La lettre juridique n°212 du 27 avril 2006

La lettre juridique - Édition n°212

Éditorial

Offres publiques d'acquisition : à chaque Etat "son option"

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la rédaction

Le 27 Mars 2014


Il aura fallu attendre plus de 20 ans pour que soit rendue effective dans notre droit positif, la réorchestration, à un niveau communautaire, du régime des offres publiques d'acquisition (OPA). Sans doute que le rachat d'Aventis par Sanofi en mai 2004, ou l'OPA d'Alcan sur Péchiney fin 2003, ou encore les rumeurs de marché de l'été 2005 portant sur l'intérêt de Pepsico pour Danone, auront accéléré la transposition attendue de la Directive 2004/25 du 21 avril 2004. Les intérêts économiques, financiers, mais aussi stratégiques, politiques et sociaux de ces opérations -avec la naturalisation française du concept de "patriotisme économique", notamment- ont pressé le pas de cette transposition, jusqu'à l'adoption définitive de la loi n° 2006-387 du 31 mars 2006. Selon la formule consensuelle (cf. rapport n° 20 de M. Philippe Marini, fait au nom de la Commission des finances, déposé le 13 octobre 2005), les OPA contribuent à l'acquisition d'une taille critique, à l'obtention de synergies industrielles et commerciales, à la conquête plus rapide de parts de marché, voire à la remise en cause d'une mauvaise gestion. Leur simple probabilité constitue un facteur incitatif à la création de valeur et à la préservation des intérêts financiers des actionnaires, susceptible de se traduire par un accroissement du cours de bourse et donc par le renchérissement du prix à payer pour une cible potentielle. Toutefois, le manque d'"égalité des conditions de jeu" (level playing field) avec les Etats-Unis, quant aux moyens de défense susceptibles d'être engagés par les sociétés cibles, et sur l'obligation pour les dirigeants d'obtenir l'autorisation de l'assemblée générale pour adopter de telles mesures, a suscité suffisamment d'opposition auprès des Etats membres pour retarder une harmonisation communautaire sur le régime de ces offres. Ces inégalités ont donc tout naturellement influencé la conception même d'une réglementation des offres publiques au sein de l'Union européenne. Aussi, dans un but avéré de conciliation et de pragmatisme, la Directive propose aux Etats membres des options de transposition. Le texte communautaire constitue un socle pour améliorer la compétition entre entreprises européennes, mieux harmoniser les procédures et l'environnement des offres publiques et assurer une plus grande transparence des prises de contrôle. A partir de ce texte, après analyse des options offertes, et sur les conclusions du groupe de travail de Jean-François Lepetit, dont le rapport, remis le 27 juin 2005, propose une application différenciée des options ouvertes par l'article 12 de la Directive, la loi de transposition intègre certaines conséquences importantes de la nouvelle législation communautaire sur la compétence automatique ou optionnelle de l'AMF. Cette loi précise certains points importants comme la notion de prix équitable d'une offre, la définition de l'action de concert, la procédure de retrait obligatoire faisant suite à une OPA, la publication des mesures susceptibles d'exercer une influence sur le déroulement d'une offre, ou l'information des salariés de la société cible comme de celle qui initie l'offre. Pour faire le point sur cette question d'envergure, les éditions juridiques Lexbase vous proposent de poursuivre l'analyse critique, déjà commencée la semaine dernière, de Alain Pietrancosta, Professeur à l'Université Paris I (Panthéon-Sorbonne), Directeur du Master Droit financier, Centre de Recherches en Droit financier.

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Social général

[Questions à...] Anticipation et accompagnement des restructurations : questions à... François Farmine, avocat au barreau de Paris

Réf. : Circulaire DGEFP-DRT n° 2005-47 du 30 décembre 2005, relative à l'anticipation et à l'accompagnement des restructurations (N° Lexbase : L6929HGQ).

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par Propos recueillis par Aurélie Serrano, SGR - Droit social

Le 07 Octobre 2010

Une circulaire conjointe de la Délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle (DGEFP) et de la Direction des relations du travail (DRT) relative à l'anticipation et à l'accompagnement des restructurations a été diffusée le 30 décembre 2005 (circulaire DGEFP-DRT n° 2005-47 du 30 décembre 2005 [LXB=L6929HGQ ]). Cette circulaire détaille les axes de progrès attendus dans quatre domaines d'intervention du ministère de l'Emploi, de la Cohésion sociale et du Logement. Le premier domaine concerne l'amélioration de la veille, de l'anticipation et du diagnostic en amont des opérations de restructurations conduites par les entreprises, afin de renforcer les actions préventives qu'il peut mener auprès des entreprises. Le deuxième domaine concerne le développement de la négociation collective en matière de restructurations en tenant compte des nouveaux outils créés par la loi de cohésion sociale du 18 janvier 2005 (loi n° 2005-32 de programmation pour la cohésion sociale N° Lexbase : L6384G49). Le troisième domaine est relatif à la garantie de mesures efficaces d'accompagnement au profit des salariés licenciés à travers, notamment, le déploiement de la convention de reclassement personnalisé. Enfin, le dernier domaine touche à l'organisation de la revitalisation des territoires touchés par les restructurations en application de l'article L. 321-17 du Code du travail (N° Lexbase : L0036HDP). Afin de comprendre les impacts et les enjeux possibles de ces différents points, nous avons interrogé François Farmine, avocat associé du cabinet White & Case LLP.

Lexbase : Aujourd'hui, la loi de cohésion sociale prévoit une obligation d'anticipation des difficultés économiques par le biais d'une négociation triennale sur la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC). Quel bilan provisoire peut-on dresser de cette obligation ?

Maître François Farmine : La plupart des entreprises n'a pas conscience de la portée de l'obligation d'anticipation des difficultés économiques, notamment en matière de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences. La loi de cohésion sociale prévoit une obligation triennale de négocier (C. trav., art. L. 320-2 N° Lexbase : L8919G7H), mais un certain flou règne quant à la date d'application de cette obligation. En effet, la loi de cohésion sociale est applicable depuis février 2005 et l'obligation posée par l'article L. 320-2 du Code du travail devrait, théoriquement, courir depuis cette date. Est-ce à dire que les premières négociations sur la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences doivent débuter à cette date ? Faut-il, au contraire, comprendre que l'obligation de négociation interviendra dans 3 ans à compter de cette date ?

La circulaire ne prend pas position sur ce point. Toujours est-il qu'en pratique, très peu d'entreprises ont entamé des négociations sur ce thème. On peut raisonnablement penser que ces négociations devront avoir été engagées avant le 20 janvier 2008, soit trois années après la publication de la loi de cohésion sociale au Journal officiel. Les employeurs et leurs conseils doivent, d'ores et déjà, s'interroger sur les effets d'une méconnaissance de l'obligation, instituée par l'article L. 320-2 du Code du travail, sur la validité d'une restructuration ultérieure qui nécessiterait la mise en oeuvre d'un plan de licenciement collectif. En tout état de cause, le délai de 3 ans pour négocier apparaît beaucoup trop important étant donné que, dans les entreprises, les décisions en matière de restructurations sont souvent prises en quelques mois...

Lexbase : Pourtant, les risques sont importants en cas de non-respect de l'obligation de négocier posée par l'article L. 320-2 du Code du travail ?

Maître François Farmine : En effet. Toutefois, l'Administration est venue relativiser ces risques, notamment s'agissant du défaut de consultation du comité d'entreprise. La circulaire précise, en effet, que "le défaut de consultation du comité d'entreprise n'entraîne pas la nullité de l'accord ni son inopposabilité, mais les sanctions propres au fonctionnement du comité d'entreprise (délit d'entrave)".

Lexbase : La loi prévoit une négociation sur la stratégie de l'entreprise. Que recouvre ce terme ?

Maître François Farmine : Ce terme est très flou. La stratégie de l'entreprise peut très bien concerner, d'une manière générale, ce que l'entreprise souhaite faire à l'avenir.

En outre, cette négociation a des effets qui peuvent être désastreux sur le climat social dans l'entreprise. En effet, dès qu'une négociation est mise en oeuvre sur ce thème, l'entreprise risque une grève et/ou la mise en oeuvre d'une procédure d'alerte, conformément à l'article L. 432-5 du Code du travail (N° Lexbase : L6411ACG). Ainsi, une obligation qui, au départ, à pour ambition d'améliorer le dialogue social risque bien d'avoir des conséquences inverses.

Lexbase : Comment concilier les accords de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) et les accords de méthode ?

Maître François Farmine : Le législateur prévoit et encourage la possibilité d'un panachage entre l'obligation posée au titre de l'article L. 320-2 du Code du travail sur les accords de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences et celle de l'article L. 320-3 du Code du travail (N° Lexbase : L8920G7I) sur les accords de méthode. En effet, il est clair que la stratégie de l'entreprise peut être étroitement liée à une éventuelle procédure de licenciement collectif. En pratique, une discussion unique sur ces deux thèmes pourra être menée avec les délégués syndicaux. On constate, toutefois, une certaine méfiance des délégués syndicaux vis-à-vis des accords de méthode car ils considèrent que c'est essentiellement l'employeur qui en tire des avantages. Cette vision est pourtant erronée. En définissant un calendrier précis, les accords de méthode vont à l'encontre du flou qui pouvait exister avant la loi "Fillon" du 3 janvier 2003 (loi n° 2003-6 portant relance de la négociation collective en matière de licenciements économiques N° Lexbase : L9374A8P), qui a institué à titre expérimental les accords de méthode, et la loi de cohésion sociale sur les délais de la procédure d'information et de consultation du comité d'entreprise dans le cadre du Livre IV du Code du travail. En autorisant la mise en oeuvre de procédures de consultation dérogatoires du droit commun et en permettant d'anticiper les mesures du plan de sauvegarde de l'emploi, les accords de méthode devraient bénéficier autant aux représentants du personnel et aux salariés qu'à l'employeur.

Lexbase : Les nouveaux délais de prescription applicables aux contestations portant sur le respect de la procédure de licenciement économique tels qu'issus de la loi de cohésion sociale vous paraissent-ils mieux adaptés ?

Maître François Farmine : Avant la loi de cohésion sociale, la plus grande incertitude prévalait sur le thème des délais de prescription, puisque ceux-ci ne pouvaient être que trentenaires ou quinquennaux. La loi de cohésion sociale a remédié à cette situation tout à fait inadaptée (C. trav., art. L. 321-16 N° Lexbase : L8931G7W).

Désormais, un délai de 15 jours est applicable aux actions en référé portant sur la régularité de la consultation du comité d'entreprise. Ce délai court à compter du jour où la réunion aurait dû se tenir. Un problème d'interprétation se pose : si le législateur parle de "dernière réunion", doit-on en déduire que ce délai de prescription ne s'applique qu'aux licenciements de plus de 9 salariés, seuls à impliquer plusieurs réunions du comité d'entreprise ? Telle n'est, heureusement, pas l'interprétation retenue par l'Administration dans la circulaire du 30 décembre. La circulaire précise que ce délai de 15 jours s'applique aux actions en référé relatives à la contestation de la régularité de la procédure d'information et de consultation du comité d'entreprise sur la marche générale de l'entreprise (Livre IV) et sur le projet de licenciement collectif pour motif économique (Livre III).

En outre, un délai de prescription de 12 mois est prévu pour les actions portant sur la régularité ou la validité du licenciement économique. On peut s'interroger sur la portée du droit individuel du salarié à contester "la régularité ou la validité du licenciement". La circulaire est venue préciser que ce délai s'applique aux actions portant tant sur la procédure de licenciement que sur le fond du licenciement. Le salarié pourra donc contester la régularité de la procédure de licenciement, du plan de sauvegarde de l'emploi et la cause réelle et sérieuse de son licenciement, dans ce délai de 12 mois, à condition que celui-ci soit porté à la connaissance du salarié dans la lettre de licenciement.

Enfin, il convient de préciser que ce délai de 12 mois s'applique à tous les licenciements économiques, qu'ils soient individuels ou collectifs et ce, contrairement à l'analyse initiale de la loi du 18 janvier 2005 faite par une grande partie de la doctrine qui considérait que ce délai n'était applicable qu'aux licenciements économiques collectifs.

Lexbase : Le délai de prescription de 12 mois s'applique-t-il aux salariés protégés ?

Maître François Farmine : Le salarié protégé peut contester son licenciement par le biais d'un recours gracieux, hiérarchique ou contentieux devant le tribunal administratif. Le Code du travail ne prévoit pas de délai pour introduire le recours gracieux. En revanche, le recours hiérarchique et le recours contentieux contre la décision de l'inspecteur du travail relative au licenciement d'un salarié protégé doivent être introduits dans un délai de 2 mois à compter de la notification de la décision de l'inspecteur du travail (C. trav., art. R. 436-6 N° Lexbase : L0362ADR ; CJA, art. R. 421-1 N° Lexbase : L8421GQX). En l'état d'une autorisation administrative, le juge judiciaire ne peut, sans violer le principe de la séparation des pouvoirs, apprécier ni le caractère réel et sérieux des motifs justifiant le licenciement, ni la régularité de la consultation du CE (Cass. soc., 2 juin 2004, n° 03-40.071, FS-P N° Lexbase : A5232DCR). En revanche, le juge prud'homal peut statuer, après résolution, le cas échéant, des questions préjudicielles par la juridiction administrative, sur une demande en dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (Cass. soc., 14 mai 1987, n° 83-43.051, Madame Coudière c/ Association Santé Service, publié N° Lexbase : A8020AAB), sur l'appréciation des critères relatifs à l'ordre des licenciements (Cass. soc., 10 décembre 2003, n° 01-47.147, F-D N° Lexbase : A4306DAQ) ou sur la validité du plan de sauvegarde de l'emploi (Cass. soc., 22 juin 2004, n° 01-44.558, FS-P+B N° Lexbase : A7962DCU). La prescription de 12 mois ne s'applique donc aux demandes des salariés protégés que dans ces derniers cas.

Lexbase : Le dispositif légal de la CRP, tel que prévu par l'article L. 321-4-2 du Code du travail, peut-il subir des aménagements ou des adaptations ?

Maître François Farmine : Lorsque la CRP figure dans le plan de sauvegarde de l'emploi, l'Administration peut examiner les améliorations envisageables.

En outre, les entreprises peuvent, d'ores et déjà, apporter des adaptations au dispositif légal (allongement du délai de réflexion, appui personnalisé aux bénéficiaires, financement d'actions supplémentaires...). La CRP doit être au moins aussi intéressante que les autres mesures présentées dans le plan de sauvegarde de l'emploi. Ainsi, par exemple, l'instauration d'une prime de départ volontaire ne doit pas avoir pour conséquence de dissuader les salariés d'adhérer à la CRP.

Lexbase : Le principe de rupture du contrat de travail sans préavis, dès acceptation de la CRP, ne pose-t-il pas des problèmes pratiques ?

Maître François Farmine : La CRP peut être proposée soit lors de l'entretien individuel dans le cas des licenciements jusqu'à 9 salariés, soit à l'issue de la dernière réunion du comité d'entreprise pour les licenciements collectifs. Une fois la proposition effectuée, le salarié dispose de 14 jours pour accepter la convention. Dans ce cas, le contrat de travail est rompu sans préavis. En pratique, l'employeur a-t-il l'obligation de remettre les CRP dès le lendemain de la dernière réunion du comité d'entreprise ? Une telle interprétation pourrait se révéler contraire au calendrier prévisionnel des licenciements qui comporte souvent un étalement des licenciements sur plusieurs mois.

S'agissant des salariés protégés, le principe de rupture sans préavis dès l'acceptation de la CRP peut, également, se révéler problématique compte tenu des règles en matière d'autorisation préalable de licenciement. Toutefois, l'Administration est venue préciser que le délai de réflexion de 14 jours est prolongé jusqu'à la date de notification à l'employeur de la décision d'autorisation de licenciement de l'inspecteur du travail.

Lexbase : Comment s'articule l'indemnité différentielle de reclassement avec l'allocation temporaire dégressive (ATD) ?

Maître François Farmine : En cas de cumul de l'indemnité différentielle de reclassement prévue à l'article 9 de la convention Unedic du 27 avril 2005, relative à la convention de reclassement personnalisé (N° Lexbase : L6384G49), avec une allocation temporaire dégressive, la rémunération perçue par le salarié peut être temporairement supérieure à sa rémunération antérieure. En effet, pour être exonérée de charges sociales, la convention d'ATD doit avoir une durée au minimum de 2 ans, tandis que la CRP a une durée d'application de 8 mois. Cela est d'autant plus aberrant que c'est l'entreprise en difficulté qui paye. Pourtant, ce cumul est encouragé par l'Administration qui précise que celui-ci est possible "même si cela permet au bénéficiaire de la convention d'allocation temporaire dégressive de percevoir une rémunération globale au titre de son emploi de reclassement, de l'ATD et de l'indemnité différentielle de reclassement temporairement supérieure à son salaire antérieur".

Lexbase : L'Administration incite les entreprises à fournir un effort supplémentaire au titre de la CRP. Cet effort pourrait-il être pris en compte dans le cadre de l'obligation de revitalisation ?

Maître François Farmine : Non. L'Administration a précisé, dans la circulaire du 30 décembre, que les mesures d'aide au reclassement externe ne sont prises en compte dans le cadre de la convention de revitalisation prévue par l'article L. 321-17 du Code du travail (N° Lexbase : L0036HDP) que si elles favorisent le développement des emplois ou la création d'activités. Cela n'est pas le cas, notamment, de la mise en place d'un congé de reclassement, d'un dispositif d'allocation temporaire dégressive, du financement d'une cellule de reclassement ou, encore, du versement d'indemnités de licenciement supra conventionnelles. Les actions de revitalisation du bassin d'emploi définies dans la convention sont, en effet, clairement différenciées des actions de reclassement à destination des salariés de l'entreprise définies dans le plan de sauvegarde de l'emploi. L'obligation de revitalisation du bassin d'emploi doit être mise en oeuvre sans préjudice de l'obligation de reclassement qui incombe à l'employeur.

Lexbase : Comment est financé le dispositif de la CRP ?

Le financement de la CRP est assuré conjointement par l'employeur, l'assurance chômage et l'Etat. L'assurance chômage participe, en complément de la contribution de l'employeur, au financement de l'ensemble des prestations d'accompagnement et des aides au reclassement personnalisé en affectant les ressources destinées au financement de la mise en oeuvre du plan d'aide au retour à l'emploi (Pare). L'Etat participe au financement des dépenses liées aux mesures d'accompagnement pour un montant équivalent au total des contributions versées par les employeurs au titre du droit individuel à la formation (Dif). En pratique, se pose la question du sort des sommes non dépensées au titre du reclassement. Ces sommes doivent-elles être reversées ou bien sont-elles conservées par l'entreprise ? Ni le législateur, ni l'Administration ne se sont, pour l'instant, prononcés sur ce point.

Lexbase : Dans le cadre de son obligation de revitalisation, l'entreprise doit verser une contribution pour chaque emploi supprimé. Comment est appréciée cette notion d'emploi supprimé ?

Maître François Farmine : Afin d'accompagner les territoires affectés par des mutations économiques, la loi de programmation pour la cohésion sociale a institué, à l'article L. 321-17 du Code du travail (N° Lexbase : L0036HDP), une obligation dite "de revitalisation" à la charge des entreprises procédant à un licenciement collectif affectant, par son ampleur, l'équilibre du ou des bassins d'emploi dans lesquels une entreprise est implantée.

Les entreprises de plus de 1 000 salariés, ou appartenant à un groupe de plus de 1 000 salariés, ou employant plus de 1 000 salariés dans les pays de l'Union européenne, doivent s'engager, au travers d'une convention signée avec l'Etat, à financer des actions de création d'activités et de développement des emplois pour un montant compris entre 2 et 4 fois la valeur du Smic par emploi supprimé. Cette valeur correspond à la valeur brute du salaire minimum de croissance et doit s'apprécier au moment de l'engagement de la procédure de licenciement, c'est-à-dire au moment où est née l'obligation de revitalisation.

La convention doit préciser le nombre d'emplois supprimés dans le ou les bassin(s) d'emploi concerné(s) à l'origine du projet de licenciement. La règle de détermination du nombre d'emplois supprimés est fixée par l'article R. 321-21 du Code du travail (N° Lexbase : L4008HCG). Il faut déduire de ce nombre d'emplois supprimés le nombre de salariés dont le reclassement interne est acquis sur le ou les bassin(s) d'emploi affecté(s) par le licenciement collectif. Concrètement, cela correspond au nombre de salariés qu'il est envisagé de licencier, à l'exception des salariés dont le reclassement interne au sein de l'entreprise ou du groupe est acquis dans le ou les bassins d'emplois affectés. On comprend dès lors, aisément, l'importance de la notion de bassin d'emploi affecté par le licenciement collectif pour motif économique. En effet, l'Administration ne prend pas en compte les créations d'emploi ou les reclassements au sein de l'entreprise ou du groupe intervenus dans un autre bassin d'emploi.

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Droit financier

[Textes] Loi n° 2006-387 du 31 mars 2006 relative aux offres publiques d'acquisition : des "options" françaises (1) (2ème partie)

Réf. : Loi n° 2006-387 du 31 mars 2006, relative aux offres publiques d'acquisition (N° Lexbase : L9533HHK)

Lecture: 4 min

N7294AKD

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Le 07 Octobre 2010

Déposé au Sénat le 22 septembre 2005 par le ministre de l'Economie et des Finances, le projet de loi relatif aux offres publiques d'acquisition a été définitivement adopté par la Haute assemblée le 23 mars 2006 (2). Malgré ces six mois de discussions et de maturation, nécessitées par trois lectures parlementaires, la France se place ainsi en tête des pays européens dans la course à la transposition de la Directive du 21 avril 2004 (3), dont l'échéance ultime était fixée au 20 mai 2006. Des esprits retors expliqueront qu'il s'agissait d'une course à ne pas gagner et que, dans le jeu de stratégie normative auquel la transposition des textes communautaires tend à s'apparenter, un positionnement précoce crée un risque de désavantage compétitif. L'argument prend une force particulière en présence d'une Directive d'harmonisation dégradée, qui concède aux Etats destinataires des marges de manoeuvre considérables sur des aspects pour le moins déterminants de l'ouverture des marchés nationaux des capitaux et du contrôle. On veut parler ici des fameuses options ouvertes par l'article 12 de la Directive en matière de défense anti-OPA, dont l'exercice, en raison de leur complexité, confine à la partie d'échecs -et d'échec !- communautaire (4). La France a, malgré cela, préféré à toute autre, l'option de la clarté et de la constance, choisissant de ne jamais revenir sur l'équilibre général défini initialement par le rapport du "groupe de travail Lepetit" (5), au risque de s'exposer par là à certains reproches. Il est vrai que la force de celui-ci résidait dans ce qu'il puisait largement à l'existant et emportait peu de bouleversements au plan du droit. Une inclination naturelle au familier en quelque sorte, observable ailleurs en Europe (6) (cf. Loi n° 2006-387 du 31 mars 2006 relative aux offres publiques d'acquisition : des "options françaises (1ère partie) N° Lexbase : N7263AK9). I - Transposition totale, mais avec réserve de réciprocité, de l'article 9 de la Directive

B - La reconnaissance corrélative de moyens défensifs

Si elles en amenuisent l'efficacité, les règles de neutralisation directoriale n'ôtent pas tous moyens défensifs aux sociétés cotées. Elles apparaissent essentiellement, sous ce regard, comme des règles répartitrices des compétences défensives. Prohibant l'action autonome des dirigeants sociaux, elles désignent l'assemblée générale des actionnaires comme le siège unique de la "résistance" sociale.

La portée de cette compétence spéciale, retenue ou déléguée, de l'assemblée générale dépend, cependant, du moment où elle est exercée. Alors qu'elle est maximale lorsque l'assemblée est réunie en période d'offre (1), cette portée se trouve amputée et conditionnée dans le cas contraire (2).

1 - L'admission de principe des défenses décidées "à chaud"

Si les règles de neutralisation directoriales semblent portées par l'idée que seuls les actionnaires sont légitimes à se prononcer sur la question des défenses anti-OPA, on observe que ni la Directive ni la loi française ne sont allées jusqu'à consacrer la conclusion ultime (et logique ?) du raisonnement et abandonner le pouvoir de décision à l'actionnaire pris individuellement (7). Il est vrai qu'une conception aussi radicale de la libre compétition sur le marché du contrôle aurait conduit à une condamnation de toute défense.

Un peu moins exigeante, l'option retenue consiste à faire de l'assemblée générale, mais uniquement celle réunie "à chaud", c'est-à-dire en période d'offre, et donc en toute connaissance de cause, le seul organe habilité, par principe, à adopter des dispositions de nature à frustrer le droit propre de l'actionnaire à céder ses titres à l'offrant. C'est ainsi qu'aux termes de l'article L. 233-32 du Code de commerce (N° Lexbase : L1384HI4), l'assemblée générale des actionnaires réunie en cours d'offre peut :

- "approuver", lorsqu'elle ne s'est pas précédemment prononcée à cet égard, ou "confirmer", dans le cas contraire, "toute décision du conseil d'administration, du conseil de surveillance, du directoire, du directeur général ou de l'un des directeurs généraux délégués, prise avant la période d'offre, qui n'est pas totalement ou partiellement mise en oeuvre, qui ne s'inscrit pas dans le cours normal des activités de la société et dont la mise en oeuvre est susceptible de faire échouer l'offre" (C. com., art. L. 233-32 III, al. 2) ;

- statuer sur toute délégation antérieure "d'une mesure dont la mise en oeuvre est susceptible de faire échouer l'offre" (C. com., art. L. 233-32 III, al. 1er) ;

- et, plus généralement, prendre elle-même ou autoriser les dirigeants sociaux à prendre "toute mesure dont la mise en oeuvre est susceptible de faire échouer l'offre" (C. com., art. L. 233-32 I), à l'instar de l'émission des bons de souscription d'actions à des conditions préférentielles, prévue par l'article L. 233-32 II du Code de commerce (8) ; n'étant laissé aux dirigeants sociaux que "la recherche d'autres offres", espérées plus amicales, et, pour le conseil d'administration et le conseil de surveillance, "le pouvoir de nomination" (mais pas de révocation ? (9)), un pouvoir non fondé sur l'article 9 § 2 de la Directive et au statut plus ambigu, destiné manifestement à éviter certaines vacances du pouvoir (10).

Cette reconnaissance législative expresse de la compétence de l'assemblée générale pare les défenses éventuellement adoptées, dans ces conditions, d'une légitimité renforcée. Elle rend, sans doute, plus difficile leur contestation sur le fondement, notamment, de l'intérêt social ou des principes généraux du droit des offres publiques, sur lesquels l'AMF s'était récemment appuyée pour s'opposer à certaines mesures défensives votées à chaud (11). Le résultat n'est pas fortuit et la volonté de clarification soulignée par les travaux préparatoires. On se gardera, néanmoins, de conclusions trop tranchées car, tout souverain soit-il, le pouvoir exercé en la circonstance par l'assemblée générale ne saurait s'émanciper de toutes contraintes issues du droit des sociétés ou du droit boursier. En dépit de l'absence de toute interdiction spéciale, on pourrait par exemple, sans préjudice du concert susceptible d'en résulter, s'interroger sur la possibilité ou les conditions dans lesquelles il serait possible de procéder, en cours d'offre, à la cession d'actifs sociaux stratégiques ou à leur localisation dans des structures protégées, à un accroissement significatif de l'endettement social, à des distributions exceptionnelles des réserves sociales ou bien encore à l'émission de "white knight warrants", autrement dit de BSA réservés à un chevalier blanc, et ce, indépendamment même de la situation de l'initiateur au regard du principe de réciprocité... Dans le film des relations complexes et évolutives nouées entre les deux branches du droit, on attendra, notamment, du déroulement du nouvel épisode écrit par la loi du 31 mars 2006 qu'il nous révèle si, et jusqu'à quel point, ce retour en force du droit des sociétés s'accompagne d'une marginalisation de l'ordre public boursier, en particulier des principes directeurs du libre jeu des offres et de leurs surenchères ou de loyauté dans les transactions et la compétition (12).

Mais, plus que les derniers interdits juridiques, ce sont les difficultés pratiques de mise en oeuvre qui risquent de miner l'efficacité du dispositif. Quand bien même les délais de convocation d'une assemblée générale d'actionnaires seraient abrégés pour la circonstance, comme l'autorise la Directive (13), et comme cela a déjà été annoncé au Parlement (14), une telle réunion en cours d'offre publique risque d'être particulièrement délicate dans son maniement et aléatoire quant à son résultat face à des actionnaires plus que jamais enclins à laisser se dérouler à leur profit le jeu du marché. On comprend, dans ces conditions, que l'attention se soit plutôt concentrée sur les défenses votées "à froid" par l'assemblée générale des actionnaires.

Alain Pietrancosta
Professeur à l'Université Paris I (Panthéon-Sorbonne)
Directeur du Master Droit financier
Centre de Recherches en Droit financier

Pour la troisième partie de cet article, lire (N° Lexbase : N7295AKE).


(1) L'article paraîtra, avec l'aimable autorisation de Lexbase, dans le premier numéro de la Revue trimestrielle de droit financier/Corporate Finance and Capital Markets Law Review, en mai prochain.
(2) Journal officiel du 1er avril 2006, p. 4882.
(3) Directive 2004/25 du Parlement européen et du Conseil, du 21 avril 2004, concernant les offres publiques d'acquisition (N° Lexbase : L2413DYZ).
(4) V. A. Pietrancosta, La directive européenne sur les offres publiques d'acquisition enfin adoptée !, RD banc. et fin. septembre-octobre 2004, p. 338 ; M. Haschke-Dournaux, L'adoption de la directive européenne relative aux offres publiques d'acquisition, LPA, 26 avril 2004, n° 83, p. 7 ; F. Peltier et F. Martin-Laprade, Directive 2004/25/CE du 21 avril 2004 relative aux OPA ou l'encadrement par le droit communautaire du changement de contrôle d'une société cotée, Bull. Joly Bourse 2004, p. 610 ; A. Couret, La fin d'une trop longue saga : l'adoption de la 13e directive en matière de droit des sociétés concernant les offres publiques d'acquisition, Mélanges Béguin, Litec 2005, p. 195 ; P. Servan-Schreiber, W. Grumberg, Défenses anti-OPA, Adoption de la directive européenne sur les OPA et enjeux pour les entreprises françaises, JCP éd. E, n° 44, p. 1774 ; T. Granier, La directive concernant les offres publiques d'acquisition, Europe, n° 11, novembre 2004 ; Reforming Company and Takeover Law in Europe, edited by G. Ferrarini, K. J. Hopt, J. Winter, E. Wymeersch, Oxford University Press, 2004 ; S. V. Simpson, L. Corte, The Future Direction of Takeover Regulation In Europe, 1520 PLI/Corp 759, Practising Law Institute, December, 2005.
(5) Rapport du groupe de travail sur la transposition de la Directive concernant les offres publiques d'acquisition, J.-F. Lepetit, 27 juin 2005.
(6) V. e.g. pour la Grande-Bretagne, Implementation of the EU Directive on Takeover Bids Guidance on changes to the rules on company takeovers, Department of Trade and Industry, march 2006.
(7) V. A. Pietrancosta, Le droit des sociétés sous l'effet des impératifs financiers et boursiers, éd. Transactive, 2000, et Droit21.com, n° 701 ; et in Ingénierie financière, fiscale et juridique, sous la dir. de Ph. Raimbourg / M. Boizard, Dalloz 2006, n° 72.63
(8) V. ci-dessous.
(9) V. H. Novelli, rapport fait au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du plan, Assemblée nationale, 1ère lecture, n° 2750, Document mis en distribution le 15 décembre 2005 : "le gouvernement estime que ce pouvoir se distingue du pouvoir de révocation, qui fait l'objet de dispositions spécifiques dans le code de commerce, et qui entre, quant à lui, dans le champ des mesures pour lesquelles l'approbation de l'assemblée générale est requise".
(10) V. X. de Roux, avis présenté au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république, Assemblée Nationale, n° 2727, enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 7 décembre 2005.
(11) V. not., la tentative avortée d'émission par la société Aventis, alors cible d'une offre émanant de Sanofi-Synthelabo, de bons de souscription défensifs dits "Plavix", Communiqué de presse AMF, 23 avril 2004 (Communiqué de presse AMF du 23 avril 2004, L'Autorité des marchés financiers estime que l'émission de BSA envisagée par la société Aventis ne s'inscrit pas dans le cadre des principes qui régissent le bon déroulement des offres publiques N° Lexbase : L2995DYL) ; A. Pérès, Offre Sanofi-Aventis : pourquoi les bons de souscription d'action Plavix n'ont pas remporté l'aval de l'Autorité des marchés financiers ?, Option finance 2004, n° 784, p. 33 ; Banque et droit n° 95, mai-juin 2004, p. 33, obs. H. de Vauplane, J.-J. Daigre ; RD banc. et fin. juillet-août 2004, p. 269, obs. P. Portier ; E. Cafritz, D. Caramalli, La licéité contestée des "bons Plavix" , Mélanges AEDBF IV, 2004, p. 67 ; J.-M. Moulin, Retour sur les "bons Plavix", Bull. Joly Bourse 2004, § 148, p. 673 ; P.-H. Conac, Les bons de souscription d'actions "Plavix" et les principes généraux des offres publiques, Rev. Soc. 2005, p. 321.
(12) V. spéc. J.-F. Biard, J.-P. Mattout, Les offres publiques d'acquisition : l'émergence de principes directeurs de droit boursier, Banque et droit 1993, no 28, p. 3 ; F. Peltier, Règles de bonne conduite des OPA, Bull. Joly Bourse 1999, p. 21 ; Th. Bonneau, F. Drummond, Droit des marchés financiers, Économica, 2e éd., 2005, n° 692 s. ; A. Pietrancosta, Lamy Droit du financement 2006, n° 1608 et in Ingénierie financière, fiscale et juridique, op. cit. n° 72.82.
(13) Sous réserve de respecter une période incompressible de deux semaines, v. art. 9 § 5.
(14) V. Ph. Marini, rapport fait au nom de la commission des Finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation sur le projet de loi relatif aux offres publiques d'acquisition, Sénat, 1ère lecture, Annexe au procès-verbal de la séance du 13 octobre 2005, n° 20, p. 14.

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Social général

[Le point sur...] Contrat de travail et convention collective : entre concurrence et complémentarité

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

Le 07 Octobre 2010

Le contrat de travail et la convention collective constituent deux sources négociées, certes à des niveaux différents, de la relation de travail. Le Code du travail situe ces deux sources soit dans un rapport de concurrence (C. trav., art. L. 135-2 N° Lexbase : L5715ACN), soit dans un rapport de complémentarité, mais non de hiérarchie, contrairement à ce qui prévaut lorsque sont en cause des conflits mettant en cause les lois et règlements ; dans cette hypothèse, en effet, tant les conventions collectives (C. trav., art. L. 132-4 N° Lexbase : L5683ACH) que les contrats de travail (C. civ., art. 6 N° Lexbase : L2231ABA) ne peuvent déroger aux lois et règlements autrement que dans les conditions déterminées par la loi elle-même. Pour bien comprendre comment se nouent les rapports entre convention collective et contrat de travail, il est donc nécessaire de situer les principes applicables et de distinguer les hypothèses de concurrence (1) et celles de complémentarité (2). 1. Concurrence entre contrat de travail et convention collective
  • Le principe de rapports concurrents

L'article L. 135-2 du Code du travail dispose que "lorsqu'un employeur est lié par les clauses d'une convention ou d'un accord collectif de travail, ces clauses s'appliquent aux contrats de travail conclus avec lui, sauf dispositions plus favorables".

Contrairement à la solution qui résulte de l'article L. 134-2 du Code du travail (N° Lexbase : L5713ACL) en matière d'articulation des conventions collectives et des lois et règlements, article qui figure dans un chapitre traitant de la validité des conventions collectives, la règle posée par l'article L. 135-2 prend place dans un chapitre qui traite de l'application des accords collectifs.

La règle ici posée constitue donc une règle de conflit destinée à trancher la détermination de la règle applicable, et non une condition de validité du contrat de travail. Une clause du contrat de travail moins favorable que la convention collective ne serait donc pas nulle, mais simplement inapplicable tant que l'accord concurrent est plus favorable ; elle pourrait redevenir applicable si la convention collective venait à disparaître ou à être remplacée par des dispositions moins favorables.

  • Les conditions de la concurrence et la délimitation du périmètre contractuel

Pour qu'un conflit d'application puisse naître, encore faut-il que le contrat de travail contienne des dispositions ayant le même objet que l'accord collectif en cause.

Or, une difficulté naît de la détermination du périmètre du contrat de travail. Lorsque les parties ont passé un contrat écrit, la délimitation du champ contractuel est simplifiée, même si certains éléments de la relation peuvent ne pas avoir donné lieu à la rédaction d'un acte écrit, qu'il s'agisse d'éléments apparus en marge du contrat ou de révisions qui n'auraient pas été consacrées par un avenant formellement conclu. La situation est naturellement plus complexe lorsque les parties n'ont pas conclu d'écrit, ce qui est parfaitement possible dans la mesure où cette formalité n'est pas exigée pour le contrat de travail à durée indéterminée à temps plein.

La doctrine et la jurisprudence ont précisé la liste des éléments qui constituent le socle naturel du contrat de travail, sans préjudice, bien entendu, des prévisions particulières des parties : il s'agit du lieu de travail, de la durée du travail, de la rémunération et des fonctions du salarié.

On sait, cependant, qu'il n'existe pas d'adéquation parfaite entre le contrat, considéré comme negocium (le contrat comme accord de volonté), et le contrat instrumentum (le document contractuel). S'il peut exister du "contractuel" en dehors du document "contrat de travail", comme nous l'avons montré, tout ce qui est dans le contrat de travail n'est pas nécessairement contractuel, au sens où une clause du contrat de travail peut ne pas présenter de caractère normatif mais constituer un simple instrument d'information du salarié, comme cela a été jugé s'agissant de la clause fixant le lieu où s'exécute habituellement le contrat de travail (Cass. soc., 3 juin 2003, n° 01-40.376, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A6993CK9 ; Cass. soc., 3 juin 2003, n° 01-43.573, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A6994CKA, lire La simple indication du lieu de travail dans le contrat n'a qu'une valeur d'information, Lexbase Hebdo n° 76 du 19 juin 2003 - édition sociale N° Lexbase : N7795AAX ; Dr. soc. 2003, p. 884, obs. J. Savatier ; JCP éd. G 2003, II, 10165, note M. Véricel ; D. 2004, p. 89, note C. Puigelier ; RDC 2004, p. 237, obs. J.-P. Chazal, p. 381, note Ch. Radé ; RJS 2004, p. 3, chron. J. Pélissier).

Le problème s'est posé essentiellement pour la rémunération du salarié. Pour certains, la rémunération serait nécessairement contractuelle, même si elle n'a pas été prévue dans le contrat de travail. Dès lors, et ce même lorsque l'employeur se contente de faire application au salarié des dispositions du statut collectif, la rémunération serait nécessairement contractuelle, de telle sorte qu'une modification de la rémunération conventionnelle, à l'occasion de la révision de l'accord, ne pourrait être imposée au salarié sans son accord.

Ce n'est heureusement pas ainsi que la Cour de cassation a entendu la notion de rémunération contractuelle. Pour être contractuelle, la rémunération doit, en effet, avoir été individualisée, soit par le biais d'une clause du contrat de travail, soit, simplement, par l'application particulière que l'employeur en fait au salarié (Cass. soc., 13 novembre 2002, n° 00-44.027, F-D N° Lexbase : A7328A3S et Cass. soc., 13 novembre 2002, n° 00-42.261, F-D N° Lexbase : A7323A3M, lire notre chron., La notion de rémunération contractuelle, Lexbase Hebdo n° 49 du 28 novembre 2002 - édition sociale N° Lexbase : N4924AAM).

Mais, lorsque l'employeur se contente de faire application au salarié des dispositions de la convention collective relatives à la rémunération des salariés, alors cette rémunération n'est pas contractuelle et le salarié ne peut donc pas s'opposer aux variations induites par les changements intervenus dans le statut collectif (Cass. soc., 10 juin 2003, n° 01-40.985, FS-P sur les quatre premiers moyens N° Lexbase : A7225C84).

Ces principes, qui ont été dégagés essentiellement en matière de rémunération, peuvent être systématisés à l'ensemble des éléments qui composent le socle contractuel. Pour être contractuel, un élément doit avoir été individualisé par les parties, c'est-à-dire différencié des dispositions conventionnelles ayant le même objet.

L'absence de toute prévision des parties concernant l'un de ces éléments ne signifie pas, alors, que les contractants ont entendu écarter ces dispositions ; ainsi, ce n'est pas parce que le contrat de travail ne prévoit pas de clause de non-concurrence que les parties ont entendu soustraire le salarié à l'obligation conventionnelle de non-concurrence.

Cette solution est logique dans la mesure où l'article L. 135-2 du Code du travail dispose que les clauses de l'accord collectif "s'appliquent aux contrats de travail conclus avec lui, sauf dispositions plus favorables". Ces dispositions s'entendent nécessairement d'une volonté exprimée des parties, et non simplement présumée.

En conclusion, doivent être considérées comme contractuelles toutes les clauses du contrat de travail, à l'exception des clauses simplement informatives, ainsi que tous les éléments essentiels de la relation de travail dès lors qu'ils ont été individualisés par les parties.

En dehors de ces hypothèses de contrariété, contrat de travail et convention collective peuvent s'articuler.

2. Complémentarité du contrat de travail et de la convention collective

  • L'obligation légale d'information de l'employeur

Introduit par la loi du 4 mai 2004 (loi n° 2004-391 relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social N° Lexbase : L1877DY8), l'article L. 135-7 du Code du travail (N° Lexbase : L4701DZ7) fait désormais obligation à l'employeur de remettre au salarié, "au moment de l'embauche [...] une notice d'information relative aux textes conventionnels applicables dans l'entreprise ou l'établissement".

La loi n'impose pas la remise au salarié des textes mêmes, mais simplement des éléments d'identification du ou des textes applicables dans l'entreprise, qu'il s'agisse d'accords interprofessionnels, de branche ou professionnels, ou, encore, des accords d'entreprise. Cette limitation résulte d'une interprétation a contrario du troisième alinéa du II de l'article L. 135-7 du Code du travail, qui ne prévoit la communication du texte intégral qu'au personnel dans son ensemble, dans un endroit clairement identifié de l'entreprise, ou sur son intranet, où chaque salarié devra pouvoir se rendre ou le consulter.

Cette notice est clairement identifiée comme devant informer le salarié ; elle ne saurait donc fonder une quelconque intégration des normes conventionnelles applicables dans l'entreprise dans le contrat de travail du salarié (pour une solution comparable, s'agissant d'une brochure informant les salariés sur les usages applicables dans l'entreprise : Cass. soc., 11 janvier 2000, n° 97-44.148, M. Loussier c/ Société IBM France, publié N° Lexbase : A4891AGA, Dr. soc. 2000, p. 833, chron. M. Véricel). Ce dernier n'en conservera donc le bénéfice, par le biais du maintien des avantages individuels acquis, qu'en cas de dénonciation ou de mise en cause du ou des accords, non suivi de la conclusion d'un accord de substitution dans les 12 mois suivant (C. trav., art. L. 132-8 N° Lexbase : L5688ACN).

Le Code du travail ne précise pas les risques auxquels s'exposent les entreprises qui manqueraient à cette obligation, et on peut hésiter sur la position qui sera adoptée par la Cour de cassation. Au pire, celle-ci pourrait considérer que les dispositions conventionnelles concernées sont inopposables au salarié. Au mieux, elle pourrait condamner l'entreprise à verser, le cas échéant, au salarié, des dommages-intérêts en raison du préjudice que lui aurait causé cette carence. Or, on sait que la mention de la convention collective applicable dans l'entreprise doit également figurer sur le bulletin de salaire, ainsi que faire l'objet d'un affichage, de telle sorte que le respect de ces obligations pourrait "rattraper" l'oubli de la notice.

Quoi qu'il en soit, la prudence s'impose ici et les entreprises ont tout intérêt à respecter les dispositions de l'article L. 135-7 du Code du travail dans la mesure où, comme nous l'avons vu, la remise de la notice ne présente, en définitive, aucun risque.

  • L'obligation prétorienne d'information

Cette information légale obligatoire ne paraît toutefois pas suffisante dès lors que l'employeur entend opposer au salarié les obligations professionnelles que la convention collective pourrait faire peser sur lui. Alors que l'application de l'adage "nul n'est censé ignorer la loi" semblait pourtant s'y opposer, la jurisprudence a considéré que l'information du salarié sur l'existence d'obligations pesant sur lui, par application de la convention collective, était nécessaire pour prétendre ultérieurement en faire application ; cette solution a été, notamment, affirmée s'agissant de la période d'essai conventionnelle (Cass. soc., 29 mars 1995, n° 91-44.562, Société Pierre Ucko c/ M. Perrin, publié N° Lexbase : A0914ABH, Dr. soc. 1995, p. 454, rapport J.-M. Desjardins).

Certes, la Cour de cassation a précisé que cette information n'avait pas à être nécessairement délivrée par écrit, mais il apparaît, en pratique, nécessaire au moment de faire signer au salarié un document par lequel il reconnaît avoir été informé de ses obligations conventionnelles.

Il semble, également, possible d'utiliser le contrat de travail signé par le salarié (à défaut de signature par ce dernier son contenu ne lui serait pas opposable : Cass. soc., 2 avril 1998, n° 95-43.541, Société Safeti c/ M. Fassier, publié N° Lexbase : A2550ACG), comme le support de cette information.

  • La nécessaire prudence du rédacteur d'acte

C'est ici qu'il convient de se montrer extrêmement prudent. Une formule maladroite pourrait, en effet, laisser penser que ces obligations ont été directement contractualisées par les parties. Certes, cette intégration dans le champ contractuel est de nature à rassurer l'employeur qui pourrait craindre qu'elles ne disparaissent à l'occasion d'une révision de l'accord.

Mais, elle peut également lui jouer un mauvais tour en cas de révision de l'accord qui lui serait plus favorable. Ainsi, si l'accord collectif applicable dans l'entreprise au moment du recrutement du salarié prévoit une période de préavis de démission d'un mois, et que le contrat reprend telle quelle cette durée dans le contrat de travail, lorsque l'accord vient à être révisé pour allonger la période à 2 mois, le salarié pourra revendiquer l'application de la durée contractuelle d'un mois pour s'opposer à l'application de la nouvelle durée conventionnelle moins favorable.

Pour éviter pareille contractualisation des obligations conventionnelles du salarié, il convient, par conséquent, de se montrer extrêmement vigilant lors de la rédaction des clauses du contrat de travail. Doivent être proscrites toutes les clauses reprenant les obligations conventionnelles, mais sans référence à la convention collective qui en constitue le support. En revanche, certaines formules peuvent être utilisées, qui soulignent la simple valeur informative de la clause ; le contrat de travail pourra ainsi indiquer que "pour information, et conformément aux dispositions de la convention X aujourd'hui applicable dans l'entreprise, le salarié devra respecter, en cas de démission, un préavis d'une durée de X mois".

Il est également possible de renvoyer en annexe du contrat, ou dans une clause clairement identifiée, l'information du salarié sur ses obligations conventionnelles. Cette clause pourra alors rappeler la convention collective applicable dans l'entreprise par application des dispositions légales en vigueur et, qu'à ce titre, le salarié est soumis aux diverses obligations qu'elle contient.

Il est également possible de jouer sur l'articulation du contrat de travail et de la convention collective applicable. Ainsi, le contrat de travail peut valablement prévoir le principe d'une obligation de non-concurrence imposée au salarié et renvoyer, pour son régime, aux dispositions du statut conventionnel (Cass. soc., 10 mars 2004, n° 02-40.108, F-P+B N° Lexbase : A4929DB8, lire nos obs., La contrepartie pécuniaire de la clause de non-concurrence peut ne pas être stipulée si elle est prévue par la convention collective, Lexbase Hebdo n° 112 du 18 mars 2004 - édition sociale N° Lexbase : N0924ABT).

  • L'insertion d'une clause d'adaptation

On peut aussi envisager la possibilité d'une révision de la clause contractuelle pour tenir compte des évolutions du statut collectif, autrement dit d'une clause d'adaptation du contrat de travail.

On sait, en effet, que la Cour de cassation annule les clauses de révision unilatérale du contrat de travail, mais admet que certains éléments de la rémunération contractuelle puissent varier dès lors que cette variation dépend d'éléments objectifs indépendants de la seule volonté de l'employeur (Cass. soc., 16 juin 2004, n° 01-43.124, FS-P N° Lexbase : A7322DC8 notre chron., Les clauses de variation sur la sellette, Lexbase Hebdo n° 126 du 24 juin 2004 - édition sociale N° Lexbase : N2074ABG).

Or, un changement intervenu dans le statut collectif nous semble constituer un tel élément objectif susceptible de justifier valablement une révision des dispositions contractuelles.

L'employeur pourrait alors reprendre dans le contrat de travail une obligation prévue par la convention collective, et s'assurer ainsi qu'une révision du statut collectif n'entraînerait pas la disparition de cette obligation, puisqu'elle serait reprise par le contrat, tout en se réservant une faculté d'adaptation de la clause pour suivre certaines évolutions du statut collectif qui lui serait plus favorable.

Reprenons l'exemple du préavis de démission, mais on pourrait également illustrer notre propos par l'obligation de non-concurrence. Si la convention collective prévoit un préavis d'un mois, le contrat de travail peut valablement poser comme principe que le salarié sera soumis à un préavis d'un mois ; un préavis d'une durée supérieure serait, en toute hypothèse, inopposable au salarié, par application de l'article L. 135-2 du Code du travail. Le contrat peut également prévoir que cette durée pourra être allongée en cas d'augmentation de la durée conventionnelle.

L'intérêt d'une telle clause est évident. Parce qu'elle figure dans le contrat de travail, elle subsistera si le support conventionnel venait à être remis en cause. Mais, si la convention collective évolue dans un sens plus favorable à l'employeur, alors la clause d'adaptation du contrat permettra au contrat de travail de suivre les évolutions du statut.

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Droit financier

[Textes] Loi n° 2006-387 du 31 mars 2006 relative aux offres publiques d'acquisition : des "options" françaises (1) (3ème partie)

Réf. : Loi n° 2006-387 du 31 mars 2006, relative aux offres publiques d'acquisition (N° Lexbase : L9533HHK)

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N7295AKE

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Le 07 Octobre 2010

Déposé au Sénat le 22 septembre 2005 par le ministre de l'Economie et des Finances, le projet de loi relatif aux offres publiques d'acquisition a été définitivement adopté par la Haute assemblée le 23 mars 2006 (2). Malgré ces six mois de discussions et de maturation, nécessitées par trois lectures parlementaires, la France se place ainsi en tête des pays européens dans la course à la transposition de la Directive du 21 avril 2004 (3), dont l'échéance ultime était fixée au 20 mai 2006. Des esprits retors expliqueront qu'il s'agissait d'une course à ne pas gagner et que, dans le jeu de stratégie normative auquel la transposition des textes communautaires tend à s'apparenter, un positionnement précoce crée un risque de désavantage compétitif. L'argument prend une force particulière en présence d'une Directive d'harmonisation dégradée, qui concède aux Etats destinataires des marges de manoeuvre considérables sur des aspects pour le moins déterminants de l'ouverture des marchés nationaux des capitaux et du contrôle. On veut parler ici des fameuses options ouvertes par l'article 12 de la Directive en matière de défense anti-OPA, dont l'exercice, en raison de leur complexité, confine à la partie d'échecs -et d'échec !- communautaire (4). La France a, malgré cela, préféré à toute autre, l'option de la clarté et de la constance, choisissant de ne jamais revenir sur l'équilibre général défini initialement par le rapport du "groupe de travail Lepetit" (5), au risque de s'exposer par là à certains reproches. Il est vrai que la force de celui-ci résidait dans ce qu'il puisait largement à l'existant et emportait peu de bouleversements au plan du droit. Une inclination naturelle au familier en quelque sorte, observable ailleurs en Europe (6) (cf. Loi n° 2006-387 du 31 mars 2006 relative aux offres publiques d'acquisition : des "options françaises (1ère partie) N° Lexbase : N7263AK9 et (deuxième partie) N° Lexbase : N7294AKD). I - Transposition totale, mais avec réserve de réciprocité de l'article 9 de la Directive

B - La reconnaissance corrélative de moyens défensifs

2 - L'admission restreinte des défenses décidées à "froid"

Si les défenses à chaud se caractérisent par une grande virtualité d'application mais une praticabilité réduite, c'est un équilibre contraire qui se dégage du système des défenses à froid, transposé par la loi du 31 mars 2006. Au plan de l'efficacité, on admettra, sans préjuger des difficultés rencontrées sur le terrain pour en obtenir l'adoption, l'avantage relatif de défenses qui auront pu être soigneusement élaborées et présentées opportunément aux actionnaires hors de tout contexte d'urgence. Mais l'avantage se paie au prix d'une restriction du domaine d'utilisation de ces défenses préventives, fondée sur la moindre légitimité de mesures décidées à l'avance, pour ne pas dire à l'aveugle. Ce domaine, tel qu'appréhendé par la Directive communautaire et la loi française de transposition, se réduit à deux cas de figure, l'un explicitement énoncé, l'autre se dessinant en creux.

Le premier cas de figure s'inscrit dans le cadre de la fameuse réserve de réciprocité (7). Contrairement aux intentions déclarées de certains pays (Grande-Bretagne, Autriche, Suède, République Tchèque, Finlande, Lettonie), la France, on l'a dit, a choisi, avec d'autres, de faire usage de la faculté d'exemption offerte par l'article 12 § 3 de la Directive OPA.

On ne s'étendra pas, de nouveau ici, sur le risque juridique et contentieux que comporte une telle combinaison au regard des termes dudit article 12, éclairés par le considérant 21 et l'ensemble des travaux préparatoires (8), ce que confirme, d'ailleurs, une étude récente (9), sinon pour observer que les réponses apportées au cours de la discussion parlementaire française sont loin d'emporter toutes la conviction (10) et paraissent s'être situées davantage sur le terrain de l'opportunité politique que de l'argumentation proprement juridique. À ceux qui se suffiraient d'un "qui peut le moins, peut le plus" pour fonder l'application obligatoire partielle des dispositions de l'article 9, on répondra que le principe communautaire premier n'est pas "l'égalisation des conditions de jeu" ("level playing field") entre acteurs, mais celui de la libre circulation des capitaux, dont il a été démontré, jurisprudence luxembourgeoise à l'appui, qu'il souffrait davantage de la combinaison retenue que d'un dispositif purement optionnel, relevant, en conséquence, d'initiatives purement privées, au point d'apparaître contraire à l'article 56 du Traité (11). Si cela était exact, on tomberait alors de Charybde en Scilla car, soit la directive n'autorise pas à assortir d'une réserve de réciprocité l'application obligatoire des dispositions de l'article 9, et la loi française devrait être déclarée non conforme au texte communautaire dérivé ; soit la directive autorise une telle association, mais ce faisant, elle méconnaîtrait les dispositions du droit communautaire primaire !

Laissant de côté les questions liées à sa légalité de principe, le dispositif français doit être apprécié dans son périmètre et sa mise en oeuvre, définis à l'article L. 233-33 du Code de commerce (N° Lexbase : L1385HI7).

Sur le premier point, l'alinéa 1er de cet article déclare inapplicables les règles de neutralisation directoriale, examinées plus haut, "lorsque la société fait l'objet d'une ou plusieurs offres publiques engagées par des entités, agissant seules ou de concert au sens de l'article L. 233-10 (N° Lexbase : L6313AIN), dont l'une au moins n'applique pas ces dispositions ou des mesures équivalentes ou qui sont respectivement contrôlées, au sens du II ou du III de l'article L. 233-16 (N° Lexbase : L6319AIU), par des entités dont l'une au moins n'applique pas ces dispositions ou des mesures équivalentes".

La volonté est manifeste de conférer à cette "exemption", pour emprunter au vocabulaire communautaire, son plus large effet. En témoignent : l'emploi du terme "entités", destiné à appréhender toutes personnes, y compris physiques, et structures initiatrices, dotées ou non de la personnalité morale, cotées ou non cotées en bourse ; la prise en compte de l'action de concert ou de la situation, au regard des règles de neutralisation directoriale, des sociétés contrôlant exclusivement ou conjointement (au sens comptable du terme) l'initiateur de l'offre ; l'inclusion implicite des initiateurs extra-communautaires, par la référence faite aux "mesures équivalentes" aux dispositions de l'article L. 233-32 du Code de commerce (N° Lexbase : L1384HI4) ; ou encore, l'option retenue de faire jouer l'exemption lors même que, en présence d'offres concurrentes, une seule d'entre elles émanerait d'un initiateur non soumis aux dispositions de l'article L. 233-32 du Code de commerce ou à des mesures équivalentes, la solution de l'alignement sur l'initiateur le moins "vertueux", d'origine sénatoriale (12), étant destinée à éviter les comportements de "passager clandestin" (13). Pour éviter la trop facile manipulation du système par la société cible, on a pris soin, en retour, de préciser que les règles de neutralisation demeurent applicables lorsque "les seules entités qui n'appliquent pas les dispositions de cet article ou des mesures équivalentes ou qui sont contrôlées, au sens du II ou du III de l'article L. 233-16, par des entités qui n'appliquent pas ces dispositions ou des mesures équivalentes, agissent de concert, au sens de l'article L. 233-10, avec la société faisant l'objet de l'offre".

Certaines de ces extensions souffrent, elles aussi, d'une certaine vulnérabilité juridique en ce qu'elles ne tirent pas évidemment leur autorité de la Directive communautaire. Il en va ainsi, par exemple, de l'opposabilité de la réserve de réciprocité à toute "entité", à l'encontre de laquelle il pourra être répondu : d'une part, que, si la directive entend, elle aussi, extensivement le mot "offrant" ("toute personne physique ou morale, de droit public ou privé, qui fait une offre"), seul le mot "société" figure en son article 12 ; d'autre part, que le considérant 21 de la Directive explique clairement que la clause de réciprocité n'est opposable qu'aux sociétés qui n'appliquent pas les dispositions des articles 9/11 "du fait de l'utilisation des arrangements facultatifs" prévus par l'article 12, ce qui n'est, manifestement, pas le cas de tous les initiateurs potentiels visés à l'article L. 233-33 du Code de commerce.

De même, l'inclusion implicite dans le périmètre du texte des sociétés relevant d'Etats tiers à l'Union européenne apparaît, également, problématique. On ne peut manquer, en premier lieu, de souligner les incertitudes entourant cette notion de "mesures équivalentes", à laquelle l'article L. 233-33 du Code de commerce fait référence et qui laisse une large place à l'interprétation. L'exercice, dévolu à l'AMF et, sur recours, au juge judiciaire, risque d'être particulièrement délicat et les résultats critiquables, compte tenu des limites inhérentes à de telles comparaisons. Limites qui avaient conduit le Groupe d'experts de haut niveau en droit des sociétés, on s'en souvient, à repousser une telle initiative (14).

Il faut admettre, en second lieu, que la réponse à la question de la conformité de l'exception de non-réciprocité aux règles du droit international, en particulier à celles de l'OMC, n'est peut-être pas aussi simple qu'on a bien voulu le laisser entendre. Outre le retrait en cours de discussion parlementaire européenne, d'un mécanisme visant spécifiquement les sociétés des pays tiers, qui pourrait être diversement interprété, on aura beau jeu de relever que l'article 12 § 3, éclairé par le considérant 21, de la directive ne fait allusion qu'aux sociétés qui appliquent ou non les articles 9 et 11, "du fait de l'utilisation des arrangements facultatifs", par construction inapplicables aux sociétés relevant de pays tiers. À quoi l'on ajoutera la réserve figurant au même considérant 21, selon laquelle la réciprocité doit s'exercer "sans préjudice des accords internationaux auxquels la Communauté européenne est partie". Une réserve introduite, dit-on, pour apaiser les inquiétudes exprimées officiellement outre-Atlantique, et qui semble comprise, là-bas, comme interdisant l'invocation de la réciprocité à l'encontre des sociétés extra-communautaires (15).

Il est vrai qu'en France, on s'est officiellement attaché à démontrer la compatibilité de la clause de réciprocité avec les engagements internationaux de notre pays dans le cadre de l'OMC. Il ressort, notamment, des conclusions du Groupe de travail dirigé par M. Lepetit "un confort certain quant à la compatibilité de la réciprocité", le principal argument tenant à ce que la réciprocité est appréciée au regard de la situation individuelle de la société initiatrice et non au regard de la réglementation applicable dans l'État dont cette société relève. "La clause de réciprocité n'instaure donc aucune discrimination en vertu de la nationalité : quel que soit l'État dont relève la société initiatrice, celle-ci peut bénéficier de l'application par la cible de l'offre des principes de gouvernance définis à l'article 9 à condition qu'elle applique elle-même ces principes". L'argument paraît convaincant, tout au moins dans sa formulation générale. Car, partant du principe que la société initiatrice dispose elle-même d'options et s'expose, donc, à assumer les conséquences de ses choix, on se demande si l'argument tient toujours avec la même force lorsque le droit dont relève cette société initiatrice lui interdit d'adopter des mesures équivalentes à celles de l'article 9... Cette interdiction ne colorerait-elle pas alors l'option de réciprocité ouverte par la loi à la société cible d'une teinte discriminatoire prohibée ?

On ajoutera que le risque de contestation de la clause de réciprocité est positivement corrélé à la taille dudit périmètre, pour la raison évidente que ses occurrences s'en trouvent multipliées. On pense surtout au contentieux qui pourrait s'élever en cas d'attaque d'une société française par un initiateur non "vertueux" ou protégé. Mais, cette menace déborde les seules relations des entreprises du "club du 9" avec les autres. Elle planerait aussi en cas d'attaque d'une société française sur une société étrangère du "club". Plus généralement, le choix fait par la France d'aligner, en cas d'offres concurrentes, le traitement des initiateurs sur le moins-disant aboutit à opposer la clause de réciprocité à des offrants "vertueux", qui pourront en concevoir une certaine amertume...

Le second alinéa de l'article L. 233-33 du Code de commerce s'intéresse, lui, aux mesures susceptibles d'être prises par une société dans l'hypothèse où la réserve de réciprocité serait appelée à jouer.

À titre général, il se préoccupe de formuler à leur égard quelques exigences communes, de nature à leur assurer une certaine légitimité. C'est ainsi que "toute mesure prise par le conseil d'administration, le conseil de surveillance, le directoire, le directeur général ou l'un des directeurs généraux délégués de la société visée doit avoir été expressément autorisée pour l'hypothèse d'une offre publique par l'assemblée générale dans les dix-huit mois précédant le jour du dépôt de l'offre". La fraîcheur minimale de ces autorisations, imposée par l'article 12 § 5 de la Directive, aboutira pratiquement à porter la question de leur approbation ou renouvellement devant l'assemblée générale annuelle. Quant au domaine de compétence de l'assemblée générale, la référence faite ici à "toute mesure", sans autre précision, laisse quelque peu songeur...

Le cadre posé, l'article L. 233-33, alinéa 2, du Code de commerce s'efforce ensuite de donner un contenu à cette réserve de réciprocité. Recourant à une méthode, pour le moins contournée, le législateur, après avoir pourtant, quelques lignes plus haut, déclaré inapplicable l'ensemble des dispositions de l'article L. 233-32 du Code de commerce, en ressuscite une partie en autorisant expressément l'émission par le conseil d'administration ou le directoire des bons visés au II de l'article L. 233-32 du Code de commerce.

Cette curieuse façon s'explique par la genèse du texte et l'insertion à mi-parcours parlementaire d'un dispositif spécifique de défense des sociétés cotées françaises, assis sur le recours à des bons de souscription d'actions (BSA), que l'on désignera, selon son tempérament -ou son humour-, de "bons d'offre", "bons dilutifs" ou "bons Breton". De fait, s'ils ont été inscrits à l'article L. 233-32 II du Code de commerce, parmi les défenses pouvant être adoptées "à chaud" (16), c'est bien en tant que défense décidée "à froid", et dans la perspective d'une offre publique hostile lancée par un initiateur "protégé", que ces bons sont censés présenter leur plus grande utilité.

En dépit de son apparition tardive, ce dispositif a été présenté comme un élément clé de la réforme, propre à la rééquilibrer substantiellement au profit des sociétés cibles (17). À l'origine, d'aucuns s'étaient pourtant interrogés sur l'opportunité de consacrer une mesure défensive particulière qu'aucun texte n'interdisait par ailleurs et ce, même si le législateur avait eu la sagesse d'indiquer, en termes univoques ("sans préjudice des autres mesures permises par la loi"), qu'il n'entendait nullement lui conférer une quelconque exclusivité (18). C'était mésestimer la sécurité juridique ainsi procurée, selon une méthode inspirée des "safe harbours" américains, aux utilisateurs d'un procédé défensif original et d'une efficacité que l'on a voulu redoutable. Une volonté qui a conduit ultérieurement à accentuer le caractère dérogatoire du procédé, achevant d'expliquer la présence dans la loi de dispositions réservées.

Américain par la méthode législative employée, le procédé l'est aussi par son inspiration, puisée dans les fameux "shareholder rights plans", familièrement dénommés "poison pills" ("pilules empoisonnées"), développés et massivement répandus outre -Atlantique (19). Il s'agit essentiellement, par la menace d'une dilution considérable de sa participation financière et politique, qui résulterait de l'exercice de bons de souscription d'actions à prix cassé, de contraindre le prétendant au contrôle social à négocier les conditions de son offre publique avec les dirigeants de la société visée (20). Comme l'arme nucléaire, le procédé se veut essentiellement intimidant et dissuasif.

Mais passé l'esprit général, la défense française diffère sensiblement du modèle américain, du fait, notamment, de son origine législative, et non judiciaire ; de la compétence reconnue à l'assemblée des actionnaires, et non au conseil d'administration (21); et de son principe actif, qui ne repose pas sur une émission immédiate d'options de souscription remises aux actionnaires à titre de dividende, ni sur une discrimination présentée à l'encontre du candidat cessionnaire (22).

Ainsi, l'article L. 233-32 II du Code de commerce dispose-t-il que l'AGE des actionnaires d'une société, statuant dans les conditions de quorum et de majorité des assemblées générales ordinaires, "peut décider l'émission de bons permettant de souscrire, à des conditions préférentielles, à des actions de ladite société, et leur attribution gratuite à tous les actionnaires de cette société ayant cette qualité avant l'expiration de la période d'offre publique". Lorsqu'elle se contente de déléguer cette compétence au conseil d'administration ou au directoire, hypothèse qui sera sans doute la plus recherchée pratiquement et que le législateur a visiblement tenu pour principale, l'assemblée générale doit impérativement "fixer le montant maximum de l'augmentation de capital pouvant résulter de l'exercice de ces bons ainsi que le nombre maximum de bons pouvant être émis". Elle peut, en outre, "prévoir la fixation de conditions relatives à l'obligation ou à l'interdiction, pour le conseil d'administration ou le directoire, de procéder à l'émission et à l'attribution gratuite de ces bons, d'y surseoir ou d'y renoncer". Une manière, on le comprend, d'encadrer l'action des dirigeants sociaux confrontés à une opération qui leur serait a priori hostile. Cet encadrement résulte encore des quelques garde-fous énoncés plus généralement au dernier alinéa du paragraphe, à savoir : l'obligation pour la société visée de porter "à la connaissance du public, avant la clôture de l'offre, son intention d'émettre ces bons", annonce qui évite de surprendre excessivement l'initiateur éconduit et lui fournit un juste motif de retrait de son offre (23); la nécessité de fixer les conditions d'exercice des bons en référence aux termes de l'offre ou de toute offre concurrente éventuelle, ainsi que les autres caractéristiques de ces bons, dont le prix d'exercice ou les modalités de détermination de ce prix ; la caducité de plein droit des bons en cas d'échec, de caducité ou de retrait, de l'offre et de toute offre concurrente éventuelle.

En dépit de ces contraintes, on le voit, de nombreuses combinaisons paraissent ouvertes. Il semble néanmoins ressortir du texte que le législateur ait eu principalement en vue l'hypothèse d'une délégation votée en faveur des dirigeants sociaux, autorisant l'émission des BSA entre la clôture de l'offre publique et la publication des résultats, laquelle marquerait le début de leur période d'exercice (24). L'incertitude ainsi créée quant au résultat et au coût finaux de l'offre est en effet de nature à rendre le procédé redoutable pour tout offrant qui tenterait de passer en force.

Si ses atours sont certains, le procédé appelle certaines réserves et comporte quelques limites naturelles. On ne s'étendra pas ici sur la critique fondamentale d'une telle légitimation législative du "détournement de fonction" (25) d'un procédé essentiellement conçu à des fins de financement. Cette critique ne serait pas nouvelle, déjà entendue lors de l'introduction par la loi du 2 août 1989 des augmentations de capital à finalité défensive, qui réalisait selon l'expression d'un auteur "une curieuse perversion du droit des sociétés" (26). La loi du 31 mars 2006 renoue ici avec cette tradition récente, brutalement interrompue par l'ordonnance du 24 juin 2004. Elle se contente d'imposer définitivement les BSA comme les "bonnes à tout faire" du droit des sociétés et heurte un peu plus la cohérence interne des règles sociétaires en confiant à une assemblée générale extraodinaire statuant aux conditions simplifiées d'une assemblée générale ordinaire le soin d'autoriser une émission de bons de souscription d'actions (27) dont l'exercice déboucherait sur une augmentation de capital hautement dilutive, même s'il peut être répondu qu'une telle autorisation est conçue pour ne jamais être utilisée.

Si cette défense comporte des faiblesses, elles tiennent davantage aux incertitudes qui subsistent quant aux contraintes juridiques pesant sur sa confection et mise en oeuvre, qu'il s'agisse, hors même la question du périmètre de la réciprocité : de sa mise en place ad hominem, qui apparenterait le procédé, plus encore qu'il ne l'est déjà, à une sorte d'agrément (28) ; de son usage dans le cadre d'offres concurrentes et de son articulation avec les contraintes du droit boursier ; de la marge de manoeuvre des dirigeants sociaux dans l'utilisation -ou le refus d'utilisation- de l'autorisation, autrement dit des modes de contrôle et de l'étendue de leurs devoirs de diligence et de loyauté vis-à-vis des actionnaires. Au contentieux systématique que cela risque d'engendrer, s'ajoutent, en amont, la difficulté, notamment dans les sociétés au capital éclaté, de convaincre une assemblée générale, statuerait-elle à la majorité simple et sur la base d'un quorum diminué, de mettre en place un tel instrument dans les mains des dirigeants sociaux, quand bien même il serait présenté comme conforme à l'intérêt bien compris des actionnaires (29) ; et en aval, les possibilités pour un initiateur de mettre en place des stratégies de contournement, notamment par l'adaptation de son prix d'offre, ou encore le risque, maîtrisé en droit américain (30) mais non en droit français, qu'un initiateur confronté à la résistance des dirigeants sociaux, ne tente une manoeuvre interne (telle une "bataille de mandats" ou "proxy fight") en vue de provoquer la révocation de ces derniers. Si les novations juridiques sont considérables, il s'avère difficile, dans ces conditions, d'anticiper l'impact réel provoqué à cet égard par la loi du 31 mars 2006 sur le jeu des offres publiques en France. Outre les effets provoqués sur le cours de bourse par l'adoption de telles défenses, ou le risque d'adresser ainsi au marché un signal de vulnérabilité, il restera, au plan macroéconomique, à apprécier si le renchérissement consécutif du coût des offres ne conduit pas à une raréfaction de leur nombre finalement préjudiciable au marché du contrôle et à la collectivité des actionnaires.

Sans avoir bénéficié de la même médiatisation que la précédente, une autre catégorie de mesures de défense prises "à froid" par l'assemblée générale des actionnaires ressort en creux de l'article L. 233-32 III, alinéa 2 du Code de commerce. Parce qu'elles se situent hors du champ d'application de ce texte, ces mesures présentent l'avantage de pouvoir être adoptées plus de 18 mois à l'avance, de survivre en période d'offre publique, sans nécessiter pour cela aucune approbation ni confirmation "à chaud", et surtout d'être opposables à tous initiateurs, y compris "vertueux".

Longtemps fermée, cette voie défensive s'est finalement ouverte in extremis et, à vrai dire, un peu subrepticement. À l'origine en effet, le projet de loi OPA prévoyait, au titre des règles de neutralisation directoriale, inscrites à l'article L. 233 -32 III, alinéa 2, du Code de commerce que "toute décision prise avant la période d'offre qui n'est pas totalement ou partiellement mise en oeuvre, qui ne s'inscrit pas dans le cours normal des activités de la société et dont la mise en oeuvre est susceptible de faire échouer l'offre doit faire l'objet d'une approbation ou d'une confirmation par l'assemblée générale". Ce "toute décision", sans autre précision, paraissait interdire la distinction selon l'organe social ayant procédé à son adoption, et inclure par voie de conséquence les décisions prises en assemblée générale. Solution consacrée par la version du texte datée du 20 octobre 2005, qui énumère les différents organes sociaux dont peuvent émaner ces décisions, parmi lesquels est mentionnée expressis verbis l'assemblée générale des actionnaires.

Puis, sans autre forme d'explication, cette référence à l'assemblée générale disparaît de l'énumération présentée dans la version du 21 février 2006. Sans doute a-t-il été considéré que l'article 9 de la Directive n'imposait pas une telle extension (31). Il résulte, en tous cas, de cette disparition que les décisions de l'assemblée générale des actionnaires, prises "à froid", échappent à la règle de neutralisation de l'article L. 233-32 III, alinéa 2, du Code de commerce, y compris lorsque ces décisions ne sont pas totalement ou partiellement mises en oeuvre, ne s'inscrivent pas dans le cours normal des activités de la société et sont susceptibles de faire échouer l'offre. Cela, sans avoir besoin du secours de la clause de réciprocité !

On répondra que la voie demeure néanmoins relativement étroite, du fait de la suspension, en vertu de l'alinéa 1er du III de l'article L. 233-32 du Code de commerce, des délégations votées en faveur des dirigeants sociaux. L'assemblée générale devrait donc voter des résolutions défensives se suffisant à elles-mêmes ou renvoyant à des décisions émanant de personnes autres que les dirigeants sociaux. Mais est-ce inenvisageable ? N'a-t-on pas vu par le passé des émissions de valeurs mobilières composées réservées à des personnes dénommées ou bien réalisées par appel public à l'épargne mais avec un court délai de priorité et un droit de souscrire à titre réductible, afin de permettre aux contrôlaires de récupérer la majeure partie des titres émis (32) ? Assurément, comme certaines expériences plus récentes l'ont montré, des résolutions en ce sens risqueraient de rencontrer l'hostilité des actionnaires. Il n'en reste pas moins qu'existent ainsi, à côté des "bons Breton", autorisés "à chaud" ou "à froid" dans le cadre de la réserve de réciprocité, attribués de manière égalitaire ; des bons de "chevalier blanc" émis "à chaud" à personne dénommée ; des bons autorisés "à froid", au cas de non-réciprocité, réservés à des personnes dénommées ou des catégories de personnes ; une autre catégorie de bons : les bons émis préventivement au profit de personnes dénommées.

Alain Pietrancosta
Professeur à l'Université Paris I (Panthéon-Sorbonne)
Directeur du Master Droit financier
Centre de Recherches en Droit financier


(1) L'article paraîtra, avec l'aimable autorisation de Lexbase, dans le premier numéro de la Revue trimestrielle de droit financier/Corporate Finance and Capital Markets Law Review, en mai prochain.
(2) Journal officiel du 1er avril 2006, p. 4882.
(3) Directive 2004/25 du Parlement européen et du Conseil, du 21 avril 2004, concernant les offres publiques d'acquisition (N° Lexbase : L2413DYZ).
(4) V. A. Pietrancosta, La directive européenne sur les offres publiques d'acquisition enfin adoptée !, RD banc. et fin. septembre-octobre 2004, p. 338 ; M. Haschke-Dournaux, L'adoption de la directive européenne relative aux offres publiques d'acquisition, LPA, 26 avril 2004, n° 83, p. 7 ; F. Peltier et F. Martin-Laprade, Directive 2004/25/CE du 21 avril 2004 relative aux OPA ou l'encadrement par le droit communautaire du changement de contrôle d'une société cotée, Bull. Joly Bourse 2004, p. 610 ; A. Couret, La fin d'une trop longue saga : l'adoption de la 13e directive en matière de droit des sociétés concernant les offres publiques d'acquisition, Mélanges Béguin, Litec 2005, p. 195 ; P. Servan-Schreiber, W. Grumberg, Défenses anti-OPA, Adoption de la directive européenne sur les OPA et enjeux pour les entreprises françaises, JCP éd. E, n° 44, p. 1774 ; T. Granier, La directive concernant les offres publiques d'acquisition, Europe, n° 11, nov. 2004 ; Reforming Company and Takeover Law in Europe, edited by G. Ferrarini, K. J. Hopt, J. Winter, E. Wymeersch, Oxford University Press, 2004 ; S. V. Simpson, L. Corte, The Future Direction of Takeover Regulation In Europe, 1520 PLI/Corp 759, Practising Law Institute, December, 2005.
(5) Rapport du groupe de travail sur la transposition de la Directive concernant les offres publiques d'acquisition, J.-F. Lepetit, 27 juin 2005.
(6) V. e.g. pour la Grande-Bretagne, Implementation of the EU Directive on Takeover Bids Guidance on changes to the rules on company takeovers, Department of Trade and Industry, march 2006.
(7) V. not. J. Rickford, The Emerging European Takeover Law from a British Perspective, European Business Law Review, Issue 15, 6, 2004, p. 1379 ; M. Becht, Reciprocity in Takeovers, in Reforming Company and Takeover Law in Europe, op. cit. p. 647 ; pour une critique nord-américaine du procédé, v. J. Elofson, Lie Back and Think of Europe: American Reflections on the EU Takeover Directive, 22 Wis. Int'l L.J. 523, Fall 2004.
(8) V. not., A. Maréchal, A. Pietrancosta, Transposition de la directive OPA : des incertitudes entourant le recours à la "clause de réciprocité", Lexbase Hebdo n° 189 du 10 novembre 2005 - édition affaires (N° Lexbase : N0521AKI) et Bull. Joly Bourse, 2005, § 203 ; ANSA, Transposition de la directive sur les OPA. Mesures anti-OPA, n° 05-023, 6 avril 2005 ; E. Morgan de Rivery, F. Martin-Laprade, Le nouveau système de réglementation des OPA sera inévitablement source de contentieux, Le Revenu, n° 853, 20 janvier 2006.
(9) V. P. Werdmuller, Compatibility of the EU Takeover Bid Directive Reciprocity Rule with EU Free Movement Rules, Business Law Review, mars 2006, p. 64.
(10) Telle la prétendue présence d'une clause de réciprocité dans la version antérieure de la directive, rejetée par le Parlement européen en 2001 !, Ph. Marini, Sénat, 2ème lecture, rapport n° 197, déposé le 8 février 2006 ; alors que l'absence d'un tel dispositif figurait précisément au nombre des motifs officiels de rejet de la proposition.
(11) V. P. Werdmuller, art. préc.
(12) V. Ph. Marini, Rapport préc. n° 20.
(13) V. Ph. Marini, Rapport préc. n° 20.
(14) V. le Rapport du groupe de haut niveau d'experts en droit des sociétés sur des questions liées aux offres publiques d'acquisition, dit Winter I, Bruxelles, 10 janvier 2002, spéc. p. 42 et s. ; adde, B. Dauner Lieb, M. Lamandini, La nouvelle proposition de directive en matière de droit des sociétés concernant les offres publiques d'acquisition et l'instauration de l'égalité des conditions de jeu, faisant référence particulière aux recommandations du Groupe de haut niveau d'experts en droit des sociétés créé par la Commission, Parlement européen, Direction générale des Études, Série Affaires juridiques, déc. 2002.
(15) V. P. Werdmuller, art. préc., spec. p. 66.
(16) V. 2ème partie ([LXB=N87294AKD])
(17) V. la présentation de l'amendement par le ministre de l'économie et des finances, Sénat, 2ème lecture, séance du 21 février 2006.
(18) Sur la question de la possibilité pour l'assemblée générale des actionnaires d'autoriser une augmentation de capital réservée à une "catégorie de personnes" ou la délégation au conseil d'administration ou au directoire du pouvoir de désigner précisément le ou les bénéficiaires de cette opération, v. débats, Assemblée nationale, 1ère lecture, séance du 15 décembre 2005.
(19) V. A. Pietrancosta, Le droit des sociétés sous l'effet des impératifs financiers et boursiers, op. cit. n° 686 ; W. J. Carney, Leonard A. Silverstein, The Illusory Protections of The Poison Pill, 79 Notre Dame L. Rev. 179, December, 2003.
(20) V. C. Clerc, Vers un droit négocié des OPA, Les Échos, 20 février 2006, p. 17.
(21) Même si une évolution sur ce point est en cours aux États-Unis, sous l'influence combinée des investisseurs institutionnels, de la SEC et d'une partie de la doctrine, v. e.g. L. A. Bebchuk, The Case For Increasing Shareholder Power, 118 Harv. L. Rev., January, 2005, 833.
(22) V. sur ces aspects, les développements de C. Clerc, à paraître à la Rev. trim. de droit financier / Corporate Finance and Capital Markets Law Review, 2006/1.
(23) Rappelons qu'aux termes de l'article 232-11 du règlement général AMF , "l'initiateur peut également renoncer à son offre si, pendant la période d'offre, la société visée adopte des mesures d'application certaine modifiant sa consistance ou si l'offre devient sans objet. Il ne peut user de cette faculté sans l'autorisation préalable de l'AMF qui statue au regard des principes posés par l'article 231-3".
(24) V. C. Clerc, art. préc.
(25) S. Fournier, Les moyens de défense contre les OPA-OPE, thèse Paris I, 1988, n° 37. Un dévoiement que le droit français avait jusqu'alors plutôt tendance à sanctionner, y compris en matière d'augmentations de capital : v. sur la condamnation d'augmentations de capital à visées politiques, T. Com. Seine, 7 oct. 1930, J. S., 1931.107 ; CA Paris, 13 fév. 1934, J. S., 1935.168 ; CA Paris, 27 mars 1950, Gaz. Pal., 1950., 2.48 ; G. Sousi, L'intérêt social dans le droit français des sociétés commerciales, thèse Lyon 1974, n° 99 sq. ; CA Paris, 22 juin 1988, statuant sur renvoi dans l'affaire Rémy Martin, Bull. Joly, 1988.771, note P. Le Cannu.
(26) A. Viandier, Sécurité et transparence du marché financier, JCP éd. E 1989, II, 15612, n° 135.
(27) Rappelons le principe de la compétence exclusive de l'AGE, statuant conformément aux articles L. 225-129 (N° Lexbase : L8263GQ4) à L. 225-129-6 (N° Lexbase : L4055HBS) du  Code de commerce, pour autoriser l'émission de valeurs mobilières donnant accès au capital, et à l'article L. 228-92 du Code de commerce (N° Lexbase : L8337GQT). 
(28) Un tel dispositif heurterait sans doute l'intention du législateur, reflétée par la lettre de la loi, cf. cep. les projets de résolutions actuellement présentés aux actionnaires des sociétés Bouygues (BALO, 15 mars 2006), Eurazeo (BALO, 7 avril 2006), Vet' Affaires (BALO, 17 avril 2006) ou Suez (BALO, 12 avril 2006).
(29) V. sous l'empire des textes antérieurs à 2004, les échecs essuyés par les dirigeants des sociétés Unibail, SCOR ou d'Elf-Aquitaine, Suez Lyonnaise.
(30) Grâce notamment à la technique des "staggered boards", autrement dit du renouvellement fractionné des conseils d'administration, v. e.g. L. A. Bebchuk et al., The Powerful Antitakeover Force of Staggered Boards: Theory, Evidence, and Policy, 54 Stan. L. Rev. 887, 890 (2002).
(31) V. supra n° 4.
(32) V. A. Pietrancosta, Le droit des sociétés sous l'effet des impératifs financiers et boursiers, éd. Transactive, 2000, n° 689.

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Le 07 Octobre 2010

La valeur locative retenue dans la base d'imposition à la taxe foncière sur les propriétés bâties et à la taxe professionnelle est, pour certains biens, déterminée à partir de leur prix de revient. Cette valeur locative se trouve, donc, modifiée, lorsque ces biens sont cédés à un autre redevable. Afin de limiter les pertes de ressources fiscales pouvant, ainsi, résulter pour les collectivités locales des opérations de restructuration d'entreprises (1), les dispositions de l'article 1518 B du CGI prévoient que la valeur locative obtenue après application des règles de droit commun pour les immobilisations acquises à la suite d'apports, de scissions, de fusions de sociétés ou de cessions d'établissements ne peut être inférieure à un certain seuil habituellement qualifié de "valeur locative plancher" (2). Les dispositions de l'article 87 de la loi de finances 2006 (n° 2005-1719 du 30 décembre 2005 N° Lexbase : L6429HET) ont apporté une modification à ce seuil pour le cas où les opérations de restructuration interviennent au sein d'un groupe de sociétés et aménagent les règles spécifiques applicables en cas de reprise des actifs d'une entreprise en difficulté (3). 1. Présentation du dispositif de la valeur locative plancher

1.1. L'origine du dispositif

Le mécanisme de la valeur locative plancher a, d'abord, été institué pour les immobilisations industrielles passibles de la taxe foncière par l'article 16-2° de la loi du 29 juillet 1975, instituant la taxe professionnelle, et codifié au 1er alinéa de l'article 1499 A du CGI relatif à la taxe foncière.

Compte tenu de l'article 324 AE de l'annexe III au CGI , qui renvoie à l'article 38 quinquies de la même annexe , le prix de revient est toujours la valeur d'apport, que celui-ci ait été réalisé à la valeur nette comptable ou à la valeur réelle.

Dans les deux cas, pour les biens passibles d'une taxe foncière, quel que soit le mode d'évaluation retenu, le système du plancher fonctionne et il impose de comparer la nouvelle valeur locative, déterminée par la valeur d'apport et le minimum fixé par le législateur, par application d'un coefficient inférieur à 1 à la valeur locative avant l'opération.

Le système du plancher a, ensuite, été étendu, par l'article 19, VI de la loi n° 80-10 du 10 janvier 1980, aux immobilisations non passibles d'une taxe foncière et codifié à l'article 1518 B du CGI . Le législateur a, ainsi, étendu ce système, en particulier, aux biens désignés au 3° de l'article 1469 du CGI .

1.2. Le mécanisme de la valeur locative plancher

Les dispositions de l'article 1518 B du CGI, dans leur rédaction antérieure à l'entrée en vigueur des dispositions de l'article 87 de la loi n° 2005-1719 du 30 décembre 2005, prévoient que la valeur locative des immobilisations corporelles acquises à la suite d'apports, de scissions, de fusions de sociétés ou de cessions d'établissements ne peut être inférieure :

  • aux 2/3 de la valeur locative retenue l'année précédant l'opération pour les opérations réalisées entre le 1er janvier 1976 et le 31 décembre 1988 ;
  • à 85 % ou aux 2/3 de cette même valeur locative, selon que les bases d'imposition de l'établissement représentaient, l'année précédant l'opération, plus ou moins de 20 % (4) des bases de taxe professionnelle de la commune d'implantation, pour les opérations réalisées entre le 1er janvier 1989 et le 31 décembre 1991 ;
  • à 80 % de la valeur locative retenue avant l'opération pour les opérations réalisées depuis le 1er janvier 1992. Par exception, pour les opérations réalisées depuis le 1er janvier 2005, en cas de reprise d'immobilisations d'une entreprise en redressement judiciaire, ce seuil est ramené à 50 % pendant la procédure et les deux années suivant la clôture de celle-ci.

1.3. Les opérations concernées

Les opérations, à l'occasion desquelles l'article 1518 B du CGI est susceptible de s'appliquer, sont les opérations d'apports, de scissions, de fusions de sociétés, ainsi que les cessions d'établissements.

Par cession d'établissement, il convient d'entendre, conformément aux dispositions de l'article 310 HA, alinéa 6, de l'annexe II au CGI , deux types de cessions.

Il peut, d'abord, s'agir de la cession d'une installation utilisée par une entreprise en un lieu déterminé. Cependant, la cession de locaux nus ne peut être regardée comme une cession d'établissement au sens de l'article 1518 B du CGI (5).

Il peut, ensuite, s'agir de la cession d'une unité de production intégrée dans un ensemble industriel ou commercial, lorsque celle-ci peut faire l'objet d'une exploitation autonome. En cas de cession d'un établissement muni de tous ses moyens d'exploitation, l'article 1518 B s'applique, donc, à tous les biens meubles ou immeubles, ainsi, vendus.

1.4. Les immobilisations concernées

Les dispositions de l'article 1518 B du CGI s'appliquent, en principe, à toutes les immobilisations corporelles (terrains, constructions, matériels, équipements, biens mobiliers, etc.), quel que soit leur usage (industriel, commercial ou non commercial).

- En pratique, deux types d'immobilisations sont concernés. Le premier type d'immobilisations comprend les immobilisations, dont la valeur locative peut être modifiée lors de leur cession, c'est-à-dire les immobilisations corporelles non passibles d'une taxe foncière (matériels, équipements, biens mobiliers, etc.) lorsque leur valeur locative est évaluée à partir de leur prix de revient (matériels ne faisant pas l'objet d'une location).

Le second type d'immobilisations comprend les immobilisations passibles de la taxe foncière sur les propriétés bâties dans deux cas seulement. Le premier cas concerne les immobilisations, qui sont évaluées d'après leur prix de revient pour l'ancien et pour le nouveau propriétaire. Il en est ainsi lorsqu'il s'agit d'immobilisations industrielles et que l'ancien et le nouveau propriétaire sont soumis aux obligations définies à l'article 53 A du CGI (contribuables imposés d'après le bénéfice réel). Le second cas concerne les immobilisations industrielles dont la cession entraîne un changement de la méthode d'évaluation. Il en est ainsi lorsque l'évaluation d'après le prix de revient n'est retenue qu'à l'égard de l'ancien ou du nouveau propriétaire.

- L'article 1518 B du CGI vise les seules immobilisations corporelles qui sont directement concernées par l'opération d'apport, de scission, de fusion de sociétés ou par la cession d'établissement et dont la valeur locative était imposée au moment de l'opération, à la taxe foncière sur les propriétés bâties et/ou à la taxe professionnelle selon le cas (6).

Il s'agit, en fait, d'écarter l'interprétation selon laquelle les dispositions de l'article 1518 B du CGI ne permettraient pas de taxer les immobilisations acquises ou créées postérieurement à l'opération tant que la valeur locative de l'ensemble des immobilisations de l'établissement restait inférieure à la valeur locative plancher.

Sont, donc, seules visées par les dispositions de l'article 1518 B du CGI les immobilisations, qui sont directement concernées par les opérations visées à cet article (c'est-à-dire celles qui ont fait l'objet d'un transfert de propriété dans l'acte d'apport, de fusion, de scission ou de cession) et dont la valeur locative a été retenue au titre de l'année précédant l'opération, ce qui signifie que leur valeur locative doit avoir été imposée à la taxe professionnelle ou à la taxe foncière au titre de l'année précédant l'opération (7).

1.5. Les immobilisations exclues du champ d'application de la valeur locative plancher

Restent en dehors du champ d'application de l'article 1518 B du CGI les biens acquis ou construits l'année de l'opération (année N) et, le cas échéant, l'année précédente (année N-1) et antépénultième (année N-2) en ce qui concerne la taxe professionnelle (8), de même que les immobilisations en cours d'exonération temporaire l'année de l'opération (année N-1) (9).

1.6. La règle de la valeur locative plancher s'applique distinctement pour les terrains, constructions, équipements et biens mobiliers

Pour les opérations réalisées depuis 1993, la règle de la valeur locative plancher s'applique distinctement pour chacune des catégories d'immobilisations suivantes : terrains, constructions, équipements et biens mobiliers. Le deuxième alinéa de l'article 73 de la loi 92-1476 du 30 décembre 1992 précise, en effet, que cette comparaison doit être effectuée distinctement pour ces trois catégories d'immobilisations. Cet article confirme, mais pour les seules opérations intervenues à compter de 1993, la doctrine administrative (10), le nombre de catégories d'immobilisations étant, toutefois, ramené à 3 au lieu de 4.

Concrètement, lorsque le prix d'acquisition est un prix global, il y a lieu de le ventiler entre les différentes catégories d'immobilisations, soit à partir des renseignements fournis dans l'acte, soit proportionnellement au prix de revient indiqué, pour chacune des catégories de biens, dans les documents comptables ou fiscaux du redevable (11).

1.7. La valeur locative plancher doit être revalorisée chaque année

La valeur locative plancher retenue en application de l'article 1518 B du CGI doit être revalorisée chaque année par application des coefficients de majoration forfaitaire prévus à l'article 1518 bis du CGI (12). L'application des coefficients prévus à l'article 1518 bis du CGI est, en effet, de portée générale et s'applique à toutes les valeurs locatives retenues comme base d'imposition à la taxe foncière, quelles que soient leurs modalités de calcul  (13).

Qu'elle soit calculée à partir de leur valeur d'apport ou de cession, ou bien dans les conditions prévues à l'article 1518 B du CGI, la valeur locative des immobilisations passibles d'une taxe foncière acquises à la suite d'apports, de scissions, de fusions de sociétés ou de cessions d'établissements est majorée des seuls coefficients de majoration forfaitaires fixés à l'article 1518 bis du CGI, dont la date de référence est postérieure à la date de la mutation.

2. Les modifications apportées par les dispositions de l'article 87 de la loi de finances pour 2006

2.1. Le cas des opérations réalisées au sein d'un groupe

Les dispositions de l'article 87 de la loi de finances pour 2006 instituent une valeur locative plancher spécifique pour les opérations réalisées entre sociétés membres d'un groupe. Elles prévoient que la valeur locative des immobilisations corporelles acquises à la suite d'apports, de scissions, de fusions de sociétés ou de cessions d'établissements ne peut être inférieure à 90 % de son montant avant l'opération (au lieu de 80 % dans le cas général), lorsque cette opération est réalisée entre sociétés membres d'un groupe au sens de l'article 223 A du CGI , c'est-à-dire d'un groupe fiscalement intégré.

Ces dispositions s'appliquent aux opérations réalisées à compter du 1er janvier 2006.

2.2. La reprise des actifs d'une entreprise en difficulté

Dans sa rédaction actuelle, l'article 1518 B du CGI prévoit que, pour les opérations réalisées à compter du 1er janvier 2005, la valeur locative des immobilisations corporelles reprises à une entreprise faisant l'objet d'une procédure de redressement judiciaire conformément à l'article L. 621-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L4127HBH) ne peut être inférieure à 50 % de son montant avant l'opération (au lieu de 80 % dans le cas général), pendant la procédure et dans les deux années suivant la clôture de celle-ci.

Les dispositions de l'article 87 de la loi n° 2005-1719 du 30 décembre 2005 modifient ces règles, pour ce qui concerne les opérations réalisées depuis le 1er janvier 2006. Elles prévoient que la valeur locative plancher de 50 % s'applique pour les opérations de reprise d'immobilisations prévue par un plan de cession ou comprises dans une cession d'actifs en sauvegarde, en redressement ou en liquidation judiciaire, jusqu'à la deuxième année suivant celle du jugement ordonnant la cession ou autorisant la cession d'actifs en cours de période d'observation.

Ces dispositions tiennent compte de la loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises (N° Lexbase : L5150HGT) qui institue, notamment, une procédure de sauvegarde des entreprises et élargissent le champ d'application de la valeur locative plancher de 50 % aux actifs cédés dans le cadre d'une procédure de liquidation judiciaire. Par ailleurs, elles modifient le décompte de la période d'application de ce régime dérogatoire en se référant au jugement ordonnant la cession et non plus au jugement de clôture de la procédure.

Il résulte, en outre, du présent article que ces règles particulières ne s'appliquent pas en présence d'opérations réalisées entre sociétés membres d'un groupe intégré, la valeur locative plancher restant dans ce cas fixée à 90 %.

3. La compatibilité du mécanisme de la valeur locative plancher avec les dispositions de l'article 1469 du CGI : l'avis du 28 octobre 2005

Par un avis du 28 octobre 2005 (CE, avis, 9° et 10° s-s., 28 octobre 2005, n° 279961, SA Camif Catalogues c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A2811DLP), le Conseil d'Etat a répondu à la question que lui avait posée le tribunal administratif de Lille et qui était de savoir quelles étaient les écritures comptables "normales" auxquelles il y avait lieu de se référer pour les besoins de l'application de l'article 310 HF de l'annexe II au CGI (15), en cas d'immobilisations apportées à leur valeur comptable.

1.1. Le Conseil d'Etat relie la notion de "prix de revient" qui figure à l'article 310 HF de l'annexe II au CGI, à la notion de "valeur d'origine" mentionnée à l'article 38 quinquies de l'annexe III au CGI (16)

L'avis du Conseil d'Etat combine ces deux articles en liant le texte spécifique à la taxe professionnelle à celui qui énonce la règle comptable. Il aligne ainsi, par ailleurs, le régime des immobilisations visées au 3° de l'article 1469 du CGI sur celui qui s'applique à celles soumises aux 1° et 2° du même article (biens passibles d'une taxe foncière et biens amortis sur plus de trente ans) pour lesquels l'article 324 AE de l'annexe III au CGI indique expressément que leur "prix de revient" est la "valeur d'origine pour laquelle les immobilisations doivent être inscrites au bilan en conformité de l'article 38 quinquies de la présente annexe". Le Conseil d'Etat interprète, donc, les dispositions de l'article 310 HF de l'annexe II au CGI comme conçues pour raccrocher les valeurs locatives aux valeurs comptables.

2.2. Dans le cas d'une fusion réalisée à la valeur comptable, le prix de revient des immobilisations apportées n'est pas la valeur d'origine des immobilisations dans les comptes de la société apporteuse (17), mais la valeur nette comptable ayant le caractère de valeur d'apport pour la société recevant ces immobilisations

La formulation retenue par le Conseil d'Etat invalide la position adoptée par l'administration, selon laquelle il convenait, en cas d'opération réalisée à la valeur comptable, de revenir à la valeur d'origine constatée dans les écritures de l'entité apporteuse. Cette position aboutissait à cette conséquence surprenante que, pour déterminer le "prix de revient" de la bénéficiaire de l'apport, il était nécessaire de remonter au "prix d'origine" acquitté par l'apporteuse. La rédaction de l'avis marque, donc, bien que le "prix de revient", pour la bénéficiaire d'un apport, ne saurait être, contrairement à ce que faisait valoir l'administration, identique au "prix de revient" de l'apporteuse, avant l'opération. Les opérations de fusion et assimilées sont l'occasion d'une réestimation des immobilisations et la position de l'administration conduisait à ignorer cette réévaluation, ainsi que la réalité de l'opération, attestée par le traité d'apport, selon lequel le mode de valorisation était la valeur nette comptable.

La solution retenue par le Conseil d'Etat est, donc, à l'avantage des contribuables. En pratique, elle permet de ne pas défavoriser les opérations réalisées à la valeur comptable pour lesquelles l'administration imposait un retour à la valeur brute, en général supérieure à la valeur d'apport.

3.3. La solution retenue par le Conseil d'Etat a été motivée par le souci de préserver la spécificité du mécanisme de la valeur locative plancher

Les dispositions de l'article 310 HF de l'annexe II au CGI n'ont, en effet, pas pour objet de neutraliser les effets d'une opération de fusion ou assimilée réalisée à la valeur nette comptable sur les bases d'imposition à la taxe professionnelle. Elles sont seulement destinées à relier les règles de détermination des bases de la taxe professionnelle aux règles comptables.

En refusant de lire ces dispositions comme pouvant renvoyer à la valeur d'origine chez la société apporteuse, le Conseil d'Etat a exclu qu'elles puissent avoir un effet neutralisant, c'est-à-dire qu'elles puissent empêcher que des opérations de restructuration apportent aux entreprises l'aubaine d'une réduction de leur charge de taxe professionnelle, ce dans la mesure où le seul but du législateur est de limiter, via le mécanisme de la valeur locative plancher, la réduction des bases résultant de ces opérations.

Le législateur ayant par ces dispositions limité l'impact de la réduction des bases d'imposition pouvant résulter d'opérations de fusion ou assimilées réalisées à la valeur nette comptable, le Conseil d'Etat a, donc, considéré que rien ne justifiait de faire jouer aux dispositions de l'article 310 HF de l'annexe II au CGI un rôle pour lequel elles n'avaient pas été conçues.

De fait, la position adoptée par l'administration conduisait à rendre inapplicable les dispositions de l'article 1518 B du CGI. En effet, la référence, en cas de fusion ou opération assimilée opérée à la valeur nette comptable, à la valeur d'origine figurant au bilan de l'apporteuse conduisait à rendre inapplicable le mécanisme du plancher. Comme l'a relevé le Commissaire du Gouvernement L. Vallée dans ses conclusions sous l'avis précité (18), "le plancher est, en pareil cas, égal aux 4/5ème de 16 % de la valeur d'origine constatée au bilan de l'apporteuse. Si l'on suit la thèse du ministre, la nouvelle valeur locative est constituée par 16 % de cette même valeur d'origine. Or, il est rare que 16 % d'un montant soit inférieur à 80 % de 16 % de ce même montant. Dire, aujourd'hui, qu'en cas d'apport à la valeur nette comptable le prix de revient qui détermine la valeur locative est la valeur d'origine chez l'apporteuse aboutit, donc, à ce que la règle du plancher ne soit jamais applicable dans un tel cas. Vous priveriez, donc, en partie d'effet la précaution expressément prise par le législateur pour limiter la réduction des bases d'imposition pouvant résulter des opérations de fusion ou assimilées".

Ainsi, contrairement à ce qu'il en est en matière d'impôt sur les sociétés, le législateur n'a instauré aucun régime de neutralité des fusions ou opérations assimilées en matière de taxe professionnelle. Il a, donc, seulement entendu limiter la réduction des bases résultant de ces opérations.

En refusant d'interpréter les dispositions de l'article 310 HF de l'annexe II au CGI comme ayant pour objet et pour effet de neutraliser l'impact, sur les bases d'imposition à la taxe professionnelle, d'une fusion réalisée à la valeur nette comptable, le Conseil d'Etat a, dès lors, préservé l'intérêt et la spécificité du mécanisme de la valeur locative plancher prévu par les dispositions de l'article 1518 B du CGI.

Frédéric Dieu
Commissaire du Gouvernement près le Tribunal administratif de Nice


(1) Ces opérations peuvent, en effet, entraîner des réductions brutales des valeurs locatives après apport ou fusion.
(2) Ces dispositions ont inséré, après le sixième alinéa de l'article 1518 bis du CGI
, trois alinéas, ainsi, rédigés : "pour les opérations mentionnées au premier alinéa réalisées à compter du 1er janvier 2006 et par exception aux dispositions du cinquième alinéa, la valeur locative des immobilisations corporelles ne peut être inférieure à : a. 90 % de son montant avant l'opération pour les opérations entre sociétés membres d'un groupe au sens de l'article 223 A du CGI ; b. Sous réserve des dispositions de l'alinéa précédent, 50 % de son montant avant l'opération pour les opérations de reprise d'immobilisations prévue par un plan de cession ou comprises dans une cession d'actifs en sauvegarde, en redressement ou en liquidation judiciaire, jusqu'à la deuxième année suivant celle du jugement ordonnant la cession ou autorisant la cession d'actifs en cours de période d'observation" .
(4) Pour le calcul de ce pourcentage, les bases de taxe professionnelle à prendre en considération s'entendent non seulement des valeurs locatives, mais aussi des autres éléments entrant dans la composition des bases de taxe professionnelle de l'établissement (fraction des salaires). Lorsque, dans une même commune, plusieurs établissements sont concernés par l'opération d'apport, de scission, de fusion de sociétés ou par l'opération de cession, c'est la totalité des bases d'imposition de ces établissements qui doit être prise en compte, même si ces établissements ne sont pas repris par le même acquéreur. Dans ce cas, le seuil de 85 % s'applique à chacun des acquéreurs. Les bases de taxe professionnelle imposées au profit de la commune ne comprennent pas les bases écrêtées au profit du fonds départemental de péréquation de la taxe professionnelle. Il y a lieu de procéder au calcul commune par commune : une entreprise qui reprend plusieurs établissements peut, donc, avoir des établissements dont les bases seront fixées, selon le cas, à 85 % ou à 66,66 % des bases de l'année précédant l'opération. Dès lors que les bases d'imposition de taxe professionnelle d'un établissement concerné par une opération d'apports, de scissions, de fusions de sociétés ou par une opération de cessions représentent plus de 20 % des bases de taxe professionnelle imposées, l'année précédant l'opération, au profit de la commune, la valeur locative des immobilisations de l'établissement ne peut, en matière de taxe foncière sur les propriétés bâties comme en matière de taxe professionnelle, être inférieure à 85 % de celle retenue l'année précédant l'opération (instruction du 26 avril 1993, BOI n° 6 E-12-93, n° 25 à 27 N° Lexbase : X3228ACK ; Doc. adm. 6 E-2223, 10 septembre 1996, n° 24 à 26).
(5) Cf. CE Contentieux , 5 novembre 1993, n° 65512, Société Hochland Reich Summer and Co c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie (N° Lexbase : A1788ANK), RJF 1993, n° 1563 et, également, CE, 3° et 8° s-s., 28 mai 2004, n° 232285, Société en nom collectif Amendor et Compagnie c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie (N° Lexbase : A5458DDI), RJF 2004, n° 899.
(6) Cf. dispositions de l'article 87 de la loi 91-1322 du 30 décembre 1991.
(7) Cf. CE Contentieux, 24 mai 1989, n° 63846, Ministre du Budget c/ Société "Rhône-Poulenc Industries" (N° Lexbase : A0739AQG ), RJF 1989, n° 846 ; CE Contentieux, 6 juillet 1990, n° 70689, Société "Rhône Poulenc Chimie de base" c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie (N° Lexbase : A4766AQL), RJF 1990, n° 1215.
(8) Lorsque l'opération réalisée l'année N porte sur un établissement créé l'année N-2, seuls les biens acquis l'année de l'opération et l'année précédente restent en dehors du champ d'application de l'article 1518 B du CGI.
(9) Toutefois, quand bien même ils n'entrent pas dans le champ d'application de l'article 1518 B du CGI, les biens temporairement exonérés ou non imposés l'année précédant l'opération ont une valeur locative. La valeur locative de ces immobilisations est déterminée dans les conditions de droit commun. Cf. instruction du 26 avril 1993, BOI n° 6 E-12-93 n° 14 à 18 et 34 à 36 (N° Lexbase : X3228ACK)
; Doc. adm. 6 E-2223, du 10 septembre 1996, n° 13 à 17 et 33 à 35.
(10) Cf. instruction du 8 février 1980, BOI n° 6 E-3-80, n° 71 (N° Lexbase : X0700AA8).
(11) Cf. instruction du 26 avril 1993, précitée, BOI n° 6 E-12-93 n° 45 à 48 ; Doc. adm. 6 E-2223, du 10 septembre 1996, n° 44 à 47.
(12) Aux termes de cet article, qui fixe les coefficients de revalorisation pour les années 1981 à 2006, "
dans l'intervalle de deux actualisations prévues par l'article 1518 du CGI, les valeurs locatives foncières sont majorées par application de coefficients forfaitaires fixés par la loi de finances en tenant compte des variations des loyers. Les coefficients prévus au premier alinéa sont fixés : a. Au titre de 1981, à 1,10 pour les propriétés bâties de toute nature et à 1,09 pour les propriétés non bâties ;  [...] y. Au titre de 2005, à 1,018 pour les propriétés non bâties, à 1,018 pour les immeubles industriels ne relevant pas de l'article 1500 du CGI  et pour l'ensemble des autres propriétés bâties. z) Au titre de 2006, à 1,018 pour les propriétés non bâties, à 1,018 pour les immeubles industriels ne relevant pas de l'article 1500 et pour l 'ensemble des autres propriétés bâties".
(13) Cf. instruction du 26 avril 1993, précitée, BOI n° 6 E-12-93, n° 49 ; Doc. adm. 6 E-2223,10 septembre 1996, n° 48.
(14) Aux termes de cet article, "
la valeur locative est déterminée comme suit : 1° Pour les biens passibles d'une taxe foncière, elle est calculée suivant les règles fixées pour l'établissement de cette taxe ; Toutefois, les biens exonérés de taxe foncière sur les propriétés bâties en vertu du 11º de l'article 1382 du CGI sont évalués et imposés dans les mêmes conditions que les biens et équipements mobiliers désignés aux 2º et 3º ; Les immobilisations destinées à la fourniture et à la distribution de l'eau sont exonérées de taxe professionnelle lorsqu'elles sont utilisées pour l'irrigation pour les neuf dixièmes au moins de leur capacité ; Les locaux donnés en location à des redevables de la taxe professionnelle sont imposés au nom du locataire ; toutefois, la valeur locative des entrepôts et magasins généraux n'est retenue que dans les bases d'imposition de l'exploitant de ces entrepôts ou magasins. 2° Les équipements et biens mobiliers dont la durée d'amortissement est au moins égale à trente ans sont évalués suivant les règles applicables aux bâtiments industriels ; toutefois, les lignes, câbles et canalisations extérieurs aux établissements sont exonérés ainsi que leurs supports ; les équipements et biens mobiliers destinés à l'irrigation sont exonérés dans les mêmes conditions qu'au 1°. 3º Pour les autres biens, lorsqu'ils appartiennent au redevable, lui sont concédés ou font l'objet d'un contrat de crédit-bail mobilier, la valeur locative est égale à 16 % du prix de revient".
(15) Aux termes de cet article : "
pour la détermination de la valeur locative qui sert de base à la taxe professionnelle : [...] 2° Le prix de revient des immobilisations est celui qui doit être retenu pour le calcul des amortissements [...]".
(16) Aux termes de cet article, "
les immobilisations sont inscrites au bilan pour leur valeur d'origine. Cette valeur d'origine s'entend : [...] I. Pour les immobilisations apportées à l'entreprise par des tiers, de la valeur d'apport [...]".
(17) Valeur d'origine qui avait constitué un prix de revient pour cette société.
(18) RJF 2006, p. 13.

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Droit financier

[Textes] Loi n° 2006-387 du 31 mars 2006 relative aux offres publiques d'acquisition : des "options" françaises (1) (4ème partie)

Réf. : Loi n° 2006-387 du 31 mars 2006, relative aux offres publiques d'acquisition (N° Lexbase : L9533HHK)

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N7386AKR

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Le 07 Octobre 2010

Déposé au Sénat le 22 septembre 2005 par le ministre de l'Economie et des Finances, le projet de loi relatif aux offres publiques d'acquisition a été définitivement adopté par la Haute assemblée le 23 mars 2006 (2). Malgré ces six mois de discussions et de maturation, nécessitées par trois lectures parlementaires, la France se place ainsi en tête des pays européens dans la course à la transposition de la Directive du 21 avril 2004 (3), dont l'échéance ultime était fixée au 20 mai 2006. Des esprits retors expliqueront qu'il s'agissait d'une course à ne pas gagner et que, dans le jeu de stratégie normative auquel la transposition des textes communautaires tend à s'apparenter, un positionnement précoce crée un risque de désavantage compétitif. L'argument prend une force particulière en présence d'une Directive d'harmonisation dégradée, qui concède aux Etats destinataires des marges de manoeuvre considérables sur des aspects pour le moins déterminants de l'ouverture des marchés nationaux des capitaux et du contrôle. On veut parler ici des fameuses options ouvertes par l'article 12 de la Directive en matière de défense anti-OPA, dont l'exercice, en raison de leur complexité, confine à la partie d'échecs -et d'échec !- communautaire (4). La France a, malgré cela, préféré à toute autre, l'option de la clarté et de la constance, choisissant de ne jamais revenir sur l'équilibre général défini initialement par le rapport du "groupe de travail Lepetit" (5), au risque de s'exposer par là à certains reproches. Il est vrai que la force de celui-ci résidait dans ce qu'il puisait largement à l'existant et emportait peu de bouleversements au plan du droit. Une inclination naturelle au familier en quelque sorte, observable ailleurs en Europe (6) (cf. Loi n° 2006-387 du 31 mars 2006 relative aux offres publiques d'acquisition : des "options françaises (première partie) N° Lexbase : N7263AK9, (deuxième partie) N° Lexbase : N7294AKD et (troisiéme partie) N° Lexbase : N7295AKE). II - Transposition partielle, mais sans réciprocité, de l'article 11 de la Directive

Tandis que l'article 9 de la Directive cherche à assurer une certaine neutralité de l'action des dirigeants d'une société cible, l'article 11 se préoccupe, lui, de la neutralisation de certaines restrictions statutaires ou conventionnelles au transfert des titres de la société visée et à l'exercice des droits de vote qui y sont attachés, susceptibles d'arrêter ou d'entraver la marche d'un initiateur. Il liste, à cet effet, un ensemble de "règles de forçage" ("breakthrough rules"), qui déclarent de telles restrictions, suspendues ou inopposables à l'auteur d'une offre publique (7), sous réserve d'une "indemnisation équitable" des préjudices susceptibles d'en résulter.

L'étendue de son champ d'application, l'incertitude de ses termes et la radicalité de certains de ses effets ne sont point pour garantir à la disposition communautaire le plus grand succès auprès des Etats membres. Ils portent, au contraire, ces derniers à recourir massivement à l'option de "non-transposition" ouverte par l'article 12 de la Directive. Au dernier pointage, seuls trois Etats membres auraient manifesté leur intention de rendre obligatoires les dispositions de l'article 11 : la Grèce, la Lettonie et la Lituanie. L'usage par la France de cette faculté, exprimée dans la loi du 31 mars 2006, ne saurait, dès lors, surprendre, recommandé ab initio par le rapport préparatoire du "groupe de travail Lepetit".

Plus intéressante, en revanche, est la position intermédiaire dans laquelle la réforme place notre pays. De fait, suivant d'ailleurs en cela les recommandations issues du groupe de travail, l'option de "non-transposition" ne se trouve que partiellement exercée. Elle n'est mise à profit que pour écarter les dispositions de l'article 11 qui auraient le plus juré avec notre droit positif, en raison, notamment, de l'atteinte portée à la liberté contractuelle. En revanche, se montrant, là encore, soucieux de procéder à une transposition sans bouleversement, à droit quasi-constant en quelque sorte, le législateur français, adoptant ce biais national, rend obligatoires les prescriptions de l'article 11 déjà présentes, sinon toujours consacrées juridiquement, en droit français et dont certaines avaient, parfois, même inspiré le législateur communautaire. Quant à la règle d'indemnisation équitable, elle se trouve dans la loi nouvelle, comme dans les travaux qui l'ont préparée, totalement passée sous silence.

Ce choix d'une transposition différenciée des règles énoncées à l'article 11 ne va pas sans soulever quelques difficultés d'ordre juridique. On observe, tout d'abord, qu'elle paraît s'effectuer contre la lettre du texte communautaire. Cette option supplémentaire de désolidarisation des paragraphes de l'article 11 pourra néanmoins se recommander du caractère minimal de l'harmonisation engagée par la Directive.

Le confort communautaire relatif de cette solution explique, ensuite, la prudence de notre législateur, qui a choisi de ne pas en dérouler jusqu'au bout la logique et préféré, en particulier, ne pas faire usage, ici, de la réserve de réciprocité (8). Contre l'avis du Sénat, favorable à l'application de la réciprocité pour les dispositions de l'article 11 appliquées facultativement par les sociétés françaises, le Gouvernement, approuvé par l'Assemblée nationale, a exclu cette "réciprocité à la carte", indiquant que "la Directive, en ne prévoyant que l'application par les sociétés de 'l'article 11' en tant que tel, ne prévoit pas le cas d'une clause de réciprocité sur une partie de cet article" (9). À "l'argument qui consiste à dire qu'une société appliquant l'article 11 serait injustement privée de la réciprocité", il est répondu qu'"aucune société n'est obligée d'appliquer cet article", et qu'un tel choix demeurerait de toute façon réversible (10). Pareille réponse ne saurait, par définition, présenter une quelconque valeur s'agissant des dispositions de l'article 11 rendues obligatoires...

Nonobstant cette mise à l'écart de la réserve de réciprocité, le dispositif issu de la transposition de l'article 11 demeure empreint d'une certaine complexité. Celle-ci tient, non seulement au couplage de dispositions impératives et supplétives, mais aussi à la diversité, dans l'espace et dans le temps, des restrictions poursuivies.

Compte tenu de l'importance particulière qu'il revêt en la matière, le critère chronologique sert de point d'articulation naturel à la présentation de ces "règles de forçage", que la loi du 31 mars 2006 inscrit aux articles L. 233-34 (N° Lexbase : L1386HI8) à L. 233-40 (N° Lexbase : L1392HIE) du Code de commerce. Comparée à celle décrite au sujet de l'article 9, cette articulation révèle, en l'occurrence, une certaine spécificité dans la mesure où elle conduit à distinguer entre le "forçage" réalisé en cours d'offre publique (A) et celui auquel il est possible de procéder, une fois constatée la réussite de cette offre (B).

A - Le "forçage" à cours d'offre

Les règles de neutralisation des restrictions au transfert de titres et au droit de vote en cours d'offre sont régies par les nouveaux articles L. 233-34 à L. 233-37 (N° Lexbase : L1389HIB) du Code de commerce, qui renferment pour les sociétés cibles une mesure obligatoire (1) et trois mesures optionnelles (2).

1 - Une mesure de neutralisation obligatoire

Cette mesure impérative résulte de l'article L. 233-34 de Code de commerce, portant transposition de l'article 11 § 2, alinéa 1er de la Directive. Protectrice du droit individuel des actionnaires de la société cible de répondre à l'offre publique qui leur est adressée contre des tentatives de frustrations sociales, elle s'y trouve énoncée en ces termes : "sauf lorsqu'elles résultent d'une obligation législative, les clauses des statuts d'une société dont des actions sont admises à la négociation sur un marché réglementé prévoyant des restrictions statutaires au transfert d'actions de la société sont inopposables à l'auteur d'une offre publique pour les titres qui lui seraient apportés dans le cadre de son offre".

La novation juridique paraît relativement limitée dans la mesure où le texte est directement inspiré de l'actuel article 231-6 du règlement général AMF (11), le renvoi redondant aux statuts en moins. Le "groupe de travail Lepetit" (12), comme les travaux parlementaires, avec une adresse juridique inégale, n'ont pas manqué d'insister sur cet emprunt à l'existant.

On ne saurait, pour autant, mésestimer les deux principaux apports de la réforme. Le premier, formel, tient à l'élévation de la solution au niveau législatif. Juste rang, au regard de la distribution constitutionnelle des normes juridiques, pour cette diminutio de la liberté de stipulation statutaire, une telle consécration législative, a-t-on indiqué, "tend à mettre fin à l'insécurité juridique qui pourrait résulter du caractère purement réglementaire de ce texte" (13).

Le second apport, substantiel, réside dans l'élargissement du champ de la neutralisation, qui recouvre désormais, conformément au texte communautaire, l'ensemble des "restrictions statutaires" au transfert d'actions, alors que l'article 231-6 du règlement général AMF visait exclusivement, au moins dans sa lettre, les "clauses d'agrément". A la vérité, l'utilité de ce dernier était devenue incertaine depuis que l'ordonnance n° 2004-604 du 24 juin 2004 portant réforme du droit des valeurs mobilières émises par les sociétés commerciales (14), ratifiée par l'article 78 de la loi n° 2004-1343 du 9 décembre 2004 de simplification du droit (15), avait prohibé l'insertion d'une clause d'agrément dans les statuts d'une société dont les titres sont admis aux négociations sur un marché réglementé (16). Même élargie, cette inopposabilité est, de toute façon, appelée à n'avoir plus qu'un domaine d'application résiduel compte tenu du respect de l'exigence de libre négociabilité qui conditionne aujourd'hui l'admission des valeurs mobilières aux négociations sur un marché réglementé (17).

2 - Trois mesures de neutralisation optionnelle

La première de ces mesures concerne les restrictions conventionnelles au transfert d'actions, dont la neutralisation au profit de l'auteur d'une offre publique, loin d'être de droit, comme c'est le cas pour les clauses de nature statutaire, ne peut, ici, provenir que d'une option exercée par la société concernée. Enoncé au nouvel article L. 233-35 du Code de commerce (N° Lexbase : L1387HI9), le mécanisme y est ainsi décrit : "les statuts d'une société dont des actions sont admises à la négociation sur un marché réglementé peuvent prévoir que les effets de toute clause d'une convention conclue après le 21 avril 2004 prévoyant des restrictions au transfert d'actions de la société sont inopposables à l'auteur de l'offre, en période d'offre publique".

L'inopposabilité à un offrant de toute clause restrictive au transfert d'actions, telle que posée à l'article 11 § 2, alinéa 2, de la Directive, constituait à l'évidence une solution drastique, qui ne correspondait pas à l'état du droit boursier français, lequel, on le sait, se contente de paralyser les pactes indûment tenus secrets ou de nature à entraver significativement le libre jeu de la concurrence entre initiateurs. On comprend qu'elle ait pu dissuader le législateur de lui conférer une valeur autre que facultative.

La concession imposée d'une telle option n'en apporte pas moins son lot de perturbations juridiques. La moindre n'est pas la reconnaissance d'une possibilité originale d'immixtion des sociétés cotées dans les conventions intéressant leurs actions. Au nom de la bonne cause économique, celle du libre jeu du marché du contrôle, ces sociétés se voient habilitées par la loi à interdire statutairement l'opposabilité à l'auteur de l'offre, et donc à limiter l'efficacité, des pactes extra-statutaires, à objet ou non défensif, entravant la libre circulation des actions. Ce nouvel exemple d'emprise de la décision collective sur le droit individuel ne se réalise pas sans dommage pour la liberté contractuelle et la sécurité juridique. On s'interroge, par exemple, faute de définition de la notion de "restriction" (18), sur le domaine matériel de l'inopposabilité et sur la portée de la condition tirée de ce que les conventions visées doivent "prévoir" de telles restrictions, à l'instar des clauses d'inaliénabilité ou de non-acquisition, de filtrage (clauses d'agrément), de rééquilibrage ou de reclassement des participations (préemption ou préférence), ou encore de sortie (19). On se demande également s'il faut déduire de l'option ouverte par la loi que tout contractant, parce qu'informé d'un tel risque, ne saurait en principe se plaindre d'une amputation de l'effet obligatoire d'un pacte auquel il serait partie, suite à la décision prise par l'AGE de l'émetteur. La tentation pourrait être grande pour des actionnaires de référence -voire la société elle-même, dans la mesure où elle serait partie à un pacte- d'utiliser une telle résolution pour se délier d'engagements devenus gênants.

Cet effet perturbateur se trouve, néanmoins, doublement atténué. D'abord, par l'interdiction, d'origine communautaire, de prendre en considération les clauses de conventions conclues avant le 21 avril 2004, lesquelles demeurent donc pleinement efficaces à l'encontre de l'initiateur de l'offre ; étant précisé que la date d'adoption de la Directive a été préférée à celle de son entrée en vigueur afin d'éviter tout "effet d'aubaine" (20). Observons, à cet égard, qu'en dépit de l'attachement du droit communautaire au principe de sécurité juridique, l'article 11 § 2, alinéa 2, de la Directive paraissait aller au-delà pour admettre, sans considération de date, l'inopposabilité à l'auteur de l'offre de "toutes les restrictions au transfert de titres prévues dans des accords contractuels entre la société visée et des détenteurs de titres de cette société". Il convient, ensuite, de tenir compte de la nature juridique de la neutralisation opérée, qui s'analyse, littéralement en tous cas, comme une inopposabilité relative, dépourvue de tout autre effet "suspensif", si bien que l'effet obligatoire interne des pactes devrait être préservé, au moins au plan de la responsabilité contractuelle. Il est vrai que la certitude de la solution avait pu être mise en doute, en raison des termes "supprimés ou suspendus" préférés par le considérant 19) de la Directive (21) ; doute auquel participe l'institution, à l'article 11 § 5 de la Directive, d'un mécanisme spécifique d'indemnisation équitable en cas de suppression des droits sur la base des paragraphes 2, 3 ou 4 de l'article 11 et /ou de l'article 12, "pour toute perte enregistrée par les détenteurs de ces droits".

Les deux autres mesures optionnelles empruntent, elles, au mécanisme de la suspension temporaire. Il était difficile, à vrai dire, de leur étendre le mécanisme de l'inopposabilité relative, compte tenu de leur objet propre. Celui-ci consiste, en l'occurrence, à neutraliser les restrictions statutaires et conventionnelles à l'exercice des droits de vote dans les assemblées générales d'une société cible appelées à se prononcer, en période d'offre publique, sur des moyens de défense.

Suivant la distinction opérée par l'article 11 § 3, alinéas 1 et 2, de la Directive, mais dans une présentation curieusement inversée, les nouveaux articles L. 233-36 (N° Lexbase : L1388HIA) et L. 233-37 (N° Lexbase : L1389HIB) du Code de commerce disposent ainsi que "les statuts d'une société dont des actions sont admises à la négociation sur un marché réglementé peuvent prévoir que les effets de toute clause d'une convention conclue après le 21 avril 2004 prévoyant des restrictions à l'exercice des droits de vote attachés à des actions de la société sont suspendus en période d'offre publique visant la société lors des assemblées réunies aux fins d'adopter ou d'autoriser toute mesure susceptible de faire échouer l'offre.
Les statuts d'une société dont des actions sont admises à la négociation sur un marché réglementé peuvent prévoir que les effets des restrictions statutaires à l'exercice des droits de vote attachés à des actions de la société sont suspendus en période d'offre publique visant la société lors des assemblées réunies aux fins d'adopter ou d'autoriser toute mesure susceptible de faire échouer l'offre".

L'exercice d'une telle option, on le voit, amoindrirait l'efficacité des stipulations statutaires ou conventionnelles et déjouerait les prévisions des intéressés, dans des conditions analogues à celles évoquées en matière de transfert d'actions. Si spécificité il y a, elle tient évidemment à la nature et aux effets politiques de cette suspension volontaire. De fait, la désactivation des entraves à l'exercice du droit de vote dans les assemblées générales de la société cible réunies en cours d'offre, en application de l'article L. 233-32 du Code de commerce (N° Lexbase : L1384HI4), a pour objet, et est censée avoir pour effet, d'injecter une dose supplémentaire de démocratie actionnariale dans le processus de décision social "à chaud", fondée sur une association plus étroite du capital et du pouvoir. Ce raidissement momentané du principe de proportionnalité participerait ainsi à la réallocation du pouvoir social en période d'offre et conférerait aux résolutions, éventuellement adoptées dans ce cadre, une légitimité accrue. Il risque, aussi, de produire quelques effets moins attendus, en termes, notamment, de franchissements de seuils...

La portée de ce sursaut d'égalité géométrique entre actionnaires ne doit cependant pas être surestimée. Elle souffre des limites assignées à la notion de "restriction à l'exercice du droit de vote". Celle-ci, pas plus que la restriction au transfert d'actions, n'est véritablement définie par les nouveaux textes. L'on se réfèrera utilement, là aussi, au périmètre de la déclaration annuelle relative à la structure capitalistique et politique des sociétés cotées, tracé à l'article 10 § 1 f) de la Directive, qui désigne, en particulier, "des limitations du droit de vote pour les détenteurs d'un certain pourcentage ou d'un certain nombre de votes", autrement dit des clauses de plafonnement des droits de vote, mais aussi "des délais imposés pour l'exercice du droit de vote ou des systèmes où, avec la coopération de la société, les droits financiers attachés aux titres sont séparés de la détention des titres" (22).

En revanche, et contrairement aux préconisations du Groupe d'experts de haut niveau en droit des sociétés (23), certaines entorses au principe de proportionnalité ont été placées en dehors du champ de la neutralisation. Ainsi, ne comptent pas au nombre des restrictions au droit de vote susceptibles d'être suspendues, celles qui se trouvent, selon les termes de l'article 11 § 6 de la Directive, "compensées par des avantages pécuniaires spécifiques". Ce qui est le cas, notamment, des actions privilégiées sans droit de vote. Si l'exclusion n'est pas explicitement transposée en droit français, le renvoi à "l'exercice des droits de vote attachés à des actions" laisse entendre que sont seules considérées les actions ayant le droit de vote, tout en suscitant un doute sur le traitement de certaines catégories d'actions de préférence. De même, l'article 10 § 7 de la Directive épargne-t-il les actions spécifiques et autres restrictions de droit public. Enfin, si l'article 10 § 3, alinéa 3, de la Directive dispose que "les titres à droit de vote multiple ne donnent droit chacun qu'à une voix à l'assemblée générale des actionnaires qui arrête des mesures de défense, quelles qu'elles soient, conformément à l'article 9", la définition étroite des "titres à droit de vote multiple", entendus comme des "titres inclus dans une catégorie séparée et distincte et conférant chacun plus d'une voix" (24), permet de préserver de cette égalisation politique les actions à droit de vote double existant en droit français, dont on s'accorde, aujourd'hui, à penser qu'elles ne constituent pas à proprement parler une catégorie d'actions (25).

Alain Pietrancosta
Professeur à l'Université Paris I (Panthéon-Sorbonne)
Directeur du Master Droit financier
Centre de Recherches en Droit financier

Pour la cinquième partie de cet article, lire (N° Lexbase : N7390AKW).


(1) L'article paraîtra, avec l'aimable autorisation de Lexbase, dans le premier numéro de la Revue trimestrielle de droit financier/Corporate Finance and Capital Markets Law Review, en mai prochain.
(2) Journal officiel du 1er avril 2006, p. 4882.
(3) Directive 2004/25 du Parlement européen et du Conseil, du 21 avril 2004, concernant les offres publiques d'acquisition (N° Lexbase : L2413DYZ).
(4) V. A. Pietrancosta, La directive européenne sur les offres publiques d'acquisition enfin adoptée !, RD banc. et fin. septembre-octobre 2004, p. 338 ; M. Haschke-Dournaux, L'adoption de la directive européenne relative aux offres publiques d'acquisition, LPA, 26 avril 2004, n° 83, p. 7 ; F. Peltier et F. Martin-Laprade, Directive 2004/25/CE du 21 avril 2004 relative aux OPA ou l'encadrement par le droit communautaire du changement de contrôle d'une société cotée, Bull. Joly Bourse 2004, p. 610 ; A. Couret, La fin d'une trop longue saga : l'adoption de la 13e directive en matière de droit des sociétés concernant les offres publiques d'acquisition, Mélanges Béguin, Litec 2005, p. 195 ; P. Servan-Schreiber, W. Grumberg, Défenses anti-OPA, Adoption de la directive européenne sur les OPA et enjeux pour les entreprises françaises, JCP éd. E, n° 44, p. 1774 ; T. Granier, La directive concernant les offres publiques d'acquisition, Europe, n° 11, nov. 2004 ; Reforming Company and Takeover Law in Europe, edited by G. Ferrarini, K. J. Hopt, J. Winter, E. Wymeersch, Oxford University Press, 2004 ; S. V. Simpson, L. Corte, The Future Direction of Takeover Regulation In Europe, 1520 PLI/Corp 759, Practising Law Institute, December, 2005.
(5) Rapport du groupe de travail sur la transposition de la Directive concernant les offres publiques d'acquisition, J.-F. Lepetit, 27 juin 2005.
(6) V. e.g. pour la Grande-Bretagne, Implementation of the EU Directive on Takeover Bids Guidance on changes to the rules on company takeovers, Department of Trade and Industry, march 2006.
(7) V. not. J.-C. Coates, Ownership, Takeovers and EU Law : How Contestable Should EU Corporations Be ?, in Reforming Company and Takeover Law in Europe, op. cit. p. 677 ; P. Mülbert, Make It or Break It : The Break-Through Rule as a Break-Through for the European Takeover Directive ?, ibid. p. 711.
(8) Pour une opinion contraire, v. Ph. Marini, rapport fait au nom de la commission des Finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation sur le projet de loi relatif aux offres publiques d'acquisition, Sénat, 1ère lecture, Annexe au procès-verbal de la séance du 13 octobre 2005, n° 20, p. 14. 
(9) V. H. Novelli, rapport fait au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du plan, Assemblée nationale, 1ère lecture, n° 2750, Document mis en distribution le 15 décembre 2005.
(10) La décision sociale n'est soumise qu'à notification à l'AMF, chargée d'en assurer la publicité, v. C. com., art. L. 233-40.
(11) Règlement général AMF, version du 30 décembre 2005, art. 231-6 : "Sauf quand elle résulte d'une obligation législative, aucune clause d'agrément statutaire d'une société visée ne peut être opposée à l'initiateur d'une offre publique pour les titres qui lui seraient apportés dans le cadre de son offre".
(12) Rapport préc. p. 9.
(13) F.-N. Buffet, avis fait au nom de la commission des lois, Sénat, 1ère lecture, déposé le 18 octobre 2005, n° 24.
(14) Ordonnance n° 2004-604, du 24 juin 2004, portant réforme du régime des valeurs mobilières émises par les sociétés commerciales et extension à l'outre-mer de dispositions ayant modifié la législation commerciale (N° Lexbase : L5052DZ7).
(15) Loi n° 2004-1343, du 9 décembre 2004, de simplification du droit (N° Lexbase : L4734GUU).
(16) C. com., art. L. 228-23 (N° Lexbase : L8378GQD). 
(17) V. l'article 46 de la Directive 2001/34/CE du Parlement européen et du Conseil du 28 mai 2001 concernant l'admission de valeurs mobilières à la cote officielle et l'information à publier sur ces valeurs, JOCE, 6 juillet 2001, L 184/1 (N° Lexbase : L8094AUC), et l'article 40 § 1 de la Directive 2004/39/CE du 21 avril 2004 (Directive 2004/39 du Parlement européen et du Conseil du 21 avril 2004, concernant les marchés d'instruments financiers N° Lexbase : L2056DYS, modifiant les Directives 85/611/CEE N° Lexbase : L9653AU3 et 93/6/CEE du Conseil N° Lexbase : L7474AUD et la Directive 2000/12/CE du Parlement européen et du Conseil N° Lexbase : L8003AUX et abrogeant la Directive 93/22/CEE du Conseil N° Lexbase : L7726AUP) ; adde, les Règles de marché harmonisées d'Euronext, Livre I, art. 6605.
(18) Rappr. l'article 10 § 1 de la Directive OPA (Directive 2004/25 du Parlement européen et du Conseil, du 21 avril 2004, concernant les offres publiques d'acquisition N° Lexbase : L2413DYZ), qui prévoit la publication par les sociétés cotées de : "b) toute restriction au transfert de titres, telle que des limitations à la possession de titres ou la nécessité d'obtenir une autorisation de la société ou d'autres détenteurs de titres, sans préjudice de l'article 46 de la directive 2001/34/CE" (comp. C. com., art. L. 225-100-3 N° Lexbase : L1416HIB) ; g) des "accords entre actionnaires, qui sont connus de la société et peuvent entraîner des restrictions au transfert de titres [...], au sens de la directive 2001/34/CE", cette dernière, relative à l'admission de valeurs mobilières à la cote officielle et l'information à publier sur ces valeurs, n'évoquant à titre d'exemple que les clauses d'agrément. Voir, en revanche, l'exclusion par l'article 11 § 7 de la Directive OPA, des restrictions de type "golden shares".
(20) Comp. l'article 10 § 1 g) précité de la Directive OPA, imposant la publication des accords qui "peuvent entraîner des restrictions au transfert de titres".
(21) F.-N. Buffet, avis préc.
(22) Comp. C. com., art. L. 225-100-3.
(23) Rapport préc. p. 30 et s.
(24) Directive 2004/25, du 21 avril 2004, art. 2 § 1 g).
(25) En ce sens, rapport Lepetit, préc. p. 8 ; V. Ph. Marini, rapport préc. n° 20 ; H. Novelli, rapport préc. n° 2750 ; X. de Roux, avis présenté au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, Assemblée Nationale, n° 2727, enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 7 décembre 2005.

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Droit financier

[Textes] Loi n° 2006-387 du 31 mars 2006 relative aux offres publiques d'acquisition : des "options" françaises (1) (5ème partie)

Réf. : Loi n° 2006-387 du 31 mars 2006, relative aux offres publiques d'acquisition (N° Lexbase : L9533HHK)

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N7390AKW

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Le 07 Octobre 2010

Déposé au Sénat le 22 septembre 2005 par le ministre de l'Economie et des Finances, le projet de loi relatif aux offres publiques d'acquisition a été définitivement adopté par la Haute assemblée le 23 mars 2006 (2). Malgré ces six mois de discussions et de maturation, nécessitées par trois lectures parlementaires, la France se place ainsi en tête des pays européens dans la course à la transposition de la Directive du 21 avril 2004 (3), dont l'échéance ultime était fixée au 20 mai 2006. Des esprits retors expliqueront qu'il s'agissait d'une course à ne pas gagner et que, dans le jeu de stratégie normative auquel la transposition des textes communautaires tend à s'apparenter, un positionnement précoce crée un risque de désavantage compétitif. L'argument prend une force particulière en présence d'une Directive d'harmonisation dégradée, qui concède aux Etats destinataires des marges de manoeuvre considérables sur des aspects pour le moins déterminants de l'ouverture des marchés nationaux des capitaux et du contrôle. On veut parler ici des fameuses options ouvertes par l'article 12 de la Directive en matière de défense anti-OPA, dont l'exercice, en raison de leur complexité, confine à la partie d'échecs -et d'échec !- communautaire (4). La France a, malgré cela, préféré à toute autre, l'option de la clarté et de la constance, choisissant de ne jamais revenir sur l'équilibre général défini initialement par le rapport du "groupe de travail Lepetit" (5), au risque de s'exposer par là à certains reproches. Il est vrai que la force de celui-ci résidait dans ce qu'il puisait largement à l'existant et emportait peu de bouleversements au plan du droit. Une inclination naturelle au familier en quelque sorte, observable ailleurs en Europe (6). (Cf. Loi n° 2006-387 du 31 mars 2006 relative aux offres publiques d'acquisition : des "options françaises" (première partie) N° Lexbase : N7263AK9, (deuxième partie) N° Lexbase : N7294AKD, (troisième partie) N° Lexbase : N7295AKE et (quatrième partie) N° Lexbase : N7386AKR) .

II - Transposition partielle, mais sans réciprocité, de l'article 11 de la Directive

B - Le "forçage" post-offre

Les articles 18 à 20 de la loi du 31 mars 2006 transposent la fameuse "breakthrough rule" inscrite à l'article 11 § 4 de la Directive. Autant dire qu'il y est question de la neutralisation de dispositifs susceptibles de gêner la prise de contrôle effective de la société cible par l'auteur d'une offre publique réussie (7). Ce "forçage" post-offre, on s'en souvient, avait été théorisé par le groupe d'experts de haut niveau en droit des sociétés (8). Il repose fondamentalement sur l'idée que la légitimité, issue du plébiscite de marché, que représente une réponse massivement favorable à une offre publique (9), ne saurait souffrir de rivale, ni sociale ni contractuelle, et que sa seule expression devrait suffire, en conséquence, à disqualifier toute résistance utile. La voie ainsi dégagée, l'offrant se trouve mis en position d'installer rapidement (10) son emprise sur la société cédée grâce à l'exercice effectif de ses droits d'actionnaire majoritaire. Le procédé est habile, qui autorise, pour reprendre les termes du rapport "Winter I", "un bon compromis entre, d'une part, la nécessité de permettre, pour le moment, la cohabitation de structures de capital et de contrôle différentes résultant des particularités nationales et, d'autre part, celle de permettre et de favoriser le lancement et l'aboutissement d'OPA, aux fins de créer un marché des valeurs mobilières intégré à l'échelle européenne" (11).

Cette interdiction de frustrer l'initiateur triomphant sur le marché des titres d'une victoire complète dans la société, n'emporte qu'une adhésion modérée de la France, à en juger par la loi nouvelle. Celle-ci opte, là aussi, pour une transposition différenciée du texte communautaire, qui lui permet de consacrer juridiquement une mesure de caducité depuis longtemps défendue sur le terrain par les autorités boursières nationales (12) (1), abandonnant à la volonté de chaque société concernée l'adoption de dispositions plus énergiques (2).

1 - Une mesure de neutralisation obligatoire

Parmi les restrictions visées à l'article 11 § 4 de la Directive, la loi du 31 mars 2006 n'en élit qu'une seule pour parer sa neutralisation post-offre d'un caractère impératif : la clause statutaire de plafonnement des droits de vote. Alors qu'un respect strict du principe de proportionnalité eut commandé la paralysie d'autres techniques de déconnexion ou de distorsion du lien capital-pouvoir (13), ce choix exclusif révèle un biais national évident.

Celui-ci trouve une traduction formelle : la simple insertion à l'article L. 225-125 du Code de commerce (N° Lexbase : L1417HIC), qui assortit la traditionnelle faculté de limiter statutairement le nombre de voix dont chaque actionnaire dispose dans les assemblées (14), d'un second alinéa aux termes duquel les effets d'une telle limitation "dans les statuts d'une société qui fait l'objet d'une offre publique et dont des actions sont admises à la négociation sur un marché réglementé, sont suspendus lors de la première assemblée générale qui suit la clôture de l'offre lorsque l'auteur de l'offre, agissant seul ou de concert, vient à détenir une fraction du capital ou des droits de vote de la société visée par l'offre supérieure à une quotité fixée par le règlement général de l'Autorité des marchés financiers, au moins égale à celle requise pour modifier les statuts, et dans la limite des trois quarts".

Au fond, l'apport de la réforme demeure relativement contenu, ce qui avait d'ailleurs justifié la recommandation de transposition du "groupe de travail Lepetit" (15). On assiste, plutôt, au couronnement de jure d'une évolution largement entamée de facto.

Comme on le sait, l'autorité boursière française s'était attaquée, dès les années 1980, à l'utilisation défensive, pour ne pas dire au détournement, du plafonnement statutaire des droits de vote dans les sociétés cotées (16). Devant la montée des offres publiques hostiles, un certain nombre de ces sociétés, à l'actionnariat relativement éclaté, avait eu l'idée, en effet, d'exploiter à des fins de préservation du contrôle social ce mécanisme originellement conçu comme un moyen d'égaliser le pouvoir entre associés et d'éviter l'écrasement des minoritaires (17). On imagine sans peine le caractère dissuasif, pour un éventuel initiateur, d'une stipulation qui lui interdirait d'exercer sur le plan politique une influence à la mesure de l'investissement financier réalisé pour acquérir la majorité du capital. Impuissante à interdire, dans le principe, des limitations du droit de vote expressément validées par le législateur, la Commission des opérations de bourse s'était, alors, efforcée d'intervenir auprès des émetteurs concernés pour obtenir d'eux, à tout le moins, une certaine modération. Elle recommandait, en particulier, la généralisation de clauses dites de caducité automatique, prévoyant la disparition du plafonnement au cas où un actionnaire viendrait à acquérir une fraction très importante du capital social, ne devant pas, selon elle, excéder le "contrôle majoritaire utilisé en droit boursier" (18). L'impact de cette recommandation fut cependant mitigé, les émetteurs visés acceptant d'abandonner les seuils envisagés, qui culminaient à 90 %, sans les abaisser en-deçà des deux tiers (19).

La loi du 31 mars 2006, si elle a le mérite de juridiciser cette "doctrine" de la COB, puis de l'AMF, fait donc preuve d'une ambition mesurée en optant pour un seuil minimal en capital ou en droits de vote que le règlement général de l'Autorité des marchés financiers ne pourra fixer en-deçà de celui requis pour modifier les statuts, soit pratiquement les deux-tiers, ni au-delà des trois-quarts, pourtant prévus par la Directive à titre minimal. S'agissant du quantum, aucun autre seuil à l'intérieur de cette fourchette n'étant pertinent en droit français, il y a de fortes chances que le choix de l'AMF se porte sur celui des deux-tiers. La non-inscription délibérée dudit seuil dans la loi facilitera, néanmoins, une éventuelle adaptation (20). Quant à la base de calcul, on se demande s'il n'eut pas été préférable, en termes de cohérence et de sécurité juridiques, de s'inspirer davantage du texte communautaire qui se réfère au seul "capital assorti de droits de vote", plutôt que de retenir un double dénominateur (en capital ou en droits de vote) pour renvoyer ensuite à une quotité qui n'a de sens que politique. Concentré sur la question des seuils, on regrettera, au passage, que le législateur n'ait pas cru bon de saisir l'occasion qui se présentait pour aplanir quelques difficultés d'interprétation de l'article L. 225-125, alinéa 1er, du Code de commerce, dont il n'est pas absolument certain, au regard de sa nature dérogatoire, qu'il possède toute la générosité que la pratique se montre prompte à lui reconnaître.

2 - Deux mesures de neutralisation optionnelle

Les articles 19 et 20 de la loi du 31 mars 2006 visent à satisfaire à l'obligation communautaire d'autoriser les sociétés, dont les titres sont admis aux négociations sur un marché réglementé, à prévoir statutairement la suspension automatique, en cas d'offre réussie, des "restrictions aux droits de vote au transfert de titres et au droit de vote visées à l'article 11 paragraphes 2 et 3" (21), ainsi que des "droits extraordinaires des actionnaires concernant la nomination ou la révocation de membres de l'organe d'administration ou de direction prévus dans les statuts de la société visée".

Le premier introduit dans le Code de commerce un article L. 233-38 (N° Lexbase : L1390HIC), selon lequel, "les statuts d'une société dont des actions sont admises à la négociation sur un marché réglementé peuvent prévoir que les effets des restrictions statutaires à l'exercice des droits de vote attachés à des actions de la société ainsi que les effets de toute clause d'une convention conclue après le 21 avril 2004 prévoyant des restrictions à l'exercice des droits de vote attachés à des actions de la société sont suspendus lors de la première assemblée générale suivant la clôture de l'offre lorsque l'auteur de l'offre, agissant seul ou de concert, vient à détenir, à l'issue de celle-ci, une fraction du capital ou des droits de vote supérieure à une quotité fixée par le règlement général de l'Autorité des marchés financiers, sans pouvoir atteindre le seuil prévu par le dernier alinéa de l'article L. 225-125", tandis que le second y ajoute un article L. 233-39 (N° Lexbase : L1391HID), disposant que "les statuts d'une société dont des actions sont admises à la négociation sur un marché réglementé peuvent prévoir que les droits extraordinaires de nomination ou révocation des administrateurs, membres du conseil de surveillance, membres du directoire, directeurs généraux, directeurs généraux délégués, détenus par certains actionnaires sont suspendus lors de la première assemblée générale suivant la clôture de l'offre lorsque l'auteur de l'offre, agissant seul ou de concert, détient à l'issue de celle-ci une fraction du capital ou des droits de vote supérieure à une quotité fixée par le règlement général de l'Autorité des marchés financiers".

Le découpage communautaire est donc respecté, même si la copie n'est pas parfaite et emprunte à l'original quelques-uns de ses défauts.

Concernant l'article L. 233-38 du Code de commerce, d'aucuns pourront, par exemple, douter de l'utilité réelle d'autoriser expressément les sociétés à assortir les éventuelles restrictions que leurs statuts apportent à l'exercice du droit de vote d'une mesure de caducité qu'elles sont déjà libres d'adopter à titre général et qui leur est imposée dans le cas particulier du plafonnement des droits de vote. S'il paraît évident que l'autorisation légale se justifie davantage pour les restrictions extra-statutaires à l'exercice du droit de vote, en raison de l'atteinte susceptible d'être portée par la société émettrice à la force légale des conventions ayant celui-ci pour objet, on répondra au sujet des clauses statutaires, que le champ de l'option se veut plus large que celui de l'obligation. Plus large, d'abord, pour la nature des restrictions visées, qui ne se réduisent pas aux clauses de plafonnement visées à l'article L. 225 -125, alinéa 1er, du Code de commerce, mais comprennent l'ensemble des limitations auxquelles fait référence l'article L. 233-37 du même code (22). Plus large, ensuite, pour le seuil de caducité, dont la logique voudrait qu'il soit placé à un niveau inférieur à celui imposé en application de l'article L. 225-125, alinéa 2, du Code de commerce, tout au moins pour ce qui concerne le plafonnement statutaire des droits de vote. Comme il l'a été indiqué au cours des travaux parlementaires, le règlement général de l'AMF fixerait opportunément la limite basse de ce seuil au niveau de la majorité requise pour l'adoption de résolutions d'assemblée générale ordinaire. Au jeu des différences, on ajoutera l'absence, à l'article L. 233-38 du Code de commerce, de renvoi aux restrictions statutaires et conventionnelles au transfert de titres, pourtant visées par le texte communautaire. Ou bien encore la réduction des effets de la suspension des restrictions à l'exercice des droits de vote, à la seule première assemblée générale de la société visée, alors que la Directive ne retient littéralement cette limitation qu'au cas de suppression du droit de vote multiple, non transposé en droit français, pour les raisons évoquées plus haut.

Du côté de l'article L. 233-39 du Code de commerce, l'attention s'arrête principalement sur ces "droits extraordinaires de nomination ou révocation des administrateurs, membres du conseil de surveillance, membres du directoire, directeurs généraux, directeurs généraux délégués, détenus par certains actionnaires" dans la société visée. La raison en est que, comme l'ont relevé les travaux parlementaires, "du point de vue de la législation française, la notion ne correspond pas à une catégorie juridique spécifique" (23). Elle apparaît, en effet, comme un pur produit d'importation communautaire, qui tendrait à recouvrir, en pratique, "toute hypothèse de droit qui octroie, à l'actionnaire en cause, un pouvoir plus important, quant au choix et/ou à la révocation des dirigeants sociaux, que celui que lui confère par principe, au sein des assemblées de la société, sa participation au capital". Ont été cités, à titre d'exemples : "un droit de consultation préalable reconnu à certains actionnaires avant toute nomination ou révocation de telle catégorie de dirigeant" (24) ; ou encore certains avantages politiques attachés à des actions de préférence (25). Si le point a été peu relevé, il convient d'ajouter qu'à la différence de l'article 11 § 4 de la Directive, il n'est pas distingué à l'article L. 233-39 du Code de commerce selon la source de ces "droits extraordinaires", qui pourraient donc provenir d'accords extra-statutaires. L'étroit encadrement légal des pouvoirs de nomination et de révocation des dirigeants sociaux réduit considérablement, cependant, les espaces d'épanouissement de tels dispositifs (26). On terminera en soulignant l'absence de toute référence à la forme commanditale, encore utilisée -aux dernières nouvelles- par quelques sociétés françaises cotées en bourse ! On ne s'en étonne plus, hélas, tant cette ignorance traverse notre droit boursier des sociétés.

Alain Pietrancosta
Professeur à l'Université Paris I (Panthéon-Sorbonne)
Directeur du Master Droit financier
Centre de Recherches en Droit financier


(1) L'article paraîtra, avec l'aimable autorisation de Lexbase, dans le premier numéro de la Revue trimestrielle de droit financier/Corporate Finance and Capital Markets Law Review, en mai prochain.
(2) Journal officiel du 1er avril 2006, p. 4882.
(3) Directive 2004/25 du Parlement européen et du Conseil, du 21 avril 2004, concernant les offres publiques d'acquisition (N° Lexbase : L2413DYZ).
(4) V. A. Pietrancosta, La directive européenne sur les offres publiques d'acquisition enfin adoptée !, RD banc. et fin. septembre-octobre 2004, p. 338 ; M. Haschke-Dournaux, L'adoption de la directive européenne relative aux offres publiques d'acquisition, LPA, 26 avril 2004, n° 83, p. 7 ; F. Peltier et F. Martin-Laprade, Directive 2004/25/CE du 21 avril 2004 relative aux OPA ou l'encadrement par le droit communautaire du changement de contrôle d'une société cotée, Bull. Joly Bourse 2004, p. 610 ; A. Couret, La fin d'une trop longue saga : l'adoption de la 13e directive en matière de droit des sociétés concernant les offres publiques d'acquisition, Mélanges Béguin, Litec 2005, p. 195 ; P. Servan-Schreiber, W. Grumberg, Défenses anti-OPA, Adoption de la directive européenne sur les OPA et enjeux pour les entreprises françaises, JCP éd. E, n° 44, p. 1774 ; T. Granier, La directive concernant les offres publiques d'acquisition, Europe, n° 11, novembre 2004 ; Reforming Company and Takeover Law in Europe, edited by G. Ferrarini, K. J. Hopt, J. Winter, E. Wymeersch, Oxford University Press, 2004 ; S. V. Simpson, L. Corte, The Future Direction of Takeover Regulation In Europe, 1520 PLI/Corp 759, Practising Law Institute, December, 2005.
(5) Rapport du groupe de travail sur la transposition de la Directive concernant les offres publiques d'acquisition, J.-F. Lepetit, 27 juin 2005.
(6) V. e.g. pour la Grande-Bretagne, Implementation of the EU Directive on Takeover Bids Guidance on changes to the rules on company takeovers, Department of Trade and Industry, march 2006.
(7) V. not. J.-C. Coates, Ownership, Takeovers and EU Law : How Contestable Should EU Corporations Be ?, in Reforming Company and Takeover Law in Europe, op. cit. p. 677 ; P. Mülbert, Make It or Break It : The Break-Through Rule as a Break-Through for the European Takeover Directive ?, ibid. p. 711.
(8) Rapport du groupe de haut niveau d'experts en droit des sociétés sur des questions liées aux offres publiques d'acquisition, dit Winter I, Bruxelles, 10 janvier 2002, p. 31 et s..
(9) L'article 11 § 4 de la Directive retient un seuil minimal de 75 % du capital assorti de droits de vote.
(10) L'article 11 § 4, alinéa 2, de la Directive dispose qu'"à cet effet, l'offrant a le droit de convoquer une assemblée générale des actionnaires à bref délai, à condition que cette assemblée ne se tienne pas durant les deux semaines qui suivent sa notification".
(11) Rapport préc. p. 32.
(12) Cette mesure de caducité avait d'ailleurs été citée en exemple et vraisemblablement inspiré le Groupe d'experts de haut niveau en droit des sociétés, v. rapport préc. p. 32, note 15.
(13) V. le rapport "Winter I", préc. p. 35.
(14) V. en dernier lieu, R. Kaddouch, La clause statutaire de plafonnement des voix, JCP éd. E, 14 avril 2005, n° 15, p. 656.
(15) Rapport préc. p. 11.
(16) A. Couret, Le plafonnement du droit de vote dans les sociétés anonymes, Droit et Patrimoine, fév. 1993, p. 50. adde, CalPERS, Agefi, 20 juin 1996, et Corporate Governance Principles - France, 17 mars 1997 ; Paribas, Actionnaires minoritaires : un rôle économique majeur, 1996 ; S. L'Hélias, Le retour de l'actionnaire, Pratique du Corporate Governance en France, aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, éd. Gualino, 1997, p. 173 ; les critiques de C. Neuville contre cette "entrave au libre jeu de l'économie de marché", et celles des fonds "anglo-saxons", lors de l'insertion d'une clause de plafonnement dans les statuts de BSN ou d'Elf Aquitaine, N. Barré, Minoritaires : les méthodes américaines s'exportent en France, les Echos, 24-25 septembre 1993, p. 26, les Echos, 3 mai 1995, p. 30, du 1er juin 1995, p. 9 ; D. Schmidt, Plafonnement du droit de vote et OPA, RD bancaire et bourse 1994, n° 44, p. 151.
(17) V. A. Pietrancosta, Le droit des sociétés sous l'effet des impératifs financiers et boursiers, éd. Transactive, 2000, et Droit21.com, op. cit. n° 1600.
(18) Rapports COB pour 1992.48 ; pour 1993.50.
(19) V. e.g. Danone et Crédit National, La Tribune, 22 mai 1997 ; l'Institut de Participation du Bois et du Meuble, Les Echos, 26-27 janvier 1996, p. 18 ; adde, Natexis, La Tribune, 6 avr. 1998, p. 23. Devant cette résistance, une modification de la législation sur les sociétés commerciales est envisagée. Le rapport "Marini", remis au Premier ministre en juillet 1996, s'inspire de la doctrine des autorités boursières pour proposer de "fixer dans la loi un seuil de caducité des clauses de limitation des droits de vote dès lors qu'un actionnaire agissant seul ou de concert viendrait à détenir plus de 50 % du capital" : rapport préc. p. 91.
(20) Sur le retrait d'un amendement sénatorial prévoyant d'inscrire le seuil dans la loi, v. Sénat, débats, 2ème lecture, séance du 21 février 2006.
(21) V. supra.
(22) V. (4ème partie), II, A, 2 (N° Lexbase : N7386AKR).
(23) Ph. Marini, rapport fait au nom de la commission des Finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation sur le projet de loi relatif aux offres publiques d'acquisition, Sénat, 1ère lecture, Annexe au procès-verbal de la séance du 13 octobre 2005, n° 20.
(24) Ph. Marini, ibid.
(25) F.-N. Buffet, avis fait au nom de la commission des lois, Sénat, 1ère lecture, déposé le 18 octobre 2005, n° 24.
(26) Ph. Marini, ibid.

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Délégation de service public

[Jurisprudence] "Jackpot" pour les nouveaux exploitants de casino !

Réf. : CE, 10 mars 2006, n° 264098, Commune d'Houlgate, Société d'exploitation du casino d'Houlgate (N° Lexbase : A4853DN3)

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N7259AK3

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par David Szymczak, Maître de conférences à l'IEP de Bordeaux, Membre du CRDE de Bordeaux

Le 07 Octobre 2010

Près de cinquante ans après avoir été au centre de l'importante jurisprudence "Consorts Amoudruz" (CE, 23 mai 1958, Consorts Amoudruz), laquelle fondait la mise en jeu de la responsabilité pour faute simple des communes balnéaires dans leur activité de surveillance des plages, la commune d'Houlgate se trouve à nouveau sous les feux de l'actualité jurisprudentielle. Dans un arrêt du 10 mars 2006 "Commune d'Houlgate", le Conseil d'Etat confirme, en effet, l'arrêt de la cour administrative d'appel de Nantes du 21 novembre 2003 (CAA Nantes, 4ème ch., 21 novembre 2003, n° 01NT01893, Société anonyme Groupe Emeraude N° Lexbase : A2036DBZ), annulant la délibération du 18 août 2000 du conseil municipal qui retenait l'offre de la SECH (ancien délégataire du casino local) au détriment de la Société Groupe Emeraude (nouvelle postulante), pour non-respect du principe d'égal accès des candidats "casinotiers" au contrat. A l'origine de cette affaire, la possibilité pour Houlgate, commune balnéaire, d'ouvrir un casino en vertu de la loi du 15 juin 1907, réglementant le jeu dans les cercles et les casinos des stations balnéaires, thermales et climatiques (N° Lexbase : L8161D7E). Inventés à Venise (par Giacomo Casanova, selon le mythe...), les casinos sont, de par la réglementation qui leur est appliquée, au coeur de ce que l'on pourrait qualifier de "schizophrénie administrative", entre ouverture à la concurrence et limitation de l'offre de jeux. Afin de mieux comprendre cette situation, il convient de retracer l'historique de la réglementation des jeux d'argent. Apparus en France au XVIIIème siècle, les jeux de hasard et d'argent des casinos, rapidement considérés comme des activités immorales, sont interdits dès 1804 par le Code pénal et, actuellement, par la loi n° 83-628 du 12 juillet 1983, relative aux jeux de hasard (N° Lexbase : L0919HUL), qui sanctionne pénalement le non-respect de l'interdiction des jeux d'argent dans les lieux publics. Par dérogation, ils sont cependant tolérés et réglementés pour les villes ou stations classées balnéaires, thermales ou climatiques (il en existe 260 de ce type en 2005 ; voir, Conseil de la concurrence, 13 mai 2005, décision n° 05-D-20, relative à une saisine de la société Le casino du Lac de la Magdeleine N° Lexbase : X1109ADG). A ces dérogations, doit aussi être ajoutée l'autorisation, donnée par la loi n° 87-306 du 5 mai 1987 modifiant certaines dispositions relatives aux casinos autorisés (N° Lexbase : L1106HIS), d'introduire dans les casinos, à côté des jeux de table traditionnellement déficitaires, des "machines à sous" dont l'exploitation a incontestablement re-dynamisé un secteur en déclin (pour plus de détail, voir B. Matthieu, Les jeux d'argent et de hasard en droit français, Petites affiches, 8 janvier 1999, pp. 8-15). Ce regain d'activité a généré une nette augmentation du nombre des casinos et, corrélativement, des postulants à l'implantation, c'est-à-dire tant des sociétés exploitantes, que des communes ainsi assurées de confortables ressources (elles peuvent, en effet, prélever 15 % du produit brut des jeux) et de retombées en terme d'activités touristiques. Constitutifs d'une importante manne financière, mais parallèlement perçus comme moralement peu recommandables, les jeux d'argent justifient de ce fait une surveillance particulière. Limités en nombre, les casinos font donc l'objet d'une police spéciale assurée par le ministère de l'Intérieur, mais sont aussi considérés comme des services publics depuis l'arrêt du Conseil d'Etat du 25 mars 1966 (CE Contentieux, 25 mars 1966, n° 46504, Ville de Royan et société anonyme de Royan et Couzinet N° Lexbase : A7093B89, Rec. 237), confirmé depuis lors (voir, notamment, CE, sect. Intérieur, avis du 4 avril 1995, n° 357274 N° Lexbase : L1109HIW ; et, pour des précisions sur le régime applicable à ce titre, CE 9° et 10° s-s., 3 octobre 2003, Commune de Ramatuelle N° Lexbase : A6510C9Y).

Ceci explique, d'une part, que la création et l'exploitation d'un casino fassent l'objet d'une procédure d'appel d'offre qui respecte les prescriptions de la loi du 29 janvier 1993, dite "loi Sapin" (loi n° 93-122 du 29 janvier 1993, relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques N° Lexbase : L8653AGL, insérée à l'article L. 1411-2 du Code général des collectivités territoriales N° Lexbase : L8316AAA), laquelle prescrit des obligations de publicité et de transparence incarnées, notamment, dans l'égalité d'accès au contrat des candidats. D'autre part, cette procédure impose l'obtention, après conclusion du contrat entre la commune et la société retenue, d'une autorisation d'exploitation délivrée par le ministre de l'Intérieur dans le cadre de la police spéciale des jeux, pour une période maximum de cinq ans, assortie de mesures de surveillance et de contrôle. Or, la pratique ministérielle veut que ne soit accordée à un nouvel exploitant qu'une autorisation partielle, la première année, sur les seuls jeux de tables, à l'exclusion des "machines à sous". Cette période probatoire n'est pas opposée, en revanche, aux sociétés déjà exploitantes lors du renouvellement de leur autorisation. Justifiée au nom de nécessités d'ordre public, cette différenciation s'avère, en fait, discriminatoire eu égard à l'interdépendance des exigences en matière de délégation de casino où, "sans contrat il n'y a pas d'autorisation" et "sans autorisation pas de contrat" (I). C'est ce noeud Gordien que tranche finalement l'arrêt présentement commenté. En partant de principes tout à fait classiques en droit administratif, le Conseil d'Etat donne, dès lors, une nouvelle orientation à la pratique des délégations de casino (II).

I. L'imbrication problématique des règles de police et de concurrence dans le cadre des délégations de casino

Que ce soit dans l'arrêt précité de la cour administrative d'appel de Nantes (AJDA, 22 décembre 2003, p. 2366, note C. Jacquier) ou dans celui du Conseil d'Etat, la combinaison ou la conciliation des règles de concurrence et des règles de police spéciale n'est évidemment pas une nouveauté. Le rappel selon lequel "l'application des règles relatives à la police spéciale des casinos ne doit pas avoir pour effet de conduire à empêcher, restreindre ou fausser le jeu de la concurrence sur un marché" est désormais classique. Ce qui fonde l'un des intérêts de cette jurisprudence c'est, en revanche, l'influence déterminante des conséquences pour une commune délégante de la pratique administrative de l'année probatoire. L'aspect factice ainsi conféré aux procédures de concurrence n'est finalement pas le fait des communes qui se trouvent plutôt captives d'une logique dévoyée ab initio.

  • La subordination biaisée de l'autorisation d'exploitation à la conclusion du contrat

Dans le cadre de la procédure de délégation de casino engagée par la commune d'Houlgate, la société Groupe Emeraude, nouvel exploitant, avait présenté sa candidature mais, avertie dès le début de la procédure de passation par les services compétents du ministère de sa soumission à l'année probatoire, elle en avait informé la commune en lui proposant une indemnisation compensatrice. Il faut noter, ici, que cette pratique est bien connue (voir, en ce sens, Cour des Comptes, Rapport public 2001, dénonçant l'opacité des avis de la Commission supérieure des jeux CSJ) et que cette prime au sortant désavantage tant le "challenger entrant", que la commune, captive en quelques sorte de renouvellements unilatéraux (voir, en ce sens, les observations de B. Jorion, Les délégations de casinos, Droit administratif, n° 1, janvier 2005 ; ainsi que S. Denaja, Casinos et concessions de service public, Contrats publics, Mélanges en l'honneur du Professeur Michel Guibal, Vol. 1, pp. 668 et s.).

  • Le lien entre continuité d'exploitation du service et ampleur de l'autorisation

Tout d'abord, il convient de rappeler que, dans le cas d'un ancien exploitant qui perdrait son autorisation, la commune délégante est autorisée à mettre fin au contrat de concession (CE, 4 juillet 1984, n° 51179, Société d'exploitation du casino de Luchon N° Lexbase : A7642ALM). La valeur marchande d'un casino réside donc bien dans l'autorisation d'exploiter les jeux (B. Jorion, Les délégations de casinos, op. cit.). Partant, il serait hypocrite de reprocher, du moins du point de vue de la rationalité économique, à la commune d'Houlgate d'avoir écarté l'offre de la Société Groupe Emeraude dans la mesure où, d'une part, et comme indiqué en introduction, l'essentiel des gains d'un casino (90 %) est fourni par les "machines à sous". D'autre part, et dans la logique de la reconnaissance du caractère de concession de service public aux concessions de casino, via les activités d'animation culturelle et touristique censées être assurées par ces derniers, la commune d'Houlgate avait cru pouvoir avancer l'insuffisance de la compensation financière "eu égard au risque de désaffection définitif de la clientèle de son casino si les machines à sous n'étaient pas exploitées ou y étaient exploitées en moins grand nombre durant une certaine période" (CAA Nantes, 21 novembre 2003). La cour d'appel avait alors considéré qu'il était illégal de tenir compte de l'avantage du renouvellement complet d'autorisation de jeu tiré de la qualité de précédent délégataire. Il fallait, donc, en déduire que l'égal accès des candidats au contrat avait été faussé, mais le paradoxe apparent -lié à une éventuelle hiérarchie entre mesures de police spéciales et règles de concurrence- restait posé, de même que la validité de la pratique de la période probatoire.

II. La résolution du paradoxe apparent : des principes classiques au service d'une nouvelle orientation

En réalité la question est bien moins manichéenne que ne le laissent supposer certains commentaires de solutions antérieures (voir CE, 3 octobre 2003, Commune de Ramatuelle, préc., dans lequel le juge, au sujet de la détermination de la durée des délégations de casino, a fait prévaloir les dispositions de la police spéciale des jeux sur les règles législatives de la loi "Sapin", dont on rappellera, qu'en l'espèce, elle fixe une durée empirique liée "à l'appréciation de la nature et du montant de l'investissement à réaliser" - CGCT, art. L. 1411-2). Le mouvement jurisprudentiel actuel, tant au niveau national qu'au niveau communautaire, n'est pas marqué par un antagonisme entre de "vertueux objectifs de police" et de "complaisantes procédures de marché". La solution ici donnée par le Conseil d'Etat s'inscrit dans cette lignée d'arrêts où, faute de trouver des règles spécifiques susceptibles de prévoir toutes les situations, juge et requérants utilisent des principes classiques. L'arrêt du 10 mars 2006 marque en ce sens le primat du principe d'égalité et l'importance des règles de proportionnalité et de transparence.

  • Le principe d'égalité

Confirmant l'analyse de la cour administrative d'appel de Nantes, le Conseil d'Etat rappelle le principe d'égal accès des candidats à l'octroi de la délégation et constate, au vu des circonstances ayant guidé le choix de la commune délégante, l'illégalité d'une délibération fondée sur une pratique administrative elle-même illégale, puisqu'elle fausse "le jeu de la concurrence [...] en limitant de façon excessive l'accès à ce marché". Ce recours au principe d'égalité est, désormais, une constante en matière d'action économique (voir CE avis du 22 novembre 2000, n° 223645, Société L&P Publicité SARL N° Lexbase : A9638AHG). Il convient d'y voir une application de principes généraux, en dehors du recours à tout autre principe plus spécifique. C'est également la logique suivie par la Cour de justice des Communautés européennes dans l'arrêt "Telaustria" (CJCE, 7 décembre 2000, aff. C-324/98, Telaustria Verlags GmbH et Telefonadress GmbH c/ Telekom Austria AG, en présence de Herold Business Data AG N° Lexbase : A1916AWU) dans lequel, bien que certains contrats soient exclus du champ d'application des Directives marchés publics dans le secteur des télécommunications, la cour de Luxembourg a pris soin de préciser que "les entités adjudicatrices les concluant sont, néanmoins tenues de respecter les règles fondamentales du traité en général".

  • Proportionnalité et transparence

La solution finalement retenue par le Conseil d'Etat a les vertus et, vraisemblablement, les vices de la simplicité. Elle ne remet pas en cause l'existence de la police spéciale des jeux ni même ses finalités. Elle reporte plutôt l'attention sur les critères de proportionnalité propres à toute mesure de police et à son caractère approprié nonobstant son objet spécifique. Ainsi, quel que soit le contexte, seul le respect de principes fondamentaux doit guider le choix du délégataire et, en "l'absence de justifications suffisantes tirées des nécessités de l'ordre public", aucune mesure ne peut "porter atteinte de façon excessive" à l'égalité des candidats. Au titre de ces principes de proportionnalité et de transparence, est-il nécessaire de rappeler que, là encore, la CJCE a admis, au fil d'une jurisprudence construite et mesurée, la limitation non discriminatoire des jeux de hasard dans un objectif double de protection des consommateurs et de l'ordre social (voir, en particulier, CJCE, 21 septembre 1999, aff. C-124/97, Markku Juhani Läärä, Cotswold Microsystems Ltd et Oy Transatlantic Software Ltd c/ Kihlakunnansyyttäjä (Jyväskylä) et Suomen valtio (Etat finlandais) N° Lexbase : A1690AWI, sur les "machines à sous" finlandaises).

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Collectivités territoriales

[Le point sur...] L'attribution par les collectivités territoriales de subventions aux structures locales des organisations syndicales

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N7090AKS

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Le 07 Octobre 2010

Le régime des subventions de fonctionnement octroyées par des collectivités territoriales à des structures locales d'organisations syndicales a fait l'objet de deux interventions récentes du ministre de l'Intérieur et de l'Aménagement du territoire, interrogé, sur ce point, par un membre du Sénat et un membre de l'Assemblée nationale. Dans une question posée le 5 mai 2005, réitérée le 15 décembre 2005, car demeurée sans réponse, le sénateur Jean-Louis Masson demande au ministre de l'Intérieur si un conseil général a le droit d'allouer des subventions de fonctionnement aux fédérations départementales d'organisations syndicales et, le cas échéant, si la clé de répartition entre les différentes fédérations départementales doit être proportionnelle à leur importance respective, ou si elle relève du libre choix de la collectivité. Parallèlement, dans une question publiée le 6 décembre 2005, la députée Marie-Jo Zimmermann attire l'attention du même ministre sur le fait que le décret n° 2005-849 du 25 juillet 2005, relatif à l'attribution par des collectivités territoriales de subventions de fonctionnement aux structures locales des organisations syndicales représentatives (N° Lexbase : L8947G9A), permet aux collectivités d'octroyer des subventions de fonctionnement aux structures locales des organisations syndicales représentatives. Elle le sollicite, alors, pour avoir des précisions sur les "organisations syndicales représentatives" et obtenir des indications sur les garde-fous permettant d'éviter que lesdites subventions ne soient entachées de partis pris politiques ou autres. Les deux réponses du ministre publiées, respectivement, le 23 février 2006 dans le Journal officiel du Sénat et le 21 février 2006 dans celui de l'Assemblée Nationale, dressent un tableau de la législation et de la réglementation applicables, ainsi que de la jurisprudence dégagée en la matière (1). Tout d'abord, il rappelle au sénateur Masson que l'article 216 de la loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002, de modernisation sociale, pose le principe selon lequel l'ensemble des collectivités territoriales est autorisé à verser des subventions aux structures locales des organisations syndicales (N° Lexbase : L1304AW9). Les dispositions du Code général des collectivités territoriales codifiant l'article 216 définissent précisément ce droit : les articles L. 2251-3-1 (N° Lexbase : L1825GU7), L. 3231-3-1 (N° Lexbase : L1862GUI) et L. 4253-5 (N° Lexbase : L1977GUR) du Code autorisent, ainsi, respectivement, les communes et groupements de communes, les départements et, enfin, les régions, à attribuer des subventions de fonctionnement aux structures locales des organisations syndicales représentatives.

Les réponses apportées par le ministre visent à préciser quels sont les critères d'attribution desdites subventions (I), déterminer le degré d'appréciation de la collectivité, au regard de la jurisprudence (II) et enfin sérier la procédure applicable (III).

I. Les critères d'attribution de subventions de fonctionnement à des structures locales d'organisations syndicales

Dans la loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002, le législateur ne dégage aucun critère lié à la définition des structures syndicales susceptibles de recevoir des subventions de collectivités territoriales, renvoyant à un décret d'application pour l'appréciation des conditions et des modalités d'attribution. Le décret n° 2005-849 du 25 juillet 2005, codifié dans les articles R. 2251-2 (N° Lexbase : L7903HBC), R. 3231 (N° Lexbase : L7905HBE) et R. 4253-4 (N° Lexbase : L7912HBN) du Code général des collectivités territoriales, énonce des conditions précises. En premier lieu, les entités recevant des subventions doivent impérativement être dotées de la personnalité morale. Elles doivent, en second lieu, être suffisamment représentatives (1) et exercer des missions d'intérêt général sur le plan local (2).

1. Le critère de représentativité

Aux termes du décret n° 2005-849, les structures locales d'organisations syndicales pouvant recevoir des subventions de la part de collectivités territoriales doivent être des entités représentatives. La question de la députée Marie-Jo Zimmermann porte sur la définition même de ce critère de représentativité. Le ministre, reprenant les dispositions législatives applicables, rappelle qu'en application de l'article L. 133-2 du Code du travail (N° Lexbase : L5695ACW), la représentativité des organisations syndicales est déterminée d'après cinq critères : les effectifs ; l'indépendance (notamment financière) ; les cotisations ; l'expérience et l'ancienneté du syndicat ; ainsi que l'attitude patriotique pendant l'Occupation. Certains syndicats bénéficient d'une présomption irréfragable de représentativité. Cinq organisations ont, ainsi, été déclarées représentatives de droit au plan national, par un arrêté du 31 mars 1966 : la Confédération Générale du Travail (CGT) ; la Confédération Générale du Travail - Force ouvrière (CGT-FO) ; la Confédération française démocratique du travail (CFDT) ; la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC) et la Confédération française de l'encadrement - Confédération générale des cadres (CFE-CGC). Tout syndicat affilié à l'une de ces cinq organisations est considéré comme représentatif de droit.

La jurisprudence a dégagé des critères supplémentaires liés à l'activité réelle du syndicat, l'étendue et l'efficacité de son action, la capacité à mobiliser les salariés et l'audience de la structure (2). Dans un arrêt du 3 décembre 2002, la Cour de cassation a développé une jurisprudence extrêmement claire, en dégageant des critères permettant d'attester la représentativité d'organisations syndicales ne bénéficiant pas de la présomption irréfragable. Le juge judiciaire se fonde essentiellement sur l'influence de l'organisation syndicale (3). Déjà, dans un arrêt du 18 décembre 2000, la Cour de cassation avait précisé que l'influence d'un syndicat pouvait se caractériser par "la diffusion de tracts, la demande de négociations et une instance en annulation d'élections professionnelles" (4). Il ressort, donc, de la jurisprudence que deux critères doivent être retenus de manière prépondérante : l'indépendance, critère légal, et l'influence, critère prétorien (5).

2. L'exercice de missions d'intérêt général sur le plan local

Les dispositions du décret n° 2005-849 fixent, comme critère essentiel à l'attribution de subventions à une structure syndicale locale, que ledit organisme remplisse des missions d'intérêt général sur le plan communal, intercommunal, départemental ou régional. Le décret demeure, toutefois, silencieux quant à une éventuelle appréciation ou classification de ces missions d'intérêt général. Les collectivités peuvent-elles opérer leur choix en fonction des missions exercées par les différentes structures syndicales susceptibles de recevoir une subvention de fonctionnement ?

Le Conseil constitutionnel est intervenu sur ce point avant même l'adoption du décret, lors du contrôle de constitutionnalité de la loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002. Il a, ainsi, jugé que le texte qui lui était soumis "ne saurait avoir pour effet d'autoriser une assemblée locale à traiter inégalement les structures locales des organisations syndicales représentatives également éligibles à l'octroi de telles subventions du fait des missions d'intérêt général qu'elles remplissent au plan local" (6).

Le Conseil d'Etat a, quant à lui, précisé la latitude de libre appréciation dont disposent les collectivités pour attribuer des subventions aux structures locales d'organisations syndicales représentatives. Les conventions conclues par les collectivités avec les organisations concernées peuvent dégager des critères affinant les conditions générales posées par le législateur. Ainsi, la collectivité peut déterminer un certain nombre de préoccupations prioritaires d'intérêt local, ce qui lui permettra d'attribuer les subventions suivant un ordre de priorité bien précis. La décision d'attribution ne sera pas contraire à la réglementation en vigueur dès lors qu'aucun traitement inégal n'est opéré entre structures effectuant des missions d'un intérêt local équivalent selon la grille de la collectivité. Dans l'arrêt "Commune d'Argentan" du 4 avril 2005, le Conseil d'Etat a, ainsi, jugé que des subventions, allouées à des unions syndicales locales, finançant diverses actions de caractère social correspondant à des préoccupations d'intérêt local jugées prioritaires par la commune et bénéficiant au public local, n'étaient pas illégales (7).

II. Le degré d'appréciation de la collectivité au regard de la jurisprudence

Le second volet de la question de la députée Marie-Jo Zimmermann soulève une inquiétude légitime, celle d'attributions partisanes ou, pour le moins, inéquitables de subventions par des collectivités à des structures syndicales. La parlementaire s'interroge, donc, sur l'existence de garde-fous permettant d'éviter de tels débordements.

La jurisprudence du Conseil Constitutionnel, déjà citée, montre clairement que les collectivités ne peuvent décider arbitrairement d'attribuer des subventions à des organisations syndicales pour des raisons de pure opportunité. L'interdiction posée de traiter inégalement les structures locales des organisations syndicales représentatives également éligibles à l'octroi de subventions s'impose à l'ensemble des collectivités locales, lesquelles disposent, donc, en la matière, d'une compétence liée et non d'un total pouvoir discrétionnaire. Dès lors que les conditions fixées par le législateur et précisées par le pouvoir réglementaire sont réunies, les autorités territoriales ne peuvent écarter, de manière arbitraire, une structure au profit d'une autre, toutes deux étant également éligibles.

Cette nécessaire objectivité et le respect requis d'une stricte égalité entre les organisations candidates interdit l'attribution de subventions pour des motifs politiques. Une jurisprudence ancienne et régulièrement confirmée va en ce sens. Dans un arrêt de 1941, le Conseil d'Etat affirmait, d'ores et déjà, l'interdiction d'octroyer des aides à caractère politique (8). Deux arrêts plus contemporains, du 28 octobre 2002 (9) et du 4 avril 2005 (10) réaffirment le caractère illégal de subventions accordées à des structures syndicales pour des motifs politiques. A contrario, dans un arrêt du 25 octobre 1957, le Conseil d'Etat a logiquement considéré comme légale la subvention allouée par une commune à la section locale de l'"Union des travailleurs de France", en raison de l'"objet principalement social sur le plan local" poursuivi par cette section, la motivation n'ayant aucun objet politique (11).

Par ailleurs, le Conseil d'Etat a dégagé le principe selon lequel une subvention accordée ne doit pas viser à apporter un soutien financier dans le cadre d'un conflit social. Ainsi, dans son arrêt "Commune d'Aigues-Mortes" du 20 novembre 1985, le juge administratif a estimé que le fait que la commune accorde une subvention à une structure syndicale dans le but de manifester sa solidarité à l'égard de travailleurs en grève d'une importante entreprise de la commune était illégal car constitutive d'une aide apportée à une partie dans un litige social (12). De même, la création, en faveur du personnel communal en grève, d'un fonds de solidarité géré par l'association "Entraide du personnel communal" et le fait de lui allouer une dotation est illégal car s'assimile à une intervention directe dans un conflit collectif du travail en apportant un soutien financier à l'une des parties en litige (13). L'arrêt "Commune d'Argentan" de 2005 confirme, également, cette jurisprudence.

III. Les obligations des deux parties dans le cadre de la procédure d'attribution

Selon les termes du décret n° 2005-849, tel que codifié dans le Code général des collectivités territoriales, les subventions doivent être attribuées par délibération de l'assemblée de la collectivité concernée. Une convention doit, ensuite, être conclue par la collectivité avec les structures locales des organisations syndicales représentatives, conformément à l'article 10, alinéa 3, de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 modifiée, relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations (N° Lexbase : L0420AIE). Le décret n° 2001-495 du 6 juin 2001 (N° Lexbase : L1102HIN) précise, dans son premier article, que l'obligation de conclure une convention s'applique aux subventions dont le montant annuel dépasse la somme de 23 000 euros. Ces conventions permettent de préciser les modalités de versement des subventions attribuées.

Enfin, l'article 10 de la loi n° 2000-321 modifiée fixe l'obligation de dépôt de la délibération et de la convention auprès de la Préfecture. En application de l'article 2 du décret n° 2001-495, l'obligation de dépôt s'applique aux subventions dont le montant annuel dépasse la somme de 153 000 euros. Les actes d'attribution de subventions ne sont exécutoires qu'après publication et notification aux intéressés mais également transmission au représentant de l'Etat (14).

Notons, pour terminer, que les structures bénéficiant des subventions allouées par l'assemblée communale, départementale ou régionale doivent, elles aussi, respecter des obligations légales et réglementaires. Elles ont, d'une part, l'interdiction de reverser leurs subventions à d'autres personnes morales ; d'autre part, elles doivent rendre compte de l'utilisation des subventions dans un rapport mentionné aux articles L. 2251-3-1 (N° Lexbase : L1825GU7), L. 3231-3-1 (N° Lexbase : L1862GUI) et L. 4253-5 (N° Lexbase : L1977GUR) du Code général des collectivités territoriales.

Les collectivités territoriales peuvent, donc, accorder des subventions de fonctionnement aux structures locales d'organisations syndicales. Mais elles doivent effectuer la répartition des subventions dans le respect de critères précis dégagés, à la fois, par le législateur et la jurisprudence. Pour être éligibles, les organisations syndicales doivent être dotées de la personnalité morale, être suffisamment représentatives et exercer des missions d'intérêt général sur le plan local ; en outre, la commune ne doit pas accorder de subventions pour des motifs politiques ou dans le but de soutenir une partie dans un conflit collectif de travail.


Florence Nguyen-Rouault
Docteur en droit, Attaché territorial



(1) JO Sénat du 23 février 2006, n° 17469, p. 502 (N° Lexbase : L1091HIA) ; JOAN du 21 février 2006, n° 79691, p. 1902 (N° Lexbase : L1095HIE).
(2) La Cour de cassation s'est, ainsi, fondée sur l'audience électorale, c'est-à-dire sur l'influence exercée sur les salariés, mesurée en fonction des résultats obtenus aux diverses élections professionnelles, pour apprécier la représentativité d'un syndicat (voir, Cass. soc., 12 février 1985, n° 84-60.857, Saint-Cas, Figarede, Landais c/ Mme Thomas, Mme Chastenet, Mme Renaut N° Lexbase : A3862AG7).
(3) Cass. soc., 3 décembre 2002, n° 01-60.729, Caisse d'épargne et de prévoyance d'Alsace c/ Syndicat sud Caisse d'épargne (N° Lexbase : A1569A4U).
(4) Cass. soc., 18 décembre 2000, n° 99-60.472, société Abilis, société anonyme c/ M. Hachmi et autres (N° Lexbase : A9727ATG).
(5) Voir, sur ce point, l'article de Charlotte d'Artigue, Représentativité prouvée : la Cour de cassation revoit ses critères d'appréciation, Lexbase Hebdo, n° 51, 11 décembre 2002 - édition sociale (N° Lexbase : N5131AAB).
(6) Cons. const., n° 2001-455 du 12 janvier 2002, Loi de modernisation sociale (N° Lexbase : A7588AXC).
(7) CE 3° et 8° s-s-r., 4 avril 2005, n° 264596, Commune d'Argentan (N° Lexbase : A8473DHB).
(8) CE, 16 juillet 1941, Syndicat de défense des contribuables de Goussainville.
(9) CE 9° et 10° s-s-r., 28 octobre 2002, n° 216706, Commune de Draguignan c/ Mme Lalanne (N° Lexbase : A3701A3H) : l'affaire visait une subvention de fonctionnement à la section locale d'une association, la LICRA -Ligne internationale contre le racisme et l'antisémitisme-, mais il semble que la jurisprudence puisse être étendue à des structures syndicales professionnelles.
(10) CE 3° et 8° s-s-r., 4 avril 2005, n° 264596, Commune d'Argentan (N° Lexbase : A8473DHB).
(11) CE Ass., 25 octobre 1957, Commune de Bondy.
(12) CE contentieux, 20 novembre 1985, n° 57139, Commune d'Aigues-Mortes (N° Lexbase : A3317AMS) ; voir, dans le même sens, CE contentieux, 11 octobre 1989, n° 89325, Commune de Gardane (N° Lexbase : A1719AQQ).
(13) CE contentieux, 12 octobre 1990, n° 91325, Commune de Champigny sur Marne (N° Lexbase : A6091AQN).
(14) Depuis la loi n° 2004-809 du 13 août 2004, relative aux libertés et responsabilités locales, la transmission peut s'effectuer par voie électronique (N° Lexbase : L0835GT4).

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