La lettre juridique n°640 du 21 janvier 2016

La lettre juridique - Édition n°640

Éditorial

Alerte au plafonnement des indemnités de licenciement sans cause réelle et sérieuse : "Pamela, au secours !"

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 21 Janvier 2016


Faciliter l'embauche en simplifiant la rupture : renverser le paradigme, voilà un pari risqué ! Le Gouvernement avait tenté de faire passer en force le plafonnement des indemnités de licenciement sans cause réelle et sérieuse, par l'intermédiaire d'un amendement adopté, de fait, par la procédure du 49-3, avec la loi "Macron", mais le Conseil constitutionnel avait, en août dernier, veillé au grain et censuré la disposition... pour rupture d'égalité.

Qu'à cela ne tienne : "Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage, / Polissez-le sans cesse, / et le repolissez, / Ajoutez quelquefois, et souvent effacez".

Le Président de la République fervent lecteur de Boileau, sans aucun doute, après avoir décrété l'état d'urgence sociale, a, à nouveau, remis sur la table cette disposition, dans le cadre de son plan de lutte contre le chômage, dit "de la dernière chance".

Comme chacun le sait, l'idée d'un barème, d'un référentiel ou d'une grille n'est pas neuve : l'ANI du 11 janvier 2013 a préconisé lui-même l'instauration d'un barème, dispositif transposé par la loi du 14 juin 2013 à l'article L. 1235-1, alinéa 1 et 2, du Code du travail. Seulement voilà : ce barème ne prévaut qu'au stade de la conciliation prud'homale et suppose la conclusion d'un accord de conciliation. Les montants sont forfaitaires et dépendent uniquement de l'ancienneté des salariés. D'aucuns les jugent d'ailleurs trop bas, globalement, pour constituer une base de négociation. Il n'est nullement question du manquement caractérisant un défaut de cause réelle et sérieuse : une irrégularité procédurale ayant la même portée qu'un licenciement arbitraire.

En février 2015, un amendement visait à mettre en place un référentiel indicatif relatif au montant des dommages-intérêts dus en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse. Le juge pouvait ainsi prendre en compte ce référentiel établi, après avis du Conseil supérieur de la prud'homie, selon les modalités prévues par décret en Conseil d'Etat. Ce référentiel fixait le montant de l'indemnité susceptible d'être allouée, en fonction notamment de l'ancienneté, de l'âge et de la situation du demandeur par rapport à l'emploi, sans préjudice des indemnités légales, conventionnelles ou contractuelles. Et, si les parties en faisaient conjointement la demande, l'indemnité était fixée par la seule application de ce référentiel. Il n'était donc prévu aucune indemnisation forfaitaire ; il devait, au contraire, permettre une indemnisation personnalisée en intégrant d'autres critères que l'ancienneté du salarié.

Toujours est-il que ce référentiel avait comme but avoué d'orienter, de guider, d'influencer les juges dans leur prise de décision. Et, reste que la mesure semblait encore trop timorée pour le Gouvernement, au regard des chiffres du chômage, pour qu'il propose au travers d'un nouvel amendement, en juin 2015, une grille des planchers et des plafonds d'indemnisation pour les licenciements injustifiés. Les critères en étaient l'ancienneté du salarié (moins de deux ans, de deux à moins de dix ans et dix ans et plus) et l'effectif de l'entreprise (moins de vingt, entre vingt et deux cent quatre-vingt-dix-neuf et à partir de trois cents) ; les montants étaient déterminés sur la base d'une étude réalisée par la Chancellerie à partir des arrêts rendus par les chambres sociales des cours d'appel au mois d'octobre 2014 (smart knowledge et Big data quand tu nous tiens !).

La censure du Conseil constitutionnel porta alors sur la rupture d'égalité : la taille de l'entreprise ne pouvant pas justifier une modulation de l'indemnité, donc un traitement différencié de situations objectivement semblables -pourtant la fameuse règle des six mois d'indemnité fut bien assise à la fois sur un critère d'ancienneté (deux ans) et la taille de l'entreprise (au moins 11 salariés)... mais il ne s'agissait pas d'une règle impérative-. Le critère de l'ancienneté est en lien direct avec le préjudice ; mais celui de la taille de l'entreprise n'influe en rien dans la détermination du préjudice ainsi subi.

Alors, l'une des pistes envisagées prochainement consisterait à tenir compte de l'ancienneté, toujours, mais aussi de l'âge du salarié licencié dans le calcul des dommages-intérêts qui lui seraient alloués ; critères assurément personnels au salarié donc en lien direct avec son préjudice (éventuel).

Maintenant, il faudra bien admettre que cette dérogation au principe de la réparation intégrale du préjudice, certes non constitutionnel, mais fortement ancré dans notre droit de la responsabilité, subit un accroc majeur. C'est une chose de tirer d'une jurisprudence harmonisée des référentiels orientant le juge, comme le fait la nomenclature "Dinthillac" en matière d'indemnisation des préjudices corporels, c'en est une autre d'imposer au juge un carcan pour prononcer une indemnité de licenciement -à la manière des peines planchers dont l'accueil par les magistrats fut, comme chacun le sait, houleux-.

Faciliter l'embauche en sécurisant la rupture, ou à tout le moins son coût pour l'entreprise est un jeu dangereux qui pourrait, à l'inverse, servir d'aubaine à des procédures de licenciement retardées faute de visibilité indemnitaire. La psychologie déployée en la matière apparaît d'ailleurs pour le moins spécieuse : on n'embauche pas en fonction des conditions de rupture envisageables, mais bien en fonction des perspectives économiques prévisibles. Faciliter la rupture, comme le fait la rupture conventionnelle au "succès" indiscutable, est une mesure de simplification procédurale qui, elle, était nécessaire pour pacifier les relations salariés-employeurs. Mais, chaque licenciement est singulier : et le principe de la réparation intégrale, aussi séculaire soit-il, présente encore les vertus d'une justice humanisée et équitable dans le traitement des situations différentes.

L'origine du problème, pour l'employeur, réside sans doute dans l'instauration progressive de la généralisation de la "règle des six mois d'indemnisation" pour défaut de cause réelle et sérieuse, règle bâtie, à bien calculer, sur le manque à gagner d'un salarié licencié et percevant une indemnité de chômage, durant 18 mois : manque à gagner évalué grossièrement à 600 %, soit six mois de salaire sur la période ! CQFD.

Toutefois, est-ce l'entreprise qui est responsable de ce manque à gagner ou le système d'indemnisation chômage -problématique qui tendra à se corser si l'on se convainc du récent rapport de la Cour des comptes en faveur d'une moindre indemnisation- ? Et ce, même lorsque le défaut de cause réelle et sérieuse est caractérisé à la suite d'une erreur procédurale minime en réalité -ce qui ne veut pas dire qu'elle n'impacte pas en théorie les droits de la défense du salarié-. La cause du caractère non réelle de la cause pourrait être un critère bien plus objectif au demeurant...

Nul doute que la politique cathodique conduira le Gouvernement à s'expliquer plus avant, sur les plateaux des talk-show populaires, sur sa conception de l'égalité de traitement en la matière, pendant que d'anciennes pin-up, plus connues pour leurs maillots de bain taille XS que pour leur pédagogie législative -ici en matière de gavage des oies et des canards dans l'industrie alimentaire-, rencontreront les députés, au sein de l'Assemblée nationale -on monte d'un cran après la participation de deux actrices à un voyage présidentiel aux Philippines-. Une nouvelle manière d'envisager la démocratie après le 49-3, sans doute.

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Avocats

[Jurisprudence] La communication des nouvelles coordonnées de l'avocat en cours d'information judiciaire

Réf. : Cass. crim., 15 décembre 2015, n° 15-85.675, F-P+B (N° Lexbase : A8866NZE)

Lecture: 6 min

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par Guillaume Royer, Maître de conférences à Sciences-Po Paris (Campus franco-allemand de Nancy), Avocat au barreau de Nancy

Le 21 Janvier 2016

Si le juge des libertés et de la détention a l'obligation de convoquer l'avocat au débat contradictoire de prolongation de la détention provisoire, il n'a nullement l'obligation de s'enquérir des nouvelles coordonnées de l'avocat qui a déménagé en cours de procédure : c'est à ce dernier qu'il appartient de communiquer spécifiquement ses nouvelles coordonnées au greffe du juge d'instruction. Qu'on se le dise une fois pour toutes : à défaut d'avoir communiqué ses nouvelles coordonnées professionnelles au juge d'instruction, l'avocat ne saurait se prévaloir de l'irrégularité d'une convocation envoyée à son ancienne adresse. Tel est bien le message adressé à l'ensemble de la profession par la Chambre criminelle de la Cour de cassation, dans son arrêt du 15 décembre 2015. Les faits étaient particulièrement topiques puisqu'une personne avait été mise en examen des chefs d'importation en bande organisée de stupéfiants, direction ou organisation d'un groupement ayant pour objet le trafic de stupéfiants et association de malfaiteurs et placée sous mandat de dépôt par le juge des libertés et de la détention. Les faits ayant une nature criminelle, le juge des libertés et de la détention avait ordonné un mandat de dépôt d'une durée d'un an comme le permet l'article 145-2 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3506AZU). Le terme de ce mandat de dépôt approchant, le greffe du juge des libertés et de la détention avait convoqué la personne mise en examen et son conseil aux fins d'envisager la prolongation pour une durée de six mois de ce mandat de dépôt. C'est ainsi qu'en date du 10 août 2015, une télécopie avait été adressée au numéro communiqué par l'avocat et avait été réceptionnée à ce numéro. La détention provisoire a été ordonnée par une ordonnance en date du 20 août 2015. Bien que l'arrêt de la Chambre criminelle ne soit pas extrêmement clair au sujet de la présence de l'avocat lors de ce débat, il semblerait que l'avocat n'ait pas assisté au débat de prolongation et que ce n'est qu'ensuite, une fois l'ordonnance rendue, qu'il s'est manifesté auprès du greffe du juge des libertés et de la détention pour s'offusquer de son absence de convocation régulière... Et, évidemment, il n'a pas manqué d'interjeter appel devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris. Dans son mémoire régulièrement déposé au greffe de la chambre de l'instruction, il a conclu à la nullité des débats devant le juge des libertés et de la détention en faisant valoir que son cabinet avait déménagé en cours d'information judiciaire et qu'il n'avait pas été destinataire de la convocation à sa nouvelle adresse. Il en déduisait la nullité des débats tenus le 20 août 2015 devant le juge des libertés et de la détention et, probablement, la remise en liberté de son client.

La chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris a rejeté sa demande par un arrêt en date du 4 septembre 2015, après avoir relevé que la convocation adressée par télécopie en date du 10 août 2015 avait été reçue et que, surtout, l'avocat n'avait fait aucune démarche positive auprès du greffe pour déclarer sa nouvelle adresse. Malgré le pourvoi formé contre cet arrêt, la Chambre criminelle de la Cour de cassation considère que la chambre de l'instruction a justifié sa décision "dès lors que qu'il n'est pas établi que les nouvelles coordonnées, auxquelles l'avocat du demandeur devait être joint, avaient fait l'objet de sa part d'une communication spécifique au greffier du juge d'instruction". Force est de constater que cet attendu est particulièrement intéressant puisque, sans revenir sur l'importance de la convocation de l'avocat lors du débat de prolongation de la détention provisoire (I), la Chambre criminelle de la Cour de cassation ne met aucune obligation, à la charge du greffe de la juridiction, de s'enquérir des coordonnées actuelles de l'avocat (II).

I - Convocation nécessaire de l'avocat désigné

Le législateur a souhaité que la prolongation du mandat de dépôt de la personne mise en examen et placée en détention soit une étape charnière de l'instruction préparatoire. Ainsi, le juge des libertés et de la détention ne peut prolonger le mandat de dépôt de la personne mise en examen qu'après avoir procédé à un débat contradictoire, l'avocat y étant dûment convoqué, comme le prévoit l'article 145-2 du Code de procédure pénale. Rappelons à cet égard que l'article 114-1 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3175I3Y) fixe les modalités de convocation des parties en précisant que "les parties ne peuvent être entendues, interrogées ou confrontées, à moins, qu'elles n'y renoncent expressément, qu'en présence de leurs avocats ou ces derniers dûment appelés". Et d'ailleurs, le deuxième alinéa de ce texte ajoute que "les avocats sont convoqués au plus tard 5 jours ouvrables avant l'interrogatoire ou l'audition de la partie qu'ils assistent par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, télécopie avec récépissé ou verbalement avec émargement au dossier de la procédure". La Chambre criminelle de la Cour de cassation attache toute son importance à la régularité de la convocation de l'avocat. De récents arrêts démontrent que de vigoureuses sanctions frappent l'irrégularité affectant la convocation de l'avocat au débat contradictoire de prolongation du mandat de dépôt.

C'est ainsi que la Chambre criminelle de la Cour de cassation a déjà considéré à plusieurs reprises que l'irrégularité dans la convocation de l'avocat conduisait à l'annulation des débats de prolongation litigieux et donc, in fine, à la remise en liberté immédiate de la personne mise en examen. Il est suffisamment rare pour être relevé que les plus récents arrêts de la Cour de cassation, lorsqu'ils censurent les chambres de l'instruction pour méconnaissance des règles relatives à la convocation de l'avocat, ordonnent la remise en liberté immédiate de la personne mise en examen sans qu'il soit encore besoin de renvoyer la cause devant une autre chambre de l'instruction. Il en va notamment ainsi lorsque la personne mise en examen et placée sous mandat de dépôt a changé d'avocat et que seul l'ancien avocat, démis de son mandat, a été convoqué à l'audience (v. Cass. crim., 20 août 2014, n° 14-83.699, FS -P+B N° Lexbase : A8660MUB, Bull. crim., n° 174). Dans une très belle étude consacrée à la question, Monsieur Laurent Saenko écrivait qu'en cas d'irrégularité de convocation de l'avocat, la remise en liberté s'impose, "le mandat de dépôt attaché à l'ordonnance de prolongation étant mécaniquement atteint de nullité" (1). En définitive, toute irrégularité dans la convocation devant le juge des libertés et de la détention, ou devant la chambre de l'instruction -qui est également soumise aux délais "couperets" de l'article 194 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3906IR4)-, est souvent l'inattendue "clé des champs" (2) offerte à un client dans une information judiciaire souvent mal engagée sur le fond, d'autant plus que si un débat contradictoire de prolongation est organisé devant le juge des libertés et de la détention, c'est inévitablement que celui-ci a été saisi par le juge d'instruction et que le procureur de la République a requis en ce sens...

Toutefois, si l'irrégularité dans la convocation de l'avocat est énergiquement sanctionnée par la Chambre criminelle de la Cour de cassation, force est de constater que les services du greffe n'ont aucune diligence positive à accomplir pour s'assurer d'un éventuel changement de coordonnées de l'avocat.

II - Recherches surabondantes des nouvelles coordonnées

L'arrêt rendu par la Chambre criminelle de la Cour de cassation en date du 15 décembre 2015 apporte, en effet, d'utiles précisions quant à la "communication spécifique au greffier du juge d'instruction" de la nouvelle adresse de l'avocat que les observateurs ont déjà rencontrées dans la jurisprudence pénale récente (v. déjà, Cass. crim., 20 mai 2014, n° 14-81.429, F-P+B+I N° Lexbase : A5780MLN ; Cass. crim., 18 mars 2015, n° 14-88.352, F-D N° Lexbase : A1910NEH). D'une part, la Chambre criminelle considère qu'il appartient à l'avocat d'avertir la juridiction d'éventuelles modifications de ses coordonnées professionnelles. Réciproquement, le greffe du juge des libertés et de la détention n'est donc pas tenu de procéder à la vérification, en temps réel, des coordonnées actuelles de l'avocat qu'il entend convoquer. D'autre part, l'arrêt est tout aussi important à propos de la teneur de l'information que l'avocat doit communiquer au greffe en cas de changement de coordonnées professionnelles. Il résulte de l'attendu conclusif de l'arrêt de la Chambre criminelle que l'avocat est débiteur d'"une communication spécifique au greffier du juge d'instruction".

Les termes employés par la Chambre criminelle de la Cour de cassation nous semblent avoir tout le sens : il faut notifier le changement de coordonnées au greffe du juge d'instruction, et toute autre notification se trouverait donc insuffisante aux yeux de la Chambre criminelle. On songe évidemment à l'insuffisance de la lettre circulaire que l'avocat adresse, au moment de son installation dans ses nouveaux locaux, au secrétariat de la présidence de la juridiction ou bien encore, à l'annuaire publié chaque année par l'Ordre des avocats et diffusé aux différents greffes de juridiction. Au vu des exigences restrictives posées par la Chambre criminelle de la Cour de cassation, il appartiendra donc à l'avocat de notifier son changement d'adresse au greffe du juge d'instruction en lui adressant, par sécurité, une télécopie ou un courriel sur l'adresse structurelle du greffe, et de conserver soigneusement l'accusé de réception. Seule cette pièce fera foi d'"une communication spécifique au greffier du juge d'instruction" en cas de litige sur la convocation non parvenue. Et ce n'est évidemment que si le greffier, dûment averti de ce changement de coordonnées professionnelles, adresse une convocation à l'ancienne adresse professionnelle ou en utilisant l'ancien numéro de télécopie, que l'avocat pourra utilement se prévaloir de l'irrégularité de sa convocation devant le juge des libertés et de la détention. La clé des champs est à ce prix...


(1) L. Saenko, La liberté comme sanction, Dr. Pénal, 2014, Etude, n° 9, § 13.
(2) L'expression est empruntée à M. Albert Maron et Mme Marion Haas, in Changement d'avocat et clé des champs, Dr. Pénal, 2014, Comm., n° 132.

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Avocats/Déontologie

[Brèves] Interdiction temporaire d'exercice pour l'avocat qui organise un mariage aux seules fins de faire obtenir un titre de séjour ou d'acquérir la nationalité française

Réf. : Cass. crim., 13 janvier 2016, n° 14-87.760, F-P+B (N° Lexbase : A9521N3Z)

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Le 21 Janvier 2016

L'avocat qui, de par cette qualité professionnelle, procure à une personne étrangère une solution de régularisation en lui organisant un mariage blanc, commet bien une infraction lors de son exercice professionnel passible d'une sanction d'interdiction d'exercice de trois ans. Tel est l'enseignement d'un arrêt rendu par la Chambre criminelle de la Cour de cassation le 13 janvier 2016 (Cass. crim., 13 janvier 2016, n° 14-87.760, F-P+B N° Lexbase : A9521N3Z). En l'espèce, Me D., contacté par Mme A. afin qu'il lui procure, en sa qualité d'avocat, une solution de régularisation de sa situation sur le territoire français, lui a organisé un mariage ne reposant sur aucune intention conjugale, dans le seul but de lui permettre d'acquérir par ce moyen un titre de séjour. Pour condamner l'avocat à trois ans d'interdiction d'exercer l'activité d'avocat, la chambre correctionnelle de la cour d'appel de Toulouse relève que l'infraction dont il a été déclaré coupable a été commise à l'occasion de l'exercice de cette profession. Pourvoi a été formé en vain par l'avocat. En effet, en tenant compte, pour prononcer cette peine, des circonstances de l'espèce qui établissent que c'est en sa qualité d'avocat que Me D. a été consulté par Mme A., étrangère dépourvue de titre de séjour, pour obtenir ses conseils en vue de la régularisation de sa situation sur le territoire français, la cour d'appel a justifié sa décision (cf. l’Ouvrage "La profession d'avocat" N° Lexbase : E9173ETW).

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Avocats/Honoraires

[Brèves] Absence d'effet sur la détermination des honoraires des barèmes du contrat d'assurance de protection juridique

Réf. : Cass. civ. 2, 14 janvier 2016, n° 15-10.130, F-P+B (N° Lexbase : A9244N3R)

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Le 21 Janvier 2016

L'existence d'un contrat d'assurance de protection juridique est sans effet sur la détermination des honoraires dus à l'avocat par le client, ces derniers étant fixés, en l'absence de convention, par référence aux seuls critères de l'article 10, alinéa 2, de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 (N° Lexbase : L6343AGZ). Telle est la solution dégagée par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 14 janvier 2016 (Cass. civ. 2, 14 janvier 2016, n° 15-10.130, F-P+B N° Lexbase : A9244N3R ; dans le même sens, CA Bordeaux, 3 avril 2012, n° 11/02501 N° Lexbase : A1796IHY). En l'espèce, Mme S. a confié, à l'occasion d'un litige prud'homal, la défense de ses intérêts à Me C., avocate au barreau de Marseille. En l'absence de paiement de ses honoraires, l'avocate a saisi le Bâtonnier de son Ordre pour en fixer le montant. Pour réduire à 300 euros le montant des honoraires dus à l'avocate, l'ordonnance énonce qu'aucune convention d'honoraires n'ayant été signée entre les parties alors que l'avocate savait que Mme S. la consultait sous le bénéfice d'un contrat de protection juridique, celle-ci s'était interdite de réclamer une somme supérieure au barème de prise en charge stipulé dans la police souscrite par la cliente (CA Aix-en-Provence, 4 novembre2014, n° 14/03863 N° Lexbase : A6175MZQ). L'ordonnance du premier président sera censurée par la Haute juridiction au visa l'article 10, alinéa 2, de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, dans sa version applicable au litige, ensemble l'article L. 127-5-1 du Code des assurances (N° Lexbase : L6586HWT) (cf. l’Ouvrage "La profession d'avocat" N° Lexbase : E9664ET4).

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Avocats

[Jurisprudence] La communication des nouvelles coordonnées de l'avocat en cours d'information judiciaire

Réf. : Cass. crim., 15 décembre 2015, n° 15-85.675, F-P+B (N° Lexbase : A8866NZE)

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par Guillaume Royer, Maître de conférences à Sciences-Po Paris (Campus franco-allemand de Nancy), Avocat au barreau de Nancy

Le 21 Janvier 2016

Si le juge des libertés et de la détention a l'obligation de convoquer l'avocat au débat contradictoire de prolongation de la détention provisoire, il n'a nullement l'obligation de s'enquérir des nouvelles coordonnées de l'avocat qui a déménagé en cours de procédure : c'est à ce dernier qu'il appartient de communiquer spécifiquement ses nouvelles coordonnées au greffe du juge d'instruction. Qu'on se le dise une fois pour toutes : à défaut d'avoir communiqué ses nouvelles coordonnées professionnelles au juge d'instruction, l'avocat ne saurait se prévaloir de l'irrégularité d'une convocation envoyée à son ancienne adresse. Tel est bien le message adressé à l'ensemble de la profession par la Chambre criminelle de la Cour de cassation, dans son arrêt du 15 décembre 2015. Les faits étaient particulièrement topiques puisqu'une personne avait été mise en examen des chefs d'importation en bande organisée de stupéfiants, direction ou organisation d'un groupement ayant pour objet le trafic de stupéfiants et association de malfaiteurs et placée sous mandat de dépôt par le juge des libertés et de la détention. Les faits ayant une nature criminelle, le juge des libertés et de la détention avait ordonné un mandat de dépôt d'une durée d'un an comme le permet l'article 145-2 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3506AZU). Le terme de ce mandat de dépôt approchant, le greffe du juge des libertés et de la détention avait convoqué la personne mise en examen et son conseil aux fins d'envisager la prolongation pour une durée de six mois de ce mandat de dépôt. C'est ainsi qu'en date du 10 août 2015, une télécopie avait été adressée au numéro communiqué par l'avocat et avait été réceptionnée à ce numéro. La détention provisoire a été ordonnée par une ordonnance en date du 20 août 2015. Bien que l'arrêt de la Chambre criminelle ne soit pas extrêmement clair au sujet de la présence de l'avocat lors de ce débat, il semblerait que l'avocat n'ait pas assisté au débat de prolongation et que ce n'est qu'ensuite, une fois l'ordonnance rendue, qu'il s'est manifesté auprès du greffe du juge des libertés et de la détention pour s'offusquer de son absence de convocation régulière... Et, évidemment, il n'a pas manqué d'interjeter appel devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris. Dans son mémoire régulièrement déposé au greffe de la chambre de l'instruction, il a conclu à la nullité des débats devant le juge des libertés et de la détention en faisant valoir que son cabinet avait déménagé en cours d'information judiciaire et qu'il n'avait pas été destinataire de la convocation à sa nouvelle adresse. Il en déduisait la nullité des débats tenus le 20 août 2015 devant le juge des libertés et de la détention et, probablement, la remise en liberté de son client.

La chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris a rejeté sa demande par un arrêt en date du 4 septembre 2015, après avoir relevé que la convocation adressée par télécopie en date du 10 août 2015 avait été reçue et que, surtout, l'avocat n'avait fait aucune démarche positive auprès du greffe pour déclarer sa nouvelle adresse. Malgré le pourvoi formé contre cet arrêt, la Chambre criminelle de la Cour de cassation considère que la chambre de l'instruction a justifié sa décision "dès lors que qu'il n'est pas établi que les nouvelles coordonnées, auxquelles l'avocat du demandeur devait être joint, avaient fait l'objet de sa part d'une communication spécifique au greffier du juge d'instruction". Force est de constater que cet attendu est particulièrement intéressant puisque, sans revenir sur l'importance de la convocation de l'avocat lors du débat de prolongation de la détention provisoire (I), la Chambre criminelle de la Cour de cassation ne met aucune obligation, à la charge du greffe de la juridiction, de s'enquérir des coordonnées actuelles de l'avocat (II).

I - Convocation nécessaire de l'avocat désigné

Le législateur a souhaité que la prolongation du mandat de dépôt de la personne mise en examen et placée en détention soit une étape charnière de l'instruction préparatoire. Ainsi, le juge des libertés et de la détention ne peut prolonger le mandat de dépôt de la personne mise en examen qu'après avoir procédé à un débat contradictoire, l'avocat y étant dûment convoqué, comme le prévoit l'article 145-2 du Code de procédure pénale. Rappelons à cet égard que l'article 114-1 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3175I3Y) fixe les modalités de convocation des parties en précisant que "les parties ne peuvent être entendues, interrogées ou confrontées, à moins, qu'elles n'y renoncent expressément, qu'en présence de leurs avocats ou ces derniers dûment appelés". Et d'ailleurs, le deuxième alinéa de ce texte ajoute que "les avocats sont convoqués au plus tard 5 jours ouvrables avant l'interrogatoire ou l'audition de la partie qu'ils assistent par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, télécopie avec récépissé ou verbalement avec émargement au dossier de la procédure". La Chambre criminelle de la Cour de cassation attache toute son importance à la régularité de la convocation de l'avocat. De récents arrêts démontrent que de vigoureuses sanctions frappent l'irrégularité affectant la convocation de l'avocat au débat contradictoire de prolongation du mandat de dépôt.

C'est ainsi que la Chambre criminelle de la Cour de cassation a déjà considéré à plusieurs reprises que l'irrégularité dans la convocation de l'avocat conduisait à l'annulation des débats de prolongation litigieux et donc, in fine, à la remise en liberté immédiate de la personne mise en examen. Il est suffisamment rare pour être relevé que les plus récents arrêts de la Cour de cassation, lorsqu'ils censurent les chambres de l'instruction pour méconnaissance des règles relatives à la convocation de l'avocat, ordonnent la remise en liberté immédiate de la personne mise en examen sans qu'il soit encore besoin de renvoyer la cause devant une autre chambre de l'instruction. Il en va notamment ainsi lorsque la personne mise en examen et placée sous mandat de dépôt a changé d'avocat et que seul l'ancien avocat, démis de son mandat, a été convoqué à l'audience (v. Cass. crim., 20 août 2014, n° 14-83.699, FS -P+B N° Lexbase : A8660MUB, Bull. crim., n° 174). Dans une très belle étude consacrée à la question, Monsieur Laurent Saenko écrivait qu'en cas d'irrégularité de convocation de l'avocat, la remise en liberté s'impose, "le mandat de dépôt attaché à l'ordonnance de prolongation étant mécaniquement atteint de nullité" (1). En définitive, toute irrégularité dans la convocation devant le juge des libertés et de la détention, ou devant la chambre de l'instruction -qui est également soumise aux délais "couperets" de l'article 194 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3906IR4)-, est souvent l'inattendue "clé des champs" (2) offerte à un client dans une information judiciaire souvent mal engagée sur le fond, d'autant plus que si un débat contradictoire de prolongation est organisé devant le juge des libertés et de la détention, c'est inévitablement que celui-ci a été saisi par le juge d'instruction et que le procureur de la République a requis en ce sens...

Toutefois, si l'irrégularité dans la convocation de l'avocat est énergiquement sanctionnée par la Chambre criminelle de la Cour de cassation, force est de constater que les services du greffe n'ont aucune diligence positive à accomplir pour s'assurer d'un éventuel changement de coordonnées de l'avocat.

II - Recherches surabondantes des nouvelles coordonnées

L'arrêt rendu par la Chambre criminelle de la Cour de cassation en date du 15 décembre 2015 apporte, en effet, d'utiles précisions quant à la "communication spécifique au greffier du juge d'instruction" de la nouvelle adresse de l'avocat que les observateurs ont déjà rencontrées dans la jurisprudence pénale récente (v. déjà, Cass. crim., 20 mai 2014, n° 14-81.429, F-P+B+I N° Lexbase : A5780MLN ; Cass. crim., 18 mars 2015, n° 14-88.352, F-D N° Lexbase : A1910NEH). D'une part, la Chambre criminelle considère qu'il appartient à l'avocat d'avertir la juridiction d'éventuelles modifications de ses coordonnées professionnelles. Réciproquement, le greffe du juge des libertés et de la détention n'est donc pas tenu de procéder à la vérification, en temps réel, des coordonnées actuelles de l'avocat qu'il entend convoquer. D'autre part, l'arrêt est tout aussi important à propos de la teneur de l'information que l'avocat doit communiquer au greffe en cas de changement de coordonnées professionnelles. Il résulte de l'attendu conclusif de l'arrêt de la Chambre criminelle que l'avocat est débiteur d'"une communication spécifique au greffier du juge d'instruction".

Les termes employés par la Chambre criminelle de la Cour de cassation nous semblent avoir tout le sens : il faut notifier le changement de coordonnées au greffe du juge d'instruction, et toute autre notification se trouverait donc insuffisante aux yeux de la Chambre criminelle. On songe évidemment à l'insuffisance de la lettre circulaire que l'avocat adresse, au moment de son installation dans ses nouveaux locaux, au secrétariat de la présidence de la juridiction ou bien encore, à l'annuaire publié chaque année par l'Ordre des avocats et diffusé aux différents greffes de juridiction. Au vu des exigences restrictives posées par la Chambre criminelle de la Cour de cassation, il appartiendra donc à l'avocat de notifier son changement d'adresse au greffe du juge d'instruction en lui adressant, par sécurité, une télécopie ou un courriel sur l'adresse structurelle du greffe, et de conserver soigneusement l'accusé de réception. Seule cette pièce fera foi d'"une communication spécifique au greffier du juge d'instruction" en cas de litige sur la convocation non parvenue. Et ce n'est évidemment que si le greffier, dûment averti de ce changement de coordonnées professionnelles, adresse une convocation à l'ancienne adresse professionnelle ou en utilisant l'ancien numéro de télécopie, que l'avocat pourra utilement se prévaloir de l'irrégularité de sa convocation devant le juge des libertés et de la détention. La clé des champs est à ce prix...


(1) L. Saenko, La liberté comme sanction, Dr. Pénal, 2014, Etude, n° 9, § 13.
(2) L'expression est empruntée à M. Albert Maron et Mme Marion Haas, in Changement d'avocat et clé des champs, Dr. Pénal, 2014, Comm., n° 132.

newsid:450904

Baux commerciaux

[Brèves] Nullité de la clause d'indexation "à la hausse"

Réf. : Cass. civ. 3, 14 janvier 2016, n° 14-24.681, FS-P+B (N° Lexbase : A9444N38)

Lecture: 1 min

N0987BWH

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Le 22 Janvier 2016

Est nulle une clause d'indexation qui exclut la réciprocité de la variation et stipule que le loyer ne peut être révisé qu'à la hausse. Tel est l'enseignement d'un arrêt rendu par la troisième chambre civile de la Cour de cassation le 14 janvier 2016 (Cass. civ. 3, 14 janvier 2016, n° 14-24.681, FS-P+B N° Lexbase : A9444N38). En l'espèce, le bail comportait une clause prévoyant que le loyer sera ajusté automatiquement, pour chaque période annuelle, en fonction des variations de l'indice du coût de la construction, à la date anniversaire de la prise d'effet du bail sur la base de l'indice du même trimestre et précisant en son dernier paragraphe que : "La présente clause d'échelle mobile ne saurait avoir pour effet de ramener le loyer révisé à un montant inférieur au loyer de base précédant la révision". Les juges du fond (CA Paris, Pôle 5, 3ème ch., 2 juillet 2014, n° 12/14759 N° Lexbase : A4124MSK) ayant déclaré non-écrite cette clause d'échelle mobile stipulée au bail et condamné le bailleur à restituer une certaine somme au titre d'un trop-perçu de loyers, ce dernier s'est pourvu en cassation. La Haute juridiction a rejeté le pourvoi au motif qu'est nulle (et pas non-écrite) une clause d'indexation qui exclut la réciprocité de la variation et stipule que le loyer ne peut être révisé qu'à la hausse. Or, en l'espèce, la clause excluait, en cas de baisse de l'indice, l'ajustement du loyer prévu pour chaque période annuelle en fonction de la variation de l'indice publié dans le même temps. Reprenant la motivation de l'arrêt objet du pourvoi, la Cour de cassation précise que le propre d'une clause d'échelle mobile est de faire varier à la hausse et à la baisse et que la clause figurant au bail, écartant toute réciprocité de variation, faussait le jeu normal de l'indexation (cf. l’Ouvrage "baux commerciaux" N° Lexbase : E0759E9Y).

newsid:450987

Collectivités territoriales

[Brèves] Suspension de la délibération d'un conseil municipal portant création d'une "garde citoyenne"

Réf. : TA Montpellier, 19 janvier 2016, n° 1506697 (N° Lexbase : A9887N3L)

Lecture: 1 min

N0991BWM

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Le 23 Janvier 2016

Dans une ordonnance rendue le 19 janvier 2016, le juge des référés du tribunal administratif de Montpellier a suspendu l'exécution de la délibération par laquelle un conseil municipal avait décidé la création d'une "garde", composée de citoyens volontaires bénévoles chargés d'assurer des gardes statiques devant les bâtiments publics et des déambulations sur la voie publique et devant alerter les forces de l'ordre en cas de troubles à l'ordre public ou de comportements délictueux (TA Montpellier, 19 janvier 2016, n° 1506697 N° Lexbase : A9887N3L). Le juge des référés fait ici application d'une jurisprudence constante, selon laquelle la police administrative constitue un service public qui, par sa nature, ne saurait être délégué (CE, 1er avril 1994, n° 144152, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A0666ASH). Il juge ainsi que les tâches de surveillance des bâtiments publics et de la voie publique sont partie intégrante, dans les communes, de la police municipale et doivent être exercées par le maire ou par des agents placés sous son autorité, sous le contrôle du représentant de l'Etat, et que le conseil municipal ne pouvait en conséquence légalement confier à des particuliers les missions de surveillance de la voie publique ou des bâtiments publics. La délibération contestée, qui est à l'origine d'un service opérationnel à caractère pérenne, ne pouvait être fondée sur la notion jurisprudentielle de collaborateur occasionnel du service public, qui permet seulement l'application d'un régime favorable de responsabilité au profit des particuliers qui ont été sollicités, à titre temporaire et exceptionnel, pour exercer des missions de service public, en cas de carence ou d'insuffisance avérée des services existants ou en cas d'urgente nécessité.

newsid:450991

Collectivités territoriales

[Brèves] Refus de délivrer l'autorisation d'ouverture au public d'une mosquée de la commune : obligation pour le préfet de se substituer au maire pour respecter les décisions de justice exécutoires

Réf. : CE référé, 19 janvier 2016, n° 396003 (N° Lexbase : A1945N4S)

Lecture: 2 min

N0990BWL

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Le 22 Janvier 2016

Dans une ordonnance rendue le 19 janvier 2016, le juge des référés du Conseil d'Etat ordonne au préfet du Var de faire usage de son pouvoir hiérarchique vis-à-vis du maire d'une commune pour autoriser au nom de l'Etat, en exécution d'une précédente ordonnance de référé, l'ouverture provisoire d'une mosquée (CE référé, 19 janvier 2016, n° 396003 N° Lexbase : A1945N4S). Par une ordonnance du 9 novembre 2015, le juge des référés du Conseil d'Etat a enjoint au maire d'accorder, à titre provisoire, l'autorisation d'ouverture de la mosquée, dans un délai de huit jours et sous astreinte de 500 euros par jour de retard (CE référé, 9 novembre 2015, n° 394333 N° Lexbase : A3571NW8). En l'absence d'exécution de cette décision de justice par le maire, le juge des référés du Conseil d'Etat a, par une ordonnance du 3 décembre 2015, procédé à la liquidation de l'astreinte en condamnant la commune de Fréjus à verser la somme globale de 6 500 euros à l'association (CE référé, 3 décembre 2015, n° 394333, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A6203NYE). Le maire n'ayant toujours pas exécuté l'ordonnance du 9 novembre 2015, l'association a demandé au préfet du Var de faire usage des pouvoirs qu'il tient de l'article L. 2122-34 du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L8602AAT) pour y procéder d'office. Saisi à la suite du refus du préfet, le juge des référés a rappelé que le pouvoir d'autoriser l'ouverture des établissements recevant du public est exercé par le maire au nom de l'Etat. Le préfet dispose, en cette matière, d'un pouvoir hiérarchique qui lui permet de faire usage des prérogatives de l'article L. 2122-34 précité. Or, les décisions d'un juge des référés sont des décisions de justice exécutoires et obligatoires : les autorités administratives doivent prendre les mesures qu'elles impliquent. Le juge des référés du Conseil d'Etat a donc estimé que, face au refus persistant du maire d'exécuter l'ordonnance du 9 novembre 2015, le préfet devait faire usage de son pouvoir hiérarchique en la matière. En refusant de le faire, il a porté une atteinte grave et manifestement illégale au droit à un recours effectif, qui implique le respect des décisions de justice, ainsi que, par voie de conséquence, aux libertés fondamentales de culte et d'expression, que l'ordonnance du 9 novembre 2015 avait pour objet de sauvegarder. Le préfet du Var est donc tenu, dans les 72 heures, de mettre en oeuvre son pouvoir hiérarchique pour assurer l'exécution de l'ordonnance du 9 novembre 2015 en délivrant l'autorisation d'ouverture provisoire de la mosquée.

newsid:450990

Entreprises en difficulté

[Brèves] Voies de recours contre les décisions du juge-commissaire statuant en matière de relevé de forclusion

Réf. : Cass. com., 12 janvier 2016, n° 14-18.936, FS-P+B+I (N° Lexbase : A5146N3Y)

Lecture: 1 min

N0889BWT

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Le 21 Janvier 2016

Depuis l'entrée en vigueur de la loi du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises (loi n° 2005-845 N° Lexbase : L5150HGT), aucun texte n'interdit ou ne limite l'appel contre les jugements statuant sur le recours formé contre les décisions du juge-commissaire accueillant ou rejetant une requête en relevé de forclusion, même si la valeur de la créance en cause n'excède pas le taux de compétence en dernier ressort du tribunal de la procédure collective, la demande en relevé de forclusion, qui n'est pas une demande d'admission de la créance, étant indéterminée. Tel est le principe énoncé par un important arrêt rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 12 janvier 2016 (Cass. com., 12 janvier 2016, n° 14-18.936, FS-P+B+I N° Lexbase : A5146N3Y). En l'espèce, après l'ouverture d'une procédure de sauvegarde, par un jugement du 7 février 2013 publié au Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales le 19 février suivant, l'avocat de la société débitrice, a déclaré, le 2 octobre 2013, une créance d'honoraires d'un montant en principal de 3 534 euros puis a, le 7 octobre 2013, présenté au juge-commissaire une requête en relevé de forclusion, qui a été accueillie par une ordonnance contre laquelle la société débitrice et le mandataire judiciaire ont formé un recours devant le tribunal de la procédure collective. Celui-ci ayant rejeté la requête, le créancier a formé un pourvoi en cassation. Enonçant le principe précité, la Cour régulatrice déclare le pourvoi irrecevable au visa de l'article 605 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6762H7L), dès lors que la voie de la cassation n'est ouverte que lorsque toutes les autres voies sont fermées. La Haute juridiction tire ainsi, pour la première fois, les conséquences du fait que, depuis la loi de sauvegarde des entreprises et contrairement aux dispositions antérieures, aucun texte spécifique n'encadre les voies de recours contre les décisions du juge-commissaire statuant le relevé de forclusion (cf. l’Ouvrage "Entreprises en difficulté" N° Lexbase : E3786EXI).

newsid:450889

Expropriation

[Chronique] Chronique de droit de l'expropriation - Janvier 2016

Lecture: 11 min

N0899BW9

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par Pierre Tifine, Professeur à l'Université de Lorraine et directeur adjoint de l'Institut de recherches sur l'évolution de la Nation et de l'Etat (IRENEE), Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition publique

Le 21 Janvier 2016

Lexbase Hebdo - édition publique vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique d'actualité de droit de l'expropriation rédigée par Pierre Tifine, Professeur à l'Université de Lorraine et directeur adjoint de l'Institut de recherches sur l'évolution de la Nation et de l'Etat (IRENEE). Cette chronique étudiera, tout d'abord, la notion d'opération d'importance nationale et mesures de publicité de l'avis informant le public de l'ouverture d'une enquête préalable à la déclaration d'utilité publique (CE 6° s-s., 9 novembre 2015, n° 375209, mentionné aux tables du recueil Lebon). Elle se penchera ensuite sur la création de nouvelles servitudes d'utilité publique par l'article 52 de la loi n° 2015-992 du 17 août 2015, relative à la transition énergétique pour la croissance verte (N° Lexbase : L2619KG4), et l'ordonnance n° 2015-1495 du 18 novembre 2015, relative à l'instauration de servitudes d'utilité publique pour le transport par câbles en milieu urbain (N° Lexbase : L7071KQX). Cette chronique se conclura sur le rappel par le Conseil d'Etat rappelle de la méthodologie du contrôle juridictionnel de la légalité interne des déclarations d'utilité publique (CE 6° s-s., 9 octobre 2015, n° 370482, inédit au recueil Lebon).
  • Notion d'opération d'importance nationale et mesures de publicité de l'avis informant le public de l'ouverture d'une enquête préalable à la déclaration d'utilité publique (CE 6° s-s., 9 novembre 2015, n° 375209, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A3600NWA)

A l'occasion de l'arrêt n° 375209 du 9 novembre 2015, le Conseil d'Etat revient sur la notion d'opération d'importance nationale visée par l'article R. 11-4 du Code de l'expropriation (N° Lexbase : L3018HLD) (1). Ces dispositions précisent les modalités de publicité de l'avis informant les personnes intéressées de l'ouverture d'une enquête préalable à la déclaration d'utilité publique.

Rappelons d'abord que certaines formalités sont communes à l'ensemble des enquêtes préalables à la déclaration d'utilité publique. L'article R. 11-4, alinéa 5, précise ainsi que le préfet compétent "fait procéder à la publication, en caractères apparents, d'un avis au public l'informant de l'ouverture de l'enquête dans deux journaux régionaux ou locaux diffusés dans tout le département ou tous les départements concernés. Cet avis est publié huit jours au moins avant le début de l'enquête. Il est ensuite rappelé dans les huit premiers jours suivant le début de celle-ci". Il est à noter, cependant, que le Conseil d'Etat, conformément à sa jurisprudence "Danthony" (2), ne sanctionne plus systématiquement le non-respect des règles de procédure. Seuls sont sanctionnés les vices qui ont pu avoir pour effet de nuire à l'information de l'ensemble des personnes intéressées par l'opération ou qui ont été de nature à exercer une influence sur les résultats de l'enquête et, par suite, sur la décision de l'autorité administrative. En application de ces règles le Conseil d'Etat a décidé, à l'occasion d'un arrêt du 3 juin 2013 (3), qu'il n'y avait pas lieu d'annuler une déclaration d'utilité publique, dans un cas où le préfet avait procédé au rappel de la publicité de l'avis d'ouverture de l'enquête publique dans un seul journal régional ou local, alors que ce sont deux publications qui sont requises par les dispositions susvisées.

En l'espèce, le respect de ces dispositions ne posait pas de difficultés. En revanche, la question se posait de savoir si l'opération projetée pouvait être qualifiée "d'opération d'intérêt national" au sens de l'alinéa 5 de l'article R. 11-4 du Code de l'expropriation. Lorsque c'est une opération de cette nature qui est projetée, le préfet, en plus des formalités susvisées doit procéder à la publication de l'avis "dans deux journaux à diffusion nationale, huit jours avant le début de l'enquête", ce qu'il n'avait pas fait.

La notion "d'opération d'intérêt national" avait été précisée par le Conseil d'Etat à l'occasion d'un arrêt du 13 janvier 1984 (4). Les juges avaient considéré que pour apprécier cette notion, "il convient de prendre en compte la vocation de l'ouvrage en cause et non son régime juridique ou les modalités de son financement". Dans cette affaire, le Conseil d'Etat avait décidé que l'autoroute A86, qui a pour fonction essentielle de relier entre eux les divers centres économiques et urbains de la banlieue parisienne et de diffuser le trafic routier de la région, est une opération d'intérêt régional, et cela quelle que soit la catégorie juridique à laquelle sont rattachés les investissements qui la concernent. Il en va de même concernant l'aménagement de la liaison Cergy-Roissy, laquelle avait pour fonction essentielle de relier entre eux deux centres économiques et urbains du département du Val d'Oise (5). Une solution équivalente a été retenue concernant des travaux de construction d'un poste de transformation d'énergie électrique (6), l'allongement de la piste d'un aéroport classé dans la catégorie des aéroports intermédiaires (7), ou encore un projet d'installation par la direction générale de l'aviation civile d'une station-radar et cela "alors même qu'il constitue un élément d'un réseau destiné à couvrir l'ensemble du territoire" (8).

A notre connaissance, le Conseil d'Etat n'a eu l'occasion de considérer qu'une opération était d'intérêt national qu'à une seule reprise, à l'occasion d'un arrêt du 29 janvier 1993 (9), dans lequel il a estimé que l'autoroute A49, qui a pour fonction de relier la Suisse et l'Allemagne à la vallée du Rhône, et qui participe ainsi directement au réseau européen autoroutier, est une opération d'importance nationale. En conséquence, la déclaration d'utilité publique litigieuse avait été annulée.

La solution rendue par le Conseil d'Etat à l'occasion de l'arrêt commenté s'inscrit parfaitement dans le cadre de cette jurisprudence. Elle concerne la création, par le décret n° 2013-1123 du 4 décembre 2013, portant création de la réserve naturelle nationale du Haut-Rhône français (N° Lexbase : L6119IYB) (10), à la suite d'une enquête publique, de la réserve naturelle du Haut-Rhône français. Les juges estiment que ce classement, sur le fondement de l'article L. 332-2 du Code de l'environnement (N° Lexbase : L6460IRP), n'implique pas qu'elle doive être regardée comme un projet d'importance nationale au sens et pour l'application de l'article R. 11-4 du Code de l'expropriation. En effet, cette réserve ne concerne que treize communes et s'étend sur 26 kilomètres le long du Rhône, pour une superficie totale de 17 km², dont près de 6 km² relèvent du domaine public fluvial. La qualification d'opération d'intérêt national est donc logiquement écartée "au regard de ses caractéristiques et notamment eu égard à son objet et à la surface concernée".

  • Création de nouvelles servitudes d'utilité publique (loi n° 2015-992 du 17 août 2015, relative à la transition énergétique pour la croissance verte, art. 52 ; ordonnance n° 2015-1495 du 18 novembre 2015, relative à l'instauration de servitudes d'utilité publique pour le transport par câbles en milieu urbain)

Noyé dans un texte fourre-tout qui ne compte pas moins de 215 articles, l'article 52 de la loi n° 2015-992 du 17 août 2015, relative à la transition énergétique pour la croissance verte, prévoit l'instauration de nouvelles servitudes d'utilité publique. L'instauration de ces servitudes vise à accélérer la mise en oeuvre de différents projets d'aménagement tout en évitant le recours à la procédure d'expropriation. Cet article prévoit ainsi une nouvelle servitude en tréfonds pour les infrastructures souterraines de transport public déclarées d'utilité publique (I) et il permet d'instaurer une servitude d'utilité publique pour les transports urbains par câble (II).

I - La possibilité d'instaurer une servitude en tréfonds pour les infrastructures souterraines de transport public déclarées d'utilité publique

Les travaux parlementaires ne laissent aucun doute sur les raisons de l'apparition de ce nouveau type de servitude : le but recherché est d'accélérer la réalisation du réseau de transport public du Grand Paris et plus précisément le tunnel du futur métro. A l'horizon 2030, il s'agit en effet de créer 200 kilomètres de nouvelles lignes de métro automatique et de bâtir soixante-huit nouvelles gares (11). Certes, la loi n° 2010-597 du 2 juin 2010, relative au Grand Paris (N° Lexbase : L4020IMT) (12), dans son article 5 II, avait autorisé l'établissement public Société du Grand Paris (SGP) à recourir à la procédure d'expropriation d'extrême urgence, ce qui permet une prise de possession anticipée sans intervention préalable du juge et avant le versement d'une indemnité aux propriétaires, conformément aux dispositions actuellement codifiées à l'article L. 522-1 du Code de l'expropriation pour cause d'utilité publique (N° Lexbase : L8059I4A). Toutefois, s'agissant pour l'essentiel de réaliser des travaux en sous-sol, la technique de l'expropriation n'est pas nécessairement la plus adaptée à la situation.

L'article 52 de la loi du 17 août 2015, dont les dispositions sont codifiées aux articles L. 2113-1 (N° Lexbase : L2946KG9) et suivants du Code des transports (13), confère un nouvel instrument juridique à la SGP en créant une servitude d'utilité publique en tréfonds permettant au maître d'ouvrage d'utiliser les volumes en sous-sol, sans pour autant recourir à l'expropriation. Cette technique présente pour avantage de produire immédiatement ses effets, dès l'acte déclaratif d'utilité publique, le juge de l'expropriation n'intervenant qu'ultérieurement, à défaut d'accord amiable, en vue de fixer l'indemnité due au propriétaire du terrain de surface ou au titulaire de droits réels. Il est prévu, également, que les propriétaires et les titulaires de droits réels concernés sont tenus de s'abstenir de tout fait de nature à nuire au bon fonctionnement, à l'entretien et à la conservation de l'ouvrage.

Cette servitude s'applique à partir de quinze mètres en dessous du sol naturel, étant précisé que bien évidemment la majorité des emprises du futur tunnel sont situées sous cette limite. L'établissement de la servitude en tréfonds peut également être suivi d'un transfert de propriété. En effet, dans les cas où le propriétaire ou le titulaire de droits réels concerné estime que son bien n'est plus utilisable dans les conditions normales, il peut demander, dans les dix ans suivant l'établissement de la servitude, l'acquisition de tout ou partie de sa propriété ou de ses droits par le bénéficiaire de la servitude en tréfonds. En cas de refus du bénéficiaire ou de désaccord sur le prix d'acquisition, c'est le juge de l'expropriation qui fixera le prix d'acquisition, en tout cas s'il admet le bien-fondé de la demande.

II - La possibilité d'instaurer une servitude d'utilité publique pour le transport par câble en milieu urbain

Pour l'essentiel, l'article 52 de la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 traite de la question de l'autopartage. C'est d'ailleurs sur cette question que s'est concentré l'ensemble des débats parlementaires concernant cet article. La possibilité, également visée par cet article, d'instaurer une servitude d'utilité publique pour le transport par câble en milieu urbain, relève également de la recherche d'alternatives aux transports polluants. Toutefois, sur cette question, la loi s'est bornée à habiliter le Gouvernement à prendre par ordonnance toute mesure relevant du domaine de la loi afin d'instaurer cette servitude, ce qui a conduit à l'adoption de l'ordonnance n° 2015-1495 du 18 novembre 2015, introduisant dans le Code des transports les nouveaux articles L. 1251-3 (N° Lexbase : L2820KRU) à L. 1251-8 (14).

Jusqu'alors, la législation en vigueur n'envisageait la question du transport par câble qu'en zone de montagne, à des fins de loisirs. En effet, une loi du 8 juillet 1941 avait établi une servitude de survol au profit des téléphériques. Or ce texte était inapplicable hors zone de montagne, dans la mesure où il n'apparaissait pas adapté aux objectifs de sécurité et aux enjeux de ce type de transport public, notamment quant à la problématique du survol des propriétés privées. Le nouveau dispositif défini par l'ordonnance du 18 novembre 2015 doit permettre de lever les obstacles juridiques aux nombreux projets en cours de transport par câble en milieu urbain, à Brest, Toulouse, Créteil, Grenoble, et Orléans.

Désormais, la déclaration de projet ou la déclaration d'utilité publique d'une infrastructure de transport par câbles en milieu urbain confère aux autorités organisatrices de transports le droit à l'établissement par l'autorité administrative compétente de l'Etat de servitudes d'utilité publique de libre survol, de passage et d'implantation de dispositifs de faible ampleur indispensables à la sécurité du système de transport par câbles, sur des propriétés privées. Dans ce cas, le point le plus bas du survol ne peut être situé à moins de dix mètres des propriétés survolées. Le propriétaire et le titulaire de droits réels concernés ont droit à une indemnité couvrant l'intégralité du préjudice direct, matériel et certain en résultant. Comme pour ce qui concerne la servitude en tréfonds, à défaut d'accord amiable, c'est le juge de l'expropriation qui fixe l'indemnité. De même, s'il considère que son bien n'est plus utilisable dans des conditions normales, le propriétaire ou le titulaire de bien réels dispose également d'un délai de dix ans pour demander l'acquisition de tout ou partie de sa propriété, par le bénéficiaire de la servitude.

  • Théorie du bilan et prise en compte du coût de l'opération déclarée d'utilité publique (CE 6° s-s., 9 octobre 2015, n° 370482, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A1172NTL)

A l'occasion d'un arrêt du 9 octobre 2015, le Conseil d'Etat est appelé à statuer sur la légalité d'une déclaration d'utilité publique, relative à des travaux et acquisitions foncières nécessaires à la réalisation au profit d'une commune d'un projet de pôle sportif et de loisir. Le Conseil d'Etat rappelle ici la méthodologie du contrôle juridictionnel de la légalité interne des déclarations d'utilité publique, telle qu'elle avait été précisée dans un arrêt du 19 octobre 2012 (15).

Dans ce cadre, le juge contrôle successivement trois points. Il vérifie, tout d'abord, que l'opération projetée répond à une finalité d'intérêt général. C'est le cas en l'espèce, l'opération projetée, qui consiste en l'extension d'aires sportives et de loisirs faisant déjà l'objet d'une fréquentation importante, répondant en effet "à des besoins en équipements publics de la commune, en expansion démographique, et des communes environnantes". Le juge peut être également appelé à vérifier que l'expropriant n'était pas en mesure de réaliser l'opération dans des conditions équivalentes sans recourir à l'expropriation. Ce moyen n'a toutefois pas été soulevé par le requérant. Enfin, et surtout, en application de la théorie du bilan, le juge contrôle "que les atteintes à la propriété privée, le coût financier et, le cas échéant, les inconvénients d'ordre social ou économique que comporte l'opération ne sont pas excessifs eu égard à l'intérêt qu'elle présente".

L'arrêt commenté apporte des précisions sur les modalités d'appréciation du caractère excessif du coût de l'opération. Plus précisément, il s'agit donc, d'une part, de préciser quels éléments doivent être pris en compte pour apprécier le coût de l'opération, et ensuite déterminer si ce coût est excessif.

Sur le premier point, les juges précisent qu'il n'y a pas lieu d'inclure, pour apprécier le coût de l'opération projetée, des réalisations qui ne sont envisagées qu'à long terme. En conséquence, il n'y avait pas lieu d'inclure dans cette estimation le coût de la construction d'une salle multifonctions, qui demeurait incertaine, du fait même qu'elle n'était envisagée qu'à long terme. Cette solution est cohérente avec la jurisprudence consacrée à l'ancien article R. 11-2 du Code de l'expropriation (N° Lexbase : L3010HL3) (16), et plus précisément aux éléments qui doivent être inclus dans l'appréciation sommaire des dépenses figurant dans le dossier de l'enquête préalable à la déclaration d'utilité publique. Il résulte en effet de cette jurisprudence que seules les acquisitions foncières menées en vue de la réalisation de l'opération déclarée d'utilité publique doivent être comptabilisées (17).

S'agissant du caractère excessif du coût de l'opération, celui-ci doit également être apprécié au regard de l'appréciation sommaire des dépenses. Ce montant doit ensuite être pris en considération "au regard de la population et de la situation financière de la commune". De ce point de vue, "la seule circonstance que le plan de financement présenté n'était pas définitivement établi à ce stade de la procédure d'utilité publique, s'agissant des contributions des collectivités publiques au financement du projet, n'était pas à elle seule de nature à établir, en l'espèce, que le coût de l'opération serait d'un montant excessif pour la commune". Cette solution est également conforme à la jurisprudence du Conseil d'Etat concernant l'article R. 11-2. A ce titre, on peut notamment souligner que le montant de la participation des diverses collectivités appelées à en assurer le financement, les données relatives à la rentabilité économique et financière du projet, n'ont pas à figurer au dossier de l'enquête publique (18), pas plus que le mode de financement des travaux ou les capacités financières de la commune (19).


(1) Ces dispositions sont désormais codifiées à l'article R. 112-14 du Code de l'expropriation (N° Lexbase : L2055I7A) depuis l'entrée en vigueur, au 1er janvier 2015, du décret n° 2014-1635 du 26 décembre 2014, relatif à la partie réglementaire du Code de l'expropriation pour cause d'utilité publique (N° Lexbase : L1511I74).
(2) CE, Ass., 23 décembres 2011, n° 335033 (N° Lexbase : A9048H8M), Rec. p. 649, AJDA, 2012, p. 195, chron. X. Domino et A. Bretonneau, Dr. adm., 2012, comm. 22, note F. Melleray, JCP éd. A, 2012, comm. 2089, note C. Broyelle, JCP éd. G, 2012, comm. 558, note D. Connil, RFDA, 2012, p. 284, concl. G. Dumortier et note P. Cassia.
(3) CE 1° et 6° s-s-r., 3 juin 2013, n° 345174 (N° Lexbase : A3359KGI), Rec. tables, p. 640, AJDA, 2013, p. 515, note N. Ach, BJCL, 2013, p. 796, concl. M. Vialettes, Dr. adm., 2013, 50, nos obs., RD imm., 2013, p. 423, obs. R. Hostiou.
(4) CE 10° et 2° s-s-r., 10 janvier 1984, n° 35508 (N° Lexbase : A6793AL8), Rec. p. 6, D., 1984, p. 605, note P. Bon.
(5) CE 2° et 6° s-s-r., 9 décembre 1996, n° 149636 (N° Lexbase : A2206APE).
(6) CE 5° et 3° s-s-r., 14 octobre 1988, n°s89079, 89452, 90035 (N° Lexbase : A8305APB), Rec. tables, p. 831, D., 1990, somm. p. 17, obs. P. Bon, CJEG, 1989, p. 189, concl. B. Stirn.
(7) CE 2° et 6° s-s-r., 12 mars 1999, n° 138307 (N° Lexbase : A4289AX7).
(8) CE 5° et 7° s-s-r., 6 mars 2000, n° 182780 (N° Lexbase : A4160B79), RD imm., 2000, p. 321, chron. J. Morel et F. Donnat.
(9) CE 7° et 10° s-s-r., 29 janvier 1993, n° 131708 (N° Lexbase : A8097AMT), Rec. p. 372.
(10) JO, 8 décembre 2013.
(11) Dossier de presse, Le nouveau grand Paris, 6 mars 2013.
(12) JO, 5 juin 2010.
(13) Ces dispositions ont été précisées par le décret n° 2015-1572 du 2 décembre 2015, relatif à l'établissement d'une servitude d'utilité publique en tréfonds (N° Lexbase : L3290KTZ), JO, 4 décembre 2015).
(14) JO, 20 novembre 2015. Ce texte a ensuite été complété par le décret n° 2015-1581 du 3 décembre 2015, relatif à l'instauration de servitudes d'utilité publique pour le transport par câbles en milieu urbain (N° Lexbase : L5844KTM), JO, 5 décembre 2015.
(15) CE 6° et 1° s-s-r., 19 octobre 2012, n° 343070 (N° Lexbase : A7055IUT), Constr.-urb., 2012, comm. 174, note L. Santoni, Dr. rur., 2013, comm. 65, note P. Tifine.
(16) Dispositions désormais codifiées à l'article R. 112-4 du Code de l'expropriation pour cause d'utilité publique(N° Lexbase : L2045I7U).
(17) CE 6° et 1° s-s-r., 19 octobre 2012, n° 343070 (N° Lexbase : A7055IUT), Constr.-Urb., 2002, comm. 174, note L. Santoni, JCP éd. A, 2012, act. 718, obs. C.-A. Dubreuil.
(18) CE 5° et 4° s-s-r., 13 juin 2005, n° 261751 (N° Lexbase : A7336DIK).
(19) CAA Bordeaux, 5ème ch., 21 mars 2011, n° 10BX00286 (N° Lexbase : A4427M3D).

newsid:450899

Fiscalité étrangère

[Brèves] Belgique : illégalité des avantages fiscaux sélectifs octroyés pour le régime d'exonération des bénéfices excédentaires

Réf. : Communiqué de presse du 11 janvier 2016

Lecture: 1 min

N0927BWA

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Le 26 Janvier 2016

La Commission européenne a conclu, le 11 janvier 2016, que les avantages fiscaux sélectifs octroyés par la Belgique au titre de son régime d'exonération des bénéfices excédentaires sont illégaux au regard des règles de l'UE en matière d'aides d'Etat. En effet, au moins 35 multinationales, principalement basées dans l'UE, ont bénéficié de ce régime et doivent maintenant rembourser les impôts impayés à la Belgique. Le régime belge d'exonération des bénéfices excédentaires, applicable depuis 2005, a permis à certaines sociétés faisant partie de groupes multinationaux de payer nettement moins d'impôts en Belgique sur la base de décisions fiscales anticipées. La base imposable des sociétés concernées a été réduite de 50 à 90 % afin d'en déduire les bénéfices dits "excédentaires" résultant prétendument de l'appartenance à un groupe multinational. L'enquête approfondie de la Commission ouverte en février 2015 a montré que le régime dérogeait à la pratique ordinaire prévue par les règles belges d'imposition des sociétés et au principe dit "de pleine concurrence", ce qui est illégal au regard des règles de l'UE en matière d'aides d'Etat. Ce régime n'a bénéficié qu'à certains groupes multinationaux ayant obtenu une décision fiscale anticipée sur la base de ce régime, tandis que les sociétés autonomes (c'est-à-dire celles qui ne font pas partie d'un groupe) présentes uniquement en Belgique n'ont pas pu bénéficier d'avantages similaires. Le régime constitue une distorsion très grave de la concurrence au sein du marché unique de l'UE qui touche un large éventail de secteurs économiques. Les sociétés multinationales bénéficiant du régime sont principalement des sociétés européennes qui ont également éludé la majorité des impôts dus au titre du régime, que la Belgique doit maintenant récupérer auprès d'elles. La Commission estime le montant total à récupérer à 700 millions d'euros environ.

newsid:450927

Fiscalité des entreprises

[Brèves] Question préjudicielle sur l'agrément prévu en cas d'apports effectués au profit d'une société étrangère

Réf. : CE 9° et 10° s-s-r., 30 décembre 2015, n° 369311, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A1869N3M)

Lecture: 2 min

N0919BWX

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Le 22 Janvier 2016

Le Conseil d'Etat, dans un arrêt rendu le 30 décembre 2015, a décidé de saisir la CJUE d'une question relative à la conformité au droit de l'Union de l'agrément ministériel prévu par le 2 de l'article 210 C du CGI (N° Lexbase : L3945HLP) en cas d'apports effectués au profit d'une société étrangère, permettant de bénéficier d'un régime d'exonération (CGI, art. 210 A N° Lexbase : L9521ITS) (CE 9° et 10° s-s-r., 30 décembre 2015, n° 369311, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A1869N3M). En l'espèce, une SCI a opté, dans la déclaration de résultats qu'elle a souscrite, pour le régime spécial des fusions prévu aux articles 210 A et suivants du CGI. Elle n'a, en conséquence, pas soumis à l'impôt sur les sociétés les plus-values nettes et les profits dégagés sur les actifs dont elle avait fait apport à la société requérante. L'administration fiscale a alors remis en cause le bénéfice du régime spécial des fusions aux motifs, d'une part, que la SCI n'avait pas sollicité l'agrément ministériel prévu par le 2 de l'article 210 C du CGI et, d'autre part, que cet agrément ne lui aurait, en toute hypothèse, pas été accordé dès lors que sa dissolution n'était pas justifiée par une raison économique mais poursuivait un but de fraude ou d'évasion fiscale. La société requérante soutient alors que l'article 210 C est incompatible avec le droit de l'Union car en soumettant à une procédure d'agrément préalable les seuls apports faits à des personnes morales étrangères à l'exclusion des apports faits à des personnes morales françaises, le 2 de cet article institue une restriction injustifiée au principe de la liberté d'établissement. Dès lors, le Conseil d'Etat a jugé bon de transmettre à la CJUE la question de savoir si le droit de l'UE doit être interprété comme faisant obstacle à ce qu'une législation nationale, dans un but de lutte contre la fraude ou l'évasion fiscales, subordonne le bénéfice du régime fiscal commun applicable aux fusions et opérations assimilées à une procédure d'agrément préalable en ce qui concerne les seuls apports faits à des personnes morales étrangères, à l'exclusion des apports faits à des personnes morales de droit national .

newsid:450919

[Panorama] Panorama de droit des sûretés (juin 2015 - décembre 2015)

Lecture: 13 min

N0906BWH

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par Gaël Piette, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux, Directeur scientifique des Encyclopédies "Droit des sûretés" et "Droit des contrats spéciaux"

Le 21 Janvier 2016

Lexbase Hebdo - édition affaires vous propose de retrouver, cette semaine le panorama de droit des sûretés de Gaël Piette, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux, Directeur scientifique des Ouvrages "Droit des sûretés" et "Droit des contrats spéciaux", traitant de l'actualité du second semestre 2015 (juin à décembre). L'objectif de ce panorama est de fournir aux lecteurs quelques observations sur des décisions ou des dispositions législatives qui n'ont pu faire l'objet de commentaires dans les colonnes de Lexbase Hebdo - édion affaires. I - Sûretés personnelles

Comme souvent, c'est le cautionnement qui a suscité le plus de décisions.

Commercialité du cautionnement. Il est connu que la jurisprudence admet de longue date (1) un critère de commercialité propre au cautionnement : celui de l'intérêt personnel de la caution. Le cautionnement est commercial si la caution a personnellement un intérêt patrimonial à la réalisation de l'opération principale. Concrètement, cette solution permet de rendre commercial le cautionnement de sa société par un dirigeant. La cour d'appel d'Aix-en-Provence a précisé les contours de cette jurisprudence en matière d'EURL (CA Aix-en-Provence, 11 juin 2015, n° 14/05135 N° Lexbase : A6184NKA). Elle a en effet considéré que demeurait civil le cautionnement fourni par un époux en garantie des dettes contractées par la société unipersonnelle de son épouse, aux motifs que l'époux n'avait pas d'intérêt direct dans l'entreprise cautionnée, ni de participation à son fonctionnement. La cour prend soin de relever que, certes, le mari caution avait intérêt à ce que la société de son épouse fonctionne correctement. Compte tenu de la communauté de vie entre les époux, tout incident sur le patrimoine de l'un affectait le patrimoine de l'autre. Mais, précise à juste titre la cour, l'intérêt du mari au bon fonctionnement de la société de son épouse "n'est nullement direct, mais bien indirect, puisqu'il ne se réalise qu'au travers du régime matrimonial du couple". La solution paraît cohérente, même si d'autres cours d'appel ont pu parfois estimer que le simple fait que l'entreprise du conjoint soit source de revenus pour le ménage suffisait à établir l'intérêt direct de la caution (2).

Mentions manuscrites. Une précision importante apportée par la jurisprudence concerne l'indication de la durée du cautionnement dans la mention manuscrite imposée par l'article L. 341-2 du Code de la consommation (N° Lexbase : L5668DLI) : il est exigé que la mention manuscrite contienne elle-même la durée de l'engagement, sans qu'il soit besoin de se référer au contrat principal (Cass. civ. 1, 9 juillet 2015, n° 14-24.287, F-P+B N° Lexbase : A7503NMT, rejet du pourvoi formé contre CA Montpellier, 25 mars 2014, n° 13/00251 N° Lexbase : A8193MHW), et que cette durée soit précise et déterminée (CA Paris, Pôle 5, 1ère ch., 3 juillet 2015, n° 15/07127 N° Lexbase : A4668NMT). Pour un commentaire approfondi, nous renvoyons le lecteur aux observations de Vincent Téchené sur ces deux arrêts (3).

La Cour de cassation a également apporté une réponse à une question qui, sans se rencontrer fréquemment, devait évidemment, tôt ou tard, se poser. Il s'agit de la caution qui, ne sachant pas écrire, ou privée de l'usage de ses mains, ne peut apposer sur le contrat de cautionnement les mentions manuscrites exigées par les articles L. 341-2 et L. 341-3 (N° Lexbase : L6326HI7) du Code de la consommation. Puisque la mention doit être écrite de la main même de la caution (4), quelle solution adopter dans l'hypothèse d'une caution qui ne sait pas écrire ou qui ne peut pas écrire ? Peut-on imaginer la présence de témoins, comme en droit OHADA (5), ou encore d'une personne qui écrit à la place de la caution, comme cela se passe à l'Université pour les étudiants qui ont eu la bonne idée de se fracturer la main la veille d'un examen ? La Cour de cassation a choisi la voie la plus formaliste: la caution illettrée, qui ne peut respecter le formalisme imposé par les articles L. 341-2 et L. 341-3, ne peut s'engager que par acte authentique (Cass. civ. 1, 9 juillet 2015, n° 14-21.763, F-P+B N° Lexbase : A7831NMY, rejet du pourvoi formé contre CA Aix-en-Provence, 22 mai 2014, n° 11/06916 N° Lexbase : A3474MMM). Cette solution appelle deux observations. D'une part, le défaut de mentions manuscrites étant sanctionné par une nullité relative (6), elle est susceptible de confirmation. Le cautionnement non authentique pourrait donc être confirmé par l'exécution de son engagement, en connaissance de cause, par la caution illettrée (ou manchote). D'autre part, la Cour néglige l'acte sous seing privé contresigné par un avocat. Tout comme l'acte notarié, cet acte échappe à l'exigence de la mention manuscrite (loi du 31 décembre 1971, art. 66-3-3 N° Lexbase : L6343AGZ). L'acte authentique n'est donc pas la seule solution pour pallier l'illettrisme (ou le handicap) de la caution.

Proportionnalité. La proportionnalité du cautionnement est une notion qui continue à devoir faire l'objet de précisions de la part de la jurisprudence.

D'abord, la Cour de cassation a eu l'occasion de préciser que l'appréciation de la disproportion entre le montant du cautionnement et les biens et revenus de la caution devait prendre en compte l'endettement global de la caution au moment de la conclusion de la sûreté, mais sans tenir compte d'éventuels engagements postérieurs (Cass. com., 22 septembre 2015, n° 14-17.100, F-D N° Lexbase : A8428NPT, cassation de CA Paris, Pôle 5, 5ème ch., 13 mars 2014, n° 11/21554 N° Lexbase : A7259MGX ; Cass. com., 3 novembre 2015, n° 14-26.051, F-P+B N° Lexbase : A0254NWC, cassation de CA Paris, Pôle 5, 5ème ch., 13 mars 2014, n° 12/01185 N° Lexbase : A7038MGR). Certes, il aurait pu sembler logique, si l'engagement postérieur est très prévisible, de le prendre en considération, puisqu'il va peser sur le passif de la caution. Mais cela serait une solution sévère pour le créancier, qui ne peut guère anticiper le passif à venir de son garant.

Ensuite, le lecteur se souvient que la Cour a considéré, après avoir jugé le contraire, que les revenus attendus ou le succès escompté de l'opération principale ne devaient pas être pris en considération dans l'appréciation de la disproportion (7). Deux arrêts de septembre 2015 ont confirmé cette solution (Cass. com., 22 septembre 2015, n° 14-22.913, FP-P+B N° Lexbase : A8340NPL, cassation de CA Limoges, 6 mai 2014, n° 13/00435 N° Lexbase : A7527MKY ; Cass. com., 29 septembre 2015, n° 14-21.693, F-D N° Lexbase : A5498NSG, cassation de CA Lyon, 31 octobre 2013, n° 12/04595 N° Lexbase : A7274KNQ). Pour autant, elle n'emporte pas l'adhésion : que l'établissement de crédit prenne des risques au regard du succès espéré de l'opération financée semble souhaitable pour le développement de l'économie. Il est alors délicat de le leur reprocher sur le terrain de la proportionnalité du cautionnement.

Plus rare est l'hypothèse sur laquelle avait à statuer la Chambre commerciale et qui a donné lieu à un arrêt du 29 septembre 2015 (Cass. com., 29 septembre 2015, n° 13-24.568, FS-P+B N° Lexbase : A5564NSU, cassation de CA Paris, Pôle 5, 1ère ch., 14 juin 2013, n° 11/13799 N° Lexbase : A0444KKN). La Cour a décidé que l'appréciation de la disproportion devait s'opérer au regard de l'endettement de la caution au jour où elle s'engage, en tenant compte des cautionnements antérieurement souscrits par elle, quand bien même ceux-ci auraient été déclarés disproportionnés. De prime abord, la solution peut sembler étonnante : le créancier ne pouvant se prévaloir, aux termes de l'article L. 341-4 du Code de la consommation (N° Lexbase : L8753A7C), du cautionnement disproportionné, la caution n'en est pas tenue. Ce cautionnement ne devrait donc pas être pris en compte dans l'appréciation d'un autre cautionnement. Néanmoins, ce serait oublier rapidement que le cautionnement disproportionné n'est pas nul ; il ne disparaît pas. Si les revenus de la caution augmentent, ou si ses charges diminuent, le créancier peut retrouver le droit de l'appeler en paiement. Il n'est, par conséquent, pas saugrenu de maintenir ce cautionnement dans le calcul de la disproportion pour un autre cautionnement.

La Cour a également eu à se prononcer sur une hypothèse qu'elle n'avait jamais rencontrée, à notre connaissance : celle de l'appréciation de la disproportion d'un cautionnement souscrit par une caution mariée sous le régime de la séparation de biens (Cass. civ. 1, 25 novembre 2015, n° 14-24.800, F-D N° Lexbase : A0737NYX ; cassation de CA Montpellier, 2 juillet 2014, n° 12/09627 N° Lexbase : A5192MS4). Dans un régime de communauté, elle a logiquement considéré que si le conjoint avait consenti au cautionnement (afin de déjouer l'article 1415 du Code civil N° Lexbase : L1546ABU), la disproportion devait s'apprécier en prenant en compte les biens propres et revenus de la caution, mais aussi les biens communs (8). Dans un régime de séparation de biens, la Cour a décidé, tout aussi logiquement, que la proportionnalité du cautionnement de l'un des époux devait s'apprécier au regard de ses seuls biens personnels et revenus. Qu'il y ait une communauté de vie entre les époux et que la caution "profite" des biens personnels de son conjoint n'y change rien.

Enfin, la cour d'appel de Lyon a rendu une intéressante décision concernant la disproportion de l'engagement de la sous-caution (CA Lyon, 15 octobre 2015, n° 14/03568 N° Lexbase : A3666NTX). Plus tôt en 2015, les cours d'appel de Nancy (9) et de Paris (10) avaient estimé que la sous-caution pouvait se prévaloir de la disproportion de son cautionnement (C. consom., art. L. 341-4) envers la caution. Cette dernière étant dans ces espèces un professionnel (un brasseur), l'article L. 341-4 avait vocation à s'appliquer aux relations entre la caution et la sous-caution. La cour d'appel de Lyon a jugé exactement le contraire, dans une espèce dont les faits sont fort proches. Elle estime que "la qualité de créancier professionnel doit s'entendre comme celui dont la créance est née dans l'exercice de sa profession ou se trouve en rapport direct avec son activité professionnelle [...]". Or, la caution n'était intervenue au contrat de prêt que comme caution, et non comme établissement financier dispensateur de crédit. La cour ajoute que la caution n'avait pas la qualité de créancier au moment de l'acte de cautionnement litigieux, cette qualité ne pouvant lui être attribuée qu'à compter de son paiement à la banque. La sous-caution ne pouvait donc invoquer l'article L. 341-4. Cette distorsion de solutions entre cours d'appel intéressera certainement la Cour de cassation au plus haut point. La position des cours de Nancy et Paris semble la plus judicieuse : la caution s'était engagée dans le cadre de son activité professionnelle et elle avait vocation à devenir créancière du débiteur dans le cadre de son recours après paiement (celui que garantit la sous-caution). Il était donc justifié de lui reconnaître la qualité de créancier professionnel et d'appliquer l'article L. 341-4.

Information annuelle. L'obligation d'information annuelle de la caution qui pèse sur l'établissement de crédit (C. mon. fin., art. L. 313-22 N° Lexbase : L2501IXW ; C. consom., art. L. 341-6 N° Lexbase : L5673DLP) a pu soulever quelques difficultés quant au régime de sa preuve. C'est ainsi que la Cour a dû préciser, par exemple, que l'établissement de crédit, s'il doit justifier de l'envoi des lettres d'information annuelle (11), n'a pas à prouver leur réception effective par la caution (12). Dans un arrêt récent (Cass. com., 15 décembre 2015, n° 14-10.675, F-P+B N° Lexbase : A8588NZ4, cassation de CA Nîmes, 14 novembre 2013, n° 12/02584 N° Lexbase : A4097KPG), la Chambre commerciale de la Cour de cassation a retenu que la banque ne pouvait rapporter la preuve de l'exécution de son obligation d'information en se contentant d'établir qu'elle a facturé des frais d'information à la caution et que celle-ci a procédé à leur règlement. Certes, l'information de la caution étant un fait, elle peut être prouvée par tous moyens. Mais la facturation de frais, furent-ils effectivement acquittés par la caution, ne prouve pas grand-chose.

Opposabilité des exceptions. Dans une décision du 13 octobre 2015 (Cass. com., 13 octobre 2015, n° 14-19.734, FS-P+B+I N° Lexbase : A1935NTT, cassation de (CA Aix-en-Provence, 23 janvier 2014, n° 11/09051 N° Lexbase : A7767MCN), la Cour de cassation a estimé que "la fin de non-recevoir tirée du défaut de mise en oeuvre d'une clause contractuelle qui institue une procédure de conciliation, obligatoire et préalable à la saisine du juge, [...] ne constitue pas une exception inhérente à la dette que la caution peut opposer" au créancier. Cette solution se fonde sur l'idée qu'une telle clause "ne concerne que les modalités d'exercice de l'action du créancier contre le débiteur principal et non la dette de remboursement elle-même dont la caution est également tenue". Cette décision s'inscrit dans la jurisprudence de la Cour depuis 2007, puisque la catégorie des exceptions inhérentes à la dette, et donc opposables par la caution au créancier en vertu de l'article 2313 du Code civil (N° Lexbase : L1372HIN), s'est réduite comme peau de chagrin au bénéfice des exceptions personnelles au débiteur principal, inopposables par la caution (13). Néanmoins, à la différence des décisions antérieures, la caution n'invoquait pas la nullité du contrat principal, l'inopposabilité des droits du créancier, ou encore la responsabilité de ce dernier. Elle entendait se prévaloir d'une clause (de conciliation) stipulée dans le contrat principal. Le rejet des prétentions de la caution aurait donc pu parfaitement intervenir sur le fondement du principe de l'effet relatif des conventions (C. civ., art. 1165 N° Lexbase : L1267ABK). Le cautionnement est certes un contrat accessoire. Il n'en demeure pas moins un contrat distinct du contrat principal.

II - Sûretés réelles

A - Jurisprudence

Sûreté réelle pour autrui. Au titre des sûretés réelles, et avant d'envisager la loi dite "Macron", il convient de signaler l'arrêt rendu par la première chambre civile le 25 novembre 2015 (Cass. civ. 1, 25 novembre 2015, n° 14-21.332, F-P+B N° Lexbase : A0851NY8, rejet du pourvoi formé contre CA Grenoble, 14 avril 2014, n° 12/00159 N° Lexbase : A3222MKK). La Cour continue à tirer les conséquences de sa jurisprudence initiée par un arrêt rendu en Chambre mixte le 2 décembre 2005 (14), en estimant que le tiers constituant d'une sûreté réelle pour autrui ne peut invoquer ni le bénéfice de discussion, ni le bénéfice de division. La solution est logique : à partir du moment où la Cour de cassation estime, à juste titre selon nous, que la sûreté réelle consentie pour garantir la dette d'un tiers, n'est pas un cautionnement, car elle n'implique aucun engagement personnel à satisfaire à l'obligation d'autrui, le régime juridique du cautionnement doit être exclu. Une hypothèque pour autrui n'est soumise qu'au droit de l'hypothèque, et non au droit du cautionnement. Ainsi, l'article 1415 du Code civil (15), les obligations d'information de la caution (16), l'exigence de proportionnalité du cautionnement (17) ou, comme dans l'arrêt du 25 novembre, les bénéfices de discussion et de division n'ont pas leur place dans les sûretés réelles pour autrui (18).

Gage des stocks. Il paraît également nécessaire, même si elle a déjà fait l'objet d'un commentaire dans ces colonnes (19), de rappeler brièvement l'importante décision rendue par l'Assemblée plénière au sujet du gage des stocks (Ass. plén., 7 décembre 2015, n° 14-18435, P+B+R+I N° Lexbase : A7203NYG). La Cour confirme la jurisprudence de sa Chambre commerciale (20) : dans le cadre d'une opération de crédit, les parties, dont l'une est un établissement de crédit, ne peuvent soumettre leur contrat au droit commun du gage de meubles sans dépossession. Ainsi, les parties ne disposent pas de la possibilité de choisir entre les deux sûretés et doivent recourir au gage des stocks.

B - La loi "Macron"

Enfin, la loi n° 2015-990 du 6 août 2015, pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques contient trois dispositions intéressant le droit des sûretés (N° Lexbase : L4876KEC).

Nantissement du fonds de commerce. L'article 107, I, 13° de cette loi allonge le délai dans lequel l'inscription du nantissement d'un fonds de commerce doit être prise. Auparavant fixé à 15 jours, ce délai est doublé, passant à 30 jours, à compter de la date de l'acte constitutif (C. com., art. L. 142-4). Cet allongement mérite d'être approuvé: le délai de 15 jours était particulièrement court, surtout au regard de l'importance de l'inscription. Rappelons en effet que cette dernière n'est pas qu'une condition d'opposabilité de la sûreté, mais également une condition de validité, dont le défaut provoque la nullité du nantissement.

Insaisissabilité de la résidence principale. L'article 206 de la loi "Macron" modifie les conditions de l'insaisissabilité de la résidence principale de l'entrepreneur individuel (21). Auparavant, l'intéressé devait procéder à une déclaration notariée d'insaisissabilité. Désormais, cette insaisissabilité est de droit pour la résidence principale. La nécessité d'une déclaration notariée est maintenue pour rendre insaisissables les autres biens fonciers, bâtis ou non, et non affectés à l'usage professionnel, de l'entrepreneur (C. com., art. L. 526-1). Que cette insaisissabilité soit de droit ne change rien à son régime : elle demeure limitée aux créanciers professionnels (ce qui est logique), elle est inopposable à l'administration fiscale en cas de fraude (ce qui est également logique) et l'entrepreneur peut y renoncer au profit d'un ou plusieurs de ses créanciers, ce qui devrait laisser perdurer la pratique des sûretés négatives, par laquelle un établissement de crédit, échappant à l'insaisissabilité, devient le seul créancier de l'activité professionnelle en droit d'exécuter sur la résidence principale.

Gage des stocks. L'article 240 de la loi "Macron" habilite le Gouvernement à légiférer par ordonnance pour rapprocher le régime du gage des stocks (C. com., art. L. 527-1 [LXB=L2852IXW)] et s.) du régime de droit commun du gage de meubles corporels (C. civ., art. 2333 N° Lexbase : L1160HIS et s.), et pour modifier le régime applicable au gage de meubles corporels et au gage des stocks dans le cadre des procédures collectives, afin de favoriser la poursuite de l'activité de l'entreprise, le maintien de l'emploi et l'apurement du passif. L'ordonnance doit être publiée dans les six mois de la promulgation de la loi, soit avant le 6 février 2016. Le rapprochement des régimes des deux sûretés semble aller à l'encontre de la jurisprudence de la Cour de cassation (cf. supra). La loi précise que ce rapprochement doit avoir pour objet de clarifier le gage des stocks et rendre possible le pacte commissoire et le gage avec ou sans dépossession. Outre la difficulté à organiser une dépossession des stocks, il convient de se demander si le gage des stocks aura encore un intérêt, quoiqu'en pense la Cour de cassation, lorsque la principale différence avec le droit commun, à savoir la prohibition du pacte commissoire, sera supprimée. Davantage qu'à un rapprochement entre les deux sûretés, c'est surtout à l'abrogation des articles L. 527-1 et suivants du Code de commerce que devrait procéder le législateur.


(1) Cass. req., 31 janvier 1872, DP, 1872, 1, p. 252.
(2) Cf. not., CA Montpellier, 28 avril 2009, n° 08/00667 (N° Lexbase : A9599N3W).
(3) V. Téchené, Mention manuscrite: durée de l'engagement de la caution, Lexbase Hebdo n° 438 du 1er octobre 2015 - édition affaires (N° Lexbase : N9157BUP).
(4) Cass. com., 13 mars 2012, n° 10-27.814, F-D (N° Lexbase : A8837IEZ), RDBF, mai 2012, p. 56, obs. A. Cerles : cautionnement annulé car la mention manuscrite avait été rédigée par un préposé (secrétaire) de la caution.
(5) La caution illettrée doit se faire assister de deux témoins qui attesteront notamment que "la nature et les effets de l'acte lui ont été précisés" (Acte Uniforme portant organisation des Sûretés de 2010, art. 14 al. 3). La présence des témoins dispense de la rédaction des mentions manuscrites.
(6) Cass. com., 5 février 2013, n° 12-11.720, FS-P+B (N° Lexbase : A6448I7X), JCP éd. G 2013, 440, note Ph. Simler ; RDBF, 2013, comm. 51, obs. D. Legeais ; Gaz. Pal., 21 mars 2013, p.15, obs. M.-P. Dumont-Lefrand ; V. Téchené, Cautionnement consenti par une personne physique au profit d'un créancier professionnel : le caractère relatif de la nullité sanctionnant la violation du formalisme prescrit ad validitatem, Lexbase Hebdo n° 328 du 21 février 2013 - édition affaires (N° Lexbase : N5939BT7).
(7) Cass. com., 27 janvier 2015, n° 13-25.202, F-D (N° Lexbase : A7089NAS).
(8) Cass. com., 5 février 2013, n° 11-18.644, F-P+B (N° Lexbase : A6300I7H).
(9) CA Nancy, 26 février 2015, n° 13/03266 (N° Lexbase : A2715NCK).
(10) CA Paris, Pôle 5, 6ème ch., 21 mai 2015, n° 12/03599 (N° Lexbase : A3551NID).
(11) Cass. com., 12 novembre 2008, n° 07-17.634, F-D (N° Lexbase : A2323EBN).
(12) Cass. com., 17 octobre 2000, n° 97-18.746 (N° Lexbase : A7655AHY), D., 2001, somm. p. 698, obs. L. Aynès ; Cass. com., 2 juillet 2013, n° 12-18.413, FS-P+B (N° Lexbase : A5540KIZ).
(13) Cass. mixte, 8 juin 2007, n° 03-15.602, P+B+R+I (N° Lexbase : A5464DWB), D., 2007, p. 2201, note D. Houtcieff, D., 2008, p. 514, note L. Andreu, D., 2008, p. 2104, obs. P. Crocq, JCP éd. G, 2007, II, 10138, note Ph. Simler, Dr. & Patr., janv. 2008, p. 85, obs. L. Aynès et Ph. Dupichot, G. Mégret, Retour sur la notion "d'exception purement personnelle" en droit du cautionnement, Lexbase Hebdo n° 267 du 5 juillet 2007 - edition privée (N° Lexbase : N7597BBY) ; Cass. com., 22 septembre 2009, n° 08-10.389, F-D (N° Lexbase : A3399ELH) ; Cass. com., 12 juillet 2011, n° 09-71.113, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A0184HWQ), JCP éd. G, 2011, p. 1259, n° 7, obs. Ph. Simler ; CA Douai, 13 novembre 2008, n° 07/02411 (N° Lexbase : A7729HHQ) ; CA Paris, 15ème ch., sect. B, 12 février 2009, n° 07/12109 (N° Lexbase : A4702EDI) ; CA Douai, 18 novembre 2010, n° 09/05422 (N° Lexbase : A8638GK7), RDBF, 2011, comm. 52, obs. D. Legeais.
(14) Cass. mixte, 2 décembre 2005, n° 03-18210, P (N° Lexbase : A9389DLC), JCP éd. G, 2005, II, 10183, note Ph. Simler.
(15) Ibid..
(16) Cass. civ. 1, 7 février 2006, n° 02-16.010, FS-P+B (N° Lexbase : A8369DMW) ; Cass. com., 7 mars 2006, n° 04-13.762-FS+P+B+R+I (N° Lexbase : A4738DNS).
(17) Cass. civ. 1, 7 mai 2008, n° 07-11.692, , F-P+B (N° Lexbase : A4413D8X), D., 2008, p. 2036, obs. S. Piedelièvre.
(18) Contra, v. Ph. Simler, Eppur, si muove !, Et pourtant, une sûreté réelle constituée en garantie de la dette d'un tiers est un cautionnement... réel, JCP éd. G, 2006, I, 172.
(19) Nos obs., Gage des stocks et droit commun du gage, Lexbase Hebdo n° 449 du 7 janvier 2016 - édition affaires (N° Lexbase : N0598BW3).
(20) Cass. com., 19 février 2013, n° 11-21.763, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A3699I8I).
(21) Cf. not. P.-M. Le Corre, Le droit des entreprises en difficulté version loi "Macron", Lexbase Hebdo n° 434 du 3 septembre 2015 - édition affaires (N° Lexbase : N8713BUA).

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Licenciement

[Jurisprudence] L'inexistence d'une autorisation administrative de licenciement accordée après expiration de la période de protection

Réf. : Cass. soc., 6 janvier 2016, n° 14-12.717, FS-P+B (N° Lexbase : A3922N3N)

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par Christophe Radé, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

Le 21 Janvier 2016

Les salariés protégés ne peuvent être licenciés sans une autorisation administrative préalable, à défaut de quoi, la rupture de leur contrat sera nulle et le salarié qui le souhaite, réintégré. Parfois, l'autorité administrative se croit compétente alors que la période de protection a expiré. Dans ce cas, la décision doit être considérée comme inexistante et sera réputée n'avoir jamais existé. C'est ce que confirme un arrêt rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 6 janvier 2016 (I), ce qui permet à l'employeur de licencier le salarié, en dépit d'un refus d'autorisation, et laisse le juge judiciaire libre de ses appréciations sur la justification de la rupture (II).
Résumé

Dès lors que la période de protection légale a pris fin avant que l'inspecteur du travail ne rende sa décision, l'employeur retrouve le droit de licencier le salarié sans autorisation de l'autorité administrative, qui n'est plus compétente pour autoriser ou refuser cette mesure.

Commentaire

I - L'hypothèse de l'autorisation administrative inexistante

Cadre juridique. Les représentants du personnel bénéficient d'un régime juridique destiné à les protéger contre les atteintes injustifiées à leur mandat. Outre une application particulière du principe de non-discrimination (1), l'employeur qui souhaite les licencier doit obtenir une autorisation préalable de l'inspection du travail. La première protection peut être qualifiée de "matérielle", car elle vise des faits que l'employeur ne peut pas prendre en compte pour arrêter la mesure envisagée ; la seconde est "temporelle", dans la mesure où elle ne confère aucune immunité particulière au salarié qui peut donc être licencié pour tout motif, comme n'importe quel autre salarié, à la double réserve près que l'inspection du travail doit vérifier l'absence de tout caractère discriminatoire avant d'autoriser la rupture et peut s'y opposer s'il existe un motif d'intérêt général conduisant à maintenir le salarié en poste. Cette protection temporelle cesse à l'expiration de la période légale ou conventionnelle et pendant une durée qui varie selon la nature du mandat, contrairement à la protection contre les discriminations, qui survit tant que l'employeur prend en compte l'exercice du mandat dans ses décisions.

L'autorité administrative n'est donc plus compétente à l'expiration de cette période de protection. Reste à déterminer quelles sont les conséquences qu'il convient de tirer de cette incompétence, singulièrement lorsque l'employeur saisit indûment l'inspecteur du travail après l'expiration du mandat, et que celle-ci rend une décision alors que le salarié n'est plus protégé. C'est tout l'intérêt de ce nouvel arrêt rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation qui en tire des conséquences radicales, conformes aux solutions jusque-là admises.

L'affaire. Un salarié, engagé en janvier 2007 et dont le mandat de membre élu et secrétaire du CHSCT avait expiré le 13 février 2009, a été convoqué le 1er juillet 2009 à un entretien préalable à un éventuel licenciement avec mise à pied conservatoire. Dans le même temps, l'employeur avait saisi l'inspecteur du travail d'une demande d'autorisation de licenciement qui lui avait été refusée. Le salarié ayant repris ultérieurement le travail, il a été convoqué le jour même à un entretien préalable à son licenciement avec mise à pied conservatoire, avant d'être licencié pour faute grave. Contestant son licenciement, le salarié a alors saisi la juridiction prud'homale de différentes demandes.

La cour d'appel de Paris lui a donné raison et considéré son licenciement comme étant dépourvu de cause réelle et sérieuse. La juridiction parisienne a, en effet, considéré que la lettre de licenciement visait des faits concernant la période de protection, et que ces derniers étaient les mêmes que ceux pour lesquels l'inspecteur du travail avait refusé le licenciement ; que dans sa décision de refus d'autorisation du licenciement, l'inspecteur du travail reprenait chacun des griefs énumérés dans la lettre de licenciement pour conclure que leur matérialité n'était pas établie ; et que si, à l'expiration de la période de protection, l'employeur peut licencier un ancien salarié protégé sans avoir à demander l'autorisation de l'inspecteur du travail, c'est à condition que le licenciement ne soit pas prononcé pour des faits antérieurs ayant déjà fait l'objet d'un refus d'autorisation de l'inspecteur du travail.

Telle n'est pas l'opinion de la Chambre sociale de la Cour de cassation qui casse cette décision pour violation des articles L. 2411-13 (N° Lexbase : L0158H9Q) et L. 2421-3 (N° Lexbase : L0209H9M) du Code du travail. Pour la Haute juridiction, en effet, dès lors que la période de protection légale a pris fin avant que l'inspecteur du travail ne rende sa décision, l'employeur retrouve son droit de licencier le salarié sans autorisation de l'autorité administrative qui n'est plus compétente pour autoriser ou refuser cette mesure.

II - Une nouvelle application de la théorie de l'inexistence de la décision administrative

Une hypothèse inédite. La question qui se posait ici était de savoir si, lorsque l'inspecteur du travail se déclare compétent pour statuer sur la demande d'autorisation de licenciement alors que le salarié n'est plus protégé, cette décision est valable tant qu'elle n'a pas été retirée, ou annulée, et acquiert alors autorité de la chose décidée, ou si, au contraire, elle doit être considérée de plein droit comme nulle et non avenue.

Le Conseil d'Etat a eu l'occasion de statuer sur ces hypothèses où le salarié n'était, en réalité, pas ou plus protégé, pour considérer, l'autorité administrative n'étant plus compétente (2), la décision comme inexistante et ne pouvant donc pas être contestée devant le juge de l'excès de pouvoir, car ne faisant pas grief (3). L'employeur peut donc non seulement licencier le salarié, sans être tenu de saisir l'autorité administrative ni craindre d'être poursuivi pour entrave, mais il peut même le licencier alors qu'il aurait saisi l'autorité administrative avant l'expiration de la période de protection, mais que celle-ci n'aurait pas encore rendu sa décision au moment où la protection expire, l'autorité administrative étant, en quelque sorte, dessaisie par le terme de la protection (4).

Une nouvelle solution logique. La solution adoptée, qui assure la plénitude du pouvoir de licencier de l'employeur après l'expiration de la période de protection, est conforme à ces solutions (5). Le Conseil d'Etat traite, en effet, la décision, comme si elle était existante, c'est-à-dire que l'employeur n'a même pas à saisir le juge administratif pour faire prononcer la nullité de la mesure. N'existant pas, cette décision n'a aucune autorité, ni du point de vue de l'employeur, qui demeure donc libre de licencier le salarié en dépit d'un refus, ni du point de vue du juge judiciaire, qui n'est pas lié par l'autorité de la chose décidée, puisque de décision il n'y a pas. Il s'agit ici d'une application de la théorie administrativiste de l'inexistence (6) qui permet à l'administration de retirer à tout moment l'acte inexistant, et aux juges, tant judiciaires qu'administratifs, de la constater et d'en tirer toutes les conséquences utiles (7).

On peut, toutefois, penser que, même réputée n'être jamais intervenue, la décision administrative pourra être produite par la partie qui y aura intérêt, et que les observations factuelles faites par l'autorité administrative pourront peser dans le débat, singulièrement lorsque l'inspecteur du travail aura refusé d'autoriser le licenciement du salarié protégé, soit parce que les griefs sont inexistants, soit parce que la mesure masque, en réalité, une discrimination dans l'exercice des fonctions. Même si, officiellement, le juge judiciaire devra exercer pleinement sa compétence sans se sentir lié par les constatations de l'autorité administrative, sous peine de déni de justice, il pourra être influencé par celles-ci et considérer, à tout le moins, que le salarié a ainsi rapporté l'existence d'éléments de fait qui laissent supposer qu'il a été victime d'une discrimination en raison de l'exercice passé de son mandat. Faut-il le rappeler, l'expiration de la période de protection fait perdre au salarié le bénéfice de la procédure d'autorisation administrative préalable, mais non celui de l'application du principe de non-discrimination.


(1) C. trav., art. L. 2141-5 (N° Lexbase : L5555KGT).
(2) La solution vaut également si, au moment où le ministre du Travail statue dans le cadre d'un recours hiérarchique, le mandat a pris fin ; il peut alors soit rejeter le recours, soit l'annuler, mais dans cette dernière hypothèse, il n'a plus la possibilité d'autoriser le licenciement : CE, 8° et 9° s-s-r., du 30 juin 1997, n° 169269, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A0396AEE).
(3) CE, 6° et 2° s-s-r., 19 juillet 1991 n° 84259 (N° Lexbase : A0005ARM) ; RJS, 1991, n° 1110 ; CE, 25 avril 1994, n° 77732 (N° Lexbase : A7146B88) ; RJS, 1994, n° 724.
(4) Cass. soc., 13 mai 2008, n° 06-42.806, F-D (N° Lexbase : A5235D8E). Sauf à démontrer la fraude ; ainsi, pour un licenciement prononcé le lendemain de l'expiration de la période de protection : Cass. soc., 10 février 2010, n° 08-44.001, FS-D (N° Lexbase : A7752ERK).
(5) Son application n'est pas sans susciter certaines réserves du point de vue de la sécurité juridique : V. Nadan, Quelques remarques sur l'utilité d'une modulation à l'envers : l'inexistence en question, Droit administratif n° 6, juin 2010, étude 12.
(6) Lire, en droit privé, V. Peltier, Contribution à l'étude de la notion d'inexistence en droit privé, RRJ 2000, pp. 937-976.
(7) T. confl., 27 juin 1966, Guigon ; Rec. CE, 1966, p. 830 ; AJDA, 1966, p. 547, note A. de Laubadère.

Décision

Cass. soc., 6 janvier 2016, n° 14-12.717, FS-P+B (N° Lexbase : A3922N3N).

Cassation (CA Paris, Pôle 6, 9ème ch., 11 décembre 2013 n° 11/12208 N° Lexbase : A1093KRW).

Textes : C. trav., art. L. 2411-13 (N° Lexbase : L0158H9Q) et L. 2421-3 (N° Lexbase : L0209H9M).

Mots clef : salarié protégé ; autorisation administrative de licenciement.

Lien base : (N° Lexbase : E4048ET4).

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Licenciement

[Brèves] Violation de la clause de mobilité et refus de rejoindre successivement deux nouvelles affectations : faute grave du salarié justifiant son licenciement

Réf. : Cass. soc., 12 janvier 2016, n° 14-23.290, FS-P+B (N° Lexbase : A9241N3N)

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N0932BWG

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Le 22 Janvier 2016

Commet une faute grave le salarié qui, pendant six semaines, viole sa clause de mobilité et qui, malgré plusieurs lettres de mise en demeure, refuse de rejoindre successivement deux nouvelles affectations et n'a repris son travail qu'après avoir été convoqué à l'entretien préalable au licenciement. Telle est la solution dégagée par la Chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 12 janvier 2016 (Cass. soc., 12 janvier 2016, n° 14-23.290, FS-P+B N° Lexbase : A9241N3N).
En l'espèce, M. X, engagé le 12 avril 2002 par la société Y, dont le contrat de travail a été transféré à la société Z, exerçant en dernier lieu les fonctions d'agent de sécurité, a été licencié pour faute grave par lettre du 21 janvier 2011 pour absences injustifiées procédant de son refus d'accepter ses nouvelles affectations.
La cour d'appel (CA Paris, Pôle 6, 9ème ch., 4 décembre 2013, n° S 11/12768 N° Lexbase : A7912KQ4) ayant rejeté ses demandes au titre d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, ce dernier s'est pourvu en cassation.
Cependant, en énonçant la règle susvisée, la Haute juridiction rejette le pourvoi (sur la violation d'une clause de mobilité constituant une faute grave justifiant un licenciement, voir également Cass. soc., 30 septembre 1997, n° 95-43.187 N° Lexbase : A2125ACP ; Cass. soc., 26 mai 1998, n° 96-41.576 N° Lexbase : A6940AHI; Cass. soc., 7 octobre 1997, n° 95-41.857 N° Lexbase : A0521ABW ; Cass. soc., 28 octobre 1998, n° 96-43.855 N° Lexbase : A6931AH8 ; Cass. soc., 7 décembre 1999, n° 97-43.033 N° Lexbase : A6961AHB) (cf. l’Ouvrage "Droit du travail" N° Lexbase : E8751ESW).

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Pénal

[Brèves] Du chantage sur l'orientation sexuelle d'un individu

Réf. : Cass. crim., 13 janvier 2016, n° 14-85.905, FS-P+B (N° Lexbase : A9410N3W)

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N0949BW3

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Le 28 Janvier 2016

Dès lors que les révélations et imputations, objet des menaces formulées par le prévenu, étaient de nature à porter atteinte à l'honneur et à la considération de la victime appréciés au regard de sa situation concrète, le délit de chantage est caractérisé. Tel est le principal apport d'un arrêt de la Chambre criminelle de la Cour de cassation, rendu le 13 janvier 2016 (Cass. crim., 13 janvier 2016, n° 14-85.905, FS-P+B [LXB= A9410N3W] ; cf., sur le délit de tentative de chantage, Cass. crim., 28 janvier 2015, n° 14-81.610, F-P+B N° Lexbase : A7073NA9). Dans cette affaire, M. M. a été cité devant le tribunal correctionnel pour avoir obtenu ou tenté d'obtenir la promesse de poursuivre une relation sentimentale et sexuelle avec M. L. en le menaçant de révéler qu'il entretenait une "relation adultère de nature homosexuelle". Le tribunal l'a déclaré coupable des faits reprochés et il a interjeté appel de la décision. Pour confirmer le jugement, la cour d'appel a énoncé notamment que la menace de révéler l'orientation sexuelle d'un individu doit s'apprécier au regard du contexte des faits et de la personnalité de la personne menacée. Les juges ont relevé que M. L., très jeune majeur, entretenait des relations homosexuelles et hétérosexuelles et en ont déduit qu'il a pu légitimement penser que la révélation de sa vie intime allait porter préjudice à la relation qu'il entretenait avec une jeune fille ainsi qu'à son image au sein de son établissement de formation professionnelle. En l'état de ces seules énonciations, retient la Cour de cassation, les juges d'appel ont justifié leur décision au regard de l'article 312-10 du Code pénal (N° Lexbase : L1879AMK) (cf. l’Ouvrage "Droit pénal spécial" N° Lexbase : E9910EWX).

newsid:450949

Propriété

[Jurisprudence] Respect de la vie privée et familiale et du domicile versus respect des règles d'urbanisme : conditions d'appréciation du trouble manifestement illicite par le juge des référés au regard de l'article 8 de la CESDH

Réf. : Cass. civ. 3, 17 décembre 2015, n° 14-22.095, FS-P+B+R (N° Lexbase : A8776NZ3)

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N0938BWN

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par Ariane Gailliard, Docteur en droit, ATER à l'Université Jean Moulin (Lyon 3)

Le 26 Janvier 2016

Aucun droit garanti par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme n'est absolu : il peut y être porté atteinte par les autorités nationales, mais le juge interne est tenu de vérifier si le but poursuivi est légitime et les moyens pour parvenir au but, proportionnés. Par cet arrêt en date du 17 décembre 2015, la troisième chambre civile de la Cour de cassation vient rappeler la nécessité d'exercer ce contrôle, même dans le cadre du référé de l'article 809, alinéa 1er, du Code de procédure civile (N° Lexbase : L0696H4K). Un tel contrôle n'avait pas eu lieu en l'espèce, les juges se contentant de constater une violation à des dispositions internes, en ignorant les arguments invoqués par les requérants. Appartenant à la communauté des gens du voyage, la requérante est propriétaire d'une parcelle de terrain dans la commune d'Herblay. De nombreux gens du voyage vivent depuis très longtemps dans cette commune, certains étant propriétaires, locataires, ou occupants sans titre. Avec les membres de sa famille, elle a installé cinq caravanes destinées à l'habitation, un algéco à usage de cuisine sur un revêtement en ciment et deux cabanons de jardin en tôle. Ils sont assignés en référé par la commune sur le fondement des articles 808 (N° Lexbase : L0695H4I) et 809 du Code de procédure civile aux fins d'évacuer, sous astreinte, les caravanes et démolir les ouvrages "en dur". La commune considère qu'il y a une infraction aux dispositions du plan local d'urbanisme (PLU), qui classe la parcelle parmi les zones naturelles. Par une ordonnance du 13 avril 2012, le juge des référés du TGI de Pontoise fait droit à la commune. A l'appui de leur recours en appel, les requérants contestent la légalité du PLU de la commune, du fait de l'absence de réalisation d'une aire de stationnement d'une capacité suffisante pour accueillir les gens du voyage. Dès lors, il n'y a pas, selon eux, de trouble manifestement illicite. Ils considèrent également que l'article 8 de la CESDH (N° Lexbase : L4798AQR) ainsi que le droit au logement "doivent primer sur les dispositions du Code de l'urbanisme et du PLU de la commune". La cour d'appel rend un arrêt confirmatif en se fondant sur les dispositions du PLU qui interdisent sur la zone de la parcelle l'implantation de constructions à usage d'habitation, les terrains de camping ou de caravanage, mais également le stationnement de caravanes à usage de résidence principale, et, tout changement dans les espaces boisés classés, d'affectation des terrains et tout mode d'occupation des sols de nature à compromettre la conservation, la protection ou la création de boisements. En outre, les algécos et les cabanons ont été construits sans déclaration préalable, ce qui est contraire à l'article R. 421-9 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L5943IZ7). Le trouble manifestement illicite est ainsi caractérisé, et le moyen tiré de l'illégalité du PLU, rejeté pour défaut de preuve. La cour d'appel rappelle, enfin, que l'article 8 de la CESDH et le droit au logement ne peuvent "faire obstacle au nécessaire respect des règles d'urbanisme ni faire disparaître le trouble résultant de leur violation ou effacer son caractère manifestement illicite". Par une cassation pour défaut de base légale, la Cour de cassation reproche à la cour d'appel, au visa de l'article 8 de la CESDH et de l'article 809 du Code de procédure civile, de ne pas avoir recherché, "comme il le lui était demandé, si les mesures ordonnées étaient proportionnées au regard du droit au respect de la vie privée et familiale et du domicile" des requérants.

La CEDH déclare que "toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale" et "de son domicile" (art. 8). La mise en perspective de ces droits avec les situations des gens du voyage n'est pas un cas d'école. La Cour refuse de donner à la notion de vie privée une définition arrêtée (1), et en retient une vision évolutive. Elle entend le domicile comme le "lieu, l'espace physiquement déterminé où se développe la vie privée et familiale" (2). Support de la vie privée, le domicile fait l'objet d'une conception autonome de la CEDH, indépendamment des qualifications retenues en droit interne, au gré des circonstances factuelles. Concernant les gens du voyage, le domicile a déjà été associé au terrain acheté (3), tout comme à la caravane (4). Les interférences entre domicile et vie privée, la conception large que la Cour retient de ces droits, lui a permis de créer, sur le fondement de l'article 8, un "droit au mode de vie" dans la célèbre affaire "Chapman c/ Royaume-Uni" (5), en considérant que "la vie en caravane fait partie intégrante de l'identité tsigane". On voit émerger un droit atypique, à la fois semblable à la notion de vie privée et familiale et distinct, par sa forte dimension sociale (6).

Si l'on comprend les fondements invoqués par les requérants, l'invocation du droit au logement était davantage discutable, même si la cour d'appel était tenue d'y répondre. La Cour européenne a en effet eu l'occasion de rappeler que "l'article 8 ne reconnaît pas comme tel le droit de se voir fournir un domicile, pas plus que la jurisprudence de la Cour" (7). Autrement dit, le droit au mode de vie ne saurait donner aux gens du voyage plus de droits que n'en donne le droit au respect de la vie privée, et ne saurait dégénérer en obligation positive de procurer un logement. Rappelons que, pour le moment, le droit au logement n'est en droit interne qu'un objectif à valeur constitutionnelle, et non un principe, contrairement à ce que soulevaient les requérants (8). La propriétaire, qui avait acheté un terrain pour y faire stationner des caravanes et construire des installations, s'était également fondée sur la violation du droit de propriété. La régularité de sa situation exclut l'occupation illégale, mais ne rendait pas pour autant un tel argument recevable. Dans la mesure où les installations sur le terrain contrevenaient aux dispositions du Code de l'urbanisme, les mesures prises en référé ne portaient pas atteinte à la jouissance du droit de propriété, mais à son exercice, ce qui est compatible avec l'article 544 du Code civil (N° Lexbase : L3118AB4).

La consécration d'un "mode de vie" propre à l'identité tsigane permet aux gens du voyage d'invoquer tant l'article 8 § 1, en arguant d'une "obligation positive" pesant sur l'Etat de respecter ses traditions (9), que l'article 8 § 2, pour lutter contre diverses dispositions ne leur permettant pas une installation. Dans l'affaire "Chapman" du 18 novembre 2001, la Cour a établi à propos de cette population qu'une ingérence étatique pouvait influencer "sa faculté de conserver son identité tsigane et de mener une vie privée et familiale conforme à cette tradition". Il est souvent jugé en ce sens dans des cas d'expulsion d'une aire d'accueil (10), la Cour considérant que les "décisions ordonnant l'expulsion d'une communauté de près d'une centaine de personnes, ont des répercussions inévitables sur leur mode de vie et leurs liens sociaux et familiaux" (11).

En condamnant à l'évacuation des cinq caravanes occupées par la requérante et sa famille et à la démolition des ouvrages, le juge des référés portait donc bien atteinte à l'exercice du droit au respect de la vie privée et familiale et du domicile des requérants. L'arrêt ne porte donc pas sur l'ingérence en soi, mais sur ses justifications... Ou plutôt sur leur absence. En effet, si les aménagements et les constructions des gens du voyage étaient faites en violation des règles internes (I), les mesures ordonnées en référé par la commune n'en étaient pas moins inconventionnelles (II).

I - Des aménagements et des constructions en violation des règles internes

A l'appui de sa demande en référé, la commune invoquait la contrariété des installations aux dispositions du Code de l'urbanisme (A), caractérisant selon elle un trouble manifestement illicite (B).

A - L'objet de la violation : les dispositions du Code de l'urbanisme

Le terrain était situé dans un espace boisé et dans une zone classée "naturelle". Le plan local d'urbanisme (PLU) de la commune interdisait sur ce genre de zones "l'implantation des constructions à usage d'habitation", "les terrains de camping ou de caravanage ainsi que ceux affectés à l'implantation d'habitations légères de loisirs", "le stationnement des caravanes à usage de résidence principale ou d'annexe à l'habitation". L'ensemble des mesures prises par les requérants contrevenait donc au PLU. De plus, les installations des algécos et des cabanons de jardin étaient faites sans déclaration préalable, ce qui est contraire à l'article R. 421-9 du Code de l'urbanisme (12). Normalement soumis à l'obtention d'un permis de construire, certains aménagements et installations bénéficient d'une exemption et nécessitent seulement une déclaration préalable (13). Une telle formalité, qui nécessite le dépôt à la mairie d'un dossier, permet à l'administration de s'assurer que le projet est bien conforme aux règles d'urbanisme, auquel cas la mairie peut s'y opposer (14).

Les requérants s'exposaient ainsi aux deux catégories d'infractions prévues en droit pénal de l'urbanisme, l'une sanctionnant la méconnaissance d'une "règle de fond" (15), l'autre d'une règle de procédure (16). Les situations donnant lieu à un cumul de ces délits sont fréquentes (17), sans que l'on puisse vraiment savoir si ce cumul est voulu par le législateur ou s'il n'est que le simple reflet de la complexité de ces infractions (18). C'est un droit hétérogène, complexe et technique, qui a déjà été confronté au principe de légalité des délits et des peines (19) et dont l'efficacité est souvent remise en cause (20). Surtout, la diversité des buts qu'il poursuit (21) appelle à douter de son adaptabilité à la responsabilité pénale (22). Dans cette affaire, le droit pénal de l'urbanisme était tourné vers un but de régularisation davantage que de répression. La rédaction du procès-verbal d'infraction par les autorités a parfois un rôle incitatif, et peut donner lieu à une solution intermédiaire et à une résolution en amont du conflit le temps de l'instruction ; l'affaire sera ensuite classée sans suite (23). La violation des dispositions de droit de l'urbanisme était ici un argument avancé par la commune et repris par le juge des référés, utile pour caractériser le trouble manifestement illicite. Le juge pénal seul a le pouvoir de réprimer ces infractions, mais le juge des référés peut prescrire des mesures pour faire cesser le trouble manifestement illicite (24), y compris lorsqu'il s'agit "seulement" de violation de dispositions de droit de l'urbanisme (25), et non d'atteinte à la propriété.

L'ingérence de la commune dans l'exercice du droit au respect de la vie privée et familiale et du domicile était donc bien prévue par la loi. Mais comme le veut l'article 8 § 2 de la CESDH, une telle étape n'est pas suffisante ; justifiée par la loi, une ingérence n'en est pas pour autant légitime. Dans ce genre de conflit, le constat de la violation d'une disposition légale ne peut suffire à entraîner l'expulsion, l'évacuation de la caravane ou la démolition des ouvrages. La CEDH avait déjà jugé en ce sens (26) et l'avait rappelé dans l'affaire "Winterstein et autres c/ France" (27). Le constat de la contrariété de la requérante aux dispositions internes n'était, dans la logique européenne, que la première étape. La cour d'appel s'était arrêtée là, sans doute convaincue qu'elle le pouvait grâce à la procédure particulière et au trouble illicite que le juge des référés avait constaté.

B - La conséquence de la violation : un trouble manifestement illicite

A l'appui de leur recours, les requérants contestaient la mesure en référé en soutenant que les stationnements et installations "ne sont pas à l'origine d'un trouble manifestement illicite, contrairement à ce qu'a estimé le premier juge, dès lors que la légalité du PLU de la commune [...] est contestable en l'absence de réalisation d'un aire de stationnement d'une capacité suffisante pour accueillir les gens du voyage". Un tel argument, rejeté par la cour d'appel, qui se contente d'affirmer qu'il y a trouble parce qu'il y a violation des dispositions de droit de l'urbanisme, et que les requérants "n'établissent d'aucune manière l'illégalité du PLU qu'ils invoquent" était-il recevable ?

Les requérants avaient en vue les exigences du Code de l'urbanisme, qui réglemente la rédaction des PLU. Le droit de l'urbanisme tente de concilier les exigences de protection environnementale des zones naturelles avec l'accueil des gens du voyage (28), dans le respect de la loi du 5 juillet 2000, dite "Loi Besson" (29). L'article L. 151-13 (N° Lexbase : L2570KIZ) prévoit ainsi que le règlement peut "délimiter dans les zones naturelles, agricoles ou forestières des secteurs de taille et de capacité d'accueil limitées dans lesquels peuvent être autorisés" des constructions et des aires d'accueil, en précisant toutefois que ce n'est qu' "à titre exceptionnel". La loi "Besson" met en place pour les communes un schéma départemental destiné à prévoir des secteurs géographiques d'implantation des aires permanentes d'accueil pour les gens du voyage ; un tel schéma départemental figure à titre d'obligation pour les communes de plus de 5 000 habitants (30). La commune concernée qui n'a pas établi une aire d'accueil ne bénéficiera pas de tout l'arsenal répressif mis en place par la loi (31). Forte de son nombre d'habitants, la commune d'Herblay est soumise à la loi "Besson". Cependant, les dispositions précitées ne s'appliquent pas au stationnement des résidences mobiles lorsque les personnes sont propriétaires du terrain sur lequel elles stationnent (32), ce qui était le cas en l'espèce.

La lettre même de l'article 809, alinéa 1er, rend de plus un tel argument inopérant : les mesures en référé peuvent être prescrites "même en présence d'une contestation sérieuse". Si l'auteur du trouble a un droit à faire valoir, il doit le faire devant le juge, et non par un acte de "justice personnelle" ou sans respecter les dispositions légales applicables (33). D'ailleurs, la contestation était ici extérieure au trouble (34). Reste à déterminer, même si ce n'est que pure hypothèse, quelles actions seraient ouvertes aux requérants ; si une action fondée sur le droit au logement ne paraît guère envisageable (35), les requérants auraient pu contester la légalité du PLU devant le juge administratif (36), ce qui ne ressort pas de la compétence du juge des référés.

Entre la cour d'appel, qui affirme que l'article 8 et le droit au logement "ne peuvent faire obstacle" au respect des règles d'urbanisme ni faire disparaître le trouble manifestement illicite résultant de leur violation, et les requérants, qui dans leur conclusions d'appel, font valoir que l'article 8 et le droit au logement "doivent primer" sur les dispositions du Code de l'urbanisme et du PLU, qui a raison ? Personne, puisque la vérité doit jaillir d'une recherche d'équilibre ; pour être admise, l'ingérence de l'autorité nationale dans l'exercice d'un droit protégé par la Convention doit être prévue par la loi, et faire l'objet d'un contrôle de proportionnalité qui n'a été fait ni par le premier juge, ni par la cour d'appel. C'est pour cette raison que l'arrêt encourt une cassation pour défaut de base légale.

II - L'inconventionnalité des mesures prises par le juge des référés

La Cour de cassation rappelle que, lorsque les requérants invoquent une atteinte à un droit protégé par la Convention, le juge du fond doit en tenir compte en effectuant le contrôle de proportionnalité (A). Reste à envisager l'hypothèse, dans le cas où un tel contrôle avait été exercé, de son résultat (B).

A - La nécessité du contrôle de proportionnalité

L'article 8 § 2 nous apprend que l'ingérence d'une autorité publique dans l'exercice du droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance, ne peut être admise que si elle est "prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui". L'atteinte doit donc réunir trois conditions : être prévue par la loi, obéir à un but légitime et être nécessaire dans une société démocratique. Ce sont les deux dernières qui n'avaient pas été vérifiées. Pour un auteur, la notion de société démocratique exprime "la valeur centrale de l' ordre public européen' autour duquel s'ordonne aujourd'hui le droit européen des droits de l'Homme" (37). Dans l'affaire "Handyside c/ Royaume-Uni", la Cour considère qu'une société démocratique ne peut exister sans "le pluralisme, la tolérance et l'esprit d'ouverture" (38) ; dans l'affaire "Young, James et Webster c/ Royaume-Uni", elle souligne que "la démocratie ne se ramène pas à la suprématie constante de l'opinion d'une majorité ; elle commande un équilibre qui assure aux minorités un juste traitement et qui évite tout abus d'une position dominante" (39).

En bref, si les autorités nationales bénéficient d'une certaine autonomie et de la possibilité de porter atteinte à l'exercice des droits reconnus par la Convention, ce n'est qu'à la limite de respecter les conditions de l'article 8 § 2, que la jurisprudence européenne est venue clarifier. Toute mesure portant atteinte à un droit protégé doit être nécessaire, et une telle exigence "implique un besoin social impérieux ; en particulier, la mesure prise doit être proportionnée au but légitime poursuivi" (40). Afin de satisfaire à un besoin social impérieux, la CEDH contrôle si les motifs invoqués par l'Etat sont "pertinents et suffisants" (41) ; puis elle vérifie si "l'ingérence est proportionnée au but légitime" et qu'un "juste équilibre a été ménagé entre l'intérêt général et les intérêts de l'individu" (42).

Afin de vérifier si ces conditions étaient réunies, le juge aurait donc dû se livrer à un tel contrôle : la cour d'appel a violé les dispositions de l'article 8 de la Convention et de l'article 809 du Code de procédure civile. Les deux violations se rejoignent : dès lors que les parties invitent le juge à vérifier l'ingérence au regard d'arguments pour voir s'il y a proportionnalité, le juge est tenu de le faire, sans pouvoir se dissimuler derrière l'existence d'un trouble manifestement illicite. La CEDH a ainsi déjà établi que "lorsque des arguments pertinents concernant la proportionnalité de l'ingérence ont été soulevés par le requérant dans les procédures judiciaires internes, les juridictions nationales doivent les examiner en détail et y répondre par une motivation adéquate" (43).

La Cour de cassation rappelle ainsi que le contrôle de conventionnalité s'impose au juge, même en référé. L'article 12 du Code de procédure civile, qui dispose que "le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables", pourrait laisser penser le contraire, puisque le juge des référés ne tranche pas le litige. Mais un tel article a une portée bien plus générale que ne laisse penser le texte pris au sens littéral. Le contrôle du trouble semble de plus avoir partiellement été fait par le juge. Ce dernier doit être manifestement illicite, c'est-à-dire "qu'il ne doit pas y avoir de doute sur l'illicéité du trouble : le juge des référés est le juge de l'évidence" (44). En ne reprenant pas les conclusions d'appel tendant à mettre en balance les mesures prises en référé et l'atteinte au droit au respect de la vie privée, familiale et du domicile, la cour d'appel n'a pas clairement caractérisé le trouble. Par le visa de l'article 809, la Cour de cassation rappelle donc également qu'elle exerce un contrôle sur la notion de trouble manifestement illicite (45).

B - Le résultat éventuel du contrôle de proportionnalité

La Cour de cassation reproche à la cour d'appel de ne pas avoir recherché si "les mesures ordonnées étaient proportionnées au regard du droit au respect de la vie privée et familiale et du domicile". L'étaient-elles ? Nous distinguerons les arguments des requérants des motifs qu'avançaient implicitement (ou qu'auraient dû avancer) les juges du fond.

Les requérants considéraient que les mesures prises en référé n'étaient pas "strictement nécessaires" car les juges n'avaient pas examiné si la mesure était proportionnée au regard "de l'ancienneté de l'occupation dans les lieux, de la longue tolérance de la commune, de l'absence de possibilité de relogement et de l'absence de droits de tiers en jeu". La tolérance ancienne de la commune paraissait selon eux incompatible avec le recours à la procédure de référé. Ils avaient de leur côté une jurisprudence antérieure : dans la procédure de droit interne qui avait donné lieu à l'affaire "Winterstein", le juge des référés avait rejeté la demande de la commune en relevant que "la longue tolérance de la commune, si elle n'était en aucun cas constitutive d'un droit, ne permettait pas de constater l'urgence ou le trouble manifestement illicite, seuls susceptibles de justifier la compétence du juge des référés" (46) ; l'affaire s'était alors déplacée devant le tribunal de grande instance et la CEDH avait approuvé un tel raisonnement. L'argument de la longue tolérance communale est souvent utilisé dans des cas similaires pour contester l'existence d'un trouble manifestement illicite, mais n'est pas, en droit recevable ; il est aujourd'hui constant que la demande en référé fondée sur l'article 809 peut être faite indépendamment de toute condition d'urgence (47). S'il peut dans les faits y avoir urgence, les juges n'ont pas à le constater. Dans des affaires similaires, la jurisprudence le constate : ainsi une cour d'appel a-t-elle considéré que "la présence ou l'installation de [...] caravanes, local sanitaire et chalet en infraction aux dispositions du POS et aux règles d'urbanisme applicables, caractérise un trouble manifestement illicite au sens de l'article 809 du Code de procédure civile, sans que l'ancienneté de cette situation et sa connaissance depuis plusieurs années par la commune puissent faire obstacle à la constatation de ce trouble et à la compétence du juge des référés pour ordonner les mesures de remise en état qui s'imposent pour y mettre fin, étant rappelé que l'application de l'article 809 alinéa 1 n'est, en ce cas, pas subordonnée à la preuve de l'urgence de la mesure sollicitée" (48).

L'argument de l'absence de possibilité de relogement pouvait jouer en faveur des requérants, bien que les obligations de la commune ne s'appliquaient pas, comme nous l'avons vu, au cas d'espèce. L'ingérence dans l'exercice du droit au respect du domicile est plus communément admise lorsque les requérants ont établi illégalement le domicile, comme en cas d'installation illicite de campements (49). Ici, la requérante était propriétaire de la parcelle, ce qui jouait en sa faveur.

Dans le cadre du contrôle de proportionnalité, les autorités nationales bénéficient d'une marge d'appréciation reconnue par le juge européen, dont la latitude varie en fonction des intérêts en jeu : elle est assez large lorsqu'il s'agit de politiques sociales ou économiques (50), mais plus restreinte quand le droit en cause garantit des droits d'ordre intime, comme ceux protégés par l'article 8 (51). Concernant l'ingérence dans l'exercice du droit au domicile, la CEDH a déjà considéré qu'un besoin social impérieux était justifié pour le respect des droits d'autrui ou pour des exigences du bien être économique du pays (52).

Reste à se demander si les mesures prises en référé poursuivaient un besoin social impérieux. Deux motifs auraient pu, selon nous, être invoqués à l'appui des mesures d'évacuation des caravanes et de la démolition.

Le respect du droit environnemental d'abord, qui est un des soucis du droit de l'urbanisme (53). La parcelle litigieuse était ici située dans un espace boisé classé en zone naturelle, dont la protection est une obligation pour les auteurs des plans locaux d'urbanisme. Les modalités de règlement sont régies aux articles L. 151-11 et s. du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L2568KIX) ; toute construction ou installation doit préserver "l'activité agricole ou la qualité paysagère du site" (54). Pour autant, le droit de l'urbanisme tente de concilier les exigences de protection avec l'accueil des gens du voyage, dans le respect de la loi Besson (55). Le juge des référés aurait donc certainement dû, en plus de constater l'illégalité des installations au regard du PLU, prouver qu'elles présentaient un danger pour la protection de l'activité agricole ou la qualité paysagère du site. Des auteurs ont en effet montré en quoi le développement des stationnements prolongés de caravanes pouvait présenter certains problèmes au regard de l'environnement. Par "le mitage des zones naturelles (N), boisées ou agricoles, la multiplication de ces infractions a priori mineures pouvant avoir d'autres conséquences redoutables, comme une dispersion des moyens de secours en cas d'incendie et un accroissement conséquent des charges liées aux réseaux qui devront, à terme, être réalisées" (56).

Le besoin social impérieux des mesures pourrait ainsi se parer d'un deuxième argument, celui de la sécurité nationale. A condition, toujours, de le prouver... Dans un arrêt récent (57), la Cour de cassation avait approuvé la cour d'appel qui avait ordonné l'expulsion de personnes à la suite de l'installation illicite de campements. L'atteinte aux droits de l'article 8 avait été justifiée au regard de la sécurité des requérants et des tiers : les campements situés à l'angle d'avenues et à proximité d'une bretelle de sortie du boulevard périphérique, présentaient un ensemble de caractéristiques (il n'y avait pas de sanitaires, d'eau courante et d'électricité ; et le camp était gardé par des chiens dangereux), par lesquels la cour d'appel avait retenu "que la nécessité de prévenir un dommage imminent caractérisé par un danger pour la sécurité tant des usagers du boulevard périphérique que des intéressés eux-mêmes et de leurs familles, exigeait leur expulsion sans délai, a légalement justifié sa décision au regard des droits fondamentaux protégés par l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales".


(1) CEDH, 25 mars 1993, Req. 13134/87 (N° Lexbase : A6549AWH), § 36, AJDA 1993, 483, chron. J.-F. Flauss ; RFDA 1994, 1182, chron. C. Giakoumopoulos, M. Keller, H. Labayle, F. Sudre, La notion de vie privée' est large et [...] ne se prête pas à une définition exhaustive".
(2) CEDH, 16 novembre 2004, Req. 4143/02 (N° Lexbase : A8882DDC), § 53, RFDA, 2005, 985, chron. H. Labayle et F. Sudre.
(3) CEDH, 25 septembre 1996, Req. 23/1995/529/615 (N° Lexbase : A8345AWY), § 52-54, RTD eur., 1997, 64, O. de Schutter.
(4) CEDH, 17 octobre 2013, Req. 27013/07 (N° Lexbase : A9322KM9), § 141, D., 2013, 2678, note J.-P. Marguénaud et J. Mouly ; JCP éd. G, 2013, art. 1144, obs. C. Picheral. L'assimilation de la caravane au domicile a également été faite par le Conseil d'Etat, qui en garantit l'inviolabilité : CE 2 décembre 1983, n° 13205 (N° Lexbase : A0816AM8), Lebon p. 470 ; RDP, 1984, 1711.
(5) CEDH, 18 novembre 2001, Req. 27238/95 (N° Lexbase : A6848AWK), D., 2002, 2758, obs. D. Fiorina ; RTDCiv., 2001, 448, note J.-P. Marguénaud ; RTDH, 2001, 887, note F. Sudre.
(6) V. sur ce point D. Fiorina, Mode de vie : la consécration du droit à la différence, D., 2002, 2758.
(7) CEDH, 18 novembre 2001, précit., § 99.
(8) Cons. const., 19 janvier 1995, n° 94-359 DC, loi relative à la diversité de l'habitat (N° Lexbase : A8323ACA), considérant 7. V. sur ce point S. Durousseau, Logement décent et mixité sociale : le cas d'une population spécifique, les gens du voyage, AJDI, 2003, 171.
(9) CEDH, 18 novembre 2001, précit., § 96.
(10) CEDH, 27 mai 2004, Req. 66746/01 (N° Lexbase : A3785MXH), § 68 ; CEDH, 24 avril 2012, Req. 25446/06, § 104, en anglais.
(11) CEDH, 17 octobre 2013, précit., § 143.
(12) En fonction de la distance ou de la hauteur, certains ouvrages sont dispensés de toute formalité (C. urb., art. R. 421-2), soumis à un permis de construire (C. urb., art. R. 421-1 N° Lexbase : L2752KWT) ou à une déclaration préalable (C. urb., art. R. 421-9). Pour une application au stationnement d'une caravane sans autorisation, v. Cass. crim., 20 mai 1992, n° 90-87.350 (N° Lexbase : A0484ABK).
(13) J.-B. Auby, H. Périnet-Marquet, R. Noguellou, Droit de l'urbanisme et de la construction, LGDJ, 10ème éd., p. 432, n° 650.
(14) J.-B. Auby, H. Périnet-Marquet et R. Noguellou, op. cit., p. 493, n° 736.
(15) Il s'agit du non-respect du PLU. V. C. urb., art. L. 610-1 (N° Lexbase : L2745KII, anc. art. L. 130-1, abrogé par l'ordonnance n° 2015-1174 du 23 septembre 2015 N° Lexbase : L2163KIX).
(16) Il s'agit du défaut de déclaration préalable, v. C. urb., art. L. 480-4 (N° Lexbase : L3514HZ8). Pour l'étude de ces deux types d'infraction, v. M.-C. Mehl-Schouder et S. Lhotellier, Le risque pénal pour les constructeurs en matière d'urbanisme, AJCT, 2015, 372.
(17) Cass. crim., 25 janvier 1995, n° 93-82.969 (N° Lexbase : A9089CZN) ; Dr. pén., 1995, n° 154 ; Cass. crim., 26 février 2013, n° 12-83.372, F-D (N° Lexbase : A5893KAI).
(18) V. sur ce point M. Rouchayrolle, Le risque pénal en droit de l'urbanisme, RDI, 2001, 416 : "le cumul des délits conduit à s'interroger sur la démarche du législateur, la pertinence de la pénalisation de la règle de fond et l'opportunité de son maintien spécialement lorsque le même intérêt est protégé par une règle de forme (régime du permis de construire".
(19) V. Cass. crim., 5 février 1991, n° 89-84.773 (N° Lexbase : A8309CMP), RSC, 1991, 595, note F. Boulan : juge du fond censuré pour avoir vérifié l'existence des éléments constitutifs de l'infraction; CEDH, 10 octobre 2006, Req. 40403/02 (N° Lexbase : A6913DRH), RDI, 2007, 196, obs. P. Soler-Couteaux : incompatibilité de l'application jurisprudentielle de l'article L. 480-4 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L3514HZ8) avec l'article 7 de la CESDH ; Cass. crim., 25 juillet 2012, n° 12-90.035, F-D (N° Lexbase : A1541IRI), RDI, 2012, 626, obs. G. Roujou de Boubée ; refus de renvoi d'une QPC sur la contrariété des articles L. 160-1 et L. 480-4 du Code de l'urbanisme à l'article 8 DDHC (N° Lexbase : L1372A9P).
(20) Notamment au regard de ses sanctions, v. H. Périnet-Marquet, L'inefficacité des sanctions du droit de l'urbanisme, D., 1991, 37.
(21) Cette diversité découle des deux catégories d'infraction. V. dressant ce constat, B. Phémolant, Le risque pénal en droit de l'urbanisme, RDI, 2001, 425.
(22) C'est une question qui se pose au regard des difficultés à cerner l'élément moral de telles infractions. La Cour de cassation a considéré que cet élément était caractérisé "par la seule constatation de la violation en connaissance de cause de l'obligation du permis de construire" (Cass. crim., 10 janvier 1996, n° 94-85.938 N° Lexbase : A9009ABB). M. Rouchayrolle, Le risque pénal en droit de l'urbanisme, RDI, 2001, 416 : "il s'agit bien d'un droit qui nécessite une certaine objectivité : la norme s'applique au regard d'un emplacement matériel, inséré dans un site et défini dans une politique publique locale inspirée par des schémas territoriaux, et non d'un comportement individuel trop fortement teinté de la psychologie de son auteur (que le juge devra néanmoins prendre en compte)".
(23) V. sur ce point M.-C. Mehl-Schouder et S. Lhotellier, AJCT, 2015, 372.
(24) V. en ce sens Cass. civ. 1, 17 décembre 2002, n° 00-18.708, FS-P (N° Lexbase : A5034A49), RDI, 2003, 385, P. Soler-Couteaux.
(25) Cass. civ. 1, 14 mai 1991, n° 89-20.492 (N° Lexbase : A4854AHA).
(26) CEDH, 24 avril 2012, précit., § 122.
(27) CEDH, 17 octobre 2013, précit., § 151-152 : "pour conclure, dans l'arrêt Y. et autres, que l'exigence de proportionnalité qui découle de l'article 8 § 2 n'avait pas été respectée, la Cour a en premier lieu tenu compte de ce que, d'une part, les autorités municipales, conformément au droit interne applicable, n'avaient pas mentionné dans l'ordre d'expulsion d'autres motifs que l'illégalité de l'occupation du terrain [...]. La Cour estime que cette approche est transposable à la présente affaire".
(28) C. urb., art. L. 151-13 (N° Lexbase : L2570KIZ).
(29) Loi n° 2000-614 sur l'accueil et l'habitat des gens du voyage (N° Lexbase : L0716AID).
(30) Art. 1er, II.
(31) V. sur ce point P. Quilichini, Rép. Dr. imm. Dalloz, v° "Attributions des collectivités locales en matière de logement", n° 555.
(32) Art. 9-III 1°.
(33) V. sur ce point J. Héron et T. Le Bars, Droit judiciaire privé, Montchrestien, 4ème éd., 2010, p. 343, n° 402.
(34) Y Strickler, Procédure civile, 5ème éd., 2014, p. 252, n° 427.
(35) La loi n° 2007-290 du 5 mars 2007, instituant le droit au logement opposable (N° Lexbase : L5929HU7), établit un droit dont l'opposabilité est si limitée, tant concernant les titulaires, les destinataires que la procédure applicable, qu'il ne s'agit pas vraiment d'un droit subjectif. V. sur ce point V. Pezzella, L'occupation immobilière. Etude de droit privé, thèse Lyon 3, 2012, p. 177 et s., n° 184 et s..
(36) Sur cette hypothèse, v. B. Drobenko, Urbanisation et accueil des gens du voyage, AJDI, 1998, 707.
(37) F. Sudre, Droit européen et international des droits de l'Homme, PUF, 12ème éd., 2015, p. 211, n° 138.
(38) CEDH, 7 décembre 1976, Req. 5493/72 (N° Lexbase : A6139EGH), § 49.
(39) CEDH, 13 août 1981, Req. 7806/77 (N° Lexbase : A0029DNE), § 63.
(40) CEDH, 24 novembre 1986, Req. 9063/80 (N° Lexbase : A1937NTW), § 55.
(41) CEDH, 24 mars 1988, Req. 2/1987/125/176 (N° Lexbase : A6467AWG), série A, n° 130, § 68.
(42) F. Sudre, Droit européen et international des droits de l'Homme, PUF, 12ème éd., 2015, p. 218, n° 143. V. CEDH, 6 septembre 1978, Req. 5029/71 (N° Lexbase : A3754ET9), série A, n° 28, § 143.
(43) CEDH, 17 octobre 2013, précit., § 148. V. également CEDH, 21 juin 2011, Req. 48833/07, § 67, en anglais.
(44) L. Cadiet et E. Jeuland, Droit judiciaire privé, LexisNexis, 8ème éd., 2013, p. 511 n° 641.
(45) Ass. plén., 4 juillet 1986, n° 84-15.735 (N° Lexbase : A5589AAA), JCP, 1986 II, 20694, B. Teyssié.
(46) TGI, 2 juillet 2004 ; CA Versailles, 13 octobre 2005 ; v. CEDH, 17 octobre 2013, précit., § 26-27.
(47) Cass. civ. 3, 22 mars 1983, n° 81-14.547 (N° Lexbase : A5341CIN) ; Cass. soc., 15 mars 1984, n° 82-12.0570 (N° Lexbase : A0193AAE).
(48) CA Versailles, 7 avril 2000, n° 09/03327 (N° Lexbase : A3941EWU).
(49) CEDH, 17 octobre 2013, précit., § 147 e.
(50) CEDH, 25 septembre 1996, précit., § 75.
(51) CEDH 17 octobre 2013, précit., § 148 ; CEDH, 27 mai 2004, précit., § 82.
(52) CEDH, 21 février 1990, Req. 3/1989/163/219 (N° Lexbase : A6319AWX), série A, n° 172, § 42.
(53) C. urb., art. L. 101-2 (N° Lexbase : L2208KIM).
(54) V. par ex., C. urb., art. L. 151-12 (N° Lexbase : L2569KIY).
(55) C. urb., art. L. 151-13 (N° Lexbase : L2570KIZ).
(56) M.-C. Mehl-Schouder et S. Lhotellier, Le risque pénal pour les constructeurs en matière d'urbanisme, AJCT, 2015, 372.
(57) Cass. civ. 3, 22 octobre 2015, n° 14-11.776, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7681NTN).

newsid:450938

Propriété

[Brèves] Indivision : l'impôt foncier est à la charge de l'indivision et non du seul occupant

Réf. : Cass. civ. 1, 13 janvier 2016, n° 14-24.767, F-P+B (N° Lexbase : A9523N34)

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N1005BW7

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Le 21 Janvier 2016

L'impôt foncier, qui tend à la conservation de l'immeuble indivis incombe à l'indivision jusqu'au jour du partage en dépit de l'occupation privative. Tel est l'enseignement délivré par la première chambre civile de la Cour de cassation aux termes d'un arrêt rendu le 13 janvier 2016 (Cass. civ. 1, 13 janvier 2016, n° 14-24.767, F-P+B N° Lexbase : A9523N34 ; déjà en ce sens à propos des impôts locaux et des charges de copropriété : Cass. civ. 1, 16 avril 2008, n° 07-12.224, F-P+B N° Lexbase : A9676D7I). En l'espèce, M. U. et Mme H. avaient acquis en indivision un terrain sur lequel ils avaient fait édifier une maison ; un jugement avait ordonné l'ouverture des opérations de comptes, liquidation et partage de cette indivision. Pour rejeter la demande de M. U. relative au montant des taxes foncières, la cour d'appel de Basse-Terre avait retenu que, s'agissant d'un bien indivis, l'occupant devait en assumer la charge. A tort, selon la Cour suprême qui énonce la règle précitée au visa de l'article 815-13, alinéa 1er, du Code civil (N° Lexbase : L1747IEG).

newsid:451005

Rupture du contrat de travail

[Brèves] Homologation d'une convention de rupture : qui la prononce et au bout de combien de temps les parties à la convention de rupture peuvent-elle la demander ?

Réf. : Cass. soc., 14 janvier 2016, n° 14-26.220, FS-P+B (N° Lexbase : A9536N3L)

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N0941BWR

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Le 26 Janvier 2016

Il n'entre pas dans les pouvoirs du juge judiciaire de prononcer, en lieu et place de l'autorité administrative, l'homologation d'une convention de rupture conclue en application des articles L. 1237-11 (N° Lexbase : L8512IAI) et suivants du Code du travail. Une partie à une convention de rupture ne peut valablement demander l'homologation de cette convention à l'autorité administrative avant l'expiration du délai de rétractation de quinze jours. Telle est la solution dégagée par la Chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 14 janvier 2016 (Cass. soc., 14 janvier 2016, n° 14-26.220, FS-P+B N° Lexbase : A9536N3L).
En l'espèce, M. X a été engagé par l'Association aide à domicile aux personnes âgées et aux malades en qualité de coordinateur des responsables de secteur. Les parties ont, le 8 mars 2010, signé une convention de rupture. Une demande d'homologation de la convention de rupture a été adressée le 23 mars 2010 à l'autorité administrative qui a, le 25 mars 2010, informé les parties de ce qu'elle refusait d'homologuer cette convention. Le salarié a été licencié le 23 avril 2010.
La cour d'appel (CA Toulouse, 12 septembre 2014, n° 12/04957 N° Lexbase : A3575MWC) ayant débouté l'employeur de ses demandes tendant, d'une part, à l'homologation de la convention de rupture, et, d'autre part, à l'annulation de la convention de rupture, ce dernier s'est pourvu en cassation.
Cependant, en énonçant la première règle susvisée, la Haute juridiction rejette la demande de l'employeur tendant à l'homologation de la convention de rupture. De même, en énonçant la seconde règle susvisée en application des articles L. 1237-13 (N° Lexbase : L8385IAS) et L. 1237-14 (N° Lexbase : L8504IA9) du Code du travail, elle rejette la demande d'annulation de la convention de rupture, en précisant que la cour d'appel, qui a relevé que la demande d'homologation de la rupture conventionnelle avait été adressée à la DIRECCTE avant l'expiration du délai de rétractation, a, légalement justifié sa décision (cf. l’Ouvrage "Droit du travail" N° Lexbase : E0221E7C et N° Lexbase : E0220E7B).

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Taxe sur la valeur ajoutée (TVA)

[Chronique] Chronique de TVA - Janvier 2016 (Spéciale loi de finances pour 2016 et loi de finances rectificative pour 2015)

Réf. : Loi n° 2015-1785 du 29 décembre 2015, de finances pour 2016 (N° Lexbase : L2719KWM) et loi n° 2015-1786 du 29 décembre 2015, de finances rectificative pour 2015 (N° Lexbase : L1131KWS)

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N0933BWH

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par Laurence Vapaille, Maître de conférences à l'Université d'Evry-Val-d'Essonne

Le 21 Janvier 2016

La loi de finances pour 2016 (1) ainsi que la loi de finances rectificative pour 2015 (2) ont apporté un certain nombre de modifications en matière de TVA ayant en commun d'accroître les moyens de lutte contre les différents types de fraude. Conformément aux préconisations du Comité national de lutte contre la fraude (3), le législateur a cherché par de nouvelles mesures à renforcer les moyens de lutte. Dans cette perspective a été étendue, aux prestations de services, l'interdiction de déduire la TVA en cas de participation à des opérations frauduleuses. A partir du 1er janvier 2018, sera effective l'obligation d'utiliser un logiciel de comptabilité ou un système de caisse sécurisé (I). Depuis le 1er janvier 2016, le seuil de déclenchement de la taxation à la TVA des livraisons de biens en provenance d'un autre Etat membre à destination d'une personne non assujettie en France a été abaissé à 35 000 euros (II). I - Le législateur a entendu renforcer les mesures de lutte contre la fraude fiscale

En matière de TVA, cette lutte est particulièrement importante d'une part, eu égard aux sommes en jeu dans le contexte d'un déficit budgétaire conséquent et, d'autre part, à la dimension communautaire de cette fraude. Même si par définition, il est très difficile de connaître le montant exact des sommes fraudées en matière de TVA comme dans d'autres domaines, dans un rapport en date de mai 2015, la Commission européenne a estimé que le manque de recettes fiscales peut être évalué à 14 milliards d'euros, soit 8,9 % des recettes théoriques de TVA de la France en 2013 (4). Les nombreuses dispositions prises en vue de lutter contre la fraude en matière fiscale ont pour objectif de faire baisser cette fraude et les dispositions commentées s'inscrivent dans la droite ligne d'une lutte accrue. Comme indiqué précédemment, ces dispositions sont au nombre de deux, il s'agit de lutter contre les effets des logiciels dits "permissifs" (A) ainsi que de remettre en cause le droit à déduction pour des prestations de services incluses dans des opérations frauduleuses (B).

A. En créant l'obligation d'utiliser un logiciel de comptabilité ou un système de caisse sécurisé à compter du 1er janvier 2018 (5), le législateur a complété le mécanisme instauré par l'article 20 de la loi relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière (6). Cette disposition de 2013, applicable aux logiciels et systèmes de caisse en cours de commercialisation au 8 décembre 2013, a pour but de lutter contre les logiciels et systèmes de caisse comportant des failles permettant d'effacer des recettes préalablement enregistrées ou, au contraire, de majorer des recettes ce qui pourrait permettre le blanchiment des sommes en question.

S'agissant de la possibilité d'effacement des recettes, il faut noter que cette espèce a fait l'objet d'une décision du Conseil d'Etat en date du 24 juin 2015 (7) ; dans cette affaire était en cause un progiciel très en vogue auprès des officines pharmaceutiques qui permet de supprimer à intervalles réguliers les ventes de produits délivrés sans ordonnance. Cette affaire était particulièrement révélatrice d'un système de fraude très développé dans le secteur pharmaceutique (8). Or, les mesures mises en oeuvre par la loi de décembre 2013 en matière de lutte contre la fraude fiscale (9) n'imposent qu'une obligation à l'égard des éditeurs et concepteurs de logiciels et de systèmes de caisse de communiquer et de conserver la documentation relative à ces éléments (10). Elle instaure aussi une sanction en cas de diffusion de logiciels "permissifs". Cette sanction s'applique aux éditeurs et concepteurs de logiciels et de systèmes de caisse ainsi qu'aux personnes qui interviennent en vue de modifier les fonctionnalités de ces éléments (11) dans le cas où grâce à ces éléments ou les modifications réalisées peuvent être effectuées des manoeuvres destinées à égarer l'administration (12). On peut rappeler ici une rapide définition de ces éléments. Le logiciel de comptabilité est un programme informatique permettant d'assurer tout ou partie de la comptabilité d'une entreprise en enregistrant toutes les transactions réalisées (13). Le logiciel de gestion est aussi un programme informatique mais permettant de traiter la gestion commerciale de l'entreprise (14). Enfin, les systèmes de caisse sont des systèmes d'informations dotés d'un ou plusieurs logiciels en vue de l'enregistrement des opérations d'encaissement (15). Comme on peut le constater au terme de ce bref rappel, est concerné l'ensemble des systèmes informatisés qui permettent (à un degré plus ou moins important) la détermination du résultat comptable sont concernés par ces dispositions.

La mesure présentement commentée vient compléter ces dispositions en instituant une obligation à l'égard des assujettis à la TVA (16) d'utiliser un logiciel ou un système sécurisé dès lors qu'ils enregistrent les règlements de leurs clients par le biais d'un logiciel de comptabilité ou d'un système de caisse. Ainsi, les créateurs et diffuseurs de logiciels et de système de caisse permettant la fraude comme l'usage desdits éléments par les assujettis sont sanctionnés. L'entrée en vigueur de cette disposition est fixée au 1er janvier 2018 afin de laisser un délai aux assujettis le temps de pouvoir mettre en oeuvre cette obligation.

L'assujetti, afin de pouvoir prouver qu'il a respecté cette obligation, devra la justifier par un certificat délivré par un organisme accrédité aux conditions fixées par l'alinéa 1 de l'article L. 115-28 du Code de la consommation (N° Lexbase : L2740IB4) (17). Il peut aussi la justifier par une attestation individuelle établie par l'éditeur.

En cas de non-respect de cette obligation de présenter une attestation ou un certificat justifiant de la conformité du logiciel ou du système de caisse, l'article 1770 duodecies du CGI (N° Lexbase : L3165KW7) dispose que peut être infligée une amende de 7 500 euros par logiciel ou système de caisse. Cette amende n'est pas exclusive des pénalités résultant d'une vérification de comptabilité au titre des recettes dissimulées grâce à un logiciel ou un système de caisse non sécurisé (18). En effet, il ne s'agit pas d'une double sanction mais de sanctionner, d'une part, le non-respect de l'obligation de disposer d'un matériel sécurisé et, d'autre part, de sanctionner la dissimulation des recettes réalisée grâce au logiciel frauduleux. Lorsque la sanction fondée sur l'absence de mise en conformité d'un logiciel ou d'un système de caisse est infligée, l'assujetti dispose d'un délai de 60 jours à compter de la remise du procès-verbal de la rectification ou de la notification de l'imposition d'office. Si l'assujetti ne s'est toujours pas conformé à la loi à la fin de ce délai de 60 jours, il peut être à nouveau sanctionné par une amende d'un même montant, soit 7 500 euros.

Pour permettre à l'administration fiscale une plus grande efficacité dans son contrôle, elle est autorisée, par cette disposition, à intervenir de manière inopinée dans les locaux. Pour ce faire a été instaurée une procédure régie par le nouvel article L. 80 O du LPF (N° Lexbase : L3164KW4). Afin de garantir le droit à la vie privée, ces visites ne pourront se dérouler qu'au sein des locaux professionnels qu'entre 8 heures et 20 heures, sauf si l'assujetti exerce son activité en dehors de ces horaires. Le refus de l'assujetti de laisser intervenir les fonctionnaires de l'administration fiscale sera sanctionné par une amende d'un montant de 7 500 euros.

Dès le début de la visite doit être remis à l'assujetti (ou à son représentant) un avis d'intervention. A la fin de ladite visite, doit être dressé un procès-verbal dans lequel sont consignées les références des logiciels et/ou des systèmes de caisse en possession de l'entreprise visitée ainsi que les manquements à l'obligation de justifier, par un certificat ou une attestation, de la conformité de ces matériels. Copie de ce document doit être remis à l'assujetti ou à son représentant. Si l'administration fiscale relève, lors de cette visite, un manquement, le contribuable dispose d'un délai de 30 jours pour fournir l'attestation ou le certificat et formuler ses observations éventuellement annexées au procès-verbal.

La mise en oeuvre de cette procédure de contrôle du matériel informatique spécifique ne relève pas du contrôle de l'impôt tel que défini dans le cadre de la procédure de vérification de comptabilité (19). Ainsi, la mise en oeuvre de cette procédure pourra être engagée sans constituer un empêchement pour l'administration de procéder à une vérification de comptabilité. Cette procédure de contrôle spécifique portant sur certains matériels informatiques demandera un effort d'adaptation de la part des assujettis, notamment financier, pour procéder à cette mise en conformité ; le délai de deux ans doit permettre aux assujettis de pouvoir anticiper cet effort. Par ailleurs, si ce contrôle est un élément de lutte contre la fraude fiscale en matière de TVA, il doit aussi permettre d'éviter les distorsions de concurrence entre opérateur économiques.

B. La seconde mesure commentée en matière de lutte contre la fraude à la TVA est relative à la remise en cause du droit à déduction. La fraude carrousel est un enjeu s'inscrivant à la fois dans un espace communautaire, ainsi que national pour chacun des Etats membres participant au système de TVA depuis la mise en oeuvre, en 1993, des dispositions relatives aux transactions intracommunautaires. L'accroissement exponentiel de ce type de fraude et du montant des droits ainsi éludés (20) a entraîné la mise en oeuvre d'une législation toujours plus développée afin de stopper (ou à tout le moins ralentir) ces pratiques frauduleuses. Ainsi, la loi de finances rectificative pour 2006 (21) permet de sanctionner les opérateurs participant à une fraude carrousel alors qu'ils le savaient ou ne pouvaient l'ignorer au moyen de différentes mesures :

- mise en oeuvre d'une solidarité en paiement (22) ;

- remise en cause du bénéfice de l'exonération de la livraison intracommunautaire (23) ;

- remise en cause du droit à déduction (24).

La nouvelle disposition mise en place aux termes de l'article 93 de la loi de finances pour 2016 vient compléter cette dernière mesure relative au droit à déduction. La remise en cause du droit à déduction, ainsi que la solidarité en paiement, sont deux dispositifs qui permettent à l'administration fiscale de pouvoir obtenir le paiement de la TVA qui n'a pas été payée de façon frauduleuse par un assujetti. L'administration fiscale peut donc soit rechercher les clients assujettis afin de leur faire payer la TVA éludée par le jeu de la solidarité entre fournisseur et client à condition que ce dernier sache ou ne puisse ignorer la fraude ; soit elle remet en cause le droit à déduction du client dès lors où comme précédemment il savait ou ne pouvait ignorer la fraude (25). Les deux mécanismes ayant le même objectif, ils sont exclusifs l'un de l'autre. Cependant, ils n'avaient pas le même champ d'application. La solidarité en paiement s'appliquait aux livraisons de biens comme aux prestations de services, alors que la remise en cause du droit à déduction ne trouvait à s'appliquer qu'aux livraisons de biens.

Ce champ d'application diffèrent entre deux procédures poursuivant la même finalité ne se justifiait pas. Cette différence semblait plutôt être le fruit d'une évolution qui n'a pas été concomitante pour les deux mécanismes. En effet, lors de leur mise en oeuvre, ces procédures ne s'intéressaient qu'aux livraisons de biens. Puis, par la loi de finances pour 2010 (26), la solidarité en paiement a été étendue aux prestations de services. L'extension aux prestations de services de la remise en cause du droit à déduction permet ainsi de rétablir une similitude entre le champ d'application de ces deux procédures. Par ailleurs, elle permet aussi à la législation française de se conformer à la position de la CJUE. En effet, si cette dernière rappelle par une jurisprudence constante que le droit à déduction est un principe essentiel au système de TVA ; en revanche, elle autorise sa remise en cause sur le fondement d'éléments objectifs dès lors que ce droit est invoqué de manière frauduleuse par l'assujetti qui s'en prévaut ou par un assujetti qui savait ou ne pouvait ignorer qu'il participait à une opération de fraude à la TVA (27). Or, la jurisprudence de la Cour de justice ne permet pas d'opérer une distinction sur le fondement de la qualification des opérations, livraisons de biens ou prestations de services. Distinction tout à fait mal venue, la remise du droit à déduction repose sur des conditions relatives à la nature frauduleuse ou non de l'opération, et non sur le fait de savoir s'il s'agit d'un bien ou d'un service. Donc l'extension aux prestations de services de la remise en cause du droit à déduction réalise une cohérence au point de vue du droit interne comme au regard de la jurisprudence de la CJUE.

Dans la même perspective de mise en cohérence, il faut rappeler qu'en matière de flagrance fiscale (28), il ne pouvait être dressé un procès-verbal qu'en cas de délivrance de factures pour des opérations au titre desquelles la TVA ne pouvait être perçue sur le fondement de la remise en cause du droit à déduction (29) ; cette mesure ne s'appliquait donc qu'aux livraisons de biens. La loi de finances pour 2016 autorise l'administration fiscale a dressé des procès-verbaux y compris dans le cas où les opérations en cause sont des prestations de services.

Cette disposition est entrée en vigueur à compter du lendemain de sa publication au Journal officiel, elle s'applique donc aux opérations dont le fait générateur se réalise à compter du 31 décembre 2015.

II - Abaissement du seuil de déclenchement de la taxation des ventes à distance à la TVA en France (30)

Aux termes des articles 258 A (N° Lexbase : L9142I84) et 258 B (N° Lexbase : L3022KWT) du CGI, la livraison d'un bien meuble corporel expédié par le vendeur ou pour son compte constitue une vente à distance et non une livraison intracommunautaire dans le cas où l'acquéreur est établi dans un autre Etat membre (EM) et est un particulier ou une personne bénéficiant du régime dérogatoire (PBRD) (31). C'est une vente business to consumer (B2C). Il s'agit d'une disposition dérogatoire au droit commun applicable pour la détermination du lieu de livraison d'un bien meuble corporel. Les ventes à distance comprennent notamment les ventes par correspondance et plus généralement toutes les ventes de biens expédiés ou transportés dans un autre EM. Ces moyens de vente ont pour conséquence de délocaliser l'achat en supprimant l'obstacle de la distance, eu égard à cette constatation, il a été procédé à l'aménagement du principe de taxation dans le pays de vente (32). Ce régime dérogatoire résulte d'un compromis "entre, d'une part, le principe de taxation à la consommation finale qui est le fondement même de la TVA, et, d'autre part, la nécessité de ne pas faire peser sur les petits vendeurs des charges administratives excessives, en leur imposant de calculer de multiples taux de TVA et de reverser celle-ci à plusieurs Etats membres" (33). Le nombre de ces ventes ainsi que leur montant ont connu une augmentation conséquente du fait du développement du commerce électronique.

Dans le cadre des ventes à distance, la TVA est due par le vendeur, cependant en fonction du seuil du chiffre d'affaires afférent à ces ventes, la TVA est acquittée soit dans le pays d'arrivée pour le montant dépassant le seuil, soit dans le pays de départ si le montant de ces ventes ne dépasse ledit seuil.

Pour être qualifiée de vente à distance, la livraison de bien meuble corporel doit remplir, de manière cumulative, trois conditions :

- elle doit être effectuée de la France vers un autre EM ou inversement d'un autre EM vers la France et suppose ainsi nécessairement le franchissement d'une frontière ;

- ensuite, elle doit porter sur des biens expédiés ou transportés par le vendeur ou pour son compte à destination de l'acquéreur ; ce régime n'est applicable ni aux moyens de transport neufs, ni aux produits déjà soumis aux droits d'accises ;

- enfin, elle doit être réalisée à destination d'un particulier ou d'une PBRD. Dès lors où l'acquéreur est un assujetti ou un PBRD devant être soumis à la TVA, ce régime n'est plus applicable.

Le régime de ces ventes à distance est le suivant. Dans l'hypothèse d'une vente à partir d'un EM à destination de la France, le lieu de livraison est réputé être situé en France si le vendeur a réalisé des ventes à distance pour un montant supérieur à 100 000 euros HT. Le chiffre d'affaires à prendre en compte correspond au montant HT des ventes à distance réalisées par le vendeur (ou pour son compte) dans l'EM d'arrivée du bien (34). Il s'agit du montant de l'année civile précédente ou, à défaut, de l'année en cours au moment de la livraison du bien meuble corporel. En revanche, dans le cas où le seuil de 100 000 euros n'a pas été dépassé, le fournisseur peut opter pour la taxation de ces ventes en France. Le fournisseur relevant d'un autre EM mais imposable en France doit s'identifier à la TVA en France soit directement, soit par le biais d'un mandataire.

Par l'adoption de l'article 9 de la loi de finances pour 2016 (35), et conformément à l'article 34 de la Directive 2006/112/CE (36), la France a décidé d'abaisser le seuil de 100 000 à 35 000 euros pour le montant des ventes à distance à partir duquel la TVA s'applique en France. En effet, aux termes de cette disposition, les EM ont la possibilité d'abaisser ce seuil à 35 000 euros "dans le cas où cet Etat membre craint que le seuil de 100 000 euros ne conduise à de sérieuses distorsions de concurrence". En choisissant de conserver le seuil de 100 000 euros, la France ne faisait pas partie de la majorité des EM (37) qui avaient opté pour le seuil de 35 000 euros. Cette modification entraîne plusieurs conséquences. D'une part, elle doit permettre à la France de "collecter plus largement la TVA française sur les ventes de biens à des consommateurs français" (38). Ainsi, eu égard aux différences de taux applicables entre les EM de l'UE, les distorsions de concurrence entre les opérateurs économiques ont considérablement augmenté au regard du fort développement du commerce électronique. D'autre part, elle s'inscrit aussi dans la perspective d'accroître les moyens de lutte contre la fraude fiscale ; notamment il apparaît que ce type de vente permet une fraude importante et est inscrite parmi les 17 montages abusifs dénoncés par la DGFIP (39) en avril 2015.

A compter de la mise en oeuvre de ce nouveau seuil, les entreprises effectuant ce type d'opérations devront les soumettre à la TVA française dans les hypothèses suivantes :

- lors de la première livraison de biens effectuée à compter du 1er janvier 2016 si elles ont réalisé en vente des ventes à distance pour un montant supérieur à 35 000 euros en 2015 ;

- si l'entreprise n'avait pas réalisé en 2015 des ventes à distance pour un montant supérieur à 35 000 euros, elles seront néanmoins imposables à la première livraison entraînant le dépassement du seuil de 35 000 euros durant l'année 2016.

Cette disposition est applicable aux livraisons de biens dont le fait générateur intervient à compter du 1er janvier 2016. Pour rappel, le fait générateur en matière de livraisons de biens est constitué par le transfert du pouvoir de disposer du bien comme un propriétaire, soit lors de sa délivrance (40). Ce changement de seuil aura pour effet d'augmenter le nombre d'entreprises soumises à la TVA française. S'agissant des entreprises qui ne sont pas établies en France, elles seront tenues de s'identifier auprès de la direction des résidents à l'étranger et des services généraux (41).


(1) Loi n° 2015-1785 du 29 décembre 2015, de finances pour 2016 (N° Lexbase : L2719KWM).
(2) Loi n° 2015-1786 du 29 décembre 2015, de finances rectificative pour 2015 (N° Lexbase : L1131KWS).
(3) Comité national de lutte contre la fraude, dossier de presse, 23 juin 2015, p. 11.
(4) Commission européenne (DG TAXUD), Study to quantify and analyse the VAT Gap in the EU Member States, mai 2015.
(5) Loi n° 2015-1785, art. 88, op. cit..
(6) Loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 (N° Lexbase : L6136IYW).
(7) CE 9° et 10° s-s-r., 24 juin 2015, n° 367288, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A0111NM3) : RJF, 10/15, n° 812 ; concl. M.-A. Veillon : BDCF, 10/15, n° 123 ; L'administration fiscale, le pharmacien et l'ordinateur, N. Labrune, RJF, 10 /15, pp. 715-719.
(8) Assemblée nationale, Rapport n° 3110 sur le projet de loi de finances pour 2016, Tome III, Volume I, art. 38 du projet de loi, p. 117 et suivantes, p. 123.
(9) Loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013, op. cit..
(10) Le non-respect de cette obligation est sanctionné aux termes de l'article 1734 du CGI (N° Lexbase : L4553I7R) par une amende de 1500 euros par logiciel ou système caisse vendu ou par client.
(11) Sur les personnes visées par cette obligation : BOI-CF-COM-10-80, § 190 (N° Lexbase : X9405ALW).
(12) DF, 2013, n° 51-52, comm. 568 ; BOI-CF-INF-20-10-20, § 420 à 540 (N° Lexbase : X4580AL9). Aux termes de l'article 1770 undecies du CGI (N° Lexbase : L3951I3Q), les personnes visées sont passibles d'une amende égale à 15 % du chiffre d'affaires provenant de la commercialisation de ces logiciels et systèmes de caisse ou des prestations ayant entraîné leur modification.
(13) BOI-CF-COM-10-80, § 180 préc..
(14) BOI-CF-COM-10-80, § 180 préc..
(15) BOI-CF-COM-10-80, § 180 préc..
(16) CGI, art. 286, I, 3 bis (N° Lexbase : L0916I73).
(17) "Peuvent seuls procéder à la certification de produits ou de services les organismes qui bénéficient d'une accréditation délivrée par l'instance nationale d'accréditation, ou l'instance nationale d'accréditation d'un autre Etat membre de l'Union européenne, membre de la coopération européenne pour l'accréditation et ayant signé les accords de reconnaissance mutuelle multilatéraux couvrant la certification considérée".
(18) Assemblée nationale, Rapport n° 3110 sur le projet de loi de finances pour 2016, Tome III, Volume I, art. 38 du projet de loi, p. 117 et suivantes, p. 125 : op. cit..
(19) LPF, art. L. 10 (N° Lexbase : L3156KWS) et s..
(20) Commission européenne (DG TAXUD), Study to quantify and analyse the VAT Gap in the EU Member States, mai 2015, op. cit..
(21) Loi n° 2006-1771, 30 décembre 2006, art. 93 (N° Lexbase : L9270HTI) ; DF, 2007, n° 5, comm. 130.
(22) CGI, art. 283 (N° Lexbase : L3959KWK).
(23) CGI, art. 262 ter (N° Lexbase : L5503HWQ).
(24) CGI, art. 273, 3 (N° Lexbase : L5384HLY).
(25) A propos de cette condition, cf. A. Grousset, Lutte contre la fraude fiscale carrousel : à la recherche d'un juste équilibre entre les obligations des entreprises et celles des administrations fiscales, DF, 2015, n° 37, pp. 12-16.
(26) Loi n° 2009-1673 du 30 décembre 2009, art. 102, I, 9° (N° Lexbase : L1816IGD).
(27) Pour exemple : CJUE, 13 février 2004, aff. C-18/13 (N° Lexbase : A1276MEY) : RJF, 5/14, n° 535.
(28) LPF, art. L. 16-0 BA, I, 2° (N° Lexbase : L0275IW4).
(29) CGI, art. 273, 3, préc..
(30 Loi n° 2015-1785 du 29 décembre 2015, art. 9, op. cit..
(31) BOI-TVA-CHAMP-20-20-10, § 160 à 450 (N° Lexbase : X9166AL3).
(32) M. Cozian, F. Deboissy, Précis de fiscalité des entreprises 2015-2016, 39ème éd., LexisNexis, coll. Précis fiscal, 974 pages, p. 630.
(33) Sénat, rapport n° 164 (2015-2016), tome I, art. 3.
(34) CGI, art. 258 B, I, 1°, préc..
(35) Op. cit..
(36) Directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006, relative au système commun de TVA (N° Lexbase : L7664HTZ).
(37) Actuellement, seuls l'Allemagne, le Luxembourg et les Pays-Bas ont conservé le seuil de 100 000 euros.
(38) O. Courjon, Les principes directeurs de TVA au menu de l'OCDE, DF, 2015, n° 46, pp. 3-5, p. 4.
(39) V. site du ministère de l'Economie et des Finances.
(40) CGI, art. 269, 1, a (N° Lexbase : L0914I7Y).
(41) DRESG-10, rue du Centre, TSA 20011, 93465 Noisy-le-Grand - tél. : 01 57 33 85 00.

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