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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication
Le 28 Janvier 2016
De nombreuses controverses ont manifestement préfacé ce classement, de la question de son utilité à celle du périmètre des revues soumises à l'appréciation des membres de la commission, en passant par la pertinence des critères de ce classement.
On comprend rapidement que la nécessité d'un classement des revues juridiques, si elle n'est pas commandée par la simple mode des classements de tout et n'importe quoi, est destinée à répondre au besoin de publication "pertinente" des enseignants-chercheurs ; autrement dit, nous livre l'étude, "la carrière d'un enseignant-chercheur en grande école est très dépendante de l'évaluation de ses travaux de recherche, cette évaluation ayant une incidence" sur son évolution professionnelle, sa charge d'enseignement, et sa rémunération. Bon au passage, tout de même, il faut souligner que ce classement "a l'avantage de constituer un outil d'évaluation des chercheurs plus objectif que les outils existants et d'inviter la communauté scientifique dans son ensemble à la discussion et au débat constructif".
La commission de l'Association prend bien soin de ne pas exclure de la valorisation doctrinale des autres supports de diffusions tels que les Ouvrages, les Traités, les Précis, les Mélanges et les fascicules encyclopédiques, et même les comptes rendus de colloques ; mais elle ne s'est donc attelée qu'au classement des revues juridiques.
Les critères en sont l'outil bibliométrique (nombre de citations dont l'article a fait l'objet dans la littérature scientifique), la bonne gouvernance scientifique, le taux de rejet des articles, l'importance de la diffusion de la revue. Mais constatant assez rapidement les écueils techniques et scientifiques de tels critères plus axiomatiques que postulatiques, celui du rôle "structurant" de la revue dans la discipline concernée, mesurant ainsi l'impact sur la communauté scientifique, semble être le critère central de sélection des revues ainsi classées.
Quant à la réalisation de classement ? Par voie de questionnaires et d'expertises... uniquement dans les disciplines professées par les membres de la commission, en droit des affaires (au sens large) donc.
Le résultat, après 29 pages de démonstration analytique présentant le risque de ne valoriser que les recherches purement académiques, celui d'orienter excessivement la recherche vers la production d'articles au détriment d'autres formes de contribution doctrinale, et celui de scléroser la recherche autour de quelques titres considérés comme incontournables (cf. le choix assumé d'un classement pour des besoins d'évaluation des enseignants-chercheurs et l'impact au regard de leurs carrières) : si la tête du classement est occupée par une revue anglo-saxonne (American business law journal -c'est bien la peine de défendre le droit continental à tous les étages-), le Recueil Dalloz, la Revue trimestrielle de droit civil (Dalloz), la Revue trimestrielle de droit commercial et de droit économique (Dalloz encore), La semaine juridique - édition générale et La semaine juridique - édition entreprise et affaires, occupent le haut du classement (dans cet ordre), constituant la catégorie A de ce dernier !
Les plus "célèbres" revues des éditions Dalloz et LexisNexis se partagent donc -après questionnaires, analyses, critères de sélection, mesure d'impact doctrinal, etc.- le haut du panier de la Doctrine française. Les éditions Lextenso et Lamy jouent, ici, les figurants, dans la catégorie B du classement, dans cette hiérarchisation scientifique des 24 plus prestigieuses revues juridiques.
Bien entendu, lecteurs assidus des revues de Lexbase, vous vous demandez pourquoi ni l'édition sociale conduite par le Professeur Christophe Radé, ni l'édition privée orchestrée par le Professeur Etienne Vergès, pour ne citer que celles-ci, ne font pas partie de ce classement. Du coup, vous pourriez être tentés de ne consacrer vos lectures qu'aux dites revues ainsi sacralisées, car elles, et seulement elles, auraient un véritable apport doctrinal.
Je vais tenter de vous rassurer en deux temps et une histoire, presque une allégorie.
D'abord, à la lecture du but avoué de ce classement (constituer un outil d'évaluation des chercheurs), nous sommes heureux que nos revues n'aient pas été sélectionnées, puisque la vocation première, voire ultime, de la "doctrine lexbasienne" -si si, il y en a une- est son opérationnalité, son caractère proprement pratique. Ce faisant, elle s'adresse aux praticiens plus qu'aux enseignants-chercheurs, encore que de la doctrine pratique permette le foisonnement de la doctrine académique. C'est cette doctrine pratique qui va donc rendre intelligibles et pertinents les termes de la loi ou le caractère sibyllin de la jurisprudence au regard de la somme des interrogations réelles des professionnels dans l'exercice de leur activité. Ensuite, elle va dépasser la simple information juridique en ce qu'elle nécessite l'analyse, la mise en perspective et la critique objective de la norme ; mais elle échappe à la doctrine traditionnelle et universitaire, non par ses auteurs, mais par les enjeux sociétaux et rétrospectifs qu'elle obère pour répondre à de simples questions : la loi ou la jurisprudence me permettent-elles d'agir ainsi ? Quel est le bon modus operandi ? Quel est le bon comportement juridique à adopter ? Autant de questions qui requièrent des réponses pragmatiques, parfois à la lisière du droit, des réponses d'applicabilité directe. Au final, la doctrine pratique laisse peu de place au questionnement sans réponse, en qualité de meilleur ennemi du vide juridique. Nous avions écrit tout cela dans un précédent plaidoyer.
Ensuite, sur la méthode et sans jeter l'anathème sur la qualité réelle et pertinente des membres de l'association ici questionnés, on ne peut établir de classement qu'à partir des revues que l'on... connaît. Et, c'est un fait, si les praticiens, dont 80 % des avocats français notamment, ont accès à la Doctrine de Lexbase, peu d'Universités, et encore moins de grandes écoles sont abonnées à nos colonnes. La faute sans doute à un manque de visibilité universitaire et académique, bien que les trois-quarts de notre collège d'auteurs soient composés de Professeurs et Maîtres de conférences. Les membres de la commission auraient donc su, notamment, comment la doctrine du Professeur Radé sur la caractérisation du contrat de travail a influencé, contre tous, la Cour de cassation dans sa jurisprudence "L'île de la tentation", il y a quelques années. La faute, un peu aussi, à ce type de classement qui, malgré les précautions sincères et réelles quant au risque de sclérose, participe nécessairement de la "gentrification " éditoriale, à la préservation des vérités vernaculaires sur la qualité des publications. Et, à l'heure où les budgets des bibliothèques fondent comme neige au soleil, où des choix stratégiques d'optimisation des abonnements sont imposés, on ne peut s'empêcher de penser que ce classement oriente nécessairement les responsables de documentation, induisant la disparition progressive de nombre de revues, elles, non reconnues pour leur utilité doctrinale.
Enfin, tout cela me fait penser à... Platon -encore lui- et sa théorie des quatre (puis cinq) éléments. Jean Baudet raconte cette histoire mieux que moi, dans l'excellent Curieuses histoires de la science - Quand les chercheurs se trompent, aux éditions Jourdan (2010).
Rapidement...
Dans l'un de ses dialogues, le Timée, Platon est convaincu qu'il n'existe que quatre éléments essentiels dans l'univers : le feu, l'air, l'eau, la terre. L'erreur, ici, n'est pas dans l'idée qu'il n'y ait que quatre éléments dans le monde, mais dans la tentative du philosophe de le démontrer, tombant même dans la ratiocination. Platon part du principe qu'il n'y a que des choses visibles et tangibles, donc sensibles à la vue (le feu) et au toucher (la terre). Quid de la sonorité, de l'olfactibilité et de la sapidité ? Là, Platon biaise et partant du principe que le monde est nécessairement beau et que la beauté est la perfection, il en déduit de manière parfaitement sophistique que, pour que celui-ci soit beau, il faut quatre éléments, et ajoute donc l'air et l'eau. On vous épargnera la pseudo-démonstration platonicienne. Mais, cette théorie, affinée par un écrit postérieur, Epinomis, peut-être même apocryphe, avec l'introduction d'un cinquième élément, l'éther, comme pour mieux correspondre aux solides de Platon, ces polyèdres, figures parfaites dont toutes les faces sont des polygones réguliers isométriques, a si bien fait autorité, émanant du plus grand des philosophes, qu'elle perdura jusqu'au... XVIIIème siècle. Euclide, Kepler, en passant par Aristote lui-même, tous ont été séduits par cette théorie corrélant les éléments, la matière et les figures géométriques parfaites, pour réduire le monde à sa plus simple expression ! L'erreur scientifique est, ici, née de la croyance selon laquelle l'univers pouvait s'expliquer et se résumer par la simple réflexion philosophique. Au fond, le rejet des cosmogonies polythéistes est louable, la conception quasi moniste du monde peut se défendre, mais faire de l'esthétisme l'alpha et l'oméga de la composition de l'univers, pour le réduire à quatre ou cinq éléments, et surtout faire confiance à son raisonnement pour forcer l'argument d'autorité... Cette erreur, digne de la théorie hippocratique des quatre humeurs, va "bloquer" la réflexion, selon Baudet. "Pourquoi réfléchir à la constitution ultime de la matière si le divin Platon a résolu le problème de façon définitive ?" On sait, par la suite, comment l'époque moderne et la découverte de l'instrumentation (lunettes, microscopes, etc.), les nouvelles technologies du XVIIIème siècle en somme, aura raison de cette théorie...
"Ce qui rend l'erreur possible, c'est l'apparence suivant laquelle le simple subjectif est pris pour l'objectif" écrivait Kant.
Aujourd'hui, les mathématiciens sont adeptes de l'"analyse d'incertitude", reconnaissant qu'il y a souvent une "erreur de mesure", un écart quantitatif entre la valeur effectivement obtenue par une mesure et la valeur de la grandeur que l'on souhaite mesurer. L'erreur de mesure inhérente à chacun de nos résultats fait en principe obstacle à notre connaissance : elle est source d'incertitude. Mais, des travaux, comme ceux d'Elton Mayo et de Jutta Schickore, ont permis de montrer le rôle positif que pouvait jouer l'erreur, de manière générale, dans la démarche scientifique. Menant une réflexion sur la "confiance", qui intègre l'erreur, qui traduit alors notre capacité à dépasser certains problèmes expérimentaux ou philosophiques, et qui voit l'erreur comme un élément consubstantiel à la mesure physique, ces philosophes considèrent que l'erreur participe à notre connaissance, comme l'expliqua Jean-Pierre Kahane, de l'Académie des Sciences, en 2012, dans un colloque sur l'erreur en sciences.
C'est peut-être de cette philosophie là dont se réclame l'Association, auteur de ce classement, en espérant que celui-ci "invite la communauté scientifique dans son ensemble à la discussion et au débat constructif".
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Réf. : CE 6 s-s., 23 décembre 2015, n° 390792 (N° Lexbase : A0123N3X)
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par Thierry Vallat, Avocat au barreau de Paris
Le 28 Janvier 2016
L'avocat requérant s'était au préalable vu opposer un rejet de sa demande d'abrogation par le CNB et avait donc saisi le Conseil d'Etat par requête du 8 juin 2015, en demandant l'annulation pour excès de pouvoir de cette décision de rejet du 17 avril 2015 (CE 4 s-s., 17 avril 2015, n° 374325 N° Lexbase : A9580NGW).
Il demandait également au Conseil d'Etat de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle visant à déterminer si l'article 24 de la Directive 2006/123 du Parlement européen et du Conseil, relative aux services dans le marché intérieur N° Lexbase : L8989HT4) (dite Directive "Services") n'était pas incompatible avec les dispositions du RIN qui interdisent aux membres d'une profession règlementée d'exploiter un nom de domaine autre que celui correspondant à leur nom ou dénomination exacte, éventuellement complété de l'intitulé de leur profession.
Il est à noter que ce confrère, décidemment quérulent, n'en était pas à son coup d'essai, puisqu'il avait déjà quelques mois plus tôt formé une demande identique portant sur la rédaction antérieure de cet article du RIN, à l'époque en effet numéroté 10.6.
Le Conseil d'Etat a statué sur ce premier recours dans son arrêt du 9 novembre 2015 (CE 1° et 6° s-s-r., 9 novembre 2015, n° 384728 N° Lexbase : A3616NWT) et validé les dispositions du RIN relatives au nom de domaine sous leur forme antérieure.
On devinera que le Conseil d'Etat n'a pas manqué de reprendre une argumentation analogue, dans sa présente décision du 23 décembre 2015 qui tranche les quatre difficultés soulevées.
La décision du 23 décembre 2015 confirme tout d'abord avec force que le Conseil national des barreaux, investi d'un pouvoir règlementaire par la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques (N° Lexbase : L6343AGZ) (loi du 31 décembre, art. 53), pouvait légitimement édicter les règles contestées.
Elle rappelle en tant que de besoin l'article 15 du décret n° 2005-790 du 12 juillet 2005, sur la déontologie de l'avocat (N° Lexbase : L6025IGA) qui dispose que "la publicité et la sollicitation personnalisée sont permises à l'avocat si elles procurent une information sincère sur la nature des prestations de services proposées et si leur mise en oeuvre respecte les principes essentiels de la profession..."
Le CNB qui s'est vu confier par la loi la mission de veiller au respect de l'intérêt général de la profession a donc une compétence normative lui permettant de prendre des mesures relatives à la publicité et aux exigences déontologiques, au titre de cette mission d'harmonisation des règles et usages de la profession avec les lois et règlements en vigueur.
Puis, le Conseil d'Etat précise que les dispositions relatives au nom de domaine de l'avocat n'ont pas eu pour objet ou pour effet de subordonner à des conditions nouvelles l'exercice de la profession d'avocat.
La publicité de l'avocat par internet doit en effet être règlementée notamment afin d'éviter l'appropriation directe ou indirecte, via un nom de domaine générique, d'un domaine du droit ou d'activité que se partage la profession.
Par ailleurs, les règles édictées par les deuxième et troisième alinéas de l'article 10.5 sont conformes aux principes fondamentaux et essentiels de la profession d'avocat.
Le Conseil d'Etat reprend à cet égard sa jurisprudence antérieure (CE 1° et 6° s-s-r., 19 octobre 2012, n° 354613 N° Lexbase : A7317IUK) : ces règles ne méconnaissent pas la liberté d'exercice et ne remettent en cause ni la liberté de communication des avocats, ni leur liberté d'entreprendre, ni leur droit de propriété, comme cela avait été prétendu vainement par l'avocat requérant.
Aucune atteinte disproportionnée à ces droits et libertés n'est ainsi relevée par l'arrêt.
Le Conseil d'Etat tranche également le point du champ d'application aux noms de domaine de la Directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006, relative aux services dans le marché intérieur.
Il était soutenu l'incompatibilité du RIN avec cette Directive "Bolkestein" de 2006 dont rappelons que l'article 4 est venu définir la "communication commerciale", comme "toute forme de communication destinée à promouvoir, directement ou indirectement, les biens, les services ou l'image d'une entreprise, d'une organisation ou d'une personne ayant une activité commerciale, industrielle, artisanale ou exerçant une profession réglementée [...]"
Son article 24, spécifique aux "Communications commerciales des professions réglementées" prévoit que "1. Les Etats membres suppriment toutes les interdictions totales visant les communications commerciales des professions réglementées.
2. Les Etats membres veillent à ce que les communications commerciales faites par les professions réglementées respectent les règles professionnelles, conformes au droit communautaire, qui visent notamment l'indépendance, la dignité et l'intégrité de la profession ainsi que le secret professionnel, en fonction de la spécificité de chaque profession. Les règles professionnelles en matière de communications commerciales doivent être non discriminatoires, justifiées par une raison impérieuse d'intérêt général et proportionnées".
Le Conseil d'Etat nous précise donc que les informations relatives aux noms de domaine ne constituent pas une communication commerciale au sens du paragraphe 12 de l'article 4 de la Directive "Services".
Dès lors, les règles encadrant la dénomination des sites internet des personnes ou des entreprises relevant de profession règlementées ne sont pas régies par les dispositions de la Directive.
La CJUE n'est donc pas saisie de la question préjudicielle soulevée.
Le Conseil d'Etat balaye enfin tout aussi aisément le grief qui était fait au deuxième alinéa contesté de méconnaître le principe d'égalité avec les confrères européens autorisés à s'installer en France sous leur titre d'origine, ainsi qu'ils en ont la possibilité conformément à l'article 83 de la loi du 31 décembre 1971.
En effet, le nom de domaine de l'avocat doit comporter le nom de l'avocat ou de son cabinet et peut être suivi ou précédé de la mention "avocat", ce qui ne fait donc pas obstacle à ce que les avocats ressortissants de l'Union européenne fassent mention dans le nom de domaine qu'ils choisissent de leur titre professionnel d'origine.
Si cette décision de la Haute juridiction administrative n'est guère surprenante, elle permet de remettre la lumière sur la nécessité d'une communication maîtrisée des avocats par internet, media incontournable aujourd'hui, soit grâce à un site soit via les réseaux sociaux.
La réforme, opérée par la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014, relative à la consommation (N° Lexbase : L7504IZX), dite loi "Hamon", et le décret n° 2014-1251 du 28 octobre 2014, relatif aux modes de communication des avocats (N° Lexbase : L5614I4P), a permis de mettre la France en conformité avec l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 5 avril 2011 (CJUE, 5 avril 2011, aff. C-119/09 N° Lexbase : A4134HM3), a minima objecteront certains, et le Règlement intérieur national en tient désormais compte.
Le respect des principes essentiels passe donc par le choix d'un nom de domaine cohérent et sincère dans son information, conforme aux prescriptions de l'article 10.5 du RIN.
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Réf. : CE 6 s-s., 23 décembre 2015, n° 390792 (N° Lexbase : A0123N3X)
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par Thierry Vallat, Avocat au barreau de Paris
Le 28 Janvier 2016
L'avocat requérant s'était au préalable vu opposer un rejet de sa demande d'abrogation par le CNB et avait donc saisi le Conseil d'Etat par requête du 8 juin 2015, en demandant l'annulation pour excès de pouvoir de cette décision de rejet du 17 avril 2015 (CE 4 s-s., 17 avril 2015, n° 374325 N° Lexbase : A9580NGW).
Il demandait également au Conseil d'Etat de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle visant à déterminer si l'article 24 de la Directive 2006/123 du Parlement européen et du Conseil, relative aux services dans le marché intérieur N° Lexbase : L8989HT4) (dite Directive "Services") n'était pas incompatible avec les dispositions du RIN qui interdisent aux membres d'une profession règlementée d'exploiter un nom de domaine autre que celui correspondant à leur nom ou dénomination exacte, éventuellement complété de l'intitulé de leur profession.
Il est à noter que ce confrère, décidemment quérulent, n'en était pas à son coup d'essai, puisqu'il avait déjà quelques mois plus tôt formé une demande identique portant sur la rédaction antérieure de cet article du RIN, à l'époque en effet numéroté 10.6.
Le Conseil d'Etat a statué sur ce premier recours dans son arrêt du 9 novembre 2015 (CE 1° et 6° s-s-r., 9 novembre 2015, n° 384728 N° Lexbase : A3616NWT) et validé les dispositions du RIN relatives au nom de domaine sous leur forme antérieure.
On devinera que le Conseil d'Etat n'a pas manqué de reprendre une argumentation analogue, dans sa présente décision du 23 décembre 2015 qui tranche les quatre difficultés soulevées.
La décision du 23 décembre 2015 confirme tout d'abord avec force que le Conseil national des barreaux, investi d'un pouvoir règlementaire par la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques (N° Lexbase : L6343AGZ) (loi du 31 décembre, art. 53), pouvait légitimement édicter les règles contestées.
Elle rappelle en tant que de besoin l'article 15 du décret n° 2005-790 du 12 juillet 2005, sur la déontologie de l'avocat (N° Lexbase : L6025IGA) qui dispose que "la publicité et la sollicitation personnalisée sont permises à l'avocat si elles procurent une information sincère sur la nature des prestations de services proposées et si leur mise en oeuvre respecte les principes essentiels de la profession..."
Le CNB qui s'est vu confier par la loi la mission de veiller au respect de l'intérêt général de la profession a donc une compétence normative lui permettant de prendre des mesures relatives à la publicité et aux exigences déontologiques, au titre de cette mission d'harmonisation des règles et usages de la profession avec les lois et règlements en vigueur.
Puis, le Conseil d'Etat précise que les dispositions relatives au nom de domaine de l'avocat n'ont pas eu pour objet ou pour effet de subordonner à des conditions nouvelles l'exercice de la profession d'avocat.
La publicité de l'avocat par internet doit en effet être règlementée notamment afin d'éviter l'appropriation directe ou indirecte, via un nom de domaine générique, d'un domaine du droit ou d'activité que se partage la profession.
Par ailleurs, les règles édictées par les deuxième et troisième alinéas de l'article 10.5 sont conformes aux principes fondamentaux et essentiels de la profession d'avocat.
Le Conseil d'Etat reprend à cet égard sa jurisprudence antérieure (CE 1° et 6° s-s-r., 19 octobre 2012, n° 354613 N° Lexbase : A7317IUK) : ces règles ne méconnaissent pas la liberté d'exercice et ne remettent en cause ni la liberté de communication des avocats, ni leur liberté d'entreprendre, ni leur droit de propriété, comme cela avait été prétendu vainement par l'avocat requérant.
Aucune atteinte disproportionnée à ces droits et libertés n'est ainsi relevée par l'arrêt.
Le Conseil d'Etat tranche également le point du champ d'application aux noms de domaine de la Directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006, relative aux services dans le marché intérieur.
Il était soutenu l'incompatibilité du RIN avec cette Directive "Bolkestein" de 2006 dont rappelons que l'article 4 est venu définir la "communication commerciale", comme "toute forme de communication destinée à promouvoir, directement ou indirectement, les biens, les services ou l'image d'une entreprise, d'une organisation ou d'une personne ayant une activité commerciale, industrielle, artisanale ou exerçant une profession réglementée [...]"
Son article 24, spécifique aux "Communications commerciales des professions réglementées" prévoit que "1. Les Etats membres suppriment toutes les interdictions totales visant les communications commerciales des professions réglementées.
2. Les Etats membres veillent à ce que les communications commerciales faites par les professions réglementées respectent les règles professionnelles, conformes au droit communautaire, qui visent notamment l'indépendance, la dignité et l'intégrité de la profession ainsi que le secret professionnel, en fonction de la spécificité de chaque profession. Les règles professionnelles en matière de communications commerciales doivent être non discriminatoires, justifiées par une raison impérieuse d'intérêt général et proportionnées".
Le Conseil d'Etat nous précise donc que les informations relatives aux noms de domaine ne constituent pas une communication commerciale au sens du paragraphe 12 de l'article 4 de la Directive "Services".
Dès lors, les règles encadrant la dénomination des sites internet des personnes ou des entreprises relevant de profession règlementées ne sont pas régies par les dispositions de la Directive.
La CJUE n'est donc pas saisie de la question préjudicielle soulevée.
Le Conseil d'Etat balaye enfin tout aussi aisément le grief qui était fait au deuxième alinéa contesté de méconnaître le principe d'égalité avec les confrères européens autorisés à s'installer en France sous leur titre d'origine, ainsi qu'ils en ont la possibilité conformément à l'article 83 de la loi du 31 décembre 1971.
En effet, le nom de domaine de l'avocat doit comporter le nom de l'avocat ou de son cabinet et peut être suivi ou précédé de la mention "avocat", ce qui ne fait donc pas obstacle à ce que les avocats ressortissants de l'Union européenne fassent mention dans le nom de domaine qu'ils choisissent de leur titre professionnel d'origine.
Si cette décision de la Haute juridiction administrative n'est guère surprenante, elle permet de remettre la lumière sur la nécessité d'une communication maîtrisée des avocats par internet, media incontournable aujourd'hui, soit grâce à un site soit via les réseaux sociaux.
La réforme, opérée par la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014, relative à la consommation (N° Lexbase : L7504IZX), dite loi "Hamon", et le décret n° 2014-1251 du 28 octobre 2014, relatif aux modes de communication des avocats (N° Lexbase : L5614I4P), a permis de mettre la France en conformité avec l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 5 avril 2011 (CJUE, 5 avril 2011, aff. C-119/09 N° Lexbase : A4134HM3), a minima objecteront certains, et le Règlement intérieur national en tient désormais compte.
Le respect des principes essentiels passe donc par le choix d'un nom de domaine cohérent et sincère dans son information, conforme aux prescriptions de l'article 10.5 du RIN.
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Réf. : CJUE, 20 janvier 2016, aff. C-428/14 (N° Lexbase : A1948N4W)
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N1022BWR
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Le 28 Janvier 2016
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Réf. : Décret n° 2015-1671 du 14 décembre 2015 (N° Lexbase : L7154KUI) ; Cons. const., décision n° 2015-510 QPC , 7 janvier 2016 (N° Lexbase : A3940N3C) ; CA Bourges, ch. civ., 7 janvier 2016, n° 15/00164 (N° Lexbase : A1993N39)
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par Pauline Le More, Avocate au barreau de Paris, Cabinet LeMore Avocat
Le 28 Janvier 2016
Parmi les multiples dispositions encadrant les relations commerciales de certains secteurs économiques considérés comme sensibles, figure, dans la loi "Macron" (loi n° 2015-990 du 6 août 2015, pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances N° Lexbase : L4876KEC), l'obligation d'information préalable de l'Autorité de la concurrence, avec effet suspensif, sur "tout accord entre des entreprises ou des groupes de personnes physiques ou morales exploitant, directement ou indirectement, un ou plusieurs magasins de commerce de détail de produits de grande consommation, ou intervenant dans le secteur de la distribution comme centrale de référencement ou d'achat d'entreprises de commerce de détail, visant à négocier de manière groupée l'achat ou le référencement de produits ou la vente de services aux fournisseurs" (C. com., art. L. 462-10, al. 1er, nouv. N° Lexbase : L1581KGN).
A la suite de la recommandation de l'Autorité de la concurrence dans son avis n° 15-A-06 du 31 mars 2015, relatif aux rapprochements des centrales d'achat et de référencement dans le secteur de la grande distribution (Aut. conc., avis n° 15-A-06 du 31 mars 2015 N° Lexbase : X3924APZ), celle-ci souhaite, grâce à cette nouvelle attribution, pouvoir, le cas échéant et en temps utile, intervenir sur des accords n'entrant pas dans le champ du contrôle des concentrations, mais susceptibles de poser des problèmes de concurrence.
Cette obligation, prévue à titre informatif, doit être respectée avant la mise en oeuvre de l'accord projeté, et au minimum deux mois avant. Elle trouve à s'appliquer au delà d'un certain seuil de chiffres d'affaires mondiaux et français (C. com., art. L. 462-10, al. 2, nouv., en liaison avec l'article R. 462-5 du Code de commerce N° Lexbase : L7928KU8). Selon le décret du 14 décembre 2015, publié au Journal officiel du 16 décembre 2015, les conditions suivantes de seuil suivantes doivent être cumulativement réunies sont :
- le chiffre d'affaires total mondial hors taxes de l'ensemble des entreprises ou des groupes de personnes physiques ou morales parties à de tels accords est supérieur à 10 milliards d'euros ;
- le chiffre d'affaires total hors taxes réalisé à l'achat en France dans le cadre de ces accords par l'ensemble des entreprises ou des groupes de personnes physiques ou morales parties à de tels accords est supérieur à 3 milliards d'euros.
L'obligation de communication préalable des accords visant à négocier des achats groupés est applicable depuis le 1er janvier 2016 (décret n° 2015-1671 du 14 décembre 2015, art.2)
Par décision du 7 janvier 2016, le Conseil constitutionnel a, de nouveau, déclaré conforme à la Constitution le plafond servant de base au calcul des sanctions pécuniaires infligées par l'Autorité de concurrence aux auteurs de pratiques anticoncurrentielles, définies aux articles L. 420-1 (N° Lexbase : L6583AIN) et suivants du Code de commerce et réprimées en application de l'article L. 464-2 du Code de commerce (N° Lexbase : L2049KGY).
La question prioritaire de constitutionnalité était posée à l'occasion du pourvoi en cassation (Cass. QPC, 6 octobre 2015, n° 15-15.005, F-D N° Lexbase : A0534NTX) formé contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 26 février 2015 (CA Paris, Pôle 5, 7ème ch., 26 février 2015, n° 2013/06663 N° Lexbase : A5497NCL) ayant rejeté les demandes de l'association Expert comptables media association (ECMA), qui s'était vue infligée une amende de 1,17 million d'euros en raison de pratiques d'abus de position dominante par l'Autorité de la concurrence (Aut. conc., décision n° 13-D-06 du 28 février 2013 N° Lexbase : X2157AMT). Etaient contestées au regard de la Constitution les dispositions de l'article L. 464-2, I, alinéa 4, du Code de commerce, lesquelles prévoient un régime de sanction applicable différent selon que l'auteur incriminé de pratiques anticoncurrentielles est une entreprise ou non. En effet, tandis que les entreprises encourent un montant maximum d'amendes s'élevant à 10 % du chiffre d'affaires mondial hors taxes, réalisé au cours d'un des exercices clos depuis l'exercice précédant celui au cours duquel les pratiques ont été mises en oeuvre, les autres contrevenants encourent une sanction pécuniaire fixée en valeur absolue, à savoir un maximum de 3 millions d'euros. L'association requérante soutenait qu'une telle différence de traitement méconnaissait le principe d'égalité devant la loi et que le flou juridique entourant la notion d'entreprise contrevenait au principe de légalité des peines.
Dans un premier temps, en l'absence de changement de circonstances, le Conseil constitutionnel constate qu'il n'y a pas lieu à statuer sur la conformité à la Constitution des deuxième et troisième phrases de l'article L. 464-2, I, alinéa 4, du Code de commerce, lesquelles fixent le montant maximal des amendes encourues par les entreprises à 10 % du chiffre d'affaires hors taxe mondial. En effet, par décision n° 2014-489 QPC du 14 octobre 2015, le Conseil constitutionnel avait estimé que ces dispositions ne méconnaissaient ni le principe de nécessité, ni le principe de proportionnalité des peines compte tenu "de la nature des agissements réprimés" et "des gains illicites", perçus par l'entreprise du fait de ces agissements (Cons. constit., décision n° 2015-489 QPC, 14 octobre 2015 N° Lexbase : A1932NTQ, cons. 15 ; v. nos obs. in Chronique de droit de la concurrence et de la distribution - Novembre 2015, Lexbase Hebdo n° 445 du 26 novembre 2015 - édition affaires N° Lexbase : N0065BWC).
Dans un second temps, sur le fond, le Conseil constitutionnel confronte le principe d'égalité issu de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789 (N° Lexbase : L1370A9M) au régime de sanctions pécuniaires différencié selon que le contrevenant est ou non une entreprise. De jurisprudence constante, le principe d'égalité "ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit" (cons. 5 de la présente décision ; cf. déjà, par ex., Cons. const., décision n° 2011-180 QPC, du 13 octobre 2011 N° Lexbase : A7384HY7, cons. 5). Or, en matière de lutte contre les pratiques anticoncurrentielles, le législateur poursuit "l'objectif de préservation de l'ordre public économique", ce qui implique "que le montant des sanctions fixées par la loi soit suffisamment dissuasif pour remplir la fonction de prévention des infractions assignée à la punition" (cons. 6 de la présente décision ; cf. également, Cons. const., décision n° 2015-489 QPC, 14 octobre 2015, préc. ). En outre, les entités ne poursuivant pas un but lucratif et ne disposant pas de "facultés contributives" identiques à celles des entreprises ne sont pas dans la même situation que les entreprises. La différence de traitement entre les entreprises, dont la sanction pécuniaire encourue est proportionnée au montant du chiffre d'affaires, d'une part, et les autres contrevenants qui se voient appliquer un quantum en valeur absolue, d'autre part, "est en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit" (cons. 7 de la présente décision). Le principe d'égalité n'est donc pas méconnu.
Dans un troisième temps et sur le fond toujours, le Conseil constitutionnel analyse le régime de sanctions applicable aux contrevenants qui ne sont pas des entreprises au regard du principe de légalité des peines, résultant de l'article 8 de la DDHC de 1789 (N° Lexbase : L1372A9P). A la différence de la matière pénale, le droit de la concurrence qui prévoit des sanctions administratives, considérées comme quasi-pénales, doit certes se référer "à des catégories juridiques précisent permettant de déterminer la peine encourue avec une certitude suffisante" (cons. 9 de la présente décision). De manière analogue, le Conseil a déjà jugé qu'en matière de sanctions disciplinaires, les termes doivent être "suffisamment clairs et précis pour exclure l'arbitraire" (Cons. const., décision n° 2014-385 QPC, du 28 mars 2014 N° Lexbase : A9892MHT). Mais, l'exigence de définition des infractions n'est pas comparable à celle, plus stricte, qui s'applique à la matière pénale où les crimes et délits doivent être définis "en termes suffisamment clairs et précis" (cf. par ex., Cons. const., décision n° 2014-448 QPC, du 6 février 2015 N° Lexbase : A9202NA3). En l'espèce, la notion de contrevenants qui ne sont pas des entreprises est suffisamment précise à la lumière de la pratique décisionnelle de l'Autorité de la concurrence et de la jurisprudence judiciaire, comme le rappellent l'Autorité de la concurrence, partie en défense, ainsi que le Conseil constitutionnel dans le commentaire de sa propre décision. Sont ainsi visées les personnes physiques, les associations régies par la loi de 1901, telles que l'association requérante (Aut. conc., décision n° 15-D-08, 5 mai 2015 N° Lexbase : X4155APL), les Ordres professionnels (Aut. conc., décision n° 09-D-07, 12 février 2009 N° Lexbase : X5082AEX), les fédérations professionnelles (Aut. conc., décision n° 12-D-08, 6 mars 2012 N° Lexbase : X1791AKK), les syndicats professionnels (Aut. conc., décision n° 12-D-02, 12 janvier 2012 N° Lexbase : X1099AKW), les collectivités territoriales (CA Paris, 1ère ch., sect . H, 31 mars 2009, n° 2008/11353 N° Lexbase : A6555EEI), voire l'Etat (CA Paris, 1ère ch., sect. H, 12 décembre 2006, n° 2006/01743 N° Lexbase : A9226DSI). Dès lors, le principe constitutionnel de légalité des peines ne saurait être davantage méconnu.
La Convention des Nations-Unies sur les contrats de vente internationale de marchandises du 11 avril 1980, dite Convention de Vienne (N° Lexbase : L6800BHC ci-après "CVIM") instaure un double délai à l'égard de l'acheteur qui dénonce un défaut de conformité. L'acheteur doit dénoncer "en précisant la nature de ce défaut, dans un délai raisonnable à partir du moment où il l'a constaté ou aurait dû le constater" (CVIM, art. 39, al. 1), d'une part. Il doit, dans tous les cas, dénoncer "au plus tard dans un délai de deux ans à compter de la date à laquelle les marchandises lui on été effectivement remises" (CVIM, art. 39 al. 2), d'autre part, sauf à ce que l'acheteur ait une "excuse raisonnable pour n'avoir pas procédé à la dénonciation requise" (CVIM, art. 44).
En cas de non-dénonciation dans les délais impartis et en l'absence d'excuse raisonnable, l'acheteur, lésé par un défaut de conformité, est alors déchu de ses prérogatives, à savoir (i) une réduction de prix (CVIM, art. 50) et/ou (ii) l'octroi de dommages et intérêts (CVIM, art. 47 al. 2 et art. 48, al. 1).
L'arrêt de la cour d'appel de Bourges du 7 janvier 2016, donnant lieu à l'infirmation de la décision de première instance, témoigne de la stricte application de ces textes dans le contrat de vente conclu entre une entreprise italienne et son client acheteur français.
En l'espèce, un exploitant agricole, a confié à une société (ci-après la SAS) la construction d'un bâtiment en charpente métallique, réalisé en mars 2006 pour un montant de 19 473,27 euros. Se plaignant d'infiltrations, l'exploitant agricole a, par exploit du 12 juin 2009, sollicité une mesure d'expertise judiciaire. Par exploit du 2 décembre 2009, la SAS a assigné la société de droit italien, son fournisseur des plaques de couverture en fibrociment mises en place, aux fins de lui voir déclarer opposables les opérations d'expertise. Aux termes de son rapport, l'existence d'infiltrations d'eau, dues à des fissurations en creux d'onde et au desserrement des vis, rendant l'immeuble impropre à sa destination, est confirmée. Selon l'expert, les fissures peuvent s'expliquer par plusieurs phénomènes, possiblement cumulatifs, à savoir un serrage excessif ou maladroitement exécuté, un défaut d'ordre géométrique, une zone de plus grande fragilité coïncidant avec des zones de plus fortes contraintes, un défaut de cohésion de matières.
Par exploit du 22 mars 2011, l'exploitant agricole a assigné la SAS aux fins d'obtenir sa condamnation à lui payer diverses sommes en réparation du préjudice qu'il estimait avoir subi, sur le fondement de l'article 1792 du Code civil (N° Lexbase : L1920ABQ). Par exploit du 5 juillet 2011, la SAS a assigné la société de droit italien, aux fins de la voir condamner à la relever de toutes les condamnations pouvant être prononcées à son encontre au profit de l'exploitant agricole. Par jugement du 28 novembre 2013, le tribunal de grande instance de Bourges condamnait, entre autres, la société de droit italien à garantir la SAS de la moitié des sommes mises à sa charge.
C'est cette décision de première instance qu'infirme sèchement la cour d'appel de Bourges en déclarant l'action diligentée par la compagnie d'assurance, subrogée dans les droits de la SAS, irrecevable à l'égard du fournisseur italien. En effet, la cour, faisant application de l'article 39 CVIM, constate qu'en l'espèce, "il résulte des termes du rapport d'expertise que la SAS [X] a été avisée par courrier du 25 octobre 2006 des désordres par le maître de l'ouvrage, date à partir de laquelle elle est intervenue sur les lieux à plusieurs reprises, pour tenter d'y remédier. Or, elle n'a assigné la SPA [Y] que par acte du 2 décembre 2009, soit plus de trois ans plus tard et n'établit pas, ni même ne prétend, avoir dénoncé à cette dernière les difficultés et la nature des défauts, antérieurement. Ce délai de trois ans ne peut être considéré comme raisonnable au sens de l'article 39 de la Convention de Vienne". La cour d'appel met de surcroît en exergue l'erreur du premier juge qui avait pris en considération l'existence d'une garantie contractuelle de dix ans, pourtant sans incidence sur la déchéance du droit de l'acheteur à l'égard de son fournisseur.
On ne peut donc que fortement conseiller à l'acheteur de porter la plus grande attention à ces délais de dénonciation, la jurisprudence ayant même considéré comme non raisonnable le délai de dénonciation s'élevant à sept mois (CA, Aix en Provence, 27 novembre 2014, n° 14/05990 N° Lexbase : A3012M4C)
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Réf. : CE 9° et 10° s-s-r., 20 janvier 2016, n° 376980, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A5766N4C)
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Le 29 Janvier 2016
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Réf. : CE 3°, 8°, 9° et 10° s-s-r., 7 décembre 2015, n° 357189, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A0396NZP)
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par Thibaut Massart, Professeur à l'Université Paris-Dauphine, PSL Research University, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition fiscale
Le 28 Janvier 2016
3. Afin d'éviter que le crédit d'impôt tombe en non-valeur, les sociétés déficitaires ont pris l'habitude de céder temporairement leurs titres à des sociétés bénéficiaires afin que ces dernières puissent profiter du crédit d'impôt. Ces cessions temporaires prennent des formes variées : vente à réméré, vente avec option de rachat, prêt de titres, pension de titres ou encore equity swaps. Lorsque l'opération a lieu juste avant le "détachement du coupon", la distribution des dividendes se réalise en faveur du propriétaire des actions, c'est-à-dire au profit de la société cessionnaire. Cette dernière peut alors profiter du crédit d'impôt correspondant en l'imputant sur son IS. Les titres sont rendus à bref délai au cédant à un prix permettant un partage de l'économie fiscale. Le but principalement fiscal de l'opération ne fait guère de doute.
4. Dans notre affaire, une banque française avait emprunté pour quelques semaines, entre mai et juillet 2002, auprès d'une banque britannique des titres d'une société de droit italien. Cette opération de prêt ayant entraîné un transfert de propriété des titres à la société emprunteuse, cette dernière a alors perçu les dividendes versés par la société italienne pour un montant total de 9 450 000 euros. Cette somme a fait l'objet d'une retenue à la source en Italie de 1 417 500 euros, de sorte que la banque française a perçu un montant net de 8 032 500 euros. En application des stipulations du contrat de prêt, la société française a cependant reversé au prêteur des titres, immédiatement après la perception des dividendes, une somme égale au montant brut de ces dividendes, puis, après quelques semaines, lui a restitué les titres ainsi que 566 962 euros d'intérêts dus au titre de l'opération. La banque française a comptabilisé, en produit, le montant net des dividendes reçus et imputés sur l'IS dont elle était redevable une fraction du crédit d'impôt correspondant aux retenues à la source italienne.
5. A l'issue d'une vérification de la comptabilité de cette société, l'administration fiscale a remis en cause cette imputation. Pour cette dernière, le reversement au prêteur des titres des dividendes reçus majorés de la retenue à la source supportée en Italie est constitutif d'une charge à déduire des revenus à prendre en compte pour l'application de la règle du butoir, de sorte que l'assiette de l'impôt dû en France sur les revenus de source étrangère serait nulle. Admettre l'imputation des crédits d'impôt litigieux aurait abouti, en l'absence de base imposable en France sur ces dividendes, à faire supporter au seul Trésor public français le paiement d'un impôt retenu à la source à l'étranger en méconnaissance de la règle dite du butoir, interne et conventionnelle, prévue, respectivement, aux articles 220 du CGI (N° Lexbase : L1389IZH) et 24 de la Convention fiscale signée entre la France et l'Italie le 5 octobre 1989 (N° Lexbase : L6706BHT).
6. Cependant, ni le tribunal administratif de Montreuil, à travers son jugement du 27 mai 2010 (4), ni la cour administrative d'appel de Versailles, par un arrêt du 13 décembre 2011 (5) n'ont suivi le raisonnement de l'administration. Les juges du fond ont opté pour une interprétation stricte des dispositifs légaux et conventionnels applicables.
En censurant les magistrats de la cour administrative d'appel, le Conseil d'Etat semble donner sa préférence à l'approche économique globale de l'opération suggérée par le service des impôts. Pour l'application de la règle du butoir, le revenu à prendre en compte est donc le revenu net des reversements effectués au titre de l'opération de prêt.
Une telle décision constitue indiscutablement un revirement de jurisprudence, car, en 2009, le Conseil d'Etat avait rendu un avis contraire sur cette problématique (I). Les conséquences pratiques de cette décision doivent être appréciées à l'aune de la réforme opérée par le législateur en 2010 et visant à durcir la règle du butoir au nom de la lutte contre l'optimisation fiscale (II).
I - Le revirement de jurisprudence
7. La décision de la cour administrative d'appel se plaçait assurément dans le cadre de l'avis rendu par le Conseil d'Etat en 2009 (A). Mais la Haute juridiction modifie la dernière partie de son raisonnement (B).
A - La cour administrative d'appel suit le raisonnement proposé par le Conseil d'Etat en 2009
8. Afin de parfaitement comprendre le raisonnement suivi par la cour administrative d'appel, il convient de clairement poser les principes généraux qui gouvernent la matière.
Lorsque des dividendes proviennent de sociétés étrangères, la question se pose de connaître le sort qu'il convient de réserver à la retenue à la source qui a pu être opérée par l'Etat de résidence de la société distributrice. En l'absence de convention fiscale, la retenue à la source a la nature d'une charge déductible de l'IS en vertu des articles 39, 1 (N° Lexbase : L3894IAH) et 122, 1 (N° Lexbase : L8875IR7) du CGI.
Ce système ne permettant pas d'éviter totalement la double imposition, les conventions fiscales prévoient généralement une solution très différente. La retenue à la source est cette fois analysée comme un revenu imposable qui doit en principe être ajouté au montant net perçu pour la détermination du résultat soumis à l'IS. Mais la retenue à la source forme un crédit d'impôt pour être imputée sur l'IS.
9. Soulignons toutefois, pour être totalement précis, qu'il est possible de comptabiliser, comme l'a fait la banque française dans la présente affaire, les dividendes pour leur montant net perçu. Cette approche est parfaitement conforme aux règles comptables admettant la comptabilisation des revenus pour leur montant net de retenue prélevée à l'étranger. Dans ce cas, la société ne peut imputer sur son IS qu'une fraction du montant de la retenue à la source correspondant au contre prorata du taux de l'IS, soit 66,2/3 %. Cette solution découle de l'article 136 de l'annexe II au CGI (N° Lexbase : L0420HNU) qui indique, pour les revenus de capitaux mobiliers, que seul le montant net est pris en compte dans la base de l'impôt et qu'en contrepartie, le crédit d'impôt imputable, notamment étranger, est limité à une fraction de son montant. La doctrine administrative (BOI 4 H-3-97 du 30 mai 1997 § 36 à 38 N° Lexbase : X1146AAP) présente cette solution comme une simple faculté, la prise en compte des revenus pour leur montant brut (impôt étranger compris) constituant la règle (6).
Ainsi compris, ce système permet d'éliminer la double imposition, les revenus perçus, en net ou en brut, étant soumis à une imposition globale correspondant au taux de l'IS français.
10. La difficulté principale de ce régime provient de la règle du butoir édictée par l'article 220, 1 du CGI.
Le a de ce texte pose une règle générale d'imputation sur l'IS des retenues à la source prélevée sur les revenus de capitaux mobiliers perçus par une société. La loi précise toutefois que "la déduction à opérer de ce chef ne peut excéder la fraction de ce dernier impôt correspondant au montant desdits revenus". Autrement dit, la règle de butoir limite l'imputation du crédit d'impôt à l'impôt français dû sur ce même revenu avant imputation.
Le b de l'article 220,1 concerne spécifiquement les revenus de source étrangère visés aux articles 120 (N° Lexbase : L3811KW3) à 123 du CGI. Dans ce cas, "l'imputation est limitée au montant du crédit correspondant à l'impôt retenu à la source à l'étranger ou à la décote en tenant lieu, tel qu'il est prévu par les conventions internationales". Pour les revenus de source étrangère, l'imputation d'un crédit d'impôt correspondant à la retenue à la source est soumise à la condition qu'une convention internationale l'ait prévue et n'est ouverte que dans la limite du montant de la retenue à la source prévue par cette convention. Si le b ne reprend pas la règle du butoir visé au a, les conventions fiscales contiennent généralement une telle règle en posant que le montant du crédit d'impôt imputé ne doit pas non plus excéder la fraction de l'impôt français correspondant aux revenus donnant lieu à imputation (Doc. adm. DGI 4 H-5411, § 95, 30 octobre 1996). Le montant imputable de ces impôts étrangers est limité, pays par pays, au montant de l'impôt français qui frapperait le bénéfice reconstitué selon les règles du droit français.
11. Pour calculer l'IS butoir, il convient de déterminer l'assiette théorique imposable et le taux d'imposition.
Si le taux d'imposition peut éventuellement poser des difficultés (7), c'est surtout la détermination de l'assiette théorique imposable qui focalise la plus grande incertitude. La question principale consiste à déterminer les modalités de calcul du revenu d'imputation et la prise en compte de charges sur l'opération.
12. Une instruction du 1er avril 1975 (BOI 14 B-1-76 ; Dr. fisc., 1976, n° 19, instr. 5087) avait indiqué, pour l'application de la règle du butoir, que le montant imposable des revenus "est égal au montant brut des revenus diminué de toutes les dépenses effectuées en vue de l'acquisition et de la conservation des revenus, à l'exception de l'impôt prélevé à l'étranger".
Force est d'admettre que ces directives étaient pour le moins sommaires et qu'aucun fondement légal n'était précisé, même si la référence à l'article 13 du CGI (N° Lexbase : L9938IWY) semblait s'imposer, même si cette disposition n'a pas été reconnue applicable à l'impôt sur les sociétés. Rappelons que cet article donne une définition générale du bénéfice ou du revenu imposable, prévoyant qu'il "est constitué par l'excédent du produit brut, y compris la valeur des profits et avantages en nature, sur les dépenses effectuées en vue de l'acquisition et de la conservation du revenu".
13. Confronté à l'apparition d'un marché des crédits d'impôt, le ministre du Budget a demandé à la section des finances du Conseil d'Etat de rendre un avis portant sur les modalités d'imputation du crédit d'impôt étranger sur l'impôt sur les sociétés dû en France (8). Plus précisément, le Gouvernement souhaitait savoir si les règles légales autorisaient, pour la détermination de la base d'imputation de la retenue à la source, la déduction des revenus mobiliers de sources étrangères imposables des dépenses directement liées à l'acquisition, à la conservation ou à la cession des titres.
14. Selon la section des finances, le renvoi de l'article 209 du CGI (N° Lexbase : L4558I7X) à l'article 39 du même code a un caractère général en matière pour d'impôt sur les sociétés, si bien que, pour tous les éléments du bénéfice, "le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges", si les charges sont engagées dans l'intérêt de l'entreprise, n'ont pas pour contrepartie un accroissement de l'actif, correspondent à des charges effectives et ne sont pas exclues des dépenses déductibles par une disposition expresse. Dès lors, "des frais justifiés directement liés à l'acquisition, à la conservation et à la cession de titres et n'ayant pas pour contrepartie un accroissement de l'actif, sont, sauf exclusion par des dispositions spécifiques, susceptibles d'être déduits de la fraction du revenu brut procuré par les titres et servant d'assiette pour le calcul de l'impôt sur les sociétés dû à raison de ces titres. Peuvent notamment être déduits, sur ce fondement, les frais de garde et d'encaissement des titres. En revanche, les intérêts d'un emprunt contracté pour acquérir les titres à l'étranger ne pourraient être regardés comme des dépenses directement liées à l'acquisition des titres, pas plus que de tels intérêts ne sont déductibles pour l'impôt sur le revenu, sauf dans des cas particuliers, comme ceux dans lesquels, en application des articles 13 et 83 (N° Lexbase : L7780I8N) du CGI, l'emprunt a été utilisé pour acquérir une participation nécessaire à la poursuite d'un contrat de travail" (CE 3° et 8° s-s-r., 25 octobre 2004, n° 255092, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A6729DDL).
15. La section des finances poursuit son analyse en indiquant que pour les revenus des valeurs mobilières émises hors de France, l'article 122 du CGI dispose que : "le revenu est déterminé par la valeur brute en euros des produits encaissés d'après le cours du change au jour des paiements, sans autre déduction que celle des impôts établis dans le pays d'origine et dont le paiement incombe au propriétaire". Pour le Conseil d'Etat, "ces dispositions, qui interdisent de déduire des revenus de valeurs mobilières émises hors de France des dépenses engagées à l'étranger, autres que les impôts payés à l'étranger, ne font pas par elles-mêmes obstacle à ce que des dépenses engagées en France pour acquérir ou conserver les valeurs mobilières à l'origine de ces revenus soient considérées comme des charges déductibles de ceux-ci. En revanche, ces dispositions font obstacle à la déduction de la rémunération que le bénéficiaire du crédit d'impôt verserait, en application des stipulations d'une convention de partage de l'économie d'impôt, au vendeur étranger des titres, dès lors que cette déduction ne pourrait s'analyser que comme une déduction faite sur les produits des revenus encaissés de l'étranger autre que celle des impôts établis dans le pays d'origine".
Si l'on suit le raisonnement de la section des finances, c'est parce que le prêteur des titres est étranger que la rémunération convenue ne peut être prise en compte. On en déduit, a contrario, que la solution est différente dès lors que le prêteur est une société française.
16. La cour administrative d'appel de Versailles, dans la présente affaire, reprend cette argumentation à la lettre au terme d'une approche méthodologique classique.
Dans un premier temps, la cour applique le principe de subsidiarité en recherchant d'abord la qualification du revenu et la base légale de l'imposition sur le fondement du droit interne, puis en vérifiant qu'une stipulation conventionnelle ne s'y oppose pas. La cour mentionne à ce titre les dispositions de l'article 220 du CGI puis les termes des articles 10 et 24 de la Convention fiscale franco-italienne. L'article 10 de la Convention prévoit que les dividendes sont imposés dans le pays du résident qui les perçoit, mais permet également de les imposer dans l'Etat de la société qui les distribue en limitant la retenue à la source à 5 % ou à 15 % selon les cas. L'article 24 de la Convention institue un mécanisme d'élimination des doubles impositions reposant sur la méthode de l'imputation : l'impôt italien n'est pas déductible pour le calcul du revenu imposable en France, mais le bénéficiaire du revenu a droit à un crédit d'impôt imputable sur l'impôt français dans la base duquel ces revenus sont compris. Et l'article 24 de préciser que le crédit d'impôt "ne peut toutefois excéder le montant de l'impôt français correspondant à ces revenus".
17. Dans un second temps, la cour s'interroge sur l'interprétation de ce butoir conventionnel, en particulier sur la notion de revenu.
La cour constate qu'en l'absence de toute stipulation contraire dans la Convention fiscale franco-italienne, les termes "bénéfices", "revenus" et "autres revenus positifs" qui y sont employés doivent être interprétés conformément à leur acception en droit interne.
S'appuyant sur les dispositions des articles 39 et 38 (N° Lexbase : L3125I7U) du CGI, et en reprenant l'avis du Conseil d'Etat de 2009, la cour affirme d'abord que "les frais directement liés à l'acquisition, à la conservation et à la cession de titres et n'ayant pas pour contrepartie un accroissement de l'actif, sont, sauf exclusion par des dispositions spécifiques, susceptibles d'être déduits de la fraction du revenu brut procuré par les titres et servant d'assiette pour le calcul de l'impôt sur les sociétés dû à raison de ces titres". Puis, la cour considère que, pour les revenus de valeurs mobilières émises hors de France, tels que les dividendes en cause, l'article 122 du CGI dispose, spécialement, que le revenu est déterminé par "la valeur brute en euros des produits encaissés d'après le cours du change au jour des paiements, sans autre déduction que celle des impôts établis dans le pays d'origine et dont le paiement incombe au propriétaire". La cour en déduit, reprenant à la lettre l'avis du Conseil d'Etat de 2009, que "si ces dispositions, qui interdisent de déduire des revenus de valeurs mobilières émises hors de France des dépenses engagées à l'étranger, autres que les impôts payés à l'étranger, ne s'opposent pas par elles-mêmes à ce que des dépenses engagées en France pour acquérir ou conserver les valeurs mobilières à l'origine de ces revenus puissent être considérées comme des charges déductibles de ceux-ci, en revanche, elles font obstacle à la déduction de la rémunération que le bénéficiaire du crédit d'impôt verse, en vertu d'une convention, au prêteur étranger de ces titres, dès lors que cette déduction ne peut s'analyser que comme une déduction faite sur les produits des revenus encaissés de l'étranger autre que celle des impôts établis dans le pays d'origine".
18. Ayant respecté scrupuleusement la position du Conseil d'Etat, l'arrêt de la cour administrative d'appel semblait à l'abri de l'annulation. La surprise est donc grande de constater qu'en censurant la cour d'appel, le Conseil d'Etat a opéré un revirement de jurisprudence.
B - Le Conseil d'Etat propose une nouvelle interprétation de la règle du butoir
19. Trois séries de questions étaient posées à la formation plénière du contentieux.
Premièrement, comment calcule-t-on le montant maximal du crédit d'impôt susceptible d'être imputé sur l'impôt français prévu par la Convention fiscale franco-italienne ? Peut-on, pour ce calcul du butoir, déduire du montant brut de ces dividendes l'ensemble des charges justifiées directement liées à l'acquisition, à la conservation ou à la cession des titres ayant donné lieu à la perception des dividendes ?
Deuxièmement, l'article 122 du CGI fait-il obstacle à l'application des règles fixées par l'article 39 du code régissant la déduction des charges pour la détermination de l'impôt sur les sociétés et, par suite, pour le calcul du montant maximal du crédit d'impôt imputable au titre des retenues à la source acquittées sur les dividendes de source étrangère perçus par une société soumise à l'impôt en France en interdisant la déduction de dépenses versées à l'étranger ?
Troisièmement, les exigences de l'article 63 TFUE (N° Lexbase : L2713IP8) ont-elles été méconnues au motif que le droit applicable traiterait différemment des revenus de source française et des revenus de source italienne ?
20. Le Conseil d'Etat répond à la première série de questions en reprenant le raisonnement suivi en 2009. En revanche, pour la deuxième série de questions, celle relative à l'article 122 du CGI, le Conseil d'Etat adopte une approche novatrice en opérant une distinction entre les produits et les charges.
La détermination des produits serait fixée par l'article 38 du CGI tandis que la détermination des charges dépendrait de l'article 39.
Or, l'article 122 du CGI, en prévoyant que le revenu de valeurs mobilières émises hors de France est déterminé par la valeur brute des produits encaissés sans autre déduction que celle des impôts établis dans le pays d'origine et dont le paiement incombe au bénéficiaire, déterminerait uniquement le revenu à prendre en compte au titre des produits de l'exercice, au sens de l'article 38.
L'article 122 ne s'appliquerait donc pas aux règles fixées par l'article 39 régissant la déduction des charges.
En conséquence, pour le calcul de l'IS butoir, il n'y aurait pas lieu d'opérer une distinction selon que la rémunération prévue conventionnellement à la charge du bénéficiaire du crédit d'impôt serait versée à un prêteur français ou étranger. Dans tous les cas de figure, cette rémunération sera prise en compte dans le cadre de la détermination du bénéfice théorique pour le calcul de l'IS butoir.
21. Le Conseil d'Etat ne répond pas à la dernière série de questions, celle relative de la conformité de la solution avec le droit européen. Mais la solution nouvelle n'opérant plus de distinction entre les prêteurs des titres étrangers et les prêteurs français, aucune discrimination ne peut se faire jour. C'est d'ailleurs le mérite essentiel de ce revirement de jurisprudence et l'on doit admettre que la position de l'avis était pour le moins bancale sur ce point. On ne voit en effet nullement à la lecture de l'article 122 du CGI pourquoi une distinction devrait être faite entre les dépenses "engagées à l'étranger" et celles "engagées en France" (9). Bien au contraire, ce texte indique qu'il faut prendre en compte la valeur brute, sans autre réduction que l'impôt étranger. Aucune dépense, engagée en France ou à l'étranger, ne devrait ainsi être prise en compte.
22. La position du Conseil d'Etat qui estime qu'il faut déduire du montant brut des dividendes l'ensemble des charges justifiées directement liées à l'acquisition, à la conservation ou à la cession des titres ayant donné lieu à la perception des dividendes, semble résolument contraire aux directives posées par l'article 122 du CGI. Mais la Haute juridiction a suivi les recommandations du rapporteur public qui prétend, à l'issue d'une analyse historique des textes en cause, que le maintien de la mention des articles 121 (N° Lexbase : L2130HLH), 122 et 123 (N° Lexbase : L2134HLM) au b) du 1 de l'article 220 n'est plus justifié. Il est vrai que c'est un décret du 9 décembre 1948 qui a institué une taxe proportionnelle frappant notamment les revenus de valeurs mobilières françaises ou étrangères. Ce décret prévoyait également que la taxe proportionnelle acquittée sur des éléments du bénéfice pouvait être imputée sur le montant de l'impôt à la charge du redevable de l'IS, et instaurait pour la première fois la règle du butoir que l'on retrouve aujourd'hui au deuxième alinéa du a) du 1 de l'article 220 du CGI. Il est également vrai qu'une ordonnance du 28 septembre 1967 a supprimé la retenue à la source sur les revenus des valeurs mobilières émises hors de France et les revenus assimilés visés aux articles 120 à 123 bis du CGI à compter du 1er janvier 1968. Il est donc effectivement curieux de retrouver la référence à l'article 122 du CGI dans l'article 220. Pourtant, il ne s'agit nullement d'un oubli ou d'une inadvertance, car l'ordonnance du 28 septembre 1967 a été codifiée dans le CGI par un décret du 15 avril 1969, supprimant la référence aux articles 120 à 123 bis dans le a) du 1 de l'article 220 du CGI, mais créant le b) dans lequel figure une référence expresse à l'article 122. L'explication historique nous semble par conséquent douteuse.
En revanche, la présente décision révèle que le législateur a peut-être commis une erreur en 2010 lorsqu'il a souhaité durcir les conditions du butoir. Ce qui nous amène à envisager les conséquences pratiques de ce revirement de jurisprudence.
II - Les conséquences pratiques du revirement de jurisprudence
23. Il ne fait pas de doute que la nouvelle approche du Conseil d'Etat durcit considérablement les conditions du butoir dans l'hypothèse d'une opération d'aller-retour de titres étrangers conclue par une société française avec une société étrangère. Mais, dans le même temps, il faut souligner qu'à la suite de l'avis rendu par le Conseil d'Etat en 2009, le législateur était déjà intervenu pour renforcer les conditions du butoir (A). Cependant, en modifiant uniquement le a) de l'article 220 du CGI, le législateur est parti du postulat que les revenus d'origine étrangère visés au b) de l'article 220 subiraient également les conséquences du durcissement. La présente décision du Conseil d'Etat, même si le litige se situait avant la réforme législative, pourrait mettre en lumière l'inexactitude d'un tel postulat et impliquer des conséquences favorables à certaines opérations d'aller-retour (B).
A - Un revirement de jurisprudence confortant en apparence la modification législative du régime du butoir
24. Confrontée à l'apparition d'un marché des crédits d'impôt, l'administration fiscale avait essayé d'invoquer la fraude à la loi, le but principalement fiscal des opérations ne faisant guère de doute. Mais le Conseil d'Etat, à travers deux arrêts rendus en 2009 (10) relatifs à des revenus de source française, a considéré que des opérations d'aller-retour sur titres dans le seul but de faire profiter le cessionnaire d'un avoir fiscal n'étaient pas constitutives d'une fraude à la loi fiscale. En effet, la Haute juridiction s'est fondée sur une analyse juridique jugeant que "dès lors qu'une société a effectivement la qualité d'actionnaire, les dividendes qu'elle perçoit à raison des titres qu'elle détient ouvrent droit à son profit au bénéfice de l'avoir fiscal qui y est attaché". Le Conseil d'Etat a, en revanche, jugé dans une décision ultérieure que la fraude à la loi était établie à propos d'une cession temporaire de titres dans le seul but de permettre au cessionnaire de profiter de l'imputation d'un crédit d'impôt (11).
25. Lors du projet de loi de finances pour 2011, la commission des finances du Sénat a proposé un amendement en vue de modifier la règle de plafonnement du montant des crédits d'impôt, de sorte que les opérations d'aller-retour perdent leur intérêt financier (12).
Aux termes du a) du 1 de l'article 220 du CGI, dans sa nouvelle version, le revenu à prendre en compte pour la règle du butoir dans ce type d'opération est désormais calculé sous déduction "des charges engagées pour l'acquisition de ces revenus par le contribuable et les personnes qui lui sont liées, y compris les moins-values de cession de ces biens ou droits [et] les sommes, autres que le prix d'acquisition de ces biens ou droits, versées à cette autre personne ou aux personnes qui lui sont liées, au sens du 12 de l'article 39". Dans ces conditions, sauf à établir comme le permet l'article 220 du CGI que l'opération "n'avait pas principalement pour objet ou pour effet de lui faire bénéficier du crédit d'impôt", le droit interne s'oppose à une imputation intégrale du crédit d'impôt dans ce type d'opération de portage en prenant en compte les revenus nets perçus par le contribuable pour l'application de la règle du butoir.
26. La possibilité d'apporter la preuve contraire offerte au contribuable devait permettre de considérer que l'atteinte éventuelle portée à la liberté communautaire de circulation des capitaux ou au principe conventionnel de non-discrimination n'était pas excessive compte tenu de l'objectif affiché de lutte contre les montages artificiels à visée purement fiscale. Par ailleurs, en insérant son nouveau dispositif à l'article 220, 1, a, et non à l'article 220, 1, b, l'administration fiscale, qui fut à l'origine de l'amendement sénatorial, semblait considérer que la limitation prévue par les dispositions conventionnelles suffisait à fonder l'application du nouveau dispositif aux revenus de source étrangère tout en limitant le risque d'inconventionnalité soulevé par le Conseil d'Etat dès lors que ce dispositif ne vise pas uniquement les revenus de source étrangère.
Mais comme le soulignait déjà Jérôme Ardouin en commentant le nouveau dispositif, restait "à savoir si une clause conventionnelle prévoyant que le montant du crédit d'impôt ne peut excéder la fraction de l'impôt correspondant aux revenus imposables dans l'Etat de résidence permet de fonder l'application du nouveau dispositif. En effet, une telle clause doit-elle être interprétée comme renvoyant aux seules règles traditionnelles de détermination de l'impôt dans l'Etat de résidence, ce qui exclurait de déterminer le butoir en se référant aux nouvelles dispositions de l'article 220, 1, a ou comme permettant à l'Etat de résidence d'appliquer des règles anti-abus propres au seul calcul du butoir ?" (13).
Dans la présente affaire, si le Conseil d'Etat ne répond pas directement à cette question, des indices sérieux laissent à penser que le butoir conventionnel suivra un régime différent du butoir légal en permettant au marché des crédits d'impôt de continuer à prospérer.
B - Un revirement de jurisprudence stérilisant la modification législative du régime du butoir
27. Par sa décision du 7 décembre 2015, le Conseil d'Etat neutralise l'article 122 du CGI dans la mise en oeuvre du butoir conventionnel puisque cet article ne concernerait que le calcul des produits et non des charges. Pour la détermination des charges, il faudrait suivre les directives de l'article 39 du CGI. Ainsi, le revenu théorique destiné à calculer l'IS butoir correspondrait au revenu brut auquel il conviendrait de retrancher l'ensemble des charges justifiées directement liées à l'acquisition, à la conservation ou à la cession des titres ayant donné lieu à la perception des dividendes, et n'ayant pas pour contrepartie un accroissement de l'actif, sauf exclusion par des dispositions spécifiques. Avec une telle règle, la plupart des opérations d'aller-retour perdront leur intérêt financier, dans la mesure où, comme dans la présente affaire, ces charges incluraient le reversement au prêteur des titres de la somme correspondant au montant brut des dividendes servis par la société italienne et les intérêts qui lui sont dus. D'ailleurs, cette solution est parfaitement conforme avec les modifications apportées par la loi de finances pour 2011 à l'article 220 du CGI prévoyant, en cas de prêts de titres, la déduction des sommes, autres que le prix d'acquisition, versées à la personne qui prête les titres.
28. En revanche, un doute apparaît lorsqu'il s'agit des montages d'aller-retour adossés à des cessions temporaires de titres et de la prise en compte de l'éventuelle moins-value constatées lors de la revente des titres. Doit-on déduire cette moins-value ? Cette question avait été posée au Conseil d'Etat en 2009 par le Gouvernement qui envisageait de rendre déductible cette moins-value du revenu correspondant aux intérêts versés et servant d'assiette à l'impôt sur les sociétés sur lequel est imputé le crédit d'impôt égal à la retenue à la source. La section des finances avait répondu que les titres acquis peu avant le détachement du coupon donnant droit au versement des intérêts subissent, après détachement de celui-ci, une décote correspondant, en principe, au montant des intérêts versés. Mais le Conseil d'Etat avait clairement indiqué que "si, à la différence des plus-values à long terme, dont le montant net pour un même exercice fait l'objet d'une imposition séparée à un taux différent de celui de l'impôt sur les sociétés, en vertu de l'article 39 quindecies du CGI (N° Lexbase : L1467HLW), les plus-values à court terme sont imposées au même taux et rentrent dans l'assiette de l'impôt sur les sociétés, la moins-value constatée lors de la revente du titre qui est due au détachement du coupon ne peut, en elle-même, être regardée comme une charge, au sens des dispositions de l'article 39 du CGI, rattachable aux revenus qui ont donné lieu à la retenue à la source et, par suite, déductible". La section des finances avait alors invité le législateur national à définir les règles d'imposition des revenus d'origine étrangère ayant donné lieu à la retenue à la source, l'impôt ainsi déterminé permettant l'imputation du crédit d'impôt correspondant à la retenue à la source. Ce que le législateur fit par la loi de finances pour 2011 en prévoyant expressément, pour le calcul du butoir, que le montant du revenu est diminué des charges engagées pour l'acquisition de ces revenus par le contribuable et les personnes qui lui sont liées, y compris les moins-values de cession de ces biens ou droits. Mais cette règle figure au a) de l'article 220 du CGI et non au b) qui concerne les revenus de source étrangère. La question se pose dès lors de savoir si, à la suite de l'arrêt du Conseil d'Etat du 7 décembre 2015, l'article a) du 220 du CGI s'applique aux revenus d'origine étrangère.
29. Le Conseil d'Etat ne répond pas à cette question, car elle n'était pas en litige dans la présente affaire. Mais la position du rapporteur public est pour le moins troublante. Ce dernier débute son analyse en posant clairement la question du fondement juridique de la règle du butoir s'agissant de revenus de capitaux mobiliers de source étrangère. Il se demande s'il faut faire application du deuxième alinéa du a) du 1 de l'article 220 ou seulement des stipulations conventionnelles. Pour lui, deux lectures du texte sont en effet possibles : la première consiste à lire l a) comme fixant des règles générales applicables à la fois aux revenus de source française et de source étrangère, tandis que le b) poserait des conditions supplémentaires à l'imputation pour les revenus de source étrangère en imposant qu'elle soit prévue par la convention internationale et en la limitant au montant de la retenue à la source prévue par la convention. La seconde option consiste à interpréter le b) comme renvoyant aux conventions fiscales pour la définition des modalités du calcul du butoir.
Si la jurisprudence n'a pas tranché expressément la question, elle semble retenir la première option en jugeant que la règle prévue à l'article 220 s'applique indifféremment aux crédits d'impôt d'origine étrangère et aux crédits d'impôt d'origine française (14).
30. Mais le rapporteur public est clairement en faveur de la deuxième option. Il évoque deux raisons. D'abord, le mécanisme du a) tendait à faire de la retenue à la source prévue une imposition minimale. Le b) tend au contraire à faire en sorte que le Trésor n'ait pas à rembourser un impôt étranger (directement ou sous forme d'imputation sur un impôt afférent à d'autres revenus). Ensuite, en raison de la suppression de la retenue à la source sur les revenus d'origine étrangère par l'ordonnance de 1967, la règle du butoir définie par l'article 220 ne s'applique plus à ces revenus. Le choix du pouvoir réglementaire de maintenir le b) lui paraît seulement guidé par le souci de rappeler qu'il peut exister des crédits d'impôt imputables en vertu de conventions fiscales bilatérales.
31. En conséquence, il proposa au Conseil d'Etat de juger sur le fondement de l'article 24 de la Convention fiscale franco-italienne et du b) du 1 de l'article 220 que la retenue à la source acquittée à l'étranger ne peut être imputée sur l'impôt dû en France que dans la limite du montant de l'impôt français correspondant aux revenus concernés. Or, c'est précisément ce qu'a fait le Conseil d'Etat dans son cinquième considérant. La Haute cour indique "qu'il résulte des dispositions précitées du b) du 1 de l'article 220 du CGI, qui définissent le régime applicable aux revenus de source étrangère auxquels cette disposition fait référence, que l'imputation sur l'impôt dû en France de la retenue à la source acquittée à l'étranger à raison des revenus est limitée au montant du crédit d'impôt correspondant à cette retenue à la source tel qu'il est prévu par les conventions internationales". Autrement dit, pour les revenus de source étrangère, seul le b) de l'article 220 du CGI s'appliquerait, à l'exclusion du régime général prévu au a).
32. Il serait, par conséquent, toujours possible de réaliser des opérations d'aller-retour sans prévoir de rémunération pour le cédant, mais en lui permettant uniquement de réaliser une plus-value lors du rachat des titres. La moins-value subie par le cessionnaire ne serait alors pas prise en compte dans le calcul du butoir. Malheureusement, dans cette logique, le cessionnaire ne pourrait pas profiter de la possibilité offerte par le a) de l'article 220 du CGI d'échapper à la prise en compte de l'ensemble des charges engagées pour l'acquisition des revenus en apportant la preuve que la conclusion du contrat n'avait pas principalement pour objet ou pour effet de lui faire bénéficier du crédit d'impôt.
D'autres arrêts seront nécessaires pour conforter cette interprétation de textes pour le moins byzantins qui révèlent la technicité excessive du droit fiscal.
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Réf. : CE 3° et 8° s-s-r., 21 janvier 2016, n° 371972, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A5761N47)
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Le 04 Février 2016
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Réf. : CE 2° et 7° s-s-r., 20 janvier 2016, n° 394133, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A5779N4S)
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Le 30 Janvier 2016
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Réf. : Rapport sur la dynamisation de la négociation collective, du 22 janvier 2016 (N° Lexbase : X7297APX)
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Le 29 Janvier 2016
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Réf. : Cass. civ. 1, 17 décembre 2015, n° 14-29.549, FS-P+B (N° Lexbase : A8818NZM)
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par Marie-Ange Cochard, ATER à l'Université Toulouse Capitole (IRDEIC)
Le 28 Janvier 2016
La cour d'appel de Paris, par un arrêt en date du 24 septembre 2014, a rejeté ses prétentions (CA Paris, 2ème ch., 7, 24 septembre 2014, n° 13/12109 N° Lexbase : A8866MZE). Le demandeur forme alors un pourvoi en cassation aux moyens que la juridiction du second degré a violé les articles 29 de la loi du 29 juillet 1881 (N° Lexbase : L7589AIW) et 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L4798AQR). En effet, la cour d'appel a soulevé que l'atteinte à l'honneur et à la considération devait être entendue comme l'allégation publique d'un fait réprouvé par une morale objective, laquelle se définit en considération de la loi pénale. Or, l'adultère n'est plus une infraction pénale. Devant la Cour de cassation, le demandeur prône une définition autre de l'allégation publique, réalisée par voie d'insinuation ; à savoir des manquements à des obligations morales d'ordre strictement civil.
La question est donc posée de la définition de l'atteinte à l'honneur ou à la considération par voie de presse.
Par l'arrêt commenté, la première chambre civile de la Cour de cassation rejette le pourvoi considérant "d'une part, que l'atteinte à l'honneur ou à la considération ne pouvait résulter que de la réprobation unanime qui s'attache, soit aux agissements constitutifs d'infractions pénales, soit aux comportements considérés comme contraires aux valeurs morales et sociales communément admises au jour où le juge statue, d'autre part, que ces notions devaient s'apprécier au regard de considérations objectives et non en fonction de la sensibilité personnelle et subjective de la personne visée, la cour d'appel, loin de se borner à relever que l'adultère était dépénalisé depuis quarante ans, a retenu à bon droit que l'évolution des moeurs comme celle des conceptions morales ne permettaient plus de considérer que l'imputation d'une infidélité conjugale serait à elle seule de nature à porter atteinte à l'honneur ou à la considération".
La Haute juridiction rappelle les critères classiques de la diffamation (I). Toutefois, malgré la volonté d'établir un contrôle objectif, se révèle une appréciation évolutive des composantes de la diffamation, notamment des faits contraires à l'honneur et à la considération (II).
I - Les critères classiques de la diffamation
Un régime de protection. L'article 29 de la loi du 29 juillet 1881 met en place un régime de base de protection des personnes (A). Les atteintes à la réputation des personnes sont réprimées au moyen de la diffamation. Cependant, bien que le texte définisse les éléments constitutifs du délit, ces derniers sont appréciés diversement par les juridictions (B).
A - Les fondements de la protection des personnes
Un recours unique. Issu de l'ordonnance du 6 mai 1944, l'article 29 alinéa 1er de la loi du 29 juillet 1881 dispose que "toute allégation ou imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation. La publication directe ou par voie de reproduction de cette allégation ou de cette imputation est punissable, même si elle est faite sous forme dubitative ou si elle vise une personne ou un corps non expressément nommés, mais dont l'identification est rendue possible par les termes des discours, cris, menaces, écrits ou imprimés, placards ou affiches incriminés".
Par deux arrêts d'Assemblée plénière, la Cour de cassation a jugé que l'article 29 précité est le régime de base de protection des personnes en matière de diffamation (1). En d'autres termes, le requérant n'avait aucun autre mode d'obtenir réparation. Il ne pouvait donc pas, notamment, former un recours sur le fondement de l'article 1382 du Code civil (N° Lexbase : L1488ABQ), qui aurait sans doute, davantage permis une prise en considération de son préjudice.
Un recours contre la liberté d'expression. Le demandeur fonde également son pourvoi sur l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme, garantissant le respect de la vie privée et familiale de chacun. Un conflit naît alors avec l'article 10 de la même Convention, relatif à la liberté d'expression. D'autant qu'il n'aura pas échappé que la publication litigieuse a eu lieu par voie de presse. Or, la Cour européenne des droits de l'Homme a tendance à garantir de façon importante ladite liberté des journalistes en les exonérant de leur responsabilité, puisqu'ils sont, selon l'expression consacrée le "chien de garde" de la démocratie, à condition que l'information diffusée ait été correctement vérifiée (2). Toutefois, dans l'arrêt commenté, le demandeur ne fait nullement référence à la fausseté de l'information.
En tout état de cause, la jurisprudence interne s'attache à certains éléments constitutifs, dont la distinction est, parfois, mise à mal.
B - L'appréciation des éléments constitutifs du régime de protection des personnes
Une allégation déterminée. Il résulte de la lettre de l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881 que cinq éléments constituent la diffamation. Il s'agit d'une allégation ou imputation d'un fait déterminé, lequel doit être de nature à porter atteinte à l'honneur ou à la considération, viser une personne déterminée. L'auteur doit être de mauvaise foi et avoir publié la déclaration litigieuse.
La question de la véracité des faits, soulignée précédemment, n'est, en réalité, prise en compte, en droit interne, qu'au stade de l'examen de la bonne ou mauvaise foi.
Il apparaît clairement que la Cour de cassation ne s'est pas posée cette question. Pour rejeter le pourvoi, elle a uniquement considéré que les faits dénoncés n'étaient pas l'objet d'une réprobation unanime. Une solution identique aurait été permise par l'analyse de la bonne foi du journaliste. Il en ressort une appréciation large des différents éléments constitutifs de la diffamation par la Haute juridiction.
Une allégation insinuée. De même, la Cour de cassation n'a pas jugé nécessaire de répondre au troisième moyen du pourvoi relatif au mode de diffamation. En effet, le demandeur reproche à la Cour d'appel de ne pas avoir retenu que l'allégation diffamatoire pouvait être "réalisée par voie d'insinuation". L'insinuation est, effectivement, un mode de diffamation indirecte. Dans les faits, le mode direct ou non de diffamation importait peu.
En revanche, la nature des propos litigieux, ainsi que leur caractère évolutif, étaient au coeur de l'arrêt.
II - L'appréciation évolutive de la diffamation
Une appréciation nécessairement évolutive. Les faits de diffamation sont dénoncés aux motifs qu'ils porteraient atteinte à l'honneur et à la considération du demandeur (A). Il en résulte une nécessité de revenir sur ces notions que la Cour de cassation tente d'apprécier objectivement malgré leur caractère intrinsèquement subjectif (B).
A - Les faits portant atteinte à l'honneur et à la considération
Cas d'espèce. Dans l'arrêt commenté, le demandeur au pourvoi reproche à la juridiction d'appel d'avoir subordonné "l'atteinte à l'honneur et à la considération à l'allégation publique d'un fait unanimement réprouvé par une morale objective ayant le même champ d'application que la réprobation pénale, sans autrement rechercher si l'allégation litigieuse ne portait pas sur des manquements contraires à l'honneur et à la considération au regard d'obligations morales d'ordre strictement civil". La Cour de cassation censure ce raisonnement en soulevant que "loin de se borner à relever que l'adultère était dépénalisé depuis quarante ans, [la cour d'appel] a retenu à bon droit que l'évolution des moeurs comme celle des conceptions morales ne permettaient plus de considérer que l'imputation d'une infidélité conjugale serait à elle seule de nature à porter atteinte à l'honneur ou à la considération". En effet, la question n'est plus relative à l'appartenance, ou non, de l'adultère à la catégorie des infractions pénales. Comme le rappelle la Cour de cassation, les hypothèses d'atteinte à l'honneur ou à la considération sont variées. Il peut s'agir, certes de faits pénalement répréhensibles, mais également, comme c'est le cas en l'espèce, de mises en cause du mode de vie. En d'autres termes, il importait de déterminer si le fait de faire état d'une infidélité conjugale était contraire à l'honneur et à la considération du demandeur.
Les notions d'honneur et de considération. L'honneur renvoie, pour toute personne, "à sa dignité, élément de son patrimoine moral qu'elle est dans son droit de faire respecter de chacun et dans son devoir de s'y conformer" (3). De plus, l'honneur "en tant que 'considération', de ses semblables n'est autre que 'l'estime publique'. Ce jugement porte essentiellement sur les qualités morales de l'individu" (4). Ainsi, l'honneur est un "état d'esprit", directement en lien avec les principes essentiels de dignité et de respect. La considération est une notion plus vaste, et renvoie à l'idée qu'autrui se fait de nous. Toutefois, il convient de souligner que la jurisprudence opère une assimilation entre les deux notions (5).
Dès lors, indépendamment d'une éventuelle qualification pénale, est contraire à l'honneur, un acte réprimé par la morale, la probité ou les bonnes moeurs. La définition par renvoi n'apporte pas davantage d'éclaircissement, dans la mesure où les nouvelles notions sont aussi obscures que les premières.
Les bonnes moeurs ou la réprobation publique. En l'espèce, il s'agit d'une éventuelle atteinte aux bonnes moeurs, la Cour de cassation y faisant directement référence. Mais surtout, l'on sait que les questions relatives à la sexualité relèvent de ce domaine. Dès lors, s'interroger sur la qualification diffamatoire d'une relation adultère, revient à se demander si pareille relation est contraire aux bonnes moeurs. Dans l'affirmative, sa communication dans la presse emporte la qualification de faits contraires à l'honneur et à la considération. Le dictionnaire Cornu définit les bonnes moeurs comme un "ensemble de règles imposée par une certaine morale sociale, reçue en temps et en lieu donnés, qui, en parallèle avec l'ordre public, constitue une norme par référence à laquelle les comportements sont appréciés"(6).
Or, intrinsèquement liées à la société, les bonnes moeurs sont donc, par nature, évolutives (7). Pour ne citer que certains exemples, la jurisprudence a considéré que comportaient une forte connotation déshonorante et se rapportaient aux moeurs le fait d'être homosexuel (8) ou d'être en ménage avec un délinquant (9).
En conséquence, comment est-il possible d'apprécier objectivement un fait par nature subjectif ?
B - L'objectivisation de l'honneur et de la considération
Le contrôle objectif de la Cour de cassation. La Haute juridiction a rappelé sa position classique en matière de diffamation : l'appréciation par les juges du fond se fait au jour où ils statuent et "ces notions devaient s'apprécier au regard de considérations objectives et non en fonction de la sensibilité personnelle et subjective de la personne visée". De jurisprudence traditionnelle, la Haute juridiction écarte les conceptions personnelles de la victime, dont l'opinion ou le préjudice n'importe pas (10).
Cependant, comment opérer un contrôle objectif ? En effet, comment est-il possible d'affirmer, sans considération des ressentis privés, qu'un fait est, ou non, contraire aux bonnes moeurs ?
L'objectivisation du contrôle. Un détour par le droit pénal peut apporter certaines réponses. L'évolution de la société et la place grandissante du droit à la vie privée conduisent le droit pénal à délaisser la notion de bonnes moeurs comme une régulation sociale de la sexualité, par exemple, en préférant protéger certaines personnes jugées vulnérables. L'édiction des incriminations pénales consacre ainsi un nouveau sens aux bonnes moeurs. En effet, le Code pénal de 1994 a supprimé la notion de bonnes moeurs. Pourtant, malgré la suppression de la notion, le législateur ne se désintéresse pas des bonnes moeurs. D'une part, les tiers ne doivent pas être heurtés par un spectacle offensant (11), d'autre part, les personnes vulnérables sont particulièrement protégées (12) par les infractions prohibant la discrimination sexuelle (13), le harcèlement sexuel (14) et la mise en péril du mineur (15).
Des notions intrinsèquement pénales. Aussi, bien qu'il ne s'agisse pas de qualifier un fait pénalement, il est possible de définir les bonnes moeurs au regard des infractions pénales. En effet, si le demandeur tente de rattacher la notion à des obligations morales d'ordre strictement civil, il faut rappeler que le Code pénal reflète les valeurs sociétales. Monsieur le Professeur Jean Pradel définit le droit pénal comme "le droit de l'infraction et de la réaction sociale qu'elle engendre" (16), faisant ainsi référence à une autre définition selon laquelle le droit répressif est "l'ensemble des règles juridiques qui organisent la réaction de l'Etat vis-à-vis des infractions et des délinquants" (17). En d'autres termes, le droit pénal "pose les interdits fondamentaux qui sont la condition même de toute vie sociale" (18). L'expression d'interdits fondamentaux renvoie à celle de valeur essentielle, préférée par Monsieur le Professeur Emmanuel Dreyer qui présente la branche du droit comme celle à l'occasion de laquelle "une sanction spécifique -la peine- est prononcée, au nom de la société, suite au trouble à l'ordre public causé par la transgression, dans certaines circonstances, d'une norme tenue pour essentielle" (19).
En d'autres termes, puisque le droit pénal ne réprime plus l'adultère, alors ce dernier n'est plus contraire aux bonnes moeurs et, par voie de conséquence, ne porte pas atteinte à l'honneur et à la considération la publication en faisant état. L'appréciation objective d'un élément subjectif semble donc être faite, en tout état de cause, au moyen du droit pénal, lui-même évolutif... L'appréciation n'est donc qu'objectivement vraisemblable.
(1) Ass. plén., 12 juillet 2000, n° 98-11.155 (N° Lexbase : A2599ATG) et n° 98-10.160 (N° Lexbase : A2598ATE), Bull. Ass. n° 6 et 8.
(2) CEDH, 25 juin 2002, Req. n° 51279/99, § 65 (N° Lexbase : A9846AYC).
(3) G. Cornu, Vocabulaire juridique, Association H. Capitant, J. Moneger et M-L. Demeester, coll. Quadrige, PUF, 10ème éd., 2014, voir "honneur".
(4) B. Beigner, voir "honneur", in Dictionnaire de la culture juridique, D. Alland et S. Rials, PUF, 2003, p. 790 ; B. Beigner, L'honneur et le droit, LGDJ, 1995.
(5) G. Barbier, Code expliqué de la presse, 2ème éd. 1911, p. 411.
(6) G. Cornu, Vocabulaire juridique, op. cit., V° "Bonnes moeurs".
(7) De plus, leur connotation morale empêche toute définition positive, sous peine de porter atteinte aux libertés individuelles. Traditionnellement, les bonnes moeurs avaient pour objectif la "régulation sociale de la sexualité". V. : B. Lavaud-Legendre, Où sont passées les bonnes moeurs ?, PUF, Paris, 2005, p. 14. Le Doyen Carbonnier définit la notion comme les "coutumes des honnêtes gens, spécialement en matière sexuelle pour un lieu et un temps donné" J. Carbonnier, Droit civil, Les obligations, PUF, Themis, Paris, 1982, n° 33, p. 132. D'ailleurs, le droit pénal ancien définissait la normalité sexuelle, à laquelle la société devait se conformer. La loi n° 82-689 du 4 août 1982 relative aux libertés des travailleurs dans l'entreprise (N° Lexbase : L9033IGN) a marqué l'abandon de ce critère conduisant à la disparition de la notion de "bonnes moeurs" dans le Code pénal. Voir D. Mayer, De quelques aspects de la dépénalisation actuelle en France : en matière de moeurs, RSC, 1989, p. 442 ; voir du même auteur, Le Droit pénal, promoteur de la liberté des moeurs, in CURAPP, Les bonnes moeurs, PUF, 1994, p. 56. En droit civil, par exemple, la notion reste très présente (C. civ., art. 6). Toutefois, sa teneur morale tend à perdre de l'importance au profit d'autres conceptions, notamment la loyauté ou la bonne foi en droit des contrats ou dans les régimes matrimoniaux (Cass. civ. 1, 3 février 1999, n° 96-11.946 (N° Lexbase : A5065AWI) ; Cass. civ. 1, 4 novembre 2011, n° 10-20.114, FS-P+B+I N° Lexbase : A5172HZL). Le changement de lexique traduit un courant nouveau selon lequel la "visibilité sociale" importe désormais.
(8) CA Paris, 20 février 1986, D., 1986, p. 236.
(9) Cass. crim., 10 mars 1955, JCP éd. G, 1955, II, p. 8845, note A. Chavanne.
(10) voir par ex. : Cass. civ. 2, 23 septembre 2004, n° 03-13.889, F-P+B (N° Lexbase : A1214EK8), Bull. civ. II, n°423.
(11) C. pén., art. 222-32 (N° Lexbase : L5358IGK), art. 225-10-1 (N° Lexbase : L9005DCI) et R. 625-8 (N° Lexbase : L1783HWX), art. 225-10 (N° Lexbase : L2232AMM).
(12) Certains auteurs considèrent que les incriminations visant à protéger les bonnes moeurs vont au-delà des questions sexuelles, et, s'agissant des professionnels, s'appliquent également aux interdictions de certaines activités économiques, notamment les jeux de hasard et la réglementation en matière d'armes. Voir, A. Armaos, Professions et activités réglementées, Rép. Pén. Dalloz, n° 38.
(13) C. pén., art. 225-1 (N° Lexbase : L5205IZS).
(14) C. pén., art. 222-33 (N° Lexbase : L8806ITC).
(15) Il s'agit de toutes les infractions sexuelles (viol, agression et atteinte) ainsi que celles prévues aux articles 227-22 (N° Lexbase : L6583IX4) et suivants du Code pénal : corruption de mineur, proposition sexuelle au moyen de communication électronique, pornographie, pédopornographie, la diffusion d'un message violent ou pornographique ou, encore, la diffusion de message contraire à la décence (C. pén., art. R. 624-2 N° Lexbase : L5975IMA) : pour une distinction entre bonnes moeurs et décence, voir. Ph. Conte, Les outrages aux bonnes moeurs (de l'ancien au nouveau code pénal), in Liberté de la presse et droit pénal, XIIes journées de l'Association française de droit pénal en hommage au Doyen Fernand Boulan, Aix-en-Provence 17-18 mars 1994, Presses universitaires d'Aix-Marseille 1994, n° 15, p. 200. Pour de plus amples développements voir, V. Malabat, Infractions sexuelles, Rép. pén., Dalloz ; M.-L. Rassat, Mise en péril des mineurs, C. pén. art. 227-23 (N° Lexbase : L6584IX7) et 227-24 (N° Lexbase : L8439I4C), J.-Cl. Pénal, fasc 20.
(16) J. Pradel, Droit pénal général, Cujas, 20ème éd., 2014, n° 1, p. 1.
(17) R. Merle, et A. Vitu, Traité de droit criminel, Tome 1, Cujas, 7ème éd., 1997, n° 142, p. 211-212.
(18) F. Desportes et F. Le Gunehec, Droit pénal général, Economica, 4ème éd., 2015., n° 1, p. 1.
(19) E. Dreyer, Droit pénal général, Manuel, LexisNexis, 3ème éd., 2014, n° 2, p. 1.
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Réf. : CE 1° et 6° s-s-r., 2 décembre 2015, n° 382641, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A6186NYR)
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par Christophe De Bernardinis, Maître de conférences à l'Université de Lorraine et Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Procédure administrative"
Le 28 Janvier 2016
Les effets de la clôture de l'instruction sont aussi particulièrement draconiens puisque, selon l'article R. 613-3 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3134ALN), "les mémoires produits après la clôture de l'instruction ne donnent pas lieu à communication et ne sont pas examinés par la juridiction" (2). Pour les parties, la clôture de l'instruction constitue une date butoir au-delà de laquelle le "droit de savoir" n'existe plus et l'article R. 613-3 a, pendant longtemps, été interprété de façon restrictive par la Haute juridiction (3). Mais il y a des cas limites où l'application rigoureuse des principes conduit à des solutions manifestement injustes au titre de l'équilibre précédemment mentionné. Pour bien juger, il est parfois nécessaire d'accorder à l'une des parties, après la clôture de l'instruction, la possibilité d'une dernière prise de parole comme, par exemple, à travers la pratique des notes en délibéré.
Cette pratique consiste, pour les parties, à déposer des observations postérieurement à la clôture de l'instruction et au prononcé des conclusions du rapporteur public, afin que le juge en prenne connaissance avant la séance au cours de laquelle sera rendue la décision concernée. En ce qu'elle déroge à la fois aux règles inhérentes à la clôture de l'instruction et à la nature des conclusions, cette procédure a longtemps été considérée comme une simple "tolérance" (4), une courtoisie consentie par le Conseil d'Etat au profit des avocats aux conseils afin de leur permettre, pour l'essentiel, de réagir, le cas échéant, à une éventuelle erreur de fait relevée dans les conclusions du rapporteur public. Les tribunaux administratifs et cours administratives d'appel ont repris cet usage, qui s'est donc généralisé au sein de la justice administrative. Elle bénéficie désormais d'une place essentielle au regard du respect du principe du contradictoire. Le "séisme jurisprudentiel" provoqué par l'arrêt "Kress" en date du 7 juin 2001 (5) a, en grande partie, contribué à l'émergence de leur nouveau statut. La note en délibéré dispose donc aujourd'hui d'un statut façonné par la jurisprudence qui, malgré les contradictions textuelles, parvient parfaitement à s'adapter aux exigences européennes ainsi qu'aux traditions nationales.
L'arrêt d'espèce s'inscrit dans cette logique jurisprudentielle d'adaptation et de façonnement de ce nouveau statut. Le requérant a obtenu un permis de construire et un permis de construire modificatif par arrêtés du maire. Ces arrêtés ont été annulés par le tribunal administratif de Toulon et l'annulation a été confirmée par la cour administrative d'appel de Marseille (6). Le requérant soutient qu'en rejetant son appel, la cour a omis de viser dans la décision une note en délibéré enregistrée le 25 mars 2014. Il y a donc méconnaissance de l'obligation prescrite par l'article R. 741-2 du Code de justice administrative de mentionner la production de la note en délibéré dans la décision sous peine d'irrégularité de la décision. Mais il ressort des pièces de la procédure que cette note n'a pas été produite par le requérant et l'auteur du pourvoi. Pour le Conseil d'Etat, en conséquence et eu égard à l'objet de l'obligation prescrite par l'article R. 741-2, qui est de permettre à l'auteur de la note en délibéré de s'assurer que la formation de jugement en a pris connaissance, la circonstance qu'une note en délibéré n'a pas été mentionnée dans la décision attaquée, en méconnaissance de cette obligation, ne peut être utilement invoquée pour contester cette décision que par la partie qui a produit cette note.
Il y a une dizaine d'années, la section du contentieux, s'écartant résolument de la lettre de l'article R. 613-3 du Code de justice administrative, a fixé un véritable mode opératoire très précis à l'intention des juges concernant le traitement des notes en délibéré (7), mode opératoire qui fait prévaloir, avant tout, les exigences supérieures du droit au recours et du procès équitable. On a pu dénoncer, néanmoins "la complexité du considérant de principe qui a fixé les nouvelles règles du jeu" (8), d'où le changement jurisprudentiel récent (9) amenant à faire évoluer cette jurisprudence et à "revisiter et reformuler les termes de cet équilibre entre les nécessités de l'instruction et le devoir de bien juger" (10).
Au-delà de ces changements et parmi ce mode opératoire ainsi défini figure toujours le fait que le juge est tenu de prendre connaissance de la note en délibéré et d'ajouter à la décision un visa sans analyse qui témoigne du respect de cette obligation. C'est la preuve que le juge a pleinement et correctement exercé sa mission et la confirmation, dans l'arrêt d'espèce, de la prévalence de l'obligation de bien juger sur les règles de l'instruction (I). Mais l'obligation de bien juger doit s'articuler avec l'idée de ne pas prolonger indéfiniment l'instruction et de préserver l'effet utile du jugement d'où un usage traditionnel, au final, assez pragmatique du juge de la note en délibéré confirmé par la décision d'espèce dans la mesure où l'obligation de communiquer n'est de nature à entacher la procédure d'irrégularité que si cette méconnaissance a pu préjudicier réellement aux droits de la partie qui s'en prévaut (II).
I - La confirmation de la prévalence de l'obligation de bien juger sur les règles de l'instruction
L'arrêt d'espèce s'ajoute à la longue jurisprudence mise en place depuis l'arrêt "Leniau" (11) concernant le statut de la note en délibéré. C'est une application supplémentaire de l'article R. 741-2 du Code de justice administrative et de cette obligation de mentionner, dans la décision, la note en délibéré intervenue après la clôture de l'instruction. Il y a obligation pour le juge de prendre au minimum connaissance de la note en délibéré (A) dans le but de prouver au requérant que le juge a pleinement et correctement exercé sa mission et ainsi respecté son obligation d'apporter au litige sa juste solution (B).
A - L'obligation de prendre connaissance de la note en délibéré
La pratique applicable aux pièces produites après la clôture de l'instruction a été progressivement fixée par la jurisprudence. C'est la décision "Leniau" précitée qui a plus spécifiquement fixé le statut de la note en délibéré, en précisant notamment que lorsqu'il est saisi, postérieurement à la clôture de l'instruction et au prononcé des conclusions du commissaire du Gouvernement, d'une note en délibéré émanant d'une des parties à l'instance, il appartient dans tous les cas au juge administratif d'en prendre connaissance avant la séance au cours de laquelle sera rendue la décision. Le sens de cette décision avait été fortement influencé par une jurisprudence "Fremiot" de 2000 selon laquelle lorsqu'un mémoire produit après la clôture de l'instruction avait été cependant visé, il devait être regardé comme ayant été examiné par la juridiction, qui, en l'absence de réouverture de l'instruction, n'avait pas mis les autres parties à l'instance en mesure de produire à nouveau si elles l'estimaient utile, ce qui est un motif d'irrégularité de la décision juridictionnelle (12). La combinaison de ces décisions posait une difficulté. La jurisprudence "Leniau", rendue en matière de note en délibéré, mais évidemment applicable à toute forme de production écrite postérieure à la clôture de l'instruction, imposait au juge de prendre connaissance, dans tous les cas, des nouvelles écritures. Mais la jurisprudence hésitait à obliger le juge à viser ces productions tardives, car la jurisprudence "Fremiot" semblait lui imposer, en pareil cas, la réouverture de l'instruction, indépendamment des cas de figure envisagés par la jurisprudence "Leniau".
La section du contentieux a mis bon ordre à tout cela par la décision "Préfet des Pyrénées-Orientales c/ Abounkhila" (13) en jugeant que, lorsque postérieurement à la clôture de l'instruction, le juge est saisi d'un mémoire émanant d'une partie, il lui appartient de faire application des règles générales relatives à toutes les productions postérieures à la clôture de l'instruction. Le juge ajoutant que, conformément au principe selon lequel, devant les juridictions administratives, le juge dirige l'instruction, il lui appartient, dans tous les cas, de prendre connaissance de ce mémoire avant de rendre sa décision, ainsi que de le viser sans l'analyser. Ce n'est que lorsqu'il en tient compte qu'il doit le viser et l'analyser, et l'avoir communiqué aux autres parties. La règle devient ainsi simple et claire et évite aux juridictions de se poser désormais trop de questions sur le point de savoir s'il y a lieu ou non de viser une production tardive. La réponse est toujours affirmative.
En effet, il lui appartient, dans tous les cas, de prendre connaissance de cette production avant de rendre sa décision et de la viser. Le visa est exigé simplement pour attester que le juge a bien pris connaissance du document. Cette contrainte, à visée probatoire, est posée par les textes pour les notes en délibéré (CJA, art. R. 741-2). Ensuite, le juge doit la viser sous peine d'irrégularité de la procédure (14). Ainsi, la circonstance que la décision dont la révision est demandée ne comporte pas le visa d'une note en délibéré régulièrement enregistrée rend les auteurs de cette note recevables et fondés à demander que le Conseil d'État révise la décision concernée (15). Il en va de même pour un jugement ou un arrêt qui vise une note en délibéré enregistrée à une date postérieure à celle de la lecture de cette décision. Un tel jugement est entaché, au regard des dispositions de l'article R. 741-2, d'une irrégularité qui en justifie l'annulation (16).
B - La preuve que le juge a correctement et pleinement exercé sa mission
A l'instar des motifs et du dispositif, les visas sont des éléments constitutifs de l'identité juridictionnelle des décisions prises par le juge administratif. Si les demandes visant spécifiquement les visas sont irrecevables, le moyen tiré d'une erreur ou lacune affectant cette partie des décisions peut conduire le juge d'appel ou le juge de cassation à annuler, pour irrégularité, la mesure prise par le juge subordonné. En outre, nous l'avons vu, un tel moyen peut être utilement invoqué à l'appui d'un recours en révision formé devant le Conseil d'Etat contre une décision rendue par lui. Certes, l'intérêt suscité par les visas semble souvent lié à la satisfaction des seuls besoins d'une stratégie contentieuse et ces tactiques contentieuses pourraient être dénoncées mais l'exigence tenant à ce qu'il soit fait la preuve, par la présentation matérielle du jugement, de ce que le juge a pleinement et correctement exercé sa mission ne saurait être remise en cause. Dans une décision ancienne, le Conseil d'Etat a considéré que le moyen tiré de l'absence d'analyse des moyens des parties a le caractère d'un moyen d'ordre public (17). La jurisprudence a, certes, précisé par la suite, que le moyen tiré de l'omission à statuer sur un moyen n'a pas un tel caractère (18) et le Conseil d'Etat a d'ailleurs écarté, dans des décisions récentes, le moyen tiré de l'irrégularité des visas lorsqu'il n'était pas assorti des précisions permettant d'en apprécier le bien fondé (19).
Mais cette obligation faite au juge d'apporter la preuve matérielle de ce qu'il a bien exercé son office s'inscrit parfaitement dans la logique nouvelle relevant de la mise en place de nouveaux principes directeurs du procès administratif comme celui de "bonne administration de la justice" (20) ou de "loyauté dans le procès administratif". Nulle trace de ce dernier terme dans le Code de justice administrative ou dans la jurisprudence du Conseil d'Etat, où la mention d'un "principe de loyauté" semble exclusivement réservée à la qualification des relations contractuelles, mais beaucoup de décisions récentes du juge ont été amenées, sinon à formaliser ce principe, du moins à adopter des solutions qui sont inspirées et colorées par lui à tel point de parler de nouveau principe directeur du procès (21).
On parle aujourd'hui d'un certain "enrichissement des visas" (22) dans la mesure où l'on exige aujourd'hui du juge qu'il démontre aux parties que toutes leurs productions et prétentions ont été effectivement examinées. C'est pour cette raison que le Conseil d'Etat a posé la règle du visa des productions des parties enregistrées postérieurement à la clôture de l'instruction. Toutefois, la règle n'est pas d'application générale. Aucune disposition ne prescrit au juge des référés de viser les productions qui interviennent après la clôture de l'instruction. Celles-ci doivent seulement figurer dans le dossier de la procédure (23). Hormis cette exception, le non-respect de la règle du visa entache la procédure d'irrégularité (24). La simple mention de la production tardive suffit toutefois, quelles que soient les précisions apportées en plus par le juge (25).
II - La confirmation d'un usage traditionnel assez pragmatique de la note en délibéré
La décision d'espèce met en avant le fait que la nécessité de bien juger ne doit pas occulter la nécessité de juger elle-même. La note en délibéré ne doit pas, en ce sens, constituer un moyen dilatoire de prolonger une instance (A). C'est de la sorte qu'est d'ailleurs appliquée la contradiction dans le procès administratif. La méconnaissance de l'obligation de communiquer n'est de nature à entacher la procédure d'irrégularité que si cette méconnaissance a pu préjudicier aux droits de la partie qui s'en prévaut (B). En l'espèce, la circonstance que la note en délibéré n'ait pas été mentionnée dans la décision n'a pu préjudicier aux droits du requérant dans la mesure où ce n'est pas ce dernier qui a produit la note.
A - La note en délibéré ne doit pas constituer un moyen dilatoire de prolonger une instance
La note en délibéré ne saurait, du fait de ces conditions posées de façon logiquement restrictives, constituer un moyen dilatoire de prolonger une instance. Il y a d'abord eu, comme on a pu le mentionner, une vérification assez pragmatique de l'obligation pour le juge de prendre connaissance dans tous les cas du contenu des notes en délibéré. Le juge a pu aussi juger, peu de temps après, qu'une note en délibéré produite après la séance publique, mais avant la lecture de la décision, enregistrée au greffe de la juridiction et versée au dossier doit être présumée avoir été examinée, même si cette note n'est pas visée dans la décision juridictionnelle (26).
Si cela a été corrigé par la suite, l'obligation pour le juge de rouvrir l'instruction pour tenir compte des éléments produits devant lui après la clôture de l'instruction est aussi limitée aux hypothèses assez rares d'une circonstance de fait déterminante qui ne pouvait être produite plus tôt ou d'une circonstance de droit nouvelle ou d'ordre public. S'il a toujours la faculté, dans l'intérêt d'une bonne justice, de rouvrir l'instruction et de soumettre au débat contradictoire les éléments contenus dans la note en délibéré, le juge administratif n'est tenu de le faire à peine d'irrégularité de sa décision que si cette note contient l'exposé, soit d'une circonstance de fait dont la partie qui l'invoque n'était pas en mesure de faire état avant la clôture de l'instruction et que le juge ne pourrait ignorer sans fonder sa décision sur des faits matériellement inexacts, soit d'une circonstance de droit nouvelle ou que le juge devrait relever d'office (27). La possibilité de produire des observations après l'audience n'a donc pas pour effet de prolonger l'instruction au-delà de sa clôture, ce qui aurait pour conséquence de prolonger excessivement les délais de jugement. Autrement dit, la note en délibéré n'est pas une session de rattrapage pour les parties qui n'ont pas produit avant la clôture de l'instruction, alors qu'elles étaient en mesure de le faire, des pièces ou arguments utiles à la solution du litige (28).
En dehors des cas de réouverture obligatoire, et notamment lorsqu'est invoquée pour la première fois après clôture une circonstance dont il aurait pu être fait état antérieurement, la jurisprudence ménage pour le juge toute liberté pour rouvrir l'instruction dans l'intérêt d'une bonne justice. Dès lors que l'administration dispose de la faculté de communiquer la pièce avant la clôture de l'instruction, et en tout état de cause, bien avant la tenue de l'audience, l'arrêt "Leniau" autorise la juridiction à s'abstenir de prendre en compte la pièce, même déterminante sur l'issue du litige (29). Cette liberté peut avoir des conséquences difficilement compréhensibles, en particulier lorsque le choix de rouvrir ou de ne pas rouvrir l'instruction, sur lequel le juge d'appel ou de cassation ne peut exercer un quelconque contrôle, détermine directement le sens même du dispositif (30).
Ainsi, l'obligation faite au juge de prendre en compte les productions tardives reste l'exception, conformément à l'article R. 613-3 du Code de justice administrative et malgré les assouplissements jurisprudentiels récents de la décision "Lassus" (31). La section du contentieux a choisi, conformément aux conclusions de son rapporteur public, de faire évoluer sa jurisprudence sans la remettre en cause, ni la bouleverser. La principale innovation a consisté à mettre sur le même plan les circonstances de fait et les circonstances de droit. Jusqu'à présent, les secondes devaient être prises en considération à la seule condition d'être nouvelles, alors que les exigences étaient beaucoup fortes pour les premières. Or, la distinction entre considérations de droit et de fait est souvent subtile, tant le droit et le fait peuvent être enchevêtrés. De plus, la solution antérieure ne se justifiait que lorsque les circonstances de droit étaient déterminantes pour la solution du litige. L'alignement des deux types de circonstances nouvelles apporte donc une simplification bienvenue. Il apparaît cependant que la nouvelle formulation élargit les cas de réouverture obligatoire. Jusqu'à présent, seuls étaient visés les cas dans lesquels le juge ne pouvait ignorer la circonstance de fait nouvelle sans fonder sa décision sur des faits matériellement inexacts. On passe désormais à toute circonstance de fait ou élément de droit qui est susceptible d'exercer une influence sur le jugement de l'affaire. Le terme "susceptible" renvoie à une appréciation large, ce qui est tout à fait réaliste car cette appréciation sur la portée d'un mémoire nouveau n'est pas faite par la formation de jugement après une étude approfondie du dossier, mais par son président au stade de l'instruction.
B - La méconnaissance de l'obligation de mention dans la décision doit préjudicier aux droits du requérant
L'application assez pragmatique du statut de la note en délibéré employé dans la décision d'espèce s'inscrit aussi dans une logique plus générale et traditionnelle qu'on retrouve dans la portée que l'on attribue généralement au principe du contradictoire. Le respect du contradictoire tout au long de l'instruction est sans doute essentiel, mais uniquement si et dans la mesure où sa méconnaissance ou sa violation peut avoir une incidence sur l'issue du litige au détriment de celui qui a été privé de la possibilité d'une réponse. Pour le dire autrement, la méconnaissance de l'obligation de communiquer n'est de nature à entacher la procédure d'irrégularité que si cette méconnaissance a pu préjudicier aux droits de la partie qui s'en prévaut (32). C'est le cas en l'espèce dans la décision commentée où l'auteur du pourvoi ne peut utilement invoquer la méconnaissance de la mention de la note dans la décision dans la mesure où ce n'est pas lui qui a produit la note.
Dans le cas contraire, si irrégularité il y a, elle est relative en ce sens qu'elle pourra rester sans incidence sur la régularité de la décision de justice prise à la suite de l'instruction concernée (33). Ainsi, par exemple, si des observations présentées par une partie n'ont été communiquées à l'autre que tardivement, une telle circonstance est sans incidence sur la régularité de la procédure dès lors que le juge ne s'est pas fondé sur des arguments de fait ou de droit auquel cette dernière n'aurait pas été en mesure de répondre (34). De même, la communication tardive d'un mémoire en défense ne vicie pas la régularité de la procédure lorsque ce mémoire tend aux mêmes fins que celui produit par l'autre codéfendeur et développe des moyens ou présente une argumentation qui n'appelle pas de discussion de la part de ce dernier (35).
Un requérant ne saurait utilement soutenir que le respect du caractère contradictoire de la procédure a été méconnu parce que n'ont pas été communiqués au défendeur sa requête (36) ou son mémoire contenant des éléments nouveaux (37). Si la méconnaissance de l'obligation de communiquer le premier mémoire d'un défendeur est en principe de nature à entacher la procédure d'irrégularité, il en va autrement dans le cas où ce mémoire ne contient aucun moyen (38) ou quand le mémoire en défense produit devant le Conseil d'Etat statuant comme juge de cassation n'apporte aucun élément nouveau par rapport à ceux qui figuraient déjà dans les écritures de première instance et d'appel (39).
Plus généralement, qu'il s'agisse du requérant ou du défendeur, il ne pourra utilement se prévaloir de la méconnaissance du caractère contradictoire de la procédure au détriment de son adversaire -par exemple, au motif que le tribunal n'a pas laissé à ce dernier un délai suffisant pour lui permettre de répliquer à ses écritures (40) ou ne lui a pas communiqué les documents qu'il avait produits (41)-. Enfin, on peut noter aussi plus récemment que la circonstance qu'il ait été fait application des dispositions de l'article R. 611-8 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3103ALI) relatives à la dispense d'instruction d'une requête lorsque la solution de l'affaire apparaît d'ores et déjà certaine, n'affecte pas le respect du caractère contradictoire de la procédure à l'égard du requérant et ne saurait, dès lors, être utilement invoquée par lui (42).
Le principe du contradictoire ne joue pas uniquement au profit des parties. Il constitue une garantie pour le juge lui-même qui doit "analyser" les éléments contenus dans la production tardive lorsqu'il en tient compte. Cet examen n'est pas désincarné et le juge doit intégrer dans sa réflexion les observations formulées par les parties consécutivement à la communication de celle-là. Le contradictoire participe alors à la réalisation du "bien juger" dans le procès administratif et l'effacement des effets de la clôture de l'instruction ne peut se réaliser qu'en ce sens. La décision d'espèce en est une parfaite illustration.
(1) Cf. en ce sens J. Lessi et L. Dutheillet de Lamothe, Il faut savoir terminer une instruction, AJDA, 2015, p. 211.
(2) Cet article s'applique aux seuls tribunaux administratifs et cours administratives d'appel mais le Conseil d'Etat connaît également une clôture de l'instruction, "soit après que les avocats au Conseil d'Etat ont formulé leurs observations orales, soit, en l'absence d'avocat, après appel de l'affaire à l'audience" (CJA, art. R. 613-5 N° Lexbase : L3136ALQ).
(3) Les productions tardives n'avaient pas à être examinées (CE, 29 décembre 1999, n° 197502 N° Lexbase : A4169AXP), prises en compte (CE, 22 octobre 1980, n° 16609 N° Lexbase : A9181AIU) ou soumises au débat contradictoire par le juge (CE, 19 mars 1993, n° 108746 N° Lexbase : A8956AMN).
(4) R. Chapus, Droit du contentieux administratif, Montchrestien, coll. Domat, 10ème éd., 2002, n° 1037-1°.
(5) CEDH, 7 juin 2001, Req. 39594/98 (N° Lexbase : A2964AUC), Rec. CEDH, 2001-VI, JCP éd. G, 2001, II, n° 10578, note F. Sudre, RFDA, 2001 p. 991, note R. Drago, D., 2001, p. 2619, note F. Sudre, AJDA, 2002, p. 9, note D. Chabanol, LPA, 2001, p. 13, note J.-F. Flauss, AJDA, 2001, p. 675, note F. Rolin.
(6) CAA Marseille, 9ème ch., 15 mai 2014, req. n° 12MA02187 (N° Lexbase : A1773MMM).
(7) CE, 12 juillet 2002, n° 236125 (N° Lexbase : A1581AZL), Rec. CE, p. 278, RFDA, 2003, concl. Piveteau, AJDA, 2003, p. 2243, chron. E. Gherardi.
(8) Selon les propos du rapporteur public Edouard Crépey sous CE, Sect., 5 décembre 2014, n° 340943 (N° Lexbase : A9030M49), RDF, 2015, n° 6, 5 février, comm. n° 137.
(9) CE, Sect., 5 décembre 2014, n° 340943, préc., Rec. CE, p. 369, concl. E. Crépey, JCP éd. A 2015, n° 2103, note D. Connil, DA, 2015, comm. 25, note A. Clayes, AJ, 2015, p. 21, chron. J. Lessi et L. Dutheillet de Lamothe.
(10) J. Lessi et L. Dutheillet de Lamothe, Il faut savoir terminer une instruction, préc..
(11) CE, 12 juillet 2002, n° 236125, préc..
(12) CE, 10 janvier 2000, n° 197886 (N° Lexbase : A6944B7C).
(13) CE, 27 février 2004, n° 252988 (N° Lexbase : A3647DBP), Rec CE, p. 93, JCP éd. G, 2004, n° 1898, AJDA, 2004, p. 651, chron. F. Donnat et D. Casas, LPA, 2004, note F. Melleray.
(14) CE, 27 juillet 2005, n° 258164 (N° Lexbase : A1312DKS).
(15) CE, 7 avril 2011, n° 343595 (N° Lexbase : A8949HME), Rec. CE, Tables, p. 1111.
(16) CE, 4 octobre 2010, n° 310801 (N° Lexbase : A3500GBA), Rec. CE, Tables, p. 912.
(17) CE, 31 décembre 1919, Moine c/ Commune de Decize, Rec. CE, p. 973.
(18) CE, 1er juillet 1959, Ministre des affaires économiques c/ Sieur Baudoin, n° 37680, Rec. CE, p. 417.
(19) Par ex. : CE, 30 janvier 2008, n° 272642 (N° Lexbase : A5921D43).
(20) Cf. H. Pauliat, Bonne administration de la justice, bonne justice ?, JCP éd. A, 2014, act.n° 86.
(21) Cf. X. Domino et A. Bretonneau, De la loyauté dans le procès administratif, AJDA, 2013, p. 1276.
(22) C. Cantié, Les visas apposés sur les décisions des juridictions administratives. Point de vue sur une justice créative, JCP éd. A, 2013, n° 2098.
(23) CE, 30 décembre 2009, n° 327334 (N° Lexbase : A0468EQE), Rec. CE, 2009, Tables, p. 891.
(24) Par ex. : CE, 27 février 2015, n° 376381 (N° Lexbase : A5176NCP), ou CE, 11 août 2009, n° 303711 (N° Lexbase : A2154EKY).
(25) Cf. CE, 6 juin 2012, n° 342328 (N° Lexbase : A4023INC), Rec. CE, p. 241, où la circonstance qu'une cour, après avoir visé un document tardif, ait jugé bon d'indiquer que cette pièce nouvelle "n'avait pas été examinée" par elle, est sans incidence sur la régularité de son arrêt.
(26) CE, 29 novembre 2002, n° 225356, préc..
(27) CE, 12 juillet 2002, n° 236125, préc..
(28) Voir, pour un exemple d'application de cette jurisprudence : CE Sect, 27 février 2004, n° 252988, préc..
(29) CE, 19 décembre 2008, n° 297716 (N° Lexbase : A8832EBQ), Rec. CE, Tables p. 841, JCP éd. A 2009, 2030, note G. Pellissier, BJDU, 2008, juin, p. 435, concl. J. Boucher, BJDU, 2009, avril, p. 294, note J.-C. Bonichot, AJDA, 2009, p. 1157, note P. Türk.
(30) Ibid. Voir notamment, à propos de la production tardive des éléments propres à justifier, en matière d'urbanisme, de l'accomplissement par le requérant des formalités de notification du recours à l'auteur de l'autorisation et à son bénéficiaire.
(31) CE Sect., 5 décembre 2014, Lassus, n° 340943, préc..
(32) CE, 7 juillet 2004, n° 256398 (N° Lexbase : A1362DDS), Rec. CE, Tables, p. 831.
(33) CE, 22 mai 1996, n° 135746 (N° Lexbase : A8943ANK), Rec. CE, Tables, p. 1094, où une requête qui n'a pas été communiquée à l'une des parties n'affecte le respect du caractère contradictoire de la procédure qu'à l'égard de cette dernière.
(34) CE, 20 mars 1981, n° 18153 (N° Lexbase : A4712AKQ).
(35) CE, 11 juillet 2012, n° 347001 (N° Lexbase : A8406IQE).
(36) CE, 15 mars 2000, n° 185837 (N° Lexbase : A0659AUX).
(37) CAA Bordeaux, 2ème ch., 31 juillet 2003, n° 02BX01067 (N° Lexbase : A9217C9A).
(38) CE, 14 mars 2001, n° 204073 (N° Lexbase : A2184AT3), Rec. CE, Tables, p. 1137.
(39) CE, 24 octobre 2005, n° 259807 (N° Lexbase : A1402DLI), Rec. CE, Tables, p. 1042.
(40) CAA Bordeaux, 3ème ch., 21 février 2006, n° 02BX02383 (N° Lexbase : A6590DNE).
(41) CAA Lyon, 30 octobre 2012, n°s12LY01577 et 12LY01581 (N° Lexbase : A6664IYH).
(42) CE, 5 juin 2015, n° 378130 (N° Lexbase : A2004NKG).
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Réf. : Cass. civ. 2, 21 janvier 2016, n° 14-29.207, F-P+B (N° Lexbase : A5621N4X)
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Le 28 Janvier 2016
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Réf. : Cass. com., 19 janvier 2016, n° 14-18.434, FS-P+B (N° Lexbase : A5617N4S)
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Le 02 Février 2016
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Réf. : Cass. soc., 14 janvier 2016, n° 14-26.220, FS-P+B (N° Lexbase : A9536N3L)
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par Gilles Auzero, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux
Le 28 Janvier 2016
Résumé
Il n'entre pas dans les pouvoirs du juge judiciaire de prononcer, en lieu et place de l'autorité administrative, l'homologation d'une convention de rupture conclue en application des articles L. 1237-11 (N° Lexbase : L8512IAI) et suivants du Code du travail. Il résulte de l'application combinée des articles L. 1237-13 (N° Lexbase : L8385IAS) et L. 1237-14 (N° Lexbase : L8504IA9) du Code du travail qu'une partie à une convention de rupture ne peut valablement demander l'homologation de cette convention à l'autorité administrative avant l'expiration du délai de rétractation de quinze jours prévu par le premier de ces textes. |
Observations
I - Les étapes de la rupture conventionnelle
Un processus encadré. Consacrant la rupture amiable du contrat de travail, la loi n° 2008-596 du 25 juin 2008, portant modernisation du marché du travail (N° Lexbase : L4999H7B), l'a soumise à un certain nombre d'exigences procédurales destinées, ainsi que le rappelle l'article L. 1237-11 du Code du travail, "à garantir la liberté du consentement des parties". Nonobstant la généralité de la formule, on devine sans peine que c'est surtout le consentement du salarié qui est visé, étant simplement rappelé que le lien de subordination peut faire douter de la liberté de son consentement.
S'inspirant des techniques éprouvées du droit de la consommation, le législateur a, en conséquence, souhaité mettre en place un "processus contractuel successif", en contraignant le salarié "à l'hésitation" (1). C'est ainsi que la convention de rupture ne peut être conclue sans avoir été précédée d'un ou de plusieurs entretiens entre le salarié et l'employeur (C. trav., art. L. 1237-2 N° Lexbase : L1390H9D). Une fois signée, la convention de rupture ne lie pas pour autant les parties, qui disposent d'un droit de rétractation qui peut être exercé dans un délai de quinze jours calendaires à compter de la signature par les deux parties (C. trav., art. L. 1237-13). Une fois ce délai de rétractation achevée, la partie la plus diligente adresse une demande d'homologation à l'autorité administrative (C. trav., art. L. 1237-14).
A l'évidence, ces exigences n'avaient pas été respectées dans l'affaire ayant conduit à l'arrêt sous examen.
L'affaire. En l'espèce, un salarié engagé par l'Association aide à domicile aux personnes âgées et aux malades, en qualité de coordinateur des responsables de secteur, avait conclu avec son employeur une convention de rupture, le 8 mars 2010. Une demande d'homologation de cette convention avait été adressée à l'autorité administrative le 23 mars 2010. Celle-ci ayant, le 25 mars suivant, informé les parties de ce qu'elle refusait d'homologuer cette convention, le salarié avait finalement été licencié le 23 avril 2010.
L'employeur faisait grief à l'arrêt attaqué de l'avoir débouté de sa demande tendant à l'annulation de la convention de rupture (2). A l'appui de son pourvoi, il soutenait que l'erreur commise dans la convention de rupture sur la date d'expiration du délai de rétractation de quinze jours ne peut entraîner la nullité de cette convention que si elle a eu pour effet de vicier le consentement de l'une des parties ou de la priver de la possibilité d'exercer son droit à rétractation. Par suite, l'envoi de la demande d'homologation à l'administration, avant l'expiration du délai de quinze jours, ne peut justifier un refus d'homologation que s'il a pour effet de vicier le consentement d'une partie ou de la possibilité d'exercer son droit de rétractation.
En l'espèce, la convention de rupture, conclue le 8 mars 2010, prévoyait que les parties peuvent exercer un droit de rétractation dans un délai de quinze jours. Or, ni l'Association, ni le salarié n'ont exercé leur droit de rétractation dans ce délai. En décidant que la remise à l'administration de la demande d'homologation avant l'expiration de ce délai de quinze jours et, plus précisément, le dernier jour de ce délai, justifiait le refus d'homologation de l'administration, sans faire ressortir en quoi le dépôt de la demande le jour de l'expiration du délai de rétractation avait eu pour effet de vicier le consentement de l'une des parties ou l'avait empêchée d'exercer son droit de rétractation, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1237-13 et L. 1237-14 du Code du travail.
Le strict respect des étapes de la procédure. Les arguments développés par l'employeur sont écartés par la Cour de cassation, qui affirme qu'il "résulte de l'application combinée des articles L. 1237-13 et L. 1237-14 du Code du travail qu'une partie à une convention de rupture ne peut valablement demander l'homologation de cette convention à l'autorité administrative avant l'expiration du délai de rétractation de quinze jours prévu par le premier de ces textes".
La solution ainsi énoncée doit être pleinement approuvée. L'argumentation développée par l'employeur, qui n'était pas dénuée d'une certaine pertinence, prenait appui sur une décision rendue par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 29 janvier 2014. Celle-ci avait décidé, dans cet arrêt, "qu'une erreur commise dans la convention de rupture sur la date d'expiration du délai de quinze jours prévu par l'article L. 1237-13 du Code du travail ne [peut] entraîner la nullité de cette convention que si elle a eu pour effet de vicier le consentement de l'une des parties ou de la priver de la possibilité d'exercer son droit à rétractation" (3).
Les situations en cause dans les deux affaires sont cependant différentes. Dans la seconde, la demande d'homologation avait été adressée à l'autorité administrative à l'expiration du délai porté sur la convention de rupture affectée, comme il a été dit, d'une erreur matérielle. D'ailleurs, l'autorité administrative ne s'en était visiblement pas aperçue, puisqu'elle avait donné son homologation (4). On est presque tenté de dire que les prescriptions de l'article L. 1237-14 avait ainsi été respectées puisque, comme cela a été rappelé précédemment, ce texte dispose que la demande d'homologation est adressée "à l'issue du délai de rétractation".
Cette assertion est évidemment exagérée puisque ce délai doit nécessairement s'entendre du délai de quinze jours prévu par la loi. De notre point de vue, la solution retenue par la Cour de cassation dans l'arrêt du 29 janvier 2014 ne s'explique que par le fait que l'homologation avait été donnée. Au demeurant, l'autorité administrative aurait parfaitement été en droit de refuser cette homologation après avoir relevé l'erreur commise dans la convention de rupture relativement au délai de rétractation. En outre, la Cour de cassation ne délivre pas un blanc-seing, laissant une place à la nullité de la convention de rupture, sous réserve que soit démontré le vice du consentement ou le fait que le droit de rétractation n'a pu être utilement exercé.
En tout état de cause, il ne saurait être fait reproche à l'autorité administrative d'avoir respecté la loi en refusant d'accorder son homologation consécutivement à une demande adressée avant l'expiration du délai légal.
II - Le rôle de l'autorité administrative
La répartition légale des compétences. La décision de l'autorité administrative, qu'elle consiste à une homologation ou un refus d'homologation, peut, et c'est heureux, faire l'objet d'un recours. Toutefois, ce recours ne sera pas porté devant la juridiction administrative (5). La loi prend soin de préciser que tout litige concernant l'homologation ou le refus d'homologation relève de la compétence du conseil de prud'hommes, à l'exclusion de tout recours contentieux ou administratif (C. trav., art. L. 1237-14). Pour justifier cette anomalie, la loi a posé le principe que l'homologation ne peut pas faire l'objet d'un litige distinct de celui relatif à la convention.
Pour être, a priori, claire, cette répartition des compétences n'en fait pas moins naître certaines difficultés dont l'arrêt sous examen porte témoignage.
La compétence préservée de l'administration. L'employeur faisait encore grief à l'arrêt attaqué de l'avoir débouté de sa demande tendant à l'homologation de la convention de rupture. Il invoquait, à cette occasion, les dispositions de l'article L. 1237-14 du Code du travail, pour soutenir qu'il en résulte qu'en cas de recours contre un refus d'homologation, le conseil de prud'hommes est compétent, non seulement pour dire que la convention de rupture réunit toutes les conditions pour être homologuée, mais aussi accorder cette homologation.
Tel n'est pas l'avis de la Cour de cassation qui décide, au contraire, "qu'il n'entre pas dans les pouvoirs du juge judiciaire de prononcer, en lieu et place de l'autorité administrative, l'homologation d'une convention de rupture conclue en application des articles L. 1237-11 et suivants du Code du travail".
La précision est d'importance. Compte tenu de la rédaction de l'article L. 1237-11 du Code du travail et de la décision du législateur de conférer un bloc de compétence à la juridiction prud'homale, on pouvait effectivement hésiter quant aux prérogatives de celle-ci. D'ailleurs, certaines juridictions du fond ont admis que le conseil de prud'hommes, saisi d'un recours contre un refus d'homologation, est compétent pour valider la rupture (6).
C'est cependant faire peu de cas du principe de la séparation des pouvoirs. En outre, et à dire vrai, l'article L. 1237-14 ne commande pas une telle lecture. Il se borne à donner compétence à la juridiction prud'homale pour statuer sur le refus d'homologation. Il reste alors à savoir ce qui est en son pouvoir dès lors qu'elle est saisie d'une telle contestation. Dans la mesure où le juge judiciaire ne peut se substituer à l'autorité administrative pour prononcer l'homologation, il semble seulement en mesure d'annuler le refus d'homologation, à charge pour l'une ou l'autre des parties de saisir à nouveau l'autorité administrative (7).
Il est vrai que ces mêmes parties n'ont nullement besoin d'en passer par le juge judiciaire pour saisir l'autorité administrative d'une nouvelle demande d'homologation, en ayant pris soin de prendre en compte les raisons du refus initial (8). Mais ce même juge peut aussi être saisi d'une contestation relative à la seule décision d'homologation. En ce cas, et on le conçoit mieux, il n'a d'autre choix que d'annuler l'homologation. Mais on peut penser que ce type de contentieux sera, en fait, absorbé par celui relatif à la convention de rupture.
(1) J. Flour, J.-L. Aubert, E. Savaux, Les obligations, 1. L'acte juridique, Sirey, 15ème éd., n° 187.
(2) On peut trouver curieux que l'employeur saisisse ainsi le juge d'un litige relatif à la rupture conventionnelle alors que le salarié avait été licencié. Le fait que ce licenciement ait été jugé sans cause réelle et sérieuse explique sans doute cela, l'arrêt étant cependant peu clair sur ce point.
(3) Cass. soc., 29 janvier 2014, n° 12-24.539, FS-P+B (N° Lexbase : A2278MDQ) ; JCP éd. S, 2014, 1078, avec les obs. de G. Loiseau ; RDT, 2014, p. 255, avec nos obs..
(4) Elément que les juges du fond n'avaient pas manqué de relever dans l'affaire ayant conduit à l'arrêt sous examen.
(5) Il en va différemment, on le sait, lorsque la rupture conventionnelle est signée par un représentant du personnel.
(6) CA Versailles, 14 juin 2011, n° 10/01005 (N° Lexbase : A8277HTQ) ; RJS 11/11, n° 871.
(7) Il restera alors à déterminer sa marge de manoeuvre, compte tenu des motifs de la décision d'annulation.
(8) La saisine du juge judiciaire, en raison du seul refus d'homologation, semble ainsi confiner à l'hypothèse d'école.
Décision
Cass. soc., 14 janvier 2016, n° 14-26.220, FS-P+B (N° Lexbase : A9536N3L). Rejet (CA Toulouse, 12 septembre 2014, n° 12/04957 N° Lexbase : A3575MWC). Textes concernés : C. trav., art. L. 1237-13 (N° Lexbase : L8385IAS) et L. 1237-14 (N° Lexbase : L8504IA9). Mots-clefs : rupture conventionnelle ; homologation ; date de la demande ; pouvoir du juge judiciaire. Lien base : (N° Lexbase : E0221E7C et N° Lexbase : E0220E7B). |
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Réf. : Rapport sur les principes essentiels du droit du travail (N° Lexbase : X7292APR), du 25 janvier 2016
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Réf. : Rapport sur la dynamisation de la négociation collective, du 22 janvier 2016 (N° Lexbase : X7297APX)
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Réf. : CE 9° et 10° s-s-r., 20 janvier 2016, n° 365987, 365996, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A5758N4Z)
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