La lettre juridique n°333 du 15 janvier 2009

La lettre juridique - Édition n°333

Éditorial

Législation funéraire : une loi pour le respect, la dignité et la décence

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N2317BIN

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 27 Mars 2014


"La mort ne vous concerne ni mort ni vif : vif parce que vous êtes ; mort parce que vous n'êtes plus", à en croire Montaigne. Pourtant, comme le souligne si justement le rapport n° 664 de M. Philippe Gosselin, député, fait au nom de la commission des lois, déposé le 30 janvier 2008, "malgré le déni dont elle peut faire l'objet dans nos sociétés contemporaines, la mort cristallise aussi bien les émotions humaines que les relations sociales et les croyances philosophiques et religieuses. [Et] les normes juridiques sont dès lors indissociables des représentations et des valeurs qui imprègnent une société, ce qui explique l'assertion selon laquelle une société se juge à la manière dont elle traite ses morts".

La loi n° 2008-1350 du 19 décembre 2008, sur laquelle revient, cette semaine, notre édition publique, constitue une avancée majeure témoignant de la considération de la société, par l'intermédiaire de la représentation nationale, envers ses morts. Traduction législative des recommandations, approuvées par la commission le 31 mai 2006, de la mission d'information sur le bilan et les perspectives de la législation funéraire confiée à MM. Jean-Pierre Sueur et Jean-René Lecerf au mois d'octobre 2005, rarement une loi n'aura réuni un tel consensus, dès lors qu'il s'est agi d'améliorer les conditions d'exercice de la profession d'opérateur funéraire, de sécuriser et de simplifier les démarches des familles, de conférer un statut aux cendres des personnes décédées dont le corps a donné lieu à crémation, et de faire évoluer la conception et la gestion des cimetières.

Certes, "la philosophie antique nous apprenait à accepter notre mort. La philosophie moderne, la mort des autres" (Michel Foucault). Mais, qu'on se le dise, assurer "le repos des morts" n'est pas de toute tranquillité ! Le service extérieur des pompes funèbres a été ouvert à la concurrence par la loi n° 93-23 du 8 janvier 1993 ayant pris acte de l'apparition d'opérateurs privés, quelquefois délégataires des communes, et ayant instauré une concurrence réglementée dans l'intérêt des familles. Ce "secteur" occupe 3 000 entreprises, emploie 17 000 personnes et réalise un chiffre d'affaires d'environ 1,5 milliards d'euros. Il convient, également, de prendre en compte les prestations complémentaires telles les plaques funéraires, les travaux d'imprimerie, les fleurs et surtout la marbrerie funéraire. Malgré l'ouverture à la concurrence, le "secteur" comprend encore de nombreuses régies communales en activité, qui sont soumises aux mêmes exigences que les entreprises. Quinze ans après la loi du 8 janvier 1993, une loi se devait de faire le bilan de cette législation funéraire, principalement afin d'accompagner l'essor de la crémation et de clarifier le statut des cendres.

En effet, la loi du 15 novembre 1887, en accordant à chacun le droit de décider des conditions de ses funérailles, oblige de facto l'administration communale à organiser et anticiper, dans le cadre de sa mission de service public, au mieux les conditions du service funéraire. Le taux de crémation en France (27 % -35 % dans les plus grandes agglomérations comme Paris ou Lyon, tandis qu'elle reste plus faible en zone rurale-) reste inférieur à celui constaté dans de nombreux pays européens, notamment du nord et du centre de l'Europe. Il devrait, cependant, progresser en raison de la vision plus favorable de la crémation dans les jeunes générations pour atteindre 50 %. C'est donc le défi de l'augmentation des besoins en crématoriums et de la création de sites cinéraires plus nombreux qui se pose à la loi nouvelle.

Par ailleurs, si le décret n° 2007-328 du 12 mars 2007, relatif à la protection des cendres funéraires, a essayé de mettre fin au vide juridique sur la destination des cendres et tenté de concilier l'impératif de respect de la dignité des cendres humaines avec la liberté de choix pour l'organisation de ses funérailles, force est de constater qu'il ne leur confère pas de statut particulier comparable à celui de la dépouille mortelle. L'assimilation des cendres à la dépouille mortelle permet, en outre, d'apporter des garanties éthiques face à l'essor de la crémation. C'est pourquoi, la loi nouvelle dispose explicitement de l'obligation de traiter les restes mortels avec respect, dignité et décence ; de l'interdiction du partage des cendres ; du respect des volontés du défunt en matière de crémation ; et de l'interdiction de conserver les cendres dans un lieu privé.

On notera, enfin, que la loi du 19 décembre 2008 ne fait pas l'impasse sur la transparence des tarifs et de la libre concurrence des opérateurs funéraires, ainsi que sur la protection contre des pratiques commerciales abusives.

Demeurent, toutefois, plusieurs questions épineuses auxquelles la loi n'a pas entendu répondre clairement : celle du traitement de la mort périnatale et celle de la création de carrés confessionnels ; deux questions qui touchent aux terrains sensible de la bioéthique, pour la première, et de la laïcité pour la seconde.

"La Mort ne surprend point le sage ;
Il est toujours prêt à partir,
S'étant su lui-même avertir
Du temps où l'on se doit résoudre à ce passage
".

Jean de La Fontaine,
extrait de la fable La mort et le mourant

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Rémunération

[Jurisprudence] Egalité salariale entre les femmes et les hommes : la difficile justification des différences de traitement

Réf. : Cass. soc., 16 décembre 2008, n° 06-45.262, Association formation professionnelle des adultes (AFPA), FS-P+B+R (N° Lexbase : A8957EBD)

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N2329BI4

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

Le 07 Octobre 2010

Même si le principe de l'égalité salariale entre les femmes et les hommes s'est imposé depuis plus de trente ans, la persistance d'un contentieux latent dans les entreprises montre que l'objectif espéré est loin d'être retenu et que de nombreuses femmes continuent de payer, notamment, leur désir d'enfant. Dans un arrêt en date du 16 décembre 2008, la Chambre sociale de la Cour de cassation rappelle les principes qui gouvernent le principe de non-discrimination et l'administration de la preuve en justice (I), pour sanctionner un employeur qui n'était pas parvenu à prouver devant le juge les raisons pour lesquelles il avait finalement choisi de promouvoir un homme et ce, alors qu'il avait, dans un premier temps, envisagé de choisir une femme pour accéder à un poste d'encadrement (II).
Résumé

Il résulte des dispositions de l'article L. 123-1 du Code du travail (N° Lexbase : L3115HI9), devenu L. 1142-1 du même code (N° Lexbase : L0696H9N), interprété à la lumière des articles 2, paragraphe 3, et 5 paragraphe 1, de la Directive 76/207 CEE du Conseil du 9 février 1976, relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l'accès à l'emploi, à la formation et à la promotion professionnelle et les conditions de travail (N° Lexbase : L9232AUH), qu'une salariée, pour laquelle une promotion a été envisagée par l'employeur, ne peut se voir refuser celle-ci en raison de la survenance d'un congé de maternité.

La cour d'appel, qui a retenu, d'une part, que l'employeur ne fournissait aucun élément pour expliquer les raisons pour lesquelles la nomination de la salariée à un poste de responsable de division n'était pas intervenue à son retour de congé de maternité, alors qu'elle avait exercé seule l'ensemble des fonctions correspondant à ce poste pendant dix-sept mois dans la continuité de sa candidature retenue en 1994, et, d'autre part, que le salarié masculin nommé à ce poste venait d'un autre secteur et, qu'à son départ à la retraite, un autre collègue masculin avait été préféré, a exactement décidé que celle-ci était fondée en sa demande de dommages-intérêts pour discrimination.

L'arrêt, qui constate que l'employeur s'est borné à alléguer que les autres salariés hommes, auxquels la salariée se comparait, sont issus de la filière informatique, recrutés à des niveaux de compétence et de salaire de leur spécialité en fonction de l'état du marché du travail, sans en rapporter la preuve, a pu valablement donner raison à la salariée.

Commentaire

I - La justification des différences de traitement entre les femmes et les hommes

  • Rappel des principes

L'article L. 1142-1 du Code du travail pose le principe selon lequel, "sous réserve des dispositions particulières du présent code, nul ne peut [...] prendre en considération du sexe ou de la grossesse toute mesure, notamment, en matière de [...] promotion professionnelle".

Une salariée, qui s'estime victime d'une discrimination dans le déroulement de sa carrière, peut saisir le juge prud'homal pour faire établir cette discrimination et obtenir réparation des préjudices qui en ont résulté. Elle devra, alors, présenter "des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte". Si ces éléments sont avérés et suffisamment pertinents pour créer une apparence de discrimination, l'employeur devra "prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination". C'est, alors, l'employeur qui sera le débiteur de la preuve et qui succombera, s'il ne parvient pas, soit à prouver que la différence de traitement constatée se justifie par le fait que les salariés dont on compare le traitement se trouvent placés dans une situation différente, soit qu'il a fondé sa décision sur un motif légitime étranger à la prise en considération du sexe des salariés, soit, encore, que les différences de traitement "répondent à une exigence professionnelle essentielle et déterminante et pour autant que l'objectif soit légitime et l'exigence proportionnée" (C. trav., art. L. 1133-1 N° Lexbase : L0682H97)

Ce sont ces principes, et les difficultés rencontrées par les employeurs pour tenter de justifier une différence de traitement avérée, qu'illustre ce nouvel arrêt rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 16 décembre 2008.

  • Illustration, en l'espèce, pour un refus suspect de promotion professionnelle

Dans cette affaire, une salariée avait été engagée comme sténographe. Elle avait, par la suite, exercé des fonctions de responsable d'unité, avec un statut cadre. Son employeur lui avait promis ce poste, qui avait finalement été attribué à un collègue. En dépit de ses recours, elle n'avait jamais obtenu l'emploi de responsable unité gestion qu'elle souhaitait et se plaignait de ce que sa rémunération ait toujours été inférieure aux salariés des autres services. Elle avait, alors, saisi la juridiction prud'homale aux fins d'obtenir, sur le fondement de l'article L. 122-45 du Code du travail (N° Lexbase : L3114HI8, C. trav., art. L. 1132-1, recod. N° Lexbase : L6053IAG), la condamnation de l'employeur au paiement de diverses sommes à titre de rappel de salaire et de dommages-intérêts pour discrimination. La cour d'appel ayant fait droit à ses demandes, l'employeur tentait d'obtenir la cassation de l'arrêt.

L'employeur contestait le fait que la salariée ait eu à souffrir d'un retard dans sa carrière, refusait de considérer qu'il se fut engagé à la promouvoir et justifiait la promotion d'un candidat de sexe masculin par un certain nombre d'éléments tenant à son expérience professionnelle, à son profil issu de la filière informatique, plus en phase avec le poste litigieux, à ses compétences, à son parcours professionnel et à l'état du marché du travail.

Conformément à une jurisprudence bien établie, désormais, de la Cour de cassation, ces éléments semblaient de nature à établir la différence de situation entre les salariés et, partant, à combattre les arguments de la salariée (1). Pourtant, la condamnation de l'employeur se trouve confirmée par le rejet du pourvoi.

Se fondant sur les "dispositions de l'article L. 123-1 du Code du travail, devenu L. 1142-1 du même code, interprété à la lumière des articles 2, paragraphe 3, et 5 paragraphe 1, de la Directive 76/207 CEE du Conseil du 9 février 1976, relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l'accès à l'emploi, à la formation et à la promotion professionnelle et les conditions de travail", la Cour de cassation affirme "qu'une salariée, pour laquelle une promotion a été envisagée par l'employeur, ne peut se voir refuser celle-ci en raison de la survenance d'un congé de maternité".

Par ailleurs, selon la Haute juridiction, "l'employeur ne fournissait aucun élément pour expliquer les raisons pour lesquelles la nomination de la salariée à un poste de responsable de division n'était pas intervenue à son retour de congé de maternité alors qu'elle avait exercé seule l'ensemble des fonctions correspondant à ce poste pendant dix-sept mois dans la continuité de sa candidature retenue en 1994", et "le salarié masculin nommé à ce poste venait d'un autre secteur et [...] à son départ à la retraite, un autre collègue masculin avait été préféré". Enfin, la Cour relève que, si l'employeur prétendait "que les autres salariés hommes, auxquels la salariée se comparait, sont issus de la filière informatique, recrutés à des niveaux de compétence et de salaire de leur spécialité en fonction de l'état du marché du travail", il n'en rapportait pas la preuve.

II - La justification des différences de traitement à l'épreuve de la double obligation de justification

  • L'importance des données factuelles

Ces éléments sont particulièrement intéressants dans la mesure où ils montrent que la solution retenue se justifie, non pas par des considérations générales, la Cour de cassation se référant à des principes dont elle ferait, ici, application, mais bien par les données propres de l'espèce et par le souci de répondre concrètement à des situations pratiques.

  • L'importance des intentions déclarées de l'employeur

En premier lieu, la Cour prend le soin de relever que l'employeur avait, dans un premier temps, envisagé de confier le poste à la salariée, avant de changer d'avis et de choisir un collègue de sexe masculin et ce, alors que la salariée revenait d'un congé de maternité. Cette circonstance particulière avait suffit à laisser supposer que la salariée avait été victime d'une discrimination dans la mesure où la première intention de confier le poste à la salariée se fondait sur une analyse de ses qualités professionnelles, qualités qui semblaient donc acquises, ce qui laissait supposer que le revirement de l'employeur devait vraisemblablement être imputable à d'autres considérations, singulièrement, au fait que la salariée avait eu le "mauvais goût" de partir en congé de maternité alors qu'elle revendiquait une promotion professionnelle.

Il ne faudrait pas déduire de cette solution qu'en l'absence de promesse de promotion, l'employeur pourra, à sa guise, promouvoir librement un candidat de sexe masculin sans être suspect de discrimination. On sait, en effet, que, dans le cas de figure où une salariée découvre la promotion de l'un de ses collègues alors qu'elle rentre de congé de maternité, la Cour de cassation est extrêmement méfiante à l'égard de l'employeur. Même si ce dernier justifie le choix d'un candidat masculin par le fait que la salariée, en congé, n'avait pu, par la force des choses, participer au processus de promotion organisé sur la base d'entretiens individuels d'évaluation et de motivation, cette justification, en apparence "neutre", sera écartée, dans la mesure où elle conduit à écarter, de fait, les candidates en congé de maternité, constituant, ainsi, une discrimination indirecte (2).

  • L'importance des éléments de fait étayant les allégations de l'employeur

En second lieu, l'employeur avait été condamné parce qu'il n'était pas parvenu à prouver la véracité de ses justifications. Il prétendait, en effet, que la promotion du candidat masculin répondait à des motivations professionnelles de nature à justifier son choix (expérience professionnelle, candidat issu de la filière informatique, qualités professionnelles, compétences, parcours professionnel, état du marché du travail), et que ces critères avaient été déterminants dans son choix. Or, comme l'avait relevé la cour d'appel, l'employeur n'avait versé au débat aucun élément étayant valablement ces allégations. Ce n'est donc pas parce que ces éléments ne seraient pas de nature à établir que les salariés dont on compare le traitement se trouvent dans une situation différente, car nous savons qu'ils le sont, mais bien parce que l'employeur n'avaient tout simplement pas prouvé, notamment, en produisant des justifications écrites extraites, par exemple, des dossiers professionnels des candidats masculins, qu'il a été condamné.

  • Le double visage de l'obligation de justification

Cet arrêt montre donc bien la double nature de l'obligation de justification qui pèse sur les employeurs. Non seulement cette obligation porte sur la pertinence des justifications avancées, mais elle s'accompagne d'une obligation probatoire exigeante, l'employeur devant être en mesure de produire, en cas de contentieux, des éléments matériels tangibles, vérifiables par le juge. Or, comme la salariée qui prouve l'existence de faits qui laissent supposer qu'elle a été victime d'une discrimination renverse la charge de la preuve et contraint l'employeur à se justifier, ce dernier, qui supporte le risque de la preuve de la justification des différences de traitement alléguées, perdra son procès dès lors qu'il ne parviendra pas à prouver les justifications alléguées. Les employeurs et les directions des ressources humaines sont donc avertis : ils doivent garder trace, dans les dossiers professionnels des salariés, de toutes les pièces qui permettront, en cas de litige, de justifier les décisions prises et d'établir que ce sont bien les qualités professionnelles des salariés, ou les besoins de l'entreprise, qui ont emporté la décision, et rien d'autre.


(1) Pour une analyse de ces justifications, nos obs., Non-discrimination et égalité salariale : mode d'emploi, Lexbase Hebdo n° 332 du 8 janvier 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N2171BIA) et les références citées.
(2) En ce sens, Cass. soc., 28 octobre 2008, n° 07-41.856, Société Bouygues Télécom, F-D (N° Lexbase : A0686EBZ) : "la cour d'appel qui a constaté que [la salariée] avait subi un retard dans sa promotion au statut de cadre pour ne pas avoir eu la faculté de participer, comme les autres candidats en activité dans l'entreprise, aux entretiens institués à cet effet, en raison de son absence due à un congé de maternité, a pu décider, sans encourir les griefs du moyen, qu'elle avait été l'objet d'une mesure discriminatoire".


Décision

Cass. soc., 16 décembre 2008, n° 06-45.262, Association formation professionnelle des adultes (AFPA), FS-P+B+R (N° Lexbase : A8957EBD)

Rejet, CA Paris, 22ème ch., sect. B, 5 septembre 2006

Textes concernés : C. trav., art. L. 1142-1 (N° Lexbase : L0696H9N)

Mots clef : non-discrimination ; femmes ; homme ; présomption ; renversement.

Lien base :

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Sécurité sociale

[Textes] Les réformes de la LFSS 2009 relatives à l'emploi des seniors

Réf. : Loi n° 2008-1330 du 17 décembre 2008, de financement de la Sécurité sociale pour 2009 (N° Lexbase : L2678IC8)

Lecture: 21 min

N2312BIH

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par Christophe Willmann, Professeur à l'Université de Rouen et Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Droit de la Sécurité sociale"

Le 07 Octobre 2010

Au titre de l'année 2007, les recettes de la branche vieillesse se sont élevées à 169 milliards d'euros, les dépenses à 172,9 milliards d'euros, soit un déficit de 3,9 milliards d'euros ; en 2008, les recettes à 175,8 milliards d'euros, les dépenses à 181,2 milliards d'euros, soit un déficit de 5,6 milliards d'euros. Pour l'année 2009, les objectifs de dépenses de la branche vieillesse sont fixés, pour l'ensemble des régimes obligatoires de base de Sécurité sociale, à 189,7 milliards d'euros et, pour le régime général de Sécurité sociale, à 190 milliards d'euros. Le législateur, conscient de l'aggravation du déficit de la branche vieillesse, a pris, au titre de la LFSS 2009 (I) un certain nombre de mesures qui se sont voulues équilibrées, entre poursuite d'objectifs comptables (contenir le déficit) et économico-sociaux (favoriser la poursuite de l'activité des seniors) (II). Ce second volet (1) comprend une incitation des entreprises à maintenir les seniors en emploi sous peine du versement d'une pénalité et des mesures destinées à favoriser le cumul emploi retraite. La LFSS 2009 prévoit, également, que le bénéfice de la surcote sera élargi aux personnes recevant le minimum contributif et que le taux de surcote sera revalorisé pour la rendre plus attractive. Enfin, la LFSS 2009 modifie le régime de l'âge de la retraite en supprimant la mise à la retraite d'office. L'ensemble s'inscrit dans la continuité de la loi du 21 août 2003 (loi n° 2003-775, portant réforme des retraites N° Lexbase : L9595CAM), visant à favoriser le maintien en emploi des salariés âgés, ainsi que de l'Accord national interprofessionnel du 13 octobre 2005 (2). I - Emploi des seniors

A - Incitation des entreprises à maintenir les seniors en emploi sous peine du versement d'une pénalité

L'article 87 (C. trav., art. L. 2241-4 N° Lexbase : L2798ICM ; CSS, art. L. 138-24 N° Lexbase : L2960ICM à L. 138-27 nouveaux et L. 241-3 N° Lexbase : L3113ICB) incite les entreprises à conclure un accord en faveur de l'emploi des salariés âgés ou, à défaut, à élaborer un plan d'action dans ce domaine, sous peine d'être soumises à une pénalité. Le Gouvernement a présenté, le 26 juin 2008, des mesures spécifiques pour l'emploi des seniors et a décidé de les mettre en oeuvre dans le cadre du projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2009. Prenant acte des limites des mesures purement incitatives, le Gouvernement a fait le choix, pour 2009, d'une politique plus directive. L'article 87 de la LFSS 2009 met en place un dispositif visant à mieux intégrer les seniors dans la politique de gestion des ressources humaines des entreprises.

L'article 87-II de la LFSS 2009 insère un chapitre VIII, intitulé "Pénalités", dans le titre III, consacré aux dispositions communes relatives au financement de la Sécurité sociale, du livre Ier du Code de la Sécurité sociale. Ce chapitre est composé de quatre articles. L'article L. 138-24 dispose que les entreprises employant au moins cinquante salariés ou appartenant à un groupe comprenant au moins cinquante salariés sont soumises à une pénalité à la charge de l'employeur, lorsqu'elles ne sont pas couvertes par un accord ou un plan d'action relatif à l'emploi des salariés âgés. Le montant de la pénalité est fixé à 1 % des rémunérations ou gains versés aux salariés au cours des périodes au titre desquelles l'entreprise n'est pas couverte par un accord ou un plan d'action. Le produit de cette pénalité sera affecté à la CNAV. L'article L. 138-25 (N° Lexbase : L3018ICR) ajoute que cet accord, conclu pour une durée maximale de trois ans, devra comporter un objectif chiffré de maintien dans l'emploi ou de recrutement des salariés âgés ; au moins trois actions en faveur de l'emploi des salariés âgés, choisies sur une liste fixée par décret et adaptées aux spécificités de l'entreprise (tutorat, formation, temps partiel de fin de carrière, etc.) ; et des modalités de suivi de cet objectif et de ces actions.

L'article L. 138-26 (N° Lexbase : L2885ICT) prévoit que, à défaut d'accord d'entreprise ou de groupe, les entreprises pourront élaborer un plan d'action répondant aux mêmes exigences, après consultation des institutions représentatives du personnel (avis du comité d'entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel). Elles ne seront, alors, pas soumises à la pénalité prévue à l'article L. 138-24. La durée maximale de ce plan d'action, qui devra faire l'objet d'un dépôt auprès de l'autorité administrative, est de trois ans. Enfin, les entreprises de moins de 300 salariés ou appartenant à un groupe de moins de 300 salariés, qui n'ont pas conclu d'accord ou élaboré de plan d'action à leur niveau, mais qui sont couvertes par un accord de branche ayant reçu un avis favorable du ministre chargé de l'Emploi, seront exemptées de pénalité. Le ministre est donc appelé à apprécier si l'accord de branche comporte des mesures relatives à l'emploi des salariés âgés. Cet avis est opposable aux organismes de recouvrement mentionnés aux articles L. 213-1 (N° Lexbase : L2321IBL) (Urssaf) et L. 752-4 (N° Lexbase : L7767G7S) (caisses générales de Sécurité sociale) du Code de la Sécurité sociale, ainsi qu'à l'article L. 725-3 du Code rural (N° Lexbase : L1488ANG) (caisses de mutualité sociale agricole).

Afin de faciliter la démarche de négociation des entreprises, l'article L. 138-27 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L3086ICB) prévoit que l'autorité administrative compétente peut être sollicitée par toute entreprise afin de vérifier que l'accord ou le plan d'action, élaboré par elle, répond bien aux conditions fixées à l'article L. 138-25 du même code. Pour renforcer la protection des entreprises, le silence de l'administration, pendant un délai fixé par décret, vaut décision de conformité. En outre, sa réponse (même implicite) est opposable aux organismes de recouvrement mentionnés aux articles L. 213-1 (Urssaf) et L. 752-4 (caisses générales de sécurité sociale) du Code de la Sécurité sociale, ainsi qu'à l'article L. 725-3 du Code rural (caisses de mutualité sociale agricole), pour une durée ne pouvant excéder la durée de validité des accords ou plans d'action.

L'article 87- IV de la LFSS 2009 fixe au 1er janvier 2010 la date d'application de ces mesures, ce qui laisse plus de deux ans aux entreprises pour conclure des accords ou mettre au point des plans d'actions sur l'emploi des salariés âgés (3).

B - Cumul emploi retraite

L'article 88 de la LFSS 2009 (CSS, art. L. 161-22 N° Lexbase : L2925ICC, L. 352-1 N° Lexbase : L4446ADZ, L. 634-6 N° Lexbase : L2945IC3, L. 643-6 N° Lexbase : L2998ICZ, L. 723-11-1 N° Lexbase : L3121ICL ; C. rur., art. L. 732-39 N° Lexbase : L2918IC3 ; C. pens. retr., art. L. 84 N° Lexbase : L2936ICQ) prévoit la libéralisation du cumul emploi retraite pour tous les retraités à partir de soixante ans, s'ils ont cotisé la durée nécessaire pour bénéficier d'une retraite à taux plein ou, à défaut, à partir de soixante-cinq ans.

Dans le secteur privé, la limitation du cumul d'un emploi et d'une retraite date de l'ordonnance n° 82-290 du 30 mars 1982. Le dispositif de limitation s'appliquait aussi bien aux retraites de base des salariés qu'aux pensions civiles et militaires de retraite des fonctionnaires. Elle a été conçue comme une contrepartie à l'abaissement de soixante-cinq à soixante ans de l'âge de la retraite. La principale condition posée au cumul d'un emploi et d'une retraite consistait à subordonner le service d'une pension de retraite à la rupture définitive, par le salarié, de tout lien professionnel avec son dernier employeur et, pour les assurés exerçant une activité non salariée avant le départ à la retraite, à la cessation définitive de l'activité exercée en dernier lieu. L'article 15 de la loi du 21 août 2003 (CSS, art. L. 161-22 et L. 364-6) a simplifié et harmonisé, pour les assurés du secteur privé, les règles relatives à la limitation du cumul d'une activité salariée et la perception d'une retraite. Le cumul est, désormais, soumis à une double condition de rupture du lien avec le dernier employeur avant la liquidation de la pension : un assuré ne peut reprendre une activité dans la dernière entreprise qui l'employait avant son départ en retraite qu'à l'issue d'une durée minimale de six mois après la liquidation de sa retraite ; et une condition de plafond de ressources totales (les ressources totales dont l'assuré dispose au titre de ses pensions de base et complémentaires, ainsi que de ses revenus d'activité, ne peut excéder la moyenne de ses salaires bruts mensuels soumis à la CSG au cours de ses trois derniers mois d'activité).

L'article 105 de la LFSS pour 2007 (loi n° 2006-1640 du 21 décembre 2006, de financement de la Sécurité sociale pour 2007 N° Lexbase : L8098HT4) a assoupli les conditions du cumul emploi retraite, afin d'encourager l'utilisation du dispositif, notamment, par les travailleurs ayant de bas salaires. La loi a maintenu la règle selon laquelle la somme des pensions de retraite et des revenus d'activité professionnelle ne doit pas être inférieure au montant du dernier salaire d'activité, mais elle a permis de déroger à ce plafond, dès lors que les revenus tirés des pensions de retraite et de l'activité professionnelle nouvelle sont inférieurs à 1,6 fois le Smic.

Le régime du cumul emploi retraite des fonctionnaires a été défini par l'article 64 de la loi de 2003. Le cumul est libre en cas de prise d'activité dans le secteur privé. Il n'est autorisé, en cas de reprise d'activité dans la fonction publique, que si le revenu d'activité est, au maximum, égal au tiers du montant brut de sa pension ; à défaut, un abattement est appliqué (C. pens. retr., art. L. 84 à L. 86-1).

L'article 88-I concerne les pensionnés du régime général et du régime des salariés agricoles. Il modifie l'article L. 161-22 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L2925ICC) afin de supprimer la condition selon laquelle la rupture du lien professionnel entre l'employeur et son salarié doit être définitive pour le service d'une pension de vieillesse ; et de permettre, par dérogation aux règles actuellement en vigueur, de cumuler sans restriction une pension de vieillesse et une activité professionnelle. Sont, ainsi, levées les deux limites précitées : délai de latence de six mois avant de retourner chez son dernier employeur et plafond de cumul de ressources. Deux conditions doivent, toutefois, être remplies par le pensionné : avoir liquidé ses pensions de vieillesse auprès de la totalité des régimes de retraite de base et complémentaires légalement obligatoires, dont il a relevé (cette disposition s'applique aux pensions personnelles de droit direct) ; et avoir liquidé ses pensions de retraite, soit à partir de l'âge de soixante-cinq ans (âge prévu au 1° de l'article L. 351-8 du Code de la Sécurité sociale N° Lexbase : L7663DKZ), soit à partir de l'âge de soixante ans (âge prévu par le premier alinéa de l'article L. 351-1 N° Lexbase : L7665DK4 du même code) s'il a justifié d'une durée d'assurance ouvrant droit au taux plein.

L'article 88-III étend les nouvelles règles de cumul aux régimes des professions artisanales, industrielles et commerciales, ainsi qu'au régime des professions libérales ; l'article 88-IV aux avocats ; l'article 88-V aux non-salariés des professions agricoles et l'article 88-VI, en complétant l'article 84 du Code des pensions civiles et militaires de retraite, aux fonctionnaires (4).

C Surcote

L'article 89 (CSS, art. L. 351-10 N° Lexbase : L2811IC4 et C. pens. retr., art. L. 14 N° Lexbase : L2920IC7) prévoit que le bénéfice de la surcote sera élargi aux personnes recevant le minimum contributif et que le taux de surcote sera revalorisé pour la rendre plus attractive. Créé par l'article 25 de la loi du 21 août 2003, le dispositif de surcote (ou coefficient de majoration) vise à favoriser le maintien en emploi des salariés âgés : les assurés qui poursuivent leur activité professionnelle après soixante ans et au-delà de la durée nécessaire pour bénéficier d'une retraite à taux plein, voient leur pension majorée (CSS, art. L. 351-1-2 N° Lexbase : L7667DK8). En 2007, seulement 7,6 % des attributions de droits directs à pension de retraite par la Cnav ont donné lieu à une surcote. Le gain mensuel, qui évolue en fonction du montant de la pension moyenne et du nombre de trimestres de surcote, s'établit à 35,7 euros, soit 5,90 euros par trimestre de surcote. La surcote permet, ainsi, de majorer de 5 % les pensions liquidées par le régime (5).

Les études montrent que le coefficient de majoration n'a pas pleinement atteint ses objectifs. Il se révèle insuffisamment incitatif pour retarder les départs en retraite des assurés. La proportion des nouveaux retraités bénéficiaires d'une surcote, à situation démographique constante, augmente régulièrement : une meilleure connaissance du dispositif et une valorisation accrue des trimestres cotisés supplémentaires devraient permettre d'accroître l'efficacité du dispositif.

  • L'élargissement du champ d'application de la surcote aux bénéficiaires du minimum contributif

Cette réforme a été proposée par le conseil d'administration de la Cnav, faisant valoir que les bénéficiaires du minimum contributif sont actuellement exclus du dispositif de la surcote. En effet, la surcote est calculée à partir du montant initial du droit propre de l'assuré, c'est-à-dire avant l'éventuelle application du minimum contributif et sans prise en compte des avantages complémentaires (majorations pour enfant, pour conjoint à charge, etc.). Or, si le montant du droit propre est inférieur au minimum contributif, le bénéfice de la surcote sera annulé en tout ou partie par l'application du minimum contributif. Ce qui n'incitera pas, au final, l'assuré à poursuivre son activité. L'article 89 de la LFSS 2009 permet aux assurés concernés par le minimum contributif de bénéficier pleinement de la surcote.

  • La revalorisation du taux de surcote

L'article 89-II tend à revaloriser le taux de surcote. Ce taux est fixé par décret pour les assurés relevant d'un régime d'assurance du secteur privé (pour les fonctionnaires, il dépend de la loi). Dans le régime général, le régime social des indépendants (artisans, commerçants et industriels) et les régimes des professions agricoles (exploitants et salariés), le taux de surcote est actuellement de 0,75 % du premier au quatrième trimestre cotisé au-delà de la durée d'assurance et périodes équivalentes ouvrant droit au taux plein (soit 3 % la première année) ; 1 % par trimestre à partir du cinquième trimestre (soit 4 % les années suivantes) ; 1,25 % pour chaque trimestre accompli au-delà de l'âge de soixante-cinq ans (soit 5 % par année). Le taux de surcote appliqué par le régime de base des professions libérales est de 0,75 % par trimestre. Pour les fonctionnaires, la surcote se traduit par une majoration de 0,75 % par trimestre de services (et non par trimestre cotisé) effectué au-delà de soixante ans (en plus du nombre de trimestres permettant d'obtenir le taux plein), dans la limite de vingt trimestres.

L'objectif du Gouvernement, fixé au printemps 2008, est de porter, par décret, le taux de surcote à 5 % pour toutes les années travaillées à compter du 1er janvier 2009. L'article 89-II de la LFSS 2009 met en oeuvre cette volonté pour les fonctionnaires, en modifiant l'article L. 14 du Code des pensions civiles et militaires de retraite, qui définit les modalités de prise en compte de la durée d'assurance dans le calcul des pensions de retraite des fonctionnaires. La LFSS 2009 substitue à la notion de "trimestres de services" celle de "trimestres d'assurance" qui est utilisée pour tous les assurés du secteur privé. Le législateur a, également, modifié la règle de prise en compte, pour le bénéfice d'une surcote, du nombre de trimestres de services accomplis au-delà de la durée d'assurance exigée pour obtenir une liquidation de pension au taux maximum par les fonctionnaires au moins âgés de soixante ans. Jusqu'à présent, le nombre de trimestres de services accomplis par le fonctionnaire est arrondi à l'entier supérieur. Cette règle représente un avantage par rapport au secteur privé, où le trimestre doit avoir été entièrement cotisé pour être validé. En outre, pour qu'une pension de fonctionnaire soit majorée par une surcote, il faut que la pension soit liquidée par un fonctionnaire achevant sa carrière professionnelle. Si un fonctionnaire quitte l'administration et achève sa carrière dans le secteur privé, sa pension civile ou militaire de retraite ne bénéficiera pas d'une surcote (les trimestres supplémentaires n'étant pas considérés comme des trimestres de services pour la fonction publique). L'article 89 revient donc sur ces deux dispositions pour rapprocher les règles de surcote dans la fonction publique de celles du secteur privé. L'article 89 porte le coefficient de majoration de 0,75 % par trimestre supplémentaire à 1,25 %.

La réforme de l'arrondi et le relèvement du taux de surcote s'appliqueront aux trimestres d'assurance cotisés et effectués à compter du 1er janvier 2009 ; l'application de la surcote aux bénéficiaires du minimum contributif, ainsi que la substitution des trimestres d'assurance aux trimestres de services entreront en vigueur au 1er avril 2009 (6).

D - Age de la retraite: suppression de la mise à la retraite d'office

L'article 90 (C. trav., art. L. 1221-18 N° Lexbase : L2899ICD et L. 1237-5 N° Lexbase : L2959ICL à L. 1237-8) modifie, à compter du 1er janvier 2010, la possibilité, pour un employeur, de mettre d'office un salarié en retraite. Inciter les entreprises à maintenir les seniors en emploi figure parmi les trois objectifs définis par le Gouvernement, le 27 juin 2008, à l'issue de la concertation sur l'emploi des seniors. Dès lors, la possibilité, pour un employeur, de mettre à la retraite d'office un salarié est en contradiction avec la poursuite de cet objectif. La décision du passage de l'activité à la retraite devrait relever du seul choix du salarié, quel que soit son âge. Dans le cadre de la mobilisation pour l'emploi des seniors, il convient, en effet, de permettre à chaque salarié de pouvoir retarder le moment de son départ en retraite.

L'article L. 1237-5 du Code du travail autorise les employeurs à procéder à la mise à la retraite des salariés âgés d'au moins soixante-cinq ans ; âgés de soixante à soixante-cinq ans s'ils peuvent bénéficier d'une pension de vieillesse à taux plein et si cette mise à la retraite d'office s'effectue dans l'un des cas suivants : jusqu'au 31 décembre 2009, dans le cadre d'un accord collectif étendu, conclu avant le 1er janvier 2008 et fixant des contreparties en termes d'emploi ou de formation professionnelle ; en application d'un accord professionnel (mentionné à l'article L. 5122-4 du même code N° Lexbase : L2047H9P) en cas de cessation d'activité ; dans le cadre d'une convention de préretraite progressive conclue antérieurement au 1er janvier 2005 ; dans le cadre du bénéfice de tout autre avantage de préretraite défini antérieurement à la date de publication de la loi n° 2003-775 du 21 août 2003, portant réforme des retraites.

L'article 90 de la LFSS 2009 introduit quelques changements conséquents.

Le départ du salarié avant l'âge de 65 ans était possible, en cas de cessation d'activité, en application d'un accord professionnel mentionné à l'article L. 5122-4 du Code du travail (C. trav., art. L. 1237-5, al. 2, 2°). La LFSS 2009 prévoit, désormais, cette possibilité de départ à la retraite pour les bénéficiaires d'une préretraite ayant pris effet avant le 1er janvier 2010 et mise en oeuvre dans le cadre d'un accord professionnel (mentionné à l'article L. 5123-6 du Code du travail N° Lexbase : L2063H9B).

Le départ du salarié avant l'âge de 65 ans était possible, dans le cadre du bénéfice de tout autre avantage de préretraite défini antérieurement à la date de publication de la loi n° 2003-775 du 21 août 2003, portant réforme des retraites (C. trav., art. L. 1237-5, al. 2, 4°). La LFSS 2009 limite cette possibilité de départ à la retraite pour les bénéficiaires d'une préretraite ayant pris effet avant le 1er janvier 2010.

La LFSS 2009 a repoussé à 70 ans l'âge auquel le salarié pourra être mis à la retraite d'office par son employeur, sous réserve que celui-ci respecte la procédure décrite aux septième, huitième et neuvième alinéas de l'article L. 1237-5 du Code du travail. Cette procédure prévoit que les salariés, qui le souhaitent, pourront prolonger leur activité au-delà de soixante-cinq ans, sous réserve d'en avoir préalablement manifesté l'intention auprès de leur employeur, et dans la limite de cinq années.

Le septième alinéa dispose que, avant la date à laquelle le salarié atteint l'âge de soixante-cinq ans et dans un délai fixé par décret, l'employeur interroge, par écrit, le salarié sur son intention de quitter volontairement l'entreprise pour bénéficier d'une pension de retraite. Le huitième alinéa précise que, en cas de réponse négative du salarié ou à défaut d'avoir respecté l'obligation mentionnée au septième alinéa, l'employeur ne peut le mettre à la retraite d'office pendant l'année qui suit la date à laquelle le salarié atteint l'âge de soixante-cinq ans. Le neuvième alinéa prévoit que la même procédure est applicable les quatre années suivantes, c'est-à-dire jusqu'à ce que le salarié atteigne l'âge de soixante-dix ans. La mise à la retraite d'office d'un salarié âgé de soixante-cinq ans demeurera donc possible, si celui-ci n'exprime pas la volonté de poursuivre son activité au-delà de cet âge.

Le Conseil constitutionnel s'est prononcé favorablement à cette mesure et ne l'a pas censurée (décision n° 2008-571 DC du 11 décembre 2008 N° Lexbase : A6887EBP). Les requérants faisaient grief à ces dispositions d'être étrangères au domaine des lois de financement de la Sécurité sociale, de priver de garanties légales les exigences du onzième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 (N° Lexbase : L6821BH4) (droit à la santé et au droit au repos) et de porter atteinte au principe d'égalité devant la loi.

Ces trois arguments ont été rejetés par le Conseil constitutionnel. La prolongation d'une activité salariée au-delà du temps nécessaire pour obtenir une pension de retraite à taux plein se traduit par un effet direct sur les dépenses, comme sur les recettes des régimes obligatoires de base : dès lors, les dispositions contestées peuvent figurer dans une loi de financement de la Sécurité sociale. Les dispositions de l'article 90 de la LFSS 2009 se bornent à permettre aux salariés de prolonger chaque année, de manière volontaire, leur activité jusqu'à cinq années supplémentaires : dès lors, elles ne méconnaissent pas les exigences du onzième alinéa du Préambule de 1946 (N° Lexbase : L6821BH4). Enfin, pour le Conseil constitutionnel, le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit. En l'espèce, les dispositions contestées de la LFSS 2009, qui ne créent aucune différence de traitement entre les salariés, ne méconnaissent pas le principe d'égalité.

II - Branche vieillesse

A - Revalorisation du minimum vieillesse

L'article 73 de la LFSS 2009 (CSS, art. L. 815-1 N° Lexbase : L8707GQK, L. 815-2 N° Lexbase : L8674GQC, L. 815-13 N° Lexbase : L8697GQ8, L. 815-24 N° Lexbase : L2807ICX, L. 815-24-1 nouveau N° Lexbase : L2987ICM et L. 816-2 N° Lexbase : L7528DKZ) autorise le Gouvernement à augmenter progressivement, par décret, le montant du minimum vieillesse et de l'allocation de solidarité aux personnes âgées (Aspa), en les fixant à un niveau supérieur à celui qui résulterait de la revalorisation sur les prix prévue par la loi. Le minimum vieillesse a pour objet de garantir un revenu minimal à toutes les personnes âgées d'au moins soixante-cinq ans (soixante ans en cas d'inaptitude au travail), sous condition de ressources. Il s'agit d'un dispositif constitué de deux prestations : l'allocation de premier étage ou allocation aux vieux travailleurs salariés (AVTS) (3 122,08 euros par an, soit 260,17 euros par mois, au 1er septembre 2008) ; l'allocation supplémentaire vieillesse (4 475,49 euros par an, soit 372,95 euros par mois, au 1er septembre 2008) (7). L'ordonnance n° 2004-605 du 24 juin 2004, simplifiant le minimum vieillesse (N° Lexbase : L5053DZ8), a institué une prestation unique et différentielle : l'allocation de solidarité aux personnes âgées (Aspa). La réforme est entrée en vigueur à compter du 13 janvier 2007. L'Aspa se substitue, pour les nouveaux bénéficiaires, aux deux prestations précitées, ainsi qu'aux sept autres prestations non contributives (c'est-à-dire sans contrepartie d'un versement de cotisations) constitutives du minimum vieillesse, à savoir : l'allocation aux vieux travailleurs non salariés, le secours viager, l'allocation aux mères de famille, l'allocation spéciale vieillesse, l'allocation de vieillesse agricole, l'allocation viagère aux rapatriés et la majoration de l'AVTS prévue en cas d'inaptitude au travail (8).

La fixation du montant du minimum vieillesse et de l'Aspa, ainsi que des montants des plafonds de ressources et des montants limites de récupération sur les successions des bénéficiaires de l'allocation, relève du pouvoir réglementaire. Cependant, il revient au Parlement d'autoriser le Gouvernement à déroger aux dispositions de la loi pour revaloriser le minimum vieillesse et l'Aspa au-delà de l'indexation sur l'évolution des prix à la consommation hors tabac. En effet, l'article 27 de la loi du 21 août 2003 pose la règle d'une revalorisation du minimum vieillesse, comme celle de l'ensemble des pensions, sur l'évolution des prix (CSS, art. L. 816-2).

Enfin, l'article 73-II de la LFSS 2009 modifie et complète l'article L. 815-24 du Code de la Sécurité sociale, relatif à l'allocation supplémentaire d'invalidité (ASI). L'article 73-II-1° supprime la disposition mettant en place l'alignement du plafond de ressources de l'ASI sur le plafond de ressources du minimum vieillesse et de l'Aspa. Il est donc procédé à la déconnexion des deux plafonds, afin d'éviter le relèvement de 25 % du plafond de ressources de l'ASI. L'article 73-II-2° insère un article L. 815-24-1 au Code de la Sécurité sociale pour définir de manière autonome le plafond de ressources propre à l'ASI. Cette nouvelle base légale ne modifie pas la définition actuelle de son plafond de ressources. Selon le droit aujourd'hui en vigueur (CSS, art. L. 815-9 N° Lexbase : L8693GQZ), l'ASI n'est due que si le total de cette allocation et des ressources personnelles de l'intéressé et du conjoint, du concubin ou du partenaire lié par un Pacs ne dépasse pas des plafonds fixés par décret. Cette disposition demeure inchangée (9).

B - Rachat de trimestres pour l'ouverture du droit à retraite anticipée pour carrière longue

L'article 83 de la LFSS 2009 (CSS, art. L. 173-7 nouveau N° Lexbase : L8693GQZ, L. 351-14-1 N° Lexbase : L3072ICR et L. 382-29 N° Lexbase : L3045ICR ; C. rur., art. L. 742-3 N° Lexbase : L2929ICH ; loi n° 2006-1640 du 21 décembre 2006, de financement de la Sécurité sociale pour 2007, art. 114) modifie les règles de rachat de trimestres au titre des périodes d'études supérieures ou d'années d'activité incomplète pour l'ouverture du droit à une retraite anticipée pour carrière longue. La retraite anticipée pour longue carrière a été mise en place par les articles 23, 24, 90, 97 et 99 de la réforme des retraites. Elle bénéficie aux travailleurs salariés du régime général, du régime des salariés agricoles, aux exploitants agricoles, aux membres des professions indépendantes ou libérales et aux avocats. Le décret n° 2003-1036 du 30 octobre 2003 (décret relatif à l'abaissement de l'âge de la retraite pour les assurés ayant commencé à travailler jeunes et eu une longue carrière N° Lexbase : L5664DLD) a fixé les âges de début d'activité professionnelle et les durées d'assurance minimales exigés pour être éligible au dispositif. La retraite anticipée pour carrière longue est, ainsi, ouverte, depuis le 1er janvier 2004 aux assurés âgés de cinquante-neuf ans ayant débuté leur activité professionnelle avant l'âge de dix-sept ans, justifiant d'une durée d'assurance validée au moins égale à celle fixée pour obtenir le taux plein majorée de huit trimestres et ayant cotisé sur une période au moins égale à la durée d'assurance exigée pour obtenir le taux plein majorée de quatre trimestres ; aux assurés de cinquante-huit ans ayant débuté leur activité professionnelle avant l'âge de seize ans, dans les mêmes conditions ; et aux assurés âgés de cinquante-six ans ayant débuté leur activité professionnelle avant l'âge de seize ans, selon les mêmes règles.

Selon la Commission des comptes de la Sécurité sociale, le nombre de bénéficiaires sur 2004-2008 est actuellement évalué à 556 000 et le coût cumulé de la mesure à 8,3 milliards d'euros. Ceci correspond à un surcoût de 13 % par rapport aux prévisions de 2003. Le dispositif de régularisation de cotisations arriérées, défini à l'article L. 351-14-1 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L3072ICR), a été initialement conçu comme une mesure de souplesse pour traiter des cas exceptionnels. Le recours au "rachat" connaît une véritable montée en charge. En effet, le nombre de ces régularisations (majoritairement au titre de périodes d'apprentissage) est passé de moins de 5 000, en 2003, à environ 30 000 par an depuis. Pour le seul régime général, la régularisation des cotisations arriérées aurait produit un supplément de prestations de l'ordre de 350 millions d'euros, en 2006, et d'environ 450 millions, en 2007. Le décret n° 2008-845 du 25 août 2008 (N° Lexbase : L7488IAL) a durci les conditions financières de régularisation d'arriérés de cotisations (10).

L'article 83 de la LFSS 2009 révise, également, le dispositif de rachat de trimestres, pour que celui-ci ne soit pas détourné de son objectif initial et utilisé pour bénéficier d'un départ à la retraite anticipé. Les travaux parlementaires ont relevé l'utilisation, par certains assurés, de cette technique pour augmenter leur durée d'assurance et remplir les conditions pour un départ avant soixante ans. L'article 83 de la LFSS 2009 crée une nouvelle sous-section consacrée au rachat de cotisations au sein de la section III ("coordination en matière d'assurance vieillesse entre divers régimes") du chapitre III ("coordination en matière d'assurance vieillesse et d'assurance veuvage") du titre VII (coordination entre les régimes) du livre Ier du Code de la Sécurité sociale. Cette nouvelle sous-section 9 est composée d'un article unique, l'article 173-7 (N° Lexbase : L2813IC8), selon lequel les versements de cotisations effectués au titre des périodes d'études supérieures ou d'années d'activité incomplète, mentionnés au premier alinéa des articles L. 351-14-1 (pour les salariés du régime général), L. 634-2-2 (pour les membres des professions indépendantes), L. 643-2 (pour les membres des professions libérales), L. 723-10-3 (pour les avocats) du Code de la Sécurité sociale, à l'article L. 732-27-1 du Code rural (pour les exploitants agricoles), ainsi qu'au cinquième alinéa de l'article L. 9 bis du Code des pensions civiles et militaire de retraite (pour les fonctionnaires), ne seront pas pris en compte pour l'ouverture du droit à la retraite anticipée.

Ces dispositions du nouvel article L. 173-7 du Code de la Sécurité sociale seront applicables aux demandes de versement déposées à compter du 15 octobre 2008. Par ailleurs, les trimestres rachetés au titre des années d'études supérieures ou d'années d'activité incomplète continueront à être pris en compte pour le calcul des pensions de vieillesse (11).


(1) Sur le premier volet, lire nos obs., LFSS 2009 : de quelques réformes des branches maladie, accident du travail/maladie professionnelle et famille, Lexbase Hebdo n° 332 du 7 janvier 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N2160BIT).
(2) Bibliograpghie très abondante. V., not., F. Favennec-Héry, L'accord national interprofessionnel relatif à l'emploi des seniors : un premier pas, JCP éd. S, n° 21, 15 novembre 2005, étude n° 1329, p. 14 ; P.-Y. Verkindt, Changer le regard sur le travail des seniors après l'ANI du 13 octobre 2005, SSL, 31 octobre 2005, n° 1234 ; nos obs., Les apports de l'ANI du 13 octobre 2005 aux politiques de vieillissement actif, Lexbase Hebdo n° 191 du 24 novembre 2005 - édition sociale (N° Lexbase : N1192AKD) ; P. Marioni, Accroître l'emploi des travailleurs vieillissants : entre volontés et difficultés, DARES, 1ères informations, 1ères synthèses, 2005-01, n° 04.1 ; Synthèse actualisée d'un ouvrage collectif coordonné par F. Lerais et P. Marioni, Dossier Age et Emploi : synthèse des principales données sur l'emploi des seniors, Document d'études n° 82, Dares, 2004 ; IGAS, Gestion des âges et politiques de l'emploi, Rapport annuel, La documentation française 2004.
(3) A. Vasselle, Rapport Sénat n° 83 (2008/2009), tome VII, examen des articles, p. 248 ; J.-J. Jégou, Avis Sénat n° 84, 2008-2009, p. 161 s. ; D. Leclerc, Rapport Sénat n° 83, 2008-2009, tome V, Assurance vieillesse, pp. 26-44.
(4) A. Vasselle, Rapport Sénat n° 83 (2008/2009), tome VII, préc., examen des articles, p. 252 ; J.-J. Jégou, Avis Sénat n° 84, 2008-2009, préc., p. 161 s. ; D. Leclerc, Rapport Sénat n° 83, 2008-2009, tome V, Assurance vieillesse, préc., pp. 26-44.
(5) Le régime des indépendants se caractérise par des taux de recours à la surcote plus importants que dans le régime général (en 2006, de l'ordre de 10 % chez les artisans et 13 % chez les commerçants). Dans les régimes de la fonction publique, en raison de règles spécifiques, la part des pensions attribuées avec surcote atteint des niveaux encore plus élevés (en 2006, de l'ordre de 19 % à la CNRACL et 25 % dans la fonction publique d'Etat).
(6) A. Vasselle, Rapport Sénat n° 83 (2008/2009), tome VII, préc., examen des articles, p. 256 ; J.-J. Jégou, Avis Sénat n° 84, 2008-2009, préc., p. 161 s. ; D. Leclerc, Rapport Sénat n° 83, 2008-2009, tome V, Assurance vieillesse, préc., pp. 26-44.
(7) Au 1er septembre 2008, le montant global du minimum vieillesse atteint 7 597,57 euros par an, soit 633,12 euros par mois pour une personne seule, et 12 905,40 euros par an, soit 1 135,78 euros par mois pour un couple.
(8) L'Aspa, comme le minimum vieillesse, est attribuée à toute personne âgée d'au moins soixante-cinq ans (ou soixante ans en cas d'inaptitude au travail), sous réserve de respecter les conditions de résidence et de disposer de ressources inférieures à un plafond (7 781,27 euros pour une personne seule et 13 629,44 euros pour un couple, au 1er septembre 2008). Celui-ci est identique à celui du minimum vieillesse, qui continue à être servi aux personnes qui touchaient l'allocation avant la création de l'Aspa.
(9) A. Vasselle, Rapport Sénat n° 83 (2008/2009), tome VII, préc., examen des articles, p. 217 ; J.-J. Jégou, Avis Sénat n° 84, 2008-2009, préc., p. 161 s. ; D. Leclerc, Rapport Sénat n° 83, 2008-2009, tome V, Assurance vieillesse, préc., pp. 26-44.
(10) Afin d'éviter de tels abus, une circulaire de la Direction de la Sécurité sociale DSS/3A n° 2008-17 du 23 janvier 2008 (N° Lexbase : L8037H33) a renforcé les modalités de régularisation des cotisations arriérées concernant les périodes d'activité salariée non cotisées et les périodes d'apprentissage.
(11) A. Vasselle, Rapport Sénat n° 83 (2008/2009), tome VII, préc., examen des articles, p. 239 ; J.-J. Jégou, Avis Sénat n° 84, 2008-2009, préc., p. 161 s. ; D. Leclerc, Rapport Sénat n° 83, 2008-2009, tome V, Assurance vieillesse, préc., pp. 26-44.

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Fiscalité des entreprises

[Chronique] Chronique de droit fiscal des entreprises - janvier 2009

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N2314BIK

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par Frédéric Dal Vecchio, Juriste-Fiscaliste et Chargé d'enseignement à l'Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines

Le 03 Juin 2015

Lexbase Hebdo - édition fiscale vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique d'actualité en droit fiscal des entreprises réalisée par Frédéric Dal Vecchio, Juriste-Fiscaliste, Chargé d'enseignement à l'Université de Versailles Saint-Quentin en Yvelines. Coup de tonnerre dans le paysage fiscal français qui vient de subir "l'effet papillon" : le régime d'intégration fiscale -dont on remarquera qu'il a entraîné peu de contentieux depuis sa création- vient de faire l'objet d'une importante décision du juge communautaire (CJCE, 27 novembre 2008, aff. C-418/07, Société Papillon c/ Ministère du Budget, des Comptes publics et de la Fonction publique). Puis, le Conseil d'Etat décide, qu'à défaut de créance certaine, l'espérance légitime d'obtenir la restitution d'une somme d'argent est un bien au sens de l'article 1er du Premier protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (CE 3° et 8° s-s-r., 19 novembre 2008, n° 292948, Société Getecom). Enfin, le Haut Conseil prend position quant aux amortissements de caducité dont peuvent bénéficier les entreprises ayant conclu un contrat d'affermage (CE 3° et 8° s-s-r., 11 décembre 2008, n° 309427, Ministre du Budget, des Comptes publics et de la Fonction publique c/ SA Hôtelière La Chaîne Lucien Barrière).
  • Droit communautaire et intégration fiscale : "même pour le simple envol d'un papillon, tout le ciel est nécessaire" (1) (CJCE, 27 novembre 2008, aff. C-418/07, Société Papillon c/ Ministère du Budget, des Comptes publics et de la Fonction publique N° Lexbase : A4435EBU)

Une société française tête de groupe peut-elle comprendre le résultat d'une sous-filiale française dont elle détient le capital par l'intermédiaire d'une société sise dans un autre Etat membre de l'UE ?

A cette épineuse question -qui tient en haleine les fiscalistes français mais également le grand public (C. Guélaud, La France doit corriger le régime d'intégration fiscale des entreprises, Le Monde, 5 décembre 2008, p. 16)- la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) vient de rendre un arrêt qui fera date et va contraindre les autorités françaises à modifier le droit en vigueur. On apprend, d'ailleurs, que "Bercy a bon espoir que cette correction puisse se faire par une simple instruction" (C. Guélaud, ibidem). C'est dire l'importance de la doctrine administrative en France...

Pour faire admettre que le régime d'intégration fiscale français issu des articles 223 A et suivants du CGI (CGI, art. 223 A N° Lexbase : L3718IAX) ne répondait pas aux canons du droit communautaire, il a fallu attendre l'opinion de la Cour de justice des Communautés européennes bien que des doutes aient assailli les fiscalistes depuis quelques temps déjà.

La société Papillon a fait l'objet d'une procédure de vérification de comptabilité portant sur les exercices clos de 1989 à 1991 au terme de laquelle l'administration fiscale a remis en cause le régime d'intégration fiscale ; cette dernière considérant que la chaîne de participation était rompue du fait de la détention, par l'intermédiaire d'une société néerlandaise, d'une sous-filiale française. Selon la doctrine administrative : "Le régime de l'intégration fiscale a pour objet de mieux assurer la neutralité de la fiscalité à l'égard des structures économiques et de renforcer la compétitivité des entreprises françaises" (2) même si, en 2005, l'administration fiscale, à la suite de l'adoption de l'article 97 de la loi de finances pour 2004 (loi n° 2003-1311 du 30 décembre 2003 N° Lexbase : L6348DM3), acceptera "qu'une société étrangère [puisse] être membre d'un groupe fiscal au sens des articles 223 A et suivants dès lors qu'elle possède un établissement stable soumis à l'impôt sur les sociétés en France" (instruction du 19 juillet 2005, BOI 4 H-2-05, § 28 N° Lexbase : X3292ADB). Devant la juridiction d'appel (CAA Paris, 2ème ch., 24 juin 2005, n° 04PA01300, Société Papillon N° Lexbase : A3180DKY, concl. F. Bataille, BDCF, 2005, n° 128), la société Papillon soulèvera la problématique de la compatibilité d'un tel régime avec l'article 43 du Traité CE en demandant la saisine de la CJCE ou du Conseil d'Etat pour avis. La cour administrative d'appel de Paris n'y donnera pas suite car la garantie des libertés communautaires cède devant une restriction commandée par une raison impérieuse d'intérêt général -si toutefois la restriction respecte le principe de proportionnalité (3)- telle que "la nécessité de préserver la cohérence du système fiscal national" consacrée par la CJCE depuis 1992 (4). En effet, selon la juridiction d'appel, l'interposition d'une société étrangère dans la chaîne des participations "comme de toute société qui, pour quelque raison que ce soit, n'est pas soumise à l'impôt sur les sociétés, ne permettrait pas d'agréger l'ensemble des résultats réalisés par les sociétés économiquement et juridiquement intégrées au groupe".

Cet arrêt a été frappé d'un pourvoi en cassation initié par la société Papillon et le Conseil d'Etat -dans sa grande sagesse- a saisi par voie préjudicielle la Cour de justice des Communautés européennes (CE 3° et 8° s-s-r., 10 juillet 2007, n° 284785, Société Papillon N° Lexbase : A2838DXE, concl. P. Collin, BDCF, 2007, n° 120) afin d'obtenir une réponse à une interrogation relative à la compatibilité du régime d'intégration fiscale au regard des articles 43 et 48 du Traité CE.

La décision rendue par la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE, 27 novembre 2008, aff. C-418/07, Société Papillon c/ Ministère du Budget, des Comptes publics et de la Fonction publique ; P. Dibout, Le périmètre des groupes de sociétés et la liberté d'établissement, Dr. fisc., 2008, comm. 640 ; note J.-L. Pierre, Dr. fisc., 2008, comm. 644) était, par conséquent, attendue pour plusieurs raisons. La Cour a déjà pris position quant au régime de groupe applicable au Royaume-Uni (group relief) au regard des libertés communautaires dès lors que ce dispositif ne permettait pas la prise en compte, par une société mère résidente, des résultats des filiales situées dans un autre Etat membre de la communauté (CJCE, 13 décembre 2005, aff. C-446/03, Marks & Spencer plc c/ David Halsey N° Lexbase : A9386DL9, § 27). Cependant, le contexte de cette dernière affaire est différent de celui que nous connaissons en France puisque la question préjudicielle posée par le Conseil d'Etat ne portait pas sur la possibilité d'inclure dans le périmètre d'intégration fiscale la société étrangère : la société Papillon a tenu compte des seuls résultats de la sous-filiale française détenue par cette société néerlandaise. Il est toutefois patent que le régime d'intégration fiscale -tel qu'interprété par l'administration fiscale- opère une restriction allant à l'encontre de la liberté d'établissement dès lors que la sous-filiale française détenue par une société étrangère est exclue du périmètre d'intégration fiscale.

La décision rendue par la CJCE fait ressortir plusieurs points importants -dont l'existence d'une inégalité de traitement (5)- : en ce qui concerne les justifications apportées par l'Etat français, la CJCE les réfute en répondant que la différence de situation objectivement comparable soulevée par la France et commandant une différence de traitement ne peut être accueillie dès lors qu'"admettre qu'un Etat membre puisse librement appliquer un traitement différent en raison du seul fait que le siège d'une société est situé dans un autre Etat membre viderait les règles relatives à la liberté d'établissement de leur contenu" (6). Elle précise, également, que la liberté d'établissement permet tout à la fois de bénéficier du traitement national dans l'Etat membre d'accueil et interdit à l'Etat membre d'origine d'entraver "l'établissement dans un autre Etat membre de l'un de ses ressortissants ou d'une société constituée en conformité avec sa législation" (7).

Le risque d'évasion fiscale -justification classiquement et régulièrement soulevée par l'Etat français et même au cas particulier par les gouvernements allemand et néerlandais (8)- ne pouvait être retenu dès lors que la question préjudicielle posée n'était pas de savoir si la filiale étrangère pouvait relever du régime d'intégration fiscale mais si la législation française ne devait pas être considérée comme une restriction. Ainsi que le fait remarquer la Cour, il s'agit de prendre en compte "les pertes enregistrées dans un seul et même Etat membre, ce qui exclut, a priori, un risque d'évasion fiscale" (9).

La CJCE reconnaît que les dispositions du CGI -tenant en une neutralisation des opérations internes au groupe- assurent la cohérence du régime fiscal en évitant une double déduction des pertes des sociétés comprises dans le périmètre d'intégration fiscale (10). Mais la législation française ne doit pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif. La thèse des difficultés pratiques opposée par l'Etat français ne peut justifier une atteinte à une liberté communautaire et l'on rapprochera ce raisonnement d'une argumentation déjà soulevée par la France dans le cadre de l'absence de récupération d'aides d'Etat fiscales en cas de reprise d'une entreprise en difficulté entraînant la condamnation de l'Etat français qui arguait avoir été "dans l'impossibilité absolue de récupérer les aides" (11) en question (CJCE, 13 novembre 2008, aff. C-214/07, Commission des Communautés européennes c/ République française N° Lexbase : A2172EB3 ; A. Maitrot de la Motte, Dr. fisc., 2008, act. 365). En définitive, au regard du régime d'intégration fiscale, il apparaît que le droit français interdit aux sociétés françaises d'apporter la preuve de l'absence de double emploi de pertes alors que l'administration fiscale aurait pu recourir à l'assistance entre Etats membres (Directive du Conseil 77/799/CEE du 19 décembre 1977 concernant l'assistance mutuelle des autorités compétentes des Etats membres dans le domaine des impôts directs N° Lexbase : L9296AUT). C'est pourquoi "les dispositions du CGI en cause au principal vont au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif et ne sauraient, dès lors, être justifiées par la nécessité de garantir la cohérence du régime fiscal". La Cour de justice des Communautés européennes n'a, par conséquent, pas donné suite à l'invitation de l'Avocat général qui considérait, dans ses conclusions, que le Conseil d'Etat serait à même d'apprécier si les dispositions légales françaises étaient le moyen le "moins contraignant d'empêcher une double prise en compte des pertes et de préserver ainsi la cohérence fiscale" (12). On notera, également, que le risque de double déduction -résultant à la fois des pertes de la sous-filiale et de la provision pour dépréciation de ses titres- a été supprimé depuis le 1er janvier 2007 puisque ladite provision n'est plus déductible des résultats sauf cas particulier (13).

Cet arrêt peut être comparé à une récente décision de la CJCE dans le cadre de l'affaire "Krankenheim Ruhesitz am Wannsee-Seniorenheimstatt GmbH" (CJCE, 23 octobre 2008, aff. C-157/07, Finanzamt für Körperschaften III in Berlin c/ Krankenheim Ruhesitz am Wannsee-Seniorenheimstatt GmbH N° Lexbase : A8205EA7) qui concernait la législation allemande -relative à l'imputation de pertes d'un établissement stable- considérée comme une restriction à la liberté d'établissement mais cependant justifiée par la nécessité de garantir la cohérence du système fiscal allemand dès lors qu'elle était proportionnée à l'objectif visé (14) ; les critères tenant alors en l'existence d'un "lien direct [15], personnel [16] et matériel [17] entre les deux éléments du mécanisme fiscal en cause au principal".

En conclusion, il est remarquable de constater l'emprise grandissante du droit communautaire en matière de fiscalité directe (v. notamment : arrêt "Marks & Spencer" précité, § 29 (18)) en prenant appui sur les libertés garanties par le Traité CE. Elle est l'oeuvre du juge communautaire (v. ainsi : CJCE, 11 mars 2004, aff. C-9/02, Hughes de Lasteyrie du Saillant c/ Ministère de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A5001DBT) mais également du juge interne invité (19) à écarter la loi française (Cass. mixte, 24 mai 1975, n° 73-13.556, Jacques Vabre N° Lexbase : A9777AG9 ; CE Contentieux, 20 octobre 1989, n° 108243, Nicolo N° Lexbase : A1712AQH) contraire à un Traité international (20) -en l'espèce multilatéral- signé par la France au plus grand profit du contribuable français qui, bien souvent, ne réalise pas l'apport du droit communautaire en cette matière (v. ainsi s'agissant de la conformité de l'avoir fiscal et du précompte au regard de la liberté de circulation des capitaux : CAA Versailles, 3ème ch., 20 mai 2008, n° 07VE00530, Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie c/ Société Accor N° Lexbase : A3273D94 ; TA Versailles 7ème ch., 21 décembre 2006, n° 02-4040, Société Accor, RJF, juin 2007, n° 697).

  • Intangibilité du bilan d'ouverture du premier exercice non prescrit : "à défaut de créance certaine, l'espérance légitime d'obtenir la restitution d'une somme d'argent doit être regardée comme un bien" (CE 3° et 8° s-s-r., 19 novembre 2008, n° 292948, Société Getecom N° Lexbase : A3127EBG)

Lorsque l'administration rectifie le bilan en augmentant l'actif ou en diminuant le passif, l'actif net est majoré d'autant ce qui entraîne une imposition en application des dispositions du CGI (CGI art. 38-2 N° Lexbase : L3699ICY) prévoyant que le bénéfice net imposable est égal à la différence, pour un même exercice, entre les valeurs de l'actif net à la clôture et à l'ouverture du bilan. Telle serait l'hypothèse d'une dette de l'entreprise inscrite au passif du bilan alors même qu'elle serait prescrite. Cependant, il est de jurisprudence ancienne (CE 27 octobre 1958, n° 39769, RO (21) 226, BCD (22) 1959.111 ; GAJF, Dalloz, 4ème édition, 2003, p. 577 et s.) que l'administration doit corriger symétriquement les bilans successifs dans le cas où la même erreur -ou l'omission- s'y retrouverait. Pour autant, devait-on fixer une limite temporelle à ces corrections symétriques ? Pendant longtemps, la règle de la correction symétrique des bilans pouvait entraîner une absence d'imposition dans l'hypothèse d'un rattachement d'une erreur ou d'une omission à un exercice prescrit (23). Mais cette situation ne dura pas puisque le Conseil d'Etat a fixé un butoir (CE Contentieux, 31 octobre 1973, n° 88207 N° Lexbase : A7634AYE) : c'est la règle prétorienne de l'intangibilité du bilan d'ouverture du premier exercice non prescrit. Cette jurisprudence, qui a souvent joué au profit de l'administration fiscale (24), autorise ainsi, par exemple, la remise en cause d'une provision ou d'un déficit reporté même au titre d'un exercice prescrit (25). En d'autres termes, elle a permis, sans intervention du législateur, de faire échec aux règles relatives à la prescription.

Le Conseil d'Etat a décidé en 2004 de reconsidérer l'application de l'intangibilité du bilan d'ouverture du premier exercice non prescrit (26) -sans abandonner pour autant la notion de correction symétrique des bilans- par une décision remarquée sous réserve de l'absence d'erreur ou d'omission délibérément commise par le contribuable (27) (CE Contentieux, 7 juillet 2004, n° 230169, Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie c/ SARL Ghesquière Equipement N° Lexbase : A0698DD9). Commentant cet arrêt, le Centre de documentation du Conseil d'Etat avait émis le souhait que "le bon sens commande peut-être que les services fiscaux, avant de chercher auprès du Parlement une parade juridique à la décision min. c/ SARL Ghesquière Equipement, déterminent dans quelle mesure une refonte ou un accroissement de leurs contrôles [...] pourrait permettre [...] de limiter la perte de matière imposable imputable au revirement de jurisprudence" (28). Ce voeu ne fut pas exaucé : le "coût" pour les finances publiques (29) -évalué à trois milliards d'euros- d'une décision rééquilibrée pour les droits des contribuables a commandé une optimisation fiscale budgétaire tenant en l'intervention immédiate (30) du législateur afin de légaliser la règle de l'intangibilité du bilan d'ouverture du premier exercice non prescrit (loi n° 2004-1485, 30 décembre 2004, de finances rectificative pour 2004 N° Lexbase : L5204GUB ; Dr. fisc. 2005, comm. 201 ; CGI art. 38 4 bis N° Lexbase : L3699ICY ; instruction du 29 juin 2006, BOI 4 A-10-06 N° Lexbase : X7004ADR). Même assortie d'exceptions (31) -dont l'une consiste à un droit à l'oubli si l'erreur ou l'omission entachant l'actif net est intervenue plus de sept ans avant l'ouverture du premier exercice non prescrit-, on ne peut que déplorer que les intérêts du Trésor aient prévalu sur les droits des contribuables.

La règle de l'intangibilité du bilan d'ouverture du premier exercice non prescrit suscite un certain contentieux (CE 3° et 8° s-s-r., 30 juin 2008, n° 288314, M. Lemoine N° Lexbase : A4484D9X ; CAA Nantes, 1ère ch., 1er octobre 2007, n° 04NT00220, SA Catimini International et SA Catimini N° Lexbase : A6119DZN ; CE 9° et 10° s-s-r., 16 mai 2007, n° 290264, Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie c/ SA Chambouleyron N° Lexbase : A3893DW4). L'un d'eux (CE 3° et 8° s-s-r., 19 novembre 2008, n° 292948, Société Getecom) mérite une attention particulière car il répond à la question de savoir si les dispositions de l'article 43 de la loi du 30 décembre 2004 étaient compatibles avec l'article 1er du Premier protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (N° Lexbase : L1625AZ9).

En matière fiscale, le contribuable est fondé à se prévaloir du Premier protocole qui vise à la protection des biens (CEDH, 16 avril 2002, req. 36677/97, SA Dangeville N° Lexbase : A5395AYH ; CEDH, 25 janvier 2007, req. 70160/01, Aon Conseil et Courtage SA c/ France N° Lexbase : A6363DTT ; CEDH, 3 juillet 2003, req. 38746/97, Buffalo SRL c/ Italie N° Lexbase : A0425C9M). En revanche, l'espérance de faire annuler les procédures de redressement ne constitue pas un bien au sens du Premier protocole additionnel (CEDH 19 octobre 2004, aff. 58867/00, 2ème sect., Caisse régionale de crédit agricole mutuel Nord de France c/ France, RJF, février 2005, n° 209).

Au cas particulier, une société d'expertise-comptable a fait l'objet d'une vérification de comptabilité qui a entraîné la réintégration dans ses résultats imposables d'honoraires correspondant, selon la société requérante, à des travaux non encore exécutés sans apporter de justification. Rétablie au rôle de l'impôt sur les sociétés par la juridiction d'appel (CAA Paris, 2ème ch., 3 février 2006, n° 04PA00210, SA Getecom N° Lexbase : A3172DP8), la société contribuable se pourvoit en cassation et fonde son argumentation sur l'état du droit découlant de la décision "Ghesquière Equipement" de juillet 2004 qui lui aurait permis d'obtenir "la décharge d'une partie des impositions objets du présent litige dès lors qu'elle permettait au contribuable d'obtenir la correction des écritures du bilan d'ouverture du premier exercice non prescrit".

L'intérêt de cette décision réside dans le fait que le Conseil d'Etat dit pour droit -en matière fiscale- que l'espérance légitime d'obtenir la restitution d'une somme d'argent constitue un bien au sens de l'article 1er du Premier protocole additionnel à la CESDH à défaut d'une créance certaine. Partant, l'espérance légitime est assimilée à un bien et commande l'application de l'instrument de droit international susvisé. Cette notion n'est pas une nouveauté en droit puisque l'organe judiciaire du Conseil de l'Europe y fait expressément référence dans des contentieux fiscaux (CEDH, 16 avril 2002, req. 36677/97, SA Dangeville N° Lexbase : A5395AYH ; CEDH, 22 juillet 2003, req. 49217/99, SA Cabinet Diot et SA Gras Savoye c/ France N° Lexbase : A2321C9T) mais également autres que fiscaux : la législation française "anti-Perruche" (32) (loi n° 2002-303, 4 mars 2002 N° Lexbase : L1457AXA), et les salves de décisions rendues par la Cour européenne des droits de l'Homme et les Hautes juridictions françaises à l'unisson, en témoignent (33).

Le principe étant acquis, les faits de l'espèce s'opposeront cependant aux prétentions de la société contribuable qui entendait se prévaloir de l'espérance légitime afin d'obtenir gain de cause dans ce contentieux. En effet, le Gouvernement (34) a immédiatement réagi en faisant savoir qu'il ferait adopter une législation visant à limiter les effets de la décision "Ghesquière Equipement" ; ce qui fut fait par la loi du 30 décembre 2004. L'espérance légitime s'est évanouie devant la célérité certaine du Gouvernement faisant ainsi échec à son application au regard de ce contentieux.

  • Contrat d'affermage et amortissements de caducité (CE 3° et 8° s-s-r., 11 décembre 2008, n° 309427, Ministre du Budget, des Comptes publics et de la Fonction publique c/ SA Hôtelière La Chaîne Lucien Barrière N° Lexbase : A7051EBR)

Les entreprises concessionnaires de service public sont fondées à constater des amortissements dits de caducité "qui peuvent être déduits des produits d'exploitation,[et qui] ont pour objet de constituer, en franchise d'impôt, les fonds nécessaires pour rembourser le capital-obligations et le capital-actions investis dans les installations devant être remises sans indemnité, en fin de concession, à l'autorité concédante" (Doc. adm. 4 D-111, 26 novembre 1996). Mais la jurisprudence du Conseil d'Etat a précisé que "seul un concessionnaire qui est dans l'obligation d'abandonner sans indemnité ses équipements et installations à la collectivité concédante à l'expiration de la durée de la concession peut pratiquer des amortissements de caducité sur ces immobilisations en fonction de la durée de la concession" (CE 3° et 8° s-s-r., 14 janvier 2008, n° 297541, Société Sogeparc France N° Lexbase : A1123D4D). La décision du 11 décembre 2008 étend le régime en question à une société ayant conclu un contrat d'affermage entre la commune de Saint-Malo et la Société fermière du Casino de Saint-Malo, filiale d'un groupe intégré. En effet, les clauses du contrat ont permis de considérer que la société était dans une situation comparable à celle d'un concessionnaire de service public d'où l'application du même régime fiscal. A ce titre, la société contribuable exploitait un immeuble mis à sa disposition par la commune dans le cadre du contrat susvisé. La société contribuable a immobilisé des travaux de rénovation et de sécurité des bâtiments affermés. Elle a alors constaté, à raison de ces travaux, des amortissements selon le mode linéaire ainsi qu'un complément au titre des provisions pour risques et charges "pour renouvellement des immobilisations" calculé en fonction de leur valeur nette comptable afin de récupérer l'intégralité des capitaux investis dans ces immobilisations dès lors qu'elles deviendraient, par application du contrat de fermage, la propriété de la commune sans indemnité à l'issue de l'affermage.

Après avoir diligenté une vérification de comptabilité, l'administration a remis en cause la déduction de cette provision. Déchargée partiellement par la juridiction d'appel (CAA Nantes, 1ère ch., 26 juin 2007, n° 06NT00969, SA Société Hôtelière La Chaîne Lucien Barrière N° Lexbase : A6198DZL), le ministre s'est pourvu en cassation. Réglant l'affaire au fond (CJA, art. L 821-2 N° Lexbase : L3298ALQ), le Conseil d'Etat constate qu'il s'agissait d'amortissements de caducité "quel que fût le libellé du compte utilisé" par la contribuable. Cependant, la possibilité de constater des amortissements de caducité ne peut concerner les dépenses d'entretien des installations mises à sa disposition "alors même que ces immobilisations ne seraient pas totalement amorties avant l'échéance [du] contrat".

En effet, toutes les dépenses de plomberie, de peinture, de tissu mural et de revêtement de sol que la contribuable a amorti de la sorte relevaient -aux termes du contrat d'affermage sur lequel s'appuie la Haute juridiction administrative-, d'une part, de l'obligation d'entretien des locaux à la charge du fermier ; d'autre part, ces dépenses ne faisaient pas partie des embellissements, améliorations ou changements apportés par la société contribuable "devant devenir la propriété de la ville sans indemnité en fin d'affermage". On rapprochera cette décision de quatre arrêts de 1990 dans lesquels les stipulations du contrat ne permettaient pas de lever les incertitudes sur le sort exact des installations à l'issue de la concession dès lors qu'il n'était pas possible de déterminer si elles devaient être détruites ou abandonnées (CE Contentieux, 22 octobre 1990, n° 46600, Société Compagnie Parisienne de Chauffage Urbain et autres N° Lexbase : A4786AQC ; CE Contentieux, 22 octobre 1990, n° 47893, Société Compagnie Parisienne de Chauffage Urbain et autres N° Lexbase : A4787AQD ; CE Contentieux, 22 octobre 1990, n° 56430, Société Compagnie Parisienne de Chauffage Urbain et autres N° Lexbase : A4788AQE ; CE Contentieux, 22 octobre 1990, n° 57547, Société Compagnie Parisienne de Chauffage Urbain et autres N° Lexbase : A4789AQG).

En conclusion, les stipulations contractuelles sont susceptibles de jouer un rôle déterminant dans l'hypothèse d'un litige avec l'administration quant au régime fiscal applicable : il en est évidemment ainsi de dépenses contractuellement mises à la charge du contribuable au titre de son obligation d'entretien mais également -et de façon autrement plus insidieuse- d'une rédaction ambiguë ou elliptique du contrat qui ne lui permettra pas, in fine, de se prévaloir du régime susvisé.


(1) Paul Claudel.
(2) Doc. adm. 4 H-5224, 30 octobre 1996, § 4.
(3) En d'autres termes, la restriction doit être "propre à garantir la réalisation de l'objectif en cause et qu'elle n'aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif".
(4) CJCE, 28 janvier 1992, aff. C-204/90, Hanns-Martin Bachmann c/ Etat belge (N° Lexbase : A9890AUT) ; CJCE, 7 septembre 2004, aff. C-319/02, Petri Manninen (N° Lexbase : A2692DD3).
(5) § 31 de l'arrêt "Société Papillon".
(6) § 24 à 26 de l'arrêt "Société Papillon".
(7) § 16 de l'arrêt "Société Papillon" ; CJCE, 16 juillet 1998, aff. C-264/96, Imperial Chemical Industries plc (ICI) c/ Kenneth Hall Colmer (N° Lexbase : A0410AW4).
(8) § 34 et 35 de l'arrêt "Société Papillon".
(9) § 39 de l'arrêt "Société Papillon".
(10) § 46 à 52 de l'arrêt "Société Papillon".
(11) § 42 de l'arrêt "Commission des Communautés européennes c/ République française".
(12) Conclusions Mme Kokott, CJCE 4 septembre 2008, C-418-07, FR Francis Lefebvre 46/08, 17 septembre 2008.
(13) Il s'agit des sociétés à prépondérance immobilière.
(14) Les pertes réintégrées ne le sont qu'à concurrence du montant des bénéfices réalisés", § 43 à 45 de l'arrêt "Krankenheim Ruhesitz am Wannsee-Seniorenheimstatt GmbH".
(15) "Il résulte d'une jurisprudence constante de la Cour que, pour qu'un argument fondé sur la cohérence puisse prospérer, il faut que soit établie l'existence d'un lien direct entre l'avantage fiscal concerné et la compensation de cet avantage par un prélèvement fiscal déterminé", J.-C. Gracia, Dr. fisc., 2008, comm. 616.
(16) "Le critère du lien personnel' nécessite que ce soit le même contribuable qui bénéficie de l'avantage et fasse l'objet de la compensation", J.-C. Gracia, ibidem.
(17) "Le critère du lien matériel nécessite que ce soit la même imposition qui soit concernée par l'avantage et sa compensation", J.-C. Gracia, ibidem.
(18) "Si la fiscalité directe relève de la compétence des Etats membres, ces derniers doivent toutefois exercer celle-ci dans le respect du droit communautaire".
(19) "Le Traité de la CEE a institué un ordre juridique propre, intégré au système juridique des Etats membres [...] le droit né du traité ne pourrait donc [...] se voir judiciairement opposer un texte interne quel qu'il soit", CJCE, 15 juillet 1964, aff. C-6/64, Flaminio Costa c/ ENEL (N° Lexbase : A6401AUM). V. l'interprétation du juge constitutionnel français : Cons. const., décision n° 74-54, 15 janvier 1975 (N° Lexbase : A7569AHS).
(20) "Il convient d'ailleurs de relever que le juge judiciaire et le juge administratif font prévaloir les traités sur la loi nationale contraire, non pas en vertu de l'éventuelle spécificité de certains traités (Convention européenne et droit de l'Union) mais sous couvert de l'article 55 [de la Constitution] et pour répondre à l'invitation du Conseil constitutionnel" (Cons. const., décision n° 74-54, du 15 janvier 1975 N° Lexbase : A7569AHS), B. Mathieu et M. Verpeaux, Contentieux constitutionnel des droits fondamentaux, LGDJ, 2002, 1ère édition, p. 144.
(21) Recueil officiel de jurisprudence fiscale (DGI).
(22) Bulletin des contributions directes (Dupont).
(23) "Votre jurisprudence antérieure à la décision du 31 octobre 1973 n'avait en général pas hésité à aller jusqu'au bout de la logique de la correction symétrique et à admettre par conséquent, la rectification d'écritures d'exercices prescrits ou amnistiés, ce qui interdisait évidemment à l'Administration d'en tirer des conséquences fiscales", concl. M. Schricke sous CE Contentieux, 13 mars 1981, n° 12508, Caisse centrale (N° Lexbase : A7037AKT), GAJF op. cit. p. 586.
(24) "Il est clair, qu'en pratique, les contribuables omettent plus souvent de déclarer des produits que de déclarer des charges, de sorte que la jurisprudence du 31 octobre 1973 est nécessairement plus souvent favorable au Trésor qu'au contribuable", concl. M. Schricke sous CE Contentieux, 13 mars 1981, n° 12508, Caisse centrale (N° Lexbase : A7037AKT), GAJF, op. cit. p. 589.
(25) CE 9° et 7° s-s-r., 28 janvier 1976, n° 77909 (N° Lexbase : A8826B8E) ; CE Contentieux, 27 juillet 1979, n° 11717 (N° Lexbase : A2343AKY) ; CE Contentieux, 20 avril 1984, n° 37050 (N° Lexbase : A2777ALG).
(26) "Considérant qu'aux termes de l'article 38-2 du code général des impôts, applicable à l'impôt sur les sociétés en vertu de l'article 209 du même code : Le bénéfice net imposable est constitué par la différence entre les valeurs de l'actif net à la clôture et à l'ouverture de la période dont les résultats doivent servir de base à l'impôt [...]. L'actif net s'entend de l'excédent des valeurs d'actif sur le total formé au passif par les créances des tiers, les amortissements et les provisions justifiés' ; que lorsque les bénéfices imposables d'un contribuable ont été déterminés en application de ces dispositions, les erreurs ou omissions qui entachent les écritures comptables retracées au bilan de clôture d'un exercice ou d'une année d'imposition et entraînent une sous-estimation ou une surestimation de l'actif net de l'entreprise peuvent, à l'initiative du contribuable qui les a involontairement commises, ou à celle de l'administration exerçant son droit de reprise, être réparées dans ce bilan ; que les mêmes erreurs ou omissions, s'il est établi qu'elles se retrouvent dans les écritures de bilan d'autres exercices, doivent y être symétriquement corrigées, dès lors qu'elles ne revêtent pas, pour le contribuable qui les invoque, un caractère délibéré et alors même que tout ou partie de ces exercices seraient couverts par la prescription prévue, notamment, aux articles L. 168 et L. 169 du livre des procédures fiscales".
(27) Ce dernier aspect étant conforme à sa jurisprudence antérieure : "Considérant qu'il est constant que, d'une part, la société requérante avait augmenté la valeur de son actif net comptable à la clôture des exercices antérieurs à 1964, notamment à la clôture de l'exercice 1963, en laissant figurer à l'actif, au poste travaux en cours', des sommes correspondant à des frais de fabrication supportés au cours de l'exercice et constituant purement et simplement des charges d'exploitation de l'exercice ; que, d'autre part, la société a entrepris à partir de 1964 de résorber' ce poste ne correspondant à aucun actif réel ; qu'enfin c'est précisément la diminution du montant de ce poste de l'actif entre l'ouverture et la clôture de l'exercice 1964 qui est la cause des résultats déficitaires litigieux ; Considérant qu'il résulte de l'instruction que, comme le soutient d'ailleurs la société requérante elle-même, ce n'est pas par erreur ou inadvertance, mais au contraire volontairement, eu égard aux inconvénients de toute nature qu'aurait entraînés la mise en lumière de sa situation réelle, que la société a surestimé, au moyen du poste travaux en cours', la valeur de son actif net à la clôture de l'exercice 1963 ; qu'en raison du caractère délibérément irrégulier de ces écritures, celles-ci n'étaient pas opposables à l'administration, qui s'est donc refusée à bon droit à regarder la perte comptable résultant de la remise en ordre opérée en 1964 comme constituant un déficit reportable de cet exercice", CE Contentieux, 27 juillet 1979, n° 11717 (N° Lexbase : A2343AKY).
(28) Centre de documentation du Conseil d'Etat, Correction des écritures comptables : la règle de l'intangibilité à l'heure du bilan, RJF, octobre 2004, p. 719.
(29) J.-L. Pierre, notes sous CE, plén. 7 juill. 2004, n° 230169, SARL Ghesquière Equipement, Procédures, octobre 2004, p. 30 ; Dr. fisc. 2005 comm. 302.
(30) "La jurisprudence Ghesquière, qui a mis en sommeil cette indispensable règle, [il s'agit de l'intangibilité du bilan d'ouverture du premier exercice non prescrit] a constitué, nous pouvons le dire, un effet d'aubaine ; aucun fiscaliste en France ne pouvait sérieusement en effet s'attendre à ce que cette mise en sommeil soit autre chose que provisoire", concl. C. Hervouet sous CAA Nantes, 1ère ch., 1er octobre 2007, n° 04NT00220, SA Catimini International et SA Catimini (N° Lexbase : A6119DZN), BDCF, février 2008, n° 27.
(31) "En application du troisième alinéa du 4 bis de l'article 38, la règle de l'intangibilité du bilan ne s'applique pas en cas de correction d'omissions ou d'erreurs résultant : - de la pratique de dotations aux amortissements excessifs au regard des usages mentionnés au 2° du 1 de l'article 39 au cours de la période prescrite ; - de la passation à tort en charges au cours d'exercices prescrits de frais qui auraient dû venir majorer le coût de revient d'éléments de l'actif immobilisé ; - de la comptabilisation en charges au cours d'exercices prescrits de dépenses constitutives d'immobilisations", instruction précitée, § 39.
(32) A la suite de l'arrêt de la Cour de cassation : Ass. plén., 17 novembre 2000, n° 99-13.701 (N° Lexbase : A1704ATB).
(33) CEDH, 6 octobre 2005, req. 1513/03, Draon c/ France (N° Lexbase : A6795DKU) ; Cass. civ. 1, 21 février 2006, n° 03-11.917, M. Franck Jacquot c/ Mme Véronique Chabert Orsini, FS-P+B (N° Lexbase : A1703DNE) ; Cass. civ. 1, 24 janvier 2006, n° 01-16.684, Fondation Bagatelle c/ Société hospitalière d'assurance mutuelle (SHAM), FS-P+B (N° Lexbase : A5686DMK) ; Cass. civ. 1, 24 janvier 2006, n° 02-12.260, Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de Loir-et-Cher c/ Société Le Sou médical, FS-P+B (N° Lexbase : A5687DML) ; Cass. civ. 1, 24 janvier 2006, n° 02-13.775, M. Franck X... c/ M. Pol Z..., FP-P+B (N° Lexbase : A5688DMM) ; CE 4° et 5° s-s-r., 24 février 2006, n° 250704, Mme Levenez (N° Lexbase : A3958DNW). V. note de I. Gallmeister, D., 2006, IR, 325.
(34) Avant même le dépôt, le 17 novembre 2004, sur le bureau de la chambre basse du Parlement du projet de loi de finances rectificative.

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Responsabilité médicale

[Panorama] Panorama de responsabilité civile médicale (octobre à décembre 2008)

Lecture: 22 min

N2339BIH

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Droit médical"

Le 07 Octobre 2010

Lexbase Hebdo - édition privée générale vous propose, cette semaine, de retrouver le panorama de responsabilité civile médicale de Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV et Directeur scientifique de l’Ouvrage "Droit médical". Seront abordés, en matière de faute médicale, les erreurs de diagnostic et de traitement, ainsi que la faute de maladresse, à travers trois arrêts de la première chambre civile de la Cour de cassation, le premier du 27 novembre 2008 et les deux autres du 18 septembre ; en matière d'infections nosocomiales, on pourra retenir, d'une part, un arrêt du 30 octobre dernier qui rappelle que la charge de la preuve de l'infection pèse sur le demandeur et, d'autre part, un arrêt du 16 octobre qui énonce que la loi du 30 décembre 2002 en son article 1er n'est pas d'application rétroactive ; enfin, la Cour de cassation rappelle, dans un arrêt du 18 septembre 2008, que le médecin n'est pas tenu des dommages résultant d'un aléa thérapeutique. I - Faute médicale

A - Faute dans le diagnostic

Cass. civ. 1, 27 novembre 2008, n° 07-15.963, Mme Faïza Kadri c/ Mme Béatrice Finas et a., FS-P+B (N° Lexbase : A4583EBD ; cf. l’Ouvrage "Droit médical" N° Lexbase : E0172ERS)

En présence d'un doute diagnostique, les articles 32 et 33 du Code de déontologie médicale font devoir au praticien de recourir à l'aide de tiers compétents ou de concours appropriés.

  • Force des règles déontologiques

Quoi qu'on ait pu douter à une époque de leur portée normative, les règles déontologiques constituent bien de véritables normes dont le respect peut être assuré par la mise en cause de la responsabilité de leur auteur, la Cour de cassation ayant même considéré que la seule violation d'une obligation déontologique constituait en soi une faute civile au sens de l'article 1382 du Code civil (N° Lexbase : L1488ABQ) (1).

C'est bien ce que confirme cet arrêt rendu le 27 novembre 2008 par la première chambre civile de la Cour de cassation : la violation des articles 32 et 33 du Code de déontologie médicale (devenus, articles R. 4127-32 N° Lexbase : L8270GTH et R. 4127-33 N° Lexbase : L8271GTI du Code de la santé publique) permet de mettre en cause la responsabilité civile du praticien.

Selon le premier de ces textes (article R. 4127-32), "dès lors qu'il a accepté de répondre à une demande, le médecin s'engage à assurer personnellement au patient des soins consciencieux, dévoués et fondés sur les données acquises de la science, en faisant appel, s'il y a lieu, à l'aide de tiers compétents". Selon le second texte (article R. 4127-33), "le médecin doit toujours élaborer son diagnostic avec le plus grand soin, en y consacrant le temps nécessaire, en s'aidant dans toute la mesure du possible des méthodes scientifiques les mieux adaptées et, s'il y a lieu, de concours appropriés".

L'obligation d'élaborer un diagnostic étayé fait l'objet d'un contentieux classique et a conduit, dernièrement, la Cour de cassation à condamner un radiologue qui n'avait pas poursuivi les investigations qui auraient dû lui permettre de déceler le grave handicap dont souffrait un foetus (2).

  • L'affaire

C'est encore un cas de même nature qui était soumis dans cette affaire à la Cour de cassation. Un radiologue n'avait, en effet, pas décelé une agénésie de l'avant bras droit et de la main droite, et ce en dépit de plusieurs examens complémentaires. Après la naissance de leur enfant lourdement handicapé, les parents avaient mis en cause le radiologue qui n'avait pas détecté cette malformation lors des cinq échographies pratiquées au cours de la grossesse.

L'expert désigné avait précisé, devant la cour d'appel, que devant le doute diagnostique sur la présence ou l'absence d'un membre, il aurait été de bonne pratique de faire contrôler cette anomalie, mais que les articles 32 et 33 du Code de déontologie médicale ouvrent à cet égard une simple possibilité mais n'imposent pas une obligation, ce qui avait conduit la cour d'appel à rejeter les demandes des parents.

Tel n'est pas l'avis de la Cour de cassation qui casse l'arrêt, après avoir relevé "qu'en présence d'un doute diagnostique, qu'elle avait ainsi constaté, les articles 32 et 33 du Code de déontologie médicale faisaient devoir au praticien de recourir à l'aide de tiers compétents ou de concours appropriés".

  • Une solution parfaitement justifiée

L'analyse retenue par la cour d'appel dans cette affaire est proprement stupéfiante. Il est déjà plus qu'étonnant de voir un expert affirmer que les règles déontologiques ne présentent pas de caractère obligatoire ; mais qu'une cour d'appel ait pu le suivre dans cette voie est impensable. Les dispositions en cause font, en effet, partie intégrante du Code de la santé publique, et leur qualité de "norme" ne saurait ici faire le moindre doute. Non seulement ces règles étaient par nature dotées d'un effet impératif, mais leur rédaction ne laissaient plâner aucun doute sur leur caractère prescriptif. L'article R. 4127-32 dispose, en effet, que le médecin "s'engage" à demander l'avis d'un spécialiste, en cas de doute ; or, on sait, comme l'a justement rappelé le Conseil constitutionnel dans sa décision du 17 janvier 2008 (3), "que, l'emploi du présent de l'indicatif ayant valeur impérative", il n'y a pas lieu de douter de ce type de formulation. Quant à l'article R. 4127-33, il est encore plus clair puisqu'il dispose que le médecin "doit toujours élaborer son diagnostic avec le plus grand soin".

Sans doute la cour d'appel avait-elle considéré avec une révérence totalement anachronique que le principe de la liberté des médecins dans l'exercice de leur art interdisait toute immixtion dans les décisions prises par le médecin dans les concours à solliciter en cas de doute (4). S'il est vrai que certaines dispositions du "Code de déontologie" des médecins leur laissent une très large marge d'appréciation et peuvent apparaître, à ce titre, comme dépourvues de portée impérative (5), d'autres, en pratique très nombreuses, lui imposent d'agir de manière efficace lorsque les circonstances l'exigent et, en toute hypothèse, en se conformant impérativement aux données acquises de la science. Or, en cas de doute, le médecin doit chercher à étayer son diagnostic en faisant appel à des confrères spécialisés (6).

B - Faute dans le traitement

Cass. civ. 1, 18 septembre 2008, n° 07-15.427, M. Ange Faus, F-D (N° Lexbase : A4006EAM ; cf. l’Ouvrage "Droit médical" N° Lexbase : E0175ERW)

Après avoir retenu que la faute du praticien ne pouvait se déduire de la seule absence d'autorisation de mise sur le marché et des effets indésirables du traitement, la cour d'appel, qui a relevé, en se fondant sur le rapport d'expertise, que le traitement préconisé par M. D. était reconnu pour son efficacité en cas de dysérection, et que s'il s'accompagnait de complications connues il n'était cependant pas établi que les données de la science ne puissent y remédier, a pu en déduire que la prescription d'un tel traitement n'était pas constitutive d'une faute médicale.

  • Intérêt de l'arrêt

Au-delà des faits de l'espèce qui intéresseront sans doute les sexologues, les urologues et les patients souffrant de trouble de l'érection, cet arrêt est intéressant en ce qu'il prend parti sur le caractère non pertinent de deux séries de circonstances lorsqu'il s'agit de caractériser une faute commise par le médecin dans le traitement.

  • Faute et autorisation de mise sur le marché (AMM)

En premier lieu, la Cour de cassation refuse de déduire le caractère fautif de la prescription de la seule absence d'autorisation de mise sur le marché du produit prescrit. Cette dissociation entre la situation administrative du produit et la faute médicale est logique et se retrouve d'ailleurs dans le régime de la responsabilité du fait des produits défectueux (7). Un médecin peut, en effet, parfaitement commettre une faute en prescrivant un médicament ayant bénéficé d'une autorisation de mise sur le marché, mais pour une pathologie qui n'est pas celle qui est recommandée, en se trompant sur le mode d'administration (8) ou sur la posologie (9), ou, au contraire, prescrire un médicament étranger n'ayant pas eu d'AMM en France, mais sans commettre la moindre faute compte tenu de l'état des connaissances scientifiques.

  • Faute et effets indésirables

En second lieu, la Cour considère, à juste titre, qu'il n'est pas fautif de prescrire un médicament connu pour ses propriétés, même si ce dernier s'accompagne d'effets indésirables eux-mêmes connus, dès lors que ces derniers peuvent valablement être traités à leur tour. L'affirmation doit être approuvée. Sous réserve que le patient ait consenti au traitement en pleine connaissance de cause, le fait qu'un médicament présente des effets indésirables n'est pas de nature à rendre la prescription fautive dès lors que cette prescription est conforme aux données acquises de la science, c'est-à-dire dès lors que le bilan coût/avantage du produit demeure largement positif, et à condition toutefois que les "risques" auxquels ce médicament l'expose sont raisonnables, et peuvent être eux-mêmes traités médicalement.

Commet une faute le sexologue qui attend quarante-huit heures avant toute intervention sur un patient présentant un priapisme initial, à la suite d'un traitement des troubles de l'érection, ce qui n'a pas mis le patient en mesure d'apprécier l'opportunité de consulter rapidement un service hospitalier en urgence et de bénéficier sans attendre de soins adaptés à son état, ce qui lui aurait permis d'échapper à une impuissance organique totale et irréversible dont il souffre aujourd'hui.

  • Application inadéquate de la théorie de la perte de chance

Dans cette même affaire, la cour d'appel, qui avait écarté l'existence d'une faute commise par le sexologue dans le traitement, avait, en revanche, considéré que ce praticien avait tardé à réagir face à l'état dans lequel se trouvait son patient, et ainsi commis une faute. Elle avait, toutefois, appliqué la théorie de la perte de chance, considérant que cette faute avait fait perdre au patient une chance d'éviter le dommage qui s'est finalement réalisé.

Sur ce point, l'arrêt est cassé, la première chambre civile de la Cour de cassation considérant que la faute était "en relation directe avec le préjudice final".

Nous ne pouvons qu'approuver cette analyse.

  • Une solution parfaitement justifiée

La théorie de la perte de chance nous semble, en effet, extrêmement discutable lorsqu'elle s'applique à des situations où le patient a été privé de la possibilité de prendre une décision sur la foi des informations communiquées par le médecin. Ou bien, en effet, la faute du médecin a été déterminante du consentement du patient, c'est-à-dire que le patient aurait pris une autre décision qui lui aurait permis de se soustraire au dommage qui s'est finalement réalisé, et alors cette faute a directement causé le dommage et la réparation doit être intégrale, ou bien cette faute ne l'a pas été et le patient, même mieux informé, aurait adopté exactement le même comportement, et dans ce cas le médecin n'a pas causé le dommage qui s'est finalement réalisé (10). La position intermédiaire à laquelle on aboutit en appliquant la théorie de la perte de chance semble dès lors bien éloignée de cette réalité humaine qui veut que, face à une situation donnée, il n'y a que deux solutions possibles (la faute a été, ou n'a pas été, déterminante dans l'enchaînement des faits). Après l'arrêt rendu le 8 juillet 2008 qui avait, également, écarté cette théorie dans une hypothèse comparable (11), cette nouvelle décision pourrait bien, et on ne pourra que s'en réjouir, marqué le recul de la théorie de la perte de chance en matière de responsabilité civile médicale.

C - Faute technique

Cass. civ. 1, 18 septembre 2008, n° 07-12.170, M. Daniel Evard, FS-P+B (N° Lexbase : A3971EAC ; cf. l’Ouvrage "Droit médical" N° Lexbase : E0164ERI)

La coloscopie pratiquée était un acte à visée exploratoire dont la réalisation n'impliquait pas une atteinte aux parois des organes examinés. En l'absence de prédispositions du patient, et compte tenu des modalités de réalisation de la coloscopie, la perforation était la conséquence d'un geste maladroit du chirurgien qui a commis une faute.

  • L'atteinte à un organe étranger aux finalités de l'opération

La Cour de cassation a développé, à partir de 2000, des solutions très favorables aux victimes de dommages subis lors d'interventions chirurgicales. La responsabilité du praticien sera, en effet, établie, dès lors que la réalisation de l'acte médical effectué "n'impliquait pas" la lésion constatée et que le patient ne présentait pas "une anomalie rendant son atteinte inévitable" (12). En sommeil pendant quelques années, la solution avait été reprise dernièrement par la Haute juridiction, mais dans un arrêt non publié (13).

C'est cette solution qui se trouve confirmée dans un arrêt cette fois-ci largement publié et concernant une perforation intestinale à l'occasion d'une coloscopie. Considérant que cet examen constitutait "un acte à visée exploratoire dont la réalisation n'impliquait pas une atteinte aux parois des organes examinés", la Cour de cassation déduit "tant de l'absence de prédispositions du patient, que des modalités de réalisation de la coloscopie, que la perforation dont celui-ci avait été victime était la conséquence d'un geste maladroit" et que "la cour d'appel a pu retenir que celui-ci avait commis une faute".

  • L'évolution de la jurisprudence

Au-delà de la confirmation d'une jurisprudence qu'on avait pu croire, un temps, sur le déclin, l'arrêt est intéressant car il modifie légèrement la formulation de la solution.

Dans les arrêts rendus depuis 2000, la Cour de cassation faisait, en effet, référence uniquement à la nature du risque, selon qu'il était ou non prévisible et inhérent à la technique mise en oeuvre, ainsi qu'à l'existence d'"une anomalie rendant son atteinte inévitable" (14). Dans cette décision en date du 18 septembre 2008, la référence à l'anomalie disparait, au profit de "prédispositions du patient".

Cette référence rattache clairement la solution à la prise en compte des prédispositions du patient au titre de l'exonération du praticien. On se demandera, toutefois, si les solutions sont parfaitement transposables. On sait, en effet, que seules les prédispositions révélées du patient avant l'accident médical peuvent lui être opposées, et qu'en revanche les prédispositions simplement latentes, et qui ne se sont exprimées qu'à l'occasion de la survenance du dommage, ne peuvent pas lui être opposées (15). Or, si la référence dans l'arrêt du 18 septembre 2008 aux prédispositions du patient se substitue à l'ancienne référence à l'anomalie morphologique, il ne peut s'agir que des prédispositions latentes, et non des prédispositions révélées. Si, en effet, le médecin connaissait les particularités morphologiques du patient et que le dommage est survenu, c'est qu'il n'en pas tenu compte, et sa faute sera alors sans contestation possible établie. En revanche, si ces prédispositions étaient ignorées, alors le médecin tiendra là un motif d'exonération. L'analogie entre les deux "prédispositions" du patient est donc trompeuse.

L'arrêt rendu le 18 septembre 2008 invite, également, le juge à tenir compte "des modalités de réalisation" de l'acte chirurgical. Cette précision est nouvelle mais n'apporte finalement aucun éclairage particulier sur la jurisprudence existante, les juges du fond étant habitués à tenir compte de toutes les circonstances du dommage pour qualifier le comportement litigieux de fautif, et notamment du degré de difficulté des actes (16).

II - Infections nosocomiales

A - Régime de l'obligation de sécurité

Cass. civ. 1, 30 octobre 2008, n° 07-13.791, Jean François Mariotti c/ M. Michel Criado et a., FS-P+B (N° Lexbase : A0573EBT ; cf. l’Ouvrage "Droit médical" N° Lexbase : E0344ER8 et N° Lexbase : E0124ERZ)

Il incombe au patient ou à ses ayants droit de démontrer le caractère nosocomial de l'infection, fût ce par présomptions graves, précises et concordantes.

  • La preuve du caractère nosocomial de l'infection

La victime qui prétend être indemnisée au titre d'un dispositif d'indemnisation doit nécessairement imputer ce dommage à l'activité concernée par ce régime, et bien entendu prouver l'existence des faits qui établissent cette imputabilité. Ce qui vaut de manière générale vaut également, de manière particulière, pour les victimes d'infections nosocomiales (17).

De ce point de vue, l'arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 30 octobre 2008 ne fait que rappeler cette règle en précisant qu'"il incombe au patient ou à ses ayants droit de démontrer le caractère nosocomial de l'infection". Compte tenu de la définiton habituellement retenue de l'infection nosocomiale contractée par le patient lors de soins ou d'un séjour hospitalier, prouver le caractère nosocomial de l'infection équivalait à prouver que l'infection a été contractée lors du séjour, puisqu'on sait que la nature de l'infection importe, en définitive, peu (18).

S'agissant de ce qu'il est coutume d'appeler l'imputabilité matérielle du dommage, cette preuve peut se faire par tous moyens, et notamment "par présomptions graves, précises et concordantes", comme le précise tout aussi classiquement la même décision.

Dans cette affaire, la cour d'appel avait motivé la condamnation d'un établissement de santé et d'un praticien libéral par l'impossibilité dans laquelle s'étaient trouvés ces derniers de prouver qu'en dépit des allégations du demandeur, l'hépatite C dont il souffrait n'était pas imputable à la transfusion de produits sanguins dont il avait bénéficé dans l'établissement. Pour cette raison, la décision est cassée, au double visa des articles 1147 (N° Lexbase : L1248ABT) et 1315 (N° Lexbase : L1426ABG) du Code civil, la première chambre civile de la Cour de cassation indiquant qu'"il incombe au patient ou à ses ayants droit de démontrer le caractère nosocomial de l'infection, fût ce par présomptions graves, précises et concordantes".

  • La preuve par présomptions

Au-delà de son caractère en apparence très banal, cette décision présente un double intérêt, y compris dans la perspective d'une transposition aux solutions qui prévalent dans le champ d'application de la loi "Kouchner" du 4 mars 2002 (loi n° 2002-303 N° Lexbase : L1457AXA).

En premier lieu, l'arrêt rappelle que le patient doit toujours prouver l'imputabilité de l'affectation dont il réclame réparation aux actes médicaux réalisés par un établissement ou un professionnel de santé. Certes, le juge peut faciliter le travail probatoire de la victime en lui reconnaissant le bénéfice de "présomptions d'imputabilité" qui lui permettront de s'approcher au plus près de la preuve directe sans se trouver entravée par certains obstacles matériels. Il s'agira alors de simples "présomptions matérielles", encore appelées "présomptions de fait" (19). Cette possibilité vaut de manière générale, comme l'a d'ailleurs rappelé dernièrement la Cour de cassation dans les affaires concernant l'imputabilité de poussées de sclérose en plaque à des vaccinations anti-hépatite B (20).

Il ne saurait, toutefois, être question de dispenser la victime de toute preuve concernant ses allégations ; elle devra, en effet, établir qu'elle a reçu des transfusions de produits sanguins, qu'elle était indemne de toute contamination antérieurement à la transfusion et qu'elle a développé cette affectation postérieurement aux actes médicaux (21). Dès lors, la clinique ne pourra renverser l'apparence qu'en prouvant la pureté de tous les lots sanguins transfusés (22).

  • La confusion suggérée entre contamination des produits sanguins et infection nosocomiale

L'arrêt présente un autre intérêt. La première chambre civile qualifie, en effet, ici la contamination des produits sanguins par le virus de l'hépatite C d'infection nosocomiale, ce qui est plus que surprenant et constitue, à notre connaissance, une première pour la Cour de cassation.

On a, en effet, coutume de distinguer les infections nosocomiales, qui résultent soit de facteurs environnementaux ou de germes appartenant au patient et qui ont migré, à l'occasion d'un acte invasif, dans son organisme (23), et les contaminations des produits de santé par différents virus.

Certes, pour les actes antérieurs au 5 septembre 2001, l'enjeu de la distinction notionnelle est faible, puisque dans les deux cas le patient bénéfice d'une obligation de sécurité de résultat mise à la charge tant des professionnels que des établissements (24). L'article 102 de la loi "Kouchner" du 4 mars 2002 a, toutefois, mis en place un régime de la preuve de la contamination des produits sanguins par le virus de l'hépatite C particulièrement favorable aux victimes qui devront, notamment, être indemnisées, en cas de doute sur l'imputabilité de leur maladie à la transfusion des produits sanguins (25).

Cette distinction entre contamination transfusionnelle et infection nosocomiale devient déterminante pour les actes médicaux réalisés à compter du 5 septembre 2001 car la loi "Kouchner" du 4 mars 2002 a mis en place deux régimes d'indemnisation bien distincts.

La question de la responsabilité du fait d'un défaut d'un produit de santé relève, en effet, selon toute vraisemblance (26), des dispositions propres aux produits défectueux des articles 1386-1 (N° Lexbase : L1494ABX) et suivants, du Code civil. Or, les médecins et les établissements sont, en général, de simples fournisseurs des produits sanguins transfusés, l'EFS ayant seul, en principe, la qualité de producteur. Dans ces conditions, la responsabilité des simples fournisseurs s'efface lorsque le producteur est identifié, comme l'a admis la Cour de cassation (27). Notons d'ailleurs que dans cette hypothèse l'obligation d'indemnisation qui pèse sur l'ONIAM s'efface également au profit de la seule responsabilité du producteur (28).

Si la victime a subi un dommage provoqué par une infection nosocomiale, ses droits sont bien distincts. La responsabilité des professionnels de santé pourra être mise en cause, à condition toutefois de prouver qu'ils ont commis une faute. La responsabilité des établissements pourra l'être sans faute prouvée, mais uniquement pour les dommages les moins graves ; en cas de décès de la victime ou de taux d'IPP supérieur à 25 %, c'est en effet l'ONIAM qui interviendra directement, et ce depuis la loi du 30 décembre 2002, relative à la responsabilité civile médicale (loi n° 2002-1577 N° Lexbase : L9375A8Q) (29), à charge pour l'Office de se retourner contre l'assureur de l'établissement en cas de faute de son assuré (30).

Si, désormais, la Cour de cassation qualifie d'infection nosocomiale la contamination de produits sanguins, et plus généralement des produits de santé, alors l'immunité conférée aux simples fournisseurs cède, en même temps qu'est écartée l'application des articles 1386-1 et suivants du Code civil, au profit de l'application du régime d'indemnisation des victimes d'infections nosocomiales dans la loi du 4 mars 2002.

Il est sans doute prématuré de dire si telle est l'intention de la Cour de cassation, car l'affirmation qui résulte de cet arrêt pourrait bien ne s'expliquer que par les données propres à l'affaire.

Cette conception très extensive de la notion d'infection nosocomiale n'est guère satisfaisante, sur le plan juridique, car elle conduirait à contredire l'intention du législateur qui a certainement voulu préserver le régime de responsabilité de plein droit des fabricants de produits défectueux, sans conférer au régime d'indemnisation des infections nosocomiales une portée aussi large.

B - Régime légal

Cass. civ. 1, 16 octobre 2008, n° 07-17.605, Association Centre chirurgical Marie Lannelongue, établissement de soins privés, F-P+B (N° Lexbase : A8084EAN ; cf. l’Ouvrage "Droit médical" N° Lexbase : E2930ERX)

La loi du 30 décembre 2002 en son article 1er n'est pas d'application rétroactive.

  • Dispositions mises en place par la loi du 4 mars 2002

La loi "Kouchner" du 4 mars 2002 avait mis en place les nouvelles règles régissant l'indemnisation des victimes d'infections nosocomiales (31). Selon les termes de l'article L. 1142-1, I, alinéa 2, du Code de la santé publique, "les établissements, services et organismes [...] sont responsables des dommages résultant d'infections nosocomiales, sauf s'ils rapportent la preuve d'une cause étrangère". Si le principe d'une responsabilité de plein droit des établissements, dégagé par la Cour de cassation en 1999 (32), avait bien été repris par la loi, la responsabilité des professionnels libéraux avait, en revanche, été réduite à une simple responsabilité pour faute prouvée.

Conformément aux principes généraux déterminant les conditions d'intervention du régime de solidarité, la loi du 4 mars 2002 avait prévu la possibilité pour les victimes qui ne sont pas indemnisées au titre de la responsabilité (33) d'obtenir réparation auprès de l'ONIAM, à condition que leur dommage satisfasse au critère de gravité de l'article D. 1142-1 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L4457DKB).

  • Réforme intervenue avec la loi du 30 décembre 2002

Après le long bras de fer qui a opposé, courant 2002, les assureurs de responsabilité médicale et les pouvoirs publics, la loi du 30 décembre 2002 est intervenue pour soulager les assureurs des établissements et transférer une partie des risques liés aux infections nosocomiales vers le régime de solidarité (34).

Le nouvel article L. 1142-1-1 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L4435DLT), issu de l'article 1er de la loi, dispose, désormais, qu'"ouvrent droit à réparation au titre de la solidarité nationale [...] les dommages résultant d'infections nosocomiales dans les établissements, services ou organismes mentionnés au premier alinéa du I de l'article L. 1142-1 correspondant à un taux d'incapacité permanente supérieur à 25 % déterminé par référence au barème mentionné au II du même article, ainsi que les décès provoqués par ces infections nosocomiales". L'ONIAM qui, dans le dispositif initial ne devait intervenir que de manière subsidiaire, s'est donc vu confier la tâche d'indemniser directement les victimes les plus graves en lieu et place des assureurs des établissements dont la responsabilité passe ainsi au second plan. Par ailleurs, l'office dispose d'un recours mais uniquement en présence d'une "faute établie de l'assuré à l'origine du dommage, notamment le manquement caractérisé aux obligations posées par la réglementation en matière de lutte contre les infections nosocomiales" (35). A la faveur de la réforme, la responsabilité de l'établissement en cas d'infection nosocomiale ne sera désormais plus retenue qu'en cas de faute, alors que, jusqu'à présent, elle l'était de plein droit.

  • Les modalités d'application dans le temps de la loi du 30 décembre 2002

L'article 1er de la loi du 30 décembre 2002 étant incontestablement plus favorable aux établissements que les dispositions issues de la loi du 4 mars 2002, leurs assureurs ont tenté d'en étendre la portée en convainquant les tribunaux de faire une application rétroactive du nouveau régime à toutes les infections contractées à compter du 5 septembre 2001, date d'application de la loi du 4 mars 2002 (article 101). Selon les assureurs, en effet, les dispositions introduites par la loi du 30 décembre 2002 s'insèrent dans les textes visés par l'article 101 de la loi du 4 mars 2002 et doivent donc, à ce titre, s'appliquer en même temps que toutes les autres dans les conditions redéfinies par l'article 3 de la loi du 30 décembre 2002.

Or, cet article 3 a été adopté pour mettre un terme au désordre provoqué par l'interprétation de l'article 101 de la loi du 4 mars 2002 qui définissait les modalités d'application dans le temps de la loi. La version initiale du texte laissait supposer, par une rédaction défectueuse, que la loi s'appliquerait non seulement aux actes médicaux réalisés moins de six mois avant l'entrée en vigueur de la loi, mais également aux actions en cours lors de l'entrée en vigueur du texte, y compris lorsqu'elles concerneraient des actes médicaux antérieurs au 5 septembre 2001 (36). Cette interprétation littérale de l'article 101 avait reçu le soutien remarqué de la Cour de cassation (37), mais contrariait le Parlement qui n'avait pas voulu pareille extension du champ d'application de la loi. Pour mettre un terme à la polémique, la loi du 30 décembre 2002, dans son article 3, a modifié la rédaction de l'article 101 pour faire clairement apparaître le 5 septembre 2001 comme date clef dans l'application du nouveau régime d'indemnisation, et pour indiquer que l'application aux instances en cours ne concernait que les actes médicaux réalisés à compter de cette date. Comme on pouvait s'y attendre, l'article 3 de la loi du 30 décembre 2002 a été qualifié de disposition interprétative de l'article 101 de la loi du 4 mars 2002, devant donc, à ce titre, produire effet au 5 septembre 2001 (38).

Fort de cet argument, les assureurs de responsabilité médicale ont souhaité pousser plus loin leur avantage en tentant de convaincre les tribunaux que l'article 1er de la loi du 30 décembre 2002 devait également s'appliquer à la date du 5 septembre 2001, dans la mesure où le nouveau régime d'indemnisation des infections nosocomiales entrait bien dans les dispositions du Code de la santé publique visées par l'article 101 pour s'appliquer rétroactivement.

La proposition avait convaincu certaines juridictions du fond (39) et se trouvait reprise par le demandeur dans cette affaire. Elle ne résiste pourtant pas longtemps à l'analyse.

L'article 1er de la loi du 30 décembre 2002 ne présente, en effet, aucun des caractères exigés pour donner à un texte de loi un caractère interprétatif. Selon une jurisprudence constante de la Cour de cassation, rappelée en 2005 à propos de l'article 3 (40) et régulièrement confirmée depuis dans d'autres hypothèses (41), seule peut être qualifiée ainsi la disposition qui se borne "à reconnaître, sans rien innover, un état de droit préexistant qu'une définition imparfaite a rendu susceptible de controverse". Or, non seulement les nouvelles règles mises en place par l'article 3 diffèrent très sensiblement de celles initialement prévues, mais de surcroit elles ont été placées dans un nouvel article créé pour l'occasion, l'article L. 1142-1-1.

Par ailleurs, le prétendu jeu des renvois opérés par l'article 101 de la loi du 4 mars 2002 et qui devait justifier l'application rétroactive de l'article 3 ne traduisait nullement l'intention du législateur qui a au contraire voulu, avec la loi du 30 décembre 2002, introduire de nouvelles règles d'indemnisation des victimes d'infections nosocomiales.

C'est d'ailleurs pour toutes ces raisons que de nombreuses juridictions du fond avaient refusé de faire une application rétroactive de l'article 3 et considéré que le nouveau régime devrait s'appliquer aux infections nosocomiales contractées à compter du 1er janvier 2003 (42). C'est également à cette même conclusion que le Conseil d'Etat était parvenu dans un avis rendu le 13 juillet 2007 (43).

  • Le rejet de l'application rétroactive du nouveau régime d'indemnisation

A son tour, la première chambre civile de la Cour de cassation rejette dans cet arrêt en date du 16 octobre 2008 l'argument des assureurs pour s'en tenir à l'évidence ; l'article 1er de la loi introduit bien un nouveau régime d'indemnisation qui ne saurait rétroagir.

Cette solution emporte bien entendu l'adhésion, car elle est conforme à la lettre et à l'esprit de la loi du 30 décembre 2002. On regrettera toutefois le caractère plus que laconique de la motivation, la première chambre civile de la Cour de cassation se contentant de relever que "la cour d'appel a exactement retenu que la loi du 30 décembre 2002 en son article 1er n'était pas d'application rétroactive" ...

III - Aléa thérapeutique

Cass. civ. 1, 18 septembre 2008, n° 07-13.080, Mme Germaine Montoya, FS-P+B (N° Lexbase : A3976EAI ; cf. l’Ouvrage "Droit médical" N° Lexbase : E0134ERE)

La lésion du nerf tibial constituant un risque inhérent à l'intervention de réparation du talon d'Achille, et les techniques de réparation chirurgicale utilisées étant conformes aux données acquises de la science, ce dommage survenu s'analyse en un aléa thérapeutique, des conséquences duquel le médecin n'est pas contractuellement responsable.

  • L'irresponsabilité du médecin pour les dommages résultant d'un aléa thérapeutique

Alors que le Conseil d'Etat avait admis, dans des circonstances exceptionnelles, l'indemnisation des victimes d'aléas thérapeutiques (44), la Cour de cassation l'a refusée depuis 2000 (45), provoquant certainement d'ailleurs l'adoption de la loi du 4 mars 2002 et la création de l'ONIAM pour en assurer la prise en charge au nom de la solidarité.

La Cour de cassation a défini l'aléa thérapeutique comme "un risque accidentel inhérent à l'acte médical et qui ne pouvait être maîtrisé" (46). Ce risque doit être distingué d'autres risques, comme celui de léser un organe étranger aux finalités de l'opération, et dont on sait que le médecin répond dans le cadre d'un régime de présomption de faute assez proche de la responsabilité de plein droit (47).

  • La confirmation de la différenciation des risques

Cet arrêt rendu le 18 septembre 2008 confirme ce que l'on pouvait penser de la distinction qu'il y a lieu d'opérer entre ces deux risques.

Lorsqu'un acte médical comporte comme risque connu et inhérent à l'opération l'atteinte à un organe voisin, ce qui était bien le cas dans cet arrêt, il convient de considérer cette lésion comme la simple réalisation d'un aléa médical et ne permet donc pas d'engager la responsabilité du chirurgien, sauf à démontrer, ce qui n'était pas le cas dans cette affaire, que les techniques mises en oeuvre n'étaient pas conformes aux données acquises de la science.

En revanche, pour les organes voisins dont la lésion n'est pas identifiée comme un risque connu, dans la mesure où ils ne sont pas concernés par l'acte, l'atteinte revêt alors un caractère anormal, ce qui laisse supposer qu'une maladresse, qui aurait dû être évitée, a été commise, permettant dès lors de présumer la responsabilité du chirurgien, sauf à démontrer une anomalie morphologique (48).


(1) Sur ce mouvement, notre art. Le rôle des règles déontologiques dans l'encadrement normatif de la recherche biomédicale, (en coll. avec F. Maury et A. Illin), dans Jeux de normes dans la recherche biomédicale, sous la dir. de J.-P. Duprat, Publications de la Sorbonne, 2002, p. 37.
(2) Cass. civ. 1, 8 juillet 2008, n° 07-12.159, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A5290D9S), nos obs. dans le Panorama de responsabilité médicale (avril à septembre 2008), Lexbase Hebdo n° 321 du 9 octobre 2008 - édition privée générale (N° Lexbase : N3835BHI) et les décisions citées et analysées.
(3) Décision n° 2007-561 DC du 17 janvier 2008, Loi ratifiant l'ordonnance du 12 mars 2007 relative au Code du travail (N° Lexbase : A7427D3H), cons. 17.
(4) Notre étude Liberté et médecine, in Lexisnexis, Jurisclasseur Libertés, 2007, fasc. 580, p. 23.
(5) Il en va ainsi lorsque le Code indique que le médecin apprécie, en conscience.
(6) En ce sens, Cass. civ. 1, 21 novembre 1978, n° 77-13.998 (N° Lexbase : A8197AGP) ; Cass. civ. 1, 15 novembre 1989, n° 88-12.702, Janvier c/ Mme Ogez et autres (N° Lexbase : A1668AIM) ; CA Nancy, 1ère ch. civ., 30 août 1999, n° 97003353, Weill c/ Klein (N° Lexbase : A1962AXX).
(7) C . civ., art. 1386-10 (N° Lexbase : L1503ABB), qui précise que le fait qu'un produit ait bénéficié d'une procédure d'autorisation administrative de diffusion n'est pas de nature à lui exonérer le producteur de sa responsabilité.
(8) Cass. civ. 1, 28 octobre 1974, n° 73-12.588 (N° Lexbase : A6991AGZ).
(9) Cass. civ. 1, 23 mai 1973, n° 72-10.255 (N° Lexbase : A6896AGI).
(10) Dans cette hypothèse, il serait préférable que le patient obtienne la réparation du préjudice moral causé par la violation de son droit à l'information ; telle n'est malheureusement pas la position actuelle de la Cour de cassation qui considère, dans ce cas de figure, que le patient n'a subi aucun préjudice.
(11) Cass. civ. 1, 8 juillet 2008, préc., et les obs. préc..
(12) Cass. civ. 1, 23 mai 2000, n° 98-19.869, Mme X c/ M. Y et autres (N° Lexbase : A7489AHT), Resp. civ. et assur., 2000, comm. 272, Gaz. Pal., 2000, n° 354 p. 42, note J.-L. Virfolet ; Cass. civ. 1, 18 juillet 2000, n° 98-22.032, M. Christian Giroud et autres c/ Mme Françoise Simon, épouse Conca et autres (N° Lexbase : A7456AHM), Resp. civ. et assur., 2000, comm. 370.
(13) Cass. civ. 1, 17 janvier 2008, n° 06-20.568, M. Jérôme Sowka c/ Mme Pascale Degeneve, F-D (N° Lexbase : A7684D3Y), et nos obs., Panorama de responsabilité civile médicale (janvier à mars 2008), Lexbase Hebdo n° 299 du 3 avril 2008 - édition privée générale (N° Lexbase : N6278BEA).
(14) Cass. civ. 1, 23 mai 2000, préc. ; Cass. civ. 1, 18 juillet 2000, préc. ; Cass. civ. 1, 17 janvier 2008, préc..
(15) Cass. crim., 14 juin 1990, n° 89-85.234, Mabeau Jacques et autres (N° Lexbase : A2891ABP) ; Cass. civ. 2, 13 janvier 1982, n° 80-15.897, Groupe d'Assurances Mutuelles de France, Ibanez c/ Consorts Dubois (N° Lexbase : A2533CHB), JCP éd. G, 1983, II, 20025, note N. Dejean de la Batie ; Cass. civ. 2, 13 juillet 2006, n° 04-19.380, M. Emmanuel Chalier, FS-D (N° Lexbase : A4334DQL), Resp. civ. et assur., 2006, comm. 361, obs. S. Hocquet-Berg ; CA Rennes, 7ème ch., 19 décembre 2007, P. c/ Etablissement français du sang de Bretagne ; S. Hocquet-Berg, Les prédispositions de la victime, Mélange Groutel, Litec, 2006, p. 169.
(16) Cass. civ. 1, 3 avril 2007, n° 05-10.515, M. Jean-Baptiste Leblanc, F-D (N° Lexbase : A8931DUC) : "les experts avaient relevé que l'infection était masquée et fulminante et que son évolution n'avait pas permis de poser le bon diagnostic à temps, en a déduit, à bon droit, que les praticiens n'avaient pas commis de faute en ne posant pas le diagnostic exact" ; et nos obs. Panorama de responsabilité civile médicale (période du 1er septembre 2006 au 15 avril 2007), Lexbase Hebdo n° 260 du 15 mai 2007 - édition privée générale (N° Lexbase : N0717BB8). Cass. civ. 1, 31 mai 2007, n° 06-12.641, M. Gérald Bureau, F-D (N° Lexbase : A5130DWW) : la cour d'appel aurait dû rechercher "comme elle y était invitée, si le diagnostic de la pathologie ayant entraîné l'issue fatale était difficile à établir", et après avoir affirmé que "ne commet pas de faute le médecin qui ne peut poser le diagnostic exact lorsque les symptômes rendent ce diagnostic particulièrement difficile à établir" ; et nos obs., Panorama de responsabilité civile médicale (période du 15 avril 2007 au 15 septembre 2007), Lexbase Hebdo n° 273 du 19 septembre 2007 - édition privée générale (N° Lexbase : N4649BC8).
(17) Cass. civ. 1, 27 mars 2001, n° 99-17.672, M. Jean-Claude Micas c/ M. Jean-Jacques Ficat, FS-P (N° Lexbase : A1104AT3), Resp. civ. et assur., 2001, comm. 195 ; CA Toulouse, 1ère ch. I, 14 janvier 2002, Alric c/ Boccardo, CJA, 2002-2, n° 180 (preuve non rapportée) ; Cass. civ. 1, 1er mars 2005, n° 03-16.789, M. Marc Guyet c/ société d'exploitation Clinique de Mérignac, FS-P+B (N° Lexbase : A1023DHD), Resp. civ. et assur. 2005, comm. 159, obs. S. Hocquet-Berg ; CA Aix-en-Provence, 10ème ch., 29 mars 2007, V. / SA Clinique Val Ombreux.
(18) La Cour de cassation a, en effet, refusé d'opérer une distinction entre les infections endogènes ou exogène (Cass. civ. 1, 4 avril 2006, n° 04-17.491, FS-P+B N° Lexbase : A9651DNR, Bull. civ. I, n° 191, RTDCiv., 2006, p. 567, obs. P. Jourdain), contrairement au Conseil d'Etat (CE, 4° et 5° s-s-r., 25 octobre 2006, req. n° 275700, CHU de Brest N° Lexbase : A4812DSZ).
(19) Notre étude Les présomptions d'imputabilité dans le droit de la responsabilité civile, Mélanges en l'honneur de Philippe le Tourneau, Dalloz, 2008, p. 885.
(20) Cass. civ. 1, 22 mai 2008, 6 arrêts, n° 05-20.317 (N° Lexbase : A7001D8S), n° 06-14.952 (N° Lexbase : A7009D84), n° 06-10.967, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7005D8X), n° 05-10.593 (N° Lexbase : A6996D8M), n° 06-18.848 (N° Lexbase : A7014D8B) et n° 07-17.200, F-D (N° Lexbase : A7136D8S), et nos obs., Produits de santé : imputabilité de poussées de scléroses en plaques à des vaccins anti hépatite B et absence de preuve du caractère défectueux d'un médicament anti goutte, Lexbase Hebdo n° 311 du 3 juillet 2008 - édition privée générale (N° Lexbase : N4910BGX).
(21) Voir, en ce sens, la présomption de contamination développée pour les victimes de contaminations transfusionnelles par le VHC : Cass. civ. 1, 9 mai 2001, n° 99-18.161, Centre régional de transfusion sanguine de Champagne-Ardennes (N° Lexbase : A3943AT9), D., 2001, p. 2149, rapp. P. Sargos.
(22) Cass. civ. 2, 25 janvier 2007, n° 06-16.000, Mme Brigitte Senft, FS-D (N° Lexbase : A6969DTB) et les obs. dans le Panorama de responsabilité civile médicale (période du 1er septembre 2006 au 15 avril 2007), préc. ; CA Paris, 15 février 2008, n° 05-24670 (N° Lexbase : A1394D7R ; contamination remontant à 1978). CE, 15 février 2008, n° 303863 (N° Lexbase : A9156D4U ; annulation de l'ordonnance de référé rejetant la demande de provision de la victime sous prétexte qu'une expertise avait été ordonnée pour déterminer l'origine des lots transfusés).
(23) La circulaire n° 263 du 13 octobre 1998, relative à l'organisation de la surveillance et de la prévention des infections nosocomiales, définit l'infection nosocomiale comme une maladie provoquée par des micro-organismes contractée dans un établissement de soins par tout patient après son admission, soit pour une hospitalisation, soit pour y recevoir des soins ambulatoires que les symptômes apparaissent lors du séjour à l'hôpital ou après que l'infection soit reconnaissable aux plans clinique et/ou microbiologique. En général, on tient compte d'un délai de 48 à 72 heures entre l'admission et le début de l'infection. Ainsi, si l'infection se révèle moins de 48 heures après l'admission, on en déduit qu'elle était en incubation au moment de l'admission, et qu'elle n'a donc pas été contractée dans l'établissement de soins. La circulaire n° DGS/DHOS/E2/2000/645 du 29 décembre 2000, relative à l'organisation de la lutte contre les infections nosocomiales dans les établissements de santé (N° Lexbase : L9728A98) les définit comme "des infections contractées dans un établissement de santé".
(24) Cass. civ. 1, 29 juin 1999, n° 97-15.818, M. X c/ M. Y et autres (N° Lexbase : A6644AHK), JCP éd. G, 1999, II, 10138, rapp. P. Sargos (infections nosocomiales) ; Cass. civ. 1, 21 avril 2005, n° 03-20.683, Société Axa France IARD, anciennement dénommée Axa assurances IARD c/ Etablissement français du sang (EFS), FS-P+B (N° Lexbase : A9633DHA), Resp. civ. et assur., 2005, comm. 223 (produits sanguins transfusés).
(25) Sur l'apport de ce texte par rapport à la jurisprudence antérieure : Panorama de responsabilité civile médicale (période du 1er septembre 2006 au 15 avril 2007), préc..
(26) En ce sens, la discussion dans le Panorama de responsabilité civile médicale, Lexbase Hebdo n° 281 du 8 novembre 2007 - édition privée générale (N° Lexbase : N0163BDE).
(27) Cass. soc., 15 mai 2007, n° 05-17.947, Société Assurances générales de France (AGF), FS-P+B (N° Lexbase : A2450DWN) et nos obs., Panorama de droit médical, préc..
(28) C. santé publ., art. L. 1142-1, II (N° Lexbase : L8853GT3).
(29) C. santé publ., art. L. 1142-1-1 (N° Lexbase : L4435DLT).
(30) C. santé publ., art. L. 1142-17 (N° Lexbase : L4429DLM).
(31) P. Sargos, Le nouveau régime juridique des infections nosocomiales. Loi n° 2002-303 du 4 mars 2002, JCP éd. G, 2002, p. 1117.
(32) Cass. civ. 1, 29 juin 1999, n° 97-14.254, Caisse primaire d''assurance maladie de la Seine-Saint-Denis c/ M. Henry et autres (N° Lexbase : A6656AHY), JCP éd. G 1999, II, 10138, rapp. P. Sargos.
(33) Soit en l'absence de faute d'un professionnel de santé libéral, soit en présence d'un cas de force majeure, encore appelé "aléa nosocomial".
(34) Resp. civ. et assur., 2003, chron. 5.
(35) C. santé publ., art. L. 1142-17, al. 7 (N° Lexbase : L4429DLM).
(36) En ce sens, nos obs. sous CA Douai, 21 novembre 2002, Resp. civ. et assur., 2003, comm. 144.
(37) Cass. avis, 22 novembre 2002 (N° Lexbase : A6109A4Z), Bull. 2002, avis n° 5.
(38) Cass. civ. 1, 18 octobre 2005, n° 04-14.268, M. Jean-Luc Delalande c/ Mme Marie-Claude Bindel, épouse Kraszewski, FS-P+B (N° Lexbase : A0296DLK), Bull. civ. I, n° 365, RTDSS, 2005 p. 1047, note F. Arhab, D., 2006, p. 689, obs. J. Penneau, p. 705, note O. Smallwood et F. Viala ; Cass. civ. 1, 4 avril 2006, préc..
(39) TGI Paris, 27 juin 2005, n° 03/12280. CAA Marseille (référé) 9 mars 2006, n° 05MA01839 (N° Lexbase : A0871DPX).
(40) Cass. civ. 1, 18 octobre 2005, préc..
(41) Dernièrement, Cass. civ. 3, 19 mars 2008, n° 07-10.704, Société Gecina, FS-P+B (N° Lexbase : A4844D7K), Bull. civ. III, n° 55.
(42) TA Paris, 4 novembre 2005, n° 0318206/6-2 ; TGI Nanterre, 10 février 2006, n° 04/12050 ; CA Versailles, référé, 3 mai 2006, n° 05/06704 ; TA Bordeaux, 8 juin 2006, n° 0403129 ; CA Montpellier, 5ème ch., sec. A, 10 avril 2008, n° 07/04479.
(43) CE, référé, 13 juillet 2007, n° 293196, ONIAM (N° Lexbase : A2872DXN), RTDSS, 2007, p. 847, obs. D. Cristol, RFDA, 2008 p. 337, concl. T. Olson qui souligne très justement que "Si le législateur avait entendu faire produire effet à l'article L. 1142-1-1 rétroactivement au 5 septembre 2001, il aurait fallu qu'il précise que ses dispositions viendraient s'incorporer à celles de la loi de mars ; or il ne l'a pas dit".
(44) CE, 9 avril 1993, n° 69336, Bianchi (N° Lexbase : A9435AME), Rec. Lebon, p. 127, concl. Daël.
(45) Cass. civ. 1, 8 novembre 2000, n° 99-11.735, Destandeau c/ Y. T. (N° Lexbase : A7649AHR), Resp. civ. et assur., 2000, comm. 375 : "Attendu que la réparation des conséquences de l'aléa thérapeutique n'entre pas dans le champ des obligations dont un médecin est contractuellement tenu à l'égard de son patient". Cass. civ. 1, 27 mars 2001, n° 99-13.471, M. Vlado Smatt c/ Mlle Soumilla Rahilou (N° Lexbase : A1115ATH), Resp. civ. et assur., 2001, chron. 13,  nos obs., D., 2001, somm. p. 2236, obs. D. Mazeaud ; Cass. civ. 1, 4 janvier 2005, n° 03-13.579, Société Le Sou médical c/ M. Daniel Faude, F-P+B (N° Lexbase : A8730DE3), Resp. civ. et assur., 2005, comm. 102 ; Cass. civ. 1, 22 novembre 2007, n° 05-20.974, M. André Zunino, FS-P+B (N° Lexbase : A7083DZD), Resp. civ. et assur., 2008, comm. 31, obs. S. Hocquet-Berg ; Cass. civ. 1, 28 mars 2008, n° 07-11.879, Mme Dominique Poire, F-D (N° Lexbase : A6105D7A), et nos obs., Panorama de responsabilité médicale (avril à septembre 2008), Lexbase Hebdo n° 321 du 9 octobre 2008 - édition privée générale (N° Lexbase : N3835BHI).
(46) Cass. civ. 1, 8 novembre 2000, préc..
(47) Cass. civ. 1, 17 janvier 2008, n° 06-20.568, M. Jérôme Sowka c/ Mme Pascale Degeneve, F-D, préc. et obs. préc.. Solution acquise depuis Cass. civ. 1, 23 mai 2000, n° 98-20.440, Société Le Sou médical et autre c/ Mlle Y. et autre (N° Lexbase : A1673AIS).
(48) Cf. supra nos observations sous l'arrêt rendu le même jour.

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Contrats et obligations

[Chronique] La Chronique de droit des contrats de David Bakouche, Agrégé des Facultés de droit, Professeur à l'Université Paris-Sud (Paris XI) - Janvier 2009

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Le 07 Octobre 2010

Lexbase Hebdo - édition privée générale vous propose, cette semaine, la Chronique de droit des contrats de David Bakouche, Agrégé des Facultés de droit, Professeur à l'Université Paris-Sud (Paris XI). Au sommaire de cette nouvelle chronique seront présentés, un arrêt rendu le 17 décembre 2008, par la troisième chambre civile de la Cour de cassation et qui revient sur la question des vices cachés ou apparents ; également à l'honneur, deux arrêts rendus par la Chambre commerciale, cette fois, le 16 décembre 2008, qui abordent la question de la rupture des relations commerciales établies.


  • Vice caché ou apparent ? Les dessous cachés d'une question simple en apparence ! (Cass. civ. 3, 17 décembre 2008, n° 07-20.450, FS-P+B N° Lexbase : A9081EBX)

L'occasion a largement été donnée d'évoquer les enjeux attachés à l'une des difficultés essentielles du droit de la vente tenant à la distinction de l'obligation de délivrance du vendeur, d'une part, définie par l'article 1604 du Code civil (N° Lexbase : L1704ABQ) comme "le transport de la chose vendue en la puissance et possession de l'acheteur", et qui suppose, précisément, que le vendeur lui délivre une chose conforme à ce à quoi il s'est engagé, et, d'autre part, de l'obligation de garantie des vices cachés de l'article 1641 (N° Lexbase : L1743AB8) du même code, aux termes duquel "le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminue tellement cet usage, que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus". Différences quant aux délais de prescription de l'action, quant à l'efficacité des stipulations contractuelles limitant l'étendue de la responsabilité ou de la garantie, quant aux incidences de la résolution ou de la rédhibition, notamment sur la possibilité pour le vendeur de prétendre à une indemnité à raison de l'utilisation faite de la chose par l'acquéreur, etc. : tout cela est suffisamment connu pour qu'il ne soit pas utile d'y revenir (1). Mais il reste peut-être, très concrètement et, pourrait-on dire, au premier chef, l'essentiel : déterminer si le défaut dont se plaint l'acquéreur peut constituer un vice caché au sens de l'article 1641 du Code civil. La difficulté est parfois renforcée par le fait que le vendeur pourra contester cette qualification en faisant valoir que le vice était apparent, étant entendu qu'aux termes de l'article 1642 du Code civil (N° Lexbase : L1744AB9), "le vendeur n'est pas tenu des vices apparents et dont l'acheteur a pu se convaincre lui-même". Un arrêt de la troisième chambre civile de la Cour de cassation en date du 17 décembre 2008, à paraître au Bulletin, en constitue, d'ailleurs, un exemple.

En l'espèce, les acquéreurs d'un immeuble à usage d'habitation, s'étant aperçus que le bois des charpentes était attaqué par des insectes xylophages, avaient assigné les vendeurs pour obtenir une réduction du prix et des dommages-intérêts (action estimatoire). Les vendeurs reprochaient aux juges du fond d'avoir accueilli cette demande alors, selon le moyen, que le vendeur n'est pas tenu des vices apparents et dont l'acheteur a pu se convaincre lui-même ; qu'en décidant, néanmoins, que la présence de parasites constituait un vice caché affectant l'immeuble vendu, après avoir pourtant constaté que, dans l'acte de vente, les vendeurs avaient déclaré que, dans les mois ayant suivi leur acquisition, il avait été constaté la présence d'insectes ennemis des bois dans une partie de la charpente de la maison, que des travaux de remise en état destinés à l'éradication de ces insectes avaient été réalisés, que la copie des factures des deux entreprises ayant exécuté les travaux demeurait annexée à l'acte et que lesdites factures mentionnaient que les travaux n'étaient garantis que pour une durée de dix ans, ce dont il résultait que l'attention des acquéreurs avait été attirée sur le risque d'un retour des parasites et qu'il leur appartenait de faire preuve d'une prudence élémentaire en s'assurant de l'éradication définitive de ces parasites, la cour d'appel aurait violé l'article 1642 du Code civil. La Cour de cassation rejette, cependant, le pourvoi. Elle énonce, en effet, qu'ayant relevé que si, dans l'acte de vente, le vendeur avait déclaré que, dans les mois ayant suivi son acquisition, il avait été constaté la présence d'insectes ennemis des bois dans une partie de la charpente et si des travaux de remise en état destinés à leur éradication avaient été réalisés en 1989, les travaux n'étaient garantis que pour une durée de dix ans, que la charpente se trouvait au moment de la vente en mauvais état à la suite d'une infestation quasi généralisée due aux insectes à larves xylophages, qui avait dégradé de nombreux éléments dont beaucoup étaient à la limite de la rupture et qui s'étendait à des lames du parquet du plancher des combles et à des solives, la cour d'appel, qui a retenu qu'il ne pouvait être imposé aux acquéreurs de soulever la laine de verre qui recouvrait les bois de la charpente pour voir les pièces dégradées, a caractérisé l'existence d'un vice caché affectant les éléments essentiels de la structure de l'immeuble au moment de la vente.

Sans doute, faut-il, d'abord observer que personne ne contestait, en l'espèce, le fait que le vice invoqué par les acquéreurs relevait de la garantie des vices cachés et non pas de l'obligation de délivrance conforme et, donc, de la responsabilité contractuelle de droit commun. Il faut dire qu'il avait déjà été jugé que constituent des vices cachés la présence de termites ayant provoqué des dégâts tels que leur antériorité à la vente de l'immeuble est établie (2), le caractère gélif de tuiles (3) ou encore l'existence de pourritures au coeur d'une bille de bois (4). Il est, en effet, certain que de tels vices, comme donc en l'espèce la présence d'insectes xylophages attaquant le bois des charpentes affectant les éléments essentiels de la structure de l'immeuble au moment de la vente, constituent des vices rendant la chose impropre à l'usage auquel on la destine (5).

En réalité, ce qui était discuté, en l'espèce, portait sur le point de savoir si le vice en question constituait réellement un vice caché ou bien s'il ne devait pas être considéré comme un vice apparent au sens de l'article 1642 du Code civil échappant, ainsi, à la garantie due par le vendeur. On remarquera que l'argumentation du pourvoi, qui soutenait précisément qu'il s'agissait d'un vice apparent et non pas d'un vice caché, ne manquait pas d'intérêt. Surtout, elle pouvait se recommander de quelques décisions de la Cour de cassation en ce sens. La Haute juridiction, qui pose en principe que le vendeur n'est pas tenu à garantie lorsque l'acheteur a eu connaissance, au moment de la vente, du vice dont la chose vendue est affectée (6), a, en effet, jugé qu'il en allait ainsi à propos de l'existence de termites affectant l'immeuble dans une affaire dans laquelle un état parasitaire positif avait été remis aux acquéreurs lors de la vente (7), ou bien encore, que ne prouve pas le vice caché l'acheteur d'une maison dont l'acte de vente précisait qu'un traitement antiparasitaire avait été effectué, son attention ne pouvant normalement qu'être attirée sur le risque d'un retour des termites (8). Dans une autre affaire, l'Assemblée plénière de la Cour de cassation avait cassé un arrêt de cour d'appel qui avait retenu que, si les dégradations de la charpente et des tuiles ne pouvaient être constatées qu'à condition de pénétrer dans les combles et de monter sur la toiture, l'accès aux combles, quoique difficile, n'était pas impossible, de telle sorte que le vice ne pouvait pas être considéré comme un vice indécelable (9). Tout cela faisait assez penser à la thèse des vendeurs qui, dans leur pourvoi, faisaient valoir que l'attention des acquéreurs avait bien été attirée sur le risque d'un retour des parasites "et qu'il leur appartenait de faire preuve d'une prudence élémentaire en s'assurant de l'éradication définitive de ces parasites". Tel n'a, cependant, pas été de l'avis de la Cour de cassation, en l'espèce, qui a considéré, de façon assez discutable nous semble-t-il, "qu'il ne pouvait être imposé aux acquéreurs de soulever la laine de verre qui recouvrait les bois de la charpente pour voir les pièces dégradées" (10). Soit. On peut comprendre que l'on n'impose pas aux acquéreurs de se livrer, pour reprendre une formule que l'on trouve en jurisprudence, à un "examen acrobatique" (11) pour savoir si la chose est ou non affectée d'un vice. On peut en tout cas le comprendre lorsque rien ne permet de supposer l'existence d'un tel vice. Mais en allait-il réellement ainsi en l'espèce ? Leur attention n'avait-elle tout de même pas été attirée sur le risque d'un retour des insectes, de telle sorte qu'il leur appartenait de prendre les précautions d'usage ? On pouvait, en tout cas, en discuter.

Dans un système où prévaut la liberté contractuelle et où, ce qui n'est d'ailleurs pas sans rapport, sont prohibés les engagements perpétuels, on serait volontiers porté à croire qu'il n'est pas concevable d'imposer à une partie de poursuivre des relations commerciales et, donc, qu'il lui est possible d'y mettre fin. Ce serait sans doute là raisonner sans compter sur toute l'idéologie sociale ou socialisante qui a inspiré le droit privé depuis quelques années, voire sur tout un courant de pensée morale, moralisante ou moralisatrice qui n'a cessé de se développer afin d'atténuer ce qui est apparu chez certains comme les excès du néo libéralisme. Ainsi l'article L. 442-6-I, 5° du Code de commerce (N° Lexbase : L8644IBR) prévoit-il que tout commerçant ou industriel engage sa responsabilité lorsqu'il rompt "brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels" (12). La mise en oeuvre de cette disposition, inspirée par une exigence de loyauté, suppose la réunion de certaines conditions, au premier rang desquelles figure l'exigence d'une "relation commerciale établie" entre les parties -étant entendu que, en tout état de cause, à défaut de remplir l'ensemble des critères posés par le texte, la victime conserve la possibilité d'agir sur fondement du droit commun de la responsabilité civile, en l'occurrence sur le fondement de l'article 1382 du Code civil (N° Lexbase : L1488ABQ) (13)-. Deux arrêts rendus par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 16 décembre 2008, tous deux à paraître au Bulletin -le premier ayant même les honneurs du prochain Rapport annuel de la Cour- permettent précisément d'y revenir.

Dans le premier arrêt, une société s'était vu confier plusieurs projets de construction "clés en mains" de bâtiments publics au Turkménistan et avait, entre 1998 et 2004, sous-traité à une autre société la confection et la pose des rideaux et voilages de plusieurs bâtiments. A l'issue de cette période, le sous-traitant a assigné, sur le fondement des articles 1382 du Code civil et L. 442-6-I, 5° du Code de commerce, l'entrepreneur pour obtenir sa condamnation au paiement de dommages et intérêts pour rupture brutale, pendant l'hiver 2003-2004, des relations commerciales. Reprochant à la cour d'appel de Versailles de n'avoir condamné son partenaire qu'à lui régler une somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts, le sous-traitant a formé un pourvoi en cassation, faisant grief aux juges du fond d'avoir écarté l'existence d'une relation commerciale établie entre les parties. La Cour de cassation rejette le pourvoi en approuvant les premiers juges d'avoir retenu "que les relations entre la société BBI et la société Les Ateliers d'origine résultaient de contrats indépendants, intervenant en fonction de l'ouverture des chantiers obtenus par la société BBI au Turkménistan, que la société BBI, qui n'avait pas passé d'accord-cadre avec la société Les Ateliers d'origine, ne lui avait pas garanti de chiffre d'affaires ou d'exclusivité sur le marché turkmène et qu'elle avait confié en 2003, après consultations, la confection de voilages pour l'Hôtel du Président à un concurrent plus compétitif ; qu'en l'état de ces constatations dont elle a pu déduire l'absence d'une relation commerciale établie entre les deux sociétés [...], la cour d'appel a légalement justifié sa décision".

Dans la seconde affaire, un architecte avait effectué pour une société, pendant deux ans, des prestations de service moyennant paiement d'honoraires. La société ayant cessé de recourir à ses prestations, il l'a assigné en paiement de dommages et intérêts. Pour rejeter l'action en responsabilité, la cour d'appel de Paris avait considéré que les prestations réalisées par un architecte, issues d'une création purement intellectuelle et exclusive de toute acquisition antérieure en vue de la revendre, constituent une activité par essence civile. Cette décision est cassée, sous le visa de l'article L. 442-6, I, 5°, du Code de commerce, aux motifs, décide la Chambre commerciale, "qu'en statuant ainsi, alors que toute relation commerciale établie, qu'elle porte sur la fourniture d'un produit ou d'une prestation de service, entre dans le champ d'application de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, la cour d'appel a violé ce texte".

Les enseignements tirés de ces décisions quant au domaine d'application du texte sont contrastés, selon que l'on envisage la notion même de relation commerciale ou le critère tenant au caractère établi de cette relation.

Quant à la notion de "relation commerciale" d'abord, on rappellera que l'article L. 442-6, I, 5°, du Code de commerce s'applique quelle que soit la nature des relations commerciales. La cour d'appel de Montpellier avait, au demeurant, déjà précisé que pouvait constituer une relation commerciale visée par le texte une relation pré-contractuelle, contractuelle et même post-contractuelle (14). En effet, les magistrats montpelliérains avaient fait valoir que législateur ayant cherché à sanctionner toute rupture brutale, dès lors que l'auteur de la rupture a laissé s'instaurer une confiance dans la conclusion ou le renouvellement du contrat, le texte autorise à apprécier les conditions de la rupture de toute relation commerciale établie, que cette relation se situe avant, pendant ou après l'exécution d'un contrat. En outre, ce que confirme en creux le premier arrêt, en visant les relations commerciales, l'article L. 442-6, I, 5°, du Code de commerce envisage tous les types de rapports, et pas uniquement les rapports entre centrales d'achats et petits fournisseurs, de telle sorte qu'il a vocation à s'appliquer également à tout autre domaine sans distinction, notamment aux rapports de sous-traitance (15). Enfin, le second arrêt confirme, explicitement cette fois, une solution aujourd'hui acquise selon laquelle le texte vise non seulement la relation portant sur la fourniture d'un produit, mais encore celle ayant pour objet une prestation de services (16). Ainsi la notion de relation commerciale parait-elle en définitive assez largement interprétée.

Quant au caractère "établi" de la relation commerciale ensuite, que le législateur n'a pas définie, l'appréciation paraît tout de même plus stricte, en tout cas plus que ce à quoi nous avait peut-être jusqu'à présent habitué la jurisprudence. On se souvient, en effet, qu'il avait été jugé qu'il importait peu que la relation commerciale soit établie sur une succession de contrats à durée déterminée (17) ou sur la base d'un contrat à durée indéterminée (18) ou encore sur la poursuite de relations commerciales alors même que le contrat qui liait les parties n'existait plus ou avait été précédemment dénoncé. On considérait en somme que, malgré le terme extinctif du contrat à durée déterminée, l'auteur de la rupture était contraint de respecter les règles posées par l'article L. 442-6, I, 5°, du Code de commerce, dès lors que la relation commerciale qu'il entretenait présentait un caractère suivi, stable et habituel -circonstance qui ne peut se déduire que d'éléments de fait tels que l'ancienneté des relations, leur exécution loyale et franche (19)-. De même, il avait été jugé qu'il importait peu que la relation commerciale ne repose sur aucun écrit et ne s'inscrive dans aucun cadre contractuel formalisé (20). Le premier des deux arrêts de la Chambre commerciale de la Cour de cassation du 16 décembre dernier parait, à cet égard, en retrait puisque, pour écarter l'existence d'une relation commerciale "établie" entre les parties, il approuve les juges du fond d'avoir relevé qu'il n'existait pas entre elles "d'accord-cadre". A moins qu'on ait en l'espèce considéré que ce qui faisait en réalité défaut était moins l'existence d'un accord formel entre les parties ou d'un "accord-cadre" que l'existence de relations suffisamment anciennes et stables -encore qu'il semble que les relations entre les partenaires aient tout de même duré sept ans-. Tout cela atteste des mystères et, par suite, des incertitudes qui entourent la notion de "relation commerciale établie" dont l'appréciation, largement empreinte de fait, parait relever du bon vouloir des juges du fond.

David Bakouche, Agrégé des Facultés de droit, Professeur à l'Université Paris-Sud (Paris XI)


(1) Voir, en dernier lieu, nos obs. Défaut de conformité et vices cachés : retour sur la distinction des qualifications et des régimes, Lexbase Hebdo n° 326 du 13 novembre 2008 - édition privée générale (N° Lexbase : N6996BHL).
(2) Cass. civ. 1, 31 mars 1954, D., 1954, p. 417 ; Cass. civ. 3, 16 novembre 1988, n° 87-14.988, M. Saint-Pastou de Bonrepaux c/ Epoux Vibert et autre (N° Lexbase : A2976AHP), Bull. civ. III, n° 164.
(3) Cass. com., 9 février 1965, n° 59-11.835 (N° Lexbase : A2056EC7), Bull. civ. III, n° 103 ; Cass. civ. 3, 27 mars 1991, n° 88-11.410, M. Casagrande c/ Etablissements L. Mardesson et autres (N° Lexbase : A2074ABG), D., 1992, p. 95 ; Cass. civ. 3, 23 octobre 1991, n° 87-19.639, Société Fougerolle c/ Société Semibo et autres (N° Lexbase : A3192AHP), Bull. civ. III, n° 249.
(4) Cass. com., 18 janvier 1972, n° 70-12.195 (N° Lexbase : A9431CHR), Bull. civ. IV, n° 26.
(5) Sur cette définition du vice caché, voir not., Cass. civ. 1, 27 octobre 1993, n° 91-21.416, Compagnie La Concorde c/ Société MTS et autre (N° Lexbase : A8458AXK), Bull. civ. I, n° 305; Cass. civ. 3, 14 février 1996, n° 93-21.773, Société GSM Est c/ Commune de Mandeure et autre (N° Lexbase : A9519AB8), Bull. civ. III, n° 47 ; Cass. civ. 3, 1er octobre 1997, n° 95-22.263, Société Empain Graham et Cie et autres c/ Epoux Journe (N° Lexbase : A0802ACP), Bull. civ. III, n° 181 ; Cass. civ. 3, 15 mars 2000, n° 97-19.959, Société Empain Graham et Cie et autres c/ Société Thoretim et autres (N° Lexbase : A3495AUY), Bull. civ. III, n° 61 ; Cass. com., 28 mai 2002, n° 00-16.749, Société Wartsila NSD corporation c/ Société Méca Stamp international, F-D (N° Lexbase : A7838AYX), Contrats, conc., consom., 2002, n° 139, obs. Leveneur.
(6) Cass. civ. 1, 13 mai 1981, n° 80-10.876, Chabaud c/ Morin, Compagnie d'Assurances le Groupe Drouot, Faure-Bondat (N° Lexbase : A3046CHB), Bull. civ. I, n° 165.
(7) Cass. civ. 1, 8 janvier 1991, n° 89-16.358 (N° Lexbase : A4983CPA), JCP éd. N, 1991, II, 200, note L. Leveneur ; Cass. civ. 3, 30 janvier 2008, n° 07-10.133, M. Patrick Decorte, FS-P+B (N° Lexbase : A6094D4H), Bull. civ. III, n° 21, Contrats, Conc. Consom., 2008, n° 216, obs. L. Leveneur.
(8) Cass. civ. 3, 22 novembre 1995, n° 93-15.347, Monsieur Delaby c/ Monsieur Allain et autres (N° Lexbase : A7805ABP), Bull. civ. III, n° 242. Dans le même sens, pour la présence non révélée de termites, dès lors que l'infestation par des capricornes avait été mentionnée et que l'acquéreur avait reçu le conseil de prendre l'avis d'un spécialiste : Cass. civ. 3, 26 février 2003, n° 01-02.906, Mme Jacqueline Marchand-Martin, épouse Stubbe c/ Mme Yvonne Marchand-Martin, épouse Stubbe, FS-P+B (N° Lexbase : A1867A7B), Bull. civ. III, n° 43.
(9) Ass. plén., 27 octobre 2006, n° 05-18.977, Mme Sandra Moran c/ Mme Evelyne Guyonnet, épouse Fréchard, P+B+R+I (N° Lexbase : A0472DSB), Bull. civ. n° 13, JCP éd. G, 2007, II, 10019, note L. Leveneur.
(10) Comp. Cass. civ. 3, 21 juillet 1998, n° 96-21.503, M. Jean Bourguigne et autres c/ M. Thierry Triffault et autres, inédit (N° Lexbase : A2254CY7), Contrats, Conc., Consom., 1998, n° 144, obs. L. Leveneur, jugeant qu'il y a vices cachés lorsque la fissure d'un mur extérieur est masquée par une vigne vierge et que la fente d'un sol disparait sous l'épaisse moquette d'une pièce garnie de meubles.
(11) Cass. civ. 3, 4 février 2004, n° 02-18.029, Mlle Sandra Moran c/ Mme Evelyne Guyonnet, épouse Frechard, FS-P+B (N° Lexbase : A2373DBI), Bull. civ. III, n° 23, Contrats, Conc., Consom., 2004, n° 57, obs. L. Leveneur.
(12) M. Pédamon, Nouvelles règles relatives à la rupture des relations commerciales établies, Lamy Droit économique, décembre 2001, n° 146 ; J. Beauchard, Stabilisation des relations commerciales : la rupture des relations commerciales continues, LPA, 5 janvier 1998, p. 14 ; H. Dewolf, Réflexion sur le déréférencement abusif, LPA, 7 février 1997, p. 13 ; P. Vergucht, La rupture brutale d'une relation commerciale établie, RJ com., 1997, p. 129 ; E. Bouretz, L'article 36-5 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 : revue de trois ans de jurisprudence, JCP éd. E, 2001, 649 ; J.-M. Meffre, La rupture des relations commerciales établies : 36-5° vs 1135 Harmattan ou Sirocco ?, Cah. dr. entr., 2000, n° 4, p. 10 ; V. Sélinsky, Nouvelles régulations : comment améliorer l'effectivité du droit de la concurrence ?, Rev. Lamy droit aff., 2000, n° 27.
(13) Cass. com., 14 mars 2000, n° 97-15.981, Société Ouest Concassage c/ Société industrielle de préfabrication Logis nouveaux (N° Lexbase : A3438AUU), Cah. dr. entr., 2000, n° 4, p. 20, obs. Mainguy et Respaud.
(14) CA Montpellier, 11 août 1999, Cah. dr. entr., 1999, n° 5, p. 19, obs. Mainguy ; D., 1999, act. jurispr., p. 28, obs. E. P..
(15) CA Paris, 3ème ch., 4 mai 2001. Au reste, la cour d'appel de Douai avait déjà jugé que les termes de la loi ne permettent pas, dans la généralité de l'expression, d'instaurer des réserves ou des exceptions selon le type de marché ou de contrat : CA Douai, 15 mars 2001, JCP éd. E, 2001, p. 1861, note M. Pédamon.
(16) Cass. com., 23 avril 2003, n° 01-11.664, Société Auchan France c/ Société Philippe Besnars consultants (PBC), FS-P+B (N° Lexbase : A5207BMS), Cah. dr. entr., 2003, n° 5, p. 41, obs. J.-L. Respaud.
(17) T. com., Nanterre, 3 mars 2000, LPA, 29 novembre 2000, p. 16, obs. Garcia.
(18) M. Béhar-Touchais et G. Virassamy, Les contrats de distribution, LGDJ, 1999, n° 346 ; P. Vergucht, La rupture brutale d'une relation commerciale établie, RJ com., 1997, p. 129 ; Les rapports producteurs/distributeurs : nouvel équilibre, D. affaires, 1996, p. 938.
(19) T. com., Avignon, 25 juin 1999, D., 1999, act. jurispr., p. 19.
(20) Cass. com., 28 février 1995, n° 93-14.437, Société laiteries Bridel c/ Société Debic Saint-Hubertus (N° Lexbase : A8273ABZ), D., 1995, somm. p. 64, note D. Ferrier ; CA Versailles, 10 juin 1999, D. affaires, 1999, p. 1248. CA Paris, 3 décembre 1999, BRDA 6/2000 n° 13 ; CA Paris, 6 février 1997, D., 1998, Somm. p. 335, Ferrier ; T. com. Avignon, 25 juin 1999, BRDA 19/99, n° 14 ; CA Versailles, 20 février 2003, RJDA 7/03, n° 685.

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Droit financier

[Questions à...] Affaire "Sidel" : action individuelle des petits porteurs en réparation de leur préjudice personnel -la reconnaissance prétorienne des "class actions" n'aura pas lieu- entretien avec Maître Frédérik-Karel Canoy, représentant les parties civiles

Réf. : CA Paris, 9ème ch., sect. B, 31 octobre 2008, n° 06/09036, Di Vita Lucien, Lanctuit Jean-Pierre, Olivier Francis, Société Sidel devenue Sidem Participations (N° Lexbase : A5109EBT)

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N9211BHM

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par Anne Lebescond - Journaliste juridique et relations publiques

Le 07 Octobre 2010

"Il ne s'agit pas, contrairement à ce que soutient la société Sidel, d'une action collective, mais de la demande individuelle de chaque partie civile tendant à la réparation de son préjudice personnel". C'est en ces termes, que la cour d'appel de Paris a confirmé, le 31 octobre dernier, la recevabilité de l'action des 710 petits porteurs de la société cotée Sidel, et, par là, leur indemnisation, ainsi que tous les points de la décision rendue le 12 septembre 2006 par le tribunal correctionnel de Paris (TGI Paris, 12 septembre 2006, n° RG 0018992026, Ministère public c/ Francis Olivier N° Lexbase : A7599DRU) (1) à l'encontre du président, du secrétaire général, du directeur international et de la société, responsable solidairement des actes de ces deux derniers, commis en leur qualité de salariés (2). Le président était sanctionné pour avoir diffusé -en vue de limiter la volatilité du cours- des comptes infidèles ne reflétant pas la situation réelle de la société (avec la collaboration du secrétaire général), ainsi que des informations mensongères dans un entretien avec la presse, sur l'acquisition d'une vingtaine de machines permettant un conditionnement amélioré et les perspectives industrielles et commerciales qui en découlaient. Or, seules six machines avaient effectivement été achetées et la croissance de Sidel reposait, en réalité, en partie sur des commandes fictives. Ces déclarations avaient provoqué une importante hausse du cours du titre, qui avait, ensuite, brusquement chuté à l'annonce du net recul du résultat d'exploitation. S'en était suivie une perte financière pour des milliers de petits actionnaires "qui avaient acheté ou conservé des actions aux perspectives prometteuses surévaluées". Un délit d'initié était, en outre, reproché au secrétaire général et au directeur international : ceux-ci avaient, en effet, acquis antérieurement à l'annonce sur le développement de la société, puis revendu, postérieurement à celle-ci, alors qu'ils savaient qu'elle interviendrait, des titres de la société, réalisant, de cette façon, une importante plus-value.

Si, sur le plan du droit boursier, la décision du tribunal de grande instance de Paris, confirmée en appel, est classique en pareil cas, elle a suscité quelques interrogations de la part de la doctrine sur la reconnaissance prétorienne des class actions ou "actions de groupe", dont l'introduction peine en droit français, même si, depuis 2006, neuf projets ont été déjà élaborés en ce sens (3). La class action est une procédure de droit anglo-saxon qui permet une action collective de la part d'un groupe de personnes ayant subi les mêmes dommages, en raison des mêmes actes, en vue d'obtenir une indemnisation de leur auteur. La question de son opportunité se pose, en particulier, en matière de consommation, afin de permettre un rééquilibrage au profit des consommateurs, découragés par la longueur et le coût de la procédure. Pour autant, il existe des arguments en sa défaveur : : pour certains, par exemple, la procédure américaine serait susceptible de violer les droits de la défense en permettant aux tiers (les actionnaires qui n'ont pas agi) de profiter de jugements auxquels ils n'étaient pas parties. Pour cette raison, et certainement aussi parce qu'elle impliquerait des pertes financières certaines pour les grandes enseignes, cette procédure a été maintes fois envisagée et toujours repoussée (aux dernières nouvelles, le Gouvernement souhaitait se pencher sur la question lors de l'examen du rapport "Coulon" sur l'hypothétique dépénalisation du droit des affaires, l'introduction des class actions venant en contrepartie d'une telle dépénalisation).

Les petits porteurs des sociétés cotées (et, certainement, ceux des sociétés non cotées) ont, a priori tout autant intérêt que les consommateurs à voir reconnaître l'action de groupe, en tant que "partie faible" au contrat. Face à cette nécessité, certains ont vu dans la décision du tribunal correctionnel (4) une reconnaissance implicite des juges de la recevabilité (et donc de l'existence) d'une class action des petits porteurs réunis au sein des associations de l'appac (5) et de l'adam (6). Une reconnaissance explicite aurait, en effet, fait fi des principes fondamentaux du droit des sociétés quant aux actions en responsabilité des dirigeants. Lexbase Hebdo - édition privée générale a rencontré Maître Frédérik-Karel Canoy, représentant les parties civiles pour approfondir cette question et, plus généralement, les motifs de l'arrêt rendu par la cour d'appel de Paris.

Lexbase : Sur quels fondements la cour d'appel de Paris a-t-elle confirmée la recevabilité de l'action en réparation intentée par les petits porteurs de la société ?

Frédérik-Karel Canoy : La cour d'appel de Paris n'a pas confirmé la recevabilité de l'action collective des porteurs de la société Sidel, mais a confirmé la recevabilité de toutes les actions individuelles introduites par tous les petits porteurs lésés, qui ont décidé d'agir en justice. Toute la différence est là, et vous ne pouvez que le constater à la lecture de la décision du tribunal de grande instance rendue le 12 septembre 2006, ainsi qu'à celle de l'arrêt du 31 octobre 2008. Outre le nombre impressionnant de pages listant les noms de chaque partie civile dans les deux décisions, aucune ambiguïté n'est permise.

Ainsi, la décision rendue en première instance mentionne que :

- "l'association des actionnaires minoritaires (adam) a désigné ses avocats [...] pour représenter les demandes personnelles d'actionnaires minoritaires [...] les parties civiles [produisant] une liste d'actionnaires jointe à leurs conclusions faisant état des demandes individuelles de chacune des parties civiles" ;

- "les adhérents de l'apac ont chacun déposé des constitutions de partie civile" ;

- "dans leurs conclusions, chacun des adhérents se constituent partie civile" ;

- et enfin, "l'action directe des actionnaires minoritaires est donc recevable".

L'arrêt du 31 octobre dernier, mentionne quant à lui, qu'"il ne s'agit pas d'une action collective, mais de la demande individuelle de chaque partie civile tendant à la réparation de son préjudice personnel", mettant incontestablement fin à cette polémique. Ainsi, aucun principe du droit des sociétés n'a été violé ou remis en cause, tant par la juridiction du premier degré, que par celle du second degré, et, ce faisant, ni l'une, ni l'autre ne reconnaît, implicitement ou non, l'existence d'une class action au profit des petits porteurs de la société Sidel.

[NDLR : La violation des principes fondamentaux du droit des sociétés avait été soulevée, en raison du caractère limitatif du seul cas dans lesquels l'action d'une association d'actionnaires est admise, qui concerne exclusivement l'action sociale. Celle-ci est introduite, en principe, par la société -donc par ces dirigeants (action ut universali)- en réparation du préjudice qu'elle a subi du fait de l'un d'entre eux, et, en cas de carence de ceux-ci, par un ou plusieurs actionnaires (action ut singuli). Dans les sociétés cotées, en application de l'article L. 225-252 du Code de commerce (N° Lexbase : L6123AIM) (7), ces actionnaires, s'ils justifient d'une inscription nominative depuis au moins deux ans et détiennent ensemble au moins 5 % des droits de vote, peuvent être regroupés au sein d'une association répondant aux conditions fixées par l'article L. 225-100 de ce code (N° Lexbase : L3029HNI). Or, en l'espèce, l'action intentée par les actionnaires de Sidel regroupés au sein des associations de l'appac et l'adam n'était nullement une action sociale, tendant à dédommager la société, mais bien une action individuelle, visant pour les actionnaires qui se sont constitués partie civile, à obtenir une indemnisation du préjudice causé par les infractions du dirigeant et des deux salariés. Une telle action, en l'absence de texte, ne souffre pas d'être exercée collectivement via une association d'actionnaires, partie à l'instance. La confusion s'était, donc, faite, dans l'esprit de certains, qui ont déduit de l'intervention de l'adam et de l'appac une véritable action en justice intentée de leur part, quand le tribunal et, ensuite, la cour d'appel ont estimé, à juste titre, que ce sont bien les actionnaires en leur nom propre qui ont exercé l'action (chacun s'étant constitué partie civile, et étaient, par conséquent, parties à l'instance).]

Cet arrêt rendu par la cour d'appel de Paris est une réelle avancée, dans le sens où il confirme bien que le système juridique français est suffisamment complet pour permettre une indemnisation des petits porteurs, sans avoir à introduire la procédure anglo-saxonne de class action. La protection, désormais possible en France, est optimale, puisque le juge semble se rapprocher de la réparation intégrale du préjudice des actionnaires, en tenant compte, le cas échéant, du préjudice moral, quand, aux Etats-Unis, la grande majorité des délits boursiers se soldent par des transactions mettant à mal les droits des petits porteurs. La solution française me semble d'autant plus opportune, qu'elle ne confère pas aux associations d'actionnaires un rôle d'intermédiaire entre les tribunaux et les porteurs, évitant, de la sorte, tout conflit d'intérêt et favorisant la transparence, comme l'a souligné Guy Canivet, ancien Président de la Cour de cassation et actuel membre du Conseil  constitutionnel. Par ailleurs, aucune atteinte n'est portée aux principes des droits de la défense, puisqu'il faut nécessairement être partie à l'instance pour être indemnisé. Cette règle ne ferme pas pour autant la porte à tous les porteurs qui ne se sont pas manifestés lors du procès, puisqu'il est permis d'agir à nouveau en justice, tant que les préjudices des uns et des autres n'ont pas été réparés. Toutefois, le réel problème qui se pose dans un tel contexte n'est finalement pas tant juridique que médiatique : il tient au relais de l'information sur l'indemnisation obtenue par les porteurs aux autres actionnaires ayant connu le même préjudice. Aujourd'hui, rien ne permet une diffusion efficace des décisions rendues en la matière et nombreux sont les petits porteurs qui ne seront jamais indemnisés (8). Pour palier cet inconvénient majeur, la question se pose, par exemple, de l'opportunité de l'introduction d'une obligation à la charge du défendeur de communiquer, aux prémices de l'action en justice, la liste des actionnaires et de les informer du contentieux en cours. La mobilisation serait certainement plus importante qu'elle ne l'est actuellement. Je pense, notamment, aux actionnaires institutionnels, qui, pourtant très présents dans le capital des sociétés cotées (9) et subissant, donc, le même préjudice que les petits porteurs, sont totalement absents des procédures en réparation. Leur passivité trouve, cependant, peut-être d'autres justifications, qui pourraient être remises en cause dans le contexte actuel de crise économique.

Lexbase : Sur quels fondements la cour d'appel de Paris a-t-elle confirmée l'indemnisation des petits porteurs de la société ?

Frédérik-Karel Canoy : Le tribunal correctionnel a admis la réparation du préjudice subi par les petits porteurs sur le fondement de la perte de chance, ce qui a été confirmé en appel.

En première instance, les petits porteurs n'ont pas obtenu d'indemnisation au titre de la commission des délits d'initié (en raison de l'absence d'impact sur l'évolution des cours), mais au titre de la publication de comptes inexacts et d'informations mensongères. Les juges ont, en effet, relevé que des "personnes ont pu être conduites sur la base de ces informations à acheter ou à conserver des titres dont la valeur réelle était inférieure au cours de l'action", subissant de ce fait, "un préjudice résultant de la perte de chance en achetant ou en conservant une action dont les perspectives prometteuses ont manifestement été surévaluées". C'est donc parce que leur "liberté de choix a été faussée", que l'indemnisation des actionnaires est justifiée, d'autant que ce préjudice est distinct de celui subi par la société, condition sine qua non de la réussite de l'action individuelle.

[NDLR : La jurisprudence de la cour d'appel de Paris, si elle suit un raisonnement de préjudice distinct de celui subi par la société, fondé sur les atteintes au consentement des petits porteurs, proche de celui adopté dans des affaires similaires, telle "Régina Rubens" (10), va plus loin en caractérisant la perte de chance. En effet, dans l'affaire visée ci-dessus, les juges du second degré avaient admis l'indemnisation des petits porteurs, après avoir fait le constat que, d'une façon générale, ils n'auraient pas acquis les titres au même prix s'ils avaient eu connaissance des actes frauduleux. Par là, la cour d'appel imposait une logique d'indemnisation extrêmement précise, mesurée en fonction de deux paramètres : la qualité de l'investisseur et l'appréciation de ses motivations au moment de l'investissement. Les juges du second degré sont également cohérents avec les décisions antérieures, l'aléa boursier, lié au risque de perte inhérent à tout investissement, n'étant pas pris en considération dans ces espèces.]

En aucune façon, le préjudice ne pouvait résulter de l'aléa boursier en tant que tel, puisqu'il fait partie intégrante du jeu de la spéculation, ceci, même pour un "bon père de famille" non rompu aux marchés financiers. En revanche, c'est parce que l'aléa boursier a été faussé par des déclarations mensongères du dirigeant que les petits porteurs ont subi un dommage. Cette décision est une victoire pour tous les actionnaires minoritaires victimes des "délinquants en col blanc", et nous savons, malheureusement, qu'ils sont nombreux (11).

Lexbase : La transaction, envisagée en matière de manquements au règlement général de l'AMF , pose la question du désistement d'instance au pénal. Quel est votre sentiment à ce sujet ?

Frédérik-Karel Canoy : J'espère sincèrement que cette option ne sera pas retenue, car, dans ce type d'affaires par exemple, elle atteindrait considérablement à la protection des petits porteurs.

Notamment, la preuve sur le terrain civil est un véritable fardeau à leur charge et n'est que très difficilement rapportée. Cet inconvénient ne se rencontre pas au pénal, ou dans une bien moindre mesure, le juge d'instruction disposant de pouvoirs renforcés et du rapport d'enquête de l'AMF, qui est, la plupart du temps, à l'origine de l'information du parquet de la commission d'infractions boursières. En effet, en application des dispositions de l'article L. 621-15-1 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L3131G9T), le collège de l'AMF a l'obligation de transmettre immédiatement au procureur de la République près le tribunal de grande instance de Paris tout rapport d'enquête ou de contrôle portant sur des griefs susceptibles de constituer un délit boursier. Le juge pénal, et par là, les parties civiles, disposent, donc, de l'enquête menée par l'autorité régulatrice. Une telle disposition n'existe pas devant les juridictions civiles, ce qui complique grandement la tâche des cabinets d'avocats, dont les moyens sont bien inférieurs à ceux de l'AMF ou du juge d'instruction. Dès lors, il est légitime de se demander dans quelle mesure le désistement d'instance au pénal ne constituerait pas une entrave à l'accès du citoyen à la justice. Il ne faut tout de même pas oublier que beaucoup de petits actionnaires des sociétés cotés investissent une grande partie, si ce n'est pas toute leur épargne sur des titres. Certains de mes clients n'ont, pas exemple, plus été en mesure de payer leur maison de retraite. A mon sens, pour apporter une réponse judiciaire efficace aux comportements délictuels de certains acteurs des marchés financiers, il ne peut être envisagé de supprimer le rôle actif du juge d'instruction, de l'AMF et de la cellule de la brigade financière.

La question se pose, également, de l'équivalence des indemnisations : quelle garantie auraient les petits porteurs d'obtenir une réparation aussi conséquente que celle octroyée par les juridictions pénales ?


(1) Lire J.-B. Lenhof, L'affaire du groupe d'emballage "Sidel", "class actions" en paquet en correctionnelle (1ère partie) (N° Lexbase : N3807ALL) et L'affaire du groupe d'emballage "Sidel", "class actions" en paquet en correctionnelle (2nde partie) (N° Lexbase : N3835ALM), Lexbase Hebdo n° 231 du 11 octobre 2006 - édition privée générale.
(2) La qualification de préposé a été exclue par les juges concernant le président, en raison de sa qualité, qui ne souffre aucun lien de subordination.
(3) L'introduction des class actions a été promise en 2005 par le Président Jacques Chirac (promesse renouvelée par le Président Nicolas Sarkozy). Deux propositions de loi ont, alors, été déposées en avril 2006 et un projet de loi élaboré par le Gouvernement à l'automne de cette même année avait été retiré de l'ordre du jour du Parlement. Le 6 septembre 2007, Nicolas Sarkozy, a annoncé que Rachida Dati, ministre de la Justice, avait constitué un groupe de travail sur le droit des affaires susceptible d'introduire les class actions dans le système juridique français. En 2008, la commission "Attali" a recommandé l'introduction de ce mécanisme pour accroître la confiance des consommateurs dans l'économie de marché et le rapport "Coulon" est venu confirmer l'intérêt d'une telle action. C'est, ensuite, dans le cadre de l'adoption de la loi de modernisation de l'économie (loi n° 2008-776, du 4 août 2008 N° Lexbase : L7358IAR) que pas moins de quatre amendements ont été déposés sur les actions de groupe, tous rejetés par le Gouvernement.
(4) TGI Paris, 12 septembre 2006, n° RG 0018992026, Ministère public c/ Francis Olivier, préc..
(5) Appac : Association des petits porteurs actifs.
(6) Adam : Association des actionnaires minoritaires.
(7) C. com., art. L. 225-252 : "Outre l'action en réparation du préjudice subi personnellement, les actionnaires peuvent, soit individuellement, soit par une association répondant aux conditions fixées à l'article L. 225-120 soit en se groupant dans les conditions fixées par décret en Conseil d'Etat, intenter l'action sociale en responsabilité contre les administrateurs ou le directeur général. Les demandeurs sont habilités à poursuivre la réparation de l'entier préjudice subi par la société, à laquelle, le cas échéant, les dommages-intérêts sont alloués".
(8) Ainsi, dans l'affaire "Sidel", seuls 700 actionnaires, sur un total de 130 000, ont obtenu réparation de leur préjudice.
(9) Par exemple, le capital de la société Vivendi est détenu, entre autres, par plus de 600 actionnaires institutionnels qui ont subi une perte considérable.
(10) Cf. CA Paris, 9ème ch., sect. B, 14 septembre 2007, n° 07/01477, Dumont Séverine, Elisabeth, Maria épouse Chapellier e.a. c/ Association des petits porteurs actifs e.a. (N° Lexbase : A6174DYC) et lire J.-B. Lenhof, Affaire "Régina Rubens", la responsabilité civile de droit commun au secours des petits actionnaires ?, Lexbase Hebdo n° 276 du 10 octobre 2007 - édition privée générale (N° Lexbase : N6240BC4).
(11) Maître Frédéric-Karel Canoy, fort des succès obtenus dans les affaires "Regina Rubens", "Marionnaud" et "Sidel", intervient actuellement sur plus d'une dizaine de dossiers en cours.

newsid:339211

Collectivités territoriales

[Textes] L'adoption de la loi relative à la législation funéraire, une étape nécessaire dans un processus encore inachevé

Réf. : Loi n° 2008-1350 du 19 décembre 2008, relative à la législation funéraire (N° Lexbase : L3148ICL)

Lecture: 8 min

N2310BIE

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par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition publique

Le 07 Octobre 2010

La loi n° 2008-1350 du 19 décembre 2008, relative à la législation funéraire, a été publiée au Journal officiel du 20 décembre 2008. Ceci marque l'aboutissement d'un processus démarré le 22 juin 2006, avec l'adoption en première lecture à l'unanimité par le Sénat, et par l'Assemblée nationale, le 20 novembre 2008, de la proposition de loi relative à la législation funéraire, dite proposition Sueur. L'adoption en deuxième lecture de ce texte par la Haute Assemblée, le 10 décembre 2008, vient donc parachever ce cheminement législatif, qui vient apporter de nombreuses modifications concernant la crémation, les cendres, ou les pouvoirs du maire en matière de construction funéraires. Longtemps gouverné par le droit canonique, le droit des funérailles a largement évolué depuis la fin du XIXème siècle, notamment avec la loi du 15 novembre 1887, sur la liberté des funérailles (modifiée par la loi n° 96-142 du 21 février 1996, relative à la partie législative du Code général des collectivités territoriales N° Lexbase : L5292ICY), qui offre à tout individu la liberté de choisir la forme et les rites de son inhumation. En outre, la loi n° 93-23 du 8 janvier 1993, modifiant le titre VI du livre III du Code des communes et relative à la législation dans le domaine funéraire (N° Lexbase : L9730A9A), a mis fin au monopole communal en matière d'organisation des obsèques, même si le service extérieur des pompes funèbres est demeuré une mission de service public, et que les communes ont conservé leur compétence exclusive en matière de création et d'extension des cimetières. La loi n° 2008-1350 marque une nouvelle étape dans cette évolution en fixant trois objectifs : améliorer les conditions d'exercice de la profession d'opérateur funéraire et simplifier les démarches des familles endeuillées (I), fixer le statut et prévoir la destination des cendres des personnes décédées ayant choisi la crémation (II), et faire évoluer la conception et la gestion des cimetières (III).

I - Dispositions relatives aux nouvelles conditions d'exercice des opérateurs funéraires et à la protection des familles endeuillées

A- L'amélioration des conditions d'exercice de la profession d'opérateur funéraire

Le monopole communal des pompes funèbres a été supprimé par la loi n° 93-23 du 8 janvier 1993 précitée. Désormais, le service public communal des pompes funèbres, qui est un service public industriel et commercial, est assuré par les régies, entreprises et associations habilitées par le préfet. Ce service public comprend les diverses prestations nécessaires aux funérailles et, notamment, la fourniture de personnel et des objets et prestations nécessaires aux crémations (CGCT, art. L. 2223-19 N° Lexbase : L7918HBU). En raison de la disparition du monopole, les personnes qui pourvoient aux funérailles peuvent fournir, elles-mêmes, les services et objets funéraires, tels que l'urne. (1).

Toutefois, les activités funéraires restent une mission de service public, qui doit se dérouler dans le cadre d'une réglementation visant à assurer : le bon ordre, l'hygiène et la salubrité publique ; la protection des familles des défunts dans leurs relations avec les opérateurs funéraires ; et la neutralité du service public, notamment en matière religieuse, les opérateurs ne devant effectuer aucune discrimination entre les usagers en raison de leur orientation religieuse. Même si la profession d'opérateur funéraire a été modernisée, les conditions de délivrance de l'habilitation demeurent insatisfaisantes. C'est pourquoi le présent texte subordonne l'exercice de la mission de service extérieur des pompes funèbres à une habilitation délivrée par le préfet (CGCT, art. L. 2223-24 N° Lexbase : L9556DNA). Ce dernier devra, notamment, s'assurer "de conditions minimales de capacité professionnelle du dirigeant et des agents".

En outre, la loi exige des opérateurs funéraires des garanties plus strictes de professionnalisme, en créant un diplôme national pour chacun des métiers relevant du domaine funéraire, cette innovation n'entrant, toutefois, en vigueur, que le premier jour de la cinquième année suivant la publication de la présente loi.

B - La simplification des démarches des familles endeuillées

Les familles endeuillées, souvent vulnérables, doivent, cependant, choisir l'opérateur et le type de prestations dans un délai très court alors qu'elles ne sont, souvent, pas en mesure de comparer les devis des différents opérateurs. En outre, l'on doit constater que la transparence des prix pratiqués par les opérateurs funéraires s'avère actuellement insuffisante. Désormais, le maire pourra donc consulter les devis des entreprises qui devront répondre à des normes fixées par arrêté du ministre chargé des Collectivités territoriales, (CGCT, art. L. 2223-21-1 N° Lexbase : L3376ICZ). Ceci devrait permettre de faciliter la comparaison entre les prix et les prestations offertes par les différents opérateurs funéraires.

L'article L. 2223-33 du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L8794AAX) se voit modifié, afin de préciser que la durée au cours de laquelle tout démarchage commercial en matière funéraire est interdit auprès des familles endeuillées est de deux mois à compter du décès. Rappelons que l'interdiction de démarchage commercial couvre, non seulement les prestations funéraires relevant du service extérieur des pompes funèbres, mais, également, toutes prestations connexes, telles que la marbrerie funéraire. Cette précision devrait permettre de clarifier le dispositif, en garantissant une plus grande sécurité juridique aux professionnels du funéraire, alors que la Chambre criminelle de la Cour de cassation avait auparavant indiqué que l'article L. 2223-33 précité ne fixait aucune limite dans le temps à l'interdiction de démarchage, dans un arrêt rendu le 27 juin 2006 (Cass. crim., 27 juin 2006, n° 05-85.627, F-P+F N° Lexbase : A3846DQI).

Les conditions de surveillance des opérations funéraires, destinées en particulier à éviter la substitution de corps, se voient rénovées à travers la réduction du nombre des opérations funéraires devant être effectuées sous la surveillance de personnes habilitées, à savoir par les fonctionnaires de police, sous la surveillance du chef de circonscription, pour les communes dotées d'un régime de police d'Etat, ou par un garde champêtre ou un agent de police municipale délégué par le maire, sous la responsabilité de ce dernier, dans les autres communes. Dorénavant, seules seront soumises à une surveillance obligatoire les opérations de fermeture du cercueil, d'exhumation, de réinhumation et de translation de corps. Auparavant, devaient, également, faire l'objet d'une surveillance, les soins de conservation ou le moulage du corps.

Conséquence logique, les vacations, dont le montant est fixé par le maire après avis du conseil municipal dans une fourchette comprise entre 20 et 25 euros, ne sont maintenues que pour les opérations d'exhumation, de réinhumation et de translation de corps précitées. Cet allègement des contrôles opérés en la matière devrait contribuer à faciliter les démarches des familles puisqu'un grand nombre d'opérations se déroulaient sans la surveillance requise, bien que les vacations leur soient facturées (2).

II- La création d'un statut pour les cendres funéraires

Le développement de la crémation a fait apparaître les lacunes de la législation en matière de cendres et, plus largement, de statut du corps après la mort. L'absence d'encadrement de la destination des cendres a permis une véritable "privatisation" des cendres, de nombreuses familles conservant l'urne à leur domicile. C'est pourquoi la loi n° 2008-1350 donne un statut aux cendres des personnes décédées dont le corps a donné lieu à crémation, et prévoit leur destination. Son article 11 énonce donc que "les restes des personnes décédées, y compris les cendres de celles dont le corps a donné lieu à crémation, doivent être traités avec respect, dignité et décence" (C. civ., art 16-1 N° Lexbase : L1688AB7). Précisons que la référence aux "restes des personnes décédées" vise à éviter tout risque de remise en cause de l'interruption volontaire de grossesse ou des dons d'organe. Parallèlement, le respect dû au corps s'impose "y compris après la mort" (C. civ., art 16-2 N° Lexbase : L3441ICG), les cendres ne pouvant donc plus être au centre d'activités commerciales.

Récemment restreinte par le décret n° 2007-328 du 12 mars 2007, relatif à la protection des cendres funéraires (N° Lexbase : L6601HUZ), qui a essayé de mettre fin au vide juridique sur la destination des cendres et tenté de concilier l'impératif de respect de la dignité des cendres humaines avec la liberté de choix pour l'organisation de ses funérailles, la destination des cendres est maintenant régie par l'article L. 2223-18-2 du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L3489IC9), qui prévoit que les cendres seront, suivant la volonté du défunt, soit conservées dans une urne cinéraire, soit dispersées dans un espace aménagé à cet effet d'un cimetière ou d'un site cinéraire, soit dispersées en pleine nature, sauf sur les voies publiques. En outre, la loi énonce que les familles disposent, désormais, d'un délai de réflexion d'un an quant à la destination des cendres. Pendant cette période, l'urne cinéraire est conservée au crématorium. Passé ce délai, et "en l'absence de décision de la personne ayant qualité pour pourvoir aux funérailles, les cendres sont dispersées dans l'espace aménagé à cet effet du cimetière de la commune du lieu du décès ou dans l'espace le plus proche aménagé à cet effet" (CGCT, art. L. 2223-18-1 N° Lexbase : L3472ICL).

Signalons, également, que les informations relatives à la destination des cendres du défunt seront conservées à la mairie de la commune de naissance, comme l'état civil, et non à la mairie du lieu de décès. Enfin, la loi prévoit l'obligation, pour les communes de 2 000 habitants et plus, et les établissements publics de coopération intercommunale de 2 000 habitants et plus compétents en matière de cimetières, d'y créer un site cinéraire destiné à l'accueil des cendres des personnes décédées dont le corps a donné lieu à crémation. Ceci ne représente, cependant, qu'une charge financière modérée pour la plupart des communes, car les sites cinéraires ne comprennent pas nécessairement de constructions comme les columbariums. En outre, le coût pourrait être mutualisé au niveau intercommunal.

III- L'adaptation nécessaire de la conception et de la gestion des cimetières

L'ordonnance n° 2005-855 du 28 juillet 2005, relative aux opérations funéraires (N° Lexbase : L8517HB3) a permis aux communes ou aux établissements publics de coopération intercommunale de déléguer la création et la gestion de sites cinéraires situés hors des cimetières. Or, faisant partie du domaine public de la commune, les cimetières doivent être gérés directement par la commune ou par un établissement public de coopération intercommunale, cette gestion étant une mission de service public ne pouvant faire l'objet d'une délégation de service public. La possibilité de déléguer la gestion d'un site cinéraire, par dérogation aux principes régissant les cimetières, a, toutefois, fait l'objet de larges critiques, notamment de la part de l'Association des maires de France (AMF), les communes restant très hostiles à une privatisation de la gestion des lieux de sépulture. Retour de balancier nécessaire diront certains, le présent texte confie au maire le pouvoir de fixer les dimensions maximales des monuments érigés sur les fosses. Celui-ci pourra, en outre, "prescrire la réparation ou la démolition des monuments funéraires lorsqu'ils menacent ruine et qu'ils pourraient, par leur effondrement, compromettre la sécurité ou lorsque, d'une façon générale" (CCH., art. L. 511-4-1 N° Lexbase : L3421ICP).

Les pouvoirs du maire en matière de concessions funéraires ont, également, été rappelés par le Conseil d'Etat, dans un arrêt du 25 juin 2008 (CE 4° et 5° s-s-r., 25 juin 2008, n° 297914, Mlle Schiocchet N° Lexbase : A3531D9N). La Haute juridiction administrative valide ici la décision implicite d'un maire rejetant la demande des requérants d'obtenir une concession perpétuelle d'une superficie de 36 m² dans le cimetière de la commune, au regard, d'une part, de l'importance de cette surface par rapport à la superficie susceptible d'accueillir de nouvelles sépultures et, d'autre part, de la dimension de la famille, compte tenu notamment de leur absence de descendance, par rapport aux besoins des autres personnes susceptibles de demander une concession.

Dorénavant, les communes se voient imposer l'inhumation de certaines personnes lorsque celles-ci en ont exprimé la volonté. Le problème des français de l'étranger est, également, envisagé, puisque la loi édicte que la sépulture dans le cimetière communal est due "aux Français établis hors de France n'ayant pas une sépulture de famille dans la commune et qui sont inscrits sur la liste électorale de celle-ci" (CGCT, art. L. 2223-3 N° Lexbase : L3462IC9). La loi reconnaît, enfin, à toute personne qui le souhaite à ce que ses restes ne donnent jamais lieu à crémation, l'ossuaire devenant donc obligatoire dans les communes.

Ce texte était donc rendu nécessaire, du fait que les pratiques funéraires ont connu de profondes mutations au cours des dernières années avec un développement important de la crémation, qui concerne désormais près du quart, et sans doute bientôt environ la moitié des décès. Toutefois, certains aspects importants de la législation funéraire demeurent perfectibles. L'on peut citer, par exemple, le développement des contrats en prévision d'obsèques ou encore la question de la création de carrés confessionnels. La création de cimetières ou de carrés distincts par confession est plus favorable au respect des coutumes religieuses, mais est, toutefois, illégale compte tenu de l'interdiction des distinctions religieuses. Comme il est, par ailleurs, interdit de créer des cimetières privés confessionnels, se pose la compatibilité de la législation française avec l'article 9 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L4799AQS), au terme duquel "toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion : ce droit implique [...] la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l'enseignement, les pratiques et l'accomplissement des rites". De nouvelles interventions du législateur en ce domaine sont donc encore à attendre.


(1) Marie-Thérèse Viel, Le contrôle des cendres funéraires au mépris des libertés, Lexbase Hebdo-édition publique n° 14 du 17 Janvier 2007 (N° Lexbase : N7754A93).
(2) Philippe Gosselin, Rapport n° 51 du 30 janvier 2008 sur la proposition de loi relative à la législation funéraire adoptée par le Sénat.

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