Réf. : HCCC, avis n° 2015-02 du 1er octobre 2015 (N° Lexbase : X6166AP3)
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Le 11 Novembre 2015
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par Hervé Causse, Professeur d'Université, Directeur du Master Droit des Affaires et de la Banque de l'Université d'Auvergne, Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Droit bancaire"
Le 11 Novembre 2015
1. Liberté d'octroyer des crédits, négociations, accord de principe et taux d'endettement. Motif pris d'un arrêt assez pointu, on rappelle que la banque est une commerçante qui bénéficie d'une grande liberté économique ; ainsi et notamment, elle n'est liée s'agissant d'un crédit que par sa signature ou sa promesse antérieure (H. Causse, Droit bancaire et financier, 2015, Mare et Martin, p. 599, n° 1219 ; sur la liberté de refuser un crédit, cf. Ass. plén., 9 octobre 2006, n° 06-11.056, publié N° Lexbase : A6865DRP, Bull. Ass. plén. n° 11, p. 27 ; JCP éd. G, 2006, II, 10175, note Th. Bonneau ; D., 2006, p. 2525, obs. X. Delpech ; D., 2006, p. 293, note D. Houtcieff ; JCP éd. E, 2007, 1679, n° 19, obs. N. Mathey). La confiance motive l'octroi d'un crédit et, si le banquier pense ne pas devoir être remboursé par un emprunteur, il a le droit (fondamental ?) de refuser le crédit. Si tel est le cas c'est que les remboursements sont la condition pour que les banques ne fassent pas faillite. Il doit donc être jugé, comme le fait la Cour de cassation (Cass. com., 2 juin 2015, n° 14-15.632, F-D N° Lexbase : A2145NKN ; cf. l’Ouvrage "Droit bancaire" N° Lexbase : E5146A3Y), qu'un accord de principe donné par une banque "sous les réserves d'usage" implique que les conditions définitives de l'octroi de son concours restent à définir et oblige seulement celle-ci à poursuivre, de bonne foi, les négociations en cours. L'augmentation du taux d'intérêt de 4 % visé dans l'accord de principe donné aux emprunteurs, puis, devant leur refus, la mise d'un terme aux négociations ne permettent pas d'engager la responsabilité de l'établissement alors que le taux d'endettement du candidat au financement s'élevait à 41,14 %, soit un taux supérieur à celui de 35,07 % figurant dans la demande de prêt. Sachant qu'un établissement doit se décider au vu d'un dossier à jour et de données actualisées (Cass. civ. 1, 9 juillet 2015, n° 14-18.559, F-D N° Lexbase : A7550NML, notamment pour savoir s'il délivre une mise en garde ; cf. l’Ouvrage "Droit bancaire N° Lexbase : E2201AHY).
2. Rappels sur l'exercice illégal de la profession de banquier. Deux arrêts de la Chambre criminelle rappellent à tous que les professions bancaires et financières requièrent un agrément (en principe de l'ACPR, parfois de l'AMF) ; sans ladite autorisation, ces professions ne peuvent pas être exercées (v. not. C. mon. fin., art. L. 511-5 N° Lexbase : L2550IXQ). Une incrimination renforce l'interdit civil, le Code monétaire et financier renferme de nombreuses infractions pénales (v. not. C. mon. fin., art. L. 571-3 N° Lexbase : L4250AP4, et les dispositions suivantes). Leur commission peut être le fait de particuliers ou d'entreprises opérant hors le secteur financier, mais aussi de professionnels agréés qui, étrangers ou nationaux, dépassent leur agrément. Cette hypothèse est de plus en plus grande alors que les métiers sont très sectorisés (services bancaires, services de paiement, services de garantie, services de change, services d'investissement, service de gestion de portefeuille...), les entreprises pouvant à l'occasion ne pas réaliser, tant les opérations sont techniques, qu'elles dépassent le domaine de leur agrément.
La première affaire évoque (Cass. crim., 11 mars 2015, n° 13-88.250, F-D N° Lexbase : A3274NDM ; cf. l’Ouvrage "Droit bancaire" N° Lexbase : E1223AHR) un exercice illégal de la profession de banquier, les juges d'appel ayant relevé que les prévenus ont collecté, auprès de nombreux immigrés installés en France, des fonds, lesquels devaient être, soit convertis en "machines outil " livrées en Algérie, soit changés en dinars remis à des résidents de ce pays. L'importance des sommes saisies et l'aménagement d'une cache dans la roue de secours d'un véhicule -cela ne s'invente pas- témoignent du caractère habituel des opérations. La réception, auprès d'un public identifié, de fonds que les prévenus, après en avoir eu la libre disposition, devaient rembourser, caractérise l'existence d'opérations de banque (dépôts à restituer) au sens de l'article L. 311-1 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L2512IXC).
La seconde affaire voit des individus condamnés pour avoir encaissé des chèques et faits des retraits en liquide de ces sommes qui provenaient de délits. Le fondement légal de la condamnation est le délit de l'article L. 324-1 du Code pénal (N° Lexbase : L1789AM9) relatif au blanchiment ; il n'a pas été utile de se référer aux multiples dispositions du titre VI livre V du Code monétaire et financier (C. mon. fin., art. L. 561-1 N° Lexbase : L7095ICR et s.) qui imposent, par le menu détail, des pratiques professionnelles pour éviter la commission du délit (Cass. crim., 17 juin 2015, n° 14-80.977, FS-P N° Lexbase : A5127NLH ; cf. l’Ouvrage "Droit bancaire N° Lexbase : E1223AHR ; pour un autre cas de blanchiment au moyen de chèques et de la violation des articles L. 324-1, L. 324-2 N° Lexbase : L1958AMH du Code pénal, et C. mon. fin., art. L. 112-6 N° Lexbase : L7804IZ3, L. 131-6 N° Lexbase : L9362HD4, cf. Cass. crim., 17 mars 2015, n° 14-80.805, F-D N° Lexbase : A1750NEK).
3. "Rachats de dettes par la BCE" validés par la CJUE. Le Traité interdit à la BCE de financer les institutions publiques : "il est interdit à la Banque centrale européenne et aux banques centrales des Etats membres, ci-après dénommées banques centrales nationales', d'accorder des découverts ou tout autre type de crédit aux institutions, organes ou organismes de l'Union, aux administrations centrales, aux autorités régionales ou locales, aux autres autorités publiques, aux autres organismes ou entreprises publics des Etats membres ; l'acquisition directe, auprès d'eux, par la [BCE] ou les banques centrales nationales, des instruments de leur dette est également interdite" (TFUE, art. 123 § 1 ; dispositif du Traité de Maastricht de 1992 (art. 101), dit "règle de l'article 123 du Traité de Lisbonne" ; rappr. loi n° 73-7 du 3 janvier 1973 sur la Banque de France : "le Trésor public ne peut être le présentateur de ses propres effets (titres) à l'escompte de la Banque de France" (art. 25) ; loi n° 93-980 du 4 août 1993, art. 3 N° Lexbase : L0639A33 ; C. mon. et fin., art. L. 141-3 N° Lexbase : L9818DYB). La première proposition de la phrase interdit tout financement, et la seconde interdit spécialement les acquisitions (directes) de titres (obligations étatiques ou autres espèces de titres étatiques), cette mention les montrant bien comme des financements (pour une analyse, v. notre ouvrage, op. cit., 2015, n° 389 et s. ; rapport Sénat, n° 533 : "Quoi qu'il en coûte" : la Banque centrale européenne face à la crise, 18 juin 2015, spéc. p. 23).
Malgré le principe interdisant le financement de toute collectivité publique, la BCE a voté, en septembre 2012, un programme d'achat des obligations d'Etats participant à l'euro. A défaut d'appliquer ce programme (dit OMT), dont la seule annonce a produit les effets voulus, la BCE a décidé et lancé effectivement, le 16 janvier 2015, un autre programme, dont la nature de quantitative easing (de politique monétaire assouplie), était cette fois avérée et assumée. Cette décision a été prise alors que la CJUE était saisie du litige par la question préjudicielle posée par la Cour constitutionnelle fédérale allemande de Karlsruhe (Bundesverfassungsgericht) qui donne l'arrêt discuté -le juge étant plutôt mis devant le fait accompli-. Il s'agit de parer à des attaques de l'euro à l'occasion des émissions d'obligations étatiques, spécialement grecques. L'ironie du sort aura voulu que ce soit au cours d'une énième crise grecque (bancaire, monétaire et européenne) que la CJUE donne raison à la BCE : les banques grecques ont dû fermer en juin et juillet 2015 ; fallait-il penser que ces mesures étaient indispensables ou qu'elles étaient vaines puisque les difficultés -certes essentiellement grecques- perduraient ? L'arrêt de la CJUE n'est pas intervenu dans un contexte serein : l'ensemble des autorités européennes cherchaient en urgence et encore une solution à la dette grecque.
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Dans un arrêt de principe du 16 juin 2015 (CJUE, 16 juin 2015, aff. C-62/14 N° Lexbase : A9353NKM, D., 2015, 2145, obs. H. Synvet ; Dalloz Actualité, 17 juillet 2015, obs. E. Autier ; JCP éd. G, 2015, 814, obs. Th. Bonneau ; Europe 2015, Repère 7, obs. D. Simon), la CJUE valide la décision de la BCE qu'elle vise à travers son communiqué de presse. De ce texte riche, on note le considérant 54 qui semble être, au fond, le plus décisif : "l'article 18, paragraphe 1, du protocole sur le SEBC et la BCE, figurant sous le chapitre IV de celui-ci, afin d'atteindre les objectifs du SEBC et d'accomplir ses missions, tels qu'ils résultent du droit primaire, la BCE et les banques centrales nationales peuvent, en principe, intervenir sur les marchés de capitaux en achetant et en vendant ferme des titres négociables libellés en euros. Il s'ensuit que les opérations envisagées par le conseil des gouverneurs dans le communiqué de presse utilisent l'un des instruments de la politique monétaire prévus par le droit primaire". L'état juridique de la BCE n'a jamais fait douter qu'elle puisse intervenir sur les marchés, sauf pour financer massivement et ouvertement les collectivités publiques. La CJUE fait toutefois une réserve sur les garanties d'un tel plan d'achat (dit ici OMT) que la BCE doit prendre (ce qui reste naturellement très virtuel...) ; elle contrôle ensuite la proportionnalité de la décision sans en tirer de grief, elle la valide donc (les pouvoirs de la BCE sont aussi discutés sur d'autres plans ; elle n'est pas compétente pour règlementer l'activité des chambres de compensation : TPIUE, 4 mars 2015, aff. T-496/11 N° Lexbase : A6792NCK). Quatre mois après cette décision, la BCE semble se sentir libérée du droit ; interprétant les propos de son président, la presse titre en première page "La BCE prête à tout pour raviver la croissance" (Le Monde, 24 octobre 2015, p. 1). La politique monétaire est probablement enrichie de plus d'un nouvel instrument monétaire que ce seul type d'opération de rachat ! Outre ceux de droit, les manuels d'économie qui ne disaient rien de cela vont pouvoir être complétés.
4. Le secret bancaire et la copropriété. Dans le régime de la copropriété des immeubles bâtis, la copropriété est une personne morale, le syndicat de copropriété, représentée par le syndic qui, assisté par le conseil syndical, applique les décisions de l'assemblée des copropriétaires qui délibère sur les questions de la copropriété. Dans ce contexte, le secret bancaire est évidemment inopposable au syndicat de copropriété s'agissant du compte bancaire renfermant les opérations de la copropriété. Le syndic, professionnel ou pas, a la mainmise sur le compte qu'il a du reste le pouvoir d'ouvrir (loi n° 65-557 du 10 juillet 1965, art. 18 N° Lexbase : L5536AG7). Un syndic estima pourtant que la banque avait violé le secret bancaire en transmettant des informations relatives au fonctionnement de ce compte au président du conseil syndical : le syndic a assigné la banque en responsabilité, en vain jugea le juge du fond (CA Reims, 28 mai 2013, n° 11/01564 N° Lexbase : A0048KEI) dont le pourvoi contre son arrêt fut rejeté (Cass. com., 24 mars 2015, n° 13-22597, F-P+B N° Lexbase : A6610NEK). Le compte bancaire d'un syndicat est en principe séparé du ou des comptes propres au syndic (sauf délibération spéciale de l'AG qui peut accepter la forme d'un sous-compte, v. art. 18, préc.). Or, en l'espèce, le compte était réservé à la copropriété mais non séparé : il était ouvert au nom de la société du syndic professionnel, ce qui est une irrégularité. En communiquant des informations sur ce compte au président du conseil syndical, l'établissement semblait violer le secret bancaire puisqu'il communiquait des éléments relatifs à un compte qui n'était pas au nom du syndicat de copropriété. C'est ce qu'a soutenu ce syndic, sachant que le banquier a pu signaler, à l'occasion, la situation d'anomalie de ce compte (qui n'était pas exactement un compte séparé). Pour situer le contexte, rappelons que le conseil syndical a vocation à obtenir les éléments du compte de la copropriété : les alinéas 3 et 4 de l'article 21 de la loi de 1965 disposent que le conseil syndical (et donc son président) reçoit tout document relatif au syndicat de copropriété, mais l'article 18 dispose que c'est "le syndic [qui] met à disposition du conseil syndical une copie des relevés périodiques du compte, dès réception de ceux-ci". On comprend alors que la Cour de cassation approuve le juge d'appel sans un luxe de motifs : "le compte litigieux [...] n'était pas un compte séparé au sens de l'article 18 de la loi du 10 juillet 1965 et [...] il enregistrait exclusivement les opérations de gestion de la copropriété [...], la cour d'appel, abstraction faite des motifs surabondants critiqués par les deuxième à quatrième branches, en a exactement déduit que le secret bancaire ne s'opposait pas à la communication, au syndicat, d'informations sur le fonctionnement de ce compte" (cf. l’Ouvrage "Droit bancaire" N° Lexbase : E7940AKB).
II - Comptes, paiements et instruments de paiements
5. Contrôle par l'établissement de l'opposition à un chèque. L'établissement de crédit sur lequel a été tiré un chèque qui, ensuite, a été frappé d'opposition n'a pas à vérifier la réalité du motif d'opposition invoqué mais seulement si ce motif est l'un de ceux autorisés par la loi (Cass. com., 16 juin 2015, n° 14-13.493, P+B N° Lexbase : A5288NLG ; cf. l’Ouvrage "Droit bancaire" N° Lexbase : E9190AE4). L'arrêt sera utile à la pratique car le banquier en viendrait parfois à enquêter sur la réalité (mot de l'arrêt), alors qu'il doit s'en tenir au motif donné, sans du reste avoir de moyens pour un contrôle in concreto (perspective qui est d'ailleurs mise en échec par le principe de non-immixtion du banquier dans les affaires de son client). L'opposition était en l'espèce fondée sur l'absence d'une signature conforme, et la cour d'appel (CA Saint-Denis de la Réunion, 29 novembre 2013, n° 12/01891 N° Lexbase : A6934KQU) qui a ainsi "fait ressortir" qu'était alléguée une utilisation frauduleuse des chèques n'avait pas à effectuer d'autre vérification. Ce cas d'opposition de l'article L. 131-35 du Code monétaire et financier N° Lexbase : L4089IAP) est, de par l'expression légale ("utilisation frauduleuse"), assez difficile à appliquer car, très large, il peut étonner les employés de banque. L'illustration par cet arrêt vaut d'autant plus. La même formation commerciale avait déjà énoncé la solution quelques semaines auparavant, tout en admettant la possibilité d'une faute contractuelle de la banque qui, pour sa part, ne peut donner aucune explication sur le type de motif fondant l'opposition puisque l'établissement doit le consigner à partir de la déclaration de l'opposant (Cass. com., 17 février 2015, n° 13-22.520, F-D N° Lexbase : A0012NCG).
6. L'extrait de compte d'une seule ligne et la déclaration de créance. Un établissement cherchait un relevé de compte pour perdre son procès ? En tout cas ce fut le cas, car il l'a produit, au double sens qu'il l'a créé et qu'il l'a joint à une déclaration de créance (production judiciaire). La créance a été rejetée sans doute car ce relevé de compte d'une seule ligne a paru bien suspect par rapports aux autres (sur le relevé, J. Stoufflet et alii, Travaux dirigés de droit bancaire, LexisNexis, 2011, p. 77). Le banquier attaque ce rejet de créance mais la Cour de cassation l'invite à revoir les textes sur les procédures collectives (Cass. com., 2 juin 2015, n° 14-10.391, F-P+B N° Lexbase : A2191NKD). Il n'appartient pas au juge saisi d'inviter la banque à produire les documents justificatifs faisant défaut, au motif d'une prétendue obligation tirée des articles L. 622-25, alinéa 1er (N° Lexbase : L3745HBC) et L. 643-1 (N° Lexbase : L3504ICR), dans leur rédaction issue de la loi du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises (N° Lexbase : L5150HGT) et R. 622-23 du Code de commerce (N° Lexbase : L0895HZ8). Lorsque le débiteur ou le liquidateur conteste la déclaration de créance en invoquant l'absence ou l'insuffisance des justifications produites à l'appui de celle-ci, comme dans le cas d'espèce, il appartient au créancier, ici le banquier, de verser aux débats, le cas échéant, des pièces complémentaires probantes. Ce relevé ressemblait trop à un instrumentum que le créancier s'était fait pour lui-même, alors que la créance ressortant d'un compte est une suite d'opérations régulièrement communiquées au client. Qu'on se le dise, chez les débiteurs opportunistes, qui pourraient contester les créances mal produites, et chez les banquiers inondés de procédures collectives. L'espèce n'est pas qu'anecdotique : elle illustre, certes par extrapolation, la difficulté pour les parties de savoir ce qui vaut titre de créance (cf. l’Ouvrage "Entreprises en difficulté N° Lexbase : E0430EX9.
7. Avertissement du tireur d'un chèque problématique. L'avertissement que le banquier tiré doit à son client, le tireur, à défaut de provision, est destiné à lui rappeler les conséquences de ce tirage (C. mon. fin., art. L. 131-73, al. 1er N° Lexbase : L6672IM3). Indiscutablement, cet avertissement permet de réparer les difficultés liées à de pures maladresses du client qui a pu oublier d'approvisionner le compte en cause ou qui l'a débité en oubliant le chèque en cause et que le tiré est obligé de refuser de payer. Cette formalité, qui est une obligation légale, a son utilité ; à l'occasion, le défaut d'avertissement peut constituer une faute qui cause au client un préjudice réparable (Cass. com., 14 mars 2006, n° 04-16.946, FS-P+B N° Lexbase : A6069DN4, Bull. civ. IV, n° 64). Toutefois, tel n'est pas systématiquement le cas. Il n'y a pas de responsabilité civile de l'établissement à défaut de préjudice, notamment si le tireur, après avoir reçu l'avertissement, ne peut pas, de toute façon, constituer la provision (Cass. com., 17 février 2015, n° 13-28.495, F-D N° Lexbase : A0046NCP ; cf. l’Ouvrage "Droit bancaire" N° Lexbase : E9736AEC) ; la responsabilité suppose l'existence d'un préjudice, lequel n'existe pas si l'avertissement ne sert à rien au client. L'infortune appelle l'infortune.
8. Des chèques aux endossements de fortune. Il n'est pas besoin d'insister sur le caractère formel du chèque. Le formalisme répond à un objectif de rapidité et d'efficacité, non réellement à celui de la protection de tel ou tel signataire de ce titre, ou d'un autre effet de commerce. Sans paradoxe, toute irrégularité semble devoir entraver le jeu du titre, plus le formalisme est poussé, ne tenant qu'à quelques mots ou signes, plus il est indispensable (mais tout formalisme est indispensable). De ce fait, si malgré un défaut formel, le titre accomplit son oeuvre en étant exécuté, celui qui souffre de cette exécution peut alors penser pouvoir engager la responsabilité civile banquier qui a prêté son concours à une opération (formellement) irrégulière. Des décisions indiquent qu'il faut cependant y réfléchir à deux fois : certaines irrégularités formelles ne dérivent pas en cas de responsabilité. Ainsi en est-il du chèque à son ordre endossé par la concubine, endossement non pas fait au profit de sa banque mais de son compagnon, lequel encaisse ensuite le chèque sur son compte à lui. Deux ans plus tard, la concubine vient se plaindre de ce que la banque a encaissé un chèque formellement irrégulier : la concubine pouvait seulement l'endosser au profit d'un établissement de crédit et son compagnon ne pouvait pas, lui, l'endosser. Restituant les faits à l'origine de cet endossement (opération faite par les concubins ensemble au guichet pour un partage de gains de jeux), les juges du fond (CA Aix-en-Provence, 23 mai 2013, n° 12/17982 N° Lexbase : A7606KD3) et du droit (Cass. com., 17 février 2015, n° 13-23.156, F-D N° Lexbase : A0183NCR ; cf. l’Ouvrage "Droit bancaire" N° Lexbase : E6915AET) rejettent la demande de responsabilité civile de la banque. Dans un arrêt un peu plus ancien, la signature de l'endosseur était celle du tireur (par hypothèse sans que cela dusse être le cas, comme lorsque l'on tire un chèque à son ordre et à son propre profit) ; les juges n'y voient aucune anomalie apparente, approuvant une motivation au fond faisant référence au bordereau de remise du chèque qui, de surcroît, comportait une erreur (Cass. com., 23 septembre 2014, n° 13-21.338, F-D N° Lexbase : A3196MXN). Ainsi, a-t-on envie de dire, le droit du chèque est strict et formel, sauf quand il l'est moins. La réflexion fondamentale théorique sur les titres pourrait peut-être être revisitée à la lumière de tels cas et de l'idée que des actes juridiques se cachent derrière certains mots (tireur, endossement, aval) qui parfois ressurgissent (v. sur le negotium du chèque : nos obs., Les titres négociables, Essai sur le contrat négociable, 1993, Litec, p. 240, n° 415).
9. Retraits de compte et de coffre-fort sur fond d'abus de faiblesse. Une personne avait "aidé" un monsieur d'un certain âge à faire de multiples retraits et fut condamnée pour abus de faiblesse par le juge pénal. L'héritière, devenue tutrice, a alors agi au civil contre la banque en invoquant son devoir de vigilance ; l'argument, trop facile et trop nébuleux, ne prospère pas la plupart du temps contrairement à ce que croit la pratique (sur ce point, nos obs., L'évanescente obligation de vigilance, Lexbase Hebdo n° 385 du 12 juin 2014 - édition affaires N° Lexbase : N2591BUI ; v. aussi, nos obs., in Panorama de droit bancaire et financier - Première partie (institutions, institutions de régulation et monnaies ; comptes, paiements et instruments de paiement) (n° 13), Lexbase Hebdo n° 407 du 8 janvier 2015 - édition affaires N° Lexbase : N5318BUI). La Haute juridiction considère (Cass. com., 27 janvier 2015, n° 13-20.088, F-D N° Lexbase : A7121NAY), au vu de faits précis (retraits opérés au guichet par le client dont le consentement a été vérifié par l'employé de banque), que les retraits de compte n'engagent pas la responsabilité de l'établissement. En revanche, les retraits du coffre-fort sont jugés irréguliers dès lors que le client était hospitalisé, un défaut de surveillance (et non de vigilance) de la banque étant relevé ; ces retraits constituent un préjudice certain car, avec un contrôle, ils n'auraient pas été effectués (cf. l’Ouvrage "Droit bancaire" N° Lexbase : E8732AUX et N° Lexbase : E9489AKN).
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par Hervé Causse, Professeur d'Université, Directeur du Master Droit des Affaires et de la Banque de l'Université d'Auvergne, Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Droit bancaire"
Le 11 Novembre 2015
III - Opérations de crédits et de financements
10. Absence d'un devoir de conseil général de la banque. La solution est certaine quoique les plaideurs invoquent, avec la facilité de la plume et du verbe, des obligations en tous sens (notre ouvrage, Droit bancaire et financier, 2015, Mare et Martin, p. 618, n° 1260 ; voyez déjà : Cass. com., 27 novembre 2012, n° 11-19.311, FS-D N° Lexbase : A8710IXU) ; un arrêt la rappelle qui aurait pu être publié au Bulletin de la Cour (Cass. com., 13 janvier 2015, n° 13-25.856, F-D N° Lexbase : A4566M9Y). La caution, chef d'entreprise concerné, reprochait dans son pourvoi un défaut de conseil du banquier en soutenant : "l'établissement de crédit est tenu de proposer à son client un montage financier approprié aux besoins et à la situation de l'entreprise" ; il critiquait encore le juge d'appel (CA Amiens, 4 juin 2013, n° 11/02774 N° Lexbase : A1483KGZ) pour lequel "l'établissement de crédit avait valablement pu s'en tenir au 'business plan' remis par la société, prévoyant un début d'activité rapide et prospère, sans aucunement vérifier la crédibilité du scénario économique". C'est ignorer les principes économiques et vouloir renverser la table. Les risques d'exploitation de l'entreprise sont supportés par l'entreprise et par ses garants. C'est d'autant plus vrai quand la personne produit un document élaboré qui, sauf s'il est manifestement fantaisiste ou faux, a, en principe, été écrit par un professionnel qui a assisté le client -et néanmoins caution-. La caution invoquait ici une prétendue faute au titre de la responsabilité extra-contractuelle (C. civ., art. 1382 N° Lexbase : L1488ABQ) ; le juge du droit répond : "la banque n'est pas tenue à une obligation de conseil à l'égard de son client et n'est susceptible d'engager sa responsabilité que dans le cas où elle lui a fourni un conseil inadapté à sa situation dont elle a connaissance ; qu'après avoir relevé que la banque n'avait pas été consultée pour réaliser le plan de financement de la société, l'arrêt en a exactement déduit qu'elle n'avait pas de conseil à donner à ce sujet". Les clients peuvent demander des conseils financiers au banquier, il peut même les faire payer puisque c'est l'un de ses métiers (opération connexe aux opérations de banque, C. mon. et fin., art. L. 311-2 N° Lexbase : L2511IXB ; il consiste à vendre des conseils en ingénierie financière (notre ouvrage, op. cit., p. 571, n° 1161). On s'étonne donc de la position d'une banque relatée dans une autre décision. Dans une affaire de financement d'un particulier, devant le juge, une banque se reconnaît débitrice d'un devoir de conseil ; le juge du droit n'a pas manqué de le relever quoique l'établissement soit exonéré de toute faute (Cass. com., 13 janvier 2015, n° 13-17.176, F-D N° Lexbase : A4469M9E). On relève un autre arrêt qui note que les difficultés d'un notaire, qui était l'emprunteur, et qui ont conduit la banque à prononcer la déchéance du terme du prêt octroyé, sont des difficultés économiques qui ne sont pas le fait du prêteur (Cass. civ. 1, 9 juillet 2015, n° 14-21.754, F-D N° Lexbase : A7836NM8) ; la décision n'est pas alors prise après un débat sur l'obligation de conseil, mais elle rappelle les principes économiques qui font d'un entrepreneur ce qu'il est, ce qui est une manière de clore les arguments généraux sur le devoir de conseil (cf. l’Ouvrage "Droit bancaire" N° Lexbase : E5192AHR.
11. Crédit-relais : pas de mise en garde. Une banque avait accordé un prêt-relais de deux ans et le bien immobilier à vendre avait été évalué par un notaire, laissant espérer une vente dans des conditions satisfaisantes. Le prêt était adapté aux circonstances et le juge n'estime pas que la situation exige de reconnaître une obligation de mise en garde à la charge du professionnel. Au fond, tout le monde comprend le risque de ne pas pouvoir revendre ou de mal revendre. Le juge note également l'attitude du vendeur consistant à maintenir le prix initialement fixé, refusant une baisse qui aurait sans doute permis une vente (comme dans certaines émissions télévisées, lesquelles apprennent qu'une vente immobilière est risquée et qu'elle exige souvent de baisser son prix). Le prêteur, est-il encore relevé, n'avait d'ailleurs pas l'obligation de prévoir la crise immobilière. La responsabilité civile du banquier n'est donc pas engagée (Cass. com., 8 avril 2015, n° 14-13.372, F-D N° Lexbase : A5112NGG ; cf. l’Ouvrage "Droit bancaire" N° Lexbase : E8172D33) ; la solution semble assez solide puisqu'elle avait déjà été donnée, du moins quand, dans le cadre d'un prêt-relais, le bien a été correctement évalué (Cass. com., 5 nov. 2013, n° 12-24.520, F-D N° Lexbase : A2029KPT ; le crédit était ici appelé prêt "de trésorerie" tout en visant bien une opération de crédit-relais). Comprenons bien, une mauvaise évaluation constituerait un élément déséquilibrant le financement projeté et serait susceptible de constituer un risque affectant le crédit. Cela se plaidera un jour...
12. L'indivisibilité de la vente et du prêt, et entre les deux une attestation. Deux décisions du même jour renforcent l'indivisibilité entre le financement et l'opération financée, hors même le champ historique de ce mécanisme propre aux deux régimes de protection du Code de la consommation dits de "crédit à la consommation" et de "crédit immobilier" (Cass. civ. 1, 10 septembre 2015, deux arrêts, n° 14-13.658, FS-P+B+I N° Lexbase : A8672NNI et n° 14-17.772, FS-P+B+I N° Lexbase : A8673NNK ; A. Bordenave, L'indivisibilité conventionnelle des contrats de prêt et de vente, Lexbase Hebdo n° 442 du 5 novembre 2015 - édition affaires N° Lexbase : N9679BUZ). Cela fait suite à des décisions de principe (Cass. mixte, 17 mai 2013, deux arrêts, n° 11-22.768, P+B+R+I N° Lexbase : A4414KDT et n° 11-22.927, P+B+R+I N° Lexbase : A4415KDU ; JCP éd. E, 2013, 1403, note D. Mainguy ; sur la problématique qui donne lieu à un large débat : J.-B. Seube, Caducité et ensemble contractuel indivisible in Mél. J. Foyer, Economica, 2008, p. 925 ; S. Amrani-Mekki, Indivisibilité et ensembles contractuels : l'anéantissement en cascade des contrats, Defrénois, 2002, art. 37505, p. 355 ; C. Aubert de Vincelles, Réflexions sur les ensembles contractuels : un droit en devenir, RDC, 2007, p. 983 ; S. Bros, Les contrats interdépendants : actualité et perspectives, D., 2009, p. 960).
Les deux arrêts ont eu la plus grande diffusion possible.
Dans le premier arrêt (Cass. civ. 1, 10 septembre 2015, n° 14-13.658, FS-P+B+I), une banque avait financé des installations écologiques alors que le vendeur avait renseigné la demande de crédit. En une phrase dépouillée, le juge du droit constate, de ce fait, que le prêt était affecté à la vente, peu important qu'il dépasse les anciens 21 500 euros au-delà desquels. Les deux conventions sont donc, juge-t-il en application de l'article 1218 du Code civil (N° Lexbase : L1320ABI), indivisibles, notamment en cas de résolution du contrat de vente, dit principal ; dans ce cas, le client n'a été qu'un candidat à l'emprunt qui est donc déchargé de toute obligation de remboursement si le contrat principal, ici une vente, n'est pas exécuté. La décision vaut perte sèche pour le banquier qui aura enrichi le fournisseur. La décision intéressera donc le professionnel du crédit relativement à l'attestation de livraison qui, naturellement, est une condition de délivrance des fonds. Elle doit être claire et sans équivoque. A défaut, elle est interprétée souverainement par le juge du fond et, comme en l'espèce, il peut considérer que l'attestation étant équivoque elle n'a pas pu clairement certifier de la livraison, ce qui rend fautive la délivrance des fonds (CA Aix-en-Provence, 26 novembre 2013, n° 11/20770 (N° Lexbase : A1683KQE). Il est donc conseillé d'établir un document réservé à la livraison et assez bien structuré pour que le client qui signe ne soutienne pas qu'il n'a pas compris (on invitera ainsi le client à écrire de sa main "matériel reçu et inspecté").
Dans le second arrêt (Cass. civ. 1, 10 septembre 2015, n° 14-17772, FS-P+B+I), le vendeur ne paraissait pas être l'auteur de l'offre de prêt et le contrat n'excluait pas expressément le régime du crédit à la consommation ; ce dernier régime n'a pas motivé la décision du juge du fond qui a accepté la résolution de la vente et constaté la caducité du prêt (CA Paris, Pôle 2, 2ème ch., 28 février 2014, n° 12/22661 N° Lexbase : A0743MGM). La Haute juridiction relève l'indivisibilité des deux conventions en constatant que le crédit était le "contrat accessoire" de la vente, et que l'attestation de livraison avait permis le versement des fonds -comme si elle sous-entendait que l'indivisibilité s'est ainsi vérifiée lors de l'exécution de l'opération-.
Avec ces deux décisions, certains penseront que le régime d'exception du Code de la consommation devient le droit commun... Voilà une occasion de reprendre l'antienne de l'influence du droit de la consommation sur le droit commun, sauf à dire qu'il s'agit aussi de droit bancaire, du moins pour ces deux espèces. En pratique, la banque, qui sait ("officiellement") la destination d'un financement, et qui est amenée à être en contact avec le fournisseur, ou à avoir en main la commande faite au fournisseur, doit désormais être scrupuleux dans l'exécution du financement. Il y a comme une clause d'affectation du crédit implicite dont les effets peuvent s'imaginer d'une intensité plus ou moins forte -ce sera à détailler à l'avenir-.
13. Le TEG, mais aussi le taux de base bancaire. La clause prévoyant une variation automatique du taux effectif global (TEG) en fonction de l'évolution du taux de base bancaire (TBB), lequel est fixé par l'établissement de crédit, a suscité une difficulté. Le TBB, repère de coût pour sa gestion, est pour le banquier une réalité objective en ce sens qu'il reflète ses coûts qu'il ne maîtrise pas dans tous ses aspects ; cela l'amène à ne pas conclure de crédits en deçà de ce taux. Toutefois, le TBB reste un taux qu'il fixe seul et qui n'est donc pas objectif. Le prêteur a donc l'obligation de faire figurer le taux effectif appliqué sur les relevés reçus par les emprunteurs (Cass. civ. 1, 1er juillet 2015, n° 14-23.483, FS-P+B N° Lexbase : A5549NMH ; cf. l’Ouvrage "Droit bancaire" N° Lexbase : E3553ATR). La clause, source du litige, prévoyait un taux d'intérêt variable déterminé à partir du "taux de base X banque + 0,25000 %, soit au 28 mars 1996 un taux effectif global (TEG) de 7,250 %" et un remboursement du capital à l'issue d'une période de dix ans. L'emprunteur aura dû former un pourvoi pour faire juger que le TBB, en pur droit, n'est pas objectif, ce qui impose d'informer le client de sa variation (Cass. com., 9 juillet 1996, n° 94-17.612, publié N° Lexbase : A2511ABM, Bull. civ. IV, n° 285). On rappelle que le taux conventionnel et le TEG doivent être calculés sur l'année civile et non sur 360 jours (Cass. civ. 1, 17 juin 2015, n° 14-14.326, F-P+B N° Lexbase : A5272NLT qui juge également que les taux intercalaires entrent dans le TEG ; N. Mathey, RDBF n° 5, septembre 2015, comm. 147, et qu'une facilité de paiement n'est pas une renégociation de prêt ; cf. l’Ouvrage "Droit bancaire" N° Lexbase : E0886ATY et N° Lexbase : E3552ATQ). On relève également diverses autres décisions publiées au Bulletin de la Cour de cassation. La combinaison des articles L. 311-9 (N° Lexbase : L9650G8W), L. 311-9-1 (N° Lexbase : L9651G8X) et L. 311-33 (N° Lexbase : L6726ABQ) du Code de la consommation, dans leur rédaction antérieure à celle issue de la loi du 1er juillet 2010 (loi n° 2010-737 N° Lexbase : L6505IMU), pour une ouverture de crédit disponible par fractions, impose de préciser, dans l'information annuelle dispensée lors de la reconduction du contrat et dans les états mensuels actualisés de l'exécution du contrat, le TEG qui, s'il est erroné, équivaut à son absence et conduit à sa substitution par le taux légal (Cass. civ. 1, 9 avril 2015, n° 13-28.058, F-P+B N° Lexbase : A5240NG8 ; cf. l’Ouvrage "Droit bancaire" N° Lexbase : E3148E4D). Une autre décision couvre l'irrégularité initiale de l'information sur le TEG objet par la suite d'une information exacte et régulière (Cass. com., 10 mars 2015, n° 14-11.616, F-P+B N° Lexbase : A3247NDM, Ph. Emy, La mention du taux effectif global sur les relevés périodiques d'un compte courant peut suppléer pour l'avenir l'irrégularité du taux figurant dans le contrat initial, Lexbase Hebdo n° 419 du 9 avril 2015 - édition affaires N° Lexbase : N6857BUI ; cf. l’Ouvrage "Droit bancaire" N° Lexbase : E8754AUR).
14. Emprunter pour investir et défiscaliser : le banquier doit s'adapter. Une cour d'appel prive sa décision de base légale en ne recherchant pas, comme elle y est invitée, si la banque a informé ses clients de ce que, au regard du tableau d'amortissement, l'effort financier attendu de leur part pourrait être supérieur à celui initialement prévu et que, en l'absence de différé et dans l'attente de la livraison du bien immobilier, ils seraient tenus de supporter le remboursement de leur emprunt sans percevoir de loyers en contrepartie (Cass. civ. 1, 16 avril 2015, n° 14-16.536, F-D N° Lexbase : A9362NGT). Cette décision a été vue comme ouvrant une "boite de Pandore" (Gaz. Pal., 9 juillet 2015, n° 190, p. 12, et spéc. n° 15, note J. Lasserre-Capdeville) pouvant transformer "l'obligation d'information du banquier" en "secours des bénéficiaires de produits de défiscalisation déçus" (voyez aussi Cass. com., 17 février 2015, n° 13-27.545, F-D N° Lexbase : A0188NCX, pour la responsabilité d'une banque et d'un notaire).
L'arrêt n'ayant pas les honneurs du Bulletin (contra, préc. n° 14), et intervenant pour défaut de base légale, on doit être prudent sur sa portée. Il est toutefois intéressant en montrant, même si ce n'est pas nouveau, un "montage" : le client emprunte pour investir, ce qui veut dire pour obtenir des revenus de location du bien acquis et en espérer la revente dans des conditions satisfaisantes. Le dossier de financement du prêteur professionnel doit donc, selon nous, s'enrichir des éléments de "l'investissement" influençant la solvabilité des emprunteurs pour, le cas échéant, le mettre en garde (emprunteurs en l'espèce qualifiés "d'acheteurs non-avertis"). Le professionnel doit, d'une part, récupérer ces éléments (il peut les avoir pour être l'inspirateur du montage) et, d'autre part, en tirer les conséquences quant à l'éventuel risque de surendettement de son client. Certains risques d'investissement, dont celui de l'espèce, celui de la location (délais de mise en route, location impossible ou bradée), participent de l'opération de financement. Le risque attaché à la location peut être un facteur de surendettement qui, à ce titre, méritera, le cas échéant, de mettre en garde le client-emprunteur. L'arrêt vise donc l'article 1147 (N° Lexbase : L1248ABT) et, si l'arrêt cassé évoquait une "obligation de conseil", la cassation ne signifie pas que le banquier doive un conseil relativement à l'investissement ; la nature de la cassation (le défaut de base légale) interdit cette interprétation (interprétation effrayante pour le banquier et que notre collègue Lasserre Capdeville suggère, cf. préc. n° 12) ; le défaut de recherche de la cour d'appel a trait à la traditionnelle mise en garde du financement. De nombreuses invocations, dans les pourvois, de l'obligation de conseil prospèrent en "attendus" donnant une solution en termes de mise en garde ; les auteurs de pourvoi manient volontiers l'expression la plus large (cf. Panorama de droit bancaire et financier - Première partie n° 1).
Le risque du banquier de se voir, pour ces opérations, flanqué d'une obligation de conseil a déjà été suggéré par la même chambre dans un arrêt de rejet "inédit" (Cass. civ. 1, 11 septembre 2013, n° 12-15.897, F-D N° Lexbase : A1603KLX) et porté par un autre qui accepte de voir un banquier responsable pour un risque de surcoût de construction (Cass. com., 8 janvier 2013, n° 11-19.387, F-D N° Lexbase : A0715I3U ; cette décision de la Chambre commerciale ne paraît pas, cette fois, dépendre d'une question de crédit adapté). Il reste que, selon nous, le banquier prêteur est responsable de son financement et non de l'investissement qui influence seulement indirectement la conclusion du prêt.
L'autre professionnel de l'espèce, un mandataire dont l'arrêt ignore la qualité précise (conseil en investissement financier ?), fut poursuivi sur le terrain de la responsabilité délictuelle (C. civ., art. 1382 ; il devait sans doute à peu près la même obligation de mise en garde mais, cette fois, à raison de la conception de l'opération d'investissement et non du prêt (se profile une condamnation in solidum).
Cette double situation tient au fait que l'investissement contient le financement et vice-versa. Où l'on voit les germes de l'indivisibilité tant utilisée actuellement. Tout ce débat doit amener le banquier à informer et mettre en garde, et éventuellement à tenir compte du risque d'une période sans revenus de locations. Pratiquement, une ligne du tableau de financement (baisse des revenus) informera l'emprunteur et le rapprochera de la réalité du marché immobilier.
15. Vouloir renégocier un taux n'efface pas un licenciement. Des emprunteurs avaient motivé leur décision de remboursement anticipé de prêt par le licenciement de l'un d'eux et leur volonté de renégocier leur prêt. Une cour d'appel (CA Lyon, 23 janvier 2014, n° 12/07255 N° Lexbase : A8821MCP) a exactement énoncé que le motif tenant à la réduction des taux d'intérêts n'excluait nullement celui tenant au licenciement de l'un d'eux. Le professionnel n'a alors pas droit aux indemnités de remboursement anticipé et doit être condamné à les restituer s'il les a perçues (Cass. civ. 1, 17 juin 2015, n° 14-14.444, F-P+B N° Lexbase : A5154NLH ; du moins en application de l'article L. 312-21, alinéa 3, du Code de la consommation N° Lexbase : L6498ABB, pour les contrats conclus sous l'empire de la loi n° 99-532 du 25 juin 1999, relative à l'épargne et à la sécurité financière N° Lexbase : L6498ABB). La volonté de renégocier était ainsi un motif surabondant du client... Voilà une pierre contribuant à un droit de renégocier les crédits et les taux, droit institué en creux par la possibilité de remboursement anticipé, au prix d'une indemnité, que le professionnel doit stipuler. L'importante proportion des prêts immobiliers actuellement accordés pour de tels remboursements anticipés montre que la limitation juridique de l'indemnité, toujours en vigueur, vaut sur le plan économique droit de renégociation du crédit pour bénéficier de taux plus bas (cf. l’Ouvrage "Droit bancaire" N° Lexbase : E8392EQU).
16. Nécessité d'une mise en demeure avant déchéance du terme. C'est sur le seul fondement du droit commun qu'un arrêt exige une mise en demeure pour que le prêteur puisse ensuite valablement invoquer et faire jouer la clause de déchéance du terme (Cass. civ. 1, 3 juin 2015, n° 14-15.655, FS-P+B ; cf. l’Ouvrage "Droit bancaire" N° Lexbase : E1015ATR). Au visa des articles 1134 (N° Lexbase : L1234ABC), 1147 et 1184 (N° Lexbase : L1286ABA) du Code civil, la décision bénéficie à l'emprunteur dont le prêt avait fait l'objet d'une déchéance du terme sans envoi préalable d'une mise en demeure. Une telle façon de faire est possible si la clause de déchéance du contrat de prêt comporte une "disposition expresse et non équivoque" en ce sens. La seule lettre prononçant la déchéance du terme étant insuffisante en l'espèce, le terme -et ses diverses échéances- de ce "crédit personnel" aura été maintenu empêchant probablement toute exécution.
17. Grâce aussi pour le banquier ! Le délai de grâce accordé par un tribunal d'instance pour un crédit du Code de la consommation, que la pratique appelle un moratoire, emporte report du départ du délai de forclusion qui menace l'action en recouvrement du banquier (Cass. civ. 1, 1er juillet 2015, n° 14-13.790, FS-P+B N° Lexbase : A5537NMZ). La solution peut être approuvée qui, en l'espèce, applique les articles L. 311-37 (N° Lexbase : L6496AB9), dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2010-737 du 1er juillet 2010, et L. 313-12 du Code de la consommation (N° Lexbase : L1529HIH), ensemble les articles 1244-1 (N° Lexbase : L1358ABW) et 1244-2 (N° Lexbase : L1359ABX) du Code civil. Il est indifférent que l'article L. 313-12 du Code de la consommation ne prévoit aucun aménagement du délai de forclusion. Par la nature même de la suspension des obligations et droits des parties, qui est judiciaire, le point de départ du délai de prescription est reporté, malgré l'impossibilité de principe de suspendre un délai de forclusion ou délai préfix. En effet, la décision intervient après une demande judiciaire qui, elle, interrompt ce genre de délai ou l'empêche de commencer de courir, comme du reste celle formulée auprès d'une commission de surendettement (Cass. civ. 1, 19 mai 1999, n° 97-04.127 N° Lexbase : A8665AHE, RJDA, 10/99, n° 1116), ce qui en tous points le reporte.
18. Garanties disproportionnées de l'article L. 650-1 du Code de commerce ([LXB=L3503ICQ]). Une décision exige que le juge du fond explique en quoi un cumul de garanties prises par le banquier est disproportionné. On sait que ce cumul est un des cas où l'immunité de responsabilité de l'établissement, pour son financement, tombe : une action en responsabilité civile redevient possible (C. com., art. L. 650-1 N° Lexbase : L3503ICQ). Ainsi, la Chambre commerciale casse un arrêt d'appel (CA Reims, 25 juin 2013, n° 11/03488 N° Lexbase : A3235KHB) alors qu'avaient été pris deux cautionnements et un nantissement de fonds de commerce, ce qui en soi n'est donc pas, de façon évidente ou systématique, un cumul disproportionné. Il n'y a qu'une cassation pour défaut de base légale ; il appartiendra donc au juge de renvoi de s'en expliquer s'il a le même sentiment que le premier juge d'appel (Cass. com., 13 janvier 2015, n° 13-25.360, FS-D N° Lexbase : A4584M9N ; cf. l’Ouvrage "Droit bancaire" N° Lexbase : E8099D3D). Il convient de tenir compte de la nature des garanties et de leurs forces et faiblesses, ce sur quoi le juge d'appel devra s'expliquer. Les établissements ont donc, dans cette mesure, un peu de marge.
19. Appréciation globale de l'endettement des co-emprunteurs. Un arrêt rappelle cette solution (Cass. civ. 1, 10 septembre 2015, n° 14-18.851, F-P+B N° Lexbase : A9366NN9 ; cf. l’Ouvrage "Droit bancaire" N° Lexbase : E8172D33). Pour apprécier le taux d'endettement et, de façon plus générale, le risque de surendettement justifiant de délivrer une mise en garde, l'appréciation des ressources (voire des fortunes) doit tenir compte des deux emprunteurs. On relève que la fiche d'information a été analysée et débattue. Le devoir de mise en garde n'existe que s'il existe un risque de surendettement des co-emprunteurs ce qui conduit souvent, lorsque l'emprunteur cesse ses paiements, à des saisies, à des procès, à des pertes pour toutes les parties et à des situations humaines délicates. La solution avait déjà été donnée dans une décision publiée au Bulletin (Cass. civ. 1, 4 juin 2014, n ° 13-10.975, F-P+B N° Lexbase : A2804MQW ; et aussi Cass. com., 18 novembre 2014, n ° 13-23.182, F-D N° Lexbase : A9213M3M, nos obs. in Panorama de Droit bancaire et financier - Seconde partie (opérations de crédits et de financements ; opérations connexes, spéciales et exécution ; investissements, placements et marchés) (n° 15), Lexbase Hebdo n° 407 du 8 janvier 2015 - édition affaires N° Lexbase : N5321BUM ; Cass. com., 8 septembre 2015, n° 13-23.905, F-D N° Lexbase : A9482NNI, considérant également les "capacités de remboursement globales du foyer").
IV - Opérations connexes, spéciales et exécution
20. Ces mandats donnés aux banques qui n'en sont pas. En 1999, la société Mauboussin a confié à la société BNP Paribas un mandat, à échéance du 1er septembre 2000, afin de trouver un investisseur qui renforcerait son actionnariat. Ce fut fait avec une société suisse (Cass. com., 10 février 2015, n° 13-24.684, F-D N° Lexbase : A4414NB4, Bull. Joly Sociétés, 2015, p. 241, note J.-F. Barbiéri). Cette activité est à ranger parmi les opérations bancaires connexes (C. mon. fin., art. L. art. L 311-2 N° Lexbase : L2511IXB), ce qui peut mélanger le conseil et l'assistance en matière financière, et que nous appelons le service d'intermédiation relatif aux entreprises (notre ouvrage, op. cit., 2015, n° 1174 et 1180). Ces mandats, qui visent souvent à carrément trouver un acquéreur de l'entreprise, ne sont pas juridiquement des mandats. Effectivement, la plupart du temps, ils ne contiennent pas de pouvoir de représentation du prétendu mandataire. Un peu comme le "mandat d'introduction en bourse" qui n'est pas un mandat (Cass. com., 20 novembre 2012, n° 11-28.699, F-D N° Lexbase : A5150IXZ). Le banquier n'est pas mandataire au sens du Code civil et, notamment, il ne conclut pas la cession au nom et pour le compte de son prétendu mandataire. Ce sont des missions pour chercher un opérateur économique, ce qui ressemble à la mission de l'agent immobilier qui cherche un vendeur ou un acheteur. Les opérateurs économiques en cause étant souvent d'envergure, ils ont fréquemment des compétences professionnelles équivalentes à celles du banquier, ce qui peut notamment diminuer ou anéantir l'obligation d'information ou de conseil qu'on penserait à sa charge, notamment s'il était mandataire (voyez déjà pour d'autres professionnels, Cass. com., 29 mars 2011, n° 09-71.443, F-D N° Lexbase : A3942HMX). En l'espèce, c'est la société suisse qui a tenté d'engager la responsabilité délictuelle de la banque, pour une évaluation selon elle défaillante de la valeur de la participation en cause, en vain, mais toujours à raison des prétendues obligations du banquier mandataire. La dissonance entre des arrêts qui statue sur le mandat sans qu'il y ait de mandat permet de pronostiquer un ajustement jurisprudentiel. En outre, la présente décision souligne une activité cardinale de la banque qui ne l'est pas toujours, mais il est vrai que sa splendeur juridique est limitée (cf. l’Ouvrage "Droit bancaire" N° Lexbase : E2826BKU.
21. Conseil du banquier au moyen d'une information privilégiée. Les pures missions de conseil de la banque sont rarement discutées devant le juge, sauf quand il s'agit de l'obligation de conseil accessoire à une prestation bien caractérisée comme un crédit, un service de paiement, un dépôt, etc. (prestation accessoire qui peut tendre à devenir le principal de la prestation, problème de théorie fondamentale qui échappe au propos d'espèce). On a ailleurs pris soin de rappeler les grandes missions de conseil des établissements que, déjà, la loi du 24 janvier 1984 (loi n° 84-46 N° Lexbase : L7223AGM) énumérait (notre ouvrage, op. cit., n° 1160 à n° 1178). Il est vrai que ces activités sont souvent (très) confidentielles et que les litiges se règlent à l'amiable ; l'absence de débats et jugements publics empêche de signaler ces domaines. L'affaire rapportée, jugée par le Conseil d'Etat (CE 1° et 6° s-s-r., 10 juillet 2015, n° 369454, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A7872NMI), n'en est que plus remarquable. Nombre de commentateurs y verront une décision concernant les marchés financiers puisque la problématique part du manquement (non du délit) d'initié. L'article L. 621-14 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L7773I9R) interdit les manquements d'initiés. L'article 622-1, 2°, du Règlement général de l'Autorités des marchés financiers interdit aux personnes mentionnées à son article 622-2, de recommander à un tiers de céder, sur la base d'une information privilégiée, un instrument financier auquel se rapporte cette information (manquement de recommandation).... Or, dans l'espèce, un président de banque avait recommandé à un client des opérations sur un titre pour lequel il détenait une information privilégiée, mais il le fit sans communiquer cette information. L'arrêt confirme que le fait de recommander à un tiers, sur la base d'une information privilégiée, une opération de vente ou d'acquisition n'implique pas nécessairement la communication à ce tiers de l'information privilégiée elle-même : la caractérisation du manquement de recommandation défini par le 2° de l'article 622-1 du RG AMF n'est, par ailleurs, nullement subordonnée à la mise en cause, par l'AMF, des personnes ayant reçu la recommandation litigieuse -"l'initié malgré lui"-.
22. La marge d'un contrat financier, un secret d'affaire ? La banque prestataire de services d'investissement (PSI) n'est pas tenue d'informer son cocontractant de sa marge commerciale (Cass. com., 17 mars 2015, n° 13-25.142, FS-P+B N° Lexbase : A5097NGU cassation de CA Paris, Pôle 5, 6ème ch., 26 septembre 2013, n° 11/19539 N° Lexbase : A7324KLT, sur lequel, Dr. sociétés, 2014, étude 7, note S. Torck, Banque et droit n° 152, novembre-décembre 2013, p. 24, obs. J.-J. Daigre ; cf. l’Ouvrage "Droit bancaire" N° Lexbase : E5749AHE). L'arrêt du 17 mars 2015 intéressera au-delà des prestataires de services d'investissement. Un auteur y voit la "transposition" au milieu bancaire de la jurisprudence "Baldus" de 2000 (Cass. civ. 1, 3 mai 2000, n° 98-11.381, publié N° Lexbase : A3586AUD, Bull. civ. I, n° 131 ; cf. également, Cass. civ. 3, 17 janv. 2007, n° 06-10.442, FS-P+B N° Lexbase : A6928DTR, Bull. civ. III, n° 5) déniant toute obligation d'information sur la valeur à la charge de l'acheteur (JCP éd. E, n° 19, 7 mai 2015, 1220, obs. C. François). On y verra surtout une solution de droit commercial résultant de l'absence de disposition légale prévoyant une telle obligation, régime de droit commercial qui ressemble à celui du droit commun (sauf quelques caractéristiques comme la théorie de la réfaction). Le vendeur ou le prestataire, commerçant, n'a pas à révéler ses marges commerciales ; du reste, il peut lui-même parfois les ignorer. C'est aussi le cas en droit bancaire et financier tel que l'établit le Code monétaire et financier, et ce malgré la multiplicité des solutions particulières de ce code, tant au plan des statuts professionnels que des règles spéciales des opérations. Ici, la Haute juridiction exonère le PSI de toute obligation d'information sur le profit envisagé avec la conclusion d'une opération de couverture à prime nulle s'analysant en un contrat financier (pour quelques questions sur ce sujet : N. Aynès et X. Clédat, Les obligations d'information à la charge des prestataires de services d'investissement en matière de produit dérivés, in Mélanges AEDBF-France VI, éd. Rev. Banque, 2013, p. 99). La société productrice de minerai de nickel, souhaitait se protéger contre la baisse de son prix auprès de la banque (acquisition d'un swap de 13 500 dollars "flooré" à 11 250 dollars pour une période de onze trimestres et une quantité de 135 tonnes par trimestre, avec participation à la hausse jusqu'à 16 000 dollars sur les trois premiers trimestres au moyen d'un call spread de 13 500/16 000 dollars). Il a été noté que la décision (C. François, note préc.) aurait pu être différente si la banque avait rendu un service d'investissement au lieu de conclure pour son propre compte ; il faut prendre date sur cet argument car il n'est peut-être pas aussi évident de distinguer ces deux cas. La marge d'un contrat financier est-elle finalement un secret d'affaire ? Quelques semaines plus tard la même formation a jugé un swap pour encore dénier une obligation d'information (Cass. com., 2 juin 2015, n° 14-18.999 F-D N° Lexbase : A2250NKK, J. Moreau et O. Poindron, Contours de l'obligation d'information du prestataire de services d'investissement en matière de swaps "vanille", Bull. Joly Bourse, septembre 2015).
23. Déclaration de créances nanties par "Dailly". Placée dans la position de devoir juger ce qui doit être déclaré au passif, la Cour de cassation énonce : "il n'y a pas une créance au titre de la créance garantie et une autre au titre de la garantie" (Cass. com., 30 juin 2015, n° 14-13784, FS-P+B N° Lexbase : A5466NME). Une entreprise avait cédé à sa banque, à titre de garantie (aliénation fiduciaire), par un bordereau de cession de créance professionnelle, diverses créances pour garantir un prêt et des débits en compte. La banque a déclaré les sommes liées à ces crédits mais elle voulut également déclarer la créance au titre de cette cession fiduciaire (nantissement) au motif que, si les tiers débiteurs des factures cédées ne payaient pas, elle était titulaire d'un recours en garantie contre l'entreprise cédante. Le Cour de cassation approuve le juge du fond (CA Limoges, 28 novembre 2013, n° 12/01025 N° Lexbase : A3569KQA) de ne pas l'avoir admis. La solution inverse aboutirait à doubler le passif déclaré. Il y a, en revanche, cassation car le juge du fond avait retranché de la créance garantie par ces bordereaux de nantissement des sommes déjà payées à la banque ; or la garantie prise existe pour le tout tant que l'ensemble de la dette due au banquier (en l'espèce un prêt et des débits en compte courant) n'est pas purgée. La Haute Juridiction rappelle "que l'excédent éventuel [n'est] restitué qu'après ce paiement", ce qui souligne très pratiquement la conséquence de cette garantie ; on comprend bien que cette évasion temporaire de liquidités n'est pas du goût du mandataire judiciaire. Le pourvoi tentait de faire dire à l'article L. 313-24 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L9257DYI) exactement l'inverse de ce qu'il dispose (cf. l’Ouvrage "Droit bancaire" N° Lexbase : E0382AHM).
24. Possibilité d'une saisie conservatoire fondée sur un billet à ordre. Voilà un arrêt qui plaira à la Faculté. Il souligne la bonne méthode de raisonnement, ce qui donne un arrêt de cassation pour violation de la loi (Cass. com., 19 mai 2015, n° 14-17401, F-P+B N° Lexbase : A5268NIX, A. Bordenave, A la croisée des chemins du droit cambiaire et des procédures civiles d'exécution : l'arrêt du 19 mai 2015 de la Chambre commerciale de la Cour de cassation, Lexbase Hebdo n° 425 du 25 juin 2015 - édition affaires N° Lexbase : N8035BU7), les faits étant peu importants. Il résulte de la combinaison des articles L. 511-1 (N° Lexbase : L5913IRG) et L. 511-2 (N° Lexbase : L5914IRH) du Code des procédures civiles d'exécution, et L. 511-21, alinéa 7 (N° Lexbase : L6674AIZ), et L. 512-4 (N° Lexbase : L6738AIE) du Code de commerce, que le bénéficiaire d'un billet à ordre impayé à son échéance peut, sans avoir à obtenir au préalable l'autorisation d'un juge, pratiquer des mesures conservatoires sur les biens du donneur d'aval, lequel est tenu de la même manière que le souscripteur dont il se porte garant. Une cour d'appel (CA Douai, 13 mars 2014, n° 13/04849 N° Lexbase : A9969MPW) ne peut donc pas le refuser au motif d'une interprétation stricte de l'article L. 511-2 précité, et de l'absence d'une disposition dispensant le créancier d'une autorisation du juge. C'est, dans un premier temps recourir à un principe d'interprétation creux, quoique souvent utilisé et, dans un second, carrément nier la loi dérogatoire. Ce genre de disposition est une des marques de ce que l'on appelle le "droit cambiaire" qui, et cela vaut extrapolation, montre avec cette espèce que son originalité tient autant voire davantage aux règles d'exécution qu'à celles relatives aux obligations des effets de commerce (cf. l’Ouvrage "Droit bancaire" N° Lexbase : E5605AU7).
25. L'aval nul ne peut pas valoir porte-fort. L'aval d'un effet de commerce irrégulier en raison d'un vice de forme est lui-même nul et ne vaut pas promesse de porte-fort (Cass. com., 8 septembre 2015, n° 14-14.208, FS-P+B+I N° Lexbase : A5967NNC ; G. Piette, Un aval nul ne vaut pas promesse de porte-fort, Lexbase Hebdo n° 438 du 1er octobre 2015 - édition affaires N° Lexbase : N9143BU8). Ce simple aval nul inspire des considérations sur le porte-fort (D. Legeais, JCP éd. E, 2015, n° 44, 26 octobre 2015, 1169), lequel est pourtant hors de cause. L'arrêt applique une règle de nullité propre au "droit cambiaire" qui dit nul l'aval porté sur un titre irrégulier (C. com., art. L. 511-21, al. 7 N° Lexbase : L6674AIZ), comme en l'espèce ; cette disposition s'applique pour le billet à ordre dont l'arrêt vise les textes (sur la théorie des nullités v. G. Piette, préc.). La décision s'explique plutôt si l'on se concentre sur les techniques de l'aval et du titre (encore au coeur de nombres d'opérations bancaires -alors que ni le billet à ordre ni la lettre de change ne sont par nature bancaires-). Le billet à ordre d'espèce était pour le porteur, établissement de crédit, un moyen pratique de se faire rembourser un crédit valant technique d'exécution forcée (v. supra, n° 24). Ce titre était a priori à renouveler périodiquement, or le tireur ne l'avait pas signé ; le billet était nul au point de suggérer l'inexistence de l'acte !
L'aval garantit le paiement de la somme indiquée au titre dans le cadre formel du titre (ou de l'allonge, papier qui se réfère à l'effet et comporte l'aval : C. com., art. L. 511-21), l'avaliste pouvant le limiter à des personnes ou à un montant (R. Roblot, Les effets de commerce, 1975, Sirey, p. 207, n° 246). De principe, on le répète, l'aval doit porter sur un titre régulier (Cass. com., 3 avril 1984, n° 83-12.512, publié N° Lexbase : A0882AAW, Bull. civ. IV, n° 123). Tel n'est pas le cas si le titre n'est pas signé du tireur (aucune promesse de paiement n'est alors à garantir). Malgré de tels cas, l'aval peut à l'occasion laisser entrevoir un cautionnement (R. Roblot, préc. p. 207, n° 247). Ainsi a-t-il été jugé à propos de lettres de change non signées, comme en l'espèce, mais où l'acte fondamental avait été signé en même temps que certaines des dix-sept lettres de change en cause, d'autres ne l'ayant pas été (Cass. com., 7 janvier 1970, n° 67-11.115, publié N° Lexbase : A4016CGT, Bull. civ. IV, n° 8 ; sur l'opposition de l'acte fondamental et de la créance fondamentale et le rapport cambiaire : R. Bonhomme, Instruments de crédit et de paiement, LGDJ, 2013, p. 97, n° 101) ; mais si exceptionnellement, sans appliquer le droit cambiaire, l'aval peut valoir caution (Cass. com., 24 avril 1990, n° 88-15.114 N° Lexbase : A3717AH7, Bull. civ. IV, n° 119), le non-respect du formalisme des articles L. 341-2 (N° Lexbase : L5668DLI) et L. 341-3 (N° Lexbase : L6326HI7) du Code de la consommation peut aussi s'y opposer (Cass. com., 5 juin 2012, n° 11-19.627, FS-P+B N° Lexbase : A3795INU, Banque et droit, 2012, n° 144, p. 43, E. Netter, solution qui explique que la banque n'ait pas soutenu cette thèse). On peut y voir une conversion par réduction, mais l'aval est, fondamentalement, une caution : la conversion est légère, ce qui a naguère pu justifier que la demande en paiement formée en première instance sur le fondement de l'aval autorise, en appel, une demande fondée sur le droit de la caution (Cass. com., 1er janvier 1970, n° 69-12.633, publié N° Lexbase : A6879CEI, Bull. civ. IV, n° 326).
Mais revenons au coeur du propos. Le présent arrêt enseigne que ces décisions exceptionnelles ne sont pas le principe. Du reste, l'aval n'a jamais été vu comme un porte-fort, dit d'exécution par rapport au porte-fort de ratification (C. civ., art. 1120 N° Lexbase : L1208ABD) ; cet acte garantit l'exécution d'un contrat (v. G. Piette, Le porte-fort d'exécution : bilan et perspectives, Lexbase Hebdo n° 426 du 4 juin 2015 - édition affaires N° Lexbase : N7644BUN). La Cour de cassation refuse cette perspective, probablement parce que cette convention ne se présume pas et qu'une telle conversion par réduction ne réparerait pas un aval mal fait mais qu'il ferait, en revanche, concrètement produire des effets à un titre nul. La cour d'appel (CA Paris, Pôle 5, 6ème ch., 9 janvier 2014, n° 12/10185 N° Lexbase : A1340KTS) avait d'ailleurs visait la dette de la société, et non celle contenue au titre, ce qui vraiment posait problème. La solution maintient, à notre sens, la nature formelle des effets de commerce et donc applique la loi (cf. les Ouvrages "Droit bancaire" N° Lexbase : E5681AUX et "Droit des sûretés" N° Lexbase : E8827AGZ).
V - Investissements, placements et marchés
26. Absence d'obligation de conseil pour les investissements d'un PEA sous gestion personnelle. Cette décision nous ayant déjà retenu, on renverra à l'analyse complète de la décision (Cass. com., 8 avril 2015, n° 14-10.058, F-P+B+I N° Lexbase : A2531NGT, nos obs. PEA sous gestion personnelle : absence d'obligation de conseil sur les investissements, Lexbase Hebdo n° 425 du 28 mai 2015 - édition affaires N° Lexbase : N7525BUA). Le client reprochait de façon nébuleuse à la banque, à raison de l'information donnée par son préposé, de ne pas lui avoir permis de faire des choix éclairés. A partir de cette situation spéciale et peu claire, le juge du droit dégage et applique la règle selon laquelle, à défaut de mandat de gestion du portefeuille, l'établissement n'est pas tenu d'une obligation de conseil sur les investissements que fait le client (cf. l’Ouvrage "Droit bancaire" N° Lexbase : E5749AHE).
27. Pas de mise en garde de l'investisseur averti pour un investissement non spéculatif via un PSI qui ne l'est pas. La solution est d'évidence sur les deux points et pourtant le juge du droit casse l'arrêt d'appel qui condamnait la banque et une agence immobilière sur le fondement de l'article 1382 du Code civil (Cass. com., 30 juin 2015, n° 14-17.907, F-D N° Lexbase : A5444NML ; cf. l’Ouvrage "Droit bancaire" N° Lexbase : E5749AHE ). On relève, cependant, cette décision parce que le banquier, ici pris en sa qualité de prestataire de services d'investissement (PSI), avait seulement présenté un projet au moyen d'un prospectus. Ce projet était proposé au public par une SCI (et non une SCPI) qui offrait ses parts via la banque et une agence immobilière. La situation interroge sur l'articulation des faits et textes fondant les obligations de PSI, le pourvoi n'invoquant pas explicitement ni même implicitement un texte du Code monétaire et financier.
La qualité de PSI était ainsi invoquée in genere alors qu'il n'était argué -et encore moins prouvé- aucune convention de PSI ; l'action délictuelle engagée par les souscripteurs le confirme (C. civ., art. 1382) ; l'action extra-contractuelle postule que le souscripteur n'est pas en relation contractuelle avec le banquier-PSI. Une faute contractuelle réalisée dans le cadre de la conclusion d'un contrat peut être, pour un tiers, un fait délictuel justifiant une telle action. Toutefois, en l'espèce, quel était le contrat accompli en tant que PSI ? L'agence immobilière fut d'ailleurs pareillement condamnée en appel sans être PSI. Banquiers et PSI méditeront le point de savoir quel est l'acte qui suscitait leurs obligations de PSI.
Toutefois, cela ne semble pas avoir perturbé la solution de droit donnée, baignée dans les obligations contractuelles du PSI. Outre la qualité d'avertis des investisseurs, qui déjà les privait d'une créance de mise en garde, la chambre commerciale relève avec force que ce projet immobilier ne comportait qu'un risque que tout un chacun connaît (cas du propriétaire sans locataire). La Cour de cassation dénie donc toute obligation de mise en garde de la part du professionnel ; l'obligation n'existant pas en théorie pour le PSI, elle ne peut pas être invoquée comme fait délictuel. Si claire soit-elle, la transposition de la solution contractuelle à une situation extra-contractuelle ne rassurera pas les professionnels. Cela rappelle un arrêt précité rendu à propos d'un crédit où le client, emprunteur-investisseur immobilier, peut sembler mieux protégé (Cass. civ. 1, 16 avril 2015, n° 14-16.536, préc., cf. supra n° 14). Le sens de la solution peut différer parce que, d'une part, le cadre juridique diffère, crédit ou service d'investissement (mais on le cherche !) et, d'autre part, parce que le financement crée une richesse nouvelle mais dangereuse pour l'emprunteur s'il la perd quand, l'investisseur, souvent, ne fait que répartir des actifs qu'il possède déjà.
28. Mandat de gestion, faute et préjudice de perte de chance. La bourse est repartie ou s'est stabilisée ; et les investisseurs qui ont donné leur portefeuille à une société de gestion vont perdre, pour certains, leur velléité d'agir en justice contre leur gérant pour les performances médiocres qu'ils ont dû constater. Cette dernière notion de portefeuille est flexible, elle peut consister en un ou plusieurs comptes de titres ou en un PEA (comme en l'espèce). Le mandat de gestion est, quant à lui, bien réglementé en tant que services d'investissement. L'arrêt (Cass. com., 23 juin 2015, n° 14-18.419, F-D N° Lexbase : A0025NMU ; cf. l’Ouvrage "Droit bancaire N° Lexbase : E0917AT7), notable parce qu'il est rendu après une première cassation (Cass. com., 13 décembre 2011, n° 11-11.934, F-D N° Lexbase : A4922H8S, JCP éd. E, 7 juin 2012, 1373, n° 28, nos obs.), témoigne doublement de ce type de litige. Sur le plan de la faute, a été plaidé, au fond, un non-respect des objectifs de gestion et non un défaut d'information et de conseil en cours de gestion comme le suggérait le pourvoi. Sur le plan de la réparation, point plus explicite de la décision, l'investisseur aura mené un procès pour finalement entendre juger que son préjudice n'est pas certain parce qu'il ne démontre pas ses moins-values sur la période critiquée allant des années 2000 à 2007.
En effet, même si le préjudice consiste seulement en une perte de chance, le juge doit pouvoir appliquer ce pourcentage à une somme que le demandeur présente comme des pertes, lesquelles doivent être prouvées et comptabilisées. A défaut de ce total de pertes (qui sur le strict plan juridique ne vaut pas préjudice), de cette assiette de calcul, la perte de chance est sans substance. Le pourvoi de l'investisseur qui critiquait l'absence de condamnation de la banque (CA Paris, Pôle 5, 5ème ch., 1er avril 2014, n° 2012/09286 N° Lexbase : A4010MID) est donc rejeté.
Cette erreur est originale ; il est plus fréquent que le plaideur aligne une série de pertes et qu'il demande la réparation du tout, ce qui viole l'esprit même de la perte de chance, le juge du fond voyant sa décision cassée s'il suit le demandeur (pour un exemple : Cass. com., 4 février 2014, n° 13-10.630, F-P+B N° Lexbase : A9151MDB, Bull. IV, n° 28 ; adde, JCP éd. E, 2014, 1373, n° 28, nos obs.) ; devant une telle maladresse du plaideur, le juge du fond peut respecter le droit positif s'il applique de lui-même un taux de perte de chance, ce en quoi il qualifiera la demande de réparation du demandeur. L'avocat qui explique ce mécanisme de taux à son client, ce qui nous semble être une obligation, déontologique et juridique, l'avertit ainsi opportunément de l'aléa judiciaire de ce mécanisme de réparation.
29. Comptes bancaire et comptes de titres. L'arrêt en cause, déjà commenté (nos obs., Obligation de restitution du banquier et régularité des ordres sur un compte bancaire et sur un compte de titres, Lexbase Hebdo n° 421 du 23 avril 2015 - édition affaires N° Lexbase : N7027BUS), mélange des questions de droit bancaire traditionnel et des questions de services d'investissement (Cass. com., 10 mars 2015, n° 14-11.046, F-D N° Lexbase : A3237NDA ; cf. l’Ouvrage "Droit bancaire" N° Lexbase : E8734AUZ). Il rappelle que l'obligation de restitution est un principe du droit bancaire et financier et que le professionnel doit être en possession d'une procuration efficace pour démontrer qu'il s'est séparé valablement de sommes ou de titres. La décision rappelle la nécessité de la régularité des ordres, qu'ils soient bancaires ou boursiers.
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Réf. : Décret n° 2015-1432 du 5 novembre 2015, portant modification de l'article D. 614-1 du Code monétaire et financier relatif au comité consultatif du secteur financier (N° Lexbase : L2319KQX)
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N9893BUX
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Le 17 Novembre 2015
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Réf. : Cass. com., 3 novembre 2015, n° 14-14.373, FS-P+B (N° Lexbase : A0287NWK)
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N9843BU4
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Le 11 Novembre 2015
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Réf. : Cass. civ. 1, 4 novembre 2015, n° 14-19.981, F-P+B (N° Lexbase : A0187NWT)
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N9840BUY
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Le 18 Novembre 2015
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Réf. : CA Paris, Pôle 5, 11ème ch., 16 octobre 2015, n° 13/06759 (N° Lexbase : A4328NTH)
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Le 11 Novembre 2015
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Réf. : Cass. com., 3 novembre 2015, n° 13-26.811, F-P+B (N° Lexbase : A0190NWX)
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Le 13 Novembre 2015
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Réf. : CA Aix-en-Provence, 29 octobre 2015, n° 2015/576 (N° Lexbase : A3114NUU)
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N9897BU4
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Le 11 Novembre 2015
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Réf. : Cass. com., 3 novembre 2015, n° 14-26.051, F-P+B (N° Lexbase : A0254NWC)
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Le 14 Novembre 2015
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Réf. : Cass. com., 22 septembre 2015, n° 13-25.584, F-D (N° Lexbase : A8260NPM)
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N9830BUM
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par Gaël Piette, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux, Directeur scientifique des Encyclopédies "Droit des sûretés" et "Droit des contrats spéciaux"
Le 11 Novembre 2015
La cour de Bordeaux, sur renvoi, le 14 janvier 2013, admit la limitation de responsabilité de l'armateur (6), en considérant que la société Shell ne rapportait pas la preuve que celui-ci avait commis une faute relevant de l'article 4 de la LLMC. Par une décision très détaillée, la cour exclut toute faute dans la composition de l'équipage. La cour rejette également les demandes de l'assureur facultés, en retenant que la cause des dommages subis par la cargaison est la faute nautique du capitaine, ainsi que l'incendie ayant suivi l'accident. La faute nautique et l'incendie étant des cas exceptés de la responsabilité du transporteur, ce dernier ne peut être condamné.
C'est sur les pourvois intentés par Shell et l'assureur facultés contre cet arrêt de 2013 que se prononce l'arrêt commenté, rendu par la Cour de cassation le 22 septembre 2015. La Cour rejette ces pourvois, en retenant que l'armateur n'a commis aucune faute inexcusable susceptible de le priver du droit à limitation de sa responsabilité sur le fondement de l'article 4 de la LLMC, et que la faute nautique commise par le capitaine était la seule cause du sinistre. Outre le fait qu'elle clôt une affaire qui n'a duré que trop longtemps, la décision du 22 septembre 2015 apporte de très intéressants éléments quant à la faute inexcusable de l'armateur au sens de l'article 4 de la LLMC. Cet arrêt conduit à se demander si le droit maritime ne va pas vers une limitation incassable de la responsabilité de l'armateur (I) et à s'interroger sur le rôle de la faute nautique du capitaine (II).
I - Vers une limitation "incassable" de la responsabilité de l'armateur ?
L'arrêt "Heidberg" du 22 septembre 2015, en confirmant l'arrêt rendu par la cour d'appel de Bordeaux le 14 janvier 2013, opère un virage très net dans son appréciation de la faute inexcusable, prélude à l'application de l'article 4 de la LLMC.
Pendant longtemps, la jurisprudence française a apprécié la faute inexcusable (7) in abstracto, considérant que la qualité de professionnel du responsable implique la conscience de la probabilité du dommage (8). Le jugement en première instance du tribunal de commerce de Bordeaux (23 septembre 1993) retenait une appréciation in abstracto : il refusait la limitation de responsabilité à des armateurs qui, en constituant l'équipage comme ils l'avaient fait, avaient pris un risque qu'ils se devaient de connaître.
Dans l'arrêt commenté, la Cour relève expressément que "les armateurs ne pouvaient raisonnablement imaginer" que le capitaine agirait comme il l'avait fait. Ce faisant, elle apprécie in concreto le comportement de l'armateur. Il ne s'agit plus de savoir ce qu'aurait fait en pareille situation une personne normalement prudente et avisée, un bon professionnel, un "bon armateur de famille" (9). La Cour se focalise davantage sur le point de savoir si l'armateur pouvait raisonnablement anticiper le dommage.
En soulignant que l'armateur avait respecté la réglementation allemande, tant sur le nombre des membres d'équipage que sur leurs compétences, la Cour évacue toute faute liée à un manquement aux exigences concrètes de la sécurité maritime. Dès lors que l'armateur a respecté sa loi, il semble ne pouvoir être fautif, ce qui revient sur l'idée selon laquelle un armateur peut respecter sa réglementation nationale sans pour autant être un bon armateur.
Ce changement de cap dans l'appréciation de la faute est certainement plus conforme à l'esprit de la Convention de Londres de 1976. Sous l'empire de la Convention de 1957, une simple faute, dès l'instant qu'elle lui était personnellement imputable, était susceptible de priver le propriétaire du navire du droit à limitation (10). Les juridictions, tant françaises qu'anglaises et américaines, se montraient sévères envers l'armateur. Celui-ci était intégralement responsable pour ne pas avoir pratiqué un examen attentif de son navire (11), pour avoir confié la conduite de son remorqueur à une personne manquant d'expérience de la navigation sur l'Hudson (12), pour ne pas avoir suffisamment formé le capitaine et l'équipage à l'utilisation d'un instrument nouveau (13), ou encore pour ne pas avoir vérifié que son capitaine utilisait des cartes récentes (14).
La Convention LLMC de 1976 a, de l'avis général, souhaité restreindre considérablement les possibilités de déchéance du droit à limitation (15). D'une part, elle exige que le propriétaire du navire ait commis une faute intentionnelle ou de témérité. D'autre part, elle exige que le dommage survenu soit précisément celui qu'avait envisagé le responsable (16) (l'article 4 vise la faute commise "avec l'intention de provoquer un tel dommage" et la faute commise "témérairement et avec conscience qu'un tel dommage en résulterait probablement" (17)).
Ainsi, la LLMC octroie à l'armateur un droit à limitation de sa responsabilité presque "unbreakable", incassable, c'est-à-dire pratiquement impossible à combattre, à écarter. La jurisprudence anglo-saxonne a suivi cette voie, en remarquant qu'il n'y a quasiment aucun moyen pour le demandeur de franchir l'obstacle que constitue l'article 4 : "The effect of the Convention was to afford to shipowners [...] an almost indisputable right to limit their liability" (18) ou "there can be no realistic prospect of defeating the shipowner's right to limit" (19) peut-on lire dans des décisions.
Les rares décisions nord-américaines ayant écarté la limitation de responsabilité sur le fondement de l'article 4 ont été censurées par la Cour Suprême du Canada (20). L'arrêt du 22 septembre 2015 va dans le même sens: l'appréciation in concreto de la faute inexcusable est favorable à l'armateur, puisqu'elle renforce considérablement la difficulté de la preuve pour la victime.
II - Le rôle de la faute nautique du capitaine
Il fut un temps où certains voyaient la faute nautique moribonde, allant jusqu'à entonner un requiem en son honneur (21). L'arrêt "Heidberg" du 22 septembre 2015 démontre au contraire la vitalité de cette notion.
La faute nautique du capitaine est traditionnellement un cas excepté de responsabilité du transporteur. En d'autres termes, le transporteur est responsable des pertes ou dommages subis par la marchandise entre sa prise en charge et sa livraison, sauf s'il démontre que ces pertes ou dommages proviennent d'une faute nautique commise par le capitaine, le pilote ou d'autres de ses préposés. La règle, dérogatoire au droit commun de la responsabilité des commettants du fait de leurs préposés, est connue du droit français (C. transp., art. L. 5422-12, 9° N° Lexbase : L6840INN) et du droit international (Règles de la Haye Visby, art. 4. 2. a) (22).
En l'espèce, la faute nautique du capitaine résidait dans son comportement, très détaillé par la Chambre commerciale : il avait, de nuit et alors que son navire naviguait dans le passage de Pauillac, qui est l'un des endroits les plus dangereux de l'estuaire de la Gironde, à proximité d'installations gazières et pétrolières, décidé de quitter la passerelle, en y laissant seul le pilote (puisque le second se reposait et qu'aucun marin n'effectuait de veille), afin de se rendre dans la salle des machines pour effectuer une opération de ballastage. Cette opération ne présentait aucun caractère d'urgence, puisqu'elle pouvait être différée et se faire à n'importe quel autre moment pendant la descente de l'estuaire. Outre le fait que la faute nautique du capitaine du Heidberg permet au transporteur de ne pas être responsable des pertes et dommages causés à la marchandise transportée, elle a surtout pour effet de supprimer le lien de causalité entre le dommage subi par les appontements de la société Shell et les reproches adressés par cette dernière à l'armateur.
En effet, la Cour considère que la faute nautique était la seule cause du sinistre : c'est parce que le capitaine a agi de la manière dont il a agi que l'accident est survenu. La Cour relève que "l'accident et les importants dommages qui en sont la suite ne résultent pas du nombre insuffisant d'officiers" et qu'il "n'a nullement été établi que les matelots n'étaient pas aptes à procéder aux manoeuvres ressortissant à leurs compétences ou ne comprenaient pas les instructions de leurs officiers ou encore que l'accident était dû à un manque de cohésion entre les membres de l'équipage". Ainsi, pour la Cour, la faute nautique commise par le capitaine s'interpose entre le comportement reproché par Shell à l'armateur et les dommages causés : le lien de causalité est par conséquent brisé entre les éventuelles fautes de l'armateur et le préjudice subi.
Il est toutefois permis d'émettre certains doutes sur cette analyse de la Cour de cassation. On peut, en effet, se demander si la faute nautique commise par le capitaine ne trouve pas son origine dans une faute commise par l'armateur. La société Shell faisait valoir comme moyen de son pourvoi, entre autres arguments, le fait que l'armateur avait soumis l'équipage du navire à des horaires de travail ne permettant pas d'assurer la sécurité, et que le rythme de travail imposé aux deux officiers, soit douze heures de travail par jour (alternance de six heures de quart et de six heures de repos), auxquelles s'ajoutaient les tâches commerciales et administratives, était tel qu'il ne permettait pas la navigation du Heidberg dans des conditions optimales de sécurité. En d'autres termes, la société Shell estimait que la fatigue de l'équipage engendrée par la charge de travail était en lien avec la faute nautique commise par le capitaine ayant entraîné l'accident.
Il nous semble difficile d'écarter l'argument aussi sommairement que la Cour de cassation. Les conditions de travail imposées par l'armateur à l'équipage étaient harassantes. Le souci constant de l'armateur de gagner du temps, dans un souci d'économie et de rentabilité, a conduit le capitaine à la faute. Ainsi, la faute nautique commise par le capitaine peut peut-être s'expliquer par le comportement de l'armateur. Pour déterminer le lien de causalité, la jurisprudence française n'hésite pas, généralement, à combiner la théorie de l'équivalence des conditions et celle de la causalité adéquate (23). Dans l'arrêt commenté, elle préfère se limiter à la causa proxima, théorie dont les limites sont connues de longue date. Néanmoins, puisque l'armateur avait respecté la réglementation allemande de l'époque, cela aurait supposé que la Cour de cassation considère celle-ci comme minimaliste, ou du moins insuffisante pour assurer de manière effective la sécurité maritime.
(1) Pour davantage de détails quant aux faits, nous renvoyons le lecteur aux commentaires des décisions précédentes,
(2) T. com., Bordeaux, 23 septembre 1993, DMF, 1993, p. 706, obs. A. Vialard et p. 731, obs. T. Clemens-Jones.
(3) Le délai écoulé entre le jugement et l'arrêt d'appel s'explique par l'existence d'une procédure pénale, ce qui a décalé la décision d'appel sur les intérêts civils.
(4) CA Bordeaux, 31 mai 2005, DMF, 2005, p. 839, obs. A. Vialard.
(5) Cass. com., 30 octobre 2007, n° 05-19.577, F-D (N° Lexbase : A2284DZM), RD transp., janvier 2008, p. 31, obs. M. Ndendé.
(6) CA Bordeaux, 14 janvier 2013, DMF, 2013, p. 201, note O. Cachard.
(7) L'article 4 de la LLMC vise en réalité la faute intentionnelle et la faute de témérité, ce qui conduit à écarter la limitation de responsabilité seulement en présence des fautes les plus graves. La faute intentionnelle est celle qui est commise avec l'intention de provoquer le dommage. La faute de témérité (notion utilisée dans l'arrêt "Erika" : Cass. crim., 25 septembre 2012, n° 10-82.938, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A3030ITE ; D., 2012, p. 2711, note Ph. Delebecque ; A. Moustardier, Procès de l'"Erika" : la Cour de cassation consacre une victoire totale du droit de l'environnement, Lexbase Hebdo n° 311 du 4 octobre 2012 - édition affaires N° Lexbase : N3687BTQ) renvoie, dans la tradition juridique française, à la faute inexcusable : P. Bonassies, La faute inexcusable de l'armateur en droit français, Liber amicorum R. Rolland, Bruxelles 2003, p. 75 ; I. Corbier, La notion de faute inexcusable et le principe de la limitation de responsabilité, in Etudes de droit maritime à l'aube du XXIème siècle, Mélanges offerts à P. Bonassies, Moreux, 2001, p. 103 ; S. Miribel, note sous Cass. com., 29 avr. 2014, n° 12-25.901, F-D (N° Lexbase : A6954MKR "Navires Caliente et Makira"), DMF, 2014, p. 878.
(8) Cass. com., 20 mai 1997, n° 95-10.186, publié (N° Lexbase : A1693ACP "Navire Johanna-Hendrika"), DMF, 1997, p. 976, rapp. J.-P. Remery, obs. P. Bonassies ; Cass. com., 20 février 2001, n° 98-18.617, publié (N° Lexbase : A3279ARU "Navire Moheli", DMF, 2002, p. 144, rapp. J.-P. Remery, obs. P.-Y. Nicolas. Adde, P. Bonassies et Ch. Scapel, Traité de droit maritime, LGDJ, 2ème éd. 2010, n° 431.
(9) L'expression est d'Antoine Vialard, dans son commentaire précité du jugement du tribunal de commerce, DMF, 1993, p. 706.
(10) Conv. de Bruxelles du 10 octobre 1957 sur la limitation de la responsabilité des propriétaires de navires de mer, art. 1er ; loi n° 67-5 du 3 janvier 1967, art. 58 dans sa version initiale (N° Lexbase : L1798DNW).
(11) Cass. com., 3 décembre 1974, n° 73-14.436, publié (N° Lexbase : A9435CE8 "Navire Navipesa Dos"), DMF, 1975, p. 211, note P. Lureau et P. Bouloy.
(12) Cour d'appel fédérale de New-York, 7 août 1978, Tug Ocean Prince v. U.S., DMF, 1979, p. 435, obs. P. Bonassies.
(13) Trib. Chicago, 18 avril 1984, Navire Amoco Cadiz, DMF, 1984, p. 688, note P. Bonassies.
(14) Ch. Lords, 16 juin 1984, Navire Marion, LLR, 1984.2.1.
(15) P. Bonassies et Ch. Scapel, Traité de droit maritime, op. cit., n° 429 ; D. Damar, Wilful Misconduct in International Transport Law, Springer 2011, p. 168 ; P. Griggs, R. Williams et J. Farr, Limitation of Liability for Maritime Claims, LLP, 2005, p. 3; A. Mandaraka-Sheppard, Modern Maritime Law and Risk Management, 2ème éd. London, Routledge Cavendish, 2007, p. 865 ; J. Wilson, Carriage of Goods by Sea, Pearson 7ème éd. 2010, p. 288.
(16) Ph. Delebecque, Droit maritime, Dalloz, 2014, n° 863; Court of Appeal, Schiffahrtsgesellschaft MS "Merkur Sky" m.b.H. & Co. K.G. c. MS Leerort Nth Schiffahrts G.m.b.H. & Co. K.G., (Navire The Leerort), [2001] 2 LLR291, [2001] EWCA Civ 1055.
(17) C'est nous qui soulignons.
(18) Queen's Bench, MSC Mediterranean Shipping Co. c. Delumar BVBA (Navire The MSC Rosa M), [2000] 2 LLR 399.
(19) Queen's Bench, Margolle c. Delta Maritime Co. (Navires Saint Jacques II et Gudermes), [2002] EWHC 2452, [2003].
(20) Cour Suprême du Canada, 23 avril 2014, Peracomo Inc. c. Société Telus Communications (Navire Realice), DMF, 2015, p. 458, nos obs..
(21) N. Molfessis, Requiem pour la faute nautique, in Mélanges offerts à P. Bonassies, Moreux, 2001, p. 207.
(22) Même si les Règles de Rotterdam, non encore entrées en vigueur, abandonnent ce cas excepté (art. 17).
(23) Cass. civ. 2, 12 juillet 2007, n° 06-14.180, F-D (N° Lexbase : A4588DX9), Resp. civ. et assur., 2007, comm. 317, note H. Groutel.
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Réf. : CA Versailles, 24 septembre 2015, n° 14/00116 (N° Lexbase : A6358NP8)
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N9834BUR
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par Fabienne Fajgenbaum et Thibault Lachacinski, Avocats à la cour
Le 11 Novembre 2015
Le 24 septembre 2015, la cour d'appel de Versailles a infirmé le jugement rendu par le tribunal de grande instance d'Orléans le 1er février 2005 (1) et condamné en conséquence in solidum l'organisateur d'une vente aux enchères et son expert à garantir la restitution du prix d'une vente annulée. Le lecteur attentif ne manquera pas d'être interpellé par la durée de la procédure, dix années ayant été nécessaires avant que l'arrêt d'appel soit rendu. Le juriste spécialisé, qui se sera déjà souvenu que la compétence exclusive de certains tribunaux de grande instance n'a été instaurée qu'à compter du 1er novembre 2009 (2) en matière de droit d'auteur, relèvera pour sa part que la cour d'appel d'Orléans est en principe seule compétente pour statuer sur l'appel interjeté à l'encontre d'un jugement du tribunal de grande instance de la même ville. Comment, dès lors, expliquer que les juges versaillais aient été saisis de l'appel dans cette affaire ?
L'explication est d'ordre procédural, puisque l'arrêt du 24 septembre 2015 n'est finalement que la sixième décision rendue (la troisième par une cour d'appel) dans ce que l'on est dès lors autorisé à qualifier de saga judiciaire. Pour résumer, le jugement précité du 1er février 2005 a donné lieu à un arrêt de la cour d'appel d'Orléans du 18 septembre 2006 (3), lequel a été cassé et annulé par la première chambre civile de la Cour de cassation le 30 septembre 2008 (4), renvoyant les parties devant la cour d'appel de Paris ; celle-ci s'étant prononcée le 16 avril 2010 (5), un pourvoi a été engagé devant la Cour de cassation (6), qui a donné lieu à un nouvel arrêt de la première chambre civile du 27 novembre 2013 ; l'arrêt d'appel ayant une nouvelle fois été cassé et annulé, les parties ont cette fois été renvoyées devant la cour d'appel de Versailles, laquelle a fini par infirmer la décision de première instance. CQFD !
II - Arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 30 septembre 2008 : l'existence d'un doute sur l'auteur de l'oeuvre suffit à justifier l'annulation de sa vente
Si la procédure apparaît exceptionnelle, les faits qui en sont à l'origine et la solution juridique retenue sont en revanche plus "classiques". A l'occasion d'une vente aux enchères publiques organisée en avril 2001 par une étude d'huissiers assistée d'un expert, une société a fait l'acquisition d'une oeuvre intitulée "Oeil fleuri", laquelle était présentée au catalogue de vente sous les mentions suivantes : "tempera et huile sur toile, peinte en 1944, 240X90, certificat de M. Robert [A.]. archivé sous le numéro H 998, visible sur RDV, ce fameux décor de scène fut exécuté à New-York en 1944 pour la pièce 'Tristan fou' interprétée par le grand ballet de Monte-Carlo. Ce dernier appartenait au Marquis de [B.], grand mécène de Salvador Dali. Salvador crée, dessine les décors et costumes [...]. L'argument de Dali utilise les thèmes musicaux de Tristan et Iseult de Wagner. Notre tableau, d'une provenance prestigieuse, aux symboles si importants chez les Daliens', au format inhabituel, en font une oeuvre majeure !". Que l'on imagine donc la surprise de l'adjudicataire (pour 1 120 000 francs -soit environ 170 743 euros- tout de même) lorsque l'oeuvre de Salvador Dali ainsi acquise a été refusée par une galerie new-yorkaise au motif qu'elle ne serait pas de la main du Maître ! S'en est logiquement suivie une action en nullité de la vente pour erreur sur la substance de la chose au sens des dispositions de l'article 1110 du Code civil (N° Lexbase : L1198ABY), laquelle a soulevé par ricochet la traditionnelle question de la responsabilité des acteurs du marché de l'art (7).
Aux termes de son premier arrêt du 30 septembre 2008, la première chambre civile de la Cour de cassation a définitivement retenu l'existence d'une erreur sur les qualités substantielles de la chose et prononcé la nullité de la vente : par leur insuffisance, les mentions du catalogue ont, en effet, entraîné la conviction erronée de l'acquéreur que l'oeuvre en cause était certainement de la main de l'artiste quand, en tant qu'élément d'un décor conçu par celui-ci, elle pouvait ne pas l'être. Rappelons que l'existence d'un doute sérieux sur l'authenticité de l'oeuvre suffit à établir l'erreur sur la substance (8) ; il en va de même si l'acquéreur à simplement cru (à tort) que l'oeuvre pouvait être "attribuée à" un artiste (9). Par ailleurs, le tribunal de grande instance de Paris a eu l'occasion de retenir l'existence d'une erreur portant sur les qualités substantielles d'un tableau en dépit de son authenticité avérée, après avoir observé que les mentions contenues dans le catalogue de la vente étaient pour la plupart erronées (absence de date et signature ; dédicace figurant sur un papier collé au dos de l'encadrement et non pas intégré à l'oeuvre etc.) (10).
La nullité de la vente, irrévocablement acquise à la suite de l'arrêt précité du 30 septembre 2008, aurait dû avoir pour conséquence la remise des choses en leur état antérieur, comme si l'acte d'achat n'avait jamais eu lieu (11). C'était toutefois sans compter la disparition du vendeur intervenue entre-temps, rendant donc impossible la restitution du prix de vente. La question de la responsabilité encourue par l'organisateur de la vente, tout comme celle de l'expert spécialement consulté se posait donc avec d'autant plus d'acuité. La disparition de la société venderesse ayant été relevée d'office par la cour d'appel d'Orléans, c'est-à-dire en violation du principe de la contradiction posé à l'article 16 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1133H4Q), les débats se sont poursuivis devant la cour d'appel de Paris saisie sur renvoi après cassation.
III - Arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 27 novembre 2013 : l'organisateur de la vente et l'expert sont tenus de garantir l'acquéreur de la restitution du prix de vente si celle-ci s'avère impossible par le vendeur
Les articles L. 321-17 (N° Lexbase : L7968IQ8) et L. 321-31 (N° Lexbase : L7979IQL) du Code de commerce posent un principe de responsabilité des organisateurs de ventes aux enchères et des experts dont ils s'adjoignent les services (12). Si la responsabilité du commissaire-priseur semble devoir être engagée à raison des indications et mentions contenues dans le catalogue qu'il édite "sans qu'il soit nécessaire de caractériser autrement une faute de sa part" (13), l'expert peut, en revanche, tenter de s'exonérer en démontrant qu'il n'a commis aucune faute dans son analyse de l'oeuvre au regard des moyens techniques et scientifiques à sa disposition (14).
Sans surprise, la cour d'appel de Paris (saisie sur renvoi après cassation) a donc retenu l'existence d'insuffisances fautives, le catalogue de vente ayant omis de préciser que l'oeuvre en cause faisait partie d'un décor de scène réalisé sous le contrôle de Dali mais non de sa propre main. Garants des mentions portées dans ce catalogue, l'étude d'huissiers et l'expert ne pouvaient utilement invoquer une quelconque absence de précautions de l'acquéreur (15).
Cela étant, l'arrêt du 16 avril 2010 a débouté l'acquéreur de sa demande de condamnation solidaire de l'étude d'huissiers et de l'expert à lui payer le montant du prix d'adjudication au motif que cette prétention n'aurait aucun lien direct avec l'erreur fautive sur la qualité substantielle de l'oeuvre litigieuse. En d'autres termes, la disparition du vendeur ne leur étant pas imputable, ces acteurs du marché de l'art ne sauraient être tenus responsables des difficultés de remboursement rencontrées par l'acquéreur. A suivre le raisonnement de la cour, il n'aurait donc pu en être autrement que si l'huissier s'était également rendu coupable de manquements fautifs dans la mise en oeuvre des opérations de remboursement, à l'origine d'une perte de chance de pouvoir poursuivre le vendeur en recouvrement.
Ce raisonnement est censuré par la première chambre civile de la Cour de cassation, saisie une seconde fois, laquelle rappelle que l'huissier de justice et l'expert sont tenus de garantir l'acquéreur de la restitution par le vendeur du prix de vente si celle-ci s'avère impossible (16), dès lors qu'ils ont été reconnus responsables de l'annulation de la vente en raison des fautes qu'ils ont commises. Concrètement, l'acquéreur pourra donc se retourner contre l'organisateur de la vente et son expert, jugés co-responsables de son dommage, afin d'en obtenir la réparation, à charge pour ces derniers de (tenter de) se retourner contre le vendeur pour obtenir leur remboursement. L'acquéreur se trouve ainsi pleinement garanti contre l'insolvabilité du vendeur.
Le principe reste toutefois que la restitution du prix de vente n'incombe ni à l'expert, ni à l'organisateur de la vente. Cela résulte (implicitement) des termes mêmes de l'arrêt du 27 novembre 2013 aussi bien que des décisions des juges du fond qui déboutent les demandeurs qui ne rapportent pas la preuve de l'impécuniosité du vendeur (17). A noter que la disparition du vendeur, pour cause de décès par exemple, justifie également la condamnation de l'organisateur de la vente et son expert à garantir la restitution du prix d'adjudication (18).
Saisie sur renvoi après cassation, la cour d'appel de Versailles avait donc pour mission de vérifier l'impossibilité de la restitution. Constatant que la disparition du vendeur était suffisamment établie, la cour a définitivement condamné l'étude d'huissiers à garantir l'acquéreur de la restitution du prix de vente. De façon tout à fait orthodoxe (19), l'expert ayant une connaissance particulière de l'oeuvre qu'il examine et authentifie, il doit à son tour garantie à l'organisateur de la vente en principal, intérêts, frais et dépens.
(1) CA Orléans, 1er février 2005, n° 02/1817.
(2) Décret n° 2009-1205 du 9 octobre 2009, fixant le siège et le ressort des juridictions en matière de propriété intellectuelle (N° Lexbase : L8531IEP).
(3) CA Orléans, 18 septembre 2006, n° 05/1262.
(4) Cass. civ. 1, 30 septembre 2008, n° 06-20.298, FS-P+B (N° Lexbase : A5831EA9), Bull civ. I, n° 217.
(5) CA Paris, Pôle 2, 2ème ch., 16 avril 2010, n° 09/06107 .
(6) Cass. civ. 1, 27 novembre 2013, n° 10-23.196, F-D (N° Lexbase : A4666KQU).
(7) A titre d'exemple, Cass. civ. 1, 15 novembre 2005, n° 03-20.597, FS-P+B (N° Lexbase : A5484DLP) ; TGI Paris, 5ème ch., 12 mai 2015, n° 12/17573 (N° Lexbase : A3218NPU) : "Dans le cas d'une mise en vente publique d'une oeuvre d'art, si elle est présentée sans réserve dans le catalogue comme ayant certaines qualités substantielles, cela emporte certitude pour l'adjudicateur de l'authenticité de ces mentions qui, en l'absence de circonstances particulières, constituent aux yeux de cet acquéreur une condition déterminante de son consentement".
(8) TGI Paris, 5ème ch., 21 mai 2015, n° 11/16753 (N° Lexbase : A3249NPZ) ; CA Paris, Pôle 5, 1ère ch., 6 février 2015, n° 12/10208 (N° Lexbase : A1619NBL) ; TGI Paris, 21 octobre 2014, n° 11/1108.
(9) TGI Paris, 4ème ch., 30 janvier 2014, n° 11/00966 (N° Lexbase : A1967MIP).
(10) TGI Paris, 4ème ch., 15 janvier 2015, n° 07/09304 (N° Lexbase : A2063NDR).
(11) TGI Paris, 12 février 2015, n° 11/15557.
(12) C. com., article L. 321-17 (N° Lexbase : L7968IQ8) : "Les opérateurs de ventes volontaires de meubles aux enchères publiques mentionnés à l'article L. 321-4 (N° Lexbase : L7956IQQ) et les officiers publics ou ministériels compétents pour procéder aux ventes judiciaires et volontaires ainsi que les experts qui les assistent dans la description, la présentation et l'estimation des biens engagent leur responsabilité au cours ou à l'occasion des prisées et des ventes de meubles aux enchères publiques, conformément aux règles applicables à ces ventes". Les dispositions de l'article 1382 du Code civil (N° Lexbase : L1488ABQ) sont également parfois invoquées : cf. TGI Paris, 5ème ch., 21 mai 2015, préc. note 4 ; CA Paris, 5ème ch., 6 février 2015, n° 12/10208 (N° Lexbase : A1619NBL).
(13) TGI de Paris, 12 février 2015, préc. note 11 ; TGI Paris, 4ème ch., 17 juin 2014, n° 12/17385 (N° Lexbase : A7850MWN) ; TGI Paris, 30 janvier 2014, préc. note 9 ; TGI Paris, 5ème ch., 23 mai 2013, n° 11/08561 (N° Lexbase : A5993KMW).
(14) CA Paris, Pôle 5, 1ère ch., 6 février 2015, n° 12/10208 (N° Lexbase : A1619NBL "obligation de moyens renforcée") ; en sens inverse : Cass. civ. 1, 17 décembre 2009, n° 07-20.051, F-D (N° Lexbase : A7088EP9) ; pour des décisions écartant toutefois la responsabilité tant de l'expert que du commissaire-priseur en l'absence de faute : TGI Paris, 21 mai 2015, préc. note 4 ; TGI Paris 12 février 2015 préc. note 11 et CA Paris, Pôle 5, 2ème ch., 6 février 2015, n° 12/10208 (N° Lexbase : A1619NBL).
(15) En sens inverse, ayant retenu l'erreur inexcusable de l'acquéreur, lui-même expert spécialisé, Cass. civ. 1, 9 avril 2015, n° 13-24.772, F-D (N° Lexbase : A5244NGC).
(16) En ce sens, TGI Paris, 5ème ch., 14 janvier 2013, n° 11/06670 (N° Lexbase : A9745KGZ) ; CA Paris, Pôle 2, 2ème ch., 23 mars 2012, n° 10/05993 (N° Lexbase : A4328IGE) ; Cass. civ. 1, 17 décembre 2009, n° 07-20.051, F-D (N° Lexbase : A7088EP9) ; CA Paris, 14 mars 1997, n° 1995/25513.
(17) TGI Paris, 21 mai 2015, préc. note 4 ; TGI Paris, 17 juin 2014, préc. note 13 ; CA Paris, Pôle 2, 2ème ch., 21 janvier 2011, n° 09/06232 (N° Lexbase : A1352GRI) ; CA Paris, 15 janvier 2002, n° 2001/05743.
(18) CA Paris, 1ère ch., sect. A, 14 octobre 2008, n° 05/10250 (N° Lexbase : A9907EA8).
(19) TGI Paris, 5ème ch., 26 mai 2015, n° 14/02310 (N° Lexbase : A3279NP7) ; TGI Paris, 12 février 2015, préc. note 11.
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Réf. : CA Paris, Pôle 5, 11ème ch., 2 octobre 2015, n° 13/06713 (N° Lexbase : A4452NSP)
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Le 11 Novembre 2015
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Réf. : AMF, Rapport 2015 sur le gouvernement d'entreprise et la rémunération des dirigeants de sociétés cotées
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Le 19 Novembre 2015
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