La lettre juridique n°292 du 14 février 2008

La lettre juridique - Édition n°292

Éditorial

Prêt à intérêt : entre vieilles lunes et nécessités juridiques

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N0754BEN

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la rédaction

Le 27 Mars 2014


Crise des subprimes, bénéfices records des banques européennes, procédures de surendettement et de rétablissement personnel en pleine recrudescence... Force est de constater que le recours au prêt à intérêt n'a pas bonne presse. La chose ne date pas d'hier et les Anciens nous avaient mis en garde : "Tu ne prêteras pas à intérêt à ton frère, intérêt d'argent ou intérêt de nourriture, de toute chose qui se prête à intérêt", Deutéronome (23-19) ; "Et si vous prêtez à ceux de qui vous espérez recevoir, quel gré vous en saura-t-on ? Les pécheurs aussi prêtent aux pécheurs, afin de recevoir la pareille", Luc, 6, verset 34 ; ou encore "Tout ce que vous donnerez à usure pour augmenter vos biens aux dépens des biens d'autrui ne les accroît pas auprès d'Allah, mais ce que vous donnez comme Zakat, tout en cherchant la Face d'Allah [...] Ceux-là verront [leurs récompenses] multipliées", Sourate Ar-Rum, 30, verset 39. La condamnation du prêt à intérêt relèverait ainsi de l'intime conviction, puisqu'elle est d'essence théologique.

Pourtant, nul ne peut contester que l'usage du prêt à intérêt fût l'un des facteurs fondamentaux du développement occidental. Avec le prêt à intérêt, progressent concurremment les échanges commerciaux (financement du Trésor public des Etats modernes et des Grandes découvertes) et le développement des idées politiques et religieuses (prospérité des Etats protestants et progression des idées libérales et capitalistes). D'aucuns diront que l'acceptation et la normalisation du prêt à intérêt sont, une nouvelle fois, d'origine théologique : "Tu pourras tirer un intérêt de l'étranger, mais tu n'en tireras point de ton frère, afin que l'Eternel, ton Dieu, te bénisse dans tout ce que tu entreprendras au pays dont tu vas entrer en possession" Deutéronome (23-20), mais c'est bien plus à l'expansion de la Réforme protestante que l'on doit la levée progressive de l'embargo moral sur le prêt à intérêt.

Mais comment justifier le malaise rencontré face au prêt à intérêt, dont l'usage est si nécessaire à la croissance et au développement économique et donc, jusqu'à trouver un autre système viable, au bien-être de chacun ? "Ne soyez ni un emprunteur, ni un prêteur ; Car souvent on perd le prêt et l'ami, Et l'emprunt..." clamait le Hamlet de Shakespeare. Le prêt à intérêt serait alors une histoire de confiance... pour que le malaise tombe, l'emprunteur et le prêteur doivent, autant que faire ce peut, établir clairement leurs attentes et leurs conditions pour que la transparence gouverne l'économie du contrat de prêt à intérêt ; protégeant ainsi les intérêts du prêteur-risqueur, et ceux du consommateur profane. C'est toute la téléologie du taux effectif global (TEG), mis en place pour permettre aux emprunteurs de comparer, sur une seule et même base, les propositions de crédit qui leurs sont présentées. Ce taux représente, ainsi, le coût réel du crédit, intégrant les coûts associés, frais de dossiers, commissions diverses, et coût des garanties particulières. Stipulé obligatoirement dans le contrat de prêt, en vertu de l'article L. 313-2 du Code de la consommation, rien n'est dit concernant la réitération de cette information, notamment, dans le cadre d'un prêt au taux d'intérêt variable. Mieux, la jurisprudence, si encline à accorder une protection maximale à l'emprunteur, avec le développement de l'incontournable obligation d'information et de conseil mise à la charge des établissements de crédit, semble freiner quelque peu la systématisation de l'information sur le TEG appliqué, lorsque son calcul dépend d'un indice objectif, précise la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 20 décembre dernier. Et Alexandre Bordenave, Juriste, Chargé d'enseignement à l'Ecole Normale Supérieure de Cachan, Directeur scientifique de notre encyclopédie en droit bancaire, de revenir sur cet important revirement de jurisprudence, à la lumière de la loi "Chatel" récemment promulguée et de la Directive adoptée par le Parlement européen le 16 janvier dernier. Il s'agirait donc de trouver un équilibre objectif entre les parties et non de conduire à une protection aveugle de l'emprunteur ; la confiance doit être réciproque.

Pour autant, toute réserve quant au prêt à intérêt est-elle condamnée à disparaître ? En offrant des produits financiers non fondés sur le prêt à intérêt, plusieurs banques tentent, désormais, de mêler éthique religieuse et développement économique. "Les fonds, fonds éthiques et fonds souverains musulmans dans l'immobilier : phénomène de mode ou tendance lourde ?" Telle est, ainsi, l'intéressante question que posera le cabinet d'avocats d'affaires international, Simmons & Simmons, le 20 février prochain, à la Bourse de commerce de Paris.

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Urbanisme

[Jurisprudence] Les exceptions à la règle de la constructibilité limitée : les difficultés d'appréciation et la sévérité du juge dans la recherche de l'intérêt communal

Réf. : CAA Bordeaux, 6ème ch., 6 mars 2007, n° 04BX01885, M. Thierry Guerin (N° Lexbase : A6624DUU)

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N0887BEL

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par Christophe De Bernardinis, Maître de conférences à l'Université de Metz

Le 07 Octobre 2010

C'est la loi du 7 janvier 1983, relative à la répartition des compétences entre les communes, les départements, les régions, et l'Etat (1) qui a introduit et codifié dans le Code de l'urbanisme la règle dite de la "constructibilité limitée" (2). Afin de lutter contre le mitage de l'espace rural, la règle pose en principe que le territoire des communes non dotées d'un document d'urbanisme (plan d'occupation des sols, plan local d'urbanisme ou carte communale) est juridiquement inconstructible, en dehors des parties actuellement urbanisées de la commune. Cette règle avait clairement pour but d'inciter les petites communes à se doter de documents d'urbanisme, (3) mais, étant particulièrement restrictive, les exceptions se sont faites plus nombreuses au fil des législations. On peut, ainsi, citer aujourd'hui, au titre de ces exceptions, certains types d'opérations qui sont d'office autorisés : les travaux sur constructions existantes (adaptation, changement de destination, réfection, extension), les constructions et installations nécessaires aux équipements collectifs, à l'exploitation agricole, à la mise en valeur des ressources naturelles, ou encore les constructions et installations qui seraient incompatibles avec le voisinage des zones habitées (décharge, centrale nucléaire).

A ces constructions autorisées par la loi, il faut ajouter certaines dérogations plus ponctuelles et dont la catégorie est moins précise que la précédente. Certaines constructions peuvent être autorisées individuellement si le projet présente un "intérêt" pour la commune. Précisément, le conseil municipal peut, par une délibération motivée, autoriser ces constructions lorsqu'il considère que l'intérêt de la commune le justifie, en particulier pour éviter une diminution de la population communale. La délibération du conseil municipal et la diminution de la population communale sont des conditions nécessaires à l'application de l'exception à la constructibilité limitée, mais elles ne sont pas suffisantes. La demande de permis de construire est instruite et délivrée au nom de l'Etat, en principe par le maire (4), mais sous l'autorité hiérarchique du représentant de l'Etat dans le département, et le préfet dispose, en la matière, d'un pouvoir discrétionnaire.

Ce dernier, tout comme le juge administratif, apprécie très limitativement les conditions qui justifient une atteinte à la règle de constructibilité limitée et l'arrêt d'espèce de la cour administrative d'appel de Bordeaux en date du 6 mars 2007, en constitue encore une excellente illustration. Il ressort des faits de l'arrêt que M. X a fait une demande de permis de construire concernant l'agrandissement d'un bâtiment à usage agricole, situé sur le territoire d'une commune rurale, en vue de sa transformation en bâtiment à usage d'habitation. La demande de permis de construire a été instruite par le maire au nom de l'Etat, sous l'autorité hiérarchique du représentant de l'Etat dans le département, à savoir le préfet. La construction se situait dans une zone à vocation essentiellement agricole, et en dehors des parties urbanisées de la commune. Pour autant, le conseil municipal de la commune a émis un avis favorable à cette demande au motif que "l'objectif essentiel de la commune est de lutter contre la désertification des campagnes, permettre aux jeunes de rester au pays, la population de la commune étant au dernier recensement de 97 habitants", justifiant ainsi d'un intérêt communal permettant d'échapper à la règle de la constructibilité limitée.

A la suite des avis contraires entre la commune et la direction départementale de l'équipement, le préfet, par arrêté, a refusé le permis de construire. Pour le juge, répondant à la demande d'annulation de cet arrêté, "ce seul motif d'intérêt communal ne justifiait pas qu'une construction à usage d'habitation soit implantée en dehors des parties urbanisées de la commune, dans une zone à vocation essentiellement agricole". Le motif étant insuffisant, le projet ne relevait d'aucune des exceptions prévues par l'article L. 111-1-2 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L1959DKR). Dès lors, le préfet était tenu de refuser le permis de construire et se trouvait ainsi en situation de compétence liée.

Cette jurisprudence témoigne, en définitive, des difficultés d'appréciation des exceptions liées à la règle de la constructibilité limitée. Les critères d'appréciation ne sont pas assez précis et débouchent sur des conflits d'interprétation. Dans un domaine où la généralisation apparaît délicate, les juges se prononcent au cas par cas, ce qui débouche sur une indétermination du champ d'application de la règle (I). La sévérité des juges, systématique à l'excès, rendant ainsi les exceptions d'interprétation limitative (II).

I - Un champ d'application indéterminé

Les dispositions de l'article L. 111-1-2 du Code de l'urbanisme posent en principe l'inconstructibilité des parties du territoire communal qui ne sont pas encore "actuellement urbanisées". Or, il n'existe pas de définition légale ou réglementaire de la notion de "parties actuellement urbanisées" (A). Cette incertitude est d'autant plus renforcée qu'il existe des notions quasi identiques en droit de l'urbanisme, dont les analogies sont parfois trompeuses (B).

A - L'absence de définition de la notion de "parties actuellement urbanisées" de la commune

En la matière, il est particulièrement important de déterminer la notion de "parties actuellement urbanisées" pour délivrer les autorisations d'urbanisme. Or, celles-ci ne font l'objet d'aucune définition réglementaire ou légale. Le contenu de la notion a été précisé par le juge. Il a recours à divers critères pour déterminer si le projet de construction se situe dans la zone décrite, et se prononce au cas par cas selon la méthode du faisceau d'indices. Le juge considère d'abord que les parties actuellement urbanisées sont constituées par les divers secteurs de constructions agglomérées. Dans les communes rurales, cela correspond au bourg (gros du village), mais aussi aux hameaux (petit groupe de maisons à l'écart du village). Le nombre d'habitations nécessaires pour constituer un hameau varie en pratique, le juge n'en ayant pas une conception quantitative. Il se garde donc d'en donner une définition, et de standardiser la notion de par les enjeux qu'elle peut susciter, même si cela laisse place à toutes les spéculations et si la définition de certaines caractéristiques peut parfois laisser perplexe.

Le hameau est, par exemple, ainsi "caractérisé par l'existence de plusieurs bâtiments suffisamment proches les uns des autres pour être regardés comme groupés" (5). De façon plus évasive, il s'agit d'un "petit groupe de maisons", conformément à l'acception généralement admise, critère auxquels ne répondent pas, par exemple, "quelques habitations dispersées qui ne révèlent pas une urbanisation continue" (6) ou "trois constructions qui ne peuvent, en l'espèce, constituer un hameau" (7). Inversement, c'est le cas aussi de la construction de 163 maisons dans une zone qui en comporte déjà 250 (8). C'est une jurisprudence qui peut paraître, à bien des égards, assez déroutante, la formule juridique n'étant pas du tout fiable.

Le juge peut aussi prendre en compte la localisation de la construction projetée, et regarder, par exemple, s'il n'y a pas d'habitations à proximité, ou si le projet ne peut pas être raccroché au projet existant. La cour administrative d'appel de Bordeaux semble juger, à cet égard, constamment dans le sens de la sévérité. Elle a estimé qu'un secteur agricole, situé "à plus d'un kilomètre du bourg", et où "se trouvent neuf habitations dispersées, situées à une distance comprise entre 40 et 500 mètres du terrain" ne peut "être regardé comme actuellement urbanisé" (9). La desserte du terrain par des équipements publics peut jouer aussi un rôle complémentaire même si elle n'est pas suffisante. La règle de la constructibilité limitée a été déclarée applicable, alors que, "de surcroît", la parcelle n'était pas desservie par des réseaux d'eau, d'électricité et d'assainissement (10). Un terrain "situé à environ 1500 mètres du bourg, en zone rurale, dans un secteur où existe quelques habitations dispersées, ne saurait être regardé, bien qu'il se trouve au bord de la route et soit desservi par les réseaux d'eau et d'électricité, comme étant situé dans une partie actuellement urbanisée de la commune" (11). Cette jurisprudence peut, là encore, paraître surprenante, dans la mesure où le principe de constructibilité limitée est destiné à éviter le gaspillage des équipements.

B - Une incertitude renforcée par des analogies trompeuses avec d'autres notions voisines du Code de l'urbanisme

Si la définition des "parties actuellement urbanisées" de la commune peut se révéler délicate, compte tenu de la variété des types d'habitat, on retrouve cette expression dans divers domaines du droit de l'urbanisme, ce qui amène une certaine confusion. La loi "Montagne" du 9 janvier 1985 (12) pose ainsi le principe de l'urbanisation en continuité avec les bourgs, villages, hameaux, groupes de constructions traditionnelles ou d'habitation existants (13). L'urbanisation en continuité n'étant pas définie par les textes, elle est également appréciée par les juridictions, soit dans le cadre de son appréciation dans les documents d'urbanisme, soit lors de la délivrance des autorisations. Elle a donc un champ d'application plus large que la règle de la constructibilité limitée. La notion doit, d'abord, être intégrée à l'élaboration ou lors de l'évolution des documents d'urbanisme, le contrôle portant sur une appréciation précise du zonage (14). A cette exigence de continuité, la loi "urbanisme et habitat" du 2 juillet 2003 (15), a apporté toute une série d'exceptions, (16) afin de permettre aux communes qui n'ont pas de documents d'urbanisme et qui ne subissent pas de pression foncière, d'autoriser, à titre exceptionnel, des constructions isolées.

On peut aussi citer la loi "Littoral" du 3 janvier 1986, (17) qui a aussi pour objectif de mettre fin au mitage dans les communes littorales, en distinguant trois zones en fonction de la distance par rapport au rivage. Dans les zones les plus lointaines, l'urbanisation ne peut ainsi se réaliser que soit en continuité avec les agglomérations et villages existants, soit en hameaux nouveaux intégrés à l'environnement (18). Dans les espaces proches du rivage, l'extension de l'urbanisation doit revêtir un caractère limité, eu égard à l'implantation, l'importance, la densité et la destination des constructions envisagées (19). Enfin, le long d'une bande littorale de 100 mètres à compter de la limite haute du rivage, il est interdit de construire en dehors des espaces urbanisés (20). Là encore, la jurisprudence autour de la notion "d'extension limitée de l'urbanisation" n'apparaît pas très clairement définie.

La notion de parties urbanisées de la commune est également intimement liée à celle d' "urbanisation dispersée", prévue par l'article R. 111-14, alinéa 1, du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L7380HZD), et qui laisse la faculté aux préfets de poursuivre un objectif de lutte "anti-mitage". Une jurisprudence étonnante considère que, dans une zone réputée urbanisée, c'est-à-dire échappant normalement à la règle de la constructibilité limitée, un refus de droit de construire peut être opposé en application de l'article R. 111-14 précité, au prétexte que l'opération favorise une urbanisation dispersée. C'est une solution qui apparaît critiquable, dans la mesure où les deux textes en présence poursuivent le même but, à savoir la constructibilité limitée d'une zone destinée à lui éviter une urbanisation dispersée. Il n'y aucune raison pour que les juges reprennent à leur compte l'obsession anti-mitage des préfets que l'article L. 111-1-2 du Code de l'urbanisme n'a normalement pas vocation à légitimer, ni à rendre nécessaire.

II - Des exceptions d'interprétation limitative

La règle de la constructibilité limitée est, par nature, une règle restrictive. En toute logique, l'interprétation des exceptions aurait dû se faire de manière assez large. Or, il n'en a rien été, puisque les juges, à l'inverse, confirmant la position de l'administration déconcentrée, ont eu une vision limitative des exceptions pouvant rompre le principe. Parmi celles-ci, il en est ainsi de la justification de "l'intérêt communal" (A). Le juge veut ainsi obliger les communes à se doter d'un document d'urbanisme pour répondre aux demandes d'autorisation d'occupation des sols, et contourner ainsi la règle de la constructibilité limitée, perspective nouvelle offerte, notamment, par la loi "SRU" du 13 décembre 2000 (22) (B).

A - La vision restrictive de la notion "d'intérêt communal"

Dans ce domaine, la jurisprudence administrative conduit rarement à ce que les permis de construire délivrés en application de l'exception de l'article L. 111-1-2, alinéa 4, du Code de l'urbanisme soient confirmés. C'est qu'elle repose sur des critères de nature hétérogène qui ne se trouvent pas toujours facilement réunis : l'importance de la construction autorisée, le caractère plus ou moins approprié de sa localisation par rapport à sa destination, et l'intérêt économique et social qu'elle présente pour la commune.

Si la construction autorisée est de faible importance, le juge ne fait, a priori, pas de difficultés pour admettre le bien-fondé de l'intérêt de la commune (23). Lorsque les installations sont plus importantes, elles sont susceptibles de se voir exclues en raison de leur taille, (24) du fait que l'exception à une règle générale d'urbanisme doit, en principe, être d'importance limitée (25). Des considérations urbanistiques peuvent également jouer à l'encontre de l'intérêt communal en ce sens que des zones non urbanisées, mal desservies ou exclusivement affectées à l'agriculture ne se prêtent pas, par nature, à accueillir des constructions à usage d'habitation (26).

Quant à l'appréciation même du caractère d'intérêt général du motif invoqué, la jurisprudence est plus que nuancée, et l'arrêt d'espèce s'inscrit dans cette logique. Le juge accepte de faire entrer, parmi les objectifs pouvant être mis en avant par la commune, un objectif économique tel que "la création d'emplois" (27). En revanche, un objectif de nature purement démographique tel "qu'un apport de population" suscite des réticences, soit parce qu'un tel objectif ne compense pas les inconvénients tirés du caractère insuffisamment équipé ou exclusivement agricole de la zone (28), soit parce qu'il apparaît contradictoire avec le faible niveau de développement de la commune (29). C'est en ce sens que le juge a de nouveau jugé en l'espèce (30). Il y a, en quelque sorte, une petite différence de traitement alors qu'on pourrait soutenir que les objectifs économiques et démographiques sont en réalité très voisins, de nouveaux emplois créant nécessairement de nouveaux habitants et ces derniers contribuant au développement économique de la commune.

A noter que le Conseil d'Etat est venu, récemment, préciser l'intensité de son contrôle en la matière (31). Saisi d'un recours du ministre des Transports contre un arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon, la Haute juridiction considère qu'il appartient au juge de vérifier, "au vu de l'ensemble des données démographiques produites, que l'existence d'une perspective de diminution de cette population est établie". En l'espèce, le juge de cassation a confirmé l'analyse de la cour administrative d'appel qui avait considéré que le simple ralentissement de la croissance de la commune et l'absence de constructions neuves sur son territoire, depuis plusieurs années, n'établissaient pas l'existence d'une "perspective de diminution".

B - La nécessité d'utiliser les perspectives offertes par la loi "SRU"

On tirera de ce rappel jurisprudentiel la conclusion que la première étape à suivre, pour une commune rurale soucieuse de se transformer ou de se développer, est de se doter d'un document d'urbanisme, carte communale ou plan local d'urbanisme. Le juge administratif se montre, en effet, beaucoup plus indulgent à l'endroit d'une commune qui, pour des raisons économiques ou sociales, décide de modifier ou de réviser le document d'urbanisme dont elle dispose, qu'envers une commune non dotée d'un tel document et qui, pour les mêmes raisons, décide de faire exception à la règle de la constructibilité limitée.

Les communes peuvent à tout moment sortir de la règle de constructibilité limitée en élaborant une carte communale, document d'urbanisme plus simple que les plans locaux d'urbanisme. La loi "SRU" précitée du 13 décembre 2000 a modifié les dispositions du Code de l'urbanisme relatives à la carte communale, en un sens très favorable à la commune concernée. En effet, la carte communale tient désormais de cette loi le statut de document d'urbanisme à part entière. Elle permet désormais aux communes qui le souhaitent, de déterminer certaines règles d'affectation des sols, et d'échapper ainsi à la règle de constructibilité limitée évoquée.

Les cartes communales sont approuvées, après enquête publique, par le conseil municipal et le préfet (32). La procédure d'élaboration est d'une grande simplicité, réduite aux garanties essentielles, à savoir l'obligation d'une enquête publique. Rien d'autre n'est imposé. Enfin, elles doivent être compatibles avec les dispositions des schémas de cohérence territoriale (SCOT), des schémas de secteurs, des schémas de mise en valeur de la mer, de la charte du parc naturel régional, des plans de déplacements urbains et des programmes locaux de l'habitat (33). Dans les secteurs constructibles définis par la carte communale, l'application du règlement national d'urbanisme permettra de délivrer les permis de construire, sans qu'il soit besoin d'élaborer un règlement spécifique. Les communes dotées d'une carte communale peuvent décider de prendre la compétence pour délivrer les permis de construire, dans les mêmes conditions que les communes dotées d'un plan local d'urbanisme.

En dernier lieu, il faut relever, néanmoins, qu'il peut exister une certaine ambiguïté dans les relations entre règle de la constructibilité limitée et carte communale. La cour administrative d'appel de Nancy a ainsi rappelé qu'une carte communale approuvée sur le fondement de l'ancien article L. 111-1-3 du Code de l'urbanisme (34) (N° Lexbase : L7224ACK) ne constitue, non pas un document complètement indépendant de la règle de constructibilité limitée, mais une modalité de mise en oeuvre assouplie de cette règle (35). En conséquence, la carte communale ne peut pas aggraver la règle de la constructibilité limitée en classant en zone inconstructible des espaces qui sont qualifiables de "parties actuellement urbanisées". Cette jurisprudence subordonne ainsi la carte communale à la règle de la constructibilité limitée. Il semble pourtant que celle-ci ne soit pas applicable aux nouvelles cartes communales issues de la loi "SRU", dans la mesure où, même si le premier alinéa de l'article L. 111-1-2 du Code de l'urbanisme n'est pas parfaitement explicite, il est indubitable que la règle de constructibilité limitée ne s'applique qu'"en l'absence de plan local d'urbanisme ou de carte communale opposable aux tiers, ou de tout autre document en tenant lieu". Ces documents d'urbanisme n'ont pas pour effet d'assouplir la règle de constructibilité limitée, mais de s'y substituer.


(1) Loi n° 83-8 du 7 janvier 1983, relative à la répartition des compétences entre les communes, les départements, les régions et l'Etat (N° Lexbase : L4726AQ4) (JO, 9 janvier 1983, p. 215).
(2) C. urb., art. L. 111-1-2 (N° Lexbase : L1959DKR).
(3) Au moment du vote de la loi de 1983, il s'agissait uniquement des plans d'occupation des sols, les plans locaux d'urbanisme n'étant pas encore institués et les cartes communales n'ayant pas encore d'existence légale.
(4) La décision est prise par le préfet pour les constructions où l'instruction du projet fait apparaître que l'avis du maire est contraire à l'avis du directeur départemental de l'équipement.
(5) CE 3° et 8° s-s-r., 5 février 2001, n° 217796, Secrétaire d'Etat au logement c/ Commune de Saint-Gervais (N° Lexbase : A3493B7I). En l'espèce, six constructions distantes les unes des autres d'environ 30 mètres ne caractérisent pas un hameau de montagne, en raison d'une implantation éparse.
(6) CE Contentieux, 10 avril 1996, n° 116165, M. Artis (N° Lexbase : A8564ANI).
(7) CE, 21 juillet 1989, n° 8725, Marin (N° Lexbase : A3743AQP).
(8) CAA Bordeaux, 6 novembre 2003, n° 99BX02342, Société Saulnes Immobilier et autres (N° Lexbase : A2360DAN).
(9) CAA Bordeaux, 14 février 2005, n° 01BX01512, Mayerau (N° Lexbase : A0040DHX).
(10) CE, 20 juillet 1990, n° 87472, Ministre de l'Equipement, du Logement et des Transports (N° Lexbase : A7795AQR).
(11) CAA Bordeaux, 11 avril 2005, n° 03BX00733, Forini (N° Lexbase : A7087DIC).
(12) Loi n° 85-30 du 9 janvier 1985, relative au développement et à la protection de la montagne (N° Lexbase : L7612AGZ) (JO, 10 janvier 1985, p. 320).
(13) C. urb., art. L. 145-3-III  (N° Lexbase : L5826HD7).
(14) Les juridictions utilisent plusieurs critères pour caractériser la continuité : le caractère partiellement construit de la zone, la préservation des activités de montagne, l'insuffisance numérique ou la densité des constructions qui ne constituent ni un bourg, ni un village.
(15) Loi n° 2003-590 du 2 juillet 2003, urbanisme et habitat (N° Lexbase : L6770BH9) (JO, 3 juillet 2003, p. 11176).
(16) Cf. C. urb., art.  L. 145-3 III, alinéa 4. On peut citer, à titre d'exemple, l'implantation d'unités touristiques nouvelles, les dérogations possibles des documents locaux d'urbanisme ou encore certains travaux sur les constructions existantes.
(17) Loi n° 86-2 du 3 janvier 1986 relative à la protection, l'aménagement, la mise en valeur du littoral (N° Lexbase : L7941AG9) (JO, 4 janvier 1986, p. 200).
(18) C. urb., art. L. 146-4-I (N° Lexbase : L5817HDS). Une dérogation à cette règle peut être donnée avec accord du préfet pour "les constructions ou installations liées aux activités agricoles ou forestières qui sont incompatibles avec le voisinage des zones habitées".
(19) C. urb., art. L. 146-4-II.
(20) C. urb., art. L. 146-4-III.
(21) Cf. CE, 15 février 2006, n° 268241, Bobot et autres (N° Lexbase : A9987DMT).
(22) Loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000, relative à la solidarité et au renouvellement urbain (N° Lexbase : L9087ARY) (JO, 14 décembre 2000, p. 19777).
(23) Le juge a ainsi admis la construction d'une maison d'habitation en dehors des parties urbanisées de la commune pour "faciliter l'installation sur le territoire communal d'un fonctionnaire local et de sa famille" (CE, 25 novembre 1988, n° 82175, Stauffer N° Lexbase : A0301AQ9, Rec. CE, tables, p. 760 et p. 761).
(24) CAA Paris, 18 mars 1997, n° 95PA03441, Société Kaufmann et Broad (N° Lexbase : A0383BIZ), à propos d'un projet de 103 habitations dans une commune qui ne comporte au total que 800 logements.
(25) CE, 2 avril 1993, n° 110689, Commune Saint- Martial d'Albarède (N° Lexbase : A9229AMR), Rec. CE, p. 97.
(26) CE, 21 juin 1995, n° 138210, Marichal (N° Lexbase : A4534ANA).
(27) Cf., par ex., CE, 29 juin 1994, n° 126959, Piérard (N° Lexbase : A1431ASS). Il s'agissait, en l'espèce, d'un entrepôt de stockage qui engendrait des nuisances sonores pour le voisinage, ainsi qu'un surcroît de dépenses publiques pour la commune, du fait de la nécessité d'assurer sa desserte, mais qui serait, par ailleurs, "créateur d'une centaine d'emplois".
(28) CE, 12 octobre 1992, n° 85663, Duyck (N° Lexbase : A7985AR8).
(29) CAA Bordeaux, 18 décembre 2003, n° 990BX002367, Commune Saint-Martial d'Albarède (N° Lexbase : A8213DAG).
(30) Pour le Conseil d'Etat, "l'objectif essentiel de la commune [...] de lutter contre la désertification des campagnes, permettre aux jeunes de rester au pays, la population de la commune étant au dernier recensement de 97 habitants", ne constitue pas un motif suffisant.
(31) CE, 17 décembre 2008, n° 295425, Ministre des transports, du tourisme et de la mer contre Malot (N° Lexbase : A1527D3X).
(32) C. urb., art.  L. 124-2, al. 3 (N° Lexbase : L6322HIY).
(33) C. urb., art. L. 124-2, al. 4.
(34) L'ancien article permettait aux communes d'autoriser les constructions et d'échapper à la règle de la constructibilité limitée si le conseil municipal, conjointement avec le préfet, avait, au préalable, élaboré les "modalités d'application des règles générales d'urbanisme".
(35) CAA Nancy, 2 juin 2005, n° 01NC00319, Ministre de l'Equipement (N° Lexbase : A7228DIK).

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Bancaire

[Jurisprudence] Taux effectif global et taux d'intérêt variable : à propos de quelques évolutions récentes

Réf. : Cass. civ. 1, 20 décembre 2007, n° 06-14.690, Caisse régionale du crédit agricole mutuel (CRCAM) de l'Anjou et du Maine, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A1186D3C)

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N0760BEU

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par Alexandre Bordenave, Juriste, Chargé d'enseignement à l'Ecole Normale Supérieure de Cachan

Le 07 Octobre 2010

Le taux d'intérêt stipulé à l'occasion d'un prêt de somme d'argent n'est pas un prix comme les autres. Les théories économiques les plus connues le justifient tantôt pour raison de la préférence des agents pour le présent (1), tantôt parce qu'il prive lesdits agents d'une liquidité qu'ils sont supposés préférer (2). Pour ce qui le concerne, le droit ne se montre pas insensible aux problèmes posés par la stipulation d'un intérêt, jugée traditionnellement avec sévérité par la philosophie (3) ou par la tradition scripturaire (4). Cette méfiance n'a rien de purement occidental ou de chrétien, la meilleure preuve étant qu'on la retrouve en droit islamique où le riba est prohibé (5). Certes, l'article 1907 du Code civil (N° Lexbase : L2132ABL) autorise la stipulation d'un intérêt conventionnel à l'occasion des prêts de somme d'argent. Toutefois, cette liberté est limitée par les dispositions concernant l'usure (6). En matière de prêt consenti par un établissement de crédit (7), elle est assortie d'un formalisme informatif : la mention obligatoire du taux effectif global (TEG) (8). Cette mention entend lutter contre la rationalité limitée (9) de l'emprunteur en lui offrant, entre autres choses, la possibilité de comparer aisément les offres de crédit bancaire.

Le TEG se compose du taux d'intérêt et des "frais, commissions ou rémunérations de toute nature, directs ou indirects, y compris ceux qui sont payés ou dus à des intermédiaires intervenus de quelque manière que ce soit dans l'octroi du prêt, même si ces frais, commissions ou rémunérations correspondent à des débours réels" (10).

En matière de taux d'intérêt variable (ou révisable), où l'on peut présumer que l'exigence d'information de l'emprunteur est à son paroxysme, le droit applicable au TEG a connu récemment des évolutions.

C'est, notamment, le fait d'un arrêt rendu par la Cour de cassation le 20 décembre 2007, à l'occasion duquel la première chambre civile a précisé sa position sur l'information à délivrer en matière de taux d'intérêt variable. Ce faisant, elle a précédé de quelques semaines l'adoption de dispositions législatives internes et communautaires sur le sujet.

Après avoir rappelé les principales dispositions juridiques applicables en matière de taux d'intérêt variable (I), nous nous intéresserons à l'arrêt rendu le 20 décembre 2007 à la lumière de la loi n° 2008-3 du 3 janvier 2008 (loi pour le développement de la concurrence au service des consommateurs N° Lexbase : L7006H3U) et de la Directive adoptée par le Parlement européen le 16 janvier 2008, sur le crédit aux consommateurs (lire N° Lexbase : N8116BDX) (II).

I - Aspects juridiques choisis des taux variables

En France, où les taux d'intérêt fixes demeurent les plus répandus (notamment en matière de prêts immobiliers), la crise des subprimes a offert une tribune peu enviable aux taux variables. Dans les faits, crise des subprimes et taux d'intérêt variables sont intimement liés : les crédits dits "subprimes" sont des prêts immobiliers consentis à des emprunteurs peu solvables, à un taux variable (et élevé). La hausse continue du taux directeur de la Réserve fédérale américaine entre 2004 et 2007, dont dépendent les taux variables proposés aux emprunteurs américains, a provoqué un alourdissement de la charge de remboursement de ces derniers. Il s'en est suivi une augmentation des défauts de paiement qui, conjuguée à l'assèchement de la demande de biens immobiliers aux Etats-Unis, pèse aujourd'hui lourdement sur le bilan des établissements prêteurs.

Parmi les faits à l'origine de l'arrêt du 20 décembre 2007 figure un recours aux taux variables. En effet, une société civile immobilière avait contracté auprès d'une banque un prêt d'un montant en principal équivalent à 24 392 euros et portant intérêt au taux de 10,95 %. Le contrat mentionnait un TEG de 11,053 % et précisait que le taux d'intérêt était un taux variable fondé sur un indice objectif.

Le droit positif français autorise la stipulation d'un taux d'intérêt variable (A), le cas échéant dans le respect des règles sur les clauses abusives (B).

A - La validité d'une stipulation de taux d'intérêt variable

L'économie du taux variable (1) permet de conclure sur les mécanismes juridiques qui permettent d'y recourir (2).

1- Présentation des taux variables

Le Professeur Vasseur définit le taux variable comme le taux "qui est déterminé par insertion ou intégration dans le taux stipulé du taux de référence, et qui varie arithmétiquement de la même façon que ce dernier" (11). La variation du taux est donc calculée en fonction d'un indice. Si cette variation reflète purement et simplement celle de l'indice, le taux est parfois dit "indexé" ; dans le cas inverse, le taux est dit "variable" (12). On peut admettre que le taux indexé est une variété de taux variable.

Pour le prêteur, cette variabilité permet de se prémunir contre une excessive sensibilité de son passif à la variation des taux d'intérêt en ajustant les taux pratiqués à son actif. Pour l'emprunteur, cette technique permet généralement de bénéficier d'un coût initial d'emprunt moins élevé et de profiter des éventuelles baisses des taux d'intérêt.

On recense généralement trois grandes catégories de taux d'intérêt variables :
- les taux variables purs et simples ;
- les taux variables "capés", pour lesquels la variation est limitée à la hausse par un "plafond" (cap) ; et
- les taux variables à échéances plafonnées, pour lesquels c'est l'augmentation du montant des échéances qui est limitée. Pour les cas où l'augmentation convenue contractuellement ne permet pas de répercuter l'entière hausse de l'indice, le terme du contrat demeure certain mais variable.

2 - Indexation et objet de l'obligation

A l'inverse du droit public (13), le droit privé se montre traditionnellement hostile à la théorie de l'imprévision (14). Dans le même temps, au nom de la stabilité monétaire, il érige en principe l'interdiction de l'indexation (15).

Pour autant, il ne laisse pas irrémédiablement figées les stipulations contractuelles. Ainsi, en matière d'indexation, l'interdiction évoquée est-elle assortie d'exceptions et d'atténuations. La mieux connue de ces dernières est sans doute celle qui résulte des dispositions de l'article L. 112-2 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L3375APP), dont la lecture a contrario (16) autorise l'indexation du prix sur un indice "en relation directe avec l'objet du statut ou de la convention ou avec l'activité de l'une des parties". Une stipulation de taux d'intérêt indexé peut donc s'analyser comme une clause d'indexation, au sens de l'article L. 112-2 du Code monétaire et financier.

L'analyse est différente en ce qui concerne les taux variables stricto sensu, qui ne reposent pas intégralement sur le mécanisme d'indexation. Sous réserve de l'abus du prêteur, la "célébrissime" jurisprudence de l'Assemblée plénière du 1er décembre 1995 a levé les doutes qui ont pu exister quant à la validité de la stipulation d'un taux variable (17). D'ailleurs, la Cour de cassation a eu, depuis, l'occasion de préciser sa position en la matière (18).

Partant, il résulte de la législation sur les clauses d'indexation et de la jurisprudence de la Cour de cassation que, en matière de prêts consentis par un établissement de crédit (ce qui correspond à notre espèce), les parties bénéficient ainsi d'une relative liberté, dans la double mesure où l'objet de leur convention est la mise à disposition à titre onéreux de fonds (19) et où l'activité du prêteur consiste à effectuer à titre de profession habituelle des opérations de banque (20) (C. mon. fin., art. L. 511-1 N° Lexbase : L9477DYN). Cela permet aux parties de retenir la quasi-intégralité des indices interbancaires de référence, notamment pour ce qui concerne la zone euro :
- EURIBOR (21), qui est le taux interbancaire offert entre les banques dites "de meilleure signature" pour la rémunération de dépôts dans la zone euro ;
- EONIA (22), qui est le taux résultant de la moyenne pondérée de toutes les transactions au jour le jour de prêts non garantis réalisées par les banques retenues pour le calcul de l'EURIBOR.

En l'espèce, l'indice retenu par les parties était le TRBO, soit le taux de rendement en bourse des obligations.

Cette relative liberté est, toutefois, contrainte par les dispositions du Code de la consommation.

B - L'impact des dispositions relatives aux clauses abusives

Même si les faits de l'arrêt du 20 décembre 2007 ne s'y prêtaient pas, rien ne s'oppose, dans l'absolu, à ce que les dispositions relatives aux clauses abusives (1) s'appliquent aux clauses de taux d'intérêt variable (2).

1 - Retour sur la législation concernant les clauses abusives

L'article L. 132-1 du Code de la consommation (N° Lexbase : L6478ABK) dispose, en son alinéa 1er, que "dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat".

Cette disposition légale a fait l'objet d'une interprétation large par la jurisprudence de la Cour de cassation qui admet qu'une clause figurant dans un contrat conclu avec un professionnel (fût-il une personne morale (23)) sans rapport direct avec son activité peut être qualifiée de clause abusive (24).

L'arrêt du 20 décembre 2007 mettait aux prises un établissement de crédit agréé par le Comité des établissements de crédit et des entreprises d'investissement, en qualité de prêteur, et une société civile immobilière, en qualité d'emprunteur. Si la qualité de personne morale de l'emprunteur ne faisait pas obstacle à l'application des règles sur les clauses abusives, le fait que l'emprunteur agissait dans le cadre de son activité (en l'occurrence, le financement immobilier) l'empêchait.

2 - Le caractère abusif d'une clause d'intérêt variable

Pourtant, il y a lieu de penser que l'article L. 132-1 peut s'appliquer à une clause d'intérêt variable, à condition que ladite clause réponde aux critères définis par le Code de la consommation. Le "déséquilibre significatif" serait susceptible de se manifester lorsque l'indice retenu par la clause de variation est un indice dont l'évolution est déterminée (au moins en partie) par le prêteur professionnel.

C'est d'ailleurs le point de vue de la Commission des clauses abusives qui a estimé, dans un avis rendu le 27 mai 2004, qu'une stipulation de taux variable indexé sur le taux de base bancaire est constitutive d'une clause abusive. Le taux de base bancaire étant un taux de référence librement déterminé par chaque établissement de crédit auquel s'ajoutent certaines majorations dues à divers facteurs (durée de crédit, risques...), on ne peut qu'adhérer à cette opinion. D'ailleurs, l'arrêt rendu le 9 juillet 1996 par la Chambre commerciale (25) est susceptible d'aller dans ce sens.

Dans l'arrêt du 20 décembre 2007, l'indice retenu est un taux calculé mensuellement par la Caisse des dépôts et consignations. Aussi, la législation sur les clauses abusives n'aurait pu critiquer la convention des parties sur ce point.

Le droit positif français autorise donc, sous certaines limites peu contraignantes, que soit stipulé un taux d'intérêt variable. Ce type de taux, et c'est la difficulté soulevée par l'arrêt du 20 décembre 2007, pose problème quant à l'information à fournir à l'emprunteur. C'est vers une solution simple et pragmatique que s'est orientée la Cour de cassation.

II - L'information à fournir en matière de taux variable

L'arrêt du 20 décembre 2007 est venu briser la relative monotonie d'une jurisprudence dont on aurait pu penser, qu'en matière de TEG, elle était condamnée à nous fournir un inventaire à la Prévert des éléments entrant (ou non) dans le calcul du TEG (26). Il a le mérite de nous éclairer sur l'information à délivrer à l'emprunteur en matière de TEG calculé à partir d'un taux variable. Il est vrai que la question se pose tant s'agissant du moment où cette information doit être donnée (A), que pour ce qui est du contenu de cette information (B).

A - La délivrance de l'information

La solution retenue par la Cour de cassation impose une mention contractuelle unique du TEG en présence d'un taux variable (1), proposant ainsi une solution simple (2).

1 - Une mention unique

L'article L. 313-2 du Code de la consommation (N° Lexbase : L1518HI3 repris par l'article L. 313-5 du Code monétaire et financier N° Lexbase : L4275HCC) dispose que le TEG doit faire l'objet d'une mention "dans tout écrit constatant un contrat de prêt" (27).

Dans les faits qui nous intéressent ici, le TEG avait fait l'objet de la mention exigée par la loi. Toutefois, lorsque l'emprunteur et sa caution furent attraits devant les tribunaux en paiement du solde du prêt, ils demandèrent reconventionnellement l'annulation de la stipulation d'intérêts et la substitution du taux d'intérêt légal, prenant prétexte du fait qu'à l'occasion des lettres régulières ayant pour objet d'informer l'emprunteur de l'évolution du taux d'intérêt, le prêteur n'avait pas cru bon devoir préciser en plus le "nouveau TEG".

La cour d'appel fit droit à la demande de l'emprunteur et de sa caution, mais elle fut dédite par la Cour de cassation, à la suite du pourvoi formé par la banque. En effet, l'arrêt d'appel est cassé pour fausse application de l'article L. 313-2 du Code de la consommation. Selon la Haute juridiction, ledit article "s'il impose la mention du taux effectif global dans tout écrit constatant un prêt, ne fait pas obligation au prêteur, en cas de stipulation de révision du taux d'intérêt originel selon l'évolution d'un indice objectif, d'informer l'emprunteur de la modification du taux effectif global résultant d'une telle révision".

Cette solution constitue un revirement par rapport à la jurisprudence antérieure de la première chambre civile. En effet, on se souvient que, dans un arrêt du 19 octobre 2004 (28), cette formation de la Haute juridiction avait choisi d'imposer que le TEG soit mentionné une première fois dans le contrat de prêt, puis à chaque variation du taux d'intérêt dans les documents visant à renseigner l'emprunteur sur le nouveau taux d'intérêt applicable à son emprunt. En matière de crédit à taux variable, le droit à l'information de l'emprunteur portait donc tant sur le "TEG applicable" que sur le "TEG appliqué". Cette solution ne semble plus avoir cours aujourd'hui : seul le "TEG applicable" doit faire l'objet d'une mention.

2 - Une solution simple

La solution proposée par le revirement du 20 décembre 2007 n'est pas pleinement satisfaisante en ce qui concerne la cohérence de la jurisprudence de la Cour de cassation. Certes, elle se rapproche de l'esprit de l'arrêt rendu par la Chambre commerciale le 9 mai 2001 (29), à l'occasion duquel la Cour de cassation s'était satisfaite d'une "stipulation fixant un taux effectif global variable avec un maximum en fonction d'événements aléatoires inconnus au jour de la conclusion du contrat" dans le seul contrat de prêt. Dans le même temps, elle s'éloigne, toutefois, de la solution établie par l'arrêt du 22 mai 2007 où elle a exigé que "le taux effectif global appliqué soit porté sur les relevés périodiques, reçus par l'emprunteur sans protestation ni réserve" (30).

Au surplus, la solution peut étonner dans un contexte de "politique jurisprudentielle" sévère à l'égard du devoir de mise en garde du banquier (31). La solution ancienne de la première chambre civile, qui avait été qualifiée d'"étrange" (32), était sans doute allée trop loin par souci de se conformer à l'esprit du texte. Certes, on pourrait objecter que le TEG appliqué résultant d'une variation du taux d'intérêt de base est une information livrable à moindres frais par l'établissement de crédit prêteur. Toutefois, d'une part, il est utile que le TEG soit unique pour faire correctement application des dispositions relatives au taux de l'usure et, d'autre part, la variation du TEG, à la suite d'une variation du taux de base étant une simple variation arithmétique, il est inutile de renseigner davantage l'emprunteur sur ce point. Un prêt ne peut avoir qu'un seul et unique TEG. Quant à la différence marquée avec la solution relevée en matière de découvert en compte courant, elle se justifie, dans la mesure où le TEG figurant dans la convention d'ouverture du crédit ne peut être qu'un exemple. La mention unique du TEG exigée par la Cour de cassation est donc une solution de bon sens.

Il est vrai que, dans son attendu principal, la Cour de cassation ne manque pas de préciser qu'elle raisonne "en cas de stipulation de révision du taux d'intérêt originel selon l'évolution d'un indice objectif". Cette précision est susceptible de complexifier quelque peu la lecture de l'arrêt quant à sa portée. Nous sommes d'avis (33) que par "indice objectif", il faut comprendre : un indice sur lequel le prêteur n'a pas d'influence. Autrement dit, et conformément à ce qui a été exposé précédemment en matière de clause abusive, il s'agirait de tout indice pouvant être retenu à l'occasion d'un contrat de crédit conclu avec "un consommateur ou un non-professionnel". Cette nouvelle jurisprudence de la Cour de cassation proposerait donc un départ systématisé entre l'emprunteur professionnel et l'emprunteur consommateur ou non-professionnel :
- l'emprunteur professionnel pourrait se voir imposer un indice "subjectif" (dont l'évolution est susceptible de résulter, dans les limites de ce que permet le droit commun, de la volonté du prêteur), sous réserve des arrêts d'Assemblée plénière du 1er décembre 1995. Dans ce cas, il aurait, toutefois, droit à une double mention du TEG : le TEG applicable à la conclusion de l'emprunt, et le TEG appliqué à chaque variation du taux d'intérêt ;
- le second ne pourrait se voir imposer qu'un indice "objectif" (conformément à l'avis délivré par la Commission des clauses abusives), mais seul le TEG applicable serait porté à sa connaissance. Ce serait à lui, par la suite, de recalculer, à chaque variation du taux sous-jacent, le TEG appliqué.

B - Le contenu de l'information

La décision rendue par la Cour de cassation intervient quelques semaines avant l'adoption de deux textes législatifs, d'origine interne et communautaire. Or, tant la loi n° 2008-3 du 3 janvier 2008 (1) que la Directive adoptée le 16 janvier 2008 par le Parlement européen intéressent le TEG (2).

1 - La loi n° 2008-3 du 3 janvier 2008

Ayant pour objet "le développement de la concurrence au service des consommateurs", la loi du 3 janvier 2008 appréhende le phénomène observé en France de développement des prêts à taux variable. Sans doute, trouve-t-elle ici, au moins pour partie, son inspiration dans la crise des subprimes, brièvement décrite plus avant.

L'article 25 de ladite loi a modifié l'article L. 312-8 du Code de la consommation, qui dispose désormais que, en matière de crédit immobilier à un consommateur, l'offre de prêt à taux variable doit être "accompagnée d'une notice présentant les conditions et modalités de variation du taux d'intérêt et d'un document d'information contenant une simulation de l'impact d'une variation de ce taux sur les mensualités, la durée du prêt et le coût total du crédit".

Applicable à compter du 1er octobre 2008, cet article se contente de mentionner le taux d'intérêt, à l'exclusion du TEG. Faut-il en déduire que ce dernier n'est pas concerné par les obligations d'information nouvelles issues de la loi du 3 janvier 2008 ? Rien n'est moins sûr. Dans un souci de cohérence, on peut imaginer que si la Cour de cassation autorise, désormais, que les "TEG applicables effectifs" ne soient plus communiqués formellement, elle ne lira pas, dans le nouvel article L. 312-8 du Code de la consommation, une exigence de communication ab initio des TEG appliqués anticipés. C'est d'autant plus vrai qu'est également inséré dans le Code de la consommation, par l'oeuvre de l'article 26 de la loi du 3 janvier 2008, un article L. 312-14-2, qui précise que, toujours s'agissant des crédits immobiliers aux consommateurs, "le prêteur est tenu, une fois par an, de porter à la connaissance de l'emprunteur le montant du capital restant à rembourser". La loi n'exige donc pas une information annuelle sur le TEG appliqué, en cas de crédit à taux variable.

2 - La Directive adoptée par le Parlement européen le 16 janvier 2008

Plus de vingt ans après la Directive 87/102 CE du 22 décembre 1986 (Directive relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres en matière de crédit à la consommation N° Lexbase : L9737AU8), la Directive adoptée par le Parlement européen le 16 janvier 2008 dote l'Europe d'un nouveau dispositif législatif cadre en matière de crédit à la consommation. Ce texte comporte un certain nombre de dispositions relatives au TEG : en effet, la nouvelle Directive établit une méthode européenne de calcul, en précisant la liste des éléments devant entrer dans la détermination du TEG ; une bénédiction à venir pour les juges et les prêteurs !

La question des taux d'intérêt variable est également abordée, notamment par l'article 19 du texte, qui précise que "pour les contrats de crédit comportant des clauses qui permettent des adaptations du taux débiteur [...], le taux annuel effectif global est calculé en partant de l'hypothèse que le taux débiteur et les autres frais resteront fixes par rapport au niveau initial et s'appliqueront jusqu'au terme du contrat".

Une nouvelle fois, c'est une limitation des obligations d'information du prêteur qu'il faut voir ici, puisque ce dernier n'a pas à "actualiser" le TEG à chaque variation du taux d'intérêt.

Les dernières semaines ont apporté des précisions sur le droit applicable en matière de TEG. Pas de révolution, mais une clarification appréciable dans le sens de la sécurité juridique à laquelle les acteurs publics (34) comme privés (35) accordent une importance croissante. Tout au plus, il existe une tentation de s'étonner de cette évolution dans le sens d'une information, non pas réduite, mais pas aussi étendue qu'on aurait pu le penser. C'est sans doute préférable, notamment pour les établissements de crédit. Ne perdant pas de vue que "un bienfait reproché tient toujours lieu d'offense" (36), on se gardera de plus amples commentaires.


(1) Par exemple, I. Fisher, Theory of interest, 1907.
(2) Dans la littérature keynésienne: J.-M. Keynes, Théorie générale de l'emploi, de l'intérêt et de la monnaie, 1936.
(3) Aristote dénonce, notamment, dans son Ethique à Nicomaque, la "chrématistique" ; dans la Somme Théologique, Saint Thomas d'Aquin énonce qu'"il est injuste en soi de se faire payer pour l'usage de l'argent prêté".
(4) "Si tu prêtes de l'argent à mon peuple, au pauvre qui est avec toi, tu ne seras point à son égard comme un créancier, tu n'exigeras de lui point d'intérêt", Exode, XXII, 25.
(5) Cf. C. Serhal, Les prêts participatifs à l'heure de la finance islamique, Banque Stratégie, novembre 2007, p. 8.
(6) C. consom., art. L. 313-3 (N° Lexbase : L1519HI4) ; C. mon. fin., art. L. 313-5 (N° Lexbase : L4275HCC).
(7) A un emprunteur consommateur ou professionnel : Cass. com., 5 octobre 2004, n° 01-12.435, Société en nom collectif Elysées Franklin c/ Société CDR Créances, FS-P+B (N° Lexbase : A5566DDI), D., 2004, AJ, 2711.
(8) C. consom., art. L. 313-1 (N° Lexbase : L1517HIZ) et s. ; C. mon. fin., art. L. 313-4 (N° Lexbase : L6403DIY).
(9) Au sens de H. Simon dans Administrative Behaviour, 1947.
(10) C. consom., art. L. 313-1, al. 1er.
(11) D., 1980, Sommaires commentés, 383.
(12) F. Ribay, Aspects juridiques des clauses de variation du taux des prêts, Banque et droit, 1989, n° 5, 128.
(13) CE Contentieux, 30 mars 1916, n° 59928, Compagnie générale d'éclairage de Bordeaux (N° Lexbase : A0631B9A), D., 1916, 2, 25, S., 1916, 3, 17, note Hauriou.
(14) Cass. civ., 6 mars 1876, Canal de Craponne, D., 1876, 1, 193, S., 1876, 1, 161.
(15) C. mon. fin., art. L. 112-1, al. 1er (N° Lexbase : L9702DYY) : "l'indexation automatique des prix est interdite". Ce texte, aujourd'hui codifié, fut introduit en droit positif par l'article 79 de l'ordonnance du 30 décembre 1958, modifiée par l'ordonnance du 4 février 1979.
(16) Révélatrice de l'état d'esprit ayant présidé à la rédaction de ces textes.
(17) Ass. plén., 1er décembre 1995, 4 espèces, n° 91-15.578, Compagnie atlantique de téléphone c/ Société Sumaco (N° Lexbase : A1731AAD), n° 91-15.999, Société Bechtel France (N° Lexbase : A5967AHH), n° 91-19.653, M. Vassali c/ M. Gagnaire (N° Lexbase : A5344ABK) et n° 93-13.688, Société Le Montparnasse c/ Société GST-Alcatel Bretagne (N° Lexbase : A8251AB9), JCP éd. E, 1996, II, 776, note Leveneur.
(18) Cass. com., 9 juillet 1996, n° 94-17.612, Crédit commercial de France (N° Lexbase : A2511ABM), JCP éd. G, 1996, II, 22721, note J. Stoufflet.
(19) C. mon. fin., art. L. 313-1.
(20) Lesquelles comprennent les opérations de crédit : C. mon. fin., art. L. 311-1.
(21) EURo InterBank Offered Rate (TIBEUR, dans sa version française).
(22) Euro OverNight Index Average.
(23) Cass. civ. 1, 27 septembre 2005, n° 02-13.935, Association Fédération française d'athlétisme c/ Société Entenial, FS-P+B (N° Lexbase : A5748DK4), avec le commentaire de Y. Picod, D., 2006, p. 238.
(24) Notamment, Cass. civ. 1, 24 janvier 1995, n° 92-18.227, Société Héliogravure Jean Didier c/ Electricité de France (EDF), publié (N° Lexbase : A7947AGG), D., 1995, 327, note G. Paisant.
(25) Ibidem.
(26) Eléments qui comprennent, notamment, la souscription de parts sociales (Cass. civ. 1, 23 novembre 2004, n° 02-13.206, F-P+B N° Lexbase : A0245DES, Bull. civ., I, n° 289), les primes d'assurance (ibidem), les "frais de forçage" prélevés sur un compte de dépôt à l'occasion de chaque opération effectuée au-delà du découvert autorisé (Cass. com., 5 février 2008, n° 06-20.783, F-P+B N° Lexbase : A7222D4A) ou les frais de renégociation du prêt (Cass. civ. 1, 27 février 2007, n° 04-20.779, Société Auxifip, venant aux droits du CEPME (Crédit d'équipement aux petites et moyennes entreprises), FS-P+B N° Lexbase : A4087DUW, H. Claret, Les Petites Affiches, 12 novembre 2007, n° 226, p. 6), mais pas les commissions de compte (Cass. com., 14 décembre 2004, n° 02-19.532, FS-P+B N° Lexbase : A4652DEZ, JCP éd. E, 2005, 317, note Raby).
(27) Rappelons que, en matière de publicité, l'article L. 311-4 du Code de la consommation (N° Lexbase : L6497ABA) impose que le TEG figure dans "toute publicité faite, reçue ou perçue en France [...] quelque soit son support" portant sur un crédit à la consommation.
(28) RTDcom., 2005, 152, obs. R. Cabrillac ; RDBF, 2005, 7, obs. F.-J. Credot et Y. Gérard.
(29) Cass. com., 9 mai 2001, n° 98-15.722, Société Intercar c/ Société Sodep, publié (N° Lexbase : A4123ATU), Bull. civ. IV, n° 86.
(30) Cass. com., 22 mai 2007, n° 06-12.180, M. André Cain-Rossow, FS-P+B+I+R (N° Lexbase : A3961DWM), JCP éd. E, 2007, n° 45, p. 2332, obs. C. Lassalas-Langlais.
(31) Récemment, voir, Cass. com., 11 décembre 2007, n° 03-20.747, M. Michel Devaud, FS-P+B (N° Lexbase : A0703D3G) et Cass. civ. 1, 20 décembre 2007, n° 06-16.543, Mme Marthe Bodin, épouse Savary, F-P+B, D., 2008, n° 4, note V. Avena-Robardet.
(32) F.-J. Credot et Y. Gérard, idem.
(33) Comme d'autres, D., 2008, n° 5, p. 286, note V. Avena-Robardet.
(34) Ainsi, CE, 24 mars 2006, n° 288460, Société KPMG (N° Lexbase : A7837DNL).
(35) On pourra se référer à l'intérêt que les rapports Doing Business portent au sujet.
(36) Racine, Iphigénie, acte IV, scène 6.

newsid:310760

Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] Rupture du contrat de travail d'un étranger en situation irrégulière : ordre public, non-cumul et principe de faveur

Réf. : Cass. soc., 29 janvier 2008, n° 06-44.983, M. Jovica Petrusevski, F-P (N° Lexbase : A6082D4Z)

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N0757BER

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par Stéphanie Martin-Cuenot, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

Le 07 Octobre 2010

L'embauche d'un travailleur étranger sans titre de travail n'est pas sans conséquence pour l'employeur. Outre les sanctions civiles et pénales, ce dernier est débiteur envers le salarié d'une indemnité forfaitaire d'un mois de salaire. Cette indemnité constitue un minimum et ne se cumule pas avec les indemnités susceptibles d'être versées au salarié à l'occasion de la rupture de son contrat de travail, seule la plus élevée devant lui être attribuée. C'est ce principe qu'est venue rappeler la Haute juridiction dans une décision du 29 janvier dernier. La solution retenue ne peut qu'être approuvée.
Résumé

L'article 7 de la Convention de l'OIT, qui ne vise que les licenciements pour des motifs liés à la conduite ou au travail du salarié, ne trouve pas à s'appliquer à la rupture du contrat de travail d'un étranger motivée par son emploi en violation des dispositions de l'article L. 341-6 du Code du travail (N° Lexbase : L7836HBT).

Selon l'article L. 341-6-1 du même code (N° Lexbase : L7837HBU), l'étranger, non muni d'un titre l'autorisant à exercer une activité salariée en France, a droit, au titre de la période d'emploi illicite, en cas de rupture de la relation de travail, à une indemnité forfaitaire égale à un mois de salaire, à moins que l'application des règles figurant aux articles L. 122-3-4 (N° Lexbase : L4598DZC), L. 122-3-8, alinéa 2, (N° Lexbase : L5457AC4), L. 122-8 (N° Lexbase : L5558ACT) et L. 122-9 (N° Lexbase : L5559ACU) du Code du travail, ou dans des dispositions conventionnelles correspondantes, ne conduise à une solution plus favorable. Le principe du non-cumul entre dispositions plus favorables s'oppose à ce que le travailleur embauché alors qu'il est en situation irrégulière se voit accorder, outre l'indemnité de préavis, l'indemnité forfaitaire, seule l'indemnité la plus élevée lui étant versée.

Commentaire

I. Indemnisation de la rupture du contrat de travail du salarié étranger embauché de manière irrégulière

  • Conditions entourant l'embauche d'un travailleur étranger

L'embauche d'un travailleur de nationalité étrangère impose à l'employeur de respecter un régime particulier.

Tout travailleur de nationalité étrangère doit, préalablement à la conclusion de son contrat de travail, détenir un titre l'autorisant à exercer une activité sur le territoire national (C. trav., art. L. 341-6). Cette autorisation est une condition préalable impérative. En cas de non-respect de cette obligation, en plus de sanctions civiles (C. trav., art. L. 341-6 et L. 341-7 N° Lexbase : L7841HBZ), l'employeur est passible de sanctions, notamment, pénales (C. trav., art. L. 364-3 N° Lexbase : L7859HBP).

L'employeur n'est pas le seul pénalisé par cette absence d'autorisation de travail. Il faut, en effet, savoir que la jurisprudence considère que le fait pour le salarié de ne pas, ou de ne plus, avoir d'autorisation de séjour implique la rupture de son contrat de travail (CA Paris, 18ème ch., sect. E, 3 novembre 2006, n° 05/03004, Melle Abdou c/ SAS Leader Price N° Lexbase : A2061DTI).

Pour la période travaillée, le salarié demeure, néanmoins, un salarié comme les autres. Même embauché sans titre de travail, ce dernier est, en effet, considéré par le législateur, comme régulièrement engagé, eu égard aux obligations de l'employeur. Il est donc, comme tout salarié, soumis à la législation du travail. L'employeur est, ainsi, tenu de respecter la durée du travail, de prendre en compte l'ancienneté acquise au cours de la période travaillée et de le rémunérer conformément aux dispositions applicables à sa situation (C. trav., art. L. 341-6-1, alinéa 2, 1°).

  • Indemnisation du travailleur étranger irrégulièrement embauché

En cas de rupture de son contrat de travail, ce qui, nous l'avons vu, arrive automatiquement lorsque sa situation de travail n'a pas été régularisée, le salarié se voit allouer une indemnité forfaitaire spéciale d'un mois de salaire (cette indemnité étant portée à 6 mois lorsque l'irrégularité se double de travail dissimulé, C. trav., art. L. 324-11-1 N° Lexbase : L6212AC3). Cette indemnité constitue un minimum et est exclusive de toute autre.

L'article L. 341-6-1, alinéa 2, 2° du Code du travail dispose, en effet, qu'"en cas de rupture de la relation de travail, l'étranger a droit au titre de la période d'emploi illicite, à une indemnité forfaitaire égale à un mois de salaire, à moins que l'application des règles figurant aux articles L. 122-3-4, L. 122-3-8, alinéa 3, L. 122-8 et L. 122-9, ou des stipulations contractuelles correspondantes, ne conduisent à une solution plus favorable".

C'est ce principe du non-cumul entre l'indemnité forfaitaire et les autres indemnités versées à l'occasion de la rupture du contrat de travail que vient rappeler la Haute juridiction dans la décision commentée.

  • Espèce

Dans cette espèce, un salarié de nationalité étrangère, embauché de manière irrégulière, s'était vu notifier son licenciement. Ce dernier, n'ayant aucune possibilité de travail en France, avait saisi la juridiction prud'homale d'une demande de paiement de diverses sommes au titre, tant de l'exécution, que de la rupture de son contrat.

La cour d'appel avait refusé de faire droit aux demandes du salarié pour l'indemnisation de la rupture de son contrat et lui avait accordé une indemnité forfaitaire sur le fondement de l'article L. 341-6-1 du Code du travail.

La Haute juridiction confirme la décision des juges du second degré. Après avoir rappelé, dans un premier moyen, que l'employeur qui rompt le contrat de travail d'un travailleur étranger embauché alors qu'il n'a pas d'autorisation de travail n'est pas tenu de respecter la procédure de licenciement, elle réaffirme l'application du principe du non-cumul entre l'indemnité forfaitaire et les indemnités versées à l'occasion de la rupture du contrat de travail.

Cette solution mérite l'approbation.

II. Particularités entourant la rupture du contrat de travail d'un salarié étranger en situation irrégulière

  • Modalités de rupture du contrat de travail du salarié étranger en situation irrégulière

L'article 7 de la Convention n° 158 de l'OIT dispose qu'un travailleur ne devra pas être licencié pour des motifs liés à sa conduite ou à son travail avant qu'on ne lui ait offert la possibilité de se défendre contre les allégations formulées, à moins que l'on ne puisse pas raisonnablement attendre de l'employeur qu'il lui offre cette possibilité.

Cette disposition était invoquée par le demandeur au soutien de sa requête d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Cette disposition est reprise à la lettre par la Cour de cassation qui souligne que, dans l'hypothèse de la rupture du contrat de travail du salarié étranger en situation irrégulière, il ne s'agit pas d'un licenciement, mais de la rupture du contrat de travail d'un étranger motivée par son emploi en violation des dispositions de l'article L. 341-6 du Code du travail. Ce n'est pas de licenciement dont il est question ici.

Il s'agit, dans l'hypothèse de la rupture du contrat de travail du salarié étranger en situation irrégulière, d'une nullité qui trouve son fondement dans la violation des règles d'ordre public applicables à l'embauche d'un travailleur étranger. Cette nullité n'est pas rétroactive, la rétroactivité ne pouvant en aucun cas trouver à s'appliquer ici, la remise en l'état demeurant impossible.

Dans la mesure où il ne s'agit pas d'un licenciement, le salarié ne peut prétendre au versement de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, seule l'indemnité de licenciement peut être due, s'il s'avère que, dans son montant, elle est plus importante que l'indemnité forfaitaire d'un mois de salaire, ou les autres indemnités légales ou conventionnelles expressément visées par l'article L. 341-6-1, alinéa 2, 2° du Code du travail.

  • Ordre public social, non-cumul et principe de faveur

Le principe posé par l'article L. 341-6-1, alinéa 2, 2° du Code du travail est celui du non-cumul entre les indemnités versées à l'occasion de la rupture du contrat de travail d'un salarié étranger embauché de manière irrégulière et son corollaire, le principe de faveur, qui n'est que le résultat du caractère d'ordre public social de cette disposition.

Une application littérale de cette disposition aboutit à la conclusion suivante :

1. L'indemnité forfaitaire d'un mois de salaire constitue un minimum auquel l'employeur ne peut se soustraire.

2. Cette indemnité ne se cumule pas avec les autres indemnités, qui pourraient être versées au salarié à l'occasion de la rupture de son contrat de travail. A cette occasion, le salarié se voit allouer, soit l'indemnité forfaitaire d'un mois de salaire, soit les indemnités inhérentes à la rupture de son contrat de travail par le fait de l'employeur, lorsque leur montant sera supérieur à un mois de salaire : indemnité de précarité, indemnité due au titre de la rupture du contrat de travail à durée déterminée avant terme ; indemnité compensatrice de préavis ; indemnité de licenciement ; ou toute autre indemnité conventionnelle plus avantageuse que les dispositions légales. L'article L. 341-6-1 alinéa 2, 2° du Code du travail dispose, à cet effet, que le salarié se verra allouer une indemnité forfaitaire d'un mois de salaire "à moins que l'application des règles figurant aux articles [...] ne conduise à une solution plus favorable".

3. L'indemnité la plus favorable lui sera seule accordée. C'est l'indemnité la plus favorable dans son montant qui devra être versée au salarié. Cette disposition étant une disposition d'ordre public social qui fait de l'indemnité forfaitaire le minimum légal que doit toucher le travailleur salarié embauché en situation irrégulière, et le législateur ayant posé un principe du non-cumul entre indemnités, s'il s'avère que la situation du salarié lui permet simultanément de bénéficier de l'indemnité forfaitaire et d'une autre indemnité expressément visée par l'article L. 341-6-1, alinéa 2, 2° du Code du travail, et qu'il y a conflit, celui-ci trouve sa solution dans le principe de faveur.

Si l'application de la règle légale ou conventionnelle ayant trait à l'indemnité de précarité ou à la rupture du contrat de travail à durée déterminée avant terme ou à l'indemnité compensatrice de préavis ou à l'indemnité de licenciement aboutit à ce que l'indemnité due au salarié soit supérieure à un mois de salaire, elle reçoit application.

Le principe de faveur emporte que l'indemnité la plus favorable se substitue à l'indemnité forfaire pour son montant. Il convient, toutefois, de souligner qu'il s'agit d'un principe de faveur "légal" et non du principe général qui veut qu'en cas de conflit de normes également applicables portant sur la même cause et le même objet, s'applique la plus favorable au salarié, les normes en présence n'ont, en effet, ni la même cause, ni le même objet, le conflit étant créé par le législateur.

Si cette disposition n'avait pas existé, il aurait donc fallu cumuler...

Décision

Cass. soc., 29 janvier 2008, n° 06-44.983, M. Jovica Petrusevski, F-P (N° Lexbase : A6082D4Z)

Rejet de CA Lyon, 5ème ch., 11 mai 2006, n° 03/06299, M. Jovica Petrusevski c/ SA TBH Logistique (N° Lexbase : A7418DTW)

Mots clefs : travailleur étranger ; situation irrégulière ; absence d'autorisation de travail ; rupture du contrat ; qualification de la rupture ; absence de licenciement ; indemnisation de la rupture du contrat de travail ; indemnités versées à l'occasion de la rupture ; non-cumul avec l'indemnité forfaitaire d'un mois de salaire.

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Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] Départ volontaire ou mise à la retraite : nature des indemnités et possibilités de saisie

Réf. : Cass. soc., 30 janvier 2008, n° 06-17.531, M. Michel Guyot c/ Société Banque populaire Bourgogne-Franche-Comté, FS-P+B+R (N° Lexbase : A5997D4U)

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N0835BEN

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par Olivier Pujolar, Maître de conférences à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

Le 07 Octobre 2010



Une décision de la Chambre sociale de la Cour de cassation rendue le 30 janvier 2008 est l'occasion de revenir sur les différentes origines que peut revêtir le départ en retraite d'un salarié. Tantôt ce dernier découlera d'un commun accord entre le salarié et son employeur, tantôt il sera le résultat d'une mise à la retraite par l'employeur, tantôt, enfin, il pourra résulter d'un départ volontaire du salarié. Les indemnités dues à l'occasion de chacun de ces types de départ en retraite ont des montants différents, mais elles ont, également, des natures différentes : rémunération ou dommages et intérêts compensant un préjudice, elles n'autorisent pas toutes les mêmes possibilités de saisie.
Résumé

Afin de connaître les possibilités de saisie d'une indemnité de départ à la retraite, il convient de connaître la nature exacte, indemnité ou rémunération, de cette somme. La détermination de cette nature dépend du type de départ en retraite : mise à la retraite par l'employeur ou départ volontaire du salarié.

Observations

1. Indemnité de départ volontaire ou indemnité de mise à la retraite par l'employeur ?

La question du départ en retraite d'un salarié pose un certain nombre de difficultés. Celle de l'initiative de ce départ n'est pas des moindres. Rappelons, simplement, qu'aucun salarié n'est légalement tenu de partir en retraite en raison d'un âge déterminé et, qu'au surplus, les "clauses-guillotines", par lesquelles les parties (individuelles ou conventionnelles) prévoiraient la rupture de plein droit du contrat de travail, en raison de l'âge du salarié ou de sa possibilité de bénéficier d'une retraite à taux plein, sont prohibées et considérées comme nulles (C. trav., art. L. 122-14-12 N° Lexbase : L5576ACI). Dans le même ordre d'idées et sans plus insister, rappelons, également, qu'un licenciement fondé sur le seul âge du salarié est nul pour discrimination (C. trav., art. L. 122-45 N° Lexbase : L3114HI8).

Au-delà de ces principes, il faut, ensuite, rappeler que le départ en retraite peut résulter d'un commun accord entre employeur et salarié, mais qu'il peut, également, intervenir à la suite d'une mise à la retraite par l'employeur, ou, enfin, à la suite d'un départ volontaire du salarié. A chaque hypothèse correspond un régime spécifique.

Le législateur a récemment mis en place un régime temporaire relatif au départ d'un commun accord (v., à ce propos, les dispositions de la loi n° 2006-1640 du 21 décembre 2006, de financement de la Sécurité sociale pour 2007 N° Lexbase : L8098HT4, insérées à l'article L. 122-14-13 du Code du travail N° Lexbase : L3219HW7, récemment modifié par la loi n° 2007-1786 du 19 décembre 2007, de financement de la Sécurité sociale pour 2008, art. 16 V N° Lexbase : L5482H3G).

En ce qui concerne le départ volontaire du salarié à la retraite et la mise à la retraite par l'employeur, les deux voies ouvrent droit, pour le salarié, à une indemnité de départ. Le salarié quittant volontairement l'entreprise pour bénéficier d'une pension de retraite a droit, sauf dispositions conventionnelles plus favorables, à une indemnité de départ dont le montant a été prévu par la loi n° 78-49 du 19 janvier 1978, relative à la mensualisation (N° Lexbase : L1361AIA) : un ½ mois de salaire après 10 ans d'ancienneté, 1 mois de salaire après 15 ans d'ancienneté, 1 mois et ½ de salaire après 20 ans d'ancienneté et 2 mois de salaire après 20 ans d'ancienneté (C. trav., art. L. 122-14-13, al. 1er). Le salarié mis à la retraite par l'employeur a, quant à lui, droit à une indemnité dont le montant doit être, sauf indemnité conventionnelle plus favorable, équivalent à l'indemnité de licenciement minimum prévue à l'article L. 122-9 du Code du travail (N° Lexbase : L5559ACU) ou à l'indemnité de licenciement prévue par l'article 5 de l'accord annexé à la loi n° 78-49 (C. trav., art. L. 122-14-13, al. 2).

Dans l'espèce, ici, commentée, le salarié avait effectivement perçu une indemnité de départ en retraite et ce point n'était pas au centre du débat judiciaire. Le litige portait, plus exactement, sur la licéité d'une saisie-attribution pratiquée par un établissement bancaire sur le compte sur lequel le salarié avait versé son indemnité de départ en retraite. En effet, le salarié contestait cette saisie en mettant en avant qu'elle portait sur son indemnité de départ en retraite et que cette dernière devait bénéficier des règles spécifiques applicables aux saisies sur salaires. Dans une décision en date du 10 mai 2006, la cour d'appel de Besançon déboutait le salarié en considérant que l'indemnité n'était pas la contrepartie du travail de ce dernier et n'était donc pas un élément du salaire. La question se posait, ainsi, de la nature exacte de l'indemnité de départ en retraite perçue par le salarié.

2. Rémunération ou compensation d'un préjudice

En réponse au pourvoi formé par le salarié, la Chambre sociale de la Cour de cassation censure l'arrêt des juges bisontins. En effet, elle reproche à ces derniers de ne pas avoir précisé si l'indemnité de départ en retraite avait été perçue par ce dernier en raison de son départ volontaire à la retraite ou de sa mise à la retraite par l'employeur. Selon la Cour de cassation, la question n'est pas anodine, car l'indemnité perçue par un salarié qui quitte volontairement son entreprise n'a pas pour objet de compenser un préjudice et constitue, dès lors, une rémunération soumise aux règles de saisie prévues par le Code du travail.

La solution retenue n'est pas très surprenante, notamment, si l'on se réfère au régime social qui est habituellement appliqué aux indemnités versées à l'occasion des départs en retraite. Ainsi, on sait que l'indemnité de mise à la retraite est soumise au même régime que l'indemnité de licenciement : exonérée de cotisations de sécurité sociale, elle est, en revanche, assujettie à la CRDS et à la CSG pour la partie excédant un montant fixé à l'article L. 136-2 II 5° du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L3307HWE). En revanche, outre la CSG et la CRDS, l'indemnité de départ volontaire du salarié est soumise aux cotisations de sécurité sociale.

Il n'est pas nouveau de distinguer entre les sommes versées à l'occasion ou après la rupture d'un contrat de travail, selon qu'elles ont la nature d'un salaire ou de dommages et intérêts réparant un préjudice sans nature salariale. Dans l'espèce commentée, la solution était tout à fait prévisible. Cependant, la ligne de partage n'est pas toujours évidente. Ainsi, par exemple, dans l'hypothèse où l'indemnité est versée à des salariés qui acceptent de quitter volontairement l'entreprise dans le cadre d'un dispositif de préretraite, cette indemnité a pu être jugée comme devant être exclue de l'assiette des cotisations de sécurité sociale, en raison de son caractère de dommages-intérêts compensant le préjudice né de la rupture du contrat de travail (v., notamment, Cass. soc., 23 mai 2000, n° 97-42.444, M. Sence c/ URSSAF du Haut-Rhin et autre, publié au bulletin N° Lexbase : A7048CIU). On observera, à l'inverse, qu'à la suite du récent abandon législatif des accords de branche dérogatoires permettant une mise à la retraite d'office à l'initiative de l'employeur avant 60 ans, il a été prévu d'assujettir les indemnités versées (v. loi de financement de la Sécurité sociale pour 2007, art. 106-V et circulaire DSS /5B n° 2007-87 du 28 février 2007).

Une fois encore la distinction entre indemnité et rémunération reste assez épineuse (1). Pourtant, la réponse n'est pas sans incidence, notamment en matière de saisie...

Rappelons, pour terminer, les règles de saisie de l'indemnité de départ en retraite. Il suffit, ici, de renvoyer aux règles de saisie prévues par le Code du travail. En son article L. 145-2 (N° Lexbase : L5782AC7), il prévoit des limites aux possibilités de saisie des sommes dues à titre de rémunération. Ainsi, le Code du travail précise les proportions dans lesquelles les rémunérations sont saisissables (v., tout spéc., C. trav., art. R. 145-2 N° Lexbase : L3513HWZ).


(1) Parmi de nombreux exemples, il suffit de faire mention des nombreux débats qui ont pu s'élever autour de la nature exacte de la contrepartie financière accompagnant les clauses de non-concurrence.
Décision

Cass. soc., 30 janvier 2008, n° 06-17.531, M. Michel Guyot c/ Société Banque populaire Bourgogne-Franche-Comté, FS-P+B+R (N° Lexbase : A5997D4U)

Cassation, CA Besançon (1ère ch. civ., sect. A), 10 mai 2006

Textes concernés : C. trav., art. L. 122-14-13 (N° Lexbase : L3219HW7) et L. 145-2 (N° Lexbase : L5782AC7) ; loi n° 91-650 du 9 juillet 1991, portant réforme des procédures civiles d'exécution, articles 13, 42, 43 et 44 (N° Lexbase : L9124AGZ).

Mots clefs : retraite ; indemnité de départ en retraite, rémunération ; départ volontaire à la retraite ; compensation d'un préjudice ; mise à la retraite par l'employeur ; saisie-attribution.

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Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] Le rôle essentiel de la catégorie professionnelle dans l'établissement de l'ordre des licenciements

Réf. : Cass. soc., 29 janvier 2008, n° 06-42.712, Société Ventiv Health (Winner), F-P (N° Lexbase : A6059D48)

Lecture: 6 min

N0721BEG

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par Sébastien Tournaux, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

Le 07 Octobre 2010

La Chambre sociale de la Cour de cassation a toujours donné une grande importance aux règles relatives à l'ordre des licenciements. C'est elle qui, la première, avait exigé que les critères établis par le Code du travail soient appréciés dans une même catégorie professionnelle. Ce cadre, inséré au Code du travail par la loi de modernisation sociale de 2002 (loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002, de modernisation sociale N° Lexbase : L1304AW9), semble ne pouvoir souffrir aucune atteinte. C'est l'idée que vient illustrer cet arrêt rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 29 janvier 2008. Ainsi, décidant, contre toute attente, qu'une clause d'un plan de cession entre une entreprise en difficulté et une entreprise cessionnaire n'est pas opposable aux salariés licenciés, les juges estiment que cette clause ne peut faire échec à l'observation des critères de l'ordre des licenciements. Cela traduit, à la fois, le rôle essentiel que joue cette notion de catégorie professionnelle dans l'établissement de l'ordre des licenciements (I) et la volonté des juges d'en assurer une protection accrue, y compris contre toute atteinte indirecte (II).
Résumé

Une clause qui subordonne la cession de l'entreprise en redressement judiciaire au maintien du contrat de travail d'un salarié nommément désigné est dépourvue d'effet à l'égard des autres salariés relevant de la même catégorie professionnelle. Il doit donc être fait application, entre ces différents salariés, des critères d'ordre des licenciements en cas de licenciement économique.

Commentaire

I. Le rôle essentiel de la catégorie professionnelle dans l'établissement de l'ordre des licenciements

  • La fixation de l'ordre des licenciements économiques

L'article L. 321-1-1 du Code du travail (N° Lexbase : L8922G7L) dispose qu'en cas de licenciement collectif pour motif économique, l'employeur doit définir, après consultation des représentants du personnel, les critères retenus pour fixer l'ordre des licenciements (1).

Le texte impose un certain nombre de critères qui doivent être pris en compte pour l'établissement de cet ordre : les charges de famille, l'ancienneté des salariés, la situation de salariés présentant des difficultés de réinsertion sociale et, surtout, les qualités professionnelles des salariés par catégories.

Si la Cour de cassation laisse une grande latitude à l'employeur dans la décision de donner plus ou moins d'importance à tel ou tel critère (2), elle est, en revanche, très ferme quant à leur usage, puisque l'employeur doit obligatoirement prendre en compte ces critères légaux (3).

Enfin, ces critères doivent être appliqués aux salariés appartenant tous à la même catégorie professionnelle.

  • Cadre de l'ordre des licenciements : la catégorie professionnelle

Ces règles relatives à l'ordre des licenciements doivent être appliquées à tous les salariés relevant de la catégorie professionnelle menacée par le licenciement collectif, catégorie déterminée par l'employeur au commencement de la procédure, en application de l'article L. 321-4 du Code du travail (N° Lexbase : L9633GQT).

Cette notion de catégorie professionnelle, si elle demeure un peu vague, devrait, néanmoins, s'entendre de "l'ensemble des salariés qui exercent dans l'entreprise des fonctions de même nature, supposant une formation professionnelle commune" (5).

Toute forme de distinction entre les salariés d'une même catégorie, visant à exclure de l'appréciation de l'ordre des licenciements certain d'entre eux, est prohibée. Ainsi, par exemple, il n'est pas envisageable de distinguer entre les salariés à temps complet ou les salariés à temps partiel (6). De la même manière, il n'y a pas à faire de distinction entre les salariés selon leur appartenance à un établissement ou à un secteur de l'entreprise (7). Pouvait-on exclure une partie des salariés d'une catégorie professionnelle par le jeu d'une clause particulière d'un plan de cession ?

  • En l'espèce

Un salarié, licencié pour motif économique, contestait devant le juge la bonne observation, par l'employeur, de l'ordre des licenciements. L'entreprise, dont il était salarié, avait été placée en redressement judiciaire et un plan de cession avait été élaboré. Or, ce plan de cession comportait une clause particulière. Il était, en effet, suspendu à la reprise, par le cessionnaire, d'un salarié de l'entreprise. Ce salarié n'avait, dès lors, pas été pris en compte dans l'appréciation des critères de l'ordre des licenciements.

La cour d'appel de Versailles fait droit à la demande du salarié et estime que l'employeur n'a pas respecté les conditions de l'ordre des licenciements. En effet, le salarié licencié et le salarié transféré ressortissaient de la même catégorie professionnelle, si bien que le second aurait dû être intégré dans l'appréciation de l'ordre des licenciements, nonobstant la clause de reprise intégrée au plan de cession.

La Chambre sociale de la Cour de cassation confirme ce raisonnement. Elle estime qu'"une clause qui subordonne la cession de l'entreprise en redressement judiciaire au maintien du contrat de travail d'un salarié nommément désigné étant dépourvue d'effet, la cour d'appel [...] qui a constaté que M. J. relevait de la même catégorie professionnelle que M. B. et qu'il n'avait pas été fait application entre eux des critères d'ordre des licenciements, en a exactement déduit que ce dernier avait droit à une indemnisation".

Cette solution caractérise une volonté manifeste de la Cour de cassation de protéger les salariés licenciés pour motif économique de toute atteinte, même indirecte, à l'établissement de l'ordre des licenciements.

II. La protection accrue du critère de la catégorie professionnelle dans l'établissement de l'ordre des licenciements

  • Effet relatif des conventions et ordre des licenciements

Le droit du travail est l'une des branches du droit privé qui connaît le plus d'exception au principe civiliste d'effet relatif des conventions, posé par l'article 1165 du Code civil (N° Lexbase : L1267ABK), comme l'illustrent l'application des conventions collectives à l'ensemble des salariés ou le transfert des contrats de travail, en application de l'article L. 122-12, alinéa 2, du Code du travail (N° Lexbase : L5562ACY). Mais, ce n'est pas pour autant que le principe soit totalement occulté, comme le rappelle, ici, la Cour de cassation.

Ainsi, la clause du plan de cession conclu entre l'entreprise en difficulté et l'entreprise cessionnaire n'est pas opposable au salarié licencié qui n'y est pas partie. Il ne doit pas en subir les conséquences.

Pourtant, cette analyse purement contractuelle du plan de cession pouvait être contestée. En effet, le Code de commerce offre au plan de cession judiciairement homologué une portée bien plus large que celle d'un simple contrat. Ainsi, selon l'article L. 642-5, alinéa 3, du Code de commerce (N° Lexbase : L3912HBI), "le jugement qui arrête le plan en rend les dispositions applicables à tous". Le fait que la Cour de cassation écarte cet effet erga omnes du plan de cession démontre l'importance qu'elle accorde aux règles de l'ordre du licenciement et, spécialement, à celles relatives au cadre de son appréciation à savoir la catégorie professionnelle.

  • Caractère absolu de la catégorie professionnelle

C'est donc la notion de catégorie professionnelle qui doit primer sur toute autre considération. Même si la Cour de cassation ne va pas jusqu'à généraliser l'impossibilité de toute atteinte à cette caractéristique, il semble que toute manoeuvre, de bonne ou mauvaise foi, qui tendrait à exclure des salariés ressortissant pourtant de la même catégorie professionnelle puisse être écartée. Seront ainsi retirées les dispositions du plan de cession pourtant habituellement applicables à tous.

La première application d'une telle extension qui vient à l'esprit est celle de la clause de garantie d'emploi. Cette clause conclue entre un salarié de l'entreprise et l'employeur ne devrait plus, à l'avenir, pouvoir faire échec à l'appréciation de l'ordre des licenciements en extrayant de son élaboration le salarié qui en bénéficie (8). Ici encore, la catégorie professionnelle du salarié devrait primer sur l'existence d'une clause de garantie d'emploi.

Il serait donc souhaitable que la Chambre sociale aille jusqu'au bout du raisonnement et se prononce en faveur d'une impossibilité générale de contourner, par quelque moyen que ce soit, le cadre de la catégorie professionnelle comme champ d'application de l'ordre des licenciements. Cela serait en accord avec le souci caractérisé par les juges de protéger les salariés licenciés pour motif économique, même si, comme cela a pu être relevé, la sanction ne paraît pas tout à fait en adéquation avec la volonté de protection démontrée (9).

La solution est, en outre, parfaitement justifiée par le jeu de l'ordre public. La clause du plan de cession avait eu, indirectement, pour effet d'écarter l'application des règles du Code du travail en matière d'ordre du licenciement dont le caractère d'ordre public est peu discutable.

Il convient, enfin, d'apprécier les conséquences pratiques que va emporter la solution rendue.

  • En pratique

Le salarié repris dans le cadre du plan de cession aurait donc dû être intégré dans l'appréciation de l'ordre des licenciements. Or, il aurait parfaitement été envisageable que la comparaison des deux salariés concernés mène à choisir de licencier ce salarié repris et à conserver celui qui en l'espèce avait fait l'objet du licenciement.

Le repreneur aurait, alors, dû conserver les deux salariés dans son entreprise, l'un parce qu'il n'aurait pas été licencié, l'autre en application de la clause conventionnelle du plan de cession, lui imposant de reprendre le salarié. Ainsi, quelle que soit la motivation véritable de la clause insérée au plan de cession, l'intégration du salarié dans l'appréciation de l'ordre des licenciements n'aurait pas entravé la volonté du cessionnaire de conserver ce salarié dans son effectif. En revanche, si la clause avait été insérée dans le but d'évincer le salarié licencié au profit du salarié repris, ce qui constituerait une véritable fraudes aux règles relatives à l'ordre des licenciements, le cessionnaire se trouverait légitimement sanctionné.

Il reste, néanmoins, un paradoxe. Comme nous l'avons évoqué, la sanction du non-respect de l'ordre des licenciements reste relativement faible puisque la Cour de cassation n'envisage qu'une indemnisation du salarié floué, sans considérer que le licenciement puisse être dépourvu de cause réelle et sérieuse (10). En l'espèce, le salarié avait bénéficié d'une indemnité s'élevant à 70 000 euros. Il n'est pas certain qu'un tel montant dissuadera toute velléité de contournement de la règle...


(1) Ceci à défaut de l'établissement de ces critères par accord ou convention collective.
(2) Cass. soc., 15 mai 1991, n° 89-43.845, Mlle Fourtin et autre c/ Office notarial de Riom (N° Lexbase : A9455AAG), RJS 6/91, n° 698 ; Cass. soc., 2 mars 2004, n° 01-44.084, M. André Lhommeau c/ Société Valéo thermique habitacle, FS-P+B (N° Lexbase : A3996DBM) et les obs. de Ch. Alour, La qualité professionnelle et l'ordre des licenciements, Lexbase Hebdo n° 112 du 18 mars 2004 - édition sociale (N° Lexbase : N0915ABI).
(3) Cass. soc., 14 janvier 1997, n° 95-44.366, Société parisienne générale de nettoyage c/ M. Belkacem et autres (N° Lexbase : A4163AAG) ; Dr. soc., 1997, p. 159, concl. P. Lyon-Caen, note J. Savatier ; D. 1998, somm., p. 253, note A. Lyon-Caen.
(4) Cass. soc., 13 décembre 1995, n° 92-42.904, Société Établissements Hentz, société anonyme c/ M. Jean-Pierre Bascoul (N° Lexbase : A8604AGR) ; Cass. soc., 16 décembre 1997, n° 95-44.628, Institut du Monde Arabe c/ Mme Salima Boukris (N° Lexbase : A8816AGM).
(5) J. Pélissier, A. Supiot, A. Jeammaud, Droit du travail, Dalloz, 23ème éd., 2006, p. 564. V., en ce sens, Cass. soc., 13 février 1997, n° 95-16.648, Société des Grands Magasins de la Samaritaine c/ Comité d'entreprise de la société des Grands Magasins de la Samaritaine (N° Lexbase : A1924ACA).
(6) Cass. soc., 3 mars 1998, n° 95-41.610, Mme Patron c/ Laboratoire Carillon-Clavel (N° Lexbase : A3683ABZ).
(7) Cass. soc., 24 mars 1993, n° 90-42.002, Mme Clément c/ Société Vuillemin Services Soconor (N° Lexbase : A7913AG8) ; RJS 5/93, n° 500.
(8) V., en ce sens, L. Perrin, Ordre des licenciements : inopposabilité aux salariés du plan de cession, obs. sous. Cass. soc., 29 janvier 2008, Dalloz Actualités en ligne du 11 février 2008.
(9) J. Pélissier, A. Supiot, A. Jeammaud, préc..
(10) Cass. soc., 20 janvier 1998, n° 96-40.930, Monsieur Dupin c/ Monsieur Sapin (N° Lexbase : A2878ACL) ; D. 1999, p. 376, note Bonnin.

Décision

Cass. soc., 29 janvier 2008, n° 06-42.712, Société Ventiv Health (Winner), F-P (N° Lexbase : A6059D48)

Cassation partielle, CA Versailles, 6ème ch., 28 février 2006

Textes visés : C. civ., art. 1315 (N° Lexbase : L1426ABG)

Mots-clés : Licenciement économique ; ordre des licenciements ; catégories professionnelles ; plan de cession.

Lien base :

newsid:310721

Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] Précisions sur le régime procédural de la prise d'acte

Réf. : Cass. soc., 30 janvier 2008, n° 06-14.218, M. Michel Imbaud c/ Société La mondiale et a., FS-P+B (N° Lexbase : A5990D4M)

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N0668BEH

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

Le 21 Octobre 2014


La Chambre sociale de la Cour de cassation n'en finit pas de préciser le régime juridique de la prise d'acte, par le salarié, de la rupture de son contrat de travail. Dans un arrêt en date du 30 janvier 2008, la Haute juridiction affirme que, dans l'hypothèse où le juge considère que la prise d'acte est imputable au seul salarié, qui sera, alors, traité comme un démissionnaire, le contrat de travail est bien rompu immédiatement sans qu'il puisse être, ici, question d'un quelconque préavis (1), les différends opposant les parties après cette date ne relevant, alors, plus de la compétence du conseil de prud'hommes (2).
Résumé

La prise d'acte de la rupture entraîne la cessation immédiate du contrat de travail. Le juge ne doit donc pas tenir compte de faits postérieurs à la prise d'acte (concurrence déloyale) pour analyser la situation des parties, et le conseil de prud'hommes n'est plus compétent.

Commentaire

1. Le principe de la rupture immédiate du contrat de travail

  • L'affirmation du principe

La Cour de cassation a élaboré, à partir d'une série d'arrêts rendus en 2003, le nouveau régime de la prise d'acte, par le salarié, de la rupture de son contrat de travail (1). Deux éléments doivent, ici, être précisés.

Il convient, tout d'abord, de bien distinguer prise d'acte et démission. Si le salarié démissionnaire conteste son intention de démissionner, en raison de pressions dont il a été la victime, alors il pourra solliciter l'annulation de celle-ci en invoquant des vices du consentement. En revanche, s'il confirme qu'il a bien souhaité rompre le contrat de travail, les juges du fond devront, s'il avait formellement démissionné, requalifier cette démission en prise d'acte et déterminer si les griefs formulés contre l'employeur sont, ou non, de nature à justifier la rupture du contrat à ses torts ; si c'est le cas, la prise d'acte produira les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ; dans l'hypothèse contraire, la prise d'acte produira les effets d'une démission et le salarié sera débouté de l'ensemble de ses demandes (2).

Lorsque l'intention du salarié de rompre le contrat de travail n'est pas discutée, c'est-à-dire lorsque le débat ne porte que sur les torts allégués de l'employeur, le contrat de travail est bien rompu à la date de la prise d'acte. Depuis 2006, la Chambre sociale de la Cour précise même, dans une formule tautologique, que "la prise d'acte de la rupture par le salarié en raison de faits qu'il reproche à l'employeur entraîne la cessation immédiate du contrat de travail" (3).

C'est bien ce principe de la cessation immédiate qui est rappelé dans cet arrêt en date du 30 janvier 2008.

  • Les conséquences de l'affirmation

Plusieurs conséquences doivent être tirées de cette affirmation.

En premier lieu, le contrat de travail étant rompu à la date où l'employeur a connaissance de la prise d'acte, tout acte ou toute procédure engagée pour que soit rompu le contrat de travail sont, à cette date, caducs (4), qu'il s'agisse de la demande de résiliation judiciaire du contrat engagée antérieurement par le salarié (5), ou de la procédure de licenciement initiée par l'employeur, que l'on soit en présence d'un licenciement disciplinaire (6) ou pour inaptitude médicale (7).

En deuxième lieu, si l'employeur dispose d'une faculté, conventionnelle ou contractuelle, de renonciation à la clause de non-concurrence, le délai qui lui est imparti pour exercer cette faculté court à compter du jour où il a eu connaissance de la prise d'acte (8).

Enfin, la date de la prise d'acte fixe la fin de la période de calcul du droit aux congés payés (9).

2. Les conséquences de la prise d'acte et la dissociation des régimes procéduraux et indemnitaires empruntés au licenciement ou à la démission

  • La dissociation des régimes indemnitaires et procéduraux

L'assimilation de la prise d'acte au licenciement ou à la démission n'est pas parfaite, dans la mesure où elle ne concerne que les effets indemnitaires de la rupture, et non son régime procédural.

Jusqu'au revirement intervenu en 2003, dès lors que le salarié établissait que sa démission ne procédait pas d'une volonté claire et non équivoque, les juges requalifiaient la rupture en licenciement et lui accordaient des dommages et intérêts dans la mesure où l'employeur n'avait pas, par hypothèse, procédé à son licenciement en bonne et due forme. Depuis cette date, on sait que si la prise d'acte rompt bien le contrat de travail, elle ne produira les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse que si les allégations du salarié sont vérifiées, et les fautes de l'employeur établies. Il n'est donc plus question, ici, de reprocher à l'employeur de n'avoir pas respecté la procédure de licenciement, et de se contenter de vérifier cette irrégularité pour donner raison au salarié.

En d'autres termes, il convient de bien dissocier le régime procédural de la prise d'acte, totalement autonome et, d'ailleurs, réduit à sa plus simple expression (10), de son régime indemnitaire calqué sur celui du licenciement ou de la démission.

  • La confirmation en l'espèce

C'est bien cette dissociation entre le régime procédural de la rupture et son régime indemnitaire que vient confirmer cet arrêt en date du 30 janvier 2008.

Dans cette affaire, le salarié avait pris acte de la rupture de son contrat de travail, puis s'était mis immédiatement à faire concurrence à son ancien employeur. Statuant sur les conséquences indemnitaires de la prise d'acte, la cour d'appel de Lyon avait, dans un premier arrêt, considéré que celle-ci devait être imputée au salarié et produire les effets d'une démission. Puis, statuant sur contredit, les juges du fond avaient considéré que le différend opposant les parties concernant les conditions dans lesquelles le salarié avait fait concurrence à son employeur, postérieurement à la prise d'acte, relevait de la compétence du tribunal de commerce et non du conseil de prud'hommes.

C'est cette compétence que le salarié contestait dans son pourvoi. Outre un argument de procédure tenant à l'autorité de la chose jugée par le premier arrêt rendu par la cour d'appel de Lyon, qui avait statué sur l'imputabilité de la rupture du contrat, sur la question de la juridiction compétente pour connaître du différend portant sur les actes de concurrence du salarié, le demandeur tentait de justifier la compétence du conseil de prud'hommes par le fait que les actes litigieux avaient été commis dans les jours qui avaient suivi la prise d'acte, c'est-à-dire pendant la période de préavis du salarié démissionnaire. En d'autres termes, le salarié prétendait que lorsque la prise d'acte produit les effets d'une démission, ce qui est le cas ici, la rupture du contrat de travail n'intervient qu'à l'expiration du délai de préavis dû par le salarié démissionnaire (11).

Le rejet du pourvoi marque le rejet de cette thèse et la confirmation du principe selon lequel la prise d'acte rompt immédiatement le contrat de travail, sans qu'il soit question de préavis.

  • Une solution logique

La solution adoptée est logique. Lorsque la prise d'acte est imputable à l'employeur, le salarié percevra l'indemnité de licenciement, des indemnités sanctionnant le défaut de cause réelle et sérieuse et une indemnité compensatrice du droit à préavis, et ce, même si la rupture du contrat consécutive à la prise d'acte prend effet immédiatement, dans la mesure où ce sont bien les fautes commises par l'employeur qui ont privé le salarié du droit au préavis en le contraignant à prendre l'initiative de la rupture.

Si on analyse la situation de manière symétrique, lorsque la prise d'acte produit les effets d'une démission, il est, dès lors, également logique de considérer que le contrat est rompu sans qu'il soit question de préavis, dans la mesure où c'est le juge qui, a posteriori, déterminera les conséquences indemnitaires de la rupture imputable au salarié.

On pourrait même se demander si l'employeur ne serait pas en droit de réclamer au salarié des dommages et intérêts pour démission abusive, singulièrement en établissant que l'absence de préavis lui a causé un préjudice, celui-ci étant constitué par les frais engagés pour recruter un remplaçant en urgence (recours à l'intérim) ou par les dommages subis par l'entreprise le temps de recruter un nouveau salarié.

Cet arrêt en date du 30 janvier 2008 montre, toutefois, les limites de l'imputation à la prise d'acte des préjudices subis par l'entreprise. Seuls les préjudices directement occasionnés par la prise d'acte sont, en effet, indemnisables par la juridiction prud'homale ; tous les dommages causés après la rupture, singulièrement lorsqu'ils résultent de faits de concurrence déloyale, ne pourront être indemnisés que par le tribunal de commerce ou les juridictions civiles de droit commun.


(1) Cass. soc., 25 juin 2003, n° 01-42.679, FP+P+B+R+I (N° Lexbase : A8977C8Y), n° 01-42.335, F-P P+B+R+I (N° Lexbase : A8976C8X), n° 01-43.578, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A8978C8Z), n° 01-41.150, F-P+B+R+I (N° Lexbase : A8975C8W), n° 01-40.235, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A8974C8U), lire nos obs., "Autolicenciement" : enfin le retour à la raison !, Lexbase Hebdo n° 78 du 3 juillet 2003 - édition sociale (N° Lexbase : N9951AAS) ; Dr. soc. 2003, p. 814, avis. P. Lyon-Caen, p. 817, chron. G. Couturier et J.-E. Ray ; Dr. soc. 2004, p. 90, chron. J. Mouly ; JCP éd. G, 2003, II, 10138, note E. Mazuyer ; RJS 2003, p. 647, chron. J.-Y. Frouin.
(2) Cass. soc., 9 mai 2007, 4 arrêts, n° 05-40.315, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A0908DWK), n° 05-40.518, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A0909DWL), n° 05-41.324, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A0910DWM), n° 05-42.301, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A0925DW8), lire nos obs., Clarifications sur la distinction entre prise d'acte et démission ; Cass. soc., 19 décembre 2007, n° 06-42.550, FS-P+B (N° Lexbase : A1321D3C), lire nos obs., Prise d'acte : la Cour de cassation n'entend pas se laisser déborder, Lexbase hebdo n° 288 du 15 janvier 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N6186BDH).
(3) Cass. soc., 31 octobre 2006, n° 04-46.280, FS-P+B+R+I ([LXB=]), Bull. civ. V n° 321, p. 307 ; lire les obs. de G. Auzero, La prise d'acte de la rupture par le salarié rend sans objet la demande de résiliation judiciaire introduite auparavant, Lexbase Hebdo n° 236 du 16 novembre 2006 - édition sociale (N° Lexbase : N5061ALZ). Dans le même sens, Cass. soc., 26 septembre 2007, n° 06-43.293, F-D (N° Lexbase : A5936DYI) ; Cass. soc., 26 septembre 2007, n° 06-44.142, M. Daniel Hamou, F-D (N° Lexbase : A5953DY7).
(4) La Cour de cassation indique que la procédure est "devenue sans objet" (cf. réf. citées note suivante, à propos de la demande en résiliation judiciaire introduite avant la prise d'acte par le salarié).
(5) Cass. soc., 31 octobre 2006, préc. ; 13 décembre 2006, n° 05-44.080, F-D (N° Lexbase : A9173DSK) ; Cass. soc., 28 mars 2007, n° 05-44.125, F-D (N° Lexbase : A7990DUH) ; Cass. soc., 9 mai 2007, n° 05-45.218, F-D (N° Lexbase : A1122DWH) ; Cass. soc., 30 mai 2007, n° 04-43.002, F-D (N° Lexbase : A5087DWC).
(6) Cass. soc., 19 janvier 2005, n° 03-45.018, FS P+B+R+I (N° Lexbase : A0940DGW), lire nos obs., Nouvelles précisions concernant la prise d'acte par le salarié de la rupture du contrat, Lexbase Hebdo n° 153 du 2 février 2005 - édition sociale (N° Lexbase : N4456ABN) ; Cass. soc., 8 juin 2005, n° 03-43.321, FS-P+B sur le 3ème moyen (N° Lexbase : A6513DI3), lire nos obs., Prise d'acte par le salarié de la rupture du contrat de travail et renonciation par l'employeur à la clause de non-concurrence, Lexbase Hebdo n° 172 du 16 juin 2005 - édition sociale (N° Lexbase : N5494AIC).
(7) Cass. soc., 26 septembre 2007, n° 06-43.293, F-D (N° Lexbase : A5936DYI).
(8) Cass. soc., 8 juin 2005, préc..
(9) Cass. soc., 4 avril 2007, n° 05-43.406, F-P+B (N° Lexbase : A9002DUX).
(10) La prise d'acte n'est, en effet, soumise à aucun formalisme : Cass. soc., 4 avril 2007, n° 05-42.847, F-D (N° Lexbase : A8997DUR).
(11) C. trav., art. L. 122-5 (N° Lexbase : L5555ACQ) (principe) et L. 122-8 (N° Lexbase : L5558ACT) (sanction) recodifiés, à compter du 1er mai 2008, art. L. 1237-1 (N° Lexbase : L1389H9C) et L. 1237-2 (N° Lexbase : L1390H9D).

Décision

Cass. soc., 30 janvier 2008, n° 06-14.218, FS-P+B (N° Lexbase : A5990D4M)

Rejet (CA Lyon, 3ème ch., 30 juin 2005, n° 03/05849 N° Lexbase : A8011DTU)

Règles concernées : principes applicables à la prise d'acte par le salarié de la rupture du contrat de travail

Mots clef : contrat de travail ; rupture ; prise d'acte ; imputabilité au salarié ; rupture immédiate ; absence de préavis

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Santé

[Le point sur...] Les soins palliatifs comme alternative à la demande d'euthanasie

Lecture: 10 min

N8567BDN

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par Soliman Le Bigot et Laure Chateau, LBM avocats

Le 07 Octobre 2010

La question de l'euthanasie a été mise en avant dans l'actualité à la suite de certaines affaires judiciaires telles que celle de Vincent Humbert, dont l'association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD) s'est emparée pour exiger le vote d'une loi autorisant la pratique de l'euthanasie en France. Cette mise en avant a été suivie d'un appel des 2 000 médecins et soignants, dont le nombre augmente chaque jour, qui se fonde sur l'interprétation d'un sondage Sofres/Admd du 10 mars 2006, pour affirmer que "les Français réclament massivement une loi légalisant l'euthanasie" ("9 français sur 10 depuis 20 ans"). Tous les soignants ne sont pas confrontés à ce drame, mais certains, qui assistent régulièrement leurs patients jusqu'à la mort, utilisent, dans les circonstances décrites, des substances chimiques qui précipitent une fin qu'ils estiment devenue trop cruelle, tout en sachant que cette attitude est en désaccord avec la loi actuelle. Des clarifications ou encore des protections ont été apportées par la loi d'avril 2005 (loi n° 2005-370 du 22 avril 2005, relative aux droits des malades et à la fin de vie N° Lexbase : L2540G8L, dite loi "Leonetti"), mais certains soignants estiment qu'elles sont insuffisantes. Les soins palliatifs sont, aujourd'hui, une priorité nationale, comme l'a affirmé le Président de la République lors de sa conférence en mai-juin 2007, à l'occasion d'une visite d'unités de soins palliatifs, prévoyant un doublement des lits destinés à ces soins. Les soins palliatifs ou soins de fin de vie sont donc apparus, face à la demande croissante d'euthanasie ou d'assistance au suicide légalisée comme dans certains pays, tout d'abord, comme un nouvel espoir pour les patients et leurs proches, puis comme la clarification d'une situation ambiguë pour les professionnels de santé.

I - Un nouvel espoir pour les patients en fin de vie et leurs proches

La législation sur les droits des malades, en constante évolution, permet une meilleure organisation des soins palliatifs.

A - Organisation des soins palliatifs

Les soins palliatifs sont un enjeu de santé publique et un enjeu éthique. C'est la raison pour laquelle un Comité national de suivi des soins palliatifs et de l'accompagnement a été créé par un arrêté en date du 9 février 2006 (arrêté du 9 février 2006, relatif à la création et à la composition du Comité national de suivi du développement des soins palliatifs et de l'accompagnement de la fin de vie N° Lexbase : L7240HGA). Il a pour mission de proposer une politique nationale de développement des soins palliatifs, de donner son avis sur les textes réglementaires et d'accompagner la mise en oeuvre et le déploiement de cette politique. Ce comité a mis en place des groupes de travail ayant, notamment, pour objectifs la formation et la recherche des professionnels, ainsi que l'instauration d'interfaces pour l'organisation des soins palliatifs. Une des missions du Comité est de diffuser dans les établissements hospitaliers et d'intégrer à la pratique des soignants "les bonnes pratiques d'une démarche palliative" instaurées par la circulaire du 5 mai 2004.

Les soins palliatifs sont assurés au sein des structures hospitalières (lits identifiés de soins palliatifs -équipes mobiles de soins palliatifs (EMSP) ou unités de soins palliatifs (USP)-), et au sein des structures à domicile et réseaux de soins palliatifs, qui mettent en lien les ressources sanitaires et sociales sur un territoire donné autour des besoins des personnes.

De plus, le décret du 22 février 2007 (décret n° 2007-241 du 22 février 2007, relatif à l'intervention des structures d'hospitalisation à domicile dans les établissements d'hébergement pour personnes âgées et modifiant le Code de la santé publique (dispositions réglementaires) et le Code de la Sécurité sociale N° Lexbase : L5150HUB) prévoit la mise en place structurée de soins palliatifs pour les patients des établissements d'hébergement aux personnes âgées (EHPA). Ces structures mobilisent des compétences pluridisciplinaires qui correspondent, en pratique, à une triple prise en charge du malade, à savoir une prise en charge médicale, relationnelle et sociale. Une circulaire commune DGAS - DHOS relative au développement des soins palliatifs dans les établissements médico-sociaux est actuellement en projet. De même, un projet de décret relatif aux conditions d'exercice des professionnels de santé délivrant des soins palliatifs à domicile, en application de l'article L. 162-1-10 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L9347HEW), est en cours d'élaboration.

B - Droits des malades en soins palliatifs et de leurs proches

Tout d'abord, les patients faisant l'objet de soins palliatifs ont des droits spécifiques.

La loi du 9 juin 1999 (loi n° 99-477 du 9 juin 1999, visant à garantir le droit à l'accès aux soins palliatifs N° Lexbase : L9171AMM) a instauré un droit au traitement de la douleur. Depuis la publication de cette loi, les établissements de santé ont pour mission de développer les unités de soins palliatifs et d'adopter un programme d'action contre la douleur. De plus, la loi du 22 avril 2005 sur la fin de vie est venue consacrer le droit à laisser mourir de la personne malade.  Il convient, toutefois, de souligner que le droit au refus de soins avait déjà été affirmé par loi du 4 mars 2002 (loi n° 2002-303, relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé N° Lexbase : L1457AXA ; C. santé publ., art. L. 1111-4 N° Lexbase : L9876G8B). Le malade peut donc s'opposer à toute investigation ou thérapeutique. 

De l'avis même des patients, ce droit à laisser mourir est perçu de façon positive :
- cette nouvelle approche de la mort permet aux patients de rester maîtres de leur fin de vie ;
- la peur de la mort s'estompe grâce à l'accompagnement continu ;
- le bien-être de la personne souffrante ou mourante est recherché.

Le développement des soins palliatifs assure le respect de la dignité de la personne mourante en lui donnant la possibilité de rester sujet jusqu'à son dernier souffle.

L'"acharnement thérapeutique" est, également, proscrit par la loi du 22 avril 2005, en ces termes : "les actes de prévention, d'investigation et de soins ne doivent pas être poursuivis par une obstination déraisonnable. Lorsqu'ils apparaissent inutiles, disproportionnés ou n'ayant d'autre effet que le maintien artificiel de la vie, ils peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris".

Ensuite, la loi du 9 juin 1999 a instauré un droit, pour les proches d'un malade en soins palliatifs -ascendants, descendants ou toute personne partageant le domicile-, de bénéficier d'un "congé d'accompagnement d'une personne en fin de vie" d'une durée maximale de trois mois. Ce congé, qui peut être transformé, avec l'accord de l'employeur du salarié qui le demande, en période d'activité à temps partiel, est sans effet sur les dispositions relatives aux congés pour événements personnels et pour événements familiaux. La loi a prévu une procédure simplifiée pour pouvoir en bénéficier. En effet, le salarié "doit envoyer à son employeur, au moins quinze jours avant le début du congé, une lettre recommandée avec demande d'avis de réception l'informant de sa volonté de bénéficier du congé d'accompagnement d'une personne en fin de vie, ainsi qu'un certificat médical attestant que la personne accompagnée fait effectivement l'objet de soins palliatifs". Toutefois et contrairement au congé de maternité ou de paternité, le congé d'accompagnement d'une personne en fin de vie n'est pas rémunéré.

Le Comité national de suivi du développement des soins palliatifs et de l'accompagnement, qui vient de rendre son rapport annuel, en octobre 2007, souligne à juste titre que la naissance et la mort sont les deux temps essentiels de la vie parce qu'elles en matérialisent les bornes et que c'est bien l'existence de ce bornage qui permet de donner sens à la vie. Il n'en reste pas moins que, dans les faits, ce congé est difficile à mettre en oeuvre.

II - Clarification d'une situation ambiguë pour les soignants

Le rôle initial du personnel de santé est de soigner ou, à tout le moins, d'apporter aide et assistance au patient incurable. Or, confronté à un patient atteint d'une maladie incurable qui demande sans ambages au soignant de mourir, quelles sont les obligations éthiques et juridiques de celui-ci ? En accédant à la demande de son patient, souhaitant clairement "en finir", le médecin s'expose à des sanctions pénales.

A - Obligations et droits des soignants

  • Obligations des soignants

Les soignants confrontés à des malades en fin de vie sont tenus de mettre en oeuvre tous les moyens à leur disposition afin de soulager la souffrance du malade. Le médecin doit, de ce fait, accompagner le patient et l'assister moralement. Ainsi, engagerait sa responsabilité, un médecin qui ne s'inquiéterait pas d'une douleur suspecte. De plus, la loi réaffirme l'interdiction de l'acharnement thérapeutique, visée par l'article R. 4127-37 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L0501HHZ), défini comme "la poursuite d'une thérapeutique lourde à visée curative alors même qu'il n'existe aucun espoir réel d'obtenir une amélioration de l'état du malade, et qui a pour résultat de prolonger la vie du malade". Pour autant, le médecin peut avoir le souhait louable d'épargner les souffrances inutiles aux malades incurables. Toutefois, la loi du 22 avril 2005 ne dépénalise pas l'euthanasie. En effet, même si le malade le demande, l'administration délibérée de substances létales dans l'intention de provoquer la mort est juridiquement qualifiée de meurtre ou d'assassinat, si l'administration desdites substances a fait l'objet de préméditation, et pourra être sanctionnée pénalement.

Le droit français est, ainsi, en accord avec le droit européen. La question du suicide assisté s'est, en effet, aussi posée en droit européen. Atteinte d'une maladie neurodégénérative incurable, Diane P., ressortissante britannique demandait, en effet, à la Cour européenne des droits de l'Homme que son mari ne soit pas poursuivi s'il l'aidait à se suicider puisqu'elle en était physiquement incapable en raison de sa maladie. Elle invoquait pour ce faire l'article 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L4753AQ4), lequel garantit le droit à la vie. Or, la Cour a refusé de considérer que l'article 2 de la CESDH confère un "droit à mourir" et donc d'autoriser le suicide assisté de la requérante (CEDH, 29 avril 2002, req. n° 2346-02, Pretty c/ Royaume-Uni N° Lexbase : A5415AY9). 

Un développement accru des soins palliatifs éviterait donc aux soignants d'éventuelles poursuites pénales car les demandes d'euthanasie sont très rares lorsque les malades en fin de vie sont bien entourés et bien pris en charge.

  • Droits des soignants

Les droits du médecin face à une demande d'euthanasie ont été renforcés par la loi du 22 avril 2005. Cette loi a apporté une protection juridique aux médecins confrontés à une demande d'arrêt de traitement du patient incurable. Lorsqu'un patient "en phase avancée ou terminale d'une affectation grave et incurable" décide de limiter ou d'arrêter un traitement curatif "agressif", le médecin doit respecter sa volonté, après l'avoir bien entendu informé des conséquences exactes de sa décision. Le médecin doit alors proposer au patient de bénéficier de soins palliatifs. Le médecin ne peut hâter intentionnellement le processus naturel de la mort, mais peut épargner les souffrances d'une affection terminale par l'abstention de soins avec l'accord du patient ou de ses proches.

Le fait de ne pas donner de soins à une personne qui les a refusés expressément ne constitue pas une faute pour le médecin. Toutefois, le fait de ne pas prendre en compte la douleur du patient constitue une faute professionnelle. Si le malade en fin de vie est inconscient, toute décision d'arrêt ou de limitation des traitements implique une concertation collégiale de l'équipe médicale soignant le patient et la consultation de la "personne de confiance" désignée par les "directives anticipées" que le patient a pu rédiger "moins de trois ans avant son état d'inconscience". Il convient de souligner que les directives anticipées ont une valeur indicative pour les médecins. De même, l'avis de la personne de confiance prévaut sur tout autre avis non médical.

L'arrêt des traitements est conditionné à l'inscription de la volonté du patient dans le dossier médical dans un souci de transparence et afin de prévenir d'éventuelles poursuites pénales envers le médecin ayant arrêté les soins curatifs. De ce fait, le médecin n'aura plus de réticence à respecter la volonté du patient, puisqu'il ne voit pas planer sur lui une condamnation pénale.  Dans le cadre des soins palliatifs, les malades se sentent accompagnés et pris en charge, ce qui rend très rare la demande d'euthanasie.

Le développement des soins palliatifs est donc nécessaire pour protéger aussi bien les patients que les médecins.

B - Vers un développement des soins palliatifs tant sur le plan de la formation que des moyens donnés aux professionnels de santé

Le rapport 2007 du Comité national de suivi du développement des soins palliatifs et de l'accompagnement insiste sur l'importance d'une meilleure formation des acteurs de santé en matière de soins palliatifs.  De plus, pour augmenter l'efficacité des soins palliatifs et améliorer le travail de l'équipe soignante il est nécessaire de développer les réseaux. Tous les acteurs de santé doivent se coordonner pour optimiser la qualité des soins et sécuriser la prise en charge globale de certains patients. La loi de 1999 a permis une augmentation significative du nombre des réseaux, qui regroupent différents acteurs médicaux et sociaux (1).  Ces professionnels ne se substituent pas au médecin traitant : leur rôle est d'offrir aux malades une permanence et une continuité des soins et un environnement de compétences aux acteurs de soins déjà engagés dans la prise en charge. En plus de leur mission généraliste de soin, les hospitalisations à domicile (HAD) dédient environ 30 % de leur activité aux malades en fin de vie.

Ainsi, s'ils le désirent les malades et leur famille peuvent retourner ou rester sur leur lieu de vie habituel, tout en étant assurés d'une qualité de soins identiques à celle des structures hospitalières de soins palliatifs.

Ces réseaux organisent autour du malade toute une structure qui permet aux soignants de réaliser une prise en charge optimale et de placer le patient dans les meilleures conditions possibles. Toutefois, pour que les réseaux soient pleinement efficients, un regroupement des thématiques entre prise en charge de la douleur et soins palliatifs est nécessaire. Afin de perfectionner ces réseaux, une circulaire DHOS - CNAMTS, relative au référentiel d'organisation des réseaux en soins palliatifs et prenant appui sur la circulaire du 2 mars 2007, relative aux orientations de la DHOS et de la CNAMTS en matière de réseaux de santé (Circ. DHOS/CNAM, n° 2007/88 N° Lexbase : L8714HUB), a été élaborée.

Il ressort de plusieurs études que la France est en retard par rapport à d'autres pays tels l'Angleterre ou l'Espagne, et il est urgent qu'elle le rattrape. En Angleterre, la médecine palliative est une spécialité et sa préoccupation permanente est la volonté du patient.  75 % des soins palliatifs appartiennent au secteur caritatif, dont les ressources proviennent de donation, de collectes de fonds, de legs, ou de magasins de charité.

Lors du vote de la loi du 22 avril 2005, le Gouvernement avait annoncé l'ouverture de 1 990 lits supplémentaires de soins palliatifs et la création de 35 nouvelles unités mobiles en 2005.  A ce jour, en France, les moyens en personnel et de bénévoles sont encore insuffisants.  De même, la formation des acteurs de santé est à améliorer.Le Comité national de suivi du développement des soins palliatifs et de l'accompagnement préconise, également, une plus grande information du grand public, notamment, par des campagnes de sensibilisation et par la mise à disposition des usagers d'un formulaire d'information concernant "la fin de vie, la mort, la définition et les enjeux des soins palliatifs".

Le Comité soutient que le développement des soins palliatifs nécessite des moyens accrus et des actions concrètes et qu'une véritable culture des soins palliatifs, qui valorise autant le temps de la naissance que celui de la mort, soit instaurée. Pour cela, les soins palliatifs ne doivent pas être enfermés dans le seul champ de la médecine.


(1) Les réseaux de santé subventionnés : fonctionnement, responsabilités et enjeux, L'avocat dans la Cité, Tome 2, éditions Lamy, Soliman Le Bigot et Peggy Grivel, Avocats à la Cour, Commission Bioéthique et Droit de la Santé du Barreau de Paris.

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[Jurisprudence] Sanction du cautionnement manifestement disproportionné

Réf. : Cass. civ. 1, 20 décembre 2007, n° 06-19.313, Mme Gwénaëlle Cardiec, épouse Le Bail Collet, F-P+B (N° Lexbase : A1222D3N)

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par David Bakouche, Professeur agrégé des Facultés de droit

Le 07 Octobre 2010

Chronologiquement, c'est d'abord l'article L. 313-10 du Code de la consommation (N° Lexbase : L1526HID), reprenant les dispositions de la loi "Neiertz" du 31 décembre 1989 (loi n° 89-1010, relative à la prévention et au règlement des difficultés liées au surendettement des particuliers et des familles N° Lexbase : L2053A4S) applicables aux cautionnements des opérations de crédit à la consommation et de crédit immobilier, qui devait sanctionner, à certaines conditions, le cautionnement manifestement disproportionné eu égard aux biens et revenus de la caution par l'impossibilité pour le créancier de s'en prévaloir. Par la suite, la jurisprudence a, en quelque sorte, "emboîté" le pas au législateur puisqu'elle est parvenue, nul ne l'ignore, à étendre l'exigence de proportionnalité en dehors du domaine visé par l'article L. 313-10 du Code de la consommation, transposant ainsi le principe d'une sanction de la disproportion en droit commun, en faisant néanmoins cette fois appel aux règles de la responsabilité civile. Plus récemment, la loi du 1er août 2003, relative à l'initiative économique (loi n° 2003-721 N° Lexbase : L3557BLC), a généralisé la sanction du cautionnement excessif : un nouvel article L. 341-4 (N° Lexbase : L8753A7C), reprenant textuellement la formulation de l'article L. 313-10 déjà existant, a en effet été inséré dans le Code de la consommation, aux termes duquel "le créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était lors de sa conclusion manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son engagement". L'intervention du législateur n'a, cependant, pas rendu les solutions qu'était progressivement parvenue à élaborer la jurisprudence en dehors du droit de la consommation totalement obsolètes, d'abord parce que, si les conditions de mise en oeuvre des textes consuméristes ne sont pas remplies, c'est bien l'exigence jurisprudentielle de proportionnalité qui s'appliquera, mais aussi, parce que, en tout état de cause, le dispositif nouveau n'a vocation à régir que les opérations de cautionnement souscrites après son entrée en vigueur, si bien que tous les cautionnements conclus avant cette date demeurent sous l'emprise des solutions de la jurisprudence et, donc, soumis aux règles de la responsabilité civile (1). Tel était d'ailleurs le cas dans l'affaire ayant donné lieu à un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation en date du 20 décembre 2007, à paraître au Bulletin.

On se souvient certainement que, par un important arrêt en date du 17 juin 1997, dit "Macron", la Chambre commerciale de la Cour de cassation avait consacré, en matière de cautionnement, une exigence de proportionnalité entre le montant de la garantie et les ressources de la caution, et ce en dehors même du droit de la consommation (2). La même Chambre commerciale devait, cependant, porter un coup d'arrêt au développement de l'exigence de proportionnalité ainsi dégagée en énonçant, dans un arrêt "Nahoum" rendu dans des circonstances de fait analogues à celles ayant donné lieu à l'arrêt "Macron", que les cautions, "respectivement président du conseil d'administration et directeur général de la société [débitrice], qui n'ont jamais prétendu ni démontré que la banque aurait eu sur leurs revenus, leurs patrimoines et leurs facultés de remboursement raisonnablement prévisibles en l'état du succès escompté de l'opération immobilière entreprise par la société, des informations qu'eux-mêmes auraient ignorées, ne sont pas fondés à rechercher la responsabilité de cette banque" (3). Aussi bien, sans condamner l'existence même de l'exigence de proportionnalité, la Cour de cassation en avait-elle seulement limité la mise en oeuvre en excluant de son champ d'application les cautions intégrées et donc, au premier chef, les cautions ayant la qualité de dirigeants de la société débitrice. Sauf, en effet, à pouvoir reprocher une réticence dolosive au créancier qui ne leur aurait pas communiqué des informations qu'elles-mêmes auraient ignorées, les cautions intégrées se voyaient donc refuser, du moins en principe, la faculté de se prévaloir de la disproportion de leurs engagements pour être libérées. A supposer en tout cas que la sanction de la disproportion soit, dans son principe, admise, des interrogations relatives à l'appréciation de la disproportion ainsi qu'à la mise en oeuvre de la sanction continuent de générer du contentieux.

L'arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 20 décembre dernier, dans lequel d'ailleurs la disproportion existant entre le montant de l'engagement de la caution eu égard à son patrimoine et/ou ses revenus n'était dans son principe pas contestée, en constitue au demeurant un nouvel exemple.

S'agissant, d'abord, des modalités d'appréciation de la disproportion, il faut redire que, si personne n'a jamais douté du caractère objectif de l'appréciation de la disproportion légale, il n'en a pas toujours été de même lorsque s'est posée la question de la mise en oeuvre des solutions issues de la jurisprudence. Relevant, notamment, que, dans l'arrêt "Macron" lui-même, la Cour de cassation avait pris soin de relever que les circonstances de fait étaient "exclusives de toute bonne foi de la part de la banque", certains ont, en effet, estimé que le caractère excessif d'un cautionnement ne saurait suffire à engager la responsabilité du créancier (4). L'arrêt "Nahoum", en déplaçant la question, au moins à l'égard des cautions intégrées, sur le terrain de l'obligation d'information (dol par réticence), avait d'ailleurs pu conforter cette analyse. Elle n'est, en tout état de cause, plus d'actualité, non seulement parce que les cautions intégrées sont aujourd'hui, on le sait, soumises au régime légal qui, lui, est indiscutablement objectif, mais aussi parce que, à l'égard des autres cautions, la Cour de cassation semble, désormais, vouloir privilégier une approche résolument objective de la disproportion (5). L'arrêt de la première chambre civile du 20 décembre 2007, en invitant, pour apprécier la disproportion manifeste qui était invoquée, à comparer le montant de la créance garantie et "les facultés contributives" de la caution confirme d'ailleurs cette analyse. Une fois cette question réglée, il faut encore relever que le moment d'appréciation de la disproportion n'est, toutefois, pas le même, selon qu'il s'agit de mettre en oeuvre les solutions jurisprudentielles ou légales.

Selon le Code de la consommation en effet, le créancier ne peut se prévaloir du contrat de cautionnement s'il était "lors de sa conclusion" manifestement disproportionné aux biens et revenus de la caution, "à moins que le patrimoine de [celle-ci], au moment où elle est appelée, ne lui permette de faire face à son engagement". Autrement dit, pour apprécier l'existence de la disproportion susceptible de justifier la mise en oeuvre de la sanction, il faut examiner la situation de la caution non seulement au jour de la formation du contrat, mais aussi au stade de son exécution, l'amélioration de sa situation de fortune pouvant finalement la contraindre à faire face à son engagement, ce qui est assez critiquable dans la mesure où, si l'on entend sanctionner une faute précontractuelle du créancier, on voit mal au nom de quoi le "coupable" échappera à la sanction si la situation de la caution a prospéré depuis l'époque de son engagement : puisque le législateur a entendu sanctionner une certaine légèreté pré-contractuelle du créancier, il ne devrait pas être possible d'admettre que l'amélioration de la situation financière de la caution puisse "couvrir" la faute du créancier qui, en tant que telle, demeure.

D'ailleurs, dans le système élaboré par la jurisprudence, où la mise en oeuvre de la responsabilité civile du créancier ayant sollicité un cautionnement excessif sanctionne également une faute pré-contractuelle, il n'y a pas lieu de tenir compte d'un éventuel enrichissement ultérieur de la caution : si le créancier engage sa responsabilité pour faute, c'est pour avoir accepté un engagement disproportionné à l'époque de sa conclusion, de telle sorte que le devenir de la situation de la caution ne doit logiquement pas être pris en compte (6). On peut regretter, à cet égard, que l'arrêt du 20 décembre dernier ne tranche pas suffisamment nettement cette question.

S'agissant, ensuite, de la mise en oeuvre de la sanction proprement dite, on redira, à s'en tenir aux solutions de la jurisprudence (7) seules concernées par l'arrêt, que le non-respect du principe de mesure de la sûreté consentie eu égard aux facultés de paiement du garant constitue une faute de nature à engager la responsabilité délictuelle (8) de son auteur (9). Le garant doit, dès lors, engager une action en responsabilité pour obtenir des dommages et intérêts pouvant se compenser avec les sommes dues au titre de la garantie. Il faut redire ici que le recours à la responsabilité pour faute n'est pas, techniquement, exempt de critiques (10). En effet, en condamnant le créancier à verser à la caution des dommages et intérêts, afin de permettre à celle-ci d'exécuter l'obligation du débiteur principal, le juge lui confère ainsi la possibilité de se retourner, ensuite, contre le débiteur principal, non pas pour la seule fraction de la dette payée par elle sur son patrimoine propre, mais pour le paiement de la dette dans son intégralité puisqu'elle est subrogée dans les droits qu'avait le créancier contre le débiteur. C'est dire que, théoriquement au moins, la caution a la possibilité de réaliser un enrichissement totalement injustifié. Il reste que, contrairement à la déchéance légale prononcée à l'encontre du créancier en raison du seul caractère excessif de l'engagement de la caution qui empêche de préserver un juste équilibre entre les intérêts de la caution et ceux du débiteur, la solution de la jurisprudence, bien qu'elle-même critiquable, assure, par l'exploitation du droit commun de la responsabilité civile pour faute du créancier, une plus grande souplesse et nous paraît ainsi, l'un dans l'autre, comme une "moins mauvaise" solution. Mais encore faut-il que la jurisprudence ne soit pas tentée, dans cette hypothèse, de condamner le créancier à verser à la caution des dommages et intérêts d'un montant égal à celui de la dette due par la caution (11).

Aussi bien ne peut-on qu'approuver la sagesse de la Cour de cassation qui, par l'arrêt commenté, rappelle ici fort justement que "le préjudice subi par celui qui a souscrit un cautionnement manifestement disproportionné à ses facultés contributives est à la mesure excédant les biens qui peuvent répondre de sa garantie, de sorte qu'il incombait d'évaluer ceux-ci après avoir invité les parties à présenter leurs observations à cet égard".


(1) Sur l'application de l'article L. 341-4 aux seuls cautionnements postérieurs à l'entrée en vigueur de la loi du 1er août 2003, Cass. mixte, n° 05-13.517, M. Guy Bonnal c/ Caisse régionale de crédit agricole mutuel (CRCAM) de l'Oise, P+B+R+I (N° Lexbase : A3192DRN), D., 2006, p. 2858, obs. P. Crocq.
(2) Cass. com., 17 juin 1997, n° 95-14.105, M. Macron c/ Banque internationale pour l'Afrique occidentale et autres (N° Lexbase : A1835ACX), Bull. civ. IV, n° 188, Rép. Defrénois, 1997, art. 36703, p. 1424 et s., n° 158, obs. L. Aynès, Dr. sociétés, octobre 1997, p. 8 et s., obs. Th. Bonneau, RTDCom., 1997, p. 662, obs. M. Cabrillac, JCP éd. E, 1997, II, 1007, note D. Legeais, Rev. dr. bancaire, 1997, p. 221, obs. M Contamine-Raynaud, D., 1998, J., p. 308, note J. Casey, JCP éd. G, 1998, I, 103, n° 8, obs. Ph. Simler, Les Petites Affiches, 27 mai 1998, p. 33 et s., note S. Piédelièvre, RTDCiv., 1998, p. 100 et s., obs. J. Mestre et p. 157 et s., obs. P. Crocq.
(3) Cass. com., 8 octobre 2002, n° 99-18.619, M. David Nahoum c/ Banque CGER France, FP-P (N° Lexbase : A9624AZH), Bull. civ. IV, n° 136, D., 2003, J., p. 414 et s., note C. Koering, Contrats, conc., consom., 2003, n° 20, obs. L. Leveneur, JCP éd. G, 2003, I, 124, obs. Ph. Simler, Rép. Defrénois, 2003, art. 37691, p. 411 et s., obs. Ph. Théry, et art. 37698, p. 456 et s., obs. S. Piédelièvre, RTDCiv., 2003, p. 125 et s., obs. P. Crocq.
(4) Voir not., en ce sens, L. Aynès et P. Crocq, Droit civil, Les sûretés, La publicité foncière, Defrénois, 2003, n° 294, p. 121.
(5) Cass. com., 17 décembre 2003, n° 00-19.993, M. Georges Vegler c/ Société Brasseries Heineken, FS-P (N° Lexbase : A4712DAR).
(6) Voir not. N. Molfessis, Le principe de proportionnalité en matière de garantie, Banque et droit, mai-juin 2000, n° 71, et les références citées.
(7) Dans le système légal, l'article L. 341-4 nouveau du Code de la consommation prévoit, comme le faisait avant lui l'article L. 313-10, un cas de déchéance du créancier, déchéance particulière puisqu'elle est susceptible de cesser a posteriori du seul fait que l'événement qui lui a donné naissance a lui-même disparu.
(8) Voir not., dépourvu de toute équivoque parce que visant l'article 1382 du Code civil (N° Lexbase : L1488ABQ), Cass. civ. 1, 9 juillet 2003, n° 01-14.082, Société Champex (Société de développement régional) c/ Mme Renée, FS-P+B (N° Lexbase : A1021C9P), JCP éd. G, 2003, II, 10167, note J. Casey, D., 2004, J., p. 204, note Y. Picod.
(9) Voir D. Legeais, La faute du créancier, moyen de défense de la caution poursuivie, Les Petites Affiches, 5 mars 1997, p. 4 et s..
(10) Voir, pour une critique de la solution, M.-N. Jobard-Bachellier et V. Brémond, De l'utilité du droit de la responsabilité pour assurer l'équilibre des intérêts des contractants, RTDCom., 1999, p. 327 et s., spéc. p. 332 ; N. Molfessis, Le principe de proportionnalité en matière de garanties, préc., n° 71, spéc. n° 14 p. 8.
(11) Voir, ainsi, cédant à la tentation, CA Paris, 27 novembre 1998, JCP éd. G, 1999, I, n° 6, obs. Ph. Simler et II, 10092, note J. Casey. Toutefois, pour un retour à la rigueur des principes : Cass. civ. 1, 9 juillet 2003, préc., affirmant que "le montant du préjudice [de la caution] ne pouvait être équivalent à la dette toute entière mais seulement à la mesure excédant les biens qu'[elle] pouvait proposer en garantie".

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Fiscalité des entreprises

[Focus] Crédit d'impôt recherche : la France en tête des pays de l'OCDE ?

Réf. : Loi n° 2007-1822 du 24 décembre 2007, de finances pour 2008, art. 69 (N° Lexbase : L5488H3N)

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par Jean-Luc Pierre et Cécile Mayot, avocats, Landwell & Associés

Le 07 Octobre 2010

La loi de Finances pour 2008 a réformé en profondeur le régime du crédit d'impôt recherche.

Le dispositif du crédit d'impôt recherche a été profondément modifié pour les dépenses exposées à compter du 1er janvier 2008 : le montant du crédit d'impôt résulte, désormais, uniquement du volume des dépenses exposées, la part en accroissement étant supprimée.

Le crédit est égal à 30 % pour la fraction des dépenses de recherche n'excédant pas 100 millions d'euros. La possibilité de prendre en compte 5 % des dépenses de recherche au-delà du seuil de 100 millions d'euros, qui concerne aujourd'hui 22 groupes, a également été adoptée par le Parlement.

En outre, ce taux de 30 % est porté à 50 % et 40 %, au titre respectivement de la première et de la deuxième année qui suivent l'expiration d'une période de cinq années consécutives pour lesquelles l'entreprise n'a pas bénéficié du crédit d'impôt, à condition qu'il n'existe aucun lien de dépendance entre celle-ci et toute autre entreprise ayant bénéficié du crédit d'impôt au cours de la même période.

Alors qu'un rapport de l'OCDE du 25 octobre 2007 vient de souligner le décrochage de l'Europe par rapport aux Etats-Unis en matière d'investissements dans l'économie de la connaissance (recherche-développement publique et privée, enseignement supérieur, infrastructures de télécommunication...), ce nouveau dispositif du crédit d'impôt recherche permettra-t-il à la France de remonter dans le classement des pays investissant le plus dans l'innovation?

On rappellera que l'insuffisance du volume de recherche-développement en France est imputable à un déficit de recherche privée. La France est, en effet, en tête des pays de l'OCDE pour l'effort public de recherche, mais elle souffre d'un retard important, par rapport à de nombreux pays, en ce qui concerne les dépenses du secteur privé. Alors qu'en France, à peine la moitié des dépenses de recherche est financée par les entreprises privées, ce sont 60 % aux Etats-Unis et en Allemagne, et plus de 70 % au Japon des dépenses qui sont financées par le secteur privé.

Il ressort du rapport de l'OCDE que de plus en plus d'Etats accordent aux entreprises des dégrèvements fiscaux afin de promouvoir l'innovation, tout en réduisant leurs dépenses directes de recherche-développement, et que ceux-ci encouragent, par ailleurs, les organismes de recherche à commercialiser leurs inventions.

Dans un rapport du 9 octobre dernier, M. Gilles Carrez, rapporteur général de la Commission des finances de l'Assemblée nationale, a rappelé que de nombreux Etats membres de l'Union européenne (Royaume-Uni, Espagne, Pays-Bas, Autriche, Irlande, Finlande, Portugal...) disposent ainsi d'un dispositif fiscal (réduction ou crédit d'impôt) pour inciter au développement de la recherche dans les entreprises, et qu'il en est de même dans la plupart des Etats concurrents de l'Union (Etats-Unis, Japon, Chine, Corée du Sud, Canada, Australie...).

Les réductions ou crédits d'impôt au titre des dépenses de recherche sont assis, soit sur le volume de ces dépenses, soit sur leur accroissement, soit sur une combinaison des deux mécanismes.

Le mécanisme simplifié assis sur le seul volume des dépenses qui vient d'être adopté par la France, existe déjà en Autriche (où l'on retient 8 % du volume des dépenses), au Canada (20 %) et au Japon (10 à 15 %).

D'autres Etats n'accordent pas de crédit d'impôt, mais ils autorisent une déduction majorée des dépenses de recherche-développement. Tel est le cas du Royaume-Uni, où les entreprises peuvent déduire de leur résultat imposable 150 % ou 125 % de leurs dépenses éligibles, selon qu'il s'agit de PME ou de grandes entreprises.

S'agissant de la nature des dépenses de recherche prises en compte pour le mécanisme d'incitation fiscale, les définitions retenues par chaque Etat divergent également.

Le champ des dépenses éligibles dans le dispositif français n'a pas été aménagé, malgré les amendements proposés en ce sens par plusieurs parlementaires. Ces amendements avaient pour objet de rendre éligibles au crédit d'impôt recherche les dépenses de validation technique définitive d'un nouveau produit ou procédé, y compris celles relatives aux prototypes de validation.

Adoptées, ces propositions auraient permis de mettre un terme au débat récurrent sur l'éligibilité des dépenses de réalisation de prototypes ou d'installations pilotes. L'administration fiscale interprétant strictement la notion de dépenses liées à des opérations de développement expérimental, entrant dans le champ d'application du crédit d'impôt recherche, les dépenses relatives aux prototypes de validation demeurent exclues de celui-ci. La définition des dépenses de développement expérimental qui est retenue est ainsi plus étroite que celle proposée par l'OCDE.

On ne pourra que regretter que cet aménagement du texte de loi n'ait pas été voté par le Parlement, de même que l'introduction du principe du débat oral et contradictoire en cas d'intervention d'experts du ministère de la Recherche pour assurer le contrôle du crédit d'impôt. Plus, peut-être, que d'incitations financières accrues, les entreprises ont besoin d'une sécurité juridique renforcée dans le fonctionnement de ce dispositif.

Dans ce sens, une mesure favorable a, toutefois, été adoptée par le Parlement : le délai de reprise de l'administration fiscale s'exercera, désormais, jusqu'à la fin de la troisième année suivant celle du dépôt de la déclaration spéciale prévue pour le calcul du crédit d'impôt, au lieu de trois ans à compter de l'utilisation ou du remboursement de celui-ci.

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Social général

[Jurisprudence] Incompétence de la CJCE pour apprécier la conformité du CNE à la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, à la Convention n° 158 de l'OIT et à la Charte sociale européenne

Réf. : CJCE, ordonnance, 7ème ch., 16 janvier 2008, aff. C-361/07, Polier

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N0861BEM

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par Christophe Willmann, Professeur à l'Université de Rouen

Le 07 Octobre 2010

Le débat sur la conformité de l'ordonnance n° 2005-893 du 2 août 2005, relative au contrat nouvelles embauches (CNE) (N° Lexbase : L0758HBP), au droit international n'est pas clos, comme en témoigne l'ordonnance rendue par la CJCE le 16 janvier dernier. Une demande de décision préjudicielle avait été introduite par le conseil de prud'hommes de Beauvais (décision du 9 juillet 2007) dans la procédure opposant M. P. à la société Najar, portant sur l'interprétation de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne du 7 décembre 2000, de la Convention OIT n° 158 sur le licenciement du 22 juin 1982, et de la Charte sociale européenne du 18 octobre 1961. M. P. avait fait l'objet d'un licenciement intervenu sans indication du motif de rupture de son contrat de travail et sans que la procédure ordinaire de licenciement ait été suivie. L'actualité judiciaire du CNE n'est donc pas close, puisque pratiquement toutes les juridictions ont été saisies, aussi bien de l'ordre judiciaire interne qu'international. L'ordonnance rendue par la CJCE permet, ainsi, de faire le point sur l'appréciation par les juridictions nationales de la conformité de l'ordonnance n° 2005-893 au droit international (I) et l'appréciation par les institutions et juridictions internationales de la conformité de l'ordonnance n° 2005-893 au droit international (II). La synthèse est d'autant plus délicate que les solutions ne convergent pas.
Résumé

Contrairement aux situations prévues par les Directives 80/987/CEE (Directive du 20 octobre 1980, concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives à la protection des travailleurs salariés en cas d'insolvabilité de l'employeur N° Lexbase : L9435AUY) et 2002/74/CE (Directive du Parlement européen et du Conseil du 23 septembre 2002, modifiant la Directive 80/987/CEE du Conseil, concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives à la protection des travailleurs salariés en cas d'insolvabilité de l'employeur N° Lexbase : L9629A4E), ainsi que par les Directives 91/533/CEE (Directive du 14 octobre 1991, relative à l'obligation de l'employeur d'informer le travailleur des conditions applicables au contrat ou à la relation de travail N° Lexbase : L7592AUQ) et 2002/14/CE (Directive du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 2002, établissant un cadre général relatif à l'information et la consultation des travailleurs dans la Communauté européenne N° Lexbase : L7543A8U), la situation du titulaire d'un CNE, caractérisée par la rupture du contrat de travail de ce dernier en l'absence de communication du motif de son licenciement, ainsi que par le non-respect de la procédure ordinaire de licenciement, n'est pas régie par le droit communautaire. La réglementation applicable (ordonnance n° 2005-893 du 2 août 2005) concerne une situation qui ne relève pas du champ d'application du droit communautaire. La CJCE n'est donc pas compétente.

I - Appréciation par les juridictions nationales de la conformité de l'ordonnance n° 2005-893 au droit international

A - Jurisprudence admettant la conformité de l'ordonnance n° 2005-893 au droit international

Le Conseil d'Etat a estimé, dans un arrêt rendu le 19 octobre 2005 (1), qu'eu égard au but en vue duquel les dérogations prévues par l'ordonnance n° 2005-893 ont été édictées et à la circonstance que le contrat nouvelles embauches est un contrat à durée indéterminée, la période de deux ans pendant laquelle est écartée l'application des dispositions de droit commun relatives à la procédure de licenciement, et aux motifs pouvant le justifier, doit être regardée comme raisonnable au sens des dispositions de la Convention OIT n° 158.

B - Jurisprudence rejetant la conformité de l'ordonnance n° 2005-893 au droit international

En droit interne, certaines cours d'appel avaient déjà décidé que l'ordonnance n° 2005-893 instituant le CNE était contraire à la Convention OIT n° 158 (par ex., CA Paris, 18ème ch., sect. E, 6 juillet 2007, n° 06/06992 N° Lexbase : A1564DX9). De même, un conseil de prud'hommes (2) avait estimé que cette ordonnance, étant contraire à la Convention OIT n°158, est privée d'effet juridique.

Certains juges du fond ont pu décider que l'appréciation judiciaire de la conformité de l'ordonnance n° 2005-893 à la Convention OIT relève de la compétence du juge judiciaire : il n'y a donc pas question préjudicielle qui doit être soumis à l'examen du juge administratif (3).

Le premier contentieux généré par le contrat nouvelles embauches portait précisément sur cette question de la rupture du contrat au cours de la période dite de consolidation (4). Selon les juges, la rupture abusive de la période de consolidation d'un contrat nouvelles embauches a, comme la rupture abusive de période d'essai d'un contrat à durée indéterminée, les conséquences d'un licenciement abusif, les dommages et intérêts se calculant conformément à l'article L. 122-14-5 du Code du travail (N° Lexbase : L5570ACB). Le conseil de prud'hommes, pour asseoir sa décision de condamner un employeur à verser des dommages et intérêts pour rupture abusive, s'est fondé sur l'art. L 122-14-5, ce qu'écarte formellement l'ordonnance n° 2005-293.

II - Appréciation par les institutions et juridictions internationales de la conformité de l'ordonnance n° 2005-893 au droit international

A - Position du BIT : l'ordonnance n° 2005-893 n'est pas conforme à la Convention OIT n° 158

Dans un rapport adopté par le conseil d'administration de l'OIT le 6 novembre 2007, le comité chargé d'examiner la réclamation présentée par Force ouvrière a déclaré qu'une durée aussi longue que deux ans prévue par le CNE n'est pas raisonnable (5).

  • Convention OIT n° 158 (art. 2 § 2) : la question de la période d'ancienneté "raisonnable"

Le comité OIT a considéré que la période de consolidation de l'emploi de deux ans prévue au titre du CNE pourrait relever de la "période d'ancienneté requise" au sens d'une période d'emploi spécifiée, qui est nécessaire pour que les salariés intéressés puissent bénéficier d'un contrat à durée indéterminée. Le comité a rappelé que la notion de "période d'ancienneté requise" a été inscrite dans la Convention OIT n° 158, afin de tenir compte des situations où certains types de protection, relatifs, notamment, aux licenciements injustifiés, au préavis ou au paiement d'une indemnité, ne sont dus que si le travailleur intéressé a été engagé pour une période déterminée.

En l'espèce, le comité OIT a noté (point n° 71) que l'article 2 § 2 de la Convention OIT n° 158 vise à garantir que l'exclusion de la protection de la Convention pour les travailleurs effectuant une période d'essai ou n'ayant pas la période d'ancienneté requise soit d'une durée raisonnable. La raison d'être de la référence au caractère "raisonnable" paraît donc liée à l'exclusion de la protection. En conséquence, les considérations politiques publiques de l'emploi, ainsi que les mesures prises pour compenser l'exclusion de la protection ou en limiter le champ, peuvent aider à justifier la relative longueur de la période d'exclusion.

La principale préoccupation doit, cependant, être de s'assurer que la durée de l'exclusion des avantages de la Convention OIT n° 158 se limite à ce qui peut raisonnablement être considéré comme nécessaire à la lumière des objectifs pour lesquels la période d'ancienneté a été fixée, à savoir, en particulier, permettre à l'employeur de mesurer la viabilité économique et les perspectives de développement de son entreprise et permettre aux travailleurs concernés d'acquérir des qualifications ou de l'expérience.

Le comité OIT a noté que la durée normalement considérée comme raisonnable de la période d'ancienneté requise n'excède pas six mois en France. Au final, le comité OIT a conclu qu'il n'existe pas de base suffisante pour considérer que la période de consolidation peut être assimilée à une "période d'ancienneté requise" d'une durée raisonnable, au sens de l'article 2 § 2, justifiant l'exclusion des travailleurs concernés de la protection de la convention pendant cette durée.

  • Convention OIT n° 158 (art. 4) : l'exigence d'un motif valable de licenciement

L'article 4 de la Convention OIT n° 158 dispose qu'un travailleur ne devra pas être licencié sans qu'il existe un motif valable de licenciement lié à l'aptitude ou à la conduite du travailleur, ou fondé sur les nécessités du fonctionnement de l'entreprise. L'ordonnance n° 2005-893 rend inapplicables au CNE certaines dispositions du Code du travail (C. trav., art. L. 122-13 N° Lexbase : L5564AC3, L. 122-14 N° Lexbase : L9576GQQ, L. 122-14-1 N° Lexbase : L0042HDW, L. 122-14-3 N° Lexbase : L5568AC9 ou L. 321-1 et s. N° Lexbase : L8921G7K). Comme la dérogation affecte le contrôle par le juge de la cause réelle et sérieuse du licenciement, il n'est pas évident, selon le comité OIT, que l'ordonnance n° 2005-893 permette de prendre effectivement des mesures contre un licenciement fondé sur des motifs non valables autres que ceux susmentionnés. Dans ces conditions, le comité OIT a conclu que l'ordonnance n° 2005-893 s'éloigne de manière significative des prescriptions de l'article 4 de la Convention OIT, lequel, comme indiqué par la commission d'experts, est la pierre angulaire des dispositions de la Convention.

Le comité a considéré que la France, à l'heure actuelle, n'assure pas une application effective de la Convention OIT n° 158, mais, néanmoins, qu'il est possible qu'une réparation adéquate soit accessible aux travailleurs intéressés devant les tribunaux français. Le comité OIT a invité, par conséquent, le Gouvernement à donner effet aux dispositions de l'article 4, en assurant que, conformément à la Convention, les contrats nouvelles embauches ne puissent en aucun cas être rompus en l'absence d'un motif valable.

B - Déclaration d'incompétence de la CJCE

Saisie au titre de l'article 234 CE , la CJCE est compétente pour statuer sur l'interprétation du Traité CE, ainsi que sur la validité et l'interprétation des actes pris par les institutions de l'Union européenne. Mais la compétence de la Cour est limitée à l'examen des seules dispositions du droit communautaire (CJCE, 27 juin 1979, aff. C-105/79, Godard N° Lexbase : A6010AU7, Rec. p. 2257 ; CJCE, 18 octobre 1990, aff. C-297/88, Dzodzi N° Lexbase : A3830AWR (6) et aff. C-197/89, Rec. p. I-3763, point 31 (7) ; CJCE, 21 décembre 1995, aff. C-307/95, Max Mara N° Lexbase : A8965AUL (8), Rec. p. I-5083, point 5 (9) ; CJCE, 1er juin 2006, aff. C-453/04, Innoventif Limited N° Lexbase : A7214DPU, Rec. p. I-4929, point 29 (10) (ordonnance rapportée, point 9).

Il est de jurisprudence constante que, lorsqu'une réglementation nationale entre dans le champ d'application du droit communautaire, la Cour doit fournir tous les éléments d'interprétation nécessaires à l'appréciation, par la juridiction nationale, de la conformité de cette réglementation avec le droit communautaire dont elle assure le respect (CJCE, 29 mai 1997, aff. C-299/95, Kremzow N° Lexbase : A9640AUL (11), Rec. P. I-2629, point 15 ; CJCE, 6 octobre 2005, aff. C-328/04, Vajnai, Rec. p. I-8577, point 12 (12) ; CJCE, 25 janvier 2007, aff. C-302/06, Kovaský, non publiée au Recueil, point 19 (13) (ordonnance rapportée, point 10).

En revanche, la CJCE ne dispose pas d'une telle compétence lorsque l'objet du litige au principal ne présente aucun élément de rattachement au droit communautaire et lorsque la réglementation, dont l'interprétation est demandée, ne se situe pas dans le cadre du droit communautaire (CJCE, aff. C-299/95 préc., points 15 et 16 (14) ; CJCE, aff. C-328/04, préc., point 13 (15) ; CJCE, aff. C-302/06, préc., point 20 (16). Or, en l'espèce, la juridiction de renvoi n'a nullement explicité la raison pour laquelle la situation de M. P., titulaire du contrat nouvelles embauches, serait susceptible de se rattacher au droit communautaire. Bien que la protection des travailleurs en cas de résiliation du contrat de travail soit l'un des moyens pour atteindre les objectifs fixés par l'article 136 du Traité CE et que le législateur communautaire soit compétent dans ce domaine , des situations qui n'ont pas fait l'objet de mesures adoptées sur le fondement de ces articles ne relèvent pas du champ d'application du droit communautaire (ordonnance rapportée, point 13).

En effet, contrairement aux situations prévues par la Directive 80/987/CEE du Conseil du 20 octobre 1980, relative à la protection des travailleurs salariés en cas d'insolvabilité de l'employeur, ainsi que par les Directives 91/533/CEE du Conseil du 14 octobre 1991, relative à l'obligation de l'employeur d'informer le travailleur des conditions applicables au contrat ou à la relation de travail, 98/59/CE du Conseil du 20 juillet 1998, concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives aux licenciements collectifs ; et 2002/14/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 2002, établissant un cadre général relatif à l'information et la consultation des travailleurs dans la Communauté européenne, la situation du titulaire d'un contrat nouvelles embauches n'est pas régie par le droit communautaire (ordonnance rapportée, point 14).

Bref, selon la CJCE, la réglementation applicable au litige au principal concerne une situation qui ne relève pas du champ d'application du droit communautaire. Au final, la CJCE s'est déclarée incompétente pour répondre aux questions posées par le conseil de prud'hommes de Beauvais.


(1) CE Contentieux, 19 octobre 2005, n° 283471, Confédération générale du travail et autres (N° Lexbase : A9977DKQ), RJS 12/05, n° 1240 ; JCP éd. E, 2005, n° 1652, note P. Morvan ; JCP éd. S, 2005 n° 1317, p. 37, R. Vatinet ; D., 2005, p. 629, note G. Borenfreund ; C. Devys, Conclusions sous CE 19 octobre 2005, CGT, JCP éd. S, 2005 n° 1317, p. 27 ; G. Koubi, L'ordonnance de l'incertitude sociale... (observations à partir de CE sect. 19 octobre 2005, CGT et autres), Dr. ouv., février 2006, p. 75 ; C. Landais et F. Lenica, AJDA, 2005, chron. p. 2162 ; nos obs., Le Conseil d'Etat valide le contrat nouvelles embauches, Lexbase Hebdo n° 188 du 3 novembre 2005 - édition sociale (N° Lexbase : N0289AKW).
(2) CPH Longjumeau, 28 avril 2006, RG n° 06/00316, Mlle Linda de Wee c/ M. Philippe Samzun (N° Lexbase : A3873DTM), JCP éd. S, 2006, n° 1424 ; Semaine sociale Lamy, 12 juin 2006, p. 6, note F. Favennec-Héry.
(3) CA Paris, 18ème ch., sect. E, 20 octobre 2006, n° 06/06992, Monsieur le Procureur de la République près le tribunal de grande instance d'Evry c/ Mademoiselle Linda de Wee (N° Lexbase : A0480DSL), JCP éd. S, 2006, n° 1876, note P. Morvan.
(4) CPH Longjumeau, 20 février 2006, R.G. n° 05/00974, M. Philippe Peyroux c/ SARL ACG (N° Lexbase : A5066DTS), JCP éd. S, 2006, n° 1235, note P. Morvan ; nos obs., Contrat nouvelles embauches : un nouveau contrat de travail ou une réforme du droit du licenciement ?, Lexbase Hebdo n° 207 du 23 mars 2006 - édition sociale (N° Lexbase : N5993AK8) ; Dr. soc. 2006, p. 356, chron. E. Dockès.
(5) Lire nos obs., Contrairement au Conseil d'Etat, l'OIT invalide le contrat nouvelles embauches, Lexbase Hebdo n° 283 du 29 novembre 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N2230BDX).
(6) Recueil 1990 p. I-03763 ; D. Martin, Du bon usage de l'article 177 du traité de Rome, Revue de jurisprudence de Liège, Mons et Bruxelles 1991 p.189 ; D. Simon, Chronique de jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes. Institutions et ordre juridique communautaire, Journal du droit international, 1991, p. 455 ; H. Verschueren, L'arrêt Dzodzi et l'équilibre précaire entre le droit national et le droit communautaire, Revue du droit des étrangers, 1991, p. 95 ; P. Rodière, Sur les effets directifs du droit (social) communautaire, Revue trimestrielle de droit européen, 1991, p. 565.
(7) Conformément à l'article 177 du Traité , la Cour est compétente pour statuer, à titre préjudiciel, sur l'interprétation de ce Traité, ainsi que des actes pris par les institutions de la Communauté.
(8) CJCE, 21 déc. 1995, aff. C-307/95, Recueil 1995 p. I-05083, D. Simon, Chronique de jurisprudence du Tribunal et de la Cour de justice des Communautés européennes. Institutions et ordre juridique communautaire, Journal du droit international, 1996, p. 484.
(9) Selon lequel la Cour de justice n'est pas compétente, au titre de l'article 177 du Traité CE, pour statuer à titre préjudiciel sur l'interprétation des règles relevant du droit interne. La compétence de la Cour est limitée à l'examen des seules dispositions du droit communautaire (CJCE, 19 mars 1964, aff. C-75/63, M.K.H. Unger, épouse R. Hoekstra c/ Bestuur der Bedrijfsvereniging voor Detailhandel en Ambachten à Utrecht N° Lexbase : A6131AUM, Rec. p. 347).
(10) La compétence de la CJCE est limitée à l'examen des seules dispositions du droit communautaire (ordonnance, 21 décembre 1995, aff. C-307/95, Rec. p. I-5083, point 5). Il appartient au juge national d'apprécier la portée des dispositions nationales et la manière dont elles doivent être appliquées (CJCE, 7 décembre 1995, aff. C-45/94, Cámara de Comercio, Industria y Navegación de Ceuta c/ Ayuntamiento de Ceuta [LXB= A9929AUB], Rec. p. I-4385, point 26).
(11) Voir D. Simon, Europe, juillet 1997, Comm. n° 216, p. 10 ; J. Rideau, D., 1997, juri. p. 364 ; L. Weitzel, Bulletin des droits de l'Homme, 1997, n° 7, p. 228.
(12) Il est de jurisprudence constante que, lorsqu'une réglementation nationale entre dans le champ d'application du droit communautaire, la Cour doit fournir tous les éléments d'interprétation nécessaires à l'appréciation, par la juridiction nationale, de la conformité de cette réglementation avec les droits fondamentaux dont elle assure le respect (CJCE, 29 mai 1997, aff. C-299/95, Kremzow, préc., point 15).
(13) Cf. arrêt "Kremzow", préc., point 15 ; CJCE, 6 octobre 2005, Vajnai, préc., point 12.
(14) Point 15. Il ressort de la jurisprudence de la CJCE (CJCE, 4 octobre 1991, aff. C-159/90, The Society for the Protection of Unborn Children Ireland Ltd c/ Stephen Grogan et autres N° Lexbase : A9932AUE, Rec. p. I-4685, point 31) que, lorsqu'une réglementation nationale entre dans le champ d'application du droit communautaire, la Cour, saisie à titre préjudiciel, doit fournir tous les éléments d'interprétation nécessaires à l'appréciation, par la juridiction nationale, de la conformité de cette réglementation avec les droits fondamentaux dont elle assure le respect, tels qu'ils résultent, en particulier, de la Convention. En revanche, la CJCE n'a pas cette compétence à l'égard d'une réglementation qui ne se situe pas dans le cadre du droit communautaire.
(15) La CJCE n'a pas cette compétence à l'égard d'une réglementation qui ne se situe pas dans le cadre du droit communautaire et lorsque l'objet du litige ne présente aucun élément de rattachement à l'une quelconque des situations envisagées par les dispositions des traités (arrêt Kremzow, préc., points 15 et 16).
(16) La CJCE n'a pas cette compétence à l'égard d'une réglementation qui ne se situe pas dans le cadre du droit communautaire et lorsque l'objet du litige ne présente aucun élément de rattachement au droit communautaire (arrêt Kremzow, préc., point 16, et ordonnance Vajnai, préc., point 13).

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Social général

[Textes] Commentaire de la loi du 30 janvier 2008, relative à la mise en oeuvre des dispositions communautaires concernant le statut de la société coopérative européenne et la protection des travailleurs salariés en cas d'insolvabilité de l'employeur

Réf. : Loi n° 2008-89 du 30 janvier 2008, relative à la mise en oeuvre des dispositions communautaires concernant le statut de la société coopérative européenne et la protection des travailleurs salariés en cas d'insolvabilité de l'employeur (N° Lexbase : L7902H33)

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N0717BEB

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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

Le 07 Octobre 2010

La loi n° 2008-89 du 30 janvier 2008 transpose, en droit français, les dispositions de deux Directives communautaires, relatives à l'implication des travailleurs dans la société coopérative européenne et à la protection des travailleurs salariés en cas d'insolvabilité de l'employeur (1) . Il convient de relever que le législateur a souhaité assurer cette transposition dans le Code du travail tel qu'il est en vigueur aujourd'hui et tel qu'il le sera une fois la recodification définitivement effective. Par suite, s'agissant de l'implication des travailleurs dans la société coopérative européenne, le titre 1er de la loi complète le titre III du livre IV du Code du travail actuel par un chapitre XII, tandis qu'en application du titre III de cette même loi, le titre VI du livre III de la deuxième partie du nouveau Code du travail devient le titre VII. Il est, par suite, rétabli un titre VI, relatif à l'implication des salariés dans la société coopérative européenne. La même technique est mise en oeuvre à propos des dispositions concernant le rapprochement des législations des Etats membres, relatives à la protection des travailleurs salariés en cas d'insolvabilité de l'employeur. I L'implication des salariés dans la société coopérative européenne (SCE)

La Directive 2003/72/CE du Conseil du 22 juillet 2003, complétant le statut de la SCE pour ce qui concerne l'implication des travailleurs (N° Lexbase : L9527CK3), vise à établir le cadre juridique pour l'information, la consultation et la participation des salariés dans la SCE, dont le statut a été établi par le Règlement n° 1435/2003 du Conseil du 22 juillet 2003, relatif au statut de la SCE (N° Lexbase : L4748DIP). La transposition de cette Directive dans notre système juridique intervient avec un certain retard, puisque l'échéance était fixée par le texte communautaire au 18 août 2006.

Le statut de la SCE s'inspire très fortement de celui de la société européenne (SE), créée par le Règlement n° 2157/2001 du Conseil du 8 octobre 2001 (N° Lexbase : L1040AWG), auquel était adjointe une Directive 2001/86/CE du 8 octobre 2001, relative à l'implication des travailleurs (N° Lexbase : L5882A4M). La coexistence, dans les deux cas, de ces deux instruments juridiques s'explique par le fait que, pendant de nombreuses années, la question de la représentation des travailleurs a constitué la pierre d'achoppement de l'élaboration du statut de ces deux sociétés. Ces blocages s'expliquent par la diversité des systèmes de représentation des salariés au sein des différents membres, qu'il convenait de dépasser. Si cet obstacle a, finalement, été franchi c'est au prix d'une complexité certaine.

On l'aura compris, le dispositif d'implication des salariés dans la SCE ressemble fort à celui en vigueur dans la SE. Ici, comme là, priorité a été accordée à la négociation et au dialogue social. Partant, l'implication des salariés dans la SCE va dépendre du résultat des négociations menées entre le groupe spécial de négociation (GSN) et les dirigeants de la société.

A - Champ d'application des dispositions relatives à l'implication des salariés

Aux termes de l'article L. 439-15 du Code du travail (N° Lexbase : L6476ACT ; C. trav., L. 2361-1, recod. N° Lexbase : L1017HXX), les nouvelles dispositions s'appliquent :

- aux SCE constituées, conformément au Règlement (CE) n° 1435/2003 du Conseil du 22 juillet 2003, et ayant leur siège social et leur administration centrale en France ;

- aux personnes morales ayant leur siège social en France et aux personnes physiques, qui participent à la constitution d'une SCE, résidant en France ;

- aux filiales et établissements situés en France des SCE constituées dans un autre Etat membre de la Communauté européenne ou de l'Espace économique européen (2).

Ce même texte précise, également, ce que recouvrent les modalités de l'implication des salariés. Il s'agit de "l'information, la consultation et, le cas échéant, la participation". En accord avec la priorité accordée au dialogue social, ces modalités sont arrêtées par accord conclu entre les dirigeants des personnes morales participantes ou les personnes physiques participantes et les représentants des salariés. Ce n'est qu'à défaut d'accord que s'appliquent les règles supplétives édictées par la loi. Les négociations précitées exigent donc la constitution d'un groupe spécial de négociation.

B - Le groupe spécial de négociation (GSN)

Le GSN a un rôle fondamental à jouer puisque c'est lui qui, au nom des salariés, va mener les négociations avec les dirigeants sur les modalités de mise en oeuvre de l'implication des salariés dans la SCE. A cette fin, le législateur lui reconnaît expressément la personnalité juridique.

  • Constitution du GSN

Le GSN est institué dès que possible après la publication du projet de fusion ou de transformation ou, s'agissant d'une SCE constituée, par tout autre moyen que la fusion de coopératives ou la transformation d'une coopérative, après l'adoption du projet de constitution de la SCE. Cette prescription constitue la reprise du point 1 de l'article 3 de la Directive, aux termes duquel, lorsque est établi un projet de constitution d'une SCE, les organes de direction des entités participantes "prennent, dès que possible, les mesures nécessaires [...] pour engager des négociations avec les représentants des travailleurs des entités juridiques sur les modalités relatives à l'implication des travailleurs dans la SCE".

S'agissant de la composition et des modalités de désignation des membres du GSN, la loi renvoie aux dispositions correspondantes qui intéressent la SE.

  • Déroulement de la négociation

La négociation s'engage à l'initiative des dirigeants des personnes morales et des personnes physiques participant à la constitution de la SCE qui invitent le GSN à se réunir. Les "fondateurs" communiquent, à cet effet, aux représentants du personnel et aux dirigeants des établissements et filiales concernés, qui en informent directement les salariés en l'absence du personnel, l'identité des personnes morales et des personnes physiques participantes, ainsi que le nombre de salariés qu'elles emploient.

Débutant dès que le GSN est constitué, les négociations peuvent se poursuivre pendant les six mois qui suivent. Les parties peuvent, cependant, décider, d'un commun accord, de prolonger ces négociations sans pouvoir dépasser un an. Durant la phase de négociations, le GSN est régulièrement informé du processus de création de la SCE.

Les moyens matériels mis à la disposition des membres du GSN sont classiques. Tout d'abord, le temps passé en réunion par les membres du GSN est considéré comme temps de travail et payé à l'échéance normale. De même, les dépenses nécessaires à la bonne exécution de la mission du GSN sont à la charge des personnes participant à la constitution de la SCE. Enfin, le texte permet au GSN de se faire assister, à tout niveau qu'il estime approprié, d'experts de son choix, qui participent aux réunions du groupe à titre consultatif. Le législateur s'est, ici, montré généreux, en ouvrant très largement la faculté de se faire assister par des experts. Les dépenses afférentes sont à la charge des personnes morales et, le cas échéant, des personnes physiques participant à la constitution de la société.

Le GSN prend ses décisions à la majorité absolue de ses membres, qui doit représenter, également, la majorité absolue des salariés des personnes participantes, ainsi que des filiales ou établissements concernés. On retrouve, ici, le principe de "la double majorité", déjà en vigueur pour la SE. De même, le GSN peut décider de ne pas engager de négociations ou de clore des négociations déjà engagées et d'appliquer le système d'implication des salariés tel qu'il est organisé par les législations nationales. Cette décision doit, toutefois, être prise par le GSN à la majorité des deux tiers des membres du GSN d'au moins deux Etats membres et à la condition qu'ils représentent au moins les deux tiers des salariés des personnes morales ou des personnes physiques participantes, ainsi que des filiales et établissements concernés.

Il faut bien comprendre que dans ce cas les dispositions supplétives, dites aussi "de référence", ne sont pas applicables. Aussi, une telle décision ne peut-elle être prise dans le cas d'une SCE constituée par transformation lorsqu'il existe un système de participation dans la coopérative qui doit être transformée.

C - Dispositions relatives à l'accord

Là encore, le législateur a repris les dispositions régissant la SE. En effet, il est indiqué que "les dirigeants de chacune des personnes morales participantes et, le cas échéant, les personnes physiques participantes négocient avec le GSN en vue de parvenir à un accord dont le contenu est fixé conformément aux dispositions de l'article L. 439-32 [du Code du travail]" (3).

L'une des rares nouveautés du texte réside dans l'affirmation, au demeurant peu claire, selon laquelle "l'accord inclut dans les cas de renégociation l'hypothèse des modifications intervenues postérieurement à la constitution de la société coopérative européenne et touchant à sa structure, ainsi qu'à celle de ses filiales et de ses établissements".

L'article L. 439-56 du Code du travail, issu de la loi n° 2008-89 du 30 janvier 2008 (C. trav., L. 2362-12, recod.), met en oeuvre le fameux principe "avant-après", qui était déjà à l'oeuvre dans la SE. En effet, il est prévu que, lorsque la SCE est constituée par transformation d'une coopérative, l'accord doit prévoir un niveau d'information, de consultation et de participation, au moins, équivalent à celui existant dans la coopérative qui doit être transformée.

Le principe "avant-après" permet de préserver les droits acquis en matière d'implication des salariés dans les décisions, mais, aussi, de prévenir toute dérive du système par la voie de la création d'une SCE, qui ne serait justifiée que par le souci d'échapper à des règles nationales trop contraignantes. Il s'agit, aussi, de ne pas imposer à un Etat des règles de représentation des travailleurs qui lui seraient par trop étrangères.

La sanction du non-respect du principe qui vient d'être évoqué est rigoureuse, puisque l'accord conclu en violation de celui-ci est nul. Dans ce cas, ce sont les dispositions supplétives de la loi qui trouvent à s'appliquer.

Lorsque la participation concerne au moins 25 % du nombre total de salariés des personnes participantes, en cas de constitution d'une SCE par voie de fusion, ou au moins 50 % de ce nombre total, en cas de constitution par tout autre moyen (4), la majorité requise est celle des deux tiers, dans les conditions envisagées précédemment, si le GSN envisage de fixer un nombre ou une proportion des membres de l'organe de surveillance ou d'administration par lesquels les salariés exercent leurs droits à participation à un niveau inférieur à celui qui était le plus élevé au sein de l'une des entités participantes.

Cette dernière disposition, dont la clarté laisse pour le moins à désirer (5), démontre que l'accord peut conduire à une réduction des droits à participation, nonobstant le principe "avant-après". Mais, les conditions spéciales de majorité permettent autant que faire ce peut de le préserver.

D - Dispositions relatives à l'implication des salariés en l'absence d'accord

Lorsque les négociations ont échoué (6), les dispositions supplétives s'appliquent. Dans ce cas, la SCE ne peut être immatriculée, et donc n'exister, que si les parties décident de mettre en oeuvre les dispositions relatives à l'implication des salariés en l'absence d'accord et celles applicables postérieurement à l'immatriculation de la SCE (v. infra).

S'agissant des dispositions relatives à l'implication des salariés en l'absence d'accord, est, tout d'abord, prévue l'institution d'un "comité de la société coopérative européenne", doté de la personnalité juridique. Ce comité ressemble, traits pour traits, à celui de la SE. La loi précise, d'ailleurs, que la composition, la compétence, les attributions et les règles de fonctionnement du comité de la SCE sont fixées conformément aux dispositions des articles L. 439-35 à L. 439-41 du Code du travail (N° Lexbase : L7817HB7 ; C. trav., L. 2353-7 à L. 2353-12, recod. N° Lexbase : L0992HXZ).

Ensuite, l'échec des négociations impose de respecter les dispositions supplétives relatives à la participation (7). Il convient, ici, de distinguer deux cas :

- le premier concerne les SCE constituées par transformation. S'il existe déjà un système de participation dans la coopérative existante, le niveau des droits doit être au moins équivalent à celui dont bénéficiaient les salariés, conformément au principe "avant-après" ;

- le second concerne tous les autres moyens de création d'une SCE. Lorsque la participation au sein des personnes morales participantes atteint les seuils fixés au troisième alinéa de l'article L. 439-57 du Code du travail, issu de la loi n° 2008-89 du 30 janvier 2008, la forme applicable de participation est déterminée après un examen des différents systèmes nationaux existant au sein des personnes morales participantes. Si ces différents systèmes ont en commun une seule forme de participation, elle doit être retenue. Si plusieurs formes de participation coexistent, le GSN doit déterminer, parmi ces différentes formes, laquelle sera retenue pour la SCE. A défaut d'accord, les dirigeants de la SCE déterminent la forme de participation applicable.

Dans le cas où la forme de participation choisie consiste en l'élection de membres du conseil d'administration ou, le cas échéant, du conseil de surveillance, la procédure se déroule conformément aux dispositions des articles L. 225-28 à L. 225-34 (N° Lexbase : L5899AIC) et L. 225-80 (N° Lexbase : L5951AIA) du Code de commerce.

E - Dispositions applicables aux SCE non soumises à l'obligation de constitution d'un GSN

En application de l'article L. 439-62 du Code du travail, issu de la loi n° 2008-89 du 30 janvier 2008 (L. 2363-11, recod.), l'ensemble des dispositions qui viennent d'être évoquées ne sont pas applicables lorsque la SCE est constituée exclusivement par des personnes physiques ou par une seule personne morale et plusieurs personnes physiques, employant ensemble moins de cinquante salariés ou cinquante salariés et plus mais au sein d'un seul Etat membre (8).

Les structures de petite taille font, ainsi, l'objet d'un traitement spécifique qui, il faut le remarquer, n'existe pas à propos de la SE. Dans les SCE mentionnées à l'article L. 439-62, l'implication des salariés est déterminée dans les conditions suivantes :

- au sein de la SCE, l'information et la consultation sont régies par les dispositions du Code du travail relatives aux délégués du personnel et au comité d'entreprise. La participation est, quant à elle, organisée, le cas échéant, selon les dispositions du Code de commerce, la répartition des sièges au sein du conseil d'administration ou au conseil de surveillance étant effectuée proportionnellement au nombre de salariés employés dans chaque Etat membre ;

- au sein des filiales et établissements de la SCE, l'information et la consultation sont régies par les dispositions applicables dans l'Etat membre dans lequel ces filiales et établissements sont situés.

Cela étant, même dans les SCE de "petite taille", telles que définies par l'article L. 439-62, il est possible de mettre en oeuvre les dispositions relatives au GSN et à la négociation de l'implication des salariés. Pour cela, il faut qu'au moins un tiers des salariés de la SCE et de ses filiales et établissements, employés dans, au moins, deux Etats membres, le demande ou que le seuil de cinquante salariés dans au moins deux Etats membres soit atteint ou dépassé.

F - Dispositions relatives à la participation des salariés à l'assemblée générale ou aux assemblées de section ou de branche

L'article L. 439-68 du Code du travail, issu de la loi n° 2008-89 du 30 janvier 2008 (L. 2362-18, recod.), constitue une disposition spécifique, sans équivalent pour la SE. Elle procède de la transposition de l'article 9 de la Directive de 2003 qui donne la possibilité aux salariés et à leurs représentants de participer à l'assemblée générale ou aux assemblées de section ou de branche (9). En effet, le Règlement de 2003, relatif au statut de la SCE, admet une telle possibilité, en imposant, toutefois, que la loi de l'Etat du siège le prévoit et que les travailleurs ne contrôlent pas plus de 15 % du total des droits de vote.

G - Dispositions communes

L'article L. 439-69 du Code du travail, issu de la nouvelle loi, rend applicables aux SCE trois dispositions intéressant les SE. Il s'agit, notamment, de l'article L. 439-43 du Code du travail (N° Lexbase : L7825HBG) (10), selon lequel, lorsqu'une SE est une entreprise ou un groupe d'entreprises de dimension communautaire, qui entre dans le champ d'application des entreprises soumises à la législation sur le comité d'entreprise européen, les dispositions relatives à l'implication dans la SE ne sont pas applicables (11). En revanche, le deuxième alinéa de l'article L. 439-69 précise qu'à titre dérogatoire, lorsque le GSN prend la décision de ne pas engager de négociations ou de clore des négociations déjà engagées, les dispositions relatives au comité d'entreprise européen ou à la procédure d'information et de consultation dans les entreprises de dimension communautaire s'appliquent.

L'article L. 439-70 du Code du travail, issu de la loi n° 2008-89 du 30 janvier 2008 (C. trav., art. L. 2362-9, recod.), concerne les obligations de discrétion et de secret professionnel qui, en vertu de l'article L. 432-7 (N° Lexbase : L6414ACK ; C. trav., art. L. 2352-15, recod. N° Lexbase : L0975HXE), pèsent sur les membres du comité d'entreprise et les représentants syndicaux. Au sein de la SCE, les obligations précitées concernent les membres du GSN et du comité de la société, ainsi que les experts qui les assistent. Il en va de même pour les représentants des salariés siégeant au sein de l'organe d'administration ou de surveillance ou participant à l'assemblée générale ou aux assemblées de section ou de branche.

Enfin, et la disposition est importante, l'article L. 439-71 du Code du travail, issu de nouvelle loi (C. trav., art. L. 2362-9 et L. 2364-5, recod.), dispose que les membres du GSN et de l'organe de représentation des salariés au sein de la SCE bénéficient du statut protecteur exorbitant du droit commun. Sont, également, protégés contre le licenciement, les représentants des salariés au conseil d'administration ou de surveillance ainsi que les représentants des salariés participant aux assemblées générales.

H - Dispositions applicables postérieurement à l'immatriculation de la SCE

En vertu de l'article L. 439-72 du Code du travail, issu de la loi n° 2008-89 du 30 janvier 2008 (C. trav., art. L. 2364-2 recod.), dans les SCE soumises à l'obligation de constituer un GSN, le comité de la SCE examine, au plus tard quatre ans après son institution, s'il convient d'engager des négociations en vue de conclure un accord relatif à l'implication des salariés (12). Dans ce cas de figure, le comité fait office de GSN et reste en fonction tant qu'il n'a pas été renouvelé ou remplacé.

L'article L. 439-73 du Code du travail, issu de la loi n° 2008-89 du 30 janvier 2008, prévoit une faculté de convocation du GSN à la demande des salariés. Cette possibilité est ouverte lorsque le GSN a pris la décision de ne pas engager de négociations ou de clore celles qui l'avaient été. A moins que les parties ne conviennent de rouvrir la négociation plus rapidement, au plus tôt deux ans après la décision du GSN, il doit être convoqué par le dirigeant de la SCE si au moins 10 % des salariés de la SCE, de ses filiales et établissements ou de leurs représentants en font la demande.

L'article L. 439-74, issu de la même loi, vise les changements susceptibles d'intervenir dans la structure de l'entreprise, la localisation de son siège ou le nombre de salariés qu'elle emploie, postérieurement à son immatriculation. Si ces changements sont de nature à affecter substantiellement la composition du comité de la SCE ou les modalités d'implication des travailleurs arrêtées par l'accord, une nouvelle négociation doit être engagée.

Pour en terminer avec la SCE, il convient de relever qu'il est fait extension au comité de la SCE des dispositions relatives au "délit d'entrave".

A quelques rares exceptions près, il apparaît que les dispositions relatives à l'implication des salariés dans la SCE constituent le décalque de celles qui intéressent les SE. Par suite, les critiques qui avaient pu être formulées à l'encontre des secondes valent nécessairement pour les premières. La critique majeure qui peut être faite réside, évidemment, dans la complexité des mécanismes mis en oeuvre. Cette complexité, qu'il était, cependant, difficile d'éviter afin de dépasser les blocages sur la question de l'implication des salariés, peut constituer un répulsif sérieux pour ceux qui seraient intéressés par la constitution d'une SCE. Le peu de succès rencontré, jusqu'à présent, par la SE, au moins dans notre pays, laisse augurer d'un succès tout aussi relatif pour la SCE.

II La protection des travailleurs salariés en cas d'insolvabilité de l'employeur

C'est, également, avec un certain retard (13) que la loi du 30 janvier 2008 transpose la Directive 2002/74/CE du 23 septembre 2002 (N° Lexbase : L9629A4E), modifiant la Directive 80/987/CEE du 20 octobre 1980 (N° Lexbase : L9435AUY), relative à la protection des travailleurs salariés en cas d'insolvabilité de l'employeur.

La Directive de 1980 fait obligation aux Etats membres de l'Union européenne de mettre en place des institutions de garantie des créances salariales détenues par les travailleurs sur des employeurs en situation d'insolvabilité. Dans notre système juridique, l'assurance de garantie des salaires est gérée par l'Association pour la gestion du régime d'assurance des créances salariales (AGS) (14).

La Directive du 23 septembre 2002 est venue apporter un certain nombre de modifications à la Directive de 1980. Parmi celles-ci, il doit être fait mention de la précision selon laquelle, dans le cas des entreprises en état d'insolvabilité ayant des activités sur le territoire d'au moins deux Etats membres, l'institution compétente pour garantir les créances salariales impayées est celle de l'Etat membre sur le territoire duquel les salariés exercent ou exerçaient habituellement leur travail. De même, les droits de ces salariés en matière de garantie sont déterminés par le droit régissant l'institution de garantie, c'est-à-dire le droit national de leur pays de travail.

Ainsi qu'il a été relevé, "il s'agit donc de régler les 'situations transnationales' en posant une règle de compétence exclusive pour la mise en oeuvre de la garantie des salaires : le lieu d'exercice du travail des salariés (et non la localisation de l'entreprise qui détermine le pays où la procédure de faillite est conduite)" (15).

Il convient de relever, avant d'aborder les dispositions légales de transposition, que la Cour de cassation avait, en quelque sorte, pris les devants. Reprenant une jurisprudence de la CJCE (16), la Chambre sociale a, en effet, décidé, dès 2002, que devaient bénéficier de l'AGS les salariés de l'établissement secondaire français d'une entreprise de droit italien déclarée en faillite par un tribunal italien (17). Une décision plus récente a confirmé que, s'agissant de la compétence territoriale de l'AGS, c'est le critère du lieu d'exécution du travail qui doit être retenu (18).

A - Les règles de principe

Au regard de ces arrêts, la loi de 2008 n'apporte donc pas d'innovation majeure, au moins sur le plan des principes. Ainsi, au terme de l'alinéa 1er de l'article L. 143-11-10 du Code du travail, issu de la loi n° 2008-89 du 30 janvier 2008 (C. trav., art. L. 3253-18-1, recod.), "les institutions de garantie [...] assurent [...] le règlement des créances impayées des salariés qui exercent ou exerçaient habituellement leur activité sur le territoire français pour le compte d'un employeur dont le siège social, s'il s'agit d'une personne morale, ou, s'il s'agit d'une personne physique, l'activité ou l'adresse de l'entreprise, est situé dans un autre Etat membre de la Communauté européenne ou de l'Espace économique européen, lorsque cet employeur se trouve en état d'insolvabilité".

L'alinéa 2 de la disposition précitée prend soin de définir la notion "d'employeur se trouvant en état d'insolvabilité". L'état d'insolvabilité est constitué quand :

- l'ouverture d'une procédure collective prévue par les dispositions législatives, réglementaires et administratives locales a été demandée ;

- cette procédure entraîne le dessaisissement partiel ou total de l'employeur et la désignation d'un syndic ou de toute personne exerçant une fonction similaire à celle du mandataire judiciaire, de l'administrateur judiciaire ou du liquidateur ;

- l'autorité compétente a soit décidé l'ouverture de la procédure, soit constaté la fermeture de l'entreprise avec un actif insuffisant pour justifier une procédure.

S'agissant des créances garanties, la loi renvoie aux dispositions de l'article L. 143-11-1 du Code du travail (N° Lexbase : L7703HBW ; C. trav., art. L. 3253-8, recod. N° Lexbase : L1561HX4). Toutefois, les délais prévus par ce texte sont allongés puisqu'ils passent à trois mois, au lieu de quinze jours ou un mois. Relevons que l'article L. 143-11-2 (N° Lexbase : L5766ACK), qui permet de couvrir les créances résultant du licenciement des salariés protégés, n'est pas visé par le nouveau texte. Toutefois, l'allongement des délais de prise en compte des créances à trois mois après le jugement pour tous les licenciements de salariés paraît suffisant pour écarter tout risque pour les salariés protégés (19).

B - Les modalités de paiement des créances salariales

En vertu de l'article L. 143-11-12 du Code du travail, issu de la loi n° 2008-89 du 30 janvier 2008 (C. trav., art. L. 3253-18-5, recod.), l'AGS verse les sommes dues sur présentation des relevés des créances impayés établis par le syndic étranger ou équivalent. Les relevés doivent indiquer le montant des cotisations et contributions sociales salariales.

Il est important de souligner que les sommes sont directement versées aux salariés dans les huit jours suivant la réception des relevés de créances. Elles ne transitent donc pas par le syndic étranger (20). Cette règle répond à un souci de simplicité et de rapidité. Elle renforce, également, la protection des salariés, dans la mesure où certains pays, tel le Royaume-Uni, ne traitent pas les créances salariales comme des créances privilégiées, au risque que les sommes en cause soient réintégrées aux actifs destinées à dédommager l'ensemble des créanciers (21).

Par exception, et de façon logique, l'avance des contributions de l'employeur au financement de la convention de reclassement personnalisé est versée aux organismes d'assurance chômage.

L'AGS devra avancer les sommes visées dans le relevé de créances même en cas de contestation par un tiers. Par ailleurs, elle devra, également, couvrir les créances établies par décision de justice exécutoire, même si les délais de garantie sont expirés (22).

L'article L. 143-11-13 du Code du travail, issu de la loi n° 2008-89 du 30 janvier 2008, déclare applicables aux procédures les articles L. 143-11-3 (N° Lexbase : L0052HDB), L. 143-11-5 (N° Lexbase : L5769ACN) et L. 143-11-8 (N° Lexbase : L7706HBZ) et instaure une subrogation de l'AGS dans les droits des salariés pour lesquels elle a effectué des avances.

Pour conclure, il convient d'apporter deux précisions. Tout d'abord, l'article L. 143-11-15, issu de la nouvelle loi, détermine les obligations de l'AGS en matière d'échanges d'informations. Elle devra répondre à toute demande des institutions de garantie d'un autre Etat membre concernant la réglementation applicable en cas de mise en oeuvre de l'extension de garantie décrite ci-dessus. Ensuite, la loi dispose que les règles nouvelles s'appliquent aux procédures définies à l'article L. 143-11-10 du Code du travail, issu de la loi n° 2008-89 du 30 janvier 2008, ouvertes à compter du premier jour du premier mois suivant la publication de la présente loi.


(1) La loi insère, en outre, un nouvel alinéa à l'article L. 762-1 du Code du travail, en vertu duquel "cette présomption de salariat ne s'applique pas aux artistes reconnus comme prestataires de services établis dans un Etat membre de la Communauté européenne ou dans un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen où ils fournissent habituellement des services analogues et qui viennent exercer leur activité en France, par la voie de la prestation de services, à titre temporaire et indépendant".
(2) Sont, ici, visés les cas dans lesquels le siège social et l'administration centrale de la SCE ne se trouvent pas en France, alors même que des filiales ou établissements de la SCE le sont.
(3) L'accord a, notamment, porté sur : la liste des entités juridiques concernées par l'accord, la composition, le nombre de membres et la répartition des sièges de l'organe de représentation qui est l'interlocuteur de l'organe dirigeant de la société, les attributions et la procédure prévue pour l'information et la consultation de l'organe de représentation, etc.
(4) Exception faite du cas où la SCE est constituée par transformation d'une coopérative.
(5) On trouve le même type de prescription pour la SE.
(6) Il n'y a pas "échec" des négociations, lorsque le GSN a expressément décidé de ne pas engager les négociations ou de clore les négociations engagées.
(7) Il faut comprendre que, dans le triptyque de l'implication, l'information et la consultation relèvent du comité, tandis que la participation découle du respect de ces dispositions.
(8) Les SCE composées de plusieurs personnes morales ne sont donc pas concernées par cette exclusion.
(9) Il s'agit de formations restreintes de l'assemblée générale, réunies en fonction d'un critère territorial ou professionnel.
(10) Sont, également, visés les articles L. 439-44 (N° Lexbase : L7718HBH) et L. 439-45 (N° Lexbase : L7730HBW) du Code du travail. Le premier concerne le décompte des effectifs des sociétés participantes, le second intéresse la compétence du juge français en cas de litige relatif à la désignation des membres du GSN.
(11) C. trav., art. L. 2361-2, recod. .
(12) Sont donc concernées par cette disposition, les SCE d'une grande taille, dans lesquelles aucun accord n'a pu être trouvé et où se trouvent donc applicables les dispositions supplétives.
(13) Pour ne pas dire un retard certain puisque le délai laissé aux Etats membres a expiré le 8 octobre 2005...
(14) C. trav., art. L. 143-11-1 et s. (N° Lexbase : L7703HBW).
(15) D. Fasquelle, Rapport au nom de la Commission des affaires culturelles, familiales et sociales de l'Assemblée nationale sur le projet de loi adopté par le Sénat, relatif à la mise en oeuvre des dispositions communautaires concernant le statut de la société coopérative européenne et la protection des travailleurs salariés en cas d'insolvabilité de l'employeur, décembre 2007. Ainsi que l'indique l'exposé des motifs du projet de loi, l'AGS a été saisie, entre janvier 2002 et décembre 2005, de 104 procédures transfrontalières, qui ont concerné 603 salariés et qui ont donné lieu au versement d'avances d'un montant de 3 779 228 euros.
(16) CJCE, 16 décembre 1999, aff. C-198/98, G. Everson et T.J. Barrass c/ Secretary of State for Trade and Industry et Bell Lines Ltd (N° Lexbase : A0610AWI).
(17) Cass. soc., 2 juillet 2002, n° 99-46.140, AGS de Paris c/ M. Daniel Bonnot, FS-P+B+R (N° Lexbase : A0626AZ9). Voir les obs. de J.-P. Laborde, Le salarié d'un établissement français d'une société soumise à procédure collective à l'étranger peut revendiquer le bénéfice de l'AGS, Lexbase Hebdo n° 77 du 26 juin 2003 - édition sociale (N° Lexbase : N7857AAA).
(18) Cass. soc., 26 avril 2006, n° 03-47.334, AGS de Paris c/ Mme Kiyomi Aoki, F-P+B (N° Lexbase : A2050DPM). Lire les obs. de N. Mingant, Compétence territoriale de l'AGS : le critère unique du lieu d'exécution de la prestation de travail, Lexbase Hebdo n° 214 du 11 mai 2006 - édition sociale (N° Lexbase : N8108AKI).
(19) V. en ce sens, D. Fasquelle, rapp. préc..
(20) A rebours, lorsque le mandataire, administrateur ou liquidateur français, reçoit des sommes d'une institution équivalente à l'AGS située dans un autre Etat membre, il doit les reverser immédiatement aux salariés concernés. Les organes de la procédure doivent, en outre, transmettre à toute institution située dans un autre Etat membre, équivalente à l'AGS, les relevés de créances impayées. L'article L. 143-11-14, issu de la loi du 30 janvier dernier, précise, par ailleurs, que lorsque le syndic étranger ou tout personne exerçant une fonction similaire à celle du mandataire judiciaire, de l'administrateur judiciaire ou du liquidateur a cessé ses fonctions ou lorsque l'entreprise a fermé, l'AGS verse les sommes dues au salarié sur présentation par celui-ci des pièces justifiant le montant de sa créance. Dans ce cas, les dispositions relatives aux relevés des créances ne sont pas applicables.
(21) D. Fasquelle, ibid..
(22) Cette disposition suscite des interrogations quant à son degré d'effectivité (V. D. Fasquelle, rapp. préc.).

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Procédure pénale

[Jurisprudence] A propos de la composition pénale

Réf. : Cass. crim., 20 novembre 2007, n° 07-82.808, Procureur général près la cour d'appel de Paris, F-P+F+I (N° Lexbase : A0863D3D)

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par Dorothée Bourgault-Coudevylle, Maître de conférences à la Faculté de droit de Douai - Université d'Artois

Le 07 Octobre 2010

Chargé de la défense des intérêts de la société, le ministère public est investi du pouvoir d'enclencher les poursuites et d'exercer l'action publique, pour obtenir l'application d'une peine à un délinquant. Le procureur de la République dispose, dans ce cadre, d'un large pouvoir d'appréciation qui l'autorise à ne pas engager de poursuites même dans le cas où l'auteur présumé de l'infraction est connu. L'article 40 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L5531DYI) dispose en ce sens, que le procureur de la République "reçoit les plaintes et dénonciations et apprécie la suite à leur donner". La règle de l'opportunité des poursuites a connu une évolution importante depuis ces vingt dernières années avec l'instauration progressive, d'abord à l'initiative des parquets, puis du législateur, de ce que l'on a appelé la troisième voie. Depuis son introduction dans le Code de procédure pénale à la faveur de la loi du 4 janvier 1993 (loi n° 93-2 portant réforme de la procédure pénale N° Lexbase : L8015H3A) sous la forme de mesures de "médiation-réparation", cette dernière voie n'a eu de cesse de se développer. Au point que la loi du 9 mars 2004 (loi n° 2004-204, portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, dite "Perben II" N° Lexbase : L1768DP8) a finalement rétrogradé le classement sans suite dit sec au rang de troisième voie et a étendu les possibilités de recours aux procédures alternatives aux poursuites afin d'accroître le taux de réponse pénale. L'article 40-1 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L0951DYU) porte la marque de cette évolution lorsqu'il énonce que le procureur de la République décide s'il est opportun "soit d'engager des poursuites, soit de mettre en oeuvre une procédure alternative aux poursuites, soit de classer sans suite la procédure dès lors que les circonstances particulières liées à la commission des faits le justifient". S'agissant plus précisément des alternatives aux poursuites, le procureur de la République dispose, désormais, dans ce cadre, à la fois des alternatives offertes par l'article 41-1 (N° Lexbase : L8616HWZ, le rappel à la loi ; l'orientation de l'auteur des faits vers une structure sanitaire, sociale ou professionnelle ; la demande à l'auteur de régulariser sa situation, la médiation réparation ; l'obligation pour l'auteur des faits de violences dans la famille de résider hors du domicile et de s'abstenir d'y paraître) et de la composition pénale de l'article 41-2 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L8617HW3). D'abord cantonnée à quelques infractions limitativement prévues par loi du 23 juin 1999 (loi n° 99-515, renforçant l'efficacité de la procédure pénale N° Lexbase : L0246ATB), la composition pénale a vu son champ d'application fortement étendu par la loi du 9 mars 2004, ainsi, d'ailleurs, que la liste des mesures susceptibles d'être prononcées au titre de celle-ci. Actuellement, l'article 41-2 du Code de procédure pénale, prévoit que " le procureur de la République, tant que l'action publique n'a pas été mise en mouvement, peut proposer, directement ou par l'intermédiaire d'une personne habilitée, une composition pénale à une personne physique qui reconnaît avoir commis un ou plusieurs délits punis à titre de peine principale d'une peine d'amende ou d'une peine d'emprisonnement d'une durée inférieure ou égale à cinq ans".

C'est cette dernière procédure qui était en cause dans l'arrêt rendu par la Cour de cassation, le 20 novembre 2007.

Un individu, interpellé pour rébellion et outrage envers des personnes dépositaires de l'autorité publique, avait été convoqué devant le délégué du procureur en vue de la mise en oeuvre d'une composition pénale. Après la signature du procès verbal de proposition de composition pénale de l'intéressé, le ministère public, en raison du comportement de celui-ci, n'avait pas saisi le président du tribunal d'une requête en validation, comme le veut normalement cette procédure. Il avait décidé de citer le prévenu devant le tribunal correctionnel, qui le condamna. Le jugement ainsi rendu fut annulé par la cour d'appel de Paris, au motif que le procureur de la République ne pouvait mettre les deux procédures successivement en oeuvre, à défaut de manquement du prévenu à ses engagements pris au titre de la composition pénale. Par une décision en date du 20 novembre 2007, la Chambre criminelle considéra que la cour d'appel avait fait une exacte application de l'article 41-2. Selon la Cour de cassation, lorsque l'auteur des faits a donné son accord aux mesures proposées par le procureur de la République, ce dernier est tenu de saisir le président du tribunal aux fins de validation de la composition et ne recouvre la possibilité de mettre en mouvement l'action publique que si ce magistrat refuse de valider la composition ou si, une fois la validation intervenue, l'intéressé n'exécute pas intégralement les mesures décidées.

L'arrêt ainsi rendu est tout à fait intéressant en ce qu'il permet d'apporter des précisions sur la mise en oeuvre de la règle de l'opportunité des poursuites et précisément sur la faculté pour le représentant du ministère public de modifier le choix initial qu'il a pu faire sur l'action publique.

Il est, en effet, acquis que la décision de déclencher les poursuites, une fois qu'elle a été prise, est irrévocable. La règle tient au fait que l'action publique appartient à la société et, que par conséquent, les magistrats du ministère public n'en ont pas la disposition, mais seulement la mise en mouvement et l'exercice (C. proc. pén., art. 1, al. 1er N° Lexbase : L6997A4W). Il est tout aussi clairement établi que la décision de classement sans suite "n'étant pas un acte juridictionnel et n'ayant pas l'autorité de la chose jugée", le procureur "peut donc, jusqu'à l'expiration du délai de prescription, revenir sur son appréciation, et exercer des poursuites sans avoir à s'en expliquer et à justifier la survenance d'un fait nouveau" (Cass. crim., 6 juin 1952, Bull. crim., n°142).

Mais que décider quand le parquet a fait le choix de mettre en oeuvre une procédure alternative aux poursuites ? Faut-il considérer que, parce qu'il n'y a pas eu déclenchement de l'action publique, le ministère public conserve toute latitude, y compris celle de changer d'option et de déclencher les poursuites ? Ou faut-il considérer qu'un tel choix est irrévocable ? La solution retenue par la Cour de cassation, dans son arrêt du 20 novembre 2007, apparaît médiane: " lorsque l'auteur des faits a donné son accord aux mesures proposées par le procureur de la République, ce dernier est tenu de saisir le président du tribunal aux fins de validation de la composition". A ce stade de la procédure, le parquet est donc lié par le choix effectué. Et, il ne recouvre la possibilité de mettre en mouvement l'action publique que "si ce magistrat refuse de valider la composition ou si, une fois la validation intervenue, l'intéressé n'exécute pas intégralement les mesures décidées".

La position de la Cour de cassation est parfaitement justifiée. Ce n'est pas, en l'occurrence, l'indisponibilité de l'action publique qui fonde la solution mais la nature de la composition pénale. Celle-ci doit, en effet, être analysée comme une transaction proposée par le procureur de la République à l'auteur des faits, constituant en une sanction acceptée par celui-ci et validée par un magistrat du siège (circulaire Crim. 2004-04 E8 du 14 mai 2004 N° Lexbase : L8016H3B). L'acceptation de la mesure de composition proposée scelle, par conséquent, l'accord de volonté entre le ministère public et le délinquant.

Cette procédure alternative effrite indéniablement la sacro-sainte séparation des fonctions de poursuite et de jugement même si les apparences sont sauves. Le parquet exerce indéniablement des taches quasi-juridictionnelles puisqu'il choisit la sanction applicable qui est ensuite soumise à l'acceptation du mis en cause. Certes, le président du tribunal de grande instance, chargé de l'homologation, exerce un contrôle sur la procédure. Il lui appartient de vérifier, notamment, si les faits sont établis et si la qualification des faits est exacte. Mais il ne fait que recouvrir du sceau judiciaire une sanction préalablement arrêtée dans l'acte contractuel. Cet arrêt constitue une illustration particulièrement nette d'un phénomène récent mais, néanmoins, assez marqué de contractualisation du procès pénal. Encore que l'on puisse sérieusement s'interroger sur le bien fondé d'une telle terminologie en raison du déséquilibre contractuel patent entre les différentes parties à l'acte.

Cette décision peut, d'ailleurs, être rapprochée d'un autre arrêt rendu par la Chambre criminelle, le 4 octobre 2006 dans lequel la Cour de cassation avait énoncé que, "lorsque le ministère public met en oeuvre la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, il ne peut concomitamment saisir le tribunal correctionnel selon l'un des modes prévus par l'article 388 dudit code (N° Lexbase : L3795AZL) avant que le prévenu ait déclaré ne pas accepter la ou les peines proposées ou que le président du tribunal ait rendu une ordonnance de refus d'homologation" (Cass. crim., 4 octobre 2006, n° 05-87.435, FS-P+F N° Lexbase : A9745DRD, Droit pénal, n° 2, février 2007, comm. 27, obs. A. Maron). La comparaison entre ces deux arrêts ne doit pas être, toutefois, poussée trop loin. Si les procédures de composition pénale et de ce que l'on appelle parfois "le plaider coupable", par référence au "plea bargaining" du droit anglo-saxon, conduisent toutes deux à la recherche de solutions négociées pour sanctionner la commission d'une infraction, elles ne doivent pas être confondues. La première est une alternative aux poursuites et il ne s'agit pas d'une sanction au sens juridique du terme, mais d'une mesure de composition, tandis que la seconde est une procédure de poursuite simplifiée, mais qui suppose préalablement le déclenchement de l'action publique et qui aboutira au prononcé d'une peine. La solution posée par la Cour de cassation, dans l'arrêt du 4 octobre 2006, s'explique, néanmoins, par la volonté d'entourer cette procédure de toutes les garanties et d'éviter qu'une forme de pression trop directe s'exerce sur le consentement du délinquant le conduisant à accepter la peine proposée par le ministère public par crainte d'être renvoyé devant le tribunal correctionnel. Il y était donc également question d'une certaine forme de contractualisation de la peine.

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