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N9280BUA
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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication
Le 08 Octobre 2015
Cette inaction, cet oubli, on pensait qu'ils relevaient finalement de la responsabilité des Etats, qui assumaient l'absence de poursuite dans le cadre d'intérêts souverainement appréciés. Si la prescription extinctive relève de l'ordre public et constitue un droit fondamental de la défense, lorsque le défaut d'action profite à l'auteur (présumé) d'un délit ou d'un crime, il semblait naïvement que c'est la société civile de cet Etat qui pouvait seule demander des comptes au gouvernement judiciaire pour l'action ainsi laissée choir.
La Cour de justice de l'Union européenne vient apporter un cinglant démenti à tout cela, lorsqu'il y va... du système commun de taxation sur le chiffre d'affaires. Le régime de la prescription extinctive doit plier devant l'intérêt pécuniaire des Etats, lorsque cette prescription emporte un préjudice pour l'ensemble du système de taxation sur la valeur ajoutée européenne ! Ce faisant, la Cour de justice, par un arrêt du 8 septembre 2015, a jugé qu'en empêchant, en matière de fraude grave à la TVA, l'infliction effective et dissuasive de sanctions, en raison d'un délai global de prescription trop bref, car elle prive la prise en compte de décisions judiciaires définitives, la règlementation italienne est susceptible de porter atteinte aux intérêts financiers de l'Union. Dans un tel cas, le juge italien doit, au besoin, laisser inappliqué le régime de prescription en cause.
Voici donc l'appréciation d'un droit fondamental de la défense, d'un droit naturel des peuples, à écouter Deslauriers dans L'éducation sentimentale, remis en cause par les prescriptions européennes et le régime de taxation en particulier.
Dunod, Rogérius, Balbus, Merlin, Vazeille, Savigny et Troplong, tous éminents jurisconsultes spécialistes de la question à travers les siècles, n'ont qu'à bien se tenir. La prescription n'est plus un droit intouchable -nous l'avions compris depuis la réforme de 2008 en matière civile- mais elle peut même être écartée, quand on pensait qu'elle devait être relevée d'office.
La Cour de justice ne fait d'ailleurs pas cavalier seul sur le terrain de cette prescription extinctive ; mais on peut dire qu'elle charge ici à la hussarde !
Les critiques en matière d'extinction de l'action publique, notamment, sont nombreuses. Si la paix et la tranquillité publique commanderaient, après un certain délai, d'oublier l'infraction et non d'en raviver le souvenir, cette "grande loi de l'oubli" contredirait le besoin des sociétés contemporaines de perpétuer le souvenir des faits passés ou de les rappeler à la mémoire, analyse le dernier rapport sénatorial en date (2007). De même, si la prescription a aussi été considérée comme la contrepartie de l'inquiétude dans laquelle vit l'auteur des faits aussi longtemps qu'il échappe à la poursuite et à la punition, il y aurait, à l'évidence, quelque naïveté à placer l'état d'incertitude psychologique au même plan qu'une peine effective. Et, si la prescription était la sanction de la négligence de la société à exercer l'action publique ou à exécuter la peine -comme c'est le cas présent dans l'affaire soumise à examen devant la Cour- cette justification pourrait s'apprécier différemment selon que la négligence est antérieure ou postérieure à l'engagement des poursuites. En effet, la perte du droit de punir apparaît plus contestable lorsque les poursuites n'ont pas été engagées. Finalement, le dépérissement des preuves est présenté aujourd'hui comme l'une des justifications les plus solides de la prescription : mais à l'ère numérique, cet écueil semble de plus en plus improbable.
C'est donc une fronde qui s'organise, non pas pour abolir les régimes de prescription, mais pour les aménager, voire les relativiser. C'est l'enjeu d'une proposition de loi de mai dernier visant à allonger la prescription en matière de crime. C'est la marque d'une société soucieuse de faire prévaloir la mémoire sur l'oubli -ce qui n'est pas sans aller en contradiction avec le droit à l'oubli numérique revendiqué de plus en plus par les citoyens et les pouvoirs publics-.
C'est assurément un pas vers cette relativisation de la prescription, ici en matière fiscale et pénale, que la Cour de justice fait, en encourageant le juge nationale à écarter le bénéfice d'une prescription contraire aux intérêts... de l'Union.
"Nul est censé ignorer la loi. Pour les autres, il y a la prescription, le sursis et l'amnistie"... Pour l'un d'eux, c'est déjà moins vrai.
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newsid:449280
Réf. : CE 9° et 10° s-s-r., 21 septembre 2015, n° 369808, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A8492NP9)
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N9297BUU
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par Jean-Baptiste Chevalier, Avocat au barreau de Paris
Le 08 Octobre 2015
Ajoutant une nouvelle pierre à l'édifice du droit d'accès aux documents administratifs, le Conseil d'Etat devait statuer, par la décision rapportée, sur l'articulation entre l'article 3 de la loi du 17 juillet 1978, qui prévoit un droit d'accès particulier aux documents administratifs dont les conclusions sont opposées à une personne, et l'article 6 de la loi, qui institue des restrictions et des exceptions à la communicabilité de certains documents administratifs.
Le contexte de cette affaire était épineux. Un agent public, qui exerçait à l'époque des faits les fonctions de chef du bureau de l'état civil et des étrangers d'une préfecture, avait demandé à la commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS) (2) l'ensemble des pièces du dossier ayant abouti à l'une de ses recommandations (3). Celle-ci avait été rendue à la suite de la saisine d'un député et portait sur les conditions d'exécution d'une mesure d'éloignement de deux familles étrangères en situation irrégulière. Au travers de cette recommandation, la CNDS avait relevé un série de manquements et directement mis en cause deux gendarmes officiers de police judiciaire qui avaient participé aux opérations. Par une première décision, le secrétaire général de la CNDS s'était totalement opposé à la communication de ces pièces. A la suite de l'intervention de la commission d'accès aux documents administratifs (CADA), il avait finalement daigné communiquer les documents pour lesquels la CADA avait émis un avis favorable. C'est cette seconde décision que l'ancien chef du bureau des étrangers contestait, sollicitant en particulier la communication des procès-verbaux d'audition et les documents de travail de la CNDS.
Au soutien de sa demande, l'agent invoquait notamment les dispositions de l'article 3 de la loi du 17 juillet 1978, permettant à toute personne de connaître les informations contenues dans un document administratif dont les conclusions lui sont opposées. Mais sa demande se heurtait par ailleurs aux dispositions de l'article 6 de la même loi, qui prévoit notamment que "ne sont communicables qu'à l'intéressé" les documents administratifs "faisant apparaître le comportement d'une personne, dès lors que la divulgation de ce comportement pourrait lui porter préjudice".
Statuant en premier et dernier ressort, le tribunal administratif de Paris n'avait que très partiellement fait droit aux demandes de l'agent, par un jugement du 1er février 2013, en n'annulant la décision du secrétaire général de la commission qu'en tant qu'elle avait refusé de communiquer l'un des documents de travail de la CNDS. Le reste de ses demandes avait été rejeté.
Saisi d'un pourvoi en cassation, le Conseil d'Etat a confirmé le jugement, en prenant le soin de préciser les conditions dans lesquelles le droit d'accès aux documents administratifs dont les conclusions sont opposées à une personne qui résulte de l'article 3 de la loi du 17 juillet 1978 (I), devaient être conciliées avec les restrictions et exceptions à la communication de documents administratifs prévues par l'article 6 (II).
I - La délimitation du droit d'accès aux documents dont les conclusions sont opposées
Le premier apport de cette décision concerne la notion même de "document administratif dont les conclusions sont opposées". Cette notion ressort de l'article 3 de la loi du 17 juillet 1978 qui prévoit que "toute personne a le droit de connaître les informations contenues dans un document administratif dont les conclusions lui sont opposées". C'est de ce droit que se prévalait l'ancien chef du bureau des étrangers de la préfecture, en estimant qu'en dépit de ce que les documents en cause pouvaient contenir des informations dont la communication était restreinte, il disposait d'un droit particulier à obtenir leur communication.
Le Conseil d'Etat relativise cependant la portée de ce droit en rappelant d'abord "qu'il résulte des travaux préparatoires de la loi du 17 juillet 1978 que les dispositions de son article 3 ont pour objet de permettre à toute personne de connaître des informations contenues dans tout document administratif, lorsqu'une décision ayant pour fondement lesdites informations lui est opposée". Or, en l'occurrence, il relève, en confirmant l'analyse des premiers juges, qu'aucune décision visant l'intéressé "n'avait été prise ni n'était envisagée sur la base des éléments figurant dans les pièces de la procédure suivie devant la CNDS dont il sollicitait la communication".
La recommandation de la CNDS ne visait en effet l'agent qu'indirectement. Son rôle dans l'une des deux opérations d'expulsion avait été mentionné, mais il n'avait pas été mis directement en cause. La commission avait, en revanche, recommandé l'engagement d'une procédure disciplinaire à l'encontre de deux gendarmes officiers de police judiciaire, et transmis son avis pour information à un procureur général (par ailleurs territorialement incompétent) afin qu'il apprécie l'opportunité du maintien de leur habilitation. Nul doute qu'ils auraient été en droit, quant à eux, de se prévaloir du droit d'accès de l'article 3. Le seul fait pour le chef de bureau de l'état civil et des étrangers d'avoir pris part aux opérations litigieuses était cependant insuffisant pour considérer que les conclusions des documents sollicités lui étaient "opposées", dès lors qu'aucune décision n'avait été prise à son encontre sur le fondement des informations contenues dans ces documents.
Sur ce point, le Conseil d'Etat consacre l'interprétation stricte que la CADA retient elle-même lorsqu'elle est saisie de demandes de communication de documents administratifs. Au travers de plusieurs avis, la CADA avait déjà pu préciser que les documents dont les conclusions sont opposées correspondaient aux rapports et pièces sur lesquelles l'administration s'était fondée "directement et de manière déterminante" pour prendre une décision à l'encontre de la personne visée (4). Le seul fait pour une personne d'être mentionnée dans un document n'est, en revanche, pas suffisant pour lui donner le droit d'en obtenir la communication (5).
Le Conseil d'Etat a par ailleurs relativisé la portée de ce droit d'accès aux documents administratifs dont les conclusions sont opposées, en le soumettant aux restrictions et exceptions résultant de l'article 6.
II - La préservation du secret des documents divulguant le comportement d'une personne
Le deuxième et principal apport de cette décision concerne indéniablement l'articulation des articles 3 et 6 de la loi du 17 juillet 1978, qui pouvaient sembler entrer en conflit. Que décider si un administré, se fondant sur l'article 3, réclamait la communication d'un document dont les conclusions lui étaient opposées, mais qui, en raison des informations qu'il contenait, lui était par ailleurs incommunicable au regard de l'article 6 ? C'est la question que le Conseil d'Etat devait trancher.
C'est au travers d'un obiter dictum (6) que le Conseil d'Etat a entendu préciser que "les restrictions et exceptions à la communication de documents administratifs prévues par l'article 6 de la loi peuvent être opposées à une demande formulée sur le fondement de l'article 3". Autrement dit, quand bien même une personne se verrait opposer les conclusions d'un rapport administratif, elle ne peut en obtenir communication en se prévalant de l'article 3 si ce document relève d'une exception ou d'une restriction prévue à l'article 6. La protection du secret d'Etat et de la vie privée des personnes prévaudra sur le droit d'accès aux documents administratifs. On relèvera que la CADA avait d'elle-même déjà fait prévaloir les intérêts de personnes mentionnées dans un document administratif sur le droit d'accès prévu à l'article 3, en s'opposant à la communication de la liste des signataires d'une pétition figurant au dossier d'un arrêté rejetant une demande d'ouverture le dimanche présentée par une société (7).
En l'occurrence, le requérant avait sollicité la communication de témoignages et de procès-verbaux d'audition dont la CADA et le juge administratif considéraient qu'ils faisaient apparaître le comportement d'une personne dont la divulgation était susceptible de lui porter préjudice, au sens du II de l'article 6. Cette restriction trouve ici une justification assez claire. Il apparaissait en effet que la divulgation des informations contenues dans les témoignages et procès-verbaux sollicités aurait pu porter préjudice aux témoins et aux personnes à l'origine de la saisine de la CNDS, si leur identité avait été révélée aux services préfectoraux. Le Conseil d'Etat confirme donc que ces documents étaient bien de ceux dont la communication est réservée aux seules personnes intéressées.
Le requérant aurait cependant pu solliciter lui-même le bénéfice de l'article 6 en faisant valoir qu'il faisait justement partie de ces personnes intéressées. Mais, et c'est là le dernier apport de cette décision, le Conseil d'Etat a confirmé qu'il ne pouvait, dans les circonstances de l'espèce, être regardé comme une personne "intéressée" au sens du II de l'article 6. Il précise sur ce point que des personnes n'ont la qualité d'intéressées au sens de ces dispositions que lorsque la communication de ces documents à des tiers serait de nature à leur porter préjudice. Le Conseil d'Etat confirme là encore l'interprétation restrictive de cette notion de personne intéressée retenue par la CADA. Ne peut être regardée comme telle qu'une personne concernée directement et personnellement par les informations contenues dans le document administratif, à raison du contenu de ce document ou de son utilisation (8).
Au-delà de ces multiples aspects, cette décision illustre une nouvelle fois la relativité du droit d'accès aux documents administratifs qui n'est ni général, ni absolu. Dans son étude sur "le mythe de la transparence administrative", le professeur Jacques Chevallier faisait ce constat, lucide, que "l'image d'une administration dialoguant avec les administrés sur un pied d'égalité, travaillant sous le regard du public et en phase avec la société est une image idéalisée, idyllique, une image d'Epinal... L'idée d'une transparence administrative complète n'est qu'un rêve, un mirage, dont la matérialisation est irrémédiablement vouée à l'échec" (9).
(1) Cité par J. Thyraud, avis n° 378, présenté sur le projet de loi portant diverses mesures d'amélioration des relations entre l'administration et le public, Sénat, annexé au procès-verbal de la séance du 25 mai 1978.
(2) Remplacée depuis lors par la mission "déontologie de la sécurité" du Défenseur des droits.
(3) Recommandation n° 2009-121 du 14 décembre 2009, rendue sur la saisine de M. A. Vezinhet, député de l'Hérault.
(4) Voir par exemple : CADA, avis n° 2006-4070 du 28 septembre 2006 (N° Lexbase : X5578APB), concernant le rapport d'expertise de l'assureur d'une communauté d'agglomération sur lequel celle-ci s'était fondée pour rejeter la demande d'indemnisation d'une société ; voir également : CADA, avis n° 2007-4683 du 6 décembre 2007 (N° Lexbase : X5579APC), à propos du courrier d'un particulier sur la base duquel l'administration avait pris une décision de retrait d'autorisation de travaux.
(5) Voir par exemple : CADA, avis n° 2008-1758 du 6 mai 2008, s'agissant du rapport de l'enquête publique sur un schéma directeur d'assainissement mettant personnellement en cause un responsable associatif, qui n'avait cependant qu'un caractère informatif et qui n'avait servi de fondement à aucune décision prise à l'encontre de l'intéressé.
(6) Le requérant ne pouvant se prévaloir des dispositions de l'article 3, il n'était plus besoin, pour rejeter sa demande, de préciser que les restrictions et exceptions de l'article 6 prévalaient sur l'application de l'article 3.
(7) CADA, avis du 16 février 1996, Hay c/ Société Allones distribution, JCl adm., fasc. 109-10, n° 34.
(8) Voir par exemple : CADA, avis n° 2003-3083 du 24 juillet 2003, à propos de la communication d'un bulletin d'hospitalisation à la personne intéressée.
(9) J. Chevallier, Le mythe de la transparence administrative, in Information et transparence administratives, PUF, 1988, pp. 239-275, cité par R. Denoix de Saint-Marc, La transparence : vertus et limites, in Transparence et secret, colloque pour le 25ème anniversaire de la loi du 17 juillet 1978 sur l'accès aux documents administratifs, La documentation française, août 2004.
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newsid:449297
Réf. : Décret n° 2015-1204 du 29 septembre 2015, relatif à la société de libre partenariat (N° Lexbase : L1109KKB)
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N9269BUT
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Le 08 Octobre 2015
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newsid:449269
Réf. : Cass. civ. 1, 30 septembre 2015, n° 14-19.613, F-P+B (N° Lexbase : A5561NSR)
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N9325BUW
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Le 15 Octobre 2015
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newsid:449325
Réf. : Cass. civ. 1, 10 septembre 2015, n° 14-24.208, F-P+B (N° Lexbase : A9400NNH)
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N9144BU9
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par Jean Bouëssel du Bourg, Docteur en droit, ancien Bâtonnier, Avocat au barreau de Rennes
Le 08 Octobre 2015
La Cour européenne des droits de l'Homme n'a jamais reconnu une immunité absolue aux avocats pour leurs propos tenus au cours des audiences. Mais elle estime que les restrictions doivent rester exceptionnelles comme elle l'a rappelé dans une affaire "Nikula c/ Finlande" (CEDH, 21 mars 2002 Req 31611/96 N° Lexbase : A1016GNX).
Dans cette affaire, une avocate finlandaise avait accusé un procureur de "manipulation" et de "présentation illégale de preuves". Elle avait été condamnée pour diffamation.
Saisie d'une requête, la Cour européenne a rappelé que les propos d'un accusé, adressés à un procureur, doivent bénéficier d'une protection accrue. Elle a rappelé que la défense ne devait pas être influencée par la crainte d'une sanction. Elle souligne que les atteintes à la liberté d'expression d'un avocat dans une société démocratique ne peuvent être tolérées que de manière exceptionnelle et qu'une ingérence dans la liberté d'expression d'un avocat peut porter atteinte à l'article 6 de la Convention eu égard au droit de l'accusé à bénéficier d'un procès équitable. Selon la Cour, le principe de "l'égalité des armes" et, plus généralement, le principe d'un procès équitable militent en faveur d'une argumentation librement et même vigoureusement débattue entre les parties, sans pour autant que cela conduise à une liberté d'expression illimitée de l'avocat.
Dans une autre affaire, concernant cette fois des juges du siège, un avocat avait été condamné à cinq jours de prison pour outrage. L'avocat avait accusé les juges d'échanger entre eux des "ravassakia" (lettres d'amour) au cours du contre interrogatoire qu'il menait pour assurer la défense de son client accusé de meurtre. Il avait provoqué l'indignation des magistrats du siège. La Cour européenne estima que les magistrats qui avaient prononcé la sanction n'avaient pas ménagé un juste équilibre entre la nécessité de garantir l'autorité du pouvoir judiciaire et celle de protéger la liberté d'expression du requérant. Elle estima qu'il y avait eu une violation de l'article 10 de la CESDH (CEDH, 15 décembre 2005, Req. 73797/01 N° Lexbase : A9564DLS).
L'arrêt rendu par la Cour de cassation, le 10 septembre 2015, est donc bien conforme aux principes posés par la CEDH.
Mais l'avocat poursuivi évoquait un second moyen de défense, tiré de l'immunité accordée par l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881. Ce texte dispose que les propos tenus devant les tribunaux ne peuvent donner lieu à aucune action en diffamation, injure ou outrage sauf, toutefois, si les faits diffamatoires sont étrangers à la cause.
Les tribunaux apprécient cette condition de manière plutôt large. Dans une affaire de faux en écriture, un avocat avait fait allusion au fait que la ministre de la Justice ne serait, quant à elle, jamais poursuivie alors qu'elle avait utilisé un faux MBA. Il a été jugé que cette accusation n'était pas totalement étrangère à la cause et que l'avocat devait bénéficier de l'immunité de parole (TC de la Réunion, 3 octobre 2008).
Dans son arrêt du 10 septembre 2015, la Cour de cassation répond que, si l'immunité de l'article 41 protège l'avocat contre des poursuites pénales, elle ne le protège pas contre des poursuites disciplinaires.
Ce principe n'est pas nouveau. Dans un arrêt du 14 octobre 2010 (Cass. civ. 1, 14 octobre 2010, n° 09-16.495, F-D N° Lexbase : A8644GBR), la Cour de cassation avait rappelé que l'immunité de l'article 41 n'était pas applicable aux poursuites disciplinaires. Dans cette affaire, un avocat avait critiqué la manière dont son client avait été interrogé en Syrie sur commission rogatoire internationale.
Dans son mémoire, il avait mis personnellement en cause les magistrats en leur reprochant d'avoir délibérément favorisé l'usage de la torture et de s'être ainsi rendus activement complices des mauvais traitements infligés par les enquêteurs syriens. La Cour avait infligé un blâme à l'avocat qui avait tenu ces propos. La Cour de cassation a validé cette décision en relevant que ces graves accusations étaient aussi inutiles que gratuites.
La décision du 10 septembre 2015 ne fait que reprendre ce principe et elle est parfaitement conforme à la lettre de la loi de 1881.
Il parait légitime de sanctionner les avocats qui manquent gravement à leurs devoirs en tenant des propos déplacés, incorrects, et de surcroît sans rapport avec la procédure.
Les articles 440 (N° Lexbase : L1124INX) et 441 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L1123INW) permettent d'ailleurs au président d'audience de retirer la parole aux parties si la passion ou l'inexpérience les empêche de discuter leur cause avec la décence convenable et ils leur permettent de faire cesser les plaidoiries.
Les avocats ne sont pas au dessus de la loi et méritent, comme tous les citoyens, des sanctions s'ils ne respectent pas les magistrats et la justice.
Ils le méritent d'autant plus qu'ils se sont, par serment, engagés à respecter les principes de dignité, de délicatesse, de modération et de courtoisie (RIN, art. 1 N° Lexbase : L2100IR9).
Mais une fois que l'on a réaffirmé ces principes, on n'a rien dit...car la question est de savoir à partir de quand un avocat mérite d'être sanctionné ? Il n'y a pas de code des infractions disciplinaires et il est impossible d'énumérer tout ce qui est contraire à des principes aussi vagues. Tout est donc confié à l'arbitrage du juge.
Or, qui décide si un avocat a manqué à ses devoirs ? Qui décide, au final, d'interdire ou de radier un avocat ? Ce sont des magistrats, exclusivement des magistrats puisqu'ils sont juges d'appel et ont, par conséquent, le dernier mot.
Cette situation est préoccupante car on voit bien que les appréciations sont différentes selon les juges : tel avocat ne sera pas poursuivi pour avoir fait allusion à un usage de faux du ministre de la Justice, tel autre sera poursuivi pour avoir laissé entendre qu'un lien de parenté avec le Parquet avait pu avoir une influence sur les poursuites !
Si l'on veut garantir l'indépendance des avocats, qui est une garantie de démocratie, il est nécessaire de confier le pouvoir disciplinaire aux avocats ; pas seulement en première instance mais aussi en appel. Les Ordres doivent rester maîtres de leur tableau.
Certes les choses ont évolué favorablement depuis l'affaire "Choucq", puisqu'un avocat ne peut plus être sanctionné immédiatement pour un délit d'audience. Il doit être jugé en première instance, non plus par les juges qu'il a offensé, mais par le conseil régional de discipline (loi n° 82-506 du 15 juin 1982, relative à la procédure applicable en cas de faute professionnelle commise à l'audience par un avocat).
La question est sans doute moins importante en période de paix mais elle est beaucoup plus préoccupante en période de troubles. Les avocats, qui ont eu à intervenir pendant et après la Seconde guerre mondiale, sont bien placés pour en parler.
Elle l'est d'autant plus que les avocats ont perdu le contrôle de leur déontologie qui relève désormais du pouvoir exécutif (décret n° 2005-790 du 12 juillet 2005, relatif aux règles de déontologie de la profession d'avocat N° Lexbase : L6025IGA).
Si les avocats doivent être sanctionnés disciplinairement lorsqu'ils manquent de respect aux magistrats et à la justice, c'est à la condition que leur indépendance soit pleinement garantie.
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newsid:449144
Réf. : Cass. civ. 1, 10 septembre 2015, n° 14-24.208, F-P+B (N° Lexbase : A9400NNH)
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N9144BU9
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par Jean Bouëssel du Bourg, Docteur en droit, ancien Bâtonnier, Avocat au barreau de Rennes
Le 08 Octobre 2015
La Cour européenne des droits de l'Homme n'a jamais reconnu une immunité absolue aux avocats pour leurs propos tenus au cours des audiences. Mais elle estime que les restrictions doivent rester exceptionnelles comme elle l'a rappelé dans une affaire "Nikula c/ Finlande" (CEDH, 21 mars 2002 Req 31611/96 N° Lexbase : A1016GNX).
Dans cette affaire, une avocate finlandaise avait accusé un procureur de "manipulation" et de "présentation illégale de preuves". Elle avait été condamnée pour diffamation.
Saisie d'une requête, la Cour européenne a rappelé que les propos d'un accusé, adressés à un procureur, doivent bénéficier d'une protection accrue. Elle a rappelé que la défense ne devait pas être influencée par la crainte d'une sanction. Elle souligne que les atteintes à la liberté d'expression d'un avocat dans une société démocratique ne peuvent être tolérées que de manière exceptionnelle et qu'une ingérence dans la liberté d'expression d'un avocat peut porter atteinte à l'article 6 de la Convention eu égard au droit de l'accusé à bénéficier d'un procès équitable. Selon la Cour, le principe de "l'égalité des armes" et, plus généralement, le principe d'un procès équitable militent en faveur d'une argumentation librement et même vigoureusement débattue entre les parties, sans pour autant que cela conduise à une liberté d'expression illimitée de l'avocat.
Dans une autre affaire, concernant cette fois des juges du siège, un avocat avait été condamné à cinq jours de prison pour outrage. L'avocat avait accusé les juges d'échanger entre eux des "ravassakia" (lettres d'amour) au cours du contre interrogatoire qu'il menait pour assurer la défense de son client accusé de meurtre. Il avait provoqué l'indignation des magistrats du siège. La Cour européenne estima que les magistrats qui avaient prononcé la sanction n'avaient pas ménagé un juste équilibre entre la nécessité de garantir l'autorité du pouvoir judiciaire et celle de protéger la liberté d'expression du requérant. Elle estima qu'il y avait eu une violation de l'article 10 de la CESDH (CEDH, 15 décembre 2005, Req. 73797/01 N° Lexbase : A9564DLS).
L'arrêt rendu par la Cour de cassation, le 10 septembre 2015, est donc bien conforme aux principes posés par la CEDH.
Mais l'avocat poursuivi évoquait un second moyen de défense, tiré de l'immunité accordée par l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881. Ce texte dispose que les propos tenus devant les tribunaux ne peuvent donner lieu à aucune action en diffamation, injure ou outrage sauf, toutefois, si les faits diffamatoires sont étrangers à la cause.
Les tribunaux apprécient cette condition de manière plutôt large. Dans une affaire de faux en écriture, un avocat avait fait allusion au fait que la ministre de la Justice ne serait, quant à elle, jamais poursuivie alors qu'elle avait utilisé un faux MBA. Il a été jugé que cette accusation n'était pas totalement étrangère à la cause et que l'avocat devait bénéficier de l'immunité de parole (TC de la Réunion, 3 octobre 2008).
Dans son arrêt du 10 septembre 2015, la Cour de cassation répond que, si l'immunité de l'article 41 protège l'avocat contre des poursuites pénales, elle ne le protège pas contre des poursuites disciplinaires.
Ce principe n'est pas nouveau. Dans un arrêt du 14 octobre 2010 (Cass. civ. 1, 14 octobre 2010, n° 09-16.495, F-D N° Lexbase : A8644GBR), la Cour de cassation avait rappelé que l'immunité de l'article 41 n'était pas applicable aux poursuites disciplinaires. Dans cette affaire, un avocat avait critiqué la manière dont son client avait été interrogé en Syrie sur commission rogatoire internationale.
Dans son mémoire, il avait mis personnellement en cause les magistrats en leur reprochant d'avoir délibérément favorisé l'usage de la torture et de s'être ainsi rendus activement complices des mauvais traitements infligés par les enquêteurs syriens. La Cour avait infligé un blâme à l'avocat qui avait tenu ces propos. La Cour de cassation a validé cette décision en relevant que ces graves accusations étaient aussi inutiles que gratuites.
La décision du 10 septembre 2015 ne fait que reprendre ce principe et elle est parfaitement conforme à la lettre de la loi de 1881.
Il parait légitime de sanctionner les avocats qui manquent gravement à leurs devoirs en tenant des propos déplacés, incorrects, et de surcroît sans rapport avec la procédure.
Les articles 440 (N° Lexbase : L1124INX) et 441 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L1123INW) permettent d'ailleurs au président d'audience de retirer la parole aux parties si la passion ou l'inexpérience les empêche de discuter leur cause avec la décence convenable et ils leur permettent de faire cesser les plaidoiries.
Les avocats ne sont pas au dessus de la loi et méritent, comme tous les citoyens, des sanctions s'ils ne respectent pas les magistrats et la justice.
Ils le méritent d'autant plus qu'ils se sont, par serment, engagés à respecter les principes de dignité, de délicatesse, de modération et de courtoisie (RIN, art. 1 N° Lexbase : L2100IR9).
Mais une fois que l'on a réaffirmé ces principes, on n'a rien dit...car la question est de savoir à partir de quand un avocat mérite d'être sanctionné ? Il n'y a pas de code des infractions disciplinaires et il est impossible d'énumérer tout ce qui est contraire à des principes aussi vagues. Tout est donc confié à l'arbitrage du juge.
Or, qui décide si un avocat a manqué à ses devoirs ? Qui décide, au final, d'interdire ou de radier un avocat ? Ce sont des magistrats, exclusivement des magistrats puisqu'ils sont juges d'appel et ont, par conséquent, le dernier mot.
Cette situation est préoccupante car on voit bien que les appréciations sont différentes selon les juges : tel avocat ne sera pas poursuivi pour avoir fait allusion à un usage de faux du ministre de la Justice, tel autre sera poursuivi pour avoir laissé entendre qu'un lien de parenté avec le Parquet avait pu avoir une influence sur les poursuites !
Si l'on veut garantir l'indépendance des avocats, qui est une garantie de démocratie, il est nécessaire de confier le pouvoir disciplinaire aux avocats ; pas seulement en première instance mais aussi en appel. Les Ordres doivent rester maîtres de leur tableau.
Certes les choses ont évolué favorablement depuis l'affaire "Choucq", puisqu'un avocat ne peut plus être sanctionné immédiatement pour un délit d'audience. Il doit être jugé en première instance, non plus par les juges qu'il a offensé, mais par le conseil régional de discipline (loi n° 82-506 du 15 juin 1982, relative à la procédure applicable en cas de faute professionnelle commise à l'audience par un avocat).
La question est sans doute moins importante en période de paix mais elle est beaucoup plus préoccupante en période de troubles. Les avocats, qui ont eu à intervenir pendant et après la Seconde guerre mondiale, sont bien placés pour en parler.
Elle l'est d'autant plus que les avocats ont perdu le contrôle de leur déontologie qui relève désormais du pouvoir exécutif (décret n° 2005-790 du 12 juillet 2005, relatif aux règles de déontologie de la profession d'avocat N° Lexbase : L6025IGA).
Si les avocats doivent être sanctionnés disciplinairement lorsqu'ils manquent de respect aux magistrats et à la justice, c'est à la condition que leur indépendance soit pleinement garantie.
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Réf. : Cons. const., 17 septembre 2015, n° 2015-481 QPC (N° Lexbase : A2348NPN)
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par Franck Laffaille, Professeur de droit public à la Faculté de droit, Université de Paris XIII, CERAP, Sorbonne/Paris/Cité, et Responsable du parcours Fiscalité européenne & internationale, Master 2 Droit européen & international
Le 08 Octobre 2015
I - Proportionnalité
En vertu de l'article 8 de la DDHC, "La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée". Sur le fondement de ce principe, le Conseil constitutionnel opère un contrôle de proportionnalité, entendu que pour apprécier la proportionnalité, il porte son regard et sur le taux et sur l'assiette. Plus exactement, le juge s'assure de l'absence de disproportion manifeste entre l'infraction et la peine encourue. Politique de l'adjectif aurait écrit Bobbio : qualifiez et vous interpréterez. Le contrôle de proportionnalité conduit à censure seulement et seulement si le législateur a manifestement fait un usage disproportionné, abnorme de son pouvoir discrétionnaire. En d'autres termes, il faut que le législateur méconnaisse de manière abusive, anormale les droits des contribuables pour que le juge censure. On ne peut que regretter cette autolimitation du pouvoir du juge, une fois rappelé que le contrôle de proportionnalité est le vecteur permettant aux cours constitutionnelles de protéger les citoyens. Dans le cas présent, l'amende forfaitaire pour défaut de déclaration annuelle d'un compte bancaire ouvert, utilisé ou clos à l'étranger est de 1 500 euros, montant porté à 10 000 euros si le compte est ouvert dans un ETNC. En édictant de telles sanctions, le législateur a poursuivi un objectif (a priori) louable, celui de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales. Eu égard à l'objectif ainsi poursuivi, le juge conclut que les sanctions ("dont la nature est liée à l'infraction") ne sont pas manifestement disproportionnées à la gravité des faits ayant vocation à être réprimer. Le Conseil a apprécié tant le montant des amendes forfaitaires que la nature de la sanction financière.
II - Individualisation
Le principe d'individualisation des peines découle de l'article 8 de la DDHC. Il implique qu'une amende fiscale ne puisse être appliquée que si l'administration l'a expressément prononcée en tant compte des circonstances propres à chaque espèce. Le juge ajoute aussitôt que l'action de l'administration s'opère sous le haut contrôle du juge de la loi. Certes. Mais une telle assertion mérite nuance eu égard à la carence du contrôle de proportionnalité qui ne vise (comme on l'a vu) que de l'absence de disproportion manifeste entre l'infraction et la peine encourue. S'arrêtant sur le principe d'individualisation des peines, le Conseil estime que la loi ("elle-même") a assuré la modulation des peines en fonction de la gravité des comportements réprimés. Pour le Conseil, les amendes forfaitaires "s'inscrivent dans une échelle de sanctions interne à l'article 1736 du CGI" (1). En effet, il existe deux montants forfaitaires distincts en fonction du lieu où le compte a été ouvert, selon que l'Etat ou le territoire concerné a (ou non) conclu une convention d'assistance administrative aux fins de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales via l'accès aux renseignements bancaires. Pour chaque sanction prononcée, le juge fiscal peut : soit maintenir l'amende, soit en dispenser le contribuable si celui-ci n'a pas fauté en ses obligations déclaratives. Certes, le plein contrôle du juge ordinaire porte seulement sur "une alternative de maintien de l'amende ou de dispense de celle-ci" (2). Mais point de censure selon le Conseil dans la mesure où le manquement sanctionné par la loi est une "simple formalité objective, de déclaration de l'existence d'un compte bancaire à l'étranger" (3). Dès lors que le juge fiscal, celui-là même qui opère un plein contrôle sur les faits et la qualification retenue par l'administration, "peut proportionner les pénalités selon la gravité des agissements commis par les contribuables", les dispositions législatives déférées ne portent pas atteinte au principe d'individualisation des peines.
III - OVC : lutte contre la fraude et l'évasion fiscales
Décision faiblement argumentée, voire non argumentée a-t-on dit. Dans le considérant 5, le Conseil, après avoir souligné l'importance de son contrôle aux fins de garantir les droits et libertés constitutionnels, s'empresse d'ajouter qu'il ne saurait empiéter sur l'action du législateur. Ainsi, le Conseil "ne saurait interdire au législateur de fixer des règles assurant une répression effective de la méconnaissance des obligations fiscales". Que dire devant un tel truisme ? Qu'il sert de fondement argumentatif principal à la décision ? C'est bien là que le bât blesse. La décision n'est pas articulée, elle est posée, tel un postulat évidant toute justification. On apprend ainsi que le législateur, par le truchement d'une sanction ayant le caractère d'une punition, a voulu faciliter l'accès de l'administration fiscale aux informations bancaires et prévenir la dissimulation de revenus à l'étranger. Il n'est guère surprenant que le Conseil ait ensuite recours à une grande, belle et englobante notion pour motiver (sic) sa décision : un objectif de valeur constitutionnelle, la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales. Que répondre au juge si ce n'est que frauder est mal et que le législateur a vocation à réprimer les contribuables violant le droit positif. Le problème est la protection carentielle des mêmes justiciables par le Conseil constitutionnel en raison de l'immense marge d'appréciation qu'il laisse au législateur ; le problème est la protection carentielle des mêmes justiciables par le Conseil constitutionnel en raison de la motivation générique justifiant cette immense marge d'appréciation.
IV - Egalité
Dans le I, il a été vu que les sanctions ("dont la nature est liée à l'infraction") ne sont pas manifestement disproportionnées. La phrase mérite ici d'être complétée car le juge écrit précisément : les "sanctions dont la nature est liée à l'infraction et [...] même par le cumul d'amendes qu'elles permettent, ne sont pas manifestement disproportionnées". Par ce "même par le cumul d'amendes qu'elles permettent", le juge évoque, de manière rapide, un cumul d'amendes potentiellement problématique. N'était-il pas loisible d'invoquer la méconnaissance du principe d'égalité devant la loi répressive ? Car l'absence de déclaration d'un compte bancaire en terre étrangère est visée, de manière répressive, et par le CGI et par le Code monétaire et financier (CMF). Ce dernier prévoit, en son article L. 152-2 (N° Lexbase : L9846DYC), que "Les personnes physiques, les associations, les sociétés n'ayant pas la forme commerciale, domiciliées ou établies en France, sont soumises aux dispositions du deuxième alinéa de l'article 1649 A du CGI". Et en vertu de l'article L. 152-5 du CMF (N° Lexbase : L3521AP4), le non-respect des dispositions de l'article L. 152-2 du CMF est puni d'une amende de 750 euros en cas de non déclaration d'un compte. Nous somme ainsi en présence d'un mimétisme délictuel (des délits définis de manière identique) et/mais d'une césure "sanctionnatrice" (des amendes différentes). La différence de traitement ainsi posée ne méritait-elle pas censure ? Dans une décision du 28 juin 2013 (Cons. const., 28 juin 2013, n° 2013-328 QPC N° Lexbase : A7733KHU), le Conseil a, en présence d'incriminations définies identiquement mais connaissant des sanctions différentes, censuré la différence de traitement alors instituée. Sur le fondement du principe d'égalité, les sanctions les plus sévères avaient été jugées contraires à la Constitution. Dans notre QPC, le juge ne pouvait-il pas (ne devait-il pas) censurer les dispositions du CGI (en son article 1736), dispositions plus sévères que celles du CMF ? Il est encore loisible de mentionner une décision du 18 mars 2015 (Cons. const., 18 mars 2015, décision n° 2014-453/454 QPC et 2015-462 QPC N° Lexbase : A7983NDZ), portant sur les questions de cumul des poursuites pour délits d'initiés et des poursuites pour manquement d'initié, au soutien d'une telle argumentation (4).
Du législateur et du juge pour conclure.
Quant au législateur, il faut avoir souvenance du contexte dans lequel le CGI a été modifié, une affaire concernant une grande banque internationale. L'article 52 de la loi n° 2008-1443 du 30 décembre 2008 de finances rectificative pour 2008, a relevé le montant de l'amende, objet de la présente saisine. Or, le "texte miroir" du CMF n'a pas été (lui) modifié. La précipitation de Bercy et de ses relais législatifs a ainsi conduit à cette regrettable césure normative CGI/CMF. Quant au juge, il n'a pas souhaité censurer la disposition déférée. Si l'on doit respecter sa souveraine appréciation, l'absence d'argumentations substantielles dans la décision du Conseil mérite encore et toujours critique. Pendant combien de temps encore l'habituelle "formule magique", l'article 61-1 de la Constitution (N° Lexbase : L5160IBQ) ne lui conférant pas un pouvoir général d'appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement, va-t-elle servir de pauvre masque herméneutique ? Il ne s'agit pas de dire que le Conseil a tort ou s'est trompé. Pour affirmer cela, encore faudrait-il qu'il rende des décisions dignes d'une Cour suprême. Tout est question de motivation(s), enfin d'absence de motivation(s) dans le cas présent.
(1) Commentaire de la décision sur le site du Conseil constitutionnel.
(2) Commentaire de la décision sur le site du Conseil constitutionnel, supra.
(3) Commentaire de la décision sur le site du Conseil constitutionnel, supra.
(4) Sanctions fiscales des comptes bancaires étrangers clandestins : le juge constitutionnel au milieu du gué ?, C. Prats, dalloz-actualité.fr.
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Réf. : CA Douai, 24 septembre 2015 n° 13/07143 (N° Lexbase : A7350NPW)
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par Christine Lebel, Maître de conférences HDR (CRJFC, EA 3225), UFR SJEPG (Université de Franche-Comté)
Le 08 Octobre 2015
I - Les modalités de la contestation de créance par le mandataire de justice
A la lecture des nombreuses décisions rendues tant par les juridictions du fond que par la Cour de cassation, force est de constater que le contentieux relatif à l'admission des créances est important. Toutefois, prenant acte de cette donnée, le législateur a opéré certaines modifications, tout spécialement à propos de la compétence matérielle du juge-commissaire. Cependant deux phases de la procédure d'établissement du passif d'un débiteur sous procédure collective se déroulent en amont de l'intervention du juge-commissaire : la déclaration de créance par les créanciers et la vérification du passif sous la direction du mandataire judiciaire. En l'espèce, le débat était centré sur la discussion de la créance par le mandataire, ou plus exactement sur la contestation de celle-ci.
Selon les articles L. 622-27 (N° Lexbase : L7291IZ3) et R. 624-1 (N° Lexbase : L6267I3I) du Code de commerce, s'il y a discussion sur tout ou partie d'une créance, le mandataire en avise le créancier en l'invitant à faire connaître ses explications par lettre recommandée avec demande d'avis de réception dans un délai de trente jours à compter de celle-ci. Elle doit préciser l'objet de la discussion et indiquer le montant de la créance dont l'inscription est proposée. Le défaut de réponse dans ce délai de trente jours interdit au créancier toute contestation ultérieure de la proposition du mandataire.
En l'espèce, le mandataire avait contesté le montant du prêt déclaré par courrier du 17 avril 2013. Le mandataire proposait une admission pour une somme moindre. Le créancier avait répondu par courrier du 30 avril 2013. Ainsi, le mandataire n'avait pas critiqué le caractère privilégié ou chirographaire de la créance déclarée, mais seulement le montant indiqué dans la déclaration de créance effectuée par la banque. La contestation porte effectivement sur le montant de la créance existant au jour de l'ouverture de la procédure collective (2), objet de la discussion, conformément à l'article L. 622-27 précité, et non sur la régularité de la déclaration de créance (3). En outre, la lettre du mandataire doit mentionner la proposition d'admission de la créance contestée (4). Tel était bien le cas. Le "dossier" aurait dû être considéré comme clos ; le créancier, ayant répondu dans le délai de trente jours, ne pouvait être considéré comme s'étant lui-même exclu du débat sur le sort de sa créance.
Or, le mandataire a adressé une seconde lettre de contestation au créancier, le 29 juillet 2013, soit environ trois mois après la première, lettre dans laquelle il ne proposait pas un montant moindre de la créance de prêt, mais par laquelle il contestait la validité de l'acte de prêt et invoquait sa nullité, ainsi que la mise en cause de la responsabilité de la banque. Celle-ci n'a pas répondu. Devant le juge-commissaire, le mandataire de justice a maintenu la proposition de sa seconde contestation, alors que la première avait été acceptée par le créancier. Pour cette raison, créancier et mandataire ont été convoqués devant le juge-commissaire. Par ordonnance critiquée du 15 novembre 2013, le juge-commissaire a retenu le montant qui, lors de la première contestation, avait été acceptée par le créancier. Par la suite, le mandataire critique le juge-commissaire au motif que n'ayant pas répondu dans le délai de trente jours de la seconde contestation, le créancier est exclu des débats. La cour d'appel rejette cette argumentation, au motif que le créancier a répondu dans le délai de l'article L. 622-27 du Code de commerce.
Cette décision, sous réserve de la confirmation de la solution proposée, permet de considérer que l'exclusion des débats du créancier ne peut intervenir qu'en raison de son silence à la première contestation adressée par le mandataire. Le défaut de réponse aux contestations éventuelles postérieures serait alors sans effet, ou plus exactement, justifierait la convocation du créancier et du mandataire devant le juge-commissaire afin de trancher la contestation, qui en l'occurrence serait véritablement sérieuse, sous réserve des limites de la compétence matérielle du juge-commissaire.
II - La compétence matérielle du juge-commissaire en l'absence de contestation sérieuse
L'article L. 624-2 du Code de commerce précise les contours de la compétence matérielle du juge-commissaire. Ainsi, ce dernier décide de l'admission ou du rejet des créances déclarées ou constate soit qu'une instance est en cours, soit que la contestation ne relève pas de sa compétence. Afin de diminuer l'importance du contentieux en la matière, le législateur a précisé dans la nouvelle rédaction de l'article L. 624-2 précité, qu'en l'absence de contestation sérieuse, le juge-commissaire a également compétence, dans les limites de la compétence matérielle de la juridiction qui l'a désigné, pour statuer sur tout moyen opposé à sa demande d'admission.
En effet, jusqu'alors, la jurisprudence avait des difficultés à résoudre de façon satisfaisante le défaut de pouvoir juridictionnel du juge-commissaire, car il devait surseoir à statuer sur l'admission de la créance et inviter les parties à saisir le juge compétent. En outre, aucun délai n'était précisé pour saisir ce dernier. La Cour de cassation avait refusé au juge-commissaire de pouvoir statuer sur une demande reconventionnelle (5). Désormais, la nouvelle rédaction de l'article R. 624-5 du Code de commerce (N° Lexbase : L6270I3M) précise que le créancier ou le mandataire doit, sous peine de forclusion, saisir le juge compétent, dans un délai d'un mois pour faire trancher le conflit afin de fixer le sort de la créance litigieuse.
En l'espèce, et comme le précise à juste titre la cour d'appel, il n'appartient pas au juge de se prononcer sur la validité d'un contrat conclu avec le créancier, sur l'éventuelle faute commise par ce dernier et susceptible de donner droit à l'allocation de dommages-intérêts, ou sur la validité d'un nantissement consenti par un tiers à la procédure collective. Le mandataire de justice invoquait la nullité du contrat de prêt et subsidiairement la responsabilité délictuelle de la banque dans l'octroi du crédit au débiteur. Par conséquent, cette contestation n'étant pas de la compétence matérielle du juge-commissaire, le mandataire devant, alors, dans un délai d'un mois, saisir le juge compétent, ce qu'il n'a pas fait.
En outre, et dans l'hypothèse où le juge compétent avait été valablement saisi, il est de la compétence du juge-commissaire de rechercher si la contestation élevée par le débiteur et le mandataire est susceptible d'impliquer le rejet de la créance déclarée. Or, le litige portait sur un contrat de prêt. Les fonds avaient été remis au débiteur pour un montant de 750 000 euros. Par un raisonnement particulièrement logique, la cour d'appel considère que, si la nullité du prêt était prononcée, le débiteur devrait restituer les sommes versées, ce qui justifie la créance déclarée par la banque. Elle ne le serait pas au titre du remboursement du prêt mais des conséquences de la nullité qui pourrait être prononcée.
Au final, contestation sur contestation ne vaut pour le mandataire, comme argument pour exclure le créancier du débat judiciaire sur le montant de sa créance. En outre, les praticiens devront être particulièrement vigilants car la nouvelle rédaction de l'article R. 624-5 du Code de commerce ne leur laisse qu'un délai d'un mois pour saisie le juge compétent dès lors que la contestation se situe en dehors de la compétence naturelle du juge-commissaire !
(1) Compétence du juge-commissaire pour statuer sur tout moyen opposé à la demande d'admission, en l'absence de contestation sérieuse, Lexbase Hebdo n° 438 du 1er octobre 2015 - édition affaires (N° Lexbase : N9235BUI)
(2) Cass. com., 13 mai 2014, n° 13-14.357, F-P+B (N° Lexbase : A5712ML7), Bull civ. IV n° 87, E. Le Corre-Broly, in Chronique de droit des entreprises en difficulté - Juin 2014 (1er comm.), Lexbase Hebdo n° 385 du 12 juin 2014 - édition affaires (N° Lexbase : N2666BUB) ; D., 2014, p. 1148, obs. A. Lienhard ; JCP éd. E, 2014, 1447, n° 5 obs. Ph. Pétel ; Act. proc. coll., 2014, comm. 185, obs. P. Cagnoli ; Gaz. Pal. 5-6 octobre 2014, p. 38, obs. P.-M. Le Corre.
(3) En ce sens, J. Vallansan in J. Cl. Com. Fasc 2312, Déclaration et admission des créances, qui distingue entre la contestation de la régularité de la créance et la contestation sur le montant ou la qualité de la créance déclarée.
(4) Cass. com., 27 novembre 2012, n° 11-23.773, F-D (N° Lexbase : A8623IXN), Bull. Joly Entrp. Diff., 2013, p. 95, note E. Le Corre-Broly.
(5) Cass. com., 28 janvier 2014, n° 12-35.048 (N° Lexbase : A4383DMP), Bull. civ. IV n° 24 ; D., 2014, p. 368, obs. A. Lienhard ; JCP éd. E, 2014, 1174, n° 6, obs. Ph. Pétel ; E. Le Corre-Broly in Chronique de droit des entreprises en difficulté - Février 2014 (2nd. comm.), Lexbase Hebdo n° 370 du 20 février 2014 - édition affaires (N° Lexbase : N0818BUT)
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Le 08 Octobre 2015
(1) D. Vidal et G. C. Giorgini, Cours de droit des entreprises en difficulté, Gualino, collection Amphi LMD, éd. 2015-2016, 624 pages, 39,50 euros
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Réf. : CE 9° et 10° s-s-r., 1er octobre 2015, n° 365765, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A5698NST)
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Le 15 Octobre 2015
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Réf. : CE 1° et 6° s-s-r., 1er octobre 2015, n° 372030, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A5706NS7)
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Le 09 Octobre 2015
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Réf. : Cass. civ. 1, 30 septembre 2015, n° 14-25.709, F-P+B (N° Lexbase : A5588NSR)
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Le 09 Octobre 2015
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Réf. : Cass. QPC, 16 septembre 2015, n° 15-40.027, FS-P+B (N° Lexbase : A3978NPZ)
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par Daniel Boulmier, Maître de conférences en droit privé à l'Université de Lorraine - Institut régional du travail
Le 09 Octobre 2015
Résumé
Est renvoyée au Conseil constitutionnel, la QPC mettant en cause la constitutionnalité des dispositions de l'article L. 4614-13 du Code du travail et l'interprétation jurisprudentielle constante y afférente en ce qu'elles seraient contraires aux principes constitutionnels de liberté d'entreprendre et/ou de droit à un procès équitable lorsqu'elles imposent à l'employeur de prendre en charge les honoraires d'expertise du CHSCT, notamment au titre d'un risque grave, alors même que la décision de recours à l'expert a été judiciairement (et définitivement) annulée. |
I - L'affaire pendante devant l'Assemblée plénière
Un CHSCT ordonne une expertise sur un projet important, modifiant les conditions de travail, présenté par l'employeur le 18 décembre 2008, en application de l'article L. 4614-12, 2° du Code du travail (N° Lexbase : L5577KGN). L'expertise est alors enfermée dans le délai de l'article R. 4614-18, al. 1 précité (N° Lexbase : L2405IXD). Le TGI, saisi par l'employeur, ayant rejetté la contestation sur le bien fondé de cette expertise le 17 février 2009, l'employeur relève appel de cette décision. L'expert remet son rapport le 30 juin 2009, la veille du jour où la cour d'appel infirme la décision du TGI en annulant la délibération du CHSCT, le 1er juillet 2009. L'employeur, refusant de supporter les frais de l'expertise qui n'avait donc pas lieu d'être, un second contentieux est ouvert par l'expert en paiement de ses honoraires ; mais celui-ci est débouté, tant en première instance, qu'en appel.
Le pourvoi de l'expert est couronné de succès par un arrêt du 15 mai 2013 (9). Au visa de l'article L. 4614-13 du Code du travail, la Cour de cassation censure la solution adoptée par la cour d'appel en ces termes : "Qu'en statuant ainsi, alors d'une part, que tenu de respecter un délai qui court de sa désignation, pour exécuter la mesure d'expertise, l'expert ne manque pas à ses obligations en accomplissant sa mission avant que la cour d'appel se soit prononcée sur le recours formé contre une décision rejetant une demande d'annulation du recours à un expert, et alors, d'autre part, que l'expert ne dispose d'aucune possibilité effective de recouvrement de ses honoraires contre le comité qui l'a désigné, faute de budget pouvant permettre cette prise en charge, la cour d'appel a violé le texte susvisé".
Par une décision du 23 janvier 2014, la cour d'appel de Bourges, cour de renvoi, a résisté à la Cour de cassation par cette motivation : "Attendu que dans ces circonstances il appartenait à la société appelante d'attendre l'issue de la procédure de contestation de la délibération du CHSCT de la société Michelin, site de Joué les Tours, en date du 20 novembre 2008 avant d'effectuer son expertise car elle n'était tenue à aucun délai, ce qui est corroboré par le fait qu'elle n'a pas réalisé son expertise ni dans le délai d'un mois, ni dans celui de 45 jours ; que son attention avait été attirée à plusieurs reprises par la société Michelin sur le fait qu'en cas d'annulation de cette délibération elle ne serait pas réglée de ses prestations ; que dès lors rien ne justifie la condamnation de la société Michelin sur le fondement de l'article L. 4614-13 du Code du travail à s'acquitter des frais de l'expertise réalisée par la SAS ISAST ; qu'en conséquence la décision déférée du 28 décembre 2010 sera confirmée" (10). S'opposant donc à l'analyse de la Cour de cassation, la cour d'appel de renvoi considère, tout comme la première cour d'appel, que l'employeur n'a pas à supporter la charge d'une expertise dont la délibération l'ayant décidée, a été annulée. L'on est alors dans l'attente de la décision de la Cour de cassation à nouveau saisie.
II - L'affaire, objet de la QPC commentée
Un CHSCT délibère sur la désignation d'un expert le 23 mars 2012 pour une mission, sur le fondement du 1° de l'article L. 4614-12 du Code du travail, relatif à l'existence d'un risque grave, expertise enfermée dans aucun délai. Le président du TGI, saisi par l'employeur, valide la délibération du CHSCT le 22 juin 2012, mais la cour d'appel de Versailles infirme cette décision et annule la délibération le 27 mars 2013. Faute de pourvoi, la décision est définitive.
L'expert procède à l'expertise en novembre 2012, alors que l'affaire est pendante devant la cour d'appel. Le rapport d'expertise intervient le 15 juin 2013 soit plus de 2 mois et demi après l'arrêt d'appel ayant annulé l'expertise. L'employeur refuse de supporter les frais d'expertise au motif que la cour d'appel de Versailles a annulé la délibération mandatant l'expert ; ce dernier assigne l'employeur devant le TGI en paiement de ses honoraires mais, débouté de ses demandes, il relève appel de la décision.
Devant le TGI l'employeur avait soulevé une QPC que le juge n'avait pas transmise ; cette QPC, réitérée en cause d'appel, a plus de succès puisque, par une décision du 18 juin 2015 (11), les juges décident de la transmettre à la Chambre sociale de la Cour de cassation. La QPC est ainsi formulée : Les dispositions de l'article L. 4614-13 du Code du travail et l'interprétation jurisprudentielle constante y afférente sont-elles contraires aux principes constitutionnels de liberté d'entreprendre et/ou de droit à un procès équitable lorsqu'elles imposent à l'employeur de prendre en charge les honoraires d'expertise du CHSCT notamment au titre d'un risque grave, alors même que la décision de recours à l'expert a été judiciairement (et définitivement) annulée ?".
La Cour de cassation décide à son tour de transmettre cette QPC au Conseil constitutionnel (12), par la motivation suivante : "la question posée présente un caractère sérieux en ce que l'absence de budget propre du CHSCT, qui a pour conséquence que les frais de l'expertise sont à la charge de l'employeur, y compris lorsque ce dernier obtient l'annulation de la délibération ayant décidé de recourir à l'expertise après que l'expert désigné a accompli sa mission, est susceptible de priver d'effet utile le recours de l'employeur".
De la QPC et de la motivation de son renvoi, ressort la difficulté à laquelle sont confrontés, tant l'employeur que l'expert qui a réalisé l'expertise, lorsque la délibération du CHSCT est annulée ; le premier ne veut pas supporter le coût d'une expertise injustifiée, sauf à priver d'effet la décision rendue en sa faveur, le second, qui n'était pas privé du droit d'expertise, souhaite être rémunéré de son travail.
La motivation de la Cour de cassation peut laisser comprendre que si le CHSCT avait un budget propre, l'expertise, réalisée avant l'annulation de la délibération du CHSCT, devrait être imputée sur ce budget ; la décision donnant gain de cause à l'employeur emporterait alors plein effet. Une telle perspective n'est certainement pas sans critique car si l'article L. 4614-13, précité place expressément l'employeur comme débiteur de l'expert, il ne dit nullement qu'en cas d'annulation de la délibération, le CHSCT en deviendrait automatiquement le débiteur. Il faut alors examiner les aménagements qui pourraient être mis en oeuvre pour l'expertise CHSCT, afin d'atténuer les effets d'une annulation après réalisation.
III - Les aménagements envisageables
Dès lors que la cour d'appel annule la délibération du CHSCT, le rapport de l'expert, qui a été remis entre temps, ne peut plus avoir d'effet utile, mais l'expert a néanmoins réalisé l'expertise. Il est alors avancé que le fait de contraindre l'employeur d'en supporter les coûts serait une atteinte au droit au recours. En fait, l'employeur n'a pas été privé de son droit au recours, mais il est privé des effets de la décision découlant de son recours. En l'état des textes applicables, on ne peut pénaliser l'expert qui a agi sur le fondement d'une délibération juridiquement opposable. On ne peut davantage priver le CHSCT du droit à solliciter une expertise lorsque la santé et la sécurité des salariés sont en question.
Des aménagements aux règles portant sur l'expertise CHSCT peuvent être proposés pour atténuer les conséquences, pour l'employeur, de l'annulation d'une délibération du CHSCT, tout en prenant en compte l'intérêt des salariés, lorsque leur santé et leur sécurité sont directement en péril.
Les délais impartis à l'expert. La réalisation de l'expertise est enfermée dans un délai (1 mois à 45 jours) uniquement lorsqu'il s'agit d'analyser un projet important modifiant les conditions de travail. Ce délai vise à ne pas retarder, de manière dilatoire, la mise en oeuvre du projet de l'employeur. Si, fort étonnamment, la circulaire du 25 mars 1993 (Circ. min., n° 93-15, du 25 mars 1993, II.1 ; mise en place des CHSCT N° Lexbase : L3031AI4) précise que le délai court à compter de la délibération du CHST, un TGI a décidé, avec plus de réalisme, que ce délai court du jour où l'expert a été en mesure d'accomplir sa mission (13).
Ne serait-il pas souhaitable, également, de prévoir un délai pour les expertises fondées sur un risque grave, l'intérêt pour le collectif des travailleurs étant que le risque grave soit analysé au plus tôt ? Ce délai pourrait être prorogé sous le contrôle du juge.
Délai de recours de l'employeur. Si l'employeur peut exercer un recours contre la délibération du CHSCT, ce recours n'est encadré par aucun délai d'action et, parfois, l'employeur en joue avec malignité. C'est le cas de cette affaire dans laquelle la SNCF refusait de communiquer à l'expert des éléments, au motif qu'elle contestait ce recours à expertise sur un projet modifiant les conditions de travail, sans avoir encore, à l'échéance du délai maximum imparti à l'expert pour rendre son rapport, saisi le juge de la contestation. Sur action du CHSCT, le TGI a constaté un trouble manifestement illicite et condamné l'employeur, en précisant qu'en l'absence d'un délai pour engager l'action, il "doit cependant être admis que la contestation doit être formée dans un délai raisonnable" (14). Dans d'autres affaires, les juges du fond ont rejeté les actions de l'employeur en contestation de la délibération du CHSCT décidant d'une expertise, dès lors qu'elles avaient été introduites en dehors de tout délai raisonnable (15).
La contestation, par l'employeur, d'une délibération du CHSCT décidant d'une expertise, devrait intervenir rapidement. A l'instar de certains délais courts déjà applicables ici ou là, cette contestation pourrait être enfermée dans un délai de 15 jours (16). Passé ce délai, la contestation serait irrecevable.
Effet du recours devant le TGI et de la décision rendue. Selon les textes applicables, le recours de l'employeur ne suspend pas la délibération du CHSCT, délibération qui continue à s'imposer à lui ; l'expert peut donc exécuter sa mission, dès lors qu'il dispose des informations nécessaires. Par ailleurs, le TGI statue en la forme des référés selon les règles de l'article 492-1 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L0329IRM) ; dans son 3°, cet article précise que l'ordonnance est exécutoire de plein droit, à moins que le juge en décide autrement ; il ne peut, alors, davantage être reproché à l'expert de poursuivre sa mission lorsque le TGI valide la délibération du CHSCT sans en suspendre l'exécution, et que l'affaire se retrouve pendante devant la cour d'appel.
Ne faudrait-il pas alors distinguer entre les deux catégories d'expertise ?
Lorsque le CHSCT est saisi d'un projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail, il n'y a aucun effet sur les salariés, tant que le projet reste un projet ; il n'y aurait donc aucun dommage, ni pour les droits de la représentation du personnel, ni pour la protection des salariés, de différer l'action de l'expert à l'échéance du délai de recours. Par ailleurs, la saisine du TGI par l'employeur pourrait entraîner la suspension de l'expertise jusqu'à l'issue de la procédure ; l'employeur prendrait, ainsi, le risque de retarder la mise en oeuvre de l'expertise, et par là même de son projet, tout en étant assuré de supporter le coût des seules expertises résultant d'une délibération judiciairement validée (17).
Lorsque le CHSCT décide d'une expertise en raison de l'existence d'un risque grave, le recours de l'employeur ne doit pas suspendre l'expertise, dès lors que la santé et la sécurité des salariés sont présumées être en danger. Le risque de voir l'employeur supporter la charge d'une expertise réalisée subsisterait si la délibération qui l'a décidée était par la suite annulée ; dans cette hypothèse, il nous semble que seule pourrait échapper à la prise en charge de l'employeur, la partie des honoraires correspondant à la prestation réalisée par l'expert après notification de l'ordonnance du TGI ayant annulé la délibération du CHSCT (18) ou après notification de l'annulation décidée par la cour d'appel.
Quid d'un budget attribué au CHSCT ? L'attribution d'un budget au CHSCT est depuis longtemps en débat, sauf qu'attribuer un budget aux fins spécifiques de financer des expertises serait, selon-nous, la plus dommageable des solutions. En effet, sur un exercice donné, les recours à l'expertise sont fonction des projets importants présentés par l'employeur et liés aux risques graves dont le CHSCT peut avoir connaissance. Envisager un budget pour expertises, qui serait nécessairement limité, reviendrait à paralyser le CHSCT une fois le budget épuisé, alors même que les expertises seraient toutes justifiées. A la limite, un éventuel budget qui serait attribué au CHSCT pour son fonctionnement, ne devrait être mis à contribution en cas d'annulation d'une délibération décidant d'une expertise réalisée, qu'en cas d'abus du CHSCT (19), et non lorsque l'annulation serait seulement consécutive à une mauvaise appréciation de la situation (20).
En conclusion. Il nous semble que les aménagements ici proposés pour l'expertise CHSCT, atténueraient notablement les critiques objet de la QPC. La critique disparaîtrait pour l'expertise visant un projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail, puisque le contentieux ouvert par l'employeur aurait pour seule conséquence de retarder le délai de mise en oeuvre du projet, sans risque de supporter la charge d'une expertise jugée finalement injustifiée. Pour l'expertise portant sur un risque grave, il est illusoire de vouloir régler complètement la difficulté soulevée par la QPC, sauf à s'exposer, en suspendant l'expertise jusqu'à la décision judiciaire, à la réalisation du risque grave.
Compte tenu des larges pouvoirs de l'employeur, comparés aux droits restreints et contraints du CHSCT pour les missions de protection qui lui incombent, la prise en charge par l'employeur, dans des cas nécessairement fort limités, d'une expertise pour risque grave dont la délibération serait annulée, n'apparaît pas alors comme manifestement déséquilibrée au regard de son droit au recours.
Nul doute que, dans sa décision, le Conseil constitutionnel restera attaché au droit au recours qu'il tire de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 (N° Lexbase : L1363A9D) (21), mais une modulation de ce droit est vivement souhaitable pour préserver la libre action du CHSCT dans son rôle de protection de la santé et de la sécurité des salariés (22).
(1) La délibération appartient aux seuls élus du CHSCT, le président ne peut y participer, Cass. soc., 26 juin 2013, n° 12-14.788, FS-P+B (N° Lexbase : A2983KIC) ; Bull. civ. V, n° 171, Dr. soc., 2013, p. 866, obs. D. Boulmier.
(2) C. trav., art. L. 4614-12, 1° (N° Lexbase : L5577KGN).
(3) C. trav., art. L. 4614-12, 2°.
(4) C. trav., art. R. 4614-18, al. 1 (N° Lexbase : L2405IXD).
(5) C. trav., art. L. 4614-13, al. 1 (N° Lexbase : L0722IXZ).
(6) C. trav., art. L. 4614-13, al. 2.
(7) C. trav., art. R. 4614-20 (N° Lexbase : L8921H9B). Sur la procédure en la forme des référés, v. C. pr. civ., art. 492-1 (N° Lexbase : L0329IRM).
(8) Cass. QPC, 16 septembre 2015, n° 15-40.027, FS-P+B (N° Lexbase : A3978NPZ).
(9) Cass. soc., 15 mai 2013, n° 11-24.218, FS-P+B (N° Lexbase : A4989KD7) ; Bull. civ. V, n° 125 ; Dr. ouvr., 2013, p. 663, note K. Hamoudi ; JCP éd. S, 2013, 1324, note J.-B. Cottin ; JCP éd. E, 2014, 1354, note L. Dauxerre.
(10) CA Bourges, 23 janvier 2014, n° 13/01009 (N° Lexbase : A7823MCQ) ; JCP éd. S, 2014, 1221, note J.-B. Cottin.
(11) Sur cet arrêt de la cour d'appel de Versailles du 18 juin 2015, n° 15/00001 (N° Lexbase : A4428NLL) ; v. O. Dutheillet de Lamothe, Les frais d'expertise du CHSCT en cas d'annulation, SSL, 7 septembre 2015, n° 1688, p. 12.
(12) Pour d'autres options qui s'offraient à la Cour de cassation, v. O. Dutheillet de Lamothe, préc., in fine.
(13) TGI Bobigny, 5 janvier 2011 ; Dr. ouvr., 2011, p. 613, note X. Médeau.
(14) TGI Clermont-Ferrand, 9 février 2011, n° 11/00122 (N° Lexbase : A3847GXR) ; SSL, 21 février 2011, n° 1480, p. 15.
(15) TGI Bobigny, préc. (action 8 mois après la délibération) ; TGI Annecy, 9 mai 2011 (action 1 an après la délibération) ; TGI Paris, 20 janvier 2011, n° 10/57994 (N° Lexbase : A5885HMW) (action 6 mois après la délibération) ; sur ces décisions v. Dr. ouvr., 2011, p. 611 s., note X. Médeau.
(16) Par exemple, on rencontre un tel délai pour la contestation des élections professionnelles ou pour la contestation du refus par l'employeur de certains congés spéciaux (création d'entreprise ou congé sabbatique, C. trav., art. L. 3142-97 N° Lexbase : L0708H94 et D. 3142-52 N° Lexbase : L9228H9N).
(17) Sur la prise en charge par l'employeur, dans tous les cas, des frais de justice engagés par le CHSCT, sauf abus, v. infra.
(18) Rappelons que l'ordonnance est exécutoire à titre provisoire, sauf si le juge en décide autrement ; on imagine difficilement un juge annulant la délibération du CHSCT et décidant que son ordonnance n'est pas exécutoire.
(19) En application de la jurisprudence constante de la Chambre sociale de la Cour de cassation selon laquelle l'employeur doit supporter les frais de procédure, dès lors qu'aucun abus du CHSCT n'est établi, tant en cas de contestation de l'expertise par l'employeur (Cass. soc. 12 janvier 1999, n° 97-12.794, N° Lexbase : A4679AGE ; Bull. civ. V, n° 19), qu'en cas de contentieux ouvert par le CHSCT sur des questions de fonctionnement (Cass. soc., 25 juin 2002, n° 00-13.375, FS-P N° Lexbase : A0180AZP, Bull. civ. V, n° 215) ou encore en cas de constitution de partie civile déclarée irrecevable (Cass. soc., 2 décembre 2009, n° 08-18.409, FS-P+B N° Lexbase : A3424EPI ; Bull. civ. V, n° 275).
(20) Depuis la loi n° 2015-994 du 17 août 2015, relative au dialogue social et à l'emploi (N° Lexbase : L2618KG3) qui intègre le CHSCT à la délégation unique du personnel et qui permet dans les entreprises d'au moins 300 salariés de créer, par voie conventionnelle, une instance regroupant les institutions, le risque est grand de voir le budget du CE être sollicité pour les missions du CHSCT, ce que la loi ne prévoit pourtant pas. Sur le regroupement conventionnel des IRP, v. D. Boulmier, Les syndicats, commis de cuisine de la malbouffe sociale. A propos de la négociation conventionnelle sur les IRP, article 14 de la loi n° 2015-994 du 17 août 2015, relative au dialogue sociale et à l'emploi, Dr. soc., novembre 2015, à paraître.
(21) V. Conseil constitutionnel, Tables d'analyses du 4 octobre 1958 au 1er juillet 2015, p. 505 s.. V. aussi O. Dutheillet de Lamothe, préc., p. 14.
(22) Dans un autre domaine, le juge a trouvé un équilibre entre pouvoirs de l'employeur et protection de la santé et de la sécurité des travailleurs ; par un arrêt du 5 mars 2008, la Chambre sociale de la Cour de cassation a posé une exception au principe selon lequel le juge n'a pas à s'immiscer dans les choix de gestion de l'employeur, en suspendant une décision qui était "de nature à compromettre la santé et la sécurité des travailleurs concernés" (Cass. soc., 5 mars 2008, n° 06-45.888, FS-P+B+R N° Lexbase : A3292D73 ; Bull. civ. V, n° 46, Dr. soc., 2008, p. 605, obs. P. Chaumette ; P.-Y. Verkindt, Santé au travail vs pouvoir de direction. Un retour vers la théorie institutionnelle de l'entreprise ?, Dr. soc., 2008, p. 519).
Décision
Cass. QPC, 16 septembre 2015, n° 15-40.027, FS-P+B (N° Lexbase : A3978NPZ). Renvoi au Conseil constitutionnel (CA Versailles, 18 juin 2015, n° 15/00001 N° Lexbase : A4428NLL). Texte visé : C. trav., art. L. 4614-13 (N° Lexbase : L0722IXZ). Mots-clés : QPC ; honoraires d'expertise du CHSCT ; prise en charge ; annulation de la délibération décidant d'une expertise. Lien base : (N° Lexbase : E3406ETC). |
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par Guillaume Beaussonie, Professeur de droit privé à l'Université Toulouse 1-Capitole (IEJUC, EA 1919) et Jean-Baptiste Thierry, Maître de conférences en droit privé à l'Université de Lorraine, directeur de l'IEJ (IFG, EA 7301)
Le 08 Octobre 2015
La loi n° 2014-535 du 27 mai 2014 (N° Lexbase : L2680I3N), portant transposition de la Directive 2012/13/UE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2012, relative au droit à l'information dans le cadre des procédures pénales (N° Lexbase : L3181ITY), a créé un "socle de droits communs aux suspects" (1). Elle a également modifié l'article 406 du Code de procédure pénale. Il prévoyait jusqu'alors que, devant le tribunal correctionnel, le président ou l'un de ses assesseurs devait constater l'identité du prévenu et donner connaissance de l'acte qui a saisi le tribunal. Il prévoit désormais que cette constatation de l'identité du prévenu s'accompagne d'une information portant sur le droit d'être assisté par un interprète, d'une part, et sur le droit, au cours des débats, de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire, d'autre part.
L'arrêt du 8 juillet 2015 vient préciser le champ d'application de cette obligation d'information ainsi que les conséquences de sa méconnaissance. S'agissant de l'application dans le temps du nouvel article 406 du Code de procédure pénale, la Cour de cassation l'applique immédiatement aux instances en cours. L'audience a eu lieu le 3 juillet 2014 ; la loi du 27 mai 2014 était entrée en vigueur le 2 juin 2014 (2) : l'information relative au droit de se taire aurait donc dû être délivrée. Ensuite, la Cour de cassation précise, une fois encore sans surprise, que cette obligation, prévue pour le tribunal correctionnel, a également vocation à s'appliquer devant la cour d'appel, en application de l'article 512 du Code de procédure pénale.
L'apport principal de la décision réside surtout dans la sanction du non-respect de l'article 406 du Code de procédure pénale, muet sur ce point. La Cour prend, en effet, la peine de préciser que "la méconnaissance de l'obligation d'informer le prévenu du droit de se taire lui fait nécessairement grief". Il n'est donc pas nécessaire au prévenu de rapporter la preuve d'un grief, s'agissant d'une cause de nullité d'ordre public. La précision est bienvenue. Nul doute que l'information du droit d'être assisté par un interprète, également prévue à l'article 406 du Code de procédure pénale, suivra le même régime.
Jean-Baptiste Thierry
II - L'interception de correspondances électroniques
Les téléphones portables qui circulent en détention entraînent régulièrement des réactions des surveillants pénitentiaires et des associations de défense des détenus. Certains détenus sont allés un peu plus loin, jusqu'à détenir du matériel informatique clandestin et l'utiliser pour commettre des infractions, depuis leur lieu de détention.
A la suite d'un renseignement communiqué par le service de la douane judiciaire, un individu, incarcéré, est soupçonné de commettre des fraudes par l'utilisation de cartes bancaires contrefaites. Une information est ouverte le 8 mars 2013. Le 11 mars suivant, le juge d'instruction délivre une commission rogatoire afin qu'il soit procédé à l'interception, l'enregistrement et la transcription des courriers électroniques émis ou reçus sur l'adresse électronique utilisée par le suspect depuis son lieu de détention. Les enquêteurs ont procédé au recueil de tous les courriers électroniques, y compris ceux stockés antérieurement à l'autorisation d'interception. L'individu est par la suite mis en examen et conteste la validité des transcriptions des données antérieures à la date de la commission rogatoire. La chambre de l'instruction rejette la requête en nullité, en retenant que les correspondances électroniques entrent bien dans le champ des articles 100 à 100-5 du Code de procédure pénale et que l'interception pouvait concerner des courriers archivés, reçus avant la commission rogatoire. Elle ajoute que les enquêteurs n'ont pas porté atteinte au respect de la vie privée du mis en examen, car il utilisait frauduleusement ce matériel informatique pour commettre des infractions, depuis son lieu de détention.
Saisie d'un pourvoi en cassation, la Cour a donc dû préciser le sens du mot "interception" et préciser si une telle interception pouvait s'appliquer à des correspondances antérieures à la décision du juge d'instruction.
Au visa des articles 100 à 100-5 du Code de procédure pénale, relatifs aux interceptions de correspondances émises par la voie des télécommunications, la Cour de cassation a annulé l'arrêt de la chambre de l'instruction, en retenant que "n'entrent pas dans les prévisions de ces textes l'appréhension, l'enregistrement et la transcription de correspondances émises ou reçues par la voie des télécommunications antérieurement à la date de la décision écrite d'interception prise par le juge d'instruction, lesquels doivent être réalisés conformément aux dispositions légales relatives aux perquisitions".
L'arrêt commenté apparaît particulièrement intéressant au regard de la définition des correspondances émises par la voie des télécommunications, d'une part, et des modalités de recueil de données électroniques, d'autre part.
L'arrêt considère implicitement que les courriers électroniques sont bien des correspondances émises par la voie des télécommunications. On sait que le dispositif législatif ne se limite pas aux seules écoutes téléphoniques et qu'il englobe, plus largement, les communications électroniques, c'est-à-dire "toute transmission, émission ou réception de signes, signaux, d'écrits, d'images, de sons ou de renseignements de toute nature par fil, optique, radioélectricité ou autres systèmes électromagnétiques" (3). Dès lors, rien n'empêche au juge d'instruction d'ordonner l'interception de courriers électroniques. Mais que faut-il alors entendre par "interception" ? Suppose-t-elle une captation de ces correspondances au moment où elles sont émises ou bien permet-elle une copie de messages électroniques déjà reçus ou envoyés ? L'interception se définit normalement comme "le fait de prendre quelque chose au passage" (4). Il semble donc que la copie de fichiers déjà reçus ne résulte pas d'une interception à proprement parler, aucune donnée n'étant détournée entre le moment de son émission et celui de sa réception. On pourrait penser que "la fugacité et le caractère écrit des courriels se prêtent mal [...] à pareille interprétation" (5), mais il est techniquement tout à fait possible de mettre en place un dispositif man-in-the-middle permettant d'appréhender les messages pendant le temps de leur acheminement, fût-il quasiment instantané.
Etrangement, la Cour de cassation considère implicitement que le recueil des messages reçus résulte bien d'une interception, au sens de l'article 100 du Code de procédure pénale, puisqu'elle ne sanctionne que le recueil des fichiers antérieurs à la décision d'interception du juge d'instruction. La solution est étonnante puisqu'elle a déjà considéré que n'était pas une interception la lecture de messages "parvenus sur la bande d'un récepteur de messagerie unilatérale" (6).
Mais il n'est possible, dans le cadre de l'interception des correspondances, de consulter que les messages reçus postérieurement à cette décision. Voici alors les enquêteurs soumis à une épreuve bien curieuse : autorisés à consulter les messages électroniques d'un individu, ils ne peuvent en aucun cas consulter ceux d'une date antérieure à la décision du juge d'instruction, pourtant visibles depuis n'importe quel service ou logiciel de messagerie...
Mieux, l'arrêt laisse entendre que la consultation des messages électroniques entre dans le champ de deux actes d'instruction différents. La Cour précise en effet que l'appréhension, l'enregistrement et la transcription des correspondances électroniques émises ou reçues avant la décision du juge d'instruction doivent être réalisés conformément aux dispositions légales relatives aux perquisitions (7). Ces correspondances électroniques peuvent par ailleurs faire l'objet d'une décision d'interception dont les conditions sont prévues aux articles 100 et suivants du Code de procédure pénale. Le juge d'instruction a donc le choix : soit privilégier la perquisition, soit privilégier l'interception, étant entendu qu'il devra dans ce cas être attentif à ce que seuls les messages postérieurs à sa décision soient appréhendés. L'intérêt réside dans l'efficacité de l'investigation : la perquisition est connue du suspect qui peut donc adapter son comportement en conséquence, quand l'interception s'effectue à son insu.
Le demandeur au pourvoi faisait également valoir que l'appréhension de correspondances électroniques était attentatoire à sa vie privée et que l'intrusion dans une boîte de messagerie électronique ne faisait pas l'objet d'un encadrement suffisant. La Cour ne répond pas à cet argument, n'envisageant la question que sous l'angle de l'application rétroactive de la décision d'interception du juge d'instruction. Il semble qu'elle considère alors que l'appréhension de messages électroniques est suffisamment protégée par les conditions de la perquisition ou celles de l'interception des correspondances émises par la voie des télécommunications. L'argument était pourtant sérieux au regard des spécificités des messages électroniques qui peuvent, techniquement, soit faire l'objet d'une vraie interception, entrant alors dans le champ des articles 100 et suivants du Code de procédure pénale, soit être lus sur le terminal du suspect, entrant alors dans le champ des perquisitions.
Jean-Baptiste Thierry
III - Les actes d'enquête et d'instruction dans le cadre de la criminalité organisée
Les infractions relevant de la criminalité organisée permettent la mise en oeuvre d'actes d'enquête et d'instruction dérogatoires au droit commun. A la complexité de la preuve de ces infractions s'ajoute la complexité du cadre procédural, où s'entremêlent normes anciennes et nouvelles, nationales et supranationales. Il en résulte un cadre tout à la fois large et contraint qu'il peut être difficile de cerner précisément. Les pouvoirs d'enquête ou d'instruction en matière de criminalité organisée sont particulièrement importants et dérogatoires au droit commun. Ils ne peuvent toutefois pas outrepasser le cadre légal qui apparaît suffisamment permissif. Dans cet arrêt, de manière surprenante, ce sont les actes réalisés sous le contrôle du juge d'instruction, véritable autorité judiciaire, qui ont été annulés, quand ceux réalisés à l'initiative du ministère public n'ont pas été remis en cause. Plusieurs enquêtes préliminaires distinctes sont ouvertes, portant sur un trafic de stupéfiants. Différents actes interviennent en 2012 et 2013, date à laquelle une information est ouverte, au cours de laquelle auront notamment lieu une perquisition nocturne et une sonorisation.
Les actes réalisés à l'initiative du ministère public étaient les suivants : des réquisitions aux fins de communication de données téléphoniques, prises en application de l'article 77-1-1 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3463IGD), dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2014-1353 du 13 novembre 2014, renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme (N° Lexbase : L8220I49) ; des mesures de géolocalisation ; des interceptions de correspondances téléphoniques, autorisées par le juge des libertés et de la détention.
La validité des réquisitions faites par le ministère public à des opérateurs de téléphonie aux fins de transmission de données téléphoniques, était contestée, le pourvoi estimant qu'une telle mesure relevait de la compétence d'une autorité judiciaire, au sens de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme. L'argument est rapidement rejeté, la Cour estimant que l'article 77-1-1 du Code de procédure pénale n'est pas contraire à l'article 8 de la Convention (N° Lexbase : L4798AQR). La solution mérite l'approbation sur ce point : l'acte en cause, certes attentatoire à la vie privée, n'apparaît pas constitutif d'une ingérence disproportionnée et il apparaît inutile de faire intervenir un juge en la matière. Dans le même sens, la Cour approuve également le refus de la chambre de l'instruction de transmettre une question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne, l'article 77-1-1 ne relevant pas du champ du droit communautaire [sic]. Les pouvoirs du ministère publics se voient donc confortés par la Cour de cassation, qui ne réserve pas la communication de données téléphoniques à la seule autorité judiciaire, au sens de la Convention européenne.
Les mesures de géolocalisation avaient été décidées par le ministère public, avant l'entrée en vigueur de la loi du 28 mars 2014. La Cour de cassation estime ici que cette mesure était proportionnée à la gravité des infractions concernées et, surtout, que "sa durée n'a pas excédé celle au terme de laquelle le respect des dispositions conventionnelles imposait qu'elle fût exécutée sous le contrôle d'un juge", solution déjà dégagée dans un arrêt du 6 janvier 2015 (8) qui avait grandement tempéré les conséquences de son arrêt du 22 octobre 2013, imposant un contrôle juridictionnel de la mesure (9). Les juges se livrent ici à une appréciation in concreto des faits de l'espèce.
S'agissant des écoutes téléphoniques réalisées pendant l'enquête, sur autorisation du juge des libertés et de la détention, en application de l'article 706-95 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L2781KG4), plusieurs écoutes avaient été autorisées, sur différentes lignes, dans le respect du délai légal, et l'un des suspects avait été ainsi écouté pendant plus d'un mois. Il faisait donc valoir que la durée maximale des écoutes devait s'apprécier, non au regard de la ligne téléphonique interceptée, mais au regard de la personne concernée. Une telle interprétation ne pouvait guère prospérer, les textes applicables ne faisant référence qu'à la ligne interceptée. Un individu peut donc être écouté pendant plus d'un mois, dans le cas d'interceptions successives ou cumulées.
Le quatrième problème concernait les conséquences du non-respect de l'obligation prévue à l'article 706-95, alinéa 3, du Code de procédure pénale : le juge des libertés et de la détention qui a autorisé l'interception doit être informé sans délai par le procureur de la République des actes accomplis en application de l'alinéa précédent, notamment des procès-verbaux dressés en exécution de son autorisation. En l'espèce, cette information n'avait pas eu lieu. La Cour de cassation a estimé qu'il ne pouvait s'agir d'une cause de nullité que dans le cas où un grief est établi : il s'agit donc d'une nullité d'ordre privé. Les juges estiment que les intérêts des demandeurs au pourvoi n'ont pas été atteints, puisque les procès-verbaux ont été très rapidement soumis au contrôle d'un juge d'instruction. Le contrôle effectué par le juge d'instruction vient donc compenser l'absence de contrôle opéré par le juge des libertés et de la détention.
Les moyens soulevés n'avaient jusqu'alors pas prospéré, les intérêts des demandeurs au pourvoi n'ayant pas été atteints. Les pouvoirs importants reconnus au ministère public dans le domaine de la criminalité organisée se sont ainsi vus confortés. En revanche, les actes effectués pendant l'instruction ont été annulés.
Le cinquième problème soulevé était relatif à l'ordonnance du juge d'instruction ayant autorisé une perquisition en dehors des heures légales. Le pourvoi faisait valoir que cette ordonnance n'était pas suffisamment motivée. La chambre de l'instruction avait écarté la nullité, relevant qu'un officier de police judiciaire avait rédigé un rapport où il faisait mention d'une livraison de stupéfiants imminente, ce qui expliquait la décision du juge d'instruction. Les perquisitions réalisées hors des heures légales doivent, en application de l'article 706-92 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L9743HEL), être autorisées par une ordonnance "motivée par référence aux éléments de fait et de droit justifiant que ces opérations sont nécessaires". La Cour de cassation, au visa des articles 706-91 (N° Lexbase : L2783KG8) et 706-92 du Code de procédure pénale et de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme, estime que l'absence d'une telle motivation empêche un contrôle réel et effectif de la mesure. Elle ajoute que cette irrégularité fait nécessairement grief aux intérêts de la personne concernée. Il n'appartient donc pas à la chambre de l'instruction de trouver le facteur déterminant de cette perquisition nocturne dans des éléments extérieurs à l'ordonnance l'ayant autorisée. Le juge d'instruction ne saurait se départir de cette obligation particulière de motivation. Il serait en effet difficilement concevable qu'une motivation spéciale, exigée pour permettre de justifier une atteinte importante à la vie privée, puisse être contournée par le recours à des éléments extérieurs à la décision.
Enfin, le sixième problème concernait le sort des enregistrements résultant d'un dispositif de sonorisation ou de fixation d'images. Les enquêteurs avaient en effet conservé une copie de travail de ces enregistrements. La Cour de cassation, au visa de l'article 706-100 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L5781DYR), pourtant muet sur ce point, estime que les enquêteurs peuvent réaliser une copie des enregistrements placés sous scellés, mais uniquement pour les besoins et dans le temps de la mission de sonorisation autorisée par le juge d'instruction. Elle s'oppose à ce qu'une telle copie soit utilisée une fois la mission de sonorisation terminée. Encore une fois, la protection instaurée par l'article 706-100, qui exige que les enregistrements soient placés sous scellés, perdrait tout son sens si des copies d'enregistrements étaient utilisées hors du cadre précis de la procédure de sonorisation.
Jean-Baptiste Thierry
IV - L'existence d'une appréciation rigoureuse de la prescription de l'action publique (au moins en matière d'homicide involontaire)
L'hostilité de la Chambre criminelle de la Cour de cassation envers le mécanisme de la prescription de l'action publique est devenue plus qu'un lieu commun au sein des observateurs de sa jurisprudence ; c'est, aujourd'hui, un véritable postulat doctrinal, qu'il devient de plus en plus difficile de remettre en cause. Pourtant, à bien étudier l'ensemble de ses arrêts, la chose ne paraît pas si évidente, tant la Chambre criminelle accepte de concéder la mort de l'action publique lorsqu'il appert que la prescription est irrémédiablement acquise (10) et, à l'inverse, justifie suffisamment sa survie lorsqu'il ne le semble pas.
A cet égard, on sait que la connexité et l'indivisibilité de plusieurs infractions sont deux mécanismes qui, parce qu'ils se fondent sur l'existence d'un lien très fort entre ces infractions, autorisent la survie de toutes les actions publiques relatives à ces dernières, à la seule condition que l'action publique relative à l'une quelconque d'entre elles ne soit pas encore éteinte. La règle est assurément compréhensive, d'autant qu'elle est, en cet aspect, d'origine jurisprudentielle, mais elle ne saurait avoir vocation à jouer à chaque fois qu'existe un lien ténu entre deux infractions, deux arrêts récents le démontrant avec force.
Dans une première décision, rendue le 23 juin 2015, la Chambre criminelle de la Cour de cassation constate la prescription d'un certain nombre de contraventions connexes à un délit quant à lui non encore couvert par la prescription. En l'espèce, lors d'une opération de pêche, deux marins d'un chalutier décédaient, alors qu'il était contrevenu à un certain nombre de dispositions relatives à la sécurité des travailleurs en mer. La société armant le bateau était conséquemment condamnée, non seulement, pour homicides involontaires, mais également pour l'ensemble des contraventions connexes. Les actions publiques relatives à ces dernières apparaissaient pourtant prescrites. Le capitaine, quant à lui, était condamné pour contravention relative au défaut de port, par l'équipage de son navire, des vêtements de sécurité. Saisie seulement à propos de la condamnation de la société pour les contraventions connexes, la Cour de cassation précise que "l'interruption de la prescription triennale de l'action publique applicable à un délit est sans incidence sur la prescription des contraventions déjà acquise, seraient-elles connexes, indivisibles ou en concours". Dès lors, il aurait fallu dire que l'action publique était déjà prescrite concernant les contraventions reprochées.
La solution pourrait paraître singulière eu égard au fait que les infractions étaient, en l'occurrence, assurément connexes et, plus encore, qu'elles formaient un tout indivisible. Précisément, c'est ce lien fréquemment entretenu entre l'homicide involontaire et autant de contraventions qui permettent de démontrer la faute de l'agent, qui conduirait à percevoir, en leur sanction respective, une redondance plutôt qu'une complémentarité. Peut-être s'agissait-il alors simplement d'en tirer toutes les conséquences quant à la prescription de l'action publique ? Toutefois, la motivation très générale de la Chambre criminelle incite à trouver une autre explication, la brièveté du délai de prescription en matière contraventionnelle poussant éventuellement le juge à l'appréhender, fût-ce inconsciemment et sous certains aspects seulement, comme une forclusion.
Dans une seconde décision, rendue le 15 septembre 2015, et toujours en matière d'homicide involontaire, la Chambre criminelle constate la prescription de ladite infraction en raison de son absence de connexité et d'indivisibilité avec un homicide volontaire quant à lui non prescrit, malgré le fait que la victime des deux infractions soit la même. Plus précisément, une personne suivie par un psychiatre en raison de troubles mentaux avait commis un assassinat, avant de bénéficier d'un non-lieu ayant pour cause son absence de discernement au moment des faits. A la suite d'une plainte avec constitution de partie civile, la psychiatre était alors renvoyée devant le tribunal correctionnel, qui la condamnait pour homicide involontaire. Or, elle aurait dû bénéficier de la prescription de l'action publique, sauf à percevoir l'infraction comme connexe ou indivisible avec l'assassinat. La Chambre criminelle de la Cour de cassation s'y refuse, constatant en effet que "les faits d'homicide involontaire reprochés à la prévenue ne procédaient pas d'une unité de conception, n'étaient pas déterminés par la même cause ou ne tendaient pas au même but que les faits d'homicide volontaire reprochés [...], ou ne formaient pas avec eux un tout indivisible".
Comme la connexité subjective ne le serait pas, la connexité objective n'est donc pas suffisante à justifier une unité de traitement de deux infractions, notamment au regard de la prescription de l'action publique. Il faut, effectivement, entretenir une conception exigeante de ce mécanisme, mêlant objectivité et subjectivité, ce à quoi incite sa définition par l'article 203 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3583AZQ) : "les infractions sont connexes soit lorsqu'elles ont été commises en même temps par plusieurs personnes réunies, soit lorsqu'elles ont été commises par différentes personnes, même en différents temps et en divers lieux,mais par suite d'un concert formé à l'avance entre elles, soit lorsque les coupables ont commis les unes pour se procurer les moyens de commettre les autres, pour en faciliter, pour en consommer l'exécution ou pour en assurer l'impunité, soit lorsque des choses enlevées, détournées ou obtenues à l'aide d'un crime ou d'un délit ont été, en tout ou partie, recelées" (11). Tel est l'un des prix à payer pour un droit rigoureux de la prescription de l'action publique.
Guillaume Beaussonie
V - Le ministère public n'est pas le gardien des droits fondamentaux
La forme la plus anodine peut parfois dissimuler un arrêt au moins potentiellement important. En l'occurrence, alors que ne se posait qu'un problème relatif à l'inutilité de la présence du ministère public lors d'une audience en chambre du conseil du juge des enfants, et que l'affaire allait s'achever sur le rejet du pourvoi, la Chambre criminelle de la Cour de cassation précisait que "le ministère public ne saurait invoquer une prétendue atteinte au caractère équitable et contradictoire de la procédure au sens de l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et l'article préliminaire du Code de procédure pénale, qui ne garantissent que les droits et les libertés des parties privées". Celui qui doit veiller à l'application de la loi ne pourrait donc pas veiller à celle des principes fondamentaux ?
En l'espèce, deux mineurs de seize ans comparaissaient pour vol aggravé devant le juge des enfants lequel, en l'absence du ministère public, rendait un jugement de condamnation en chambre du conseil. Le ministère public interjetait alors appel, un défaut de communication de la procédure ayant fait obstacle à ce qu'il assiste aux débats ou formule des réquisitions écrites. Selon lui, l'absence de telles formalités substantielles portait atteinte au principe contradictoire et à l'égalité des armes. La cour d'appel relevait essentiellement, pour écarter l'exception de nullité soulevée de la sorte, que "la présence du procureur de la République est obligatoire aux audiences de jugement en chambre du conseil et qu'il ne pouvait en ignorer la date, de sorte qu'en n'y étant pas représenté, il ne [pouvait] invoquer un grief tiré de sa propre carence". La Chambre criminelle de la Cour de cassation parvient à la même conclusion, mais à partir d'un raisonnement un peu différent : en vérité, les audiences concernées n'impliquaient pas la présence obligatoire du procureur de la République. Il n'empêche que celui-ci pouvait "à tout moment, se faire communiquer la procédure et en suivre l'état d'avancement, pour assister, se faire représenter à l'audience de chambre du conseil du juge des enfants, ou encore prendre des réquisitions écrites". Les juges du fond n'étaient donc pas responsables tant de son absence que de son silence.
Les choses auraient sans doute pu s'arrêter là, si le ministère public n'avait pas soutenu que l'article préliminaire du Code de procédure pénale et l'article 6 § 1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme avaient été méconnus. Ce à quoi répond donc la Cour de cassation qu'il n'avait pas qualité pour le faire, ces textes ne faisant que garantir les droits et les libertés des parties privées.
L'affirmation nous paraît contestable comme, d'ailleurs, toutes celles qui conduisent à différencier les prérogatives du ministère public et les droits des parties privées -par exemple l'application du principe de loyauté de la preuve au premier à l'exclusion des secondes-. Aux yeux de la Cour européenne des droits de l'Homme, gardienne de l'interprétation de la Convention et des principes qu'elle contient, le ministère public est une partie comme une autre, ce qui implique des obligations, mais aussi des droits. Par ailleurs, comme nous l'avons souligné plus haut, le ministère public n'est-il pas le garant de l'application de la loi lato sensu, en ce compris les principes fondamentaux ? Si tel n'est pas le cas, comment soutenir encore qu'il fasse partie de l'autorité judiciaire, gardienne, on le rappelle, de la liberté individuelle.
Guillaume Beaussonie
VI - L'enregistrement des procès d'assises, garantie du droit à un recours effectif
Les questions prioritaires de constitutionnalité conduisent presque quotidiennement le Conseil constitutionnel à corriger la procédure pénale française. L'opportunité du dispositif n'a donc plus à être soumise à commentaire. Passons alors au fond : le procès d'une personne condamnée par une cour d'assises ne fait pas l'objet d'un enregistrement sonore. Il appert, en effet, que si l'article 308 du Code de procédure pénale prévoit que "les débats de la cour d'assises font l'objet d'un enregistrement sonore sous le contrôle du président", le texte s'achève sur une phrase qui n'encourage pas à l'appliquer : "les dispositions ci-dessus ne sont pas prescrites à peine de nullité de la procédure". Est-ce conforme au droit à un recours effectif et au principe d'égalité devant la justice, tels qu'ils sont garantis par les articles 1er (N° Lexbase : L1365A9G), 6 (N° Lexbase : L1370A9M) et 16 (N° Lexbase : L1363A9D) de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789 ?
Pour la Cour de cassation, qui ne fait donc que passer la main au Conseil constitutionnel, la question est sérieuse car l'"enregistrement peut être utilisé devant la cour d'assises jusqu'au prononcé de l'arrêt, y compris lors du délibéré, ainsi que devant la cour d'assises statuant en appel et la cour d'assises de renvoi après cassation ou annulation". En outre, ajoute-t-elle, "l'absence d'enregistrement peut influer sur l'instruction d'un recours en révision". En cela constate-t-elle qu'il existe un risque d'atteinte au droit à un recours effectif ainsi qu'au principe d'égalité entre les justiciables.
La longueur -sans nul doute excessive- du procès d'assises justifie qu'il en soit gardé une trace, tant pour que les jurés puissent délibérer en toute connaissance de cause, que pour qu'un recours puisse s'exercer en vertu de cette même connaissance. Sur ce dernier point, la motivation des arrêts apparaît tout de même de nature à compenser l'absence d'enregistrement. Pour éviter la dépendance à la technique, peut-être faudrait-il tout simplement souffler aux avocats des parties et de la société qu'il s'avère contreproductif de parler trop longtemps. Quelques études scientifiques -non juridiques- relatives à la capacité d'attention à un discours en attestent. Ou il suffit d'assister à un cours en amphithéâtre !
Guillaume Beaussonie
(1) E. Vergès, Le statut juridique du suspect : un premier défi pour la transposition du droit de l'Union européenne en procédure pénale. A propos de la loi n° 2014-535 du 27 mai 2014, portant transposition de la Directive 2012/13/UE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2012, relative au droit à l'information dans le cadre des procédures pénales, Dr. pén., 2014, étude 15.
(2) Loi n° 2014-535 du 27 mai 2014, art. 15.
(3) C. postes et com. électr., art. L. 32 (N° Lexbase : L1864KG7).
(4) V. Interception, Trésor informatisé de la langue française.
(5) S. Detraz, obs. sous Cass. crim., 8 juillet 2015, n° 14-88.457, FS-P+B+I (N° Lexbase : A6245NMA), JCP éd. G, 2015, zoom 884.
(6) Cass. crim., 14 avril 1999, n° 98-87.224 (N° Lexbase : A4240CHI) : D., 1999, somm., 324, obs. J. Pradel ; Procédures, 1999, comm., 238, obs. J. Buisson ; Dr. pén., 1999, comm., 124, obs. A. Maron.
(7) C. proc. pén., art. 56 et 57-1.
(8) Cass. crim., 6 janvier 2015, n° 14-84.694, FS-P+B (N° Lexbase : A0813M9Y), JCP éd. G, 2015, 295, note O. Décima.
(9) Cass. crim., 22 octobre 2013, n° 13-81.949, FS-P+B (N° Lexbase : A4648KNH), D., 2014. 115, note H. Matsopoulou ; JCP éd. G, 2013, 1378, note F. Fourment.
(10) V., par ex., la désormais notoire affaire de l'octuple infanticide, dans laquelle la Chambre criminelle avait fait oeuvre d'orthodoxie en constatant une prescription évidemment acquise, seule l'intervention de l'Assemblée plénière et le recours, par cette dernière, à une règle inédite en procédure pénale, ayant autorisé la solution inverse : Cass. crim., 16 octobre 2013, deux arrêts, n° 13-85.232 et n° 11-89.002, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A9276KMI) puis Ass. plén., 7 novembre 2014, n° 14-83.739, P+B+R+I (N° Lexbase : A8445MZS).
(11) Nous soulignons.
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Réf. : Cass. civ. 1, 30 septembre 2015, n° 14-11.944, FS-P+B+I (N° Lexbase : A7904NR8)
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Le 08 Octobre 2015
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Réf. : Cass. soc., 30 septembre 2015, n° 14-17.748, FS-P+B (N° Lexbase : A5591NSU)
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Le 08 Octobre 2015
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Réf. : CE, 1° s-s., 5 octobre 2015, n° 383956 (N° Lexbase : A5756NSY)
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Le 09 Octobre 2015
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N9372BUN
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Le 08 Octobre 2015
(1) D. Vidal et K. Luciano, Cours de droit général des sociétés, Gualino, collection Amphi LMD, éd. 2015-2016, 432 pages, 28,50 euros.
(2) D. Vidal et K. Luciano, Cours de droit spécial des sociétés, Gualino, collection Amphi LMD, éd. 2015-2016, 352 pages, 28,50 euros.
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Réf. : CE 9° et 10° s-s-r., 1er octobre 2015, n° 369846, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A5703NSZ)
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Le 09 Octobre 2015
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