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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la rédaction
Le 27 Mars 2014
Plus que jamais, l'action syndicale est à l'heure de la révolution... numérique. La loi du 4 mai 2004, relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social, dispose qu'"un accord d'entreprise peut autoriser la mise à disposition des publications et tracts de nature syndicale, soit sur un site syndical mis en place sur l'intranet de l'entreprise, soit par diffusion sur la messagerie électronique de l'entreprise". La jurisprudence, tant administrative que judiciaire, emboîte le pas, annulant une sanction disciplinaire prononcée par un maire à l'encontre d'un agent qui avait utilisé la messagerie électronique de la commune pour envoyer des messages syndicaux, et jugeant que "la diffusion de tracts et de publications syndicales sur la messagerie électronique que l'employeur met à la disposition des salariés n'est possible qu'à la condition, soit d'être autorisée par l'employeur, soit d'être organisée par voie d'accord d'entreprise" ; mais silence radio sur le contenu du message qui peut être envoyé.
Dans un arrêt du 22 janvier dernier, la Cour de cassation est venue préciser les conditions de l'utilisation de l'intranet par les organisations syndicales, à savoir, si cette utilisation est soumise aux mêmes règles que l'emploi de supports classiques et si le contenu des communications syndicales, ainsi diffusé, peut être librement déterminé par ces mêmes organisations. Ainsi, après avoir relevé qu'un accord d'entreprise, relatif à l'exercice du droit syndical dans l'entreprise, mettait à la disposition des organisations syndicales représentatives la messagerie électronique interne pour la publication d'informations syndicales, la Cour suprême valide la clause selon laquelle cette faculté peut être subordonnée à l'existence d'un lien entre le contenu et la situation sociale existant dans l'entreprise. Comme le souligne, cette semaine, Gilles Auzéro, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, la précision est lourde de conséquences. Sur le plan juridique, un représentant du personnel, élu délégué syndical au sein d'une banque, peut être sanctionné sur le terrain disciplinaire, pour avoir diffusé sur le réseau intranet de l'entreprise, un courriel de protestation contre l'arrestation d'un militant syndicaliste paysan. Sur le terrain syndical, la liberté de ton ou de parole chère aux tracts et affiches imagées couvrant les murs "loi du 21 juillet 1889", s'en trouve quelque peu écornée.
Sans doute qu'avec l'utilisation de la messagerie électronique au sein de l'entreprise, les syndicats ou quelques syndiqués ont oublié que, pour que le système fonctionne, il convient d'y associer un simple mail transport protocol, autrement dit un protocole "SMTP" qui établit l'ensemble des règles concernant le transport du courrier électronique sur le réseau concerné. Il spécifie le format des adresses des utilisateurs, les champs des courriers, les possibilités d'envois groupés, la gestion des heures... Et bientôt, peut-être, le contenu même du tract syndical électronique.
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par Charlotte Figerou, Juriste en droit social
Le 07 Octobre 2010
Avant toute chose, il convient de bien comprendre ce qu'est une période d'essai et, notamment, de ne pas la confondre avec la période probatoire, qui est une notion très proche de l'essai. Une période probatoire peut, en effet, se substituer à une période d'essai. Contrairement à la période d'essai qui intervient nécessairement au début de la relation de travail, la période probatoire est instituée en présence de deux contrats de travail successifs conclus entre les mêmes parties, ou en présence d'un avenant au premier contrat. Ainsi, en présence de deux contrats de travail successifs entre les mêmes parties, la période d'essai stipulée dans le second contrat conclu à l'occasion d'un changement de fonction du salarié ne peut être qu'une période probatoire, ainsi que l'a rappelé la Cour suprême dans un arrêt rendu en 2005 (Cass. soc., 30 mars 2005, n° 02-46.338, Société Cabinet de recouvrement Vosges Meurthe-et-Moselle (RVM) c/ M. Claude Denisot, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A4305DHW ; lire les obs. de N. Mingant, Définition et régime juridique de la période probatoire, Lexbase Hebdo n° 163 du 14 avril 2005 - édition sociale N° Lexbase : N3108AIX). Alors que la rupture de la période d'essai met définitivement fin à la relation de travail, la rupture de la période probatoire a, seulement, pour effet de replacer le salarié dans ses fonctions antérieures.
Outre la confusion classique entre l'essai et la période probatoire, il convient, également, de bien distinguer l'essai du test professionnel. Alors que la période d'essai se situe au commencement de l'exécution du contrat de travail, lors d'un test professionnel, le contrat de travail n'est pas encore formé. De plus, la période d'essai est rémunérée, mais ce n'est pas nécessairement le cas du test professionnel d'embauche. Enfin, le salarié est placé dans des conditions normales d'emploi lors de la période d'essai, contrairement à l'hypothèse du test professionnel.
2. La liberté réduite des parties de rompre la période d'essai
Malgré le principe selon lequel la période d'essai peut être librement rompue sans motif, préavis, ni indemnité, force est de constater, à la lecture des arrêts de la Cour de cassation, que cette liberté se réduit comme peau de chagrin. Plusieurs catégories de salariés font l'objet d'une protection particulière, y compris pendant la période d'essai. Quant aux autres, ils sont toujours à même d'invoquer un abus de droit ou une rupture discriminatoire, par essence interdits.
Si les parties sont, en principe, libres de rompre le contrat de travail pendant la période d'essai, la jurisprudence a, toutefois, appliqué la théorie de l'abus de droit pour sanctionner les comportements les plus déloyaux (par ex., Cass. soc., 9 octobre 1996, n° 93-45.668, Société Sopromo c/ M. Jardin N° Lexbase : A2096AAU). Au fil des arrêts, la Cour de cassation a affiné la notion d'abus de droit de rompre l'essai. En pratique, il est assez rare que des salariés soient condamnés (toutefois, voir Cass. soc., 9 mai 1979, n° 78-40.704, Bellanger c/ Société Comex N° Lexbase : A3439AGH). Ainsi, seront sanctionnées les ruptures de l'essai causées par une intention malicieuse ou une faute délictuelle de l'employeur, qu'il s'agisse de violences (Cass. soc., 28 avril 1994, n° 90-45.472, M. Goblet c/ M. Creveau, publié N° Lexbase : A0457ABK ; Dr. soc. 1994, p. 798, apprenti maltraité par son maître d'apprentissage), ou de manquements caractérisés aux plus élémentaires règles du savoir-vivre (CA Paris, 24 février 1994, RJS 1994, n° 1082, 15 000 francs [environ 2 286 euros] de dommages et intérêts).
Sera, en outre, qualifiée d'abusive :
- la rupture précipitée n'ayant pas permis au salarié de faire ses preuves (Cass. soc., 2 février 1994, n° 90-43.836, SA Craeye c/ Foucault N° Lexbase : A1764AAL) ;
- la rupture qui a pour origine une lettre du salarié qui demande des informations supplémentaires concernant le contrat de travail, ou qui émet des critiques (Cass. soc., 7 janvier 1988, n° 85-41.822, Groupement d'intérêt économique pour la direction, l'administration c/ M. Legros N° Lexbase : A6745AA3 ; Cass. soc., 20 avril 1989, n° 86-42.652, Académie des hôtesses c/ Mlle Sanchez N° Lexbase : A8758AAM) ;
- la rupture reposant sur des motifs connus de l'employeur avant le début de la période d'essai (Cass. soc., 6 décembre 1995, n° 92-41.398, Mme Roche c/ Société Educational Business Services N° Lexbase : A1066AB4) ;
- la rupture de l'essai intervenant alors que l'employeur a réembauché dans les mêmes fonctions un salarié ayant travaillé 15 ans dans l'entreprise après l'avoir licencié pour motif économique (Cass. soc., 9 octobre 1996, n° 93-45.668, Société Sopromo c/ M. Jardin N° Lexbase : A2096AAU) ;
- la rupture lorsque la période d'essai avait pour véritable objet, non pas de tester les aptitudes du salarié, mais d'assurer le remplacement d'un salarié, ou de limiter le contrat à la durée de l'essai, dès l'origine (Cass. soc., 5 octobre 1993, n° 90-43.780, Office public d'aménagements et de constructions du Pas-de-Calais c/ M. Sadoun N° Lexbase : A1110AAD).
En revanche, le fait que la rupture soit intervenue rapidement ne permet pas de caractériser l'abus, dès lors que la présence du salarié durant une semaine pouvait permettre d'estimer, notamment, son incapacité à s'adapter aux exigences de l'entreprise (CA Paris, 22ème ch., sect. C, 11 janvier 2007, n° 05/04694, M. Olivier Fourdrinoy c/ SA Cadic N° Lexbase : A1581DU4).
Par ailleurs, récemment, un arrêt de la Cour suprême a décidé que la période d'essai étant destinée à permettre à l'employeur d'apprécier la valeur professionnelle du salarié, est abusive la résiliation du contrat de travail intervenue au cours de la période d'essai pour un motif non inhérent à la personne du salarié (Cass. soc., 20 novembre 2007, n° 06-41.212, FP-P+B+R N° Lexbase : A7171DZM ; lire les obs. de Ch. Radé, Rupture du contrat de travail en période d'essai : l'étau se resserre, Lexbase Hebdo n° 283 du 29 novembre 2007 - édition sociale N° Lexbase : N2219BDK). Cette prise de position témoigne de la tendance de la Cour de cassation à limiter la liberté de l'employeur de rompre l'essai, ce que certains auteurs contestent (voir, par exemple, la position de Ch. Radé). A contrario, la solution retenue par la Haute juridiction signifie, également, que l'essai pourrait valablement être rompu pour tout motif inhérent à la personne du salarié. Ainsi, seraient visés les motifs disciplinaires et l'insuffisance professionnelle.
Depuis un arrêt du 16 février 2005, la Cour de cassation prohibe toute rupture de l'essai qui reposerait sur un motif discriminatoire (Cass. soc., 16 février 2005, n° 02-43.402, FS-P+B N° Lexbase : A7344DG4 ; et les obs. de G. Auzero, La rupture du contrat de travail pendant la période d'essai ne peut être fondée sur un motif discriminatoire !, Lexbase Hebdo n° 157 du 3 mars 2005 - édition sociale N° Lexbase : N4803ABI). Est nulle la rupture du contrat de travail pendant la période d'essai pour un motif discriminatoire lié à l'état de santé du salarié, en violation de l'article L. 122-45 du Code du travail (N° Lexbase : L3114HI8). Ainsi, si la rupture décidée par l'employeur pendant la période d'essai n'est pas assujettie aux règles du licenciement, en application de l'article L. 122-4 du Code du travail (N° Lexbase : L5554ACP), elle ne saurait, pour autant, échapper aux prescriptions de l'article L. 122-45 du même code.
En cas de litige, le salarié concerné doit présenter des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte. Il appartient, alors, à l'employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. Or, pour reprendre les arguments développés par le Professeur Auzero, "pour être logique, l'application de ces dispositions va, cependant, entraîner une conséquence relativement curieuse, puisque l'employeur sera tenu de justifier la rupture de l'essai alors que, précisément et ainsi qu'il a été vu, celle-ci n'a en principe pas à être motivée. Il conviendra, à tout le moins, que les juges se montrent relativement exigeants quant à l'établissement par le salarié des éléments laissant supposer l'existence d'une discrimination, sous peine d'enlever une grande partie de son intérêt et de sa raison d'être à la période d'essai".
Rappelons, pour conclure, que la sanction prévue par l'article L. 122-45 étant la nullité, en l'occurrence, sera nulle la rupture de la période d'essai prononcée pour un motif discriminatoire. En toute logique, le salarié doit pouvoir demander sa réintégration dans l'entreprise ou bien des dommages-intérêts réparant le préjudice subi.
Le législateur protège plus spécifiquement certains salariés d'une rupture de leur contrat de travail pendant la période d'essai. Sont visés par cette protection exorbitante les victimes d'accidents du travail et de maladies professionnelles. Ainsi, il est prévu qu'en dehors de l'hypothèse d'une faute grave ou d'une impossibilité de maintenir le contrat de travail, la rupture au cours de la période d'essai, pendant la période de suspension résultant d'un accident du travail, est nulle (Cass. soc., 5 juin 1990, n° 85-44.522, M. Subra c/ Société Saint-Jeannet Lasserre N° Lexbase : A4213ACZ). La Cour de cassation a, ainsi, retenu que la résiliation du contrat de travail pendant la période de suspension provoquée par un accident du travail est nulle, même si elle intervient pendant la période d'essai, et l'impossibilité de maintenir le contrat pendant cette même période ne peut résulter que de circonstances indépendantes du comportement du salarié (Cass. soc., 12 mai 2004, n° 02-44.325, F-P+B N° Lexbase : A1687DCH). Cette solution est, selon le Professeur Radé, parfaitement justifiée. En effet, l'exclusion des règles du licenciement constitue une exception qui doit logiquement être interprétée restrictivement. Dans ces conditions, l'inapplication des statuts particuliers doit être cantonnée, autant que faire se peut, ce que fait la Cour de cassation.
S'agissant de la rupture de la période d'essai d'une salariée en état de grossesse, un arrêt rendu en 2006 a confirmé la position classique de la Cour de cassation, position selon laquelle les règles protectrices pendant la période d'essai demeurent inapplicables à la salariée enceinte (Cass. soc., 21 décembre 2006, n° 05-44.806, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A3625DTG ; lire les obs. de C. Radé, Maternité et période d'essai, Lexbase Hebdo n° 244 du 18 janvier 2007 - édition sociale N° Lexbase : N7497A9K). Ainsi, pour reprendre les termes employés par la Haute juridiction, "les dispositions de l'article L. 122-25-2 du Code du travail (N° Lexbase : L5495ACI) relatives à l'annulation du licenciement d'une salariée en état de grossesse en cas de connaissance postérieure par l'employeur de cet état ne sont pas applicables à la rupture en période d'essai".
Dans cette affaire, l'employeur avait notifié à la salariée la rupture de son contrat de travail en période d'essai. Cette dernière lui avait, alors, adressé un certificat médical l'informant de sa grossesse, dans les conditions déterminées par l'article L. 122-25-2, alinéa 2, du Code du travail. La cour d'appel avait considéré le licenciement comme nul, après avoir affirmé que les dispositions de l'article L. 122-30 du même code (N° Lexbase : L3138HI3) étaient, ici, applicables pendant la période d'essai. Tel n'est pas l'avis de la Cour de cassation. Cette solution est, ainsi que l'énonce le Professeur Radé, parfaitement justifiée sur un plan juridique. En effet, le législateur a bien distingué la résiliation du contrat de travail en période d'essai (C. trav., art. L. 122-25 N° Lexbase : L5491ACD), du licenciement (C. trav., art. L. 122-25-2) et a bien pris soin de viser le "licenciement" lorsqu'il envisage la nullité de la mesure. Mais, sur un plan plus général, on peut regretter une telle solution, qui "détonne" au regard des multiples restrictions aujourd'hui apportées à la liberté de rompre l'essai.
Cela étant, la salariée enceinte n'est pas, pour autant, totalement démunie, puisqu'elle pourra toujours avoir recours à l'article L. 122-45 du Code du travail, dont on sait qu'il interdit toute forme de discrimination, y compris pendant la période d'essai (Cass. soc., 16 février 2005, n° 02-43.402, FS-P+B N° Lexbase : A7344DG4). La salariée est, en effet, toujours à même de bénéficier des dispositions de l'article L. 122-45, alinéa 4, qui favorise la preuve des discriminations, à condition de rapporter l'existence d'éléments laissant supposer pareille discrimination, notamment que son employeur avait eu connaissance de sa grossesse avant que celle-ci ne lui fasse parvenir officiellement le certificat médical.
Le doute est permis s'agissant de la maladie d'origine non professionnelle. Dans son arrêt du 20 novembre 2007 (Cass. soc., 20 novembre 2007, n° 06-41.212, FP-P+B+R, préc.), où elle décide qu'est abusive la résiliation du contrat de travail intervenue au cours de la période d'essai pour un motif non inhérent à la personne du salarié, la Cour suprême a suggéré, a contrario, que l'essai pourrait valablement être rompu pour tout motif inhérent à la personne du salarié.
Or, ainsi que le souligne le Professeur Radé, il semblerait que la maladie d'origine non professionnelle ne soit pas inhérente à la personne du salarié, puisque, par hypothèse, ce sont les contraintes de la gestion du personnel qui conduiraient l'employeur à rompre l'essai (désorganisation de l'entreprise conduisant au remplacement définitif du salarié).
Deux arrêts du 26 octobre 2005 ont tranché en faveur de l'application de la protection exorbitante des représentants du personnel dès la période d'essai (Cass. soc., 26 octobre 2005, n° 03-44.751, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A1388DLY ; Cass. soc., 26 octobre 2005, n° 03-44.585, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A1387DLX ; lire les obs. de Ch. Radé, La rupture du contrat de travail du salarié protégé pendant la période d'essai soumise à l'autorisation préalable de l'inspection du travail, Lexbase Hebdo n° 188 du 3 novembre 2005 - édition sociale N° Lexbase : N0314AKT).
De facto, cette situation concerne peu de salariés protégés car il est rare que des salariés occupent des fonctions de représentant du personnel dès le début des relations de travail. Cela étant, une telle situation peut concerner les conseillers du salarié ou les conseillers prud'homaux qui ont débuté leurs mandats avant leur date d'embauche.
Dans ces deux arrêts de principe, qui s'inscrivent dans la ligne droite de la jurisprudence "Perrier" (Cass. mixte, 21 juin 1974, n° 71-91.225, Castagne, Clavel, Daumas, Delon, Dame Grasset, Martinez, Dame Maurin c/ Epry, publié N° Lexbase : A6851AGT), la Cour de cassation énonce que la rupture de la période d'essai de salariés bénéficiant d'une protection est nulle à défaut d'autorisation. Cette solution soulève un certain nombre d'interrogations, s'agissant des mandats extérieurs à l'entreprise et dont celle-ci n'a pas forcément connaissance, malgré leur publication. En effet, l'employeur n'a pas, en pratique, connaissance du mandat d'élu prud'homal du salarié qu'il vient de recruter. Même si ces mandats sont publiés, rien n'impose à l'employeur de s'informer. On se trouve donc ici sur un terrain délicat et les questions posées n'ont pas toutes, à ce jour, une solution.
3. Les formalités de rupture de la période d'essai
En principe, la rupture de la période d'essai n'est soumise à aucune formalité. Cela signifie donc que la rupture ne doit pas nécessairement faire l'objet d'une lettre recommandée avec avis de réception, à l'instar du licenciement, une telle lettre ne pouvant constituer qu'un moyen de preuve (Cass. soc., 22 juin 1988, n° 85-46.123, Mlle Rabusseau c/ Agereso N° Lexbase : A1830ABE). La rupture de l'essai peut valablement être verbale (Cass. soc., 25 mai 1989, n° 85-43.903, Société Doumerc pneus c/ M. Joly N° Lexbase : A3884AGX). Une limite doit, cependant, être posée : la décision de mettre fin à l'essai ne peut pas revêtir la forme d'une déclaration orale en présence du personnel de l'entreprise (Cass. soc., 7 février 2001, n° 99-42.041, Société Diese informatique c/ Mme Stéphanie Loquet N° Lexbase : A5563AG7).
En pratique, la notification de la rupture intervient fréquemment par lettre recommandée. La jurisprudence a dû prendre position sur la date de la rupture notifiée par lettre recommandée. En effet, l'employeur étant en droit de s'affranchir du respect des règles relatives au licenciement en rompant le contrat de travail pendant la période d'essai, la question de la date de la rupture prend, alors, une importance toute particulière, dès lors que toute rupture survenant postérieurement à l'échéance de la période d'essai s'analysera en un licenciement.
Jusqu'à une décision rendue en 2005 (Cass. soc., 11 mai 2005, n° 03-40.650, F-P+B+R+I N° Lexbase : A2303DI7 ; lire les obs. de G. Auzero, Revirement quant à la date de la rupture du contrat de travail en période d'essai, Lexbase Hebdo n° 169 du 26 mai 2005 - édition sociale N° Lexbase : N4538AIW), la Cour de cassation considérait, avec constance, que la volonté de rupture de l'employeur ne pouvait produire effet qu'à partir du moment où elle avait été portée à la connaissance du salarié.
Or, depuis ce revirement de jurisprudence, la solution retenue est tout autre puisque, désormais, la rupture d'un contrat de travail se situe à la date où l'employeur a manifesté sa volonté d'y mettre fin, c'est-à-dire au jour de l'envoi de la lettre recommandée avec demande d'avis de réception notifiant la rupture.
4. La rupture pour un motif disciplinaire
S'il invoque un motif disciplinaire, ce qui est tout à fait envisageable, l'employeur doit, alors, respecter la procédure disciplinaire, ainsi que l'a décidé la Cour suprême dans une espèce rendue en 2004 (Cass. soc., 10 mars 2004, n° 01-44.750, FS-P+B N° Lexbase : A4834DBN ; lire les obs. de C. Alour, L'application de la procédure disciplinaire pendant la période d'essai, Lexbase Hebdo n° 113 du 25 mars 2004 - édition sociale N° Lexbase : N0975ABQ).
Concrètement, cela signifie que l'employeur doit convoquer le salarié à un entretien préalable, conformément aux exigences de l'article L. 122-41 du Code du travail (N° Lexbase : L5579ACM), aux termes duquel "lorsque l'employeur envisage de prendre une sanction, il doit convoquer le salarié en lui indiquant l'objet de la convocation, sauf si la sanction envisagée est un avertissement ou une sanction de même nature qui n'a pas d'incidence, immédiate ou non, sur la présence dans l'entreprise, la fonction, la carrière ou la rémunération du salarié".
Au final, le plus simple pour l'employeur est de taire le motif de rupture de l'essai. En effet, dès lors qu'il avance la raison de la fin de l'essai, il se trouve contraint de respecter certaines obligations.
5. Les effets de la rupture de la période d'essai
Lorsque le contrat de travail est rompu pendant la période d'essai, le salarié n'a, en principe et sauf exceptions, pas droit à un préavis, ni à des indemnités de rupture (N° Lexbase : L5554ACP). En outre, la rupture au cours de la période d'essai n'ouvre pas droit à prise en charge au titre de l'assurance groupe (Cass. civ. 2, 26 octobre 2006, n° 05-19.009, FS-P+B N° Lexbase : A0417DSA ; Cass. civ. 2, 26 octobre 2006, n° 05-13.637, FS-P+B N° Lexbase : A0336DSA ; lire les obs. Ch. Willmann, Assurance groupe : conditions de l'exclusion d'une garantie perte d'emploi, Lexbase Hebdo n° 236 du 15 novembre 2006 - édition sociale N° Lexbase : N4878ALA).
Le cas échéant, la convention ou le contrat de travail peut prévoir le respect d'un délai de préavis, y compris pendant la période d'essai. Si un tel délai de préavis est prévu à la fois par le contrat de travail et la convention collective, rappelons que le contrat individuel de travail ne peut comporter de clause moins favorable aux salariés que les dispositions de la convention collective applicable. En outre, l'employeur qui ne respecterait pas ce préavis s'expose à devoir verser des dommages-intérêts au salarié (Cass. soc., 15 mars 1995, n° 91-43.642, Caisse régionale de Crédit agricole mutuel de Saône-et-Loire c/ Mme Genin N° Lexbase : A0911ABD).
Par ailleurs, s'il s'avère que la rupture de l'essai est abusive, le salarié pourra, alors, prétendre au paiement de dommages-intérêts (Cass. soc., 23 avril 1997, n° 90-45.757, M. Moczadlo c/ Mlle Lorne N° Lexbase : A1454ACT). Il a, également, été jugé que le salarié, dont le contrat a été rompu au cours de la période d'essai, peut réclamer des indemnités au titre du préjudice subi qui peut résulter d'une exigence exorbitante de la société qui a demandé au salarié de déménager (Cass. soc., 9 mars 1988, n° 85-43.900, SA Avo-France c/ Faudot N° Lexbase : A1736AGE). Les dommages-intérêts qui sont alloués au salarié pour le préjudice causé par la rupture du contrat au cours de la période d'essai doivent être garantis par l'AGS (Cass. soc., 24 octobre 2000, n° 98-41.225, M. Rémy Bouvier c/ M. Pellegrini et autres N° Lexbase : A9396AT8).
En outre, si le contrat comporte une clause de non-concurrence, celle-ci devra s'appliquer, quand bien même la rupture se produirait pendant l'essai (par ex., Cass. soc., 22 juin 1994, n° 91-41.773, Société à responsabilité limitée Gaillard et Girard ingénierie c/ M Philippe Alison N° Lexbase : A2321AG3). Le salarié devra donc, en toute logique, percevoir le paiement de la contrepartie financière (CA Paris, 22ème ch., sect. C, 16 décembre 2004, n° 03/36208, SA Amonit c/ M. Christian Fabre N° Lexbase : A9357DEB).
Précisons, pour conclure sur ce point, que la démission du salarié intervenue en cours de période d'essai ne prive pas l'employeur de son droit au dédit-formation (Cass. soc., 5 juin 2002, n° 00-44.327, F-P N° Lexbase : A8603AYB).
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Réf. : Cass. soc., 23 janvier 2008, n° 05-41.070, M. Mazzoncini, FS-P+B (N° Lexbase : A0889D4P) ; n° 06-44.197, Mme Caroli, FP-P+B+R (N° Lexbase : A1016D4E) ; n° 06-43.040 (N° Lexbase : A0999D4R).
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par Stéphanie Martin-Cuenot, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV
Le 07 Octobre 2010
Résumé
Pourvoi n° 05-41.070 : Lorsqu'un salarié rompt un contrat de travail à durée déterminée en invoquant des manquements de l'employeur, il incombe au juge de vérifier si les faits sont, ou non, constitutifs d'une faute grave.
Pourvois n° 06-44.197 et n° 06-43.040 : S'il résulte de la combinaison des articles L. 122-1 (N° Lexbase : L5451ACU), L. 122-1-1 (N° Lexbase : L9607GQU), L. 122-3-10, alinéa 2, (N° Lexbase : L9643GQ9) et D. 121-2 (N° Lexbase : L8259ADA) du Code du travail que, dans les secteurs d'activité définis par décret ou par voie de convention ou d'accord collectif étendu, certains des emplois en relevant peuvent être pourvus par des contrats de travail à durée déterminée, lorsqu'il est d'usage constant de ne pas recourir à un contrat de travail à durée indéterminée en raison de la nature de l'activité exercée et du caractère, par nature temporaire, de ces emplois, et que des contrats à durée déterminée successifs peuvent en ce cas être conclus avec le même salarié, l'accord cadre sur le travail à durée déterminée conclu le 18 mars 1999, mis en oeuvre par la Directive 1999/70/CE du 28 juin 1999 (N° Lexbase : L0072AWL), en ses clauses 1 et 5, qui a pour objet de prévenir les abus résultant de l'utilisation de contrats à durée déterminée successifs, impose de vérifier que le recours à l'utilisation de contrats à durée déterminée successifs est justifié par des raisons objectives, qui s'entendent de l'existence d'éléments concrets établissant le caractère par nature temporaire de l'emploi.
Commentaire
C'est, notamment, au juge qu'il appartient de rechercher si les faits invoqués par le salarié au soutien de la rupture anticipée de son contrat de travail à durée déterminée pour faute grave de l'employeur sont constitutifs d'une telle faute, seule à même de justifier une rupture avant terme.
C'est encore au juge qu'il incombe de rechercher, au sujet d'un contrat de travail à durée déterminée d'usage, si l'on se situe bien dans un secteur où il est habituel de recourir au contrat de travail à durée déterminée mais, encore, si l'emploi occupé est l'un de ceux élus au contrat à durée déterminée. Son rôle, dans ce domaine, ne s'arrête pas là. Comme vient le préciser la Haute juridiction dans deux des décisions commentées, en présence de CDD d'usage successifs, le juge doit vérifier que le recours à ce type de contrats successifs est justifié par des raisons objectives qui s'entendent de l'existence d'éléments concrets établissant le caractère par nature temporaire de l'emploi.
Ces deux solutions doivent être approuvées. Elles ont, en effet, le mérite de rappeler et de préciser le régime applicable au contrat de travail à durée déterminée.
1. Office du juge et rupture du contrat de travail à durée déterminée pour faute grave de l'employeur
La rupture d'un contrat de travail à durée déterminée ne peut intervenir que dans les cas expressément et limitativement énumérés par la loi. Toute rupture anticipée pour une autre cause serait irrémédiablement injustifiée.
L'article L. 122-3-8 du Code du travail (N° Lexbase : L5457AC4) dispose, à cet effet, que le contrat de travail à durée déterminée ne peut cesser de manière anticipée que d'un commun accord des parties, pour faute grave, force majeure ou si le salarié justifie d'un contrat de travail à durée indéterminée.
La faute grave constitue l'une des causes légales de rupture anticipée du contrat de travail à durée déterminée. Elle peut être le fait du salarié mais, également, de l'employeur. Cette faute permet au salarié de rompre unilatéralement le contrat de travail à durée déterminée avant l'échéance du terme. Il n'existe pas de définition légale de la faute grave de l'employeur, c'est la jurisprudence qui a dégagé les contours de cette notion.
Selon la jurisprudence, la faute grave de l'employeur est caractérisée par le fait que celui-ci n'a pas respecté ses obligations (Cass. soc., 8 juin 1988, n° 85-46.502, SA Carepa c./ Melle Sacconi, inédit N° Lexbase : A7019CPN). On ne peut que souligner, une nouvelle fois, le caractère particulièrement large et flou de cette définition. Ce sont donc les juges qui, au cas par cas, déterminent si, dans l'espèce qui leur est soumise, il y a manquement de l'employeur à ses obligations.
Il a, ainsi, été jugé qu'était constitutif d'une faute grave le fait pour l'employeur de ne pas avoir payé les salaires depuis deux mois, de ne pas avoir versé l'indemnité de congés payés (Cass. soc., 8 octobre 1996, n° 93-43.756 N° Lexbase : A2624AGB) ou, encore, ne pas fournir de travail au salarié (Cass. soc., 14 janvier 2004, n° 01-40.489, F-P N° Lexbase : A7762DAQ).
La faute grave de l'employeur était la question que devaient traiter les juges dans la première décision commentée.
Dans l'espèce commentée, un salarié avait rompu de manière anticipée son contrat de travail à durée déterminée, en se fondant sur la faute grave de l'employeur, ce que les juges du second degré avaient refusé de retenir, relevant corrélativement le caractère injustifié de la rupture.
Comme vient le rappeler la Cour de cassation, lorsque le salarié rompt de manière anticipée son contrat de travail à durée déterminée pour manquements de l'employeur, il incombe aux juges de vérifier si les faits sont, ou non, constitutifs d'une faute grave.
Or, si l'employeur avait effectivement écarté le salarié des sélections et entraînements, c'est en raison de la démotivation de ce dernier et de sa volonté exprimée d'aller jouer dans d'autres clubs ; la rupture était donc injustifiée.
Cette décision confirme que le degré de la faute commise par l'employeur peut se trouver diminué par les agissements du salarié. Ici, la "mise à l'écart du salarié" n'était pas le fait de l'employeur uniquement, mais était la conséquence de l'attitude du salarié. Il n'y avait pas mise à l'écart purement arbitraire, mais mise à l'écart raisonnée du salarié. Ce dernier ne pouvait donc pas rompre son contrat et voir cette rupture considérée comme justifiée.
Cette solution n'est que la confirmation de solutions anciennes et elle s'inscrit dans la droite ligne des décisions rendues en matière de faute grave ; plus novatrice est celle rendue en matière de contrat de travail à durée déterminée d'usage.
2. Office du juge et contrat de travail à durée déterminée d'usage successif
Ces deux décisions (pourvois n° 06-44.197 et n° 06-43.040) viennent tout à la fois compléter et renforcer le contrôle du juge en matière de contrat de travail à durée déterminée d'usage.
Le contrat de travail à durée déterminée d'usage est un type de contrat de travail à durée déterminée expressément visé et donc expressément admis par le législateur.
Ce type de contrat de travail à durée déterminée est prévu par l'article L. 122-1-1, 3° du Code du travail. Cette disposition vise, en effet, à côté du contrat de travail saisonnier, le contrat de travail pour lequel, dans "certains secteurs d'activité définis par décret ou par voie de convention ou d'accord collectif étendu, il est d'usage constant de ne pas recourir au contrat de travail à durée indéterminée en raison de la nature de l'activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois".
Plusieurs conditions doivent être cumulativement réunies pour qu'un contrat de travail à durée déterminée d'usage puisse être conclu.
Il faut, en premier lieu, que le contrat soit conclu dans un secteur d'activité dans lequel il existe un usage (constant et ancien) de ne pas recourir au contrat de travail à durée indéterminée. Ces secteurs sont déterminés par décrets (C. trav., art. D. 121-2) ou par convention collective étendue. Seules les entreprises relevant de ces secteurs d'activités peuvent utiliser cette cause de recours au contrat de travail à durée déterminée. Mais, même dans ces secteurs, tous les emplois ne peuvent être pourvus par contrats de travail à durée déterminée.
Il doit, en second lieu, être d'usage constant de ne pas recourir au contrat de travail à durée indéterminée pour l'emploi concerné en raison du caractère par nature temporaire de l'emploi à pourvoir.
Dans ce cadre, il appartient au juge de rechercher si, pour l'emploi élu au contrat de travail à durée déterminée, en l'absence de convention collective prévoyant le recours au contrat de travail à durée indéterminée, il est, dans le secteur d'activité, d'usage constant de ne pas recourir au contrat de travail à durée indéterminée (Cass. soc., 26 novembre 2003, n° 01-44.263, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A2401DA8 ; lire les obs. de Gilles Auzero, Demande de requalification de contrats à durée déterminée d'usage : précisions quant à l'office du juge, Lexbase Hebdo n° 97 du 3 décembre 2003 - édition sociale N° Lexbase : N9618AAH).
Le régime particulier applicable à ce type de contrat de travail à durée déterminée ne s'arrête pas là. Par dérogation au droit commun applicable au contrat de travail à durée déterminée, plusieurs contrats de travail à durée déterminée d'usage peuvent être conclus successivement avec le même salarié (C. trav., art. L. 122-3-19, alinéa 2 N° Lexbase : L2919AWZ).
Traditionnellement, dans ce cas, le seul fait que l'emploi soit par usage temporaire suffisait à légitimer la succession de contrats de travail à durée déterminée d'usage.
La Haute juridiction voit, désormais, les choses d'une manière différente. Après avoir rappelé les conditions traditionnelles et cumulatives entourant le recours au contrat de travail à durée déterminée, elle vient, ici, souligner qu'en application de la Directive 1999/70/CE, le juge doit rechercher, en présence de contrats de travail à durée déterminée d'usage successifs, si cette succession est justifiée par des raisons objectives. Elle précise, en outre, que, par raisons objectives, il faut entendre l'existence d'éléments concrets établissant le caractère, par nature, temporaire de l'emploi.
Cette précision semble recouper la seconde condition de recours au CDD d'usage mais, en réalité, elle vient la compléter, en ajoutant une nouvelle condition au recours au CDD d'usage, lorsque le recours a lieu à plusieurs reprises avec le même salarié : il faut que l'emploi reste un emploi temporaire même si la relation s'inscrit dans la durée. Cette condition nouvelle doit être approuvée même si l'on peut regretter le flou "volontairement" laissé par la Haute juridiction autour des "notions objectives".
Le recours, déjà atypique, à ce type de contrat risque de se révéler encore plus difficile eu égard à ce nouveau contrôle imposé aux juges.... ceci annonce-t-il la volonté de mettre un terme au contrat de travail à durée déterminée d'usage ?
Décisions
Cass. soc., 23 janvier 2008, n° 05-41.070, M. Mazzoncini c./ Société SAOS Sporting Club de Bastia, FS-P+B (N° Lexbase : A0889D4P) Rejet de CA Bastia, 14 décembre 2004 Mots clefs : Contrat de travail à durée déterminée, rupture anticipée, faute grave de l'employeur, contrôle par le juge de l'existence de la faute grave, absence de faute grave, caractère injustifié de la rupture du contrat de travail par le salarié. Lien base : Cass. soc., 23 janvier 2008, n° 06-44.197, CFAI de l'Association pour la formation et la promotion de la métallurgie (AFPM), FP-P+B (N° Lexbase : A1016D4E) Rejet de CA Lyon, 5ème ch., 31 mai 2006, n° 04/07847, M. José-Luiz Lopez c/ CFAI DE L'AFPM (N° Lexbase : A7501DTY) Cass. soc., 23 janvier 2008, n° 06-43.040, Mme Caroli c/ Société Sam monégasque des ondes, FP-P+B+R (N° Lexbase : A0999D4R) Cassation de CA Aix-en-Provence, 17ème ch., 13 mars 2006 Mots clefs : Contrat de travail à durée déterminée, contrat de travail d'usage, conditions, contrats d'usage successifs, contrôle du juge, contrôle de l'existence d'éléments objectifs permettant d'établir le caractère par nature temporaire de l'emploi, recherche par le juge d'éléments concrets et précis. Lien base : |
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Réf. : Cass. soc., 23 janvier 2008, n° 05-16.492, Société Amadeus France service, FP-P+B (N° Lexbase : A0883D4H)
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N0432BEQ
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par Sébastien Tournaux, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV
Le 07 Octobre 2010
Résumé
La reconnaissance d'un contrat de travail est un droit exclusivement attaché à la personne de celui qui se prétend salarié. En conséquence, une organisation syndicale n'est pas recevable à introduire une action visant à une telle reconnaissance. |
Commentaire
1. La reconnaissance d'un contrat de travail exclue du domaine d'action des syndicats
Les syndicats se sont vus reconnaître, de longue date, une possibilité d'agir en justice au-delà des prérogatives liées à la personnalité juridique (1). Cette faculté est formalisée à l'article L. 411-11 du Code du travail, qui dispose que les syndicats "peuvent, devant toutes les juridictions, exercer tous les droits réservés à la partie civile relativement aux faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession qu'ils représentent" (2).
Le domaine privilégié de leur droit d'action réside dans l'application des conventions collectives. Il s'agit là de l'une des conséquences du caractère contractuel des accords collectifs, leurs signataires étant, dès lors, titulaires de tous les droits afférents à la qualité de partie à un contrat. C'est, ici, un droit d'action propre au syndicat. Mais, cette prérogative n'est pas limitée aux signataires puisqu'elle a, également, été reconnue en faveur des syndicats non signataires, sur le fondement de l'article L. 411-11 du Code du travail, au nom de la défense de l'intérêt collectif des salariés (3).
Outre ce pouvoir propre aux syndicats d'agir en exécution d'une convention collective, il existe, également, plusieurs hypothèses d'action en substitution de salariés, donnant implicitement mandat au syndicat d'agir pour leur compte (4). Dans cette hypothèse, il ne s'agit plus de défendre les intérêts collectifs de la profession, mais bien l'intérêt propre d'un salarié. La distinction entre individuel et collectif est clairement marquée puisque le pouvoir d'action en justice pour défendre les intérêts collectifs de la profession est général, par application de l'article L. 411-11 du Code du travail, tandis que le pouvoir d'action en substitution est limitativement encadré par ce même code.
Il est, néanmoins, des situations dans lesquelles cette répartition entre défense d'intérêts collectifs et défense d'un intérêt individuel n'est pas aussi nette.
Il n'y a pas de difficultés lorsque le syndicat tente d'agir en justice pour défendre un intérêt purement individuel. La Cour de cassation a clairement posé le principe selon lequel "le syndicat n'est pas recevable à défendre en son nom propre les intérêts individuels" d'un salarié (5). Cette solution vaut aussi bien s'agissant de la contestation d'un licenciement pour inaptitude médicale (6), que pour l'action fondée sur l'atteinte à la vie privée de salariés (7), la demande tendant à l'inscription d'une créance à la procédure collective (8) ou l'instance introduite en vue d'obtenir un complément de rémunération pour un salarié (9).
En revanche, dans certaines hypothèses, la Cour de cassation a accepté l'action du syndicat alors que les intérêts défendus étaient loin d'être seulement collectifs. Ainsi, par exemple, le syndicat est habilité à saisir le juge en cas de violation du secret médical commise à l'occasion de l'exercice par l'employeur du contrôle des arrêts de maladie de ses agents hospitaliers (10). Est, également, considéré comme entrant dans la qualification d'intérêt collectif de la profession le projet de réorganisation d'un site impliquant des licenciements économiques (11). Cette solution est d'autant plus étonnante que les juges avaient, quelques années auparavant, refusé l'action d'un syndicat en contestation de l'établissement de l'ordre des licenciements économiques (12).
Enfin, une décision rendue en 2005 avait définitivement jeté le trouble sur la distinction entre intérêt collectif et intérêts particuliers des salariés (13). Dans cet arrêt, la Chambre sociale avait entériné l'action d'un syndicat en dommages-intérêts du fait de la requalification d'un contrat de travail conclu avec une association intermédiaire. Une nouvelle décision de la Cour de cassation était donc attendue en la matière.
Une unité économique et sociale (UES) ayant été reconnue entre plusieurs sociétés, un syndicat avait assigné les différents éléments de cet ensemble afin de faire juger qu'elles étaient toutes co-employeur des salariés de l'une des sociétés. La cour d'appel avait estimé que l'action était recevable en raison de l'atteinte portée à l'emploi des salariés et à leur statut puisque la reconnaissance de l'existence de co-employeurs leur permettait de faire valoir leurs droits à l'encontre des deux employeurs et constituait une question de principe susceptible d'entraîner des conséquences pour l'ensemble de la profession.
La Chambre sociale de la Cour de cassation s'oppose à un tel raisonnement. Elle casse la décision des juges du fond au visa de l'article L. 411-11 du Code du travail en estimant que "la reconnaissance d'un contrat de travail est un droit exclusivement attaché à la personne de celui qui se prétend salarié" et, qu'en conséquence, l'"organisation syndicale n'est pas recevable à introduire une telle action".
La Cour de cassation fait donc machine arrière et refoule très nettement les questions relatives au contrat de travail dans le champ des intérêts particuliers des salariés ne pouvant être défendus dans le cadre de cette action par le syndicat. Logique en apparence, cette solution pose, néanmoins, de sérieuses difficultés d'interprétation.
2. Un encadrement particulièrement strict du domaine d'action des syndicats
A première vue, il semble parfaitement logique que la Cour de cassation exclue les actions tendant à faire reconnaître l'existence d'un lien de subordination entre un employeur et un salarié du champ de compétence des syndicats.
En effet, le contrat de travail est certainement l'avatar le plus abouti de l'aspect individuel que peuvent revêtir les relations de travail. Dès lors, toute question afférente, et particulièrement celle de son existence, semble naturellement n'avoir d'intérêt que pour le salarié concerné. La défense d'un intérêt collectif parait bien éthérée.
En outre, cette solution a, probablement, le mérite de clairement circonscrire le domaine des actions en substitution ouverte au syndicat déjà évoquées. Rappelons que celles-ci sont limitativement prévues par le Code du travail. Or, ouvrir trop largement l'action des syndicats pour la défense d'intérêts collectifs, y compris pour des actions dans lesquelles l'intérêt principal en cause est individuel, tendrait à contourner ce caractère limitatif et à permettre, d'une certaine manière, au syndicat d'agir pour le compte de salarié là où le législateur ne l'a pas souhaité.
Néanmoins, en approfondissant la réflexion, on s'aperçoit que la défense des intérêts collectifs n'était peut-être pas si éloignée que la Cour de cassation semble le croire.
Quoique la question principale concerne l'existence d'un contrat de travail, un argument de taille militait, néanmoins, pour l'ouverture de l'action aux syndicats.
L'idée avait été soulevée par la cour d'appel, la doctrine ayant déjà proposé une telle interprétation (14). Il s'agissait de considérer que, concernant une question de principe, l'ensemble de la profession était nécessairement susceptible d'en subir les conséquences.
Le fait que la demande d'établissement du lien de subordination intervienne en marge de la constitution d'une unité économique et sociale n'était pas étranger à une telle appréciation. Le développement croissant de l'UES comme technique d'organisation des entreprises implique que, de plus en plus souvent, les salariés puissent se trouver sous la subordination effective, à défaut d'être juridique, de plusieurs employeurs gérant les différentes sociétés constituant l'unité. Les enjeux de la question sont, également, de taille compte-tenu des incertitudes relatives aux effets de la reconnaissance d'une UES. La question de savoir si les effets doivent se limiter à la représentation du personnel ou doivent s'étendre à d'autres domaines, tel que, par exemple, le fait de rendre chaque dirigeant de société co-employeur de tous les salariés de l'UES, reste encore en suspens (15).
En rendant cette solution, la Chambre sociale de la Cour de cassation change radicalement de cap. Qu'il s'agisse, ou non, d'une question de principe dont la réponse serait susceptible de concerner tous les salariés de la profession, et même au-delà, ne suffit pas. Il est donc probable que des solutions rendues jusqu'ici puissent être remises en cause, et, notamment, celles ayant trait, de trop près, au contrat de travail. On peut, notamment, penser que les questions relatives à la requalification des contrats de travail ou au licenciement économique qui, comme nous l'avons vu, ont pu faire débat, seraient, désormais, exclues du domaine du droit d'ester en justice des syndicats.
Le contrat de travail est donc hissé en étendard de la relation individuelle de travail. Pourtant, à n'en pas douter, l'ensemble des salariés français est titulaire d'un contrat de travail...
Décision
Cass. soc., 23 janvier 2008, n° 05-16.492, Société Amadeus France service, FP-P+B (N° Lexbase : A0883D4H) Cassation partielle sans renvoi, cour d'appel de Versailles, 14ème ch. civ., 13 avril 2005 Texte visé : C. trav., art. L. 411-11 (N° Lexbase : L6313ACS) Mots-clés : Syndicat ; action en justice ; existence d'un contrat de travail ; capacité d'ester en justice (non). Liens base : |
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Réf. : Décret n° 2007-1827 du 26 décembre 2007, relatif au droit de préemption des communes sur les fonds de commerce, les fonds artisanaux et les baux commerciaux (N° Lexbase : L6840H3Q)
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N0345BEI
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par Julien Prigent, Avocat à la cour d'appel de Paris
Le 07 Octobre 2010
Seront étudiés, dans le cadre du présent commentaire, les effets de l'exercice par une commune du droit de préemption. Les dispositions relatives au champ d'application et aux modalités de mise en oeuvre de ce droit ont été étudiées dans un précédent article (*).
IV - Les effets de l'exercice du droit de préemption
A - La signature d'un acte constatant la cession
En cas d'acquisition du fonds ou bail par le titulaire du droit de préemption, le nouvel article R. 214-9 prévoit que l'acte constatant la cession doit être dressé dans un délai de trois mois suivant la notification de l'accord sur le prix et les conditions indiqués dans la déclaration préalable, ou, de la décision judiciaire devenue définitive, fixant le prix et les conditions de la cession, ou, suivant la date de l'acte ou du jugement d'adjudication.
En l'absence de dispositions contraires, il semblerait que les stipulations du bail relatives à la cession devront, lorsqu'elles ne sont pas incompatibles avec le droit de préemption, être respectées.
Le prix est payé au moment de l'établissement de l'acte constatant la cession, sous réserve de l'application des dispositions des articles L. 141-12 (N° Lexbase : L3900HB3) et suivants du Code de commerce, relatifs aux mesures de publicité et à l'opposition des créanciers inscrits.
B - L'obligation de rétrocéder
1. L'obligation de rétrocession dans le délai d'un an
Si la commune souhaite exercer son droit de préemption, elle doit, dans le délai d'un an à compter de la prise d'effet de la cession, rétrocéder le fonds artisanal, le fonds de commerce ou le bail commercial (C. urb., art. L. 214-2 N° Lexbase : L5588HBL).
Lorsque la rétrocession porte sur un bail commercial, ce délai d'un an est suspendu à compter de la notification du projet d'acte au bailleur et jusqu'à l'obtention de son accord ou de la décision de justice s'y substituant (voir infra).
Pendant ce délai d'un an, le local ne sera pas exploité.
L'article 58 de la loi du 2 août 2005 avait modifié, par ajout d'une nouvelle phrase, l'article L. 145-2, II, du Code de commerce (N° Lexbase : L3989HBD). Dans leur rédaction initiale, ces dispositions prévoyaient seulement l'exclusion de l'application du statut des baux commerciaux aux autorisations d'occupation précaire accordées par l'administration sur un immeuble acquis par elle, à la suite d'une déclaration d'utilité publique. Désormais, aux termes de cet ajout, ces dispositions seront également inapplicables aux fonds artisanaux, aux fonds de commerce ou aux baux commerciaux, préemptés par une commune, pendant la durée d'un an avant l'expiration de laquelle la rétrocession devra intervenir. Cette suspension de l'application du statut pendant cette période soulève de nombreuses interrogations (sur ce point, voir J.-P. Blatter, Interrogations autour du nouveau droit de préemption des communes, AJDI, 2005, p. 705).
Aux termes du nouvel article R. 214-16 du Code de l'urbanisme, si la rétrocession n'est pas intervenue à l'expiration du délai d'un an à compter de la prise d'effet de l'acquisition par le titulaire du droit de préemption, l'acquéreur évincé, dans le cas où son identité a été mentionnée dans la déclaration préalable prévue à l'article R. 214-4, bénéficie d'un droit de priorité d'acquisition. Ce droit de priorité semble, toutefois, illusoire, puisqu'il est probable qu'un an après la cession envisagée, le fonds aura disparu et, qu'en tout état de cause, l'acquéreur ne sera plus intéressé (voir A. Jacquin, Droit de préemption des communes sur les fonds artisanaux, les fonds de commerce et les baux commerciaux, projet de décret (3ème version), Gaz. Pal., mercredi 25, jeudi 26 juillet 2007, p. 4).
Rien n'est prévu quant au sort du bail commercial au-delà du délai d'un an, si aucune rétrocession n'intervient. Dans la mesure où les dispositions du statut des baux commerciaux s'appliqueront à l'expiration de ce délai, le bailleur devrait pouvoir demander la résiliation du bail (en ce sens, voir D. Dutrieux, Les cessions de fonds de commerce, de fonds artisanaux et de baux commerciaux désormais soumises au droit de préemption, JCP éd. N, 2005, p. 1377), par exemple, pour défaut d'exploitation des lieux loués. Compte tenu de l'esprit de la loi, il semble évident qu'une telle demande ne pourrait prospérer, tant que le délai dans lequel la commune doit rétrocéder n'est pas expiré.
2. L'obligation de rétrocession, en vue du maintien de la diversité de l'activité commerciale et artisanale
Aux termes de l'article L. 214-2 du Code de l'urbanisme, la rétrocession doit s'effectuer en vue d'une exploitation destinée à préserver la diversité de l'activité commerciale et artisanale dans le périmètre concerné.
La notion d'"exploitation destinée à préserver la diversité de l'activité commerciale et artisanale" est large et ne devrait pas concerner, seulement, les commerces de bouche, souvent cités à l'occasion des travaux parlementaires.
Un risque de contentieux existe sur le choix de la commune, qui pourrait porter sur la question de savoir si le nouveau commerce élu permet, ou non, de préserver la diversité de l'activité commerciale et artisanale.
3. L'immatriculation du bénéficiaire de la rétrocession
L'article L. 214-2 du Code de l'urbanisme impose que la rétrocession du fonds artisanal, fonds de commerce ou bail commercial, soit effectuée au profit d'une entreprise immatriculée au registre du commerce et des sociétés ou au répertoire des métiers. Pour être précis, la rétrocession n'aura pas lieu au profit d'une "entreprise" mais d'une personne physique ou morale.
L'alinéa 2 du nouvel article R. 214-12 du Code de l'urbanisme précise, d'ailleurs, que les personnes candidates à la rétrocession devront justifier de leur immatriculation au registre du commerce et des sociétés ou au répertoire des métiers.
Ce texte prévoit, également, que, lorsque les candidats seront établis dans un autre Etat membre de l'Union européenne, ils pourront justifier d'un titre équivalent, leur conférant ou leur reconnaissant la qualité de commerçant ou d'artisan.
C - La publicité préalable à la rétrocession
Le nouvel article R. 214-12, alinéa 1, du Code de l'urbanisme prévoit qu'avant toute décision de rétrocession, le maire doit publier, par voie d'affichage en mairie, pendant une durée de quinze jours, un avis de rétrocession.
Cet avis comportera un appel à candidatures, la description du fonds ou du bail, le prix proposé et mentionnera que le cahier des charges peut être consulté en mairie.
Lorsque la rétrocession portera sur un bail commercial, l'avis devra, également, préciser que la rétrocession sera subordonnée à l'accord préalable du bailleur (voir infra).
L'avis indiquera, enfin, le délai dans lequel les candidatures devront être présentées.
D - L'accord ou l'opposition du bailleur en cas de rétrocession d'un bail commercial
En cas de rétrocession d'un bail commercial, l'accord préalable du bailleur est exigé, à peine de nullité, et doit figurer dans l'acte de rétrocession (C. urb., art. L. 214-2, précité).
Le nouvel article R. 214-13 du Code de l'urbanisme met en oeuvre ces dispositions.
Il prévoit qu'en cas de rétrocession d'un bail commercial, le maire devra recueillir l'accord préalable du bailleur sur le projet d'acte, accompagné du cahier des charges qu'il lui aura transmis, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception.
Si le bailleur entend s'opposer au projet de rétrocession, il devra saisir, "en la forme du référé", le président du tribunal de grande instance du lieu de situation de l'immeuble dont dépendent les lieux loués, pour faire valider son opposition à la rétrocession.
Le bailleur devra, alors, notifier à la commune, dans le délai de deux mois suivant la réception du projet d'acte, la saisine motivée de la juridiction. A défaut, il sera réputé avoir donné son accord à la rétrocession.
Le texte est muet sur les raisons qui pourraient légalement conduire le bailleur à refuser la cession et il appartiendra à la jurisprudence de le préciser.
La question se pose toujours, à cet égard et, notamment, de savoir si la rétrocession peut avoir lieu au profit d'une nouvelle activité donc, éventuellement, en contrariété avec la destination contractuelle. Un auteur le pense et a relevé les questions que suscitera, le cas échéant, ce nouveau droit de déspécialisation légale (voir J.-P. Blatter, Interrogations autour du nouveau droit de préemption des communes, précité).
Le délai d'un an, imparti à la commune pour procéder à la rétrocession, sera suspendu à compter de la notification du projet d'acte au bailleur jusqu'au recueil de son accord ou, à défaut d'accord, pendant la durée de la procédure, jusqu'à l'intervention d'une décision juridictionnelle définitive.
La cession ne pourra intervenir avant le terme de cette procédure, sauf accord exprès du bailleur.
E - La décision de rétrocéder
Aux termes du nouvel article R. 214-14 du Code de l'urbanisme, la rétrocession devra être autorisée par délibération du conseil municipal, qui devra indiquer les conditions de la rétrocession et les raisons du choix du cessionnaire.
F - Les mesures de publicité de la rétrocession
Dans le mois suivant la signature de l'acte de rétrocession, le maire devra procéder à l'affichage en mairie, pendant une durée de quinze jours, d'un avis comportant :
G - L'exécution de l'acte de rétrocession
L'acte de rétrocession d'un fonds de commerce devra être effectué dans le respect des dispositions du Code de commerce relatives à la cession du fonds de commerce (C. urb., art. L. 214-2, renvoyant aux dispositions des articles L. 141-1 N° Lexbase : L5666AIP et suivants du Code de commerce).
L'acte de rétrocession devra, également, prévoir les conditions dans lesquelles il peut être résilié, en cas d'inexécution par le cessionnaire du cahier des charges (C. urb., art. L. 214-2).
Le nouvel article R. 214-11 du Code de l'urbanisme impose l'approbation du cahier des charges, par délibération du conseil municipal, et prévoit que ce cahier comportera les clauses permettant d'assurer le respect des objectifs de diversité de l'activité commerciale ou artisanale.
(*) La première partie de ce commentaire a été publiée dans Lexbase Hebdo n° 290 du 31 janvier 2008 - édition privée générale (N° Lexbase : N8659BD3).
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Le 07 Octobre 2010
Lors de la rédaction de la loi fondatrice et fondamentale du 13 juillet 1930 sur le contrat d'assurance, une place non négligeable fut réservée à l'assurance en cas d'incendie. Huit articles y étaient consacrés, alors que seulement quatre traitaient des assurances de responsabilité. Au-delà de l'évolution de cette dernière dans les proportions que chacun sait, la modernisation des techniques et des bâtiments a été telle que les hypothèses d'incendie se sont raréfiées. Les pourcentages, dans cette branche des assurances, sont parmi les plus faibles qui soient, et l'on ne peut que s'en féliciter. Certes, quelques sinistres spectaculaires, ces toutes dernières années, notamment à Paris, ont démontré que ce risque n'avait pas tout à fait disparu. Pour autant, sur le plan de la théorie juridique, on pouvait penser que plus aucune nouveauté n'était à attendre dans ce secteur.
Un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation, en date du 19 septembre 2007, vient de démentir cette appréciation éventuelle. Assez curieusement, il est passé inaperçu. Pourtant, en cette année 2007, qui fut sans doute celle de la consécration de l'obligation d'information à la charge de l'assureur ou de ses représentants au bénéfice de l'assuré, cette décision aurait pu davantage attirer l'attention. Non pas que les faits aient été originaux. Un incendie était survenu dans un immeuble. Bien que la démarche ne soit pas si fréquente, le propriétaire, M. X, avait confié à une société d'expertise en assurance une mission d'assistance en vue d'évaluer les dommages subis à l'issue du sinistre. Il n'avait sans doute pas une confiance absolue dans le travail de l'expert de son assureur. Quoiqu'il en soit, l'assureur verse à la fois une indemnité au propriétaire et fait démolir l'immeuble endommagé.
Or, peu après, la propriétaire de l'immeuble contigu, Madame Y, estimant être, elle-même, victime d'un préjudice résultant de l'incendie et de la décision de démolition de l'immeuble de M. X, assigne ce dernier en responsabilité et indemnisation. M. X appelle alors en garantie son expert en assurance auquel il reproche un manquement à son obligation de conseil. Pour comprendre la raison de ce grief, il faut savoir que les dommages, dont souffraient Madame Y, n'entraient pas dans le champ d'application du contrat d'assurance de M. X. Celui-ci ne pouvait donc plus espérer voir ce préjudice pris en charge par son assureur. Ce qu'il voulait faire admettre, c'était donc que le silence de son expert, sur ces conséquences de l'incendie, avait changé son attitude vis-à-vis de son propre assureur. En effet, ce dernier avait offert une option à son assuré, M. X. Ou bien, il obtenait le versement immédiat de l'indemnité d'assurance, mais elle était alors minorée en cas de démolition de l'immeuble ; ou bien, l'indemnité versée était calculée en valeur à neuf en cas de reconstruction de l'immeuble. En choisissant la première branche de l'alternative, à défaut de plus amples éléments d'information fournis par l'expert qu'il avait sollicité, M. X considérait qu'il avait fait le mauvais choix.
La décision des premiers juges reste inconnue. La cour d'appel de Douai considère qu'il n'entrait pas dans la mission du cabinet d'expertise, sollicité par M. X, d'évaluer les dommages subis par l'immeuble voisin qui n'étaient pas garantis par le contrat d'assurance et qu'aucun manquement à l'obligation d'information de l'expert ne pouvait être relevée. Autrement dit, les magistrats admettaient volontiers que l'expert était tenu d'une obligation d'information contractuelle ; toutefois ils limitaient celle-là non pas aux termes du contrat d'assistance, de conseil conclu entre l'entreprise et M. X, mais aux dispositions contractuelles issues du contrat d'assurance passé entre l'assureur et M. X. Présentée ainsi, la solution ne faisait plus trop de doutes. La Cour de cassation ne s'y est pas trompée. Elle a décidé que la société d'expertise devait fournir à son mandant "tous les renseignements lui permettant d'exercer, en toute connaissance de cause, l'option offerte par le contrat d'assurance".
Le raisonnement de la Cour de cassation ne peut qu'être approuvé. Il convenait de ne pas confondre les deux contrats conclus par M. X. Tous deux étaient parfaitement distincts ; ils avaient un contenu différent. Surtout, il n'est pas habituel qu'un assuré fasse appel à une société d'expertise. Et lorsqu'il le fait, c'est, à l'évidence, pour recueillir des précisions plus pointues que celles qu'il redoute de recevoir, sommaires, de la part de son assureur. D'ailleurs, la société d'expertise n'arguait pas d'une restriction ou limitation quelconque de ses attributions qui aurait été insérée dans ce contrat d'assistance technique. La mission avait été conçue dans un sens large. C'est donc juridiquement, à juste titre, que la Cour de cassation fondait sa cassation sur l'article 1147 du Code civil (N° Lexbase : L1248ABT), et non pas sur un texte quelconque du Code des assurances.
Au-delà de cet aspect de la décision, ce qui appelle une réaction c'est la dernière partie de phrase que la Cour de cassation a jugé bon d'ajouter, alors que rien ne l'y obligeait. Elle précise que la société chargée de l'expertise devait "mettre en garde" son mandant sur les conséquences de son choix. En d'autres termes, l'expert devait assurer une mission technique d'évaluation du dommage, mais celle-ci supposait, également, l'examen du contrat d'assurance, de ses options et de ses limites. L'expression de mise en garde, quelques mois après l'arrêt d'Assemblée Plénière de la Cour de cassation en date du 2 mars 2007 (1), ne laisse pas indifférent. La formule n'est ni accidentelle, ni innocente. Elle signifie, semble-t-il, que la Cour suprême n'entend pas l'utiliser uniquement dans le cadre strict des assurances de groupe conclues avec des organismes financiers. Du domaine des assurances de personnes, on est donc passé aux assurances de dommages ce qui n'est pas rien. Car, si, depuis les années 1980, la jurisprudence a fait preuve de sévérité croissante dans le cadre des assurances vie, aucune répercussion particulière n'avait jusqu'alors été relevée en assurances de dommages.
Plus encore, il est permis de s'interroger pour savoir si cet arrêt ne constitue pas le prélude de la transposition de la jurisprudence appliquée en droit des assurances à celle devant, désormais, être adoptée dans d'autres secteurs du droit, dans d'autres contrats spéciaux. Les illustrations possibles ne manqueraient pas. Et l'occasion serait, ainsi, donnée de démontrer la force créatrice de l'assurance et son influence sur le droit commun des contrats. A l'heure où, tout au moins, son autonomie ne cesse d'être affirmée, un tel rôle (2), même ponctuel, ne serait pas étonnant (3). A suivre....
Véronique Nicolas
Professeur de droit privé
Membre de l'IRDP de la Faculté de droit de Nantes
De tous temps, les entreprises d'assurance ont été l'objet d'un contrôle étatique strict en matière financière (4). Au XVIIIème siècle encore, une autorisation devait être sollicitée du Roi pour créer une société d'assurance et une somme d'argent très importante était versée à la ville de Paris, sorte de garantie envers les divers assurés (5). Les mutuelles, lorsqu'elles furent créées, n'échappèrent pas non plus à la règle. Néanmoins, celles-ci bénéficièrent d'un statut et d'une réglementation propres. Or, au cours de ces dernières années avec l'instauration du droit européen, l'existence de deux régimes distincts régissant les entreprises d'assurance et les mutuelles pouvait être source, notamment, d'atteintes au droit de la concurrence. La décision fut donc prise -pour s'en tenir au contrôle- d'adopter une réglementation commune ou tout au moins un rapprochement le plus intense possible en matière de contrôle de ces diverses entreprises d'assurance au sens large de cette dernière expression.
Comme chacun le sait, l'ordonnance n° 2001-350 du 19 avril 2001, tendant à la fusion des secteurs de l'assurance, de la mutualité et de la prévoyance (N° Lexbase : L2232ASH) avait posé les premières pierres de l'édifice, s'attachant, toutefois, en priorité aux contrats d'assurance eux-mêmes. La loi n° 2003-706 du 1er août 2003, dite de sécurité financière (N° Lexbase : L3556BLB) (6), a poursuivi l'oeuvre entreprise en se préoccupant plus du contrôle des entreprises d'assurance. C'est ainsi qu'elle a opéré la fusion de la Commission de contrôle des assurances (CCA) et de la Commission de contrôle des mutuelles et des institutions de prévoyance (CCMIP). De celle-ci est née la CCAMIP ou Commission de contrôle des assurances, des mutuelles et des institutions de prévoyance. Sa création effective a été réalisée en juillet 2004 (7). Mais la loi n° 2005-1564 du 15 décembre 2005 a simplifié sa dénomination au profit du sigle de l'ACAM, Autorité de contrôle des assurances et des mutuelles (loi n° 2005-1564, portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de l'assurance N° Lexbase : L5277HDS).
Pour mémoire, il n'est peut-être pas inutile de rappeler que l'ACAM comprend deux organes : le collège, qui est l'organe de décision, et les services du secrétariat général, qui constituent l'organe de contrôle matériel et effectif. Composé de neuf membres désignés pour 5 ans, renouvelables une fois, le collège est présidé par un inspecteur général des finances, nommé par décret du Président de la République. Ce collège est composé d'un membre de droit, le Gouverneur de la Banque de France, président de la Commission bancaire et de Hauts magistrats, une vice-présidente, conseiller maître à la Cour des comptes, un conseiller d'Etat, un conseiller honoraire à la Cour de cassation. Les autres membres sont sollicités eu égard à leurs compétences et connaissances. Sinon, l'ACAM est composée de divers services qui sont encadrés par un secrétariat général placé sous l'ancienne directrice de la CCA, Florence Lutsman.
Mais l'important consiste dans les pouvoirs de l'ACAM, qui sont vastes. Son champ d'intervention s'étend à toutes les entreprises relevant du Code des assurances, comme du Code de la mutualité et du Code de la Sécurité sociale. En outre, pour assurer à cette haute institution l'autonomie et l'autorité indispensables, elle a été dotée du statut d'autorité publique indépendante. Ses missions consistent à veiller au respect de l'ensemble de la réglementation, comme notamment les règles prudentielles et de bonne gouvernance applicables aux entreprises d'assurance, aux mutuelles et même aux intermédiaires d'assurance, qui ont été édictées par le législateur afin de protéger les assurés contre les risques de leur défaillance financière. Mais l'ACAM est aussi chargée de la prévention contre le blanchiment des capitaux, comme de la réflexion nécessaire à la proposition de nouvelles règles. Sur le plan matériel, c'est le secrétariat général qui saisit le collège de l'ACAM au moyen d'un rapport, lorsqu'il apparaît qu'une institution relevant de son contrôle a violé la réglementation. Deux principales mesures peuvent être adoptées par l'ACAM : soit des mesures administratives de sauvegarde, soit des sanctions disciplinaires que la décision du 30 novembre 2007 rappelle en détail. Ce souci constant du législateur s'explique par le montant des sommes en jeu, en progression constante.
Depuis sa création, onze affaires au total ont été soumises à la sagacité du Conseil d'Etat. Toutefois, seules certaines décisions ont fait l'objet d'une publication au Recueil Lebon, dont celle émanant de la section du contentieux, sur le rapport de la 8ème sous-section et lue le 30 novembre 2007, qui appelle quelques remarques. Mais à notre connaissance, c'est la première fois que, dans de telles circonstances, le Conseil d'Etat est saisi. En effet, deux sortes de décisions relatives à des demandes de particuliers adressées à l'ACAM avaient pu certes être rendues. Ou bien, en référé, des individus s'étaient plaints d'avoir été l'objet d'une discrimination raciale (CE, 3 mars 2006, n° 289561, Union des mutuelles de prévoyance de la Martinique N° Lexbase : A7841DNQ et même CE, 26 novembre 2007, n° 310813, M. Ekokondzo O. N° Lexbase : A0249D3M). Ou bien, la demande concernait deux décisions de prolongation de placement d'une mutuelle sous administration provisoire (CE, 27 février 2007, n° 301231, M. Sébastien Glane N° Lexbase : A5856DUG). Quant aux décisions du Conseil d'Etat, statuant au contentieux, elles furent rares. Seule une décision en date du 26 juillet 2006 doit être mentionnée (CE, 26 juillet 2006, n° 289560, UMPM Martinique N° Lexbase : A8066DQS). Cependant, l'affaire était éloignée de celle qui nous intéresse, puisqu'il s'agissait d'une demande d'annulation d'une décision de l'ACAM ayant refusé de renouveler des conventions de substitution conclues avec une quinzaine de mutuelles.
Par conséquent, la décision du 16 novembre 2007, lue le 30 novembre 2007, appelle une attention particulière. D'une part, elle émanait de particuliers ayant sollicité de l'ACAM la mise en oeuvre d'une procédure disciplinaire à l'encontre de la société Aviva vie, sur le fondement de l'article L. 310-18 du Code des assurances (N° Lexbase : L9773HEP). D'autre part, le reproche adressé à l'entreprise consistait en l'existence prétendue d'un provisionnement de sommes insuffisant eu égard aux risques auxquels elle était exposée. En effet, selon les demandeurs, la société d'assurance aurait procédé à une mauvaise exécution de plusieurs types de contrats d'assurance vie offrant la possibilité d'arbitrer à cours connu entre différents supports financiers. Or, le Conseil d'Etat rejette la requête formulée et donne raison à l'ACAM.
Le privatiste qu'est l'auteur de ces quelques lignes ne rentrera pas dans les détails procéduraux pour se concentrer sur le fond de l'affaire. Le Conseil d'Etat prend ainsi le soin de rappeler à la fois l'étendue des pouvoirs d'une autorité administrative indépendante et le contenu de l'article L. 310-18 du Code des assurances. Même si ce n'était pas la première fois, ces rappels étaient vertueux. En effet, les demandeurs, s'ils ne tendaient pas à essayer de faire jouer un rôle excessif à l'ACAM, espéraient néanmoins qu'elle s'octroie une mission plus vaste encore que celle lui ayant été dévolue, ce que les assureurs déplorent toujours, à tort ou à raison. Quoique l'on en pense -et en dépit de la vaste mission dévolue à l'ACAM- le législateur n'a pas souhaité lui donner un blanc seing, en toutes circonstances. On peut louer l'attitude tant de l'ACAM que du Conseil d'Etat. Ayant fait preuve de mesure et, disons le, selon nous, de sagesse. Sans doute pouvait-on conjecturer dès 2006 que la (nouvelle) institution aurait à coeur de ne pas heurter la profession. Il demeure qu'elle aurait pu être contrainte d'adopter, d'entrée de jeu si l'on ose dire, une attitude de sévérité si les faits et circonstances l'avaient exigé. Tel n'est pas le cas et c'est une heureuse opportunité offerte au Conseil d'Etat de fixer les limites du rôle de l'ACAM, tout en rendant une décision empreinte de pragmatisme.
Cette décision plutôt modérée est bienvenue, car il ne sera pas toujours aisé pour l'ACAM de tracer la frontière entre contrôle des décisions prises par une société et immixtion dans la gestion de celle-ci, reproche qui ne manquera pas d'être formulé, fut-il infondé. Tel était le cas dans la présente affaire. Les demandeurs, au-delà du reproche de provisions insuffisantes, étaient dépités des mauvais résultats obtenus eu égard aux décisions de la société Aviva vie que, pour simplifier, nous nommeront décisions de placements. Or, si des opérations périlleuses, voire scabreuses, ne sauraient être admises, tous les résultats peu satisfaisants ne peuvent donner lieu à récrimination. L'ACAM n'a pas vocation à devenir une sorte d'autorité d'arbitrage de tous les mécontentements des assurés vie lorsque la santé financière mondiale n'est pas ce que l'on a pu connaître certaines années ou certaines périodes. Et à l'heure où ces lignes vont être publiées, savoir raison garder apparaît encore plus que jamais nécessaire.
Dans le cas présent, il est permis de s'interroger sur la réalité de la prétendue mauvaise exécution des contrats d'assurance vie alléguée par les demandeurs. Aviva avait-elle vraiment failli à l'exécution de ses obligations contractuelles, ou bien ses placements avaient-ils été malheureux ? Dans cette dernière hypothèse, le contexte économique mondial n'expliquait-il pas, au moins pour partie, ces résultats ? Ne disposant pas de toutes les données chiffrées et des détails des opérations effectuées, nous nous garderons bien de prendre un parti tranché sur ce point. Mais on ne peut manquer de se demander si les individus, qui ont obtenus des gains conséquents à une époque, n'ont pas tendance à refuser d'admettre toute fluctuation du marché. Sinon, on ne dira jamais assez l'importance d'une information complète, en amont, lorsque les assurés sont de véritables profanes. Là se situe peut-être la véritable difficulté qui relève, elle, d'autres juridictions.
Cette décision a, en outre, donné lieu, à n'en pas douter, à une attention particulière de la part du Conseil d'Etat qui, visiblement, s'est fixé une ligne de conduite. En témoigne, une autre décision du Conseil d'Etat, statuant à nouveau au contentieux, rendue quelques jours plus tard, le 5 décembre 2007 (CE, 5 décembre 2007, n° 297436, Association d'aide contre les abus bancaires N° Lexbase : A0218D3H). Une demande de communication d'un rapport de contrôle relatif à des placements de La Poste avait été effectuée auprès de l'ACAM. Or, cette dernière avait refusé de transmettre ce document. Le Conseil d'Etat l'a approuvée en considérant qu'il n'appartient pas au juge administratif de prononcer des injonctions à l'égard de cette autorité administrative. Au-delà du cas d'espèce, c'est à nouveau une juste délimitation des rôles impartis aux uns et aux autres auxquels veille le Conseil d'Etat, non sans raison. En ces temps où la conjoncture économique n'est plus ce qu'elle a pu être et où la contestation devient permanente, il est de bon aloi de ne pas se laisser aller à quelque débordement que ce soit, d'autant plus qu'il a été rappelé que l'ACAM n'est pas ce que l'on peut nommer un nouvel organe de régulation ou de contrôle, sans expérience et connaissance.
Des années de pratiques, sous d'autres appellations, l'ont aguerrie. Elle connaît parfaitement les missions qui sont les siennes, comme le droit d'intervenir de sa propre initiative ou tout simplement le pouvoir souverain d'appréciation des affaires qui lui sont soumises en se fondant sur la gravité des manquements selon un contexte donné, à une époque précise en fonction des divers intérêts généraux qu'elle doit préserver et protéger. Il demeure que son pouvoir n'est pas sans limites. Ces dernières ne s'entendent pas d'une longue liste d'interdictions et de seuils à ne pas franchir, mais d'un principe érigé en quasi philosophie générale que le Conseil d'Etat rappelle : l'ACAM ne dispose pas que d'un pouvoir de sanction, mais aussi de veille de la sécurité du marché. Certes, le second a besoin du premier pour se faire respecter ; néanmoins, il peut aussi s'exercer sans autres attributs.
Enfin, le juriste, peu familier de ces vérifications financières et comptables, se permet, toutefois, pour conclure, d'indiquer qu'il voit d'un bon oeil le recrutement de juristes depuis plusieurs mois au sein de cette institution. Cette évolution traduit, sans doute, le souci de ne pas laisser se développer sur le marché des contrats susceptibles de créer trop de difficultés et de nuire aux assurés comme à l'image des assureurs. C'est, en effet, en amont, qu'il convient d'intervenir pour éviter d'avoir, a posteriori, à sanctionner des attitudes ayant déjà causé divers préjudices. L'ancienne direction des assurances qui assumait autrefois un rôle plus actif de vérificateur des engagements proposés par les assureurs avait progressivement été plus sollicitée sur le terrain d'autres opérations, dans tous les sens de l'expression. Une reprise effective de cette mission qui, certes, n'est pas énoncée dans la loi de sécurité financière du 1er août 2003, ne serait sans doute pas néfaste pour bon nombre d'assurés auxquels sont soumis des contrats d'adhésion dont ils ne peuvent guère apprécier et encore moins discuter les termes et les clauses. L'assainissement et le bon fonctionnement du marché est à ce prix. Il incombe donc, avant tout, au législateur de savoir intervenir à bon escient....
Véronique Nicolas
Professeur de droit privé
Membre de l'IRDP de la Faculté de droit de Nantes
A la croisée du droit des assurances et du droit des procédures collectives, voici un arrêt de censure qui, s'il n'est pas nouveau du point de vue du droit des procédures collectives (ce qui explique sans doute son absence de publication au Bulletin), surprendra tous ceux qui ne sont pas familiers des logiques propres à cette branche du droit. On ajoutera que les spécialistes de la matière savent, également, combien la détermination de la nature antérieure ou postérieure (par rapport au jugement d'ouverture de la procédure) de la créance, c'est-à-dire l'identification du fait générateur de la créance, pose problème, spécialement pour les contrats à exécution successive (8). Ajoutons qu'il est légitime de s'interroger sur le point de savoir si l'aléa du contrat d'assurance, qui imprime à ce contrat synallagmatique à exécution successive une spécificité supplémentaire, ne serait pas de nature à infléchir l'analyse. La cour d'appel l'avait ici pensé et proposait une inflexion de la jurisprudence de la Cour de cassation fondée sur "la spécificité du contrat d'assurance". La censure indique que la Haute juridiction n'a pas souhaité modifier son analyse, contenue jusqu'alors, semble-t-il, dans un précédent rendu le 5 juillet 2005 (9).
Les faits, tels que la lecture de l'arrêt permettent de les comprendre, étaient les suivants : un assureur de responsabilité décennale couvre un entrepreneur par une police contenant une franchise, ce qui est fort classique. L'entrepreneur est mis en redressement judiciaire et un plan de continuation est arrêté. L'assureur, après avoir indemnisé le maître de l'ouvrage (ou remboursé l'assureur dommages-ouvrage, l'arrêt ne précise pas), auquel la franchise est inopposable, assigne son assuré en paiement de cette franchise.
La cour d'appel d'Aix-en-Provence a accueilli cette demande bien, qu'elle fût formée longtemps après épuisement du délai de deux mois pour déclarer sa créance (aujourd'hui prévu par l'article R. 622-24 du Code de commerce N° Lexbase : L0896HZ9), en considérant que le fait générateur de "la créance indemnitaire fondée sur le contrat d'assurance ne naît que de la réalisation de l'aléa assuré", de sorte que "à la date du jugement d'ouverture l'assureur n'avait pas la qualité de créancier puisque sa créance, quoiqu'elle trouve sa source dans le contrat d'assurance ne naît que de la réalisation de l'aléa assuré, l'aléa ne s'étant pas concrétisé, la déclaration de sinistre du maître de l'ouvrage étant de loin postérieure au jugement d'ouverture et qu'en juger autrement reviendrait à exiger la déclaration de créances pas même éventuelles mais inexistantes fautes d'être nées tant en leur principe qu'en leur montant et à méconnaître la spécificité du contrat d'assurance lorsque l'obligation de l'assureur repose sur l'aléa".
Comment ne pas voir dans cette analyse un modèle de logique ? Il semble indéniable que la créance de l'assureur à l'endroit de son assuré, pour recouvrer la franchise, n'existe pas au jour de l'ouverture de la procédure collective, puisque à cette date le maître de l'ouvrage (ou son assureur dommages-ouvrage) n'a même pas agit contre l'assureur responsabilité décennale. Comment, dans ces circonstances, envisager l'hypothèse que l'assureur pourrait avoir à recouvrer la franchise dans l'hypothèse où lui-même viendrait à être saisi d'une demande d'exécution de sa garantie ? La créance de franchise est subséquente d'une dette d'indemnité qui n'est même pas née ! Raisonner autrement passe par l'admission d'une créance "en germe" ou "virtuelle". Or, cette analyse a les faveurs de la Cour de cassation, même si l'on doit noter qu'elle ne pousse pas cette logique en toutes circonstances, d'où de légitimes interrogations (10).
C'est, en tout cas, l'analyse qu'elle privilégie ici en censurant, au visa des articles L. 621-43 (N° Lexbase : L6895AI9) et L. 621-46 (N° Lexbase : L6898AIC) du Code de commerce dans leur rédaction antérieure à la loi du 26 juillet 2005 (N° Lexbase : L5150HGT, il faut aujourd'hui consulter les articles L. 622-24 N° Lexbase : L3744HBB et L. 622-26 N° Lexbase : L3746HBD), au motif que "la créance de l'assureur sur son assuré au titre du paiement de la franchise contractuelle trouve son origine dans le contrat d'assurance". La solution semble entendue : le contrat d'assurance, conclu antérieurement à l'ouverture de la procédure collective, constitue le fait générateur de la créance. Peu importe donc qu'au moment de l'ouverture de la procédure le contrat n'ait pas même reçu le "début d'un commencement" de nécessité d'une exécution pour l'assureur. Qu'importe la date de l'exécution de la contre-prestation, qu'importe la date de réalisation de l'aléa, seule importe la date de formation du contrat d'assurance. L'assureur doit donc, à l'ouverture de la procédure, déclarer sa créance (le montant de la franchise) pour le cas où celle-ci viendrait à se réaliser..., déclarer sa créance en germe. L'analyse se recommande d'une distinction entre la naissance de la créance et son exigibilité, la créance de l'assureur existant dans son principe dès la conclusion du contrat, seule son exigibilité étant reportée dans le temps et soumise à l'évènement aléatoire.
Pourtant, il est des auteurs qui défendent le principe, appliqué avant de connaître semble-t-il un certain reflux, selon lequel la naissance de la créance procède, en matière de procédures collectives, non de la conclusion du contrat, moment de rencontre des volontés (dite parfois thèse "volontariste"), mais de l'exécution de la prestation (dite parfois thèse "matérialiste"). Ceci vaudrait particulièrement pour les contrats à exécution successive, tel le bail, à propos desquels un auteur a soutenu que "le louage de choses, le contrat de travail, le contrat de rente viagère donnent naissance à des obligations successives de travaux, paiements des salaires à chaque échéance, versement de la rente à chaque terme fixé, n'est pas une fraction de la prestation unique, mais constituant chacune une prestation indépendante" (11). Plus récemment, un auteur a vigoureusement soutenu que "la théorie selon laquelle les obligations contractuelles naissent toujours au moment de la conclusion du contrat pêche par son caractère trop général" (12), défendant l'idée que les créances naissent de l'exécution ou que les créances de réparation naissent de la survenance du fait dommageable. D'autres auteurs partagent cette analyse selon laquelle "le rattachement de la créance de responsabilité à la conclusion du contrat ne peut s'expliquer que par la persistance du préjugé volontariste : même le défaut d'exécution du contrat découlerait de la rencontre des volontés. Sans doute ne peut-il être question de responsabilité contractuelle si un contrat n'a pas été valablement conclu ! Mais la date de passation du contrat est, en soi, peu significative. Dès lors qu'il s'agit de responsabilité civile (délictuelle ou contractuelle, peu importe) rationnellement on ne peut placer la naissance du droit à réparation avant l'arrivée du dommage, comme si le présupposé était que le contrat serait mal exécuté !" (13). Madame Saint-Alary-Houin partage cette opinion selon laquelle "lorsque le contrat est un contrat à exécution successive, le droit des procédures collectives retient [la solution selon laquelle] c'est l'exécution de la créance qui constitue le fait générateur de la créance [...] contrairement au principe habituel selon lequel l'obligation naît du contrat lui-même" (14).
Les partisans de cette thèse ont cherché à convaincre de la compatibilité de cette analyse avec la jurisprudence de la Cour de cassation qui considère, s'agissant de l'action en garantie des vices cachés intentée par l'acheteur contre le vendeur mis en redressement, que "la créance née de la garantie des vices cachés a son origine au jour de la conclusion du contrat et non au jour de la révélation du vice" (15). On a ainsi rétorqué que "le vendeur n'a pas rempli son obligation de délivrer une chose non viciée" (16), de sorte que l'inexécution du contrat serait concomitante à la conclusion du contrat et que cette jurisprudence ne serait pas incompatible avec "l'expression d'un principe de naissance des créances de réparation à la date de l'inexécution de l'obligation" (17). L'effort de justification est louable, bien qu'il puisse être critiqué (n'est-ce pas confondre défaut de conformité -lié, lui, à la délivrance- et vice caché ?). D'autres ont plus directement critiqué cette jurisprudence en matière de vices cachés, tel P. Jourdain (18) qui souligne que ce rattachement de la réparation à l'obligation de garantie qui naît au jour du contrat de vente ne vaut que pour l'obligation de couverture et non pour l'obligation de règlement, qui est seule en cause lorsqu'il s'agit de dater la créance de réparation, et qui n'apparaît qu'avec le dommage. Ce propos, que nous approuvons, est pleinement transposable à la garantie d'assurance, donc à la créance subséquente de l'assureur contre son assuré pour recouvrer la franchise. Se rattacher à ce courant conduit donc à considérer que ce qui donne naissance à la créance de recouvrement de la franchise par l'assureur auprès de l'assuré est la réalisation du sinistre.
Mais tous ces efforts doctrinaux ne doivent pas masquer le fait que le droit positif s'est globalement orienté vers la thèse dite "volontariste" (liée à l'accord de volonté donc à la formation du contrat) plutôt que vers la thèse "matérialiste" (liée à l'exécution de la prestation). Ainsi, pour le recours d'une caution contre son cofidéjusseur, à propos duquel la Chambre commerciale a jugé, en 2004 (19), que la date de naissance de cette créance est la date de naissance de l'engagement de la caution (en l'espèce antérieure au jugement d'ouverture) et non au jour où la caution s'était acquitté de sa dette. C'est, au nom d'une unité de la jurisprudence, que A. Lienhard avait accueilli favorablement le précédent sur la question de la créance de franchise contractuelle de l'assureur constitué par l'arrêt précité du 5 juillet 2005, l'assureur se retournant contre son assuré alors qu'il a dû s'exécuter de son obligation de garantie postérieurement au jugement d'ouverture étant dans une position similaire à celle de la caution susmentionnée.
Le souci d'une ligne jurisprudentielle est certes légitime, mais on n'oubliera pas de mentionner qu'en matière de contrats à exécution successive, cette unité n'est pas de mise, puisque, comme on l'a noté encore tout récemment : "La doctrine civiliste enseigne volontiers que le fait générateur d'une créance contractuelle doit être trouvé dans la conclusion du contrat. Cette solution n'est pas toujours appliquée, en droit des procédures collectives, puisque l'on voit parfois dans la contre-prestation attendue [...] le fait générateur de la créance. La solution est, par exemple, posée en matière de créance de loyers d'un bail. La Cour de cassation estime ainsi que le loyer "à cheval" sur une période antérieure au jugement d'ouverture et sur une période postérieure audit jugement doit être fractionné en deux créances distinctes, l'une antérieure, l'autre postérieure (Cass. com., 28 mai 2002, n° 98-14.259, FS-P N° Lexbase : A7930AYD, D. 2002, AJ p. 2124, obs. A. Lienhard ; RTD com. 2002, p. 726, obs. A. Martin-Serf ; Act. proc. coll., 2002/13, n° 172, obs. J. Vallansan et C. Golhen ; JCP éd. E, 2003, chron. 231, p. 269, n° 10, obs. P. Pétel ; Rev. proc. coll. 2003, p. 146, n° 4, obs. C. Saint-Alary-Houin), ce qui fait clairement apparaître que le fait générateur de la créance de loyer est trouvé dans la contrepartie fournie au locataire, c'est-à-dire la jouissance procurée. La solution ne manque pas d'ailleurs d'être en contradiction avec les solutions posées en matière de cession Dailly de créance de loyers, de saisie-attribution de créances de loyers ou encore de cautionnement de créances de loyers en cas de fusion-absorption, car, dans tous ces domaines, le fait générateur de la créance de loyer est trouvé dans la conclusion du contrat et non dans la jouissance procurée" (20). L'analyse vient d'être appliquée à la créance d'indemnité de remboursement anticipé incluse dans un prêt, exigible en cas de déchéance du terme, qualifiée de créance antérieure comme étant née du prêt conclu avant le jugement d'ouverture avec un établissement de crédit et devant, comme telle, être déclarée au passif (21).
Pour illustrer les contradictions de la jurisprudence, Mme Béhar-Touchais (22), s'appuie sur la jurisprudence qui, pour un cautionnement indéterminé d'un bail à durée déterminé, retient, en cas de résiliation par la caution au cours du bail, que celle-ci demeure tenue de payer les loyers jusqu'à l'issue du bail en cours (23), et en déduit que "si la caution doit garantie des créances de loyers 'postérieurs' à sa résiliation, c'est que celles-ci sont nées avant et que seule leur exigibilité a été suspendue à chaque échéance", ce qui est consacrer la thèse "volontariste" ; mais cette jurisprudence est en contradiction avec celle qui considère que pour le bail dont le preneur est soumis à une procédure, "les loyers correspondants à la période de jouissance antérieure au jugement d'ouverture doivent être déclarés car ce sont des créances antérieures, alors que les loyers correspondants à la période de jouissance postérieure au jugement d'ouverture bénéficient (du droit de paiement prioritaire de l'ancien article L. 621-32 du Code de commerce) car ce sont des créances postérieures. Donc le droit des procédures collectives considère lui que les créances de loyers naissent de l'exécution de la contrepartie. C'est donc la thèse matérialiste qui est ici appliquée". L'auteur tente d'expliquer cette "contradiction flagrante" par l'idée selon laquelle "la date de naissance ne serait pas un élément objectif du temps, mais serait fixée en fonction de la finalité du texte en cause".
Mais quelle finalité poursuit donc le droit des procédures collectives en contraignant un assureur à déclarer sa créance "en germe" ("embryonnaire" ?) alors qu'elle est si hypothétique qu'il est plus exact de la tenir, comme les juges d'appel aixois dans l'arrêt examiné, pour inexistante dans son principe même ? A quoi répond cette contrainte d'opérer une déclaration de créance "à titre conservatoire", pour le cas où celle-ci viendrait à naître (à devenir exigible dirons les partisans de la thèse "volontariste") ? A la volonté de déclarer cette créance "antérieure" inexistante sous l'empire du droit antérieur à la réforme du 26 juillet 2005 en application de l'ancien article L. 622-26 et, désormais, sanction adoucie par la réforme qui se contente de ne pas admettre cette créance "dans les répartitions et les dividendes" (C. com., art. L. 622-26), ce qui devrait autoriser sa déclaration au passif d'une seconde procédure ouverte à la suite de la résolution du plan de sauvegarde ou de redressement (24) ?
La solution, sévère pour les assureurs qui doivent avoir du personnel chargé de surveiller l'ouverture de procédure collectives (il faudra mettre "infogreffe" dans ses "favoris" !), procède d'une logique, propre au droit des procédures collectives, dont on peut chercher à mesurer la compatibilité avec le droit des assurances. Ramener la créance à la signature du contrat est-il respectueux de l'esprit propre au droit des assurances ? On signalera que, dans les assurances de responsabilité civile professionnelle, la loi du 1er août 2003 a, sauf pour les personnes physiques agissant en dehors de leur activité professionnelle, admis le critère de la réclamation de la victime, préféré par les assureurs au fait dommageable (cf., C. assur., art. L. 124-5 N° Lexbase : L0959G9E). Voilà qui plaide pour considérer que c'est le sinistre, sous forme de réclamation de la victime, qui fait naître la dette de l'assureur de responsabilité à l'égard du tiers victime, donc éventuellement sa créance de recours contre son assuré. Mais, on objectera que la faculté d'option offerte aux assureurs, pour définir le fait déclencheur de la garantie issue de la loi du 1er août 2003, n'est pas applicable en matière d'assurance décennale obligatoire, ici en jeu dans l'arrêt examiné (25). Cette assurance doit être souscrite depuis l'ouverture du chantier et couvre les désordres décennaux jusqu'à l'expiration du délai décennal courant à partir de la réception. La logique du Code des assurances pourrait pousser à considérer que la réception, qui constitue le point de départ de la responsabilité décennale des constructeurs, et, partant, de l'assurance garantissant cette responsabilité, pourrait constituer le "fait générateur" de l'éventuelle dette de l'assureur "RCD", donc de son éventuelle créance liée à la franchise. Mais il n'est pas sûr que l'analyse, transposée au droit des procédures collectives, gagnerait en simplicité (la réception plutôt que la signature du contrat)...
C'est donc qu'il vaut mieux rester sur le terrain du droit des procédures collectives et plaider que dans les contrats à exécution successive, a fortiori aléatoire, la survenance de l'aléa donne naissance à l'obligation de règlement du sinistre puis à la créance de recours contre son assuré, sans qu'il faille "remonter" jusqu'à la conclusion du contrat où seule a pris naissance l'obligation de couverture. Mais cette thèse n'est pas de droit positif. Les assureurs devront le savoir et leurs conseils le leur rappeler.
Sébastien Beaugendre
Maître de conférences à la Faculté de droit de Nantes
Membre de l'IRDP (institut de recherche en droit privé)
(1) Cass. Ass. Plén., 2 mars 2007, n° 06-15.267, M. Henri Dailler c/ Caisse régionale de crédit agricole mutuel de la Touraine et du Poitou, P+B+R+I (N° Lexbase : A4358DUX) et nos obs., Chronique en droit des assurances, Lexbase Hebdo n° 255 du 5 avril 2007 - édition privée générale (N° Lexbase : N6221BAN) ; RGDA, 2007, n° 2, p. 398, note J. Kullmann ; Rev. Banque et droit, juillet-août 2007, p. 20, note Th. Bonneau ; JCP éd. E, 2007, 1375, note D. Legeais et éd. G, 127, note B. Parance ; D. 2007, act. Jurisp., p. 985, note S. Piedelièvre.
(2) Il suffit, pour s'en convaincre, de citer, une fois encore, les arrêts de la Chambre mixte du 23 novembre 2004, au risque de paraître être obnubilée par eux ; mais c'est que leur incidence est récurrente (Cass. mixte, 23 novembre 2004, n° 03-13.673 N° Lexbase : A0919DER ; n° 01-13.592 N° Lexbase : A0225DE3 ; n° 02-11.352 N° Lexbase : A0235DEG ; et n° 02-17.507 N° Lexbase : A0265DEK).
(3) Cass. mixte, 23 novembre 2004, préc., Bull. n° 4, p. 9 ; L. Aynès, Des arrêts politiques, Droit et patrimoine, janvier 2005, n° 133, p. 11 ; F. Leduc et Ph. Pierre, Assurance-placement : une qualification déplacée, RCA février 2005, n° 3, p. 7 ; R. Libchaber, Rép. Défr. 2005, n° 07/05, chron. 38142, p. 607 ; A.-M. Ribeyre, Assurance-vie : le débat se déplace de l'aléa vers la prime excessive, Droit et patrimoine, janvier 2005, n° 133, p. 10. A l'exception de : B. Beignier, D. 2005, p. 1905 ; H. Lécuyer, Promesses jurisprudentielles de longue vie à l'assurance-vie, J. Cl. Droit de la famille, mars 2005, chron. n° 6, p. 11 ; L. Mayaux, RGDA 2005, n° 1.
(4) V. Nicolas, Société et mutuelle d'assurance, Rép. Sociétés, Dalloz, janvier 2005, n° 22, p. 7.
(5) V. Nicolas, Société et mutuelle d'assurance , Rép. Sociétés, Dalloz, janvier 2005, n° 6, p. 5.
(6) JO du 2 août 2003.
(7) V. Nicolas, Société et mutuelle d'assurance, Rép. Sociétés, Dalloz, janvier 2005, n° 6, p. 5.
(8) On consultera, ici, avec profit les actes d'un colloque consacré à la date de naissance des créances, organisé le 25 mars 2004 par le CEDAG (Centre de droit des affaires et de gestion) sous la direction de Madame le Professeur Martine Behar-Touchais, dont les actes ont été publiés à la revue "Les petites Affiches", n° spécial du 9 novembre 2004, notamment les contributions de M. Behar-Touchais, La date de naissance de la créance issue d'un contrat synallagmatique à exécution successive (p. 41 et s.), de C. Saint-Alary-Houin, La date de naissance des créances en droit des procédures collectives (p. 11 et s.), et de P. Jourdain, La date de naissance de la créance d'indemnisation (p. 49 et s.).
(9) Cass. com., 5 juillet 2005, n° 04-12.185, Société Bâtiment du Golfe c/ Compagnie d'assurances Zurich assurances, FS-P+B (N° Lexbase : A8969DIZ), Bull. civ. IV, n° 156 ; D. 2005, AJ 2280, obs. Lienhard.
(10) Cf. les actes du colloque précité.
(11) J.-M. Verdier, Les droits éventuels - Contribution à l'étude de la formation successive des droits, éd. Rousseau, Paris, 1955.
(12) F. Baron, Naissance des créances contractuelles et droit des procédures collectives, RTDCom. 2001, p. 1 et s..
(13) G. Endréo, Fait générateur des créances et échange économique, RTDCom. 1984, spéc. p. 248.
(14) C. Saint-Alaray-Houin, art. préc..
(15) Cass. com., 8 juin 1999, n° 96-18.840, Société Paul Dischamp et autre c/ Société Simon frères et autres (N° Lexbase : A8043AGY), Bull. civ. IV, n° 121.
(16) F. Baron, art. préc., spéc. p. 30.
(17) F. Baron, op. et loc. cit..
(18) P. Jourdain, art. préc..
(19) Cass. com., 16 juin 2004, n° 01-17.199, M. Philippe Jeannerot c/ M. Adine Nevada, FS-P+B (N° Lexbase : A7318DCZ), RTDCom 2004, p809, obs. A. Martin-Serf.
(20) Pierre-Michel Le Corre et François-Xavier Lucas, Chronique de Droit des entreprises en difficulté (juin 2006 - novembre 2006), Recueil Dalloz 2007 p. 42.
(21) Cass. com., 27 juin 2006, n° 05-12.306, M. Philippe Martin, agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société civile immobilière (SCI) Cajuge, F-D (N° Lexbase : A1117DQG), commenté par Pierre-Michel Le Corre et François-Xavier Lucas in chronique préc..
(22) M. Béhar-Touchais, art. préc..
(23) Cass. com., 11 mai 1993, n° 90-20.293, M. Gaillard et autres c/ Compagnie d'équipement technique (N° Lexbase : A6330AB3), JCP éd. E, 1993, II, 503, note Ph. Delebecque.
(24) En ce sens, Pierre-Michel Le Corre et François-Xavier Lucas in chronique préc., à propos de la créance de pénalité de remboursement anticipé d'un prêt immobilier qui n'aurait pas été déclarée dans la procédure de sauvegarde ou de redressement venant, par suite, à être résolu.
(25) RD imm., 2003, p. 306, obs. G. Leguay ; JCP éd. G, 2003, act. 537, p. 1965, obs. J. Bigot ; RD imm., 2003, p. 435, obs. L. Grynbaum.
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Réf. : Cass. crim., 8 janvier 2008, n° 07-81.725, Association du Foyer Beyrus, F-P+F (N° Lexbase : A1082D4T)
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par David Bakouche, Professeur agrégé des Facultés de droit
Le 07 Octobre 2010
La Cour de cassation rejette le pourvoi et approuve les juges du fond d'avoir statué ainsi, affirmant, dans un attendu de principe, "qu'en effet, une association, chargée par décision du juge des enfants d'organiser et de contrôler à titre permanent le mode de vie d'un mineur, demeure, en application de l'article 1384, alinéa 1er, du Code civil, responsable de plein droit du fait dommageable commis par ce mineur, même lorsque celui-ci est hébergé par ses parents, dès lors qu'aucune décision judiciaire n'a suspendu ou interrompu cette mission éducative".
Au plan des principes, l'arrêt confirme d'abord, bien entendu, l'existence d'une responsabilité du fait d'autrui sur le fondement de l'article 1384, alinéa 1er, du Code civil. La question est suffisamment connue pour qu'il soit inutile d'y insister davantage. Nul n'ignore plus, en effet, que, à la suite de l'arrêt "Blieck" ayant déclaré civilement responsable des dommages causés par un handicapé mental une association ayant accepté la charge d'organiser et de contrôler, à titre permanent, le mode de vie de cet handicapé (5), la Cour de cassation a non seulement jugé que les associations auxquelles sont confiés par le juge des enfants des mineurs en danger par application de l'article 375 du Code civil (N° Lexbase : L8338HWQ) sont responsables des dommages causés par ceux-ci (6), mais aussi, donnant un élan certain à l'admission d'une responsabilité du fait d'autrui sur le fondement de l'article 1384, alinéa 1er, du Code civil, considéré que les associations sportives ayant pour mission d'organiser, de diriger et de contrôler l'activité de leurs membres au cours des compétitions sportives auxquelles ils participent sont responsables, au sens de ce texte, des dommages qu'ils causent à cette occasion (7). Et l'on sait que la Cour a même encore amplifié ce mouvement en décidant, pour retenir la responsabilité d'une association de majorettes pour le dommage causé par l'un de ses membres au cours d'une manifestation qu'elle avait organisée, qu'il n'y a pas lieu, pour mettre en oeuvre l'article 1384, alinéa 1er, de tenir compte de la dangerosité potentielle de l'activité exercée (8).
On ajoutera, ensuite, que la responsabilité du fait d'autrui au sens de l'article 1384, alinéa 1er, du Code civil, parait supposer, bien que l'arrêt de la Chambre criminelle n'y insiste pas, qu'une faute puisse être imputée à l'auteur du dommage. La jurisprudence entend même subordonner la mise en oeuvre de la responsabilité des associations sportives du fait de leurs joueurs en application de l'article 1384, alinéa 1er, du Code civil à l'existence d'une faute caractérisée de l'un d'entre eux (9), l'exigence d'une faute qualifiée, autrement dit non pas seulement d'une faute "de" jeu mais bien d'une faute "contre" le jeu, s'expliquant ici non pas tellement, comme on le prétend parfois, par la théorie de l'acceptation des risques (10), dont on a justement fait observer qu'elle paraissait "plus verbale que technique" (11), mais, plus vraisemblablement, par les nécessitées de l'activité sportive qui risquerait de se trouver paralyser par une application pure et simple du droit commun. Une faute parait, en tout cas, nécessaire, et l'on peut penser que si la Chambre criminelle n'en fait pas explicitement mention en l'espèce, c'est bien parce que la faute ne faisait absolument aucun doute et que le principe même de la faute n'était pas discuté.
L'arrêt présente, enfin, l'intérêt de confirmer l'approche purement objective de la "garde" d'autrui -autrement dit du pouvoir exercé sur autrui et de la mission assumée envers autrui- qui justifie la responsabilité. En jugeant en effet que l'association, qui avait accepté la mission de contrôler et d'organiser à titre permanent le mode de vie du mineur, demeure, en dépit du fait qu'au moment du dommage, l'enfant était hébergé chez sa mère, responsable de plein droit au sens de l'article 1384, alinéa 1er, du Code civil, la Chambre criminelle répète une solution aujourd'hui acquise : la responsabilité subsiste "dès lors qu'aucune décision judiciaire n'a suspendu ou interrompu cette mission éducative" (12). La "garde" est ainsi une garde non pas matérielle, comme en matière de responsabilité du fait des choses où ce qui importe, c'est de savoir qui, au moment du dommage, exerçait un pouvoir de fait sur la chose (usage, contrôle et direction), mais juridique, de droit. Sans doute la question est-elle aujourd'hui parfaitement entendue. L'arrêt a, au moins, le mérite de le rappeler.
(1) Comp. G. Durry, Rapport de synthèse, in La responsabilité du fait d'autrui, Actualité et évolutions, Resp. civ. et assur. 2000, n° 11 bis, p. 63.
(2) Ass. plén., 29 mars 1991, n° 89-15.231, Consorts Blieck (N° Lexbase : A0285AB8), Bull. civ. n°1 ; JCP éd. G, 1991, II, 21673, concl. D.-H. Dontenwille, note J. Ghestin ; D. 1991, p. 324, note Ch. Larroumet ; RTDCiv. 1991, p. 541, obs. P. Jourdain ; Les grands arrêts de la jurisprudence civile, Dalloz, 11ème éd. par F. Terré et Y. Lequette, n° 218.
(3) Sur cette question, voir déjà R. Savatier, La responsabilité générale du fait des choses que l'on a sous sa garde a-t-elle pour pendant une responsabilité générale des personnes dont on doit répondre ?, D.H. 1933, chron. p. 81.
(4) Voir not. P. Jourdain, Existe-t-il un principe général de responsabilité du fait d'autrui ?, in La responsabilité du fait d'autrui, Actualité et évolutions, préc. p. 5 et s..
(5) Ass. plén., 29 mars 1991, préc..
(6) Cass. crim., 10 octobre 1996, n° 95-84.186 (N° Lexbase : A0906ACK), JCP éd. G, 1997, II, 22833, note F. Chabas ; Cass. crim., 26 mars 1997, n° 95-83.956 (N° Lexbase : A0528CKR), Bull. crim. n° 124 ; JCP éd. G, 1997, II, 22868, note F. Desportes ; Les grands arrêts de la jurisprudence civile, op. cit., n° 219 ; Cass. civ. 2, 9 décembre 1999, n° 97-22.268, Association Montjoie et autre c/ Groupe des assurances nationales (GAN) et autre (N° Lexbase : A5342AWR), Bull. civ. II, n° 189 ; Cass. civ. 2, 20 janvier 2000, n° 98-17.005, Mlle X c/ Mutuelle assurance des instituteurs de France (MAIF) et autre (N° Lexbase : A5508AWW), Bull. civ. II, n° 15 ; Cass. civ. 2, 6 juin 2002, n° 00-12.014, Association de la sauvegarde de l'enfance et de l'adolescence c/ Mme Elodie Dominguez, épouse Deberge, FS-P+B+R (N° Lexbase : A8500AYH), Bull. civ. II, n° 120, D. 2002, p. 2750, note Huyette ; Cass. civ. 2, 7 mai 2003, n° 01-15.607, Fabien Sdao c/ Association Foyer Matter, FS-P+B (N° Lexbase : A8259BSP), Bull. civ. II, n° 129 ; Cass. civ. 2, 7 octobre 2004, n° 03-16.078, Société Azur assurances c/ Mme Christiane Rivoallan, épouse Sallafranque, FS-P+B (N° Lexbase : A5763DDS), Bull. civ. II, n° 453.
(7) Cass. civ. 2, 22 mai 1995, deux arrêts, n° 92-21.197, Union des assurances de Paris (UAP) et autre c/ M. Rendeygues et autre (N° Lexbase : A7402ABR) et n° 92-21.871, Union sportive du personnel électricité gaz de Marseille c/ Fédération française de rugby et autres (N° Lexbase : A5655CIB), Bull. civ. II, n° 155, JCP éd. G, 1995, II, 22550, note J. Mouly, RTDCiv. 1995, p. 899, obs. P. Jourdain ; Cass. civ. 2, 3 février 2000, n° 98-11.438, Association Amicale sportive et culturelle d'Aureilhan c/ M. Dubarry et autre (N° Lexbase : A5426AWU), Bull. civ. II, n° 26, JCP éd. G, 2000, II, 10316, note J. Mouly.
(8) Cass. civ. 2, 12 décembre 2002, n° 00-13.553, Société Axa assurances IARD c/ Mlle Nathalie Yvon, FS-P+B (N° Lexbase : A4005A44), Bull. civ. II, n° 289 ; JCP éd. G, 2003, I, 154, n°49, obs. G. Viney ; RTDCiv. 2003, p. 305, obs. P. Jourdain ; Comp., sur la responsabilité d'une association de scouts, CA Paris, 9 juin 2000, Resp. civ. et assur. 2001, comm. 74, obs. L. Grynbaum.
(9) Cass. civ. 2, 20 novembre 2003, n° 02-13.653, M. Jean-Philippe Le Grouiec c/ Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) d'Ille-et-Vilaine, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A2103DA7), Bull. civ. II, n° 356 ; JCP éd. G, 2004, II, 10017, note J. Mouly ; RTDCiv. 2004, p. 106, obs. P. Jourdain ; Cass. civ. 2, 13 mai 2004, n° 03-10.222, Comité régional de rugby du Périgord d'Agenais c/ M. Frédéric Marcos, FS-P+B (N° Lexbase : A2031DC9), Bull. civ. II, n° 232 ; Cass. civ. 2, 21 octobre 2004, n° 03-17.910, précité ; adde Ch. Radé, La résurgence de la faute dans la responsabilité civile du fait d'autrui, Resp. civ. et assur. 2004, chron. 15.
(10) Sur laquelle voir not. F. Millet, L'acceptation des risques réhabilitée ? Une application aux responsabilités du fait d'autrui, D. 2005, chron. p. 2830 et s., spéc. p. 2833.
(11) G. Durry, L'adéquation des notions classiques du droit de la responsabilité au fait sportif, in Les problèmes juridiques du sport, Economica, 1984, p. 19 et s., spéc. p. 27.
(12) Voir déjà, en ce sens, Cass. civ. 2, 6 juin 2002, préc. ; Cass. civ. 2, 7 mai 2003, préc. ; Cass. civ. 2, 7 octobre 2004, préc..
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Le 07 Octobre 2010
Quels sont les atouts et les risques liés au commerce en ligne pour les commerçants ? Pour les consommateurs ? Retour d'expériences.
Isabelle Gavanon, Avocat - Directeur associé, propriété intellectuelle - technologies de l'information, Cabinet FIDAL
Camille Beurdeley, Chef de service, Affaires juridiques, FIEEC (Fédération des industries électriques électroniques et de communication)
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Réf. : Cass. civ. 2, 17 janvier 2008, n° 07-11.752, URSSAF de Lyon, FS-P+B (N° Lexbase : A7788D3T) ; Cass. civ. 2, 17 janvier 2008, n° 06-21.491, Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales de Paris, FS-P+B (N° Lexbase : A7725D3I)
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par Christophe Willmann, Professeur à l'Université de Rouen
Le 07 Octobre 2010
Résumé Pourvoi n° 07-11.752 : Lorsque les indemnités compensatrices de préavis sont versées à des salariés dont le lieu de travail est situé dans le périmètre où était institué le versement, la dispense d'exécution des préavis est sans incidence et l'employeur est bien assujetti au versement transport. Pourvoi n° 06-21.491 : L'employeur ne contestant pas que l'activité, pour son compte, des formateurs se déroulait en région parisienne, soit à l'intérieur du périmètre du versement, il importe peu qu'elle soit occasionnelle, cette activité est alors assujettie au versement transport. |
L'actualité réglementaire (circulaire Acoss n° 2008-002 du 2 janvier 2008 N° Lexbase : L7757H3P, complétant, sans l'annuler, la circulaire Acoss n° 2006-116 du 6 juin 2005 N° Lexbase : L5140G9A) et jurisprudentielle (cf. les deux espèces commentées) donne l'opportunité d'apporter des précisions utiles sur le régime juridique de cette cotisation. Soumise à une condition d'effectif (seuil de 9 salariés), cette cotisation rentre dans les débats sur les effets de seuil des charges sociales des entreprises (en dernier lieu, voir le Rapport "Attali" (2)). L'assujettissement de l'employeur à la taxe est soumis à deux séries de difficultés, qui tiennent, en premier lieu, à la notion de seuil d'effectif (I) et, en second lieu, au mode de calcul des effectifs (II).
I. La date d'appréciation de l'effectif
A. L'effectif de l'entreprise ne connaît pas de variation
En dehors de la région d'Ile-de-France, les personnes physiques ou morales peuvent être assujetties au versement transport lorsqu'elles emploient plus de 9 salariés dans une commune urbaine peuplée de plus de 20 000 habitants (CGCT, art. L. 2333-64 N° Lexbase : L8978AAR). En dehors de la région d'Ile-de-France, les personnes physiques ou morales, publiques ou privées, à l'exception des fondations et associations reconnues d'utilité publique à but non lucratif dont l'activité est de caractère social, peuvent être assujetties à un versement destiné au financement des transports en commun, lorsqu'elles emploient plus de 9 salariés dans une commune ou une communauté urbaine dont la population est supérieure à 10 000 habitants ; ou, dans le ressort d'un établissement public de coopération intercommunale compétent pour l'organisation des transports urbains, lorsque la population de l'ensemble des communes membres de l'établissement atteint le seuil indiqué.
B. L'effectif de l'entreprise est soumis à des variations
Les employeurs qui, en raison de l'accroissement de leur effectif, atteignent, ou dépassent, l'effectif de 10 salariés, sont dispensés pendant trois ans du paiement du versement. Le montant du versement est réduit de 75 %, 50 % et 25 %, respectivement, chacune des trois années suivant la dernière année de dispense. Mais, ces dispositions ne sont pas applicables lorsque l'accroissement de l'effectif résulte de la reprise ou de l'absorption d'une entreprise ayant employé 10 salariés, ou plus, au cours de l'une des trois années précédentes. Dans ce cas, le versement est dû dans les conditions de droit commun dès l'année au cours de laquelle l'effectif de 10 salariés est atteint ou dépassé.
- Accroissement de l'effectif. Lorsque, au sein d'une zone de transport, l'effectif de l'entreprise devient supérieur à 9 salariés de manière continue, l'employeur devient redevable du versement transport à compter du 1er jour du mois au cours duquel l'effectif se situe au-delà du seuil de 9 salariés. Dans cette situation, un dispositif d'assujettissement progressif s'adressant aux employeurs qui atteignent ou dépassent le seuil de 10 salariés prévoit une dispense totale de versement de la contribution transport pendant 3 ans puis un abattement dégressif les 3 années suivantes (circulaire Acoss n° 2005-087 du 6 juin 2005, complétée par la circulaire Acoss n° 2008-002 du 2 janvier 2008).
- Diminution de l'effectif. Lorsque, au sein d'une zone de transport, l'effectif de l'entreprise devient inférieur ou, au plus, égal à 9 salariés de manière continue, l'employeur peut aviser l'Urssaf en vue de cesser le versement, à compter du premier jour du mois au cours duquel l'effectif a atteint le seuil de 9 salariés (circulaire Acoss n° 2005-087 du 6 juin 2005, complétée par la circulaire Acoss n° 2008-002 du 2 janvier 2008).
- Fluctuation de l'effectif. Selon la doctrine administrative, il y a fluctuation d'effectif lorsque, au cours d'une même année civile, celui-ci subit des variations alternatives (appréciation au mois le mois), donc au moins deux variations par rapport au seuil de 9 salariés. Dans cette situation, c'est la moyenne arithmétique des effectifs au dernier jour de chaque trimestre dans la zone concernée, qui détermine, pour toute l'année civile, si l'entreprise est assujettie, ou non, au versement transport. Lorsque la moyenne arithmétique fait apparaître un effectif supérieur à 9 salariés, l'employeur est redevable du versement transport pour l'année entière. Au contraire, si l'effectif ainsi calculé est inférieur ou égal à 9 salariés, l'employeur n'est pas redevable de la taxe transport sur la même période (circulaire Acoss n° 2005-087 du 6 juin 2005, complétée par la circulaire Acoss n° 2008-002 du 2 janvier 2008). En ce sens, la Cour de cassation retient comme règle que, lorsque l'effectif annuel d'une société a subi des variations trimestrielles successives, il doit être calculé en faisant la moyenne arithmétique des effectifs du dernier jour de chaque trimestre de cet exercice (3).
II. Calcul des effectifs
A. Salariés pris en compte dans le calcul des effectifs
L'effectif à prendre en considération pour déterminer l'assujettissement au versement transport d'une entreprise comprend l'ensemble de ses salariés et assimilés au sens de la législation de Sécurité sociale (CSS, art. L. 311-2 et s. N° Lexbase : L5024ADG), dès lors que leur lieu d'activité est situé dans une zone de transport.
L'effectif doit être apprécié par l'employeur, quel que soit le régime de protection sociale dont relèvent les salariés. Il importe peu qu'une rémunération soit versée, ou non, que le salarié absent soit remplacé par un salarié sous contrat à durée déterminée ou que le contrat de travail soit écrit. Les travailleurs intermittents, dont l'activité se caractérise par une alternance de périodes travaillées et non travaillées, doivent, à la différence des salariés à temps partiel, être pris en compte pour une unité (circulaire Acoss n° 2005-087 du 6 juin 2005, complétée par la circulaire Acoss n° 2008-02 du 2 janvier 2008).
Pour le calcul du versement transport, doivent être inclus dans l'effectif de la société tous les salariés, y compris ceux dont l'exécution du contrat de travail a été temporairement suspendue en raison de congés payés ou d'arrêts de travail (4).
- P-DG. Les P-DG de sociétés anonymes assimilés à des salariés, au sens du Code de la Sécurité sociale, doivent être inclus dans le calcul de l'effectif pour déterminer l'assujettissement, ou non, au versement transport (5).
- Salariés mis à disposition. Les salariés mis à la disposition d'une autre entreprise et percevant au titre de leur travail une rémunération, doivent être inclus dans le calcul de l'effectif pour déterminer l'assujettissement, ou non, au versement transport (6).
- Fonctionnaires. Les fonctionnaires travaillant au sein d'une association et percevant une prime mensuelle à ce titre, tout en continuant d'être payés par leur administration, doivent être inclus dans l'effectif pour l'assujettissement, ou non, au versement transport (7).
- Salariés absents. Doivent être inclus dans l'effectif de la société tous les salariés et assimilés dont le lieu effectif de travail était situé dans le périmètre où était institué le versement, y compris ceux dont l'exécution du contrat de travail était temporairement suspendue en raison de congés payés ou d'arrêts de travail pour maladie ou pour toute autre cause (8).
B. Cadre d'appréciation de l'effectif
1 - Développements jurisprudentiels
Le versement transport, dont sont redevables les employeurs occupant plus de 9 salariés dans le département où une telle taxe a été instituée, est dû pour tous les employés, même si certains employés travaillent effectivement dans un autre département (9). Pour les entreprises dont le seul établissement est situé dans un département de la région parisienne, le versement de transport est dû pour tous les employés au taux en vigueur dans ce département, même si certains employés travaillent effectivement dans un autre département de la région.
En l'espèce (pourvoi n° 07-11.752), la société Sun Micro systems France a demandé à l'URSSAF de lui rembourser le versement de transport qu'elle estimait avoir indûment payé, de décembre 2001 à septembre 2003, au titre de ses salariés licenciés qui avaient été dispensés de l'exécution de leur préavis. Pour accueillir le recours formé par la société contre la décision de refus de l'organisme de recouvrement et pour déclarer fondée la demande de remboursement, la cour d'appel énonce qu'un salarié ne peut être pris en compte pour l'assujettissement de son employeur au versement de transport que si son lieu de travail effectif se situe dans le périmètre où est institué ce versement. Tel n'est pas le cas de salariés licenciés dispensés d'effectuer leurs préavis qui n'ont ainsi plus de lieu de travail effectif. Mais, pour la Cour de cassation, lorsque les indemnités compensatrices de préavis sont versées à des salariés dont le lieu de travail était situé dans le périmètre où était institué le versement, la dispense d'exécution des préavis est sans incidence sur l'assujettissement au versement transport.
La seconde espèce (pourvoi n° 06-21.491) est assez similaire à la première. A la suite d'un contrôle, une Urssaf a notifié à la société Demos, entreprise de formation, un redressement résultant de la réintégration dans l'assiette de calcul du versement de transport des rémunérations versées à des formateurs occasionnels. Pour annuler ce redressement, la cour d'appel a énoncé que les salariés dont l'activité s'exerce pendant la majeure partie de leur temps de travail et, a fortiori, en totalité en dehors du champ territorial du versement de transport, sont à exclure de l'effectif. Dès lors, l'activité d'un formateur occasionnel travaillant pour un employeur moins de trente jours par an, soit deux jours et demi maximum par mois, ne peut être considérée comme une activité principale, ou majeure, au sein d'une zone de versement de transport. Au contraire, pour la Cour de cassation, l'employeur ne contestant pas que l'activité pour son compte des formateurs se déroulait en région parisienne, soit à l'intérieur du périmètre du versement, en sorte qu'il importait peu qu'elle fût occasionnelle, est, alors, assujetti au versement transport.
Les salariés dont les conditions spécifiques de travail ne permettent pas de déterminer un lieu où s'exerce leur activité principale, ne peuvent pas être inclus dans l'effectif de la société pour le calcul du versement transport (10). En l'espèce, sauf réunion au siège de l'entreprise, les directeurs régionaux se rendaient chaque jour dans l'un des établissements de leur secteur et changeaient de lieu de travail chaque jour de la semaine. Si ces établissements étaient majoritairement situés dans le périmètre d'une zone où le versement transport a été institué, ils se trouvaient, toutefois, dans des zones de transport différentes. Leurs conditions spécifiques de travail ne permettaient pas de déterminer un lieu où s'exerce leur activité principale. La cour d'appel a exactement déduit de ses énonciations que ces salariés ne pouvaient être inclus dans l'effectif de la société pour le calcul du versement transport et que le redressement devait être annulé.
Ne sont pas inclus dans le calcul de l'effectif les dockers placés en fin de carrière dans la mesure où leur activité n'est pas située dans une zone soumise au versement transport (11).
2 - Précisions réglementaires
Le lieu de travail effectif du salarié doit être situé dans le périmètre où est institué le versement transport qui permet de déterminer l'assujettissement de l'employeur au versement transport. Ce principe d'assujettissement au versement transport en fonction du lieu effectif de travail des salariés et non pas du lieu d'implantation du siège de l'entreprise a, d'ailleurs, été rappelé, à plusieurs reprises, tant par la doctrine administrative que par la jurisprudence (12). Les salariés exerçant leur activité en dehors du périmètre de transport ne sont pas pris en compte dans la computation de l'effectif de l'entreprise (circulaire Acoss n° 2005-087 du 6 juin 2005).
Pour les travailleurs à domicile, il convient de retenir le lieu de résidence des intéressés ; pour les journalistes pigistes, le lieu de résidence ; pour les salariés travaillant sur des chantiers, c'est le lieu du chantier qui constitue le lieu de travail effectif. Les chantiers temporaires dont la durée n'excède pas un mois de date à date sont exclus du champ d'application du versement transport si l'entreprise n'exerce pas habituellement son activité dans une agglomération visée par le versement transport. En ce qui concerne les salariés itinérants (dépanneurs, chauffeurs-livreurs, représentants exclusifs, commerciaux, personnels navigants des compagnies aériennes...) dont le lieu de travail ne peut, par définition, être déterminé précisément, il convient de se référer au lieu où les intéressés exercent leur activité en totalité ou en majeure partie de leur temps de travail. Les salariés qui exercent principalement (en fonction du temps et non de la rémunération) leur activité en dehors d'une zone où a été institué le versement transport, sont exclus de l'effectif et ne sont donc pas pris en compte pour l'assujettissement de l'entreprise au versement (13).
La lettre circulaire Acoss n° 2008-002 et une lettre de la Direction des transports ferroviaires et collectifs du 5 juin 2007 ont précisé le cadre territorial dans lequel doit être apprécié l'effectif pour le déclenchement de l'assujettissement au versement transport.
Décisions Cass. civ. 2, 17 janvier 2008, n° 07-11.752, Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF) de Lyon, FS-P+B (N° Lexbase : A7788D3T) Rejet (CA Lyon, 5ème ch., 12 décembre 2006, n° 06/04010, SA Sun microsystems France c/ URSSAF de Lyon N° Lexbase : A8961DZW) Cass. civ. 2, 17 janvier 2008, n° 06-21.491, Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales de Paris (URSSAF 75), FS-P+B (N° Lexbase : A7725D3I) Rejet (CA Paris, 18ème ch., sect. B, 12 octobre 2006, n° 04/43745, SA Demos c/ Union pour le recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales de Paris et de la région parisienne (URSSAF 75) N° Lexbase : A3482DT7) Textes visés : CGCT, art. L. 2531-2 (N° Lexbase : L9196AAT), L. 2333-64 (N° Lexbase : L8978AAR), L. 2333-65 (N° Lexbase : L8979AAS) et D. 2333-87 (N° Lexbase : L1889ALK), ensemble, CSS, art. L. 242-1 (N° Lexbase : L3404HWY) et L. 311-2 (N° Lexbase : L5024ADG), C. trav., art. L. 122-8 (N° Lexbase : L5558ACT) Mots-clefs : versement transport ; assujettissement ; calcul des effectifs ; statut du salarié. Liens bases : (N° Lexbase : E3881AUB) et (N° Lexbase : E3879AU9) |
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Réf. : Cass. soc., 24 janvier 2008, n° 06-45.088, Société Jacobs France c/ M. Didier Thomas, F-P+B (N° Lexbase : A1023D4N)
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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale
Le 07 Octobre 2010
Résumé
Une clause de mobilité doit définir de façon précise sa zone géographique d'application. L'article 61 de la Convention collective nationale du personnel des bureaux d'études techniques, des cabinets d'ingénieurs conseils et des sociétés de conseils, dite Syntec, du 1er janvier 1988 , qui se borne à énoncer que toute modification du lieu de travail comprenant un changement de résidence fixe, qui n'est pas acceptée par le salarié, est considérée, à défaut de solution de compromis, comme un licenciement et réglée comme tel, ne saurait constituer une clause de mobilité licite directement applicable au salarié en l'absence de clause contractuelle de mobilité. |
1 - L'exigence de précision de la clause contractuelle de mobilité
En l'absence de toute obligation particulière de mobilité, un salarié peut refuser que soit modifié le lieu d'exécution de son contrat de travail, dès lors que l'employeur prétend le muter en dehors du même secteur géographique.
Un salarié peut être astreint à une obligation de mobilité par une clause de son contrat de travail. Conformément aux exigences de l'article 1129 du Code civil (N° Lexbase : L1229AB7), l'obligation doit être déterminée avec suffisamment de précisions. Selon une formule, désormais, de style, la Cour de cassation considère "qu'une clause de mobilité doit définir de façon précise sa zone géographique d'application" (1) et "qu'elle ne peut conférer à l'employeur le pouvoir d'en étendre unilatéralement la portée" (2), ce qui lui donnerait, alors, un caractère indéterminé la privant d'objet (3), et ce, même si l'employeur n'abuse pas de cette prérogative (4).
Cette exigence n'est, d'ailleurs, pas propre aux clauses de mobilité. Dans un arrêt en date du 4 février 2004, pareille exigence avait, en effet, été formulée à propos de la clause de dédit-formation (5).
Une convention collective peut, également, instaurer une obligation de mobilité. A condition que le salarié ait été informé de l'existence de cette obligation particulière lors de son embauche, celle-ci lui sera normalement opposable (6).
A cette obligation d'information que l'employeur aura tout intérêt à formaliser, la jurisprudence ajoute le respect, par l'accord collectif, de la même exigence de précision qui prévaut pour les clauses contractuelles de mobilité, comme vient justement le rappeler la Chambre sociale de la Cour de cassation dans l'arrêt rapporté.
2 - L'extension de cette exigence aux clauses conventionnelles de mobilité géographique
Cette affaire concernait l'obligation de mobilité présente dans la convention Syntec (convention collective nationale du personnel des bureaux d'études techniques, des cabinets d'ingénieurs conseils et des sociétés de conseils du 1er janvier 1988).
L'article 61 de cette convention contient plusieurs dispositions. Après avoir constaté que "l'intérêt économique et social de la mobilité géographique des salariés entrant dans le champ d'application de la présente convention, mais conscientes des répercussions qu'elle peut avoir, les parties signataires recommandent que cette mobilité ne soit pas, pour les salariés, l'occasion d'une charge supplémentaire et qu'il soit tenu compte dans toute la mesure du possible de leur situation familiale", la convention précise que "le changement de résidence doit correspondre à des besoins réels de l'entreprise", que "toute modification du lieu de travail comprenant un changement de résidence fixe qui n'est pas acceptée par le salarié est considérée, à défaut de solution de compromis, comme un licenciement et réglée comme tel", avant de prévoir les modalités pratiques de mise en oeuvre de cette obligation et du licenciement consécutif au refus du salarié.
Un salarié avait été informé de la fermeture de l'agence de Toulouse et de sa mutation à Bordeaux. Il avait refusé cette mutation et avait été licencié, avant de saisir la juridiction prud'homale de différentes demandes pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Ses demandes avaient été acceptées, et l'employeur tentait d'obtenir la cassation de l'arrêt d'appel, en vain.
Reprenant à son compte les arguments retenus par les juges du fond, la Chambre sociale de la Cour de cassation considère, à son tour, "qu'une clause de mobilité doit définir de façon précise sa zone géographique d'application", et "que l'article 61 de la convention Syntec, qui se borne à énoncer que toute modification du lieu de travail comprenant un changement de résidence fixe, qui n'est pas acceptée par le salarié, est considérée, à défaut de solution de compromis, comme un licenciement et réglée comme tel, ne saurait constituer une clause de mobilité licite directement applicable au salarié en l'absence de clause contractuelle de mobilité".
Ce n'est pas la première fois que l'application de ces dispositions donne l'occasion à la Cour de cassation de statuer. Dans un arrêt inédit en date du 19 décembre 2007, la Cour avait, en effet, considéré comme relevant des garanties offertes aux salariés le fait de muter, pour une durée d'un an, un salarié de Vénissieux à Riom, soit à une distance de deux cents kilomètres (7).
Mais, c'est à notre connaissance la première fois que la Haute juridiction avait à se prononcer sur la validité même de cette obligation conventionnelle de mobilité, et qu'elle la considère comme nulle en raison de l'imprécision de son objet.
Cette solution nous semble pleinement justifiée, tant sur le plan juridique qu'en opportunité.
Sur le plan juridique, tout d'abord, les conventions collectives sont classiquement soumises aux mêmes conditions de validité que les contrats, ce qui est légitime compte tenu de leur nature également contractuelle (8). Il est, dès lors, parfaitement logique que l'exigence de détermination de leur objet puisse conduire les juges à annuler celles de ces dispositions qui ne respecteraient pas cette règle, et que les solutions dégagées par la jurisprudence à propos des clauses contractuelles de mobilité s'appliquent, de la même façon, aux clauses conventionnelles.
Sur le plan de l'opportunité, la solution nous semble, également, bienvenue. Les clauses de mobilité font, en effet, peser sur les salariés une hypothèse personnelle et familiale très lourde. Ils doivent considérer, lors de leur embauche, les tenants et les aboutissants de la clause qu'ils s'apprêtent à accepter, qu'il s'agisse de celle qui figure au contrat de travail ou de la clause conventionnelle à laquelle ils acceptent de se soumettre en entrant au service de leur employeur. Dès lors, si la clause conventionnelle n'est pas suffisamment précise, le salarié n'est pas en mesure de prévoir quels sont les sacrifices qu'il pourra être conduit à consentir, s'il vient à être muté, ce qui rend son engagement très aléatoire.
A l'heure où les partenaires sociaux viennent, dans l'Accord national interprofessionnel conclu le 11 janvier 2008 sur la modernisation du marché du travail, d'adopter des dispositions très précises visant à imposer aux employeurs la rédaction de clauses contractuelles écrites prévoyant la mobilité géographique des salariés (9), cet arrêt est le bienvenu et s'inscrit dans la ligne voulue par les acteurs.
Il restera aux employeurs qui relèvent de la convention Syntec de contractualiser la mobilité des salariés, à défaut de quoi le territoire de la mobilité pourrait bien se limiter... à quelques pâtés de maison !
Décision
Cass. soc., 24 janvier 2008, n° 06-45.088, Société Jacobs France c/ M. Didier Thomas, F-P+B (N° Lexbase : A1023D4N) Rejet (cour d'appel de Toulouse, 4ème ch., sect. 1, ch. soc., 3 août 2006) Texte visé : Convention Syntec, art. 61 (N° Lexbase : X7178ACT) Mots clef : clause contractuelle de mobilité ; zone géographique ; caractère indéterminé. Liens base : |
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Réf. : Cass. soc., 22 janvier 2008, n° 06-40.514, M. Stéphane Marché c/ Société Crédit industriel et commercial, F-P (N° Lexbase : A0979D4Z)
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N0348BEM
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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV
Le 07 Octobre 2010
Résumé
Un accord d'entreprise mettant à la disposition des syndicats représentatifs la messagerie électronique interne pour la publication d'informations syndicales peut subordonner cette faculté à l'existence d'un lien entre le contenu et la situation sociale existant dans l'entreprise. Commet, par suite, une faute disciplinaire le salarié qui, se prévalant de sa fonction syndicale, diffuse sur le réseau intranet de l'entreprise un courriel qui n'a pas de lien avec la situation sociale de l'entreprise et qui est sans rapport avec l'activité syndicale du salarié. |
Observations
1 L'utilisation de la messagerie électronique de l'entreprise à des fins syndicales
L'utilisation de la messagerie électronique à des fins syndicales est réglementée par le dernier alinéa de l'article L. 412-8 du Code du travail (N° Lexbase : L4707DZD), issu de la loi du 4 mai 2004, relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social . Selon cette disposition, "un accord d'entreprise peut autoriser la mise à disposition des publications et tracts de nature syndicale, soit sur un site syndical mis en place sur l'intranet de l'entreprise, soit par diffusion sur la messagerie électronique de l'entreprise".
Il ressort clairement de ce texte que l'accès à la messagerie électronique interne de l'entreprise doit, à l'instar des sites intranet syndicaux, être autorisé par un accord collectif d'entreprise (1). Par suite, et d'un point de vue juridique, "tout message syndical envoyé en l'absence d'accord collectif peut [...] constituer une faute disciplinaire pour son expéditeur dûment identifié" (2).
La Cour de cassation a jugé, à propos d'un litige concernant des messages électroniques envoyés depuis un site extérieur à l'entreprise, que "la diffusion de tracts et de publications syndicales sur la messagerie électronique que l'employeur met à la disposition des salariés n'est possible qu'à la condition, soit d'être autorisée par l'employeur, soit d'être organisée par voie d'accord d'entreprise" (3). Il importe de relever que les faits de l'espèce étaient antérieurs à la loi de 2004. Mais, la Chambre sociale s'est visiblement inspirée des dispositions du dernier alinéa de l'article L. 412-8, ce qui permet d'avancer que cette solution devrait valoir sous l'empire de ce texte.
En résumé, il est aujourd'hui acquis que l'utilisation de la messagerie électronique que l'employeur met à la disposition des salariés à des fins syndicales exige un accord d'entreprise ou l'autorisation expresse de ce dernier, même si les messages sont expédiés depuis un site extérieur à cette même entreprise. Toutefois, et ainsi que le font remarquer certains auteurs, "il faut aussi tenir compte des conditions dans lesquelles la direction peut avoir connaissance des courriels reçus par les salariés. Rappelons à cet égard que 'sauf risque ou évènement particulier, l'employeur ne peut ouvrir les fichiers identifiés par le salarié comme personnel contenus sur le disque dur de l'ordinateur mis à sa disposition qu'en présence de ce dernier ou celui-ci dûment appelé' (4). Un syndicat peut certainement adresser des textes aux salariés par courriel, à partir d'un site syndical externe à l'entreprise, à leur adresse électronique personnelle" (5).
Pour en venir à l'espèce qui nous intéresse, le litige ne se présentait pas dans les termes qui viennent d'être évoqués, puisqu'un accord d'entreprise du 3 avril 2001, relatif à l'exercice du droit syndical dans l'entreprise, mettait précisément à la disposition des organisations syndicales représentatives la messagerie électronique interne pour la publication d'informations syndicales. Le problème résidait dans les conditions d'utilisation des prérogatives reconnues par l'accord.
Un salarié qui cumulait les fonctions de représentant du personnel élu et de délégué syndical au sein de l'entreprise avait, le 24 juin 2003, diffusé, sur le réseau intranet de cette dernière, un courriel de protestation contre l'arrestation d'un militant syndicaliste paysan. Pour ce fait, un avertissement lui avait été notifié le 23 juillet suivant.
Le salarié reprochait à l'arrêt attaqué d'avoir refusé de prononcer l'annulation de l'avertissement et de l'avoir débouté de ses demandes tendant au paiement de dommages-intérêts et à la publication de la décision à intervenir. A l'appui de son pourvoi, il invoquait l'article 6-2-1 de l'accord du 3 avril 2001, selon lequel l'utilisation de l'intranet par les organisations syndicales est soumise aux mêmes règles que l'emploi de supports classiques (tracts, affichages) et le contenu des communications syndicales est librement déterminé par les organisations syndicales, sous réserve de l'application de l'article L. 412-8, alinéa 5, du Code du travail, en matière d'exercice du droit syndical. Par suite, en l'état de ces dispositions, parfaitement claires, la restriction ultérieurement apportée relative au lien nécessaire entre le contenu de ces publications et la situation sociale existant dans l'entreprise était inopérante, de sorte qu'en retenant une faute de la part du salarié, de ce chef, la cour d'appel aurait méconnu les dispositions susvisées et violé l'article L. 412-8.
Le requérant arguait, également, que le salarié jouit de sa liberté d'expression au sein de l'entreprise à laquelle seules des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché peuvent être apportées. Or, en l'espèce, la diffusion du courriel litigieux avait été faite à quelques dizaines de salariés, de sorte qu'elle était limitée et en dehors des horaires de travail. En conséquence, faute d'avoir apprécié l'exercice du droit d'expression du salarié au regard de ces circonstances, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article L. 120-2 du Code du travail (N° Lexbase : L5441ACI).
Ecartant l'argumentation développée par le salarié, la Cour de cassation rejette le pourvoi. Ainsi qu'elle l'affirme, "après avoir relevé qu'un accord d'entreprise du 3 avril 2001, relatif à l'exercice du droit syndical dans l'entreprise, mettait à la disposition des organisations syndicales représentatives la messagerie électronique interne pour la publication d'informations syndicales, la cour d'appel a retenu que, selon l'article 6-2-1 de l'accord, cette faculté était subordonnée à l'existence d'un lien entre le contenu et la situation sociale existant dans l'entreprise". Par suite, "faisant application de cet accord au litige, dans lequel l'intéressé se prévalait de sa fonction syndicale, la cour d'appel, qui a constaté qu'il n'y avait aucun lien entre la situation sociale de l'entreprise et le contenu du courriel litigieux, et que celui-ci était sans rapport avec l'activité syndicale du salarié, a ainsi caractérisé une faute disciplinaire".
2 Le respect des dispositions conventionnelles autorisant le recours à la messagerie électronique de l'entreprise
Dans la mesure où cela ne conduit pas à réduire les droits que les salariés tiennent de la loi, une convention collective peut assortir les prérogatives qu'elle crée de certaines limites. Celles-ci constituent, alors, autant d'obligations pesant sur les salariés qui se doivent de les respecter. Encore que cela puisse être discuté (6), le non-respect de ces obligations conventionnelles par un salarié pouvant être assimilé à une faute disciplinaire et être sanctionné comme telle.
Cela étant admis, il importe, alors, d'avoir égard aux stipulations de l'accord en cause. En l'espèce, il apparaît que l'article 6-2-1 de l'accord subordonnait la faculté d'user de la messagerie électronique interne de l'entreprise, pour la publication d'informations syndicales, à l'existence d'un lien entre le contenu et la situation sociale existant dans l'entreprise. Or, le courriel litigieux ne présentant pas de lien de cette nature, les stipulations de l'accord n'avaient pas, à l'évidence, été respectées. La solution paraît dès lors justifiée.
Au-delà, une question nous semble devoir être posée : celle de la validité des stipulations de l'accord collectif qui étaient, ici, en cause. Ainsi que nous l'avons vu, depuis mai 2004, il est acquis qu'à défaut d'accord collectif, tout accès à l'intranet, comme à la messagerie interne de l'entreprise, peut être théoriquement totalement interdit aux syndicats. Or, ainsi que l'a relevé un auteur, une telle prohibition n'avait rien d'évident avant cette date, "par analogie : la distribution de tracts (virtuels ?) est, par exemple, un droit pour les membres des sections syndicales, et le droit pour les représentants du personnel d'aller au contact de leurs mandants pouvait aussi passer par ces autoroutes de l'information" (7). En d'autres termes, et à suivre cette opinion, on peut considérer qu'antérieurement à la loi du 4 mai 2004, l'utilisation de la messagerie électronique de l'entreprise pour la diffusion de tracts était possible en vertu des seules dispositions de l'article L. 412-8 du Code du travail (8). Partant, il convient d'admettre que, si un accord collectif pouvait organiser le recours à la messagerie électronique de l'entreprise, c'est à la condition d'être plus favorable que la loi. En conséquence, et cela rejoint l'argumentation développée par le salarié dans son pourvoi, il faut se demander si l'accord peut exiger que la publication syndicale présente un lien avec la situation sociale de l'entreprise ?
Cela peut se discuter. L'article L. 412-8, alinéa 5, du Code du travail (N° Lexbase : L4707DZD) précise que le contenu des affiches, publications et tracts "est librement déterminé par l'organisation syndicale, sous réserve de l'application des dispositions relatives à la presse". Nonobstant cette disposition, on considère classiquement que le contenu de la communication doit être de nature syndicale, ce qui s'entend largement (9). Or, l'exigence d'un lien entre la communication syndicale et la situation sociale de l'entreprise peut apparaître plus restrictif et donc moins favorable que la loi (10).
Une telle argumentation ne peut, cependant, prospérer que si l'on admet qu'antérieurement à la loi de mai 2004, le recours aux technologies de l'information était possible sur le seul fondement de l'article L. 412-8. Il y a tout lieu de penser que telle n'est pas la position de la Cour de cassation (11).
Pour confirmer la solution retenue par les juges du fond, la Cour de cassation prend soin de relever que le salarié se prévalait, en l'espèce, de sa fonction syndicale. Il faut, ainsi, comprendre que c'est parce que le salarié avait envoyé le courriel litigieux en sa qualité de délégué syndical que lui étaient applicables les stipulations de l'accord en cause exigeant un lien entre la communication et la situation sociale de l'entreprise. Accord qui, faut-il le rappeler, était relatif à l'exercice du droit syndical dans l'entreprise. En d'autres termes, si le salarié avait adressé le même courriel en cette seule qualité, le litige changeait en quelque sorte de visage. En ce cas, aurait été en cause la liberté d'expression du salarié et non le respect de l'accord. Cette argumentation était, d'ailleurs, développée par le salarié sanctionné dans son pourvoi. La Chambre sociale l'a, cependant, écarté, en considérant que ce dernier avait agi dans l'exercice de son mandat. Si cette position n'est pas en soi critiquable, on peut la regretter car il aurait été intéressant d'avoir l'avis de la Cour de cassation sur les limites qu'il convient d'apporter à la liberté d'expression du salarié, sur le fondement de l'article L. 120-2 du Code du travail.
Décision
Cass. soc., 22 janvier 2008, n° 06-40.514, M. Stéphane Marché c/ Société Crédit industriel et commercial, F-P (N° Lexbase : A0979D4Z) Rejet, CA Paris (18ème ch., sect. D), 29 novembre 2005 Textes concernés : C. trav., art. L. 412-18 (N° Lexbase : L4707DZD), article 6-2-1 de l'accord du 3 avril 2001, relatif à l'exercice du droit syndical et aux institutions représentatives du personnel au Crédit industriel et commercial Mots clefs : exercice du droit syndical dans l'entreprise, messagerie électronique interne, utilisation, accord collectif, sanction disciplinaire. Liens base : |
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Réf. : CJCE, 18 décembre 2007, aff. C-101/05, Skatteverket c/ A (N° Lexbase : A1110D3I)
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N0520BEY
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par Frédéric Dieu, Commissaire du Gouvernement près le tribunal administratif de Nice (1ère ch.)
Le 07 Octobre 2010
Se manifeste l'existence d'un principe de liberté de circulation à deux vitesses.
1. Le champ d'application et les limites du principe de liberté de circulation des capitaux
1.1. Le champ d'application du principe de liberté de circulation des capitaux
1.1.1. Un principe applicable aux mouvements de capitaux entre Etats membres de l'Union européenne et pays tiers
L'ancienne version du principe de liberté de circulation des capitaux n'était pas applicable aux mouvements de capitaux entre Etats membres et pays tiers.
L'ancien article 67 du Traité CE prévoyait la suppression progressive des restrictions aux mouvements des capitaux appartenant à des personnes résidant dans les Etats membres ainsi que des discriminations de traitement fondées sur la nationalité ou la résidence des parties ou sur la localisation du placement. De même, les dispositions de droit dérivé prises pour assurer la mise en oeuvre de cet article, en particulier la Directive 88/361/CEE du 24 juin 1988 (N° Lexbase : L9795AUC) (2), auxquelles les Etats membres devaient se conformer au plus tard le 1er juillet 1990, limitaient leur champ d'application aux personnes résidant dans les Etats membres.
La version actuelle du principe de libre circulation des capitaux, applicable aux mouvements de capitaux entre Etats membres et pays tiers, nous semble, en revanche, invocable par tous les ressortissants communautaires résidant à Monaco et disposant d'une habitation en France.
Le principe de libre circulation des capitaux, tel qu'il est issu de l'actuel article 56-1 CE (3) concerne, désormais, non seulement les mouvements de capitaux entre Etats membres, mais aussi les mouvements de capitaux entre Etats membres et pays tiers. En cela, cet article présente une différence essentielle par rapport aux articles 3 § c et 7 A § 2 du Traité qui ne concernent que les mouvements de capitaux entre Etats membres (4). En outre, la libération des mouvements de capitaux est, désormais, un objectif en soi et non plus seulement en référence au bon fonctionnement du marché commun. Aussi, les exceptions à ce principe ne peuvent-elles, désormais, résulter que des stipulations du Traité instituant la Communauté européenne. Par suite, aucun acte de droit communautaire ou de droit national (5) ne peut faire obstacle à la libre circulation des capitaux en dehors des exceptions prévues par les articles 57 et 58 du Traité CE.
1.1.2. Les notions de mouvements de capitaux et de restriction à ces mouvements sont interprétées de manière identique en ce qui concerne les mouvements intracommunautaires, d'une part, et les mouvements entre Etats membres et pays tiers, d'autre part
L'intérêt de l'arrêt "Skatteverket c/ A" est aussi de rappeler que les notions de "mouvement de capitaux" et de "restriction" visées à l'article 56, § 1, CE ont la même portée en ce qui concerne les relations entre les Etats membres et les pays tiers que dans le cadre intracommunautaire.
En effet, l'article 56, § 1, CE pose, dans les mêmes termes, le principe de la libre circulation des capitaux entre les Etats membres, d'une part, et entre ces Etats et les pays tiers, d'autre part.
En outre, aux articles 57 CE, 59 CE et 60 CE , le législateur communautaire a prévu expressément les clauses de sauvegarde, économiques et politiques, ainsi que les dérogations qui s'appliquent spécialement à cette liberté de circulation avec les pays tiers. Ce sont donc ces dispositions, ainsi que celles de l'article 58 CE, qui sont destinées à prendre en compte les différences d'objectif et de contexte juridique de la libre circulation des capitaux entre les Etats membres et les pays tiers et non pas l'article 56, § 1, CE. En d'autres termes, c'est bien parce que ce dernier article a la même portée en ce qui concerne les relations entre les Etats membres et les pays tiers que dans le cadre intracommunautaire qu'il est apparu nécessaire de prévoir des clauses de sauvegarde.
Au total, si la Cour a admis que la libéralisation des mouvements de capitaux avec les pays tiers pouvait poursuivre des objectifs autres que celui de réaliser le marché intérieur, tels que ceux, notamment, d'assurer la crédibilité de la monnaie unique communautaire sur les marchés financiers mondiaux et de maintenir, dans les Etats membres, des centres financiers de dimension mondiale, elle n'en a pas moins constaté que les Etats membres avaient consacré le principe de la libre circulation des capitaux dans le même article du Traité CE et dans les mêmes termes pour les mouvements de capitaux qui ont lieu à l'intérieur de la Communauté et pour ceux qui concernent des relations avec des pays tiers, tout en prévoyant des clauses de sauvegarde et des dérogations qui s'appliquent spécifiquement aux mouvements de capitaux à destination ou en provenance de pays tiers.
Dans l'espèce jugée par la CJCE le 18 décembre 2007, le litige opposait le Skatteverket (administration fiscale suédoise) et une personne physique résidant en Suède. La législation suédoise accorde aux contribuables résidant en Suède une exonération d'impôt pour les dividendes distribués, sous forme d'actions d'une filiale, par une société anonyme établie en Suède ou dans un autre Etat membre de l'Espace économique européen (EEE), mais refuse de leur accorder le bénéfice de cette exonération lorsqu'une telle distribution émane d'une société établie dans un pays tiers non membre de l'EEE, sauf si celui-ci a conclu avec la Suède une convention prévoyant l'échange de renseignements.
Or, il est bien évident qu'une distribution de dividendes sous la forme d'actions dans une filiale constitue un mouvement de capitaux au sens de cette disposition. Ainsi, dans l'arrêt du 6 juin 2000, "Verkooijen" (6), la Cour a jugé que le fait, pour un ressortissant d'un Etat membre résidant sur le territoire de celui-ci, de percevoir des dividendes d'actions d'une société non-résidente constituait un mouvement de capitaux au sens de l'article 1er de la Directive 88/361. Une telle analyse est transposable lorsque les dividendes distribués prennent la forme d'actions dans une filiale, puisque une telle distribution suppose que le bénéficiaire possède des actions de la société distributrice. Surtout, la loi suédoise constitue une restriction à ce mouvement de capitaux. En effet, cette loi, en ce qu'elle prive du bénéfice de l'exonération les dividendes distribués par des sociétés établies dans des pays qui ne sont pas membres de l'EEE et qui n'ont pas passé avec le Royaume de Suède de convention prévoyant un échange de renseignements, dissuade les contribuables de cet Etat membre d'investir leurs capitaux dans des sociétés établies dans ces pays tiers.
Une législation en vertu de laquelle l'exonération de l'impôt sur le revenu des dividendes distribués sous la forme d'actions dans une filiale ne peut être accordée que si la société mère distributrice est établie dans un pays de l'EEE ou dans un Etat avec lequel l'Etat membre a conclu une convention fiscale contenant une disposition prévoyant l'échange de renseignements constitue donc une restriction à un mouvement de capitaux au sens de l'article 56, § 1, CE.
1.2. Les limites du principe de liberté de circulation des capitaux en ce qui concerne les mouvements de capitaux entre Etats membres de l'Union européenne et pays tiers
1.2.1. Les articles 57 et 58 du Traité
Les exceptions au principe de libre circulation des capitaux entre Etats membres de l'UE et pays tiers sont prévues par les articles 57 et 58 CE (7).
L'article 57 CE ne concerne que les relations avec les pays tiers et porte sur les mouvements de capitaux considérés comme étant particulièrement sensibles. Il s'agit des mouvements de capitaux qui impliquent des investissements directs, y compris les investissements immobiliers, l'établissement, la prestation de services financiers ou l'admission de titres sur les marchés des capitaux.
Les stipulations de l'article 57 CE (8) prévoient de telles restrictions lorsqu'elles existaient déjà le 31 décembre 1993 ou lorsque le Conseil, sur proposition de la Commission, décide d'en mettre en oeuvre. Par ailleurs, les stipulations de l'article 58 CE (9), applicables aux restrictions aux mouvements de capitaux entre Etats membres, d'une part, et entre Etats membres et pays tiers, d'autre part, prévoient de telles restrictions lorsqu'elles sont fondées sur des différences de situation en ce qui concerne le lieu de résidence ou le lieu d'investissement des capitaux ou lorsqu'elles sont justifiées par la lutte contre l'évasion fiscale ou la nécessité de renforcer le contrôle prudentiel des établissements financiers.
1.2.2. Une limitation qui peut être justifiée par la nécessité de garantir l'efficacité des contrôles fiscaux
Selon la CJCE, parmi les mesures pouvant être considérées comme indispensables pour faire échec aux infractions aux lois et aux règlements d'un Etat membre figurent notamment celles destinées à garantir l'efficacité des contrôles fiscaux (10).
Parmi les raisons impérieuses d'intérêt public susceptibles de justifier une restriction à l'exercice de libertés fondamentales (11) figurent la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales (12) et l'efficacité des contrôles fiscaux (13). La fraude fiscale constitue une raison impérieuse d'intérêt général qui peut justifier une restriction à une liberté de circulation (14). Toutefois, la restriction en cause doit être appropriée à l'objectif poursuivi et ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l'objectif visé (15).
Ainsi, la liste des mesures justificatives contenue à l'article 58, § 1, sous b), CE n'est pas limitative. La CJCE a admis que la liberté de circulation des capitaux, comme les autres libertés de circulation, pouvait être restreinte par d'autres motifs, qualifiés de raison ou d'exigence impérieuse d'intérêt général (16). Il a été jugé à plusieurs reprises que la nécessité de garantir l'efficacité des contrôles fiscaux constitue également une raison impérieuse d'intérêt général pouvant justifier une restriction à la liberté de circulation des capitaux (17). Cependant, quel que soit le motif invoqué, il importe que la mesure en cause soit apte à atteindre l'objectif qu'elle poursuit et qu'elle n'excède pas ce qui est nécessaire à cet effet.
Certes, s'agissant des relations entre Etats membres, la CJCE a, en pratique, rarement considéré que l'efficacité des contrôles fiscaux constituait une exigence impérieuse d'intérêt général susceptible de justifier une restriction à l'exercice des libertés fondamentales garanties par le Traité (18). En effet, selon la Cour, un Etat membre ne peut appliquer que des mesures qui lui permettent de contrôler, de façon claire et précise, les contribuables soumis à une taxe donnée et le montant dû par eux (19). Plus généralement, une restriction à une liberté garantie par le Traité ne peut être justifiée sur la base de la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales que si la législation en question a pour objet spécifique d'exclure d'un avantage fiscal les montages purement artificiels ayant pour but de contourner la législation nationale (20).
Toutefois, la jurisprudence communautaire est moins stricte en ce qui concerne les relations entre Etats membres et pays tiers. Ainsi, dans l'arrêt du 12 décembre 2006, "Test Claimants in the FII Group Litigation" (21), la CJCE a indiqué qu'il ne saurait être exclu qu'un Etat membre puisse démontrer qu'une restriction des mouvements de capitaux à destination ou en provenance de pays tiers soit justifiée par un motif donné dans des circonstances où ce motif ne serait pas de nature à constituer une justification valide pour une restriction de mouvements de capitaux entre Etats membres.
2. L'absence, entre les pays de l'Union et les pays tiers, de liens juridiques relatifs aux échanges de renseignements justifie une solution différente de celle applicable aux mouvements de capitaux intracommunautaires
2.1. L'échange de renseignements entre Etats membres est plus structuré et plus contraignant que l'échange de renseignements entre Etats membres et pays tiers
2.1.1. L'échange de renseignements entre Etats membres s'appuie sur la Directive 77/799/CEE et fait l'objet, de la part de la CJCE, d'une interprétation extensive
La Directive 77/799/CEE (N° Lexbase : L9296AUT) a été adoptée pour lutter contre la fraude et l'évasion fiscales. Elle établit un mécanisme de coopération renforcée entre les administrations fiscales des Etats membres et facilite l'échange d'informations qui peuvent être utiles pour l'établissement correct des impôts sur le revenu et sur la fortune. Ce faisant, elle vise à garantir l'existence d'un niveau minimal d'harmonisation quant à l'assistance et à la coopération administratives entre tous les Etats membres. Comme telle, elle doit recevoir plein effet et être interprétée et appliquée de manière uniforme dans toute la Communauté (22).
Les dispositions de l'article 11 de la Directive, relatives aux rapports entre celle-ci et les autres instruments juridiques prévoyant des "obligations plus larges quant à l'échange d'informations", ont en particulier pour objet de clarifier les effets juridiques des conventions bilatérales ayant le même objet que la Directive. La Directive 77/799 s'est, en effet, ajoutée à un réseau de conventions bilatérales (ou multilatérales) déjà existantes prévoyant une coopération administrative dans le domaine fiscal et elle n'avait pas pour objectif de limiter des obligations ou des possibilités existantes en matière d'assistance mutuelle, mais au contraire de créer de telles obligations ou possibilités (23).
Les dispositions de l'article 11 de la Directive 77/799 permettent, ainsi, aux Etats membres de maintenir ou de conclure des accords bilatéraux ayant le même objet que la Directive et, donc, de maintenir ou d'établir une forme de coopération allant au-delà de celle prévue par la Directive. Une convention fiscale bilatérale ne peut donc s'appliquer que si elle comporte, quant à l'échange d'informations, des obligations plus larges que celles imposées par la Directive. Le principe selon lequel une convention fiscale bilatérale ne peut être appliquée que dans la mesure où elle ne limite en aucune manière l'applicabilité de la Directive 77/799, est confirmé par la jurisprudence de la Cour, selon laquelle les Etats membres ne peuvent exciper d'une convention fiscale bilatérale aux fins d'échapper aux obligations qui leur incombent en vertu du Traité (24).
Pour autant, les dispositions de l'article 8 § 1 de la Directive 77/799 prévoient que cette dernière n'impose pas l'obligation de faire effectuer des recherches ou de transmettre des informations lorsque la législation ou la pratique administrative de l'Etat membre qui devrait fournir les informations n'autorisent l'autorité compétente ni à effectuer ces recherches ni à recueillir ou à utiliser ces informations pour les propres besoins de cet Etat. Dans un tel cas, en effet, il n'y a aucune asymétrie d'information entre l'Etat membre qui demande des renseignements et celui qui est sensé les lui fournir et il est bien évident qu'un Etat membre ne peut demander à un autre Etat membre de lui fournir des renseignements dont il ne dispose pas pour la bonne et simple raison qu'il n'a pas à les recueillir. L'assistance administrative est ici vidée de son contenu et donc sans objet et la Directive 77/799 ne peut donc être méconnue puisqu'elle vise non pas à obliger les Etats membres à recueillir et échanger des informations sur tous les contribuables, mais à les inciter à échanger les informations dont ils disposent sur tel ou tel contribuable. En d'autres termes, la Directive ne vise pas le recueil d'informations mais la transmission des informations disponibles. Plus précisément, elle ne vise pas la mise en oeuvre d'un recueil d'informations mais la mise en oeuvre d'une transmission des informations recueillies, intervenant ainsi en quelque sorte en aval du recueil d'informations.
La question s'est posée, récemment, de savoir si la Directive 77/99 suffisait, en l'absence d'obligations d'échanges d'informations issues d'une convention fiscale bilatérale, à atteindre ce but et concrètement à permettre à l'administration fiscale française de disposer des renseignements nécessaires et d'éviter toute élision de la taxe par une personne morale établie à l'étranger. La Cour a, de manière assez prévisible, apporté une réponse affirmative à cette question (25). En effet, elle avait déjà eu l'occasion de juger, au sujet d'Etats membres pratiquant le secret bancaire qui invoquaient l'inefficacité de la Directive, que l'impossibilité pour un Etat membre de solliciter la collaboration des autorités fiscales d'un autre Etat membre ne pouvait justifier le refus d'un avantage fiscal, ce même si les dispositions de l'article 8 de la Directive sont dépourvues de caractère contraignant en ce qu'elles n'obligent pas les autorités fiscales des Etats membres à collaborer lorsque leurs lois ou leurs pratiques administratives n'autorisent pas les autorités compétentes à effectuer des recherches ou à recueillir ou à utiliser des informations pour les propres besoins de ces Etats. La raison de cette sévérité est simple : selon la Cour, rien n'empêche les autorités fiscales concernées d'exiger de l'intéressé les preuves qu'elles jugent nécessaires et, le cas échéant, de refuser l'avantage fiscal, y compris une exonération, si ces preuves ne sont pas fournies (26).
2.1.2. L'échange de renseignements entre Etats membres et pays tiers est quant à lui soumis à la seule volonté des Etats concernés
S'agissant de l'échange de renseignements à des fins fiscales entre les pays tiers et les Etats membres, des mesures équivalentes à celles prévues par la Directive 2003/48 (N° Lexbase : L6608BH9) dans le domaine spécifique couvert par celle-ci ont fait l'objet d'accords entre la Communauté européenne, d'une part, et la Confédération suisse, la Principauté d'Andorre, la Principauté de Liechtenstein, la Principauté de Monaco ainsi que la République de Saint-Marin, d'autre part.
En dehors de ces accords particuliers, l'échange de renseignements à des fins fiscales entre les pays tiers et les Etats membres continue de relever de conventions bilatérales ou multilatérales. Tel est le cas, en particulier, en ce qui concerne l'échange de renseignements entre les Etats membres et les pays appartenant à l'EEE, c'est-à-dire la République d'Islande, la Principauté de Liechtenstein et le Royaume de Norvège. Ces pays ne sont pas tenus, par l'accord sur l'Espace économique européen, du 2 mai 1992, de transposer dans leur droit national les actes de droit dérivé portant sur l'échange de renseignements en matière fiscale, tels que la Directive 77/799.
C'est en fait l'article 26 du modèle de convention fiscale de l'OCDE qui fournit la norme la plus généralement retenue pour ce type de convention (27).
2.2. La solution rendue par la CJCE dans l'arrêt "Skatteverket c/ A" se justifie par la nécessité d'assurer l'efficacité des contrôles fiscaux et par la volonté d'inciter les pays tiers à systématiser les échanges d'informations avec les Etats membres
2.2.1. La nécessité d'assurer l'efficacité des contrôles fiscaux et "l'Etat-écran"
L'intérêt de l'arrêt "Skatteverket c/ A" est de souligner que la mesure dans laquelle les Etats membres sont autorisés à appliquer certaines restrictions relatives aux mouvements de capitaux ne peut pas être déterminée sans tenir compte de la circonstance que les mouvements de capitaux à destination ou en provenance de pays tiers se déroulent dans un contexte juridique différent de ceux qui ont lieu au sein de la Communauté. En effet, en raison du degré d'intégration juridique existant entre les Etats membres de l'Union européenne, et notamment de l'existence de mesures législatives communautaires visant à la coopération entre les autorités fiscales nationales (Directive 77/799), l'imposition par un Etat membre d'activités économiques ayant des aspects transfrontaliers qui se situent au sein de la Communauté n'est pas toujours comparable à celle d'activités économiques ayant trait à des relations entre les Etats membres et les pays tiers. Selon la Cour, il ne saurait pas non plus être exclu qu'un Etat membre puisse démontrer qu'une restriction aux mouvements de capitaux à destination ou en provenance de pays tiers est justifiée par un motif donné dans des circonstances où ce motif ne serait pas de nature à constituer une justification valide pour une restriction aux mouvements de capitaux entre Etats membres.
Or, nous l'avons vu, la nécessité de garantir l'efficacité des contrôles fiscaux constitue une raison impérieuse d'intérêt général susceptible de justifier une telle restriction si la mesure en cause respecte le principe de proportionnalité, en ce sens qu'elle doit être propre à garantir la réalisation de l'objectif qu'elle poursuit et ne doit pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour l'atteindre.
Si donc, au sein de la Communauté, un Etat membre ne saurait invoquer l'impossibilité de solliciter la collaboration d'un autre Etat membre pour effectuer des recherches ou recueillir des informations afin de justifier le refus d'un avantage fiscal, cela n'est pas le cas dès lors que sont en cause des mouvements de capitaux entre les Etats membres et les pays tiers. En particulier, lorsque la réglementation d'un Etat membre fait dépendre le bénéfice d'un avantage fiscal de la satisfaction de conditions dont le respect ne peut être vérifié qu'en obtenant des renseignements des autorités compétentes d'un pays tiers, il est, en principe, légitime pour cet Etat membre de refuser l'octroi de cet avantage si, notamment en raison de l'absence d'une obligation conventionnelle de ce pays tiers de fournir des informations, il s'avère impossible d'obtenir ces renseignements dudit pays. Soulignons, à cet égard, que c'est à la juridiction de renvoi de l'Etat membre (en l'espèce, la Suède) qu'il incombe de vérifier si l'administration fiscale nationale est en mesure de vérifier le respect des exigences posées par la loi nationale pour bénéficier de l'exonération des dividendes et si, lorsqu'une convention a été conclue avec le pays tiers (en l'espèce, la Suisse), cette convention permet à l'administration fiscale nationale d'obtenir de ce pays tiers les renseignements dont elle a besoin. C'est pourquoi la CJCE a renvoyé à la Cour suprême administrative suédoise la vérification de l'impossibilité pour l'administration fiscale suédoise d'obtenir de l'administration suisse des renseignements relatifs aux dividendes versés au contribuable résidant en Suède par une société établie en Suisse.
Par ailleurs, la solution retenue par la CJCE revient en quelque sorte à appliquer la théorie de "l'Etat-écran" aux relations entre Etats membres et pays tiers alors que cette théorie a été écartée par la CJCE aux relations entre Etats membres dans l'arrêt "Elisa" du 11 octobre 2007. En effet, à défaut d'être lié au pays tiers de rattachement de la personne morale en cause par une convention d'assistance administrative, il est impossible à l'Etat membre d'obtenir de la part de ce pays tiers les informations nécessaires à la détermination du caractère imposable ou non imposable de cette personne. Ces informations ne peuvent et ne doivent être obtenues que du pays tiers de rattachement de la personne morale : ce pays fait ainsi écran entre la personne morale et l'administration fiscale de l'Etat membre, celle-ci ne se fiant qu'aux informations de source étatique, disons administrative, et s'interdisant d'exiger la communication des informations nécessaires directement auprès de la personne morale établie dans un Etat non lié à la France par une convention d'assistance administrative.
Cette théorie de "l'Etat-écran" souligne que les relations entre l'Union et les pays tiers sont nécessairement des relations inter-étatiques, relations manifestées et concrétisées par la signature de conventions d'assistance administrative et ne peuvent comporter de relations individuelles, c'est-à-dire de relations directes avec les administrés que sont les personnes redevables d'un impôt. En ce qui concerne, en revanche, les relations entre Etats membres, la CJCE, dans l'arrêt "Elisa" du 11 octobre 2007, a tiré en quelque sorte les conséquences de l'existence d'un ordre juridique communautaire intégré d'une citoyenneté communautaire en considérant que toute personne (physique ou morale) ayant la nationalité d'un Etat membre et qui dispose d'un quelconque intérêt dans un autre Etat membre doit être traitée par l'administration de ce dernier comme l'un de ses administrés et non seulement comme le ressortissant du premier Etat.
2.2.2. La volonté d'inciter les pays tiers à systématiser les échanges d'informations avec les Etats membres
L'arrêt "Skatteverket c/ A" pourrait inciter les pays tiers à passer des conventions prévoyant l'échange de renseignements avec la Communauté ou, à tout le moins, avec les Etats membres. En effet, en justifiant l'exclusion du bénéfice d'un avantage fiscal dans le cadre de mouvements de capitaux avec un pays tiers qui n'a pas passé de convention prévoyant l'échange de renseignements avec l'Etat membre concerné, la Cour permet aux autorités communautaires et aux Etats membres de disposer d'un moyen de pression pouvant inciter les pays tiers à souscrire de tels engagements.
L'article 56 CE et le principe de liberté de circulation des capitaux n'ont donc pas la même portée en ce qui concerne les mouvements de capitaux à destination ou en provenance des pays tiers qu'en ce qui concerne les mouvements de capitaux intracommunautaires : en effet, dans le premier cas, il s'agit d'une libéralisation sous condition, alors que, dans le second cas, il s'agit d'une liberté quasi illimitée. Un Etat membre est ainsi en droit de subordonner la libéralisation des mouvements de capitaux à destination ou en provenance des pays tiers à la condition que ces pays s'engagent à pratiquer avec ses autorités nationales une coopération administrative et une assistance mutuelle d'un niveau équivalent à celui qui s'impose au niveau intracommunautaire en vertu de la Directive 77/799.
Cette solution est d'ailleurs cohérente avec le fait que cette Directive, en vertu de la limite énoncée à son article 8, impose aux Etats membres de respecter en quelque sorte un "principe d'équivalence", en ce sens que, pour garantir l'établissement correct de l'impôt dû à l'Etat requérant, ils sont tenus d'effectuer, au profit de celui-ci, les mêmes recherches que celles qu'ils seraient en droit de faire pour l'application de leur propre législation, et non pas d'accomplir des diligences que leur législation ou leurs pratiques administratives ne les autorisent pas à effectuer.
Précisons, toutefois, que dans le cas où les autorités fiscales nationales sont en mesure de procéder à un tel contrôle par leurs moyens propres, l'absence de convention prévoyant l'échange de renseignements avec le pays tiers concerné n'empêche pas l'Etat membre de procéder à un contrôle réel et efficace du respect de sa législation. Ce n'était pas le cas, en l'espèce, puisque le Skatteverket ainsi que le Gouvernement suédois prétendaient que les autorités fiscales nationales n'étaient pas en mesure de vérifier le respect des conditions de la loi suédoise. Dans un tel cas, donc, la restriction à la circulation des capitaux n'est conforme aux articles 56 CE et 58 CE que si le juge national constate que ces conditions ne peuvent pas être vérifiées par les autorités fiscales suédoises par leurs propres moyens et nécessitent des informations que seules les autorités compétentes du pays d'établissement de la société distributrice sont en mesure d'obtenir. C'est ainsi in fine au juge national qu'il appartient de vérifier que les conditions d'application de la restriction permise par l'article 58 CE sont réunies.
Conclusion
L'arrêt rendu par la CJCE dans l'affaire "Skatteverket c/ A" a introduit une nette distinction, en matière d'application du principe de libre circulation des capitaux, entre les relations entre Etats-membres, d'une part, et les relations entre Etats membres et pays tiers, d'autre part. En effet, dans le cadre intracommunautaire, l'exclusion a priori d'un avantage fiscal en cas d'impossibilité de contrôle des conditions nationales auprès d'un autre Etat est considérée comme disproportionnée dans la mesure où existe, en vertu de la Directive 77/799, une obligation d'assistance mutuelle. Or, les relations entre Etats membres et pays tiers se situent hors du champ d'application de la Directive 77/799.
C'est donc, lorsqu'il existe une obligation d'assistance mutuelle et, dans une certaine mesure, parce que les éléments de preuve produits par le contribuable se trouvent couverts par l'ordre juridique communautaire que l'impossibilité de vérifier ces éléments auprès d'un autre Etat membre n'est pas considérée comme une raison suffisante pour empêcher, de manière absolue, ce contribuable de démontrer qu'il remplit bien les conditions auxquelles la loi nationale soumet l'octroi de l'avantage fiscal en cause. Cette jurisprudence n'est donc pas transposable dans le cadre de mouvements de capitaux avec des pays tiers qui n'ont souscrit aucun engagement d'assistance mutuelle et qui ne sont pas soumis au droit communautaire. En revanche, dès lors que le pays tiers a conclu un tel engagement avec l'Etat membre, il n'est plus possible d'exclure les sociétés qui y sont établies des avantages fiscaux garantis aux sociétés établies dans un Etat membre de l'UE.
(1) CJCE, 18 décembre 2007, aff. C-101/05, Skatteverket c/ A.
(2) Et plus particulièrement, encore, le paragraphe 1 de l'article 1 de cette Directive.
(3) Aux termes de cet article figurant au chapitre 4 du Traité : "Dans le cadre des dispositions du présent chapitre, toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les Etats membres et entre les Etats membres et les pays tiers sont interdites".
(4) Ajoutons que le principe de libre circulation des capitaux est énoncé à deux reprises dans la première partie du Traité CE consacré aux "Principes". L'article 3 § c précise que, pour atteindre les fins qui lui sont assignées, l'action de la Communauté comporte un marché intérieur caractérisé par l'abolition entre les Etats membres des obstacles à la libre circulation des capitaux. L'article 7 A § 2 définit le marché intérieur comme un espace sans frontières intérieures dans lequel la libre circulation des capitaux est assurée dans le respect des dispositions du Traité CE.
(5) Que cet acte résulte de la législation ou de la réglementation.
(6) CJCE, 6 juin 2000, aff. C-35/98, Staatssecretaris van Financiën c/ B.G.M. Verkooijen (N° Lexbase : A1828AWM), Rec. p. I-4071.
(7) Il faut, en effet, souligner que, si les restrictions aux mouvements de capitaux entre Etats membres résultent du seul article 58 CE, les restrictions aux mouvements de capitaux entre Etats membres et pays tiers résultent à la fois de l'article 57 CE et de l'article 58 CE. Les restrictions aux mouvements de capitaux entre Etats membres et pays tiers sont donc plus nombreuses et le principe de libre circulation des capitaux est plus réduite s'agissant des mouvements extérieurs que s'agissant des mouvements intérieurs.
(8) Aux termes de cet article : "1° L'article 56 ne porte pas atteinte à l'application, aux pays tiers, des restrictions existant le 31 décembre 1993 en vertu du droit national ou du droit communautaire en ce qui concerne les mouvements de capitaux à destination ou en provenance de pays tiers lorsqu'ils impliquent des investissements directs, y compris les investissements immobiliers, l'établissement, la prestation de services financiers ou l'admission de titres sur les marchés des capitaux. 2° Tout en s'efforçant de réaliser l'objectif de libre circulation des capitaux entre Etats membres et pays tiers, dans la plus large mesure possible et sans préjudice des autres chapitres du présent Traité, le Conseil, statuant à la majorité qualifiée sur proposition de la Commission, peut adopter des mesures relatives aux mouvements de capitaux à destination ou en provenance de pays tiers, lorsqu'ils impliquent des investissements directs, y compris les investissements immobiliers, l'établissement, la prestation de services financiers ou l'admission de titres sur les marchés des capitaux. L'unanimité est requise pour l'adoption de mesures en vertu du présent paragraphe qui constituent un pas en arrière dans le droit communautaire en ce qui concerne la libéralisation des mouvements de capitaux à destination ou en provenance de pays tiers".
(9) Aux termes de cet article : "1° L'article 56 ne porte pas atteinte au droit qu'ont les Etats membres : a) d'appliquer les dispositions pertinentes de leur législation fiscale qui établissent une distinction entre les contribuables qui ne se trouvent pas dans la même situation en ce qui concerne leur résidence ou le lieu où leurs capitaux sont investis ; b) de prendre toutes les mesures indispensables pour faire échec aux infractions à leurs lois et règlements, notamment en matière fiscale ou en matière de contrôle prudentiel des établissements financiers, de prévoir des procédures de déclaration des mouvements de capitaux à des fins d'information administrative ou statistique ou de prendre des mesures. 2° Le présent chapitre ne préjuge pas la possibilité d'appliquer des restrictions en matière de droit d'établissement qui sont compatibles avec le présent traité. 3° Les mesures et procédures visées aux paragraphes 1 et 2 ne doivent constituer ni un moyen de discrimination arbitraire ni une restriction déguisée à la libre circulation des capitaux et des paiements telle que définie à l'article 56".
(10) CJCE, 26 septembre 2000, aff. C-478/98, Commission c/ Belgique (N° Lexbase : A0249AW7), Rec. p. I-7587, points 38 et 39.
(11) CJCE, 4 mars 2004, aff. C-334/02, Commission/France (N° Lexbase : A4317DBI), Rec. p. I-2229, point 27. Voir aussi conclusions de l'avocat général Léger dans l'affaire "Cadbury Schweppes" et "Cadbury Schweppes Overseas", CJCE, 12 septembre 2006, aff. C-196/04 (N° Lexbase : A9641DQ7), point 85.
(12) CJCE, 16 juillet 1998, aff. C-264/96, ICI (N° Lexbase : A0410AW4), Rec. p. I-4695, point 26 ; CJCE, 8 mars 2001, aff. C-397/98 et C?410/98, Metallgesellschaft e.a. (N° Lexbase : A8088AY9), Rec. p. I-1727, point 57 ; CJCE, 21 novembre 2002, aff. C-436/00, X et Y (N° Lexbase : A0406A78), Rec. p. I-10829, point 61) ; CJCE, 12 décembre 2002, aff. C-324/00, Lankhorst-Hohorst (N° Lexbase : A0411A7D), Rec. p. I-11779, point 37) ; CJCE, 13 décembre 2005, aff. C-446/03, Marks & Spencer (N° Lexbase : A9386DL9), Rec. I p. 10 837, point 57.
(13) CJCE, 15 mai 1997, aff. C-250/95, Futura Participations et Singer (N° Lexbase : A0119AWC), Rec. p. I-2471, point 31.
(14) CJCE précité, Centro di Musicologia Walter Stauffer, point 32 ; CJCE, 30 janvier 2007, aff. C-150/04, Commission/Danemark (N° Lexbase : A6977DTL), non encore publié au Recueil, point 51.
(15) CJCE précité, Centro di Musicologia Walter Stauffer, point 32 ; CJCE précité, Commission c/ Danemark, point 46 ; CJCE, 5 juillet 2007, aff. C-522/04, Commission c/ Belgique (N° Lexbase : A0042DXT), non encore publié au Recueil, point 47.
(16) CJCE, 1er juin 1999, aff. C-302/97, Konle (N° Lexbase : A1746AWL), Rec. p. I-3099, point 40.
(17) CJCE, précité, Centro di Musicologia Walter Stauffer, point 47 et CJCE, 30 janvier 2007, aff. C-150/04, Commission c/ Danemark (N° Lexbase : A6977DTL), point 51.
(18) Cf., pour l'un des rares cas dans lequel cette restriction a été considérée comme justifiée par l'objectif d'efficacité des contrôles fiscaux, CJCE précité, Futura Participations et Singer.
(19) CJCE, 8 juillet 1999, aff. C-254/97, Baxter e.a. (N° Lexbase : A0511AWT), Rec. p. I-4809, point 18 ; CJCE, 10 mars 2005, aff. C-39/04, Laboratoires Fournier (N° Lexbase : A2728DHI), Rec. p. I-2057, point 24.
(20) CJCE précité, ICI, point 26 ; CJCE précité, Lankhorst-Hohorst, point 37 ; CJCE, 11 mars 2004, aff. C-9/02, de Lasteyrie du Saillant (N° Lexbase : A5001DBT), Rec. p. I-2409, point 50. Cf. aussi CJCE précité, Cadbury Schweppes et Cadbury Schweppes Overseas, précité à la note 28, point 51 : les "montages purement artificiels" sont ceux qui ne reflètent pas la réalité économique ; dans le cas de la liberté d'établissement, la Cour a estimé que la réalité économique présupposait une implantation réelle de la société concernée dans l'Etat d'accueil et l'exercice d'une activité économique effective dans celui-ci (Ibidem, point 54).
(21) CJCE, 12 décembre 2006, aff. C-446/04 (N° Lexbase : A8519DSC), Rec. p. I-11753, point 171.
(22) CJCE, 22 octobre 1987, aff. C-314/85, Foto-Frost (N° Lexbase : A8309AUB), Rec. p. 4199 et aussi CJCE, 17 décembre 1970, aff. C-11/70, Internationale Handelsgesellschaft (N° Lexbase : A6635AUB), Rec. p. 1125 et, plus récemment, CJCE, 15 septembre 2005, aff. C-495/03, Intermodal Transports (N° Lexbase : A4380DKG), Rec. p. I-8151.
(23) Cf. troisième considérant de la Directive 77/799, qui indique que "la collaboration entre administrations, sur la base d'accords bilatéraux, est également incapable de faire face aux formes nouvelles de fraude et d'évasion fiscales, qui prennent de plus en plus un caractère multinational". La nécessité d'une telle Directive découlait du fait que toutes les relations bilatérales entre tous les Etats membres n'étaient pas couvertes par des accords bilatéraux concernant la coopération administrative. De même, la portée et l'importance des obligations en matière de coopération administrative sont susceptibles de différer d'un accord bilatéral à l'autre.
(24) CJCE, 14 décembre 2006, aff. C-170/05, Denkavit Internationaal et Denkavit France (N° Lexbase : A8816DSC), Rec. p. I-11949, point 53.
(25) CJCE, 4ème chambre, 11 octobre 1987, aff. C-451/05, Société Elisa, point 96 (N° Lexbase : A7180DYL) : JCP éd. G, 24 octobre 2007, act. 502 ; DF du 18 octobre 2007, act. 1057.
(26) CJCE 28 janvier 1992, aff. C-204/90, Bachmann (N° Lexbase : A9890AUT), Rec. p. I-249, point 20 ; CJCE 28 janvier 1992, aff. C-300/90, Commission c/ Belgique (N° Lexbase : A9599AU3), Rec. p. I-305, point 13 ; CJCE précité, 4 mars 2004, Commission c/ France, point 32 ; CJCE précité, Commission c/ Danemark, point 54.
(27) Dans sa version en vigueur au 29 avril 2000, ce texte était libellé comme suit : "1. Les autorités compétentes des Etats contractants échangent les renseignements nécessaires pour appliquer les dispositions de la présente Convention ou celles de la législation interne relative aux impôts de toute nature ou dénomination perçus pour le compte des Etats contractants, de leurs subdivisions politiques ou de leurs collectivités locales dans la mesure où l'imposition qu'elle prévoit n'est pas contraire à la Convention. [...] 2. Les dispositions du paragraphe 1 ne peuvent en aucun cas être interprétées comme imposant à un Etat contractant l'obligation : a) de prendre des mesures administratives dérogeant à sa législation et à sa pratique administrative ou à celle de l'autre Etat contractant ; b) de fournir des renseignements qui ne pourraient être obtenus sur la base de sa législation ou dans le cadre de sa pratique administrative normale ou de celle de l'autre Etat contractant ; c) de fournir des renseignements qui révéleraient un secret commercial, industriel, professionnel ou un procédé commercial ou des renseignements dont la communication serait contraire à l'ordre public".
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Réf. : CEDH, 22 janvier 2008, req. n° 43546/02, E. B. c/ France (N° Lexbase : A8864D3P)
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par Adeline Gouttenoire, Professeur à l'Université Montesquieu Bordeaux IV
Le 07 Octobre 2010
A la suite du refus opposé à sa demande d'agrément en vue de l'adoption d'un enfant dont elle prétendait qu'il était lié à son homosexualité, Mademoiselle B. a saisi la Cour européenne des droits de l'Homme d'une requête fondée sur les articles 14 (N° Lexbase : L4747AQU) et 8 (N° Lexbase : L4798AQR) de la Convention, après avoir, comme il se doit, épuisé les voies de recours internes (1). La démarche semblait avoir peu de chances de succès au regard de la position très indulgente que la Cour européenne des droits de l'Homme avait, peu de temps auparavant, adoptée à l'égard de la France sur cette question.
Dans l'arrêt "Fretté c/ France" du 26 février 2002 (2) qui concernait des faits similaires, la CEDH avait, en effet, considéré que le refus d'agrément d'un demandeur homosexuel poursuivait un but légitime : la protection de la santé et des droits des enfants susceptibles d'être concernés par une procédure d'adoption. En se fondant sur l'absence de consensus dans les Etats européens à propos de l'adoption par une personne homosexuelle, elle avait affirmé que les Etats devaient bénéficier en la matière d'une large marge d'appréciation et que l'Etat français pouvait légitimement considérer que l'intérêt des enfants susceptibles d'être adoptés justifiait le refus d'agrément sollicité par une personne homosexuelle.
Six ans plus tard, la Cour modifie du tout au tout la solution posée dans l'arrêt "Fretté" en affirmant dans l'arrêt "E. B." que "les autorités internes ont, pour rejeter la demande d'agrément en vue d'adopter présentée par la requérante, opéré une distinction dictée par des considérations tenant à son orientation sexuelle, distinction qu'on ne saurait tolérer selon la Convention".
Dès lors que la loi française permet l'adoption par une personne célibataire, l'accès à l'adoption ne peut être limité en raison de l'orientation sexuelle du demandeur. Les autorités françaises ne font pas état, selon la Cour, "d'arguments particulièrement graves et convaincants" pour justifier la différence de traitement à laquelle elles procèdent selon que le candidat à l'adoption est hétérosexuel ou homosexuel. Autrement dit, les justifications qui paraissaient suffisantes à la Cour en 2002 ne le sont plus en 2008, alors que, selon ses propres termes, "il n'y a [toujours] pas de consensus européen en la matière".
La Cour européenne suit, à propos de l'adoption d'un enfant par une personne homosexuelle, le même raisonnement qu'elle a adopté dans l'arrêt "Salgeiro da silva Mouta c/ Portugal" du 21 décembre 1999 (3), à propos des modalités d'exercice de l'autorité parentale par un parent homosexuel. Celles-ci ne doivent pas être déterminées en fonction de l'orientation sexuelle du parent. La même solution a été posée par la Cour à propos de l'orientation religieuse d'un parent dans l'arrêt "Hoffman c/ Autriche" du 23 juin 1993 (4). En elle-même, l'orientation sexuelle (ou religieuse) d'un parent ou d'une personne souhaitant être parent, ne doit pas être un élément décisif pour déterminer ses droits dans le cadre d'une vie familiale établie ou d'un projet de vie familiale. Encore faut-il, cependant, que l'homosexualité de la requérante soit véritablement le motif déterminant de la décision, ce qui paraissait quelque peu discutable dans l'affaire "E. B.".
II - Le caractère déterminant du motif fondé sur l'homosexualité du candidat à l'adoption
A la lecture de l'arrêt "E. B.", on ne peut se départir de l'impression -quelque peu désagréable- que la Cour européenne voulait faire un exemple ...
S'il faut se féliciter de cette nouvelle condamnation d'une discrimination dont étaient victimes les personnes homosexuelles, on peut sérieusement s'interroger sur le fait de savoir si, en l'espèce, Mademoiselle B. devait véritablement être rangée dans cette catégorie. Alors que dans l'arrêt "Fretté", le caractère déterminant du motif tiré de l'homosexualité du requérant était indiscutable, il n'en allait pas vraiment de même à propos du refus d'agrément opposé à Mademoiselle B..
Le premier motif de refus de l'agrément était fondé sur l'absence de référant paternel dans l'entourage de la requérante ; il pouvait, selon la Cour européenne, servir de prétexte pour écarter la demande en raison de l'homosexualité de la requérante. Le raisonnement paraît un peu court. On peut certes considérer qu'un tel argument est un peu contradictoire au regard de la possibilité donnée aux personnes célibataires d'adopter un enfant, mais cette critique semble valable quelle que soit l'orientation sexuelle du candidat à l'adoption.
Quant au second motif de refus de l'agrément, tiré du défaut d'investissement de la compagne de la requérante dans le projet d'adoption, la Cour, elle-même, reconnaît qu'il était étranger à toute considération sur l'orientation sexuelle de l'intéressée. Il était, en effet, tout à fait légitime et conforme à l'intérêt supérieur de l'enfant, que les autorités françaises prennent en compte l'attitude d'une personne qui, de fait, va participer à l'accueil de l'enfant adopté. Il en résulte que l'un -au moins- des deux motifs principaux fondant le rejet de l'agrément était à l'abri de toute critique. On aurait pu penser qu'il "sauverait" la décision française. Il n'en est rien, puisque la Cour européenne des droits de l'Homme, au prix d'un raisonnement pour le moins renversant, considère, au contraire, que "le caractère illégitime de l'un des motifs a pour effet de contaminer l'ensemble de la décision". Estampillé comme déterminé par l'homosexualité de la requérante, le refus d'agrément pouvait difficilement échapper à la condamnation d'une Cour bien décidée à ne pas laisser échapper l'occasion de procéder à un revirement de jurisprudence et d'affirmer le principe selon lequel les Etats ne peuvent traiter différemment les candidats à l'adoption selon leur orientation sexuelle...
(1) Le Conseil avait confirmé le refus dans un arrêt du 5 juin 2002 : CE 1° et 2° s-s-r., 5 juin 2002, n° 230533, Mlle Berthet (N° Lexbase : A8690AYI), AJDA, 2002, p. 615, concl. P. Frombert ; D fam. 2003, comm. n° 19, obs. P. Murat.
(2) CEDH, 26 février 2002, req. n° 36515/97, Fretté c/ France (N° Lexbase : A0562AYH), A. Gouttenoire-Cornut et F. Sudre, JCP éd. G, 2002, II, 10074 ; J.-P. Marguénaud, RTDciv., 2002, p. 389 ; A. Debet, Dr. fam., 2002 , chron. n° 19.
(3) CEDH, 21 décembre 1999, req. n° 33290/96, Salgueiro da Silva Mouta c/ Portugal (N° Lexbase : A7386AWH), Dr. fam., 2000, comm. n° 145, obs. A. Gouttenoire.
(4) CEDH, 23 juin 1993, req. n° 15/1992/360/434, Hoffmann c/ Autriche (N° Lexbase : A6566AW4), F. Sudre, J.-P. Margénaud, J. Andriantsimbazovina, A. Gouttenoire, M. Levinet, Les grands arrêts de la jurisprudence européenne des droits de l'Homme, PUF, coll. Thémis, 3ème éd. 2007, comm. n° 50 ; dans le même sens, CEDH, 16 décembre 2003, req. n° 64927/01, Palau-Martinez c/ France (N° Lexbase : A5611DA3), JCP éd. G, 2004, II, 10122, note A. Gouttenoire.
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Réf. : CAA Marseille, 6ème ch., 9 juillet 2007, n° 04MA02198, Commune d'Alet-les-Bains (N° Lexbase : A5000DXH)
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par François Brenet, Maître de Conférences en droit public à la Faculté de droit et des sciences sociales de Poitiers, (Institut de droit public, EA 2623)
Le 07 Octobre 2010
En vérité, on sait aujourd'hui que la jurisprudence "UAP" n'a pas atteint l'objectif escompté. Bien au contraire, les juges sont aujourd'hui hésitants, car tout en continuant à invoquer la présomption d'administrativité et à se référer à l'exception des rapports de droit privé, ils ont ajouté une troisième étape au processus de qualification, qui revient purement et simplement à vider la jurisprudence "UAP" de tout intérêt. Au cours de cette étape, les juges recherchent, en effet, s'il n'est pas possible de rapatrier le contrat conclu entre personnes publiques dans le champ de compétence administrative en application des critères classiques du contrat administratif (service public et clause exorbitante du droit privé), alors que ceux-ci avaient été considérés comme inadaptés aux relations contractuelles entre personnes publiques en 1983. L'arrêt lu le 9 juillet 2007 illustre parfaitement le destin faussement simplificateur de la décision "UAP", puisque après avoir évoqué la présomption d'administrativité (I), les juges marseillais ont considéré que le contrat litigieux possédait une nature privée eu égard à son objet (II), la fourniture d'eau, et que celle-ci ne pouvait pas être contredite par l'existence d'une mission de service public, par la présence de clauses exorbitantes du droit privé, ou par la soumission au Code des marchés publics (III).
I - La première étape : la présomption d'administrativité du contrat conclu entre deux personnes publiques
Pendant très longtemps, la jurisprudence n'a réservé aucun sort particulier aux contrats conclus entre personnes publiques. Le juge leur appliquait simplement les critères dégagés à propos des conventions passées entre les personnes publiques et les personnes privées, estimant ainsi que la double présence de l'administration ne les rendait pas plus facilement administratifs (2). André de Laubadère synthétisait ainsi la jurisprudence dans la première édition de son Traité théorique et pratique des contrats administratifs : "si les contrats entre particuliers ne peuvent être des contrats administratifs, il ne faudrait pas croire qu'à l'inverse tous les contrats conclus entre personnes publiques sont des contrats administratifs. Ils ne le sont que s'ils répondent aux critères généraux de ce type de contrats ; ils peuvent donc être des contrats de droit commun, et le sont assez fréquemment" (3). Même si certains arrêts, restés isolés, pouvaient laisser espérer une solution distincte (4), il n'existait pas avant 1983 une réelle autonomie des critères permettant de qualifier les contrats conclus entre personnes publiques.
Face à la multiplication des conventions entre administrations, liée au développement du mouvement décentralisateur à partir de 1982, le juge des conflits a ressenti le besoin en 1983 de procéder à une autonomisation des critères applicables à de tels contrats. Ayant à connaître d'un contrat par lequel le Centre national pour l'exploitation des océans (CNEXO), établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC), avait confié la gestion administrative et logistique du navire océanographique le "Jean Charcot" à l'Etat (ministère des PTT-direction des câbles sous-marins), le Tribunal des Conflits s'est prononcé dans le sens de la compétence administrative au motif que ladite convention avait, eu égard à son objet, fait naître entre les parties des relations ne relevant pas du seul droit commun. Surtout, le juge des conflits a précisé, dans un considérant de principe, qu'un "contrat conclu entre deux personnes publiques revêt en principe un caractère administratif, impliquant la compétence des juridictions administratives pour connaître des litiges portant sur les manquements aux obligations en découlant, sauf dans les cas où, en égard à son objet, il ne fait naître entre les parties que des rapports de droit privé" (5).
Des conclusions du commissaire du Gouvernement Daniel Labetoulle, il ressortait que cette solution reposait sur trois considérations distinctes renvoyant à une idée commune, celle de la spécificité des conventions signées entre personnes publiques : "selon qu'un contrat est conclu entre une personne publique et une personne privée, ou entre deux personnes publiques, le problème de la détermination de sa nature se pose en des termes différents, pour ne pas dire inversés : ce n'est donc pas avec la même clé qu'il faut chercher à la résoudre" (6). Il apparaissait, tout d'abord, au commissaire du Gouvernement que de telles conventions baignaient naturellement dans une ambiance de droit public, et que leur donner plus facilement la qualification de contrat administratif reviendrait finalement à leur rendre leur véritable nature. La deuxième considération trouvait sa source dans l'inadaptation des critères matériels traditionnels du contrat administratif. Symbolisant la présence de la puissance publique dans le contrat administratif et l'inégalité des parties, le critère de la clause exorbitante du droit privé paraissait, en effet, difficilement utilisable dans les contrats conclus entre personnes publiques. Le critère du service public semblait tout aussi inadapté dans la mesure où l'activité naturelle des personnes publiques est précisément de prendre en charge des missions de service public. Enfin, Daniel Labetoulle ajoutait que cette solution permettrait se simplifier le droit positif en introduisant une sorte d'automaticité dans le processus de qualification des contrats conclus entre personnes publiques.
Il ne fait aucun doute que l'arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille s'inscrit dans le droit fil de la jurisprudence "UAP" du 21 mars 1983, puisqu'il reproduit son considérant de principe. Il l'amende, toutefois, légèrement, en précisant "qu'un contrat conclu entre deux personnes publiques revêt, en principe, un caractère administratif ; qu'il n'en est autrement que si le contrat, eu égard à son objet et en l'absence de toute clause exorbitante de droit commun, fait naître entre les parties des rapports de droit privé".
II - La deuxième étape : le renversement de la présomption au regard de l'objet du contrat
La modification introduite par les juges marseillais révèle à elle seule les difficultés rencontrées pour l'application des principes dégagés en 1983. Plusieurs séries de problèmes sont apparues.
Il est arrivé, tout d'abord, que certaines juridictions, dont le Tribunal des Conflits, méconnaissent purement et simplement la logique de la jurisprudence "UAP", en traitant les contrats conclus entre personnes publiques comme des contrats ordinaires. Dans sa décision "Crous de l'académie Nancy-Metz" du 7 octobre 1991, le répartiteur des compétences a ainsi qualifié d'administratif le contrat par lequel un office public d'habitations à loyer modéré s'était engagé à mettre à disposition du centre régional des oeuvres universitaires et scolaires un certain nombre de logements destinés aux étudiants, au motif que le contrat avait "pour objet l'exécution même du service public du logement des étudiants" (7).
Il est apparu, ensuite, que le raisonnement en deux temps de la jurisprudence "UAP" induisait un troisième temps qui n'avait peut-être pas été envisagé en 1983. La logique de l'arrêt "UAP" consistait à permettre le renversement de la présomption d'administrativité, en se fondant sur l'objet du contrat, dès lors que celui-ci ne ferait naître que des rapports de droit privé entre les personnes publiques contractantes. Des conclusions de Daniel Labetoulle, il ressortait que l'on pourrait être en présence de tels rapports dans trois grandes situations : celle où l'une des personnes publiques agirait comme usager d'un service public industriel et commercial géré par une autre administration ; celle où le contrat porterait sur la gestion du domaine privé de l'une des deux personnes publiques, et celle où le contrat se rapporterait aux relations commerciales entre deux personnes publiques (spécialement des établissements publics). Or, si la première de ces situations n'imposait pas de pousser plus en avant le raisonnement, un contrat conclu entre le gestionnaire d'un service public industriel et commercial (SPIC) et un usager étant invariablement de droit privé (8), on sait que les contrats se rapportant à la gestion du domaine privé ou ayant trait aux relations commerciales entre EPIC, notamment, peuvent revêtir une nature administrative s'ils comportent des clauses exorbitantes du droit privé (9) ou se rapportent à une mission de service public. Dans ces cas, le juge se trouve pris au piège puisqu'il est amené à examiner la réalisation des critères classiques du contrat administratif (clauses exorbitantes et mission de service public), que la jurisprudence "UAP" avait pour ambition de contourner par souci de simplicité.
Une troisième source de difficultés est apparue avec les contrats de fourniture d'eau conclus entre personnes publiques. Doit-on considérer que de tels contrats s'insèrent automatiquement dans le bloc de compétence judiciaire constitué autour des contrats SPIC-usagers, ou faut-il admettre que la personne publique acheteuse n'intervient pas comme usager d'un SPIC, mais comme intermédiaire entre l'administration fournissant l'eau et les usagers finaux devant la consommer ? Ayant à connaître de tels contrats, le Conseil d'Etat a admis sa compétence en 1984 selon une formulation peu éclairante (10), puis en 1993 dans une solution implicite (11). Par la suite, certaines juridictions d'appel ont opté pour la compétence judiciaire, considérant ainsi que de tels contrats ne faisaient naître, eu égard à leur objet, que des rapports de droit privé (12), et s'apparentaient donc à de simples contrats liant les gestionnaires publics de SPIC à leurs clients publics. Il reste que cette solution peut prêter à discussion, et qu'une partie de la doctrine a milité pour la consécration en droit positif de la notion d'usager intermédiaire (13).
III - La troisième étape : la recherche des critères classiques du contrat administratif
La cour administrative d'appel de Marseille conclut à la qualification privée du contrat litigieux, après avoir constaté que son objet ne permettait pas d'en faire un contrat administratif. Celui-ci consistait en la fourniture à la commune de Limoux par la commune d'Alet-les-Bains d'eau de source en provenance du sous-sol de cette dernière, par son réseau hydraulique des eaux chaudes. Les juges marseillais ont considéré que le contrat en cause n'avait pas pour objet l'organisation du service public de la distribution d'eau potable sur le territoire de la commune de Limoux et qu'il ne faisait pas participer la commune d'Alet-les-Bains, simple fournisseur, à l'exécution même de ce service. On ne peut qu'être surpris par une telle argumentation, car si l'on peut admettre, à la limite, que le contrat n'est pas relatif par lui-même à l'organisation du service public, il est difficile d'admettre qu'il n'y a absolument aucun lien entre le contrat litigieux et le service public de distribution d'eau (14). Sans l'aide de la commune d'Alet-les-Bains, la commune de Limoux serait, selon toute vraisemblance, incapable d'alimenter en eau les habitants en quantité suffisante, et cela aurait sans doute pu suffire à faire regarder ledit contrat comme le faisant participer à l'exécution d'une mission de service public.
Pour écarter leur compétence, les juges marseillais ont également relevé que le contrat en cause ne comportait aucune clause exorbitante du droit commun. Cette argumentation, même si elle a sans doute pour objet de répondre à la demande de la commune requérante, ne manque pas de surprendre. Si l'objet du contrat porte seulement sur la fourniture d'eau à la commune de Limoux, comme le note la cour administrative d'appel de Marseille, on est obligé d'en déduire que les deux personnes publiques entretiennent une relation de type usager-SPIC. Or, on sait qu'une jurisprudence classique a érigé en la matière un bloc de compétence judiciaire qui neutralise la présence éventuelle de clauses exorbitantes du droit commun (15). Il n'était donc absolument pas nécessaire, en l'espèce, de vérifier l'existence de telles stipulations pour justifier la solution retenue. Le raisonnement développé est d'autant plus étonnant que le juge d'appel a, également, semblé vouloir dire que le contrat signé en 1975 ne comportait plus de clause exorbitante du droit privé depuis l'intervention de la loi décentralisatrice du 2 mars 1982 (16), qui a rendu caduque la stipulation autorisant la dénonciation du contrat en cas de motif légitime reconnu par "l'autorité publique", c'est-à-dire par le préfet. Il aurait sans doute été préférable de constater la caducité de cette clause, et d'éviter de faire croire que le contrat litigieux aurait pu conserver sa nature administrative si une telle stipulation avait été maintenue.
Plus orthodoxe est la précision selon laquelle le contrat n'est pas administratif dès lors qu'il n'a pas été passé selon les règles prévues par le Code des marchés publics. Depuis la loi n° 2001-1168 du 11 décembre 2001, portant mesures urgentes de réformes à caractère économique et financier (dite loi "Murcef") (N° Lexbase : L0256AWE), "les marchés passés en application du Code des marchés publics ont le caractère de contrats administratifs" (article 2) et tel n'était pas le cas en l'espèce, car l'article 137, point 1, du Code des marchés publics (N° Lexbase : L2797HPB) exclut de son champ d'application les "marchés et accords-cadres passés par les entités adjudicatrices [...] : 1° Pour l'achat d'eau, quant cet achat est réalisé par une entité adjudicatrice exerçant l'activité mentionnée au premier alinéa du 2° de l'article 135".
On sait depuis longtemps que la reconnaissance de la nature privée d'un contrat ne fait pas obstacle par elle-même à la compétence du juge administratif pour connaître de la légalité des actes détachables de ce même contrat (17). On oublie, d'ailleurs, trop souvent que la notion d'acte détachable a été introduite dans le contentieux contractuel par l'arrêt "Commune de Gore" du 11 décembre 1903 (18) au sujet d'un acte détachable d'un contrat privé, et ce n'est qu'avec l'arrêt "Martin" (19) que cette solution a été étendue aux contrats administratifs. La cour administrative d'appel de Marseille n'a pas ignoré cette célèbre jurisprudence mais l'a tout de même contourné, en considérant que la décision de ne pas renouveler le contrat de droit privé présentait une nature privée, au motif qu'elle n'était "pas détachable de la gestion du domaine privé de la commune". Cette formule n'est pas sans susciter, une fois de plus, le questionnement. A s'en tenir aux termes employés, il faudrait considérer que la décision est privée, car elle n'est pas détachable d'un contrat se rapportant à la gestion du domaine privé de la commune. Nul doute que cela permettrait d'expliquer la référence faite en amont par les juges marseillais au critère de la clause exorbitante du droit privé, puisque l'on sait que les contrats relatifs à la gestion du domaine privé, même conclus entre deux personnes publiques, peuvent relever de la compétence du juge administratif s'ils comportent de telles stipulations (20). De même, elle permettrait d'expliquer l'absence de contact avec une mission de service public puisque l'on sait que la gestion du domaine privé n'est pas constitutive d'une telle mission. Mais en s'écartant de la lettre de l'arrêt, on pourrait, également, considérer que les juges marseillais ont simplement voulu dire que la décision n'était pas, tout simplement, détachable du contrat privé. S'il est difficile de trancher dans un sens ou dans un autre, il faut tout de même savoir se satisfaire de l'essentiel : le contentieux né du contrat litigieux ne sera pas divisé entre deux juges mais reviendra dans son ensemble au juge judiciaire. C'est sans doute un avantage important. Il reste que cela peut surprendre lorsque l'on sait qu'il oppose deux personnes publiques.
(1) T. confl., 21 mars 1983, n° 02256, Union des Assurances de Paris (N° Lexbase : A6677A7G), Rec. CE, p.537, AJDA 1983, p. 356, concl. D. Labetoulle, D. 1984, p. 33, note J.-B. Auby et H.-G. Hubrecht, RA 1983, p. 368, note B. Pacteau.
(2) Par exemple : T. confl., 4 juin 1910, Compagnie d'assurances le Soleil, Rec. CE, p.449 ; CE, 28 janvier 1921, Ville de Béziers, Rec. CE, p. 105 ; CE, 2 août 1920, Ville de Rennes, Rec. CE, p. 799, etc..
(3) André de Laubadère, Traité théorique et pratique des contrats administratifs, LGDJ, 1ère édition, 1956, n° 34-5, p. 57.
(4) Par exemple : Cass. civ. 1, 7 janvier 1971, n° 67-12802 (N° Lexbase : A4039CGP), AJDA 1972, p.38, note G. Valter, CJEG 1972, p. 66, note A. Carron : "S'agissant exclusivement de rapports entre deux personnes morales de droit public, le litige qui s'est élevé au sujet de tels rapports ne peut trouver sa solution que dans les principes du droit public".
(5) T. confl., 21 mars 1983, Union des Assurances de Paris, précité.
(6) Daniel Labetoulle, conclusions précitées, AJDA 1983, p. 358.
(7) T. confl., 7 octobre 1991, n° 02651, Crous de l'académie Nancy-Metz (N° Lexbase : A6674A7C), Rec. CE, p. 472, AJDA 1992, p.157, obs. L. Richer, JCP 1992, IV, p. 6, Quotidien juridique du 11 février 1992, p. 11, note M. Deguergue. Voir aussi : CAA Marseille, 2ème ch., 27 octobre 1998, n° 96MA10748, Département de l'Aude (N° Lexbase : A4390BMK), BJCP 1999, n° 6, p. 548, concl. Contraires J.-C. Duchon-Doris, obs. R. Schwartz.
(8) T. confl., 17 décembre 1962, Dame Bertrand, Rec. CE, p.831, concl. J. Chardeau. Sur les limites de cette solution, voir J.-F. Lachaume, La compétence du juge administratif dans le contentieux des relations entre les services publics industriels et commerciaux et leurs usagers, in Mélanges en l'honneur de Jacqueline Morand - Deviller, Montchrestien 2007, p.407.
(9) CE, 17 décembre 1954, Sieur Grosy, D. 1956, p. 527, concl. M. Rougevin-Baville (arrêt de principe abandonnant l'ancienne solution selon laquelle les contrats relatifs à la gestion du domaine privé étaient invariablement de droit privé). Pour une application à un contrat conclu entre deux personnes publiques : T. confl., 15 novembre 1999, n° 03144, Commune de Bourisp, (N° Lexbase : A6678A7H), Dr. adm. 2000, n° 29, note R. Schwartz.
(10) CE, 4 mai 1984, n° 37179, Ministre de l'Intérieur et de la Décentralisation c/ Commune des Aubiers (N° Lexbase : A7537ALQ), RDP 1985, p. 833, note J. de Soto : "Ce syndicat n'est chargé que de fournir annuellement à la commune un certain volume d'eau s'ajoutant à celui dont elle dispose déjà et que celle-ci distribue aux habitants au moyen de son réseau dont elle conserve la propriété et la gestion ; qu'ainsi la commune n'a nullement transféré au syndicat intercommunal ses compétences en matière d'équipement pour la distribution d'eau dans le bourg".
(11) CE, 15 février 1993, n° 133223, Commune de Nay-Bourdettes c/ Syndicat mixte d'alimentation en eau potable de la région Nord-Est de Pau (N° Lexbase : A8485AM9), RFDA 1994, p. 493, note J.-F. Lachaume, D. 1994, p. 4, note V. Haïm.
(12) CAA Douai, Plénière, 15 décembre 2000, n° 97DA01104, Ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement, Préfet de la région Nord-Pas-de-Calais, Préfet du Nord ([LXB=A112BM7]), AJDA 2001, p. 274, note B. Rivaux.
(13) Laurent Richer, L'usager intermédiaire, CJEG 1996, p. 371.
(14) Pour Jean-François Lachaume, article précité, p. 413 : "[...] un contrat de ce type a pour objet l'organisation même d'un service public dont la commune a la responsabilité et il est, en conséquence et en application d'une jurisprudence constante, administratif [...]".
(15) T. confl., 17 décembre 1962, Dame Bertand, précité.
(16) Loi n° 82-213 du 2 mars 1982, relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions (N° Lexbase : L7770AIM).
(17) C'était le cas notamment dans la célèbre affaire "Lopez" : CE, 7 octobre 1994, n° 124244, M. et Mme Lopez (N° Lexbase : A3055ASX), Rec. CE, p. 430, concl. R. Schwartz, RFDA 1994, p. 1090, concl. R. Schwartz et note D. Pouyaud, AJDA 1994, p. 867, chron. L. Touvet et J.-H. Stahl, GDJA 538.
(18) CE, 11 décembre 1903, Commune de Gore, S. 1906, III, p. 49, note M. Hauriou.
(19) CE, 4 août 1905, Martin, Rec. CE, p.749, concl. J. Romieu, GAJA n° 16, D. 1907, III, p. 49, concl. J. Romieu, RDP 1906, p. 249, note G. Jèze, S. 1906, III, p. 49, note M. Hauriou.
(20) T. confl., 15 novembre 1999, n° 03144, Commune de Bourisp ; précité.
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