'aide juridique (N° Lexbase : L8607BBE). Un nouvel alinéa est inséré à l'article 64-3 afin de permettre son application aux avocats assistant des personnes retenues dans un centre médico-judiciaire de sûreté lors des décisions prises à leur encontre pour assurer le bon ordre du centre.
IV - Les autres dispositions de procédure pénale
Le projet de loi comporte, enfin, plusieurs dispositions intéressant la procédure pénale.
L'article 6 du projet a pour objectif de mettre le droit français en conformité avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme qui a jugé contraire à l'article 6 § 1 de la Convention (N° Lexbase : L7558AIR), relatif au procès équitable, les dispositions de l'article 505 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L4410AZD). La France a, en effet, été condamnée par la Cour européenne dans l'affaire "Ben Naceur" (CEDH, 3 octobre 2006, req. 63879/00 N° Lexbase : A3682DRS) et, plus récemment, dans l'affaire "Gacon" (CEDH, 22 mai 2008, req. 1092/04 N° Lexbase : A7267D8N). Dans ces affaires, elle avait estimé que le fait pour le procureur général de bénéficier d'un délai d'appel de deux mois contre les jugements des tribunaux correctionnels (au lieu de 10 jours, délai de droit commun applicable aux parties et au procureur de la République), conjugué à l'impossibilité pour le requérant d'interjeter appel incident, était contraire au principe d'égalité des armes car il plaçait les parties dans une situation de net désavantage par rapport au ministère public.
Le projet propose ainsi une modification de la rédaction de l'article 505. Il faut dire que cette modification devient d'autant plus nécessaire que la Chambre criminelle de la Cour de cassation, par un arrêt du 17 septembre 2008, a décidé d'écarter sans plus attendre l'application de l'article 505 en se fondant sur l'article 6 §1 et la jurisprudence européenne (Cass. crim., 17 septembre 2008, n° 08-80.598, F-P+F N° Lexbase : A5071EA3).
Le nouvel article 505 restreint le droit d'appel du procureur général dans le délai de deux mois puisqu'il est supprimé en cas de relaxe du tribunal correctionnel. Il est maintenu pour les seuls jugements de condamnation, mais dans ce dernier cas le texte ouvre alors un nouveau de délai de cinq jours aux autres parties afin de pouvoir former un appel incident.
Le projet, tente, ainsi de préserver le délai d'appel plus long du procureur général traditionnellement justifié par la nécessité d'harmoniser l'application de la loi pénale sur l'ensemble du territoire français tout en rétablissant un nécessaire équilibre entre les droits des parties face aux voies de recours.
L'article 7 met en oeuvre la recommandation n° 13 du rapport "Lamanda", afin de prévoir la possibilité pour la commission de révision des condamnations pénales de soumettre à un contrôle extérieur la personne dont elle suspend la peine privative de liberté dans l'attente de la décision ultérieure de la Cour de révision.
L'article 654 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L4024AZ3) est ainsi modifié. Il prévoit que dans un tel cas la commission ou la cour de révision peut décider que la suspension de l'exécution de la peine "sera assortie de l'obligation de respecter tout ou partie des conditions d'une libération conditionnelle, y compris le cas échéant celles résultant d'un placement sous surveillance électronique mobile". Ces obligations et interdictions s'appliqueront alors pendant une durée d'un an, avec possibilité d'une prolongation pour la même durée.
L'article 7-II étend cette faculté aux procédures de réexamen après une décision de condamnation prononcée par la Cour européenne des droits de l'Homme prévu aux articles 626-1 et suivants du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L4001AZ9). L'article 626-5 (N° Lexbase : L0852DY9) est ainsi complété pour tenir compte de ces nouvelles possibilités.
Enfin, l'article 8 du projet tire les conséquences du considérant n° 31 de la décision du Conseil constitutionnel du 21 février 2008, qui a estimé que les jugements ou arrêts de déclaration d'irresponsabilité pénale pour trouble mental ne peuvent être inscrits au casier judiciaire que lorsqu'une ou plusieurs mesures de sûreté ont été prononcées afin de prévenir la récidive de la personne reconnue pénalement responsable. L'article 768, 10°, du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L6285H9N) est modifié et l'article 769, 9°, (N° Lexbase : L8689HWQ) est de même complété pour tenir compte de la décision du Conseil constitutionnel.
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Réf. : CE 2° et 7° s-s-r., 17 décembre 2008, n° 293836, Association pour la protection de l'environnement du Lunellois (N° Lexbase : A8807EBS)
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par François Brenet, Professeur de droit public à l'Université Paris VIII Vincennes Saint-Denis
Le 07 Octobre 2010
Il appartenait au Conseil d'Etat de trancher une question dont on peut se demander pourquoi elle ne l'avait pas été plus tôt : le refus de saisir le juge du contrat d'une action en nullité est-il détachable du contrat à l'égard des tiers et, par conséquent, susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir ? A celle-ci, le juge administratif a apporté une réponse négative, privant, ainsi, les tiers d'un moyen précieux de contester un refus les privant de la possibilité de voir le juge de plein contentieux se prononcer sur un contrat dont ils contestent la légalité. L'arrêt confirme le fait que la théorie des actes détachables a encore de beaux jours devant elle, en même temps qu'il jette le trouble sur sa portée. Il suscite, en effet, le questionnement car le Conseil d'Etat a semblé vouloir justifier, en l'espèce, la non-détachabilité par des solutions palliatives, l'admission du recours pour excès de pouvoir des tiers contre les clauses réglementaires (3), et la possibilité, pour les mêmes tiers, d'attaquer toujours par la voie du recours pour excès de pouvoir le refus de résiliation du contrat (4), alors qu'il n'est pas certain que celles-ci soient pleinement protectrices des droits des tiers.
I - Une nouvelle application de la théorie des actes détachables
Sans doute ne nous appartient-il pas, ici, de retracer l'histoire de la théorie des actes détachables telle qu'elle est appliquée à la matière contractuelle. Celle-ci est trop connue pour que l'on insiste. Tout juste faut-il rappeler qu'elle a été consacrée au tout début du XXème siècle par l'arrêt "Martin" (5), pour permettre aux tiers de contester devant le juge de l'excès de pouvoir certains actes administratifs unilatéraux relatifs à la conclusion, et même à l'exécution d'un contrat administratif. C'est parce que les tiers étaient privés de toute possibilité de saisir le juge du contrat (on sait que ce n'est plus le cas depuis l'arrêt "Tropic") que la jurisprudence leur a permis d'attaquer ces actes détachables devant le juge de l'excès de pouvoir.
La détachabilité des actes relatifs à la conclusion du contrat est facilement admise, puisqu'elle vaut aussi bien pour les décisions "qui acheminent vers la conclusion (conclusion initiale ou renouvellement) jusque, le cas échéant, à celles qui en approuvent la conclusion" pour reprendre la formule de René Chapus (6). Elle concerne, ainsi, la décision même de conclure le contrat (7), de même que les décisions antérieures à celle-ci, telles que l'autorisation de conclure (8) ou la décision d'une société d'aménagement foncier et d'établissement rural d'exercer son droit de préemption (9). Elle concerne, encore, la décision d'approbation du contrat (10). S'agissant des décisions relatives à l'exécution du contrat, la jurisprudence fut plus longue à en admettre la détachabilité de sorte que seules les décisions réglementaires purent, à un moment, être contestées devant le juge de l'excès de pouvoir (11). C'est en 1964 que le Conseil d'Etat a fini par admettre la détachabilité des actes relatifs à l'exécution du contrat à l'égard des seuls tiers qui se trouvaient, alors, enfin dotés d'une voie de recours leur permettant de faire valoir leurs droits. L'arrêt "Société anonyme de Livraisons industrielles et commerciales" (mieux connu sous le sigle "SA LIC") du 24 avril 1964 dispose, en effet, que les tiers sont recevables "à déférer au juge de l'excès de pouvoir, en excipant de leur illégalité, tous les actes qui, bien qu'ayant trait, soit à la passation, soit à l'exécution du contrat, peuvent, néanmoins, être regardés comme des actes détachables dudit contrat" (12). Le droit positif qualifie aujourd'hui d'actes détachables ceux se rapportant à la résiliation du contrat (décision de résiliation (13) et refus de résiliation (14)), ainsi qu'à sa modification (décision de modification et refus de modification (15)).
Malgré une jurisprudence abondante relative à l'application de la théorie des actes détachables, le juge administratif n'avait jamais eu l'occasion de se prononcer sur la détachabilité du refus des parties de saisir le juge du contrat d'une action en déclaration de nullité. Comme chacun sait, les tiers à un contrat administratif n'ont pas, en principe, la possibilité de saisir directement le juge du contrat. A ce principe, l'arrêt "Tropic" a apporté une exception notable et importante, en permettant aux concurrents évincés de la conclusion d'un contrat administratif de saisir directement le juge du contrat d'une action en contestation de validité, et ce, dans un délai de deux mois à compter de l'accomplissement des mesures de publicité appropriées, notamment au moyen d'un avis mentionnant, à la fois, la conclusion du contrat et les modalités de sa consultation, dans le respect des secrets protégés par la loi. Il reste que les tiers "ordinaires", c'est-à-dire ceux ne possédant pas la qualité de concurrent évincé, ne peuvent toujours pas saisir directement le juge du contrat. Pour assurer la défense de leurs droits, ils ont à leur disposition plusieurs solutions, dont la plus naturelle est de demander aux signataires d'un contrat administratif de prendre la mesure adéquate. Ces dernières peuvent, alors, faire droit à leur demande en modifiant ou en résiliant le contrat, ou encore en saisissant le juge de plein contentieux afin qu'il se prononce sur sa régularité. Or, rien n'oblige les contractants à faire droit à la demande des tiers, et il leur est donc tout à fait possible d'opposer un refus à leur demande.
La théorie des actes détachables produit, alors, tous ses effets protecteurs puisqu'elle permet auxdits tiers de saisir le juge de l'excès de pouvoir contre un refus de modification ou de résiliation du contrat, et d'assortir leur recours d'une demande d'injonction visant à obtenir la résiliation ou la saisine du juge de plein contentieux. La logique aurait été de considérer que le refus de saisir le juge du contrat était, lui aussi, détachable du contrat et donc susceptible d'être contesté devant le juge de l'excès de pouvoir. Le Conseil d'Etat a préféré retenir la solution contraire dans l'arrêt "Association de protection de l'environnement du Lunellois". Cette nouvelle application négative de la théorie des actes détachables peut sembler contestable.
II - Un refus contestable de reconnaître la détachabilité du refus de saisir le juge du contrat
L'arrêt "Association de protection de l'environnement du Lunellois" est contestable parce qu'il repose sur une argumentation douteuse. L'affirmation de la non-détachabilité du refus de saisir le juge du contrat semble pouvoir être compensée, selon le Conseil d'Etat, par l'admission du recours pour excès de pouvoir contre les clauses réglementaires, ou encore par la possibilité d'exercer un recours pour excès de pouvoir contre le refus de résiliation qui, lui, est détachable du contrat. Or, il n'est pas évident que ces deux solutions soient aussi protectrices des droits des tiers que celle qui aurait consisté à admettre la détachabilité du refus de saisir le juge de plein contentieux.
Les solutions de substitution avancées sont, assurément, limitées. S'agissant de la possibilité d'attaquer les clauses réglementaires, consacrée par l'arrêt "Cayzeele" (16), l'on sait qu'elle est étroitement encadrée. Il ne suffit pas, en effet, d'attaquer les clauses réglementaires, c'est-à-dire celles relatives à l'organisation et au fonctionnement d'une mission de service public (17). Il faut encore que ces clauses réglementaires soient divisibles de la totalité du contrat. Cette dernière exigence, qui ne figurait pas dans l'arrêt "Cayzeele" et a été ajoutée par les juges du fond, n'est pas neutre car elle a pour effet de préserver d'un recours pour excès de pouvoir "les clauses qui, portant sur une condition essentielle du contrat, en constituent un document indivisible" et "dont l'annulation aurait pour effet de priver le contrat de son objet ou d'en bouleverser l'équilibre" (18). En pratique, des clauses aussi importantes que les clauses tarifaires se trouvent, ainsi, protégées, alors même qu'elles peuvent se révéler clairement illégales, dès lors qu'elles touchent le coeur du contrat (d'elles va dépendre la rémunération du délégataire de service public, par exemple) dont elles ne sont pas divisibles.
La possibilité laissée aux tiers d'attaquer en excès de pouvoir le refus de résiliation d'un contrat administratif n'est peut-être pas plus satisfaisante. Obtenir l'annulation d'un refus de résiliation n'a de sens que si cette annulation se traduit par une action positive de l'administration, c'est-à-dire par la résiliation effective du contrat ou par la saisine du juge de plein contentieux, afin qu'il tire toutes les conséquences de l'illégalité constatée par le juge de l'excès de pouvoir.
Plus fondamentalement, l'arrêt "Association de protection de l'environnement du Lunellois" peut susciter le questionnement quant à l'avenir de la théorie des actes détachables. L'on sait que sa portée a été considérablement limitée par l'arrêt "Tropic" qui a posé la règle selon laquelle "à partir de la conclusion du contrat, et dès lors qu'il dispose du recours ci-dessus défini, le concurrent évincé n'est [...] plus recevable à demander l'annulation pour excès de pouvoir des actes préalables qui en sont détachables". Les actes relatifs à la conclusion du contrat restent, en principe, détachables à l'égard des parties et des tiers ordinaires. En revanche, ils ne restent détachables à l'égard des concurrents évincés que jusqu'à la conclusion du contrat. Ce changement ne pose, à vrai dire, aucune espèce de difficulté, dès lors que la privation d'accès des concurrents évincés au prétoire du juge de l'excès de pouvoir est compensée, et justifiée, d'ailleurs, par l'ouverture d'une nouvelle voie de recours devant le juge de plein contentieux. Plus inquiétante est l'avenir de la théorie des actes détachables appliquée aux actes relatifs à l'exécution du contrat. La détachabilité de ces derniers semble être plus difficile à admettre aujourd'hui, alors que les tiers ne disposent d'aucune autre voie de recours leur permettant de contester le contrat. Pour le dire autrement, l'arrêt "Association de protection de l'environnement du Lunellois" amène à poser une nouvelle fois la question de savoir s'il n'aurait pas été préférable d'ouvrir directement les portes du recours pour excès de pouvoir contre le contrat (19), plutôt que de créer une voie d'accès au juge du contrat au profit des seuls concurrents évincés.
(1) CE, 16 juillet 2007, n° 291545, Société Tropic Travaux Signalisation services (N° Lexbase : A4715DXW), Rec. CE, p. 360, AJDA, 2007, p. 1577, chron. F. Lénica et J. Boucher, CP-ACCP, octobre 2007, Contrats Marchés publics, 2007, comm. 254, note J.-P. Pietri, D., 2007, p. 2500, note D. Capitant , Dr. adm., 2007, comm. 142, note P. Cossalter, JCP éd. G, 2007, II, 10156, note M. Ubaud-Bergeron, 10160, note B. Seiller, I, 193, chron. B. Plessix, JCP éd. A, 2007, 2212, note F. Linditch, 2221, note M.-C. Rouault, LPA, 21 août 2007, n° 167, p. 3, note F. Chaltiel et n° 181, p. 6, note J.-M. Glatt, RDC, 2008, p. 465, chron. F. Rolin, RDI, 2007, p. 429, note J.-D. Dreyfus, RDP, 2007, p. 1383, note F. Melleray, RFDA, 2007, p. 935, note M. Canedo et p. 923, note D. Pouyaud, RJEP 2007, dossier 1, note P. Delvolvé et concl. D. Casas, RLC, 2007/13, n° 914, obs. G. Clamour.
(2) CE, 3 octobre 2008, Syndicat mixte intercommunal de réalisation et de gestion pour l'élimination des ordures ménagères du secteur Est de la Sarthe (N° Lexbase : A5971EAE), AJDA, 2008, p. 2161, chron. E. Geffray et S.-J. Liéber, p. 2374, note P. Cassia, Contrats Marchés publics, 2008, repère 10, F. LLorens et P. Soler-Couteaux, comm. 264, note W. Zimmer, CP-ACCP, décembre 2008, n° 83, Dr. adm., 2008, comm. 154, note B. Bonnet et A. Lalanne, JCP éd. A, 2008, 2262, note F. Linditch, LPA, 21 novembre 2008, n° 234, p.15, note S. Hul, RDI, 2008, p. 500, note S. Braconnier, RFDA, 2008, p. 1128, concl. B. Dacosta, p. 1139, note P. Delvolvé.
(3) CE, 10 juillet 1996, n° 138536, Cayzeele (N° Lexbase : A0215APN), Rec. CE, p. 274, AJDA, 1996, p.732, chron. D. Chauvaux et T.-X. Girardot, CJEG, 1996, p. 382, note P. Terneyre, JCP éd. A, 1997, I, n° 4019, chron. J. Petit, RFDA, 1997, p. 89, note P. Delvolvé.
(4) CE, S, 24 avril 1964, Société anonyme de Livraisons industrielles et commerciales, Rec. CE, p. 239, AJDA, 1964, p. 293, chron. J. Fourré et M. Puybasset, p. 308, concl. M. Combarnous, D., 1964, p. 665, note C. Debbasch.
(5) CE, 4 août 1905, n° 14220, Martin (N° Lexbase : A2989B7T), Rec. CE, p. 749, concl. J. Romieu, D., 1907, III, p. 49, concl. J. Romieu, S., 1906, III, p. 49, note M. Hauriou (recours d'un conseiller général contre une délibération concédant l'exploitation d'un service de tramways). L'arrêt "Commune de Gorre" (CE, 11 décembre 1903, Commune de Gorre, S., 1906, III, p. 49, note M. Hauriou) avait reconnu avant lui la possibilité pour une partie de contester en excès de pouvoir le décision de contracter.
(6) René Chapus, Droit du contentieux administratif, Montchrestien, 13ème édition, 2008, n° 815, p.724.
(7) CE, 8 avril 1911, Commune d'Ousse-Suzan, S., 1913, III, p. 49, note M. Hauriou.
(8) CE, 26 novembre 1954, Syndicat de la raffinerie de soufre française, Rec. CE, p. 629, Dr. adm., 1955, p. 6, concl. C. Mosset, D., 1955, p. 472, note G. Tixier.
(9) CE, 13 juillet 1968, n° 72002, Capus (N° Lexbase : A9498B7W), Rec. CE, p. 436-II, D., 1968, p. 674, concl. L. Bertrand.
(10) Décision qui est détachable à l'égard des parties (CE, 4 février 1955, Ville de Saverne, Rec. CE, p. 73), comme à l'égard des tiers (CE, 29 décembre 1905, Petit, S., 1906, III, p. 49, note M. Hauriou).
(11) Cf. par exemple, le décret de résiliation de toute une série de contrats : CE, 2 mai 1958, Distillerie de Magnac-Laval, Rec. CE, p. 246, AJDA, 1958, II, p. 282, concl. J. Kahn, D. 1958, p. 730, note A. de Laubadère.
(12) CE, 24 avril 1964, Société anonyme de Livraisons industrielles et commerciales, préc. et réf. préc.
(13) CE, 2 février 1987, n° 81131, Société TV 6 (N° Lexbase : A3244APT), Rec. CE, p. 28, AJDA, 1987, p. 315, chron. M. Azibert et M. de Boisdeffre, RFDA, 1987, p. 29, concl. M. Fornacciari ; CE, n° 185645, 27 avril 1998, Confédération des syndicats médicaux français (N° Lexbase : A7704AS7), Rec. CE, p. 180, Dr. adm., 1998, comm. 254, note C-M., RFDA, 1999, p. 97, concl. C. Maugué.
(14) CE, 24 avril 1964, SA LIC, précité.
(15) CE, 29 avril 1987, n° 51022, Commune d'Elancourt (N° Lexbase : A3295APQ), Rec. CE, p. 153, AJDA, 1987, p. 543, obs. X. Prétot, RDP, 1988, p. 1457, RFDA, 1987, p. 525, concl. Y. Robineau.
(16) CE, 10 juillet 1996, n° 138536, Cayzeele, précité.
(17) Ont été jugées comme possédant un caractère réglementaire, la clause relative à la détermination des lignes de tramways (CE, 21 décembre 1906, n° 19167, Syndicat des propriétaires et contribuables du quartier de Croix-de-Seguey Tivoli N° Lexbase : A4810B8N, Rec. CE, p. 962), la clause imposant le dépôt d'ordures ménagères dans des conteneurs (CE, 10 juillet 1996, n° 138536, Cayzelle, précité), et encore la clause précisant que le concessionnaire est responsable de la police de la circulation dans le tunnel, et celle précisant les caractéristiques techniques du tunnel et la destination des différentes voies de circulation (CE 9° et 10° s-s-r., 28 avril 2004, n° 236076, Association pour le respect du site du Mont Blanc et autres N° Lexbase : A0218DC3, Contrats Marchés publics, 2004, comm. 151, note J.-P. Pietri).
(18) CAA Marseille, 6ème ch.,18 décembre 2006, n° 02MA01595, Compagnie méditerranéenne d'exploitation des services d'eau (N° Lexbase : A8946DTI), AJDA, 2007, p. 680, note L. Marcovici.
(19) Jean Waline, Contrats et recours pour excès de pouvoir et contrat, Mélanges en l'honneur de Daniel Labetoulle, Juger l'administration, administrer la justice, Dalloz, 2007, p. 869.
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