La lettre juridique n°178 du 28 juillet 2005

La lettre juridique - Édition n°178

Table des matières

Conciliation, adaptation, pragmatisme : les tenants d'une loi pour le sauvetage des entreprises

Lecture: 2 min

N7055AI7

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/3207507-edition-n-178-du-28072005#article-77055
Copier

par Fabien Girard de Barros, Directeur de la rédaction

Le 07 Octobre 2010


Est-il un domaine plus sensible, au coeur des sociétés industrialisées, que la défaillance des entreprises ? 50 000 cas de procédures collectives seront à recenser, en France, pour la seule année 2005, avec leur cortège de drames humains et de gâchis des ressources d'investissement. Pour autant, doit-on céder aux sirènes de la tragédie grecque ? Si "la passion fait tout mal", Horace nous invite, pourtant, à dresser le bilan mitigé de 20 ans d'une loi relative au domaine passionnel des procédures collectives. 7 ans pour constater les incuries protectionnistes de la loi de 1985 en faveur des débiteurs et celles de la loi de 1994 tendant au rééquilibrage en faveur des créanciers ; et le législateur de déclarer, aujourd'hui, ce droit inadapté à notre économie. En effet, il se traduisait par un considérable amoindrissement des droits des créanciers, au profit de la recherche à tout prix du sauvetage de la plus grande part des entreprises en difficulté, et par une attention insuffisante portée aux objectifs et au déroulement de la liquidation judiciaire. La loi nouvelle corrige ces défauts et tente, à nouveau, le pari de l'équilibre entre des intérêts antagonistes : le changement dans la continuité. Il s'agit toujours du sauvetage de l'entreprise et des emplois. Mais la méthode change. La sauvegarde de l'entreprise doit être poursuivie par des moyens diversifiés, sans porter d'atteinte excessive aux autres entreprises que sont les créanciers. Pour ce faire, la nouvelle loi permet d'appréhender les difficultés de l'entreprise dès qu'elles deviennent prévisibles, et avant même qu'elles ne se traduisent en trésorerie. Visant des situations différentes, plus ou moins graves, elle comporte des procédures adaptées à ces différences et aux conditions d'ouverture élargies. Par ailleurs, l'efficacité retrouvée des procédures de traitement des difficultés des entreprises conduit à inclure dans leur domaine tous les acteurs économiques et, notamment, les professions libérales. Emprunt d'une longue concertation entre les acteurs économiques et d'une analyse de droit comparé (chapter 11 américain), la loi de sauvegarde des entreprises publiée le 27 juillet 2005 sera applicable à compter du 1er janvier 2006... le temps qu'un décret d'application vienne éclairer les professionnels sur les zones d'ombre que laisse encore planer, sur le sauvetage des entreprises, cette réforme. "Processus de destruction créatrice", Joseph Schumpeter nous oblige à réadapter les "vertus intrinsèques" du capitalisme, pour que ces nouvelles procédures collectives servent de tremplin au rétablissement des entreprises en crise. Les éditions juridiques Lexbase vous proposent, dès cette semaine, un commentaire complet de la loi de sauvegarde des entreprises, par Pierre-Michel Le Corre, Professeur agrégé des Universités, Directeur du Master Droit de la banque de la faculté de droit de Toulon.

newsid:77055

Bancaire

[Jurisprudence] L'obligation d'information du banquier préalablement à l'interdiction bancaire

Réf. : Cass. com., 31 mai 2005, n° 03-15.659, M. Thierry, Frédéric Pey c/ La Poste, FS-P+B+I (N° Lexbase : A6351DI3)

Lecture: 10 min

N7080AI3

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/3207507-edition-n-178-du-28072005#article-77080
Copier

Le 07 Octobre 2010

L'article L. 131-73, alinéa 1er, du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L3089G9B) dispose que le banquier "peut, après avoir informé par tout moyen approprié mis à disposition par lui le titulaire du compte des conséquences du défaut de provision, refuser le paiement d'un chèque pour défaut de provision". L'information à la charge des établissements de crédit, qui résulte de ce texte, marque une contribution de la loi Murcef du 11 décembre 2001 (loi n° 2001-1168, 11 décembre 2001, portant mesures urgentes de réformes à caractère économique et financier (dite loi Murcef), art. 15 N° Lexbase : L0256AWE) (1) à la politique législative de réduction du volume des chèques sans provision. Cette nouvelle disposition impose, désormais, aux établissements de crédit une obligation d'information à l'égard du tireur d'un chèque ayant fait l'objet d'un incident de paiement, sans pour autant préciser son régime.
Au moment où un arrêt récent de la Chambre commerciale de la Cour de cassation, en date du 31 mai 2005 (2), apporte pour la première fois quelques précisions sur l'interprétation qu'il faut avoir de l'article L. 131-73 sur ce point, il est utile de rappeler les difficultés d'élaboration de ce texte, avant d'analyser les caractères et la sanction de la nouvelle obligation d'informer pesant sur le banquier.

I - La genèse de l'obligation

La création d'une obligation d'informer le titulaire d'un compte sur les conséquences du défaut de provision, préalablement à tout refus de paiement, ne figurait pas dans le projet de loi déposé par le Gouvernement (3). C'est lors de l'examen en première lecture du projet qu'un amendement fut adopté par l'Assemblée nationale dans les termes suivants : "Lorsqu'une banque est dans l'obligation de rejeter un chèque, elle doit mettre tous les moyens en oeuvre pour informer l'émetteur du rejet de son chèque, afin qu'il régularise sa situation avant que le rejet ne soit définitif". Au-delà de sa rédaction imprécise (4), cet amendement manifestait le souci du législateur de réduire le taux d'interdictions bancaires (5). Mais il correspondait aussi à une pratique des banques qui, dans une démarche commerciale, permettaient à certains de leurs clients de régulariser l'incident avant le déclenchement d'une procédure d'interdiction (6). Considérant qu'il n'existait pas d'"obligation" pour le banquier tiré de rejeter un chèque sans provision ni même de "rejet" définitif ou provisoire et soucieux de ne pas imposer aux banques la preuve de la mise en oeuvre de l'obligation "par tous les moyens", le Sénat modifia la rédaction du texte pour permettre au banquier le rejet "après s'être efforcé d'en informer le titulaire du compte" (7). Trouvant à son tour le texte du Sénat "ni assez précis ni suffisamment conforme à l'esprit dans lequel l'Assemblée nationale a adopté cette disposition" (8), celle-ci, en seconde lecture, modifia sa rédaction première pour imposer au banquier d'informer "par tout moyen approprié mis à disposition par lui le titulaire du compte des conséquences du défaut de provision". En seconde lecture, le Sénat adopta une rédaction plus explicite, notamment, en précisant que les moyens étaient mis à disposition par le client (9). Mais, en dernière lecture, l'Assemblée nationale imposa la rédaction qu'elle avait retenue lors de sa seconde lecture. C'est donc un texte à la rédaction ambiguë qui a intégré l'article L. 131-73 du Code monétaire et financier pour le compléter, un texte en attente d'interprétation.

II - Les caractères de l'obligation

L'obligation d'information introduite dans l'article L. 131-73 du Code monétaire et financier par la loi Murcef se caractérise à la fois par sa fonction, son objet et sa nature.

A - La fonction de l'obligation d'information est double.

Il s'agit d'abord de permettre au tireur de remédier à l'absence ou à l'insuffisance de provision avant que le banquier tiré ne refuse le paiement du chèque litigieux et ne se trouve, de ce fait, contraint de déclencher la procédure d'interdiction bancaire. En sorte, l'obligation faite au banquier d'informer le tireur des conséquences du défaut de provision offre à ce dernier l'occasion de régulariser sa situation en fournissant la provision manquante (dépôt, virement en provenance d'un autre compte, remise de créances, découvert, etc..) ou en payant le montant du chèque. C'est en cela que l'on peut considérer que l'obligation de l'article L. 131-73 permet le rejet "provisoire" d'un chèque à la provision défaillante et donne la faculté d'une régularisation "amiable" (10).

Ensuite, l'article L. 131-73 fait de l'information du titulaire du compte sur les conséquences du défaut de provision la condition nécessaire du refus de paiement pour défaut de provision suffisante. En effet, le texte précise que le banquier tiré "peut" refuser le paiement "après avoir informé [...] le titulaire du compte". C'est là un moyen efficace de réduire notablement le nombre d'interdictions bancaires. On peut donc dire de cette obligation qu'elle conditionne le rejet "définitif" d'un chèque auquel il manque une provision suffisante ainsi que l'ouverture d'une procédure d'interdiction bancaire qui offrira, alors, la possibilité d'une régularisation "légale".

B - L'objet de l'obligation consiste, certes, dans l'information du titulaire d'un compte, mais encore faut-il savoir quelle information donner, comment et quand doit-elle être délivrée ?

1 - L'information à laquelle la banque est astreinte concerne les "conséquences du défaut de provision". Il faut comprendre par là que l'information doit certainement porter sur la procédure d'interdiction bancaire (11), car elle constitue la sanction directe de l'absence ou de l'insuffisance de provision. Sans doute peut-elle être complétée par l'indication de la déclaration d'avis de non-paiement à la Banque de France (12), mais cette précision n'ajoute guère plus à la connaissance du risque majeur qu'est l'interdiction bancaire. On peut aussi penser la même chose de la sanction pénale encourue pour la violation de cette interdiction (13). Il n'est pas non plus utile de l'informer de la possibilité que tient le porteur impayé, même négligent, d'exercer contre lui l'action cambiaire qui subsiste contre le tireur qui n'a pas fait provision (14) ou celle qu'il tient de la provision (15). L'essentiel de l'information consiste donc à prévenir le client qu'il devra restituer toutes les formules de chèques en sa possession ou celle de ces mandataires, qu'il ne pourra plus émettre de chèques sur l'ensemble de ses comptes, à l'exception des chèques de retrait et des chèques certifiés et qu'il devra subir cette interdiction sur une période de 5 ans, sauf régularisation entre temps (16). Le titulaire du compte sera de la sorte suffisamment alerté sur les conséquences d'un refus de paiement, il ne paraît donc pas nécessaire d'ajouter les indications relatives aux conditions de régularisation (règlement du montant du chèque ou constitution de la provision dans les 30 jours, pénalité libératoire), moins par le fait qu'elles intéressent la situation postérieure au refus de paiement que parce que de telles informations sont susceptibles d'atténuer l'efficacité de l'obligation et réduire ainsi sa fonction de régularisation amiable.

Ainsi, la Cour de cassation, dans son arrêt du 31 mai 2005, vient de conforter cette analyse. Elle estime que l'envoie d'une lettre indiquant au titulaire du compte que "tout nouvel incident de paiement entraînerait une interdiction bancaire", constituait une "information générale" qui ne permettait pas à la banque de satisfaire à son obligation d'information. On peut donc déduire a contrario de cette première décision que la banque doit délivrer au tireur une information suffisamment indicative des conséquences du défaut de provision. La preuve de la délivrance de cette information incombe au client puisqu'il en est créancier (17).

2 - Le mode d'information mérite, également, d'être précisé, car l'article L. 131 -73 n'est guère éclairant à ce sujet. Le texte se contente d'indiquer que le titulaire du compte doit être informé "par tout moyen approprié mis à disposition par lui".

D'abord, le support de communication est neutre, de sorte que l'information peut parvenir au tireur du chèque par lettre (18), simple ou recommandée, par télécopie, par téléphone (19), par courrier électronique, voire même par "SMS" (20). L'essentiel étant que le moyen soit approprié, autrement dit en mesure de transmettre l'information et de la faire comprendre comme telle par le titulaire du compte.

Ensuite, le moyen doit être mis à la disposition du banquier par le client. Pour traduire cette exigence, il faut se reporter aux liens qui unissent le banquier à son client et particulièrement au mode de communication établi entre eux. Au-delà de l'adresse du tireur que le banquier connaît nécessairement pour le fonctionnement du compte (21) et en laissant de côté la fourniture d'enveloppes timbrées à l'adresse du client (22), les moyens mis à disposition du banquier par le tireur peuvent consister dans la communication d'un numéro de téléphone ou d'une adresse électronique. En somme, tous les éléments que le banquier possède le plus souvent dans le dossier de son client. De plus, la Charte relative aux conventions de compte de dépôt, élaborée par la Fédération bancaire française (23), prévoit que "la convention indique au titulaire du compte les moyens par lesquels l'établissement peut, le cas échéant, le joindre afin de l'informer, en application de l'article L. 131-73 du Code monétaire et financier, avant d'en refuser la paiement, des conséquences du défaut de provision d'un chèque qu'il aurait émis" (24). La question de la preuve de la mise à disposition par le client de moyens d'information se trouve ainsi globalement réglée pour les comptes soumis à cette chartre dans la mesure où cette preuve se trouve préconstituée. Pour les autres cas, cette preuve reste à la charge du banquier (25). De manière factuelle, comme le banquier ne peut pas refuser le paiement d'un chèque s'il ne dispose pas des moyens appropriés pour informer son client, il y a de très fortes chances pour qu'il sollicite lui même la fourniture de ces moyens. C'est bien la démarche adoptée dans la Charte relative aux comptes de dépôt.

3 - Le moment de l'information nécessite, également, d'être déterminé puisque le texte de l'article L. 131-73 ne donne aucune indication. Deux démarches peuvent être entreprises à cet effet.

L'une consiste à fournir préalablement et de manière générale l'information due par le banquier au titre de l'article L. 131-73. En d'autres termes, le client se trouve averti à ce titre, dès la naissance de ses relations avec le banquier et pour leur durée. C'est la solution retenue par la Charte relative aux conventions de compte de dépôt, lorsqu'elle précise que "la convention de compte rappelle la réglementation sur le chèque sans provision". Mais, une information délivrée en amont de l'incident de paiement ne saurait suffire à informer le titulaire du compte en raison, notamment, du décalage temporel.

L'autre démarche consiste à informer de manière spécifique le titulaire du compte, lorsque survient un incident de paiement. C'est précisément la position adoptée par la Cour de cassation dans son arrêt du 31 mai 2005, lorsqu'elle casse la décision de cour d'appel pour avoir admis que l'information avait été délivrée au client "indépendamment de tout incident" et sans "avertissement précis". Il faut, en conséquence, comprendre l'obligation de l'article L. 131-73 comme le moyen de remédier au défaut de provision (26). La fonction de régularisation de l'obligation exige, en effet, que l'information soit donnée au moment où elle est nécessaire.

Il reste, alors, à déterminer la cause susceptible de déclencher l'obligation d'informer. A l'évidence, lorsqu'un chèque a déjà fait l'objet d'un rejet, nous sommes bien en présence d'un incident de paiement (27). Dans cette configuration, l'incident ne peut être que provisoire faute d'une information correspondante au tireur. Le banquier tiré devra, avant toute représentation du chèque en paiement, procéder à l'information du tireur selon l'article L. 131-73 avant de pouvoir refuser le paiement pour défaut de provision suffisante et déclencher la procédure d'interdiction. Si au contraire le chèque a fait l'objet d'un paiement par le banquier malgré l'absence de provision, il ne peut y avoir normalement d'incident de paiement (28). Est-ce à dire, pour autant, qu'il faille en ce cas exclure toute information du tireur au titre de l'article L. 131-73. La réponse semble devoir être négative, car le banquier a très bien pu, en dehors de tout découvert, accepter de payer le chèque non provisionné, sans pour autant vouloir prolonger cette faveur. Rien ne lui interdit alors de mettre en garde le titulaire du compte dans l'éventualité d'une nouvelle émission de chèque dont le paiement serait refusé pour défaut de provision. Il est seulement exigé que l'information soit préalable au refus de paiement du chèque.

C - La nature de l'obligation d'informer, bien qu'elle soit légale, n'échappe pas à la summa divisio selon laquelle le débiteur doit un résultat ou une diligence.

La distinction entre l'obligation de moyens et l'obligation de résultat permet en effet de déterminer le régime de l'obligation (29). Dans la mesure où la loi impose au banquier d'informer le tireur sur les conséquences du défaut de provision, il serait logique de ranger cette obligation dans la catégorie des obligations de résultat. Néanmoins, comme l'exécution de l'obligation dépend étroitement des moyens mis à la disposition du banquier par le client, mieux vaut considérer qu'il s'agit simplement d'une obligation de moyens (30). Il s'en suit que la charge de la preuve de l'exécution de l'obligation incombe au créancier de l'information, c'est-à-dire au titulaire du compte (31).

III - La sanction de l'obligation

Le législateur n'a pas prévu de sanction pour le cas où l'information serait défaillante ou insuffisante. Deux sanctions peuvent alors être envisagées.

Certains auteurs estiment que la sanction adéquate consiste dans la responsabilité du banquier (32), dans la mesure où il a méconnu l'obligation que lui impose la loi. Mais encore faut-il que les conditions de la responsabilité soient réunies, étant précisé que la réalité du préjudice subi par le tireur va tenir à son impossibilité de régulariser, si tant est qu'il soit en mesure de le faire. C'est en ce sens que semble s'être implicitement prononcée la Cour de cassation, dans son arrêt du 31 mai 2005, puisque le litige portait sur la recevabilité d'une action en responsabilité à l'encontre du banquier, en l'espèce La Poste, qui avait procédé à une information ne répondant pas aux critères de l'article L. 131-73.

Ces mêmes auteurs rejettent la nullité de l'interdiction bancaire engendrée par le refus de paiement comme sanction de l'obligation d'information (33). Pourtant, l'hypothèse mérite réflexion. En effet, l'article L. 131-73 subordonne le refus de paiement d'un chèque, pour défaut de provision suffisante, à l'information du tireur sur les conséquences du défaut de provision. En d'autres termes, le banquier ne peut rejeter un chèque s'il n'a pas informé le tireur. En établissant cette obligation, le législateur a voulu favoriser le règlement amiable des chèques et réduire le nombre d'interdits bancaires. Si effectivement la sanction du non-respect de cette obligation réside seulement dans la responsabilité du banquier tiré, l'objectif du législateur n'est pas atteint. Il nous semble donc opportun de sanctionner le non-respect de l'obligation d'information par la nullité du refus de paiement du chèque et de l'interdiction bancaire qui s'en suit. Et si d'aventure le tireur a subi un préjudice, il pourra de surcroît agir en responsabilité.

Jean-Pierre Arrighi
Professeur à l'Université de Nice-Sophia Antipolis


(1) St. Piedelièvre, Droit bancaire, Puf 2003, n ° 293 ; J. Stoufflet, Nouvelles réglementation des comptes bancaires, Juris-classeur Banque, fasc. 131, n° 42 ; M. Cabrillac, Rép. Dalloz commercial, v° chèque, n° 139 ; J. Stoufflet, Nouvelles interventions législatives dans les relations entre les établissements de crédit et leurs clients, Rev. droit bancaire 2003, 36 et suiv., n ° 41 ; Th. Bonneau, Des mesures bancaires et financières issues de la loi n° 2001-1168 du 11 décembre 2001 prtant mesures urgentes de réformes à caractère économique et financier, JCP éd. E. 2002, n° 120, spéc. n° 10 ; R. Bonhomme, Aspects bancaires de la loi Murcef, Banque et droit mars-avril 2002, p. 3 et suiv., spéc. n° 8-9 ; B. Dondero, Les apports de la loi Murcef en matière de droit bancaire, Petites affiches 17 et 18 janvier 2002, spéc. n° 74-76J.-J. Daigre, Loi "Murcef" et droit bancaire, JCP éd. G. 2002, I, 117, spéc. n° 30.
(2) Cass. com., 31 mai 2005, n° 03-15.659, M. Thierry, Frédéric Pey c/ La Poste, FS-P+B+I
(3) Projet de loi n° 2990 portant mesures urgents de réformes à caractère économique et financier.
(4) Le ministre de l'Economie et des Finances jugea cet amendement "sympathique et peu précis", rapport Sénat n° 336 du 23 mai 2001 par Ph. Marini, p. 49.
(5) 2,8 millions d'interdictions de chéquiers en mars 2001, ramenés à 1,9 millions après le vote de la loi NRE du 15 mai 2001 (N° Lexbase : L8295ASZ) réduisant le délai d'interdiction bancaire de 10 à 5 ans ; 5,7 millions d'incidents de paiement sur des chèques en 1999, rapport Sénat n° 336, préc., p. 48.
(6) V. B. Dondero, art.préc., n° 74.
(7) Rapport Sénat n° 336, préc., p. 49.
(8) Rapport Assemblée nationale n° 3196 du 27 juin 2001 par N. Bricq.
(9) Projet de loi, modifié par le Sénat en seconde lecture, doc. n° 3331, art. 7.
(10) Il a été relevé que le texte ne prévoit pas de délai permettant de répondre à la mise en garde et constituer provision (R. Bonhomme, art. préc., p. 9). Il est évident que la fonction de régularisation de l'obligation d'informer perd de son intérêt si effectivement le tireur ne dispose pas d'un temps raisonnable pour agir en ce sens. Il appartient aux juges d'apporter une réponse à cette question.
(11) C. mon. fin., art. L. 131-73, al. 1.
(12) Art. 16 du décret du 22 mai 1992 (N° Lexbase : L1125AR4).
(13) C. mon. fin., art. L. 163-2, al. 3 (N° Lexbase : L3527APC).
(14) C. mon. fin., art. L. 131-59, al. 3 .
(15) C. mon. fin., art. L. 131-59, al. 2.
(16) C. mon. fin., art. L. 131-78 .
(17) C. civ., art. 1315 : "Celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver" (N° Lexbase : L1426ABG).
(18) V. Cass. com., 31 mai 2005, préc..
(19) V. R. Bonhomme, art. préc. p. 8.
(20) V. X. Delpech, obs préc..
(21) Le domicile participe de l'identité, v. C. mon. fin., art. L. 563-1 (N° Lexbase : L9097DYL) et art. 33 du décret du 22 mai 1992 (N° Lexbase : L1136ARI) et qui figure sur toute formule de chèque .
(22) V. J-J Daigre, art. préc., n° 30.
(23) V. J. Stoufflet, La Charte relative aux conventions de compte de dépôt. L'engagement de la Fédération bancaire française, Rev. droit bancaire 2003, 122 et suiv..
(24) V. le texte de la Charte, Rev. droit bancaire 2003, p. 8-9.
(25) C. civ., art. 1315 : "Celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver".
(26) X. Delpech, obs. préc..
(27) Sur cette notion, v. B. Maubru, L'incident de paiement d'un chèque, D. 1977, chron., 179, spéc. n° 5 et suiv..
(28) V. B. Maubru, art. préc., n° 26 et suiv..
(29) Sur la distinction, v. F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette, Les obligations, Dalloz 8ème éd. 2002, n° 552 et suiv. ; J. Flour, J-L. Aubert, E. Savaux, Les obligations, t.1 L'acte juridique, A. Colin, 10ème éd. 2003, n° 43-45 ; J. Flour, J-L. Aubert, Y. Flour, E. Savaux, Les obligations, t. 3 Le rapport d'obligation, 3ème éd., 2004, n° 201-204.
(30) V. en ce sens, R. Bonhomme, art. préc., p. 8.
(31) V. F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette, op. cit., n° 554 ; J. Flour, J-L. Aubert, Y. Flour, E. Savaux, Les obligations, t. 3, op. cit., n° 201.
(32) M. Cabrillac, Rép. Dalloz commercial, v° chèque n° 139 ; X. Delpech, obs. préc.. Sur la question en générale, v. R. Routier, La responsabilité du banquier, LGDJ 1997.
(33) M. Cabrillac, Rép. Dalloz commercial, v° chèque n° 139 ; X. Delpech, obs. préc..

newsid:77080

Sociétés

[Le point sur...] Les clauses d'agrément en société anonyme depuis l'ordonnance du 24 juin 2004

Lecture: 14 min

N6994AIU

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/3207507-edition-n-178-du-28072005#article-76994
Copier

Le 07 Octobre 2010

La stabilité du pouvoir et du capital dans les sociétés par actions est une préoccupation aussi légitime qu'ancienne. Initiée par des rapports publiés en octobre 2003 et émanant de la Chambre du commerce et de l'industrie (CCIP), de l'Association française des entreprises privées (AFEP), de l'Association nationale des société par actions (ANSA) et du Mouvement des entreprises de France (MEDEF) (voir, notamment, "Pour un droit moderne des sociétés", rapport disponible sur le site de l'ANSA) visant à la préservation de l'équilibre des pouvoirs au sein des assemblées des sociétés anonymes (SA) non cotées et suivant de quelques mois seulement la modification des clauses d'agrément au sein des sociétés à responsabilité limitée (SARL), l'ordonnance du 24 juin 2004 (ordonnance n° 2004-604 du 24 juin 2004, portant réforme du régime des valeurs mobilières émises par les sociétés commerciales N° Lexbase : L5052DZ7) a modifié les dispositions des articles L. 228-23 (N° Lexbase : L8378GQD) et L. 228-24 (N° Lexbase : L8379GQE) du Code de Commerce en formulant d'emblée le principe de la licéité générale des clauses d'agrément. Elle a, incontestablement, accru les possibilités de contrôle des mouvements de titres en y apportant une plus grande souplesse de fonctionnement. Plus d'un an après son entrée en vigueur les praticiens confrontés à une rédaction ou à une modification de statuts doivent avoir bien présent à l'esprit l'économie générale de telles clauses qui impliquent de nombreuses options rédactionnelles. L'agrément d'un éventuel nouvel actionnaire à l'occasion d'une cession est un évènement qui se déroule dans le temps, selon des conditions et des modalités bien déterminées. Les problèmes se posent de manière chronologique et leur résolution nécessite qu'après la délimitation du domaine de l'agrément (I), il soit déroulé la procédure (II).

I- Le domaine de l'agrément

A- Définitions

Alors que la clause d'agrément est une disposition statutaire soumettant la cession des actions à une décision de l'organe social habilité à cet effet, la clause de préemption oblige l'actionnaire cédant à proposer en priorité le rachat projeté aux autres actionnaires ou à certains d'entre eux. En pratique, certes, le mécanisme de l'agrément permet aux actionnaires, voire à la société elle-même, de préempter les actions cédées lorsque le cessionnaire pressenti n'est pas agréé. En toutes hypothèses, ces clauses qui n'entraînent aucune exclusion de la société du cédant, doivent être distinguées des clauses d'acquisition qui, elles, prévoient licitement l'éviction forcée d'un actionnaire personne morale, lorsque les nouveaux titulaires de son contrôle n'auraient pas eux-mêmes été agréés (C. com., art. L. 233-3 N° Lexbase : L6306AIE), dite "cession indirecte" (CA Rouen, 17 janvier 1974 : Rev. Sociétés, sept. 1974, p. 511 ; Cass. com. 13 décembre 1994, n° 93-12.349, Consorts Bujon et autres c/ Société Etarci et autres N° Lexbase : A4430AG8).

B- Les parties à la cession : la personne du cessionnaire

Une modification importante introduite par l'ordonnance du 24 juin 2004 est la suppression de l'interdiction des clauses d'agrément entre actionnaires. Les cessions entre actionnaires peuvent, depuis son entrée en vigueur, être soumises à agrément (C. com., art. L. 228-23 N° Lexbase : L8378GQD).

En revanche, restent entièrement libres et ne peuvent être restreintes par des clauses d'agrément :

- les transmissions d'actions par suite de succession ou de liquidation du régime matrimonial (terme plus large qui a remplacé, le terme précédent de "liquidation de communauté de biens entre époux") ;
- les cessions d'actions consenties au conjoint, à un ascendant ou à un descendant.

Alors que la possibilité de telles restrictions familiales existe bel et bien dans les SARL et dans les sociétés par action simplifiée (SAS), on ne peut que regretter, que la libéralisation du domaine des clauses d'agrément n'ait pas été plus complète pour les SA (1).

A noter, toutefois, que le troisième alinéa de l'article L. 228-23 du Code de commerce fait une exception notable pour les actions détenues par des salariés de la société, afin d'éviter leur dévolution à tout membre de leur famille qui n'aurait pas cette qualité de salarié.

C- L'objet de la cession : actions et valeurs mobilières

Les alinéas 1 et 2 de l'article L. 228-23 du Code de commerce disposent que :

"Dans une société dont les titres de capital ne sont pas admis aux négociations sur un marché réglementé, la cession de titres de capital ou de valeur mobilière donnant accès au capital, à quelque titre que ce soit, peut être soumise à l'agrément de la société par une clause des viser statuts [...].
Une clause d'agrément ne peut être stipulée que si les titres sont nominatifs en vertu de la loi ou des statuts
".

Trois points principaux se dégagent, ainsi, des dispositions modifiées :

- les titres de capital de sociétés cotées ne peuvent pas faire l'objet d'une clause d'agrément, ce qui malgré l'absence de normes législatives, résultait, déjà, des dispositions réglementaires sur le fonctionnement des marchés réglementés sans être totalement exempt d'incertitude (2) ;
- de même, dans la mesure où, aux termes des nouvelles dispositions de l'article L. 211-4 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L9863GQD), des sociétés dont les titres ne sont pas cotés sur un marché réglementé peuvent émettre des titres au porteur, l'alinéa second rappelle utilement l'exigence de nomination des titres ;
- l'objet de la cession susceptible d'être soumise à un agrément, s'il continue, dans la plupart des hypothèses, à viser des actions ordinaires, est étendu, à présent, non seulement aux actions de préférence (3) mais également à l'ensemble "des valeurs mobilières donnent accès au capital", telles que par exemple, les obligations échangeables, les obligations convertibles en actions, les obligations à bons de souscriptions d'actions, les bons de souscriptions autonomes. Désormais, le contrat d'émission ne doit plus contenir les conditions et modalités d'un agrément, dès lors que les dispositions statutaires renvoient au nouveau dispositif légal.

D- La nature de la cession : les opérations visées

Il est admis que la "cession" visée par une clause d'agrément doit s'entendre de toute transmission d'action que ce soit à titre gratuit (donation) ou bien onéreux (vente, échange, apport isolé), et ce comprenant les cas de cessions, notamment, par affectation en nantissement ou vente aux enchères sur saisie.

Le terme ne semble pas viser, par contre, les apports effectués au titre d'opérations de transmission universelle de patrimoine, telles que la fusion, la scission et la confusion de patrimoines. A l'occasion de telles opérations, les deux cas de figure suivants se rencontrent le plus souvent :

- il s'agit de l'entrée au capital d'une société dont la cession des actions est soumise à agrément des actionnaires ou associés d'une personne morale actionnaire qui se trouve absorbée par ladite société. En décidant la fusion, l'assemblée générale extraordinaire des actionnaires de la société absorbante accepte que lui soit transférée l'intégralité du patrimoine de la société absorbée avec tous les droits et obligations y afférents, incluant ceux de ses actionnaires ou associés. Ce transfert universel ne saurait être remis en cause par l'organe social habilité à agréer (Bull. COB. déc. 1980, N° 132).

- le second cas de figure concerne l'agrément d'une société absorbante qui absorbe une société détenant des titres dont la cession est soumise à agrément et dont les actionnaires ou associés, par l'effet de la fusion absorption, risqueraient de voir entrer un nouvel actionnaire ou associé. La position de la jurisprudence s'est simplifiée à cet égard. Si la clause d'agrément ne vise que les cessions isolées et non la transmission universelle du patrimoine résultant, par exemple, d'une fusion, elle peut valablement faire obstacle à l'effet dévolutif de plein droit de celle ci (CA Paris, 25e ch., sect. B, 18 février 2000, n° 1999/16771, SA Finatral c/ SA Banque de Vizille N° Lexbase : A0599DC8 ; CA Chambéry, ch. com. éco. et fin., 26 novembre 2002, n° 00/01443, Sté Pernat industrie c/ Sté Banque de Viziville N° Lexbase : A4466DE7). Par contre, si la clause vise, non seulement, les cessions mais, également, d'autres opérations telles que les fusions, elle trouvera naturellement à s'appliquer (Cass. com., 6 mai 2003, n° 01-12.567, FS-P N° Lexbase : A7909BSQ).

Le sort d'une telle opération dépendra donc du degré de précision rédactionnelle de la clause, ce qui, par analogie, peut, également, valoir pour les prêts à la consommation d'actions.

La Cour de cassation a admis, par ailleurs, qu'une clause des statuts pouvait valablement stipuler un rachat des actions de la société actionnaire si cette dernière venait à voir son contrôle modifié (cas des cessions indirectes). Et de préciser, qu'en l'absence de telle stipulation seule la fraude avérée pourrait permettre de faire application à une opération de modification de contrôle d'une clause d'agrément se bornant à ne viser que les cessions d'actions de la société émettrice (Cass. com., 13 décembre 1994, n° 93-12.349, Consorts Bujon et autres c/ Société Etarci et autres N° Lexbase : A4430AG8). Il faut rappeler qu'il s'agit, alors, davantage d'une clause d'exclusion avec rachat forcé, que d'une véritable clause d'agrément.

II- La procédure d'agrément

Sachant que l'agrément nécessite en SA une clause statutaire expresse stipulée lors de la signature des statuts ou introduite, ultérieurement, par délibération d'une assemblée générale extraordinaire en cours de vie sociale, et que son insertion doit être publiée dans un journal d'annonces légales, déposée au greffe à peine d'inopposabilité aux tiers (4), sa rédaction revêtira donc une importance toute particulière.

La procédure de droit commun est fixée par l'article L. 228-24 du Code de commerce (N° Lexbase : L8379GQE) et par l'article 207 du décret n° 67-236 du 23 mars 1967 (N° Lexbase : L0729AYN).

L'agrément résulte, soit d'une notification à la société, soit de son défaut de réponse dans le délai de trois mois à compter de la demande.

A- La décision d'agrément

Sur demande d'agrément du cédant (notification par voie extra judiciaire ou par lettre recommandée avec accusé de réception), l'organe compétent pour statuer sur une telle demande (le plus souvent le conseil d'administration ou le directoire, mais aussi le conseil de surveillance voire l'assemblée générale) pourra agréer le cessionnaire en le substituant au cédant dans les droits conférés par les actions cédées aux conditions prévues dans la convention entre les deux parties, telle qu'elles lui auront été notifiées.

La cession réalisée sous condition suspensive de l'agrément sera parfaite à la date de l'agrément, sans qu'elle puisse rétroagir à une date antérieure.

Rien ne s'oppose à ce qu'un mandataire social participe au vote sur l'agrément de ses propres titres (Cass. com., 24 février 1975, n° 73-14.141, Consorts Peyrelongue c/ Castillon du Perron, publié N° Lexbase : A7085AGI, Bull. civ. IV, n° 58 p. 46) ou bien qu'un nouvel administrateur ou membre du conseil de surveillance, dans le délai légal de trois mois après sa nomination, participe à la décision sur son propre agrément comme actionnaire (ANSA mai 2001, 605).

En principe, et c'est ce qui a été jugé pour une SARL, l'agrément doit être global, sans pouvoir être limité à une partie des titres offerts cédés.

B- L'agrément tacite

L'agrément résulte également du défaut de réponse de la société dans le délai de trois mois à compter de la demande (C. com., art. L. 228-24, al. 1).

C- Le refus d'agrément

1. La décision expresse

En cas de refus d'agrément du cessionnaire proposé, "[...] le conseil d'administration, le directoire ou les gérants, selon le cas, sont tenus, dans le délai de trois mois à compter de la notification du refus, de faire acquérir les titres de capital ou valeurs mobilières donnant accès au capital, soit par un actionnaire ou par un tiers, soit, avec le consentement du cédant, par la société en vue d'une réduction du capital" (C. com., art. L. 228-24).

Seule la lettre notifiant à tous les actionnaires le refus d'agrément -et non pas la décision elle-même de l'organe compétent- peut valablement faire courir ce délai légal de trois mois (Cass. com., 18 mai 1993, n° 91-15.096, Consorts Kunegel c/ Consorts Urffer et autre, publié N° Lexbase : A5712AB8 , Bull. civ. IV, n° 102).

Dans la mesure où en cas de réduction de capital consécutif à un rachat par la société, l'éventuel gain réalisé par le cédant sera taxé en revenu mobilier (distribution de dividendes), il paraît justifié que le consentement préalable de celui ci soit requis.

2. Le rachat d'actions

Si la société n'agrée pas le cessionnaire proposé, les actions doivent être rachetées dans un délai de trois mois.

L'obligation de rachat ne confère pas aux dirigeants sociaux le droit d'évincer l'actionnaire si celui-ci renonce à vendre ses actions (Cass. com., 10 mars 1976, n ° 74-14.680, Dessallien, Renard c/ SA Catel et Farcy N° Lexbase : A3160AG7, Rev. Soc. 1976, 332).

A défaut d'accord entre les parties, le prix des actions est déterminé dans les conditions prévues à l'article 1843-4 du Code civil (N° Lexbase : L2018ABD), c'est-à-dire par un expert désigné soit par les parties, soit à défaut d'accord entre les parties, par ordonnance du président du tribunal statuant en la forme des référés et sans recours possible.

L'ordonnance du 24 juin 2004 a ajouté un point important à ce stade de la procédure d'agrément : "le cédant peut à tout moment renoncer à la cession de ses titres de capital ou valeurs mobilières donnant accès au capital".

Alors que la jurisprudence antérieure (5) le privait du droit de retirer son projet de cession dès lors qu'après un refus d'agrément il avait, néanmoins, confirmé sa volonté de transmettre ses titres et qu'il se trouvait, ainsi, obligé de respecter le prix fixé par l'expert même s'il ne lui convenait pas (6), la nouvelle rédaction prolonge l'exercice de son droit de repentir jusqu'après le dépôt du rapport d'expert, minimisant ainsi le rôle central joué par ce dernier dans le dénouement de la procédure (7).

La doctrine s'accorde, désormais, pour considérer qu'aussi bien en SA qu'en SARL, le cédant dispose de la faculté de renoncer à la cession à tout moment (8).

A noter que ce droit de repentir paraît à sens unique, dans la mesure où il n'est pas accordé aux actionnaires qui, à la suite d'un refus d'agrément, ont accepté d'acquérir les titres cédés.

Pour éviter tout abus du cédant dans l'exercice de ce droit de repentir "à tout moment" et éviter que sa décision ne risque de rester en suspens trop longtemps il pourra être prudent de l'encadrer dans les statuts par des délais (9).

Par ailleurs, la rédaction de la clause gagnera, également, à prévoir le ou les redevable (s) des frais d'expertise (société, cédant, cessionnaire, les deux...).

A l'issue du délai de trois mois, éventuellement prorogé par décision de justice, et si l'achat n'est pas réalisé, l'agrément est considéré comme donné, le cédant recouvrant alors l'entière liberté de réaliser la vente projetée, sans pour autant être fondé à exiger le rachat desdites parts par la société (Cass. com., 29 novembre 1982, n° 81-13.117, Asselin c/ SARL Zammarchi, publié N° Lexbase : A3672AG4, Bull. civ. IV n° 379 à propos d'une SARL mais transposable à la société anonyme).

D- La réalisation de la cession : le transfert de propriété

L'agrément de la cession et l'accord des parties sur la chose et sur le prix, s'ils ont bien pour effet de rendre la vente parfaite, n'emportent pas nécessairement le transfert de propriété.

En effet, l'ordonnance du 24 juin 2004 modifie le dernier alinéa de l'article L. 228-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L8356GQK) afin de poser la règle selon laquelle ce transfert "[...] résulte de l'inscription des valeurs mobilières au compte de l'acheteur dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat".

Cette dérogation au principe posé par l'article 1583 du Code civil (N° Lexbase : L1669ABG) de transfert de propriété par le seul effet de l'échange des consentements et rappelé par la Cour de cassation (Cass. com., 22 novembre 1988, n° 86-18.152, M Korzilius GMBH c/ Consorts Korzilius, publié N° Lexbase : A3966AGY, Bull. civ. IV, n° 322) avait, certes, été précédée par celles retenues par le législateur pour les cessions sur un marché réglementé ou portant sur des titres inscrits en compte chez un intermédiaire habilité participant à un système de règlement/livraison.

Toutefois, ce qui paraît justifié pour des opérations sur marché soumises à des règles sophistiquées du Code monétaire et financier peut ne pas l'être pour des cessions de titres de SA non cotées.

Dans les sociétés ne faisant pas appel public à l'épargne, aucune disposition légale ou réglementaire n'organise, en effet, la tenue des comptes titres, seule la pratique générale l'ayant de fait organisé en utilisant le régime "normal", ou le plus souvent, le régime "simplifié" prévu par le cahier des charges de l'ANSA (10).

C'est, donc, le décret annoncé qui devra s'atteler à ce vide normatif délicat à combler compte tenu des nombreux problèmes et difficultés que soulève la gestion dans le temps du transfert de propriété d'actions (11).

A défaut de publication, plus d'un an après la réforme du texte, il semble qu'il faille continuer à appliquer la règle traditionnelle du transfert de propriété solo consensu, puisque, malgré le principe de l'effet immédiat de la loi nouvelle, l'ordonnance n'est guère possible à appliquer sur ce point tant que le décret annoncé n'est pas paru (12).

E- Le non-respect de la procédure d'agrément

Les dispositions des articles L. 228-3 (N° Lexbase : L8358GQM) et L. 228-4 (N° Lexbase : L8362GQR) du Code de commerce prévoient deux cas de nullité, de degré différent.

La première nullité, qui peut être considérée comme relative, vise le cas d'inobservation de la clause statutaire, "toute cession d'actions effectuée en violation d'une clause d'agrément figurant dans les statuts est nulle" (C. com., art. L. 228-23 al..4).

L'action en nullité ne peut, donc, être exercée que par ceux dont la protection des intérêts est visée par la loi, à savoir les actionnaires dont le consentement est requis et la société, et non par les tiers, ni le cédant et/ou le cessionnaire (Cass. com., 11 février 1992, n° 89-14.596, Epoux Claden c/ Consorts Ziggelaar N° Lexbase : A3948ABT ; Cass. civ. 3, 19 juillet 2000, n° 98-10.469, Mme Navarre c/ Mme Gautron, publié, N° Lexbase : A9104AGB, Bull. civ. III, n° 151, rendu à propos d'une société civile, mais transposable aux sociétés commerciales).

Cette action se prescrit par trois ans (C. com., art. L. 235-9 N° Lexbase : L8351GQD) et peut être prononcée par le juge même en l'absence de collusion frauduleuse.

La seconde nullité peut, également, être considérée comme relative, mais elle oblige le juge éventuellement saisi de l'action en annulation à prononcer la nullité lorsqu'il a constaté l'irrégularité. Elle vise le cas où, la clause ne respecte pas les dispositions de l'article 1843-4 du Code civil, relative au recours à expertise judiciaire pour la détermination du prix, "toute clause contraire à l'article 1843-4 dudit code est réputée non écrite" (C. com., art. L. 228-24 al.2).

Le caractère d'ordre public des clauses d'agrément en SA peut, ainsi, être considéré comme limité à ce point précis, contrairement à celles applicables en SARL où les règles impératives s'étendent à l'ensemble de la procédure d'agrément (C. com., art. L. 223-14, al. 7 N° Lexbase : L3178DYD).

En SA, le caractère supplétif des autres dispositions applicables doit, ainsi, permettre plus de latitude aux statuts sociaux.

Dans les deux cas le texte n'interdit ni la régularisation postérieure ni la renonciation de l'intéressé à se prévaloir de la nullité (CA Paris, 4 juillet 1991 : Dr. Sociétés 1991n° 476).

Dans un contexte de libéralisation réelle, quoique inachevée des clauses d'agrément, où le législateur met l'accent sur l'intuitu personnae dans les SA non cotées en laissant, davantage, de champ au contractuel, est-il besoin d'insister sur l'importance d'une rédaction circonstanciée des clauses d'agrément ? Ne serait-ce que par le caractère supplétif de la plupart des dispositions modifiées, quantité d'options sont laissées au choix de la société et à la plume de leurs conseils : entrée immédiate et différée de nouveaux actionnaires, différenciation des titres à soumettre à agrément, sort d'opérations spécifiques telles que certaines fusions ou prêts à la consommation d'actions, périmètre général de l'autorisation, formes et délais d'exercice du droit de repentir du cédant et des acquéreurs, prise en charge des frais d'expertise... pour n'en citer que quelques uns.

L'exercice pourra, d'ailleurs, être réalisé lors de la mise en harmonie des statuts avec la loi qui s'avère nécessaire dans la plupart des cas pour bénéficier des nouvelles possibilités offertes par celle-ci, à l'exception peut être, de la prolongation dans le temps du droit de repentir du cédant, si l'on admet comme certains, qu'elle relève d'une disposition impérative.

Maître Guy de Foresta,
Avocat au Barreau de Lyon, cabinet Bignon Lebray et Associés


(1) B. Saintourens, "Le nouveau droit des clauses d'agrément", Rev. Sociétés n° 3 /2004, p. 611-617 ;
(2) C.Malecki,"Le remaniement du régime des clauses d'agrément par l'ordonnance n° 2004-604 du 24 juin 2004", Rec. Dalloz 2004, n° 38, p. 2775 à 2781 ;
(3) Instaurées par la même ordonnance du 24 juin 2004 ;
(4) Sauf s'ils ont pu en avoir connaissance par ailleurs, cf. Cass. com., 31 mai 2005, n° 03-10.955, Société All Suites Hôtel c/ Société Sage gestion, F-D (N° Lexbase : A5090DID) ;
(5) Cass. com., 13 octobre 1992, n° 91-10.600, M Bonhomme c/ Polyclinique de Deauville et autres, publié (N° Lexbase : A4810ABR) ; Bull. civ. IV, n° 310 p. 221 ; Cass. com., 2 juillet 1996, n° 94-13.454, Polyclinique de Deauville et autres c/ M. Bonhomme (N° Lexbase : A4810ABR), Bull. Joly 1996, p. 1031 ; H. Le Nabasque, "La force obligatoire du rapport d'expertise dans la procédure d'agrément", Dr. Sociétés, 1992, chron. p.1 ;
(6) Sous réserve des cas de dol, de violence ou d'"erreur grossière" de l'expert (voir, notamment, (Cass. com., 19 décembre 2000, n° 98-10.301, Société CCM Transports, Société à responsabilité limitée et autres c/ M. Claude Chivet N° Lexbase : A3569AUQ) ;
(7) C. Malecki, article précité ;
(8) B. Saintourens, article précité ;
(9) J.J. Uetwiller, "La modification du régime des clauses d'agrément dans les sociétés anonymes par l'ordonnance n° 2004-604 du 24 juin 2004", Le Tout Lyon en Rhône Alpes, du 13 au 19 nov. 2004 ;
(10) Communication du Trésor à l'ANSA du 29 février 1984 "Cahier des charges des émetteurs teneurs de comptes de valeurs mobilières non admises en Sicovam" ;
(11) F. Nizard, "Le transfert de propriété des valeurs mobilières : une réforme inachevée", Rev. Sociétés 2004, p. 619 ;
(12) T. Bonneau, "L'ordonnance n° 2004-604 du 24 juin 2004 portant réforme des valeurs mobilières émises par les sociétés commerciales.Son application dans le temps", Dr. Sociétés Août-septembre 2004, p. 6 à 8.

newsid:76994

Fiscalité des entreprises

[Jurisprudence] Pas de régularisation positive de la TVA sans la qualité initiale d'assujetti

Réf. : CJCE, 2 juin 2005, aff. C-378/02, Waterschap Zeeuws Vlaanderen c/ Staatssecretaris van Financiën (N° Lexbase : A4883DIP)

Lecture: 8 min

N6914AIW

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/3207507-edition-n-178-du-28072005#article-76914
Copier

par Yolande Sérandour, Professeur à la Faculté de droit de Rennes, Directrice du Master de Droit Fiscal des Affaires de Rennes et du département Droit fiscal du CDA

Le 07 Octobre 2010

Le fait de devenir assujetti à la TVA donne-t-il naissance à un droit à déduction devant produire ses effets sur des dépenses engagées avant la réalisation d'opérations dans le champ d'application de la TVA ? La CJCE n'envisage absolument pas une telle solution. Le 2 juin 2005, elle a, en effet, dit pour droit qu'"un organisme de droit public qui achète un bien d'investissement en tant qu'autorité publique, au sens de l'article 4, paragraphe 5, premier alinéa, de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme (N° Lexbase : L9279AU9), et par conséquent en qualité de non-assujetti, et qui, par la suite, vend ce bien en qualité d'assujetti ne bénéficie pas, dans le cadre de cette vente, d'un droit à régularisation fondé sur l'article 20 de cette directive, en vue d'opérer une déduction de TVA acquittée lors de l'achat dudit bien". La qualité d'assujetti acquise postérieurement à l'engagement de la dépense (1) n'efface pas l'absence de la qualité d'assujetti lors de son engagement (2).
1. La qualité d'assujetti acquise postérieurement à l'engagement de la dépense

Le Waterschap Zeeuws Vlaanderen (WZV) est un organisme de droit public néerlandais chargé de la gestion publique des eaux sur le territoire des Pays-Bas. Dans l'exercice de cette activité, le WZV agit en tant qu'autorité publique au sens de l'article 4, paragraphe 5, de la sixième directive-TVA et n'a, donc, pas la qualité d'assujetti à la TVA. Aussi, ne peut-il ni facturer de la TVA ni en déduire, du moins lorsqu'il exerce sa mission de service public de gestion de l'eau. Il a fait édifier une station de traitement des eaux usées dont il partage l'utilisation avec deux autres organismes, également de droit public néerlandais. Ces organismes ont contribué financièrement aux investissements supplémentaires nécessités par l'utilisation de l'installation par les trois structures concernées.

Depuis 1993, le WZV répercute sur les deux autres organismes la part respective des coûts du traitement centralisé des boues revenant à chacun d'entre eux sans leur facturer la TVA. Cela, avec l'accord de l'administration fiscale néerlandaise, laquelle a posé la condition suivante : que le WZV renonce au droit à déduction de la taxe acquittée en amont. Sans cet accord, la mise à disposition de la station d'épuration moyennant contrepartie eut été taxable car le WZV agissait en qualité de bailleur, comme tout entrepreneur désireux de rentabiliser ses moyens d'exploitation, et non en qualité d'autorité publique.

En décembre 1994, le WZV a constitué une fondation pour la promotion de l'environnement, laquelle devait immédiatement devenir son cocontractant en qualité d'acquéreur et de bailleur de l'installation de traitement susmentionnée. La vente et la location étaient a priori exonérées. En effet, l'article 13 de la sixième directive-TVA relatif aux exceptions au système de TVA exonère, en son point B b), notamment, l'affermage ou la location de biens immeubles et, au point B g), la livraison de bâtiments ou d'une fraction de bâtiment et du sol y attenant. L'article 13 C autorise, cependant, les Etats membres à permettre aux assujettis exonérés de droit la possibilité d'opter. Le droit néerlandais prévoit cette option, sous condition de demande commune des cocontractants.

Il précise, également, que les organismes publics doivent être traités comme des assujettis dans la mesure où cela concerne la livraison de biens immeubles et le transfert ou la création de droits à l'égard de tels biens. L'article 4, paragraphe 3, de la sixième directive-TVA autorise les Etats membres à traiter comme un assujetti celui qui réalise une simple opération ponctuelle, dont une opération immobilière. L'article 4, paragraphe 5, alinéa 2 assimile les organismes de droit public à des assujettis si le non-assujettissement "conduirait à des distorsions de concurrence d'une certaine importance".

Le WZV et la fondation ont opté pour la TVA à l'égard de la vente et de la location. Selon le WZV, l'exigibilité de la TVA sur la vente justifiait, au regard de l'article 20 de la sixième directive-TVA, la déduction partielle de la TVA ayant grevé la construction de la station de traitement. L'inspecteur des impôts a refusé la demande de WZV au motif que, lors de la livraison de l'installation, le WZV n'avait droit à aucune régularisation au titre des règles de transposition de l'article 20 susmentionné.

Saisie, la cour régionale d'appel d'Amsterdam s'est interrogée sur le point de savoir si l'acquisition de la station et son utilisation initiale uniquement en tant qu'autorité publique dépourvue de la qualité d'assujetti excluait ou non définitivement toute régularisation positive, nonobstant la vente en qualité d'assujetti. Par ailleurs, l'accord entre le WZV et l'administration fiscale néerlandaise sur la renonciation au droit à déduction moyennant la non-réclamation de la TVA sur la mise à disposition de la station pourrait, selon la juridiction néerlandaise, caractériser l'absence partielle d'affectation professionnelle de la station. Il en résulterait alors une exclusion définitive de toute régularisation.

En résumé, une personne non assujettie à la TVA perd-t-elle définitivement tout droit à régularisation positive, y compris en cas de réalisation d'une opération imposable sur le bien précédemment exclu du système de la TVA ? Ne faut-il pas traiter le non-assujetti comme l'assujetti exonéré qui peut récupérer a posteriori la TVA non déduite lors de l'engagement de la dépense s'il affecte ses moyens d'exploitation à des opérations effectivement imposables ? Enfin, une personne morale peut-elle dissocier des biens professionnels de biens non professionnels ? La complexité des problèmes soulevés par l'affaire WZV devait se traduire par les questions préjudicielles suivantes :

"1) Lorsqu'un organisme de droit public a acquis un bien d'investissement et que celui-ci fait l'objet, moyennant une contrepartie, d'une livraison à un tiers, pour laquelle l'organisme doit être considéré comme un assujetti, celui-ci peut-il, en vertu de l'article 20 (particulièrement les paragraphes 2 et 3) de la sixième directive-TVA, bénéficier de la régularisation de la taxe sur le chiffre d'affaires payée lors de l'acquisition du bien, dans la mesure où il a utilisé ce bien dans le cadre d'opérations effectuées en tant qu'autorité publique, au sens de l'article 4, paragraphe 5, de la directive-TVA ?

2) Un organisme de droit public a-t-il le droit, en vertu de la sixième directive-TVA, d'exclure complètement du patrimoine de son entreprise un bien d'investissement dont il se sert tantôt comme assujetti, tantôt comme autorité publique, à l'instar de ce que la Cour a jugé à propos des personnes physiques assujetties ?"

En réponse, le juge communautaire affirme qu'"un organisme de droit public qui achète un bien d'investissement en tant qu'autorité publique, au sens de l'article 4, paragraphe 5, premier alinéa, de la sixième directive-TVA [...], et par conséquent en qualité de non-assujetti, et qui, par la suite, vend ce bien en qualité d'assujetti ne bénéficie pas, dans le cadre de cette vente, d'un droit à régularisation fondé sur l'article 20 de cette directive-TVA, en vue d'opérer une déduction de TVA acquittée lors de l'achat de ce bien". Acquérir la qualité d'assujetti ne doit pas être confondu avec la qualité initiale d'assujetti.

2. L'absence de la qualité d'assujetti au moment de l'engagement de la dépense

La Cour de Luxembourg décide ainsi après avoir rappeler que la station d'épuration a été acquise par le WZV "afin de mener à bien sa tâche de gestion publique des eaux sur le territoire qui lui a été confié et qu'il a, dans ce cadre, agi en tant qu'autorité publique" (§ 27).

Aux termes de l'article 17, paragraphe 1, de la sixième directive-TVA, le droit à déduction prend naissance au moment où la taxe déductible devient exigible. Selon l'article 10, paragraphe 2, de cette même directive, ce moment correspond à celui où la livraison du bien est effectuée. Encore faut-il qu'à cette date, l'auteur de la dépense ait la qualité d'assujetti-redevable. En effet, l'article 17, paragraphe 2, de la sixième directive-TVA prévoit que l'assujetti est autorisé à déduire la TVA qu'il a acquittée sur des biens qui lui ont été livrés par un autre assujetti, dans la mesure où ces biens sont utilisés pour les besoins des opérations taxées qu'il effectue. Avant de s'interroger à propos de l'exercice du droit à déduction, il convient d'abord de se demander si l'intéressé a agit en qualité d'assujetti.

L'ouverture du droit à déduction dépend de la réalisation d'opérations dans le champ d'application de la TVA telles que définies par l'article 2 de la sixième directive-TVA (CJCE, 11 juillet 1991, aff. C-97/90, Hansgeorg Lennartz c/ Finanzamt München III, § 8 N° Lexbase : A7275AHW ; lire Kornprobst, note sous l'arrêt, Dr. Fisc., 1992, n° 1, comm. 45 ; RJF 10/91, 1325 ; Adde, Yolande Sérandour, Le droit à déduction de la TVA en jurisprudence communautaire, JCP, éd. E., 1999, p. 1954). L'exercice d'une activité hors du champ d'application de la TVA exclut tout le système de la TVA, dont le droit à déduction. Aussi, les collectivités publiques et les organismes assimilés ne disposent-ils d'aucun droit à déduction de la TVA ayant grevé leurs dépenses lorsqu'ils agissent en tant qu'autorités publiques au sens de l'article 4, paragraphe 5, de la sixième directive-TVA . Telle était la situation du WZV.

Cependant, si un non-assujetti à la TVA devient, ultérieurement, partiellement assujetti, ne convient-il pas de réexaminer l'exclusion initiale du droit à déduction ? En l'espèce, le WZV a réalisé une opération dans le champ effectivement imposable par la cession de sa station d'épuration. Auparavant, il réalisait déjà des opérations dans le champ, mais exonérées par l'administration fiscale en mettant ses installations au service de tiers moyennant rémunération. Cette situation ne résiste pas au libellé de l'article 20, paragraphe 1, de la sixième directive-TVA en ce qu'il se réfère au droit à déduction initiale. En effet, ce texte prévoit que "la déduction initialement opérée est régularisée suivant les modalités fixées par les Etats membres, notamment : a) lorsque la déduction est supérieure ou inférieure à celle que l'assujetti était en droit d'opérer ; b) lorsque des modifications des éléments pris en considération pour la détermination du montant des déductions sont intervenues postérieurement à la déclaration [...]".

Au point 12 de l'arrêt "Lennartz" précité, la CJCE avait déjà tiré les conséquences de ce texte en affirmant qu'"il résulte du système de la sixième directive-TVA et du libellé même de l'article 20, paragraphe 2, que cette dernière disposition se borne à établir le mécanisme permettant de calculer les régularisations de la déduction initiale. Elle ne saurait donc donner naissance à un droit à déduction ni transformer la taxe acquittée par un assujetti en relation avec ses opérations non taxées en une taxe déductible au sens de l'article 17". La circonstance que l'affaire précitée concernait un particulier, et non un organisme public, ne change rien (arrêt WZV, § 39). En droit, la question porte sur la qualité d'assujetti de l'auteur de la dépense au moment de son engagement. Particulier ou organisme public, peu importe. Les articles 2, 17 et 20 ne s'attachent qu'à la qualité d'assujetti, sans distinguer entre non-assujettis. Le juge ne saurait distinguer là où la loi ne distingue pas. L'assujettissement ultérieur à la TVA n'emporte de conséquences que pour l'avenir, non pour le passé.

La CJCE balaie également l'argument tiré de l'existence d'une distorsion de concurrence. L'impossibilité de déduire la TVA d'amont place les organismes publics dans la situation d'un consommateur final. Un opérateur privé pourrait, certes, récupérer la TVA d'amont. Cependant, ce risque résulte directement de la sixième directive-TVA, laquelle s'impose au juge. Au demeurant, l'inégalité présuppose une concurrence effective. Or, en l'espèce, le WZV n'avait pas de concurrent en matière de gestion publique des eaux sur le territoire des Pays-Bas.

newsid:76914

Entreprises en difficulté

[Textes] La réforme des procédures collectives : commentaire de la loi de sauvegarde des entreprises (2ème partie)

Réf. : Loi du 26 juillet 2005, n° 2005-845, de sauvegarde des entreprises (N° Lexbase : L0828HDZ)

Lecture: 20 min

N6495AKR

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/3207507-edition-n-178-du-28072005#article-86495
Copier

Le 07 Octobre 2010

(cf. La réforme des procédures collectives : commentaire de la loi de sauvegarde des entreprises (1ère partie N° Lexbase : N6990AIQ) ; (3ème partie N° Lexbase : N6499AKW) ; et )
II - Procédure de sauvegarde

27 - Le législateur, autorise le débiteur, et lui seul, à se placer sous la sauvegarde de la justice s'il rencontre des "difficultés, qu'il n'est pas en mesure de surmonter, de nature à le conduire à la cessation des paiements". Le débiteur n'est pas encore en état de cessation des paiements, mais, si aucune mesure n'est prise, il le sera mécaniquement, par le seul écoulement du temps. Cette faculté de se placer sous la sauvegarde de la justice doit permettre de traiter les difficultés dès qu'elles apparaissent, sans attendre une situation plus préoccupante. La sauvegarde n'est pas applicable à une entreprise en état de cessation de paiements.

28 - La sauvegarde commence par une période d'observation. Le chef d'entreprise n'est jamais dessaisi de l'administration de ses droits. C'est l'une des idées clés de la sauvegarde, qui tend à responsabiliser, par la confiance, le dirigeant. L'administrateur n'aura ici qu'une mission de surveillance ou d'assistance alors que, dans le redressement judiciaire, la mission de surveillance n'existe plus, seule étant possible les missions d'assistance ou de représentation. En deçà de certains seuils fixés par décret, le tribunal pourra décider de ne pas nommer d'administrateur.

Le jugement ouvre une période d'observation d'une durée maximale de six mois, qui peut être renouvelée une fois par décision motivée à la demande de l'administrateur , du débiteur ou du ministère public. Elle peut, en outre, être exceptionnellement prolongée à la demande du ministère public par décision motivée du tribunal pour une durée fixée par décret en Conseil d'Etat.

La procédure de sauvegarde est une véritable procédure collective avec tous ses attributs classiques : soumission des créanciers antérieurs à une discipline collective avec arrêt des poursuites individuelles et obligation corrélative de déclarer les créances au passif, interdiction des paiements des créances antérieures, arrêt du cours des intérêts et des inscriptions. Le transfert de l'essentiel des règles du redressement judiciaire à la procédure de sauvegarde est suffisamment démonstratif pour que cette procédure s'analyse en un "redressement judiciaire anticipé" (18). A cet égard, cependant, par rapport au redressement judiciaire de la loi de 1985, il y a des différences majeures. L'entreprise en sauvegarde n'est pas à vendre, aucun plan de cession n'est envisageable. La procédure de licenciement de droit commun devra ici être respectée, contrairement aux solutions retenues en matière de redressement judiciaire.

29 - La procédure de sauvegarde est à deux vitesses. Il y a une procédure de droit commun qui emprunte la quasi-totalité de ses règles au plan de continuation, tant au stade de l'élaboration, qu'à celui de son exécution. La seule nouveauté à signaler est la consultation des créanciers non par le représentant des créanciers, mais par l'administrateur judiciaire. Mais, il existe également une procédure spécifique pour les grandes entreprises, les seuils en chiffres d'affaires et en nombre de salariés devant être fixés par décret (C. com., art. L. 626-29, al. 1). Dès lors que l'entreprise dépasse l'un des deux seuils alternatifs fixés par décret, des comités de créanciers doivent impérativement être constitués pour l'élaboration du plan de sauvegarde.

Sur demande de l'administrateur judiciaire ou du chef d'entreprise, présentée par requête au juge commissaire, les entreprises n'atteignant pas les seuils fixés par décret seront néanmoins accessibles à la procédure de sauvegarde avec instauration de comité de créanciers (C. com., art.L. 626-29, al. 2), si leurs comptes sont approuvés par un commissaire aux comptes ou établis par un expert-comptable. Malgré la présentation des textes qui laisse apparaître la procédure de sauvegarde avec comité de créanciers comme exceptionnelle, il a été dit, compte tenu de la passerelle possible, que "la création des comités de créanciers devrait constituer désormais la règle, l'absence desdits comités l'exception" (19).

30 - Dans les procédures avec comités de créanciers, il appartient à l'administrateur judiciaire de constituer deux comités de créanciers, et cela dans les 30 jours de l'ouverture de la procédure collective. Dans le premier comité, se trouvent les établissements de crédit, au sens de l'article L. 511-1 du Code monétaire et financier ([LXB=L9477DYN ]). Dans le second comité, sont placés les principaux fournisseurs de biens ou de services de l'entreprise. Est un principal fournisseur celui qui détient une créance au moins égale à 5 % des créances des fournisseurs. Les petits créanciers fournisseurs peuvent être sollicités par l'administrateur pour faire partie des comités ; mais ils peuvent refuser.

31 - Dans les soixante jours de la constitution des comités, lors de l'ouverture de la procédure, le chef d'entreprise doit consulter les comités de créanciers. A la demande du débiteur ou de l'administrateur, le juge commissaire peut accorder un renouvellement de ce délai, une seule fois (C. com., art. L. 626-30, al. 2). Après discussion avec le débiteur et l'administrateur judiciaire les comités se prononcent sur ce projet, le cas échéant modifié, au plus tard dans un délai de trente jours , non prorogeable (20), après la transmission des propositions du débiteur.

32 - La décision est prise par chaque comité à une double majorité. Il faut qu 'il y ait, d'abord, une majorité absolue de créanciers. Est exigée, ensuite, une majorité qualifiée en montant de créances, représentant au moins les deux tiers du montant des créances tel qu'il a été indiqué par le débiteur et certifié par son commissaire aux comptes ou, lorsqu'il n'en a pas été désigné, établi par son expert-comptable .

La loi de la majorité s'imposera aux créanciers, membres des comités, qui n'auront pas accepté les propositions du débiteur.

33 - Le vote favorable des deux comités créanciers aux propositions contenues dans le projet de plan ne suffira cependant pas à l'adoption de celui-ci. En effet, le tribunal devra vérifier que les intérêts des créanciers sont suffisamment protégés (C. com., art. L. 626-31). Il s'agit là des créanciers membres des comités qui n 'auraient pas accepté les propositions de plan (21) et qui se les verraient nécessairement imposées en cas d'adoption du plan. Mais il s'agit aussi des créanciers hors comité .

34 - En l'absence de propositions acceptées par les deux comités, dans les délais fixés par le plan, la procédure classique d'adoption du plan de sauvegarde sera respectée .

35 - Parallèlement à la consultation des comités, les créanciers hors comités, dont les créanciers sociaux et fiscaux, sont consultés individuellement. La loi transforme les créanciers publics en partenaires de l'entreprise. Les administrations financières peuvent remettre l'ensemble des impôts directs, mais non des impôts indirects perçus au profit de l'Etat et des collectivités territoriales ainsi que des produits divers du budget de l'Etat dus par le débiteur.

Le périmètre des remises de dettes sociales sera fixé par décret, car des négociations avec les partenaires sociaux s'imposent, notamment, sur la question du maintien des droits sociaux des salariés, alors que les cotisations sont remisées (22).

Les remises ne seront accordées par les créanciers publics que dans la mesure où les autres créanciers consentiront des efforts. Le texte de l'article L. 626-4-1 du Code de commerce énonce en ce sens que ces remises seront faites "concomitamment à l'effort consenti par d'autres créanciers". Il est clair, au regard des travaux parlementaires, que les efforts consentis par les créanciers publics n'auront pas à être strictement alignés sur ceux des créanciers privés (23).

36 - Pour faciliter l'exécution du plan, la loi nouvelle prévoit une suspension automatique de l'interdiction d'émettre des chèques, là où la loi antérieure prévoyait la faculté pour le tribunal, saisi par le débiteur, de suspendre l'interdiction.

La loi nouvelle confie au commissaire à l'exécution du plan la mission de répartir les dividendes du plan. En cas de non-paiement, les créanciers ne disposent plus individuellement de la possibilité d'agir en exécution forcée des dividendes du plan . Ils ne peuvent que s'adresser au commissaire à l'exécution du plan qui agira à cette fin contre le débiteur.

La loi nouvelle (C. com., art. L. 626-25, al. 3) reprend à son compte la création prétorienne de la Cour de cassation qui autorise le commissaire à l'exécution du plan à engager des actions en responsabilité contre des tiers. Le commissaire à l 'exécution du plan devient ainsi légalement un organe de défense de l'intérêt collectif des créanciers, continuant en cela la mission du mandataire judiciaire.

A - Modification du plan de sauvegarde

37 - La modification du plan ne sera pas toujours possible. Si elle reste envisageable lorsque le plan n'aura pas été adopté à la suite d'un vote favorable des comités de créanciers, en revanche, la modification du plan devient impossible si le plan a été arrêté après vote favorable des comités de créanciers (C. com., art. L. 626 -31, al. 2). Cette dérogation à la possibilité de modification du plan est justifiée par la considération que le "plan arrêté par les comités de créanciers devrait être, par principe, plus favorable au débiteur que ne l'est le plan arrêté dans les conditions de droit commun" (24).

B - Inexécution du plan

38 - Si la cessation des paiements n'est pas constatée, le tribunal conserve, comme sous l'empire de la législation antérieure, lorsqu'il était confronté à une demande de résolution du plan de continuation, sa liberté d'appréciation. Il "peut", énonce le texte (C. com., art. L. 626-27-I, al. 1), prononcer la résolution du plan. Cette appréciation sera fonction de la gravité du manquement constaté. Pas plus que par le passé, il n'est distingué selon le type d'engagements inexécutés. Il pourra donc s'agir d'engagements financiers, tels que le non-paiement de dividendes du plan, mais encore d'engagements sociaux, stratégiques, économiques ou juridiques (25). Lorsque la cessation des paiements du débiteur est constatée au cours de l'exécution du plan , le tribunal est lié et doit prononcer la résolution (C. com., art. L. 626-27-I, al . 2) et la liquidation judiciaire.

C - Clôture du plan de sauvegarde.

47 - Sous l'empire de la législation antérieure à la loi de sauvegarde des entreprises , la fin du plan de continuation n'était pas officialisée par une décision de justice . Il n'y avait pas clôture des opérations de plan. Innovant, l'article 626-28 du Code de commerce prévoit que "quand il est établi que les engagements énoncés dans le plan ou décidés par le tribunal ont été tenus, le tribunal [...] constate que l'exécution du plan est achevée". Il est ainsi prévu une clôture des opérations du plan de sauvegarde .

L'absence de clôture du plan de continuation, sous l'empire de la législation antérieure , privait le chef d'entreprise des moyens légaux de faire disparaître, dans les registres du greffe, au registre du commerce et des sociétés ou au répertoire des métiers, la mention de l'existence d'un plan en cours, préjudiciable à l'image de l'entreprise (26).

III - Redressement judiciaire

48 - La sauvegarde emprunte l'essentiel de ses règles au redressement judiciaire de la législation antérieure. Par effet réflexe, les règles de la sauvegarde sont déclarées applicables au redressement judiciaire. Contentons nous, en conséquence , d'indiquer les règles spécifiques au redressement judiciaire ainsi que les règles nouvelles du redressement judiciaire par rapport à la législation antérieure.

L'ouverture du redressement judiciaire suppose l'état de cessation des paiements . La distinction régime général et régime simplifié est formellement supprimée. En revanche, la désignation d'un administrateur judiciaire, comme par le passé, est obligatoire à partir de seuils qui seront précisés par décret. Si un administrateur est nommé, il aura soit une mission d'assistance soit une mission de représentation . La mission de surveillance disparaît.

La loi a consacré législativement la possibilité de clôture de la procédure de redressement judiciaire par extinction du passif. En ce sens, l'article L. 631-16 , alinéa 1, prévoit que, à tout moment de la période d'observation, le tribunal peut mettre fin à celle-ci s'il apparaît que le débiteur dispose des sommes suffisantes pour désintéresser les créanciers et acquitter les dettes et frais afférents à la procédure.

L'élaboration du plan obéit aux règles de la sauvegarde. La consultation individuelle des créanciers est l'oeuvre de l'administrateur, non du représentant des créanciers . Les comités de créanciers seront constitués dans les conditions de la sauvegarde . Les créanciers publics pourront faire des remises en principal. La modification du plan ne sera possible que s'il n'a pas été arrêté avec l'instauration de comités de créanciers. Le plan sera résolu dans les conditions de la sauvegarde et la résolution produira les mêmes effets. Le plan pourra faire l'objet d'une clôture.

49 - Dans la version originale du projet de loi, l'idée avait été avancée de déplacer en phase liquidative la possibilité d'arrêter un plan de cession. Au cours de la discussion parlementaire, la solution a été partiellement repensée pour tenir compte des objections formulées par les professionnels administrateurs judiciaires. Finalement , l'arrêté d'un plan de cession demeure possible en phase de redressement. En ce cas , le plus souvent, après arrêté du plan, une liquidation judiciaire sera prononcée pour réaliser les actifs résiduels du débiteur. Il s'agit d'une véritable liquidation judiciaire résiduelle qui n'existe pas dans la législation antérieure. Mais, est également envisageable l'arrêté d'un plan de cession en situation de liquidation judiciaire. En cette phase, la nomination d'un administrateur judiciaire est possible .

Le décret devra adapter les modalités de publicité sur l'entreprise dont la cession est envisagée, en fonction de la taille de l'entreprise et de la nature des biens à vendre.

Des précisions ont été apportées sur la notion de tiers susceptibles de présenter des offres de cession. Les contrôleurs perdent ce droit. En outre, il est fait interdiction aux personnes ne pouvant présenter d'offres de cession d'acquérir dans les cinq années suivant la cession tout ou partie des biens dépendant de la liquidation, directement ou indirectement, ainsi que d'acquérir des parts ou actions de toute société ayant dans son patrimoine directement ou indirectement tout ou partie de ces biens. Ainsi , sont évitées les conventions de portage que l'on rencontre en pratique. En revanche , le tribunal peut autoriser la cession à l'une des personnes interdites de présentation d'offres, à l'exception des contrôleurs, par un jugement spécialement motivé, après avoir recueilli l'avis du ministère public et demandé celui des contrôleurs.

Les offres doivent être rédigées avec plus de précision que par le passé, spécialement sur les aspects financiers : l'offre doit indiquer la qualité des apporteurs de capitaux et, le cas échéant, de leurs garants. Si l'offre propose un recours à l'emprunt, elle doit en préciser les conditions, en particulier de durée.

Le tribunal retient l'offre qui permet dans les meilleures conditions d'assurer le plus durablement l'emploi attaché à l'ensemble cédé, le paiement des créanciers et qui présente les meilleures garanties d'exécution. La présence du ministère public est exigée à partir de seuils en chiffre d'affaires ou en nombre de salariés, que fixera le décret.

Dans le redressement judiciaire, les compétences se répartissent comme suit : l 'administrateur judiciaire est chargé de recueillir les offres de reprise, de préparer le plan, d'informer le tribunal, de notifier les licenciements et de passer l'ensemble des actes nécessaires à la cession ; le mandataire judiciaire est chargé de donner son avis jusqu'à la cession, puis d'en recevoir le prix afin de procéder à sa répartition entre les créanciers en fonction de leur rang. Cela se justifie pleinement par le caractère liquidatif de la cession, qui implique la réalisation d'actifs du débiteur (27). Afin d'éviter toute ambiguïté sur cette répartition des rôles, il est précisé que l'administrateur reste en fonction pour passer les actes nécessaires à la réalisation de la cession.

A défaut d'administrateur, en cas de plan de cession arrêté en liquidation, le liquidateur prépare le plan, passe les actes nécessaires à sa réalisation, en reçoit et en distribue le prix. En présence d'un administrateur, la répartition des tâches , telle qu'elle existe en redressement judiciaire, s'applique.

Pour le surplus, les règles anciennes subsistent, notamment, la cession judiciaire des contrats, la fixation par le tribunal d'une quote-part du prix de cession ou encore transfert de la charge des sûretés grevant les biens cédés.

IV - La liquidation judiciaire

A - Prononcé et effets de la liquidation judiciaire

50 - La loi nouvelle, tenant compte de l'importance quantitative des liquidations judiciaires, et spécialement des liquidations judiciaires immédiates, adopte un dispositif propre à la liquidation judiciaire.

Alors que le texte antérieur visait deux critères, la cessation de l'activité ou le redressement manifestement impossible, le texte nouveau (C. com., art. L. 640 -1, al. 1) se contente de viser le redressement manifestement impossible. En réalité , les critères ne s'en trouvent pas modifiés car, si l'activité a cessé, le redressement est manifestement impossible.

Les objectifs de la liquidation judiciaire sont précisés. Elle est destinée à mettre fin à l'activité de l'entreprise ou à réaliser le patrimoine du débiteur par une cession globale ou séparée de ses droits et de ses biens.

51 - Alors que la législation antérieure restait muette sur la question, l'article L. 641-9-III nouveau prévoit l'interdiction pour le débiteur, personne physique, d 'exercer, au cours de la liquidation judiciaire, l'une des activités qui aurait rendu applicable la liquidation judiciaire. S'il désire exercer une activité professionnelle , il doit être salarié. Son salaire, sous réserve de la fraction insaisissable sera évidemment saisissable par le liquidateur, mais aussi par les créanciers postérieurs ayant le droit d'être payés à l'échéance. Cette disposition n'est pas présentée comme une sanction, mais plutôt comme une mesure de protection du débiteur (28). En effet , le principe d'unité du patrimoine interdisant l'ouverture de deux procédures collectives , en cas de difficultés rencontrées dans l'exercice de la seconde activité, l'intéressé ne pourrait pas bénéficier d'une protection accordée par la procédure collective (29).

52 - La loi nouvelle, pour tenir compte de l'importance des difficultés procédurales liées à la perte de qualité du dirigeant social, par l'effet du prononcé de la liquidation judiciaire, pose une règle nouvelle, qui se veut simplificatrice, en faisant preuve , selon l'une des caractéristiques du texte, d'un grand pragmatisme. En ce sens, l 'article L. 641-9-II, alinéa 1, du code énonce que "lorsque le débiteur est une personne morale, les dirigeants sociaux en fonction lors du prononcé de la liquidation judiciaire le demeurent sauf disposition contraire des statuts ou décision de l'assemblée générale". Le texte (al. 2) prend le soin de préciser que "le siège social est réputé fixé au domicile du représentant légal de l'entreprise ou du mandataire désigné". Cette précision permet de déterminer le lieu de notification des actes qui intéressent les droits du débiteur non soumis au dessaisissement, spécialement ses droits propres .

53 - La loi nouvelle prévoit un nouveau cas de maintien de l'activité en liquidation judiciaire : l'hypothèse où serait envisageable une cession totale ou partielle de l'entreprise (C. com., art. L. 641-10, al. 1). La solution est justifiée par la possibilité d'arrêter un plan de cession, en liquidation judiciaire.

Les solutions sont globalement reprises par la loi nouvelle. Il appartient, par principe, au liquidateur d'assurer l'administration de l'entreprise. C'est le liquidateur qui peut exiger l'exécution des contrats en cours ou encore procéder aux licenciements . Par dérogation, lorsque le nombre de salariés où le chiffre d'affaires est supérieur à des seuils fixés par décret ou, en cas de nécessité, le tribunal désigne un administrateur judiciaire pour administrer l'entreprise.

B - Réalisation des actifs

54 - La loi nouvelle pose une obligation de publicité préalable avant toute cession d'entreprise ou réalisations d'actifs. Bien qu'il s'agisse a priori d'une question de nature réglementaire, son importance a justifié que certains principes soient posés dans la loi, afin d'encadrer la rédaction du décret (30).

55 - La vente de gré à gré des immeubles et celle des meubles n'est plus ordonnée par le juge-commissaire, mais seulement autorisée, contrairement à la vente aux enchères qui, quant à elle, est ordonnée. Cette substitution terminologique a pour objet d 'écarter la jurisprudence qui considère que la vente de gré à gré est parfaite dès la décision du juge-commissaire ordonnant la cession. Désormais, pour les ventes d'immeubles ou de meubles, seul l'acte de vente emportera perfection de la vente (31).

C - Liquidation judiciaire simplifiée

56 - L'une des innovations majeures de la réforme tient à la création d'une liquidation judiciaire simplifiée. Cette procédure pourrait être appliquée à environ la moitié des entreprises faisant l'objet d'une procédure de liquidation judiciaire (32). L 'idée est ici d'adapter à la faible importance de l'actif exclusivement mobilier au demeurant facile à réaliser, et pour des entreprises de petite taille, une procédure de liquidation permettant dans un délai raisonnable de réaliser l'actif, de payer les créanciers et de mettre fin à l'activité du débiteur afin de lui permettre d 'exercer à nouveau sa capacité d'entreprendre, si le tribunal n'estime pas nécessaire de prononcer à son encontre une mesure emportant interdiction de gérer (33).

Il y a place à liquidation judiciaire simplifiée sous trois conditions négatives cumulatives : l'absence d'immeuble à réaliser, le non-dépassement d'un certain nombre de salariés, le non-dépassement d'un certain chiffre d'affaires, ces deux derniers critères devant être précisés par décret. En cas de réouverture de la procédure de liquidation judiciaire, s'il ne subsiste au titre des actifs recouvrés qu'une somme d'argent, il y a place à utilisation de la liquidation judiciaire simplifiée, indépendamment de la taille de l'entreprise.

Si la procédure de liquidation est immédiate, le tribunal ne sera pas nécessairement en mesure de savoir si ces critères existent ou non. C'est pourquoi l'article L. 641 -2, alinéa 1, prévoit que le liquidateur devra établir un rapport dans le mois du prononcé de la liquidation judiciaire, afin que le tribunal puisse statuer.

Lorsque les critères d'application de la procédure de liquidation judiciaire simplifiée seront réunis, le tribunal pourra décider d'appliquer cette procédure. Elle présente des intérêts notables pour le débiteur, qui pourra reprendre plus rapidement une activité indépendante, mais aussi pour ses créanciers, qui obtiendront plus rapidement les fonds, du fait de l'accélération des procédures de répartitions induites par l'accélération des procédures de réalisations d'actifs.

Cependant, si une complication surgit, qui peut tenir, par exemple, à l'existence d'un contentieux en cours, ou à des actifs difficiles à recouvrer pour l'entreprise débitrice, les délais de clôture ne pourront plus être tenus. C'est pourquoi le législateur a prévu une possibilité de passerelle entre le régime de la liquidation judiciaire simplifié et celui de la liquidation judiciaire générale.

57 - Dans la liquidation judiciaire du régime général, le juge-commissaire ordonne la vente aux enchères publiques ou autorise la vente de gré à gré des biens meubles . Dans la liquidation judiciaire simplifiée, l'intervention du juge-commissaire n 'est plus requise pour la vente des meubles. C'est le liquidateur qui procède aux ventes de gré à gré ou aux enchères publiques dans les trois mois de la publication du jugement de liquidation judiciaire au Bodacc (C. com. art. L. 644-2, al. 1). A l'issue du délai de trois mois, les biens non encore vendus sont obligatoirement réalisés aux enchères publiques (C. com. art. L. 644-2, al. 2). Il n'y avait, en l'état du texte adopté à l'Assemblée nationale, aucun contrôle juridictionnel sur les ventes, ce qui était curieux au regard de l'évolution générale de la matière . La commission des lois du Sénat (34), tenant compte de cette critique (35), a proposé un amendement qui a été adopté obligeant le tribunal à déterminer les biens qui seront susceptibles d'être vendus de gré à gré dans le délai de trois mois du prononcé de la liquidation judiciaire.

58 - La vérification des créances est très allégée en liquidation judiciaire simplifiée . Plutôt qu'une dispense de vérification des créances, il s'agit d'une obligation limitée de vérification des créances. Il ne sera procédé à la vérification que des seules créances susceptibles de venir en rang utile dans les répartitions. Cependant , les créances salariales doivent obligatoirement être vérifiées.

59 - La loi nouvelle (C. com., art. L. 644-4, al. 1) prévoit utilement l'établissement d'un projet de répartition, calé sur la technique de l'ordre. Le liquidateur devra déposer son projet de répartition au greffe du tribunal qui a ouvert la procédure . Ce dépôt fait l'objet d'une publicité, comme en matière d'ordre. Les créanciers peuvent en prendre connaissance et le contester sous la forme d'une requête en contestation du projet de répartition, qui devra être présentée dans un délai à préciser par le décret. A défaut de contestation ou une fois celle-ci tranchée, le liquidateur procédera aux répartitions. Dans le premier cas, la réparation sera conforme au projet. Dans le second, elle sera conforme à la décision judiciaire rendue à la suite de la contestation (C. com., art. L. 644-4, al. 4).

D - Clôture de la procédure de liquidation judiciaire

60 - L'une des idées forces de la loi nouvelle est d'accélérer la clôture de la procédure. Le but recherché est de "permettre au débiteur d'exercer son droit à un nouveau départ, et par conséquent favoriser l'initiative entrepreneuriale en France" (36). L'article L. 643- 9, alinéa 1, oblige, en ce sens, le tribunal, dans le jugement qui ouvre ou prononce la liquidation judiciaire, à fixer le délai au terme duquel la clôture de la procédure devrait être examinée. En outre, l'article L. 643-9, alinéa 1, envisage la possibilité d'une prorogation de ce délai, si la clôture ne peut être prononcée dans le délai imparti. Le tribunal devra statuer par une décision motivée .

Il faut cependant coordonner la volonté d'aller vite en liquidation judiciaire avec la technique de la cession d'entreprise. Il faut donc s'assurer, avant de prononcer la clôture, que le cessionnaire a rempli toutes les obligations souscrites. Dans cette hypothèse, la clôture de la liquidation judiciaire se trouvera nécessairement retardée.

61 - La clôture de la liquidation judiciaire simplifiée pourra intervenir beaucoup plus vite. C'est en ce sens que l'article L. 644-5 du code prévoit que le tribunal sera, par principe, saisi aux fins d'examen de la clôture de la procédure au plus tard un an après l'ouverture de la procédure, sans que le texte ne distingue selon que la procédure a débuté par un redressement ou une liquidation judiciaire. Le tribunal a la possibilité, par un jugement motivé, de prolonger la procédure pour une durée ne pouvant excéder trois mois. Il peut enfin passer de la procédure simplifiée à la procédure normale.

62 - La loi nouvelle maintient le principe d'interdiction des reprises des poursuites individuelles après clôture de la procédure pour insuffisance d'actif. Les articles L. 643-11-I à L. 642-11-IV énoncent les exceptions à ce principe. Reprenant les anciennes , il supprime en revanche le cas du prononcé d'une interdiction de gérer. Il ajoute un cas : celui d'une procédure ouverte en tant que procédure territoriale au sens du paragraphe 2 de l'article 3 du règlement (CE) n° 1346/2000 du Conseil du 29 mai 2000 relatif aux procédures d'insolvabilité (N° Lexbase : L6914AUM). Il étend l'hypothèse des créances résultant d'une condamnation pénale, en supprimant le cantonnement aux infractions étrangères à l'activité professionnelle du débiteur.

La reprise des poursuites n'est plus cantonnée aux créanciers dont la créance a été admise au passif. La solution que nous avions proposée a été purement et simplement adoptée par le texte issu de la loi de sauvegarde des entreprises, qui prévoit (C . com., art. L. 643-11-V) que les créanciers dont la créance n'a pas été vérifiée , recouvrent l'exercice individuel de leurs actions contre le débiteur dans les conditions de droit commun (37).

C - Réouverture de la procédure

63 - Sous l'empire de la législation antérieure à la loi nouvelle, la demande de réouverture n'appartient qu'au créancier, antérieur ou postérieur au jugement d'ouverture . Par hypothèse, le liquidateur a cessé ses fonctions. Il n'a donc pas qualité pour solliciter la réouverture. La loi nouvelle a considérablement élargi le droit de saisine. L'article L. 643-13, alinéa 2, prévoit que le tribunal, qui peut se saisir d'office, peut aussi être saisi par le liquidateur précédemment désigné, par le ministère public ou par tout créancier intéressé.

Pierre-Michel Le Corre
Professeur agrégé des Universités
Directeur du Master droit de la banque de la faculté de droit de Toulon
Formateur - Consultant

newsid:86495

Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] Harcèlement moral d'un agent administratif : position de la Chambre criminelle

Réf. : Cass. crim., 21 juin 2005, n° 04-86.936, Lapeyre Jean-Noël, F-P+F (N° Lexbase : A9438DIE)

Lecture: 9 min

N7128AIT

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/3207507-edition-n-178-du-28072005#article-77128
Copier

par Floriane Di Salvo, Avocate au sein du cabinet Fromont, Briens et associés

Le 07 Octobre 2010

Depuis l'entrée en vigueur de la loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002 (N° Lexbase : L1304AW9) qui a fait du harcèlement moral un délit pénal, rares sont les décisions des juridictions répressives statuant sur ce délit, par rapport aux nombreux litiges prud'homaux pour lesquels le harcèlement moral est souvent invoqué dans les prétoires. L'arrêt rendu le 21 juin 2005 par la Chambre criminelle donne ainsi l'occasion d'analyser la manière dont les juridictions répressives appréhendent le délit de harcèlement moral et ses éléments constitutifs. Ce délit fait l'objet de deux sanctions pénales différentes : l'une prévue par le Code du travail (prévoyant une peine d'emprisonnement d'un an et une amende de 3 750 euros), l'autre prévue par le Code pénal (prévoyant une peine d'emprisonnement d'un an et une amende de 15 000 euros), en donnant toutefois une définition identique des agissements constitutifs de harcèlement moral. Le champ d'application du texte pénal est toutefois plus vaste que celui issu du Code du travail : l'article 222-33-2 du Code pénal (N° Lexbase : L1594AZ3) a vocation à s'appliquer à autrui, tandis que l'article L 122-49 du Code du travail (N° Lexbase : L0579AZH) vise à protéger les salariés. En l'espèce, la plaignante n'avait pas d'autre choix que d'agir sur le fondement du Code pénal, étant donné son statut d'agent administratif. Quelle appréciation est faite de la notion de harcèlement moral par la Chambre criminelle, au travers des concepts de droit pénal ?
Décision

Cass. crim., 21 juin 2005, n° 04-86.936, Lapeyre Jean-Noël, F-P+F (N° Lexbase : A9438DIE)

Rejet (CA de Riom, Chambre correctionnelle, 4 novembre 2004)

Mots-clefs : harcèlement moral ; éléments constitutifs

Lien bases :

Résumé

Caractérisation du délit de harcèlement moral commis par le maire d'une commune au préjudice d'une secrétaire de mairie.

Faits

Une employée municipale a porté plainte pour harcèlement moral contre le maire de la commune pour des faits commis entre le mois de mars 2001 et le mois d'août 2002, consistant dans :
- le refus d'harmoniser son statut avec les dispositions légales relatives aux 35 heures et à l'aménagement du temps de travail ;
- son exclusion temporaire pour trois jours ;
- la réduction de son temps de travail de 7 heures à 3 heures hebdomadaires ;
- la modification unilatérale de ses horaires de travail, l'empêchant notamment de remplir ses fonctions dans une autre mairie ;
- les entraves apportées à l'accès à son lieu de travail (changement des serrures) et à ses outils de travail (notamment par le changement du mot de passe de son ordinateur) ;
- les reproches injustifiés sur son travail ;
- les réflexions désobligeantes et répétitives ;
- le non-paiement de ses salaires depuis le mois de juillet 2002.

La cour d'appel de Riom a retenu l'infraction de harcèlement moral, en considérant que le délit de harcèlement moral était constitué pour les faits s'étant déroulés entre l'entrée en vigueur de la loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002, et le mois d'août 2002, dans la mesure où "par leur répétition et leur gravité, [ces]agissements prohibés, causes de dégradation des conditions de travail de [la victime] sont suffisamment établis ; que ces mesures [...] vexatoires, injustes et tout à fait inappropriées qui ne trouvent leur justification que dans la volonté bien arrêtée [du maire] de se séparer d'une secrétaire de mairie qui ne lui convenait plus [...] portent indubitablement atteinte à la dignité de la victime [...] et à ses droits".

Le maire faisait notamment grief à la Cour d'avoir excédé son pouvoir en se fondant sur les faits postérieurs à ceux énoncés dans sa saisine, et de pas avoir caractérisé l'élément intentionnel de l'infraction.

Solution

La cour d'appel n'a pas excédé sa saisine.

Par son appréciation souveraine, elle a "caractérisé le délit retenu dans tous ses éléments constitutifs, tant matériels qu'intentionnel, dès lors qu'elle a mis en évidence [...] des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet d'entraîner une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte aux droits de la victime, au sens de l'article L.120-2 du Code du travail, et à sa dignité".

Commentaire

1. Procédure pénale et délit de harcèlement moral

1.1. L'application du principe de non rétroactivité de la loi pénale

Bien que cet élément n'ait pas fait l'objet d'un moyen de cassation, il convient de souligner l'application qui a été faite par les juges du fond du principe de non rétroactivité de la loi pénale.

Saisie de faits commis antérieurement et postérieurement à l'entrée en vigueur de la loi de modernisation sociale, la cour d'appel a écarté ceux s'étant déroulés avant le 18 janvier 2002, en application du principe de non rétroactivité de la loi pénale.

Cette application mérite d'être soulignée, car dans une autre affaire, le délit de harcèlement moral avait été retenu pour des faits survenus antérieurement et postérieurement à l'entrée en vigueur de la nouvelle loi, au motif que le harcèlement moral est un "délit d'habitude" : "Qu'une loi nouvelle s'applique à l'infraction d'habitude dès lors que le dernier acte constitutif est postérieur à l'entrée en vigueur de cette loi ;qu'en conséquence dans le cadre d'une infraction d'habitude le tribunal a examiné les faits antérieurs à la loi nouvelle présentant un caractère indissociable sans faire échec au principe général de la non-rétroactivité des lois".

L'infraction d'habitude nécessite la commission d'actes identiques les uns des autres. 

Or, si le texte incriminant le harcèlement moral exige des agissements répétés, l'intention du législateur était de pouvoir réprimer "l'ensemble des situations réelles de harcèlement moral", c'est-à-dire la répétition de comportements aussi bien identiques que différents.

Par ailleurs, il a été précisé, au cours des travaux préparatoires de la loi, que "l'application rétroactive de ces sanctions n'est pas possible".

Cette position semble avoir été implicitement validée par la Chambre criminelle, qui n'a pas entendu se saisir d'office d'un moyen fondé sur l'application d'un principe d'ordre public, pour casser l'arrêt rendu par la cour d'appel.

1.2. La prise en compte par le juge répressif de faits non contenus dans sa saisine

La cour d'appel de Riom, sans pour autant qualifier de harcèlement moral les faits survenus postérieurement au mois d'août 2002, dont elle n'était pas saisie, les a rappelés "à titre de renseignements, dans la mesure où ils s'inscrivaient dans le prolongement des agissements poursuivis et en constituaient l'aboutissement logique".

La Cour a donc pris en compte la décision de radiation, intervenue en janvier 2003, dont elle n'était pas saisie, pour caractériser l'élément moral et considérer que le maire avait pris à l'encontre de la victime un "ensemble de mesures vexatoires, injustes et inappropriées trouvant leur justification dans sa volonté de se séparer d'une secrétaire de mairie qui ne lui convenait plus".

La Chambre criminelle, saisie de ce moyen, valide l'interprétation des juges du fond.

Cette solution semble toutefois critiquable, dans la mesure où le juge pénal ne peut statuer que sur les faits dont il est saisi.

Le fait que les juges se soient emparés de faits dont ils n'étaient pas saisis pour mettre en exergue l'intention coupable du maire témoigne des difficultés que rencontrent les juridictions pour caractériser les éléments constitutifs du délit de harcèlement moral, dont la définition légale demeure approximative et succincte.

2. La caractérisation du délit de harcèlement moral

2.1. De la définition succincte et approximative donnée par le législateur...

Inscrite dans le Code pénal et le Code du travail, le législateur a donné une définition identique du harcèlement moral, qui consiste en des "agissements répétés [...] qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel".

Toute infraction intentionnelle, pour être constituée, doit réunir trois éléments :
- un élément légal : le fondement textuel de l'incrimination ;
- un élément matériel : un acte positif ou un acte d'abstention ;
- un élément intentionnel : l'intention coupable de l'auteur de commettre l'infraction.

Appliqué au délit de harcèlement moral, l'élément matériel consiste en la commission d'agissements répétés, qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Ainsi, si les agissements doivent créer une dégradation des conditions de travail, ce seul critère n'est pas suffisant : il faut en outre que cette dégradation soit susceptible d'avoir un impact sur la santé physique ou morale du salarié ou de compromettre son avenir professionnel ou encore de porter atteinte à sa dignité et à ses droits.

Il n'est pour autant pas nécessaire qu'un "résultat" ait été atteint : les actes de harcèlement doivent être "susceptibles" d'entraîner ce résultat.

L'élément intentionnel est plus difficile à cerner : est-il nécessaire de démontrer que le délinquant a eu l'intention de nuire, c'est-à-dire l'objectif avéré de dégrader les conditions de travail d'autrui et de lui porter atteinte ?

La précision selon laquelle les agissements ont "pour effet ou pour objet" la dégradation des conditions de travail "susceptible" d'atteindre la victime permet -elle, comme cela a été précisé lors des travaux parlementaires, de qualifier de harcèlement moral des agissements perpétrés sans intention de nuire ?

La nuance des termes a son importance : "pour objet" ferait référence à un but volontairement poursuivi, tandis que "pour effet" tendrait à considérer que la dégradation des conditions peut ne pas avoir été voulue.

Cependant, ne faut-il pas que la loi prévoit spécifiquement qu'il peut y avoir délit par négligence ou imprudence selon les distinctions établies par l'article 121-3 du Code pénal (N° Lexbase : L2053AMY), ce qui n'est pas le cas en l'espèce ?

La définition légale du harcèlement moral demeurant imprécise, il incombe à la jurisprudence de délimiter plus précisément la notion de harcèlement moral.

2.2. ...à l'appréciation souveraine des juges du fond

La Chambre criminelle, par une motivation succincte laissant à l'appréciation souveraine des juges du fond la caractérisation de l'élément intentionnel de l'infraction, a récemment validé une décision de relaxe de la Cour d'appel de Douai, qui avait considéré "que les faits dénoncés, concernant l'aménagement de leurs horaires de travail, de leurs congés, la définition de leurs attributions dans le service, et l'appréciation de leur qualité de travail, relèvent des fonctions d'un chef de service ; qu'en l'espèce il n'est pas démontré que les décisions de X aient été prises dans l'intention de nuire aux deux plaignantes ou de dégrader leurs conditions de travail, ni que ces appréciations sur la qualité de leur travail aient eu pour but de les humilier ; qu'en conséquence l'infraction n'est pas caractérisée".

Dans l'arrêt de 21 juin 2005, la Chambre criminelle laisse à l'appréciation des juges du fond l'appréciation juridique des faits : "attendu qu'en l'état de ces motifs, fondés sur son appréciation souveraine des faits et éléments de preuve [...] la cour d'appel [...] a caractérisé le délit retenu en tous ses éléments constitutifs, tant matériels qu'intentionnel, [...] dès lors qu'elle a mis en évidence [...] des agissements répétés ayant pour effet ou pour objet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte aux droits de la victime, au sens de l'article L 120-2 du Code du travail, et à sa dignité".

Pour rejeter la qualification pénale de harcèlement moral, les juges répressifs recherchent si les agissements dénoncés s'analysent en des "conséquences à tort ou à raison mal ressenties par le salarié, des contraintes imposées par les impératifs de gestion inhérents à la vie de toute entreprise", dans la mesure où le délit nécessite "pour être constitué, l'existence de faits objectifs non dénaturés par des considérations subjectives" de sorte que toute dégradation des conditions de travail n'implique pas pour autant un acte de harcèlement.

Dans l'arrêt du 21 juin 2005, les agissements dénoncés, qualifiés par les juges du fond de "vexatoires, injustes et inappropriés", dépassaient le cadre des contraintes normales liées au travail.

Cette interprétation rejoint celles des juridictions sociales, qui distinguent les mesures relevant de l'exercice loyal et légitime par l'employeur de son pouvoir de gestion et direction, des faits de harcèlement moral.

Elles ont ainsi défini, dans un premier temps, ce que le harcèlement moral n'était pas :
- le fait qu'un salarié ait fait l'objet de plusieurs tentatives de licenciement infructueuses pour des motifs similaires ;
- le fait d'avoir infligé à un salarié deux sanctions disciplinaires irrégulières en l'espèce d'un mois et quatre jours ;
- le fait pour un employeur de demander à un salarié des explications écrites sur une absence injustifiée et de faire procéder à une visite du contrôleur médical à son domicile ;
- les brimades subies au niveau des horaires, suivies de sanctions et d'un licenciement jugé sans cause réelle et sérieuse.

Pour la première fois à notre connaissance, la Chambre sociale a reconnu dans une décision récente le délit de harcèlement moral, constitué par "la conjonction et la répétition de faits", tels que le retrait sans motif du téléphone portable d'une salariée, l'obligation non justifiée de se présenter chaque matin dans le bureau de son supérieur hiérarchique, la charge de nouvelles tâches sans rapport avec ses fonctions, qui avaient eu pour conséquence une altération de sa santé.

Au travers de ces décisions, à l'instar de la Chambre criminelle, la Chambre sociale s'en remet à l'appréciation souveraine des juges du fond quant à la qualification juridique donnée aux faits constatés.

En tout état de cause, la notion juridique de harcèlement moral, largement tributaire des faits d'espèce, mériterait sans doute d'être d'avantage précisée, ne serait-ce que pour mieux la distinguer de l'exercice normal du pouvoir de direction.

Enfin, il est intéressant de remarquer que l'arrêt du 21 juin 2005 se réfère expressément à l'article L. 120-2 du Code du travail (N° Lexbase : L5441ACI) pour préciser la nature des droits auxquels, pour être constitué, le harcèlement doit porter atteinte... alors que la victime est un agent administratif.

Le Conseil constitutionnel avait considéré que, "si l'article L. 122-49 nouveau du Code du travail n'a pas précisé les droits du salarié auxquels les agissements incriminés sont susceptibles de porter atteinte, il doit être regardé comme ayant visé les droits de la personne au travail, tels qu'ils sont énoncés à l'article L. 120-2 du code du travail".

Cette interprétation doit-elle être étendue aux agents de la fonction publique ?

La référence faite par la Chambre criminelle aux droits des salariés peut s'expliquer par sa volonté d'attirer l'attention des pouvoirs publics sur la nécessité d'étendre la protection des salariés contre le harcèlement moral aux fonctionnaires.

A ce titre, il est à noter qu'une proposition de loi a été déposée le 9 février 2005 devant l'Assemblée Nationale avec pour objectif d'adapter aux fonctionnaires le dispositif de protection contre le harcèlement moral tel que défini dans le Code du travail, en modifiant la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 (loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, portant droits et obligations des fonctionnaires N° Lexbase : L6938AG3) portant droits et obligations des fonctionnaires.

newsid:77128

Contrôle fiscal

[Le point sur...] L'articulation délicate entre la théorie de l'apparence et la vérification de comptabilité

Lecture: 6 min

N6988AIN

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/3207507-edition-n-178-du-28072005#article-76988
Copier

Le 07 Octobre 2010

La théorie de l'apparence, fruit de la jurisprudence civile, a pour finalité de protéger une personne qui aurait traité avec une autre revêtant toutes les apparences du titulaire de certains droits, sur la foi de cette apparence. La conséquence logique de cette erreur devrait être la nullité de l'acte résultant de cette apparence. Cependant, afin de garantir une certaine sécurité juridique, l'administration convient de ne pas remettre en cause l'acte juridique si deux conditions sont remplies. La première condition est objective, elle consiste en la nécessité d'une apparence suffisante. La seconde condition est subjective et consiste en la bonne foi de celui qui a été victime de l'apparence. En matière de vérification de comptabilité, la théorie de l'apparence peut être amenée à sauvegarder la validité de la procédure dans l'hypothèse suivante : l'administration fiscale adresse l'avis de vérification nécessaire à la régularité de la procédure (LPF, art. L. 47 N° Lexbase : L2448DAW), non pas à la société de fait dont elle ignore l'existence, mais aux associés ou à l'un d'eux. En principe, la procédure de vérification fiscale sera nulle étant donné que l'article L. 53 du LPF (N° Lexbase : L8547AEB) dispose qu'"en ce qui concerne les sociétés dont les associés sont personnellement soumis à l'impôt pour la part des bénéfices correspondant à leurs droits dans la société, la procédure de vérification des déclarations déposées par la société est suivie entre l'administration des impôts et la société elle-même". La solution est logique, car étant dans un système déclaratif, l'administration fiscale traite directement avec la personne soumise aux obligations déclaratives, en l'occurrence la société. Toutefois, la jurisprudence administrative appliquant la théorie de l'apparence va faire échec à cette nullité (1), sous réserve que l'administration fiscale démontre l'existence d'une société de fait (2). 1. L'avis de vérification peut être adressé à n'importe lequel des associés d'une société de fait

"La société de fait est la situation dans laquelle une société, voulue par les participants mais entachée d'un vice de constitution, a, cependant, fonctionné avant son annulation" (P. Merle, Droit commercial. Sociétés commerciales, 9ème éd., Dalloz, 2003, n° 67). Peut être, également, qualifiée de société de fait, la société dissoute qui a continué de fonctionner.

L'application de la théorie de l'apparence par les juges administratifs en matière de vérification de comptabilité d'une société de fait permet de protéger l'administration des impôts victime de l'apparence, à l'image du droit commercial, où la jurisprudence a élaboré la notion de "société de fait", afin de limiter les cas de nullités et protéger, ainsi, le tiers de bonne foi. En effet, selon l'article L. 235-12 du Code de commerce (N° Lexbase : L6349AIY), ni les associés ni la société ne peuvent se prévaloir d'une nullité à l'égard de tels tiers.

L'avis de vérification de comptabilité doit être, normalement, adressé à la société de fait et non pas personnellement aux associés, le Conseil d'Etat ayant étendu la règle contenue dans l'article L. 53 du LPF aux sociétés de fait. Ce principe était, alors, énoncé par l'ancien article 60 du CGI , qui se référait aux sociétés visées par l'article 8 et au nombre desquelles ne figuraient pas les sociétés de fait (CE, 8° et 9° s-s., 18 mai 1979, n° 09540, X c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A2344B8C ; CE Contentieux, 1er février 1989, n° 68348, Bracelet c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A0699AQX).

La jurisprudence a, toutefois, apporté une dérogation à cette règle, lorsque la notification est adressée à la seule personne connue des services fiscaux avant la découverte de la société de fait. Ainsi, dans un arrêt en date du 24 mai 1978, la Haute juridiction avait à connaître d'une affaire où le contribuable vérifié demandait la nullité de l'acte en prétendant que l'avis de vérification aurait dû être envoyé à une société créée de fait occulte par définition. Le Conseil d'Etat jugea que l'administration n'avait pas commis une irrégularité de nature à entacher l'acte de nullité, dans la mesure où la notification de l'avis de vérification faite à l'associé, seule personne connue avant la découverte de la société créée de fait, était régulière. Et que, par ailleurs, la notification était opposable aux autres associés (CE, Contentieux, 24 mai 1978, n° 8418, Sieur Jean Gomez c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A5225AID).

Le problème du contrôle du contribuable apparent peut, également, se poser dans une situation d'indivision. Dans l'hypothèse d'une indivision qui gère une entreprise industrielle ou commerciale, l'administration fiscale doit adresser un avis de vérification à chacun des coïndivisaires, à moins qu'elle parvienne à prouver l'existence d'une société de fait (CE, Contentieux, 3 avril 1991, n° 77532, Ministre délégué auprès du Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie c/ René Dabadie N° Lexbase : A9388AQR ; CE, Contentieux, 11 février 1998, n° 160165, Ministre du Budget c/ M. et Mme Robert N° Lexbase : A6318ASS ; CE, Contentieux, 13 mars 1998, n° 163108, Ministre chargé du Budget c/ M. Carcassonne N° Lexbase : A6673ASX).

En revanche, "si l'indivision présente un caractère occulte alors que seul l'un des indivisaires exploite en apparence le fonds, il pourra valablement être seul contrôlé" (CAA Bordeaux, 1ère ch., 25 janvier 1996, n° 94BX01214, Ministre du Budget c/ Mme Marie-Hélène Thomas épouse Gaillard N° Lexbase : A8383AY7). La solution s'explique par le fait que l'indivision présente, alors, le caractère d'une société de fait.

Dans l'affaire ayant donné lieu à un arrêt du Conseil d'Etat du 13 mars 1998 (CE, Contentieux, 13 mars 1998, n° 163108, Ministre chargé du Budget c/ M. Carcassonne N° Lexbase : A6673ASX), le plaignant qui était devenu, à la suite d'une succession, propriétaire indivis avec sa soeur du stock d'une société, dont le fonds de commerce avait été attribué à cette dernière n'avait pas été avisé de la faculté qu'il tenait de la loi de se faire assister d'un conseil de son choix à l'occasion de la vérification de comptabilité effectuée par l'administration. Il réclamait, dès lors, la nullité de la procédure, au motif que l'administration avait notifié l'avis à la seule prétendue gérante de la société, sa soeur.

La cour administrative d'appel de Paris avait relevé que le requérant n'avait pas participé à la gestion et à la liquidation du stock maintenu dans l'indivision. Elle avait, ainsi, estimé que l'administration n'apportait pas la preuve lui incombant de l'existence de la société de fait dont elle se prévalait.

Ne s'écartant pas de l'analyse des juges du fond, la juridiction suprême jugea que le requérant aurait dû, en sa qualité d'indivisaire, être avisé de la faculté qu'il tenait de la loi de se faire assister d'un conseil de son choix à l'occasion de la vérification de comptabilité effectuée par l'administration et que, faute de l'avoir été, il avait été imposé au terme d'une procédure irrégulière.

2. L'administration fiscale doit démontrer l'existence d'une société de fait

La charge de la preuve d'une société de fait incombe à l'administration fiscale. Pour ce faire, elle pourra relever des indices concourants à en démontrer l'existence, telle que l'identification d'apports faits à l'entreprise par deux ou plusieurs personnes, la participation de ces personnes à la direction et au contrôle de l'affaire, ainsi qu'à la participation aux bénéfices et aux pertes (CE, Contentieux, 3 décembre 1982, n° 17829, Société civile xxxxx c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A2441ALY ; CE, Contentieux, 13 décembre 1982, n° 26738, Mlle Arlette Hoegy - M. Ralph Schlaepfer N° Lexbase : A1976ALR ; CE, Contentieux, 6 mars 1991, n° 61863, Baudrant c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A0736AI4 ; CE, Contentieux, 13 mars 1998, n° 163108, Ministre chargé du Budget c/ M. Carcassonne, précité).

Dans un arrêt du 27 septembre 1994, la cour administrative d'appel de Paris avait, ainsi, jugé que l'administration n'avait pas apporté la preuve de l'existence d'une société de fait, en relevant, d'une part, que des héritiers en indivision avaient procédé à la liquidation d'un stock dont ils étaient propriétaires indivis et, d'autre part, que le contribuable avait imputé sur son revenu global les déficits résultant de l'exploitation de l'entreprise.

Ces éléments ont été logiquement jugés trop tenus pour les juges. La liquidation du stock par l'indivision ne suffisant pas à prouver la participation du contribuable à la gestion effective de l'affaire, car le contribuable résidait dans une localité éloignée du lieu d'implantation de l'entreprise. De même, l'imputation par le contribuable sur son revenu global des déficits résultant de l'exploitation de la société ne pouvait pas plus révéler l'existence d'une société de fait, dans la mesure où les pertes devaient être prises en charge par l'ensemble des héritiers, sans que cette circonstance traduise forcément la participation de l'ensemble de ces héritiers à la gestion de l'affaire.

L'administration fiscale, comme ce fut le cas dans ce contentieux, a, en outre, tendance à se prévaloir de l'apparence qu'aurait aménagée l'indivision en se présentant, du fait des circonstances, comme une société de fait. Il faut, alors, qu'elle démontre que les indivisaires ont réellement créé la situation apparente, dont elle fait état. Cette volonté doit apparaître nettement lors de l'examen des faits par le juge.

La rigueur, dont font preuve les juridictions administratives, est une garantie pour le contribuable, qui ne peut saisir les commissions départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires (CDI). Celles-ci, en effet, ne peuvent être saisies que par les contribuables ayant fait l'objet d'un contrôle fiscal et qui sont en désaccord avec les conséquences de ce contrôle, art. L.59 A LPF N° Lexbase : L5379G7D. Surtout, les CDI, ne pouvant se prononcer que sur des questions de droit, sont incompétentes en cas de litige portant sur l'existence ou non d'une société de fait.

En conclusion, la jurisprudence étudiée nous enseigne que la théorie de l'apparence doit être maniée avec soin en matière de vérification de comptabilité. Retenir trop aisément l'existence d'une société de fait revient à priver les associés n'ayant pas été avertis du contrôle entrepris des garanties que leur procurent les textes légaux (notamment, l'article L. 47 LPF). Néanmoins, la jurisprudence se montre protectrice à l'égard du contribuable en exigeant que l'administration fiscale démontre de façon précise l'existence alléguée d'une société de fait.

Le juge administratif se montre, finalement, plus difficile que son homologue civil ou commercial quant à l'application de la théorie de l'apparence. Peut-être cela s'explique-t-il par le fait que l'on accorde moins de circonstances atténuantes à l'administration fiscale victime d'une apparence qu'à un simple particulier ?

Karim Sid Ahmed
Doctorant à l'Université de Paris I - La Sorbonne


Lire également :

- H. Temple, Les sociétés de fait, préf. J. Calais-Auloy, LGDJ, 1975 ;
- F. Deboissy, La simulation en droit fiscal, LGDJ, Bibliothèque droit privé, 1997, spéc. pp. 418-420 ;
- J.-P. Casimir, Contrôle fiscal (Droits, garanties, procédures), 7ème éd., Groupe Revue Fiduciaire, 2000, pp. 121-123.

newsid:76988

Entreprises en difficulté

[Textes] La réforme des procédures collectives : commentaire de la loi de sauvegarde des entreprises (3ème partie)

Réf. : Loi du 26 juillet 2005, n° 2005-845, de sauvegarde des entreprises (N° Lexbase : L0828HDZ)

Lecture: 19 min

N6499AKW

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/3207507-edition-n-178-du-28072005#article-86499
Copier

Le 07 Octobre 2010

(cf. La réforme des procédures collectives : commentaire de la loi de sauvegarde des entreprises (1ère partie N° Lexbase : N6990AIQ) ; (2ème partie N° Lexbase : N6495AKR) ; et )
Deuxième Partie : les partenaires du débiteur

I - Les cocontractants

A - Règles générales

64 - La sauvegarde et le redressement judiciaire peuvent être ouverts sans nomination d'un administrateur judiciaire. En ce cas, l'option sur la poursuite des contrats en cours appartient au seul débiteur. Il n'a plus à obtenir l'autorisation du juge commissaire. En revanche, il doit avoir recueilli l'accord du mandataire judiciaire. A défaut, le juge commissaire peut être saisi par tout intéressé.

65 - Prenant en compte les critiques adressées par une partie minoritaire de la doctrine (38), la loi limite à la poursuite provisoire d'activité la possibilité de continuer les contrats en cours. "La poursuite forcée des contrats serait en effet peu justifiée quand l'activité n'est pas poursuivie et quand le débiteur ne paye plus ses échéances" (39). En conséquence, la poursuite des contrats en cours, sauf règle spéciale, ne sera possible en liquidation judiciaire que s'il y a maintien de l'activité.

Faute de pouvoir exiger du cocontractant qu'il mette en demeure un organe sur le sort du contrat, il faut, nous semble-t-il, décider que le contrat se trouve résilié de plein droit par l'effet de la liquidation judiciaire non assortie d'une poursuite provisoire d'activité.

B - Contrat de travail

66 - La loi nouvelle modifie peu le droit applicable en matière de licenciements économiques. La réglementation posée pour les plans de redressement n'a pas vocation à s'appliquer pour la procédure de sauvegarde. Les licenciements économiques doivent obéir, dans la procédure de sauvegarde, au droit commun.

67 - Les seules modifications ont pour objet de prendre en compte la possibilité d'arrêté d'un plan de cession en phase liquidative. Les licenciements qui seraient effectués en exécution d'un plan de cession arrêté en liquidation judiciaire devront intervenir dans le délai du mois du plan. La solution a été alignée sur celle applicable pour les autres plans, et est dérogatoire à celle existant pour la liquidation judiciaire, les licenciements en cette phase devant être mis en oeuvre par le liquidateur dans le délai de 15 jours du prononcé de la liquidation judiciaire.

C - Baux des locaux professionnels

68 - La loi nouvelle supprime une difficulté de la législation antérieure, en énonçant que la disposition relative à l'option sur la continuation du bail des locaux professionnels est limitée au seul cas où le débiteur est le locataire du local concerné par le contrat de bail. Il a été dit qu'"il n'apparaît pas justifié de permettre au débiteur qui serait lui-même bailleur d'un local de profiter de ce dispositif dérogatoire au droit commun" (40).

69 - La rédaction du texte antérieur prévoyant une inopposabilité à l'administrateur des clauses prévoyant une solidarité avec le cessionnaire, pouvait laisser perplexe, spécialement en régime simplifié sans administrateur judiciaire. Judicieusement, la loi de sauvegarde des entreprises a modifié la règle et répute non écrite, en cas de cession du bail, toute clause imposant au cédant des dispositions solidaires avec le cessionnaire, tant en procédure de sauvegarde (C. com., art. L. 622-15), qu'en procédure de redressement judiciaire (C. com., art. L. 631-14). Mais, et c'est l'apport essentiel de la loi de sauvegarde des entreprises, la solution est la même en liquidation judiciaire (C. com., art. L. 641-12, al. 3).

70 - Sous l'empire de la législation antérieure à la loi de sauvegarde des entreprises, les règles générales de continuation de contrats en cours énoncées par l'article L. 621- 28 du Code de commerce s'appliquent, par principe, au bail des locaux professionnels, sous réserve des dérogations explicitement posées. Il en est spécialement ainsi des règles relatives à la mise en demeure sur la poursuite du contrat. A défaut de réponse dans le mois, le contrat, conformément au doit commun, sera résilié de plein droit. La loi de sauvegarde des entreprises modifie très sensiblement les règles applicables. En effet, désormais, par dérogation aux dispositions de l'article L. 622-13 du Code de commerce, qui fixe le droit commun en matière de continuation des contrats en cours, la résiliation du bail des immeubles affectés à l'activité de l'entreprise ne peut être constatée ou prononcée sur l'initiative de l'administrateur ou en application des dispositions qui suivent (C. com., art. L. 622-14). Il résulte de ce texte que le mécanisme de l'option sur la poursuite des contrats en cours n'est plus applicable au bail des locaux professionnels.

71 - Qu'il y ait liquidation judiciaire immédiate ou sur conversion d'un redressement judiciaire ou d'une sauvegarde, le bailleur devra, en application de l'article L. 641-12, alinéa 4, impérativement agir dans le délai de trois mois de la publication au Bodacc du jugement de liquidation judiciaire, s'il fonde sa demande de constat de la résiliation ou de prononcé de la résiliation sur des causes financières postérieures au jugement de liquidation judiciaire immédiate ou sur des causes financières postérieures au jugement d'ouverture en cas de conversion d'une procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire en liquidation judiciaire. Les sommes dues ne devront pas être payées avant l'expiration de ce délai de trois mois pour que le bailleur puisse obtenir la résiliation ou le constat de la résiliation (41).

D - Contrat d'assurance.

72 - L'article 186 de la loi de sauvegarde des entreprises a supprimé le premier alinéa de l'article L. 113-6 du Code des assurances (N° Lexbase : L0067AAQ). Il en résulte que le contrat d'assurance est, désormais, soumis au droit commun de la continuation des contrats en cours. D'une part, le contrat d'assurance ne sera pas continué de plein droit, mais seulement sur option. D'autre part, le droit de résiliation ouvert, pour motif d'impayés avant le jugement d'ouverture, disparaît.

II - Les créanciers et le débiteur

A - La délimitation des créances antérieures et des créances postérieures

73 - La loi de sauvegarde des entreprises a remplacé l'expression de créance qui "a son origine" antérieurement au jugement d'ouverture "par créance" née "antérieurement au jugement d'ouverture". Lors des travaux parlementaires, il a été indiqué que "ces deux termes ne correspondent pas au même cas" (42). En passant de l'origine à la naissance de la créance, le curseur semble se déplacer de l'élément causal d'une créance à l'élément qui va permettre à celle-ci d'accéder à la vie juridique. Dans certaines situations, la date de naissance de la créance pourrait se situer plus tard que son origine. Ainsi, sans jugement d'annulation, la créance de restitution consécutive à l'annulation ne pourra naître, alors que son origine serait trouvée dans l'idée de remise des parties antérieure à l'acte annulé. Cette approche permettrait de ne pas avoir à déclarer des créances éventuelles, l'éventualité de la naissance ne pouvant être assimilée à sa naissance effective.

B - Le régime des créances postérieures

74 - La réforme a modifié le domaine du traitement préférentiel réservé aux créanciers postérieurs. Il est désormais prévu, aux termes de l'article L. 622-17, I du Code de commerce que "les créances nées régulièrement après le jugement d'ouverture pour les besoins du déroulement de la procédure ou de la période d'observation, ou en contrepartie d'une prestation fournie au débiteur, pour son activité, pendant cette période, sont payées à leur échéance". Les règles relatives aux créances nées après jugement d'ouverture posées dans le régime de la sauvegarde sont applicables en redressement judiciaire.

75 - Désormais, seules certaines créances postérieures nées régulièrement après jugement d'ouverture sont éligibles au traitement préférentiel. Il en ira d'abord ainsi des créances "nées pour les besoins du déroulement de la procédure". Ainsi, seront couverts, les frais et honoraires exposés par les intervenants, greffiers, mandataires de justice et conseils du débiteur. Il en sera de même des créances nées "pour les besoins de la période d'observation". Il s'agit là des dettes d'exploitation de la période d'observation. Rentre dans cette catégorie la contrepartie des contrats continués. Enfin, bénéficieront de ce régime les créances nées "en contrepartie d'une prestation fournie au débiteur, pour son activité professionnelle, pendant cette période". Il s'agira de créances contractuelles correspondant à des contrats nouveaux, conclus après le jugement d'ouverture. Il en ira ainsi des livraisons de biens et des fournitures de services y compris la mise à disposition d'une somme d'argent (43). Il ne pourra s'agir, par exemple, des loyers d'un bail d'habitation ou d'un véhicule extra professionnel. Il ne pourra davantage s'agir de dettes délictuelles, puisqu'il ne peut y avoir ici une prestation fournie aux débiteurs.

76 - La règle première applicable aux créances nées régulièrement après jugement d'ouverture et éligibles au traitement préférentiel, reste celle du paiement à l'échéance. A défaut, il y a place à un paiement par priorité.

Le droit préférentiel accordé aux créanciers postérieurs est un privilège. Le changement opéré nous semble important. Les travaux parlementaires du Sénat sont clairs : "il serait désormais possible au créancier titulaire d'un privilège visé par la présente disposition de s'en prévaloir dans le cadre d'une autre procédure que celle au cours de laquelle il l'a acquis" (44).

Si l'on peut comprendre la disparition d'un simple droit de priorité, en cas de résolution d'un plan et d'ouverture d'une seconde procédure collective, dans laquelle le créancier initialement bénéficiaire du droit de priorité devient créancier antérieur chirographaire, cette logique disparaît si est reconnu aux créanciers le bénéfice d'un privilège véritable. Il faut donc, semble-t-il, décider qu'en cas de résolution d'un plan de sauvegarde ou d'un plan de continuation, l'ouverture subséquente d'une seconde procédure collective laissera intact le privilège.

77 - L'une des grandes innovations de la loi nouvelle est de prévoir l'obligation pour le créancier de porter son privilège à la connaissance du mandataire judiciaire dans la procédure de sauvegarde et dans celle de redressement judiciaire, ainsi que de l'administrateur judiciaire s'il en a été nommé à un. En liquidation judiciaire, le créancier devra porter son privilège à la connaissance du liquidateur. Après arrêté d'un plan, le créancier portera son privilège à la connaissance du commissaire à l'exécution du plan, mais seulement dans l'hypothèse où l'administrateur ou le mandataire judiciaire auraient cessé leurs fonctions. Il s'agit donc d'obliger les créanciers postérieurs non payés à l'échéance à déclarer leur créance, à l'instar des créanciers antérieurs (45).

Les créances impayées perdent le privilège que leur confère le présent article si elles n'ont pas été portées à la connaissance des organes ci-dessus désignés. La règle joue comme une péremption du privilège (46).

78 - Pour tenir compte de la création du privilège de la conciliation, le rang des créanciers a été modifié. Le privilège de la conciliation l'emportera systématiquement sur le privilège des créances postérieures (v. supra n° 34).

79 - Le créancier, titulaire d'une créance postérieure née régulièrement, mais non éligible, ne bénéficie pas du traitement préférentiel. Il ne pourra être payé à l'échéance. Sa créance dégénère en créance antérieure : il est confronté à la règle de l'arrêt des poursuites individuelles et doit déclarer sa créance (48). A la suite d'un amendement présenté au Sénat, ont été exclus du dispositif les dettes de la vie courante du débiteur personne physique ou de sa famille. Il s'agit ici de permettre le paiement des dettes telles que celles relatives aux loyers assurant le logement principal de la famille ou encore celles relatives à l'entretien ou à l'éducation des enfants.

Ces créanciers, dont la créance est née pour des besoins autres que ceux définis par le législateur, doivent être distingués des créanciers dont la créance est née irrégulièrement après le jugement d'ouverture de la procédure. Leurs créances nées irrégulièrement après jugement d'ouverture ne dégénèrent pas en créances antérieures. Elles continuent à subir le même traitement que sous l'empire de la législation antérieure.

C - Créanciers antérieurs

a - Contrôleurs

80 - La loi nouvelle tire d'abord la conséquence du fait que les professions libérales réglementées et bénéficiant d'une autorité disciplinaire sont intégrées dans le périmètre des procédures collectives. Un "rôle spécifique leur est reconnu de façon à assurer l'information réciproque de l'ordre, du tribunal et du mandataire judiciaire, et à concilier les actions susceptibles d'être engagées par les uns et les autres" (49). L'ordre sera d'office contrôleur et sera comptabilisé parmi les cinq contrôleurs que le juge-commissaire peut, au maximum, désigner. Sa désignation est indépendante de sa qualité de créancier du professionnel libéral (50).

La mission des contrôleurs, telle qu'elle existait avant la réforme, est maintenue. Elle a été, en outre, substantiellement enrichie par la loi nouvelle. L'article L. 622-20, alinéa 1, du Code, auquel il est renvoyé par les textes sur le redressement et par ceux sur la liquidation judiciaire, précise que le contrôleur pourra agir aux fins de défendre l'intérêt collectif qu'a en charge le mandataire judiciaire, si celui-ci n'agit pas. L'article L. 651-3, alinéa 2, dans le même esprit, rend possible par un contrôleur, en cas d'inaction du mandataire judiciaire, les actions en comblement de passif ou la nouvelle action introduite par la réforme en substitut au redressement judiciaire personnel, l'action qualifiée d'action en paiement des dettes sociales. Il en ira de même des actions en faillite personnelle ou en interdiction de gérer. Dans tous ces cas, le déclenchement de l'action supposera une décision de la majorité des contrôleurs désignés, ce qui n'est pas le cas du contrôleur de droit des professions libérales.

Logiquement, le produit de l'action initiée par le contrôleur entre dans le patrimoine du débiteur et sera réparti entre les créanciers suivant les modalités d'apurement du passif, ce que prévoit explicitement l'article L. 622-20, alinéa 3, du code.

Les contrôleurs sont écartés des candidats potentiels à la reprise en plan de cession. De la même façon, les contrôleurs ne pourront acquérir des biens du débiteur, dans le cadre de réalisations isolées.

b - Arrêt des poursuites individuelles, des voies d'exécution et interdiction du paiement des créances

81 - La loi nouvelle étend la règle de l'arrêt des poursuites individuelles et des voies d'exécution, ainsi que la règle de l'interdiction du paiement des créances antérieures aux créances nées après jugement d'ouverture, mais qui ne bénéficient pas du traitement préférentiel, c'est-à-dire les créances nées irrégulièrement et celles nées régulièrement, mais ne correspondant aux critères légaux d'attribution du traitement préférentiel.

c - Interdiction de la publication des actes et décisions judiciaires translatifs ou constitutifs de droits réels

82 - La loi nouvelle réintroduit la règle de l'arrêt des inscriptions des actes et décisions translatifs ou constitutifs de droits réels ainsi que des décisions judiciaires. L'article L. 622-30, réserve cependant les actes ayant acquis date certaine au jour du jugement d'ouverture. Les actes antidatés ne pourront donc pas faire l'objet d'une transcription. Cette disposition réserve aussi le cas des décisions devenues exécutoires avant le jugement d'ouverture. La transcription de ces actes, aux fins d'opposabilité, restera donc possible.

Le retour à la législation antérieure à 1994 a été justifié par le constat d'un certain nombre de fraudes qui ont été commises, consistant à antidater des contrats de vente pour permettre à leurs bénéficiaires d'en poursuivre l'exécution après le jugement d'ouverture (51).

Le texte doit recevoir sensiblement la même interprétation, sous la seule réserve de la possibilité pour le liquidateur de publier à la conservation des hypothèques le jugement d'adjudication sur saisie immobilière intervenu avant le jugement d'ouverture, ce qui n'était pas possible sur l'empire de la loi du 25 janvier 1985 non réformée.

d - Nullités de la période suspecte

83 - Il convient d'abord de préciser que le jugement de la procédure de sauvegarde ne permettra pas de caractériser, en amont de son intervention, une période suspecte, puisque, par hypothèse, la procédure de sauvegarde est ouverte sans état de cessation des paiements.

La loi nouvelle reprend, à l'article L. 632-4, la liste des personnes pouvant engager l'action en nullité de la période suspecte en y ajoutant le ministère public.

Il faut, en outre, tenir compte des pouvoirs nouveaux reconnus aux contrôleurs. Un contrôleur semble avoir qualité pour agir en nullité de la période suspecte, en cas de carence du mandataire judiciaire, car cette action participe de la défense de l'intérêt collectif des créanciers.

84 - Sous l'empire de la législation antérieure, l'article L. 621-107, I, 7° ne vise que les mesures conservatoires, non les saisies définitives. L'article L. 632 -2, issu de la rédaction que lui a donnée la loi de sauvegarde des entreprises, a ajouté un cas de nullité, en frappant les avis à tiers détenteur, les saisies-attribution et les oppositions. La modification des textes a été justifiée par la volonté de faire respecter le principe d'égalité entre les créanciers. Il s'agit d'une nullité simplement facultative, qui supposera donc la connaissance de l'état de cessation des paiements par le créancier pratiquant la voie d'exécution.

A été ajouté, par la loi nouvelle (C. com., art. L. 632-1, 8°), aux actes susceptibles d'être annulés de droit au titre de la période suspecte, les levées, autorisations et revente d'options, nommées stock-options, dans le langage journalistique. Il a été dit, à propos de ce cas de nullité, que "les propriétaires d'actions pourraient avoir accès à des informations avant les marchés sur l'état des difficultés de l'entreprise et seraient donc susceptibles d'en abuser et d'affaiblir encore davantage l'entreprise" (52). Il s'agit d'éviter que les dirigeants puissent procéder à des opérations sur leurs stocks-options pendant la période suspecte (53).

e - Déclaration des créances

85 - Les règles relatives à la déclaration des créances posées pour la procédure de sauvegarde sont, sous quelques réserves non négligeables, applicables à la procédure de redressement judiciaire et à celle de liquidation judiciaire.

La déclaration de créance a un domaine très général. "Tous les créanciers dont la créance est née avant le jugement d'ouverture, à l'exception des salariés, adressent leur déclaration de créance au mandataire judiciaire". La loi nouvelle apporte à ce principe deux exceptions : les créanciers d'aliments sont dispensés d'avoir à déclarer leurs créances. En outre, les créanciers admis au passif de la première procédure ayant abouti à un plan de sauvegarde ou de continuation sont dispensés de déclarer leurs créances et sûretés et prévoit l'admission de plein droit des créances inscrites dans le plan résolu, déduction faite des sommes déjà perçues (54).

86 - Jusqu'à la loi nouvelle, les créanciers dont la créance était née après le jugement d'ouverture n'étaient pas astreints à déclarer leurs créances au passif. La règle se trouve modifiée par la réforme. En effet, certaines créances qui sont nées après le jugement d'ouverture, mais que le nouvel article L. 622-17-I n'intègre pas dans son périmètre pour leur assurer un traitement préférentiel, obligent leurs titulaires à déclarer leurs créances au passif. Il devra s'agir de créances nées régulièrement après le jugement d'ouverture (v. supra n° 79). Le législateur (C. com., art. L. 622- 24, al. 5) leur accorde un délai de deux mois pour déclarer leurs créances, dont le point de départ est particulier : l'arrivée de la date d'exigibilité de la créance. Une difficulté peut alors se présenter pour les créanciers dont les créances contractuelles naissent successivement, tel le bailleur. Pour éviter à ce type de créancier d'avoir à déclarer de multiples créances, à chaque échéance, un amendement présenté par la commission des lois du Sénat a été adopté. Les créanciers dont les créances résultent d'une obligation à exécution successive déclarent l'intégralité des sommes qui leur sont dues dans les délais prévus à l'article L. 622-24 (55).

87 - La loi nouvelle introduit un délai de déclaration de créance au profit de la victime d'une infraction, qui se sera constituée partie civile. L'article L. 622 -24, alinéa 6, du Code de commerce prévoit que ce délai de déclaration de créance "court à compter de la date de la décision définitive qui en fixe le montant".

f - Action en relevé de forclusion

88 - La loi nouvelle conserve la technique classique du relevé de forclusion pour les créanciers retardataires. L'article L. 622-26, alinéa 2, décale le point de départ du délai de relevé de forclusion à la publication au Bodacc du jugement d'ouverture. En outre, le délai est raccourci et passe d'un an à six mois. Par exception, le délai est porté à un an pour les créanciers placés dans l'impossibilité de connaître l'existence de leur créance avant l'expiration du délai de six mois précité.

89 - La loi nouvelle crée un nouveau cas de relevé de forclusion (56). Il est prévu que le juge commissaire relèvera de la forclusion les créanciers s'ils établissent que leur défaillance est due à une "omission volontaire du débiteur" (C. com., art. L. 622-26, alinéa 1). Un texte identique existe dans le Code de la consommation, à l'article R. 332-18, alinéa 2 (N° Lexbase : L3754DYP). Il restera à interpréter ce texte. La difficulté résultera de l'exigence de démontrer, de la part du débiteur, la volonté de ne pas indiquer l'existence de tel ou tel créancier.

L'omission volontaire du débiteur est un cas autonome de relevé de forclusion. Si la démonstration est rapportée de l'omission volontaire du débiteur, le juge commissaire perd son pouvoir d'appréciation. Il y a place à relevé de forclusion indépendamment de la question de savoir si la défaillance est ou non due au fait du créancier.

g - Absence d'extinction de la créance résultant de son absence de déclaration

90 - La réforme écarte l'extinction de la créance non déclarée dans les délais. Il s'est agi, par cette suppression, de mettre fin à une particularité du droit français et de tirer les conséquences de l'article 5 du Règlement communautaire n° 1346/2000 du 29 mai 2000, selon lequel "l'ouverture de la procédure d'insolvabilité n'affecte pas le droit réel d'un créancier ou d'un tiers sur des biens corporels ou incorporels, meubles ou immeubles [...] et qui se trouvent au moment de l'ouverture de la procédure sur le territoire d'un autre Etat membre".

91 - Pendant la procédure collective, il est exclu que le créancier qui n'a pas déclaré dans les délais, puisse bénéficier des droits attachés à l'admission de la créance. Il ne pourra donc pas participer aux répartitions ou même au versement des dividendes du plan de sauvegarde ou de continuation (57). Ce créancier ne pourra être payé qu'une fois toutes les sujétions de la procédure collective disparues. Son droit de créance est inopposable à la procédure. Après clôture de la procédure, la créance n'est pas éteinte. Le créancier sera donc autorisé à poursuivre, selon les voies du droit commun, le recouvrement de sa créance, contre le débiteur personne physique (58), si, du moins, il se trouve dans les cas exceptionnels de reprise des poursuites individuelles en cas de clôture pour insuffisance d'actif (59). Son droit de poursuite reste également intact si le débiteur obtient une clôture de la procédure par extinction du passif. Son droit de poursuite est également maintenu après clôture des opérations du plan de sauvegarde ou du plan de continuation. Dans ces deux cas, il faudra tenir compte de l'éventualité de la prescription ou de la forclusion encourue par le créancier, qui n'aura pas bénéficié de l'effet interruptif de la prescription lié à la déclaration de la créance au passif.

92 - Les conséquences de l'absence d'extinction des créances non déclarée dans les délais sont particulièrement sensibles dans les rapports créancier/caution (60). L'absence d'extinction de la créance autorisera, en effet, le créancier à poursuivre la caution. Le créancier établira ses droits devant le juge du cautionnement, exactement comme s'il n'y avait pas eu de procédure collective. Il reste que le créancier ne saurait, au motif qu'il ne participera pas à la procédure collective, poursuivre la caution personnelle personne physique avant l'issue de la période d'observation. La caution, qui ne pourra plus tirer argument de l'extinction de la créance principale, sera cependant en droit de soulever le jeu de l'article 2037 du Code civil (N° Lexbase : L2282AB7) (61), si, du fait de la non-participation du créancier aux répartitions, il en résulte, par subrogation, un préjudice pour elle. Il en sera ainsi lorsque le créancier aura perdu pendant la procédure collective la possibilité de faire jouer un droit préférentiel, du fait de l'absence de déclaration au passif de sa créance.

h - Règles particulières aux créanciers titulaires de sûretés spéciales et de contrats publiés

93 - La loi du 10 juin 1994 a créé le mécanisme de l'inopposabilité de la forclusion au profit des créanciers titulaires de contrats de crédit-bail publiés ou de sûretés publiées. Ces créanciers doivent être personnellement avertis en lettre recommandée d'avoir à déclarer leurs créances. A défaut, ils n'encourent pas de forclusion. La loi nouvelle étend l'obligation d'avertissement à tous les créanciers titulaires de contrats publiés.

La loi nouvelle n'évoque plus une inopposabilité de la forclusion. Mais le dispositif reste inchangé. Le délai de déclaration de créance court pour ces créanciers à compter de la notification de l'avertissement, ce qui n'est là que la reprise de la solution posée par la Cour de cassation (62).

i - Vérification des créances

94 - La loi nouvelle conserve la possibilité d'une dispense de vérification des créances chirographaires, en la limitant à l'hypothèse de la liquidation judiciaire. Il est réservé l'hypothèse d'un débiteur personne morale lorsqu'il y a lieu de mettre à la charge des dirigeants sociaux tout ou partie de l'insuffisance d'actif ou du passif conformément aux articles L. 651-1 et L. 652-1. Il s'agit, d'une part, de l'action en comblement de passif, et d'autre part, de l'action en paiement des dettes sociales créée par la loi nouvelle.

95 - La loi nouvelle institue, dans la liquidation judiciaire simplifiée, un principe de dispense de vérification des créances. Il ne sera procédé à la vérification que des seules créances susceptibles de venir en rang utile dans les répartitions. Cependant, les créances salariales doivent obligatoirement être vérifiées. La dispense de vérification de la créance n'a nullement pour effet d'entraîner l'extinction de la créance, laquelle n'est ni admise ni rejetée.

j - Créances salariales

96 - La loi nouvelle a étendu le domaine du super privilège des salaires à des personnes qui ne sont pas des salariés. Il s'agit des façonniers, qui sont des propriétaires d'un fonds de commerce ou d'un fonds artisanal qui exécutent un travail de transformation sans être propriétaires des matières transformées, pour le compte d'une entreprise industrielle ou commerciale qui est leur donneur d'ordres. En application de l'alinéa 2, les sommes dues aux façonniers par leurs donneurs d'ordres bénéficient, lorsque ces derniers font l'objet de l'ouverture d'une procédure collective, du super privilège des salaires, sous réserve que leurs créances soient constituées, à concurrence au minimum de 75 % de salaires et charges y afférentes, et pour la seule partie desdits salaires et charges.

La loi nouvelle ayant étendu le bénéfice des procédures collectives aux professionnels libéraux, logiquement, les salariés de ces derniers seront couverts par l'AGS.

En sauvegarde, l'AGS n'interviendra que pour les créances postérieures au jugement d'ouverture. L'AGS n'aura pas à supporter les condamnations auxquelles le débiteur pourrait s'exposer en raison des litiges relatifs au contrat de travail en cours au jour du jugement d'ouverture de la procédure de sauvegarde. C'est la raison pour laquelle elle n'aura pas à être mise en cause.

En sauvegarde, l'intervention de l'AGS sera subordonnée à la démonstration faite par le mandataire que l'insuffisance de fonds disponibles est caractérisée (C. trav., art. L. 143-11-7 N° Lexbase : L9557GQZ). L'AGS peut contester cette insuffisance. L'avance des fonds doit alors faire l'objet d'une autorisation du juge-commissaire.

La loi nouvelle a étendu le domaine de la subrogation de l'AGS dans les droits des salariés.

Pour toutes les sommes avancées, l'AGS sera désormais subrogée dans les droits des salariés. Par cet amendement, il s'est agi d'améliorer le taux de récupération de l'AGS, qui n'atteignait en 2003 que 34,9 % des sommes avancées.

Pierre-Michel Le Corre
Professeur agrégé des Universités
Directeur du Master droit de la banque de la faculté de droit de Toulon
Formateur - Consultant

newsid:86499

Entreprises en difficulté

[Textes] La réforme des procédures collectives : commentaire de la loi de sauvegarde des entreprises (1ère partie)

Réf. : Loi du 26 juillet 2005, n° 2005-845, de sauvegarde des entreprises (N° Lexbase : L0828HDZ)

Lecture: 14 min

N6990AIQ

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/3207507-edition-n-178-du-28072005#article-76990
Copier

Le 07 Octobre 2010

(cf. La réforme des procédures collectives : commentaire de la loi de sauvegarde des entreprises (2ème partie N° Lexbase : N6495AKR) ; (3ème partie N° Lexbase : N6499AKW) ; et ).

1 - Jeune, 20 ans seulement, mais plus assez belle pour être encore à la mode ! Alors, il faut la répudier cette loi sur les procédures collectives.

La réforme des procédures collectives est-elle un effet de mode ? Est-ce une nécessité ? La question mérite d'être posée, lorsque l'on sait les attentes énormes qu'avait suscitées la loi du 25 janvier 1985 (loi n° 85-98 du 25 janvier 1985 relative au redressement et à la liquidation judiciaires des entreprises N° Lexbase : L7852AGW) et qu'on veut bien les comparer aux résultats forts modestes obtenus. Suffit-il d'une loi pour changer les mentalités françaises, traduisant magnifiquement la politique de l'autruche des chefs d'entreprises, qui croient toujours au miracle et hésitent en conséquence à saisir les tribunaux quand il est encore temps ? La réponse ne nous appartient évidemment pas, mais en tout cas le pari du législateur, avec la loi de sauvegarde des entreprises, est que les chefs d'entreprises se placent au plus tôt sous la protection de la justice.

Cette loi a été adoptée en commission mixte paritaire le 13 juillet 2005.

Le Conseil constitutionnel a été saisi d'un recours par l'opposition parlementaire, sur deux articles. Le premier intéresse le privilège de la conciliation et le non -respect du principe d'égalité qu'il aurait renfermé. Le Conseil a statué par décision du 22 juillet et a rejeté ce motif de non constitutionnalité en reprenant les arguments qui avaient été développés pour rejeter le recours formé par l'opposition parlementaire de l'époque à propos du droit de priorité de l'article 40 de la loi du 25 janvier 1985. Un second argument de non constitutionnalité était trouvé dans le cantonnement de la responsabilité pour soutien abusif, présenté comme un principe d'irresponsabilité contraire aux règles françaises. Le Conseil a également rejeté le recours en faisant observer, d'une part, qu'il n'y avait pas un principe d'irresponsabilité, mais plus exactement une responsabilité encadrée et que, d'autre part, "le législateur a cherché à clarifier le cadre juridique de la mise en jeu de cette responsabilité ; que cette clarification est de nature à lever un obstacle à l'octroi des apports financiers nécessaires à la pérennité des entreprises en difficulté ; qu'elle satisfait ainsi à un objectif d'intérêt général suffisant".

Aussi, la loi de sauvegarde des entreprises vient-elle d'être promulguée au Journal officiel du 27 juillet 2005 (loi n° 2005-845, du 26 juillet 2005).

Le mûrissement de cette loi a été très long : sept ans entre les premiers documents préparatoires de la Chancellerie et le vote de la commission mixte paritaire. Le travail accompli par la Chancellerie a été particulièrement important et a été doublé d'un énorme travail parlementaire, tant à l'Assemblée nationale qu'au Sénat. Qu'on en juge par le volume des rapports Xavier de Roux au nom de la Commission des lois de l'Assemblée nationale et Jean-Jacques Hyest au nom de la Commission des lois du Sénat.

2 - La loi du 25 janvier 1985 était politiquement très marquée par la recherche du redressement judiciaire à tout prix. Les sacrifices imposés aux créanciers ont été majeurs. La loi du 10 juin 1994 (loi n° 94-475, 10 juin 1994, relative à la prévention et au traitement des difficultés des entreprises N° Lexbase : L9127AG7) a tenté un rééquilibrage en faveur des créanciers. La loi de sauvegarde des entreprises, pour sa part, constitue une évolution importante de la législation, allant dans le sens de l'histoire européenne, voire mondiale, sans afficher pour autant de caractère démagogique. De prime abord, c'est une loi d'équilibre, entre intérêts antagonistes, ce qui ne peut que mériter un accueil favorable. Les emprunts à la législation américaine sont évidents, et spécialement le chapitre 11, qui consacre la possibilité pour l'entreprise de se placer sous la sauvegarde de la justice, sans être en état de cessation des paiements. Il importe d'ailleurs de remarquer le titre de la loi dite de "sauvegarde des entreprises".

Les objectifs fondamentaux de la législation du 25 janvier 1985 ne sont pas pour autant remis en cause. Il s'agit toujours du sauvetage de l'entreprise et des emplois (1). Mais la méthode change. Il est question d'agir au plus vite, au besoin en ouvrant une véritable procédure collective la procédure de sauvegarde sans état de cessation des paiements. A cet égard, relevons immédiatement la bienveillance du législateur à l'égard de celui qui jouera le jeu de l'anticipation. Le législateur a délibérément choisi la carte de la discrimination entre le bon débiteur, celui qui anticipe, et le mauvais, celui qui subit la procédure collective classique avec état de cessation des paiements.

3 - Prenant acte de ce qu'il y aurait un droit à la faillite pour tous -un nouveau droit de l'homme ?-, le législateur étend les procédures anciennes et celles qu'il crée à toute personne physique exerçant une activité professionnelle indépendante, ce qui inclut les professionnels libéraux. Pour ces derniers, l'ordre professionnel ou l'autorité professionnelle éventuels dont ils dépendent, seront étroitement associés à la procédure, en étant convoqués, voire entendus. L'ordre ou l'autorité professionnel sera contrôleur d'office, sans avoir besoin d'être désigné.

4 - Traduction, s'il en était encore besoin, que les procédures collectives sont l'affaire de tous, et non pas seulement du débiteur et de ses créanciers, le rôle du ministère public est une nouvelle fois accru. Dans le même temps, le rôle du tribunal recule. Nombre de saisines d'office sont supprimées, notamment, celles relatives au déclenchement des sanctions. L'idée est ici de respecter l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et du citoyen (N° Lexbase : L7558AIR) et le droit au respect d'un procès équitable qu'il renferme (2), évidemment inconciliables avec des saisines d'office dans le domaine des sanctions, renfermant le vice rédhibitoire de partialité du juge. Dans cette même logique, la loi nouvelle interdit également au juge-commissaire de participer à la juridiction de jugement dans le domaine des sanctions.

5 - L'une des autres idées forces de la législation nouvelle est de multiplier les procédures pour permettre de trouver celle qui est la plus adaptée à la situation du débiteur. C'est pourquoi la cessation des paiements cesse d'être le critère de distinction entre traitement amiable et traitement judiciaire (3).

6 - Le texte, tout en consacrant législativement l'extension de la procédure sur le fondement de la confusion des patrimoines ou de la fictivité, s'emploie à supprimer toutes les fausses extensions, qu'il s'agisse de l'extension de la procédure atteignant une personne morale à ses membres ou associées indéfiniment responsables du passif, du redressement ou de la liquidation judiciaire à titre personnel pour inexécution de la condamnation à combler le passif ou pour fautes spécialement déterminées. Cette extension est remplacée par une action en contribution aux dettes sociales, qui devient parallèle à l'action en comblement de passif, en ayant, cependant, des effets plus énergiques.

7 - L'article 192 de la loi prévoit son entrée en vigueur le premier janvier 2006. L'article 193, d'une manière classique en termes de dispositions transitoires d'une législation sur les procédures collectives indique que, par principe, la loi ne sera pas applicable aux procédures en cours lors de son entrée en vigueur. La législation antérieure régira seule, par principe, les procédures ouvertes avant l'entrée de la loi de sauvegarde des entreprises. Des exceptions sont toutefois prévues, spécialement en matière de sanctions.

8 - Formellement, les textes sont codifiés au sein du livre VI du Code de commerce, en six titres.

9 - Pour présenter les principales nouveautés induites par le texte, nous allons d'abord envisager les diverses procédures (1ère partie), puis, de manière transversale, indiquer le sort réservé aux créanciers (2ème partie) et, enfin, envisager les modifications en matière de sanctions (3ème partie).

Première partie : Les diverses procédures

10 - Partant du constat que les procédures collectives sont trop tardivement ouvertes, le législateur abandonne la cessation des paiements comme critère de déclenchement des procédures collectives. La procédure de conciliation (I) -nouvelle appellation du règlement amiable- peut être ouverte alors qu'il y a cessation des paiements. Au contraire, une véritable procédure collective peut être ouverte sans état de cessation des paiements : la sauvegarde (II). Le redressement judiciaire est peu affecté par la réforme (III). Enfin, la liquidation judiciaire (IV) est dédoublée en régime général et en régime simplifié.

I - Procédure de conciliation

11 - La conciliation est le nouveau nom de la procédure de règlement amiable, laquelle demeure cependant efficace pour les agriculteurs.

La procédure de conciliation bénéficiera aux personnes qui "éprouvent une difficulté juridique, économique ou financière, avérée ou prévisible et ne se trouvent pas en cessation de paiements, depuis plus de 45 jours". Ainsi, la conciliation peut-elle être ouverte plus tôt que le règlement amiable. Il suffit que la difficulté soit prévisible, alors que cette difficulté devait être avérée dans le règlement amiable. La notion de difficulté prévisible intègre la notion de besoins ne pouvant être couverts par un financement adapté, qui est utilisée en matière de règlement amiable (4). La prévisibilité des difficultés du débiteur pourra ressortir d'éléments factuels que le président de tribunal appréciera au cas par cas, lors de sa décision statuant sur l'ouverture.

Inversement, la conciliation pourra profiter à des personnes qui sont déjà en état de cessation de paiements, dès lors que cet état n'est pas caractérisé depuis plus de 45 jours. La procédure de conciliation a ainsi vocation à se substituer, pendant un laps de temps non négligeable, au redressement judiciaire (5).

Le débiteur, qui se trouve en état de cessation de paiements depuis moins de 45 jours a ainsi le choix de la procédure : conciliation, redressement ou liquidation judiciaire, mais non la sauvegarde.

La demande d'ouverture de la conciliation, présentée au président du tribunal de commerce pour les commerçants ou artisans, dans les autres cas, au président du tribunal de grande instance, est à l'initiative exclusive du chef d'entreprise.

Le président du tribunal ouvrira la procédure de conciliation ou, s'il constate qu'il y a état de cessation des paiements depuis plus de 45 jours, refusera d'ouvrir la procédure de conciliation et renverra l'affaire devant le tribunal, qui pourra ouvrir d'office la procédure de redressement ou de liquidation judiciaire, mais non la procédure de sauvegarde.

Aucun recours juridictionnel n'est recevable sur la décision d'ouverture de la conciliation (6).

12 - Toute personne appelée à la procédure de conciliation ou qui, par ses fonctions, en a connaissance, est tenue à la confidentialité, laquelle remplaçant le secret professionnel du règlement amiable pénalement répréhensible. La violation de l'obligation de confidentialité ne trouvera sa réparation que sur le terrain de la responsabilité civile (7).

13 - La mission du conciliateur durera au maximum quatre mois, au lieu des trois mois du droit positif. Sa mission pourra, en outre, être renouvelée pour un mois, sur décision motivée du président du tribunal. Sa mission prend fin de plein droit au terme de la conciliation, c'est-à-dire du constat de l'accord, de l'homologation de la conciliation ou de la décision constatant l'échec de la conciliation.

Le contenu de la mission reste identique : il s'agit de favoriser la conclusion d'un accord avec les principaux créanciers (C. com., art. L. 611-7). En outre, les cocontractants habituels du débiteur sont, le cas échéant, invités à l'accord, alors même qu'ils ne seraient pas créanciers.

La procédure de conciliation permettra d'obtenir de la part des organismes fiscaux et sociaux des remises de dettes, dans les mêmes conditions que pour la sauvegarde.

14 - La procédure de conciliation n'est pas une véritable procédure collective de paiement. L'une des règles classiques de cette dernière, à savoir l'arrêt des poursuites individuelles et des voies d'exécution, n'existe pas ici. La réforme supprime la facultative suspension provisoire des poursuites du règlement amiable.

Aucune interdiction des paiements n'est posée pendant la recherche de l'accord de conciliation. En revanche, est maintenue la règle selon laquelle les créanciers ne peuvent plus, une fois l'ordonnance de conciliation intervenue, prendre des sûretés en garantie des créances incluses dans l'accord.

15 - Pour tenir compte de l'éventualité des poursuites exercées par un créancier pendant la recherche de l'accord de conciliation, la loi prévoit la possibilité pour le conciliateur de solliciter du président du tribunal les délais de grâce de l'article 1244-1 du Code civil (N° Lexbase : L1358ABW), et plus généralement le dispositif des articles 1244-1 à 1244-3 du Code civil. Les mesures ordonnées par le juge obligeront celui-ci à statuer à l'occasion de chacune des poursuites intentées par l'un des créanciers et n'ont donc pas d'effet collectif (8).

16 - Faute de réglementation particulière, l'ouverture de la procédure de conciliation ne produit aucun effet sur les garants du débiteur. Les créanciers peuvent donc librement les poursuivre.

17 - L'échec du règlement amiable n'a qu'une seule cause : l'absence d'accord entre le débiteur et ses principaux créanciers. La solution demeure. Mais, la législation nouvelle prévoit une autre cause d'échec de la conciliation : l'absence d'homologation de l'accord de conciliation.

L'échec de la procédure de conciliation conduit le tribunal à se saisir d'office aux fins d'ouverture d'un redressement judiciaire, si le débiteur est en état de cessation des paiements (C. com., art. L. 631-4, al. 2). Si les conditions de la liquidation judiciaire immédiate sont réunies, le débiteur, dans les huit jours de la notification de la décision refusant l'homologation de l'accord de conciliation, doit saisir le tribunal aux fins d'ouverture d'une liquidation judiciaire (C. com., art. L. 640-4, al. 2).

Si le débiteur ne respecte pas les engagements inclus dans l'accord homologué, il y a possibilité, pour le tribunal saisi par une partie à l'accord, selon l'article L. 611-10, alinéa 5, du Code de commerce, de prononcer la résolution de l'accord et la déchéance de tous les délais de paiement. L'inexécution de la procédure de conciliation n'est plus un cas autonome d'ouverture de la procédure, sans caractérisation de l'état de cessation des paiements.

18 - Pour le surplus, le régime diffère selon que l'accord de conciliation sera ou non homologué. Le projet de loi prévoyait une homologation obligatoire de l'accord de conciliation. Les discussions parlementaires ont insisté sur la nécessité de conserver un caractère confidentiel à la procédure de conciliation. C'est pourquoi une technique alternative a été proposée avec un amendement adopté à l'Assemblée nationale (9). Le débiteur choisira de faire homologuer (B) ou non (A) l'accord de conciliation.

A - La conciliation avec accord constaté

19 - L'accord qui n'est pas homologué sera simplement constaté par le président du tribunal, qui devra être saisi à cet effet par une requête conjointe du débiteur et des créanciers signataires de l'accord. Un contrôle formel sera institué sur, d'une part, l'existence d'un accord intervenu entre les parties, sans possibilité d'en examiner le contenu, et, d'autre part, l'existence d'une déclaration du débiteur certifiant qu'il ne se trouve pas en état de cessation des paiements ou que, par la signature de l'accord, il ne se trouve plus en état de cessation des paiements (10).

L'intervention du juge a pour effet de donner force exécutoire à l'accord (11), ce qui dispensera le créancier, en cas d'inexécution de l'accord, de saisir le tribunal pour faire constater l'inexécution.

B - La conciliation homologuée

20 - La saisine aux fins d'homologation de l'accord de conciliation n'appartient qu'au débiteur. En pratique, il y sera incité par ses partenaires contractuels, et spécialement les établissements de crédit, qui auraient consenti des concours nouveaux. Ils ont alors, en effet, besoin de sécuriser l'accord (12). La demande est présentée par requête au tribunal et non plus à son président.

21 - L'homologation par le tribunal de l'accord est soumise à trois conditions cumulatives de fond. Tout d'abord, le débiteur ne doit pas être en état de cessation des paiements ou l'accord conclu doit y mettre fin. Ensuite, l'homologation par le tribunal de l'accord repose sur le constat que les termes de l'accord sont de nature à assurer la pérennité de l'activité de l'entreprise. Enfin, l'homologation de l'accord est subordonnée au constat que les intérêts des créanciers non parties à l'accord sont sauvegardés.

22 - Parce que le jugement homologuant l'accord de conciliation produit des effets importants, spécialement par la création d'un privilège nouveau (13) (v. infra n ° 34), est prévue une publicité obligatoire du jugement homologuant l'accord de conciliation, mais l'accord de conciliation lui-même ne sera pas publié et restera donc confidentiel (14).

23 - La décision qui refuse l'homologation est, quant à elle, susceptible d'appel.

La décision qui accepte l'homologation est susceptible de tierce opposition, dans les dix jours de la publicité de la décision (C. com., art. L. 611-10, alinéa 2). Elle émanera des créanciers non parties à l'accord.

24 - Une très grande insécurité juridique entoure, en droit positif le règlement amiable. La crédibilisation de la procédure passait nécessairement par l'impossibilité de remonter la date de cessation des paiements à une période antérieure à l'homologation de l'accord. C'est ce que fait le texte de l'article L. 631-8, alinéa 2, pour le redressement judiciaire, rendu applicable en liquidation judiciaire par l'article L. 641-1-IV. Il est, en effet, prévu que la date de cessation des paiements ne pourra être reportée à une date antérieure à la décision définitive ayant homologué l'accord amiable, sauf fraude. Les créanciers seront ainsi assurés de ne pas s'exposer au jeu des nullités de la période suspecte, pour les actes accomplis en phase de recherche de l'accord, mais également, avant la recherche de l'accord. Cela revient à donner à l'homologation l'autorité de la chose jugée sur ce point (15).

25 - Dans la législation du règlement amiable, les créanciers qui consentent des efforts, dans le cadre du règlement amiable, ne sont en rien avantagés par rapport aux autres créanciers. Le texte issu de la réforme, très novateur sur ce point, considère, au contraire, en partant du postulat que l'entreprise bénéficiant d'une procédure de conciliation a nécessairement besoin de fonds nouveaux, qu'il convient d'attirer les créanciers par des avantages. C'est pourquoi un avantage très important est offert aux personnes qui aideront le débiteur à passer le cap difficile. La nature du droit de priorité est précisée par les textes : il s'agit clairement d'un privilège. Ce privilège est accordé aux personnes "qui consentent dans l'accord homologué [...] un nouvel apport en trésorerie au débiteur". Ce texte intéresse évidemment les établissements de crédit, mais il concerne aussi les associés qui consentent des avances en compte courant, et non, en revanche, selon le texte de l'alinéa 3 de l'article L. 611-11, les actionnaires et les associés du débiteur dans le cadre d'une augmentation de capital.

Pour établir une égalité entre les établissements de crédit et les fournisseurs, l'article 611-11 du Code de commerce indique que "dans les mêmes conditions, les personnes qui fournissent, dans l'accord homologué, un nouveau bien ou service en vue d'assurer la poursuite d'activité de l'entreprise et sa pérennité, sont payées pour le prix de ce bien ou de ce service, par privilège". Tous les fournisseurs peuvent donc être concernés, dès lors que la fourniture de biens ou de services est en rapport avec la poursuite de l'activité de l'entreprise.

Le privilège ne sera pas accordé à des créanciers pour garantir des concours antérieurs à l'ouverture de la conciliation. En ce sens, un amendement a été présenté pour éviter tout détournement du texte (16).

L'accord amiable devra prévoir explicitement l'affectation des sommes versées par les apporteurs d'argent frais, pour que puisse être reconnu le privilège de la conciliation (17).

Les bénéficiaires du privilège n'auront l'occasion de l'exercer qu'en cas d'ouverture d'une procédure collective après l'homologation d'un accord de conciliation. Ils seront payés par priorité aux créanciers dont la créance est née avant leur concours, à l'exception du superprivilège des salaires et des frais de justice antérieurs à l'ouverture de la procédure. Le créancier titulaire du privilège de la conciliation, sera contraint, comme tous créanciers antérieurs, à déclarer sa créance. Et, puisqu'il s'agit d'un véritable privilège, en cas d'ouverture d'une procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire, le créancier devra déclarer sa créance, en faisant mention du privilège de la conciliation, sauf à s'exposer à en perdre le bénéfice, selon une solution classiquement posée en matière de déclaration de créance.

26 - En cas d'homologation d'un accord de conciliation, il y aura suspension automatique des effets d'une interdiction d'émission de chèque (C. mon. et fin., art. L. 131 -73 N° Lexbase : L3089G9B).

Pierre-Michel Le Corre
Professeur agrégé des Universités
Directeur du Master droit de la banque de la faculté de droit de Toulon
Formateur - Consultant

newsid:76990