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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la rédaction
Le 27 Mars 2014
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Réf. : Loi n° 2006-457 du 21 avril 2006, sur l'accès des jeunes à la vie active en entreprise (N° Lexbase : L3735HI8)
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Le 07 Octobre 2010
1. Réforme du dispositif soutien à l'emploi des jeunes en entreprise (Seje)
Le Seje, contrat aidé destiné à favoriser l'embauche de jeunes peu ou pas qualifiés dans le secteur marchand, a été institué par la loi du 29 août 2002 (loi n° 2002-1095 du 29 août 2002, portant création d'un dispositif de soutien à l'emploi des jeunes en entreprise N° Lexbase : L6286A4L ; C. trav., art. L. 322-4-6 N° Lexbase : L3120HIE ; circulaire DGEFP, n° 2002-41, du 23 septembre 2002, relative à la mise en oeuvre du dispositif de soutien à l'emploi des jeunes en entreprise N° Lexbase : L7541A43 ; décret n° 2005-221, du 9 mars 2005, relatif au dispositif de soutien à l'emploi des jeunes en entreprise N° Lexbase : L0854G87 ; circulaire DGEFP, n° 2005-10, du 19 mars 2005, relative à la réforme du dispositif de soutien à l'emploi des jeunes en entreprise N° Lexbase : L1478G8A) (3) et a été modifié par la loi du 18 janvier 2005 (loi n° 2005-32 de programmation pour la cohésion sociale N° Lexbase : L6384G49), puis par la loi du 31 mars 2006.
Dans les deux cas, il s'agissait essentiellement d'élargir le champ d'application du dispositif. La loi du 21 avril 2006 poursuit cet élargissement.
1.1. Réformes récentes du contrat Seje
La loi du 18 janvier 2005 a entendu favoriser l'entrée dans le dispositif Seje de jeunes sortis du système scolaire sans qualification (4). Cette catégorie de bénéficiaires ne représentait, en effet, que 20 % de l'ensemble des entrées dans le dispositif.
La loi permet la modulation, en fonction du niveau de formation, du montant de la prime versée à l'employeur. Depuis le 1er avril 2005, pour les salariés à temps plein dont la rémunération est égale au salaire minimum de croissance applicable dans l'entreprise, le montant du soutien de l'Etat (C. trav., art. L. 322-4-6) est fixé à 150 euros par mois, porté à 300 euros par mois pour les salariés d'un niveau de formation V bis ou VI (décret n° 2005-221 du 9 mars 2005, art. 1).
Le montant de l'aide est fixé (C. trav., art. D. 322-8 N° Lexbase : L1474G9H) à 225 euros par mois pour l'embauche d'un salarié à plein temps rémunéré au niveau du Smic. Le montant de l'aide est modulé lorsque le salaire versé est supérieur à ce seuil ou lorsque le salarié travaille à temps partiel. Mais, pour l'embauche de jeunes d'un niveau de formation V bis ou VI, qui n'ont pas achevé un cycle complet de CAP ou BEP ou qui n'ont pas eu accès à la classe de seconde, le montant de l'aide est de 300 euros par mois, qu'ils soient âgés de 16 à 22 ans révolus ou de 23 à 25 ans révolus et bénéficiaires d'un Civis (circulaire DGEFP n° 2005-10 du 19 mars 2005).
Dans le même sens, le législateur a porté de 22 à 25 ans révolus, pour les jeunes sans qualification bénéficiant du Civis, l'âge maximum d'accès au dispositif Seje (5). Le jeune doit être âgé de 16 à 22 ans révolus (jusqu'au 23ème anniversaire) au moment de la conclusion du contrat de travail. La limite d'âge est portée à 25 ans révolus (jusqu'au 26ème anniversaire) pour un jeune d'un niveau de formation VI ou V bis, sous réserve d'être bénéficiaire de l'accompagnement personnalisé dans le cadre du Civis (circulaire DGEFP n° 2005-10 du 19 mars 2005).
L'article 25 de la loi du 31 mars 2006 a opéré un nouvel infléchissement. Le dispositif du Seje est étendu, sans condition de qualification, à l'ensemble des jeunes de 16 à 25 ans révolus résidant en zone urbaine sensible (Zus). De plus, la loi du 31 mars 2006 a unifié les conditions d'âge régissant l'accès au Seje en étendant son champ d'application aux contrats signés avec l'ensemble des jeunes de 16 à 25 ans dont le niveau de formation est inférieur à celui d'un diplôme de fin de second cycle long de l'enseignement général, technique ou professionnel. Les jeunes sans qualification bénéficiant du Civis, auparavant expressément désignés par la loi, sont englobés dans ce champ d'application.
Il a aussi été prévu que le montant de la prime puisse être modulé non seulement en fonction du niveau de formation des bénéficiaires mais, aussi, en fonction de leur adhésion au Civis et de leur résidence dans une zone urbaine sensible. Enfin, l'accès au Seje a été étendu, jusqu'au 1er janvier 2007, à l'ensemble des jeunes au chômage depuis plus de 6 mois au 16 janvier 2006.
1.2. Nouvelle réforme du Seje par la loi du 21 avril 2006
La loi du 21 avril 2006 modifie les éléments suivants du régime juridique du Seje :
- le contrat Seje pourra, désormais, être signé avec des jeunes titulaires du Civis, lui-même modifié ;
- l'aide de l'Etat sera accordée pour une durée de 2 ans et non plus 3 ans. Cette diminution devrait provoquer une diminution de l'aide globale reçue par les employeurs. Les auteurs de la proposition de loi avaient souhaité que le montant versé soit fixé à 400 euros par mois pendant la première année et à 200 euros pendant la seconde. Ainsi, l'aide atteindrait-elle, au total, un montant de 7 200 euros (400 x 12 + 200 x 12) contre 9 000 euros (300 x 24 + 150 x 12) dans le dispositif actuel. La loi finalement adoptée n'a pas retenu cette solution.
Si le principe de l'interdiction de cumul de ces aides avec une autre aide de l'Etat à l'emploi est maintenu, la loi précise que les employeurs embauchant des jeunes en contrat de professionnalisation à durée indéterminée pourront bénéficier du dispositif Seje. Les actions de formation entreprises au titre du contrat de professionnalisation sont financées par l'organisme paritaire collecteur agréé (OPCA) dont relève l'employeur. Le financement est calculé sur la base de forfaits horaires fixés par accord conventionnel ou, à défaut, sur une base de 11,15 euros par heure.
Dans le cas où l'employeur attribue un tuteur à la personne recrutée, ce qui est pour lui une possibilité et non une obligation, l'OPCA peut, également, financer tout ou partie de la formation éventuellement suivie par le tuteur à hauteur de 15 euros par heure, dans la limite de 40 heures, et couvrir une partie du coût lié à l'exercice des fonctions de tuteur à raison de 230 euros par mois au maximum, pendant 6 mois au plus.
2. Réforme du Civis
Le Civis, inséré dans le Code du travail par la loi de cohésion sociale, est un contrat d'accompagnement conclu entre un jeune de 16 à 25 ans ayant un niveau de qualification insuffisante et rencontrant des difficultés particulières d'insertion sociale et professionnelle et l'Etat (représenté soit par une mission locale pour l'insertion professionnelle et sociale des jeunes, soit par une permanence d'accueil, d'information et d'orientation). Le bilan doctrinal du Civis est très contrasté : peu ou pas d'attention portée par la doctrine juridique au Civis, mais un rapport rédigé par l'Igas en 2003 (6), dont ni le législateur, ni le pouvoir réglementaire ne se sont vraiment inspirés.
2.1. Régime actuel
Le Civis comporte trois dispositifs :
- un volet destiné aux associations, visant les jeunes porteurs d'un projet social ou humanitaire, non visé par la loi de cohésion sociale (décret n° 2003-644 du 11 juillet 2003, relatif à l'insertion des jeunes dans la vie sociale N° Lexbase : L9288BHH (7) ; C. trav., art. D. 322-10-5 N° Lexbase : L1358G98 à D. 322-10-8 N° Lexbase : L1455G9R) ;
- un volet "accompagnement vers l'emploi", dans le prolongement de feu le programme Trace (abrogé par l'article 138 de la loi n° 2003-1311 du 30 décembre 2003, loi de finances pour 2004 N° Lexbase : L6348DM3), et jamais mis en oeuvre, faute de décret d'application ;
- et, enfin, un volet "aide à la création d'entreprise" (article 138 de la loi de finances 2004, là aussi jamais mis en oeuvre, faute de décret d'application).
La loi de cohésion sociale a uniquement réactivé la deuxième dimension du Civis, le volet accompagnement (formule abrégée, Civis accompagnement). Le Civis accompagnement est régi par trois dispositions législatives et réglementaires : la loi de cohésion sociale n° 2005-32 du 18 janvier 2005, le décret n° 2005-241 du 14 mars 2005 et, enfin, la circulaire DGEFP n° 2005-09 du 19 mars 2005.
- Régime du Civis accompagnement
La loi de cohésion sociale a ouvert aux jeunes de 16 à 25 ans, dont le niveau de qualification est inférieur ou équivalent à un diplôme de fin de second cycle long de l'enseignement général, technologique ou professionnel ou n'ayant pas achevé le premier cycle de l'enseignement supérieur et rencontrant des difficultés particulières d'insertion sociale et professionnelle, le bénéfice du Civis accompagnement, conclu avec l'Etat (C. trav., art. L. 322-4-17-3 N° Lexbase : L8954G7R).
Le Civis accompagnement est signé au nom de l'Etat (et non des régions) par le représentant légal de la mission locale pour l'insertion professionnelle et sociale des jeunes ou de la permanence d'accueil, d'information et d'orientation, ou toute personne dûment habilitée par lui et par le bénéficiaire de l'accompagnement. Le Civis accompagnement est conclu pour une durée d'un an, renouvelable pour une durée maximale d'un an lorsque l'objectif d'insertion professionnelle n'est pas atteint. Pour les jeunes de niveau de formation VI ou V bis, il peut être renouvelé par périodes successives d'une année, jusqu'à la réalisation du projet d'insertion professionnelle. Jusqu'alors, la durée maximale d'un Civis était de 2 ans, non renouvelable.
Le nouveau régime juridique du Civis accompagnement, fixé par la loi de cohésion sociale et le décret du 14 mars 2005, modifie sensiblement la durée du contrat Civis.
Le Civis accompagnement prévoit les engagements du bénéficiaire pour la mise en oeuvre de son projet d'insertion professionnelle, les actions engagées par l'Etat et les modalités de leur évaluation. Il peut être précédé d'une période d'orientation de 3 mois au cours de laquelle est élaboré le projet d'insertion. Les actions menées dans le cadre de ce projet comprennent des mesures de lutte contre l'illettrisme (C. trav., art. L. 322-4-17-3). Pour les jeunes d'un niveau de formation VI ou V bis, l'accompagnement personnalisé et renforcé est assuré par un référent. Il vise, en priorité, l'orientation et l'insertion vers les métiers en développement ou les secteurs d'activités pour lesquels sont identifiées des difficultés de recrutement (C. trav., art. D. 322-10-6 N° Lexbase : L1359G99).
Les bénéficiaires d'un Civis accompagnement sont affiliés au régime général de Sécurité sociale pour les périodes pendant lesquelles ils ne sont pas affiliés, à un autre titre, à un régime de Sécurité sociale. Les jeunes peuvent bénéficier d'un soutien de l'Etat sous la forme d'une allocation versée pendant les périodes durant lesquelles les intéressés ne perçoivent ni une rémunération au titre d'un emploi ou d'un stage, ni une autre allocation. Le bénéfice de l'allocation est ouvert pour toute la durée du contrat, dans la limite de 900 euros par an. Son montant mensuel est proposé par le représentant légal de la mission locale pour l'insertion professionnelle et sociale des jeunes ou de la permanence d'accueil, d'information et d'orientation, ou toute personne dûment habilitée par lui, à partir du nombre de jours pendant lesquels le bénéficiaire n'a perçu aucune des rémunérations ou allocations, à raison d'un montant minimum de 5 euros par jour et d'un montant maximum de 10 euros par jour. Le montant mensuel versé ne peut excéder 300 euros (C. trav., art. D. 322-10-9 N° Lexbase : L1454G9Q).
2.2. Réforme du Civis par la loi du 21 avril 2006
Le Civis peut, désormais, être conclu par toute personne de 16 à 25 ans révolus rencontrant des difficultés particulières d'insertion sociale et professionnelle. Les conditions tenant au niveau de formation sont supprimées. Sont visés, notamment, les jeunes dont le niveau de qualification est inférieur ou équivalent à un diplôme de fin de second cycle long, ou n'ayant pas achevé le premier cycle de l'enseignement supérieur, ainsi que ceux qui se trouvent au chômage depuis plus de 6 mois.
La personne éligible bénéficie du Civis à sa demande. La rédaction précédente de l'article L. 322-4-17-3 du Code du travail comportait la formulation "peut bénéficier". Le Civis serait ainsi présenté comme un droit.
La loi du 21 avril 2006 énonce, par ailleurs, de façon synthétique l'objet de ce contrat : l'accompagnement personnalisé.
Le législateur a prévu que cet accompagnement est assuré, au sein d'une mission locale pour l'insertion professionnelle et sociale des jeunes, ou d'une permanence d'accueil, d'information et d'orientation, par un référent. Celui-ci établit avec le bénéficiaire du contrat, dans un délai de 3 mois à compter de sa signature, un parcours d'accès à la vie active. Seuls les bénéficiaires de niveaux V bis et VI bénéficiaient jusqu'à présent de l'accompagnement par un référent.
La loi du 21 avril 2006 énumère les quatre voies que le référent a la possibilité de proposer au titre du parcours d'accès à la vie active : un emploi, notamment en alternance, précédé, lorsque cela est nécessaire, d'une période de formation préparatoire ; une formation professionnalisante pouvant comporter des périodes en entreprise, dans un métier pour lequel des possibilités d'embauche sont repérées ; une action spécifique, pour les personnes connaissant des difficultés particulières d'insertion ; une assistance renforcée dans la recherche d'emploi ou la démarche de création d'entreprise, apportée par l'un des organismes mentionnés au troisième alinéa de l'article L. 311-1 (ces organismes sont ceux dont l'objet est la fourniture de services relatifs au placement, à l'insertion, à la formation et à l'accompagnement des demandeurs d'emploi, ceux liés à l'Etat par une convention en vue du développement de l'insertion par l'activité économique, les entreprises de travail temporaire ou les agences de placement privées).
L'accompagnement peut être poursuivi pendant un an après l'accès à l'emploi.
Enfin, un décret d'application fixera les caractéristiques des personnes pouvant bénéficier de l'accompagnement (ce qui signifie que le décret précisera le contenu de la notion de "personne de 16 à 25 ans révolus rencontrant des difficultés particulières d'insertion sociale et professionnelle"), ainsi que la nature des engagements des parties, la durée maximale du contrat et les conditions de son renouvellement. La modulation en fonction des catégories de bénéficiaires n'est plus retenue.
La première observation conclusive se présente sous la forme d'un regret : celle que le législateur, dans sa précipitation, n'ait pas saisi l'occasion d'une réforme du Civis pour examiner des pistes de réflexion rendues publiques en 2003 (8). Les auteurs avaient formulé une demande d'adaptation des outils d'insertion sociale et professionnelle périphériques au Civis :
- sur l'accès au logement (les difficultés dans l'accès au logement sont soulignées, en particulier, en termes de disparités selon les départements dans l'attribution du fonds de solidarité logement. Des solutions peuvent cependant être mises en oeuvre vis-à-vis des jeunes peu ou non solvables, portant, notamment, sur des garanties du risque, des aides financières à l'accès au logement, l'accueil des jeunes en grande difficulté, la "solvabilisation" par les aides au logement ou le dispositif 1 % logement) ;
- sur les questions de santé (les problèmes de santé devraient faire l'objet d'une attention particulière lors de la conclusion d'un Civis).
Le rapport avait émis quelques propositions, autant de pistes d'amélioration intéressantes : étudier la possibilité d'une programmation par tranches du dispositif Civis ; instituer un dispositif lisible quant aux rôles et aux modalités d'intervention des collectivités territoriales ; offrir un cadre de contractualisation avec le jeune réciproque simple et clair ; instituer l'obligation d'un bilan en cours de parcours ; garantir une réelle formation ; systématiser le recours au double accompagnement ; sélectionner et accompagner les associations employeurs ; favoriser une orientation prioritaire des jeunes bac+2 sans diplôme universitaire vers le volet 2 du Civis ; renforcer les politiques d'accès au logement ; intégrer plus étroitement la VAE dans le déroulement du Civis ; faire participer les réseaux consulaires (...).
La seconde observation conclusive entend répondre à l'une des critiques formulées à l'encontre de feu le contrat première embauche (CPE), en ce que le législateur aurait été bien mieux avisé de mettre en place une réforme globale de l'emploi, sans discriminer et distinguer selon ses bénéficiaires, notamment les jeunes. Le CPE encourait donc le reproche d'être discriminatoire, contraire à l'égalité entre tous quant à l'accès au marché du travail, cristallisant sur le marché du travail une catégorie, les jeunes. Les économistes et statisticiens s'accordent sur la nécessité d'un ciblage des politiques de l'emploi, condition de son efficacité (9).
Christophe Willmann
Professeur à l'Université de Haute Alsace
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
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Réf. : Loi n° 2006-387 du 31 mars 2006, relative aux offres publiques d'acquisition (N° Lexbase : L9533HHK)
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Le 07 Octobre 2010
Antérieurement à la réforme sous examen, l'alinéa 4 de l'article L. 432-1 du Code du travail (N° Lexbase : L8852G7Y) disposait qu'"en cas de dépôt d'une offre publique d'achat ou d'une offre publique d'échange portant sur une entreprise, le chef de cette entreprise réunit immédiatement le comité pour l'en informer [...]" (2).
Désormais, et c'est la première modification apportée par la loi du 31 mars 2006, cette même procédure devra également être respectée par le chef de l'entreprise qui est l'auteur de l'offre (3). Toutefois, et ainsi que le précise ensuite le texte, "le chef de l'entreprise auteur de l'offre réunit le comité d'entreprise dans les conditions prévues à l'article L. 432-1 ter du présent code" (N° Lexbase : L8854G73). Issu de la loi "Borloo" du 18 janvier 2005 (loi n° 2005-32 de programmation de la cohésion sociale), cet article dispose que, par dérogation à l'article L. 431-5 (N° Lexbase : L8867G7K), le chef d'entreprise n'est pas tenu de consulter le comité d'entreprise avant le lancement d'une OPA (4) sur le capital d'une entreprise. En revanche, il doit réunir le comité dans les 2 jours ouvrables suivant la publication de l'offre, en vue de lui transmettre des informations écrites et précises sur le contenu de l'offre et sur les conséquences en matière d'emploi qu'elle est susceptible d'entraîner.
La confrontation des articles L. 432-1, alinéa 4, nouveau (N° Lexbase : L0041HDU), et L. 432-1 ter, suscite des interrogations relativement à l'intervention du comité de l'entreprise auteur de l'offre. Remarquons que le premier de ces textes vise l'information du comité, tandis que le second a trait à sa consultation. On ne peut que regretter cette incohérence (5), dans la mesure où il y a là deux prérogatives différentes, qui n'emportent pas les mêmes obligations pour le chef de l'entreprise auteur de l'offre. Le législateur crée ainsi une difficulté qui ne se posait pas avant la réforme.
Antérieurement, en effet, il ne faisait guère de doute que le chef de l'entreprise auteur de l'offre était tenu de consulter son comité d'entreprise en application des dispositions générales des alinéas 1 et 3 de l'article L. 432-1 (6). Or, désormais, certains pourraient être tentés de se fonder sur la nouvelle rédaction de l'alinéa 4 de ce même texte et sur l'adage specialia generalibus derogant pour se limiter à une simple information du comité dans les conditions de l'article L. 432-1 ter. Il nous semble, toutefois, que c'est bien la consultation du comité d'entreprise qui devra être toujours menée dans une telle hypothèse, ne serait-ce que par prudence.
Notons que, pour ce qui est de la société cible, c'est bien une simple information du comité d'entreprise que se doit de respecter le chef d'entreprise. Il est vrai qu'une consultation n'aurait guère, ici, de sens dans la mesure où, par définition, celui-ci n'est pas à l'origine de l'offre (7).
Dans les entreprises de plus de 50 salariés dépourvues de comité, ce sont les délégués du personnel qui "exercent collectivement les attributions économiques des comités d'entreprise qui sont définies aux articles L. 432-1 à L. 432-5 [du Code du travail]". Par conséquent, dans ces entreprises, les délégués du personnel seront informés et/ou consultés en cas d'OPA, qu'il s'agisse des délégués du personnel de la société cible ou de ceux de la société auteur de l'offre. En revanche, dans les entreprises de moins de 50 salariés, aucune information ou consultation du personnel n'était organisée lors d'une telle opération. La loi du 31 mars 2006 apporte, ici, un changement important.
Désormais, en effet, et en application de l'article L. 432-1, alinéa 5, nouveau, "si l'offre est déposée par une entreprise dépourvue de comité d'entreprise, et sans préjudice de l'article L. 422-3 du présent code (N° Lexbase : L6358ACH), le chef de cette entreprise en informe directement les membres du personnel. De même, à défaut de comité d'entreprise dans l'entreprise qui a fait l'objet de l'offre et sans préjudice de l'article L. 422-3 précité, le chef de cette entreprise en informe directement les membres du personnel".
Deux remarques peuvent être faites. Tout d'abord, et ainsi que nous l'avons déjà souligné, l'extension du dispositif d'information ne concerne que les entreprises de moins de 50 salariés (8). Il est vrai que l'on peut rester dubitatif quant au nombre d'entreprises de cette taille susceptibles d'être concernées par une OPA, même si beaucoup de holdings emploient moins de 50 salariés (9). Ensuite, il ressort clairement du texte que le personnel n'a le droit que d'être informé de l'offre, non celui d'être consulté.
2. Modalités de l'information du personnel en cas d'OPA
La loi du 31 mars 2006 vient préciser quelque peu la procédure d'information du comité de l'entreprise qui fait l'objet de l'offre. Comme antérieurement, lors de la réunion au cours de laquelle il est informé de l'OPA, le comité décide s'il souhaite entendre l'auteur de l'offre (10) et peut se prononcer sur le caractère amical ou hostile de l'offre (11). La réforme apporte deux modifications à la procédure d'audition de l'auteur de l'offre (12). Tout d'abord, il est précisé que le comité d'entreprise doit être réuni pour procéder à l'examen de l'offre et, le cas échéant, à l'audition précitée "avant la date de convocation de l'assemblée générale réunie en application de l'article L. 233-32 du Code de commerce" (13).
Ensuite, et surtout, il est désormais fait obligation à l'auteur de l'offre de présenter au comité, lors de la réunion au cours de laquelle il est auditionné, "sa politique industrielle et financière, ses plans stratégiques pour la société visée et les répercussions de la mise en oeuvre de l'offre sur l'ensemble des intérêts, l'emploi, les sites d'activité et la localisation des centres de décision de ladite société" (14).
Cette nouvelle formulation tranche singulièrement avec la précédente qui se bornait à préciser que l'auteur de l'offre "prend connaissance des observations éventuellement formulées par le comité d'entreprise". Outre que l'auteur de l'offre aura tout intérêt à respecter ces prescriptions nouvelles sous peine d'encourir une condamnation pour délit d'entrave (15), il lui appartiendra de se montrer particulièrement prudent lors de la formulation des informations en cause. En effet, il n'est pas du tout à exclure que le juge puisse déceler dans ces déclarations quelques engagements unilatéraux...
S'agissant de l'information du personnel dans les entreprises qui font l'objet d'une OPA et qui comptent moins de 50 salariés, la loi du 31 mars 2006 prévoit que, "dans les trois jours suivant la note d'information mentionnée au IX de l'article L. 621-8 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L8005HB4), l'auteur de l'offre la transmet au chef de l'entreprise faisant l'objet de l'offre qui la transmet lui-même au personnel sans délai".
Faute de précisions apportées par la loi, on peut avancer que le chef de l'entreprise cible pourrait se contenter d'une information collective, que ce soit en affichant la note d'information en cause ou en la faisant figurer sur l'intranet de l'entreprise. On ne saurait, toutefois, trop recommander à ce dernier de procéder à une information individuelle des salariés concernés. En outre, il est douteux que la seule transmission de ce document suffise à épuiser l'obligation d'information pesant sur le chef d'entreprise.
On pourra, enfin, regretter et trouver curieux que le législateur n'ait pas offert au personnel de l'entreprise la possibilité d'auditionner l'auteur de l'offre.
Gilles Auzero
Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
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Réf. : Cass. soc., 28 avril 2006, n° 03-47.171, Société DEMD Productions c/ Mme Anne Moutot, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A2049DPL)
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N7835AKE
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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale
Le 07 Octobre 2010
Résumé
Le statut d'intermittent du spectacle d'une salariée, ainsi que son ancienneté non prise en compte par ailleurs, pouvaient justifier, à son seul profit, la différence de rémunération. |
Décision
Cass. soc., 28 avril 2006, n° 03-47.171, Société DEMD Productions c/ Mme Anne Moutot, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A2049DPL) Cassation partielle (CA Paris, 18ème ch., sect. E, 19 septembre 2003) Textes visés : principe "à travail égal salaire égal" ; C. trav., art. L. 133-5, 4° (N° Lexbase : L3149HIH) ; C. trav., art. L. 136-2, 8° (N° Lexbase : L1373G9Q) ; C. trav., art. L. 140-2 (N° Lexbase : L5726AC3). Mots-clefs : principe "à travail égal, salaire égal" ; différence de traitement ; justification ; ancienneté ; situation juridique du salarié dans l'entreprise. Lien bases : |
Faits
1. Mme Moutot, employée de la société Pathé télévision comme intermittente du spectacle puis comme cadre en CDI, a été licenciée pour motif économique le 26 mars 2001. 2. Elle a saisi la juridiction prud'homale de différentes demandes tenant, notamment, à un rappel de salaires fondé sur la violation du principe "à travail égal, salaire égal". |
Solution
1 "Vu le principe 'à travail égal salaire égal', ensemble les articles L. 133-5 , 4°, L. 136-2, 8° et L. 140-2 du Code du travail". 2. "Il n'y a pas méconnaissance du principe 'à travail égal salaire égal' lorsque l'employeur justifie par des raisons objectives la différence des rémunérations allouées aux salariés qui effectuent un même travail ou un travail de valeur égale ; que, pour l'application de ce principe, la rémunération d'un même emploi, à condition de ne pas être inférieure à celle d'un salarié occupant cet emploi sous contrat de travail à durée indéterminée, peut tenir compte de la situation juridique du salarié dans l'entreprise". 3. "Pour juger qu'il y avait eu violation par l'employeur du principe 'à travail égal salaire égal' et le condamner au paiement d'un rappel de salaire, l'arrêt énonce que le travail confié étant comparable, la société ne conteste pas qu'à compter de décembre 1999, date à laquelle Mme Moutot a substitué à son statut d'intermittente du spectacle un contrat à durée indéterminée, la salariée a perçu une rémunération équivalente à 2 770 francs (422,28 euros) par semaine, tandis que Mme Gelberger percevait un salaire de 4 000 francs (609,80 euros) par semaine ; que la société justifie cette inégalité de salaire par le fait que Mme Gelberger restait soumise, en tant qu'intermittente du spectacle, à un statut précaire alors que Mme Moutot, intégrée au personnel permanent de la société, bénéficiait d'avantages tels que la mutuelle, les tickets-restaurants ou le plan épargne entreprise ; que, cependant, cette différence de traitement est inhérente à la différence de situation juridique entre les deux salariées au regard du contrat de travail, situation qui résulte de leur choix, et ne constitue pas un élément objectif justifiant une discrimination dans la rémunération de la prestation de travail fournie par chacune ; que l'inégalité de salaire ne saurait non plus être justifiée, comme allégué par la société, par l'expérience diversifiée de Mme Gelberger au sein de plusieurs sociétés de production et de son antériorité de deux ans par rapport à Mme Moutot au sein de la société, celle-ci ayant en effet été embauchée comme cadre ; qu'il ressort de ces éléments que Mme Moutot rapporte la preuve d'une discrimination salariale à son préjudice". "Qu'en statuant comme elle l'a fait, alors qu'en l'espèce le statut d'intermittent du spectacle d'une salariée, ainsi que son ancienneté non prise en compte par ailleurs, pouvaient justifier à son seul profit la différence de rémunération, la cour d'appel a violé les textes visés". 3. "Par ces motifs, casse et annule, mais seulement en ce qu'il a condamné la société DEMD à payer à Mme Moutot un rappel de salaire et un rappel d'indemnité de licenciement, l'arrêt rendu le 19 septembre 2003, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée". |
Commentaire
1. La justification des différences de rémunération
S'inspirant des dispositions introduites dans l'article L. 122-45 du Code du travail (N° Lexbase : L3114HI8) par la loi du 16 novembre 2001 (loi n° 2001-1066 relative à la lutte contre les discriminations N° Lexbase : L9122AUE), la Cour de cassation a considéré, en 2004, "qu'en application de l'article 1315 du Code civil (N° Lexbase : L1426ABG), s'il appartient au salarié qui invoque une atteinte au principe 'à travail égal, salaire égal' de soumettre au juge les éléments de fait susceptibles de caractériser une inégalité de rémunération, il incombe à l'employeur de rapporter la preuve d'éléments objectifs justifiant cette différence" (Cass. soc., 28 septembre 2004, n° 03-41.825, F-P+B N° Lexbase : A4907DD4). Le débat judiciaire de ces derniers mois s'est donc concentré sur les éléments de nature à justifier qu'à travail égal, des salariés puissent percevoir une rémunération différente.
Certains éléments tiennent, parfois, à la personne même du salarié et peuvent être pris en compte dès lors qu'ils ont des répercussions manifestes sur la situation de ce dernier et qu'ils sont objectivement vérifiables ; il en va ainsi des charges de famille qui, historiquement, ont été prises en compte pour accorder aux salariés des "sursalaires", ancêtres des allocations familiales et toujours prises en compte, notamment pour l'octroi de primes particulières (Cass. soc., 26 février 2002, n° 00-45.501, FS-P N° Lexbase : A0705AYR : indemnités compensatrices de combustible et de logement), mais, également, de la différence de qualité du travail accompli (Cass. soc., 2 juin 2004, n° 02-41.261, FS-D N° Lexbase : A5179DCS ; Cass. soc., 8 novembre 2005, n° 03-46.080, F-D N° Lexbase : A5107DLQ), à condition, toutefois, que l'employeur soit en mesure de le prouver à l'aide d'éléments pertinents (pour un exemple où la "médiocre qualité du travail" n'a pas été jugée suffisante : Cass. soc., 26 novembre 2002, n° 00-41.633, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A0743A4B). D'autres éléments n'ont pas été considérés comme suffisants. Il s'agit, ainsi, de la date d'embauche (Cass. soc., 25 mai 2005, n° 04-40.169, FS-P+B N° Lexbase : A4304DIA). Mais, cette date d'embauche peut révéler une différence de situation qui justifiera alors une différence de traitement. Il en ira ainsi des salariés embauchés sous l'empire des 39 heures et dont la rémunération se trouve menacée par l'abaissement de la durée légale de travail à 35 heures ; dans cette hypothèse, ils pourront alors percevoir une garantie mensuelle de rémunération spécifique (Cass. soc., 1er décembre 2005, n° 03-47.197, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A8452DLM, lire nos obs., Le principe "à travail égal, salaire égal" impuissant à réduire les inégalités résultant du passage aux 35 heures, Lexbase Hebdo n° 193 du 8 décembre 2005 - édition sociale N° Lexbase : N1672AK7).
D'autres éléments justificatifs sont étrangers à la personne du salarié et tiennent, essentiellement, à des différences de statut collectif, comme le fait que certains salariés bénéficient du maintien des avantages individuels acquis sur le fondement d'une convention collective dénoncée ou mise en cause, par application de l'article L. 132-8 du Code du travail (N° Lexbase : L5688ACN) (Cass. soc., 11 janvier 2005, n° 02-45.608, FS-P N° Lexbase : A0168DGC) ou qu'ils soient rattachés à des accords d'établissement différents (Cass. soc., 18 janvier 2006, n° 03-45.422, F-P N° Lexbase : A3972DM3, lire nos obs., Une différence de traitement fondée sur la pluralité des accords d'établissement n'est pas illicite, Lexbase Hebdo n° 199 du 26 janvier 2006 - édition sociale N° Lexbase : N3620AKB). La Cour de cassation a, également, admis que l'intérêt de l'entreprise puisse autoriser l'employeur à rémunérer certains salariés de manière particulière, notamment lorsque "l'employeur était confronté à la nécessité, pour éviter la fermeture de la crèche par l'autorité de tutelle, de recruter de toute urgence une directrice qualifiée pour remplacer la directrice en congé-maladie" (Cass. soc., 21 juin 2005, n° 02-42.658, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A7983DII, lire nos obs., La justification des inégalités de rémunération, Lexbase Hebdo n° 174 du 30 juin 2005 - édition sociale N° Lexbase : N6023AIW), ou pour "compenser les inconvénients résultant de l'installation d'un individu et de sa famille en pays étranger, mais aussi [...] faciliter l'embauche des salariés ressortissants non français des parties contractantes afin de contribuer à la création d'un pôle d'excellence scientifique international" (Cass. soc., 9 novembre 2005, n° 03-47.720, Société European synchrotron radiation facility (ESRF) c/ M. Marc Diot, FS-P+B N° Lexbase : A5949DLW, lire nos obs., Nouvelle illustration d'une différence de traitement justifiée en matière de rémunération, Lexbase Hebdo n° 191 du 24 novembre 2005 - édition sociale N° Lexbase : N1188AK9). En revanche, la cour d'appel de Paris a considéré qu'une prime d'expatriation peut être justifiée si elle repose sur des conditions de résidence ou de lieu d'origine, considérations objectives indépendantes de la nationalité des personnes concernées et proportionnées à l'objectif légitimement poursuivi par le droit national, mais qu'elle ne peut être valablement fondée sur le seul fait de vivre à l'étranger (CA Paris, 18ème ch., sect. D, 20 septembre 2005 - R.G. n° 05/01851 : BICC 628 du 1er novembre 2005, n° 2158).
C'est dans ce contexte qu'intervient cette nouvelle décision rendue par la Chambre sociale de la Cour de cassation. Dans cette affaire, une salariée, qui avait le statut d'intermittent du spectacle et avait donc été embauchée dans le cadre de contrats de travail à durée déterminée successifs, avait vu son statut évoluer et avait été recrutée finalement par le biais d'un contrat de travail à durée indéterminée, et sous le statut de cadre. Ce recrutement s'était, toutefois, traduit par une modification importante dans la structure de sa rémunération. Or, l'une de ses collègues, qui avait conservé le statut d'intermittent du spectacle et qui accomplissait les mêmes tâches, percevait un salaire hebdomadaire supérieur de 70 %. Après avoir été licenciée pour motif économique, cette salariée avait saisi la juridiction prud'homale d'un certain nombre de demandes, et invoquait, notamment, le manquement au principe "à travail égal, salaire égal" pour obtenir un complément de rémunération. Son employeur avait fait valoir que cette différence de traitement se justifiait par la volonté de compenser la précarité du statut d'intermittent du spectacle, qui privait ces salariés d'un certain nombre d'avantages réservés aux seuls titulaires de CDI dans l'entreprise, comme la mutuelle, les tickets-restaurants ou le plan épargne entreprise, ainsi que par la plus grande expérience de l'intéressée et son ancienneté plus importante au sein de l'entreprise. Ces arguments n'avaient pas convaincu la cour d'appel de Paris qui avaient condamné l'entreprise, après avoir considéré que la différence tenant aux avantages respectifs dont bénéficiaient les salariés était "inhérente à la différence de situation juridique entre les deux salariées au regard du contrat de travail, situation qui résulte de leur choix, et ne constitue pas un élément objectif justifiant une discrimination dans la rémunération de la prestation de travail fournie par chacune". Cet arrêt est cassé par la Chambre sociale de la Cour de cassation pour violation du principe "à travail égal salaire égal" et des articles L. 133-5, 4°, L. 136-2, 8 ° et L. 140-2 du Code du travail, qui considère, au contraire, "qu'en l'espèce, le statut d'intermittent du spectacle d'une salariée, ainsi que son ancienneté non prise en compte par ailleurs, pouvaient justifier à son seul profit la différence de rémunération". Cette décision fournit, ici, deux critères justificatifs qui méritent d'être analysés attentivement. 2. L'ancienneté et la situation juridique du salarié dans l'entreprise
Pour la première fois à notre connaissance, la Cour de cassation admet qu'une différence de statut individuel puisse justifier une différence de rémunération dès lors qu'il s'agit de compenser la faiblesse des droits et avantages qui y sont attachés. L'argument de la nécessité de compenser une rémunération inférieure n'est pas nouveau, mais c'est la première fois qu'une comparaison entre deux salariés, prenant en compte la nature de leurs contrats de travail, est opérée de manière aussi explicite. En l'espèce, et comme l'avait rappelé l'employeur devant les juges du fond, la salariée la mieux payée avait été embauchée sous CDD et ne bénéficiait pas des mêmes droits et avantages que la salariée la moins bien payée, qui bénéficiait, à la fois, d'un CDI et d'un statut de cadre au sein de l'entreprise qui lui ouvrait droit à de nombreux avantages particuliers (mutuelle, tickets-restaurants, plan épargne entreprise). Quoiqu'inédite, une situation comparable s'est déjà rencontrée. Dans son arrêt rendu le 21 juin 2005 concernant la directrice de crèche remplaçante, la Cour de cassation avait déjà admis qu'une salariée, recrutée sous CDD dans le cadre d'un remplacement, puisse percevoir une rémunération supérieure à celle de la salariée remplacée, pourtant titulaire d'un CDI (Cass. soc., 21 juin 2005, préc.). La solution se comprend parfaitement, même s'il est singulier qu'un salarié en CDD perçoive une rémunération supérieure à un salarié en CDI. Certes, la notion même de "rémunération" déborde celle de "salaire de base" et doit intégrer d'autres éléments, que la Cour de cassation a pris soin, ici, de viser. Il est alors singulier de considérer que le salarié en CDD se trouve potentiellement dans une situation plus favorable que le salarié en CDI, tout au moins pendant la durée de son contrat, dans la mesure où il sera finalement mieux payé et qu'il ne pourra être licencié que pour faute grave.
Ce n'est pas à proprement parler la première fois que la Cour de cassation considère que "l'ancienneté, lorsqu'elle est intégrée dans le salaire de base, constitue un élément objectif pouvant justifier une différence de rémunération" (Cass. soc., 20 juin 2001, n° 99-43.905, M. Yannick Raude c/ Société Publimepharm, inédit N° Lexbase : A6334ATR ; également, Cass. soc., 29 septembre 2004, n° 03-42.025, Mme Joséphine Lago (Gnagnene Nadro), F-D N° Lexbase : A4908DD7, faisant référence à "l'expérience acquise par les salariés au cours de leurs années de présence dans l'entreprise"), mais c'est, sans doute, la première fois que ce critère est affiché avec autant de clarté par la Haute juridiction. L'ancienneté du salarié constitue bien un élément objectif, puisque quantifiable, et n'appelant pas de jugement de valeur sur la personne du salarié. Ce critère est d'ailleurs très fréquent en droit du travail, qui le prend en compte dans de très nombreuses dispositions tant légales que conventionnelles, qu'il s'agisse du droit aux indemnités de licenciement, ou pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, ou pour établir d'ailleurs les progressions dans les grilles de rémunération.
La Cour de cassation prend, toutefois, la peine de préciser, ici, que l'ancienneté ne doit pas avoir été déjà prise en compte par l'employeur (dans le même sens, Cass. soc., 20 juin 2001, préc.). Sans le préciser, on peut penser que la Cour aurait refusé de considérer la différence de traitement comme justifiée si l'ancienneté avait été prise en compte, notamment, par le biais de primes. La Cour de cassation se livre ainsi, non seulement, à un contrôle de la "nécessité" de la différence de traitement, mais, également, à un contrôle de la proportionnalité dans la mesure où l'ancienneté ne pourrait pas être prise en compte à deux reprises pour justifier une différence de traitement. Les juges doivent donc apprécier la situation non seulement de manière abstraite (argument de nature à justifier la différence de traitement) mais, également, de manière concrète, compte tenu des données propres à l'entreprise. Cette précision apparaissait déjà dans des décisions précédentes, notamment dans l'arrêt inédit en date du 20 juin 2001 (préc.) où la Cour avait, en effet, précisé qu'"il incombe au juge de vérifier si [l'ancienneté] justifie la différence de rémunération constatée". Elle apparaît, également, très clairement dans cette nouvelle décision puisque la Cour précise bien "qu'en l'espèce le statut d'intermittent du spectacle d'une salariée, ainsi que son ancienneté non prise en compte par ailleurs, pouvaient justifier à son seul profit la différence de rémunération". C'est, sans doute, dans le contrôle de la proportionnalité que se développera le contentieux dans les prochaines années, les salariés pouvant considérer que la différence de traitement se justifie dans son principe, mais qu'elle est exagérée. Dans cette affaire, on pouvait, en effet, se demander si la différence de rémunération de 70 % constatée était parfaitement justifiée par la différence d'ancienneté (2 ans) et de statut. Certes, la Cour n'était pas directement saisie de cette question, mais gageons qu'elle le sera dans les mois à venir. |
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Réf. : CJCE, 6 avril 2006, aff. C-245/04, EMAG Handel Eder OHG c/ Finanzlandesdirektion für Kärnten (N° Lexbase : A9379DNP)
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par Yolande Sérandour, Professeur à la Faculté de droit de Rennes, Directrice du Master de Droit Fiscal des Affaires de Rennes et du département Droit fiscal du CDA
Le 07 Octobre 2010
"1) Lorsque deux livraisons successives portant sur les mêmes biens, effectuées à titre onéreux entre assujettis agissant en tant que tels, donnent lieu à une unique expédition intracommunautaire ou à un unique transport intracommunautaire de ces biens, cette expédition ou ce transport ne peut être imputé qu'à une seule des deux livraisons, qui sera la seule exonérée en application de l'article 28 quater, A, sous a), premier alinéa, de la sixième Directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires Système commun de taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme, telle que modifiée par la Directive 95/7/CE du Conseil, du 10 avril 1995 (N° Lexbase : L9279AU9).
Cette interprétation est valable quel que soit celui des assujettis -premier vendeur, acquéreur intermédiaire ou second acquéreur- qui détient le pouvoir de disposer des biens pendant ladite expédition ou ledit transport.
2) Seul le lieu de la livraison qui donne lieu à expédition ou à transport intracommunautaire de biens est déterminé conformément à l'article 8, paragraphe 1, sous a), de la sixième Directive 77/388, telle que modifiée par la Directive 95/7 ; il est réputé se situer dans l'Etat membre de départ de cette expédition ou de ce transport. Le lieu de l'autre livraison est déterminé conformément à l'article 8, paragraphe 1, sous b), de la même Directive ; il est réputé se situer soit dans l'Etat membre de départ, soit dans l'Etat membre d'arrivée de ladite expédition ou dudit transport, selon que cette livraison est la première ou la seconde des deux livraisons successives".
La sixième Directive-TVA offre ainsi plusieurs solutions en cas de livraisons successives qu'il convient d'exposer avant d'examiner la solution retenue.
1. Les solutions proposées
La déduction de la TVA payée aux fournisseurs suppose l'affectation des dépenses aux opérations imposables (sixième Directive-TVA, art. 17 § 2). Encore faut-il qu'elle soit exigible sur lesdites dépenses. En effet, l'article 17 § 1 de la sixième Directive-TVA fixe la date de naissance du droit à déduction au moment de son exigibilité. En l'espèce, EMAG ne pouvait prétendre exercer un droit à déduction sans établir l'exigibilité de la TVA en cause. Or, l'administration fiscale autrichienne contestait l'exigibilité de la TVA en Autriche sur une livraison en provenance d'Italie ou des Pays-Bas. Le caractère successif des opérations semble l'avoir désorientée. K ayant acquis auprès de fournisseurs établis en Italie ou aux Pays-Bas et revendu à EMAG avant de recevoir les marchandises en Autriche, leur remise ayant lieu directement au profit du sous-acquéreur, la question se posait de savoir quelle était l'opération intracommunautaire exonérée au départ et taxable à l'arrivée. Plusieurs solutions paraissaient théoriquement envisageables avant la conclusion des contrats mettant le transport à charge de K.
Compte tenu du transport envisagé après conclusion de la revente, il eut été possible de considérer les achats de K comme des acquisitions réalisées en Italie ou aux Pays-Bas, selon le pays de départ. Les fournisseurs italiens ou néerlandais auraient alors facturé la TVA de leur pays (sixième Directive-TVA, art. 8 § 1, b). K prenant en charge le transport au profit d'EMAG, elle aurait réalisé des ventes intracommunautaires exonérées de TVA à partir de l'Italie ou des Pays-Bas vers l'Autriche (sixième Directive-TVA, art. 28 quater, A, a). L'exonération en résultant permettait de récupérer en Italie ou aux Pays-Bas la TVA ayant grevé ces livraisons (sixième Directive-TVA, art. 17). Le sous-acquéreur EMAG serait devenu redevable de la TVA autrichienne sur des acquisitions intracommunautaires (sixième Directive-TVA, art. 28 bis, 1, a, et 3, 28 ter, A, 1). Ces dépenses auraient ouvert droit à déduction (sixième Directive-TVA, art. 28 septies).
Une autre proposition simple s'offrait si le transport était intervenu dès la première vente. Les vendeurs italiens et néerlandais auraient réalisé des livraisons intracommunautaires exonérées au départ (sixième Directive-TVA, art. 28 quater, A, a). En qualité d'acquéreur intracommunautaire, K serait devenu redevable de la TVA en Autriche (sixième Directive-TVA, art. 28 bis § 1, a, et 3, et art. 28 ter, A, 1). La revente à EMAG en Autriche aurait relevé de la TVA autrichienne (sixième Directive-TVA, art. 8 § 1, a) et justifié l'exercice du droit à déduction de K dans ce pays (sixième Directive-TVA, art. 28 septies). La TVA supportée par EMAG serait devenue déductible par la seule affectation des dépenses concernées à ses opérations taxables (sixième Directive-TVA, art. 17 § 2).
Malheureusement pour les amateurs de contrats simples, K et EMAG sont convenus d'une autre modalité de livraison. K a pris en charge le transport au profit d'EMAG mais, afin d'éviter d'ajouter au prix du transport d'Italie ou des Pays-Bas vers l'Autriche celui du trajet en Autriche de son établissement à ceux d'EMAG, K a préféré faire réaliser le transport directement des pays d'acquisition initiale vers le pays du sous-acquéreur, l'Autriche. Au moins deux possibilités s'offraient quant à la charge du transport et de ses conséquences au regard de la TVA.
Le premier contrat aurait pu stipuler une vente franco au profit de K avec livraison directe au second acquéreur. K réalisant une acquisition intracommunautaire dès l'arrivée des marchandises en Autriche, à ce titre, serait devenu redevable de la TVA autrichienne (sixième Directive-TVA, art. 28 bis § 1, a, et 3 et art. 28 ter, A, 1). Une seconde livraison serait intervenue en Autriche, rendant la TVA de ce pays exigible et déductible par EMAG (sixième Directive-TVA, art. 8 § 1, a, et 17 § 2).
Quoique l'arrêt ne mentionne pas explicitement les stipulations initiales, il semble que le premier vendeur italien ou néerlandais ne se chargeait pas du transport. K prenant en charge le transport au profit d'EMAG, le transfert du pouvoir de disposer traduisant la première livraison s'effectuait en Italie ou aux Pays-Bas. Dans la mesure où les biens quittaient ensuite ces pays pour arriver en Autriche, la TVA autrichienne devait s'appliquer. Il suffit, en effet, pour caractériser une acquisition intracommunautaire, d'une expédition ou d'un transport à destination de l'acquéreur, en l'espèce K, par le vendeur ou l'acquéreur ou pour leur compte, vers un Etat membre, autre que celui de départ (sixième Directive-TVA, art. 28 bis § 3 et 28 ter, A, 1). L'acquisition intracommunautaire effectuée ainsi par K en Autriche lui permettait d'exécuter sur le territoire autrichien la livraison promise à EMAG. En conséquence, la TVA autrichienne devait s'appliquer et devenir déductible par EMAG en cas d'affectation des biens en cause à des opérations imposables. Telle est la solution retenue.
2. La solution retenue
La CJCE rejette l'existence de deux livraisons intracommunautaires invoquées par l'administration autrichienne. Dans le cas des opérations transfrontalières sur marchandises, la livraison intracommunautaire exonérée conformément à l'article 28 quater, A, a, de la sixième Directive-TVA constitue le pendant exact de l'acquisition intracommunautaire taxable définie par les articles 28 bis § 1 et 3 et art. 28 ter, A, 1, de ladite Directive. Dès lors qu'un seul mouvement de marchandises a franchi la frontière d'un Etat membre, il ne peut y avoir qu'une seule livraison exonérée d'un côté et une seule acquisition taxable de l'autre. Le contexte légal impératif s'arrête à l'unicité de l'opération intracommunautaire dans les opérations en chaîne.
S'agissant de la désignation de l'opérateur réalisant l'acquisition intracommunautaire, la CJCE s'en tient à la liberté contractuelle (§ 48 et s.). Selon l'article 28 bis § 3 de la sixième Directive-TVA, est considérée comme "acquisition intracommunautaire l'obtention du pouvoir de disposer comme un propriétaire d'un bien meuble corporel expédié ou transporté à destination de l'acquéreur, par le vendeur ou par l'acquéreur ou pour leur compte, vers un Etat membre autre que celui du départ du transport du bien". Ce transfert ne correspond pas nécessairement au transfert de propriété au sens du droit national. Il est suffisant que l'acquéreur soit habilité à disposer en fait de ce bien comme s'il en était propriétaire (CJCE, 21 février 2006, aff. C-255/02, Halifax plc c/ Commissioners of Customs & Excise, § 41 N° Lexbase : A0045DNY ; Yolande Sérandour, Abus de droit et TVA, Lexbase Hebdo n° 205 du 9 mars 2006 - édition fiscale N° Lexbase : N5453AK8 ; CJCE, 8 février 1990, aff. C-320/88, Staatssecretaris van Financiën c/ Shipping and Forwarding Enterprise Safe BV, § 7 N° Lexbase : A7357AHX ; RJF 4/90, n° 504 ; CJCE, 4 octobre 1995, aff. C-291/92, Finanzamt Uelzen c/ Dieter Armbrecht, § 7 N° Lexbase : A7278AHZ ; RJF 12/95, n° 1447 ; CJCE, 21 avril 2005, aff. C-25/03, Finanzamt Bergisch Gladbach c/ HE, § 64 N° Lexbase : A9457DHQ ; DF 2005, n° 46, comm. 735 ; Yolande Sérandour, Epoux indivisaires et déduction de la TVA, Lexbase Hebdo n° 166, du 5 mai 2005 - édition fiscale N° Lexbase : A9457DHQ). Le texte précité laisse le choix de l'initiative du transport aux parties. Le critère de l'acquisition intracommunautaire étant l'acheminement d'un Etat membre vers un autre au profit de l'acquéreur, peu importe qui en prend la charge.
Signalons que l'article 28 quater E, 3, de la sixième Directive-TVA ne trouvait pas, en l'espèce, à s'appliquer. Ce texte, spécifique aux opérations triangulaires, c'est-à-dire entre trois pays, dont deux membres de l'Union européenne enjoint à chaque Etat membre de prendre les mesures nécessaires afin de ne pas soumettre à la TVA les acquisitions intracommunautaires effectuées pour les besoins d'une livraison subséquente dans le même Etat.
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Réf. : Décision Conseil de la concurrence n° 06-S-01, 3 février 2006, relative à la saisine au fond et à la demande de mesures conservatoires présentées par la Société Bijourama à l'égard de pratiques de la Société Festina France (N° Lexbase : X6343ADB)
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Le 07 Octobre 2010
Si la couverture commerciale qu'offre internet laisse espérer un accroissement substantiel des ventes d'un produit mis en ligne, il n'en demeure pas moins que cet outil technologique ne se prête pas à la commercialisation de tous les produits.
En raison de leur propriété, de leur technicité ou de leur image de marque, certains produits nécessitent, en effet, un conseil particulier et adapté (à la clientèle, aux articles...), un personnel formé spécifiquement à la vente du produit en cause ou encore un environnement de vente soigné.
Depuis l'arrêt "Metro 1", rendu le 25 octobre 1977 (1), il n'est plus possible d'éliminer par nature une forme de commerce. Le fabricant qui, en soi, interdirait la vente de produits sur un site virtuel, commet une restriction de concurrence illicite.
La vente sur internet ne peut donc per se faire l'objet d'une interdiction pure et simple. Par conséquent, un système qui exclurait, sans justifications objectives, certaines formes ou modes de distribution susceptibles de favoriser la vente des produits dans des conditions satisfaisantes pour le fabricant aurait "pour seul effet de protéger les formes de commerce existantes de la concurrence des nouveaux opérateurs et ne serait donc pas conforme à l'article 81 § 3 du Traité " (2).
Dans le même sens, la cour d'appel de Paris, le 15 septembre 1993 (CA Paris, 13ème ch., 15 septembre 1993, n° 4034-99), a jugé que "le contrat de distribution sélective ne peut avoir pour objet ou pour effet d'exclure a priori une forme quelconque de distribution".
Par conséquent, un système qui exclurait, sans justifications objectives, certaines formes ou modes de distribution susceptibles de favoriser la vente des produits dans des conditions satisfaisantes pour le fabricant aurait "pour seul effet de protéger les formes de commerce existantes de la concurrence des nouveaux opérateurs et ne serait donc pas conforme à l'article 81 § 3 du Traité" (3).
A ce titre, la Commission européenne précise, dans ses lignes directrices sur les restrictions verticales, que "chaque distributeur peut être libre d'utiliser internet pour faire de la publicité ou pour vendre des produits" et que "l'interdiction catégorique de vendre sur internet ou sur catalogue n'est admissible que si elle est objectivement justifiée" (4).
II - L'interdiction de vendre sur internet dans le cadre d'un réseau de distributeurs agréés
A - En présence d'une clause contractuelle
Dans le cadre d'un réseau de distribution sélective, la vente sur internet soulève la problématique suivante : les exigences de qualité inhérentes à la distribution sélective sont-elles compatibles avec la vente sur internet ?
Le Règlement d'exemption n° 2790/1999, du 22 décembre 1999, définit le réseau comme "un système de distribution dans lequel le fournisseur s'engage à vendre les biens ou les services contractuels, directement ou indirectement, uniquement à des distributeurs sélectionnés sur la base de critères définis, et dans lequel les distributeurs s'engagent à ne pas vendre ces biens ou ces services à des distributeurs non agréés" (5).
Les accords conclus dans le cadre d'un réseau de distribution peuvent donc relever de l'article 81 du Traité instituant l'Union européenne qui interdit "tout accord ayant pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence dans le Marché unique".
Un accord de distribution sélective qui, dans son objet ou dans ses effets, restreint la concurrence, peut, cependant, être justifié lorsque :
- il contribue à améliorer la production ou la distribution des produits, ou à promouvoir le progrès technique ou économique,
- il réserve aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte,
- il n'impose pas aux entreprises intéressées des restrictions qui ne seraient pas indispensables pour atteindre ces objectifs,
- il ne donne pas la possibilité à des entreprises, pour une partie substantielle des produits en cause, d'éliminer la concurrence.
Par conséquent, une clause interdisant la vente d'un article par correspondance ou à distance sera justifiée lorsque cette forme de commercialisation ne permet pas d'offrir aux consommateurs un service conforme à ce qu'il est en droit d'attendre d'un produit de luxe ou de grande qualité.
La décision "Pierre Fabre Dermocosmétiques" rendue par le tribunal de commerce de Pontoise, le 15 avril 1999 (Trib. com. Pontoise, 15 avril 1999, n° 99R00132), a consacré le principe selon lequel un distributeur de réseau pouvait créer et vendre au moyen d'un site internet.
Cette liberté peut, cependant, être encadrée par la tête du réseau. A cet égard, dans la même affaire, la cour d'appel de Versailles, le 2 décembre 1999 (CA Versailles, 13ème ch., 2 décembre 1999, SA Pierre Fabre Dermo Cosmétique c/ Breckler, JCP éd. E 2000, n° 30, p.1230), a ainsi considéré que le site litigieux du distributeur "tel qu'il a été conçu et mis en oeuvre, ne remplit pas les objectifs de sécurité, de santé, de mise en valeur des produits, exigés du réseau de distribution sélective mis en place" par le fournisseur.
Le fournisseur a donc le droit d'imposer contractuellement à ses distributeurs susceptibles de vendre des produits en ligne, les exigences suivantes :
- réserver la vente en ligne sur internet aux seuls détaillants préalablement agréés pour un point de vente physique (décision de la Commission européenne du 17 mai 2001, Yves Saint Laurent),
- exiger la façon d'agencer les produits en ligne,
- exiger que des conseils appropriés soient prodigués on-line,
- contrôler la présentation du site (couleurs, graphisme,...),
A la lecture de ce qui vient d'être exposé, il semble donc que la vente sur internet dans le cadre d'un réseau de distribution sélective, reste le principe, et son interdiction l'exception.
Par conséquent, une clause qui interdirait la vente en ligne d'un article vendu dans un réseau de distribution sélective devra être particulièrement fondée et justifiée, en droit comme en fait, pour être licite.
En revanche, en l'absence de dispositions contractuelles interdisant expressément la commercialisation des produits via internet, un distributeur agréé peut-il recourir à ce mode de commercialisation ?
B - En l'absence d'une clause contractuelle
Le silence du contrat concernant la vente en ligne s'interprète, aujourd'hui, en faveur du distributeur.
Ce constat est confirmé dans un communiqué de procédure du 28 mars 2006, qui fait suite à la décision n° 06-S-01 du 3 février 2006, dans lequel le Conseil de la concurrence vient d'indiquer qu'il avait reçu de la société Festina des engagements dans le cadre d'une procédure contentieuse ouverte devant lui.
Saisi par la société Bijourama, qui vend sur internet des produits de l'horlogerie, bijouterie, orfèvrerie, d'un refus opposé par Festina France à sa demande d'agrément en vue d'intégrer le réseau de distribution sélective des produits de cette dernière, le Conseil de la concurrence envisage de clôturer l'affaire en prenant acte des engagements de Festina France.
Cette affaire soulevait deux difficultés.
D'une part, en refusant d'agréer Bijourama dans le cadre de son réseau de distribution sélective, Festina France souhaitait réserver la vente sur internet des produits Lotus aux seuls distributeurs agréés qui vendent d'ores et déjà lesdites montres dans un point de vente physique. Cette question, qui a déjà fait l'objet d'un contentieux important, ne pose aujourd'hui plus de difficultés.
Rappelons simplement que la Commission, dans sa décision du 17 mai 2001, a approuvé le système de distribution sélective mis en place pour les parfums Yves Saint Laurent qui conditionnait la vente sur internet à l'exploitation préalable par le détaillant agréé d'un point de vente physique. La tête de réseau est donc en droit d'exiger de ses revendeurs sur internet qu'ils acquièrent, par un contact direct avec les clients dans un point de vente, l'expérience nécessaire pour pouvoir vendre en ligne tout en respectant les mêmes exigences, en terme de qualité et de conseil.
D'autre part, le contrat de distribution sélective de Festina France ne contenait pas de disposition régissant la vente sur internet.
Sur ce dernier point, le rapporteur du Conseil de la concurrence a estimé que, "si le principe de la mise en place d'un réseau de distribution sélective pour la vente des montres du groupe Festina Lotus n'apparaît a priori pas illicite, le contrat de distribution sélective de Festina France, sous sa forme actuelle, suscite des interrogations. En effet, ce contrat ne contient aujourd'hui aucune disposition régissant la vente sur internet. En conséquence, Festina France ne peut se fonder uniquement sur celui-ci pour justifier son refus d'agrément. Or, l'absence de règles applicables à la vente sur internet des produits distribués par Festina France, alors que des autorisations ponctuelles et informelles sont accordées aux distributeurs déjà agréés disposant d'un magasin pour recourir à ce type de vente, est susceptible de conduire à des restrictions de concurrence, le cas échéant inacceptables, tant en ce qui concerne les conditions d'agrément des distributeurs au sein du réseau de distribution sélective que les conditions dans lesquelles les membres de ce réseau peuvent recourir à la vente sur internet".
Il semble, donc, que l'absence de contrat-cadre, précisant explicitement les modalités d'agrément spécifiques pour la vente en ligne, soit susceptible de conduire directement ou indirectement à une restriction de la possibilité de vendre sur internet pour les membres du réseau et donc à une restriction de vente active ou passive interdite par l'article 4 du Règlement n° 2790/99.
A cet égard, l'article 4 c) dispose que "l'exemption [...] ne s'applique pas aux accords verticaux qui, directement ou indirectement, isolément ou cumulés avec d'autres facteurs sous le contrôle des parties, ont pour objet :
c) la restriction des ventes actives ou des ventes passives aux utilisateurs finals par les membres d'un système de distribution sélective qui opèrent en tant que détaillants sur le marché, sans préjudice de la possibilité de d'interdire à un membre du système d'opérer à partir d'un lieu d'établissement non autorisé".
Si le formalisme sera toujours préféré à l'absence de règles, il ne semble pas que l'on puisse en déduire de façon quasi-automatique, comme le fait le rapporteur du Conseil de la concurrence, que leur défaut est susceptible de conduire directement ou indirectement à une restriction de la possibilité de vendre sur internet pour les membres du réseau et donc à une restriction de vente active ou passive.
Quoiqu'il en soit, Festina a jugé bon de s'engager à modifier ou à compléter son contrat-type de distribution sélective afin de préciser les conditions du recours à la vente sur internet.
Romain Bourgade
Avocat à la cour
(1) CJCE, 25 octobre 1977, aff. C-26/76, Metro SB-Grossmärkte GmbH & Co. KG c/ Commission des Communautés européennes, quest. préj. (N° Lexbase : A4496AWG).
(2) TPICE, 12 décembre 1996, aff. T-88/92, Groupement d'achat Edouard Leclerc c/ Commission des Communautés européennes (N° Lexbase : A3064AWE).
(3) TPICE, 12, décembre 1996, préc..
(4) Communication CE, n° 2000/C 291/01, Lignes directrices sur les restrictions verticales § 51, JOCE n° 291, 13/10/2002.
(5) Règlement (CE) n° 2790/1999, concernant l'application de l'article 81, paragraphe 3, du Traité à des catégories d'accords verticaux et de pratiques concertées, art. 1, d) (N° Lexbase : L3833AUI).
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Réf. : Cass. civ. 3, 29 mars 2006, deux arrêts, n° 05-13.119, Office public d'aménagement et de construction du département de Saône-et-Loire, FS-P+B (N° Lexbase : A8666DNB) et n° 04-15.253, M. Jean-Pierre Buffière, FP-P+B+I (N° Lexbase : A8312DN8)
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Le 07 Octobre 2010
Aussi bien, tranchant la question de l'existence et de la preuve de l'obligation d'information en la matière, l'arrêt de la troisième chambre civile du 29 mars dernier a très nettement affirmé, sous le visa de l'article 1382 du Code civil (N° Lexbase : L1488ABQ), que "l'assurance de responsabilité obligatoire dont l'existence peut influer sur le choix d'un constructeur étant imposée dans l'intérêt des maîtres d'ouvrage, il appartient à l'assureur, tenu d'une obligation de renseignement à l'égard de son assuré à qui il a délivré une attestation nécessairement destinée à l'information des éventuels bénéficiaires de cette garantie, de fournir dans ces documents les informations précises sur le secteur d'activité professionnelle déclaré" (2).
Il reste que, et c'est sans doute l'une des difficultés ou l'un des enjeux du droit contemporain des contrats, à trouver un équilibre entre obligation d'information et obligation de se renseigner, et donc, plus fondamentalement encore, entre, d'une part, une conception moraliste, sociale, sinon socialisante du droit des contrats et, d'autre part, une conception toute libérale (3). On a d'ailleurs déjà pu relever, dans le cadre de cette chronique, que les réponses apportées à cette question d'une importance théorique et pratique indiscutable, n'étaient pas sans incidences sur le régime juridique du dol, particulièrement depuis que la jurisprudence a admis que le dol pouvait résulter d'une réticence, l'admission de la réticence dolosive portant en germe l'existence d'une obligation d'information (4). Mais il ne s'agit là, bien entendu, que de l'une des conséquences du choix à opérer entre les conceptions du contrat qui sous tendent l'équilibre à trouver entre obligation d'information et obligation de se renseigner. Mérite, en tout état de cause à ce titre, d'être ici mentionné un autre arrêt de la troisième chambre civile de la Cour de cassation du même jour (Cass. civ. 3, n° 04-15.253), cassant, sous le visa de l'article 1147 du Code civil (N° Lexbase : L1248ABT), un arrêt de cour d'appel qui, pour rejeter une demande de dommages et intérêts formée contre la SAFER, avait retenu qu'on ne pouvait lui reprocher de ne pas avoir vérifié, lors de la signature de promesses unilatérales de vente et d'achat, le contenu de titres de propriété antérieurs dont la teneur ne lui avait pas été révélée. Selon la Haute juridiction en effet, "en sa qualité de professionnel de la vente de biens fonciers, la SAFER, bénéficiaire d'une promesse unilatérale de vente, était tenue de se renseigner sur la disponibilité du bien avant d'accepter une promesse unilatérale d'achat de ce bien". Encore faudra-t-il sans doute se demander s'il est vraiment là question de rechercher un équilibre entre obligation d'information et obligation de se renseigner et plutôt relever que la décision ne fait que conforter, en définitive, la fermeté dont fait preuve la jurisprudence à l'égard des professionnels.
David Bakouche
Professeur agrégé des Facultés de droit
(1) Cass. civ. 3, 17 décembre 2003, n° 01-12.259, M. Philippe Pigassou c/ Compagnie GAN, FS-P+B+I+R (N° Lexbase : A4756DAE), Bull. civ. III, n° 235, JCP éd. G, 2004, II, 10091, note Pimbert, RCA 2004, n° 83, note Durry.
(2) Voir déjà, dans le même sens, mettant en oeuvre les règles de la responsabilité délictuelle à l'égard du bénéficiaire de la garantie : Cass. civ. 3, 22 septembre 2004, n° 02-13.847, Syndicat des copropriétaires du 67, rue Marx Dormoy à Paris 18e, représenté par son syndic, la société Gestion immobilière prestations conseils (GIPC) c/ M. Christophe Thévenot, FS-P+B (N° Lexbase : A4147DDX), Bull. civ. III, n° 153, D. 2005, p. 1322, obs. Groutel.
(3) Sur cette question, cons. P. Jourdain, Le devoir de "se" renseigner (Contribution à l'étude de l'obligation de renseignement), D. 1983, chr. p. 139 ; M. Fabre-Magnan, Essai d'une théorie de l'obligation d'information dans les contrats, LGDJ, 1992 ; G. Danjaume, La responsabilité du fait de l'information, JCP éd. G, 1996, I, 3895 ; adde, plus généralement, F. Terré, Ph. Simler et Y. Lequette, Droit civil, Les obligations, Précis Dalloz, 9ème éd., n° 257 et s.
(4) Voir not., sur ce point, D. Bakouche, Aperçu des rapports entre obligation d'information et obligation de se renseigner dans la mise en oeuvre du dol, Lexbase Hebdo n° 26 du 6 juin 2002 - édition affaires (N° Lexbase : N3067AAT), et Quelques observations sur les rapports entre la réticence dolosive et l'erreur inexcusable, Lexbase Hebdo n° 87 du 25 septembre 2003 - édition affaires (N° Lexbase : N8791AAT).
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Réf. : CE, 3° et 8° s-s., 7 novembre 2005, n° 274406, Elections cantonales d'Aix-Sud-Ouest (N° Lexbase : A5022DLL)
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Le 07 Octobre 2010
A- Les quelques dispositions existantes du Code électoral
Les conseils généraux se renouvellent par moitié tous les six ans (1). En d'autres termes, tous les trois ans, on vote dans un canton sur deux. La répartition des cantons en deux séries ne résulte pas d'un texte récapitulant une liste de cantons, comme c'est le cas, par exemple, pour les départements aux élections sénatoriales (2). A cette fin, dans chaque département, les cantons sont répartis en deux séries égales, tant au niveau du département que de l'arrondissement, par le conseil général à la réunion qui suit le renouvellement des élus, qui détermine, ensuite, par tirage au sort, l'ordre du renouvellement des séries (3).
Ces dispositions sont claires quand un département nouveau est créé. Elles le sont moins quand quelques cantons nouveaux le sont dans un département existant. Comment les répartir entre les deux séries ? Une précision est apportée par l'article L. 209 du Code électoral (N° Lexbase : L2565AAA) : le conseiller anciennement élu dans un canton nouvellement divisé dispose d'un droit d'option dans les dix jours de la publication du décret. A défaut, le conseil général affecte un canton à l'élu par voie de tirage au sort. Les cantons restants sont pourvus, en fonction du calendrier, soit par une élection partielle, soit au titre du renouvellement de la plus proche série (4). Il reste à attribuer ces cantons à l'une ou l'autre des séries.
La répartition relève bien de la compétence de l'assemblée départementale, dont on mesure l'embarras : elle doit déterminer, non seulement l'affectation de tel ou tel canton à l'une ou l'autre des séries, mais aussi, en fonction de cette répartition, implicitement mais nécessairement, la durée du mandat des élus concernés par ce tirage au sort, qui est, selon les cas, de trois ou de six ans. On peut mieux comprendre, dès lors, la tentation de forcer le sort.
B- La jurisprudence dégagée par le Conseil d'Etat
Le Conseil d'Etat a eu à se prononcer, en moyenne une fois par décennie, sur la question de l'attribution de cantons à une série. Les éléments qui s'en dégagent sont les suivants :
1°) la procédure d'affectation ne peut avoir pour effet d'autoriser le préfet à mettre fin unilatéralement à un mandat dont la durée est fixée par la loi, plus exactement, à provoquer, par la convocation du corps électoral, l'élection qui aurait pour objet de pourvoir un siège non vacant (5) ;
2°) la procédure s'effectue en deux temps : se règle, d'abord, la question du choix des cantons affectés aux anciens élus, les cantons "héritiers", qui, si les élus ont opté comme le prévoit la loi, est un simple constat ; puis le conseil général répartit les autres cantons "non héritiers" par tirage au sort, sans en excepter aucun (6) ;
3°) la circonstance qu'un découpage cantonal ait été, ensuite, annulé par le juge de l'excès de pouvoir n'a pas pour effet de mettre fin au mandat des élus ou d'en réduire la durée, dès lors que ni l'élection, ni la procédure de répartition par voie de tirage au sort n'ont été attaquées au contentieux, l'une devant le juge électoral, l'autre devant le juge de l'excès de pouvoir (7) ;
4°) si l'égale répartition des cantons entre séries dans un même département constitue un objectif contraignant pour le conseil général, il n'en va pas de même pour l'égalité de répartition entre séries de cantons d'un même arrondissement (8).
Dans l'affaire citée en référence, la question de l'attribution du canton à une série se trouve implicitement posée par un candidat malheureux à l'occasion d'un contentieux électoral par ailleurs banal. Le Conseil d'Etat a eu l'occasion de censurer partiellement (9) le découpage cantonal des Bouches-du-Rhône opéré par décret (10). Du fait de cette décision, la création de certains cantons a été maintenue, celle d'autres annulée, ce qui a rendu fortement inégale la répartition des cantons entre séries. Le requérant en déduisait la possibilité de faire changer son canton de série. Sa requête a été rejetée au motif que l'opération aurait eu pour effet principal de porter la durée d'un mandat de conseiller général de six à neuf ans.
II. La méthode suggérée par la jurisprudence du Conseil d'Etat
Ainsi se dessine une méthode de référence par touches successives dont l'articulation mérite d'être exposée plus en détail. Quand et comment envisager concrètement ces modalités de répartition ?
A- Quand l'envisager ?
L'usage s'est établi de créer les cantons pour qu'ils soient pourvus lors du renouvellement général qui suit, juste avant le terme légal d'un an avant une élection générale qui interdit toute modification de circonscription (11). Les dernières grandes redistributions cantonales remontent à 1991 (12) et 1997 (13), avec quelques opérations ponctuelles en 2000 (14) et 2003 (15).
La publication du décret entraîne un droit d'option des élus dans les dix jours de la publication du décret. Le texte de la loi, quelque peu ancien dans sa rédaction, parle de "promulgation" mais c'est bien de "publication" au sens où on l'entend maintenant qu'il est question. Dans ce délai, les élus optent pour un nouveau canton, qui devient le canton "héritier", affecté à la même série que son prédécesseur, la durée du mandat de l'élu n'étant pas modifiée. Si l'élu s'abstient de choisir, le conseil général le fait à sa place et le canton "héritier" est choisi par voie de tirage au sort. Les conséquences sont identiques (16).
On suppose que, dans le laps de temps séparant l'option des derniers élus et le renouvellement, le Conseil d'Etat a purgé le contentieux de l'excès de pouvoir portant sur le découpage électoral. Faute de quoi l'on se retrouve dans la situation de la Meurthe-et-Moselle en 1998, où, à la suite d'un redécoupage annulé postérieurement aux élections (17), un élu est resté membre du conseil général alors que sa circonscription avait disparu !
C'est ensuite que la loi présente une difficulté : il faut attendre la première réunion de droit du conseil général pour procéder à la répartition des nouveaux cantons entre deux séries. Autrement dit, on l'effectue en sachant qui vient d'être élu dans chaque canton.
B- Comment l'envisager ?
Il n'est pas exclu que la question du tirage au sort se règle d'elle-même. Par exemple, si le redécoupage crée un canton supplémentaire dans un département à nombre inégal de cantons dans chaque série, il est clair que le nouveau devra être affecté à la série comprenant le moins de cantons.
Si le redécoupage crée un ou deux cantons "non héritiers" dans un département à nombre égal de cantons dans chaque série, le tirage au sort est obligatoire. De même pour deux cantons supplémentaires "non héritiers" dans un département où une série compterait un canton de plus que l'autre.
Au-delà, il faut une étape intermédiaire : fixer le nombre de cantons additionnel par série. Par exemple, création de cinq cantons "non héritiers" dans un département à séries comptant l'une 20, l'autre 21 cantons : il faut en attribuer 3 dans la série comptant le moins de cantons et 2 dans l'autre. Si les premiers nombres étaient 20 et 23, la distribution serait respectivement de 4 et 1, etc. Ensuite, chaque canton est réparti au sort. On ne peut pas procéder par bloc en regroupant les cantons, ce qu'interdit en principe la recherche d'égalité par arrondissement.
Dans ces conditions, l'attribution d'un canton à une série comporte nécessairement renouvellement du conseiller général qui en est l'élu en même temps que la série dont il fait partie. Par voie de conséquence, des élus chanceux resteront désignés pour six ans, tandis que d'autres, moins favorisés par le sort, le seront seulement pour trois ans.
Conclusion
On peut se demander, dès lors, pourquoi le législateur a confié au conseil général le soin du tirage au sort. Les règles, héritées du XIXe siècle comme l'indique le vocabulaire, se comprenaient parfaitement dans des assemblées départementales dont le préfet était le seul exécutant. C'est, en fait, lui qui proposait la procédure, même si matériellement, c'est l'assemblée qui procédait au tirage au sort. Les lois de décentralisation après 1982 n'ont pas entendu enlever au conseil général une compétence déjà décentralisée. Mais la conception moderne du droit se montre plus encline à souligner l'éventuelle absence de neutralité d'une assemblée dont certains membres ont intérêt aux résultats du tirage au sort.
Guy Prunier
Chargé de mission au Conseil constitutionnel
(1) Code électoral, art. L. 192 (N° Lexbase : L2550AAP).
(2) Code électoral, art. L. 279 (N° Lexbase : L2637AAW).
(3) Code électoral, art. L. 192 précité.
(4) Code électoral, art. L. 221 (N° Lexbase : L2473AAT).
(5) CE, cont., 5 mai 1976, n° 95404, Ministre de l'Intérieur c/ M. Corlay (N° Lexbase : A3669B7Z).
(6) CE, cont., 19 décembre 1984, n° 56718, M. Hethener, département de la Moselle c/ M. Delrez (N° Lexbase : A4729ALQ).
(7) CE, 3° et 8° s-s., 24 janvier 2001, n° 227439, M. Guillerme (N° Lexbase : A6575AP9).
(8) CE, cont., n° 56718 précité et CE ass., 13 novembre 1998, n° 187318, MM. Le Déaut et autres (N° Lexbase : A1220AIZ).
(9) CE, cont., 21 janvier 2004, n° 255375, M. Guinde N° Lexbase : A0633DB3).
(10) Décret n° 2003-156 du 27 février 2003, portant remodelage de cantons dans le département des Bouches-du-Rhône (N° Lexbase : L1103HIP).
(11) Loi n° 90-1103 du 11 décembre 1990, organisant la concomitance des renouvellements des conseils généraux et des conseils régionaux, art. 7 (N° Lexbase : L7100HEP).
(12) 12 décrets du 27 février 1991 :
- n° 91-209, portant modification et création de cantons dans le département des Bouches-du-Rhône (N° Lexbase : L0651HIX) ;
- n° 91-210, portant modification et création de cantons dans le département du Calvados (N° Lexbase : L0652HIY) ;
- n° 91-211, portant modification et création de cantons dans le département du Finistère (N° Lexbase : L0653HIZ) ;
- n° 91-212, portant modification et création de cantons dans le département du Gard (N° Lexbase : L0654HI3) ;
- n° 91-213, portant modification et création de cantons dans le département de l'Hérault (N° Lexbase : L0655HI4) ;
- n° 91-214, portant modification et création de cantons dans le département d'Ille-et-Vilaine (N° Lexbase : L0656HI7) ;
- n° 91-215, portant modification et création de cantons dans le département de Loir-et-Cher (N° Lexbase : L0657HI8) ;
- n° 91-216, portant modification et création de cantons dans le département du Nord (N° Lexbase : L0658HI9) ;
- n° 91-217, portant modification et création de cantons dans le département du Pas-de-Calais (N° Lexbase : L0659HIA) ;
- n° 91-218, portant suppression et modification de cantons dans le département de la Seine-Maritime (N° Lexbase : L0660HIB) ;
- n° 91-219, portant modification et création de cantons dans le département de Seine-et-Marne (N° Lexbase : L0661HIC) ;
- n° 91-220, portant modification et création de cantons dans le département de Tarn-et-Garonne (N° Lexbase : L0662HID) ;
- n° 91-221, portant modification et création de cantons dans le département de l'Yonne (N° Lexbase : L0663HIE) ;
et 2 décrets du 28 février 1991 :
- n° 91-231, portant modification et création de cantons dans le département de la Réunion (N° Lexbase : L0664HIG) ;
- n° 91-232, portant modification et création de cantons dans le département de la Guadeloupe (N° Lexbase : L0665HIH).
(13) Décret n° 97-21 du 13 janvier 1997 portant modification et création de cantons dans le département du Var (N° Lexbase : L1105HIR), 7 décrets non numérotés du 26 février 1997 :
- décret portant modification et création de cantons dans le département de la Haute-Garonne (N° Lexbase : L0669HIM) ;
- décret portant modification des limites territoriales de communes, de cantons et d'arrondissements du département du Pas-de-Calais (N° Lexbase : L0668HIL) ;
- décret portant modification des limites territoriales de communes et de cantons du département de l'Essonne (N° Lexbase : L0670HIN) ;
- décret portant modification et création de cantons dans le département de la Haute-Savoie (N° Lexbase : L0672HIQ) ;
- décret portant modification de cantons dans le département de l'Isère (N° Lexbase : L0671HIP) ;
- décret portant modification des limites territoriales de communes et de cantons du département de l'Oise (N° Lexbase : L0673HIR) ;
- décret portant modification et création de cantons dans le département de l'Aude (N° Lexbase : L0674HIS) ;
et un décret du 27 février 1997, portant modification et création de cantons dans le département de la Réunion (N° Lexbase : L0666HII).
(14) Décret du 28 février 2000, portant fusion, modification et création de cantons dans le département du Rhône (N° Lexbase : L0667HIK).
(15) Décret n° 2003-156 précité.
(16) Code électoral, art. L. 209 précité.
(17) CE, cont., n° 187318 et n° 227439 précités.
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Le 07 Octobre 2010
La notion d'intérêt communautaire
Elle a été introduite par la loi du 6 février 1992 (LOATR) (3) pour les communautés de villes et les communautés de communes. Elle a été étendue aux communautés d'agglomération et aux communautés urbaines par la loi du 12 juillet 1999 (4) qui apporte également des précisions quant à ses modalités de définition.
L'intérêt communautaire détermine les actions qui, au sein d'une même compétence, ont vocation à être mises en oeuvre par l'EPCI ou demeurent aux communes membres. Dans une logique de subsidiarité, les collectivités membres conservent les actions de proximité tandis que l'EPCI assume les missions intercommunales dont les spécificités (coût, technicité, ampleur ou caractère structurant) appellent une réalisation commune (mutualisation, économies d'échelle, projet de développement).
La procédure de définition
Elle diffère selon la catégorie d'EPCI. Pour les communautés de communes, l'article L. 5214-16 du Code général des collectivités territoriales (CGCT) (N° Lexbase : L1920HBQ) impose le transfert de compétences obligatoires et optionnelles. Leur contenu reste librement adapté par les communes qui définissent, au sein de ces groupes de compétences, les actions ou missions d'intérêt communautaire qu'elles souhaitent réaliser en commun. Le conseil communautaire n'a pas compétence pour approuver cette définition mais peut la proposer (5). L'approbation s'effectue par délibérations concordantes des conseils municipaux des communes membres (au moins deux tiers des conseils municipaux représentant plus de la moitié de la population, ou bien l'inverse). Au regard de la nécessité de circonscrire les compétences effectivement transférées lors de la création de la communauté de commune, la définition de l'intérêt communautaire devrait intervenir à ce moment. Le Conseil d'Etat a considéré que cette définition pouvait intervenir postérieurement (6). La loi "libertés et responsabilités locales" précise un délai clair (7). La définition de l'intérêt communautaire est un élément constitutif des statuts, dès la création de l'EPCI, ou peut y être intégrée postérieurement par un arrêté préfectoral.
Pour les communautés d'agglomération et les communautés urbaines, leur plus grande intégration a justifié que les communes, en transférant une compétence à l'EPCI, perdent également la maîtrise directe de la définition de son contenu. Elle relève directement du conseil communautaire se prononçant à la majorité qualifiée des deux tiers de ses membres (respectivement, CGCT, art. L. 5216-5-III N° Lexbase : L1921HBR et L. 5215-20-I N° Lexbase : L7896HB3) (8). La compétence exclusive du conseil communautaire justifie que la définition de l'intérêt communautaire n'ait pas à figurer dans les statuts de la communauté d'agglomération ou de la communauté urbaine.
2. Les délais : le risque "du rien au tout"
Un délai initial prolongé
Le délai initial pour la définition de l'intérêt communautaire était limité à un an dans la loi du 13 août 2004 (9), à compter de sa publication, et devait ainsi échoir au 17 août 2005. Au regard de cette brièveté, les élus aspiraient à bénéficier du temps nécessaire pour identifier les opérations qui relèvent de l'échelon intercommunal et être en mesure d'apprécier pleinement les incidences juridiques, fonctionnelles et financières d'une telle décision. Ils soulignaient que la définition de l'intérêt communautaire d'une compétence ne peut pas se résumer à un simple exercice juridique mais correspond au projet politique et stratégique de la communauté, librement défini par eux. A la demande de six grandes associations d'élus locaux (10) et par un cavalier législatif (11), le délai a été "définitivement" allongé d'une année supplémentaire. Pour la plupart des EPCI, le délai de définition de l'intérêt communautaire expirera le 18 août 2006.
Les contraintes du délai
Si la temporisation demandée par les élus apparaît politiquement légitime, elle ne peut être renouvelée tant elle est préjudiciable à l'intercommunalité. En effet, tant que l'intérêt communautaire n'a pas été défini par les communes (communautés de communes) ou le conseil communautaire (communautés d'agglomération et communautés urbaines), l'EPCI ne peut exercer les compétences concernées, de par l'impossibilité de déterminer précisément ce qui relève du niveau communal ou intercommunal (12).
Inversement, au-delà du 18 août prochain, l'absence de définition de l'intérêt communautaire entraînera le transfert intégral de la compétence n'ayant pas fait l'objet d'une définition. Les communes ne pourront plus intervenir dans son champ. Le préfet aura l'obligation de procéder à la modification des statuts : toute référence à la notion d'intérêt communautaire au sein des compétences concernées sera supprimée et l'EPCI devient, ainsi, titulaire de l'intégralité (13).
Un délai relativisé
Si la contrainte du délai présente le risque de voir incomber à un EPCI l'intégralité de compétences, contre la volonté des élus, la situation n'est pas irréversible. La définition de l'intérêt communautaire peut être modifiée à tout moment en cours de vie de l'EPCI et rien ne s'oppose à une évolution ultérieure du choix initial, bon gré ou mal gré (14). Le préfet réintroduit l'intérêt communautaire dans les statuts.
3. Des critères objectifs de définition
La loi n'apporte aucune précision quant à la manière de définir l'intérêt communautaire. Bien que le recours à une liste soit possible, une énumération de zones d'équipements ou d'opérations au sein des compétences concernées n'est pas la plus opportune solution. Des critères objectifs devraient permettre de départager précisément les domaines de l'action communautaire au sein de la compétence. Les critères peuvent être financiers, physiques, géographiques, voire qualitatifs. La reconnaissance du caractère d'intérêt communautaire s'attache par vocation à "toutes les actions, opérations, zones et équipements dont l'intérêt n'est pas détachable du développement, de l'aménagement ou de la politique de cohésion sociale de l'ensemble de la communauté, même s'ils sont localisés sur le territoire d'une seule commune" (15).
4. La définition de l'intérêt communautaire de la voirie
L'assistance technique fournie par les services de l'Etat pour des raisons de solidarité et d'aménagement du territoire (ATESAT)
La circulaire du 20 février 2006 rappelle que les communes qui ne disposent pas, du fait de leur taille et leurs ressources, des moyens humains et financiers nécessaires à l'exercice de leurs compétences peuvent bénéficier du soutien de l'ATESAT dans la mise en oeuvre de la définition de l'intérêt communautaire en matière de voirie. Les collectivités non éligibles peuvent toujours recourir aux services déconcentrés de l'Etat dans le cadre d'une commande publique. Les communautés urbaines et les communautés d'agglomération ne peuvent bénéficier de l'ATESAT et les services déconcentrés de l'Etat doivent identifier les portions de voirie relevant de la compétence des communes membres éligibles.
Précisions sur la définition
La compétence en matière de voirie est obligatoire pour les communautés urbaines (CGCT, art. L. 5215-20 précité). L'exercice de cette compétence ne dépend donc pas de la reconnaissance d'un intérêt communautaire. Elle est, en revanche, optionnelle pour les communautés de communes et les communautés d'agglomération. L'étendue du transfert de la compétence de voirie est définie par les articles L. 5214-16 et L. 5214-23-1 du CGCT (N° Lexbase : L1920HBQ). Elle entend la création, l'aménagement et l'entretien de la voirie qui constituent un bloc insécable d'attributions. L'investissement et le fonctionnement constituent également un bloc insécable qui impose qu'ils soient exercés par la même personne. Le CGCT (art. L. 5211-5 N° Lexbase : L9718AA8, L. 1321-1 N° Lexbase : L9584DNB et L. 1321-2 N° Lexbase : L0406DPQ) prévoit une mise à disposition des biens nécessaires à l'exercice d'une compétence transférée dans laquelle le bénéficiaire exerce les droits patrimoniaux du propriétaire (entretien et gestion du bien).
Des critères de définition
L'impératif de clarté des responsabilités respectives de l'EPCI et des communes membres rend préférable l'établissement d'une liste des voies reconnues d'intérêt communautaire parmi les voies communales et les chemins (du domaine privé de la commune). Certains critères peuvent être pris en considération : caractère structurant des voies ; importance des flux ; desserte de zones ou équipements d'intérêt communautaire ; voies du réseau de transports en commun. Pour une certaine rationalité, la définition devrait former un maillage cohérent de voies connectées entre elles et permettre de gérer les axes de façon homogène.
5. La définition de l'intérêt communautaire de la voirie
Les impacts juridiques du transfert de la compétence voirie
Les communautés urbaines bénéficient du transfert en pleine propriété des biens du domaine public routier des communes. Le transfert définitif de propriété à leur profit s'accompagne également des droits et obligations attachés aux biens transférés. A l'inverse, le transfert de la compétence voirie aux communautés de communes et communautés d'agglomération n'affecte pas le patrimoine des communes puisqu'il s'agit d'une mise à disposition de voies existantes.
La question des pouvoirs de police
Le maire exerce la police administrative générale (CGCT, art. L. 2212-2 N° Lexbase : L8691AA7) dans le cadre de sa commune pour prendre toute mesure destinée à assurer la sécurité et la commodité du passage sur les voies publiques. Le maire exerce la police de la circulation routière (CGCT, L. 2213-1 N° Lexbase : L8696AAC) sur les routes nationales, départementales et voies de communication à l'intérieur des agglomérations, sous réserve des pouvoirs dévolus au représentant de l'Etat dans le département sur les routes à grande circulation.
La loi "libertés et responsabilités locales" a introduit un article L. 5211-9-2 (N° Lexbase : L1927GUW) dans le CGCT. Il donne la faculté aux maires de transférer aux présidents d'EPCI leurs pouvoirs de police en matière de circulation et de stationnement sur les voies d'intérêt communautaire. Le transfert, constaté par arrêté préfectoral, nécessite l'accord de tous les maires des communes membres. Les maires conservent leur pouvoir de police générale, ce qui nécessite que les arrêtés soient pris conjointement par le président de l'EPCI et les maires concernés.
Nicolas Wismer
Collaborateur juridique à des associations de collectivités territoriales
Chargé d'enseignement en droit public à l'IEP de Lyon
(1) Circulaire NORMCTB0600022C du 20 février 2006, relative à l'assistance au profit des communes et de leurs groupements à la définition de l'intérêt communautaire de la voirie par les services déconcentrés du ministère chargé de l'équipement (N° Lexbase : L1107HIT), BOMI 2006.
(2) Circulaire NORINTB0500105C du 23 novembre 2005, relative au renforcement de l'intercommunalité et à la définition de l'intérêt communautaire dans les EPCI à fiscalité propre (N° Lexbase : L7580HEH), BOMI 2006.
(3) Loi d'orientation n° 92-125 du 6 février 1992, relative à l'administration territoriale de la République (N° Lexbase : L8033BB7).
(4) Loi n° 99-586 du 12 juillet 1999, relative au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale (N° Lexbase : L1827ASH).
(5) TA Nantes, 4 janvier 2005, n° 022831 et 03356.
(6) CE, 26 octobre 2001, n° 234332, Commune de Berchères-Saint-Germain (N° Lexbase : A1543AXG).
(7) Voir infra.
(8) Cette majorité est calculée en prenant en référence l'effectif total du conseil communautaire et non seulement les suffrages exprimés : TA Lille, 16 décembre 2004, n° 0306080, Association Sauvons le site de la citadelle de Lille.
(9) Loi n° 2004-809 du 13 août 2004, relative aux libertés et responsabilités locales, article 164 (N° Lexbase : L0835GT4).
(10) Association des maires de grandes villes de France, Association des petites villes de France, Fédération des maires des villes moyennes, Assemblée des communautés de France et Association des communautés urbaines de France.
(11) Loi n° 2005-781 du 13 juillet 2005, de programme fixant les orientations de la politique énergétique, article 18 (N° Lexbase : L5009HGM).
(12) TA Dijon, 19 octobre 1999, M. Maurice Chamoy et autres (N° Lexbase : A2221DPX).
(13) Le délai n'est opposable qu'en tant qu'il concerne des compétences obligatoires ou optionnelles prévues par le CGCT. Les compétences facultatives doivent être définies de manière suffisamment précises pour être exercées. Si une compétence a été retenue à titre facultatif, alors qu'elle figure dans la liste des compétences optionnelles, elle doit donner lieu à définition effective de l'intérêt communautaire dans le délai légal.
(14) Cette modification peut entraîner une nouvelle mise à disposition de biens, équipements ou services publics, ou à l'inverse, une fin de mise à disposition. Si elle génère un nouveau transfert de charges de la commune vers un EPCI à TPU, elle impacte le montant de l'attribution de compensation.
(15) Circulaire NORINTB0500105C du 23 novembre 2005, précitée.
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par Compte-rendu réalisé par Fabien Girard de Barros, Directeur de la rédaction
Le 07 Octobre 2010
1. En amont de l'expertise judiciaire informatique, la saisie-contrefaçon revêt une importance toute capitale. Il s'agit à la fois d'une sanction par anticipation et d'une mesure probatoire. Et Stéphane Lipski d'insister sur la déontologie qui doit animer tout expert judiciaire au cours de la procédure de saisie, comme celle de l'expertise proprement dite. En effet, la première attention de l'expert doit se porter sur le cadre précis des missions qui lui sont conférées par ordonnance du juge. Autrement dit, il n'est pas question pour lui d'excéder le cadre des missions définies judiciairement, auquel cas la nullité de l'opération de saisie pourrait être requise ; si l'huissier conduit la saisie, l'expert judiciaire est responsable du respect de l'ordonnance. Par suite, même si aucun texte ne prévaut sur le sujet, une interdiction d'assister le demandeur de la saisie dans la suite du litige est de mise, afin d'assurer son indépendance. D'aucuns souligneront, ici, une différence sensible d'avec le droit des brevets, pour lequel la Cour de cassation ne voit aucune objection à ce que le conseiller en propriété intellectuelle, faisant office d'expert de la partie demanderesse, assiste aux opérations de saisie de brevets et à la suite du litige. Mais comme le rappelle, François Wallon, Expert en informatique agréé par la Cour de Cassation, et membre d'honneur de l'ADIJ, cette différence d'appréciation déontologique tient à la matière elle-même : en ce qui concerne l'informatique, il est nécessaire de tout voir et constater. Pour le domaine des brevets, il s'agit de saisir le produit lui-même. Par conséquent, les risques de remploi des constatations annexes ou accessoires à celles initialement recherchées sont plus minces en matière de brevet. Dans le même esprit, il est rappelé que la saisie-contrefaçon n'est pas une affaire à prendre à la légère, et ne doit ni être l'occasion pour un industriel de rechercher d'éventuelles et hypothétiques contrefaçons de la part d'un concurrent (NCPC, art. 146, al. 2 N° Lexbase : L2261AD4) ; ni de lui permettre, par le truchement de l'expert judiciaire, de prendre connaissance des secrets industriels de ce même concurrent. La règle du secret des affaires prévaut pleinement en la matière. Ainsi, lorsque les premières analyses d'expertise sont orchestrées par les forces de polices ou de gendarmerie spécialisées, les éléments saisis doivent faire l'objet d'une transmission uniquement à l'expert judiciaire, qui sera ainsi en charge de ne dévoiler que ce que de besoin, conformément à l'ordonnance.
2. La deuxième phase de la procédure d'expertise judiciaire concerne, bien évidemment, la caractérisation de la contrefaçon elle-même. Il s'agit d'apprécier les ressemblances et non les différences constatées entre un produit originel et un prétendu produit piraté. Plusieurs éléments de similitudes sont constitutifs de la contrefaçon : une similitude d'interface-utilisateur, de graphisme, de fonctionnalités, un même type d'erreur relevé entre deux logiciels, une ressemblance dans l'organisation des bases de données. Au besoin, l'expert judiciaire dispose de plusieurs logiciels ad hoc lui permettant de comparer les lignes de codes de programmes informatiques en apparence différents (tels EnCase, Toolkit). Mais attention, comme le souligne Stéphane Lipski, la présence de lignes de codes communes, libres d'accès sur internet, n'est pas constitutive, à elle seule, d'une contrefaçon. L'expert s'intéresse ainsi au processus de création informatique dans son entier. Donc, les semblants ne suffisent pas forcément : tous les logiciels de comptabilité reprennent les mêmes fonctionnalités qui s'organisent autour d'un plan comptable obligatoire ; les similitudes sont là évidentes, mais ne constituent pas un indice de contrefaçon.
3. Enfin, l'expert judiciaire doit s'atteler à l'évaluation du préjudice. Une fois les principes de la responsabilité civile rappelés (un fait dommageable, un préjudice et un lien de causalité), toute la difficulté rencontrée par l'expert judiciaire tient, en premier lieu, en ce que, si le fait dommageable doit être constaté et analysé chez le contrefacteur, le dommage doit, lui, subir les mêmes écueils chez le contrefait. Donc, il s'agit d'analyser la perte subie par le contrefait ; mais aussi de voir le lien de causalité (une diffusion large du produit contrefait par exemple) chez le contrefacteur. Deux types d'évaluation sont possibles : celle de la perte constatée, ou celle du manque à gagner.
Pour Jean-François Jésus, Avocat au Barreau de Paris, Cabinet August & Debouzy, toute l'utilité de l'expert réside dans cette détermination pédagogique du préjudice. Il s'agit pour l'expert d'établir un rapport présentant avec exhaustivité la masse contrefaisante. Mais au-delà des principes d'évaluation, les difficultés sont d'une intensité variable, selon les supports ou flux de diffusion de cette masse. Prenons le cas d'une unité centrale saisie ; il s'agit pour l'expert de vérifier que les données sont intègres, de constater la masse contrefaisant éditeur par éditeur et de déterminer ainsi le préjudice. La présentation faite par l'expert doit contenir la liste exhaustive des logiciels, des titres et de leurs versions, les noms exacts des éditeurs, les dates d'installation et la méthode d'inventaire (lecture entière de la partition ou utilisation d'un logiciel ad hoc). L'expert pourra ainsi annexer à son rapport des images d'impression pour le chiffrage du préjudice.
Dans une toute autre mesure, face à un "collectionneur" de cd-roms contrefaits, la quantité importante pour un seul contrefacteur oblige à une adaptation des méthodes d'expertise. Comment déterminer le préjudice ? La plupart du temps, l'expert judiciaire opèrera un sondage statistique : avec l'analyse de 15 % des volumes, il transcrira ses résultats sur la totalité de la masse contrefaisante. Mais ce faisant, il donne involontairement du grain à moudre à la partie défenderesse. Les clés de sondage ne sont parfois pas validées par les juges qui préfèrent, ainsi, user de leur pouvoir d'appréciation souveraine.
Par ailleurs, la question des sites FTP, c'est-à-dire la contrefaçon de masse par diffusion via internet, pose des problèmes préalables d'importance : quel est le serveur qui diffuse le logiciel contrefait ? Est-il en France ou non ? Quel est son statut (appartient-il au contrefacteur ou à une société d'hébergement) ? Enfin, comment déterminer la quantité de diffusion, et par là même le préjudice -notamment quand cette diffusion est déclarée, par expert, indéfinie- ? Il s'agit donc pour l'expert d'évaluer la perte vraisemblable, la perte de chance. Car, comme le souligne François Wallon, il n'y a pas de corrélation évidente entre le nombre de copies et les pertes de commercialisation.
Enfin, ultime question sur le terrain civil, comment évaluer le préjudice lorsque le logiciel ayant fait l'objet d'une contrefaçon n'est pas encore commercialisé ? Ce préjudice est-il nul ou correspond-il au prix de revient ? Pour Stéphane Lipski, avec un certain degré d'incertitude, sauf si le logiciel présente une malfaçon ou n'est pas adapté au marché, le préjudice est évalué à hauteur de la commercialisation probable. Par ailleurs, même si le contrefacteur ne commercialise par son produit contrefait, les faits de contrefaçon sont condamnables sur le terrain du parasitisme (à charge de la preuve par le contrefait).
4. En dehors de cette appréciation de l'expertise judiciaire informatique sur le théâtre civil, les entreprises victimes de la contrefaçon peuvent avoir tout intérêt à réclamer une expertise pour obtenir une condamnation pénale, afin de jeter l'opprobre immédiat sur le contrefacteur. Et François Wallon de rappeler combien le rôle de l'expert judiciaire informatique est important, car son analyse revêt une force probatoire dont il est difficile pour le magistrat de se détacher. Son objet commence dès l'enquête préliminaire et la garde à vue. Pourtant, c'est un technicien des forces de police ou de gendarmerie, et non un expert judiciaire, qui recueillera toutes les preuves (à charge). Il faut attendre qu'un expert judiciaire soit commis par le juge d'instruction pour que l'indépendance de l'expertise s'avère plus évidente -bien que le principe du contradictoire ne prévale pas en la matière-, car l'expert n'est pas un enquêteur. Après réception des scellés qu'il se doit de photographier, l'expert dresse l'inventaire des fichiers collectés, recherche les slacks et autres secteurs alloués. Et, en matière d'indépendance de l'investigation, il est rappelé que l'expert judiciaire n'est pas soumis à l'article 40 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L5531DYI), aux termes duquel "toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l'exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d'un crime ou d'un délit est tenu d'en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs". Il appartient à chaque expert judiciaire de déterminer s'il doit ou non porter à la connaissance du Ministère public les infractions constatées n'ayant aucun rapport, en apparence, avec le délit recherché. Par suite, il ne lui reste plus qu'à établir son rapport sur cd-rom, reconstituer les scellés, apporter son témoignage à l'audience et répondre aux questions des juges et avocats.
Chacun le perçoit, déjà, les plus grandes rigueurs et indépendance sont de mise dans ces opérations d'expertise judiciaire informatique en matière de contrefaçon, au risque d'emporter la nullité de l'opération de saisie ou le discrédit sur la détermination du préjudice subi. La coordination des investigations des techniciens, enquêteurs, experts et avocats est essentielle dans les rouages du contentieux pour contrefaçon lui-même.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
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