La lettre juridique n°633 du 19 novembre 2015

La lettre juridique - Édition n°633

Éditorial

"Tripadviser" les avocats et laisser la déontologie dans sa toque ?

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N0019BWM

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 19 Novembre 2015


"L'homme s'appartient quand il ne se compare plus à aucun homme" - Georges Perros, Papiers collés.

On peut comprendre que l'indépendance, vertu première de la profession d'avocat, s'accommode mal de la publication d'un site proposant, outre un annuaire, un système de notation, la possibilité de commenter les diligences et les honoraires d'un avocat, voire de comparer les honoraires ainsi pratiqués. Les fondateurs d'un tel service numérique ne s'en cachent même pas : ils proposent ni plus ni moins que d'appliquer la méthode "Tripadvisor" aux professions du droit, aux avocats en particulier.

La réaction du Conseil national des barreaux ne s'est pas faite attendre, à la suite de plusieurs saisines d'avocats étonnés de se retrouver, malgré eux, référencés sur le site en question. Didier Adjedj, président de la commission Exercice du droit du CNB, rappelait alors que "récupérer des bases de données entières pour les utiliser à des fins commerciales [était] inacceptable", au regard des dispositions de l'article L. 342-1 du Code de la propriété intellectuelle soumettant à l'autorisation du producteur de la base de données la réutilisation de tout ou partie de celle-ci. Et, les réactions pourraient bien être plus virulentes : si l'on écarte la simple demande de retrait de l'annuaire proposé et la rectification des inexactitudes des données collectées, se rapportant à l'avocat ainsi référencé, il y a une zone grise concernant le droit de réponse du professionnel lorsque celui-ci est mis en cause, sa réputation, sa compétence, qu'il conviendra de lever rapidement, sous peine de dérives préjudiciables pour tout le monde.

Sur la publication d'un annuaire (avec un moteur de recherche), on observera que le Conseil national des barreaux et la grande majorité des Ordres en proposent un sur leurs sites internet respectifs, qu'ils sont plus à même de collecter les bonnes informations en cause, et que s'il est besoin d'un site commercial pour ce faire, il serait grand temps pour les institutions représentatives de mettre en évidence l'accessibilité de leurs données, si ce n'est objectivement pas déjà fait ! On aura compris que le moyen selon lequel "quelque 69 % des personnes interrogées considèrent qu'il est difficile de trouver un bon avocat" (source Opinionway) est fallacieux ; car tout est dans le "bon avocat" ! "Bon avocat" par rapport à qui, à quoi, quelle compétence, quelle (pardon encore) postulation ? D'autant que la deuxième branche du moyen précise : "85 % d'entre elles jugent difficile de trouver un bon avocat à un prix abordable". Nous y voilà !

L'enjeu serait donc bien de "disposer d'informations sur l'efficacité des avocats ou de savoir si leurs clients en ont été satisfaits" : comme un hôtel, un restaurant, une exposition, pire un robot-minute.

Première observation : l'appréciation d'une nuitée à l'hôtel, d'un plat dans un restaurant, d'une collection dans un musée est extrêmement subjective, commentateurs comme lecteurs le savent et relativisent l'exercice, d'autant que cette appréciation se fera le plus souvent au regard de standards (étoiles, macarons, bibs gourmands) eux-mêmes élaborés par des tiers (de confiance ou d'autorité). Marc Bollet, Président de la Conférence des Bâtonniers, ne dit pas autre chose au Parisien.

Deuxième observation : on ne compare pas la mission, les diligences d'un avocat, comme les fonctionnalités d'un objet. Il est certain que l'appréhension consumériste de la mission de justice de l'avocat par les pouvoirs publics comme par les justiciables conduit, une nouvelle fois, à une erreur d'analyse de la relation client-avocat fondée, avant toute chose, sur la confiance -c'est-à-dire la foi, l'espérance dans l'autre-. Choisir son avocat sur la base d'étoiles et de commentaires partiaux, positifs comme négatifs au demeurant, c'est zapper la confiance qui se tisse de prime abord entre l'avocat et son client et qui est fondamentale à la bonne conduite des procédures et conseils diligentés.

Troisième observation : et le secret professionnel dans tout cela ? Il est déjà assez incongru que l'avocat ne puisse donner de références clients que lorsqu'il fait acte de candidature à un marché public de prestation juridique, au regard du secret professionnel justement, alors que l'internaute pourra lui indiquer urbi et orbi avoir été client de tel ou tel avocat.

Mieux, quid du droit de réponse ou de rectification d'un avocat à l'approche d'un commentaire inexact, désobligeant, si ce n'est diffamatoire ? On rappellera que, si l'avocat peut écarter le secret professionnel, c'est pour sa propre défense certes... mais dans l'enceinte d'un tribunal ! Pas sur un blog ou site internet ! Que peut répondre un avocat au sujet d'un manque de diligence, d'un mauvais conseil ou d'une mauvaise information qu'il aurait donné ? Que peut répondre un avocat sur les honoraires réellement pratiqués, en l'absence de standardisation des affaires... parce qu'aucune affaire n'est semblable à une autre ?

La loi et la justice appréhendent déjà largement l'action et la compétence des avocats au regard des contentieux initiés par les clients, que ce soit en matière de responsabilité professionnelle comme en matière de taxation des honoraires ; le tout dans le respect du contradictoire qui plus est ! Ce que ne garantit en rien un tel site de notation et de "comparaison" lorsque la déontologie, le secret professionnel, la loyauté, la délicatesse (notamment) ne permettent pas de développer de contre-arguments. Tout cela est bien entendu, et d'autant plus, soumis à la singularité de chaque affaire et à l'aléa judiciaire qui constitue, le plus souvent, le point de mécontentement des justiciables.

Ceci étant (rapidement) dit, se pose en fait la question de la légitimité d'un comparateur ou d'un système de notation pour un service qui entend s'inscrire dans une économie... de la qualité. Cette qualité, aussi paradoxal que cela puisse paraître, ne s'apprécie certainement pas au regard d'étoiles ou de commentaires, avouons-le, le plus souvent des seules insatisfactions de la clientèle ! Cette qualité s'apprécie au long de l'expérience du professionnel, de sa notoriété, de son réseau de confiance, de sa clientèle fidèle. Cette qualité ne peut, en général, pas se résumer en quelques lignes de contentement ou non sur une affaire donnée. Quant au prisme de l'honoraire, il est bien pire.

Si le but affiché du reste est la transparence des honoraires de l'avocat pour des missions dites standards, le postulat de base est mensonger : d'abord les honoraires sont désormais négociés en amont et contractuellement établis avec le client -on ne peut pas faire transparence plus pertinente- ; ensuite les affaires standards ne sont souvent pas celles qui intéressent les justiciables -de toute manière le juge taxateur sera invité à réduire le montant des honoraires au regard des diligences accomplies, voire la fortune du client, etc.-.

Au final, ce type de site secoue la profession et c'est tant mieux ! Mais, outre qu'il requiert des réponses rapides de la part des déontologues quant aux marges de manoeuvre des avocats pour répondre aux éventuelles critiques formulées, il confond les avocats à réfléchir sur la nature de leur mission, la nécessité d'une publicité encadrée -à l'heure où le Conseil d'Etat vient de rappeler que les tracts, affiches, films cinématographiques, émissions radiophoniques ou télévisées n'étaient pas adéquats-, et sur le caractère libéral de leur activité : encore ne sont-ils pas obligés de participer à la "consumérisation" de leur mission d'auxiliaire de justice et à la fonctionnarisation de leur profession !

Alors, le site vante que l'internaute "pourra acheter pour un prix donné une heure de conversation avec un spécialiste en droit immobilier et obtenir rapidement des réponses" : "l'ubérisation", c'est-à-dire ici la prolifération des intermédiaires, est-elle inéluctable ? Nous avons déjà répondu à cette question, il y a peu, par la cinglante négative, sans oublier d'exhorter chaque professionnel à renforcer sa compétence et à accroître sa notoriété. Les premiers intermédiaires entre l'avocat et le client doivent demeurer avant tout : les avocats eux-mêmes, à travers leurs Ordres principalement.

Relire Goethe : "comparer n'est pour l'ignorant qu'un moyen commode de se dispenser de juger" ; n'est-ce pas un comble lorsqu'il est affaire de justice ?

newsid:450019

Avocats/Accès à la profession

[Brèves] Reconnaissance mutuelle des qualifications professionnelles : le conseil de l'Ordre reste maître de l'appréciation des conditions de probité nécessaires à l'admission d'un avocat extracommunautaire au tableau

Réf. : Cass. civ. 1, 12 novembre 2015, n° 14-25.799, F-P+B (N° Lexbase : A7456NW3)

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Le 19 Novembre 2015

Si aux termes de l'article 11 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 (N° Lexbase : L6343AGZ), l'accès à la profession d'avocat est soumis, outre à une exigence de réciprocité pour les ressortissants d'un Etat n'appartenant pas aux Communautés européennes, à des conditions de compétence professionnelle et de moralité, il ne s'ensuit pas nécessairement que tout candidat satisfaisant à l'obligation de compétence issue de l'Arrangement en vue de la reconnaissance mutuelle des qualifications professionnelles (ARM) conclu entre le CNB et le barreau du Québec, doive être inscrit au barreau ; le conseil de l'Ordre, chargé de veiller au respect des principes régissant la profession, étant tenu de vérifier la moralité de l'impétrant. Telle est la solution dégagée par la première chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 12 novembre 2015 (Cass. civ. 1, 12 novembre 2015, n° 14-25.799, F-P+B N° Lexbase : A7456NW3). Dans cette affaire, M. S., exerçant comme avocat au barreau du Québec après sa radiation du barreau de Paris en 2002, a sollicité son inscription à ce barreau en application de l'article 11 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 et de l'ARM conclu entre le CNB et le barreau du Québec. Sa demande ayant été rejetée par un arrêt de la cour d'appel de Paris rendu le 25 septembre 2014 (CA Paris, Pôle 2, 1ère ch., 25 septembre 2014, n° 13/01833 N° Lexbase : A1177MXU), il a formé un pourvoi en cassation. En vain. En effet, énonçant la solution précitée, la Cour de cassation approuve les juges parisiens, après avoir constaté que M. S., qui avait été radié pour des agissements contraires à la probité, devait rapporter la preuve de son amendement pour exercer à nouveau la profession d'avocat, d'avoir estimé que les éléments par lui produits étaient insuffisants pour rétablir la confiance que doit inspirer tout auxiliaire de justice (cf. l’Ouvrage "La profession d'avocat" N° Lexbase : E8010ETT).

newsid:450022

Avocats/Périmètre du droit

[Jurisprudence] Le métier d'avocat doit être protégé intégralement

Réf. : Cass. crim., 13 octobre 2015, n° 14-83.354, F-D (N° Lexbase : A6050NTA)

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par Jean Bouëssel du Bourg, Docteur en droit, ancien Bâtonnier, Avocat au barreau de Rennes

Le 19 Novembre 2015

Les avocats bénéficient d'un monopole de représentation en justice devant certaines juridictions mais, dans une moindre mesure, ils ont aussi un monopole pour donner des consultations et rédiger des actes juridiques. Certains désapprouvent ce monopole. Il est pourtant fondé sur une double raison. Le législateur a voulu que ceux qui représentent en justice et qui conseillent sur des problèmes de droit soient sélectionnés de manière rigoureuse. L'avocat justifie d'une compétence de haut niveau qu'il a obtenue en poursuivant une formation longue puisqu'il est au minimum titulaire d'une maîtrise en droit et d'un certificat d'aptitude que l'on obtient après près de deux années d'étude supplémentaires. L'avocat présente, par ailleurs, des garanties d'honnêteté et d'honorabilité et il s'engage à suivre une déontologie exigeante. Une condamnation pénale pour des agissements contraires à la probité fait perdre le droit de donner des consultations juridiques (voir par exemple CA de Bordeaux, 6 novembre 2012, n° 11/01245 N° Lexbase : A8290NWX). Toutes ces obligations sont rappelées aux articles 3 et 11 de la loi du 31 décembre 1971 (N° Lexbase : L6343AGZ). La justice et ses usagers ont besoin de cette double garantie. Le juge doit être certain qu'il ne sera pas trompé, l'usager doit être certain qu'il sera bien conseillé. Nous avons déjà expérimenté une société sans avocat. Le ministère d'avocat a été supprimé en 1790 pendant toute la période révolutionnaire. Les avocats furent remplacés par de simples "hommes de loi" qui n'étaient astreints à aucune déontologie. On sait ce qu'il advint. Les juges se sont alors plaints de déloyautés, de violation du contradictoire. La profession d'avocat a été rétablie en 1804 pour mettre un terme à ces dérives. Si ce monopole est justifié, il convient alors de le protéger. Mais cette protection implique que l'on définisse avec précision les contours de ce monopole et les rôles confiés aux avocats. L'arrêt rendu le 13 octobre 2015 par la Chambre criminelle de la Cour de cassation illustre parfaitement le problème. Dans cette affaire, un avocat, ancien conseil juridique, avait ouvert un cabinet secondaire à Villeurbanne et y avait installé un juriste à qui il avait donné plein pouvoir pour gérer son cabinet secondaire. Il avait ensuite cédé la clientèle de ce cabinet secondaire à ce juriste sous condition d'admission du cessionnaire au barreau local. Cette admission fut refusée mais le juriste continua malgré tout à exercer son activité en faisant croire qu'il avait la qualité d'avocat. Il usurpait ainsi le titre d'avocat. Il commit, par ailleurs, diverses malversations qui lui valurent des poursuites pénales pour escroquerie et exercice illégal de la profession d'avocat.

Le juriste fut condamné par la cour d'appel de Lyon pour escroquerie mais relaxé pour l'exercice illégal de la profession d'avocat au motif qu'il n'avait pas représenté ou assisté ses clients devant une juridiction.

Au visa de l'article 388 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3795AZL), l'arrêt de la cour d'appel de Lyon est cassé. La Chambre criminelle de la Cour de cassation relève que "la prévention visait l'exercice illégal de l'activité de consultation et de rédaction d'actes en matière juridique caractérisant également la profession d'avocat".

La cour d'appel d'Aix-en-Provence avait déjà admis qu'une personne qui n'était pas juriste salarié d'une entreprise et n'appartenait pas à une profession réglementée ne pouvait pas donner des consultations juridiques et rédiger des actes juridiques pour autrui sans commettre l'infraction d'exercice illégal de la profession d'avocat (CA Aix en Provence, 25 mars 2009, n° 08/2765 N° Lexbase : A8288NWU).

Mais cette jurisprudence n'avait pas été suivie par la cour d'appel de Lyon.

La décision, prise par la Cour de cassation, pourrait paraître discutable au regard des dispositions combinées des articles 4 et 72 de la loi du 31 décembre 1971. Elle est cependant justifiée.

L'article 4 dispose que "nul ne peut, s'il n'est avocat, assister ou représenter les parties, postuler et plaider devant les juridictions" et l'article 72 punit ceux qui, n'étant pas inscrits au barreau, ont "exercé une ou plusieurs des activités réservées au ministère des avocats dans les conditions prévues à l'article 4". Une interprétation restrictive de ces dispositions a conduit la cour d'appel de Montpellier à refuser de considérer qu'il y avait exercice illégal de la profession d'avocat pour un juriste ayant exercé une activité juridique mais pas une activité judiciaire: "il n'est pas établi qu'il a assisté ou représenté une partie ou effectué des diligences telles que prévues par l'article 4 de la loi du 31 décembre 1971, seules activités pénalement sanctionnées par l'article 72 de la loi" (CA Montpellier, 12 mai 2015, n° 14/01163 N° Lexbase : A8291NWY).

Dans son arrêt du 13 octobre 2015 la Cour de cassation adopte une position différente en retenant qu'une activité purement juridique peut constituer un exercice illégal de la profession d'avocat.

Pour être répréhensibles les consultations doivent avoir été données de manière habituelle (CA Paris, 26 juin 1996, n° 95/01546 N° Lexbase : A8293NW3). Une activité juridique occasionnelle n'est pas réservée aux seuls avocat.

A l'inverse, l'activité judiciaire n'a pas besoin d'être habituelle pour constituer un exercice illégal de la profession d'avocat (Cass. crim., 5 février 2013, n° 12 -81.155, FS-P+B N° Lexbase : A6410I7K et Cass. crim., 14 janvier 2015, n° 13-85.868, F-D N° Lexbase : A4631M9E).

Même dans les affaires où les parties peuvent se faire assister ou représenter par une personne de leur choix munie d'un pouvoir spécial, ces personnes ne peuvent exercer ces missions de manière habituelle sans commettre l'infraction d'exercice illégale de la profession d'avocat (CA Paris, 14 avril 1999, n° 98/05246 N° Lexbase : A8295NW7 et Cass. crim., 7 avril 1999, n° 98-80.073 N° Lexbase : A0980CPY).

La solution donnée par l'arrêt du 13 octobre 2015 ne peut qu'être approuvée.

L'article 72 de la loi du 31 décembre 1971 réprime ceux qui exercent une ou plusieurs des activités réservées au ministère des avocats.

Or, l'article 54 de la loi du 31 décembre 1971 réserve en grande partie l'activité juridique aux avocats. Et les dispositions de l'article 54 sont d'ordre public (CA Douai, 21 janvier 2013, n° 12/01470 N° Lexbase : A5878I34).

Certes, les avocats n'ont pas le monopole de la consultation et de la rédaction des actes juridiques. Certains juristes visés par les articles 56 à 66 de la loi du 31 décembre 1971 peuvent avoir une activité juridique. Ce sont notamment les juristes d'entreprise qui travaillent pour leur entreprise, les personnes exerçant une activité professionnelle réglementée s'ils font du droit à titre accessoire, certains professionnels qualifiés et certaines associations reconnues d'utilité publique.

Mais en dehors des juristes visés par la loi, l'activité juridique rémunérée est réservée aux avocats. Cette restriction a été jugée parfaitement légale par la CJCE dès lors que quatre conditions sont remplies : l'absence de discrimination, les raisons impérieuses d'intérêt national, les restrictions permettent de réaliser l'objectif poursuivi et que la réglementation n'aille pas au-delà de ce qui est nécessaire (CJCE, 12 décembre 1996, aff. C-3/95 N° Lexbase : A9992AUM).

Il faut bien reconnaître cependant qu'il n'est pas toujours facile de déterminer quels sont les juristes qui relèvent des articles 54 et suivants de la loi du 31 décembre 1971. La cour d'appel de Toulouse a pu estimer qu'une présence à l'audience aux côtés d'une partie pour donner des avis techniques ne pouvait être assimilée à une assistance juridique" (CA Toulouse, 28 octobre 2013, n° 13/00554 N° Lexbase : A8297NW9). De même, un contrat destiné à obtenir une diminution des impôts locaux a été considéré comme une prestation essentiellement technique ne relevant pas des dispositions de l'article 54 de la loi de 1971 (CA Douai, 21 janvier 2013, n° 12/01470, préc.). La cour d'appel de Paris a trouvé normal qu'un OPQCM propose aux entreprises des services de recherches d'économies à réaliser sur les charges sociales et fiscales. Un membre de CIVI, qui donnait des consultations et rédigeait des actes juridiques, n'a pas été jugé répréhensible par la cour d'appel d'Amiens au motif que son activité ne constituait pas une pratique du droit au sens de la loi du 31 décembre 1971 (CA Amiens, 18 juin 2014, n° 13/00961 N° Lexbase : A8289NWW).

A l'inverse, un courtier, qui ne se contente pas d'exercer une activité juridique dans le cadre des mandats reçus par les compagnies d'assurance, commet l'infraction d'exercice illégal de la profession d'avocat (CA Grenoble, 3 juillet 2014, n° 13/05517 N° Lexbase : A5556MSL). De même un "expert", qui assure à ses clients une défense devant les compagnies d'assurance, exerce une activité irrégulière car cette activité est réservée aux avocats (CA Lyon, 12 mai 2009, n° 08/08208 N° Lexbase : A8298NWA).

L'avocat qui continue à exercer malgré une omission commet l'infraction d'exercice illégal de la profession (CA Paris, 11 juin 1998, n° 97/01736 N° Lexbase : A8295NW7). A l'inverse, il n'y a pas d'exercice illégal s'il a fait l'objet d'une interdiction car il est dans ce cas toujours inscrit au barreau (CA Rouen, 24 juin 2009, n° 08/00878 N° Lexbase : A8296NW8).

Par ailleurs, les juristes font parfois preuve de subtilité pour contourner les dispositions restrictives de l'article 54 et tenter d'exercer une activité réservée aux avocats et à certaines professions strictement visées par la loi de 1971. Un juriste a par exemple tenté de monter un syndicat de façade pour prétendre assister des clients en justice (CA Paris, 19 septembre 2006, n° 05/03461 N° Lexbase : A8292NWZ).

Il n'était pas contesté en l'espèce que le juriste poursuivi ne s'était pas présenté devant les tribunaux pour plaider. Mais, il reconnaissait, en revanche, avoir donné des consultations et rédigé des actes juridiques de manière habituelle.

Le juriste poursuivi n'était pas juriste d'entreprise, il n'appartenait pas à une profession réglementée. Il laissait penser à la clientèle qu'il bénéficiait de la qualité d'avocat.

C'est donc bien à tort que la cour d'appel de Lyon a estimé qu'il n'y avait pas exercice illégal de la profession d'avocat au motif que le juriste n'avait pas plaidé. Réduire l'exercice de la profession d'avocat à l'exercice de la plaidoirie aboutirait à priver le titre d'avocat d'une grande partie de sa protection.

Il n'est pas contestable que la consultation et la rédaction d'actes juridiques font partie de l'activité d'un avocat. Ces activités ont même été étendues et renforcées par des lois récentes : l'avocat peut donner des consultations en dehors même de son cabinet, depuis le décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, organisant la profession d'avocat (N° Lexbase : L8168AID), et ses actes juridiques peuvent recevoir une force probante particulière depuis la loi n° 2011-331 du 28 mars 2011, de modernisation des professions judiciaires ou juridiques et certaines professions réglementées (N° Lexbase : L2792IRT).

La décision de la Cour de cassation donne sans doute un coup d'arrêt à une jurisprudence qui admettait assez facilement le droit de donner des consultations juridiques sans commettre l'infraction d'exercice illégal de la profession d'avocat.

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Avocats/Publicité

[Brèves] Annulation de l'interdiction de la publicité des avocats par voie de tracts, affiches, films cinématographiques, émissions radiophoniques ou télévisées

Réf. : CE 1° et 6° s-s-r., 9 novembre 2015, n° 386296 (N° Lexbase : A3621NWZ)

Lecture: 2 min

N9940BUP

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Le 21 Novembre 2015

Est annulé le deuxième alinéa de l'article 15 du décret du 12 juillet 2005 (N° Lexbase : L6025IGA), qui prévoit que la publicité permise aux avocats s'opère "dans les conditions prévues par le décret du 25 août 1972" (N° Lexbase : L6642BHH), en ce qu'il renvoie à l'intégralité du décret de 1972 sans prévoir que ce renvoi ne porte pas sur l'article 2 de ce même décret. Telle est la solution d'un arrêt du Conseil d'Etat, rendu le 9 novembre 2015 (CE 1° et 6° s-s-r., 9 novembre 2015, n° 386296 N° Lexbase : A3621NWZ). En effet, selon le Haut conseil, si l'article 3 du décret du 25 août 1972 ne s'applique pas aux avocats et si son article 4, dans sa rédaction désormais applicable, ne prohibe plus, pour les avocats, le recours à la sollicitation personnalisée mais se borne à encadrer le contenu des communications commerciales en prévoyant que celles-ci ne doivent contenir aucune indication contraire à la loi, ne pas méconnaître la discrétion professionnelle, ne pas porter atteinte à la vie privée, ne pas contenir des renseignements mensongers, inexacts ou fallacieux, son article 2 interdit cependant la publicité en vue de donner des consultations, de rédiger des actes ou de proposer une assistance en matière juridique par voie de tracts, affiches, films cinématographiques, émissions radiophoniques ou télévisées. Alors que le Garde des Sceaux n'indique pas en défense de raison impérieuse d'intérêt général justifiant une telle interdiction générale faite aux avocats de recourir à la publicité dans les modes de communication mentionnés ci-dessus, il en résulte que de telles dispositions sont incompatibles avec l'article 4 de la Directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006 (N° Lexbase : L8989HT4). En revanche, le Conseil d'Etat estime que les dispositions combinées des articles 3 bis et 66-4 de la loi du 31 décembre 1971 (N° Lexbase : L6343AGZ), dans leur rédaction issue de la loi du 17 mars 2014 (N° Lexbase : L7504IZX), autorisent désormais, par principe, les avocats à recourir à la publicité ainsi qu'à la sollicitation personnalisée, dans des conditions fixées par décret ; par suite, et sans qu'il soit besoin de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle, le moyen tiré de leur contrariété à la Directive 2006/123/CE doit être écarté. De même, ces dispositions législatives renvoyant à des dispositions réglementaires pour fixer les conditions du recours à la publicité et à la sollicitation personnalisée par les avocats, les restrictions ainsi prévues par ces dispositions réglementaires, qui relèvent du pouvoir d'appréciation laissé aux Etats membres, sont proportionnées aux raisons impérieuses d'intérêt général de protection de l'indépendance, de la dignité et de l'intégrité de la profession d'avocat, d'une part, et de bonne information du client, d'autre part. Ces dispositions réglementaires ne sont donc pas non plus incompatibles avec la Directive du 12 décembre 2006 (cf. l’Ouvrage "La profession d'avocat" N° Lexbase : E1789E7E).

newsid:449940

Bancaire

[Jurisprudence] Le devoir d'information du prêteur en matière d'assurance

Réf. : Cass. civ. 1, 30 septembre 2015, n° 14-18.854, F-P+B (N° Lexbase : A5487NSZ)

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N0012BWD

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par Alexandre Bordenave, Avocat au barreau des Hauts-de-Seine, chargé d'enseignement à l'ENS Cachan

Le 19 Novembre 2015

Eclairer (1), mettre en garde, informer, conseiller : les prêteurs sont désormais familiers de la ritournelle de devoirs dont on les berce dans les prétoires. L'arrêt rendu par la première chambre civile le 30 septembre 2015 y ajoute un refrain inédit.
En 2004, un établissement de crédit (la banque) consentit un prêt à une société civile immobilière (l'emprunteur), puis accorda à ce même emprunteur plusieurs autres ouvertures de crédit jusqu'en 2007. Faute de remboursement, la banque assigna l'emprunteur en justice. L'emprunteur rétorqua que l'offre de prêt ne mentionnait aucunement une proposition d'assurance. La cour d'appel d'Aix-en-Provence (2), vraisemblablement sensible au fait que l'absence de remboursement était au moins indirectement liée au fait que l'associée majoritaire de l'emprunteur (3) avait été victime d'un accident de santé ayant entraîné d'importantes pertes de revenus, fut sensible à cet argumentaire et condamna la banque à verser à l'emprunteur, à titre de dommages et intérêts la somme de 400 000 euros. La banque réagit avec vigueur : il faut dire que l'obligation de faire figurer sur l'offre de prêt la possibilité pour l'emprunteur de souscrire une assurance que prévoit l'article L. 312-8, 4° du Code de la consommation (N° Lexbase : L5239IXC) n'entra en vigueur qu'à compter du 1er octobre 2008. La banque se pourvut donc en cassation arguant non seulement de cela mais également de ce que le prêteur n'est tenu à une obligation de mise en garde qu'à l'égard d'un emprunteur non averti et aux capacités financières insuffisantes compte tenu du montant du prêt.
La Haute juridiction était donc invitée à trancher la question de la portée du devoir d'information du prêteur en matière d'assurance : le prêteur est-il tenu d'informer de l'intérêt que présente pour l'emprunteur la souscription d'une assurance et, si oui, est-ce le cas systématiquement ? La Cour de cassation, bien que cassant partiellement l'arrêt d'appel pour défaut de contradictoire, se rallie globalement au raisonnement des juges du fond en estimant que le devoir d'information du prêteur en matière d'assurance bénéficie à tous les emprunteurs, même avertis et même hors tout risque d'insolvabilité. D'ailleurs, elle le fait fit via un véritable attendu de principe : "le devoir d'information du prêteur en matière d'assurance bénéficie à tous les emprunteurs".

Il s'agit d'une décision inédite, conférant une portée remarquable au devoir d'information du prêteur en matière d'assurance, dont il convient d'étudier les caractéristiques (I) avant d'en apprécier les contours (II).

I - Les qualités du devoir d'information du prêteur en matière d'assurance

Aux termes de l'arrêt commenté, le devoir d'information du prêteur en matière d'assurance se voit paré des vertus d'universalité (A) et d'autonomie (B).

A - Un devoir universel

A ce propos, nous avons déjà cité partiellement l'attendu principal de l'arrêt commenté : le devoir d'information du banquier en matière d'assurance profite à "tous les emprunteurs". Existe ainsi quant à cette obligation une universalité de créanciers : comme un emprunteur profane, un emprunteur averti doit en bénéficier. En ce sens, la Cour de cassation se montre plus exigeante que la loi qui n'impose une obligation similaire qu'à l'égard du profane et dans le cadre d'un prêt immobilier (4).

Par ailleurs, il y a lieu de penser que cette obligation joue peu importe le type de crédit concerné : dans l'espèce qui nous retient, certes, était en cause un crédit immobilier mais la généralité de la formule employée par la première chambre civile ne paraît pas s'y limiter. C'est ainsi à l'occasion de la conclusion de tout type de prêt (immobilier, affecté ou non, à la consommation...) que le prêteur est tenu d'informer suffisamment son client à propos de la souscription d'une assurance.

Enfin, on peut s'interroger sur le point de savoir si cette obligation d'information concerne des intermédiaires d'assurance autres que des établissements de crédit. Là encore, assez vraisemblablement la réponse devrait être positive. Bien sûr, en pareille situation, assureur et emprunteur seront deux entités différentes mais il n'en restera pas moins que l'intermédiaire d'assurance devra informer de façon adéquate le futur assuré, profane ou averti, quant à l'assurance prise pour les besoins de son crédit.

De la sorte, c'est bien une universalité du devoir d'information du prêteur, professionnel à tout le moins, qui se dessine grâce à la décision de la Cour de cassation.

B - Un devoir autonome

L'attendu principal de l'arrêt du 10 septembre 2015 apporte une précision supplémentaire de haute importance : l'obligation d'information en matière d'assurance "s'impose indépendamment de tout risque d'endettement excessif". Il faut y voir un signe de l'autonomie de cette obligation, à savoir qu'elle ne se cantonne pas à des opérations de crédit créant à la charge de l'emprunteur un endettement excessif.

Le prêteur est donc invité à se poser une seule question : celle du risque de non remboursement du crédit nouvellement consenti si l'emprunteur se trouve privé de ses ressources, comme à la suite d'un accident, la perte d'un client majeur ou plus généralement tout événement affectant durablement son activité. Ce faisant, le prêteur est plus ou moins conduit à mener à un raisonnement in abstracto, largement détaché de la situation particulière de l'emprunteur. Ainsi, la Cour de cassation dépasse dans son arrêt du 30 septembre 2015 ce qu'elle a pu exiger en matière de crédit, où la question des capacités financières et des risques d'endettement est habituellement centrale (5). Au fond, c'est assez logique : l'information concerne ici, non pas le crédit, mais bien l'assurance elle-même.

Le tout aboutit à une portée extrêmement large de l'obligation d'information du prêteur en matière d'assurance puisqu'elle se destine aussi à des emprunteurs bien portant financièrement.

Tâchons désormais de mieux saisir l'objet de ce devoir d'information, condition indispensable pour vérifier s'il y est correctement satisfait ou non.

II - L'objet du devoir d'information du prêteur en matière d'assurance

Quoique la Cour de cassation parle d'obligation d'information c'est peut-être plutôt un devoir de conseil qui émerge de l'arrêt commenté (A), auquel il devrait être relativement aisé de satisfaire (B).

A - Un devoir de conseil

La jurisprudence demeure généralement floue dans les termes qu'elle utilise pour caractériser les obligations qu'elle met à la charge du prêteur, ne permettant guère d'établir une frontière sûre entre une obligation d'information, d'ordre objectif et relative aux caractéristiques du "produit bancaire" commercialisé, et une obligation de conseil, plus subjective et ayant trait à l'intérêt que la prestation peut présenter ou non pour le client. L'existence d'une telle obligation de conseil mise à la charge du prêteur, si elle a pu être reconnue par la Cour de cassation (6), a souvent été battue en brèche et, pour la dernière fois, dans un arrêt du 13 janvier 2015 exprimant "que, sauf disposition légale ou contractuelle contraire, la banque n'est pas tenue à une obligation de conseil à l'égard de son client" (7). Dont acte.

Néanmoins, en l'espèce, au-delà des termes employés, nous sommes d'avis que la Cour de cassation a entendu consacrer une véritable obligation de conseil à la charge du prêteur en matière d'assurance. En effet, à notre sens, ce n'est pas tant un simple devoir d'informer quant à la possibilité d'adhérer à une assurance qu'il a s'agit de sanctionner, ce qu'un emprunteur averti, comme au cas présent, ne pouvait raisonnablement ignorer, mais bien d'attirer l'attention de l'emprunteur quant au fait que la couverture, par la souscription d'une assurance, d'un risque "apparaît opportune", soit le conseiller à ce sujet. C'est donc à une jurisprudence particulièrement engagée que nous avons ici à faire.

B - Un devoir léger

Pour autant, les prêteurs ne devraient pas trop avoir à trembler devant ce joug nouveau qui leur est déposé sur les épaules, car celui-ci est plutôt léger. Il ne fait que prolonger le devoir prétorien mis à la charge du prêteur d'éclairer l'emprunteur d'un crédit immobilier "sur l'adéquation des risques couverts à sa situation personnelle" (8) en le poussant à son paroxysme. Certes, il conviendra donc que le prêteur ne se contente pas de distribuer à son client une notice standardisée en matière d'assurance (9) ; mais, dans le même temps, il suffira que le prêteur présente à son client un bilan coûts-avantages, même simple, de la souscription d'une assurance et d'une recommandation de souscription.

Par ailleurs, il faut bien avouer que, dans maints cas, la souscription d'une assurance liée au crédit est contractuellement obligatoire et que, sauf le cas d'une assurance fort inadaptée au risque souscrit ou à la situation raisonnablement prévisible de l'emprunteur (10), cette seule souscription peut non seulement s'avérer une bonne affaire pour le prêteur (puisque bien souvent une entité de son groupe dont il est l'intermédiaire fournit l'assurance) mais également constituer un élément de preuve de la bonne exécution de l'obligation de conseil en matière d'assurance mise à sa charge. Il paraît donc nécessaire de relativiser quelque peu le surcroît de travail créé pour les prêteurs par l'arrêt que la première chambre civile a rendu le 30 septembre 2015.

S'inspirant pour partie de certains mécanismes issus de la loi et de la jurisprudence antérieure, l'arrêt du 30 septembre 2015, même s'il fut rendu au sujet d'un établissement de crédit, semble surtout viser ce dernier en sa qualité d'intermédiaire d'assurance (11). Pour cette raison, il semble tirer une conséquence nouvelle du schéma de bancassurance. On le sait : ce modèle est typiquement français. En conséquence, il se trouve à l'image de tous les modèles français : parfois terriblement attaqué, il sait néanmoins s'éprouver à la recherche d'une vérité sans laquelle la charité est bien vide.


(1) Cass. civ. 1, 12 juillet 2005, n° 02-13.155, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A0277DKH).
(2) CA Aix-en-Provence, 6 février 2014, n° 12/23725 (N° Lexbase : A8271MDP)
(3) Responsable indéfiniment du passif social compte tenu de la forme de la société en cause, est-il besoin de le préciser ?
(4) C. consom., art. L. 312-8 (N° Lexbase : L7512IZA).
(5) Not. Cass. com., 5 novembre 2013, n° 11-27.400, F-D (N° Lexbase : A2183KPK).
(6) Cass. civ. 1, 27 juin 1995, n° 92-19.212 (N° Lexbase : A7283ABD), Revue de droit bancaire et de la bourse, n° 51, septembre-octobre, 1995, 185, obs. J. Crédot et Y. Gérard.
(7) Cass. com., 13 janvier 2015, n° 13-25.856, F-D (N° Lexbase : A4566M9Y), Revue Banque, n° 784, mai 2015, 84, obs. M. Boccara et M. Varnav, Revue de droit bancaire et financier, mai-juin 2015, com. n° 71, J. Crédot et Th. Samin.
(8) Ass. plén., 2 mars 2007, n° 06-15.267, P+B+R+I (N° Lexbase : A4358DUX), D., 2007, 871, obs. D. R. Martin et H. Synvet. Certains y avaient déjà vu une obligation de conseil en matière d'assurance : S. Piedelièvre, D., 2007, p. 985.
(9) Même s'il s'agit d'un minimum, sans lequel le prêteur ne pourra dans aucun cas prouver qu'il a au moins fourni un début de conseil.
(10) En considération de son âge ou de son secteur d'activité, par exemple.
(11) C. assur., art. L. 511-1 (N° Lexbase : L9783HE3). En ce sens, voir aussi Th. Bonneau, Droit bancaire, LGDJ, Paris, 2015, 11ème éd., n° 563, p. 417.

newsid:450012

Commercial

[Brèves] Nature et point de départ des pénalités de retard prévues par l'article L. 441-6 du Code de commerce

Réf. : Cass. com., 10 novembre 2015, n° 14-15.968, FS-P+B (N° Lexbase : A7471NWM)

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N0036BWA

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Le 21 Novembre 2015

La pénalité de retard prévue par l'article L. 441-6 du Code de commerce (N° Lexbase : L1780KGZ) constituant un intérêt moratoire, elle peut être assortie de la capitalisation prévue par l'article 1154 du Code civil (N° Lexbase : L1256AB7). Par ailleurs, les juges ne peuvent fixer le point de départ des pénalités de retard à la date de livraison sans constater que les conditions générales applicables entre les parties ou qu'un accord conclu par les organisations professionnelles du secteur concerné faisaient exception au délai de règlement de trente jours prévu par l'articles L. 441-6 du Code de commerce. Telles sont les précisions apportées par un arrêt rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 10 novembre 2015 (Cass. com., 10 novembre 2015, n° 14-15.968, FS-P+B N° Lexbase : A7471NWM). En l'espèce, se prévalant du non-règlement de factures par un acheteur, un producteur (de panneaux de bois) a obtenu une ordonnance d'injonction de payer à laquelle le premier a fait opposition. L'arrêt d'appel (CA Nancy, 27 novembre 2013, n° 12/02367 N° Lexbase : A3739KQK) a assujetti les pénalités de retard de 10,65 % et 10,38 % par an à la capitalisation prévue par l'article 1154 du Code civil. L'acheteur a alors formé un pourvoi en cassation soutenant, tout d'abord, que la pénalité de retard prévue par l'article L. 441-6 du Code de commerce n'a pas la nature d'intérêts moratoires et qu'il en résulte, dès lors, que l'article 1154 du Code civil ne lui est pas applicable. Enonçant la solution précitée, la Cour de cassation confirme ainsi l'arrêt d'appel en ce qu'il a pu assortir la pénalité de retard de la capitalisation prévue par l'article 1154 du Code civil conformément à la demande du fournisseur impayé. Elle le censure, toutefois, au visa de l'article L. 441-6 du Code de commerce, en ce que, pour condamner l'acheteur à des pénalités de retard de 10,65 % et de 10,38 %, par an, sur la base des taux d'intérêt applicables en 2010 et 2011, majorés de dix points, à partir du 9 juillet 2010, il a constaté que les panneaux de bois, objet des factures litigieuses, commandés au mois d'avril 2010, avaient été livrés au mois de juillet 2010.

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Contrats administratifs

[Jurisprudence] L'unicité de litige dans le contentieux d'appel de la validité du contrat

Réf. : CE 2° et 7° s-s-r., 21 octobre 2015, n° 384787, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A8631NTT)

Lecture: 9 min

N0029BWY

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par Pascal Caille, Maître de conférences en droit public, Université de Lorraine

Le 19 Novembre 2015

En dépit d'une jurisprudence remarquablement fournie sur ce point, la problématique de l'identité de litige de l'appel principal et de l'appel incident n'avait pas encore été réglée dans le cadre des recours en contestation de validité du contrat. La présente affaire était l'occasion pour le Conseil d'Etat de répondre à cette question d'autant plus importante qu'il en va de la recevabilité de certains appels incidents ; dans un arrêt rendu le 21 octobre 2015, il juge que l'appel incident d'une collectivité contestant l'annulation d'un marché par le juge du contrat ne soulève pas un litige distinct de l'appel du concurrent évincé portant sur la réparation du préjudice résultant de son éviction. A la suite d'une procédure de publicité et de mise en concurrence, un marché de location de longue durée de véhicules a été signé par la région Provence-Alpes-Côte d'Azur le 11 août 2008. L'un des concurrents évincés, la société X, a alors exercé un recours en contestation de validité du contrat devant le tribunal administratif de Marseille. Faisant partiellement droit à cette demande, le tribunal administratif de Marseille a annulé le marché et condamné la région au paiement à la société requérante de la somme de 99 200 euros en réparation du préjudice subi pour son éviction irrégulière. Ne se satisfaisant pas du jugement, la société X a interjeté appel, à raison au demeurant puisque la cour administrative d'appel de Marseille a, par un arrêt du 21 juillet 2014, porté le montant de la réparation à 717 400 euros (1). Mais la région avait, pour sa part, formé un appel incident que la cour administrative d'appel avait refusé de recevoir et ceci conduira la région à se pourvoir en cassation.

On rappellera que l'appel incident n'est rien d'autre que la riposte de l'intimé, laquelle peut être exercée jusqu'à la clôture de l'instruction. Cette riposte n'est cependant pas permise dans certains types de contentieux, qu'il s'agisse, notamment, du contentieux électoral (2), du contentieux des contraventions de grande voirie (3) ou de celui des sanctions disciplinaires (4). Il convient encore, et à grands traits ici, de préciser qu'un appel incident enregistré dans le délai d'appel doit être requalifié en appel principal (5). Hors cette hypothèse, l'appel incident n'est recevable qu'à la condition que l'appel principal soit lui-même recevable (6). Dans le même sens, l'appel incident ne sera pas admis si son enregistrement est intervenu postérieurement au donné acte du désistement de l'appelant principal (7) ou après l'acceptation par l'intimé de ce désistement (8). Et encore faut-il que l'appel incident concerne le même litige que celui appréhendé par l'appel principal. Telle était précisément la question au cas présent. La cour administrative d'appel de Marseille avait en effet jugé que, en tant que l'appel incident portait sur l'annulation en premier ressort du contrat là où l'appel principal portait sur la question du montant de l'indemnisation, les deux litiges étant distincts. L'appel incident était dès lors irrecevable. Mais le Conseil d'Etat d'annuler l'arrêt sur ce point et de renvoyer l'affaire devant la cour afin qu'il soit statué sur l'appel incident.

Comme l'atteste au demeurant sa publication au Recueil, cette solution mérite de retenir l'attention. En effet, des considérations tirées de la bonne administration de la justice justifient que la conception que le juge se fait de l'identité de litige soit traditionnellement stricte (I). Mais ce sont sans doute les mêmes considérations qui expliquent un assouplissement ponctuel supplémentaire de la notion par la présente décision (II).

I - Une conception traditionnellement stricte de l'identité de litige

Cela ne surprendra pas, l'identité de litige est "plutôt strictement entendue" (9). Il serait impossible de dresser un inventaire exhaustif de ce que la jurisprudence a considéré comme étant ou non des litiges distincts.

A titre d'exemples cependant, il y a identité de litige dans le contentieux de l'annulation quand l'appel principal vise une mesure de reconduite à la frontière alors que l'appel incident du préfet est dirigé contre le jugement en tant qu'il annule la décision fixant le pays de destination (10). Il y a encore identité de litige, en pleine juridiction, en présence d'un appel principal d'un jugement condamnant à réparer le préjudice né d'un licenciement irrégulier et d'un appel incident tendant au versement des indemnités de préavis et de licenciement (11). En revanche, constituent des litiges distincts l'appel principal contestant le jugement annulant un article d'un arrêté préfectoral interdisant la publicité sur le territoire d'un département et l'appel incident dirigé contre deux autres articles de cet arrêté fixant les conditions d'exploitation de dispositifs publicitaires dans certaines communes (12). Sont encore des litiges distincts l'appel principal contestant les modalités de calcul des intérêts et l'appel incident contestant le principe de l'indemnité (13).

Au cas présent, la question semblait bien n'avoir pas été tranchée jusqu'alors par le Conseil d'Etat. A la lumière des conclusions rendues devant la cour administrative d'appel par Mme Emilie Felmy (14), rapporteur public, et au regard du large faisceau de décisions rendues en matière de recevabilité des appels incidents, la solution retenue par la cour administrative d'appel ne manquait ni de logique, ni de cohérence. Cette solution reposait en effet sur la considération de ce que la nature du recours tendant à l'annulation du contrat et du recours indemnitaire est différente, dès lors qu'ils porteraient sur un objet différent et qu'ils posséderaient un régime juridique également différent.

Il est vrai que le Conseil d'Etat avait pu préciser le régime de recevabilité applicable aux demandes d'indemnisation formées par les concurrents évincés dans le cadre d'un recours en contestation de validité d'un contrat. Ainsi, que la demande en indemnisation soit accessoire ou complémentaire aux conclusions à fin d'annulation ou de résiliation du contrat, ou que la demande soit distincte, le concurrent évincé doit, dans tous les cas, provoquer une décision sauf en matière de travaux publics (15). Suivant cet avis contentieux rendu par le Conseil d'Etat, le recours indemnitaire est nécessairement dirigé contre une décision distincte, quand il en existe une, de celle que constitue le contrat. L'exception des travaux publics ne retire rien à l'assertion. En effet, sans doute l'article R. 421-1 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L8421GQX) dispense-t-il classiquement le requérant d'attaquer une décision préalable, autant qu'il distrait la recevabilité de la requête de toute condition de délai. Pour autant, rien ne s'oppose à ce qu'une décision soit provoquée. En outre, la décision "Tropic" prévoit expressément que le délai pour contester la validité d'un contrat est de deux mois à compter de l'intervention des mesures de publicité appropriée, alors même que l'on se situerait en matière de travaux publics (16), ce qui montre bien que les deux contentieux diffèrent.

Si deux décisions distinctes -à tout le moins deux contentieux distincts- sont en cause, cela pouvait donc bien signifier que deux litiges distincts existent, indépendamment de leur connexité. Suivant un tel raisonnement, l'irrecevabilité de l'appel incident décidée par la cour administrative d'appel surprend peu. Au demeurant, le Conseil d'Etat n'avait pas hésité à juger que l'appel principal sur le montant des dommages-intérêts décidé au titre d'une révocation illégale et l'appel incident contestant l'annulation de la décision de révocation constituaient deux litiges distincts (17). En dépit de ce parallèle dont on pouvait bien penser qu'il s'imposait naturellement, le Conseil d'Etat a retenu une solution différente, qui ne manque pas, à ce titre, d'intérêt, traduisant un nouvel assouplissement de la conception de l'identité de litige par le juge administratif.

II - Une conception ponctuellement souple de l'identité de litige

La conception traditionnelle de l'identité de litige semble s'éroder. A tout le moins, elle a vocation à évoluer. Sur ce point comme sur d'autres, la position du juge administratif n'est d'ailleurs pas immuable. Ainsi, revirant en cela sa jurisprudence, le Conseil d'Etat a pu juger que, en matière de taxe sur la valeur ajoutée, l'appel principal et l'appel incident portant sur la même période d'imposition reposent sur une identité de litiges, alors même que l'appel incident porte sur une autre partie de la période d'imposition que celle mise en cause par l'appel principal (18).

La matière contractuelle passe pour être un autre terrain d'assouplissement de la conception de l'identité de litige, dans le prolongement de ce que l'on a déjà pu observer en matière de responsabilité quasi-délictuelle, où l'unité de litige a été reconnue en présence de chefs de préjudice pourtant différents (19). C'est un mouvement encore plus libéral que traduit un arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon (20) qui admet des conclusions indemnitaires incidentes sous-tendues par de nouveaux chefs de préjudice "dès lors que ces chefs de préjudice se rattachent au même fait générateur" et qu'elles ne constituent pas une demande nouvelle ou, si l'on préfère, une cause juridique distincte, que le contentieux de pleine juridiction n'autorise pas, hors le cas des moyens d'ordre public (21).

En matière contractuelle, la substitution jurisprudentielle s'opère largement, où la notion de chefs de préjudices laisse la place à l'unicité du contrat. Le Conseil d'Etat a ainsi jugé que des conclusions d'appel incident relatives, comme les conclusions d'appel principal, au règlement définitif du solde du marché ne soulèvent pas un litige distinct (22). Des conclusions d'appel incident relatives au paiement des prestations réalisées dans le cadre d'un marché résilié relèvent du même litige que les conclusions d'appel principal portant sur le montant des prestations restant dues, dès lors qu'elles portent sur des éléments devant figurer au décompte (23). L'appel incident peut porter sur l'application d'un taux de prime prévu par le cahier des clauses administratives générales quand l'appel principal porte sur le règlement définitif du marché (24). Même s'il porte sur des chefs de préjudices différents de ceux invoqués dans l'appel principal, un appel incident ne soulève pas de litige distinct lorsque les conclusions des parties se rattachent à l'exécution d'une mission unique confiée à un maître d'oeuvre par un contrat (25).

Compte tenu de ces décisions, l'invalidation par le Conseil d'Etat du raisonnement adopté par la cour administrative d'appel de Marseille n'était donc pas résolument inconcevable. On remarquera ici que, sous l'empire de l'ancien droit, la contestation de la validité du contrat supposait d'abord l'exercice d'un recours en annulation contre la décision de conclure le contrat (26) avant la saisine du juge du contrat (27), là où le recours indemnitaire, de pleine juridiction donc, relevait du contentieux administratif de droit commun. La question ne se posait donc pas. Avec la jurisprudence "Tropic" étendue à l'ensemble des requérants potentiels par la décision "Département du Tarn-et-Garonne" (28), la problématique de la recevabilité de ce type d'appel incident pouvait raisonnablement évoluer. Et le Conseil d'Etat de considérer, dans son troisième considérant, que "lorsque le juge se prononce sur les différentes conclusions dont il peut être saisi dans le cadre d'un tel recours, qu'il s'agisse d'annuler totalement ou partiellement le contrat, d'en prononcer la résiliation ou de modifier certaines de ses clauses, ou encore de décider la poursuite de son exécution, éventuellement sous réserve de mesures de régularisation, ou bien d'accorder des indemnisations en réparation des droits lésés, ces mesures se rattachent toutes à un même litige". Même si le présent litige n'est pas d'ordre contractuel, l'analogie s'impose ici avec une décision "Société d'architecture Bical-Courcier-Martinelli" du 26 octobre 2011 dans laquelle le Conseil d'Etat a jugé que l'appel principal et l'appel incident étaient recevables alors que l'un était lié à l'exécution du contrat et l'autre à sa résiliation (29). Il ressort des conclusions du rapporteur public Bertrand Dacosta, sur cette dernière décision, que s'il existe un litige unique, c'est en raison de ce que ce sont les mêmes manquements qui constituent la cause unique de l'action en réparation du préjudice causé par la résiliation du contrat et l'action en responsabilité pour inexécution d'une obligation contractuelle. Tel peut bien être le même raisonnement dans le contentieux de la validité du contrat.

La présente décision mérite finalement d'être approuvée car elle s'inscrit dans la logique qui préside au régime de l'appel incident. Pour reprendre les mots du professeur René Chapus, "la technique de l'appel incident est liée à la considération que, si une partie ne fait pas appel principal contre un jugement qui la satisfait pas entièrement, c'est avec la pensée ou bien à la condition que son adversaire [...] accepte aussi le jugement. Or, s'il fait appel, elle n'en aura généralement connaissance qu'après l'expiration du délai ; de plus, si l'appel incident était assujetti à une condition de délai, il serait aisé d'en empêcher l'exercice en faisant appel à l'extrême fin du délai légal" (30). Dans le contentieux "Département du Tarn-et-Garonne", l'on peut admettre que la personne publique ne revienne pas sur l'annulation du jugement, pour peu que le montant de l'indemnisation auquel elle a été condamnée reste acceptable. Mais si ce montant a vocation à s'aggraver à la suite d'un appel principal, il doit lui être loisible de former appel incident afin de faire revivre le contrat annulé en première instance. Il y a là une considération d'opportunité qui ne contrarie pas la rigueur des principes juridiques. En cela, la décision rendue par le Conseil d'Etat mérite d'être approuvée.


(1) CAA Marseille, 6ème ch., 21 juillet 2014, n° 12MA04778 (N° Lexbase : A7194M9C).
(2) CE, Sect., 21 octobre 1966, n° 67188, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A1528AIG), p. 563.
(3) CE, Sect., 5 décembre 1957, publié au recueil Lebon, p. 247, concl. Lasry.
(4) CE, Sect., 6 février 1981, Lebard, n° 14931, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A4114AKL), p. 74, concl. Dondoux.
(5) CE, 10 juin 1962, n° 53413, publié au recueil Lebon, p. 22.
(6) Par ex., CE, Ass., 28 juin 1991, n° 77921, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A0962AIH), p. 261.
(7) CE, Sect., 5 mars 1971, n° 71834, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A3517B7E), p. 196.
(8) CE, Sect., 30 mars 1981, n° 19668, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A0687B9C), p. 176.
(9) R. Chapus, Droit du contentieux administratif¸ n° 1349.
(10) CE, 30 novembre 1994, n° 138725, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A3675ASW), p. 949.
(11) CE, 19 janvier 1983, n° 26144, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A9902ALC), p. 838.
(12) CE, 13 octobre 1976, n° 99697, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A9618B7D), p. 407.
(13) CE, 27 juin 1979, n° 12212, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A0273AKC), p. 857.
(14) E. Felmy, concl. sur CAA Marseille, 6ème ch., 21 juillet 2014, n° 12MA04778, préc., AJDA, 2014, p. 2429.
(15) CE, avis, 11 mai 2011, n° 347002, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A8775HQ3), p. 209.
(16) CE, Ass., 16 juillet 2007, n° 291545, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A4715DXW), p. 360, concl. Casas.
(17) CE, 28 juillet 1952, Liénard, publié au recueil Lebon, p. 423.
(18) CE, Sect., 4 novembre 1991, n° 64165, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A8999AQD), p. 375.
(19) CE, 4 avril 1997, n° 127884 (N° Lexbase : A9217ADQ).
(20) CAA Lyon, 19 septembre 2013, n° 13LY01327 (N° Lexbase : A2234MPG).
(21) CE, 16 mai 1924, Jourda de Vaux, publié au recueil Lebon, p. 483.
(22) CE, 3 octobre 2008, n° 291919, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A5966EA9), p. 811.
(23) CE, 23 avril 2001, n° 186424 (N° Lexbase : A3601ATK).
(24) CE, 14 mai 2008, n° 288622, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A7202D8A), p. 814.
(25) CE, 3 mars 2010, n° 316515, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A6436ES8), p. 860.
(26) CE, 4 août 1905, Martin, publié au recueil Lebon, p. 749, concl. Romieu.
(27 CE, Sect., 7 octobre 1994, n° 124244, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A3055ASX), p. 430, concl. Schwartz.
(28) CE, Ass., 4 avril 2014, n° 358994, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A6449MIP), p. 70.
(29) CE, 26 octobre 2011, n° 334098, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A0829HZQ), p. 1026.
(30) R. Chapus, op. cit., n° 1349.

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Droit des personnes

[Le point sur...] Vie privée chez l'Oncle Sam et dans le vieux continent : vers un déclin mondial programmé ?

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par Bruno Ancel, Avocat au barreau de Paris, Docteur en droit

Le 19 Novembre 2015

Si de nombreux articles ont été écrits sur la vie privée, rares sont ceux qui ont établi une comparaison entre la jurisprudence européenne et celle des pays de Common law. Dans L'insoutenable légèreté de l'être, Milan Kundera (1) a déclaré que le privé et le public constituent deux espaces distincts par essence et que le respect de cette différence est la condition sine qua non pour que l'homme puisse bénéficier d'une certaine liberté. A l'heure de la transparence triomphante, les immixtions dans la sphère intime se multiplient. Comme un virus en mutation, ces atteintes se propagent et s'habillent de nouvelles formes. Elles annoncent l'entrée dans un monde nouveau, vecteur de périls inédits, et témoignent d'un basculement anthropologique dont on commence à percevoir les effets. Indubitablement, "le numérique transforme le monde" (2) comme le souligne la revue L'ENA hors les murs dans son numéro d'avril 2014. Le sujet présente une acuité croissante à la suite de la prolifération des débats en Europe (3) et outre Atlantique sur la question : l'oncle Sam est ainsi considéré comme un appareil tentaculaire de surveillance mondiale. Face aux menaces croissantes d'intrusion dans la vie personnelle, certains Etats américains ont renforcé leur législation en 2015 (4). Nul n'échappe au risque numérique, à l'accès à des données personnelles grâce aux perfectionnements de la technique (5) qui percent tous nos secrets, ce qui nous renvoie inévitablement aux dystopies d'Orwell (6) et Huxley (7). L'individu est épié jusque dans ses moindres faits et gestes, symbole de la société de surveillance (8) dèjà théorisée par Michel Foucault. Hannah Arendt avait évoqué également dans La condition de l'homme moderne (9) les travers d'un monde dans lequel l'individu ne serait plus propriétaire de son intimité.

Les presses françaises comme étrangères (10) se sont fait l'écho en 2015 des nombreuses violations de la vie privée. Si Le Monde a mis en lumière les atteintes commises dans les romans (11), Le Figaro a publié un article intitulé "Windows 10 : faut-il avoir peur pour sa vie privée ?" (12). Big Brother est ainsi tapi sous le clavier puisque Microsoft peut recueillir des millions d'informations sur les ordinateurs. Le journal The Observer (13) a fait également paraître un article assez alarmiste le 23 août 2015 soulignant qu'en 2016 la sphère professionnelle serait le lieu privilégié d'une surveillance généralisée.

Compte tenu du développement de l'informatique, le droit à la vie privée existe-t-il toujours avec autant de force ou est-il en passe de disparaître ? Echappe-t-il à l'épure des droits subjectifs pour devenir un principe en déshérence, un rempart symbolique ? Il convient d'analyser avec un oeil neuf cette notion, pour mieux en cerner les méandres, en déceler les failles et d'examiner les changements induits par la jurisprudence américaine comme européenne. Après avoir souligné le processus d'extension continu de ce droit à géométrie variable (I), il sera nécessaire d'examiner le caractère légitime des atteintes à ce principe (II).

I - Un principe à géométrie variable

Les Etats-Unis et l'Europe ont chacun leurs propres traditions et idéologies sous jacentes : ces différences de valeurs expliquent la spécificité de la notion de vie privée dans ces deux ordres juridiques. Malgré les disparités historiques, on peut relever une extension de ce principe aussi bien outre-Atlantique (14) (A) qu'en Europe (B). Il s'agit d'une évolution sensiblement identique, à la fois progressive et non linéaire ; celle-ci a connu des accélérations sous l'effet conjugué du développement technologique et de la jurisprudence. Les frontières de l'intime ne sont pas figées une fois pour toute dans le marbre constitutionnel ou dans la loi, mais en constante mutation.

A - La privacy aux Etats-Unis : principe en extension ou patchwork juridique (15) ?

1) Historique du droit à la vie privée : sanctuaire inviolable ou idéal théorique ?

Après avoir tenté de définir la notion de privacy, il importe de voir comment elle se déploie dans la jurisprudence. Historiquement, la vie privée se définit comme le droit à la tranquillité "the right to be let alone en écho aux théories des juristes Warren et Brandeis (16) dans leur article publié à la Harvard Law review et intitulé "The Right to Privacy" (1890) (17). Les conclusions de Warren ont été consacrées en 1905 dans l'affaire "Pavesich v. New England Life Insurance" (18). Les magistrats ont en effet souligné que le droit à la vie privée était englobé dans le droit à la sécurité personnelle et à la liberté. Or, la liberté personnelle n'est pas seulement l'absence de contrainte physique, mais également le droit à la tranquillité (the right to be let alone). Si le concept de privacy s'est enrichi de nouvelles significations au cours des siècles, le sens ancien demeure omniprésent. La position doctrinale développée par Warren doit se comprendre au regard de son intentionnalité juridique : avec l'évolution des nouvelles technologies et l'essor de la presse (19) un renforcement de ce principe était nécessaire pour prémunir les citoyens contre les dérapages des médias. Au coeur de la vision américaine, réside l'idée sous-jacente selon laquelle l'individu est à l'abri de toute forme de curiosité extérieure (20). Le domicile est un sanctuaire inviolable (21) selon une jurisprudence constante. L'autonomie apparaît comme un principe essentiel qui permet à la personne de façonner sa destinée comme elle l'entend, d'avoir le contrôle de sa propre vie. Elle renvoie à l'absence de subordination physique ou intellectuelle, de toute intrusion d'autrui ou du gouvernement dans son intimité. La notion d'autonomie personnelle sera réaffirmée dans les décisions "Lawrence v. Texas" (539 U.S. 558, 2003) et "Gonzales v. Carhart" (550 U.S. 124, 172, 2007).

Pour louable qu'il soit, le droit à l'inviolabilité de la vie privée théorisé par Brandéis (reprise du juge Cooley dans un autre contexte) peut sembler contestable pour au moins deux raisons. D'une part, cette définition pêche par son laconisme. En effet, la portée de ce droit n'est pas précisée ni l'articulation avec d'autres valeurs en conflit. Dans l'affaire "Griswold v. Connecticut", le juge Black avait souligné le péril lié à une utilisation trop large et abstraite d'un tel principe. D'autre part, ce principe peut être utilisé pour dissimuler au sein des couples divers comportements peu avouables : violence sur l'épouse, sur les enfants, adultère, etc..

Les frontières normatives de l'intime ainsi définies sont équivoques puisque l'on s'oriente vers une société vouée à la déréliction individualiste, au culte de l'intérêt privé au détriment du souci de l'autre. C'est pourquoi, cette vision a été fréquemment battue en brèche : la jurisprudence a cherché quel intérêt sociétal ou gouvernemental était susceptible de le contrebalancer. L'intérêt social dans la diffusion d'informations peut être pris en compte. Mais ce principe doit s'incliner également lorsque sont en jeu la santé, la sécurité, les droits d'autrui (22) ou encore le bien public.

Aux Etats-Unis, le droit à la vie privée résulte à la fois de lois fédérales et étatiques qui réglementent les différentes sphères de la vie sociale (travail, éducation, vie conjugale, relation médecin patient). Parmi les Etats fédérés dont il faut rappeler qu'ils jouissent d'une autonomie sur le plan législatif, certains prévoient clairement la protection du droit au respect de la vie privée (23) à la fois contre l'Etat et les personnes ("Wilkinson v. Times Mirror Corp" 1989) (24). Mais dans de nombreux Etats, ce droit contre les intrusions d'autrui n'est pas présent (cf. Baggs v. Eagle-Picher Industries, Inc., 957 F.2d 268, 7 I.E.R. Cas. (BNA) 318, 121 Lab. Cas. (CCH) 56821 (6th Cir. 1992) ; Greco v. Halliburton Co., 674 F. Supp. 1447, 1451, 2 I.E.R. Cas. (BNA) 1281, 45 Empl. Prac. Dec. (CCH) 37739 (D. Wyo. 1987)).

Au niveau fédéral, la protection de la vie privée n'est pas un droit constitutionnel explicitement affirmé. Tout au plus, le 4ème amendement apparaît comme une protection contre toute immixtion arbitraire de l'Etat dans la mesure où le gouvernement ne peut se procurer des données sensibles sur les citoyens. La Constitution ne mentionne pas ex precis verbis le cas des atteintes à la vie privée commise par les individus. Elle se réfère néanmoins aux personnes, domiciles, papiers et effets, ce qui donne lieu à des interprétations contradictoires.

Concernant la protection des données, il n'existe pas de législations à portée générale dans le domaine privé. Tout est disséminé dans les différentes lois étatiques et la common law.

En l'absence de définition précise du droit à la vie privée, il était difficile de circonscrire la protection légale associée à ce droit. Aussi, les déclinaisons de ce principe se sont succédées sur la toile mouvante de la jurisprudence. Dans l'affaire "Griswold contre Connecticut", la Cour suprême a considéré en 1965 que la loi du Connecticut qui interdisait l'usage de contraceptif méconnaissait le droit constitutionnel à la vie privée conjugale. Deux ans plus tard, dans l'affaire "Katz v. US" (25), les juges ont estimé que l'usage d'un processus d'écoute dans une cabine téléphonique portait atteinte au 4ème amendement de la Constitution, en dehors de toute intrusion dans le domaine privé. Selon le magistrat, la Constitution protège les hommes et non les lieux. C'est pourquoi, elle s'applique même aux espaces accessibles au public. Pour le juge Harlan, le domaine privé peut s'apprécier à travers l'espérance subjective du citoyen, dans la mesure où celle-ci est jugée raisonnable par la société (ce critère sera une donnée constante dans la jurisprudence (cf. U.S. v. Douglas, 744 F.3d 1065 8th Cir. 2014). Cette vision qui a perduré dans la jurisprudence américaine apparaît défavorable au citoyen dans la mesure où ce qui apparaît raisonnable pour la société peut ne pas être en phase avec l'évolution des technologies.

2) Diversification du principe

En 1966, la Cour suprême a déclaré que la finalité première du quatrième amendement est de protéger la vie privée et la dignité contre l'intrusion injustifiée de l'Etat (26). L'affaire "Eisenstadt" (27) rendu en 1972 constitue un nouveau tournant puisque le droit à la vie privée est désormais défini comme appartenant à toute personne, marié ou non et lui permettant d'être à l'abri de toute intrusion gouvernementale dans les domaines les plus fondamentaux comme l'éducation d'un enfant. Un pas de plus est franchi en 1973 lorsque la Cour a décidé dans l'affaire "Roe v.s Wade" (28) que le droit à la vie privée intégrait la possibilité pour une femme de mettre un terme à sa grossesse. Ce droit a été déduit à partir d'une interprétation des autres amendements.

Les tribunaux vont élargir la protection de la vie privée dans le domaine des affaires (Camara v. Municipal Court 387 U.S. 523, 1967), de la fouille des bagages (G.M. Leasing Corp. v. United States, 429 U.S. 338, 1977). En revanche, elle a rejeté toute "espérance légitime de protection de la vie privée" pour l'enregistrement de conversations à l'aide de microphone (Smith v. Maryland, 442 U.S. 735, 1979).

Progressivement, le champ conceptuel de ce principe va s'étendre à la sphère professionnelle (29). Ainsi, il a été jugé que le fait de poser des questions à un employé sur sa vie privée ou sexuelle constituait une violation du 4ème amendement de la Constitution (Shuman v. City of Philadelphia, 470 F. Supp. 449 E.D. Pa. 1979 ; Thorne v. City of El Segundo, 726 F.2d 459, 9th Cir. 1983). La protection du salarié va également inclure l'accès au dossier médical (Doe v. Southeastern Pennsylvania Transp. Authority (SEPTA), 72 F.3d 1133, 3d Cir. 1995).

Les magistrats s'opposent également à la mise en place d'un dispositif de vidéo surveillance des salariés (Richards v. County of Los Angeles, 775 F. Supp. 2d 1176, C.D. Cal. 2011 ; Carter v. County of Los Angeles, 770 F. Supp. 2d 1042, C.D. Cal. 2011). L'accès aux emails du salarié est perçu également comme une violation de la privacy (Mintz v. Mark Bartelstein and Associates Inc., 906 F. Supp. 2d 1017, C.D. Cal. 2012 (30)). A contrario, dans l'affaire "State v. Marcum (319 P.3d 681, 687 (Okla. Crim. App. 2014)), le juge a considéré que le défendeur n'a pas d'espérance légitime de respect de la vie privée concernant les messages envoyés à partir du téléphone de l'entreprise (Voir aussi, Myrna Arias v. Intermex wire transfer LLC, Superior Court of California, 5 mai 2015).

Dans la mesure où il dépend du contexte socioculturel et varie à la fois d'une époque à l'autre et d'un pays à l'autre, il convient d'examiner l'évolution de ce principe en Europe et de mesurer l'influence du droit américain.

B - En Europe : une notion sous influence américaine ?

Enraciné dans la tradition philosophique et intellectuelle de plusieurs Etats européens, ce droit a de solides fondements juridiques. Il est garanti par l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L4798AQR) et par la Directive sur la protection des données de 1995 (31) qui met l'accent sur l'impératif de sécurité des échanges d'informations. Il est aussi protégé par la Directive 2008/52/CE concernant le traitement des données à caractère personnel et la protection de la vie privée dans le secteur des communications électroniques (N° Lexbase : L8976H3T). L'article 8 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (N° Lexbase : L8117ANX) précise que les données personnelles doivent être traitées loyalement, à des fins déterminées et sur la base du consentement de la personne concernée.

Chaque Etat a ses propres organes de surveillance et de contrôle concernant la saisie des données individuelles et sa propre conception de la vie privée. En Italie, l'autorité en charge de la protection des données (32) a lancé en 2015 une consultation publique, afin d'adopter des mesures permettant d'en assurer le maximum de transparence. L'Espagne a l'une des législations les plus strictes dans ce domaine. L'agence de surveillance en charge de ces problématiques a un rôle très actif et impose de lourdes amendes en cas de non respect de la législation. L'Allemagne a pris de nombreux amendements afin de faire évoluer la loi sur la protection des informations personnelles. Il s'agit à la fois de renforcer le consentement des individus en la matière, mais également de limiter le transfert des données à des tiers. L'Angleterre est moins pointilleuse que son homologue Allemand (33) puisqu'elle s'est vue reprocher son manque de respect des règles européennes (34) concernant la protection des communications électroniques, mais également de constituer un frein à toutes nouvelles réformes. Néanmoins, en cas de conflit entre le droit à la vie privée et l'impératif de sécurité, l'Angleterre tout comme les Pays-bas, l'Allemagne ou la Roumanie procèdent à une mise en balance de ces valeurs antagonistes pour parvenir à une solution équilibrée.

L'analyse de la jurisprudence européenne est intéressante dans la mesure où le droit positif en la matière est le reflet du psychisme collectif, voire le baromètre moral d'une société. La Cour européenne des droits de l'Homme (35) fait preuve d'une créativité singulière : par une "interprétation dynamique" (36) de l'article 8, elle étend le spectre du droit à la vie privée. En Europe comme outre Atlantique, il concerne non seulement le domicile, mais également les photographies, l'image. La Cour européenne protège le secret des correspondances (37), du courrier papier (38), des appels téléphoniques (39), l'enregistrement de données (40) relatives à la vie privée (41). Elle précise que celle-ci englobe les communications téléphoniques et sanctionne toute ingérence des autorités publiques (avocat et client) (42). Elle assure la protection du nom (43) et de la santé dans la sphère professionnelle (44).

Si aux Etats-Unis, le droit à la vie privée peut paraître bicéphale puisqu'il englobe à la fois la protection des données personnelles et la conservation d'une indépendance décisionnelle, on peut trouver une approche similaire en Europe. Ce fut le cas dans les deux affaires "Pretty c/ Royaume-Uni" du 29 avril 2002 et "Goodwin c/ Royaume-Uni" du 11 Juillet 2002 (45). Ces deux arrêts consacrent une mutation juridique du principe puisque désormais il existe deux cercles concentriques : dans le premier se trouve l'individu autonome et dans le second l'Etat.

L'arrêt "Van hannover" (46) rendu en 2004 semble marquer un tournant puisqu'il étend le droit à la vie privée en dehors du domicile, rejoignant la maxime américaine selon lequel le quatrième amendement protège les personnes et non les lieux. En 2004 comme en 2012, la CEDH reprendra l'expression d'espérance légitime développée par la jurisprudence américaine pour apprécier la violation de la vie privée. En l'espèce, Caroline de Monaco contestait la position des tribunaux allemands qui refusaient d'interdire toute nouvelle publication de la photo parue le 20 février 2002 dans les magazines Frau im Spiegel n° 9/02 et Frau aktuell n° 9/02, en se fondant sur la violation de son droit au respect de la vie privée protégé par l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme. Toutefois, l'interprétation de la Cour a été différente. Dans le droit fil de sa jurisprudence antérieure (47), elle a affirmé que toute personne peut bénéficier d'une espérance légitime de protection et de respect pour sa vie privée. Malgré une telle motivation, elle invalide in fine la thèse du requérant et conclut à l'absence de violation de l'article 8 estimant que les juridictions nationales avaient procédé à une mise en balance circonstanciée du droit de la presse à la liberté d'expression avec le droit des personnes visées au respect de leur vie privée. La Cour a examiné le comportement antérieur de la victime, les répercussions sur la personne mise en cause, les circonstances dans lesquelles les photos ont été prises et surtout la question de savoir si la publication de ces photos contribuait à un débat d'intérêt général, ce qui renvoie implicitement à la notion d'intérêt public (48) développée également par la jurisprudence américaine (49). Tout comme aux Etats-Unis, on peut constater le primat accordé à la liberté d'expression puisque le droit à la vie privée s'incline assez facilement devant le droit de la presse. Cette hyper médiatisation de l'intime est éminemment contestable : elle apparaît sinon comme une forme déguisée de totalitarisme sous les habits de la démocratie, en tout cas comme un dévoiement social de celle-ci. Nous rejoignons le point de vue du Professeur Sudre selon lequel "le juge européen a une conception fort laxiste de la notion de débat d'intérêt général'" (50), ce qui encourage à réduire la protection des personnes physiques.

Ainsi, l'analyse du droit européen révèle une approche casuistique et souligne en creux l'appréhension subjective du droit à la privée. Cette notion n'est plus une enveloppe protectrice durable, mais un principe soumis à l'empire de l'éphémère car dépendant à la fois de l'appréciation des Etats et de l'interprétation jurisprudentielle. Avec le temps, on peut relever une acception prétorienne élargie du droit à la vie privée en Europe comme outre-Atlantique. Cette évolution apparaît comme une traduction implicite du monde moderne favorable au développement de l'individualisme. Toutefois, au-delà des apparences, il faut noter que le système américain présente de nombreuses failles. Si les citoyens européens disposent de recours effectifs pour défendre leur intimité, le droit américain assure une protection variable selon les secteurs. Cette absence d'uniformité dans la protection des données contrairement aux Directives européennes (51) à portée plus générale rend le système extrêmement fragile. Avec l'essor des techniques de surveillance, il n'est pas une parcelle de l'existence humaine qui échappe au regard. Si cette régression sur le plan des libertés publiques apparaît aussi inconcevable que tristement préoccupante, on peut s'interroger sur le point de savoir s'il existe des atteintes légitimes à la vie privée ?

II - Les atteintes (il)légitimes au droit à la vie privée

Selon J. Bentham, le juge est l'ami de la vérité (52) et de la transparence, l'âme même de la justice en ce qu'elle protège contre toute forme de malhonnêteté (53). Cette assertion ne va pas sans poser de problème. En effet, ne peut-on pas estimer comme Perelman que les techniques de la preuve doivent être conciliées "avec d'autres valeurs considérées parfois, comme plus importantes" (54) ? Peut-on faire effraction dans l'intimité d'une personne physique ou morale au nom d'impératifs jugés supérieurs ? L'individu a t-il le droit au secret ou à tout le moins celui de définir le cercle de sa propre intimité ? Le sujet n'est pas simple tant les interrogations sont multiples. La Cour européenne des droits de l'Homme se livre à une mise en balance des valeurs (55) antagonistes pour parvenir à la solution la plus équitable (A). Quant aux juges américains, ils ont une position assez contrastée en cas de conflit entre l'impératif de sécurité publique et le droit à la vie privée (B).

A - Les ingérences légitimes en matière de données informatiques

1) Saisie de données et exigences probatoires

a) L'arrêt "Bernh Larsen Holding"

Le souci de contrôle social -avec son cortège d'enquêtes- est une dimension essentielle de la dialectique actuelle entre demande de transparence et exigence de respect de la vie privée. L'arrêt "Bernh Larsen Holding" (56) en est la meilleure illustration. Ainsi, l'administration fiscale avait exigé de plusieurs sociétés la remise de tous les documents présents sur un serveur informatique. Arguant de la violation de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme, les requérants ont soutenu que la Convention protège les personnes physiques et morales contre toute intervention arbitraire des pouvoirs publics. Selon eux, la saisie a été non seulement trop large, mais s'est réalisée de façon abusive et discrétionnaire.

De son côté, le Gouvernement a déclaré qu'une telle mesure avait pour finalité le bien être économique du pays. Pour évaluer la violation de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme, la Cour s'attache à examiner si celle-ci est légitime dans une société démocratique en prenant en considération les intérêts en jeu et la gravité de l'immixtion étatique.

La Cour a relevé que l'audit en question a été nécessaire pour réaliser une évaluation fiscale. De plus, la nature de l'immixtion était sans commune mesure avec celle réalisée dans le cadre de procédures pénales. Restait à déterminer l'adéquation de la saisine au regard de l'objectif poursuivi. En l'espèce, la saisie a porté sur tous les éléments présents sur le serveur et notamment une vaste quantité de données, correspondances privées et documents personnels des employés sans aucun lien avec l'évaluation fiscale réalisée.

Certes, la Cour européenne des droits de l'Homme a noté l'existence d'une atteinte au respect des correspondances et du domicile tel que défini par l'article 8 de la CESDH. En effet, dans sa jurisprudence antérieure, elle avait admis l'existence d'une espérance légitime de protection de la vie privée concernant les lettres et les emails ainsi que les appels téléphoniques (57).

Toutefois, elle a ajouté que l'atteinte au respect des correspondances et du domicile est tempérée par l'existence de protection contre toutes sortes d'abus. D'une part, les sociétés ont reçu une information préalable un an à l'avance. D'autre part, elles ont pu formuler des observations lors de la visite des autorités fiscales. Les documents non pertinents devaient être restitués à la fin de la procédure ainsi que les fichiers copiés détruits. La mesure mise en cause est justifiée par l'attitude des sociétés : celles-ci ont opté pour un système d'archives mixtes qui a rendu plus compliquée la tache des services fiscaux.

Eu égard à tous ces éléments, la Cour a estimé que l'article 8 a été correctement appliqué au motif qu'une juste balance a été établie entre l'intérêt public à procéder à une évaluation fiscale et les droits de sociétés inspectées. Selon nous, cette solution peut se comprendre au regard des objectifs de l'administration fiscale. Toutefois, on peut se poser la question de savoir si cet idéal de transparence poussé à outrance n'est pas néfaste. Paradoxalement, il peut produire l'effet inverse à celui escompté et pousser les individus à dissimuler des éléments essentiels.

b) L'arrêt "Vinci construction et GTM génie civil et services c/ France"

Dans l'affaire "Vinci" rendue en 2015 (58), s'est posée la question du délicat arbitrage entre le respect de la vie privée et la nécessité d'établir la preuve d'un comportement prohibé. La Cour européenne des droits de l'Homme est confrontée à un dilemme juridique et moral : soit elle favorise le droit à la preuve et elle porte atteinte ipso facto au respect de la vie privée ; soit elle privilégie le droit à l'intimité et couvre ainsi les turpitudes de tout un chacun. La ligne de partage entre ces deux valeurs concurrentes n'est pas simple à établir.

A la suite de la requête de la DCCRF, le juge des libertés et de la détention avait autorisé la visite dans les locaux de sociétés afin d'établir une entente illicite. Ce qui pose problème en l'espèce est la saisie de messages électroniques et plus particulièrement d'échanges entre un avocat et son client. Dans le cadre d'une requête en annulation, les sociétés mises en cause ont dénoncé le fait que les saisies effectuées avaient concerné une multitude de dossiers dont certains étaient sans lien avec la procédure judiciaire en cours. Le point nodal du litige a résidé dans l'absence de proportionnalité des mesures mises en oeuvre par le Gouvernement.

Le juge des libertés a considéré dans ses ordonnances de 2008 que ces mesures étaient légales puisque les articles L. 450-4 du Code de commerce (N° Lexbase : L2208IEI), 56 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3895IRP), ainsi que les droits garantis par la Convention n'ont pas été méconnus. Saisie de cette affaire, la Cour de cassation a précisé que l'article L. 450-4 du Code de commerce n'était pas en contradiction avec les droits posés aux articles 6 § 1 (N° Lexbase : L7558AIR), 8 (N° Lexbase : L4798AQR) et 13 (N° Lexbase : L4746AQT) de la Convention. Quant à l'argument relatif au non-respect de la confidentialité des correspondances entre un avocat et son client, il a été également rejeté puisque les requérants n'ont pas établi que ces documents étaient en relation avec les droits de la défense. Pour juger la violation du droit à la vie privée, le juge européen a procédé en deux temps : 1) l'ingérence est-elle prévue par la loi ? 2) Poursuit-elle un but légitime ? Il convient d'examiner tour à tour ces éléments. En premier lieu, il ne faisait aucun doute pour la Cour qu'il y ait eu une ingérence et que celle-ci était prévue par la loi puisque s'appliquait en l'espèce l'article L. 450-4 du Code de commerce. En second lieu, les saisies litigieuses poursuivaient bien un but légitime puisqu'il s'agissait en l'espèce d'établir la preuve d'ententes anticoncurrentielles et de prévenir la réalisation d'infraction pénales telles que définies à l'article 8 § 2 de la CESDH. Le juge européen s'est trouvé tiraillé entre deux exigences contradictoires : celle de la protection de la sphère privée et celle de la recherche de la vérité. Peut-on constater une inflexion des plateaux de la balance en faveur du premier au détriment du second ? La réponse semble nuancée. La Cour a relevé que les sociétés n'ont pas été en mesure de connaître le contenu des documents saisis. Plus encore, elle a souligné que le juge des libertés et de la détention avait effectué un contrôle formel de la régularité de la saisie et non un examen concret et effectif. Selon elle, il aurait dû prendre en compte la confidentialité des informations entre un avocat et son client, exercer un contrôle de proportionnalité et procéder éventuellement à la restitution des éléments saisis. C'est pourquoi, la violation de l'article 8 de la CEDH a été retenue en raison de la disproportion de la mesure par rapport au but poursuivi. La solution rendue par la Cour semble malgré tout partiellement satisfaisante dans la mesure où elle n'a pas condamné la saisie globale des documents des salariés, ce qui dénote une certaine ambiguïté quant à la volonté de protéger pleinement le respect de la vie privée.

Restreint par les exigences probatoires, le droit à la vie privée perd encore du terrain face à l'impératif de sécurité publique.

B) Saisie des données et impératif de sécurité publique: de Big data à Big Brother ?

Même si l'on peut relever une extension du domaine de la privacy, il reste que ce principe subit de multiples assauts dans la pratique. Il convient de revenir brièvement sur l'affaire "Snowden" qui a récemment défrayé la chronique, de rappeler les principales dispositions relatives à la surveillance des métadonnées avant de mettre en exergue le caractère plus ou moins légal des opérations réalisées. Après les attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis s'est développée une idéologie sécuritaire, matérialisée juridiquement par le Patriot Act, au détriment parfois des droits fondamentaux (59). Le processus d'espionnage mis en oeuvre par la NSA s'est étendu à plusieurs pays comme la France, l'Allemagne, le Brésil, mais aussi à la banque mondiale, les institutions européennes avec la complaisance des organes de contrôle. Ainsi, le journal allemand Der Spiegel (60) a révélé qu'Angela Merkel était sur écoute depuis de nombreuses années. La presse espagnole (61) a également déclaré que la NSA avait récolté des informations sur plus de 60 millions d'appels téléphoniques. Dans sa résolution du 12 mars 2014 (62), le Parlement européen a dénoncé la collecte "à grande échelle, systémique et aveugle des données à caractère personnel de personnes innocentes, qui comprennent souvent des informations personnelles intimes". Dans le même sens, le 21 avril 2015, l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe (63) a stigmatisé ces opérations de surveillance massive et demandé à ce que celles-ci aient lieu uniquement à la suite "d'une décision de justice rendue sur la base de motifs raisonnables de soupçon" lorsque l'intéressé n'a pas donné son consentement.

1) Le cadre légal des saisies opérées la NSA

L'affaire "Snowden" et ses répercussions ont mis en exergue la tension latente entre le droit étatique et militaire, caractérisé par l'idéal hobbesien de sécurité des populations, et le droit civil orienté vers le souci de protéger le noyau irréductible de la sphère privée. Sur le plan juridique, la section 702 du FISA (64) Amendments Act de 2008 est le support légal autorisant les services de renseignement extérieur à surveiller les personnes étrangères. La section 215 du Patriot Act permet par ailleurs au Gouvernement de saisir toutes sortes d'objets dès lors qu'il existe des motifs raisonnables de penser que ces éléments sont pertinents pour l'enquête. La notion de pertinence a été interprétée largement par les autorités publiques. Celles-ci ont considéré que la saisie indifférenciée de courriers pouvait être justifiée si elle permettait de trouver ne serait-ce qu'un élément de preuve. Selon la NSA, l'enregistrement des conversations téléphoniques de tout un chacun peut être nécessaire pour identifier des liens avec des terroristes. Le principal travers du système américain révélé par Snowden (65) provient de ce que la NSA agissait en secret en se fondant sur sa propre interprétation des lois (66).

Le Conseil de supervision sur les libertés civiles a rendu un rapport de 234 pages soulignant que les opérations de la NSA se sont révélées d'une efficacité relative dans la lutte contre le terrorisme et qu'elles sont illégales. En effet, la section 215 donne pouvoir seulement au FBI de procéder à la collecte de données. De plus, les saisies étaient beaucoup trop larges. La NSA a été fortement critiquée pour son interprétation libérale et extensive des pouvoirs qui lui étaient confiés. Le Conseil a rendu un second rapport (67) sur l'interception des appels téléphoniques et des mails autorisés par le FISA Amendement Act permettant la surveillance des citoyens non américains. Il a jugé que ce programme était autorisé par les lois constitutionnelles, mais soulevait des difficultés sur le plan du respect de la vie privée. Cette affaire a été portée devant les tribunaux, mais force est de relever une absence de consensus en la matière. Saisi par des abonnés de l'entreprise de télécommunication Verizon, le juge de Washington (68) a estimé que les opérations de la NSA étaient anticonstitutionnelles. Il a précisé que l'intérêt des requérants au respect de leur vie privée prévalait sur celui du Gouvernement à collecter et analyser une masse de données téléphoniques. Par voie de conséquence, le programme de surveillance de la NSA apparaissait comme une recherche déraisonnable d'après le quatrième amendement. Quant à celui de New-York (69), il a considéré que l'interception des appels téléphoniques ne constituait pas une atteinte à la vie privée et a rejeté la demande de l'Union Américaine pour les libertés civiles. Se fondant sur sa jurisprudence "Smith" (70), le juge a estimé que le type d'informations litigieuses était relativement limité puisqu'il s'agissait des numéros de téléphone composés, de la date et de la durée des communications.

L'Electronic Frontier Fondation, organisation non gouvernementale, a également fait un procès à la NSA en se fondant sur le fait que l'interception des communications électroniques était anticonstitutionnelles et violait le quatrième amendement. La question n'a pas été évidente à trancher sur le plan juridique car la Cour devait parvenir à trouver un équilibre entre l'impératif de sécurité et la protection des droits et libertés protégés par la Constitution. Néanmoins, dans un arrêt du 10 février 2015 "Jewel v. NSA" (71), le juge a rejeté la demande du requérant au motif qu'il lui était impossible de procéder à la diffusion d'informations couvertes par le secret d'Etat. Il a repris ce faisant la jurisprudence développée dans l'affaire "Mohamed v. Jeppesen DataPlan" (72) : le magistrat avait souligné que le privilège lié au secret d'Etat justifiait l'absence d'examen de la requête formulée par le demandeur.

Face aux nombreuses critiques relatives au Patriot Act, plusieurs juristes ont proposé de réviser ce texte et d'en amoindrir la portée. En juin 2015, le Congrès a adopté en ce sens le USA Freedom Act, nouvelle loi visant à réduire les pouvoirs de la NSA en matière de collecte des métadonnées des appels téléphoniques. Toutefois, cette avancée demeure en demi-teinte puisque le Gouvernement conserve des pouvoirs étendus et intrusifs.

2) La loi française sur le renseignement (73)

L'objectif de lutte contre le terrorisme a été le motif fallacieux permettant la violation des libertés individuelles de ses ressortissants et ceux d'autres pays comme la France. En France, on peut relever un phénomène similaire puisque la Direction générale de la sécurité extérieure a recueilli des millions d'informations sur les appels téléphoniques (74). La loi sur le renseignement qui vise à éradiquer les actes terroristes par l'usage de multiples techniques d'espionnages semble similaire au Patriot Act américain. Elle apparaît liberticide et ne résoudra pas a priori tous les problèmes, car plus de surveillance n'est pas forcément synonyme de davantage de sécurité. Elle illustre le glissement vers une société panoptique où tous les individus sont susceptibles d'être inspectés. C'est pourquoi, l'émergence de cette nouvelle forme de contrôle plus subtile, moins visible a suscité des réactions d'hostilité. Le Conseil national du numérique a estimé que ce texte "confine à une forme de surveillance de masse" qui s'est révélée inefficace aux Etats-Unis. Selon le président de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité, "la conception qui a prévalu dans la loi votée à l'Assemblée nationale, ajoutée à la possibilité de procédures d'urgence sans consultation préalable de la CNCTR [...], est, en l'état, un affaiblissement du contrôle" (75). Le Comité des droits de l'Homme de l'ONU s'est ému également des pouvoirs excessivement larges de surveillance alloués aux agences par la loi sur le renseignement en France.

Saisi par le Président de la République et des parlementaires de droite comme de gauche, le Conseil constitutionnel (76) a validé ce projet de loi à l'exception de trois articles. Le premier portait une atteinte manifestement disproportionnée au droit au respect de la vie privée et au secret des correspondances puisqu'il permettait au service de renseignement d'agir sans recueillir l'avis de la Commission de contrôle et du Premier ministre. Le deuxième autorisait une surveillance internationale. Or, l'article ne précisait ni "les conditions de contrôle, de conservation et des destructions des renseignements", ni "le contrôle des techniques de renseignement". Enfin, le dernier concernait les lois de finances. Globalement, la majorité du texte a été acceptée par les Sages de la rue Montpensier.

***

Cette étude a révélé une dichotomie dans les approches des deux ordres juridiques. En Europe, le droit à la vie privée a été consacré tardivement, mais s'est révélé plus stable. Dans la mesure où il figure clairement dans les textes européens, il apparaît pour certains comme un droit substantiel contrairement aux Etats-Unis où l'absence de mention expresse dans la Constitution, combinée à la multiplication des lois étatiques, en limite singulièrement la portée. Outre-Atlantique, ce concept connaît une évolution paradoxale puisque, d'un côté, il se diversifie, de l'autre, il se réduit comme une peau de chagrin tant les restrictions à ce principe sont nombreuses. Cette notion est de plus en plus vidée de sa substance, euphémisée sous l'influence des normes sociales pour laisser la place à une forme continue de démocratisation et de publicisation de l'intime. L'élasticité du concept en droit européen comme américain confère aux juges une large marge de manoeuvre qui restreint encore ce principe. Face à la multiplication des formes d'espionnage, on ne peut pas se contenter d'un rappel irénique au droit à la vie privée, puisque le forum planétaire informationnel est gravement menacé. Cette problématique et sa résolution constituent un nouvel impératif : tout comme les technologies, les normes doivent évoluer. Afin de mieux protéger les droits fondamentaux des citoyens, il devient urgent de renforcer la dimension universelle du droit au respect de la vie privée tout en respectant les particularismes étatiques, politiques et économiques. Un accord transatlantique sur le degré de surveillance à mettre en place serait également nécessaire et pourrait servir de référence au niveau international.


(1) M. Kundera, L'insoutenable légèreté de l'être, Gallimard, 1990, 476 pages.
(2) Comment le numérique transforme le monde, in l'ENA hors les murs, avril 2014, n° 440 ; voir I. Falque-Pierrotin, Protection des données personnelles : l'Europe a quelque chose à dire ! ; voir aussi, Big data : la France en pointe !, Conférence organisée par des chercheurs de l'école Polytechnique le 7 septembre 2015 au centre d'open innovation le Village.
(3) Le Monde, 10 août 2015, p. 15.
(4) Cf. loi californienne de janvier 2015.
(5) Family Law Litigants : Your Smartphone Might Be Spying on You. Fulton County Daily Report, 21 août 2015.
(6) G. Orwell, 1984, Paris, Gallimard, 1950 (1ère éd. 1949). Cf. S.Dredge, Why the workplace of 2016 could echo Orwell's 1984, The observer, 23 août 2015.
(7) A. Huxley, Le Meilleur des Mondes, Paris, Pocket, 2002 (1ère éd. 1932).
(8) R. Posner. Privacy, Surveillance, and Law, The University of Chicago Law Review 75 (Winter, 2008) : 245-260.
(9) H. Arendt, Condition de l'homme moderne, Agora, Poche, août 2002.
(10) A. Wichie, Surveillance video database aims to solve crimes, Tribune Business news, 18 août 2015.
(11) Vie privée, vie publique et littérature au tribunal, Le Monde, 5 août 2015, p. 16.
(12) Le Figaro.fr, 31 juillet 2015 ; voir également Filippetti attaque "Paris-Match" pour des photos d'elle enceinte, Les échos, 31 juillet 2015, p. 12.
(13) S. Dredge, Why the workplace of 2016 could echo Orwell's 1984, The observer, 23 août 2015.
(14) D. J Solove, Understanding privacy, Harvard University Press, 2010, 272 p..
(15) Cf. R.E Smith, Compilation of state and federal privacy laws, Kindle edition, 2013. Compilation of State and Federal Privacy Laws.
(16) Un juriste allemand au 19ème siècle a développé des idées similaires. Cf. Josef Kohler, "Ehre und Beleidigung" (1900) 47 Goltdammers Archiv fur Deutsches Strafrecht 1-48 ; see Ulrich Falk and HeinzMohnhaupt, Das Bürgerliche Gesetzbuch und seine Richter : zur Reaktion der Rechtsprechung.
(17) Samuel Warren & Louis Brandeis, The Right to Privacy (1890), 4 Harv L Rev. 193.
(18) Pavesich v. New England Life Insurance Co. (1905) 122 Ga. 190, 50 S.E. 68.
(19) Postow, B.-C., Privacy, photography, and the press, Harvard Law Review 111 (1998) : 1086-1103. Voir aussi, J. Whitman, The Two Western Cultures of Privacy : Dignity v. Liberty, The Yale Law Journal, 2004, 113, p. 1151 et s..
(20) Parmi les philosophes, S. Mill postulait avant Brandèis que l'individu était libre de s'autogouverner sans aucun droit de regard étatique, S. Mill, De la liberté, Folio Essai,1990.
(21) Boyd v. United States, 116 U.S. 616, 1886.
(22) Sur l'installation de logiciel espion pendant une procédure de divorce aux Etats-Unis cf. LaRocca v. LaRocca, n° 13-4748, 2014 WL 5040720 (E.D. La. Sept. 29, 2014).
(23) Voir l'article 1, section 1 de la Constitution californienne.
(24) Wilkinson v. Times Mirror Corp. 215 Cal. App. 3d 1034, 264 Cal. Rptr. 194, 198-200, 4 I.E.R. Cas. (BNA) 1579, 1st Dist., 1989.
(25) Katz v. United States, 389 US.347, 351, 1967 ; cf. United States v. Jones, 132 S. Ct. 945, 950 (2012).
(26) Schmerber c. Californie, 384 U.S. 757, 767, 1966.
(27) Eisenstadt v. Baird, 405 U.S. 438, 1972.
(28) Roe v. Wade, 410 U.S. 113.
(29) L. Hartman, Technology and Privacy in the Workplace, Business and Society Review 106 (2001) : 1-27.
(30) A contrario, cf. State v. Marcum, 319 P.3d 681, 687 (Okla. Crim. App. 2014), dans lequel le juge a considéré que le défendeur n'a pas d'espérance légitime de vie privée concernant les messages envoyés à partir du téléphone de l' entreprise. Voir aussi, Myrna Arias v. Intermex wire transfer LLC, Superior Court of California, 5 mai 2015.
(31) Directive 95/46/CE du 24 octobre 1995 (N° Lexbase : L8240AUQ).
(32) http://www.lexology.com/library/detail.aspx?g=05818ce7-bd20-4f9c-8872-0c36e9a46886.
(33) http://www.gesetze-im-internet.de/englischbdsg.
(34) http://www.theguardian.com/technology/2013/sep/27/britain-eu-data-protection-law.
(35) M.-T. Meulders-Klein, L'irrésistible ascension de la vie privée au sein des droits de l'homme, dans Le droit au respect de la vie privée au sens de la Convention européenne des droits de l'Homme, dir. F. Sudre, Bruylant, 2005, p. 305 s..
(36) Voir F. Sudre, A propos du dialogue des juges et du contrôle de conventionnalité, dans Les dynamiques du droit européen en début de siècle, Etudes en l'honneur de Jean-Claude Gautron, Pedone, 2004, p. 207-224.
(37) CEDH, 22 octobre 2002, Req. 47114/99 (en anglais).
(38) CEDH, 22 mai 2012, Req. 5826/03 (N° Lexbase : A8590ILQ).
(39) CEDH, 10 mai 2001, Req. 25781/94 (N° Lexbase : A6854AWR) ; CEDH, 16 fevrier 2000, Req. 27798/95 (N° Lexbase : A8248AWE).
(40) La CEDH a souligné que la protection des données personnelles était fondamentale pour assurer la respect de la vie privée (CEDH, 18 avril 2013, Req. 19522/09 N° Lexbase : A4225KCH). Par une interprétation extensive, elle a considéré que les données personnelles inclut toutes les informations relatives à la vie privée et professionnelle (CEDH, 4 décembre 2008, Req. 30562/04 N° Lexbase : A5103EBM). Même les informations publiques peuvent rentrer dans le champ de la vie privée dès lors qu'elles sont collectés par des autorités publiques.
(41) CEDH, 4 décembre 2008, Req. 30562/04 préc. ; cf. pour la surveillance par GPS, CEDH, 2 septembre 2010, Req. 35623/05 (N° Lexbase : A4238E8H), D., 2011, p. 724, note H. Matsopoulou.
(42) CEDH, 3 février 2015, Req. 30181/05 (N° Lexbase : A7713NAW).
(43) CEDH, 9 novembre 2010, Req. 664/06 (N° Lexbase : A1549GI9), § 51 ; CEDH, 5 décembre 2013, Req. 32265/10 (N° Lexbase : A5557KQU).
(44) CEDH, 5 décembre 2013, Req. 52806/09.
(45) CEDH, 29 avril 2002, Req. 2346/02 (N° Lexbase : A5415AY9) ; CEDH, 11 juillet 2002, Req. 28957/95 (N° Lexbase : A0682AZB).
(46) CEDH, 24 juin 2004, Req. 59320/00 (N° Lexbase : A7702DCA).
(47) CEDH, 9 novembre 2006, Req. 64772/01 (N° Lexbase : A2651DSY), § 78 ; CEDH, 4 juin 2009, Req. 21277/05, § 48 ; CEDH, 23 juillet 2009, Req. 12268/03 (N° Lexbase : A1211EK3), § 53.
(48) Moreham, N. A. Privacy in Public Places, The Cambridge Law Journal 65 (Nov., 2006) : 606-635.
(49) Bollea v. Clem, 937 F. Supp. 2d 1344 (M.D. Fla. 2013) ; In re Carter, 411 B.R. 730 (Bankr. M.D. Fla. 2009) ; Hudson v. Dr. Michael J. O'Connell's Pain Care Center, Inc., 822 F. Supp. 2d 84, 2011 DNH 160 (D.N.H. 2011) ; Wells v. Cincinnati Children's Hosp. Medical Center, 860 F. Supp. 2d 469, 25 A.D. Cas. (BNA) 1498, 18 Wage & Hour Cas. 2d (BNA) 1342 (S.D. Ohio 2012).
(49) Cf. F. Sudre, JurisClasseur Europe Traité.
(51) Directive 95/46/CE du 24 octobre 1995 (N° Lexbase : L8240AUQ), Directive 2002/58/CE du 12 juillet 2002 (N° Lexbase : L6515A43), Directive 2006/24/CE du 15 mars 2006 (N° Lexbase : L9007HTR), et Directive 2009/136/CE du 25 septembre 2009 (N° Lexbase : L1208IGT).
(52) J. Bentham, Traité des preuves judiciaires, in E. Dumont (dir.), uvres de J. Bentham, jurisconsulte anglais, t. 2, Peines et récompenses, Bruxelles : L. Hauman & Cie, 1829, p. 285.
(53) Constitutional Code, Book II, ch XII, sect XIV in J. Bowring, ed, The Works of Jeremy Bentham, published under the supentendene of/ohn Bowring (Edinburgh, UK: Tait, 1843), vol. 9 at 493.
(54) Chaïm Perelman et Paul Foriers (dir.), La preuve en droit, Bruxelles : Bruylant, 1981, p. 714.
(55) CEDH, 14 mars 2013, Req. 24117/08 (en anglais).
(56) CEDH, 14 mars 2013, Req. 24117/08, préc..
(57) CEDH, 3 avril 2007, Req. 62617/00 (N° Lexbase : A6141GCG), § 42.
(58) CEDH, 2 avril 2015, Req. 63629/10 (N° Lexbase : A8726NEW).
(59) G. Greenwald (2013) NSA collecting phone records of millions of Verizon customers daily, The Guardian, 6 juin 2013 ; G. Greenwald, E. MacAskill E et L. Poitras, Edward Snowden : The whistleblower behind the NSA surveillance revelations, The Guardian, 10 juin 2013.
(60) http://www.spiegel.de/international/world/new-snowden-document-reveals-us-spied-on-german-intelligence-a-1055055.html, 29 septembre 2015.
(61) http://internacional.elpais.com/internacional/2015/06/20/actualidad/1434832338_805333.html.
(62) Résolution du Parlement européen du 12 mars 2014 sur le programme de surveillance de la NSA.
(63) http://assembly.coe.int/nw/xml/XRef/Xref-XML2HTML-en.asp?fileid=21692&lang=fr.
(64) Foreign Information Surveillance Act.
(65) G. Greenwald, No Place to Hide : Edward Snowden, the NSA and the Surveillance State, Penguin, 272 p., sept. 2014 ; L. Harding, The Snowden Files, Guardian Faber, 352 p., 2014.
(66) Voir Privacy and civil liberties oversight, report on the surveillance program operated pursuant to section 702 of the foreign intelligence surveillance act, 2014.
(67) Privacy and civil liberties oversight, report on the surveillance program operated pursuant to section 702 of the foreign intelligence surveillance act, 2014.
(68) Klayman v. Obama, 957 F. Supp. 2d 1 (D.D.C. 2013).
(69) American Civil Liberties Union v. Clapper, 959 F. Supp. 2d 724 (2013).
(70) Smith v. Maryland, 42 U.S. 735, 1979.
(71) Jewel v. NSA Supp. 3d, 2015 WL 545925.
(72) Mohamed v. Jeppesen DataPlan, Inc., 614 F.3d 1070, 1083 (9th Cir. 2010).
(73) Loi n° 2015-912 du 24 juillet 2015, relative au renseignement (N° Lexbase : L9309KBE), parue au Journal officiel du 26 juillet 2015.
(74) Le Monde, 5 juillet 2013.
(75) Le Monde, 25 juillet 2015.
(76) Cons. const, 23 juillet 2015, décision n° 2015-713 DC (N° Lexbase : A9642NM3).

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Fiscalité des entreprises

[Brèves] Sort des transferts de bénéfices d'une succursale française sans personnalité morale d'une société mère étrangère : cas de l'octroi de prêts sans intérêts

Réf. : CE 9° et 10° s-s-r., 9 novembre 2015, n° 370974, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A3593NWY)

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Le 26 Novembre 2015

L'administration peut réintégrer dans les résultats d'un établissement stable, imposables en France, les intérêts dont la facturation a été omise à raison de la comptabilisation d'avances consenties au siège situé hors de France, dès lors que ces avances ne correspondent pas à des remontées de bénéfice après impôt et que la société n'établit pas l'existence de contreparties pour le développement de l'activité de la succursale française. Telle est la solution retenue par le Conseil d'Etat dans un arrêt rendu le 9 novembre 2015 (CE 9° et 10° s-s-r., 9 novembre 2015, n° 370974, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A3593NWY). Au cas présent, l'administration fiscale, dans le cadre de son pouvoir de contrôle des déclarations de résultats, s'est fondée sur l'article 57 du CGI (N° Lexbase : L9738I33) pour réintégrer dans les résultats imposables d'une succursale française les intérêts qui n'ont pas été facturés au siège belge de la société en contrepartie de la comptabilisation d'avances de trésorerie que cette succursale lui a consenties, par un motif tiré de l'absence de justification de contrepartie dans l'intérêt de la succursale. Les dispositions de l'article 57 du CGI, qui prévoient la prise en compte, pour l'établissement de l'impôt, des bénéfices indirectement transférés à une entreprise étrangère qui lui est liée, instituent, dès lors que l'administration établit l'existence d'un lien de dépendance et d'une pratique entrant dans leurs prévisions, une présomption de transfert indirect de bénéfices qui ne peut utilement être combattue par l'entreprise imposable en France que si celle-ci apporte la preuve que les avantages qu'elle a consentis ont été justifiés par l'obtention de contreparties. D'une part, ces dispositions sont applicables à toute entreprise imposable en France, y compris une succursale française d'une société dont le siège est à l'étranger, sans qu'y fasse obstacle la circonstance que la succursale n'a pas de personnalité morale. D'autre part, les avantages consentis par une entreprise imposable en France au profit d'une entreprise située hors de France sous la forme de l'octroi de prêts sans intérêt constituent l'un des moyens de transfert indirect de bénéfices à l'étranger. La Haute juridiction a alors donné raison à l'administration en jugeant que l'absence de facturation de ces intérêts est constitutive d'un transfert indirect de bénéfices au sens de l'article 57 du CGI en l'absence de preuve apportée par la société requérante que les avantages en cause ont eu pour sa succursale des contreparties au moins équivalentes. Elle précise également que la différence de traitement fiscal entre la succursale française et la société belge ne porte atteinte ni à la liberté d'établissement, ni à la liberté de circulation des capitaux .

newsid:449974

Fiscalité internationale

[Brèves] Convention franco-allemande : une personne exonérée d'impôt dans un Etat contractant ne peut être considérée comme résident de cet Etat !

Réf. : CE 9° et 10° s-s-r., 9 novembre 2015, n° 370054, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A3592NWX)

Lecture: 2 min

N9982BUA

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Le 20 Novembre 2015

Une personne exonérée d'impôt dans un Etat contractant à raison de son statut ou de son activité ne peut être regardée comme assujettie à cet impôt au regard de la Convention franco-allemande du 21 juillet 1959 (N° Lexbase : L6660BH7), ni, par voie de conséquence, comme résident de cet Etat pour l'application de la Convention. Tel est le principe dégagé par le Conseil d'Etat dans un arrêt rendu le 9 novembre 2015 (CE 9° et 10° s-s-r., 9 novembre 2015, n° 370054, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A3592NWX). En effet, les stipulations du a) du 4 du (1) de l'article 2 de la Convention franco-allemande, qui définissent la notion de "résident d'un Etat contractant" au sens de la Convention comme tout assujetti à l'impôt dans cet Etat, doivent être interprétées conformément au sens ordinaire à attribuer à leurs termes, dans leur contexte et à la lumière de leur objet et de leur but. Il résulte des termes mêmes de ces stipulations, qui définissent le champ d'application de la Convention, conformément à son objet principal qui est d'éviter les doubles impositions, que les personnes qui ne sont pas soumises à l'impôt en cause par la loi de l'Etat concerné à raison de leur nature ou de leur activité ne peuvent être regardées comme assujetties au sens de ces stipulations. D'ailleurs, le (4) de l'article 25 b de cette Convention précise, s'agissant des organismes de placement collectif en valeurs mobilières, qu'ils peuvent bénéficier de certaines stipulations de celle-ci, alors même qu'ils ne seraient pas assujettis à un impôt visé à l'article 1er de la Convention. En l'espèce, un organisme de retraite de médecins, ayant son siège en Allemagne, a perçu, en 2000, des dividendes de sociétés françaises qui ont été soumis à une retenue à la source de 25 % (CGI, art. 119 bis, 2 N° Lexbase : L4671I77 et 187, 1 N° Lexbase : L0960IZL). Celui-ci a demandé la restitution partielle de ces retenues en se prévalant du taux de 15 % prévu par les stipulations de l'article 9 de la Convention franco-allemande. L'administration fiscale française a alors rejeté sa réclamation au motif que cet organisme ne pouvait pas être regardé comme étant résident d'Allemagne au sens des stipulations de l'article 2 de cette Convention, dès lors que, exonéré d'impôt sur les sociétés dans cet Etat, il ne pouvait se prévaloir des stipulations de cette Convention. Par conséquent, pour la Haute juridiction, qui a donné raison à l'administration, la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit en retenant que cette Convention ne contenait aucune définition de la notion de résident subordonnant l'assujettissement à l'impôt dans un Etat contractant au fait de ne pas en être exonéré (CAA Versailles, 4 avril 2013, n° 11VE00141 N° Lexbase : A9624MQI) (cf. l’Ouvrage "Conventions fiscales internationales" N° Lexbase : E1330EUS et le BoFip - Impôts N° Lexbase : X6689ALC).

newsid:449982

Libertés publiques

[Brèves] Incitation à la haine raciale et apologie de l'antisémitisme : possibilité d'interdiction de la représentation d'un spectacle par l'autorité de police

Réf. : CE 9° et 10° s-s-r., 9 novembre 2015, n° 376107, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A3603NWD)

Lecture: 2 min

N0000BWW

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Le 21 Novembre 2015

Des propos et gestes, notamment ceux à caractère antisémite, incitant à la haine raciale et faisant l'apologie des discriminations, persécutions et exterminations perpétrées au cours de la seconde Guerre Mondiale, peuvent porter atteinte à la dignité de la personne humaine, alors même qu'ils ne provoqueraient pas de troubles matériels et sont donc au nombre des éléments permettant de justifier l'interdiction de la représentation d'un spectacle par l'autorité de police. Telle est la solution d'un arrêt rendu par le Conseil d'Etat le 9 novembre 2015 (CE 9° et 10° s-s-r., 9 novembre 2015, n° 376107, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A3603NWD, sur l'utilisation de pouvoirs de police pour protéger la dignité humaine, voir CE, Sect., 27 octobre 1995, n° 136727, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A6382ANP et CE référé, 9 janvier 2014, n° 374508, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A0741KTM). Le Conseil d'Etat indique qu'il appartient à l'autorité investie du pouvoir de police administrative de prendre les mesures nécessaires, adaptées et proportionnées pour prévenir la commission des infractions pénales susceptibles de constituer un trouble à l'ordre public sans porter d'atteinte excessive à l'exercice par les citoyens de leurs libertés fondamentales. Dans cette hypothèse, la nécessité de prendre des mesures de police administrative et la teneur de ces mesures s'apprécient en tenant compte du caractère suffisamment certain et de l'imminence de la commission de ces infractions ainsi que de la nature et de la gravité des troubles à l'ordre public qui pourraient en résulter. Dès lors, en édictant la circulaire du 6 janvier 2014 portant sur la "Lutte contre le racisme et l'antisémitisme - manifestations et réunions publiques - spectacles de M. B...M'A... M'A", le ministre de l'Intérieur n'a pas méconnu l'étendue des pouvoirs de police administrative en rappelant que l'autorité qui les détient peut, pour apprécier la nécessité d'interdire la représentation d'un spectacle, tenir compte de l'existence de condamnations pénales antérieures sanctionnant des propos identiques à ceux susceptibles d'être tenus à l'occasion de nouvelles représentations de ce spectacle, de l'importance donnée aux propos incriminés dans la structure même du spectacle, ainsi que des éventuelles atteintes à la dignité de la personne humaine qui pourraient en résulter.

newsid:450000

Procédure pénale

[Brèves] Admission de l'extradition vers un pays admettant une libération conditionnelle pour les personnes condamnées à la perpétuité

Réf. : CE 2° et 7° s-s-r., 9 novembre 2015, n° 387245, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A3622NW3)

Lecture: 1 min

N0048BWP

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Le 19 Novembre 2015

Il ressort des dispositions de l'article 107 de la loi turque n° 5275 du 13 décembre 2004, sur l'exécution des peines et sur les mesures de sécurité que, sous réserve de bonne conduite, les personnes condamnées à la peine de réclusion à perpétuité sont susceptibles de bénéficier d'une libération conditionnelle après une période minimale de détention, de trente ans pour les personnes condamnées à la peine de réclusion à perpétuité aggravée, de vingt-quatre ans pour les personnes condamnées à la peine de réclusion à perpétuité ordinaire. Il en résulte que le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (N° Lexbase : L4764AQI), relatif à l'interdiction de la torture, ne peut qu'être écarté. Telle est la solution retenue par le Conseil d'Etat dans un arrêt du 9 novembre 2015 (CE 2° et 7° s-s-r., 9 novembre 2015, n° 387245, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A3622NW3). En l'espèce, le Premier ministre a accordé aux autorités turques l'extradition de M. B., pour l'exercice de poursuites du chef d'homicide volontaire, en application d'un mandat d'arrêt décerné le 21 juillet 2009 par la 5ème chambre de la cour d'assises d'Istanbul. Il ressort des mentions de l'ampliation du décret attaqué, certifiée conforme par le secrétaire général du Gouvernement, que le décret attaqué a été signé par le Premier ministre et contresigné par la Garde des Sceaux. M. B. a soutenu qu'en cas d'exécution du décret attaqué, il risque d'être exposé à des traitements inhumains ou dégradants en raison de la peine de réclusion criminelle à perpétuité qu'il encourt. Le Conseil d'Etat, énonçant la règle susvisée, ne retient pas son argumentation (cf. l’Ouvrage "Procédure pénale" N° Lexbase : E1818EUU).

newsid:450048

Procédures fiscales

[Chronique] Chronique de procédures fiscales - Novembre 2015

Lecture: 9 min

N9991BUL

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par Thierry Lambert, Professeur à Aix-Marseille Université

Le 19 Novembre 2015

Lexbase Hebdo - édition fiscale vous propose de retrouver, cette semaine, la chronique de Thierry Lambert, Professeur à Aix-Marseille Université, retraçant l'essentiel de l'actualité juridique rendue en matière de procédures fiscales. Ce mois-ci, notre auteur a choisi de s'arrêter sur trois décisions du Conseil d'Etat. La première décision évoque l'identification du redevable de l'amende fiscale pour facture fictive (CE 9° et 10° s-s-r., 14 octobre 2015, n° 386698, mentionné aux tables du recueil Lebon). La deuxième décision porte sur la question de la possibilité pour l'administration de répondre de manière motivée sur un seul des motifs contestés par un contribuable (CE 3° et 8° s-s-r., 14 octobre 2015, n° 374211, mentionné aux tables du recueil Lebon). Enfin, la dernière décision commentée dans le cadre de cette chronique permet d'apporter des éclaircissements concernant le droit de reprise de l'administration, et plus précisément la date d'interruption de la prescription (CE 9° et 10° s-s-r., 14 octobre 2015, n° 378503, publié au recueil Lebon).
  • Identification du redevable de l'amende fiscale pour facture fictive : présomption simple (CE 9° et 10° s-s-r., 14 octobre 2015, n° 386698, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A3729NTB ; cf. l’Ouvrage "Droit fiscal" N° Lexbase : E8302EQK et le BoFip - Impôts N° Lexbase : X3926ALY)

Dans la lutte contre les factures de complaisance ou fictives, le législateur a posé un principe (1) selon lequel les personnes qui, à l'occasion de l'exercice d'une activité professionnelle, travestissent ou dissimulent l'identité ou l'adresse de leurs fournisseurs ou de leurs clients ou acceptent sciemment l'utilisation d'une identité fictive ou d'un prête-nom sont passibles d'une amende fiscale égale à 50 % des sommes versées ou reçues au titre des opérations concernées. Cette amende s'applique aussi aux personnes, assujetties à la TVA, qui commettent des infractions portant sur les éléments d'identification mentionnés sur les factures ainsi que sur l'état récapitulatif des clients figurant dans la déclaration d'échanges de biens. Les personnes qui délivrent une facture ne correspondant pas à une livraison ou à une prestation de services réelle sont redevables d'une amende égale à 50 % du montant de la facture.

Rappelons que toute omission ou inexactitude constatée dans les factures exigées en matière de TVA donne lieu à l'application d'une amende de 15 euros par omission ou inexactitude. Le montant total des amendes dues au titre de chaque facture ou document ne peut excéder le quart du montant qui y est ou aurait dû y être mentionné (2).

Il a été jugé que l'amende de 50 % est compatible avec la Convention européenne des droits de l'Homme, alors que le juge ne peut pas en moduler le montant (3). En outre, l'amende fiscale visée par l'article 1737-I-1 du CGI ne revêt pas le caractère d'une accusation en matière pénale (4).

Qui doit s'acquitter de l'amende prévue par l'ancien article 1740 ter du CGI (N° Lexbase : L4244HM7) (devenu 1737) concernant des factures délivrées par une société et non par une société tierce qui y était mentionnée en qualité d'émetteur ? C'est à cette question d'importance que s'attache à répondre le Conseil d'Etat.

L'article 1737-I-1° du CGI vise exclusivement les factures pour lesquelles les noms ou adresses des fournisseurs ou des clients sont omis ou falsifiés, sachant que l'administration doit apporter la preuve que le professionnel n'a pas respecté les dispositions de l'article précité.

L'administration établit la preuve du bien fondé de l'amende en l'absence de toute justification par le contribuable des véritables destinataires de factures (5), mais aussi dans le cas où des factures ont été émises par le client lui-même au nom d'une entreprise qui n'est pas le fournisseur réel des biens ou au nom d'un fournisseur inexistant (6).

A l'inverse, la preuve du bien fondé de l'amende n'est pas rapportée lorsque l'administration se fonde sur le seul libellé sommaire des bons de remis délivrés par une société à ses clients, sans rechercher si l'administration pouvait être regardée comme établissant que ce libellé sommaire avait, au cas particulier, eu pour objet de dissimuler l'identité véritable des intéressés (7).

S'il incombe à l'administration d'établir qu'une facture correspond à une livraison fictive pour justifier le bien fondé de l'amende égale à 50 % du montant de la facture prévue par l'article 1737-I-2 du CGI, elle n'a pas l'obligation d'établir le caractère intentionnel de l'infraction (8).

Retenons aussi qu'une société de fait qui a participé à un circuit de fausses factures ne peut pas se dégager de sa responsabilité en invoquant son statut de victime face au comportement des dirigeants des deux autres sociétés faisant partie du circuit (9).

Finalement les sages du Palais-Royal ont jugé que l'amende fiscale pour une facture qui peut être qualifiée de fictive, ne peut être mise à la charge que de la personne qui l'a délivrée. Toutefois, si la personne dont le nom figure sur une facture est présumée être celle qui l'a délivrée, cette présomption peut être combattue par la personne en cause comme par l'administration. Il en ressort que si l'une ou l'autre établit qu'une facture fictive a été délivrée non par la personne dont le nom figure sur cette facture mais par une autre personne, l'amende ne peut être mise à la charge que de cette dernière.

Au cas particulier, le Conseil d'Etat a fait droit à l'administration en jugeant que l'amende devait être à la charge de la société qui avait la maîtrise de l'établissement de ces factures, quand bien même elles n'étaient pas établies à son en-tête.

  • Possibilité pour l'administration de répondre de manière motivée sur un seul des motifs contestés par un contribuable (CE 3° et 8° s-s-r., 14 octobre 2015, n° 374211, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A3706NTG ; cf. l’Ouvrage "Droit fiscal" N° Lexbase : E1234EUA et N° Lexbase : E8032ETN et le BoFip - Impôts N° Lexbase : X4718ALC et N° Lexbase : X7157ALN)

Dans cette affaire l'administration a adressé une proposition de rectification au contribuable en lui précisant qu'elle entendait remettre en cause des exonérations litigieuses pour deux motifs. Le contribuable, tout à fait normalement, a présenté des observations visant à contester les deux motifs qui lui étaient opposés. L'administration, à la suite, n'a pas répondu au contribuable sur le premier motif.

Au sens de l'article L. 57 du LPF (N° Lexbase : L0638IH4), la proposition de rectification doit être motivée (10). Aux termes de cet article : "L'administration adresse au contribuable une proposition de rectification qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation [...]. Lorsque l'administration rejette les observations du contribuable sa réponse doit également être motivée". Avant toute chose l'administration doit indiquer au contribuable, lorsqu'elle lui notifie une rectification, la nature de la procédure d'imposition selon laquelle elle a procédé à ces rectifications (11).

Depuis fort longtemps, la jurisprudence du Conseil d'Etat considère que la nature et les motifs des rectifications envisagées doivent être suffisamment exposés pour permettre au contribuable de formuler des observations (12). La jurisprudence constante du Conseil d'Etat est d'affirmer qu'une proposition de rectification est suffisamment motivée dès lors qu'elle indique clairement la nature des redressements envisagés, le montant de ces redressements, que les motifs sont suffisamment explicites pour permettre au contribuable d'engager une discussion contradictoire avec l'administration et de présenter utilement des observations (13). Est suffisamment motivée une proposition de rectification qui indique les motifs de redressements envisagés, leur fondement légal ainsi que les années d'imposition concernées (14).

Il a été jugé que la circonstance que l'un des motifs de rectification indiqué par le vérificateur soit erroné, n'est pas de nature à entacher d'irrégularités la procédure d'imposition (15), sauf si le contribuable, par ce fait, n'est pas en mesure de produire des observations (16).

Il est rappelé que le caractère suffisant de la motivation d'une proposition de rectification doit être apprécié distinctement par chef de redressement (17). En conséquence, une proposition de rectification peut être suffisamment motivée pour certains chefs de redressements et insuffisamment pour d'autres (18). Lorsque l'administration entend maintenir un rehaussement sur un fondement juridique différent de celui mentionné dans une première proposition de rectification, elle doit en informer le contribuable par l'envoi d'une nouvelle proposition de rectification, ce qui lui permettra d'en discuter les nouveaux motifs.

Finalement, lorsque l'administration motive un chef de redressement par plusieurs motifs distincts de nature à le justifier, et que le contribuable conteste plusieurs de ces motifs, l'administration satisfait aux exigences de l'article L. 57 du LPF lorsqu'elle répond de manière motivée aux observations du contribuable sur un des motifs fondant ce chef de redressement.

Cette décision s'inscrit dans la jurisprudence du Conseil d'Etat qui considère qu'une proposition de rectification ne peut être regardée comme insuffisamment motivée du seul fait qu'elle ne comporte pas de précisons suffisantes, en ce qui concerne un premier motif, dès lors que les autres motifs invoqués par l'administration, pour justifier le même redressement sont, quant à eux, énoncés de manière précise au regard des exigences de l'article L. 57 du LPF (19). En outre, lorsqu'un chef de redressement est fondé sur plusieurs éléments qui ont fait l'objet d'une justification, d'une évaluation et d'une prise en compte distincte dans la proposition de rectification adressée au contribuable, le caractère suffisant de la motivation de ce chef de redressement peut s'apprécier séparément pour chacun de ces éléments. S'il en va ainsi l'insuffisance de motivation de l'un des éléments du redressement n'affecte pas obligatoirement la régularité de la notification du chef de redressement dans son ensemble (20).

  • Prescription du droit de reprise de l'administration : confirmation de l'interruption à la date de la présentation à l'adresse du contribuable de la proposition de rectification (CE 9° et 10° s-s-r., 14 octobre 2015, n° 378503, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A3720NTX ; cf. l’Ouvrage "Droit fiscal" N° Lexbase : E0307AGH et le BoFip - Impôts N° Lexbase : X6311ALC)

Une proposition de rectification a été adressée, par pli recommandé avec demande d'avis de réception, à la dernière adresse des contribuables connue par l'administration. Le 18 décembre 2006, en l'absence des intéressés, un avis de mise en instance du pli au bureau de poste dont ils relevaient a été déposé à leur domicile. Les contribuables ont retiré le pli le 2 janvier 2007, soit dans le délai de quinze jours prévu par la réglementation en vigueur du service des postes mais, postérieurement au délai de reprise dont disposait l'administration pour rectifier l'année 2003. Le délai de prescription, pour 2003, expirait, en effet, le 31 décembre 2006.

La jurisprudence concernant la relation entre les formalités postales et la prescription est aussi abondante que détaillée. Le receveur des postes peut être amené à délivrer, à l'administration qui en fait la demande dans le cadre de son droit de communication, une attestation justifiant de la date de présentation d'un pli avec avis de réception par ses services. Pour ne retenir qu'un exemple, la prescription n'est pas interrompue, dès lors que l'attestation du bureau expéditeur de l'envoi recommandé n'est pas de nature à établir que le bureau distributeur, dont relevait le domicile du contribuable, avait procédé à une première présentation du pli avant le 31 décembre (21).

Les articles L. 169 (N° Lexbase : L9777I3I) et L. 189 (N° Lexbase : L8757G8T) du LPF doivent être combinés.

L'article L. 169 du LPF énonce un principe : "Pour l'impôt sur le revenu et l'impôt sur les sociétés, le droit de reprise de l'administration des impôts s'exerce jusqu'à la fin de la troisième année qui suit celle au titre de laquelle l'imposition est due".

L'article L. 189 du LPF précise : "La prescription est interrompue par la notification d'une proposition de rectification".

La jurisprudence est parfois assez peu contraignante pour l'administration. Il a été jugé, par exemple, qu'interrompt la prescription une proposition de rectification présentée au domicile du contribuable et, en l'absence de celui-ci, déposée entre les mains de son épouse (22). Interrompt également la prescription la rectification adressée au contribuable sur son lieu d'activité professionnelle, qui ne conteste pas l'avoir reçue, et non à son domicile personnel (23).

En l'espèce, la cour administrative d'appel de Paris (CAA Paris, 17 mars 2014, n° 12PA02087, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A5617NT9) a donné raison aux contribuables considérant que l'administration avait méconnu les règles de prescription.

La jurisprudence traditionnelle en la matière est de considérer que, pour qu'une proposition de rectification soit interruptive de prescription, il suffit qu'elle parvienne, au plus tard le 31 décembre de la troisième année suivant l'année d'imposition, à l'adresse du contribuable connue de l'administration. La circonstance que le contribuable était absent à l'adresse qu'il a fourni, et qu'il n'a pas pu retirer la lettre avant la date de l'expiration du délai de répétition, est sans influence sur l'interruption de la prescription résultant de la notification qui lui a été adressé en temps utile (24). Autrement dit, la prescription doit être considérée comme interrompue à la date de la première présentation de la lettre recommandée contenant la proposition de rectification. Quand la poste dépose au domicile du contribuable deux avis de passage, pour le même pli, la date de la proposition de rectification qui interrompt la prescription est la première présentation (25).

Il a semblé que le Conseil infléchissait sa jurisprudence quand il a jugé que la date d'interruption de la prescription est celle à laquelle le pli contenant la proposition de rectification est remis au contribuable et que ce n'est que dans le cas où le contribuable a négligé de retirer ce pli, mis en instance à la poste, que la date à prendre en compte est celle à laquelle ce courrier a été présenté à son adresse (26).

Le Conseil d'Etat, qui renoue avec sa jurisprudence traditionnelle, dans cette affaire, nous donne une indication pratique qui a son importance. En effet la date à prendre en compte pour l'interruption de prescription n'est pas celle à laquelle le pli a été physiquement remis par les services postaux, en l'espèce le 2 janvier 2007, mais celle à laquelle le pli contenant la proposition de rectification a été présentée à l'adresse des contribuables. Cette solution ne contrarie pas la doctrine administrative en la matière.

Chacun aura compris qu'en cette fin d'année 2015, cet arrêt n'est pas sans intérêt.


(1) CGI, art. 1737-I1 et 2 (N° Lexbase : L1727HNB).
(2) CGI, art. 1737-II.
(3) CE 3° et 8° s-s-r., 26 mai 2008, n° 288583, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A7771D8C), RJF, 2008, 8-9, comm. 981.
(4) CE 9° et 10° s-s-r., 24 septembre 2014, n° 361330, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A2944MXC), RJF, 2014, 12, comm. 1127.
(5) CE 8° et 9° s-s-r., 10 décembre 1990, n° 68670, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A4850AQP), RJF, 1991, 2, comm. 193.
(6) CAA Nantes, 6 avril 2010, n° 09NT00336, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A9658EWM), RJF, 2010, 12, comm. 1198.
(7) CE 8° et 9° s-s-r., 14 avril 1995, n° 121010, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A3323ANE), RJF, 1995, 6, comm. 749.
(8) CAA Bordeaux, 7 novembre 2005, n° 04BX01924, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A6237DLL), RJF, 2006, 3, comm. 280.
(9) CAA Douai, 9 juillet 2013, n° 12DA00285, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A0797KKQ).
(10) Nos obs., Procédures fiscales, 2ème éd., LGDJ, coll. Domat, 2015, pp. 477 et s..
(11) CE 8° et 9° s-s-r., 8 juillet 1998, n° 159135, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A5510AYQ), Droit fiscal, 1998, comm. 941, concl. Bachelier.
(12) CE 8° s-s., 22 janvier 1982, n° 22555, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A0671ALG), RJF, 1982, 3, comm. 253.
(13) CE Sect., 21 mai 1976, n° 94052, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A1516AXG), Droit fiscal, 1976, comm. 878, concl. Latournerie.
(14) CE, 29 septembre 2000, n° 204516, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A3752AT7), Droit fiscal, 2001, comm. 217.
(15) CE 7° et 9° s-s-r., 7 décembre 1983, n° 37751, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A8859ALP), RJF, 1984, 2, comm. 112.
(16) CE 7° et 9° s-s-r., 25 février 1987, n° 50189, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A2400APL), RJF, 1987, 4, comm. 428.
(17) CE 9° et 10° s-s-r., 29 décembre 2000, n° 183659, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A2097AII), RJF, 2001, 3, comm. 365.
(18) CE 8° et 9° s-s-r., 28 janvier 1981, n° 16600, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A3456AK9), Droit fiscal, 1981, comm. 981, concl. Schricke.
(19) CE 3° et 8° s-s-r., 21 décembre 2001, n° 221006, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A9405AXM), Droit fiscal, 2002, comm. 697, concl. Bachelier.
(20) CE 3° et 8° s-s-r., 9 juillet 2010, n° 313577, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A1331E43), Droit fiscal, 2014, comm. 544, concl. Olléon.
(21) CE 7° et 9° s-s-r., 6 juillet 1990, n° 98161, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A4770AQQ), Droit fiscal, 1992, comm. 278, concl. Hagelsteen.
(22) CE, 16 février 1987, n° 52542, Droit fiscal, 1987, comm. 1417, concl. Martin-Laprade.
(23) CE 7° et 8° s-s-r., 27 avril 1987, n° 40344, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A2767AP8) RJF, 1987, comm. 356.
(24) CE 8° et 9° s-s-r., 19 janvier 1983, n° 33831, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A8380ALX), Droit fiscal, 1983, 31, comm. 1621, concl. Schricke.
(25) CE 8° et 9° s-s-r., 15 juin 1987, n° 48864, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A2460APS), Droit fiscal, 1987, 42, comm. 1878.
(26) CE 9° et 10° s-s-r., 7 novembre 2012, n° 343169, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A5060IWC), Droit fiscal, 2013, 3, comm. 73.

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Responsabilité

[Brèves] Saisine de la CJUE d'une question préjudicielle relative au mode de preuve de la défectuosité des produits dans le domaine de la responsabilité des laboratoires pharmaceutiques

Réf. : Cass. civ. 1, 12 novembre 2015 n° 14-18.118 (N° Lexbase : A4812NW7)

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Le 19 Novembre 2015

L'article 4 de la Directive 85/374/CEE du Conseil du 25 juillet 1985 (N° Lexbase : L9620AUT) s'oppose-t-il, dans le domaine de la responsabilité des laboratoires pharmaceutiques du fait des vaccins qu'ils produisent, à un mode de preuve selon lequel le juge du fond, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation, peut estimer que les éléments de faits invoqués par le demandeur constituent des présomptions graves, précises et concordantes, de nature à prouver le défaut du vaccin et l'existence d'un lien de causalité de celui-ci avec la maladie, nonobstant la constatation que la recherche médicale n'établit pas de lien entre la vaccination et la survenance du dommage ? Telle est la question renvoyée à la CJUE par la première chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt du 12 novembre 2015 (Cass. civ. 1, 12 novembre 2015 n° 14-18.118 N° Lexbase : A4812NW7). En l'espèce, après avoir été vacciné contre l'hépatite B en 1998 et 1999, M. X, aujourd'hui décédé, et aux droits duquel se trouvent Mmes X, a présenté divers troubles ayant conduit, courant 2000, au diagnostic de la sclérose en plaques. Il avait alors assigné en responsabilité le laboratoire fabricant du vaccin sur le fondement des articles 1386-1 et suivants du Code civil (N° Lexbase : L1494ABX). L'affaire avait été plaidée une première fois devant la Cour de cassation, laquelle avait cassé l'arrêt et renvoyé l'affaire devant la cour d'appel de Paris (Cass. civ. 1, 26 septembre 2012, n° 11-17.738, FS-P+B+I N° Lexbase : A6301ITK) et retenu que la mise en cause de vaccins contre l'hépatite B et l'apparition de la sclérose en plaques pouvait être recherchée sur le fondement de la responsabilité des produits défectueux, et que la défectuosité du vaccin pouvait être démontrée par des présomptions graves, précises et concordantes. La cour de renvoi a débouté les appelantes au motif que le lien de causalité était insuffisant du point de vue de la concomitance chronologique entre la vaccination et l'apparition de la maladie et du fait que la mise en oeuvre de la responsabilité du producteur supposait la preuve d'un lien de causalité entre l'administration du produit et le dommage (CA Paris, pôle 2, 2ème ch., 7 mars 2014, n° 13/01546 N° Lexbase : A3692MGT). Mmes X ont formé un pourvoi à l'encontre de l'arrêt rendu. A l'appui de leur pourvoi, elles soutenaient que la responsabilité du fait des produits défectueux suppose la preuve de l'existence d'un lien de causalité entre le défaut du produit et le dommage subi par la victime, cette preuve pouvant résulter de présomptions graves, précises et concordantes qui peuvent être caractérisées par le bref délai existant entre l'injection du vaccin et l'apparition de la maladie. La Haute juridiction, considérant que les questions soulevées par le moyen nécessitent une interprétation uniforme de la Directive précitée, décide de surseoir à statuer et opère un renvoi préjudiciel (cf. les Ouvrages "Responsabilité civile" N° Lexbase : E3532EUD et "Droit médical" N° Lexbase : E0410ERM).

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Responsabilité

[Brèves] Saisine de la CJUE d'une question préjudicielle relative au mode de preuve de la défectuosité des produits dans le domaine de la responsabilité des laboratoires pharmaceutiques

Réf. : Cass. civ. 1, 12 novembre 2015 n° 14-18.118 (N° Lexbase : A4812NW7)

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Le 19 Novembre 2015

L'article 4 de la Directive 85/374/CEE du Conseil du 25 juillet 1985 (N° Lexbase : L9620AUT) s'oppose-t-il, dans le domaine de la responsabilité des laboratoires pharmaceutiques du fait des vaccins qu'ils produisent, à un mode de preuve selon lequel le juge du fond, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation, peut estimer que les éléments de faits invoqués par le demandeur constituent des présomptions graves, précises et concordantes, de nature à prouver le défaut du vaccin et l'existence d'un lien de causalité de celui-ci avec la maladie, nonobstant la constatation que la recherche médicale n'établit pas de lien entre la vaccination et la survenance du dommage ? Telle est la question renvoyée à la CJUE par la première chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt du 12 novembre 2015 (Cass. civ. 1, 12 novembre 2015 n° 14-18.118 N° Lexbase : A4812NW7). En l'espèce, après avoir été vacciné contre l'hépatite B en 1998 et 1999, M. X, aujourd'hui décédé, et aux droits duquel se trouvent Mmes X, a présenté divers troubles ayant conduit, courant 2000, au diagnostic de la sclérose en plaques. Il avait alors assigné en responsabilité le laboratoire fabricant du vaccin sur le fondement des articles 1386-1 et suivants du Code civil (N° Lexbase : L1494ABX). L'affaire avait été plaidée une première fois devant la Cour de cassation, laquelle avait cassé l'arrêt et renvoyé l'affaire devant la cour d'appel de Paris (Cass. civ. 1, 26 septembre 2012, n° 11-17.738, FS-P+B+I N° Lexbase : A6301ITK) et retenu que la mise en cause de vaccins contre l'hépatite B et l'apparition de la sclérose en plaques pouvait être recherchée sur le fondement de la responsabilité des produits défectueux, et que la défectuosité du vaccin pouvait être démontrée par des présomptions graves, précises et concordantes. La cour de renvoi a débouté les appelantes au motif que le lien de causalité était insuffisant du point de vue de la concomitance chronologique entre la vaccination et l'apparition de la maladie et du fait que la mise en oeuvre de la responsabilité du producteur supposait la preuve d'un lien de causalité entre l'administration du produit et le dommage (CA Paris, pôle 2, 2ème ch., 7 mars 2014, n° 13/01546 N° Lexbase : A3692MGT). Mmes X ont formé un pourvoi à l'encontre de l'arrêt rendu. A l'appui de leur pourvoi, elles soutenaient que la responsabilité du fait des produits défectueux suppose la preuve de l'existence d'un lien de causalité entre le défaut du produit et le dommage subi par la victime, cette preuve pouvant résulter de présomptions graves, précises et concordantes qui peuvent être caractérisées par le bref délai existant entre l'injection du vaccin et l'apparition de la maladie. La Haute juridiction, considérant que les questions soulevées par le moyen nécessitent une interprétation uniforme de la Directive précitée, décide de surseoir à statuer et opère un renvoi préjudiciel (cf. les Ouvrages "Responsabilité civile" N° Lexbase : E3532EUD et "Droit médical" N° Lexbase : E0410ERM).

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Social général

[Projet, proposition, rapport législatif] Coup d'envoi de la réforme du Code du travail : le changement, c'est maintenant !

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N9953BU8

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par Christophe Radé, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

Le 20 Novembre 2015

Quelques semaines après la publication de l'ouvrage de Robert Badinter et d'Antoine Lyon-Caen qui militaient pour une profonde simplification du Code du travail (1), de la publication de trois rapports (2), dont le rapport "Combrexelle" (3), concluant à la nécessité de renforcer le poids de la négociation collective d'entreprise, et des conclusions d'une autre commission dont les travaux avaient été moins médiatisés, concernant l'adaptation du droit du travail au numérique (4), le Gouvernement a présenté en Conseil des ministres, le 4 novembre 2015, le programme qui devrait conduire, à échéance de deux années, à une profonde réforme du Code du travail (5). Intitulé Simplifier. Négocier. Sécuriser un Code du travail pour le XXIème siècle, le projet s'inscrit à la fois dans la continuité des réformes intervenues ces dernières années, mais aussi, et peut-être surtout, dans une perspective plus radicale de révolution culturelle, d'un véritable choc de simplification destiné à rétablir la confiance des acteurs dans le Code du travail, tout en repensant les voies de la protection des salariés. Le projet est ambitieux, et on ne peut que se féliciter que le Gouvernement s'attelle à une telle réforme. Reste à savoir si celle-ci pourra être menée à terme dans un délai aussi bref, et si les bouleversements annoncés produiront les effets bénéfiques escomptés. Mais en attendant des résultats qui ne pourront, en toute hypothèse, pas être évalués avant plusieurs années, il convient de rappeler le contexte dans lequel intervient ce projet (I), avant de le détailler (II).
I - Le contexte de la réforme

A - La critique du droit du travail

Le contexte idéologique de la réforme. La réforme a ceci de remarquable qu'elle s'inscrit dans un contexte d'intense activité doctrinale et idéologique, les initiatives s'étant multipliées ces derniers mois pour préparer le terrain (6).

C'est la complexité du Code du travail qui semble aujourd'hui unanimement dénoncée. Présente notamment dans l'ouvrage de Robert Badinter et d'Antoine Lyon-Caen publié avant l'été (7), la critique a mis en évidence un double brouillage, à la fois du message délivré par le Parlement, devenu incompréhensible en raison d'un interventionnisme permanent et tatillon, et de la fonction protectrice de la loi qui finirait par produire l'effet inverse de celui recherché (protéger les droits fondamentaux des salariés) en détournant les acteurs de la norme. Même si la tonalité du rapport "Combrexelle" était différente sur ce point, l'intéressé ayant défendu, après d'autres, l'idée d'un droit du travail qui serait nécessairement complexe (8), la nécessité de raréfier l'intervention du législateur a fait son chemin et s'impose aujourd'hui comme absolue (9). Il était donc prévisible que le retour dans une configuration plus proche du schéma dessiné par l'article 34, alinéa 2, de la Constitution (N° Lexbase : L1294A9S), d'un Parlement se contentant, en matière sociale, de déterminer les principes fondamentaux du droit du travail, du droit syndical et de la Sécurité sociale, constituerait l'un des objectifs affichés par le Gouvernement. Le second axe de la réforme concerne la promotion de l'accord d'entreprise. Présent dans les trois rapports publiés après l'été (10), ce recentrage du droit du travail sur les normes d'entreprise implique de resituer doublement l'accord d'entreprise par rapport à la loi, ce qui impose de redéfinir le champ et l'intensité de l'ordre public social, mais aussi par rapport à l'accord de branche.

Un constat global : un Code doublement inefficace. Comme les ouvrages et rapports publiés en 2015 avant lui, le projet s'est construit sur une critique des principaux travers de l'actuel Code du travail. Le constat dressé est celui d'un échec du droit du travail dans sa double fonction de protection des salariés et de sécurisation des entreprises, en raison des bouleversements du monde du travail (11) qui rendent certaines approches obsolètes, et de la sédimentation de règles devenues illisibles. Les trajectoires professionnelles sont plus fréquemment discontinues, l'insertion dans l'emploi, plus incertaine, et le besoin de gérer les transitions professionnelles, plus affirmé.

Un Code compilé. Une partie des critiques concerne directement le Code du travail, construit par strates au fil des années, sans qu'aucune véritable refonte d'ensemble n'ait été tentée, pas même lors de sa recodification, intervenue en 2007, et qui s'était réalisée à droit constant, c'est-à-dire sans volonté réformatrice. Cette stratification serait d'autant plus problématique qu'elle se traduit par un éparpillement des régimes et une multiplication des exceptions à des principes qui se réduisent alors comme peau de chagrin, empêchant toute compréhension d'ensemble.

Comment ne pas adhérer à la critique, aux lendemains de la réforme du repos dominical, par la loi n° 2015-990 du 6 août 2015, pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques (N° Lexbase : L4876KEC), dite "Macron", ou de la négociation dans l'entreprise sans délégué syndical, par la loi n° 2015-994 du 17 août 2015, relative au dialogue social et à l'emploi (N° Lexbase : L2618KG3), dite "Rebsamen"... ? Mais comment, en même temps, ne pas s'étonner que ce Gouvernement, qui doit assumer la paternité des réformes intervenues cet été et dont le moins qu'on puisse dire est qu'elles ne brillent pas par leur simplicité, se transforme tout à coup en chantre de la simplicité, et de la modestie législative (12)... ? Les mêmes acteurs sauront-ils changer leurs habitudes et accepter la sobriété à laquelle ils prétendent aspirer ?

Des protections illusoires. Selon le dossier de presse qui relaie ici des critiques aujourd'hui largement partagées, c'est l'objectif même de protection des salariés qui ne serait plus atteint par le Code du travail, ce dernier n'empêchant, il est vrai, ni un chômage record, ni une précarité massive, ni un taux d'insertion professionnelle insuffisant pour les jeunes et les séniors, n'assurant pas aux salariés qui perdent leur emploi de véritables temps de transition professionnels consacrés à la formation, ou à la reconversion, ni aux femmes une égalité réelle de rémunération, à travail égal, ni les mêmes chances de carrières. Il convient donc de repenser la manière dont la société protège les salariés, car le Code, dans sa version actuelle, ne remplit plus ses objectifs.

Une confiance perdue. La complexité du droit du travail actuel ne permettrait pas non plus aux entreprises de s'y retrouver dans la jungle des réglementations, et les entrepreneurs perdraient ainsi confiance dans leur capacité à s'adapter pour investir et créer de l'emploi. L'argument est bien connu : la complexité du droit du travail serait un frein à l'activité en dissuadant, par un niveau de complexité et de protection trop élevé, les entreprises d'embaucher.

Il n'est pas question de nier ici la pertinence de l'hypothèse d'une corrélation funeste entre complexité du droit du travail, et chômage. Il est même tout à fait possible qu'elle se vérifie parfois et que le Code du travail fasse l'effet, par certaines de ses dispositions et pour certains employeurs, d'un véritable repoussoir. On peut également admettre que la complexité du droit favorise les stratégies contentieuses et des jeux d'opportunité avec les normes qui sont peu en rapport avec les objectifs initialement poursuivis par la règle de droit.

Tout cela est possible, mais rien n'est véritablement démontré et ne repose que sur des observations du réel partielles, et souvent partiales (13). Ces affirmations se nourrissent, d'ailleurs, en partie, d'une vision du droit inexact, liée parfois à une méconnaissance réelle du Code du travail, comme l'a fort bien démontré Jacques Barthélémy dans le rapport publié avec Gilbert Cette pour le compte de "Terra nova" (14), évoquant l'état actuel du droit légal de la durée du travail, qui a été considérablement simplifié ces dernières années, et une vision simpliste du "juridiquement souhaitable". Il ne nous semble pas que la technicité du droit soit ce qui décide l'immense majorité des justiciables à saisir la juridiction prud'homale ; les salariés vont devant le juge lorsqu'ils considèrent n'avoir pas été bien traités lors de l'exécution, ou de la rupture, de leur contrat de travail ; l'instrumentalisation de la règle de droit vient alors peut être ensuite, au stade de la construction des argumentaires procéduraux, par les conseils des parties, mais elle n'en constitue pas un moteur. Le discours dénonçant la complexité du droit comme un facteur d'accroissement des contentieux est donc avant tout idéologique, et articulé sur une vision des effets d'une simplification du droit également en grande partie fantasmée, pour les mêmes raisons d'ailleurs.

Il n'est d'ailleurs pas certain que la simplification du droit légal du travail ne se traduira pas par un transfert de la complexité des normes vers la partie réglementaire, voire conventionnelle, comme l'indiquait d'ailleurs Jean-Denis Combrexelle dans son rapport (15).

Par ailleurs, la complexité du droit, qui peut être pointée du doigt, est celle qui ne correspond à aucune complexité véritable du réel, et non celle qui résulte de la nécessité de rendre compte de la variété des situations concrètes. Or, la réalité sociale, et cela est très paradoxalement souligné d'ailleurs par ceux qui militent en faveur de la promotion de la négociation d'entreprise, est extrêmement variée et changeante, selon les secteurs d'activité, les régions, la taille de l'entreprise, etc.. Il est donc illusoire de penser pouvoir réduire le droit du travail à une série de principes passe-partout, sauf à laisser au juge le soin d'ajuster la norme au réel, loin de toute exigence de prévisibilité et de sécurité juridique.

Enfin, la complexité dénoncée du droit du travail n'est pas propre au Code du travail, lequel ne constitue, bien entendu, pas la seule contrainte normative pesant sur l'activité économique. Avant d'évoquer la complexité du Code du travail, comment ne pas penser à celle du droit des sociétés, pour organiser la forme juridique de l'activité, de la fiscalité, nationale comme locale, celle des liens à nouer avec les organismes sociaux ? Comment ne pas évoquer les règles d'urbanisme, les normes de sécurité, les activités réglementées ? Comment pourrait-on, dans cet ensemble de contraintes normatives pesant sur l'activité économique, sérieusement isoler la part du droit du travail ? Comment ne pas voir, dans cette remise en cause permanente du droit du travail, une sorte de chantage exercé par certains acteurs économiques qui rêvent d'un monde sans normes, sans contraintes, d'une sorte de "far west" social dans lequel ils pourraient se mouvoir en toute liberté (16) ?

B - La poursuite des réformes engagées depuis dix ans

L'aboutissement d'une tendance lourde du droit du travail. Même si le Gouvernement, dans son entreprise de communication, ne relie la réforme à venir qu'aux lois intervenues depuis l'élection de François Hollande le 15 mai 2012 et dont elles constitueraient le prolongement naturel, elle s'inscrit évidemment dans un contexte plus large, et plus ancien, visant à renforcer le rôle de la négociation collective, à la demande des partenaires sociaux eux-mêmes qui ont, depuis vingt ans, encouragé, voire précédé, les réformes depuis l'ANI du 31 octobre 1995, en passant par la position commune du 16 juillet 2001 sur les voies et moyens de l'approfondissement de la négociation collective, et celle du 9 avril 2008, concernant la réforme de la représentativité des organisations professionnelles.

La centralité de l'accord d'entreprise. La promotion de l'accord d'entreprise comme centre de gravité de la négociation collective ne date pas non plus d'hier. Préparé de longue date par la possibilité de déroger aux dispositions légales par accord d'entreprise, notamment en matière de durée du travail, ce mouvement a été ouvertement engagé avec la loi n° 2004-391 du 4 mai 2004 (N° Lexbase : L1877DY8), qui a posé le principe d'une priorité donnée à l'accord d'entreprise sur l'accord de branche (17), et les réformes intervenues depuis, singulièrement en matière de durée du travail avec la loi n° 2008-789 du 20 août 2008, portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail (N° Lexbase : L7392IAZ), puis de licenciement pour motif économique avec la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, relative à la sécurisation de l'emploi (N° Lexbase : L0394IXU), et d'organisation sociale de l'entreprise avec la loi "Rebsamen" du 17 août 2015, ont amplifié le mouvement en augmentant, au niveau des entreprises, les marges de dérogations, y compris à la loi, pour des accords négociés et conclus avec des syndicats majoritaires.

II - La mise en oeuvre de la réforme

A - Calendrier de la réforme

Une réforme en deux temps.

La réforme devrait se dérouler en deux temps.

D'ici l'été 2016, un premier volet, préparé sous la houlette de Robert Badinter et Antoine Lyon-Caen, accompagnés d'un groupe de "sages" composé de deux conseillers d'Etat, deux magistrats de la Cour de cassation et deux universitaires spécialistes du droit du travail, sera chargé de proposer les principes fondamentaux qui seront intégrés au projet de loi pour guider les travaux de réécriture du Code. Dans le même temps, sera élaborée la réforme du droit de la durée du travail (18).

Puis, dans un délai de deux ans (19), une "mission recodification", élargie à des personnalités qualifiées (juristes, universitaires, praticiens des relations sociales), devra poursuivre le travail sur l'ensemble du Code et rendra des comptes réguliers aux partenaires sociaux et au législateur. On peut se demander si un tel calendrier est réaliste, compte tenu de l'ampleur du travail à accomplir et des incertitudes qui entourent un éventuel changement de politique à l'occasion de la prochaine élection présidentielle en 2017...

B - Les axes de la réforme

Définir des principes fondamentaux. La réforme du Code du travail s'appuie sur une redéfinition des rôles respectifs du Parlement, du Gouvernement et des partenaires sociaux, la loi devant se consacrer, pour l'essentiel, à la définition de principes fondamentaux, à l'instar de la liste des cinquantes principes proposée dans leur ouvrage par Robert Badinter et Antoine Lyon-Caen. Ces principes fondamentaux seront bien entendu composés en premier lieu de droits fondamentaux, à l'instar d'une déclaration des droits (des salariés, mais aussi des employeurs?), dont la mise en oeuvre concrète sera confiée au Gouvernement et aux partenaires sociaux. Mais ils devront également organiser l'articulation des sources à partir du domaine de l'ordre public légal.

Articuler loi, règlement et accords collectifs. Le législateur devra ainsi déterminer le champ de l'ordre public, en distinguant les règles d'ordre public "absolu" qui ne sont donc susceptibles d'aucune dérogation, celles qui demeureront d'ordre public "social" et qui ne pourront être qu'améliorées par les partenaires sociaux, et celles qui seront supplétives, c'est-à-dire qui s'appliqueront à défaut d'accord.

Le Code nouveau devra également revenir sur les rapports intra-conventionnels et mettre en oeuvre cette idée, largement présente dans les rapports rendus cet automne, d'une priorité souhaitable à donner aux accords d'entreprise. La loi devra donc déterminer le champ de ce qu'on appelle "l'ordre public conventionnel", c'est-à-dire des questions que les accords de branche pourraient continuer de dominer, en autorisant, ou pas, et dans des proportions qui resteront à déterminer, des dérogations par accord d'entreprise (20), laissant alors ces derniers occuper tout l'espace laissé libre par la loi.

Dans le système qui se dessine, la règle serait donc la priorité donnée à l'accord d'entreprise, dans les champs ouverts à la négociation collective par le législateur, sous réserve des questions qui pourraient demeurer de la compétence prioritaire de la branche, si les partenaires sociaux le souhaitent, et dans les domaines prévus par la loi (21).

Redéfinir le rôle des branches. La réforme annoncée vise à renforcer le rôle des branches professionnelles.

Un tel discours pourrait sembler dans un premier temps contradictoire avec la promotion de l'accord d'entreprise, qui ne pourra se réaliser qu'au détriment des branches, celle-ci perdant certainement une grande partie de leur influence.

En contrepartie de ce recul de l'impérativité des accords de branche, le Gouvernement souhaite confier aux branches de nouvelles missions qui renforcent indiscutablement leur importance, au delà de la question de l'articulation des accords et de la détermination de "l'ordre public conventionnel".

C'est pour permettre aux branches de réaliser leurs nouvelles missions que, dans le prolongement des conclusions du premier rapport "Combrexelle" rendu en 2013 (22), leur nombre sera fortement réduit pour passer de 700 à 200 d'ici deux ans, et 100 d'ici trois ans (23).

Développer une culture de la négociation collective. La réussite du projet dépend, bien entendu, d'un certain nombre de facteurs techniques et institutionnels. Mais elle suppose également que les acteurs jouent le jeu et s'emparent des nouvelles opportunités qui leur seront données par la réforme.

On sait, en effet que, dans un premier temps, le législateur ne pourra pas se retirer massivement du domaine du droit du travail, compte tenu du principe de subsidiarité qui rendra la loi applicable à défaut d'accord, et du fait que dans de très nombreuses entreprises, nul accord ne peut voir le jour, singulièrement en raison du trop faible taux de syndicalisation. Les difficultés à conclure risquent d'ailleurs de s'accroître avec la généralisation de l'exigence majoritaire, qui constitue le prolongement nécessaire de la réforme de la démocratie sociale, et qui rend encore plus compliquée la construction d'un consensus, dans un contexte de concurrence électorale entre les syndicats et de crise économique.

Dans un tel système où la loi continue de jouer le rôle de filet de secours de la négociation collective, le risque est, en effet, surtout en période de crise, de voir les syndicats de salariés refuser de conclure des accords garantissant des niveaux d'avantages moins élevés que ceux qui sont garantis a minima par le législateur, les salariés risquant de le leur faire payer aux prochaines élections professionnelles.

Dans ces conditions, la situation pourrait rapidement se figer, le législateur refusant de se retirer pour ne pas créer de vide, et les partenaires sociaux demeurant dans des postures prudentes, la loi étant présente quoi qu'il arrive.

On le comprend aussitôt, il est indispensable de changer de modèle et de passer d'une culture de la défiance à une culture de la confiance. Mais pour cela, il convient de changer le regard des citoyens sur la négociation collective et d'inscrire la démocratie sociale au coeur du pacte républicain. Le projet imagine ainsi de mieux faire connaître les valeurs de la démocratie sociale à l'école, ou à l'Université... Le rapport "Combrexelle" imaginait, pour sa part, un enrichissement des principes présents dans le préambule de la Constitution de 1946. Ne faudrait-il pas aller plus loin en annexant à la Constitution une véritable Charte des droits sociaux, à l'instar de la Charte de l'environnement de 2004 (24) ?

Il conviendra également de favoriser la connaissance des accords d'entreprise, peut-être en étendant la mission de diffusion du droit à Legifrance.

Réformer le droit de la négociation collective. Le projet est ici ambitieux et passe par toute une série de modifications du Code du travail destinées à améliorer l'adaptabilité des accords collectifs pour mieux faire face aux mutations de l'environnement économique et social.

Il s'agirait, tout d'abord, de renforcer la loyauté de la négociation en généralisant les accords de méthode ou d'engagement de la négociation, et en obligeant les négociateurs à s'engager précisément sur des calendriers, et sur des objectifs à atteindre.

Quoique la question semble encore en débat, il n'est pas question ici de supprimer la catégorie des accords à durée indéterminée, au profit exclusif des accords à durée limitée (qui serait réduite à quatre ans), mais de favoriser la révision périodique des accords au travers de clauses plus précises et impératives (dites "clauses de revoyure").

Il s'agira également de réfléchir sur la conclusion des accords, sur les modalités de révision, pour simplifier notamment leur adaptation en cas de changements d'interlocuteurs dans l'entreprise, de réformer les règles de révision, singulièrement pour tenter de limiter et de préciser l'application de la règle du maintien des avantages individuels acquis en cas d'échec de la renégociation d'un accord (25). La réforme devra également consacrer l'autorité des accords de groupe, certainement, d'ailleurs, pour leur permettre de se substituer aux accords d'entreprise, dans une optique d'harmonisation des statuts collectifs.

Réformer le droit de la durée du travail. Dans l'immédiat, c'est-à-dire avant l'été 2016, le premier volet de la réforme, concernant le droit de la durée du travail, pourrait être proposé notamment pour sécuriser les forfaits-jours, les règles relatives aux repos et les congés (les durées hebdomadaires et quotidiennes, l'aménagement du travail sur l'année, les congés, ou encore les astreintes) et aborder des questions liées au droit à la déconnexion, au télétravail ou à l'utilisation des outils numériques.

Le choix de la durée du travail comme premier chantier est logique, à plusieurs titres.

En premier lieu, et depuis les premières dérogations possibles accordées à certaines des règles légales en matière de durée du travail en 1982, ces questions ont toujours été un laboratoire d'innovations pour les gouvernements successifs depuis lors. C'est d'ailleurs aussi en matière de durée du travail que la primauté de l'accord d'entreprise a été la plus poussée en 2008, au travers du volet durée du travail de la loi du 20 août 2008.

Ensuite, le mouvement de transfert des compétences du national (étatique) vers le local (conventionnel) a déjà largement été engagé ces dernières années, ce qui préfigure, sans doute, le schéma d'une loi affirmant l'existence de principes cardinaux et laissant aux partenaires sociaux le soin de s'organiser, des décrets servant de filet de sécurité (26).

Les marges de manoeuvre réelles laissées aux acteurs de la réforme seront, toutefois, relativement réduites. Faut-il le rappeler, même si le Gouvernement occulte totalement cet aspect dans sa communication, les règles relatives à la durée du travail sont encadrées par la Directive 2003/88 du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail N° Lexbase : L5806DLM), qui fixe des objectifs indérogeables en matière de durées maximum de travail et minimum de repos. Par ailleurs, et la limite est cette fois-ci politique, le Président de la République et le Premier ministre ont a priori refusé que la question de la durée légale de travail de 35 heures hebdomadaire soit discutée et renvoyée aux accords d'entreprise ou de branche. Or, il s'agit de l'une des revendications principales des organisations patronales qui voudraient bien faire travailler plus leurs salariés, sans avoir nécessairement à leur payer à due proportion des heures supplémentaires. Si on ne peut toucher ni aux durées maximum, ni à la durée légale, on se demande en quoi pourrait bien consister la "grande" réforme de la durée du travail.

Redéfinir les protections individuelles. C'est sans doute là que réside le coeur de la réforme, et sans doute la clef de la réussite pour fluidifier le marché du travail. Il s'agit, en effet, de permettre une meilleure mobilité professionnelle, une meilleure insertion des jeunes travailleurs notamment, et au final, de donner des chances égales à tous. Comme cela est clairement relevé dans la présentation de la réforme, les protections sont aujourd'hui accordées aux salariés en fonction de leur appartenance à telle ou telle catégorie professionnelle, pour simplifier celles des salariés, laissant en dehors des protections les exclus du marché du travail, mais aussi les travailleurs non salariés. L'idée, fortement présente dans le projet de compte personnel d'activité (27), serait d'attacher des droits aux personnes, sans les lier au statut, et de favoriser ainsi les transitions entre ces statuts, sans risque de perte des protections. Les droits seraient ainsi naturellement portables, et transférables, et pourraient alors alimenter des reconversions professionnelles, des périodes de formation, entre deux emplois.

Adapter le droit aux TPE-PME. En dépit d'une prise en compte ancienne et fréquente de l'effectif des entreprises pour moduler l'application du droit du travail, le droit actuel est considéré comme insuffisamment adapté aux TPE, singulièrement les règles de la négociation collective qui supposent la présence de représentants syndicaux, à tout le moins de délégués du personnel, pour négocier et conclure des accords collectifs.

Le projet de loi devra permettre aux TPE de se voir appliquer des dispositifs dérogatoires dont le bénéficie est aujourd'hui subordonné à la conclusion d'un accord collectif d'entreprise. Il s'agira ici également de favoriser la création d'accords-types définis dans la branche, et de permettre aux entreprises de négocier avec un salarié extérieur mandaté par une organisation syndicale représentative dans la branche.

La branche devra jouer ici un rôle moteur et mettre à disposition des TPE, outre des accords-types, des contrats de travail types reprenant l'essentiel des dispositions résultant de l'accord de branche, mais aussi faciliter les démarches auprès des organismes sociaux et fournir aux entreprises des informations sur le droit du travail.

Le projet vise également à favoriser la conclusion d'accords de site et de filière, englobant les sous-traitants des entreprises fournisseurs d'activité.

Conclusion. Il est trop tôt pour spéculer aujourd'hui sur les chances réelles de cette vaste entreprise de reconstruction du Code du travail. Mais une chose est certaine : la réforme semble désormais sur de bons rails, et on ne peut que s'en réjouir !


(1) R. Badinter et A. Lyon, Le travail et la loi, Fayard, 2015, 77 pages.
(2) Lire notre étude Réformer le droit du travail - présentation critique du rapport "Barthélémy- Cette", Lexbase Hebdo n° 626 du 24 septembre 2015 - édition sociale (N° Lexbase : N9030BUY) ; S. Tournaux, Rapport de l'Institut Montaigne - Sauver le dialogue social, Lexbase Hebdo n° 626 du 24 septembre 2015 - édition sociale (N° Lexbase : N9093BUC).
(3) G. Auzero, Rapport "Combrexelle" : propositions de réforme autour de la négociation collective, le travail et l'emploi, Lexbase Hebdo n° 626 du 24 septembre 2015 - édition sociale (N° Lexbase : N9068BUE).
(4) Transformation numérique et vie au travail, rapport établi par Bruno Mettling, septembre 2015.
(5) Lire le dossier de presse. Egalement Orientations retenues par le Gouvernement pour la refondation du droit du travail, JCP éd. S, 2015, Act. 436.
(6) Sur les différentes propositions faites ces dernières années, lire le tableau dressé par la SSL, 2015, n° 1684.
(7) R. Badinter et A. Lyon, Le travail et la loi, préc..
(8) On songera notamment ici aux publications de Pascal Lokiec, notamment Les idéologues de la simplification, SSL, 2015, n° 1677.
(9) Le rapport "Combrexelle" proposait ainsi la règle selon laquelle tout texte ajouté devrait entraîner, en contrepartie, la suppression d'un texte existant, et demandait à ce que l'agenda social soit réduit, et respecté.
(10) Rapports "Combrexelle", "Barthélémy-Cette" et "Montaigne".
(11) Le projet vise ainsi la "nouvelle économie", les "nouveaux modèles productifs, nouveaux métiers, nouvelles organisations du travail, nouvelles pratiques professionnelles".
(12) Le changement est peut-être déjà en marche et la volonté de simplifier l'action du Gouvernement l'est déjà, comme en témoigne le décret n° 2015-1469 du 13 novembre 2015, portant suppression de commissions administratives à caractère consultatif (N° Lexbase : L2930KQL) (JORF n°0264 du 14 novembre 2015, p. 21251).
(13) Si vous interrogez un chef d'entreprise pour lui demander si la complexité du droit du travail le dissuade d'embaucher, il aura tendance à vous répondre oui, même si, en réalité, l'affirmation est invérifiable.
(14) Notre présentation, préc..
(15) Lire la présentation par Gilles Auzero dans Lexbase Hebdo n° 626 du 24 septembre 2015 - édition sociale, préc..
(16) Sur la pluralité des sens possibles pour le même terme de "simplification", lire M. Véricel, Que faut-il entendre par simplification du droit du travail ?, Dr. soc., 2015 p. 833.
(17) On se rappellera que les lois "Aubry", de 1998 (loi n° 98-461 du 13 juin 1998 d'orientation et d'incitation relative à la réduction du temps de travail N° Lexbase : L7982AIH) et 2000 (loi n° 2000-37 du 19 janvier 2000, relative à la réduction négociée du temps de travail N° Lexbase : L0988AH3), mais aussi "Fillon" de 2003 (loi n° 2003-775 du 21 août 2003 N° Lexbase : L9595CAM), avait également renforcé, dans des domaines particuliers (durée du travail, procédures du licenciement pour motif économique), le rôle de la négociation d'entreprise.
(18) Intégrant les repos et les congés, les durées hebdomadaires et quotidiennes, l'aménagement du travail sur l'année, les congés, ou encore les astreintes, ainsi que les questions liées au droit à la déconnexion, au télétravail ou à l'utilisation et à la sécurisation du forfait-jours. Ce choix est logique dans la mesure où, historiquement depuis 1982, c'est toujours en matière de durée du travail que les principales innovations ont été imaginées, de la mise en place des accords dérogatoires en 1982 jusqu'aux accords de maintien de l'emploi qui peuvent entraîner la renonciation au paiement des heures supplémentaires.
(19) Le rapport "Combrexelle" était plus réaliste sur ce point et visait un délai de quatre ans.
(20) Ou aux accords inter ou multiprofessionnels.
(21) Etant précisé qu'aujourd'hui la loi détermine, depuis la loi n° 2004-391 du 4 mai 2004 (N° Lexbase : L1877DY8), la liste des questions qui échappent à la priorité accordée aux accords d'entreprise, et permet aux accords de branche de bloquer, par une clause générale, toute possibilité de dérogation dans son champ d'application. La réforme consisterait alors à supprimer cette faculté de mise à l'écart générale de la dérogation, et de ne laisser subsister, au niveau de la branche, que quelques questions réservées (minimas, classification, etc.) que l'accord de branche pourrait continuer de considérer comme s'imposant aux entreprises (sauf accords d'entreprise plus favorable, bien entendu).
(22) Rapport sur la réforme de la représentativité patronale, octobre 2013.
(23) Les branches pourront prendre des initiatives pour se rapprocher et fusionner, mais on peut penser qu'une redéfinition réglementaire devra intervenir pour reconstruire l'ensemble de l'édifice.
(24) Sur cette proposition, notre étude Pour une réforme constitutionnelle ambitieuse du dialogue social, dans Droit du travail. Emploi. Entreprise. Mélanges en l'honneur du Professeur François Gaudu, IRJS éditions, 2014, p. 155, s..
(25) Une mission particulière sera confiée à notre collègue Jean-François Cesaro.
(26) On pensera, ici, à l'évolution du régime de "modulation" des heures sur l'année.
(27) Sur lequel le rapport de la commission Mahfouz, rendu public en octobre 2015, pour France stratégie, précise qu'il s'agit de "paver le chemin d'une transition vers un système de droits universels, portables et personnalisés".

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Sociétés

[Brèves] Absence de pouvoir du mandataire social pour conclure un contrat : la nullité de l'acte ne peut être demandée que par la société concernée

Réf. : Cass. civ. 1, 12 novembre 2015, n° 14-23.340, F-P+B (N° Lexbase : A7525NWM)

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N0035BW9

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Le 26 Novembre 2015

La nullité d'un contrat fondée sur l'absence de pouvoir du mandataire social, qui est relative, ne peut être demandée que par la partie représentée. Tel est le sens d'un arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 12 novembre 2015 (Cass. civ. 1, 12 novembre 2015, n° 14-23.340, F-P+B N° Lexbase : A7525NWM ; cf. déjà en ce sens, Cass. civ. 1, 2 novembre 2005, n° 02-14.614, FS-P+B N° Lexbase : A3229DL8). En l'espèce, une SCI (la bailleresse) a consenti un bail commercial à une société (la locataire), à compter du 1er juin 2008 et pour une durée de vingt-trois mois. Après le départ des lieux de la locataire, la bailleresse l'a assignée en paiement d'un arriéré de loyers et taxes. La locataire a opposé la nullité du bail pour défaut de capacité de la SCI bailleresse. La cour d'appel d'Aix-en-Provence (CA Aix-en-Provence, 3 juin 2014, n° 12/21221 N° Lexbase : A7789MP8) a prononcé la nullité du bail pour défaut de capacité de la bailleresse, retenant que le bail a été signé par la SCI, représentée par M. G. qui était décédé le 29 juin 2006, soit avant la signature de l'acte litigieux. Selon les statuts, celui-ci avait été nommé gérant pour une durée illimitée et, en conséquence, pour la cour d'appel, la SCI, privée de gérant, ne disposait plus de la capacité pour contracter. Mais, énonçant le principe précité, la Cour régulatrice censure l'arrêt d'appel au visa de l'article 1984 du Code civil (N° Lexbase : L2207ABD ; cf. l’Ouvrage "Droit des sociétés" N° Lexbase : E7197ADW et N° Lexbase : E9660BX3).

newsid:450035

Urbanisme

[Brèves] Régime issu de la loi "littoral" : portée du I de l'article L. 146-4 du Code de l'urbanisme

Réf. : CE 1° et 6° s-s-r., 9 novembre 2015, n° 372531, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A5872NWE)

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N9957BUC

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Le 20 Novembre 2015

Il résulte du I de l'article L. 146-4 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L3327KGC) que les constructions peuvent être autorisées dans les communes littorales en continuité avec les agglomérations et villages existants, c'est-à-dire avec les zones déjà urbanisées caractérisées par un nombre et une densité significatifs de constructions. En revanche, aucune construction ne peut être autorisée, même en continuité avec d'autres, dans les zones d'urbanisation diffuse éloignées de ces agglomérations et villages. Ainsi statue le Conseil d'Etat dans un arrêt rendu le 9 novembre 2015 (CE 1° et 6° s-s-r., 9 novembre 2015, n° 372531, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A5872NWE, sur la portée de l'article L. 146-4 du Code de l'urbanisme, voir CE 1° et 6° s-s-r.., 27 septembre 2006, n° 275924 N° Lexbase : A3347DRE). Les zones "UH" et "AUH" du règlement du PLU contesté correspondent toutes à l'urbanisation de hameaux traditionnels, dont certains sont de taille relativement importante et assez densément urbanisés. Toutefois, en jugeant que ces hameaux ne sauraient être regardés comme des "centres urbains" et que le classement en zone "UH" des parcelles situées en continuité de ces hameaux n'était pas compatible avec les dispositions du schéma d'aménagement de la Corse, la cour administrative d'appel (CAA Marseille, 1ère ch., 30 juillet 2013, n° 11MA02797 N° Lexbase : A8221ML3) n'a pas entaché son arrêt d'insuffisance de motivation et s'est livrée à une appréciation souveraine des pièces du dossier qui n'est pas entachée de dénaturation. C'est également par une motivation suffisante et au terme d'une appréciation souveraine des pièces du dossier exempte de dénaturation, que la cour a estimé que le classement en zone constructible des terrains se trouvant soit à proximité d'espaces naturels, soit au sein de zones d'urbanisation diffuse, n'était pas compatible avec les dispositions du schéma d'aménagement de la Corse .

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