La lettre juridique n°177 du 21 juillet 2005

La lettre juridique - Édition n°177

Table des matières

Union européenne : entre rapports privilégiés et grands principes d'harmonisation

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N6831AIT

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la rédaction

Le 07 Octobre 2010


Entrer dans l'Union européenne ne signifie pas, pour l'Etat concerné, qu'il entre dans une "fratrie" d'Etats tous aussi proches économiquement, commercialement ou fiscalement, les uns que les autres. En clair, l'application de principes généraux communautaires de non-discrimination, de liberté d'établissement, de prestations de services ou de libre circulation, n'empêche nullement les Etats membres d'établir, avec d'autres Etats membres, des conventions comprenant des dispositions éminemment plus favorables que celles découlant de l'application de ces seuls principes. C'est toute la validité de la clause de la Nation la plus favorisée qui trouve ici écho au sein de l'Union européenne, malgré les objectifs d'harmonisation et d'intensification des relations commerciales et d'investissement entre tous les Etats membres. On considère généralement qu'accorder le traitement de la nation la plus favorisée dans des accords sur l'investissement signifie qu'un investisseur d'une partie à un accord ou son investissement seront traités par l'autre partie "dans des conditions non moins favorables", à l'égard d'un objet donné, qu'un investisseur ou un investissement d'un autre pays. La plupart des accords internationaux sur l'investissement comportent une telle clause. Même si le texte, le contexte et même l'objet et le but d'une clause NPF donnée doivent être pris en compte lors de l'interprétation de cette clause, celle -ci constitue l'instrument de "multilatéralisation" par excellence des avantages accordés à des investisseurs étrangers et à leurs investissements (OCDE, Documents de travail de sur l'investissement international, n° 2004/2, Le traitement de la nation la plus favorisée dans le droit international des investissements, septembre 2004). La fiscalité étant l'une des armes privilégiées des Etats pour attirer, ou non, les investissements étrangers, on comprend, dès lors, que cette notion, habituellement réservée au domaine commercial, ait été transposée au sein de certaines conventions fiscales bilatérales (belgo-néerlandaise, par exemple). Plus étonnant, peut-être, est la position adoptée par la Cour de justice des Communautés européennes, qui, à l'encontre de l'avis de l'Avocat général, privilégie l'application de cette clause particulière aux principes généraux communautaires dont la Cour est, pourtant, la garante. Les éditions juridiques Lexbase vous proposent de revenir sur cette question de politique fiscale communautaire aux incidences non négligeables sur le sort des contribuables non-résidents, en lisant le commentaire de Jean-Marc Priol, avocat au barreau de Paris, Landwell & Associés.

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Entreprises en difficulté

[Panorama] Entreprises en difficulté : panorama de jurisprudence des mois de mai et juin 2005, la chronique de P.-M. Le Corre (première partie)

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N6689AIL

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par Pierre-Michel Le Corre, Professeur des Universités, Directeur du Master Droit de la Banque de la Faculté de Toulon et du Var

Le 07 Octobre 2010

Lexbase Hebdo - édition affaires vous propose, cette semaine, un panorama de P.-M. Le Corre, retraçant l'essentiel de la jurisprudence rendue en matière de procédures collectives au cours de ces deux derniers mois. Les sanctions, mais aussi la situation de la caution au cours de la période d'observation, ou encore la déclaration de créance, constituent les thèmes majeurs de l'actualité jurisprudentielle (cf. seconde partie N° Lexbase : N7397AK8).
  • Condamnation des héritiers au redressement et à la liquidation judiciaires personnels (Cass. com., 21 juin 2005, n° 04-13.850, FS-P+B+I+R N° Lexbase : A7695DIT)

Le Code de commerce, dans sa version antérieure à la loi de sauvegarde des entreprises, contient deux types de sanctions pécuniaires : la condamnation au comblement du passif, d'une part, et, d'autre part, le redressement ou la liquidation judiciaire à titre personnel contre le dirigeant de la personne morale débitrice, soit pour inexécution du jugement de condamnation à combler le passif, soit pour faits visés à l'article L. 624-5 de ce code (N° Lexbase : L7044AIQ).

En l'espèce, deux sociétés de transport ont été mises en liquidation judiciaire. Le gérant de ces sociétés étant décédé, le liquidateur a demandé la condamnation des deux héritiers du gérant sur le fondement de l'article L. 624-5 du Code de commerce, c'est-à-dire le redressement ou la liquidation judiciaire à titre personnel pour fautes énumérées à cet article. La cour d'appel fait droit à la demande du liquidateur en indiquant que la sanction patrimoniale de l'ouverture de la procédure collective du dirigeant peut être poursuivie contre la succession du dirigeant. Les héritiers forment un pourvoi et la Cour de cassation censure la décision des juges du fond, énonçant "qu'une indivision successorale étant dépourvue de la personnalité morale, seule pouvait être ouverte la procédure collective du dirigeant décédé".

La solution énoncée ne souffre d'aucune discussion. En revanche, le problème se pose véritablement de savoir si les héritiers d'un dirigeant décédé peuvent être condamnés au redressement ou à la liquidation judiciaire à titre personnel.

Il n'est pas discuté de la possibilité d'agir en comblement de passif contre les héritiers du dirigeant, personne physique, décédé, dès lors qu'ils ont accepté la succession. Il s'agit d'une sanction patrimoniale dont la charge est transmissible, solution posée par la Cour de cassation sous l'empire de la loi du 13 juillet 1967 (loi n° 67-563 N° Lexbase : L7803GT8) (Cass. com., 3 mai 1988, n° 86-10.250, M. Féraud-Prax c/ Consorts Roullier N° Lexbase : A8335AAX, D. 1988, IR p. 140) et reconduite par la jurisprudence, sous l'empire de la loi du 25 janvier 1985 (loi n° 85-98 N° Lexbase : L7852AGW) (CA Versailles, 13ème ch., 27 février 1997, n° 2158/96, M. Didier Fontaine c/ SCP Laureau-Jeannerot N° Lexbase : A9569A48, JCP éd. E. 1997, pan. 468). En revanche, il a été jugé que les héritiers condamnés à combler le passif ne peuvent être personnellement déclarés en redressement ou en liquidation judiciaire personnel pour inexécution du jugement de condamnation à combler le passif (Cass. com., 3 mai 1988, précité). La solution nous semblait devoir être étendue au redressement et à la liquidation judiciaire à titre personnel, sur le fondement de l'article L. 624-5 du Code de commerce (anct L. 25 janv. 1985, art. 182), sur la justification de la nature de sanction de la mesure, qui postule son caractère strictement personnel au dirigeant concerné (B. Soinne, Traité des procédures collectives, 2ème éd., Litec, 1995, n° 2621). Le contraire avait, cependant, été jugé (CA Amiens, ch. éco., 23 janvier 2003, JCP éd. E. 2003, pan. p. 1555, n° 1380) et soutenu, au regard du caractère patrimonial de l'action (J.-F. Martin et J.-L. Vallens, Lamy droit commercial, éd. 2005, n° 4002). Cette dernière solution est retenue dans l'arrêt rapporté par la Cour de cassation. Implicitement, mais nécessairement, la Haute cour considère comme possible le prononcé de la mesure contre les héritiers, la déclarant, en revanche, impossible contre la succession du dirigeant au motif que l'indivision successorale n'a pas la personnalité morale. C'est le premier apport de l'arrêt.

Un second enseignement, énoncé surabondamment et sous forme de principe, se dégage de l'arrêt : "en cas de décès du dirigeant d'une personne morale, le tribunal de la procédure collective de celle-ci, saisi dans les conditions fixées par le second de ses textes [C. com., art. L. 624-5] et dans le délai d'un an à partir de la date du décès, peut ouvrir le redressement ou la liquidation judiciaire de ce dirigeant, les héritiers étant appelés en la cause". Cette formulation rappelle étrangement l'article L. 621-14 du Code de commerce (anct L. 25 janv. 1985, art. 16), selon lequel, "lorsqu'un commerçant, un artisan ou un agriculteur est décédé en état de cessation des paiements, le tribunal est saisi dans le délai d'un an à partir de la date du décès, soit sur la déclaration d'un héritier, soit sur assignation d'un créancier". Ce texte n'intéresse que l'ouverture de la procédure du débiteur personne physique, et non pas le cas ici visé. C'est la raison pour laquelle la Cour de cassation se garde bien de procéder au visa de cette disposition. Et pourtant, c'est bien cette disposition qui est ici appliquée. Ce n'est assurément pas sur le terrain de la logique juridique des procédures collectives qu'il faut trouver la justification de cette solution, qui mérite au demeurant, pleine approbation. C'est l'équité et le droit à un procès équitable qui, selon nous, sous-tend la décision. Comment pourrait-on admettre qu'un héritier soit condamné au redressement ou à la liquidation judiciaire pour des faits commis par le de cujus de très nombreuses années auparavant ? Rappelons, en effet, que les cas visés à l'article L. 624-5 du Code de commerce sont relatifs à des faits antérieurs au jugement d'ouverture de la personne morale (Cass. com., 12 octobre 1993, n° 89-18.900, Consorts Urvoas c/ M. Corré, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société N° Lexbase : A5409ABX, Bull. civ. IV, n° 332 ; Bull. Joly 1993, 1268, note P. Pétel ; Cass. com., 28 novembre 2000, n° 98-11.522, M. X. c/ M. Y. et autres, inédit N° Lexbase : A8289C4R, Act. proc. coll. 2001/4, n° 55 ; RJDA 2001/3 , n° 349 ; CA Paris, 3ème ch., sect. B, 21 novembre 2003, n° 2003/07382, Monsieur Rémy Christian c/ SCP Perney & Angel N° Lexbase : A8872DAT). Dès lors, la seule limite temporelle est la saisine du tribunal dans les trois ans du jugement arrêtant le plan ou prononçant la liquidation judiciaire (C. com., art. L. 624-5-III). Sans cette limitation apportée de façon prétorienne par la Cour de cassation, les héritiers d'un dirigeant de société en liquidation judiciaire auraient pris des risques très sérieux à accepter une succession, qui se révélera déficitaire largement après le décès du de cujus. Entre la protection des créanciers et ceux des héritiers du dirigeant de la société débitrice, la Cour de cassation opère ici un juste équilibre.

Alors que les textes de la loi du 25 janvier 1985 n'ont pas encore épuisé tous leurs mystères, la sanction, ici étudiée, du redressement et de la liquidation judiciaires à titre personnels contre le dirigeant de la société débitrice est supprimée par la loi de sauvegarde des entreprises, qui la remplace par une action en obligations aux dettes sociales, qui permet de mettre à la charge du dirigeant condamné, tout ou partie des dettes de la société débitrice et non plus seulement de son insuffisance d'actif.

  • Détermination des créanciers devant être avertis d'avoir à déclarer leurs créances pour bénéficier de l'inopposabilité de la forclusion (Cass. com., 21 juin 2005, n° 04-10.383, F-P+B N° Lexbase : A8170DIG)

La loi du 10 juin 1994 (loi n° 94-475 N° Lexbase : L9127AG7) a considérablement amélioré la situation des créanciers titulaires de sûretés spéciales et des crédit-bailleurs, en prévoyant que ces créanciers doivent être avertis d'avoir à déclarer leurs créances, sauf à bénéficier du mécanisme de l'inopposabilité de la forclusion, qui leur permet de ne pas encourir la forclusion s'ils dépassent le délai classique de déclaration de leurs créances, dès lors qu'ils n'ont pas été avertis par le mandataire judiciaire. Ce cadeau offert par le législateur, orienté vers la collectivité des établissements de crédit, est limité aux crédit-bailleurs et aux créanciers titulaires de sûretés publiées. Il n'est pas étonnant que des discussions existent en jurisprudence pour déterminer précisément le domaine de cette faveur. En témoigne l'arrêt rapporté.

En l'espèce, une société avait un solde débiteur en banque. En garantie de ce solde débiteur, la banque a obtenu une caution hypothécaire sur les biens de la dirigeante de la société débitrice. La société a été déclarée en liquidation judiciaire et la banque a déclaré sa créance en dehors du délai de deux mois à compter de la publication au Bodacc du jugement d'ouverture. Elle a, ensuite, demandé à être relevée de la forclusion. Puis, devant la cour d'appel, elle a soutenu que la forclusion lui était inopposable en sa qualité de créancier titulaire d'une sûreté publiée. La cour d'appel a rejeté la demande et la Cour de cassation approuve logiquement, en ces termes, la décision des juges du fond : "l'inopposabilité de la forclusion, prévue par le deuxième alinéa de l'article L. 621-46 du code de commerce, ne peut être invoquée par les créanciers titulaires d'une sûreté ayant fait l'objet d'une publication sur un bien n'appartenant pas au débiteur en procédure collective".

La solution, que reproduit la Cour de cassation (V. déjà Cass. com., 16 octobre 2001, n° 98-20.551, F-D N° Lexbase : A4781AWY, Rev. proc. coll. 2002, p. 93, n° 1, obs. F.-F. Legrand ; adde CA Colmar, 29 mai 2001, 1ère ch., sect. A, n° 200004170, Sparkasse Hanauerland c/ Maitre Evelyne Gall-Heng N° Lexbase : A9327A7L, D. 2001, AJ p. 2743, obs. A. Lienhard ; JCP éd. E. 2002, chron. 175, p. 173, n° 11, obs. M. Cabrillac et Ph. Pétel ; Act. proc. coll. 2002/3, n° 37 ; CA Paris, 3ème ch., sect. B, 24 octobre 2003, n° 2002/20274, Société Banque Delubac & Cie c/ Maitre Marie José Josse N° Lexbase : A6302DAN) ne peut qu'être approuvée. L'obligation d'avertissement à la charge du mandataire postule qu'il ait connaissance par le débiteur des créanciers à avertir. C'est l'objet de la liste que le débiteur doit remettre au représentant des créanciers ou au liquidateur (C. com., art. L. 621-45 N° Lexbase : L6897AIB), dans le délai de 8 jours du jugement d'ouverture (D. n° 85-1388, 27 décembre 1985, art. 69, al. 2 N° Lexbase : L5362A4D). La remise de cette liste est imposée à peine d'interdiction de gérer (C. com., art. L. 625-8, al. 2 N° Lexbase : L7054AI4 [anct L. 25 janv. 1985, art. 192, al. 2]). La banque créancière devait, certes, figurer sur cette liste, mais en tant que créancier chirographaire. Tout au plus, était-elle un créancier connu, au sens de l'article 66, alinéa 1er, du décret du 27 décembre 1985 (N° Lexbase : L5356A47). Dès que le créancier est un créancier "connu", le représentant des créanciers ou le liquidateur, selon le cas, a l'obligation de l'avertir. Ne peut donc être suivie l'affirmation d'une cour d'appel qui considère que seul le créancier bénéficiant d'une sûreté ayant fait l'objet d'une publication doit être averti (CA Paris, 3ème ch., sect. A, 7 septembre 2004, n° 2003/19612, M. Le Receveur Principal des Impôts de Lyon Est c/ S.A.R.L. Société Aie Entreprise N° Lexbase : A5556DEI). Cependant, à défaut d'avertissement, et même si le créancier ne figure pas sur la liste remise au mandataire de justice par le débiteur, le créancier, qui ne peut disposer du mécanisme de l'inopposabilité de la forclusion, doit solliciter un relevé de forclusion (Cass. com., 30 juin 2004, n° 03-11.046, FS-P+B N° Lexbase : A9047DC3, D. 2004, AJ p. 2044 ; Cass. com., 10 mai 2005, n° 03-21.096, Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) des Bouches-du-Rhône c/ Société Clinique provençale de la Tour d'Aygosi, F-D N° Lexbase : A2286DII), sans pouvoir s'émanciper du délai d'un an pour présenter sa demande en relevé de forclusion (Cass. com., 19 novembre 2003, n° 00-21.294, F-D N° Lexbase : A3007DAM). Le mécanisme de l'inopposabilité de forclusion est ici inapplicable.

Dans la présente espèce, il y avait bien une sûreté publiée, mais elle était inscrite sur un bien qui n'appartenait pas au débiteur. Le mandataire de justice n'avait évidemment aucune démarche à accomplir pour connaître ce créancier. Il n'avait pas à lever des états d'inscription sur un bien qui n'appartenait pas au débiteur. Le créancier était donc traité comme un créancier chirographaire, ce qu'il était au regard des créanciers de son débiteur, car son droit de préférence n'avait vocation à être opposé qu'aux créanciers du constituant de la sûreté, les créanciers de la caution hypothécaire.

La formule employée par la Cour de cassation -"l'inopposabilité de la forclusion [...] ne peut être invoquée par les créanciers titulaires d'une sûreté ayant fait l'objet d'une publication sur un bien n'appartenant pas au débiteur"- est suffisamment large pour englober l'hypothèse fréquente d'une sûreté inscrite sur le bien appartenant à l'époux commun en biens. Il n'apparaît pas, en revanche, que le représentant des créanciers ait l'obligation d'avertir le créancier du conjoint in bonis, créancier inscrit au titre d'une sûreté publiée sur un bien commun, dans la procédure collective atteignant l'époux, même si le contraire a été préconisé (Diligences des mandataires de justice et recommandations, Bolard G. (dir.), IFPPC, 5ème éd., 1999, recomm. n° 1102-6 et 6034-6, p. 28 et 164). L'inopposabilité de la forclusion n'apparaît devoir jouer qu'au profit du créancier du débiteur en redressement ou en liquidation judiciaire, l'opinion contraire ayant, cependant, été émise (C. Saint-Alary Houin, Les dangers pour les créanciers de l'époux in bonis de l'ouverture d'une procédure collective contre son conjoint, Petites affiches 26 août 1998, n° 12, p. 16 s., spéc. p. 20, n° 18).

Indiquons, pour terminer, que, si le mécanisme de l'inopposabilité de la forclusion a été, en tant que tel, supprimé par la loi de sauvegarde des entreprises, les règles générales présidant à l'avertissement des créanciers sont maintenues et même élargies, puisqu'elles ont vocation à s'appliquer, non seulement aux créanciers titulaires de sûretés publiées, mais encore à tous les créanciers titulaires de contrats publiés et non plus seulement aux crédit-bailleurs. En outre, la solution prétorienne selon laquelle le délai de déclaration de créances de ces créanciers ne court qu'à compter de l'avertissement d'avoir à déclarer la créance est législativement consacrée (C. com., art. L. 622-22, al. 1 N° Lexbase : L7017AIQ).

  • Suspension des voies d'exécution contre la caution pendant la période d'observation et remise de l'audience d'adjudication sur saisie immobilière (Cass. com., 24 mai 2005, n° 03-16.338, F-P+B N° Lexbase : A4176DII)

L'article L. 621-48, alinéa 2, du Code de commerce (N° Lexbase : L6900AIE) (anct L. 25 janv. 1985, art. 55, al. 2) prévoit que "le jugement d'ouverture du redressement judiciaire suspend jusqu'au jugement arrêtant le plan de redressement ou prononçant la liquidation toute action contre la caution". Il y a, ainsi, une suspension des actions pendant la période d'observation. Le texte ne précise pas s'il s'agit des actions en paiement ou, aussi, des actions tendant à l'exécution des titres, c'est-à-dire les voies d'exécution. Faute de distinction du texte, l'interprète n'a pas davantage à distinguer. La solution est d'ailleurs confortée par l'article 70-1 du décret du 27 décembre 1985, dans la rédaction que lui a donnée le décret du 21 octobre 1994 (N° Lexbase : L5365A4H), qui vise les "instances ou les voies d'exécution suspendues". En conséquence, il faut décider que toute action en justice tendant au paiement de la caution est suspendue. Il en va de même des voies d'exécution pour le créancier muni d'un titre contre la caution. Dans ces conditions, comment articuler le droit de la saisie immobilière avec la règle de l'interdiction des poursuites de la caution pendant la période d'observation ? C'est à cette question que répond l'arrêt rapporté.

En l'espèce, deux époux se portent caution des engagements souscrits par une société envers une banque. En exécution du cautionnement, la banque engage à leur encontre une procédure de saisie immobilière. La veille de l'audience d'adjudication, les cautions versent aux débats le jugement d'ouverture du redressement judiciaire de la société cautionnée et sollicitent la suspension de la saisie, invoquant l'article L. 621-48 du Code de commerce qui prévoit la suspension de toute action contre les cautions personnelles personnes physiques pendant la période d'observation du débiteur principal. Ils sont déboutés de leur demande de suspension, au prétexte qu'ils n'avaient pas été déposer leur dire dans le délai de 5 jours prévus sous peine de déchéance par l'article 703 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L8996C8P). Ils se pourvoient en cassation. La Cour de cassation va déclarer leur pourvoi irrecevable, au motif que "la suspension des poursuites invoquée constituait une contestation de fond portant sur l'exigibilité de la créance et n'entrait pas dans le champ d'application de l'article 703 du code de procédure civile".

Les cautions, sans doute tardivement, avaient compris la règle de l'article L. 621-48 du Code de commerce, qui interdit les poursuites contre les cautions personnelles personnes physiques pendant la période d'observation. Ce texte empêche également toute exécution de titre et fait, donc, obstacle, tant à l'engagement qu'à la poursuite d'une saisie immobilière contre une telle caution pendant la période d'observation de la procédure de redressement judiciaire du débiteur principal. Cette demande de suspension, précise, ici, la Cour de cassation, n'est pas un incident entrant dans le champ d'application de l'article 703 de l'ancien Code de procédure civile, texte qui envisage les causes graves justifiant la remise de l'adjudication sur saisie immobilière. Parce que l'article 703 de l'ancien Code de procédure civile était inapplicable, la demande de remise de l'adjudication n'avait pas à être présentée au plus tard dans les cinq jours précédant l'audience d'adjudication. Mais encore fallait-il en tirer, sur le terrain procédural, les conséquences qui s'imposent : la décision du tribunal refusant la remise de l'adjudication était susceptible d'appel. Dès lors, le pourvoi en cassation directement formé sur le jugement était irrecevable.

Précisons que les solutions dégagées dans le présent arrêt resteront applicables après l'entrée en vigueur de la loi de sauvegarde des entreprises, qui reprend la règle de la suspension des poursuites individuelles pendant la période d'observation du débiteur principal, en l'étendant aux personnes physiques cautions réelles, codébiteurs et garants autonomes.

La tâche du praticien n'est pas mince lorsqu'il est confronté à devoir coordonner deux corps de règles aussi techniques que celles des procédures collectives et de la saisie immobilière. C'est un travail de véritable spécialiste. Mais, après tout, lorsqu'un patient a mal au pied, va-t-il voir un cardiologue ?

  • Suspension des actions contre la caution pendant la période d'observation et jugement rendu après la fin de la période d'observation (Cass. com., 7 juin 2005, n° 03-18.421, F-D N° Lexbase : A6474DIM)

La loi du 10 juin 1994 (loi n° 94-475 N° Lexbase : L9127AG7) a instauré, au profit des cautions personnelles personnes physiques, une suspension des actions pendant la période d'observation du redressement judiciaire du débiteur principal. La rédaction de l'article L. 621-48, alinéa 2, du Code de commerce (N° Lexbase : L6900AIE) vise les actions "suspendues", ce qui postule que l'action en justice ou la voie d'exécution ait été entamée avant jugement d'ouverture du débiteur principal. En réalité, même si la rédaction du texte laisse à désirer, il faut décider que l'action en justice ou la voie d'exécution ne pourra davantage être entamée après le jugement d'ouverture. Le texte doit être ici interprété a fortiori. Le jugement rendu au mépris de l'interdiction des poursuites pendant la période d'observation peut être annulé (CA Paris, 15ème ch., sect. B, 8 octobre 2004, n° 03/00399, Société Briverdel et autres c/ Société Générale N° Lexbase : A7910DEP), encore qu'il apparaisse, plus justement, qu'il doive être tenu pour non avenu. Mais que se passe-t-il si le jugement est rendu après la fin de la période d'observation, alors que l'assignation a été lancée pendant la dite période ? C'est à cette question, d'un intérêt pratique évident, que répond l'arrêt rapporté.

En l'espèce, une banque octroie à une société P. deux prêts avec le cautionnement solidaire de deux personnes, M. C. et Mme J.. La banque se porte elle-même caution de la société P. au profit d'une société CNC, son engagement étant garanti par le cautionnement solidaire de M. C. et de Mme J.. La société P. est déclarée en redressement judiciaire. La banque déclare ses créances et assigne en paiement les cautions en exécution de leurs deux séries de cautionnements. La cour d'appel va déclarer doublement irrecevable la banque, au premier motif que l'assignation a été délivrée pendant la période d'observation, et au second motif que les dettes principales du débiteur principal n'étaient pas exigibles du fait du plan de continuation qu'il avait obtenu. La Cour de cassation va doublement censurer la décision.

Sur le second point, qui ne sera pas celui de notre attention, la Cour de cassation va énoncer, sans surprise, "qu'en statuant ainsi, alors que les délais de paiement consentis par les créanciers participent de la nature judiciaire des dispositions du plan de redressement et que les cautions solidaires ne peuvent s'en prévaloir, la cour d'appel a violé l'article susvisé" (C. com., art. L. 621-65, al. 2 N° Lexbase : L6917AIZ). La règle est connue : les cautions solidaires ne peuvent se prévaloir des dispositions du plan. Elles ne peuvent, en conséquence, se prévaloir des remises et, ce que précise ici la Cour de cassation, des délais accordés au débiteur, sans qu'il y ait à distinguer selon qu'ils ont été acceptés dans le cadre de la consultation préparatoire à l'adoption du plan de continuation ou qu'ils aient été imposés par le tribunal.

La solution est plus intéressante sur le premier point. La Cour de cassation va identiquement censurer la cour d'appel en relevant "qu'en statuant ainsi, alors qu'après l'adoption du plan de redressement du débiteur, le créancier avait retrouvé son droit d'agir sans être tenu de délivrer une nouvelle assignation, la cour d'appel a violé le texte susvisé" (C. com., art. L. 621-48).

La Cour de cassation n'a pas explicité la solution. Elle est pleinement justifiée au regard de l'article 126 du Nouveau Code de procédure civile (N° Lexbase : L2072AD4), selon lequel "l'irrecevabilité sera écartée si sa cause a disparu au moment où le juge statue". Ce texte permet assurément de laisser sans conséquence une introduction de l'instance contre la caution en période d'observation, dès lors que le tribunal a statué une fois la période d'observation terminée. Le créancier n'aura, dès lors, pas à lancer une nouvelle assignation au jour de l'arrêté du plan, solution précédemment posée (Cass. com., 24 mai 2005, n° 03-21.043, FS-P+B N° Lexbase : A4213DIU) ou du prononcé de la liquidation judiciaire (Cass. com., 10 mars 2004, n° 01-13.508, FS-P+B N° Lexbase : A6393DBE ; P.-M. Le Corre, L'assignation pendant la période d'observation des cautions personnelles personnes physiques, Lexbase Hebdo n° 121 du 19 mai 2004 - édition affaires N° Lexbase : N1623ABQ, D. 2004, AJ p. 1020, obs. A. Lienhard ; Rev. proc. coll. 2004, p. 231, n° 3, obs. F. Macorig-Venier).

La solution est spécialement heureuse pour le créancier qui a inscrit une sûreté judiciaire provisoire sur un bien de la caution après l'ouverture de la procédure collective du débiteur principal. A défaut, la sûreté judiciaire provisoire, que le créancier a le droit d'inscrire sur un bien de la caution pendant la période d'observation du redressement judiciaire du débiteur principal, serait nécessairement caduque si le créancier n'avait pas assigné la caution avant l'ouverture de la procédure collective du débiteur. Cette solution de la Chambre commerciale de la Cour de cassation permet de sauver la désastreuse jurisprudence de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation qui pose en règle la caducité de la mesure conservatoire pratiquée sur la caution après le jugement d'ouverture de la procédure du débiteur principal, faute pour le créancier de pouvoir lancer son action contre la caution après ledit jugement d'ouverture pour valider, ainsi, sa mesure conservatoire (Cass. civ. 2, 30 avril 2002, n° 00-20.372, M. André Rivera c/ Banque populaire provençale & corse (BPPC), FS-P+B N° Lexbase : A5571AYY, D. 2002, AJ p. 2260, obs. A. Lienhard ; JCP éd. E. et A. 2002, chron. 1380, p. 1521, n° 3, obs. Ph. Pétel ; Act. proc. coll. 2002/11, n° 140, obs. Ph. Pétel ; RTD com. 2003, p. 162, n° 2, obs. A. Martin-Serf). La loi de sauvegarde des entreprises n'a pas changé les données du problème, sauf à étendre le dispositif à toutes les personnes physiques cautions -personnelles et réelles-, aux coobligés et aux garants autonomes. Peut-être le pouvoir réglementaire sera-t-il clairvoyant... Après tout, la solution, qui apporterait une précision procédurale à l'article L. 622-26, alinéa 3, tel qu'il résulte de la loi de sauvegarde des entreprises, apparaît de nature réglementaire.

Pour la seconde partie de ce panorama, lire (N° Lexbase : N7397AK8)

newsid:76689

Fiscalité internationale

[Jurisprudence] Clause de la nation la plus favorisée et non-discrimination (impôt sur la fortune) : le verdict du défaut de situation comparable

Réf. : CJCE, 5 juillet 2005, aff. C-376/03, D. c/ Inspecteur van de Belastingdienst/Particulieren/Ondernemingen buitenland te Heerlen (N° Lexbase : A9934DIR)

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par Jean-Marc Priol, Avocat au Barreau de Paris, Landwell & Associés

Le 07 Octobre 2010

Un résident allemand, imposable aux Pays-Bas pour les biens immobiliers qu'il possède dans ce pays, peut-il bénéficier de l'avantage fiscal consistant en un abattement forfaitaire appliqué sur le patrimoine taxable, accordé en premier lieu aux seuls résidents de ce pays, et à défaut, en second lieu par la convention bilatérale conclue entre les Pays-Bas et la Belgique, aux seuls résidents belges propriétaires de biens immobiliers aux Pays-Bas ? Cette situation, résultant d'un arrêt de la CJCE en date du 5 juillet 2005, soulevait deux questions. D'abord, celle de l'existence d'une discrimination contraire aux articles 56 et suivants du Traité CE, puis celle de l'application de la clause de la nation la plus favorisée. L'avocat général, dans ses conclusions concernant la première question (Conclusion de l'Avocat général M. Damaso Ruiz-Jarabo Colomer sur l'affaire C-376/03 - lire le commentaire de Jean-Marc Priol, "Clause de la Nation la plus favorisée" : une notion inconfortable au regard des principes fondamentaux du droit communautaire, Lexbase Hebdo n° 144, du 24 novembre 2004 - édition fiscale N° Lexbase : N3657AB3), avait suggéré à la Cour de constater l'existence d'une discrimination, au motif tiré de ce que "les articles 56 CE et 58 CE relatifs à la libre circulation des capitaux dans la Communauté s'opposent à une réglementation nationale qui, en matière d'impôt sur la fortune, reconnaît aux contribuables résidents le droit à un abattement qu'elle refuse aux contribuables non-résidents (sauf si 90 % de leur patrimoine se trouve dans l'Etat membre en question), dans un cas où ces derniers n'ont pas d'autre "patrimoine imposable", étant donné que leur patrimoine situé dans d'autres Etats n'est pas soumis à un impôt de ce genre".

Ce dernier, sur la seconde question, après avoir relevé, en l'espèce, que la clause de la nation la plus favorisée revêtait un caractère subsidiaire, poursuivait (point 96) en observant que si cette clause "ne peut être automatiquement transposée [...]", en raison du fait (points 66 et 67 des conclusions) "que l'objet d'une convention bilatérale de double imposition est d'éviter que les revenus déjà imposés par l'un des Etats le soient à nouveau dans l'autre et non de garantir au contribuable le statut fiscal le plus favorable dans chaque cas donné", rien n'empêche (points 97) "que le droit communautaire apporte un correctif pour mettre fin à une situation d'inégalité lorsque l'application d'une norme conventionnelle par un Etat membre fait obstacle à la libre circulation des capitaux en appliquant de façon injustifiée un traitement différent aux personnes résidant dans d'autres Etats membres".

1. A la première question, qui a trait au point de savoir si la situation de la fortune détenue par un non-résident (Allemand) dans un Etat membre (Pays-Bas) peut être considérée comme une situation comparable aux fins de déterminer, pour l'imposition de la fortune qu'il possède dans cet Etat (Pays-Bas), s'il peut bénéficier de l'abattement prévu par la législation de ce dernier Etat (point 42), la Cour, contrairement aux conclusions de son Avocat général, a répondu par la négative.

En effet, elle considère (point 43) que "les articles 56 CE et 58 CE ne s'opposent pas à une réglementation selon laquelle un Etat membre refuse aux contribuables non-résidents, qui détiennent l'essentiel de leur fortune dans l'Etat dont ils sont résidents, le bénéfice des abattements qu'il accorde aux contribuables résidents".

Pour la Cour (point 38), "un contribuable qui ne détient qu'une partie non essentielle de sa fortune dans un Etat membre autre que l'Etat dont il est résident n'est pas, en règle générale, dans une situation comparable à celle des résidents de cet autre Etat membre et que le refus des autorités concernées de lui accorder l'abattement dont bénéficient ces derniers ne constitue pas une discrimination à son encontre".

Elle justifie, ainsi, l'application d'un traitement différencié entre résidents et non-résidents en l'absence de situation comparable.

Elle relève, encore, (point 41) que "la circonstance que l'Etat de résidence de l'intéressé a aboli l'impôt sur la fortune est sans incidence sur cette situation de fait. Dès lors que l'intéressé détient l'essentiel de sa fortune dans l'Etat dont il est résident, l'Etat membre dans lequel il ne détient qu'une partie de sa fortune n'est pas tenu de lui accorder les avantages qu'il accorde à ses propres résidents".

La Cour justifie sa position (point 37) en faisant observer que "comme en matière d'impôt sur le revenu, il convient, ainsi, de considérer, en ce qui concerne l'impôt sur la fortune, que la situation du non-résident est différente de celle du résident, dans la mesure où non seulement l'essentiel des revenus, mais aussi l'essentiel de la fortune de ce dernier sont normalement centralisés dans l'Etat dont il est résident. Par conséquent, cet Etat membre est le mieux placé pour tenir compte de la capacité contributive globale du résident en lui appliquant, le cas échéant, les abattements prévus par sa législation".

Elle constate, en effet, (point 36) que, dès lors que cet abattement a pour "but [...] d'assurer qu'au moins une partie du patrimoine global de l'assujetti concerné soit exempte d'impôt sur la fortune", il ne peut jouer pleinement son rôle que si l'imposition porte sur la totalité de la fortune de l'intéressé justifiant, ainsi, que des non-résidents, qui ne sont taxés dans l'autre Etat membre que sur une partie de leur fortune, ne sont pas fondés à bénéficier de cet abattement.

La Cour donne, donc, plein effet à la similarité des situations, selon elle, des assujettis à l'impôt sur la fortune et à l'impôt sur le revenu.

Elle transpose, ainsi, contrairement à ce que soutenait l'intéressé, M. D., sa jurisprudence "Schumacker" prise en matière d'impôt sur le revenu (CJCE, 14 février 1995, aff. C-279/93, Finanzamt Köln-Altstadt c/ Roland Schumacker, points 31, 33, et 36, 37 N° Lexbase : A1803AWP), aux termes de laquelle "le fait pour un Etat membre de ne pas faire bénéficier un non-résident de certains avantages fiscaux qu'il accorde aux résidents n'est, en règle générale, pas discriminatoire puisque ces deux catégories de contribuables ne se trouvent pas dans une situation comparable".

La Cour rappelait, à cette occasion, qu'elle considérait que "l'impôt sur la fortune, comme l'impôt sur le revenu, constitue un impôt direct établi en fonction de la capacité contributive du contribuable", l'impôt sur la fortune étant "souvent considéré comme un complément de l'impôt sur le revenu, portant, notamment, sur le capital".

Il en aurait, donc, été différemment si l'essentiel de la fortune de M. D., non-résident des Pays-Bas, avait été situé dans ce pays pour suivre, en cela, la jurisprudence de la Cour postérieure à l'arrêt "Schumacker" (voir, notamment, CJCE, 14 septembre 1999, aff. C-391/97, Frans Gschwind c/ Finanzamt Aachen-Aussenstadt, point 32 N° Lexbase : A0554AWG ; CJCE, 1er juillet 2004, aff. C-169/03, Florian W. Wallentin, point 17 N° Lexbase : A8143DCL).

2. A la seconde question, qui a trait au point de savoir, au regard du Traité (CE, art. 56 et 58 CE), si est licite la différence de traitement existant entre un résident de Belgique et un résident d'Allemagne en application d'une convention bilatérale visant à prévenir la double imposition, aux termes de laquelle un Etat membre reconnaît uniquement aux résidents de l'autre Etat partie à la convention l'abattement qu'il accorde à ses propres résidents, sans étendre celui-ci aux résidents des autres Etats membres (point 46), la Cour répond positivement.

Il résulte de cette situation qu'un résident d'un Etat membre (la Belgique), se trouvant dans une situation analogue à celle d'un non-résident (Allemand) et possédant aux Pays-Bas un bien immobilier ne représentant que 10 % du montant de l'ensemble de sa fortune, bénéficie, contrairement à ce non-résident (Allemand), de l'abattement accordé par le Royaume des Pays-Bas à ses propres résidents en matière d'impôt sur la fortune.

Elle répond, ainsi, fermement à la suite des conclusions hésitantes de son Avocat général précitées.

Selon celui-ci, en effet, dans les situations triangulaires comme celle du litige (point 97 des conclusions) soumis à la Cour, "la position du contribuable dans l'Etat d'imposition peut être construite en se fondant sur la clause de la nation la plus favorisée, mais, également, sur la base de l'existence d'une restriction aux libertés de circulation des capitaux".

Il concluait, en conséquence, qu'il était, à son sens (point 97 des conclusions), "contraire au droit communautaire d'accepter des obligations de réciprocité vis-à-vis d'un autre Etat membre, lorsqu'elles limitent les libertés de circulation des ressortissants d'Etats européens tiers [...] et que les normes nationales, dont font partie les traités internationaux valablement conclus et ratifiés, ne peuvent violer les libertés fondamentales du système juridique européen".

Mais la Cour en a, donc, décidé autrement en reconnaissant licite la différence de traitement, ainsi, organisée (point 63), en considérant que "les articles 56 CE et 58 CE ne s'opposent pas à ce qu'une règle prévue par une convention bilatérale visant à prévenir la double imposition [...], ne soit pas, dans une situation et dans des circonstances telles que celles de l'affaire [...], étendue au ressortissant d'un Etat membre non partie à ladite convention".

La Cour fait observer (point 53) que le litige n'a pas pour "objet les conséquences d'une répartition des compétences fiscales à l'égard des ressortissants ou des résidents d'Etats membres parties à une même convention, mais vise à établir une comparaison entre la situation d'une personne résidente d'un Etat tiers à une telle convention et celle d'une personne couverte par cette convention".

Il en découle, selon elle, les appréciations suivantes :

- qu'est une conséquence inhérente aux conventions bilatérales préventives de la double imposition le fait que ces droits et obligations réciproques ne s'appliquent qu'à des personnes résidentes de l'un des deux Etats membres contractants (point 61). Il s'ensuit qu'un assujetti résident de la Belgique ne se trouve pas dans la même situation qu'un assujetti résidant en dehors de la Belgique en ce qui concerne l'impôt sur la fortune établi à raison de biens immobiliers situés aux Pays-Bas ;

- la règle (l'abattement) prévue à l'article 25, paragraphe 3, de la convention belgo-néerlandaise ne saurait être analysée comme un avantage détachable du reste de la convention, mais en fait partie intégrante et contribue à son équilibre général (point 62).

Il est à noter que la Cour n'a pas entendu, comme le demandait M. D., tirer toutes les conséquences de l'arrêt "Saint-Gobain" (CJCE, 21 septembre  1999, aff. C-307/97, Compagnie de Saint-Gobain, Zweigniederlassung Deutschland c/ Finanzamt Aachen-Innenstadt N° Lexbase : A8910AUK).

Elle rappelle, en effet, que dans cette affaire (voir points 56, 57 et 59 de l'arrêt "Saint-Gobain" précité) que l'assujetti non-résident disposant d'un établissement stable dans un Etat membre avait été considéré comme dans une situation équivalente à celle d'un assujetti résident de cet Etat.

C'est, ainsi, que la Cour avait effectivement posé, dans le cadre d'une convention préventive de double imposition conclue entre un Etat membre et un pays tiers, le principe suivant lequel le "traitement national impose à l'Etat membre partie à ladite convention d'accorder aux établissements stables de sociétés non-résidentes les avantages prévus par la convention aux mêmes conditions que celles qui s'appliquent aux sociétés résidentes".

Or, dans la présente affaire D., la Cour relève que la juridiction de renvoi (des Pays-Bas) a posé la question en exposant la situation de M. D. comme n'étant pas comparable à celle d'un résident des Pays-Bas dans l'hypothèse d'une réponse négative de la Cour à la première question sur l'existence d'une discrimination analysée ci avant au 1.

Il s'ensuivait que la Cour avait, donc, à examiner la question de la comparabilité ou non de la situation de M. D. à la situation d'un autre non-résident bénéficiant d'un traitement particulier en application d'une convention préventive de double imposition conclue entre la Belgique et le Royaume des Pays-Bas.

Or, elle considère (point 59) qu'un "traitement similaire au regard de l'impôt sur la fortune aux Pays-Bas, tel que M. D., résident de l'Allemagne et un assujetti résident de la Belgique présuppose que ces deux assujettis soient considérés comme étant dans la même situation" ce qui n'est pas le cas, comme elle l'a, d'ailleurs, démontré lors de l'examen de la première question sur la discrimination.

La position de la Cour est, donc, conforme à sa jurisprudence "Gilly" (CJCE, 12 mai 1998, aff. C-336/96, Epoux Robert Gilly c/ Directeur des services fiscaux du Bas-Rhin, point 30 N° Lexbase : A1840AW3), aux termes de laquelle elle avait, déjà, admis qu'une différence de traitement entre ressortissants de deux Etats contractants, résultant de la répartition de compétence fiscale entre ces deux même Etats, ne saurait être constitutive d'une discrimination contraire aux libertés fondamentales.

En conclusion, dans cette affaire, on notera qu'en apportant une réponse négative aux questions soulevées par le requérant, pour défaut de comparabilité pertinente dans sa situation avec celle de résidents ou de non-résidents, la Cour en a profité pour rappeler strictement les contours de la notion de comparabilité.

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Sociétés

[Textes] La société européenne à la française : naissance tardive d'un prématuré !

Réf. : Projet de loi modifié par le sénat devenu Loi du 26 juillet 2005, n° 2005-842, pour la confiance et la modernisation de l'économie (N° Lexbase : L8800G9S)

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Le 07 Octobre 2010

Attendue depuis le 8 octobre 2004, la société européenne a enfin trouvé droit de cité dans un projet de réforme et connaît un avènement proche. "Enfin", diront certains ! "Déjà", s'exclameront d'autres ! Il est vrai que les enjeux de la société européenne paraissaient trop importants pour que le législateur ne s'en empare pas. La société européenne est tout à la fois :
- la première forme sociale dont le droit communautaire a eu l'initiative ;
- un terrain consensuel pour la rencontre de problématiques sociales et entreprenariales ;
- un véhicule dédié à la mobilité intracommunautaire ;
- une solution d'avenir pour les restructurations intracommunautaires d'entreprise, fusion, transformation, filialisation, création de holding, etc. ;
- un vecteur d'image communautaire pour les sociétés souhaitant bénéficier, auprès de leurs clients, voire de leurs fournisseurs ou des investisseurs de l'essence "européenne" de cette forme sociale.

Ces mêmes enjeux méritaient, cependant, une véritable concertation des syndicats et du patronat, de l'Autorité des marchés financiers -car cette forme sociale peut faire appel public à l'épargne-, du monde de la finance, de l'administration fiscale et de la doctrine. A notre connaissance, concernant le dernier projet, cette vaste consultation et les débats qui auraient dû en découler n'ont pas eu lieu.

Deux amendements au projet de loi de confiance et de modernisation de l'économie ont ainsi été déposés. Le premier l'a été par le sénateur Philippe Marini ; il concerne, pour l'essentiel, le statut de la société européenne. Le second a été déposé par le sénateur Jean-Jacques Hyest ; il tend à la transposition de la directive 2001/86/CE du Conseil du 8 octobre 2001 (N° Lexbase : L5882A4M) complétant le statut de la société européenne pour ce qui concerne l'implication des travailleurs. Ce projet de loi devrait, selon nos sources, être adopté prochainement.

La société européenne est régie, au premier chef, par le Règlement n° 2157/2001 du Conseil du 8 octobre 2001 (N° Lexbase : L1040AWG) relatif au statut de la société européenne ; au second chef, par le droit interne des sociétés européennes de chacun des Etats membres -aménagé par le projet de loi ici commenté-, au troisième chef, par le droit interne des sociétés anonymes ; et au quatrième chef, par la liberté contractuelle.

Sans s'engager plus avant dans la partie relative à la transposition de la directive qui relève essentiellement du droit du travail, on procèdera à une présentation rapide de ce que devrait être le statut et le régime de la société européenne (SE) à la française.

I - Le statut de la société européenne

A - La société européenne en elle-même

La SE est une forme sociale à part entière. Il ne s'agit pas d'une variété de société anonyme. Elle doit être immatriculée pour bénéficier de la personnalité morale. Son capital, supérieur ou égal à 120 000 euros, est divisé en actions. Ses actionnaires voient leur responsabilité limitée au montant de leurs apports.

Son siège statutaire et son administration centrale (à savoir son siège réel) ne peuvent être dissociés (C. com., art. L. 229-1). Le législateur a, ainsi, choisi l'option la plus contraignante de l'article 7 du Règlement n° 2157/2001. D'une part, comme le dispose la première phrase de cet article, le siège statutaire et l'administration centrale doivent être situés "à l'intérieur de la communauté dans le même Etat membre", la dissociation sera envisagée, ultérieurement, par la Commission (Règlement n° 2157/2001, art. 69, a). D'autre part, la France a pris le parti d'"imposer aux SE immatriculées sur son territoire l'obligation d'avoir leur administration centrale et leur siège statutaire au même endroit". C'est, ainsi, une conception contraignante de la théorie de la réalité adoptée. Il ne sera, par exemple, pas possible d'envisager un siège statutaire à Paris et une administration centrale en province. La SE pouvant, comme les sociétés anonymes, utiliser la visioconférence pour tenir ses conseils d'administration, et d'une façon générale l'ensemble des réunions des organes sociaux, le lieu de l'administration centrale pourra s'avérer difficile à déterminer. Exit, de façon interne dans un premier temps, la théorie de l'incorporation et au moins dans un avenir proche, une ouverture pour les SE constituées en France vers la dissociation intracommunautaire du siège statutaire et de l'administration centrale.

Pour l'instant, le droit français écarte, ainsi, un effet de cette théorie qui aurait été bien apprécié des investisseurs souhaitant bénéficier d'une implantation française et intracommunautaire souple et favorable à la mise en oeuvre de l'arrêt Überseering. Cet arrêt permet, en effet, le déplacement intracommunautaire de l'administration centrale d'une société constituée dans un Etat de l'Union européenne dont la lex societatis ne s'oppose pas à la dissociation du siège statutaire et de l'administration centrale (CJCE, 5 novembre 2002, aff. C-208/00, Überseering BV c/ Nordic Construction Company Baumanagement GmbH NCC N° Lexbase : A6860A3H : Bull. Joly Sociétés, 2003, p. 452, § 91, note M. Luby ; JCP, éd. E., 2003, n° 448, note M. Menjucq ; Rev. sociétés, 2003, p. 315, note J.-Ph. Dom ; Rev. crit. DIP, 2003, p. 508, note P. Lagarde).

La sanction du défaut de respect des dispositions précédentes peut être lourde, car le défaut de régularisation dans les délais peut entraîner la liquidation de la SE (C. com., art. L. 229-9).

La SE peut être unipersonnelle, mais de façon très exceptionnelle. Il n'y a, en effet, que la SE filiale à 100 % d'une SE qui pourra bénéficier de ce que d'aucun voyait déjà comme le moyen de généraliser la société anonyme à associé unique (C. com., art. L. 229-6). On appliquera à cette société les règles de l'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée, ce qui peut surprendre et méritera, probablement, quelques approfondissements.

B - La société européenne par ses organes

L'assemblée de la SE obéit au droit des sociétés anonymes tant que les dispositions des articles L. 225-96 et suivants (N° Lexbase : L5967AIT) sont compatibles avec le Règlement n° 2157/2001 (C. com., art. L. 229-8).

La direction et l'administration de la SE sont, également, soumis au droit des sociétés anonymes (C. com., art. L. 229-7), à quelques aménagements près :

- que la SE soit constituée avec une direction de type moniste (à conseil d'administration) ou dualiste (à directoire et conseil de surveillance) :

  • à moins que l'on soit en présence d'une SE unipersonnelle, les statuts devront contenir les dispositions relatives aux conventions réglementées ;
  • les règles de quorum et de majorité applicables aux organes de direction de la société anonyme sont écartées. Le règlement prévoit déjà, pour le quorum, que la moitié au moins des membres soient présents ou représentés et, pour la prise de décision, qu'elle se fasse à la majorité de ses membres présents ou représentés (Règlement n° 2157 /2001, art. 50) ;
  • les dispositions relatives à la participation des travailleurs telles que définies à l'article L. 439-25 du Code du travail (N° Lexbase : L6470ACM) doivent être respectées nonobstant le nombre maximal de membres du conseil d'administration ou du conseil de surveillance ;

- Pour les SE à directoire :

  • la SE est dirigée par un directoire composé de sept membres au plus. Cette extension par rapport à la société anonyme est prévue afin de permettre, dans les SE de dimension internationale, une représentation élargie, par pays ;
  • reprenant une règle dégagée par le fameux arrêt Cointreau (Cass. com., 24 avril 1990, n° 88-17.218, Consorts Cointreau c/ Société Rémy Martin et compagnie publié N° Lexbase : A4128AGY ; Bull. civ. IV) et entérinée, pour les seuls administrateurs par l'article L. 225-35 du Code de commerce (N° Lexbase : L5906AIL), il est prévu que chaque membre du conseil de surveillance peut se faire communiquer, par le président du directoire, les documents qu'il estime nécessaires à l'accomplissement de sa mission ;
  • par exception à l'article L. 225-62 (N° Lexbase : L5933AIL), en cas de vacance au sein du directoire, un membre du conseil de surveillance peut être nommé par ce conseil pour exercer les fonctions de membre du directoire pour une durée maximale fixée par décret en Conseil d'Etat. Pendant cette durée, les fonctions de l'intéressé au sein du conseil de surveillance sont suspendues.

C - La société européenne par ses actionnaires : l'intuitu personae

Un des points importants du projet est de permettre à la SE, lorsqu'elle ne fait pas appel public à l'épargne, de bénéficier à l'unanimité des actionnaires (C. com., art. L. 229-15), d'une souplesse concernant les rapports entre les actionnaires qui ne va pas sans rappeler la liberté contractuelle que connaît la société par actions simplifiée.

La SE ne faisant pas appel public à l'épargne peut, ainsi, être un contrat intuitu personae.

- Les transferts d'actions peuvent être soumis à des restrictions à la libre négociabilité sans que celles-ci ne puissent avoir pour effet de rendre les actions inaliénables pour une durée excédant dix ans. Ces restrictions sont dotées d'une force remarquable, car toute cession réalisée en violation de ces clauses statutaires est nulle. Cette nullité est opposable au cessionnaire ou à ses ayants droit. Elle peut être régularisée par une décision prise à l'unanimité des actionnaires non parties au contrat ou à l'opération visant à transférer les actions (C. com., art. L. 229-11).

- Sous certaines conditions, un actionnaire peut être exclu de la société en étant tenu de céder ses actions. S'il n'accepte pas de mettre en oeuvre cette cession, ses droits non pécuniaires peuvent être suspendus jusqu'à ce qu'il obtempère (C. com., art. L. 229-12).

- En cas de modification de contrôle d'une société actionnaire de la SE, une notification peut être exigée par les statuts. Dans certaines conditions (notamment en cas de prise de contrôle par un concurrent de la SE), la société actionnaire dont le contrôle a été modifié peut voir ses droits non pécuniaires (dont le droit de vote) suspendus ou être exclue de la SE. Ces dispositions sont applicables en cas de fusion, de scission ou de dissolution (C. com., art. L. 229-13).

En outre, des dispositions prévoient les modalités de fixation du prix de cession en cas de rachat ou de cession forcée à raison des clauses précédentes (C. com., art. L. 229-14).

II - Le régime de la société européenne

A - La constitution

Le Règlement n° 2157/2001 prévoyait quatre modalités de constitution de la SE. Dans la nouvelle loi, rien n'est prévu concernant la constitution d'une SE filiale.

1. Les principales dispositions concernent la création d'une SE par voie de fusion intracommunautaire (C. com., art. L. 229-3).

Les fusions de SE impliquant une SE française risquent d'être lourdes. En effet, ces opérations seront soumises à un double contrôle. Un contrôle de la légalité de la fusion pour la partie de la procédure relative à chaque société qui fusionne sera effectué par le greffier du tribunal dans le ressort duquel est immatriculée la société. Un contrôle de la réalisation de la fusion et de la constitution de la SE sera effectué par un notaire. Ce dernier sera, notamment, chargé de contrôler le respect du volet social de la constitution de la SE. On peut être surpris de cette extension de compétence au profit de cet officier public.

Ce contrôle n'est pas anodin. En effet, les causes de nullité de la délibération de l'une des assemblées qui ont décidé de l'opération de fusion conformément au droit applicable à la société anonyme ou les manquements au contrôle de légalité, constituent une cause de dissolution de la société européenne. Une régularisation peut être envisagée et la prescription est assez brève (six mois à compter de la date de la dernière inscription au registre du commerce et des sociétés rendue nécessaire par l'opération) ; néanmoins, la dissolution de la société viciée à sa constitution entraîne sa liquidation. Le retour à l'état ayant précédé la fusion n'est donc pas envisagé. L'opération devra donc être suivie de façon très stricte.

2. En cas de constitution d'une SE holding (C. com., art. L. 229-5), un projet commun doit être établi et déposé au greffe du tribunal de chacune des sociétés.

Après quoi, un ou plusieurs commissaires à la constitution d'une société européenne holding, désignés par décision de justice, établissent sous leur responsabilité un rapport destiné aux actionnaires de chaque société ou de l'ensemble des sociétés.

3. Afin de permettre la transformation d'une société anonyme en SE, l'article L. 225-245-1 est inséré dans le Code de commerce.

Suivant ce nouveau texte qui évince l'article L. 225-244 du Code de commerce (N° Lexbase : L6115AIC), la société établit un projet de transformation de la société en société européenne. Ce projet est déposé au greffe du tribunal dans le ressort duquel la société est immatriculée et fait l'objet d'une publicité. Un ou plusieurs commissaires à la transformation désignés par décision de justice établissent sous leur responsabilité un rapport destiné aux actionnaires de la société se transformant, attestant que les capitaux propres sont au moins équivalents au capital social.

B - La mobilité

Toute l'originalité de la SE est de permettre la mobilité intracommunautaire. Celle-ci est donc bien en marche. La réglementation prévoit même que la marche puisse être forcée.

1. Les principes

Toute société européenne régulièrement immatriculée au registre du commerce et des sociétés peut transférer son siège dans un autre Etat membre (C. com., art . L. 229-2). Elle établit un projet de transfert. Ce projet est déposé au greffe du tribunal dans le ressort duquel la société est immatriculée et fait l'objet d'une publicité. La décision est prise par une assemblée générale extraordinaire (AGE) statuant dans les conditions d'AGE d'une société anonyme. Les assemblées spéciales d'actionnaires doivent ratifier le projet.

Ceux qui sont d'accord restent, ceux qui se sont opposés minoritairement peuvent obtenir le rachat de leurs actions. Les porteurs de certificats d'investissement et l'assemblée des obligataires connaissent des protections spéciales.

Les créanciers non obligataires de la société transférant son siège et dont la créance est antérieure au transfert du siège peuvent former opposition à ce transfert dans un délai qui sera fixé par décret en Conseil d'Etat. Une décision de justice rejette l'opposition ou ordonne, soit le remboursement des créances, soit la constitution de garanties si la société transférant son siège en offre et si elles sont jugées suffisantes. A défaut de remboursement des créances ou de constitution des garanties ordonnées, le transfert de siège est inopposable à ce créancier. L'opposition formée par un créancier n'a pas pour effet d'interdire la poursuite des opérations de transfert.

Là encore, ce sera à un notaire de délivrer un certificat attestant de manière concluante l'accomplissement des actes et formalités préalables au transfert.

2. Les limites

Le procureur de la République est investi du pouvoir de s'opposer au transfert de siège social de la SE. En effet, dans cette hypothèse, celui-ci peut s'opposer au transfert du siège de la société européenne dans un autre Etat membre entraînant un changement du droit applicable.

Cette opposition doit être faite dans le délai de deux mois à compter de la publication du projet de transfert. Elle est recevable, non pas dans "l'intérêt public", ce que prévoyait le Règlement n° 2157/2001, mais, de façon plus précise, pour les motifs suivants :

a) lorsque la société européenne exerce son activité dans l'un ou plusieurs des domaines visés au I de l'article L. 151-3 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L8851G39) ;
b) lorsqu'il a connaissance de la cessation des paiements avérée ou prévisible de la société ou d'une société contrôlée ou par laquelle elle est contrôlée au sens de l'article L. 233-3 du Code de commerce (N° Lexbase : L6306AIE).

On pourrait se demander si, le législateur, en affinant le motif d'intérêt public, n'interprète pas le Règlement, ce qui serait contraire à l'esprit du droit communautaire.

En conclusion, ce projet de loi satisfera les praticiens en ce qu'il est accueillant. La SE ne faisant pas appel public à l'épargne pourra bénéficier des avantages de la liberté contractuelle, notamment, pour définir statutairement des pactes d'actionnaires. En revanche, certains aspects paraissent un handicap, comparés à ce que connaissent les SE constituées dans d'autres Etats membres. Il en va, ainsi, de l'obligation faite au constituant de maintenir l'administration centrale de la SE en France. Egalement, pourquoi avoir systématiquement recours à l'intervention d'un notaire là où la responsabilité du greffier, voire celle du ou des commissaires aux comptes pouvaient suffire ?

Il faut espérer que la méthode législative empirique par laquelle semble, aujourd'hui, procéder le législateur jouera en faveur de la SE à la française et permettra au parlement de se saisir, ultérieurement, de questions tendant à faire mûrir ce qui n'est que le fruit bien vert d'un amendement tardif.

Jean-Philippe Dom
Maître de conférences à l'Université de Caen


Lire, également, sur la société européenne :
J.-P. Dom, Modernisation du droit des sociétés et société européenne - Questions de méthode, Lexbase Hebdo n° 97 du 4 décembre 2003 - édition affaires (N° Lexbase : N9592AAI).

newsid:76512

Procédure prud'homale

[Jurisprudence] L'appel incident formé par le dépôt ou l'envoi au greffe de conclusions écrites avant le désistement de l'appelant principal est régulier

Réf. : Cass. soc., 5 juillet 2005, n° 02-47.233, Mme Anne Palomba c/ Société Strategic, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A8758DI9)

Lecture: 6 min

N6756AI3

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par Cécile Curt, Avocate au sein du Cabinet Fromont, Briens & Associés

Le 07 Octobre 2010

Dans le cadre de la procédure prud'homale, le droit de l'appelant de se désister à tout moment de son recours et celui de l'intimé de former un appel ou une demande incidente donnent lieu, compte tenu du caractère oral des débats, à des difficultés procédurales auxquelles la jurisprudence n'apporte pas toujours des solutions très harmonisées. Dans un arrêt en date du 5 juillet 2005, la Chambre sociale de la Cour de cassation indique qu'en dépit du caractère oral de la procédure prud'homale, le dépôt ou l'envoi au greffe de conclusions contenant appel incident formé antérieurement au désistement de l'appelant principal est régulier. Dès lors, en application de l'article 401 du Nouveau Code de procédure civile (NCPC) (N° Lexbase : L2634ADW), le désistement de l'appelant, pour être parfait, doit être accepté par les intimés. Si cette solution permet d'apprécier la portée des conclusions écrites d'appel incident dans le cadre d'une procédure orale (1), il n'en reste pas moins qu'elle n'est pas très conforme au principe de l'oralité de la procédure prud'homale (2).
Décision

Cass. soc., 5 juillet 2005, n° 02-47.233, Mme Anne Palomba c/ Société Strategic, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A8758DI9)

Cassation (CA Angers, Chambre sociale, 14 octobre 2002)

Texte visé : NCPC, art 401 (N° Lexbase : L2634ADW)

Mots-clefs : désistements d'instance ; formation préalable de l'appel incident.

Lien bases :

Résumé

En dépit du caractère oral de la procédure prud'homale, l'appel incident peut être régulièrement formé par dépôt ou envoi au greffe de conclusions valant déclaration d'appel. Il en résulte que le désistement de l'appelant, dès lors qu'il est postérieur au dépôt des conclusions d'appel incident, n'est valable que si la partie intimée l'a accepté.

Faits

1. Madame Palomba et Madame Selles, salariées de la société Strategic, ont été licenciées pour motif économique. La société a interjeté appel de la décision du conseil de prud'hommes qui a jugé leurs licenciements dépourvus de cause réelle et sérieuse. Le 14 mars 2001, les salariées ont déposé au greffe de la cour d'appel d'Angers des conclusions écrites d'appel incident. Par voie de conclusions écrites notifiées aux salariées le 28 août 2002, remises au greffe le 11 septembre 2002 et réitérées à l'audience du 12 septembre 2002, la société s'est désistée de son appel.

2. Madame Palomba et Madame Selles font grief à l'arrêt attaqué d'avoir décidé que le dépôt de conclusions portant appel incident enregistrées au greffe de la Cour le 14 mars 2001 ne suffit pas à établir l'antériorité de l'appel, la procédure étant orale.

Solution

1. "Nonobstant le principe de l'oralité des débats en matière prud'homale, l'appel incident peut être régulièrement formé par dépôt ou envoi au greffe de conclusions valant déclaration d'appel.

L'appel incident ayant été formé avant le désistement de l'appelant principal, ce désistement ne pouvait être parfait en l'absence d'acceptation des défenderesses".

2. Casse et annule.

Commentaire

1. La portée des conclusions écrites d'appel incident dans le cadre d'une procédure orale

  • Les conditions du désistement au regard de l'appel incident

Selon qu'il peut ou non lui nuire, le désistement est ou n'est pas subordonné à l'acceptation de l'adversaire.

Ainsi, aux termes de l'article 401 du NCPC (N° Lexbase : L2634ADW), "le désistement de l'appel n'a besoin d'être accepté que s'il contient des réserves ou si la partie à l'égard de laquelle il est fait a, préalablement, formé un appel incident ou une demande incidente".

Le désistement de l'appel nécessite donc l'acceptation de l'adversaire chaque fois que ce dernier a formé préalablement un appel incident, et ce compte tenu de l'intérêt qu'il peut avoir alors à la poursuite de l'instance.

Toutefois, la condition d'antériorité de l'appel incident par rapport au désistement est déterminante pour apprécier si le désistement a produit ou non son effet extinctif, d'où la nécessité de pouvoir dater le moment précis où l'appel incident a été formé.

Dans la procédure avec représentation obligatoire, les choses sont assez simples dés lors que le désistement ne peut être fait que par conclusions écrites (Cass. civ. 2, 3 juin 1998, n° 96-20.057, M. Escudero c/ Caisse primaire d'assurance maladie des Pyrénées-Orientales et autre, publié N° Lexbase : A5141ACE), dont la date permet de trancher le problème d'antériorité.

En revanche, ce problème d'antériorité retrouve toute son acuité en matière prud'homale, en raison de l'oralité de la procédure (C. trav., art. R. 516-6 N° Lexbase : L0652ADI).

  • L'antériorité de l'appel incident et la spécificité de la procédure orale

En l'espèce, il semble que l'appelant soutenait que l'oralité de la procédure exige que les demandes, pour être valablement formulées, soient présentées oralement le jour de l'audience. L'appelant ayant la parole en premier, il pouvait confirmer son désistement sans que les intimées ne puissent alors le considérer comme ayant préalablement relevé appel ou formé de demande incidente.

Ainsi, selon l'appelant, le fait que les salariées aient déposé préalablement des écritures présentant un appel incident hors le délai prévu pour interjeter appel principal était inopérant du fait de l'oralité des débats.

Une telle argumentation était, jusqu'ici, conforme à la solution que la Cour de Cassation semblait favoriser, à savoir l'admission du désistement de l'appelant opéré à la barre au détriment de l'appel incident.

Ainsi, la Cour de cassation a pu décider que, lorsque la procédure est orale, les conclusions écrites contenant appel incident préalablement notifiées par l'intimé ne font pas obstacle au désistement ultérieur de l'appelant et sont inopérantes (Cass. soc., 11 juin 2002, n° 00-42.369, F-D N° Lexbase : A9010AYD).

De même, en cas de concomitance du désistement de l'appel et de l'appel incident à l'audience de plaidoirie, elle a pu déclarer que l'appel incident n'avait pas été formé préalablement au désistement en sorte que le désistement produit effet (Cass. soc., 26 septembre 2002, n° 00-42.612, F-D N° Lexbase : A4891AZ8).

Toutefois, dans une affaire où le désistement avait été fait par conclusions écrites déposées au greffe, la Cour de cassation a considéré que ce dépôt, qui n'avait été précédé ni d'un appel incident, ni d'une demande incidente, avait immédiatement produit son effet extinctif (Cass. soc., 29 avril 2003, n° 01-41.631, F-P sur le moyen relevé d'office N° Lexbase : A7578BSH).

La Cour semblait donc donner une portée distincte au dépôt de conclusions, par rapport au principe de l'oralité des débats, selon qu'il s'agissait de conclusions de désistement émanant de l'appelant ou de conclusions d'appel incident émanant de la partie intimée.

  • Par son arrêt du 5 juillet 2005, la Cour de cassation harmonise ses positions antérieures en considérant que l'appel incident formulé par dépôt ou envoi au greffe de conclusions contenant appel incident avant la date de l'audience vaut déclaration d'appel.

Ainsi, la Cour de cassation admet que la règle de l'oralité des débats n'interdit pas à la partie adverse d'officialiser, par des conclusions écrites, son appel incident sans attendre la date de l'audience, la date du dépôt des conclusions permettant de trancher le problème d'antériorité.

Il en résulte que le dépôt ou l'envoi au greffe de conclusions contenant appel incident formé antérieurement au désistement de l'appelant principal est régulier.

En l'espèce, en application de l'article 401 du NCPC, le désistement de la société, pour être parfait, devait donc être accepté par les intimées.

2. Une solution peu conforme au principe d'oralité de la procédure prud'homale

Il ne fait nul doute que par cet arrêt, la Cour de cassation entend faire prévaloir la date de dépôt des conclusions écrites sur les déclarations faites au cours des débats, ce qui est contraire au principe d'oralité prévu par l'article R. 516-6 du Code du travail (N° Lexbase : L0652ADI).

En outre, il résulte de l'article R. 516-0 du Code du travail (N° Lexbase : L8828ACX) que les dispositions du Nouveau Code de procédure civile sont applicables, sous réserve des dispositions du présent code, devant les juridictions statuant en matière prud'homale.

Or, par application de l'article 946 du NCPC (N° Lexbase : L3252ADS), c'est au moment de l'audience que doit s'apprécier la prétention des parties, celles-ci pouvant alors faire référence à des écrits antérieurs. Mais, cette référence ne devrait pas permettre de dater la prétention de l'auteur de l'appel incident. En effet, une telle solution revient à donner à la prétention un effet rétroactif et, par voie de conséquence, à conférer à des écritures à fins d'appel incident un effet processuel propre, prévalant sur l'oralité de la procédure.

Ceci est d'autant plus vrai qu'en l'espèce, il était tout à fait possible pour les salariées de saisir immédiatement la cour dans le délai d'appel principal de ce qu'elles n'étaient pas satisfaites du résultat du jugement rendu par le conseil de prud'hommes qui, rappelons-le, avait jugé leurs licenciements dépourvus de cause réelle et sérieuse.

La solution retenue est donc particulièrement favorable au plaideur qui profite de l'appel adverse pour tenter d'améliorer le résultat obtenu.

Si l'on peut regretter qu'elle ne soit pas en totale conformité avec la règle de l'oralité de la procédure, elle opère un certain rééquilibrage entre les parties au procès, dans la mesure où l'intimé conserve la possibilité de faire échec à la stratégie procédurale de son adversaire qui va préférer se désister de son recours.

Dans cette circonstance, l'appelant qui souhaite retirer son appel devra toujours s'assurer que l'intimé n'a pas régulièrement formé d'appel incident par le dépôt d'écritures en ce sens auprès du greffe.

Si cela sécurise la procédure en permettant de mieux dater les prétentions respectives des parties quant à l'instance, certaines difficultés procédurales subsistent. Ainsi, à supposer que le dépôt au greffe du désistement et de l'appel incident se produise le même jour, on peut se demander si la liberté du désistement l'emportera toujours.

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Entreprises en difficulté

[Panorama] Entreprises en difficulté : panorama de jurisprudence des mois de mai et juin 2005, la chronique de P.-M. Le Corre (seconde partie)

Lecture: 13 min

N7397AK8

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par Pierre-Michel Le Corre, Professeur des Universités, Directeur du Master Droit de la Banque de la Faculté de Toulon et du Var

Le 07 Octobre 2010

Lexbase Hebdo - édition affaires vous propose, cette semaine, un panorama de P.-M. Le Corre, retraçant l'essentiel de la jurisprudence rendue en matière de procédures collectives au cours de ces deux derniers mois. Les sanctions, mais aussi la situation de la caution au cours de la période d'observation, ou encore la déclaration de créance, constituent les thèmes majeurs de l'actualité jurisprudentielle (cf. première partie N° Lexbase : N6689AIL).
  • Condamnation d'un dirigeant à la liquidation judiciaire personnelle après arrêté du plan de redressement de la société débitrice (Cass. com., 7 juin 2005, n° 03-11 .229, M. Yves Coudray, en sa qualité de liquidateur de la liquidation judiciaire de M. Van Themsche c/ M. Jean-Denis, F-P +B N° Lexbase : A6436DI9)

En application de l'article L. 624-5 du Code de commerce (N° Lexbase : L7044AIQ), le tribunal peut prononcer contre le dirigeant d'une société débitrice le redressement ou la liquidation judiciaire à titre personnel, s'il relève un ou plusieurs des faits visés à cet article. Selon une solution bien acquise en jurisprudence, l'ouverture d'une procédure collective contre une personne sur le fondement de la confusion des patrimoines n'est plus possible lorsque a été arrêté au profit d'une autre, dont il est envisagé d'étendre la procédure, un plan de continuation ou de cession (en dernier lieu, Cass . com., 19 novembre 2003, n° 01-00.542, Société Gerson et Fils c/ Christian Rey, F -D N° Lexbase : A3029DAG ; RD Bancaire et fin. 2004, p. 100, n° 72, obs. F.-X. Lucas ; Cass . com., 18 janvier 2005, n° 03-18.264, F-D N° Lexbase : A0865DG7, Gaz. proc. coll. 2005/1, p. 22, n° 1-1, obs. F.-X. Lucas ). Cette solution, posée en matière d'extension sur le fondement de la confusion de patrimoine, a-t-elle vocation à s'appliquer également à "l'extension" en application de l'article L. 624-5 du Code de commerce ? En outre, selon un autre principe bien établi en jurisprudence, il n'est pas possible d'ouvrir deux procédures collectives contre une même personne (Cass. com., 11 décembre 2001, n° 99-10.238, FS-D N° Lexbase : A6451AX9, D. 2002, jur. p. 2523, note F. Derrida et A. Perdriau ; Rev. proc. coll. 2003, p. 106, n° 7, obs. S. Gorrias ; Cass. com ., 19 février 2002, n° 96-22.702, M. Lucien Berle c/ M. Michel Astier, FS-P [LXB=A0281AY3 ], D. 2002, jur. p. 2523, note F. Derrida et A. Perdriau ; Act. proc. coll. 2002/6 , n° 68 ; RTD com. 2002, p. 376, n° 11, obs. J.-L. Vallens ; RJDA 2002/6, n° 652 ; Dr . et patrimoine 2002, n° 104, p. 85, obs. D. Houtcieff). Cette solution doit-elle s'appliquer lorsque la seconde procédure ouverte l'est à titre de sanction ? La jurisprudence a déjà répondu par l'affirmative lorsqu'il s'agit d'appliquer le redressement ou la liquidation judiciaire à titre personnel pour inexécution de la décision de condamnation à combler le passif. Cette solution doit-elle identiquement s'appliquer lorsque le redressement ou la liquidation judiciaire personnelle est prononcée sur le fondement de l'article L. 624-5 du Code de commerce ? C'est à ces deux questions que permet de répondre l'arrêt ci-après commenté.

En l'espèce, une société d'économie mixte est déclarée en redressement judiciaire . L'administrateur et le représentant des créanciers demandent au tribunal d'ouvrir le redressement judiciaire du dirigeant de cette société sur le fondement de l'article L. 624-5 du Code de commerce. Ce dirigeant, avant que le tribunal ne se prononce , est déclaré en redressement judiciaire pour cessation des paiements de son entreprise agricole. Le plan de redressement de la société est ensuite adopté. Le plan de continuation dont bénéficie le dirigeant est résolu et sa liquidation judiciaire prononcée, alors que l'instance en sanction est toujours en cours du fait d'un appel formé par le dirigeant. Le liquidateur de ce dirigeant oppose, à la demande formée contre le dirigeant , deux arguments.

Le premier tient au fait que, puisqu'un plan de continuation était intervenu au profit de la société qu'il dirigeait, il n'y avait plus de procédure collective en cours justifiant sa liquidation judiciaire personnelle. Cet argument est sèchement rejeté par la Cour de cassation qui énonce que "la décision qui arrête le plan de redressement d'une personne morale ne fait pas obstacle à l'ouverture d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaires à l'égard du dirigeant contre lequel peut être relevé un des faits prévus par l'article L. 624-5 du Code de commerce ; que la cour d'appel en a exactement déduit que la constatation d'une insuffisance d'actif n'était pas une condition nécessaire à l'exercice de l'action visée par ce texte".

Le redressement et la liquidation judiciaires personnels se distinguent ainsi, d 'une part, de l'extension sur le fondement de la confusion des patrimoines et, d'autre part, de l'action en comblement de passif. Par rapport à l'extension sur le fondement de la confusion des patrimoines, la distinction est nette. Seuls quelques praticiens parlent encore d'extension lorsqu'il est fait application de l'article L. 624-5 du Code de commerce. Il s'agit de ce que nous appelons une "fausse extension". En vérité , il n'y a pas d'extension, mais bien ouverture d'une procédure distincte à l'encontre du dirigeant. On comprend, dès lors, que les solutions applicables en matière d'extension sur le fondement de la confusion des patrimoines soient, ici, sans application. Peu importe, donc, qu'une solution soit déjà arrêtée contre la personne morale débitrice lorsque l'on n'envisage le prononcé du redressement ou la liquidation judiciaire à titre personnel. La solution est d'ailleurs contenue dans le texte légal qui, envisageant la prescription de cette action, énonce que l'action doit être engagée dans les trois ans du jugement de la liquidation judiciaire ou du jugement arrêtant le plan. Le redressement et la liquidation judiciaires à titre personnel se distinguent également d'une condamnation à combler passif. Cette dernière sanction postule l'existence d'une insuffisance d'actif, qui peut seule être mise à la charge du dirigeant. Au contraire, lorsqu'il est question du prononcé du redressement ou de la liquidation judiciaire à titre personnel, tout le passif de la société débitrice est mis à charge du dirigeant. Il n'y a donc pas à constater une insuffisance d'actifs, ce qui autorise , dès lors, le prononcé de la condamnation, alors même que la société débitrice a obtenu un plan de continuation et que, par définition, il y a donc pas d'insuffisance d'actifs. La solution ici posée est intéressante en ce qu'elle permet le rapprochement avec l'action en obligation aux dettes sociales instaurée par la loi de sauvegarde des entreprises (C. com., art. L. 652-1), qui remplace le redressement et la liquidation judiciaires à titre personnel. Cette sanction pécuniaire est présentée comme "une action en comblement de passif aggravée" (Rapp. J.-J. Hyest, au nom de la commission des lois du Sénat, Doc Sénat 2005, n° 335, p. 61), car le dirigeant n'aura pas seulement à supporter l'insuffisance d'actifs, mais tout ou partie des dettes de la personne morale. L'action en paiement des dettes sociales est explicitement possible en situation de redressement. Il importe donc peu qu'un plan de continuation ait été arrêté, dès lors que la possibilité pour le débiteur de payer son entier passif n'est pas exclusive de la possibilité d'agir en paiement des dettes sociales. Au contraire, la loi de sauvegarde des entreprises exclut explicitement la condamnation combler le passif en situation de redressement judiciaire (C. com., art. L. 652-1).

Le second argument invoqué par le liquidateur du dirigeant pour échapper à la sanction sollicitée contre lui tient au fait que la cour d'appel avait décidé que le passif de la liquidation judiciaire du dirigeant comprendrait, outre le passif personnel de ce dernier, le passif de la société, sans prononcer le redressement judiciaire de se dirigeant en tant que dirigeant cette société. L'argument est également rejeté . La Cour de cassation énonce que, "ayant relevé à l'encontre du dirigeant de la société des faits justifiant l'application à son égard de l'article précité [C. com., art . L. 624-5] et constaté que M. Van Themsche était déjà en liquidation judiciaire au titre de son activité personnelle, la cour d'appel a légalement justifié sa décision".

On sait que, par principe, il est interdit d'ouvrir à l'encontre d'une même personne deux procédures collectives. C'est le principe "faillite sur faillites ne vaut". La Cour de cassation a récemment apporté à ce principe une exception notable. Il a été estimé que la procédure collective ouverte contre une personne physique ne faisait pas obstacle au prononcé, à titre de sanction, d'une seconde procédure à titre personnel , contre cette personne prise en sa qualité de dirigeant de droit ou de fait d'une personne morale placée en liquidation judiciaire. La solution a été posée dans le cas de l'inexécution de la décision de condamnation à combler le passif (Cass. com ., 4 janvier 2005, n° 03-14.150, FS-P+B  [LXB =A8733DE8] ; P.-M. Le Corre, Un tempérament au principe "faillite sur faillite ne vaut", Lexbase Hebdo n° 158 du 9 mars 2005 - édition affaires N° Lexbase : N4881ABE, D. 2005 , AJ p. 215, note A. Lienhard ; Gaz. proc. coll. 2005/1, p. 26, n° 1 - 6, obs. F.-X . Lucas ; Act. proc. coll. 2005/2, n° 25 note C. Régnaut-Moutier ; JCP éd. E. 2005 , chron. 639, p. 712, n° 16, obs. Ph. Pétel ; Dr. et proc. 2005/3, p. 158, note P .-M. Le Corre). Le présent arrêt l'étend logiquement à l'hypothèse du redressement et de la liquidation judiciaires personnels pour des faits visés à l'article L. 624 -5 du Code de commerce. La solution ne pouvait, d'ailleurs, ici faire difficulté car elle allait explicitement être envisagée par l'article 166 du décret n° 85-1388 du 27 décembre 1985 (N° Lexbase : L5280A4C). Selon l'alinéa 1er de ce texte, "lorsque le redressement ou la liquidation judiciaire sont prononcés en application de l'article 182 de la loi du 25 janvier 1985 (N° Lexbase : L6582AHA) à l'encontre d'un dirigeant déjà soumis à l'une de ces procédures, le déroulement de la procédure se poursuit devant le tribunal qui a déjà prononcé le redressement ou la liquidation judiciaire du dirigeant. Toutefois , si par l'effet des dispositions de l'article 182 de la loi précitée, le dirigeant se trouve simultanément soumis à une procédure de redressement judiciaire et à une procédure de liquidation judiciaire, la procédure se poursuit devant le tribunal qui a prononcé la liquidation judiciaire". Ainsi, si le tribunal saisi d'une demande tendant au prononcer du redressement ou de la liquidation judiciaire personnel d 'un dirigeant déjà soumis à une procédure collective constate l'existence des faits visés à l'article L. 624-5 du Code de commerces, et si la première procédure ouverte est une liquidation judiciaire, il n'a pas à ouvrir une seconde procédure. C'est la liquidation judiciaire initialement ouverte contre l'intéressé qui sera seule poursuivie. Le seul effet de l'application de l'article L. 624-5 du Code de commerce est alors de faire prendre en charge, par le dirigeant condamné, l'intégralité du passif de la société débitrice.

  • Sanction du candidat acquéreur en cas de rétractation après l'ordonnance du juge -commissaire ordonnant la vente de gré à gré (Cass. com., 7 juin 2005, n° 04-10.685 , Société Realgraphic c/ M. Pascal Guigon, F-D N° Lexbase : A6533DIS)

En application de l'article L. 622-18, alinéa 1er, du Code de commerce ([LXB=L7013AIL ]), "le juge-commissaire ordonne la vente aux enchères publiques ou de gré à gré des autres biens de l'entreprise, le débiteur entendu ou dûment appelé et après avoir recueilli les observations des contrôleurs". Le fait que le juge-commissaire ordonne , et non pas seulement autorise la vente du bien, a-t-il des conséquences sur l'attitude du candidat acquéreur. Celui-ci peut-il se rétracter de son offre d'acquisition ? C 'est à cette question que répond l'arrêt rapporté.

En l'espèce, le juge-commissaire a autorisé, dans le cadre de la liquidation judiciaire d'une société, le liquidateur à céder de gré à gré une machine au profit d'une société acquéreur. Postérieurement, cette dernière s'est désistée de son offre. Le liquidateur l'a assignée en paiement de dommages-intérêts. Les juges du fonds vont faire droit à la demande du liquidateur. Le candidat acquéreur se pourvoit en cassation en invoquant le fait que la vente de gré à gré d'un élément de l'actif du débiteur est seulement réalisée par l'acte de cession, le transfert de propriété et l'exigibilité du prix étant subordonnés à l'établissement de cet acte. La Cour de cassation va confirmer la décision de condamnation prononcée par les premiers juges, en énonçant que, "si la vente de gré à gré d'un élément de l'actif mobilier du débiteur en liquidation judiciaire n'est réalisée que par l'accomplissement d'actes postérieurs à la décision du juge commissaire qui ordonne, sur le fondement de l'article L. 622-18 du code de commerce, la cession du bien, celle-ci n'en est pas moins parfaite dès l'ordonnance sous la condition suspensive que la décision acquière force de chose jugée". Les premiers juges ont donc été bien fondés à condamner à des dommages et intérêts le candidat acquéreur qui s'était rétracté sans motif légitime.

A peine de nullité de la vente, le liquidateur doit impérativement présenter une requête au juge-commissaire. A priori, il ne s'agit pour le lui que de se faire autoriser . La lettre de l'article L. 622-18 est cependant différente, puisque le juge-commissaire "ordonne" la vente de gré à gré des biens meubles. Aucune obligation ne repose ici sur le liquidateur d'attendre d'être en possession de plusieurs offres. Le juge-commissaire peut rendre rapidement une ordonnance autorisant la vente, sans que celle-ci puisse ensuite être remise en cause, au prétexte qu'un meilleur prix aurait pu être proposé (CA Colmar, 6 avril 1993, Rev. proc. coll. 1995, 74, n° 6, obs. Dureuil).

Parce que la vente est ordonnée et non pas seulement autorisée, la vente est parfaite , avant même que l'acte de cession ne soit rédigé, dès l'ordonnance, sous la condition suspensive que la décision acquière force de chose jugée, comme le rappelle ici la Cour de cassation, et de l'accomplissement des actes matériels de cession (Cass. com ., 3 octobre 2000, n° 98-10.672, SCP Bouillot-Deslorieux c/ M. Mazilly [LXB=A4292A74 ], Act. proc. coll. 2000/17, n° 221 ; D. 2000, jur. p. 397, obs. A. Lienhard ; JCP éd. E. 2001, chron. 175, n° 6, obs. M. Cabrillac ; RTD com. 2001, p. 224, obs. C . Saint-Alary-Houin ; Cass. com., 7 juillet 2004, n° 01-01.452, Société Assurances mutuelles de France (AMF) c/ M. Souchon, F-D N° Lexbase : A0132DDA ; CA Riom, 1ère ch. civ ., 22 mai 2003, RD Bancaire et fin. 2004, p. 106, n° 83, obs. F.-X. Lucas)., Il en est ainsi , dès lors que l'ordonnance du juge-commissaire autorisant la vente est devenue définitive. Il en résulte que l'acquéreur est tenu et qu'il ne peut plus se rétracter (Cass. com., 14 juin 1994, n° 92-14.721, Société Chaussures Daphane c/ M. Arnaud, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Tutte Scarpa [LXB =A6975ABX], Bull. civ. IV, n° 210 ; Quot. jur. 20 sept. 1994, obs. P. M. ; Rev. proc . coll. 1995, 343, obs. B. Dureuil ; Cass. com., 11 mars 1997, n° 94-19.207, M Ezavin , ès qualités d'administrateur du redressement judiciaire de la société Cerep c/ Société Dino et autres N° Lexbase : A1540ACZ, RJ com. 1998, 293, n° 94, obs. C. Saint-Alary Houin ; Defrénois 1997, art. 36621, p. 941, obs. J.-P. Sénéchal).

Il en est tiré la conséquence que l'acquéreur ne peut obtenir restitution de l 'acompte sur le prix de vente, sauf à entreprendre une action en résolution de la vente devant le tribunal de la faillite, au motif, par exemple, qu'il a été trompé sur la consistance des biens vendus (Cass. com., 3 octobre 2000, précité). Le juge -commissaire qui a ordonné la cession à une personne ne peut, au prétexte qu'une meilleure offre aurait ensuite été présentée, rétracter la première ordonnance. Cependant, si le candidat acquéreur refuse de signer les actes de cession, le juge-commissaire retrouve alors pouvoir pour autoriser la cession à une autre personne (Cass. com ., 28 septembre 2004, n° 02-20.676, M. Pierre Mazilly c/ SCP Bouillot Deslorieux, F -D N° Lexbase : A4704DDL). C'est d'ailleurs ce qui s'était produit dans la présente espèce .

Le liquidateur peut obtenir à son choix le constat judiciaire de la vente, la décision judiciaire se substituant alors à l'acte (CA Riom, 1ère ch. civ., 22 mai 2003 précité ) ou condamnation de l'acquéreur à des dommages et intérêts s'il refuse de signer les actes de cession et s'il en résulte, pour la collectivité des créanciers, un préjudice (Cass. com., 14 juin 1994 précité ; Cass. com., 5 mai 2004, n° 01-17.809 , M. Didier Chettrit c/ M. Jean-Claude Enjalbert, pris en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Relais de la gare, F-D N° Lexbase : A1573DCA ; Cass. com., 28 septembre 2004, précité). C'est cette voie dans laquelle s'étaient, ici, engagés les juges du fond, approuvés en cela par la Cour de cassation. Le préjudice résultait des frais de gardiennage qu'avait dû payer le liquidateur et de la perte de valeur du bien , du fait du temps passé entre l'offre d'acquisition et la seconde vente du bien.

Cependant, ainsi que le rappelait justement le demandeur au pourvoi, malgré la perfection de la vente au jour de l'ordonnance, le transfert de propriété n'est réalisé que par la rédaction de l'acte de cession (Cass. com., 29 octobre 2002, n° 98-19 .188, Société Trouillet carrossier constructeur c/ Compagnie Gan incendie accidents , F-D N° Lexbase : A4160A3H, Act. proc. coll. 2003/2, n° 21). En conséquence, la charge des risques ne passe, qu'à cette date, sur la tête de l'acquéreur (CA Paris, 3ème ch ., sect. A, 19 octobre 1999, n° 1999/05480, S.C.P. Pavec-Courtoux c/ Société Editions VM N° Lexbase : A5789DHU, Petites affiches 2 août 2000, n° 153, p. 23, note M.-A. Rakotovahiny ; RTD com. 2001, p. 224, obs. C. Saint-Alary-Houin).

La distinction entre la perfection de la vente au jour de l'ordonnance définitive du juge-commissaire et le caractère translatif de propriété au jour de la rédaction des actes de cession est appelée à disparaître avec la réforme. En effet, la loi de sauvegarde des entreprises modifie la solution. La vente de gré à gré des meubles n'est plus ordonnée, mais seulement autorisée par le juge-commissaire. Cette substitution terminologique a pour objet d'écarter la jurisprudence qui considère que la vente de gré à gré est parfaite dès la décision du juge commissaire ordonnant la cession . Il a été dit que cette jurisprudence posait des difficultés, notamment quand il s'agit d'immeubles d'habitation, car l'article L. 271-1 du Code de la construction et de l'habitation (N° Lexbase : L7089AB8) prévoit un droit de rétractation de l'acquéreur (Rapp. Xavier de Roux, au nom de la commission des lois de l'Assemblée Nationale , Doc. Ass. Nat., 2005, n° 2095, p. 391). Désormais, pour les ventes d'immeuble, comme pour les ventes de meubles, seul l'acte de vente emportera perfection de la vente (Rapp. J.-J. Hyest, n° 335, au nom de la commission des lois du Sénat, Doc Sénat 2005, p. 416 et 417).

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Taxes diverses et taxes parafiscales

[Jurisprudence] Assujettissement des offices publics d'aménagement et de construction (OPAC) à la taxe sur les véhicules des sociétés

Réf. : Cass. com., 28 juin 2005, n° 02-13.895, Office public d'aménagement et de construction (OPAC) d'Amiens Picardie c/ Directeur général des impôts, F-P+B (N° Lexbase : A8401DIY)

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N6810AI3

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par Valérie Le Quintrec, Université de Bourgogne

Le 07 Octobre 2010

Par un arrêt en date du 28 juin 2005, la chambre commerciale de la Cour de cassation a jugé qu'aux termes de l'article 1654 du CGI , les établissements publics, les exploitations industrielles ou commerciales de l'Etat ou des collectivités locales doivent acquitter, dans les conditions de droit commun, les impôts et taxes de toute nature auxquels seraient assujetties les entreprises privées effectuant les mêmes opérations et que l'article 207-1-4° bis du même code n'exonère les offices publics d'aménagement et de construction (OPAC) que de l'impôt sur les sociétés et pour les seules opérations faites en application de la législation sur les habitations à loyer modéré. En conséquence, la Haute cour a considéré que la taxe sur les véhicules des sociétés prévue à l'article 1010 du CGI est applicable aux offices publics d'aménagement et de construction, ceux-ci étant des établissements publics à caractère industriel et commercial se livrant à des opérations susceptibles d'être effectuées par des entreprises privées. En l'espèce, un office public d'aménagement et de construction communément appelé OPAC s'était vu notifier des redressements de taxe sur les véhicules possédés ou utilisés par les sociétés qui n'avait pas été acquittée pendant plusieurs exercices. A la suite du rejet de sa demande en décharge des rappels de taxe litigieux par l'administration fiscale, l'organisme public avait, alors, saisi le tribunal administratif compétent. Ce dernier l'écho de la position des services fiscaux, à savoir le maintien des impositions. Cette solution fut confirmée aussi bien par la cour d'appel que par la Haute cour judiciaire sur le fondement des dispositions de l'article 1010 du CGI.

A la lecture de l'arrêt commenté, deux constats s'imposent.

D'une part, la chambre commerciale de la Cour de cassation rappelle implicitement le champ d'application ratione personae afférent à la taxe sur les véhicules des sociétés (1). D'autre part, les juges suprêmes confirment une jurisprudence précédente émanant de la même juridiction en date du 10 octobre 2000 (Cass. com., 10 octobre 2000, n° 97-20.287, Office public d''aménagement et de construction (OPAC) des Ardennes, c/ M. le directeur général des impôts N° Lexbase : A0290AUB). Il convient de souligner que cette dernière décision avait fait l'objet d'une doctrine administrative abondant en ce sens (instruction du 22 février 2001, BOI n° 7 M-2-01 N° Lexbase : X8154AAA), à savoir l'imposition de ces établissements publics à la taxe sur les véhicules des sociétés, nonobstant le fait que ces derniers ne soient pas des sociétés (2).

1. Les personnes imposables à la taxe sur les véhicules des sociétés

L'article 1010 du CGI dispose que les véhicules immatriculés dans la catégorie des voitures particulières, possédés ou utilisés par les sociétés, sont soumis à une taxe annuelle non déductible pour l'établissement de l'impôt sur les sociétés et dont le montant est fixé à 1 130 euros pour les véhicules dont la puissance fiscale n'excède pas 7 CV et à 2 440 euros pour les autres véhicules. Cette taxe n'est, toutefois, pas applicable aux véhicules destinés exclusivement soit à la vente, soit à la location de courte durée, soit à l'exécution d'un service de transport à la disposition du public, lorsque ces opérations correspondent à l'activité normale de la société propriétaire.

L'administration fiscale est venue préciser que cette taxe sur les véhicules des sociétés est due par les sociétés de toute nature, quelque soit leur forme, leur objet ou leur situation au regard de l'impôt sur le revenu ou de l'impôt sur les sociétés (Doc. adm. 7 M 2311, 1er septembre 1997, n° 1).

Ainsi, sont, notamment, imposables les SA et SARL, les EURL, EARL et SEARL, les sociétés en commandite simple ou par actions, les SNC, les sociétés en participation, les sociétés d'économie mixte, les sociétés de caution mutuelle et les banques populaires. Il en va de même pour les sociétés coopératives et leurs unions (Doc. adm., 7 M 2311, 1er septembre 1997, n° 2). 

Soulignons que la taxe n'est pas due par les personnes morales qui n'ont pas pour but la recherche d'un bénéfice, lorsqu'elles ne sont pas constituées en "sociétés" au sens de l'article 1832 du Code civil (N° Lexbase : L2001ABQ) (Doc. adm., 7 M 2311, 1er septembre 1997, n° 5). Néanmoins, certaines personnes morales, qui ne sont, pourtant, pas des sociétés au sens de l'article précité sont, singuièrement, imposables à la taxe sur les véhicules des sociétés.

Ainsi, selon l'article 1654 du CGI , les établissements publics et des autres organismes acquittent, dans les conditions de droit commun, les impôts et taxes de toute nature auxquels seraient assujetties des entreprises privées effectuant les mêmes opérations. En conséquence, la taxe sur les véhicules des sociétés est applicable aux EPIC et aux organismes de l'Etat, des départements et des communes ayant un caractère industriel ou commercial et bénéficiant de l'autonomie financière (Doc. adm. 7 M 2311, 1er septembre 1997, n° 8).

Ceci s'explique par le fait que, d'une part, ces établissements ou organismes sont soumis au même régime fiscal que les entreprises privées et que, d'autre part, les opérations auxquelles ils se livrent pourraient être effectuées par des sociétés passibles de la taxe.

Toutefois, les offices publics d'aménagement et de constructions, visés dans l'affaire ici commentée, sont exonérés d'impôt sur les sociétés pour les seules opérations faites en application de la législation sur les habitations à loyer modéré, mais sont, tout de même redevables de la taxe sur les véhicules.

2. L'assujettissement des offices publics d'aménagement et de construction à la taxe sur les véhicules des sociétés

A titre préliminaire, il est nécessaire de revenir sur l'argumentaire soutenu par l'OPAC.

L'auteur du pourvoi estimait, en effet, que :

"L'article 1010 du CGI institue une taxe annuelle sur les véhicules immatriculés dans la catégorie des voitures particulières, possédés ou utilisés par les sociétés, ce qui exclut de son champ d'application les voitures particulières détenues ou utilisées par des entreprises individuelles et par des personnes morales qui n'ont pas le caractère de sociétés, telles les associations , les syndicats, les groupements d'intérêt économique, les collectivités publiques et, en particulier, les établissements publics". Or, en l'espèce, "l'OPAC est un établissement public et non une société". "[...] Dans ces conditions, en considérant que, dès lors que la taxe sur les véhicules de sociétés s'applique aux entreprises privées entrant dans le champ d'action des offices publics d'aménagement et de construction, elles s'appliquent à ces derniers, bien que cette taxe ne s'applique pas aux entreprises individuelles ni aux établissements publics, mais uniquement aux personnes morales constituées sous la forme de sociétés, les juges d'appel ont violé le texte susvisé"Par ailleurs,"l'article 1654 du CGI prévoit que les établissements publics doivent acquitter les impôts et taxes de toute nature auxquels seraient assujetties les entreprises privées effectuant les mêmes opérations, c'est-à-dire tant les entreprises individuelles que les entreprises, personnes morales et quelle que soit leur forme juridique, sous réserve des dispositions de certains articles limitativement énumérés et l'article 1010 du même Code assujettit à la taxe annuelle sur les voitures particulières les seules sociétés, et non d'une manière générale les entreprises privées, qu'il s'agisse de personnes physiques ou de personnes morales, de sorte que ce texte n'avait pas à être mentionné à l'article 1654 pour que les établissements publics ne soient pas soumis à cette taxe. Or, en l'espèce, l'OPAC est un établissement public et non une société. En considérant qu'en application de l'article 1654 précité, ce dernier est passible de la taxe annuelle sur les véhicules des sociétés, bien que l'article 1010 qui ne vise que les sociétés n'avait pas à être mentionné parmi les exclusions prévues par ce texte, les juges d'appel ont violé les articles 1654 et 1010 susvisés".

Au vu des moyens soulevés, force est de constater que l'OPAC a axé son argumentation sur la nature juridique d'un tel établissement.

En d'autres termes, selon l'auteur du pourvoi, un établissement public, dans la mesure où il n'est pas une société, ne saurait être redevable de la taxe sur les véhicules des sociétés.

Implicitement, il semble que l'OPAC ait entendu faire application de la règle selon laquelle "le spécial déroge au général". En effet, utilisant la technique du syllogisme, il prétend que dans la mesure où, d'une part, l'article 1654 du CGI, applicable spécifiquement aux établissements publics, prévoit l'assujettissement de ces établissements aux mêmes impôts, droits et taxes que les entreprises privées et que, d'autre part, en vertu de l'article 1010 du CGI, la taxe sur les véhicules de sociétés ne vise que les sociétés, excluant, ainsi, les entreprises privées, l'OPAC ne pouvait pas être redressé au titre d'une taxe qui ne le concerne pas.

Or, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé par l'OPAC.

La Chambre commerciale, après avoir relevé que, "d'une part, aux termes de l'article 1654 du CGI, les établissements publics, les exploitations industrielles ou commerciales de l'Etat ou des collectivités locales doivent acquitter, dans les conditions de droit commun, les impôts et taxes de toute nature auxquels seraient assujetties les entreprises privées effectuant les mêmes opérations", et que, "d'autre part, l'article 207-1-4° bis du même code n'exonère les offices publics d'aménagement et de construction que de l'impôt sur les sociétés et pour les seules opérations faites en application de la législation sur les habitations à loyer modéré", a très logiquement jugé que l'article 1010 du CGI instituant une taxe sur les véhicules possédés ou utilisés par les sociétés est applicable aux offices publics d'aménagement et de construction, dès lors que ceux-ci sont des établissements publics à caractère industriel et commercial qui se livrent à des opérations susceptibles d'être effectuées par des entreprises privées.

En conséquence, faisant une lecture stricto sensu des articles 1010 et 1654 du CGI, la Chambre commerciale a maintenu les rappels de taxe auxquels était assujetti l'OPAC, ce dernier ne bénéficiant d'aucune exonération légalement prévue.

La Cour de cassation, en statuant de la sorte, a intégralement reprise la décision de la même chambre rendue le 10 octobre 2000 (Cass. com., 10 octobre 2000, n° 97-20.287, Office public d'aménagement et de construction (OPAC) des Ardennes, c/ M. le directeur général des impôts, précité).

Cet arrêt avait lui-même confirmé la doctrine administrative qui s'appuyait sur l'avis émis le 8 janvier 1957 par le Conseil d'Etat selon lequel la taxe sur les véhicules des sociétés est applicable aux établissements publics à caractère industriel ou commercial qui sont soumis au même régime fiscal que les entreprises privées et qui effectuent des opérations susceptibles d'être effectuées par des sociétés passibles de la taxe au titre de l'article 1654 du CGI.

Une instruction fiscale en date 22 février 2001 est venue corroborer ces positions, tant jurisprudentielle que doctrinale, en disposant que "l'article L. 421-1 du Code de la construction (N° Lexbase : L6957G7S) énonce que les offices publics d'aménagement et de construction sont des établissements publics à caractère industriel et commercial. Dans ces conditions, nonobstant les dispositions spéciales de l'article 207-1-4° bis du CGI qui exonèrent les offices publics d'aménagement et de construction de l'impôt sur les sociétés pour les opérations faites en application de la législation sur les habitations à loyer modéré, lesdits organismes entrent dans le champ d'application de la taxe sur les véhicules des sociétés" (instruction du 22 février 2001, BOI n° 7 M-2-01, précitée).

Dès lors, il semble, désormais, bien établi que les offices publics d'aménagement et de construction sont redevables à la taxe sur les véhicules des sociétés et ce, sans exonération possible.

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Sécurité sociale

[Jurisprudence] L'allocation supplémentaire est-elle exportable sur le territoire communautaire ?

Réf. : Cass. civ. 2, 21 juin 2005, n° 04-30.050, M. José Perez Naranjo c/ Caisse régionale d'assurance maladie (CRAM) Nord-Picardie, FS-P+B (N° Lexbase : A8212DIY)

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N6685AIG

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Le 07 Octobre 2010

L'allocation supplémentaire du Fonds national de solidarité (aujourd'hui Fonds de solidarité vieillesse) est-elle, au sens du règlement communautaire 1408/71 modifié (règlement CE n° 1408/71 du conseil, 14 juin 1971, relatif à l'application des régimes de Sécurité sociale aux travailleurs salariés et à leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté N° Lexbase : L4570DLT), une prestation de Sécurité sociale, relevant du principe d'exportation des prestations sur tout le territoire communautaire, ou constitue-t-elle une prestation spéciale à caractère non contributif échappant à ce principe et susceptible de n'être conservée qu'au cas de maintien de la résidence du bénéficiaire en France ? Dans cet arrêt du 21 juin 2005, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation décide de renvoyer la question en interprétation à la Cour de justice des Communautés européennes.
Décision

Cass. civ. 2, 21 juin 2005, n° 04-30.050, M. José Perez Naranjo c/ Caisse régionale d'assurance maladie (CRAM) Nord-Picardie, FS-P+B (N° Lexbase : A8212DIY)

Renvoi à la CJCE aux fins d'interprétation (cour d'appel de Douai, Chambre sociale, 28 février 2003)

Textes concernés : règlement CE n° 1408/71 du conseil du 14 juin 1971, relatif à l'application des régimes de Sécurité sociale aux travailleurs salariés et à leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté (N° Lexbase : L4570DLT), modifié par le règlement CE n° 1249/92 du 30 avril 1992 (N° Lexbase : L7880G9Q).

Mots-clés : coordination communautaire des systèmes de Sécurité sociale ; prestations de Sécurité sociale ; prestations spéciales à caractère non contributif ; principe de libre-circulation.

Lien bases : (N° Lexbase : E2639ACQ)

Résumé

L'allocation supplémentaire est-elle, au sens du règlement communautaire 1408/71 modifié, une prestation de Sécurité sociale relevant du principe d'exportation des prestations sur tout le territoire communautaire, ou constitue-t-elle une prestation spéciale à caractère non contributif échappant à ce principe et susceptible de n'être conservée qu'en cas de maintien de la résidence du bénéficiaire en France ?

Faits

1. Monsieur José Perez Naranjo, de nationalité espagnole, né le 27 septembre 1931 et résidant désormais en Espagne, a travaillé en France de 1957 à 1964.

2. Il bénéficie à ce titre de pensions de vieillesse du régime français depuis le 1er novembre 1991.

3. Il a demandé, également, le versement de l'allocation supplémentaire du Fonds national de solidarité qui lui a été refusé par décision du 5 août 1999.

4. La cour d'appel de Douai a débouté Monsieur José Perez Naranjo de son recours aux motifs qu'expressément visée à l'annexe II bis du règlement CEE n° 1408/71 du 14 juin 1971, l'allocation supplémentaire litigieuse constituait une catégorie particulière de prestations, dites "prestations spéciales à caractère non contributif" qui, relevant de l'article 10 bis du même règlement, n'étaient plus exportables à compter du 1er juin 1992, date à laquelle l'intéressé ne justifiait pas de la condition d'âge fixée par les articles L. 815-2 (N° Lexbase : L8674GQC) alors applicable et R. 815-2 (N° Lexbase : L8526AD7) du Code de la Sécurité sociale.

5. Monsieur José Perez Naranjo fait valoir en cassation que l'allocation supplémentaire du Fonds national de solidarité ne constitue ni une prestation spéciale, ni une prestation non contributive et, qu'en retenant le contraire, pour la seule raison qu'elle était expressément visée à l'annexe II bis du règlement CEE n° 1408/71 (N° Lexbase : L4570DLT) modifié par le règlement CEE n° 1249/92 (N° Lexbase : L7880G9Q), sans se livrer à aucun examen de la nature de cette prestation, la cour d'appel a violé les articles 4, paragraphe 2 bis, et 10 bis du règlement susvisé.

Solution

Renvoi à la CJCE aux fins de répondre à la question suivante :

Le droit communautaire doit-il être interprété en ce sens que l'allocation supplémentaire litigieuse, inscrite à l'annexe II bis du règlement n° 1408/71, présente un caractère spécial et un caractère non contributif excluant, par application des articles 10 bis et 95 ter du règlement n° 1408/71, son attribution au demandeur non résident qui n'en remplissait pas la condition d'âge à la date du 1er juin 1992, ou bien, en ce sens que, s'analysant en une prestation de Sécurité sociale, cette allocation doit, par application de l'article 19, paragraphe 1, du même règlement, être servie à la personne concernée en remplissant les conditions d'attribution, quel que soit l'Etat membre dans lequel il réside ?

Sursis à statuer sur le pourvoi jusqu'à la décision de la CJCE.

Commentaire

Avec la non-discrimination selon la nationalité et la totalisation des périodes de cotisations, l'exportation des prestations fait partie des trois principes cardinaux de la coordination communautaire des systèmes de Sécurité sociale, tels qu'ils sont énoncés dans cet imposant massif de dispositions qu'est le règlement 1408-71 du 14 septembre 1971 (N° Lexbase : L4570DLT), plusieurs fois modifié depuis (1).

Ainsi, celui qui s'est acquis sur le territoire d'un Etat membre le droit à une prestation de Sécurité sociale doit pouvoir continuer à en jouir sur le territoire d'un autre Etat membre, alors même que cette prestation serait, dans son Etat d'origine, subordonnée à une condition de résidence. Autrement dit, il y a, en quelque sorte, assimilation du territoire communautaire au territoire de chaque Etat membre.

Ce principe, particulièrement favorable aux assurés migrants, a pu faire difficulté pour certaines prestations, ainsi pour une partie des prestations familiales et, surtout, pour les prestations non contributives, c'est-à-dire celles qui sont financées non point par les cotisations des assurés sociaux, mais par l'impôt, et qui paraissent davantage relever d'une idée d'assistance ou d'aide sociale que de la Sécurité sociale (2). C'est bien le cas, par exemple, pour ce qui est du droit français, de l'allocation supplémentaire versée, à l'origine, par le Fonds national de solidarité et, aujourd'hui, par le Fonds de solidarité vieillesse, et qui vient améliorer les ressources de la personne âgée en lui garantissant un minimum vieillesse, quand celle-ci n'a pas cotisé assez longtemps pour bénéficier d'une pension de retraite suffisante (3).

C'est bien la raison pour laquelle, à la suite d'une modification du règlement 1408 /71 par un règlement 1247/92 du 30 avril 1992 (règlement CEE n° 1247/92 du Conseil du 30 avril 1992 modifiant le règlement CEE n° 1408/71 relatif à l'application des régimes de Sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté N° Lexbase : L6213AUN), cette prestation particulière figure aujourd'hui, en annexe II bis du règlement communautaire, dans la liste des prestations spéciales à caractère non contributif qui, exceptionnellement, échappent à la règle de l'exportation des prestations et peuvent rester soumises à une condition de maintien de la résidence du bénéficiaire en France (4).

Arrivé à ce stade de l'analyse, on peut penser que tout est dit est que la prétention de Monsieur Perez Najanro de continuer à percevoir l'allocation supplémentaire du FNS alors qu'il avait transporté son domicile en Espagne n'avait décidément aucune chance de succès. C'est, du reste, en ce sens que s'était orientée la cour de Douai.

La deuxième chambre civile de la Cour de cassation, dans son arrêt du 21 juin 2005, ne contredit pas nécessairement ce raisonnement, mais elle le juge douteux et saisit la Cour de justice des Communautés européennes en interprétation. Son motif essentiel est que l'inscription de l'allocation supplémentaire française sur la fameuse liste d'exclusion du principe d'exportation ne signifie pas nécessairement que cette prestation doit être tenue, sans aucune autre analyse, pour une prestation spéciale à caractère non contributif. En d'autres termes, elle demande à la CJCE de se prononcer sur le point de savoir si l'inscription sur la liste figurant dans l'annexe II bis est ou n'est pas une condition suffisante pour autoriser une entorse au principe d'exportation.

L'arrêt appelle au moins deux types de commentaires.

Le premier est qu'il se réfère, en effet, à une jurisprudence de la CJCE elle-même, telle du moins qu'elle s'affirme dans un arrêt "Jauch", rendu le 8 mars 2001 (CJCE, 8 mars 2001, aff. C-215/99, Friedrich Jauch c/ Pensionsversicherungsanstalt der Arbeiter N° Lexbase : A0284AWG). En l'occurrence, il s'agissait de savoir si une allocation de soins de droit autrichien liée à l'état de dépendance et inscrite sans conteste à l'annexe II bis du règlement 1408/71 (Pflegegeld) pouvait cependant relever du principe d'exportation des prestations. La réponse de la Cour, au terme d'une longue démonstration, s'avère être positive.

Elle rappelle, tout d'abord, comme elle le fait de façon constante, qu'une prestation peut être considérée comme une prestation de Sécurité sociale dans la mesure où elle est octroyée aux bénéficiaires, en dehors de toute appréciation individuelle et discrétionnaire des besoins personnels, sur la base d'une situation légalement définie et où elle se rapporte à l'un des risques expressément énumérés à l'article 4, paragraphe 1, du règlement n° 1408/71.

C'est pousser assez loin les frontières de la Sécurité sociale et réduire d'autant le domaine de l'aide sociale. La prestation autrichienne répond, en tous cas, à cette définition qui a, bien entendu, pour fonction d'étendre le champ d'application de la coordination communautaire des systèmes de Sécurité sociale. Il ne faut ni s'en étonner ni encore moins le regretter puisque, toujours selon la CJCE dans le même arrêt "Jauch", les dispositions du règlement n° 1408/71 prises en application de l'article 51 du traité CE , doivent être interprétées à la lumière de l'objectif de cet article qui est de contribuer à l'établissement d'une liberté de circulation des travailleurs migrants aussi complète que possible.

Et la Cour de poursuivre, en énonçant que le but des articles 48 et 49 du traité CE (devenus, après modification, articles 39 N° Lexbase : L5348BC3 et 40 N° Lexbase : L5350BC7 du traité CE), 50 du traité CE ainsi que 51 du traité CE ne serait pas atteint si, par suite de l'exercice de leur droit de libre circulation, les travailleurs devaient perdre des avantages de Sécurité sociale que leur assure la législation d'un Etat membre. Les dispositions dérogatoires ne peuvent donc être interprétées que restrictivement.

Elle se contente ensuite de relever, pour juger que l'allocation en cause a, en dépit des apparences, un caractère contributif, que son financement présente un lien, certes indirect mais, il faut le croire, suffisant, avec les cotisations d'assurance maladie, et que ce lien est d'autant plus fort que la ponction faite en l'occurrence sur les ressources de l'assurance maladie l'est sur la partie contributive des recettes. Dès lors, l'allocation de soins concernée présente un caractère contributif.

Il convient alors de se demander, en second lieu, ce qu'il en sera devant la CJCE de la prestation française en cause.

Sur le premier point du raisonnement, on peut imaginer assez aisément que la CJCE suivra ici le même chemin que dans l'arrêt "Jauch". La vieillesse fait partie des branches énoncées à l'article 4 du règlement et l'allocation supplémentaire du FNS (aujourd'hui FSV) vient, comme son nom l'indique, compléter une couverture sans elle insuffisante. Dès lors, on peut imaginer que la Cour redise à cette occasion que des prestations en apparence étrangères à la Sécurité sociale peuvent néanmoins être rattachées à son domaine et donc, à celui du règlement, dès lors qu'elles sont destinées à couvrir, à titre supplétif, complémentaire ou accessoire, les éventualités correspondant aux branches de Sécurité sociale visées à l'article 4, paragraphe 1, du même règlement. Tout au plus pourrait-on objecter que le versant non contributif de la couverture vieillesse, auquel appartient l'allocation supplémentaire, est plus distinct que véritablement complémentaire du versant assurantiel (5).

Il est, en revanche, un peu plus douteux que la CJCE parvienne à découvrir un lien, fût-il indirect, entre le financement fiscal de cette allocation et les cotisations d'assurance vieillesse. Peut-être est-ce ici que le bât blessera, d'autant plus que, selon Pierre Rodière, le caractère contributif ou non contributif de la prestation paraît bien devoir être décisif quand il s'agit de savoir s'il faut la faire basculer ou non dans le champ du principe d'exportation (6).

Il est, en tous cas, permis d'observer que le renvoi en interprétation montre assez combien la qualification des prestations doit demeurer, dans le cadre du Règlement communautaire, de nature strictement fonctionnelle (s'il est possible, d'ailleurs, d'évoquer sans contradiction une nature fonctionnelle !) et s'orienter à la seule boussole des exigences du principe de libre-circulation.

Jean-Pierre Laborde
Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV
Membre du Centre de droit comparé du travail et de la Sécurité sociale (UMR Université-CNRS n° 5114)


(1) Cf. P. Rodière, Droit social de l'Union européenne, LGDJ, 2ème édition, 2002, n° 576 et suivants, pages 561 et suivantes ; J.-P. Laborde, Droit de la sécurité sociale, PUF, Thémis, 2005, n° 476, page 216.

(2) A noter qu'un règlement nouveau, du 29 avril 2004, devrait se substituer, dans le courant de l'année 2006, au règlement 1408/71.

(3) Sur la montée des prestations non contributives dans les systèmes de Sécurité sociale et, particulièrement, dans le système français, voir J.-P. Laborde, op. cit., n° 323, page 150.

(4) A noter, toutefois, qu'une ordonnance du 24 juin 2004 (ordonnance n° 2004-605 du 24 juin 2004, simplifiant le minimum vieillesse N° Lexbase : L5053DZ8) prévoit une simplification du dispositif du minimum vieillesse, avec l'instauration d'une allocation dite de solidarité aux personnes âgées, qui devrait entrer en vigueur au plus tard le 1er janvier 2006. Les données du problème ici exposé ne devraient cependant pas en être substantiellement modifiées.

(5) La prestation ne serait donc plus exportable depuis le 1er juin 1992, donc avant que le demandeur ait atteint l'âge requis (sauf inaptitude) de 65 ans.

(6) Op. cit., n° 633, page 604.

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