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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication
Le 01 Octobre 2015
Au-delà des promesses -qui n'engagent qui ceux qui les reçoivent- : un renforcement de l'arsenal juridique international à l'horizon. Pourquoi pas la reconnaissance de l'écocide au rang des crimes internationaux les plus graves comme menaçant la sûreté de la planète ? Non pas une sous-catégorie de crime de guerre, comme ça l'est actuellement auprès de la Cour pénale internationale, mais un crime à part entière qui, même en temps de paix, permet d'engager la responsabilité individuelle des dirigeants, politiques ou économiques ?
"Les victimes auraient la possibilité d'un recours international pour contraindre les auteurs du crime, en tant que personne morale, comme une entreprise transnationale ou en tant que personne physique comme un PDG ou un chef d'Etat, à payer des réparations morales, physiques ou économiques. Il serait possible de leur demander de restaurer le milieu naturel endommagé ou détruit au nom de la simple valeur écologique. La responsabilité des supérieurs hiérarchiques pourrait être engagée et des peines d'emprisonnement pourraient être prononcées", explique, au Figaro, Valérie Cabanes. "Ces amendements permettraient également de reconnaître le statut de réfugiés climatiques", ajoute la juriste de End Ecocide on Earth.
En attendant une telle reconnaissance -cela fait maintenant plus de 40 ans que de premières tentatives furent lancées dans ce sens- et après un semi échec -l'initiative citoyenne européenne lancée en janvier 2013 n'ayant récolté "que" 130 000 signatures, alors que l'objectif du million de signataires aurait pu inviter la Commission européenne à proposer une nouvelle législation sur le sujet-, l'on peut s'intéresser au cadre national et aux armes juridiques françaises.
En France, la notion de préjudice écologique est, dit-on, en cours d'introduction dans le droit civil. La dégradation d'un écosystème devient ainsi un préjudice objectif. Mais "il est encore trop tôt pour savoir si ce texte aura réellement pour effet de faciliter' la réparation du préjudice écologique", indique Maître Arnaud Gossement.
Et, à l'échelle internationale, "la criminalité environnementale est mal identifiée et mal traitée juridiquement", précise Laurent Neyret, Professeur en droit privé à l'Université de Versailles Saint-Quentin.
Alors, face au vide juridique, au défaut de responsabilité, pourquoi ne pas faire des lois relatives à la responsabilité écologique des lois de police ?
La première chambre civile de la Cour de cassation vient de nous rappeler, le 16 septembre 2015, que les articles 1326 du Code civil, L. 341-2 et L. 341-3 du Code de la consommation, relatifs aux mentions manuscrites en matière de cautionnement, ne sont pas des lois de police : soit. Maintenant, on comprend que la mention manuscrite ne soit pas "une disposition nationale dont l'observation est jugée cruciale pour la sauvegarde de l'organisation politique, sociale ou économique de l'Etat au point d'en imposer le respect à toute personne se trouvant sur le territoire ou localisée dans celui-ci" : pour répondre à la définition donnée par la Cour de justice de l'Union européenne. Intensification des problèmes de santé publique, 26 millions de réfugiés climatiques, disparition de 49 % des populations d'animaux marins, poissons, oiseaux, mammifères, et reptiles entre 1970 et 2012... Si les lois relatives à la protection de l'environnement, à la répression des infractions afférentes (rapportant au niveau mondial 187 milliards d'euros) et au préjudice écologique, ne répondent pas à la définition des lois de police, c'est à craindre que l'on ne comprenne jamais que l'environnement est au coeur de la "sauvegarde de l'organisation politique, sociale ou économique d'un Etat" !
L'enjeu ? Le nuage de Tchernobyl ne s'est pas arrêté à la frontière des Vosges et du Jura ! Pour Cornu, la loi de police est l'"expression désignant les lois dont l'application, dans les rapports internationaux, serait commandée par leur contenu sans considération des règles de conflit". On imagine alors un Français, dépassant le cadre immobilier de l'article 3 du Code civil, vivant dans un Etat frappé de plein fouet par une crise climatique, demander des comptes et engager la responsabilité de dirigeants et industriels de cet Etat sur le fondement d'une loi de police attaché à sa "nationalité, parce qu'elle est stable, assure la continuité du traitement juridique de la personne mieux qu'un autre rattachement juridique" comme le professaient Ancel et Lequette dans leurs observations sous un arrêt "Busqueta", de la Cour royale de Paris... du 13 juin 1814. Bien entendu, le procès aurait lieu en France : mais les avoirs de ces dirigeants et industriels pourraient parfaitement être saisis... en cas de condamnation bien entendu.
"L'homme a besoin de se tromper lui-même : d'une part, il sauve une espèce qui a perdu sa capacité de survivre, d'autre part, il accélère la destruction de l'environnement qui lui permettait de subsister" écrivait Gao Xingjian, Prix Nobel de Littérature, dans La montagne de l'âme.
Il faut bien commencer par montrer le chemin... même au prix d'un artifice juridique.
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Réf. : CE 9° et 10° s-s-r., 21 septembre 2015, n° 369808, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A8492NP9)
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N9232BUH
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Le 02 Octobre 2015
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Réf. : CA Aix-en-Provence, 17 septembre 2015, n° 2015/18D (N° Lexbase : A1642NPI)
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N9257BUE
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Le 03 Octobre 2015
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N9226BUA
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par Hervé Haxaire, ancien Bâtonnier, Avocat à la cour d'appel, Président de l'Ecole régionale des avocats du Grand Est (ERAGE), Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition professions
Le 01 Octobre 2015
La loi n° 2015-990 du 6 août 2015, pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, rend obligatoire pour l'avocat la conclusion d'une convention d'honoraires avec son client, et ce, en toute matière et tout type d'intervention (postulation, consultation, assistance, conseil, rédaction d'actes juridiques sous seing privé et plaidoirie).
La loi supprime également le tarif de postulation devant le tribunal de grande instance. La postulation est désormais rémunérée par des honoraires, fixés en accord avec le client, et dans le respect des dispositions de l'article 10 modifié de la loi du 31 décembre 1971 (N° Lexbase : L6343AGZ). La contestation du montant de l'honoraire de postulation relève désormais de la compétence du juge de l'honoraire. Notons, toutefois, que les modalités de fixation des droits et émoluments de l'avocat en matière de saisie immobilière, de partage, de licitation et de sûretés judiciaires seront arrêtées conjointement par les ministres de la Justice et de l'Economie. Ce tarif, révisable au moins tous les cinq ans, prendra en compte les coûts pertinents du service rendu et une rémunération raisonnable, définie sur la base de critères objectifs. Un décret en Conseil d'Etat, pris après avis de l'Autorité de la concurrence, viendra préciser les modes d'évaluation des coûts pertinents et de la rémunération pertinente. La procédure de taxation demeure soumise aux articles 695 (N° Lexbase : L9796IRA) à 721 du Code de procédure civile.
Ainsi, l'article 10 modifié de la loi du 31 décembre 1971 dispose en son premier alinéa : "les honoraires de postulation, de consultation, d'assistance, de conseil, de rédaction d'actes juridiques sous seing privé et de plaidoirie sont fixés en accord avec le client".
Mais en outre -et faut-il dire surtout ?- une ordonnance n° 2015-1033 du 20 août 2015, relative au règlement extrajudiciaire des litiges de consommation (N° Lexbase : L3397KGW), a modifié l'article L. 141-1 du Code de la consommation (N° Lexbase : L5869KGH) en introduisant notamment un article III bis ainsi rédigé : "III bis. - Sont recherchés et constatés, dans les conditions fixées au II du présent article, les manquements aux dispositions :
1° Du troisième alinéa de l'article 10 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, dans le respect du secret professionnel mentionné à l'article 66-5 de la même loi".
Les agents de la DGCCRF (Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes) sont ainsi autorisés à effectuer des contrôles pour rechercher et constater les manquements de l'avocat à son obligation de conclure par écrit avec son client une convention d'honoraires, convention qui précise notamment le montant ou le mode de détermination des honoraires.
La loi nouvelle est applicable depuis le 8 août 2015.
Mais comment sera-t-elle appliquée ?
Le juge de l'honoraire était, en première instance, le Bâtonnier, également gardien du respect des règles déontologiques. A ses côtés apparaît aujourd'hui la DGCCRF, "gardienne" des droits du consommateur, susceptible de contrôler et de sanctionner l'avocat, considéré comme un prestataire ordinaire de services.
Client de l'avocat et consommateur, auxiliaire de justice et simple prestataire de services, voilà des associations bien hasardeuses.
Il faut rappeler que, si le contentieux de l'honoraire était abondant, les litiges concernant les honoraires de l'avocat demeuraient marginaux au regard du nombre considérable des dossiers traités par l'ensemble des avocats. L'essentiel de ce contentieux portait d'ailleurs principalement sur le recouvrement de l'honoraire, à l'initiative de l'avocat confronté à l'absence de paiement du client, bien davantage que sur la contestation, à l'initiative du client, du montant de l'honoraire facturé.
En matière de convention d'honoraires, seules étaient en cause la validité et la portée du contrat conclu entre l'avocat et son client. L'enjeu de la procédure devant le juge de l'honoraire était donc pour l'avocat la reconnaissance de sa créance d'honoraires, ou son rejet total ou partiel.
L'ordonnance du 20 août 2015, en instaurant un contrôle de l'autorité administrative, introduit une nouveauté substantielle : il pourra y avoir "contentieux" de l'honoraire hors de toute réclamation du client de l'avocat à l'occasion d'un contrôle de l'administration (nous n'envisagerons pas l'hypothèse de la dénonciation de l'avocat à la DGCCRF). L'avocat pourra encourir des peines d'amende, lourdes, pour ne pas s'être conformé aux dispositions de l'alinéa 3 de l'article 10 de la loi du 31 décembre 1971, quand bien même le client n'aurait aucun grief à formuler à son égard (nous ignorerons délibérément le ralliement opportuniste du client à la position adoptée par l'autorité de contrôle).
L'article L.141-1 du Code de la consommation fixe comme limite à la recherche et à la constatation des manquements commis par un avocat le respect du secret professionnel mentionné à l'article 66-5 de la loi de 1971.
Il est permis de se demander comment un contrôle pourrait être conduit efficacement, de façon abstraite, hors de toute consultation réelle d'un dossier, ou ce qui reviendrait au même, hors de toutes explications fournies par l'avocat sur la mission qui lui a été confiée ?
Imagine-t-on tel avocat pénaliste renommé, faisant l'objet d'un contrôle, expliquer aux agents de la DGCCRF comment des honoraires importants ont été convenus et facturés sans violer de facto son secret professionnel ?
La DGCCRF avait lancé en mai 2014 une enquête dans 40 départements sur les honoraires d'avocat et l'information du consommateur dans ce domaine. Cette enquête se voulait essentiellement "pédagogique". Les agents de la DGCCRF ont contrôlé plus de 300 professionnels et adressé 27 avertissements. Si les opérations de contrôle, selon les avocats concernés, se sont déroulées la plupart du temps dans le respect des dispositions relatives au secret professionnel, quelques représentants de la profession ont toutefois rapporté, dans certains barreaux, des incidents avec des agents qui ont parfois demandé la communication de documents figurant dans des dossiers précis, en contravention avec les dispositions relatives au secret professionnel.
Le Conseil national des barreaux, dans une fiche d'information technique du 14 août 2015 intitulée "Les Honoraires", écrit : "le contrôle de la DGCCRF a pour seul objet de déterminer l'existence d'un manquement à l'obligation pour un avocat de conclure une convention d'honoraires dans les conditions prévues par l'article 10 de la loi du 31 décembre 1971 et il doit s'exercer dans le respect du secret professionnel mentionnés à l'article 66 5 de la loi du 31 décembre 1971 [...]. Il sera donc limité au seul constat de l'existence matérielle de la convention".
Nous ne partageons pas cet optimisme.
Le troisième alinéa de l'article 10 dispose : "sauf en cas d'urgence ou de force majeure ou lorsqu'il intervient au titre de l'aide juridictionnelle totale ou de la troisième partie de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, relative à l'aide juridique (N° Lexbase : L8607BBE), l'avocat conclut par écrit avec son client une convention d'honoraires, qui précise, notamment, le montant ou le mode de détermination des honoraires couvrant les diligences prévisibles, ainsi que les divers frais et débours envisagés".
Or, le contrôle institué par l'article L.141-1 du Code de la consommation vise expressément les manquements aux dispositions du troisième alinéa de l'article 10, donc "notamment" pour reprendre les termes de l'alinéa 3, "le montant ou le mode de détermination des honoraires couvrant les diligences prévisibles, ainsi que les divers frais et débours envisagés".
Nous sommes donc très éloignés d'un contrôle limité au seul constat de l'existence matérielle de la convention.
Il incombera à l'avocat de préciser le montant ou le mode de détermination des honoraires couvrant les diligences prévisibles, sous peine d'amende, ce qui constituera un exercice divinatoire particulièrement difficile dans de nombreux cas. Ce n'est pas de refus de la sacro-sainte transparence, érigée en principe supra constitutionnel au même titre que le droit des victimes, dont il est question ici, ni plus simplement de rejet du droit du client à une information loyale de son avocat. C'est de considérations pratiques dont il est question.
Bien sûr, nombreux sont les avocats qui ont mis en place de longue date des conventions d'honoraires avec leurs clients, bien avant que celles-ci ne deviennent obligatoires. Car il est effectivement possible de recourir à une facturation forfaitaire pour certains types de missions de l'avocat, dans son activité judiciaire comme dans son activité de conseil ou de consultation. C'est le cas en particulier dans les missions qui pourraient être qualifiées de banales ou répétitives, ou lorsqu'un dossier ne présente pas de difficultés particulières.
Il est également possible de mettre en place une facturation horaire dans ce même type de dossiers, ou dans des dossiers dont l'avocat peut craindre qu'ils soient chronophages. Il faut cependant observer que le texte de l'alinéa 3 de l'article 10 de la loi vise "les diligences prévisibles", donc a priori un volume horaire facturable prévisible. Ce qui nous ramène à la facturation forfaitaire, cette fois présentée différemment.
Comment prévoir à l'avance, notamment dans l'activité judiciaire, l'évolution d'un dossier, sa durée, sa complexification au fil des échanges de conclusions et de l'évolution des prétentions des parties, y compris celles du client de l'avocat (et non seulement de son adversaire) ?
Se pose ici la question de l'adaptabilité, et donc de la licéité, de clauses contractuelles dans la convention à des situations incertaines, bien que prévisibles en théorie. Ainsi en va-t-il dans le domaine judiciaire de procédures incidentes, d'expertises, de recours en révision, d'oppositions, de décisions avant-dire droit, de médiations ordonnées (la liste des possibles n'étant pas exhaustive).
Ainsi en va-t-il également, pour la rémunération de la plaidoirie ou de l'assistance à une réunion ou à une assemblée générale par exemple. Comment prévoir la durée et la complexité de la représentation ou de l'assistance de l'avocat ?
Enumérer dans une convention d'honoraires toutes les causes éventuelles de majoration du coût de la prestation de l'avocat, ceci pour répondre à l'exigence d'information sur les diligences prévisibles, est susceptible à l'évidence d'effrayer un client quant à l'étendue de son engagement lorsqu'il confie un mandat à un avocat. Ne pas le faire expose aujourd'hui l'avocat à des sanctions qui ne se limitent plus seulement à l'inefficacité de la convention, mais également à des amendes.
Qu'un client renonce à faire valoir ses droits par crainte du coût de la prestation de l'avocat, pour d'hypothétiques raisons, voilà bien là un effet pervers de la transparence exigée.
Une solution consisterait sans doute dans le fait pour l'avocat de prévoir un mode de facturation mixte, qui introduirait un tarif horaire à coté d'une facturation forfaitaire pour des prestations dont l'importance ne peut être prévisible qu'à l'intérieur d'une fourchette de temps. Rien n'indique cependant que la DGCCRF ou le juge de l'honoraire valideraient une telle pratique, même si les temps facturés sont vérifiables a posteriori par le client.
Rappelons-nous à cet égard la jurisprudence actuelle selon laquelle la convention d'honoraires doit être annulée, et non pas seulement réduite, lorsque l'information du client est imprécise ou insuffisante (cf., en ce sens, Cass. civ. 2, 2 juillet 2015, n° 14-24.062, F-D N° Lexbase : A5520NME).
Il n'est de conventions qui ne puissent être modifiées d'un commun accord entre les parties. Des avenants à la convention d'honoraires initiale seront-ils considérés comme licites au regard de l'exigence d'une convention d'honoraires préalable à toute prestation de l'avocat ?
Les avocats pourraient, certes, exciper d'une prestation complémentaire, mais serait-elle considérée comme imprévisible lors de la conclusion de la convention initiale ?
Nombre d'avocats vont sans doute trouver bien des avantages à l'honoraire de résultat.
Le pacte de quota litis demeure prohibé, mais pas l'honoraire de résultat dès lors que la convention d'honoraires est suffisamment précise dans l'énoncé de son mode de calcul, et dès lors que l'honoraire des diligences prévisibles n'apparaît pas dérisoire au regard de la rémunération du résultat obtenu.
Contrairement à une idée reçue, l'honoraire de résultat n'était pas usité par les avocats en toutes matières, a fortiori lorsque l'avocat n'avait pas pour habitude de mettre en oeuvre une convention (sans laquelle au demeurant l'honoraire de résultat ne peut être demandé). Il l'était plus fréquemment dans des domaines, en particulier dans l'activité judiciaire de l'avocat, où les intérêts financiers en jeu étaient importants. Dans un grand nombre de cas, l'avocat se bornait à majorer le montant de ses honoraires, d'ailleurs le plus souvent en accord avec le client, en fonction du service rendu.
Il est vraisemblable que le recours à un honoraire de résultat sera systématisé à l'avenir par les avocats, de la même façon que l'est désormais l'exigence d'une convention d'honoraires.
En effet, soumis, d'une part, à une forte concurrence, et par crainte, d'autre part, que ses honoraires aient un effet négatif sur la décision de son client de le mandater, l'avocat pourrait avoir la tentation d'établir une convention dont le montant de l'honoraire fixe serait minoré autant que possible. Le corollaire pourrait être l'instauration systématique d'un honoraire de résultat pour pallier cette contrainte d'une convention par trop dissuasive.
Faut-il envisager dans l'avenir une augmentation du nombre des clauses d'honoraire de résultat et une inflation du taux de cet honoraire ?
Cette perspective ne peut pas être totalement écartée. Entre le pacte de quota litis prohibé et l'honoraire de résultat licite existe une large plage qui pourrait être explorée par beaucoup d'avocats.
En ce cas, la loi dite "Macron" aurait manqué son objectif.
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Réf. : Cass. QPC, 22 septembre 2015, deux arrêts, n° 15-40.028, F-P+B (N° Lexbase : A5455NPQ) et n° 15-40.029, F-D (N° Lexbase : A5456NPR)
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N9134BUT
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Le 01 Octobre 2015
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Réf. : Cass. soc., 22 septembre 2015, n° 13-26.032, FS-P+B (N° Lexbase : A8417NPG)
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N9185BUQ
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Le 03 Octobre 2015
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Réf. : Cass. civ. 1, 23 septembre 2015, n° 14-21.525, F-P+B+I (N° Lexbase : A6767NPC)
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N9140BU3
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Le 01 Octobre 2015
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N9219BUY
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par Adeline Gouttenoire, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux, Directrice de l'Institut des Mineurs de Bordeaux et Directrice du CERFAP, Directrice scientifique des Encyclopédies de droit de la famille
Le 01 Octobre 2015
I - Le mariage entre allié sauvé par l'écoulement du temps
La Cour de cassation a suscité une vive émotion dans le milieu juridique en refusant, dans un arrêt du 4 décembre 2013 (3), d'annuler le mariage conclu entre un beau-père et sa bru, tous deux étant divorcés de leur conjoint respectif, au motif que cette union, célébrée sans opposition, avait duré plus de vingt ans et que sa remise en cause constituerait une violation du droit au respect de la vie privée et familiale de l'épouse survivante. Cette solution paraît en effet contredire l'article 161 du Code civil (N° Lexbase : L8846G9I) qui interdit le mariage entre alliés en ligne directe et n'admet de dispense, délivrée par le Président de la République, qu'en cas de décès de la personne qui a créé l'alliance. Le pourvoi avait affirmé que ce texte portait atteinte à la substance même du droit au mariage garanti par l'article 12 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L4745AQS) ; la Cour européenne avait d'ailleurs, dans l'arrêt "B. L. c/ Royaume-Uni" du 13 septembre 2005 (4) qualifié d'atteinte excessive au droit au mariage l'empêchement à mariage existant en Angleterre entre un beau-père et sa belle-fille, tous deux divorcés, ce qui avait conduit les autorités à refuser de célébrer leur union. Toutefois, la Cour de cassation, dans l'arrêt du 4 décembre 2013, ne se place pas sur le terrain de l'affrontement direct entre le texte interne et la Convention européenne. Au fondement de l'article 12, elle préfère celui de l'article 8 de la Convention (N° Lexbase : L4798AQR), qu'elle soulève d'ailleurs d'office, refusant ainsi de consacrer en droit français la solution européenne contenue dans l'arrêt "B. L. c/ Royaume-Uni". La Cour de cassation n'affirme pas que l'empêchement à mariage entre alliés constitue en lui-même une violation du droit au mariage et n'écarte pas la disposition de droit interne au nom de l'article 12 de la CESDH. Elle préfère prendre un chemin de traverse en affirmant qu'en remettant en cause une relation effective, reconnue depuis vingt ans et jamais contestée jusqu'alors, la nullité du mariage porterait une atteinte injustifiée, et donc excessive, à la vie privée et familiale de l'épouse. Ainsi, l'arrêt procède à une sorte d'effacement de la cause de nullité originelle par l'écoulement du temps et semble considérer qu'en restant inactif alors qu'il ne pouvait ignorer le mariage, et ce pendant de très nombreuses années, le fils du mari avait en quelque sorte tacitement renoncé à demander la nullité. La Cour de cassation remet ainsi en cause la prescription trentenaire dans laquelle est, en principe, enfermée la nullité absolue du mariage. En limitant le maintien du mariage incestueux aux hypothèses dans lesquelles le mariage a duré de nombreuses années sans être contesté par ceux-là mêmes qui avaient qualité pour le faire, l'analyse de la Cour de cassation permet de préserver une situation acquise par l'écoulement du temps sans pour autant affirmer que l'empêchement à mariage de l'article 161 du Code civil (N° Lexbase : L8846G9I) est, en lui-même, inconventionnel. Ce faisant la Cour de cassation parvient à trouver un certain équilibre entre la protection de l'ordre public matrimonial et le respect des droits fondamentaux. Elle permet, en outre, d'éviter à la France une condamnation européenne sans pour autant adhérer au raisonnement de cette dernière qui devrait aboutir à écarter l'article 161 du Code civil au nom du droit au mariage.
II - Le contournement des règles françaises relatives à la PMA
C'est, cette fois, en dehors de toute pression des droits fondamentaux que la Cour de cassation a affirmé, dans un avis du 22 septembre 2014, que "le recours à l'assistance médicale à la procréation, sous la forme d'une insémination artificielle avec donneur anonyme à l'étranger, ne fait pas obstacle au prononcé de l'adoption, par l'épouse de la mère, de l'enfant né de cette procréation, dès lors que les conditions légales de l'adoption sont réunies et qu'elle est conforme à l'intérêt de l'enfant" (5). Par cette formule, la Cour de cassation affirme clairement que les conditions de conception de l'enfant, quoique contraires aux règles de droit française relatives à l'assistance médicale à la procréation, sont indifférentes et ne sauraient empêcher l'établissement en France de sa filiation adoptive. La solution est à rapprocher de l'arrêt du 8 juillet 2010 dans lequel la Cour de cassation avait affirmé que "le refus d'exequatur fondé sur la contrariété à l'ordre public international français de la décision étrangère suppose que celle-ci comporte des dispositions qui heurtent des principes essentiels du droit français ; qu'il n'en est pas ainsi de la décision qui partage l'autorité parentale entre la mère et l'adoptante d'un enfant" (6). Ainsi, aux yeux de la Cour de cassation, certaines dispositions du droit français -soigneusement sélectionnées par elle...- n'ont pas une importance telle que leur contournement par des dispositions étrangères favorables constituerait une atteinte à l'ordre public. L'avis du 22 septembre 2014 permet de penser qu'il en va ainsi des conditions de l'accès à la PMA prescrites par l'article L. 2141-2 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L7144IQN), contrairement à ce que la Cour de cassation avait décidé en 2011 pour les enfants nés de convention de gestation pour autrui à l'étranger (7). En affirmant clairement que les conditions de la conception de l'enfant qui fait l'objet d'une demande d'adoption par la femme de sa mère doivent être indifférentes, la Cour de cassation assure aux couples de femmes qui ont conçu ensemble un projet parental passant par le recours au mariage, à la PMA et enfin à l'adoption de l'enfant par le conjoint, une certaine sécurité juridique que la loi à elle seule ne leur garantissait pas, interprétée qu'elle pouvait être par certains juges réfractaires à la constitution d'une famille homosexuelle par la voie de l'adoption. L'avis de la Cour de cassation rend peu probable une résistance des juges du fond. Il n'en demeure pas moins qu'une évolution de la législation française dans le sens d'un accès à la PMA pour les couples de femmes serait plus logique (8). Elle permettrait, en outre, d'assurer l'égalité dans l'accès à l'assistance médicale à la procréation sans privilégier les femmes qui ont les moyens de recourir à une insémination à l'étranger.
III - L'invention d'une action tendant à la reconnaissance d'une ascendance génétique par voie d'expertise
La créativité du juge en droit de la famille atteint sans aucun doute son paroxysme dans l'arrêt du 13 novembre 2014 (9) dans lequel la Cour de cassation invente, ni plus ni moins, une action nouvelle, totalement absente du droit légiféré. Selon ses propres termes, la Haute juridiction reconnaît l'existence d'une "action tendant la reconnaissance d'une ascendance génétique par voie d'expertise" qui permettrait à une personne de solliciter une expertise génétique sur le corps de son parent supposé, en dehors de toute action relative à sa filiation, pour connaître ses origines. Pour créer "cette action en dehors de la loi, et dans une certaine mesure, contre la loi" (10, la Cour de cassation se fonde sur l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, et plus particulièrement, même si elle ne le précise pas, sur le droit à l'identité qui en découle selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme (11). La Haute juridiction française comble sans aucun doute un besoin de notre droit et contribue incontestablement à mettre la France à l'abri d'une condamnation européenne. Toutefois on ne peut s'empêcher de remarquer qu'on aboutit à l'existence d'une action qui contredit plusieurs textes en vigueur ; en effet, selon l'article 16-11 du Code civil (N° Lexbase : L7477IPM), l'identification par expertise génétique ne peut avoir lieu que dans le cadre d'une action relative à la filiation et la personne concernée par l'expertise doit donner, de son vivant, son consentement à une expertise post mortem, règles restrictives qui ont cependant été validées par le Conseil constitutionnel (12). Comme le fait remarquer un auteur, "en créant une nouvelle action, la Cour de cassation évite d'entrer dans la délicate question de l'articulation des normes constitutionnelles et conventionnelles" (13).
Par ailleurs, la Cour de cassation n'hésite pas à préciser le régime de cette action prétorienne en affirmant, au fondement des articles 14 (N° Lexbase : L1131H4N) et 125 (N° Lexbase : L1421H4E) du Code de procédure civile, que "la recevabilité d'une action tendant à la reconnaissance d'une ascendance génétique par voie d'expertise, lorsque celle-ci nécessite une exhumation, est subordonnée à la mise en cause des ayants droit du défunt ; qu'en matière d'état des personnes, les fins de non-recevoir ont un caractère d'ordre public" ; la Cour soumet ainsi cette action nouvelle au droit commun des actions d'état. Cette inventivité de la Cour de cassation n'est pas sans rappeler sa jurisprudence des années 80 par laquelle elle avait créé, en se fondant sur une interprétation a contrario de certaines dispositions du Code civil, des actions en contestation de filiation totalement absente de l'esprit même des textes (14)...
IV - La reconnaissance de la filiation de l'enfant né d'une GPA à l'étranger en réponse à la condamnation européenne
Les arrêts rendus le 3 juillet 2015 en Assemblée plénière (15) par lesquels la Cour de cassation revient sur son refus de reconnaître la filiation d'un enfant né d'une convention de gestation pour autrui, sont évidemment la conséquence directe de la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l'Homme dans les affaires "Mennesson" et "Labassée" (16). Toutefois, la Cour de cassation n'a pas procédé à une confrontation directe entre le texte interne, l'article 16-11 du Code civil, et les exigences européennes ; elle a préféré ouvrir une voie parallèle pour aboutir à la reconnaissance de la filiation, au moins paternelle, de l'enfant né à l'étranger d'une convention de gestation pour autrui, en utilisant une disposition technique. La Cour de cassation se fonde en effet sur l'article 47 du Code civil (N° Lexbase : L1215HWW) interprété à la lumière de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme. Pour motiver son revirement, la Cour de cassation se réfugie dans une analyse formelle de l'acte étranger dont la transcription était sollicitée sur le fondement de l'article 47 du Code civil. L'existence d'un lien biologique entre l'enfant et ses parents déclarés explique l'influence de la condamnation de la France par la Cour européenne. C'est, en effet, bien parce que la condamnation européenne portait précisément sur l'absence de reconnaissance d'une filiation correspondant à la réalité biologique que la Cour de cassation ne pouvait plus refuser cette reconnaissance dans l'hypothèse des arrêts de 2015, dans laquelle les parents indiqués dans l'acte de naissance à transcrire étaient les parents génétiques de l'enfant.
La Cour de cassation a fait ce qu'il était nécessaire, mais pas davantage, pour protéger la France d'une nouvelle condamnation européenne. En effet, si l'Assemblée plénière de la Cour de cassation, opérant ce qui est clairement un revirement de jurisprudence, affirme que la convention de gestation pour autrui ne fait pas obstacle à la transcription de l'acte de naissance dès lors que les faits correspondent à la réalité, elle laisse sans solution nombre de situations consécutives au recours à la gestion pour autrui à l'étranger, lorsque la filiation de l'enfant doit être établie à l'égard de parents d'intention.
Même si elle ne vise pas l'article 16-7 du Code civil aux termes duquel "toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d'autrui est nulle", la Cour de cassation en limite, par ce revirement, les effets et admet que cette convention conclue à l'étranger n'empêche pas la reconnaissance des liens de filiation qui en découlent. Cette évolution jurisprudentielle peut ainsi être lue comme une solution contra legem, en opposition avec l'article 16-7 du Code civil (N° Lexbase : L1695ABE), sauf à considérer qu'il s'agit seulement d'apporter une exception à ce texte lorsque la convention de gestation pour autrui a été exécutée à l'étranger. On peut alors considérer qu'il s'agit d'une construction prétorienne, à côté de la loi, qui permet de contourner celle-ci sans la remettre formellement en cause.
Les attendus des arrêts de 2015 doivent être rapprochés des avis du 22 septembre 2014 (17) dans lesquels la Cour de cassation a affirmé que le recours à l'assistance médicale à la procréation à l'étranger dans des conditions différentes de celles exigées par la loi française ne fait pas obstacle à l'adoption par l'épouse de la mère de l'enfant né de cette procréation. Ainsi, les conditions de la conception médicalement assistée de l'enfant, PMA ou GPA, sont désormais, en elles-mêmes, indifférentes à la reconnaissance de sa filiation, et ce même si ces conditions ne respectent pas les dispositions du droit français.
Il apparaît, là encore, qu'une intervention législative s'impose pour consacrer et préciser la reconnaissance en France des effets des filiations établies légalement à l'étranger, fût-ce par le recours à une convention de mère porteuse, sans pour autant aller trop loin et revenir sur la prohibition de la gestation pour autrui conforme aux principes fondateurs de notre droit.
Conclusion. Pour éviter d'affronter de front des règles de droit internes, parfois validées par le Conseil constitutionnel et dont les effets sont incompatibles avec les exigences de la Cour européenne des droits de l'Homme, la Cour de cassation ouvre des voies détournées, aboutissant ainsi à la création d'une sorte de monde parallèle, en marge des textes. Il ne s'agit pas, en effet, seulement de réponses ponctuelles sur des questions secondaires mais de véritables solutions générales sur des points importants à propos desquels la Cour de cassation apporte non seulement une solution mais dont elle précise également parfois le régime.
Même si la méthode, qui s'assimile quelque peu à une voie de fait, est contestable, on ne peut nier que cette attitude jurisprudentielle audacieuse correspond à un véritable besoin. La Cour de cassation remplit en effet les obligations positives qu'implique, selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme, l'article 8, et notamment celle de reconnaître la filiation, et plus largement les éléments de l'identité de l'enfant. Il n'est d'ailleurs pas neutre que les décisions concernent surtout des questions liées à l'identité, que le législateur contemporain trop timoré hésite à résoudre. Car on ne peut s'empêcher de voir dans ces constructions prétoriennes autant d'appels au législateur qui semble avoir perdu tout courage depuis la promotion difficile du mariage pour tous. Or, une intervention de la loi garantirait une meilleure sécurité juridique, mettant le justiciable à l'abri d'un nouveau revirement de jurisprudence.
En attendant, le droit de la famille est pour une part non négligeable, à la fois composé de règles écrites et de règles non écrites qui ne se sont pas rattachées aux premières, voire leur sont opposées alors qu'elles ont le même objet. On en arrive alors au constat paradoxal d'un droit de la famille conforme aux exigences du droit supra-national mais dont certaines solutions jurisprudentielles sont en contradiction avec les principes légaux. Ces paradoxes, voire ces contradictions ne risquent-ils pas, à terme, de déséquilibrer le droit de la famille et d'en menacer la cohérence d'ensemble ?
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Réf. : CE 4° et 5° s-s-r., 14 septembre 2015, n° 385534, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A9763NNW)
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par Romain Bourrel, Maître de conférences en droit public - GREAT, Univ. Grenoble Alpes, CRJ, F-38000 Grenoble, France
Le 01 Octobre 2015
Ce dernier a donc décidé d'interjeter appel de ce jugement devant le Conseil d'Etat qui a annulé le jugement du tribunal de Melun qu'il a estimé avoir été rendu à l'issue d'une procédure irrégulière : M. C n'avait en effet pas été informé de la saisine de CNCCFP, ni de l'audience au cours de laquelle le tribunal allait statuer sur ladite saisine. Le Conseil d'Etat a ensuite décidé de statuer lui-même car le délai de deux mois à partir de la date de réception par le tribunal administratif des décisions de la CNCCFP imparti au tribunal par l'article R. 120 du Code électoral (N° Lexbase : L3739HTN) pour statuer était expiré.
Dans la décision rapportée, deux points doivent être relevés. D'une part, l'étendue de l'application du principe du contradictoire devant la CNCCFP a été utilement précisée par le Conseil d'Etat (I). D'autre part, les règles relatives au prononcé de la sanction par le juge électoral, et notamment l'impossibilité pour le juge d'appel d'aggraver la sanction, ont été rappelées (II).
I - En l'absence de dépôt du compte de campagne d'un candidat, la CNCCFP n'a pas à respecter le principe du contradictoire
L'article L. 52-12 du Code électoral (N° Lexbase : L7947I7H) fait obligation à chaque candidat ou chaque tête de liste soumis au plafonnement des dépenses électorales prévu à l'article L. 52-11 (N° Lexbase : L5311IR7) et qui a obtenu au moins 1 % des suffrages exprimés d'établir un compte de campagne et de le déposer à la CNCCFP au plus tard à 18 heures le dixième vendredi suivant le premier tour de scrutin. L'article L. 52-15 du même code prévoit quant à lui la procédure à suivre devant la commission. Il précise en effet que "la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques approuve et, après procédure contradictoire, rejette ou réforme les comptes de campagne". Il poursuit de la manière suivante : "lorsque la commission a constaté que le compte de campagne n'a pas été déposé dans le délai prescrit, si le compte a été rejeté ou si, le cas échéant après réformation, il fait apparaître un dépassement du plafond des dépenses électorales, la commission saisit le juge de l'élection".
M. C. invoquait les irrégularités de la mise en demeure, donc de la relance, adressée par la commission et par conséquent l'irrégularité de la saisine du juge de l'élection. Or, en l'espèce, la commission n'a jamais reçu le compte de campagne de M. C., ce dernier l'ayant envoyé dans les délais légaux mais à une adresse erronée, et n'a pu que constater l'absence de dépôt du compte de campagne. Elle n'a ainsi pas été en mesure d'approuver ou de rejeter le compte mais a tout de même saisi le tribunal administratif. En effet, la saisine du juge électoral est prévue dans trois situations : dépassement du plafond des dépenses électorales, rejet du compte pour non-respect de la législation sur le financement des campagnes électorales et non-dépôt du compte (1). D'ailleurs, le Conseil d'Etat se montre très ferme s'agissant du respect du délai de dépôt puisqu'il estime que "la commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, qui [n'a] pas le pouvoir de prolonger ce délai impératif, [est] tenue de saisir le juge de l'élection" (2).
La situation peu commune de M. C. offre au Conseil d'Etat l'occasion de préciser sa jurisprudence sur le respect du contradictoire : la CNCCFP n'a l'obligation de le respecter que lorsqu'elle souhaite réformer ou rejeter le compte de campagne, non lorsqu'elle n'est pas en mesure de se prononcer sur la régularité ou l'irrégularité dudit compte. Cette solution correspond à la lettre de l'article L. 52-15. Le juge administratif aurait sans doute pu retenir une position moins restrictive quant au champ d'application du contradictoire et ce d'autant plus facilement que l'absence de respect du contradictoire préalable au rejet du compte de campagne par la commission rend irrecevable la saisine du juge administratif (3).
II - L'impossibilité pour le juge d'appel d'aggraver la sanction sur le seul appel de la personne sanctionnée
Le second point qui attire l'attention dans l'arrêt rapporté concerne le prononcé de la sanction d'inéligibilité. En effet, l'article L. 118-3 du Code électoral (N° Lexbase : L7953I7P) dispose que "le juge de l'élection peut prononcer l'inéligibilité du candidat ou des membres du binôme de candidats qui n'a pas déposé son compte de campagne" et rajoute que "l'inéligibilité [...] est prononcée pour une durée maximale de trois ans et s'applique à toutes les élections".
La jurisprudence administrative est très claire sur les prérogatives dont dispose le juge lorsqu'il est saisi par la CNCCFP : il doit apprécier si le compte de campagne a été rejeté à bon droit par la commission (4). En outre, si le juge de l'élection constate des irrégularités dans le financement de la campagne, il dispose d'une grande latitude pour prononcer l'inéligibilité du candidat (5) pour une durée maximale de trois ans qui vaut pour toutes les élections. Dans le cas du non-respect de l'obligation de dépôt du compte, le juge de l'élection est donc conduit à apprécier les faits reprochés au candidat et le caractère substantiel ou non de l'obligation méconnue pour prononcer une sanction d'inéligibilité. Il doit prendre en considération la nature de la règle méconnue, le caractère délibéré ou non du manquement, l'existence éventuelle d'autres motifs d'irrégularité du compte, le montant des sommes en cause et l'ensemble des circonstances de l'espèce. Le non-respect du délai de dépôt est d'autant plus durement sanctionné que le Conseil d'Etat estime que le dépôt du compte de campagne dans les délais constitue une formalité substantielle à laquelle il est impossible de déroger (6).
Néanmoins, et malgré l'effet dévolutif de l'appel, le Conseil d'Etat rappelle que le juge ne peut pas aggraver une sanction infligée en première instance sur le seul appel de la personne sanctionnée, en vertu de l'interdiction de la reformatio in pejus. Comme il le fait remarquer dans cet arrêt, il fait ainsi application d'un principe général du droit des sanctions et ne peut, en l'espèce, pas aggraver l'inéligibilité d'une année aux seules fonctions de conseiller municipal prononcée contre M. C par le tribunal administratif de Melun. Le juge adopte ici une position analogue à celle qu'il retient concernant les sanctions disciplinaires. Il a par exemple eu l'occasion de préciser l'étendue de ce principe général du droit en matière disciplinaire dans les termes suivants : "considérant qu'il résulte des principes généraux du droit disciplinaire qu'une sanction infligée en première instance par une juridiction disciplinaire ne peut être aggravée par le juge d'appel saisi du seul recours de la personne frappée par la sanction ; que cette règle s'applique y compris dans le cas où le juge d'appel, après avoir annulé la décision de première instance, se prononce par voie d'évocation ; que, relative à la compétence du juge d'appel, elle relève de l'ordre public ; que sa méconnaissance peut en conséquence être invoquée à tout moment de la procédure et qu'il appartient, le cas échéant, au juge de cassation de la relever d'office" (7).
Cette règle, somme toute parfaitement compréhensible, recèle cependant en l'espèce une conséquence néfaste : le fait que le tribunal administratif n'ait pas condamné M. C. à une peine d'inéligibilité s'appliquant à toutes les élections empêche le juge d'appel de prononcer ladite peine pourtant expressément prévue par la loi.
(1) Sur ce dernier point, voir CE, 18 décembre 1992, n° 139652, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A1099AIK).
(2) CE, 29 juillet 2002, n° 242641, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A2970AZZ).
(3) CE, Sect., 2 octobre 1996, n° 176967, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A1463APU).
(4) CE, 19 juin 2013, n° 356862, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A7900KGP).
(5) Qu'il devra prononcer dans les cas les plus graves, CE, 23 juillet 2012, n° 357453, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A0776IR8).
(6) CE, Sect., 7 mai 1993, n° 140134, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A9615AM3): "considérant que le délai de dépôt du compte de campagne prescrit par le deuxième alinéa de l'article L. 52-12 du Code électoral présente un caractère impératif".
(7) CE 4° et 5° s-s-r., 17 juillet 2013, n° 362481, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A0093KKN).
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Réf. : CE 9° et 10° s-s-r., 25 septembre 2015, n° 370687, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A8494NPB)
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Le 08 Octobre 2015
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par Jules Bellaiche, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition fiscale
Le 01 Octobre 2015
Lexbase : L'été 2015 a, notamment, été marqué médiatiquement par l'annonce du (faible) montant d'impôts dû par Facebook. Pouvez-vous nous décrire le mécanisme permettant ce résultat ?
Benoît Dambre et Grégoire De Vogüé : Il est régulièrement fait état que certaines entreprises, et notamment les plus en vue dans le domaine de l'économie numérique (Google, Apple, Facebook et Amazon ou "GAFA" en abrégé), s'acquitteraient d'un "faible montant d'impôt". Mais il faut se méfier des accusations et des conclusions hâtives, pour plusieurs raisons.
En premier lieu, dans un contexte de compétition fiscale entre Etats, les entreprises se doivent de gérer leur charge fiscale au mieux de leurs intérêts, dans le respect de la légalité. Faute de prendre en compte la fiscalité dans leurs décisions de gestion, toute déperdition fiscale profite in fine à leurs concurrents. La stratégie fiscale n'est pas un délit mais une nécessité pour assurer la compétitivité durable des investissements.
En deuxième lieu, la répartition de la base fiscale entre les Etats obéit à des normes internationales que les entreprises ne font qu'appliquer et qu'il ne leur appartient pas de changer. On ne saurait valablement reprocher à ces entreprises, notamment, de localiser leurs actifs, leurs fonctions et leurs risques dans les Etats où la pression fiscale est moins élevée. Il s'agit d'une pratique tout à fait légale et conforme aux principes OCDE en matière de prix de transfert, fondés sur le principe de pleine concurrence.
Enfin, il faut analyser plus finement ce qui se cache derrière le terme "impôt", et se méfier des amalgames et des approximations. Ce qui est critiqué en réalité c'est le faible niveau d'impôt sur les bénéfices acquitté en France par les filiales de groupes internationaux, alors que d'autres sociétés du groupe y réalisent un chiffre d'affaires important. Outre le fait qu'il s'agit d'entités différentes qui doivent être imposées séparément, on confond ici chiffre d'affaires et bénéfices, et on oublie que les entreprises étrangères qui réalisent des ventes à distance sur le territoire fiscal français sans y posséder d'établissement stable ne doivent être taxées que dans leur pays de "résidence" et non en France, conformément aux conventions fiscales internationales signées par les Etats.
On oublie, enfin, trop souvent de rappeler que l'impôt sur les bénéfices ne représente qu'une infime partie des prélèvements acquittés par les entreprises, de même que les effets indirects de leur activité (impôts sur la consommation notamment).
Certes, dès leur création, certaines entreprises décident de localiser (et non de "délocaliser") leurs moyens de production au mieux de leurs intérêts, ce qui encore une fois est parfaitement légitime voire nécessaire dans un monde globalisé où le capital s'alloue là où son taux de rendement après impôt est le plus élevé.
Certes, également, les règles actuelles qui permettent de répartir les bases fiscales entre les Etats, plus particulièrement celles dans le domaine de l'économie numérique, ne sont guère satisfaisantes. Mais, encore une fois, il n'appartient pas aux entreprises de modifier ces règles qu'elles ne font qu'appliquer.
Lexbase : Google affirme régulièrement et expressément sa volonté de réduire par tous moyens (légaux) sa fiscalité. Quelles sont alors les conséquences d'annoncer ce type de stratégie publiquement ? Que risquent réellement ces multinationales ?
Benoît Dambre et Grégoire De Vogüé : Là encore, il faut se méfier des conclusions hâtives : toute entreprise américaine est taxée sur ses profits mondiaux dès lors qu'ils sont rapatriés sur le sol américain. Dit autrement, s'agissant des entreprises américaines, si planification fiscale il y a, il s'agira tout au plus de décaler dans le temps le paiement de l'impôt américain, dont le taux réel avoisine 35 %. Ici encore, ces entreprises ne font qu'appliquer les règles fiscales américaines, qui favorisent l'expansion et les acquisitions à l'étranger et non le rapatriement de dividendes.
Cela étant, sans qu'il soit question de pointer du doigt telle ou telle entreprise, il est clair que les entreprises, et surtout celles qui sont en rapport direct avec leurs clients ("B to C"), doivent désormais intégrer le risque d'atteinte à leur réputation en cas de planification fiscale jugée trop agressive.
A titre d'exemple, l'entreprise Starbucks a dû s'engager en 2013 à verser au Trésor britannique une "contribution volontaire", même en l'absence de bénéfices réalisés sur le sol britannique, afin de mettre fin à une polémique sur le fait qu'elle n'acquittait pas ou peu d'impôt sur les bénéfices au Royaume-Uni, alors qu'elle y réalisait un chiffre d'affaires conséquence. Peu importe ici l'absence de bénéfices : c'est sous la pression médiatique que l'entreprise a dû céder afin de se "réconcilier" avec ses clients.
Plus que jamais, dans une économie de plus en plus transparente, les entreprises doivent admettre que la fiscalité a quitté le seul domaine du droit pour rejoindre celui de la réputation. Tout choix fiscal, même parfaitement légal ou non optimisant, doit pouvoir être expliqué et compris par les parties prenantes, à défaut d'être approuvé.
Lexbase : Quelles sont, à ce jour, les différentes stratégies que vous pouvez conseiller à une société multinationale désireuse de se retrouver dans un environnement fiscal favorable ? Prôneriez-vous une stratégie "agressive" ou "prudente" ?
Benoît Dambre et Grégoire De Vogüé : Il n'y a pas de bonne stratégie fiscale qui ne réponde à des impératifs économiques. La stratégie fiscale est un tout et ne se réduit pas à localiser puis délocaliser des actifs, des employés, au gré des "modes" et des incitations fiscales des Etats, qui se livrent une guerre sans merci pour attirer davantage de base fiscale. Toute stratégie fiscale ne peut que s'inscrire dans la durée, au vu des contraintes propres à l'activité de l'entreprise, de ses fournisseurs et de ses clients. A cet égard, la stratégie fiscale accompagne la stratégie d'entreprise tout court : c'est le business qui détermine les principales orientations du groupe, et la stratégie fiscale doit être au service de ces objectifs business.
Cela étant, il faut là encore tuer une idée reçue : l'agressivité fiscale n'est pas tant le fait des entreprises que le fait des Etats, la plupart des entreprises étant victimes de doubles impositions à répétition et d'une "balkanisation" croissante de la fiscalité internationale.
En effet, à défaut d'harmonisation des règles fiscales, les Etats sont de plus en plus tentés de prendre des mesures unilatérales pour taxer des profits imaginaires qu'ils estiment devoir leur revenir, comme par exemple le Brésil qui vient de mettre en place la taxation sur une "marge fixe", quelle que soit la réalité des profits réalisés par les entreprises au Brésil, ou le Royaume-Uni qui vient de mettre en place une "Google tax" censée appréhendée une part des profits que le fisc britannique estime devoir lui revenir, au mépris des principes de l'OCDE en matière de prix de transfert. De son côté, la France réfléchit à plusieurs pistes, comme par exemple taxer la bande passante (rapport "Collin et Colin").
Et, face à ces annonces unilatérales des Etats, la principale attente des groupes est d'assurer un haut niveau de sécurité fiscale (certitude sur les règles et les niveaux de taxation appliqués). A cet égard, ce que les groupes souhaitent, ce sont des règles du jeu claires au sein de chaque Etat, et entre les Etats, permettant d'assurer une compétition saine entre les groupes, sans que la fiscalité soit un facteur discriminant. Cela passe notamment par le développement d'outils de coopération internationale sur les modalités d'imposition. En particulier, des projets comme le projet de Directive européenne "ACCIS" (assiette commune consolidée sur l'impôt des sociétés) de 2011 visant à la mise en place d'une consolidation fiscale européenne, ou le développement d'accord bilatéraux/multilatéraux entre Etats permettant de valider en amont les politiques de prix de transfert des groupes, sont considérés comme des avancées souhaitables.
Lexbase : Les organisations internationales ont-elles concrètement un rôle à jouer afin de réguler ces pratiques ? Quelles seraient, selon vous, les mesures les plus urgentes à adopter, tant au niveau international qu'au niveau français ?
Benoît Dambre et Grégoire De Vogüé : Les organisations internationales (OCDE et UE) et les Etats ont une responsabilité historique afin d'éviter l'émergence d'un protectionnisme fiscal au niveau mondial et favoriser l'adoption de règles fiscales simples et stables permettant une croissance durable.
Outre la lutte légitime contre la fraude et l'évasion fiscale, il leur faut créer les conditions d'un nouvel ordre fiscal mondial sécurisé pour les entreprises en vue d'une allocation optimale des ressources en capital et de l'emploi.
La tâche n'est pas aisée et ces règles nouvelles devront tenir compte d'une "nouvelle donne", économique issue de la globalisation qui efface les frontières fiscales, de l'économie numérique et de la désintermédiation.
Ces trois phénomènes créent des richesses certaines pour les citoyens, que les Etats peinent à taxer avec leurs outils actuels. Ils ont donc donné mandat à l'OCDE pour élaborer de nouvelles règles permettant de sécuriser leurs recettes fiscales, sous l'impulsion du G20. Ce projet intitulé "BEPS" (Base Erosion and Profit Shifting) vise à lutter contre l'érosion des bases fiscales et les transferts de bénéfices, est mené tambour battant par l'OCDE, avec quelques succès dans le domaine de la lutte contre l'évasion fiscale. Hélas, outre les mesures destinées à assurer une plus grande transparence dans le domaine fiscal, que les Etats ont été prompts à adopter, on observe leur difficulté définir de nouvelles règles afin de mieux répartir entre eux les bases fiscales, en particulier celles générées par l'économie numérique. Il en résulte une multiplication des situations de double imposition, y compris au sein même de l'Union européenne, ce qui accroît les difficultés des entreprises européennes face à leurs concurrents établis dans les pays émergents ou aux Etats-Unis, où les entreprises sont soutenues dans leur expansion par une législation et une administration plus favorables.
Comme indiqué plus haut, un des enjeux pour les groupes est d'accroître d'accroitre la lisibilité et la compatibilité des règles entre Etats. A cet égard, l'Europe doit porter un message fiscal plus fort et plus intégré. En effet, le niveau actuel de concurrence fiscale intra-européenne le montre bien : créer un espace économique ouvert, avec une monnaie commune, sans poser la question de l'harmonisation des règles fiscales, entraîne une concurrence fiscale importante du fait de la forte mobilité des opérations au sein de l'Union. Même si aucune étude ne le démontre, il est probable que la guerre fiscale entre Etats détruise de la valeur fiscale pour l'Union européenne, et risque de conduire à l'explosion des double-impositions pour les groupes. Créer un espace fiscal européen intégré peut passer soit par la mise en place d'une consolidation fiscale européenne (de type ACCIS), soit par la validation, en amont, à l'échelle de l'Union européenne, de la politique de prix de transfert d'un groupe (sous la forme d'accords préalables de prix de transfert, couvrant toute l'Union européenne, et valable pour une durée de 3 à 5 ans). Dans ce dernier cas, des règles de subsidiarité, comme celles applicables en droit de la concurrence, pourraient permettre de définir à partir de quelle taille les opérations d'un groupe seraient d'enjeu européen (e.g. : chiffre d'affaires en Europe supérieur à cinq milliards d'euros, présence dans au moins cinq pays de l'Union, etc.).
A l'international, les travaux de l'OCDE sur BEPS contribuent à créer un corpus de règles plus alignées sur le fonctionnement économique des groupes. Il faudra, cependant, s'assurer qu'en parallèle, les règles de coopération entre Etats se clarifient et se fluidifient, pour éviter l'explosion, aujourd'hui prévisible, des conflits fiscaux transfrontaliers, entraînant pour les groupes des doubles impositions non résolues.
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Réf. : CE, Sect., 25 septembre 2015, n° 372624, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A8495NPC)
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Le 03 Octobre 2015
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Réf. : Cass. crim., 22 septembre 2015, n° 14-82.435, F-P+B (N° Lexbase : A8236NPQ)
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Le 02 Octobre 2015
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par Jules Bellaiche, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition fiscale
Le 01 Octobre 2015
Lexbase : L'été 2015 a, notamment, été marqué médiatiquement par l'annonce du (faible) montant d'impôts dû par Facebook. Pouvez-vous nous décrire le mécanisme permettant ce résultat ?
Benoît Dambre et Grégoire De Vogüé : Il est régulièrement fait état que certaines entreprises, et notamment les plus en vue dans le domaine de l'économie numérique (Google, Apple, Facebook et Amazon ou "GAFA" en abrégé), s'acquitteraient d'un "faible montant d'impôt". Mais il faut se méfier des accusations et des conclusions hâtives, pour plusieurs raisons.
En premier lieu, dans un contexte de compétition fiscale entre Etats, les entreprises se doivent de gérer leur charge fiscale au mieux de leurs intérêts, dans le respect de la légalité. Faute de prendre en compte la fiscalité dans leurs décisions de gestion, toute déperdition fiscale profite in fine à leurs concurrents. La stratégie fiscale n'est pas un délit mais une nécessité pour assurer la compétitivité durable des investissements.
En deuxième lieu, la répartition de la base fiscale entre les Etats obéit à des normes internationales que les entreprises ne font qu'appliquer et qu'il ne leur appartient pas de changer. On ne saurait valablement reprocher à ces entreprises, notamment, de localiser leurs actifs, leurs fonctions et leurs risques dans les Etats où la pression fiscale est moins élevée. Il s'agit d'une pratique tout à fait légale et conforme aux principes OCDE en matière de prix de transfert, fondés sur le principe de pleine concurrence.
Enfin, il faut analyser plus finement ce qui se cache derrière le terme "impôt", et se méfier des amalgames et des approximations. Ce qui est critiqué en réalité c'est le faible niveau d'impôt sur les bénéfices acquitté en France par les filiales de groupes internationaux, alors que d'autres sociétés du groupe y réalisent un chiffre d'affaires important. Outre le fait qu'il s'agit d'entités différentes qui doivent être imposées séparément, on confond ici chiffre d'affaires et bénéfices, et on oublie que les entreprises étrangères qui réalisent des ventes à distance sur le territoire fiscal français sans y posséder d'établissement stable ne doivent être taxées que dans leur pays de "résidence" et non en France, conformément aux conventions fiscales internationales signées par les Etats.
On oublie, enfin, trop souvent de rappeler que l'impôt sur les bénéfices ne représente qu'une infime partie des prélèvements acquittés par les entreprises, de même que les effets indirects de leur activité (impôts sur la consommation notamment).
Certes, dès leur création, certaines entreprises décident de localiser (et non de "délocaliser") leurs moyens de production au mieux de leurs intérêts, ce qui encore une fois est parfaitement légitime voire nécessaire dans un monde globalisé où le capital s'alloue là où son taux de rendement après impôt est le plus élevé.
Certes, également, les règles actuelles qui permettent de répartir les bases fiscales entre les Etats, plus particulièrement celles dans le domaine de l'économie numérique, ne sont guère satisfaisantes. Mais, encore une fois, il n'appartient pas aux entreprises de modifier ces règles qu'elles ne font qu'appliquer.
Lexbase : Google affirme régulièrement et expressément sa volonté de réduire par tous moyens (légaux) sa fiscalité. Quelles sont alors les conséquences d'annoncer ce type de stratégie publiquement ? Que risquent réellement ces multinationales ?
Benoît Dambre et Grégoire De Vogüé : Là encore, il faut se méfier des conclusions hâtives : toute entreprise américaine est taxée sur ses profits mondiaux dès lors qu'ils sont rapatriés sur le sol américain. Dit autrement, s'agissant des entreprises américaines, si planification fiscale il y a, il s'agira tout au plus de décaler dans le temps le paiement de l'impôt américain, dont le taux réel avoisine 35 %. Ici encore, ces entreprises ne font qu'appliquer les règles fiscales américaines, qui favorisent l'expansion et les acquisitions à l'étranger et non le rapatriement de dividendes.
Cela étant, sans qu'il soit question de pointer du doigt telle ou telle entreprise, il est clair que les entreprises, et surtout celles qui sont en rapport direct avec leurs clients ("B to C"), doivent désormais intégrer le risque d'atteinte à leur réputation en cas de planification fiscale jugée trop agressive.
A titre d'exemple, l'entreprise Starbucks a dû s'engager en 2013 à verser au Trésor britannique une "contribution volontaire", même en l'absence de bénéfices réalisés sur le sol britannique, afin de mettre fin à une polémique sur le fait qu'elle n'acquittait pas ou peu d'impôt sur les bénéfices au Royaume-Uni, alors qu'elle y réalisait un chiffre d'affaires conséquence. Peu importe ici l'absence de bénéfices : c'est sous la pression médiatique que l'entreprise a dû céder afin de se "réconcilier" avec ses clients.
Plus que jamais, dans une économie de plus en plus transparente, les entreprises doivent admettre que la fiscalité a quitté le seul domaine du droit pour rejoindre celui de la réputation. Tout choix fiscal, même parfaitement légal ou non optimisant, doit pouvoir être expliqué et compris par les parties prenantes, à défaut d'être approuvé.
Lexbase : Quelles sont, à ce jour, les différentes stratégies que vous pouvez conseiller à une société multinationale désireuse de se retrouver dans un environnement fiscal favorable ? Prôneriez-vous une stratégie "agressive" ou "prudente" ?
Benoît Dambre et Grégoire De Vogüé : Il n'y a pas de bonne stratégie fiscale qui ne réponde à des impératifs économiques. La stratégie fiscale est un tout et ne se réduit pas à localiser puis délocaliser des actifs, des employés, au gré des "modes" et des incitations fiscales des Etats, qui se livrent une guerre sans merci pour attirer davantage de base fiscale. Toute stratégie fiscale ne peut que s'inscrire dans la durée, au vu des contraintes propres à l'activité de l'entreprise, de ses fournisseurs et de ses clients. A cet égard, la stratégie fiscale accompagne la stratégie d'entreprise tout court : c'est le business qui détermine les principales orientations du groupe, et la stratégie fiscale doit être au service de ces objectifs business.
Cela étant, il faut là encore tuer une idée reçue : l'agressivité fiscale n'est pas tant le fait des entreprises que le fait des Etats, la plupart des entreprises étant victimes de doubles impositions à répétition et d'une "balkanisation" croissante de la fiscalité internationale.
En effet, à défaut d'harmonisation des règles fiscales, les Etats sont de plus en plus tentés de prendre des mesures unilatérales pour taxer des profits imaginaires qu'ils estiment devoir leur revenir, comme par exemple le Brésil qui vient de mettre en place la taxation sur une "marge fixe", quelle que soit la réalité des profits réalisés par les entreprises au Brésil, ou le Royaume-Uni qui vient de mettre en place une "Google tax" censée appréhendée une part des profits que le fisc britannique estime devoir lui revenir, au mépris des principes de l'OCDE en matière de prix de transfert. De son côté, la France réfléchit à plusieurs pistes, comme par exemple taxer la bande passante (rapport "Collin et Colin").
Et, face à ces annonces unilatérales des Etats, la principale attente des groupes est d'assurer un haut niveau de sécurité fiscale (certitude sur les règles et les niveaux de taxation appliqués). A cet égard, ce que les groupes souhaitent, ce sont des règles du jeu claires au sein de chaque Etat, et entre les Etats, permettant d'assurer une compétition saine entre les groupes, sans que la fiscalité soit un facteur discriminant. Cela passe notamment par le développement d'outils de coopération internationale sur les modalités d'imposition. En particulier, des projets comme le projet de Directive européenne "ACCIS" (assiette commune consolidée sur l'impôt des sociétés) de 2011 visant à la mise en place d'une consolidation fiscale européenne, ou le développement d'accord bilatéraux/multilatéraux entre Etats permettant de valider en amont les politiques de prix de transfert des groupes, sont considérés comme des avancées souhaitables.
Lexbase : Les organisations internationales ont-elles concrètement un rôle à jouer afin de réguler ces pratiques ? Quelles seraient, selon vous, les mesures les plus urgentes à adopter, tant au niveau international qu'au niveau français ?
Benoît Dambre et Grégoire De Vogüé : Les organisations internationales (OCDE et UE) et les Etats ont une responsabilité historique afin d'éviter l'émergence d'un protectionnisme fiscal au niveau mondial et favoriser l'adoption de règles fiscales simples et stables permettant une croissance durable.
Outre la lutte légitime contre la fraude et l'évasion fiscale, il leur faut créer les conditions d'un nouvel ordre fiscal mondial sécurisé pour les entreprises en vue d'une allocation optimale des ressources en capital et de l'emploi.
La tâche n'est pas aisée et ces règles nouvelles devront tenir compte d'une "nouvelle donne", économique issue de la globalisation qui efface les frontières fiscales, de l'économie numérique et de la désintermédiation.
Ces trois phénomènes créent des richesses certaines pour les citoyens, que les Etats peinent à taxer avec leurs outils actuels. Ils ont donc donné mandat à l'OCDE pour élaborer de nouvelles règles permettant de sécuriser leurs recettes fiscales, sous l'impulsion du G20. Ce projet intitulé "BEPS" (Base Erosion and Profit Shifting) vise à lutter contre l'érosion des bases fiscales et les transferts de bénéfices, est mené tambour battant par l'OCDE, avec quelques succès dans le domaine de la lutte contre l'évasion fiscale. Hélas, outre les mesures destinées à assurer une plus grande transparence dans le domaine fiscal, que les Etats ont été prompts à adopter, on observe leur difficulté définir de nouvelles règles afin de mieux répartir entre eux les bases fiscales, en particulier celles générées par l'économie numérique. Il en résulte une multiplication des situations de double imposition, y compris au sein même de l'Union européenne, ce qui accroît les difficultés des entreprises européennes face à leurs concurrents établis dans les pays émergents ou aux Etats-Unis, où les entreprises sont soutenues dans leur expansion par une législation et une administration plus favorables.
Comme indiqué plus haut, un des enjeux pour les groupes est d'accroître d'accroitre la lisibilité et la compatibilité des règles entre Etats. A cet égard, l'Europe doit porter un message fiscal plus fort et plus intégré. En effet, le niveau actuel de concurrence fiscale intra-européenne le montre bien : créer un espace économique ouvert, avec une monnaie commune, sans poser la question de l'harmonisation des règles fiscales, entraîne une concurrence fiscale importante du fait de la forte mobilité des opérations au sein de l'Union. Même si aucune étude ne le démontre, il est probable que la guerre fiscale entre Etats détruise de la valeur fiscale pour l'Union européenne, et risque de conduire à l'explosion des double-impositions pour les groupes. Créer un espace fiscal européen intégré peut passer soit par la mise en place d'une consolidation fiscale européenne (de type ACCIS), soit par la validation, en amont, à l'échelle de l'Union européenne, de la politique de prix de transfert d'un groupe (sous la forme d'accords préalables de prix de transfert, couvrant toute l'Union européenne, et valable pour une durée de 3 à 5 ans). Dans ce dernier cas, des règles de subsidiarité, comme celles applicables en droit de la concurrence, pourraient permettre de définir à partir de quelle taille les opérations d'un groupe seraient d'enjeu européen (e.g. : chiffre d'affaires en Europe supérieur à cinq milliards d'euros, présence dans au moins cinq pays de l'Union, etc.).
A l'international, les travaux de l'OCDE sur BEPS contribuent à créer un corpus de règles plus alignées sur le fonctionnement économique des groupes. Il faudra, cependant, s'assurer qu'en parallèle, les règles de coopération entre Etats se clarifient et se fluidifient, pour éviter l'explosion, aujourd'hui prévisible, des conflits fiscaux transfrontaliers, entraînant pour les groupes des doubles impositions non résolues.
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Réf. : CE 9° et 10° s-s-r., 25 septembre 2015, n° 391315, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A8500NPI)
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Le 02 Octobre 2015
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Réf. : Cass. soc., 23 septembre 2015, n° 14-26.262, F-P+B (N° Lexbase : A8237NPR)
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Le 06 Octobre 2015
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par Bastien Brignon, Maître de conférences - HDR à l'Université d'Aix-Marseille, Membre de l'Institut du droit des affaires et du Centre de droit économique (EA 4224)
Le 01 Octobre 2015
Par une ordonnance en date du 10 septembre 2015, publiée au Journal officiel du 11 septembre 2015, le nombre minimal d'actionnaires pour constituer une SA non cotée est passé de sept à deux, modifiant ainsi l'article L. 225-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L3177KH7) dont la dernière phrase ("le nombre des associés ne peut être inférieur à sept") de l'alinéa 1er a été supprimée, et un alinéa second a été ajouté : "Elle est constituée entre deux associés ou plus. Toutefois, pour les sociétés dont les titres sont admis aux négociations sur un marché réglementé, le nombre des associés ne peut être inférieur à sept".
Depuis le 12 septembre 2015, il est donc possible de constituer en France une SA non cotée avec seulement deux actionnaires. Les raisons qui ont poussé à cette modification sont loin d'être nouvelles. Elles sont fort bien expliquées dans le Rapport au Président de la République relatif à ladite ordonnance. En substance, la France était le seul pays de l'Union européenne à poser une telle exigence qui ne se justifiait plus. Si l'exception française était vraie, pour autant le minimum de sept actionnaires pouvait s'expliquer dans certaines structurations, si bien que la mesure divise la doctrine (2).
Pour notre part, nous relevons que l'exigence de sept actionnaires perdure dans les SA cotées, que dans les sociétés d'exercice libéral à forme anonyme (SELAFA) il faut toujours un minimum de trois actionnaires et que, ce minimum de trois, se retrouve également au niveau des administrateurs dans les SA monistes. De sorte que la mesure, issue initialement de la loi de simplification du 20 décembre 2014 (loi n° 2014-1545 N° Lexbase : L0720I7S) ayant habilité à cet effet le Gouvernement à légiférer par voie d'ordonnance (3), n'est peut-être pas si opportune que cela. Quoi qu'il en soit, il est désormais possible de constituer certaines SA avec seulement deux actionnaires (mais toujours un capital minimum de 37 000 euros). Quant aux SA constituées antérieurement à cette réforme, elles ne risquent plus d'être dissoutes si d'aventure leur nombre d'actionnaires passent en dessous de l'ancien seuil de sept, sauf bien entendu s'il s'agit de sociétés cotées. La nouvelle rédaction de l'article L. 225-247, alinéa 1er, du Code de commerce (N° Lexbase : L6118AIG), pose en effet que le tribunal de commerce peut, à la demande de tout intéressé, prononcer la dissolution de la société, si le nombre des actionnaires est réduit à moins de sept depuis plus d'un an pour les sociétés dont les titres sont admis aux négociations sur un marché réglementé. On aurait souhaité, pour plus de cohérence, que soit maintenue la sanction du non-respect du nombre minimal d'actionnaires dans les SA non cotées, ramené à deux à présent. Or, il semblerait que plus aucun texte du Code de commerce ne sanctionne la violation de l'article L. 225-1 du même code. C'est regrettable et assez incompréhensible car nombre de dispositions ont été coordonnées, telles par exemple celles sur la société européenne, afin de tenir compte de la possibilité de constituer une SA non cotée avec deux actionnaires minimum (4). Au demeurant, comme cela a été parfaitement souligné, toutes ces coordinations n'étaient pas nécessaires (5).
On notera enfin que le Gouvernement n'a pas pleinement utilisé l'habilitation dont il bénéficiait du législateur puisque la loi de simplification du 20 décembre 2014 prévoyait d'adapter également les règles d'administration, de fonctionnement et de contrôle des SA non cotées, ce que l'ordonnance du 10 septembre ne fait pas. Même si le rapport au Président de la République s'en explique, et que l'on comprend aisément que l'on ne réforme pas une société vieille de plus d'un siècle à la hâte comme on en diminue simplement le nombre minimal d'actionnaires, la non-utilisation de l'entière habilitation témoigne d'une question plus épineuse, à savoir la réforme en profondeur de la SA, société que plus personne n'utilise, sauf sous la contrainte de la cotation boursière qui continue à poser comme exigence la forme de la SA (ou de la SCA).
Lorsque demain la SAS pourra être cotée en bourse, si tant est que cela soit envisageable, ce que les dernières réformes sur le financement peuvent parfois laisser entrevoir, la SA sera à coup sûr menacée d'extinction. Il faudra bien alors se pencher sur son cas.
L'arrêt du 8 juillet 2015, publié au Bulletin, possède une double portée (6). Il concerne, d'abord, la violation des règles statutaires et la sanction de cette violation. Il a trait ensuite à l'abus de majorité.
En l'occurrence, une SCI a été constituée pour acquérir et exploiter un immeuble. Une société (le majoritaire) a acquis les deux tiers des parts sociales de la SCI, le fondateur (le minoritaire) en détenant un tiers. Une assemblée générale a voté, le 15 janvier 2009, une augmentation de capital social, destinée à financer le coût de travaux à entreprendre avant de remettre l'immeuble en location. Cette augmentation de capital, réalisée avec droit préférentiel de souscription et sans prime d'émission, a été souscrite en totalité par l'associé majoritaire. Une assemblée générale, réunie le 30 mars 2009, a modifié l'objet social pour que la gestion de "tous immeubles et biens immobiliers" et que la "cession" d'immeubles y soient explicitement prévues. Le 15 avril 2009, la SCI a signé une promesse synallagmatique de vente de l'immeuble et les assemblées générales des 21 juin 2010, 23 juin 2011 et 10 juillet 2012 ont affecté la totalité du résultat en réserves. L'associé minoritaire a alors demandé l'annulation de certaines décisions collectives et la liquidation de la société.
La cour d'appel ayant fait droit aux demandes du minoritaire (7), l'associé majoritaire a formé un pourvoi en cassation, reprochant notamment à l'arrêt de prononcer la nullité de la résolution de l'assemblée générale relative à la modification de l'objet social.
En effet, l'article 23 des statuts stipulait que les modifications statutaires "ne pourront être réalisées que si l'assemblée générale extraordinaire réunit un quorum non dégressif des ¾ des associés et statuant à une majorité des ¾ des associés". Or, selon le majoritaire, la nullité des actes ou délibérations des organes de la société ne peut résulter que de la violation d'une disposition impérative du titre X du livre III du Code civil ou de l'une des causes de nullité des contrats en général. Ainsi, ne serait pas nulle la délibération prise en violation des règles statutaires relatives aux conditions de majorité requise dérogeant, tel qu'il l'autorise, à l'article 1836 du Code civil (N° Lexbase : L2007ABX) qui ne serait donc, pas selon lui, impératif.
Concernant le caractère impératif des règles statutaires de majorité renforcée requise pour la modification des statuts, l'article 1836 du Code civil précise que les statuts ne peuvent être modifiés, à défaut de clause contraire, que par l'accord unanime des associés (alinéa 1er) et qu'en aucun cas, les engagements d'un associé ne peuvent être augmentés sans le consentement de celui-ci (alinéa 2). De plus, l'article 1844-10 alinéa 2 du Code civil (N° Lexbase : L2030ABS) dispose que : "la nullité des actes ou délibérations des organes de la société ne peut résulter que de la violation d'une disposition impérative du présent titre ou de l'une des causes de nullité des contrats en général". S'il a déjà été jugé que l'alinéa 2 de l'article 1836 précité était d'ordre public (8), il a également été jugé que ce même alinéa était applicable aux sociétés civiles immobilières comme aux autres sociétés, mais ne réglait pas les conditions auxquelles doivent satisfaire les décisions modificatives des statuts, et non celles relatives aux décisions prises conformément aux statuts, en vue de la réalisation de l'objet social (9). La question se posait de savoir si l'alinéa 1er était également d'ordre public, permettant la mise en oeuvre de l'alinéa 2 de l'article 1844-10. Dans l'arrêt annoté, la Cour de cassation a estimé que oui : le principe d'unanimité, sauf clause contraire, pour modifier les statuts, posé par l'article 1836 du Code civil relève des dispositions impératives du titre visé par l'article 1844-10 du même code, de sorte que la méconnaissance des règles statutaires de majorité renforcée requise pour la modification des statuts est sanctionnée par la nullité. En principe, le non-respect des stipulations statutaires n'est pas sanctionné par la nullité, sauf lorsqu'il a été fait usage de la faculté, ouverte par une disposition impérative, d'aménager conventionnellement la règle posée par celle-ci (10). Or, le caractère impératif de l'article 1836, alinéa 1er, du Code civil ne fait pas réellement de doute compte tenu des termes restrictifs dans lesquels le principe qu'il contient est rédigé. La solution, prise ici en matière de SCI, est certainement transposable à la violation des règles statutaires de majorité posées pour l'adoption des décisions collectives de société en nom collectif. En effet, l'article L. 221-6 du Code de commerce (N° Lexbase : L5802AIQ) applicable à cette forme sociale et relatif aux décisions excédant les pouvoirs du gérant (11) semble lui aussi revêtir un caractère impératif. Toutes les dispositions du droit des sociétés n'étant pas impératives, on comprend néanmoins la stratégie en défense des majoritaires qui ne pouvait au final pas tenir car, même s'il est possible de ne pas respecter des statuts de société (12), c'est à la condition que tous les associés soient d'accord (13). Il est impossible d'imposer à un associé une augmentation de ses engagements sans son accord. Or, en l'espèce, par définition, majoritaires et minoritaires s'opposaient sur plusieurs points.
Il y avait par ailleurs des divergences également sur la distribution des bénéfices. Classiquement le majoritaire thésaurise, alors que le minoritaire souhaite une distribution. Cette attitude est-elle pour autant constitutive d'un abus de majorité ? Oui, si elle est contraire à l'intérêt social, au détriment des minoritaires et dans l'unique dessein des majoritaires (14). La mise en réserve n'est pas en elle-même abusive sauf si elle est systématique (15), comme dans l'arrêt commenté, jugeant donc que doit être annulée précisément pour abus de majorité, la délibération décidant une augmentation de capital dès lors qu'elle se trouve sans cause légitime et n'a pour seul objet que de diluer la participation et est ainsi contraire à l'intérêt social. Il en est de même, ajoute la Cour de cassation, des décisions systématiques de report de la totalité du bénéfice qui privent sur plusieurs exercices l'associé minoritaire de la perception de tout dividende et qui ne peuvent s'autoriser ni de l'objet social, ni des perspectives financières de la société civile, ces décisions ayant eu pour seul objet d'affecter la totalité de la trésorerie de la société à des avances au bénéfice des sociétés de l'associé majoritaire, au détriment de l'associé minoritaire. On notera que la sanction de l'abus de majorité est la nullité de la délibération (16), aucunement la décision par le juge qui n'est pas un organe social de distribuer les bénéfices.
L'arrêt du 7 juillet 2015, bien que non publié au Bulletin, mérite d'être relevé.
Il mettait aux prises une société civile d'exploitation agricole (SCEA) constituée entre des époux et leurs quatre enfants. La mère de famille décédant, le conjoint survivant (le père), fait donation de ses parts sociales, de manière égalitaire, à ses enfants. Par la suite, lors d'une assemblée, la majorité des associés décide de céder les actifs immobiliers de la société et de désigner un expert afin de procéder à leur évaluation. Faisant valoir que ces décisions avaient été prises par une assemblée irrégulièrement convoquée et qu'en outre, elles étaient constitutives d'un abus de majorité, l'un des associés demande l'annulation de ces délibérations, qu'il n'obtiendra pas.
S'agissant d'abord du caractère irrégulier de la convocation, la Cour de cassation rappelle, selon une jurisprudence établie, que l'annulation des décisions de l'assemblée des associés d'une société civile en raison d'une irrégularité affectant les modalités de la convocation des associés est subordonnée à la démonstration d'un grief par celui qui s'en prévaut. Dès lors, après avoir relevé que l'associé qui contestait la régularité de sa convocation à l'assemblée litigieuse, au motif que l'auteur de cette convocation n'était pas en mesure de justifier de sa désignation en qualité de gérant, avait signé la feuille de présence à cette assemblée et y avait voté, et constaté que cet associé ne justifiait pas du grief que lui aurait causé l'irrégularité invoquée, la Cour de cassation approuve la cour d'appel d'en avoir exactement déduit que la demande d'annulation des décisions litigieuses devait être rejetée.
S'agissant ensuite de l'abus de majorité, dans la mesure où les décisions des associés de procéder à la cession des actifs immobiliers de la société et de recourir à un expert chargé d'en déterminer objectivement la valeur vénale ne manifestaient aucunement, de la part des majoritaires, une volonté de nuire à l'associé minoritaire ou de le spolier de ses droits, et n'étaient pas contraires à l'intérêt de la société, dont le fonctionnement normal était à l'évidence rendu impossible par le conflit familial persistant entre les parties en raison des procédures de toute nature, y compris pénales, que se proposait d'engager ou avait engagées l'associé récalcitrant, et où le conflit aigu entre ce dernier et ses frère et soeurs justifiait de prendre des décisions de nature à y mettre un terme, dans l'intérêt même de la société, l'abus est considéré comme n'étant pas caractérisé.
On retiendra de cet arrêt d'espèce qu'un abus de majorité ne peut être constitué dès lors que la décision prise par les majoritaires, quand bien même serait-elle favorable aux majoritaires et défavorable aux minoritaires, sert l'intérêt social, soit dans le cas particulier d'un conflit familial, soit en dehors de ce cas. L'abus de majorité en droit des sociétés doit réunir trois conditions cumulatives et non pas deux. Ici, la contrariété à l'intérêt social n'était pas démontrée, d'où le rejet du pourvoi du minoritaire. La solution, prise dans une SCEA, est transposable aux autres sociétés civiles, dont les SCI, ainsi qu'aux sociétés commerciales.
Pour demander la révocation du liquidateur amiable, défaillant dans l'établissement et la présentation des comptes, est-il nécessaire de suivre au préalable la procédure d'injonction consistant pour le juge à enjoindre l'intéressé de respecter ses obligations ? On aurait pu le penser compte tenu de la rédaction du dernier alinéa de l'article L. 237-25 du Code de commerce (N° Lexbase : L5766ISD). Selon ce texte en effet, à défaut d'accomplir certaines diligences -les trois premiers alinéas dudit texte précisent que le liquidateur, (i) dans les trois mois de la clôture de chaque exercice, établit les comptes annuels au vu de l'inventaire qu'il a dressé des divers éléments de l'actif et du passif existant à cette date et un rapport écrit par lequel il rend compte des opérations de liquidation au cours de l'exercice écoulé ; (ii) sauf dispense accordée par décision de justice, le liquidateur convoque selon les modalités prévues par les statuts, au moins une fois par an et dans les six mois de la clôture de l'exercice l'assemblée des associés qui statue sur les comptes annuels, donne les autorisations nécessaires et éventuellement renouvelle le mandat des contrôleurs, commissaires aux comptes ou membres du conseil de surveillance ; (iii) si l'assemblée n'est pas réunie, le rapport prévu au premier alinéa ci-dessus est déposé au greffe du tribunal de commerce et communiqué à tout intéressé-, le liquidateur peut être déchu de tout ou partie de son droit à rémunération pour l'ensemble de sa mission par le président du tribunal saisi en application de l'article L. 238-2 du Code de commerce (N° Lexbase : L5769ISH). Il peut, en outre, être révoqué selon les mêmes formes. Précisément, l'article L. 238-2 dispose que : "tout intéressé peut demander au président du tribunal statuant en référé d'enjoindre sous astreinte au liquidateur de remplir les obligations prévues aux articles L. 237-21 (N° Lexbase : L6395AIP), L. 237-23 (N° Lexbase : L5765ISC) et L. 237-25".
Mais la Cour de cassation cassant la décision des juges du fond ne valide pas cette thèse. Dans son arrêt du 7 juillet 2015, publié au Bulletin, elle estime que la recevabilité de la demande de révocation du liquidateur formée sur le fondement de l'article L. 237-25 du Code de commerce n'est pas subordonnée à la saisine préalable, aux fins d'injonction, du président du tribunal statuant en référé en application de l'article L. 238-2 du même code (17). La précision, apparemment sans précédent en jurisprudence, est utile d'un point de vue pratique puisque se trouvent fixées les modalités procédurales de la révocation du liquidateur amiable non-diligent.
Selon un avis du CCRCS du 30 juin 2015 (18), qu'il nous semble intéresser de signaler, ici, en cas de remplacement d'une personne ayant le pouvoir d'engager une société commerciale étrangère en France, seules les pièces justificatives suivantes doivent être produites :
- soit une copie de la carte nationale d'identité ou du passeport en cours de validité pour les français, les ressortissants d'un Etat membre de l'Union européenne ou de l'Espace économique européen ou d'un Etat avec lequel ont été conclus des accords particuliers, soit une copie du titre ou du récépissé du titre de séjour ou une copie de la carte de résident pour les étrangers non visés ci-dessus ;
- dans tous les cas, une attestation sur l'honneur, sur papier libre, relative à l'absence de condamnation ou de sanction civile ou administrative de nature à interdire l'exercice d'une activité commerciale, faisant apparaître la filiation ;
- le cas échéant, la copie de l'autorisation provisoire ou définitive du diplôme ou titre conformément à l'article R. 123-95 du Code de commerce (N° Lexbase : L9848HYE).
(1) bastien.brignon@univ-amu.fr ou bastien.brignon@free.fr.
(2) V., contre la diminution à deux actionnaires : Ph. Merle, SVP, surtout pas de société anonyme à deux actionnaires !, Bull. Joly sociétés, 2014, p. 480 ; et en faveur de la réduction du nombre d'actionnaires : R. Mortier, Des sociétés unipersonnelles conçues pour faire des ravages Dr. sociétés, 2014, repère 6.
(3) M. Roussille, Loi de simplification de la vie des entreprises : dispositions relatives au nombre minimum d'actionnaires dans les SA, Dr. sociétés, n° 3, mars 2015, comm. 49 ; B. Brignon, Présentation du projet de loi de simplification en droit des sociétés, Lexbase Hebdo n° 390 du 17 juillet 2014 - édition affaires (N° Lexbase : N3171BUY).
(4) V. l'article très complet et très bien fait de X. Delpech, La société anonyme peut désormais ne compter que deux actionnaires, D. actualité, 18 septembre 2015.
(5) B. Dondero, L'ordonnance n° 2015-1127 du 10 septembre 2015, portant réduction du nombre minimal d'actionnaires dans les sociétés anonymes non cotées, JCP éd. E, 2015, act. 712, spéc. n° 11. Bruno Dondero est, par ailleurs, plutôt favorable à cette diminution, voire à une SA unipersonnelle.
(6) Navis affaires, actu. 26 août 2015 ; D. actualité, 14 septembre 2015, obs. S. Prévost ; cf. in Lexbase Hebdo n° 433 du 23 juillet 2015 - édition affaires, Caractère impératif des règles statutaires de majorité renforcée requise pour la modification des statuts (N° Lexbase : N8606BUB) et Augmentation de capital et report systématique de la totalité des bénéfices : abus de majorité (N° Lexbase : N8607BUC)
(7) CA Paris, Pôle 5, 8ème ch., 22 janvier 2013, RG n° 11/22141 (N° Lexbase : A6368I3A).
(8) Cass. com., 13 novembre 2003, n° 00-20.646, FS-P (N° Lexbase : A1193DAG), Bull. civ. IV, n° 171; R., p. 390 ; D., 2004, Somm. 2033, obs. B. Thullier ; D., 2004, p. 2927, obs. J.-C. Hallouin; JCP éd. E, 2004, 601, n° 7, obs. J.-J. Caussain, Fl. Deboissy et G. Wicker ; Defrénois, 2004, 901, obs. H. Hovasse ; Dr. et patr., mars 2004, p. 107, obs. D. Poracchia ; RTDCom., 2004, p. 118, obs.M.-H. Monsèrié-Bon ; Rev. sociétés, 2004, 97, note B. Saintourens ; RTDCiv., 2004, p. 283, obs. J. Mestre et B. Fages.
(9) Cass. civ. 1, 8 novembre 1988, n° 87-10.514, publié (N° Lexbase : A4004AGE), Bull. civ. I, n° 313 ; Rev. sociétés, 1989, p. 473, note Y. Chartier.
(10) Cass. com., 18 mai 2010, n° 09-14.855, FS-P+B+I+R (N° Lexbase : A3869EXL), J.-B. Lenhof, Nullité des délibérations du conseil d'administration d'une SAS, un coup d'arrêt à la thèse de la "société-contrat" ?, Lexbase Hebdo n° 398 du 10 juin 2010 - édition privée (N° Lexbase : N3079BPQ), RJDA, 8-9/2010, n° 850 ; Cass. com., 19 mars 2013, n° 12-14.283, F-P+B (N° Lexbase : A7014KCR), RJDA, 6/2013, n° 533.
(11) Ces décisions "sont prises à l'unanimité des associés. Toutefois les statuts peuvent prévoir que certaines décisions sont prises à une majorité qu'ils fixent".
(12) Cass. com., 30 juin 2015, n° 14-17.649, F-P+B (N° Lexbase : A5465NMD), JCP éd. E, 2015, act. 604 ; D. actualité, 28 juillet 2015, obs. X. Delpech ; BRDA 14/2015, inf. 1, D. Gibirila, L'impossibilité pour les tiers de se prévaloir de la clause organisant les modalités de prorogation d'une société, Lexbase Hebdo n° 435 du 10 septembre 2015 - édition affaires (N° Lexbase : N8822BUB).
(13) Cass., com., 12 mai 2015, n° 14-13.744, F-D (N° Lexbase : A8754NHP), JCP éd. E, 2015, 1338, note B. Dondero.
(14) Cass. com., 28 avril 1961, n° 57-12.658, publié (N° Lexbase : A3035CKM), D., 1961, p. 661.
(15) Cass. com., 6 juin 1990, n° 88-19.420 (N° Lexbase : A4387ACH), Bull. civ., IV, n° 171 ; Bull. Joly Sociétés, septembre 1990, p. 782, n° 233, note P. Le Cannu ; Rev. sociétés, 1990, p. 606, note Y. Chartier. V. égal. Cass. com., 22 avril 1976, n° 75-10.735 (N° Lexbase : A3166AGD), Bull. civ., IV, n° 131 ; Rev. sociétés, 1976, p. 479, note D. Schmidt (abus de majorité caractérisé au regard des réserves qui avaient atteint 2/3 du chiffre d'affaires de sorte qu'elles traduisaient une " thésaurisation pure et simple)
(16) Cass. com., 9 mars 1993, n° 91-14.685, publié (N° Lexbase : A5690ABD) arrêt "Flandin", Bull. civ., IV, n° 101 ; Bull. Joly Sociétés, mai 1993, p. 537, n° 152, note P. Le Cannu ; Rev. sociétés, 1993, p. 403, note P. Merle ; D., 1993, p. 363, note Y. Guyon ; JCP éd. G, 1993, II, n° 22107, note Y. Paclot ; JCP éd. E, 1993, II, n° 448, note A. Viandier ; JCP éd. N, 1993, II, n° 293, note J.-F. Barbièri. Dans le même sens : Cass. com., 5 mai 1998, n° 96-15.383 (N° Lexbase : A2732AC8), Bull. civ., IV, n° 149 ; Bull. Joly Sociétés, juillet 1998, p 755, n° 245, note L. Godon ; Rev. sociétés, 1999, p. 344, note M. Boizard. Contra Cass. com., 14 janvier 1992, n° 90-13.055 (N° Lexbase : A4145AB7), arrêt "Vitama", Bull. civ., IV, n° 19 ; Bull. Joly Sociétés, mars 1992, p. 273, n° 81, note P. Le Cannu ; Rev. sociétés, 1992, p. 44, note P. Merle.
(17) JCP éd. E, 2015, act. 622; D. actualité, 21 juillet 2015, obs. X. Delpech ; Condition de la demande de révocation du liquidateur défaillant dans l'établissement et la présentation des comptes, Lexbase Hebdo n° 433 du 23 juillet 2015 - édition affaires (N° Lexbase : N8602BU7).
(18) JCP éd. E, 2015, act. 713 ; Remplacement du responsable du premier établissement en France d'une société ayant son siège social à l'étranger : inscription modificative au RCS, Lexbase Hebdo n° 437 du 24 septembre 2015 - édition affaires (N° Lexbase : N9113BU3).
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Réf. : Cons. const., décision n° 2015-485 QPC du 25 septembre 2015 (N° Lexbase : A6743NPG)
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par Christophe Willmann, Professeur à l'Université de Rouen et Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Droit de la protection sociale"
Le 01 Octobre 2015
La décision du Conseil constitutionnel rendue le 25 septembre 2015, associée à celle du 14 juin 2013 (refusant la qualification de contrat de travail) montre la résistance opposée par le Conseil, à la mise en place d'un droit du travail pénitentiaire/droit de la protection sociale pénitentiaire.
Résumé
Le grief tiré de la méconnaissance de l'étendue de sa compétence par le législateur dans des conditions affectant par elles-mêmes les droits qui découlent des alinéas 10 et 11 du Préambule de la Constitution qui n'est pas dirigé à l'encontre des dispositions législatives relatives à la protection de la santé et à la protection sociale des personnes détenues, doit être écarté (cons. 7). Les dispositions contestées (art. 22, loi 24 novembre 2009 ; C. pr. pén., art. 717-3, al. 2 et 3 N° Lexbase : L9399IET) fixent les règles relatives à la relation de travail entre le détenu et l'administration pénitentiaire ; en subordonnant à un acte d'engagement signé par le directeur de la prison et le détenu la participation du détenu aux activités professionnelles organisées par les établissements pénitentiaires ; en renvoyant à cet acte d'engagement le soin d'énoncer les droits et obligations professionnels du détenu, conformément à l'article 22 de la loi du 24 novembre 2009, le législateur n'a pas privé de garanties légales les droits et libertés visés aux alinéas 5 à 8 du Préambule de la Constitution, dont sont susceptibles de bénéficier les détenus (cons. 11). Les détenus ne sont pas placés dans une relation contractuelle avec l'administration pénitentiaire. Il ne peut donc pas y avoir d'atteinte au principe de liberté contractuelle (cons. 13) ; L'article 33 de la loi du 24 novembre 2009 ne méconnait pas le droit au respect de la dignité de la personne (cons. 14). |
Commentaire
I - Le travail du détenu, sans contrat de travail
Le statut juridique du détenu travailleur a été défini par le Conseil constitutionnel en deux temps : dans un premier temps, en 2013, le Conseil a refusé que le statut de détenu soit associé à celui de travailleur lié par un contrat de travail ; dans un second temps, en 2015, le Conseil a refusé de censurer le législateur qui n'aurait pas mis en place de mesures garantissant un certain degré de libertés fondamentales et de droits tels que le droit commun du travail le prévoit pour les travailleurs (non détenus).
A - Le travail sans le contrat (de travail)
Le premier point a trait à la nature du lien qui existe entre le détenu et l'organisme (l'établissement pénitentiaire) organisateur de la relation de travail. La doctrine a pu interroger la nature de contrat de travail (5). En 2013, le Conseil constitutionnel n'avait fait preuve d'aucune ambiguïté : le Code de procédure pénale (art. 717-3) prévoit expressément que les relations de travail des détenus ne font pas l'objet d'un contrat de travail. En effet, les dispositions de la première phrase du troisième alinéa de l'article 717-3 du Code de procédure pénale se bornent à prévoir que les relations de travail des détenus ne font pas l'objet d'un contrat de travail. Ces dispositions ne portent, en elles-mêmes, aucune atteinte aux principes énoncés dans le préambule de la Constitution (Cons. const., décision n° 2013-320/321 QPC, du 14 juin 2013, préc., cons. 10).
Cette solution remonte à la loi n° 87-432 du 22 juin 1987, relative au service public pénitentiaire (N° Lexbase : L5154ISP), qui avait expressément écarté la qualification de contrat de travail qui a été codifiée à l'article 720 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L9831I3I). Les autres réformes intervenues depuis ne sont pas revenues sur la solution, qu'il s'agisse de la loi n° 90-9 du 2 janvier 1990 (art. 9) (N° Lexbase : L6476KIP), de la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 (loi n° 2004-204 du 9 mars 2004, portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité N° Lexbase : L1768DP8), de la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 (art. 33, objet de la présente QPC) ou enfin du décret n° 2010-1634 du 23 décembre 2010 (décret n° 2010-1634 du 23 décembre 2010, portant application de la loi pénitentiaire et modifiant le Code de procédure pénale N° Lexbase : L9922INS).
L'inexistence du contrat de travail n'est plus discutée, depuis la décision QPC du 14 juin 2013 (préc.). Les seuls intérêts juridiques de cette question portent sur l'organisation contentieuse (6). Pour le Tribunal des conflits (T. confl., 14 octobre 2013, M. A.C. c/ Ministère de la justice, n° 3918 N° Lexbase : A1334KNQ) (7), l'activité de travail du détenu, qui ne fait pas l'objet d'un contrat de travail et qui s'inscrit dans l'exécution de la peine privative de liberté, procède de la préparation à la réinsertion du condamné. Le Tribunal des conflits a relevé qu'eu égard à la nature particulière de la relation de travail (qui se rattache à l'accomplissement de la mission de service public de l'administration pénitentiaire) qu'à ses modalités de mise en oeuvre (soumises au régime pénitentiaire du détenu et aux nécessités du bon fonctionnement de l'établissement qui influent sur les conditions d'emploi et de rémunération), le détenu ainsi employé s'est trouvé, à l'égard de la société concessionnaire, même de droit privé, dans une relation de droit public.
B - Le travail du détenu, sans contrat, mais dans le cadre de l'acte d'engagement
Le travail en prison doit se comprendre uniquement dans le cadre de la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 et non dans le droit commun du rapport de travail (Cons. const., décision n° 2013-320/321 QPC, du 14 juin 2013, préc.).
La loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 a posé quelques éléments d'un statut du détenu au travail :
- salaire (C. pr. pén., art. D. 432-1 N° Lexbase : L2306IP4 à D. 432-4 N° Lexbase : L2307IP7). La question a donné lieu à un rare contentieux, peu significatif (TA Limoges, 22 août 2013, n° 1301113 N° Lexbase : A3115KKL) (8) ;
- formes et modalités de travail (C. pr. pén., art. D. 433 N° Lexbase : L2336IP9 à D. 433-9 N° Lexbase : L2316IPH) ;
- régime des sanctions disciplinaires fondées sur le fait de participer à toute action collective de nature à perturber l'ordre de l'établissement (C. pr. pén., art. R. 57-7-2, 7° N° Lexbase : L0228IP7) ou le fait d'entraver ou de tenter d'entraver les activités de travail (C. pr. pén., art. R. 57-7-3, 5° N° Lexbase : L0229IP8) ;
- accès à l'emploi. La terminologie est celle du "classement" (équivalent à "embauche") et "déclassement" (équivalent à rupture du contrat de travail, en droit du travail). Le régime est fixé à l'article D. 432-3 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L2305IP3) (classement) et article R. 57-7-34 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L0256IP8) (déclassement) (9). Le Conseil de prud'hommes de Paris (10) a reconnu que les règles de droit commun du droit travail s'appliquent à une ancienne détenue qui avait travaillé pour un centre d'appel.
L'attraction exercée par le droit commun du travail sur le droit pénitentiaire du travail résulte d'un ensemble assez hétéroclite de travaux, demandes, requêtes et autres conclusions avancées par les universitaires (en dernier lieu, pétition de juin 2015) (11), le Conseil économique et social (Avis sur la réinsertion socioprofessionnelle des détenus, 22 février 2006, suggérant de faire converger le statut du détenu travailleur vers le droit commun, notamment pour l'acquisition des droits à l'assurance chômage ; en 1987, le CES préconisait un contrat proche du contrat de travail, auquel seraient associées des garanties sociales) (12).
Dans le même sens, le comité d'orientation restreint (13) avait formulé 55 propositions au Garde des Sceaux, le 22 octobre 2007, parmi lesquelles la valorisation du travail du détenu sous la forme d'un contrat de travail associé à un programme d'enseignement et de formation professionnelle.
II - Le travail du détenu, sans droits ?
L'absence de contrat de travail, telle que posée par les textes (C. pr. pén., art. 717-3) et confirmée par le Conseil constitutionnel (Cons. const., décision n° 2013-320/321 QPC, du 14 juin 2013, préc.) implique-t-elle l'inapplication des droits et autres prérogatives prévues par le Code du travail, et a fortiori, le Code de Sécurité sociale ? Le lien entre bénéfice de prérogatives (prévues en droit du travail ou droit de la protection sociale) et existence d'un contrat de travail est assez lâche. Dans un certain nombre de situations, ces droits et autres prérogatives sont ouverts, même en l'absence de contrat de travail. Les hypothèses sont assez nombreuses (hormis, bien-sûr, la situation des travailleurs indépendants, des dirigeants d'entreprise et autres fonctionnaires) : travail dissimulé, stagiaires en entreprise, apprentissage, ....
Tel est le cas, précisément, des détenus, liés au centre de détention, non par un contrat de travail, mais par un acte d'engagement. L'absence de contrat de travail est donc étrangère à la revendication des détenus, relativement au bénéfice des prérogatives attachées à la personne du travailleur, prérogatives prévues par la Constitution, principalement. Le Conseil constitutionnel n'a pas donné suite à ces revendications (décision rapportée).
A - Droits fondamentaux, visés à la Constitution
1 - Contexte et enjeux du respect des droits fondamentaux pour les détenus au travail
Le Conseil constitutionnel a rappelé les éléments de cadrage du débat :
- l'exécution des peines privatives de liberté en matière correctionnelle et criminelle a été conçue non seulement pour protéger la société et assurer la punition du condamné, mais aussi pour favoriser l'amendement de celui-ci et préparer son éventuelle réinsertion (Cons. const., décision n° 2015-485 QPC du 25 septembre 2015, préc., cons. 4). En d'autres termes, l'objet de la détention n'est pas seulement punitif, mais porte, aussi, sur l'insertion/réinsertion dans la société. Le travail (en détention) doit être compris comme un élément permettant cette réinsertion dans la société ;
- le législateur est compétent pour fixer les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux détenus. Ceux-ci bénéficient des droits et libertés constitutionnellement garantis dans les limites inhérentes à la détention. Le législateur doit assurer la conciliation entre l'exercice de ces droits et libertés que la Constitution garantit et l'objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l'ordre public ainsi que les finalités qui sont assignées à l'exécution des peines privatives de liberté (Cons. const., décision n° 2015-485 QPC du 25 septembre 2015, préc., cons. 5).
2 - L'organisation du travail des détenus ne porte pas atteinte aux droits fondamentaux
Le Conseil constitutionnel devait, par la décision rapportée, se prononcer sur la conformité du régime du travail carcéral, avec un certain nombre de droits fondamentaux protégés par la Constitution. Il était donc sollicité à nouveau sur la conformité des droits fondamentaux, après sa décision rendue en 2013. Ces droits fondamentaux peuvent être classés en deux catégories :
- les droits attachés à la personne et ses revenus. Ce sont les droits visés au dixième (développement, santé, sécurité matérielle, repos, loisirs) et au onzième alinéa du Préambule de la Constitution (moyens convenables d'existence) (Cons. const., décision n° 2015-485 QPC du 25 septembre 2015, préc., cons. 6 et 7).
- les droits attachés à la qualité de travailleur, aussi bien dans leur dimension "rapports individuels" que "rapports collectifs". Il s'agit du devoir de travailler et du droit au travail (visé par le cinquième alinéa du Préambule de la Constitution) ; du droit syndical (sixième alinéa du Préambule de la Constitution) (14) ; du droit de grève (septième alinéa du Préambule de la Constitution) (15) ; et enfin, du droit d'être représenté, notamment par des institutions représentatives du personnel (huitième alinéa du Préambule de la Constitution) (Cons. const., décision n° 2015-485 QPC du 25 septembre 2015, préc., cons. 8 et 9).
Qu'il s'agisse des droits attachés à la personne ou au travailleur, le Conseil constitutionnel a validé le régime du travail tel qu'organisé par la loi du 24 novembre 2009 (art. 33) et écarté l'inconstitutionnalité. La difficulté d'appréciation de la décision est double. Elle tient à l'absence d'éléments explicatifs, aussi bien dans le corps de la décision, qu'à la lecture du communiqué de presse ou des analyses diffusées au "commentaire" (en ligne sur le site internet du Conseil constitutionnel).
B - Autres droits fondamentaux
Les requérants ont invoqués l'inconstitutionnalité du statut du détenu travailleur, au regard des principes de la liberté contractuelle et de la dignité de la personne. Là encore, le Conseil constitutionnel ne les a pas suivis dans leur raisonnement.
1 - Liberté contractuelle, au titre de l'acte d'engagement
Avant la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009, la question de la liberté contractuelle ne se posait pas, puisque les condamnés à des peines privatives de liberté, pour des faits qualifiés de crimes ou délits de droit commun, étaient astreints au travail (C. pr. pén., art. 720, ordonnance n° 58-1296 du 23 décembre 1958 N° Lexbase : L8889KI3). Cette disposition a été supprimée par la loi n° 87-432 du 22 juin 1987 ; en même temps, le législateur a bien pris le soin de préciser que la relation de travail n'est pas fixée par un contrat de travail (C. pr. pén, art. 720) (16).
Le fait d'imposer la participation des personnes détenues à des activités professionnelles dans les établissements pénitentiaires à un acte d'engagement établi unilatéralement par l'établissement pénitentiaire rentre-t-il en contradiction avec la liberté contractuelle ? La réponse du Conseil constitutionnel, lapidaire, tient en quelques mots : les détenus ne sont pas placés dans une relation contractuelle avec l'administration pénitentiaire. Il ne peut donc pas y avoir d'atteinte au principe de liberté contractuelle (Cons. const., décision n° 2015-485 QPC du 25 septembre 2015, préc., cons. 13).
Il faut donc comprendre, de cette décision du Conseil constitutionnel, que :
- "les détenus ne sont pas placés dans une relation contractuelle avec l'administration pénitentiaire", au titre d'un contrat de travail qui n'existe pas, comme on le sait, depuis que le Conseil a clairement pris position (Cons. const., décision n° 2013-320/321 QPC, du 14 juin 2013, préc.), conformément à la volonté du législateur, exprimé dans le Code de procédure pénale (C. pr. pén, art. 717-3) ;
- "les détenus ne sont pas placés dans une relation contractuelle avec l'administration pénitentiaire", au titre de l'acte d'engagement, et non du contrat de travail.
2 - Dignité de la personne
Les dispositions du Code de procédure pénale relative au travail des détenus portent-elles atteinte au respect dû à la dignité ? L'article 33 (acte d'engagement) de la loi du 24 novembre 2009 ne méconnait pas le droit au respect de la dignité de la personne (Cons. const., décision n° 2015-485 QPC du 25 septembre 2015, préc., cons. 14).
Le Conseil constitutionnel ne donne pas de fondement à sa décision, il est vrai, aisément compréhensible sur ce point (17). Il lui était demandé de se prononcer sur la constitutionnalité de l'article 33 de la loi du 24 novembre 2009, instituant l'acte d'engagement des détenus (supra). Cet acte d'engagement définit le régime du travail du détenu : on voit mal en quoi cet acte d'engagement, en lui-même, porterait atteinte au principe de respect de la dignité de la personne. En effet, les juges s'en tiennent à une approche pragmatique et réelle de la dignité depuis la décision n° 94-343/344 DC du 27 juillet 1994 (N° Lexbase : A8305ACL) reconnaissant la valeur constitutionnelle du principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme d'asservissement et de dégradation. Le fait d'encadrer juridiquement la relation entre le détenu et le centre pénitentiaire, sous la forme d'acte d'engagement, ne paraît aller à l'encontre du principe de dignité, en soi ; les conditions de travail et les modalités d'organisation pourraient, quant à elles, s'inscrire dans cette problématique de la dignité de la personne. Mais la question n'était pas posée au Conseil constitutionnel.
L'inexistence du contrat de travail, dans la relation détenu-centre pénitencier, solution retenue par le Conseil constitutionnel, en 2013 (Cons. const., décision n° 2013-320/321 QPC, du 14 juin 2013, préc.), peut difficilement être avancée pour justifier la présente décision du Conseil constitutionnel (Cons. const., décision n° 2015-485 QPC du 25 septembre 2015, préc.). Le Conseil constitutionnel ne l'évoque d'ailleurs qu'à une seule reprise, s'agissant du principe de liberté contractuelle. Il ne la mentionne pas, s'agissant des autres droits fondamentaux (dignité de la personne ; développement, santé, sécurité matérielle, repos, loisirs ; moyens convenables d'existence ; devoir de travailler et du droit au travail ; droit syndical ; droit de grève ; et enfin, du droit de participer, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises (Cons. const., décision n° 2015-485 QPC du 25 septembre 2015, préc., cons. 8 et 9).
Mais il est clair que la décision rendue en 2015 s'inscrit dans la continuité de celle rendue en 2013, selon une indéniable logique et cohérence : le détenu n'est pas un salarié comme les autres, et n'est pas soumis à un contrat de travail (Cons. const., décision n° 2013-320/321 QPC, du 14 juin 2013, préc.), mais à un régime dérogatoire au droit commun, dans le cadre d'un "acte d'engagement", conforme aux principes constitutionnels (Cons. const., décision n° 2015-485 QPC du 25 septembre 2015, préc.).
(1) D. Asquinazi-Bailleux, Quels droits aux prestations en espèces pour une personne détenue ?, Note sous Cass. civ. 2, 2 avril 2015, n° 14-14.171, F-P+B (N° Lexbase : A0988NGP), JCP éd. S, n° 25, 23 Juin 2015, 1231 ; Ph. Auvergnon, Droit du travail en prison : le changement maintenant ?, RDT, 2013, p. 309-315 ; B. Bertrand, (Détention, Exécution des peines privatives de liberté), J-Cl. Procédure pénale, Fasc. 20, art. 717 à 720, mis à jour le 12 février 2015 ; S. Brimo, Le droit au travail pénitentiaire : un droit sans droit... et sans travail, RDSS, 2013, p. 251-262 ; R. Eckert et J.-M. Tuffery-Andrieu (dir.), Le travail en prison - Mise en perspective d'une problématique contemporaine, Presse universitaires de Strasbourg (SSL, n° 1678, 26 mai 2015) ; N. Fricero, Absence de droit à une retraite complémentaire pour les détenus, Note sous CEDH, 5ème sect., 11 octobre 2011, n° 16264/07, G. P. c/ France, Procédures n° 1, janvier 2012, comm. 8 ; M. Harbonnier, Le travail en prison et le droit du travail, JCP éd. S, 2013, n° 1342 ; L. Isidro, Droit du travail en détention : les détenus, des travailleurs libres ?, in Lettre Actualités Droits-Libertés du CREDOF, 14 mars 2013 ; G. Rambaud avec la collaboration de N. Rohmer, Le travail en prison. Enquête sur le business carcéral, Ed. Autrement, coll. Mutations, 2010 ; E. Shea, Le travail pénitentiaire : un défi européen. Etude comparée : France, Angleterre, Allemagne, L'Harmattan, coll. Logiques Sociales, 2006. ; V. aussi "Droit du travail en prison : d'un déni à une reconnaissance ?", Colloque Université Montesquieu-Bordeaux IV, 11 et 12 avril 2013.
(2) F. Chopin, Quelles conditions de travail pour les personnes incarcérées ?, D.,1er août 2013, p. 1909-1910 ; E. Bonis-Garçon, Le travail des détenus, Rev. pénitentiaire et dr. pén., 2013, p. 991-995 ; J.-P. Céré, L'exclusion du code du travail en prison est constitutionnelle, AJ Pénal, 28 octobre 2013, p. 556 ; M. Crétenot et N. Ferrand, Le travail pénitentiaire reste dans le "non-droit", Dedans dehors, juin 2013 ; L. Leturmy, La constitutionnalité de l'absence de contrat de travail dans l'univers carcéral. La fin d'un débat ?, Rev. pénitentiaire et dr. pén., 2013, p. 949-953 ; B. Sara, Suite (et fin ?) du débat sur le régime juridique du travail carcéral, RDSS, 2013, p. 639 ; J. Schmitz, Droit Administratif n° 2, février 2014, étude 4, préc. ; S. Slama et L. Isidro, La dérobade du Conseil constitutionnel face à l'ersatz de statut social du travailleur détenu, Lettre d'actualité Droits-Libertés du CREDOF, 25 juin 2013 ; M. Ghevontian, Les détenus ne sont pas des travailleurs comme des autres, Constitutions, Revue de droit constitutionnel appliqué, juillet-septembre 2013, p. 408 ; Ch. Radé et P. Gervier, Le législateur peut écarter la qualification de contrat de travail pour les détenus ainsi que pour des établissements d'enseignement privé sous contrat, Constitutions, Revue de droit constitutionnel appliqué, juillet-septembre 2013, p. 418 ; Ch. Radé, Travail carcéral et statut des maîtres contractuels de l'enseignement privé : les rendez-vous manqués, Lexbase Hebdo n° 533 du 27 juin 2013 - édition sociale (N° Lexbase : N7709BTP) ; P. Rrapi, Et si le Conseil constitutionnel répondait à la question ?, Rev. fr. dr. const, 2013, p. 986 ; J. Schmitz, Droit du travail en prison : fin ou début de la réflexion sur l'absence d'un régime juridique, Dr. adm., février 2014, p. 14 ; C. Wolmark, RDT, 2013, p. 565 ; LSQ, n° 16367, 18 juin 2013. Cass. QPC, 20 mars 2013, n° 12-40.105, FS-P+B, les obs. de Ch. Radé, L'application du Code du travail aux détenus en questions, Lexbase Hebdo n° 522 du 4 avril 2013 - édition sociale (N° Lexbase : N6456BTB) ; Ph. Auvergnon, Droit du travail et prison : le changement maintenant, RDT, 2013, p. 309 ; LSQ, n° 16311, 22 mars 2013.
(3) Le Monde, 25 septembre 2015 ; Conseil constitutionnel, Commentaire (Cons. const., décision n° 2015-485 QPC du 25 septembre 2015) ; Travail en prison : la législation jugée suffisante par le Conseil constitutionnel, LSQ, n° 16923, 29 septembre 2015 ; réaction de la contrôleure générale des lieux de privation de liberté, Adeline Hazan, LSQ, n° 16923, 29 septembre 2015.
(4) TA Poitiers, 2ème ch., ordonnance n° 1300751 du 7 avril 2015 ; CE, 9° et 10° s-s-r., 6 juillet 2015, n° 389324, inédit aux tables du recueil Lebon, LSQ, n° 138, 5 août 2015 et LSQ, n° 16871, 9 juillet 2015. La demande présentée par M. B. devant le tribunal administratif de Poitiers tend à l'annulation pour excès de pouvoir de la décision de déclassement prise à son encontre par le directeur du centre pénitentiaire de Poitiers-Vivonne (retrait d'emploi fondé sur le comportement du requérant).
(5) M. Harbonnier, Le travail en prison et le droit du travail, JCP éd. S, n° 37, 10 septembre 2013, 1342.
(6) J. Schmitz, Droit Administratif n° 2, février 2014, étude 4, préc. § 7 à 12.
(7) T. confl. 14 octobre 2013, Publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A1334KNQ) ; S. Tournaux, Travail en prison : la fin du débat ?, Lexbase Hebdo n° 546 du 7 novembre 2013 - édition sociale (N° Lexbase : N9216BTI). Demande formulée par un détenu, contre la société G. "concessionnaire de main-d'oeuvre pénale", pour son activité d'opérateur au centre pénitentiaire de M.-C. de janvier à mars 2006. En l'espèce, le travail procuré à M. C. dans l'établissement pénitentiaire où il était détenu a été effectué sous le régime de la "concession de main-d'oeuvre pénale" aux termes d'une convention conclue entre le directeur régional de l'administration pénitentiaire et le représentant de la société G., entreprise concessionnaire, sur le fondement des dispositions du Code de procédure pénale.
(8) TA Limoges, 22 août 2013, n° 1301113 et S. Tourneaux, Travail des détenus : le calme entre deux tempêtes ?, Lexbase Hebdo n°540 du 19 septembre 2013 - édition sociale (N° Lexbase : N8527BTY). Le juge administratif se contente d'appliquer le régime spécial.
(9) Conseil constitutionnel, Commentaire (Cons. const., décision n° 2015-485 QPC du 25 septembre 2015), préc., p. 8-9.
(10) Conseil de prud'hommes de Paris, RG N° F 11/15185 du 8 février 2013 (N° Lexbase : A0400I9P), S. Tourneaux, Travail des détenus : vers l'application du droit commun du travail ?, Lexbase Hebdo n° 520 du 21 mars 2013 - édition sociale (N° Lexbase : N6255BTT) ; G. Loiseau, CSBP, 2013, n° 251, p. 111 ; Dr. pén., 2013, p. 43, obs. A. Maron et M. Haas ; LSQ, n° 16283, 12 février 2013 et LSQ, n° 16275, 31 janvier 2013. La détenue, Mme M., était employée comme téléopératrice par la société M. en 2010 et 2011, alors qu'elle était en détention provisoire à la maison d'arrêt de Versailles. Le conseil des prud'hommes de Paris a requalifié le "déclassement" en licenciement abusif et condamné l'employeur à lui verser un préavis de licenciement, des congés payés, ainsi que des indemnités pour inobservation de la procédure de licenciement.
(11) D. Mazeaud, Le travail, c'est la Santé !, Edito, JCP éd. G, n° 40, 28 septembre 2015, 1014.
(12) Conseil économique et social, Avis, 22 février 2006 (LSQ, n° 14580, 7 mars 2006) ; "Travail et prison", Avis, 9 décembre 1987, RPDP, 1989.
(13) Rapp. Comité d'orientation restreint, 22 octobre 2007 (JCP éd. S, n° 44, 30 octobre 2007, act. 499).
(14) Ch. Radé, Lexbase Hebdo n° 522 du 4 avril 2013 - édition sociale, préc..
(15) A. Maron et M. Haas, Le droit de grève dans les prisons ?, note sous Conseil de Prud'hommes de Paris, 8 février 2013, n° 11/15185 et sous Cass. soc., 20 mars 2013, n° 12-40.104, Dr. pén., n° 5, mai 2013, comm. 83 ; Ch. Radé, L'application du Code du travail aux détenus en questions, Lexbase Hebdo n° 522 du 4 avril 2013 - édition sociale, préc..
(16) Sur l'évolution du régime juridique du travail du détenu, après la loi n° 87-432 du 22 juin 1987, V. Conseil constitutionnel, Commentaire de la décision n° 2015-485 QPC du 25 septembre 2015 (en ligne), p. 2-4.
(17) Commentaire de la décision n° 2015-485 QPC du 25 septembre 2015, préc., p. 18-19.
Décision
Cons. const., décision n° 2015-485 QPC du 25 septembre 2015 (N° Lexbase : A6743NPG) Textes concernés : Loi n° 2009-1436, 24 novembre 2009, art. 3, art. 22 (N° Lexbase : L9344IES) ; cinquième, huitième, dixième et onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 (N° Lexbase : L6821BH4) ; C. trav., art. L. 5132-1 (N° Lexbase : L0822ICG) à 17 ; C. pr. pén., art. 717-3, al. 2 (N° Lexbase : L9399IET). Mots-clés : Détenus ; travail ; cadre juridique ; acte d'engagement ; contenu ; droits et obligations professionnelles ; conditions de travail et rémunération ; absence de contrat de travail (oui) ; droits fondamentaux ; violation (non). |
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par Bastien Brignon, Maître de conférences - HDR à l'Université d'Aix-Marseille, Membre de l'Institut du droit des affaires et du Centre de droit économique (EA 4224)
Le 01 Octobre 2015
Par une ordonnance en date du 10 septembre 2015, publiée au Journal officiel du 11 septembre 2015, le nombre minimal d'actionnaires pour constituer une SA non cotée est passé de sept à deux, modifiant ainsi l'article L. 225-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L3177KH7) dont la dernière phrase ("le nombre des associés ne peut être inférieur à sept") de l'alinéa 1er a été supprimée, et un alinéa second a été ajouté : "Elle est constituée entre deux associés ou plus. Toutefois, pour les sociétés dont les titres sont admis aux négociations sur un marché réglementé, le nombre des associés ne peut être inférieur à sept".
Depuis le 12 septembre 2015, il est donc possible de constituer en France une SA non cotée avec seulement deux actionnaires. Les raisons qui ont poussé à cette modification sont loin d'être nouvelles. Elles sont fort bien expliquées dans le Rapport au Président de la République relatif à ladite ordonnance. En substance, la France était le seul pays de l'Union européenne à poser une telle exigence qui ne se justifiait plus. Si l'exception française était vraie, pour autant le minimum de sept actionnaires pouvait s'expliquer dans certaines structurations, si bien que la mesure divise la doctrine (2).
Pour notre part, nous relevons que l'exigence de sept actionnaires perdure dans les SA cotées, que dans les sociétés d'exercice libéral à forme anonyme (SELAFA) il faut toujours un minimum de trois actionnaires et que, ce minimum de trois, se retrouve également au niveau des administrateurs dans les SA monistes. De sorte que la mesure, issue initialement de la loi de simplification du 20 décembre 2014 (loi n° 2014-1545 N° Lexbase : L0720I7S) ayant habilité à cet effet le Gouvernement à légiférer par voie d'ordonnance (3), n'est peut-être pas si opportune que cela. Quoi qu'il en soit, il est désormais possible de constituer certaines SA avec seulement deux actionnaires (mais toujours un capital minimum de 37 000 euros). Quant aux SA constituées antérieurement à cette réforme, elles ne risquent plus d'être dissoutes si d'aventure leur nombre d'actionnaires passent en dessous de l'ancien seuil de sept, sauf bien entendu s'il s'agit de sociétés cotées. La nouvelle rédaction de l'article L. 225-247, alinéa 1er, du Code de commerce (N° Lexbase : L6118AIG), pose en effet que le tribunal de commerce peut, à la demande de tout intéressé, prononcer la dissolution de la société, si le nombre des actionnaires est réduit à moins de sept depuis plus d'un an pour les sociétés dont les titres sont admis aux négociations sur un marché réglementé. On aurait souhaité, pour plus de cohérence, que soit maintenue la sanction du non-respect du nombre minimal d'actionnaires dans les SA non cotées, ramené à deux à présent. Or, il semblerait que plus aucun texte du Code de commerce ne sanctionne la violation de l'article L. 225-1 du même code. C'est regrettable et assez incompréhensible car nombre de dispositions ont été coordonnées, telles par exemple celles sur la société européenne, afin de tenir compte de la possibilité de constituer une SA non cotée avec deux actionnaires minimum (4). Au demeurant, comme cela a été parfaitement souligné, toutes ces coordinations n'étaient pas nécessaires (5).
On notera enfin que le Gouvernement n'a pas pleinement utilisé l'habilitation dont il bénéficiait du législateur puisque la loi de simplification du 20 décembre 2014 prévoyait d'adapter également les règles d'administration, de fonctionnement et de contrôle des SA non cotées, ce que l'ordonnance du 10 septembre ne fait pas. Même si le rapport au Président de la République s'en explique, et que l'on comprend aisément que l'on ne réforme pas une société vieille de plus d'un siècle à la hâte comme on en diminue simplement le nombre minimal d'actionnaires, la non-utilisation de l'entière habilitation témoigne d'une question plus épineuse, à savoir la réforme en profondeur de la SA, société que plus personne n'utilise, sauf sous la contrainte de la cotation boursière qui continue à poser comme exigence la forme de la SA (ou de la SCA).
Lorsque demain la SAS pourra être cotée en bourse, si tant est que cela soit envisageable, ce que les dernières réformes sur le financement peuvent parfois laisser entrevoir, la SA sera à coup sûr menacée d'extinction. Il faudra bien alors se pencher sur son cas.
L'arrêt du 8 juillet 2015, publié au Bulletin, possède une double portée (6). Il concerne, d'abord, la violation des règles statutaires et la sanction de cette violation. Il a trait ensuite à l'abus de majorité.
En l'occurrence, une SCI a été constituée pour acquérir et exploiter un immeuble. Une société (le majoritaire) a acquis les deux tiers des parts sociales de la SCI, le fondateur (le minoritaire) en détenant un tiers. Une assemblée générale a voté, le 15 janvier 2009, une augmentation de capital social, destinée à financer le coût de travaux à entreprendre avant de remettre l'immeuble en location. Cette augmentation de capital, réalisée avec droit préférentiel de souscription et sans prime d'émission, a été souscrite en totalité par l'associé majoritaire. Une assemblée générale, réunie le 30 mars 2009, a modifié l'objet social pour que la gestion de "tous immeubles et biens immobiliers" et que la "cession" d'immeubles y soient explicitement prévues. Le 15 avril 2009, la SCI a signé une promesse synallagmatique de vente de l'immeuble et les assemblées générales des 21 juin 2010, 23 juin 2011 et 10 juillet 2012 ont affecté la totalité du résultat en réserves. L'associé minoritaire a alors demandé l'annulation de certaines décisions collectives et la liquidation de la société.
La cour d'appel ayant fait droit aux demandes du minoritaire (7), l'associé majoritaire a formé un pourvoi en cassation, reprochant notamment à l'arrêt de prononcer la nullité de la résolution de l'assemblée générale relative à la modification de l'objet social.
En effet, l'article 23 des statuts stipulait que les modifications statutaires "ne pourront être réalisées que si l'assemblée générale extraordinaire réunit un quorum non dégressif des ¾ des associés et statuant à une majorité des ¾ des associés". Or, selon le majoritaire, la nullité des actes ou délibérations des organes de la société ne peut résulter que de la violation d'une disposition impérative du titre X du livre III du Code civil ou de l'une des causes de nullité des contrats en général. Ainsi, ne serait pas nulle la délibération prise en violation des règles statutaires relatives aux conditions de majorité requise dérogeant, tel qu'il l'autorise, à l'article 1836 du Code civil (N° Lexbase : L2007ABX) qui ne serait donc, pas selon lui, impératif.
Concernant le caractère impératif des règles statutaires de majorité renforcée requise pour la modification des statuts, l'article 1836 du Code civil précise que les statuts ne peuvent être modifiés, à défaut de clause contraire, que par l'accord unanime des associés (alinéa 1er) et qu'en aucun cas, les engagements d'un associé ne peuvent être augmentés sans le consentement de celui-ci (alinéa 2). De plus, l'article 1844-10 alinéa 2 du Code civil (N° Lexbase : L2030ABS) dispose que : "la nullité des actes ou délibérations des organes de la société ne peut résulter que de la violation d'une disposition impérative du présent titre ou de l'une des causes de nullité des contrats en général". S'il a déjà été jugé que l'alinéa 2 de l'article 1836 précité était d'ordre public (8), il a également été jugé que ce même alinéa était applicable aux sociétés civiles immobilières comme aux autres sociétés, mais ne réglait pas les conditions auxquelles doivent satisfaire les décisions modificatives des statuts, et non celles relatives aux décisions prises conformément aux statuts, en vue de la réalisation de l'objet social (9). La question se posait de savoir si l'alinéa 1er était également d'ordre public, permettant la mise en oeuvre de l'alinéa 2 de l'article 1844-10. Dans l'arrêt annoté, la Cour de cassation a estimé que oui : le principe d'unanimité, sauf clause contraire, pour modifier les statuts, posé par l'article 1836 du Code civil relève des dispositions impératives du titre visé par l'article 1844-10 du même code, de sorte que la méconnaissance des règles statutaires de majorité renforcée requise pour la modification des statuts est sanctionnée par la nullité. En principe, le non-respect des stipulations statutaires n'est pas sanctionné par la nullité, sauf lorsqu'il a été fait usage de la faculté, ouverte par une disposition impérative, d'aménager conventionnellement la règle posée par celle-ci (10). Or, le caractère impératif de l'article 1836, alinéa 1er, du Code civil ne fait pas réellement de doute compte tenu des termes restrictifs dans lesquels le principe qu'il contient est rédigé. La solution, prise ici en matière de SCI, est certainement transposable à la violation des règles statutaires de majorité posées pour l'adoption des décisions collectives de société en nom collectif. En effet, l'article L. 221-6 du Code de commerce (N° Lexbase : L5802AIQ) applicable à cette forme sociale et relatif aux décisions excédant les pouvoirs du gérant (11) semble lui aussi revêtir un caractère impératif. Toutes les dispositions du droit des sociétés n'étant pas impératives, on comprend néanmoins la stratégie en défense des majoritaires qui ne pouvait au final pas tenir car, même s'il est possible de ne pas respecter des statuts de société (12), c'est à la condition que tous les associés soient d'accord (13). Il est impossible d'imposer à un associé une augmentation de ses engagements sans son accord. Or, en l'espèce, par définition, majoritaires et minoritaires s'opposaient sur plusieurs points.
Il y avait par ailleurs des divergences également sur la distribution des bénéfices. Classiquement le majoritaire thésaurise, alors que le minoritaire souhaite une distribution. Cette attitude est-elle pour autant constitutive d'un abus de majorité ? Oui, si elle est contraire à l'intérêt social, au détriment des minoritaires et dans l'unique dessein des majoritaires (14). La mise en réserve n'est pas en elle-même abusive sauf si elle est systématique (15), comme dans l'arrêt commenté, jugeant donc que doit être annulée précisément pour abus de majorité, la délibération décidant une augmentation de capital dès lors qu'elle se trouve sans cause légitime et n'a pour seul objet que de diluer la participation et est ainsi contraire à l'intérêt social. Il en est de même, ajoute la Cour de cassation, des décisions systématiques de report de la totalité du bénéfice qui privent sur plusieurs exercices l'associé minoritaire de la perception de tout dividende et qui ne peuvent s'autoriser ni de l'objet social, ni des perspectives financières de la société civile, ces décisions ayant eu pour seul objet d'affecter la totalité de la trésorerie de la société à des avances au bénéfice des sociétés de l'associé majoritaire, au détriment de l'associé minoritaire. On notera que la sanction de l'abus de majorité est la nullité de la délibération (16), aucunement la décision par le juge qui n'est pas un organe social de distribuer les bénéfices.
L'arrêt du 7 juillet 2015, bien que non publié au Bulletin, mérite d'être relevé.
Il mettait aux prises une société civile d'exploitation agricole (SCEA) constituée entre des époux et leurs quatre enfants. La mère de famille décédant, le conjoint survivant (le père), fait donation de ses parts sociales, de manière égalitaire, à ses enfants. Par la suite, lors d'une assemblée, la majorité des associés décide de céder les actifs immobiliers de la société et de désigner un expert afin de procéder à leur évaluation. Faisant valoir que ces décisions avaient été prises par une assemblée irrégulièrement convoquée et qu'en outre, elles étaient constitutives d'un abus de majorité, l'un des associés demande l'annulation de ces délibérations, qu'il n'obtiendra pas.
S'agissant d'abord du caractère irrégulier de la convocation, la Cour de cassation rappelle, selon une jurisprudence établie, que l'annulation des décisions de l'assemblée des associés d'une société civile en raison d'une irrégularité affectant les modalités de la convocation des associés est subordonnée à la démonstration d'un grief par celui qui s'en prévaut. Dès lors, après avoir relevé que l'associé qui contestait la régularité de sa convocation à l'assemblée litigieuse, au motif que l'auteur de cette convocation n'était pas en mesure de justifier de sa désignation en qualité de gérant, avait signé la feuille de présence à cette assemblée et y avait voté, et constaté que cet associé ne justifiait pas du grief que lui aurait causé l'irrégularité invoquée, la Cour de cassation approuve la cour d'appel d'en avoir exactement déduit que la demande d'annulation des décisions litigieuses devait être rejetée.
S'agissant ensuite de l'abus de majorité, dans la mesure où les décisions des associés de procéder à la cession des actifs immobiliers de la société et de recourir à un expert chargé d'en déterminer objectivement la valeur vénale ne manifestaient aucunement, de la part des majoritaires, une volonté de nuire à l'associé minoritaire ou de le spolier de ses droits, et n'étaient pas contraires à l'intérêt de la société, dont le fonctionnement normal était à l'évidence rendu impossible par le conflit familial persistant entre les parties en raison des procédures de toute nature, y compris pénales, que se proposait d'engager ou avait engagées l'associé récalcitrant, et où le conflit aigu entre ce dernier et ses frère et soeurs justifiait de prendre des décisions de nature à y mettre un terme, dans l'intérêt même de la société, l'abus est considéré comme n'étant pas caractérisé.
On retiendra de cet arrêt d'espèce qu'un abus de majorité ne peut être constitué dès lors que la décision prise par les majoritaires, quand bien même serait-elle favorable aux majoritaires et défavorable aux minoritaires, sert l'intérêt social, soit dans le cas particulier d'un conflit familial, soit en dehors de ce cas. L'abus de majorité en droit des sociétés doit réunir trois conditions cumulatives et non pas deux. Ici, la contrariété à l'intérêt social n'était pas démontrée, d'où le rejet du pourvoi du minoritaire. La solution, prise dans une SCEA, est transposable aux autres sociétés civiles, dont les SCI, ainsi qu'aux sociétés commerciales.
Pour demander la révocation du liquidateur amiable, défaillant dans l'établissement et la présentation des comptes, est-il nécessaire de suivre au préalable la procédure d'injonction consistant pour le juge à enjoindre l'intéressé de respecter ses obligations ? On aurait pu le penser compte tenu de la rédaction du dernier alinéa de l'article L. 237-25 du Code de commerce (N° Lexbase : L5766ISD). Selon ce texte en effet, à défaut d'accomplir certaines diligences -les trois premiers alinéas dudit texte précisent que le liquidateur, (i) dans les trois mois de la clôture de chaque exercice, établit les comptes annuels au vu de l'inventaire qu'il a dressé des divers éléments de l'actif et du passif existant à cette date et un rapport écrit par lequel il rend compte des opérations de liquidation au cours de l'exercice écoulé ; (ii) sauf dispense accordée par décision de justice, le liquidateur convoque selon les modalités prévues par les statuts, au moins une fois par an et dans les six mois de la clôture de l'exercice l'assemblée des associés qui statue sur les comptes annuels, donne les autorisations nécessaires et éventuellement renouvelle le mandat des contrôleurs, commissaires aux comptes ou membres du conseil de surveillance ; (iii) si l'assemblée n'est pas réunie, le rapport prévu au premier alinéa ci-dessus est déposé au greffe du tribunal de commerce et communiqué à tout intéressé-, le liquidateur peut être déchu de tout ou partie de son droit à rémunération pour l'ensemble de sa mission par le président du tribunal saisi en application de l'article L. 238-2 du Code de commerce (N° Lexbase : L5769ISH). Il peut, en outre, être révoqué selon les mêmes formes. Précisément, l'article L. 238-2 dispose que : "tout intéressé peut demander au président du tribunal statuant en référé d'enjoindre sous astreinte au liquidateur de remplir les obligations prévues aux articles L. 237-21 (N° Lexbase : L6395AIP), L. 237-23 (N° Lexbase : L5765ISC) et L. 237-25".
Mais la Cour de cassation cassant la décision des juges du fond ne valide pas cette thèse. Dans son arrêt du 7 juillet 2015, publié au Bulletin, elle estime que la recevabilité de la demande de révocation du liquidateur formée sur le fondement de l'article L. 237-25 du Code de commerce n'est pas subordonnée à la saisine préalable, aux fins d'injonction, du président du tribunal statuant en référé en application de l'article L. 238-2 du même code (17). La précision, apparemment sans précédent en jurisprudence, est utile d'un point de vue pratique puisque se trouvent fixées les modalités procédurales de la révocation du liquidateur amiable non-diligent.
Selon un avis du CCRCS du 30 juin 2015 (18), qu'il nous semble intéresser de signaler, ici, en cas de remplacement d'une personne ayant le pouvoir d'engager une société commerciale étrangère en France, seules les pièces justificatives suivantes doivent être produites :
- soit une copie de la carte nationale d'identité ou du passeport en cours de validité pour les français, les ressortissants d'un Etat membre de l'Union européenne ou de l'Espace économique européen ou d'un Etat avec lequel ont été conclus des accords particuliers, soit une copie du titre ou du récépissé du titre de séjour ou une copie de la carte de résident pour les étrangers non visés ci-dessus ;
- dans tous les cas, une attestation sur l'honneur, sur papier libre, relative à l'absence de condamnation ou de sanction civile ou administrative de nature à interdire l'exercice d'une activité commerciale, faisant apparaître la filiation ;
- le cas échéant, la copie de l'autorisation provisoire ou définitive du diplôme ou titre conformément à l'article R. 123-95 du Code de commerce (N° Lexbase : L9848HYE).
(1) bastien.brignon@univ-amu.fr ou bastien.brignon@free.fr.
(2) V., contre la diminution à deux actionnaires : Ph. Merle, SVP, surtout pas de société anonyme à deux actionnaires !, Bull. Joly sociétés, 2014, p. 480 ; et en faveur de la réduction du nombre d'actionnaires : R. Mortier, Des sociétés unipersonnelles conçues pour faire des ravages Dr. sociétés, 2014, repère 6.
(3) M. Roussille, Loi de simplification de la vie des entreprises : dispositions relatives au nombre minimum d'actionnaires dans les SA, Dr. sociétés, n° 3, mars 2015, comm. 49 ; B. Brignon, Présentation du projet de loi de simplification en droit des sociétés, Lexbase Hebdo n° 390 du 17 juillet 2014 - édition affaires (N° Lexbase : N3171BUY).
(4) V. l'article très complet et très bien fait de X. Delpech, La société anonyme peut désormais ne compter que deux actionnaires, D. actualité, 18 septembre 2015.
(5) B. Dondero, L'ordonnance n° 2015-1127 du 10 septembre 2015, portant réduction du nombre minimal d'actionnaires dans les sociétés anonymes non cotées, JCP éd. E, 2015, act. 712, spéc. n° 11. Bruno Dondero est, par ailleurs, plutôt favorable à cette diminution, voire à une SA unipersonnelle.
(6) Navis affaires, actu. 26 août 2015 ; D. actualité, 14 septembre 2015, obs. S. Prévost ; cf. in Lexbase Hebdo n° 433 du 23 juillet 2015 - édition affaires, Caractère impératif des règles statutaires de majorité renforcée requise pour la modification des statuts (N° Lexbase : N8606BUB) et Augmentation de capital et report systématique de la totalité des bénéfices : abus de majorité (N° Lexbase : N8607BUC)
(7) CA Paris, Pôle 5, 8ème ch., 22 janvier 2013, RG n° 11/22141 (N° Lexbase : A6368I3A).
(8) Cass. com., 13 novembre 2003, n° 00-20.646, FS-P (N° Lexbase : A1193DAG), Bull. civ. IV, n° 171; R., p. 390 ; D., 2004, Somm. 2033, obs. B. Thullier ; D., 2004, p. 2927, obs. J.-C. Hallouin; JCP éd. E, 2004, 601, n° 7, obs. J.-J. Caussain, Fl. Deboissy et G. Wicker ; Defrénois, 2004, 901, obs. H. Hovasse ; Dr. et patr., mars 2004, p. 107, obs. D. Poracchia ; RTDCom., 2004, p. 118, obs.M.-H. Monsèrié-Bon ; Rev. sociétés, 2004, 97, note B. Saintourens ; RTDCiv., 2004, p. 283, obs. J. Mestre et B. Fages.
(9) Cass. civ. 1, 8 novembre 1988, n° 87-10.514, publié (N° Lexbase : A4004AGE), Bull. civ. I, n° 313 ; Rev. sociétés, 1989, p. 473, note Y. Chartier.
(10) Cass. com., 18 mai 2010, n° 09-14.855, FS-P+B+I+R (N° Lexbase : A3869EXL), J.-B. Lenhof, Nullité des délibérations du conseil d'administration d'une SAS, un coup d'arrêt à la thèse de la "société-contrat" ?, Lexbase Hebdo n° 398 du 10 juin 2010 - édition privée (N° Lexbase : N3079BPQ), RJDA, 8-9/2010, n° 850 ; Cass. com., 19 mars 2013, n° 12-14.283, F-P+B (N° Lexbase : A7014KCR), RJDA, 6/2013, n° 533.
(11) Ces décisions "sont prises à l'unanimité des associés. Toutefois les statuts peuvent prévoir que certaines décisions sont prises à une majorité qu'ils fixent".
(12) Cass. com., 30 juin 2015, n° 14-17.649, F-P+B (N° Lexbase : A5465NMD), JCP éd. E, 2015, act. 604 ; D. actualité, 28 juillet 2015, obs. X. Delpech ; BRDA 14/2015, inf. 1, D. Gibirila, L'impossibilité pour les tiers de se prévaloir de la clause organisant les modalités de prorogation d'une société, Lexbase Hebdo n° 435 du 10 septembre 2015 - édition affaires (N° Lexbase : N8822BUB).
(13) Cass., com., 12 mai 2015, n° 14-13.744, F-D (N° Lexbase : A8754NHP), JCP éd. E, 2015, 1338, note B. Dondero.
(14) Cass. com., 28 avril 1961, n° 57-12.658, publié (N° Lexbase : A3035CKM), D., 1961, p. 661.
(15) Cass. com., 6 juin 1990, n° 88-19.420 (N° Lexbase : A4387ACH), Bull. civ., IV, n° 171 ; Bull. Joly Sociétés, septembre 1990, p. 782, n° 233, note P. Le Cannu ; Rev. sociétés, 1990, p. 606, note Y. Chartier. V. égal. Cass. com., 22 avril 1976, n° 75-10.735 (N° Lexbase : A3166AGD), Bull. civ., IV, n° 131 ; Rev. sociétés, 1976, p. 479, note D. Schmidt (abus de majorité caractérisé au regard des réserves qui avaient atteint 2/3 du chiffre d'affaires de sorte qu'elles traduisaient une " thésaurisation pure et simple)
(16) Cass. com., 9 mars 1993, n° 91-14.685, publié (N° Lexbase : A5690ABD) arrêt "Flandin", Bull. civ., IV, n° 101 ; Bull. Joly Sociétés, mai 1993, p. 537, n° 152, note P. Le Cannu ; Rev. sociétés, 1993, p. 403, note P. Merle ; D., 1993, p. 363, note Y. Guyon ; JCP éd. G, 1993, II, n° 22107, note Y. Paclot ; JCP éd. E, 1993, II, n° 448, note A. Viandier ; JCP éd. N, 1993, II, n° 293, note J.-F. Barbièri. Dans le même sens : Cass. com., 5 mai 1998, n° 96-15.383 (N° Lexbase : A2732AC8), Bull. civ., IV, n° 149 ; Bull. Joly Sociétés, juillet 1998, p 755, n° 245, note L. Godon ; Rev. sociétés, 1999, p. 344, note M. Boizard. Contra Cass. com., 14 janvier 1992, n° 90-13.055 (N° Lexbase : A4145AB7), arrêt "Vitama", Bull. civ., IV, n° 19 ; Bull. Joly Sociétés, mars 1992, p. 273, n° 81, note P. Le Cannu ; Rev. sociétés, 1992, p. 44, note P. Merle.
(17) JCP éd. E, 2015, act. 622; D. actualité, 21 juillet 2015, obs. X. Delpech ; Condition de la demande de révocation du liquidateur défaillant dans l'établissement et la présentation des comptes, Lexbase Hebdo n° 433 du 23 juillet 2015 - édition affaires (N° Lexbase : N8602BU7).
(18) JCP éd. E, 2015, act. 713 ; Remplacement du responsable du premier établissement en France d'une société ayant son siège social à l'étranger : inscription modificative au RCS, Lexbase Hebdo n° 437 du 24 septembre 2015 - édition affaires (N° Lexbase : N9113BU3).
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Réf. : Cass. civ. 2, 24 septembre 2015, n° 13-20.996, FS-P+B+I (N° Lexbase : A5976NPZ)
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N9142BU7
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Le 01 Octobre 2015
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