Lecture: 5 min
N8836BUS
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication
Le 10 Septembre 2015
On le sait, la loi du 17 août 2015 n'a rien de moins comme ambition que de fixer pour objectif une réduction de 40 % des émissions de gaz à effet de serre d'ici à 2030 et leur division par quatre en 2050 ; de porter à 32 % la part des énergies renouvelables dans la consommation énergétique finale en 2030 ; et de diviser par deux la consommation d'énergie finale à horizon 2050 ; de diminuer de 50 % le volume de déchets mis en décharge à l'horizon 2050 ; et de ramener la part du nucléaire à 50 % de la production d'électricité en 2025 ! Cette loi "d'action et de mobilisation" -dixit le Gouvernement- "engage le pays tout entier -citoyens, entreprises, territoires, pouvoirs publics-".
Concrètement il s'agit, pour les citoyens, de consommer mieux en économisant l'énergie (moins de carburants fossiles, moins de transport, plus de confort thermique, plus d'efficacité dans l'industrie) ; pour les entreprises, de produire autrement en préservant l'environnement (plus de ressources locales, des énergies renouvelables, moins de déchets) ; pour les territoires, de faire progresser la société grâce à des projets mobilisateurs (projets coopératifs de production d'énergie, services innovants) ; pour les pouvoirs publics, de créer des emplois dans de nouveaux métiers d'avenir et dans le bâtiment.
La loi nouvelle introduit, pour ce faire, 215 articles tous plus techniques les uns que les autres pour concrétiser ses objectifs plus réformateurs. Car il ne faut pas s'y tromper : accélérer et amplifier les travaux de rénovation énergétique des bâtiments pour économiser l'énergie n'est pas une mince affaire au regard de nos comportements désinvoltes et de nos budgets serrés ; le déploiement en France des véhicules électriques et à faibles émissions, le renouvellement des flottes de l'Etat et de ses établissements publics, non plus.
Tout le problème, maintenant, réside dans la crédibilité d'une telle réforme des mentalités par la loi. Se réfugier derrière le paravent législatif n'augure aucunement une transition énergétique réussie, surtout quand les objectifs sont fixés à 10 ou 35 ans !
L'exemple le plus patent est, justement la loi du 5 août 2015, ratifiant l'ordonnance du 26 septembre 2014, sur l'accessibilité en faveur des personnes handicapées. L'ordonnance en question prévoit de nouveaux délais (de 3 à 9 ans) pour la mise en accessibilité des lieux publics, prenant acte de l'impossibilité d'atteindre l'objectif de 2015 que la loi de 2005 avait fixé. Cette "impossibilité" ne résulte assurément pas de la force majeure : elle traduit simplement une absence de considération générale pour le problème en question, sur fond d'ordonnancement des priorités budgétaires n'incluant qu'à la marge cette épineuse, et coûteuse -il faut bien l'avouer-, obligation. Le fait qu'un délai supplémentaire de 9 ans soit accordé aux sociétés de transport ferroviaire pour s'y conformer en est l'exemple le plus topique.
"C'est un travers de notre démocratie de courir aveuglément aux réformes. On demande une réforme... et elle n'est pas plus tôt votée qu'on s'en détourne, qu'on court à une autre", sentenciait Aristide Briand. Nous pourrions ajouter : "sans même appliquer la première".
Et, l'intelligibilité et la crédibilité de la loi peuvent également être mises à mal au regard des atermoiements passés. La loi nouvelle sur la transition énergétique entend, à nouveau, favoriser le développement des énergies renouvelables pour diversifier la production et renforcer l'indépendance énergétique de la France. Mais, quid d'un tel objectif, lorsque l'on se souvient des volte-faces gouvernementales sur la production d'énergie solaire et le prix d'achat du kilowatt-heure.
Mais, que ce soit pour la transition énergétique, comme pour l'accessibilité des lieux accueillant du public aux personnes handicapées, il ne faut pas se résigner à l'inaction ; si tel devait être le cas, nous en serions toujours à écouler nos déjections sur les pavés des ruelles. Il faut bien avoir à l'esprit que, jusqu'au milieu du XIXème siècle, les esprits ne trouvaient rien à dire à l'insalubrité urbaine causée par l'absence de système d'évacuation. Et, si le terme même de "police sanitaire" apparaît en 1812, il faudra plus d'un siècle, et la Grande guerre, pour que chacun consente à appliquer les mesures sanitaires essentielles au "vivre ensemble" -entendez, raccorder ses lieux d'aisance au tout à l'égout-. Car, tous, ou presque, se contentaient bien de recourir à ces "chevaliers de la brune", chargés d'évacuer la nuit "la matière", pour la déposer, d'abord à Montfaucon, puis à La Villette. Dans le même sens, il a fallu des dizaines d'années pour faire accepter les vespasiennes à six loges, les chalets de nécessité, les urinoirs circulaires et autres colonnes Rambuteau sur la voie publique (cf. Roger-Henri Guerrand, Les lieux. Histoire des commodités).
C'est la conviction des hygiénistes du XIXème siècle, Napias, Belgrand, Du Mesnil, Rochard -confortés par de nombreuses épidémies de tiphoïde et de choléra en plein Paris-, qui permit, après des combats acharnés, d'imposer, d'abord par arrêté préfectoral du 8 août 1894, un cabinet d'aisance, par logement, muni d'une chasse d'eau, d'un réservoir ou branché sur la canalisation... Un texte liberticide pour la majorité des propriétaires fonciers réunis, en 1897, en congrégation pour la circonstance ! On attentait ainsi au droit de propriété : une obligation dès lors inadmissible ! Le moins que l'on puisse dire, c'est que les pouvoirs publics n'ont pas beaucoup fait preuve de contrainte à leur égard, à l'exception de ce préfet collectiviste, Eugène Poubelle. Mais, avec la Première guerre mondiale, c'est une autre affaire. La Patrie en danger, Paris, c'est-à-dire l'arrière front, ne doit plus souffrir d'insalubrité, même ouvrière. Et, les conceptions hygiénistes l'emporteront progressivement.
Faudra-t-il attendre un conflit mondial sur fond de crise énergétique pour se convaincre qu'il faut agir et commencer par soi ? Les personnes handicapées devront-elles s'abstenir de se déplacer dans les lieux publics encore longtemps, comme les femmes devaient "s'abstenir", contrairement aux hommes, faute de lieux publics d'aisance conçus pour elles -à l'exception de celui de Gaudrier, sur les Champs-Elysées- ?
"Il ne faut pas essayer de transformer le monde, il faut juste essayer de l'empêcher de se défaire", écrivait Camus. Tout dépend de la manière dont on conçoit ce monde à l'origine : optimal intrinsèquement, ou pétri d'imperfections qu'il convient de corriger, même à la marge ?
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:448836
Réf. : Loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques (N° Lexbase : L4876KEC)
Lecture: 2 min
N8750BUM
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
Le 04 Septembre 2015
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:448750
Réf. : Cass. civ. 1, 17 juin 2015, n° 14-17.536, FS-P+B (N° Lexbase : A5182NLI)
Lecture: 5 min
N8729BUT
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Yves Avril, Docteur en droit, Avocat honoraire, ancien Bâtonnier
Le 10 Septembre 2015
Le texte suivant (article 18) contiendrait-il une plus grande précision ? Il évoque, dans la fonction des Ordres, le pouvoir de mettre en oeuvre "dans le cadre des dispositions législatives et réglementaires, les moyens appropriés pour régler les problèmes d'intérêt commun, tels l'informatique, la communication électronique, la formation professionnelle, la représentation de la profession, le régime de la garantie". La liste n'est pas limitative et le terme de garantie est pour le moins équivoque. S'agit-il de la responsabilité civile professionnelle ? S'agit-il de la garantie de représentation des fonds ? On sait que ces deux régimes d'assurance n'ont rien de commun et il faut distinguer là où les clients de l'avocat ainsi que beaucoup d'avocats ne distinguent pas (2).
En revanche, la loi (loi du 31 décembre 1971, art. 27) et les textes réglementaires (décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, arts. 205 et 206 N° Lexbase : L8168AID) se font plus précis pour évoquer les deux types d'assurances. Le RIN (RIN, art. 21-3-9 N° Lexbase : L4063IP8) y fait également référence.
On doit, néanmoins, observer que rien n'est dit du pouvoir du conseil de l'Ordre en pareille matière. Il est donc nécessaire que la jurisprudence se prononce. Comme ces questions touchent directement les avocats, plus particulièrement sur le plan économique, l'on imagine a priori que la jurisprudence n'est pas inexistante.
Ainsi, une décision de principe (3) est intervenue pour reconnaître au conseil de l'Ordre le pouvoir d'imposer aux avocats de souscrire à une assurance de responsabilité civile collective. On imagine l'intérêt de cette solution pour le bien commun, celui des avocats et celui de leur victime. Laissé seul face aux assureurs, l'on perçoit les difficultés de toute sorte qu'aurait supportées l'avocat pour obtenir une garantie effective, dans son principe et son montant, alors que l'on est dans un régime d'assurance obligatoire.
Plus discutable pouvait apparaître le pouvoir du conseil de l'Ordre pour répartir de façon différente les primes de responsabilité entre les avocats. Toutefois, un arrêt de principe règle aussi cette question (4) et fournit des précisions, voire des orientations, dont le caractère obligatoire reste d'actualité. La Cour de cassation rappelle, d'abord, le pouvoir du conseil de l'Ordre d'imposer une police d'assurance collective couvrant la responsabilité civile professionnelle. Elle indique, ensuite, que ce pouvoir s'étend à celui de répartir le coût entre les avocats à condition de se fonder sur "des critères respectant les principes d'équité et d'égalité entre les avocats".
C'est ce même critérium qui a été repris récemment dans une matière où la solution n'apparaissait pas d'évidence. Un conseil de l'Ordre avait fixé une répartition différente selon que l'avocat était collaborateur salarié ou collaborateur libéral. Après une cassation pour un vice de procédure (5) (l'absence d'audition du Bâtonnier), ne méritant pas dès lors les honneurs du Bulletin, la cour de renvoi a légitimé la décision prise par le conseil de l'Ordre du barreau de Narbonne car la décision prise, a estimé la cour, ne se heurtait pas au respect du principe d'équité et d'égalité (6).
L'assurance perte de collaboration doit également entrer dans les assurances qu'aucun texte d'organisation professionnelle n'a évoqué, ni a fortiori rendu obligatoire. La question a pourtant été débattue au sein du Conseil national des barreaux, mais le principe d'une assurance obligatoire a été écarté lors d'une assemblée générale du 12 avril 2013. Selon le rapport, présenté par un élu FNUJA, une cotisation de 16 euros par an et par avocat aurait garanti trois mois d'indemnisation à l'avocat qui aurait perdu sa collaboration sans trouver une situation de remplacement. Au barreau de Paris (7) le courtier de référence, la société AON, avait déjà mis au point, pour une application éventuelle au 1er janvier 2012, une assurance de ce type, mais sur le principe d'une adhésion facultative. Pour 180 euros par an, l'avocat pouvait bénéficier d'une indemnité forfaitaire de 2 500 euros par mois versée pendant quatre mois, des garanties supplémentaires (montant et durée) pouvant être souscrites.
Sortant de ce cadre facultatif, le conseil de l'Ordre du barreau de Rouen avait fait preuve, le 13 novembre 2012, d'une hardiesse que n'a pas eu le Conseil national des barreaux. Il imposait à chacun de ses membres l'obligation de financer une assurance de "perte de collaboration". Deux avocats contestaient cette décision en avançant deux arguments. Le premier tenait au caractère libéral et indépendant de la profession. L'avocat collaborateur libéral, selon les avocats opposants, est tenu par la loi (loi du 31 décembre, art. 7, loi n° 2005-882 du 2 août 2005, art. 8 N° Lexbase : L7582HEK), des mêmes obligations que les autres avocats et ne connaît pas le lien de subordination. Le caractère obligatoire de l'assurance aboutirait à retenir le contraire de ce principe. En outre le caractère général de la cotisation, romprait l'égalité entre avocats puisque le coût devrait être également supporté par les avocats qui n'ont pas de collaborateur.
Une première observation peut être faite. Le conseil de l'Ordre n'avait pas cherché à se fonder sur sa compétence reconnue par la jurisprudence en matière d'assurance. Il s'était fondé plus judicieusement sur l'article 17. 6° de la loi du 31 décembre 1971 permettant "d'administrer et d'utiliser des ressources pour assurer les secours, allocations ou avantages quelconques". Bref, la motivation se rattachait par ce texte à la solide tradition de solidarité des barreaux en fonction des besoins de ses membres ou anciens membres. Il appartenait alors à la Cour de cassation de se prononcer en fonction des principes adoptés par le conseil de l'Ordre pour asseoir sa décision. La Haute juridiction affirme clairement le pouvoir et le droit des conseils de l'Ordre d'adopter cette mesure dotée d'un effet obligatoire. "Financée au titre des oeuvres sociales, [il s'agit] d'une mesure de solidarité qui ne porte pas atteinte au principe d'égalité, dès lors qu'elle est justifiée par les conditions particulières d'exercice de la profession d'avocat qu'impose le statut de collaborateur et qu'elle n'est pas disproportionnée au regard des objectifs poursuivis". Le principe ainsi posé, la Cour de cassation ne pouvait que casser l'arrêt d'appel qui avait statué à l'inverse en retenant une atteinte au caractère libéral et indépendant de la profession et une rupture d'égalité entre avocats. On comprend ainsi qu'une décision aussi novatrice, dont la solution n'apparaissait pas évidente, puisse avoir autorité de principe et mérite une publication au Bulletin. On ne peut qu'approuver cette solution.
(1) Décret du 12 juillet 2005, art. 3.
(2) Sur la question, notre ouvrage, La responsabilité des avocats, civile, disciplinaire, pénale, Dalloz Référence, 2014-2015, n° 41.00 et suivants.
(3) Cass. civ. 1, 5 octobre 1999, n° 96-11.857 (N° Lexbase : A2318CGX), Bull civ I, n° 255; D.,1999, IR, 239; Gaz. Pal., 1999, Pan. 258 ; JCP éd. G, 1999, II, 10 197, concl. Sainte-Rose.
(4) Cass. civ. 1, 7 novembre 2000, n° 97-22.401 (N° Lexbase : A7772AHC), Bull. civ., I, n° 276 ; D., 2000, IR, 289.
(5) Cass. civ. 1, 22 janvier 2014, n°13-10.185, F-D (N° Lexbase : A9756MCC).
(6) CA, Aix en Provence, 26 juin 2014, n° 14/02838 (N° Lexbase : A8736MRY).
(7) voir sur le site de l'Ordre de Paris
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:448729
Réf. : T. com. Paris, 19 juin 2015, aff. n° J2014000295 (N° Lexbase : A4919NNI)
Lecture: 1 min
N8890BUS
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
Le 12 Septembre 2015
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:448890
Lecture: 11 min
N8830BUL
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Marjorie Brusorio-Aillaud, Maître de conférences à l'Université du Sud Toulon-Var
Le 10 Septembre 2015
Dans la première affaire retenue, jugée par la Cour de cassation le 8 juillet 2015, un couple avait divorcé et la cour d'appel avait condamné l'époux à payer une prestation compensatoire, sous la forme d'un capital de 200 000 euros, en énonçant que cette dernière "a quand même pour objet de corriger les injustices liées au jeu du régime séparatiste". Visant les articles 270 (N° Lexbase : L2837DZ4) et 271 (N° Lexbase : L3212INB) du Code civil, la Haute juridiction a cassé et annulé cet arrêt sur ce point.
La solution, qui a déjà été adoptée (Cass. civ. 1, 14 mai 2014, n° 12-29.205, F-D N° Lexbase : A5545MLX ; Cass. civ. 1, 18 décembre 2013, n° 13-10.170, F-D N° Lexbase : A7685KSG), est parfaitement logique.
En effet, il résulte des articles 270 et suivants du Code civil :
- que l'un des époux peut être tenu de verser à l'autre une prestation destinée à compenser, autant qu'il est possible, la disparité que la rupture du mariage crée dans les conditions de vie respectives ;
- que cette prestation compensatoire est fixée selon les besoins de l'époux à qui elle est versée et les ressources de l'autre, en tenant compte de la situation au moment du divorce et de l'évolution de celle-ci dans un avenir prévisible ;
- et que, pour ce faire, le juge prend en considération un certain nombre d'éléments, non limitativement énumérés par l'alinéa 2 de l'article 271 du Code civil.
En pratique, l'article 272 du Code civil (N° Lexbase : L4059I3Q) prévoit que, dans le cadre de la fixation d'une prestation compensatoire, ou à l'occasion d'une demande en révision, les parties fournissent au juge une déclaration sur l'honneur certifiant l'exactitude de leur ressources, revenus, charges, patrimoine et conditions de vie.
Dans l'espèce commentée, le mari était âgé de 62 ans et l'épouse de 60 ans. Le mariage avait été célébré en 1980 et le couple avait vécu ensemble jusqu'à sa comparution devant le magistrat conciliateur. La durée de la vie commune postérieure au mariage avait ainsi duré 28 ans. Le couple avait eu deux enfants, majeurs et autonomes.
Les juges du fond ont relevé qu'il résultait des assertions de l'époux qu'une grande partie de son patrimoine propre s'était constitué au cours de la vie commune. En effet, enseignant au moment du mariage, le mari s'était visiblement lancé dans les affaires par la suite. Or, pour les juges du fond, cette réussite professionnelle était sans doute liée à l'industrie du mari et son talent, mais il ne pouvait être fait abstraction du fait que l'épouse, qui avait une profession stable de médecin, et assurait ainsi une sécurité matérielle à sa famille, avait en partie contribué à cette promotion sociale. Les magistrats ont donc conclu que même si la prestation compensatoire n'a pas pour finalité d'assurer la parité des fortunes, elle a quand même pour objet de corriger les injustices liées au jeu du régime séparatiste. L'époux a ainsi été condamné à verser une prestation compensatoire, sous forme de capital, d'un montant de 200 000 euros, contrairement à ce qu'en avait décidé les premiers juges, dès lors que le divorce va entraîner, au détriment de l'épouse, à l'issue de 28 années de vie commune, une forte disparité dans ses conditions d'existence.
Un tel raisonnement, et une telle solution, violent incontestablement les dispositions relatives à la prestation compensatoire. Pour qu'une prestation compensatoire soit accordée, deux conditions doivent être remplies. Il faut une disparité entre les conditions de vie avant et après le mariage et cette disparité doit avoir pour origine la rupture de l'union.
S'agissant de l'existence de la disparité : en l'espèce, les époux, l'un comme l'autre, ne fournissaient pas l'intégralité des documents permettant d'évaluer exactement leurs revenus, charges et patrimoines. L'épouse, par exemple, ne fournissait pas de renseignement sur ses droits prévisibles à la retraite alors que, âgée de 60 ans, cela était, si ce n'est imminent, assez proche... La disparité, dans les conditions de vie des époux, et notamment l'épouse créancière, avant et après le mariage, n'était donc pas clairement démontrée.
S'agissant de l'origine de la disparité : la jurisprudence applique en principe strictement l'alinéa 2 de l'article 270 du Code civil et exige que la disparité ait pour origine la rupture du mariage. Le changement, dans les conditions de vie, ne doit pas résulter d'une situation antérieure à l'union (et poser éventuellement la question d'enrichissement sans cause) ou du choix d'un régime matrimonial (et dépendre alors d'éventuelles récompenses).
Avoir admis l'existence de la disparité, alors que certains documents n'étaient pas fournis, peut paraître critiquable mais, dès lors que cela relève de leur appréciation souveraine, la Haute juridiction ne pouvait pas sanctionner les juges du fond (Cass. civ. 2, 25 juin 1980, n° 79-10.857 N° Lexbase : A9706CIC ; Cass. civ. 2, 6 mai 1987, n° 86-12.953 N° Lexbase : A7693AA8 Bull. civ. II, n° 101 ; Cass. civ. 2, 30 novembre 2000, 2 arrêts, n° 99-10.923 N° Lexbase : A3206AUB et n° 99-12.458 N° Lexbase : A3219AUR, Bull. civ. II, n° 157).
En revanche, en indiquant que la prestation compensatoire "a quand même pour objet de corriger les injustices liées au jeu du régime séparatiste", alors que l'article 270 dispose que la disparité doit avoir pour origine la rupture du mariage, les juges du fond encouraient indubitablement la cassation. La Haute juridiction a clairement rappelé, au début de l'arrêt, que "la prestation compensatoire n'a pas pour objet de corriger les effets de l'adoption par les époux du régime de séparation de biens". Les époux ont ainsi été remis dans l'état où ils se trouvaient avant l'arrêt d'appel, rendu en avril 2014, et ont été renvoyés devant une autre cour d'appel.
Cela est logique, d'un point de vue théorique, mais peut paraître inéquitable. Une épouse a travaillé sans cesse, sans pause (certes non obligatoire) pour l'éducation de ses deux enfants, puisque les juges ont retenu que "n'est aucunement démontré [qu'elle] ait consenti quelque sacrifice de carrière pour se consacrer à l'éducation de ses enfants" et l'époux, fort probablement grâce à la stabilité, la sécurité et le confort financier fournis par son épouse, s'est lancé dans les affaires... et y a réussi. Présenté ainsi, il peut paraître injuste que, au moment de la séparation, l'épouse n'ait aucune "contrepartie".
C'est probablement parce qu'ils ont été empreints d'un tel sentiment que les magistrats de la cour d'appel se sont permis d'assouplir les conditions d'attribution de la prestation compensatoire. Cependant, cela était forcément condamnable et il aurait peut-être été possible de parvenir à cette solution d'une autre manière, sans encourir aussi sûrement la cassation.
En effet, s'ils veulent condamner l'époux à verser une prestation compensatoire, les juges de la cour d'appel de renvoi doivent "seulement" :
- d'une part, estimer que la rupture crée une disparité dans les conditions de vie des époux. Ils doivent prendre en considération le patrimoine estimé ou prévisible des époux, tant en capital qu'en revenus et leur situation respective en matière de retraite. Il suffit d'indiquer clairement que ces éléments ont été pris en considération, même si certains font défaut, comme en l'espèce (l'exhaustivité n'est pas requise), pour que la cassation soit évitée ;
- d'autre part, indiquer que la disparité a pour origine la rupture (du moins ne plus écrire clairement que la prestation "a quand même pour objet de corriger les injustices liées au jeu du régime séparatiste").
Enfin, pour la fixation de la prestation, l'article 271 du Code civil prévoit que le juge prend notamment en considération "les conséquences des choix professionnels faits par l'un des époux pendant la vie commune pour l'éducation des enfants et du temps qu'il faudra encore y consacrer ou pour favoriser la carrière de son conjoint au détriment de la sienne". Le fait, en l'espèce, que l'épouse ait sans cesse travaillé pour permettre à son conjoint de "faire des affaires" et de se constituer un solide patrimoine pourrait ainsi être pris en considération, entre autres éléments.
L'épouse a donc perdu quelques mois, mais pas l'espoir d'avoir une prestation qui, toutefois, ne lui semble pas indispensable pour avoir un niveau de vie confortable et un patrimoine important.
La seconde affaire retenue pour la présente chronique concerne la "force" de la prestation compensatoire.
En l'espèce, un couple s'était marié en avril 2000 en Allemagne, où il résidait, et un jugement avait prononcé son divorce en juillet 2011. Dès lors que, au jour de l'introduction de la demande en divorce, les époux avaient (et ont toujours), l'un et l'autre, leur domicile en France, leur divorce devait être régi par la loi française, conformément à l'article 309 du Code civil (N° Lexbase : L8850G9N).
Pour rejeter la demande de prestation compensatoire de l'épouse, la cour d'appel de Metz avait retenu qu'aux termes de leur contrat de mariage, reçu par un notaire, en Allemagne, en mars 2000, les époux avaient exclu "toute prestation compensatoire selon le droit allemand ou tout autre droit". L'épouse avait ainsi renoncé, par avance, à toute prestation compensatoire.
Ayant relevé le moyen d'office, en application de l'article 1015 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L7861I4W), la Cour de cassation a déclaré qu'en statuant ainsi, alors qu'il lui incombait de rechercher, de manière concrète, si les effets de la loi allemande n'étaient pas manifestement contraires à l'ordre public international français, la cour d'appel avait violé l'article 15 du Règlement n° 4/2009 du Conseil du 18 décembre 2008 (N° Lexbase : L5102ICX) et les articles 8, 13 et 22 du Protocole de La Haye du 23 novembre 2007 sur la loi applicable aux obligations alimentaires. L'arrêt d'appel, rendu en septembre 2013, a ainsi été cassé, en ce qu'il avait rejeté la demande de prestation compensatoire. Cette décision aussi est parfaitement logique.
Certes, il semblait résulter des stipulations de leur contrat de mariage que les époux avaient expressément entendu opter pour l'application du droit allemand, quant aux conséquences générales de leur mariage, qu'ils avaient choisi le régime matrimonial légal de la communauté de participation aux acquêts, selon le droit allemand, et exclu toute prestation compensatoire, selon également le droit allemand ou tout autre droit. De plus, aux termes des dispositions de l'article 3 de la Convention de La Haye sur la loi applicable aux régimes matrimoniaux en date du 14 mars 1978 (N° Lexbase : L9105IEX, publiée par le décret n° 92-1024 du 21 septembre 1992), le régime matrimonial est soumis à la loi interne désignée par les époux avant le mariage, en l'espèce le droit applicable en Allemagne, Etat dont le mari a la nationalité. En outre, l'article 2 de la Convention de La Haye du 14 mars 1978 susvisée, entrée en vigueur en France le 1er septembre 1992, s'applique à tous les mariages célébrés postérieurement à cette date (donc en l'espèce), même si la nationalité, la résidence habituelle des époux ou la loi applicable en vertu de cette convention ne sont pas celles d'un Etat contractant (Cass. civ. 1, 12 novembre 2009, n° 08-18.343, F-P+B+I N° Lexbase : A9955EMN). Enfin, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. On pouvait donc conclure que l'épouse avait explicitement choisi le droit allemand pour régir les conséquences de son mariage et qu'elle avait expressément renoncé, par avance, à toute prestation compensatoire, dans le contrat de mariage, lequel est régi par le droit allemand.
Cependant, selon l'article 15 du Règlement n° 4/2009 du Conseil du 18 décembre 2008 : "afin de préserver les intérêts des créanciers d'aliments et de favoriser une bonne administration de la justice au sein de l'Union européenne, les règles relatives à la compétence telles qu'elles résultent du Règlement (CE) n° 44/2001 (N° Lexbase : L7541A8S) devraient être adaptées. La circonstance qu'un défendeur a sa résidence habituelle dans un État tiers ne devrait plus être de nature à exclure l'application des règles communautaires de compétence, et plus aucun renvoi aux règles de compétence du droit national ne devrait désormais être envisagé. Il y a donc lieu de déterminer dans le présent Règlement les cas dans lesquels une juridiction d'un Etat membre peut exercer une compétence subsidiaire". De plus, les articles 8, 13 et 22 du Protocole de La Haye du 23 novembre 2007 sur la loi applicable aux obligations alimentaires prévoient notamment, quant à eux, qu'"à moins que les parties n'aient été pleinement informées et conscientes des conséquences de leur choix au moment de la désignation, la loi désignée ne s'applique pas lorsque son application entraînerait des conséquences manifestement inéquitables ou déraisonnables pour l'une ou l'autre des parties" et "l'application de la loi désignée en vertu du Protocole ne peut être écartée que dans la mesure où ses effets sont manifestement contraires à l'ordre public du for".
En droit français, les époux peuvent "transiger" à propos de l'attribution d'une prestation compensatoire, au cours de leur procédure de divorce. Il revient ensuite au juge de valider leur accord, c'est-à-dire d'homologuer leur convention, qu'il s'agisse d'un divorce par consentement mutuel ou d'un autre type de divorce. Il a été jugé que tant qu'aucune procédure de divorce n'est engagée, les époux ne peuvent valablement transiger sur leur droit futur à une prestation compensatoire. Une telle transaction est nulle de plein droit (Cass. civ. 2, 21 mars 1988, n° 86-16.598 N° Lexbase : A7750AAB ; Cass. civ. 1, 3 février 2004, n° 01-17.094, F-P+B N° Lexbase : A2295DBM).
En l'espèce, il incombait donc au juge du fond de rechercher, concrètement, si le renoncement anticipé, dans un contrat de mariage conclu à l'étranger, d'octroi d'une prestation compensatoire n'était pas manifestement contraire à l'ordre public international français.
En théorie, cette décision oblige seulement les juges du fond à examiner si la convention conclue n'est pas contraire à l'ordre public international français. Il reste possible que ceux-ci acceptent d'appliquer la convention et que l'épouse n'obtienne pas de prestation compensatoire.
En pratique, on peut noter qu'il a déjà été jugé qu'était contraire à l'ordre public français une convention matrimoniale de droit allemand fixant les obligations du mari après le prononcé du divorce (CA Paris, 24èm ch., A, 21 mars 2007, n° 05/22900 N° Lexbase : A3354DXI, JCP éd. N, 2007, 1257). Il est donc fort probable que l'épouse puisse, en l'espèce, demander et, si les conditions d'octroi sont réunies, obtenir une prestation compensatoire. Comme celle dans l'affaire précédente, cette dernière fait donc bien d'attendre encore quelques mois !
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:448830
Réf. : CJUE, 8 septembre 2015, aff. C-105/14 (N° Lexbase : A5121NNY)
Lecture: 2 min
N8859BUN
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
Le 11 Septembre 2015
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:448859
Lecture: 10 min
N8869BUZ
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Frédéric Dal Vecchio, Avocat à la Cour, Docteur en droit, Chargé d'enseignement à l'Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines et Chargé d'enseignement à l'Université Royale de Phnom Penh
Le 10 Septembre 2015
Les conventions fiscales bilatérales, conclues afin d'éviter les situations de double imposition juridique et de faciliter la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales internationales, prévoient une réduction du taux de retenue à la source, parfois même sa suppression, lorsque des revenus sont servis à des personnes situées dans une autre juridiction fiscale. Le réseau fiscal conventionnel étant particulièrement dense (le chiffre de 2 500 conventions fiscales bilatérales est régulièrement avancé (1)) les entreprises sont parfois tentées de faire artificiellement (2) transiter les revenus à travers des juridictions fiscales pour lesquelles une réduction significative du taux prélevé au titre de la retenue à la source a été conclue entre l'Etat source et l'Etat de résidence entraînant le développement industriel du phénomène de treaty shopping avec des conséquences imprévues : le premier investisseur en Inde est la modeste Île Maurice... Ces retenues à la source ont récemment eu les honneurs de la jurisprudence et de la doctrine quant à la question, notamment, de leur compatibilité avec le droit de l'Union européenne (pour des plus-values immobilières : CAA Versailles, 6ème ch., 12 mars 2015, n° 12VE02080, note G. Ladreyt, Dr. fisc., 2015, comm. 527 ; pour des dividendes : CJUE, 3ème ch., 10 mai 2012, aff. C-338/11 à C-347/11 N° Lexbase : A9035IKT, Dr. fisc., 2012, n° 20, act. 222 ; S. Defert, V. Louvel et E. Raingeard de la Blétière, Retenue à la source sur les dividendes versés aux fonds d'investissement étrangers : incompatibilité avec le droit de l'UE, Dr. fisc., 2012, n° 20, act. 215 ; loi n° 2012-958 du 16 août 2012, de finances rectificative pour 2012, art. 6, I, A à D et II N° Lexbase : L9357ITQ). Au cas particulier, le contentieux fiscal entre l'administration et le contribuable s'est cristallisé sur la notion de réclamation, au sens de l'article L. 190 du LPF (N° Lexbase : L9530IYM). Les faits rapportent que la filiale française d'une société belge a distribué en 2007 et en 2008 des dividendes sous déduction d'une retenue à la source au taux de 25 % selon les dispositions alors applicables en droit interne (CGI, art. 119 bis N° Lexbase : L2113HLT ; CGI, art. 187 al. 1er N° Lexbase : L5274H99). Puis, le bénéfice du taux conventionnel prévu par la Convention fiscale franco-belge du 10 mars 1964 (N° Lexbase : L6668BHG) (3) au titre des dividendes versés en 2007 a été partiellement obtenu. En novembre 2009, la société mère belge a adressé à l'établissement payeur des dividendes l'attestation de résidence (4) et la liquidation de la retenue à la source (5) afin d'obtenir la restitution intégrale de la différence entre le taux de droit commun et le taux conventionnel pour les distributions effectuées en 2007 et 2008 eu égard à la législation applicable aux sociétés mères d'Etats membres de l'Union européenne (CGI, art. 119 ter N° Lexbase : L0968I7Y). N'ayant obtenu qu'un remboursement partiel, la contribuable adresse en 2011 une réclamation pour le solde, soit 32 122,01 euros. Cette réclamation sera rejetée par l'administration fiscale car considérée comme tardive (LPF, art. R. 196-1 N° Lexbase : L4380IXI) dès lors que le dépôt des formulaires auprès des banques dépositaires chargées de prélever la retenue à la source ne pouvait pas être interprété comme une demande de remboursement interruptive de prescription. Saisis par la société, le tribunal administratif de Montreuil (TA Montreuil, 12 mars 2013, n° 1204822) et la cour administrative d'appel de Versailles (CAA Versailles, 12 novembre 2013, n° 13VE02581) rendront une ordonnance de rejet de la requête sur la base du très efficace article R. 222-1 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L2818HWB) lorsque la juridiction administrative n'est pas tenue d'inviter les contribuables à régulariser préalablement leurs requêtes introductives d'instance. C'est le caractère particulièrement redoutable du contentieux administratif qui se présente faussement sous un jour informel avec, toutefois, de nombreux pièges procéduraux dont beaucoup ne peuvent pas être régularisés. C'est ainsi que de nombreux "modèles" de lettres à adresser à la juridiction administrative sont servilement recopiés par les contribuables qui mélangent des moyens relevant de la juridiction gracieuse (qui ne relèvent pas de l'office du juge de l'impôt) et contentieuse, lorsque toutefois ces derniers ont bien été formulés sur le plan juridique. Ces requêtes, ne mentionnant aucun moyen de droit et de fait juridiquement intelligible, sont par conséquent inévitablement rejetées (6). De notre point de vue, "l'ubérisation de la société" (7) risque fort d'engranger de nombreux contentieux car le droit ne se résout pas au remplissage de formulaires et les ordinateurs ne remplaceront pas l'expertise d'un professionnel du droit : le libre accès à une information (fiable ?) sur internet ne transforme pas le lecteur en juriste. Les juridictions du fond ayant rejeté la requête de la contribuable sans examen sur le fond, il appartenait dès lors au Conseil d'Etat de se prononcer : le dépôt d'une demande de restitution auprès de l'établissement payeur doit bien être considéré comme une réclamation interruptive de prescription, selon les Hauts magistrats, dès lors que cet établissement payeur devait prélever la retenue à la source et, le cas échéant, restituer l'éventuel trop perçu aux termes de "la procédure prévue par l'administration fiscale". En d'autres termes, la demande de restitution de la retenue à la source effectuée le 25 novembre 2009 auprès de la banque destinataire des imprimés relatifs à l'attestation de résidence et à la liquidation de la retenue à la source doit être assimilée à une réclamation au sens de l'article L. 190 du LPF : elle a, par conséquent, bien été formulée dans le délai prescrit par l'article R. 196-1 du LPF.
II - Recouvrement de l'impôt : jugement prononçant la décharge suivi d'un arrêt remettant à la charge du contribuable une imposition et conséquences quant aux actes de recouvrement forcé (CE 9° et 10° s-s-r., 27 juillet 2015, n° 359368, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A0731NNE ; cf. l’Ouvrage "Droit fiscal" N° Lexbase : E8021EQ7 et le BoFip - Impôts N° Lexbase : X9119ALC)
L'arrêt rendu par le Conseil d'Etat le 27 juillet 2015 (arrêt d'appel : CAA Lyon, 5 janvier 2012, n° 10LY02177 N° Lexbase : A8111IDR ; première instance : TA Lyon, 6 juillet 2010, n° 0905109 N° Lexbase : A9323IDN) s'inscrit dans le cadre de nombreux contentieux entre l'administration fiscale et le dirigeant d'une société commerciale (arrêt de renvoi : CAA Lyon, 12 mars 2013, n° 12LY01436 N° Lexbase : A9876MQT ; CE 10° s-s., 7 mai 2012, n° 325738, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A7173ILA ; CAA Lyon, 18 décembre 2008, n° 04LY01444 N° Lexbase : A7529ECT ; TA Lyon, 6 juillet 2004, n° 0300952 N° Lexbase : A6494EL4) en conséquence d'une condamnation solidaire (CGI, art. 1745 N° Lexbase : L1736HNM) pour fraude fiscale (CGI, art. 1741 N° Lexbase : L9491IY8). L'enjeu patrimonial étant de première importance eu égard aux sommes réclamées (8), il avait été jugé en première instance que le contribuable n'avait pas pu connaître les éléments de calcul de la créance de TVA du Trésor dès lors que l'avis de mise en recouvrement (AMR) se référait à une notification de redressements du 19 septembre 1997 (en réalité adressée à la société commerciale le 23 septembre 1997) et qu'il comportait des différences entre les montants mentionnés sur l'avis de mise en recouvrement et sur la notification de redressements, d'où la décharge de l'impôt rappelé. Les textes en vigueur disposent que l'avis de mise en recouvrement doit indiquer "pour chaque impôt ou taxe le montant global des droits, des pénalités et des intérêts de retard qui font l'objet de cet avis" (rédaction applicable aux faits de l'espèce : LPF, art. R. 256-1 N° Lexbase : L1765INP). En effet, l'émission de l'AMR entraîne des conséquences quant à l'ouverture d'un délai de réclamation (LPF, art. R. 196-1 N° Lexbase : L4380IXI) et détermine le point de départ de la prescription quadriennale des créances de l'Etat (LPF, art. L. 274 N° Lexbase : L9529IYL). Le contentieux relatif à l'AMR est déterminant quant au paiement effectif des droits et accessoires : une erreur sur l'identité du redevable, l'absence d'exigibilité des sommes mentionnées, le défaut de qualité du signataire, l'absence des mentions issues de l'article R. 256-1 du LPF entraîneront la nullité de l'acte. L'application de ce texte a suscité un contentieux qui a incité le législateur à adopter une loi de validation rétroactive afin de limiter autant que possible toute contestation portant sur la validité des avis de mise en recouvrement (loi n° 99-1173 du 30 décembre 1999, de finances pour 1999, art. 25 (9) N° Lexbase : L7831H3G) et qui était citée, au cas particulier, dans un arrêt rendu par la juridiction d'appel concernant le même contribuable (CAA, Lyon, 18 décembre 2008, n° 04LY01444 N° Lexbase : A7529ECT). On notera que la cour administrative d'appel avait souligné l'existence d'une "simple erreur matérielle qui n'a pu constituer un vice substantiel de la procédure d'imposition", ce qui a permis d'offrir à l'administration une solution tout à fait honorable pour ses intérêts puisque l'imposition annulée en première instance a été rétablie par le juge du second degré. La jurisprudence en vigueur permet alors de faire le départ entre deux situations distinctes : en premier lieu, lorsque le comptable des finances publiques prononce un dégrèvement à tort, il doit alors émettre un nouvel avis de mise en recouvrement lors du rétablissement de l'impôt après avoir averti le contribuable de la persistance de son intention de l'imposer (CE 9° s-s., 19 novembre 2013, n° 351871, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A0546KQB ; CE 9° et 10° s-s-r., 22 octobre 2012, n° 348856, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A7608IUC ; CE 9° et 10° s-s-r., 16 mars 2011, n° 333860, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A2444HDU). En revanche, lorsque le dégrèvement fait suite à une annulation prononcée par une juridiction, l'administration n'a pas à émettre un nouvel avis de mise en recouvrement à la suite du rétablissement de l'impôt par la juridiction d'appel selon les juges du fond (CAA Lyon, 5 janvier 2012, n° 10LY02177 N° Lexbase : A8111IDR ; CAA Paris, 8 avril 2010, n° 08PA02732 N° Lexbase : A5863EXG) ou de cassation selon la doctrine administrative (BOI-REC-PREA-10-10-20, 17 juillet 2015, § 370 (10) N° Lexbase : X5191ALT). Toutefois, la décision rendue par le Conseil d'Etat le 27 juillet 2015 spécifie que, l'imposition cessant d'être exigible dans la mesure de la décharge accordée, les actes de poursuite sont frappés de caducité, étant précisé que l'avis de mise en recouvrement n'est pas un acte de poursuite (11), et il appartient alors à l'administration, dans l'hypothèse où l'impôt serait remis à la charge du contribuable par le juge, d'émettre les actes permettant son recouvrement forcé dont la mise en oeuvre est caractérisée par des mesures de poursuites notamment les saisies mobilières, les saisies immobilières ou les avis à tiers détenteur (v. également : M. Masclet de Barbarin, Le contentieux de recouvrement de l'impôt, LGDJ, coll. Bibliothèque de droit public, tome 243, 2004, p. 30 et p. 230).
III - Impossibilité de communiquer un agrément fiscal à une société commerciale concurrente au nom du secret commercial et industriel ainsi que du secret professionnel des agents de l'administration fiscale (CE 9° et 10° s-s-r., 27 juillet 2015, n° 366604, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A0738NNN ; cf. l’Ouvrage "Droit fiscal" N° Lexbase : E8133EQB et le BoFip - Impôts N° Lexbase : X5084ALU)
Une société commerciale a demandé la communication, auprès de l'administration fiscale, d'agréments fiscaux supposés octroyés à plusieurs sociétés concurrentes dans le cadre du régime fiscal propre aux départements ultramarins de la Guadeloupe, de la Guyane, de la Martinique et de la Réunion leur permettant de déduire, de leurs bases d'imposition sur les sociétés, une partie de leurs investissements agréés par le ministère et pour certaines activités seulement (12) (CGI, art. 217 undecies N° Lexbase : L4705I7E). Or, certaines pièces du dossier comportaient des éléments nominatifs, notamment financiers, relatifs aux investissements objets des agréments et n'ayant pas été communiqués dans les comptes annuels des sociétés concurrentes déposés au greffe du tribunal de commerce. Le Conseil d'Etat confirme le jugement rendu par le tribunal administratif de Paris (TA Paris, 4 janvier 2013, n° 1115882/6-3) qui avait rejeté la requête de la société demanderesse dès lors que les agréments fiscaux sont constitutifs de documents administratifs protégés par le secret commercial et industriel (13) (loi n° 78-753 du 17 juillet 1978, portant diverses mesures d'amélioration des relations entre l'administration et le public et diverses dispositions d'ordre administratif, social et fiscal N° Lexbase : L6533AG3 ; loi n° 2011-525 du 17 mai 2011, de simplification et d'amélioration de la qualité du droit N° Lexbase : L2893IQ9) et par le secret professionnel imposé aux agents de l'administration fiscale (LPF, art. L. 103 N° Lexbase : L8485AEY) pouvant faire l'objet de poursuites judiciaires en cas de violation (C. pén., art. L. 226-13 N° Lexbase : L5524AIG et L. 226-14 N° Lexbase : L8743HWQ). L'application de ce secret professionnel nécessite un savant équilibre entre l'exercice effectif des droits des contribuables contrôlés qui doivent connaître, afin de les critiquer utilement, les termes de comparaison pris en considération par l'administration pour l'émission d'une notification de redressements (14) à la suite d'une vente d'un fonds de commerce par exemple (Cass. com., 28 janvier 1992, n° 90-11.937, publié au bulletin, Rejet N° Lexbase : A2315ABD), tout en respectant les droits des autres contribuables quant à la protection de leur vie privé (Cass. com., 20 novembre 2007, n° 06-16.393, F-D N° Lexbase : A7105DZ8) ou de leurs secrets commerciaux et industriels. En l'absence d'une législation protectrice, la mission de l'administration fiscale quant à l'établissement de l'impôt et des autres taxes, leur collecte, leur contrôle et le traitement contentieux seraient impossibles sans ce secret qui assure une protection des contribuables notamment contre d'autres acteurs économiques peu scrupuleux, le phénomène étant préoccupant dans une économie mondialisée. Ce secret commercial et industriel constitue également un motif légitime d'opposition à l'échange de renseignements pour les Etats contractants d'une convention fiscale bilatérale modèle OCDE (15). On se gardera toutefois de tout angélisme car si les dispositions de l'article L. 103 du LPF protègent les contribuables et contribuent à apaiser les relations avec l'administration, elles n'apportent aucune garantie absolue dans les faits : l'histoire fiscale a démontré que des tentations ont existé puisque des avis d'imposition d'un ancien dirigeant de l'une des plus importantes entreprises du CAC 40 ont bien été diffusés dans la presse (16) avec l'aide d'agents de l'administration non identifiés in fine. Si une telle violation n'entraîne pas la décharge des impositions pour les années considérées (CE Contentieux, 16 décembre 1992, n° 58791, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A8562ARK), elle ruine assurément la confiance des contribuables dans leur administration.
(1) C. Mangels, Review of International Commercial Tax by Peter Harris and David Oliver, Berkeley Journal of International Law, vol. 32, Issue 2, 2014, p. 472.
(2) En recourant à des sociétés établies dans des Etats intermédiaires qui, en l'absence de salariés, d'actifs, de locaux, n'ont en réalité aucune substance économique.
(3) Convention franco-belge, art. 25.
(4) Formulaire 5000-FR : "Attestation de résidence".
(5) Formulaire 5001-FR : "Liquidation de la retenue à la source sur dividendes".
(6) Pour les requêtes ayant passé le filtre de la régularité formelle, il reste à affronter les rédacteurs contentieux de l'administration fiscale qui sont des professionnels du droit.
(7) T. Massart, Ubérisation de la société et droit fiscal, Lexbase Hebdo n° 623 du 3 septembre 2015 - édition fiscale (N° Lexbase : N8723BUM). Une oreille attentive et discrète présente sur le stand de certaines plateformes numériques lors du dernier salon des entrepreneurs à Paris en février 2015 visant à "libérer" les créateurs d'entreprise de coûteuses "formalités administratives" (c'est-à-dire de la rédaction d'actes juridiques tels que des statuts de société ou d'un bail commercial) a remarqué les nombreuses questions juridiques et fiscales posées par les jeunes entrepreneurs auxquelles les responsables de ces plateformes étaient incapables de répondre avec sérieux et compétence. Aurait-on l'idée de confier une opération chirurgicale même bénigne en apparence à une aide-soignante plutôt qu'à un chirurgien ?
(8) 241 843 euros en principal, 39 055 euros en pénalités, soit un total de 280 898 euros.
(9) "II.A. - Sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée, les avis de mise en recouvrement émis avant le 1er janvier 2000 sont réputés réguliers en tant qu'ils seraient contestés par le moyen tiré de l'incompétence territoriale de l'agent qui les a émis, à la condition qu'ils aient été établis soit par le comptable public du lieu de déclaration ou d'imposition du redevable, soit, dans le cas où ce lieu a été ou aurait dû être modifié, par le comptable compétent à l'issue de ce changement, même si les sommes dues se rapportent à la période antérieure à ce changement. B.Sont réputés réguliers, sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée, les avis de mise en recouvrement émis à la suite de notifications de redressement effectuées avant le 1er janvier 2000 en tant qu'ils seraient contestés par le moyen tiré de ce qu'ils se référeraient, pour ce qui concerne les informations mentionnées à l'article R. 256-1 du LPF, à la seule notification de redressement".
(10) "Un avis de mise en recouvrement n'a pas à être renouvelé lorsque les impositions qu'il concerne sont rétablies par les juridictions d'appel ou de cassation après qu'elles ont été annulées par les premiers juges".
(11) "L'avis de mise en recouvrement est l'acte au moyen duquel l'administration authentifie la créance fiscale non acquittée dans les délais légaux. Il ne constitue donc pas un acte de poursuite. Il a pour effet d'ouvrir les délais de réclamation et de prescription. L'AMR constitue en outre un préalable aux poursuites", BOI-REC-PREA-10-10-20, 17 juillet 2015, § 300.
(12) Les transports, l'industrie automobile, la navigation de plaisance notamment.
(13) "Ne sont communicables qu'à l'intéressé les documents administratifs : - dont la communication porterait atteinte à la protection de la vie privée, au secret médical et au secret en matière commerciale et industrielle".
(14) Aujourd'hui "proposition de rectification".
(15) Article 26 : "2. Les renseignements reçus en vertu du paragraphe 1 par un Etat contractant sont tenus secrets de la même manière que les renseignements obtenus en application de la législation interne de cet Etat et ne sont communiqués qu'aux personnes ou autorités (y compris les tribunaux et organes administratifs) concernés par l'établissement ou le recouvrement des impôts. 3. Les dispositions des paragraphes 1 et 2 ne peuvent en aucun cas être interprétées comme imposant à un Etat contractant l'obligation : de fournir des renseignements qui révéleraient un secret commercial, industriel, professionnel ou un procédé commercial ou des renseignements dont la communication serait contraire a? l'ordre public".
(16) "11. Le 2 octobre 1989, M. C porta plainte contre X avec constitution de partie civile devant le doyen des juges d'instruction près le tribunal de grande instance de Paris. Il estimait que les faits, qui avaient exigé tant la soustraction que la possession des originaux ou copies de documents ordinairement détenus par l'administration fiscale, étaient constitutifs d'un détournement d'actes ou de titres par fonctionnaire public, d'une violation du secret professionnel, de vol de documents pendant le temps nécessaire à leur reproduction et de recel de documents obtenus à la suite d'une infraction. 12. Le 5 octobre 1989, le parquet prit un réquisitoire introductif visant les infractions de vol, violation du secret professionnel, soustraction d'actes ou de titres et recel. 13. Le 25 octobre 1989, le ministre du Budget porta également plainte avec constitution de partie civile contre X pour soustraction de documents administratifs et violation du secret professionnel. Un réquisitoire supplétif fut pris le 11 décembre 1989. 14. L'information permit d'établir, par l'analyse du numéro informatique figurant sur les documents reproduits et en la possession de M. R, qu'il s'agissait de photocopies de l'exemplaire de chaque avis d'imposition conservé par l'administration fiscale et destiné à rester à l'intérieur de ses services. Les vérifications effectuées sur place confirmèrent que les serrures des armoires contenant ces documents n'avaient pas été forcées et que l'alarme en service en dehors des heures ouvrables ne s'était pas déclenchée. Un examen de l'original de l'avis d'imposition de M. C de 1988 révéla une trace palmaire appartenant au directeur divisionnaire des impôts. Il fut toutefois avéré que celui-ci avait prélevé le dossier fiscal en cause le 27 septembre 1989, à la demande du directeur des services fiscaux et du directeur départemental des impôts. Faute d'identification du ou des auteurs de la sortie des documents des services de l'administration fiscale, personne ne fut inculpé à raison de ce fait. 15. Le 8 mars 1991, les requérants furent inculpés des chefs de recel de copies d'avis d'imposition obtenues à l'aide du délit de violation du secret professionnel et de soustraction d'actes ou de titres, et de vol. 16. Le 20 décembre 1991, un réquisitoire définitif fut pris aux fins de non-lieu de quiconque d'avoir commis les délits de vol et de violation du secret professionnel, de non-lieu du premier requérant et de renvoi devant le tribunal correctionnel du second requérant, sous la prévention de recel de photocopies d'avis d'imposition de M. C, provenant de la violation du secret professionnel, commis par un fonctionnaire de la direction des impôts non identifié. 17. Par ordonnance du 27 janvier 1992, le juge d'instruction décida que, faute d'identification de quiconque, il n'y avait pas lieu de poursuivre des chefs de vol et de violation du secret professionnel. Le juge d'instruction renvoya les requérants devant le tribunal correctionnel sous la double prévention de recel d'informations relatives aux revenus de M. C, couvertes par le secret fiscal, provenant de la violation du secret professionnel par un fonctionnaire des impôts non identifié et de recel de photocopies des avis d'imposition de M. C provenant d'un vol", CEDH, 21 janvier 1999, Req. 29183/95 (N° Lexbase : A7713AWL).
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:448869
Réf. : CAA Versailles, 21 juillet 2015, n° 14VE01122, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A4924NNP)
Lecture: 2 min
N8860BUP
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
Le 17 Septembre 2015
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:448860
Réf. : Décret n° 2015-1120 du 4 septembre 2015, relatif aux mesures d'accompagnement indemnitaire des réorganisations de service liées à la nouvelle organisation territoriale de l'Etat (N° Lexbase : L2524KHX)
Lecture: 1 min
N8834BUQ
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
Le 10 Septembre 2015
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:448834
Réf. : CA Paris, Pôle 5, 1ère ch., 3 juillet 2015, n° 15/07127 (N° Lexbase : A4668NMT)
Lecture: 2 min
N8858BUM
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
Le 10 Septembre 2015
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:448858
Réf. : CEDH, 3 septembre 2015, Req. 42875/10 (N° Lexbase : A3760NNL)
Lecture: 2 min
N8815BUZ
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
Le 10 Septembre 2015
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:448815
Réf. : Cass. civ. 2, 3 septembre 2015, n° 14-11.091, F-P+B (N° Lexbase : A4867NNL)
Lecture: 2 min
N8851BUD
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
Le 10 Septembre 2015
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:448851
Lecture: 10 min
N8856BUK
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Mathieu Disant, Agrégé des Facultés de droit, Professeur à l'Université Lyon Saint-Etienne
Le 10 Septembre 2015
Avec certaines de ces décisions, la jurisprudence constitutionnelle se trouve précisée sur différents points.
On relèvera notamment qu'il n'y a pas de droit général pour les ressortissants étrangers d'accéder aux activités économiques et professions réglementées ou aux emplois publics dans les mêmes conditions que les citoyens français. Telle est la leçon que l'on peut tirer de la décision n° 2015-463 QPC du 9 avril 2015 (N° Lexbase : A2527NGP) concernant une disposition du Code de la sécurité intérieure posant une condition de nationalité pour les activités de direction d'une entreprise exerçant des activités privées de sécurité.
Par ailleurs, dans la décision n° 2015-470 QPC du 29 mai 2015 (N° Lexbase : A6684NIE), relative à l'interdiction d'interrompre la distribution d'eau dans les résidences principales, le Conseil a considéré que le législateur, "en garantissant [...] l'accès à l'eau qui répond à un besoin essentiel de la personne, a [...] poursuivi l'objectif de valeur constitutionnelle que constitue la possibilité pour toute personne de disposer d'un logement décent". Cette association est inédite. Le Conseil constitutionnel reconnaît ainsi l'accès à l'eau comme l'une des composantes de cet objectif de valeur constitutionnelle.
Enfin, dans la décision n° 2015-471 QPC du 29 mai 2015 (N° Lexbase : A6685NIG) concernant les délibérations à scrutin secret du conseil municipal, le Conseil a écarté le grief tendant à l'affirmation d'un principe de transparence. Le requérant arguait que se déduirait de l'article 6 de la Déclaration de 1789 (N° Lexbase : L1370A9M) combiné avec l'article 3 de la Constitution de 1958 (N° Lexbase : L0829AH8) "un droit au profit des électeurs [...] de connaître, sauf exception décidée par la majorité d'une assemblée délibérante, les opinions et les votes des élus" et donc un principe "de la publicité des séances et des votes". Rejetant cette construction, le Conseil constitutionnel a considéré "qu'il ne résulte pas de la combinaison de ces dispositions un principe de publicité des séances et des votes lors des délibérations des assemblées locales". En somme, si on admet que le principe en question est inhérent à la notion de Gouvernement représentatif, il n'est pas applicable aux modalités de vote des organes délibérants des collectivités territoriales.
Les points forts de la période examinée concernent, d'une part, le champ d'application de la QPC par la définition des normes constitutionnelles invocables et, d'autre part, les effets dans le temps des décisions du Conseil constitutionnel et ses suites.
I - Normes constitutionnelles invocables
L'article 1er, alinéa 2, de la Constitution (N° Lexbase : L0827AH4) dispose que le législateur "favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu'aux responsabilités professionnelles et sociales". Dans sa décision n° 2015-465 QPC du 24 avril 2015 (N° Lexbase : A1219NHM), le Conseil constitutionnel juge que ces dispositions n'instituent pas un "droit ou une liberté que la Constitution garantit", dans la mesure où il s'agit de poser une habilitation constitutionnelle du législateur à intervenir pour prévoir des règles favorables à la parité. La méconnaissance de cette disposition ne peut donc être invoquée à l'appui d'une QPC.
Cette position nous paraît fondée. L'objectif de parité fixé à l'article 1er, alinéa 2, de la Constitution a pour objet de permettre au législateur d'instaurer tout dispositif tendant à rendre effectif l'égal accès des hommes et des femmes aux responsabilités professionnelles et sociales, le cas échéant en dérogeant au principe d'égalité devant la loi. Il offre à cet égard une large marge d'appréciation pour définir les dispositifs qui mériteraient d'être adoptés, ainsi que leur rythme, de même que leur caractère incitatif ou contraignant, etc.. Les termes même de la Constitution conduisaient à cette interprétation : l'emploi du verbe "favoriser", et non celui d'"établir", "assurer" ou "garantir" est symptomatique de l'intention du Constituant d'assigner au législateur un (simple) objectif. Il ressort d'ailleurs des travaux préparatoires de 1999 et 2008 qu'un objectif conçu en de tels termes n'avait pas été pensé comme pouvant être un droit invocable.
Cette solution s'inscrit dès lors dans la jurisprudence écartant du champ des normes invocables en QPC les règles constitutionnelles posant des habilitations et objectifs comme l'article 6 de la Charte de l'environnement (Cons. const., décision n° 2012-283 QPC du 23 novembre 2012 N° Lexbase : A4205IXZ), l'article 14 de la Déclaration de 1789 (N° Lexbase : L1361A9B) (Cons. const., décision n° 2010-19/27 QPC du 30 juillet 2010 N° Lexbase : A4552E7Q), le neuvième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 (Cons. const., décision n° 2015-459 QPC du 26 mars 2015 N° Lexbase : A4634NED), ou certaines dispositions des articles 72-1 (N° Lexbase : L8823HBE) (Cons. const., décision n° 2010-12 QPC du 2 juillet 2010 N° Lexbase : A5938E3C) et 72-2 (N° Lexbase : L8824HBG) (Cons. const., décision n° 2010-29/37 QPC du 22 septembre 2010 N° Lexbase : A8926E9H) de la Constitution. On le répète, le champ de la protection des "droits et libertés que la Constitution garantit" de l'article 61-1 de la Constitution (N° Lexbase : L5160IBQ) ne se superpose pas exactement à celui de la vérification de la "conformité à la Constitution" de l'article 61 (N° Lexbase : L0890AHG).
Une solution différente a été retenue concernant l'article 15 de la Déclaration de 1789 (N° Lexbase : L1362A9C), aux termes duquel : "La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration". Le Conseil a jugé que cet article consacre un droit ou une liberté au sens de l'article 61-1 de la Constitution (Cons. const., décision n° 2015-471 QPC du 29 mai 2015).
Cela n'allait pas de soi. A lire les commentaires officiels, le Conseil a estimé que l'article 15 -contrairement à l'article 14 consacrant le principe de consentement à l'impôt et trouvant écho dans la compétence confiée au législateur par l'article 34 de la Constitution (N° Lexbase : L0860AHC)- ne pouvait être interprété comme renvoyant à la compétence du législateur. En effet, aucun article de la Constitution ne donne un écho similaire à l'article 15. Plus encore, la lettre de l'article 15 confie le "droit de demander compte" à "la société". Ces termes sont assez flous, mais l'article en question n'évoque pas pour ce faire les représentants des citoyens comme mentionnés à l'article 14 s'agissant du droit de constater la nécessité de constater la contribution publique. Ceci semble avoir conduit le Conseil, dans le débat sur l'invocabilité en QPC, à refuser toute analogie de traitement entre ces deux articles.
Il s'agit tout de même d'une orientation originale et assez libérale.
D'une part, c'est jusqu'alors une lecture financière de l'article 15 qui avait prévalu dans la mesure où, combiné à d'autres articles, cet article a permis de dégager un principe de sincérité des comptes et un objectif de valeur constitutionnelle de bon usage des deniers publics. Il impose également un certain contrôle des comptes publics. L'article 15 pouvait donc légitimement s'analyser comme une exigence relative aux mécanismes de contrôle destinés à permettre une bonne gestion publique, de même qu'il a contribué à l'affirmation de l'objectif à valeur constitutionnelle de bonne administration de la justice.
D'autre part, il y avait matière à considérer que l'article 15 ne faisait que renvoyer au législateur le soin de définir les modalités selon lesquelles ce contrôle peut être exercé au nom de la société, dans le respect des autres règles et principes de valeur constitutionnelle. C'est la ligne qui était défendue par le Gouvernement. De surcroît, compte tenu du cas examiné, la lecture combinée de l'article 15 de la Déclaration de 1789 avec l'article 72 de la Constitution (N° Lexbase : L0904AHX), qui renvoie expressément au législateur le soin de définir les conditions dans lesquelles les collectivités territoriales s'administrent, incite à considérer qu'il revient au législateur de définir les conditions dans lesquelles les conseils municipaux délibèrent et règlent les affaires de la commune.
On le voit, en refusant de considérer l'article 15 de la Déclaration de 1789 comme une simple règle de compétence du législateur, non invocable en QPC, le Conseil constitutionnel a fait preuve une nouvelle fois d'une appréciation au cas pas cas de l'invocabilité. Sous réserve d'un champ d'application délimité et d'un degré de contrôle restreint, l'invocabilité de l'article 15 n'est probablement pas totalement étrangère au mouvement contemporain qui se voudrait promoteur de la transparence publique -même si cette dernière n'est pas consacrée comme un principe constitutionnel-.
Un autre enseignement est que la référence à la "société" figurant dans cet article n'exclut en rien l'existence d'un "droit de demander compte" invocable par chaque citoyen. Il y a en cela un parallèle établi avec l'article 16 de la Déclaration de 1789 (N° Lexbase : L1363A9D), source de nombreux droits et libertés au sens de l'article 61-1 de la Constitution, ainsi que le souligne le Conseil de ses commentaires.
II - Effets dans le temps des décisions du Conseil constitutionnel et ses suites
Il est à noter la censure de l'article L. 3122-2 du Code des transports (N° Lexbase : L3413I48) concernant les modalités de tarification des services de voitures de transport avec chauffeur (VTC). Cette disposition imposait aux VTC des restrictions relatives à leurs modalités de tarification excessives, sans équivalent pour leurs concurrents et non justifié par un motif d'intérêt général. Elle est censurée, avec effet immédiat, sur le terrain de la liberté d'entreprendre (Cons. const., décision n° 2015-468/469/472 QPC du 22 mai 2015 N° Lexbase : A2431NIU). Il s'agissait d'imposer aux VTC une tarification forfaitaire ou sur la durée en vue de marquer la spécificité du prix horokilométrique exclusivement réservé aux taxis.
C'est une autre décision qui retient l'attention concernant la portée de la modulation dans le temps prononcée par le Conseil constitutionnel.
Dans sa décision n° 2014-388 QPC du 11 avril 2014 (N° Lexbase : A8256MIM), le Conseil constitutionnel a déclaré contraire à la Constitution le paragraphe III de l'article 8 de la loi n° 2008-596 du 25 juin 2008, portant modernisation du marché du travail (N° Lexbase : L4999H7B), article relatif à l'activité de portage salarial. Pour permettre au législateur de tirer les conséquences de cette déclaration d'inconstitutionnalité, le Conseil constitutionnel a reporté au 1er janvier 2015 la date de l'abrogation de cette disposition et a précisé "que les mesures prises avant cette date en application des dispositions déclarées contraires à la Constitution ne peuvent, avant cette même date, être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité".
Par la loi n° 2014-1545 du 20 décembre 2014, relative à la simplification de la vie des entreprises et portant diverses dispositions de simplification et de clarification du droit et des procédures administratives (N° Lexbase : L0720I7S), le législateur a habilité le Gouvernement, dans les conditions prévues à l'article 38 de la Constitution (N° Lexbase : L0864AHH), à prendre par ordonnance les mesures législatives qu'appelle la déclaration d'inconstitutionnalité. Or, l'ordonnance ainsi prévue n'a été adoptée que le 2 avril 2015. De sorte que, à la date du 1er janvier 2015, le législateur n'avait pas tiré les conséquences de la déclaration d'inconstitutionnalité. On se trouve ainsi confronté à une question importante, déjà soulevée dans cette chronique notamment. Que se passe-t-il lorsque le législateur ne tire pas les conséquences d'une déclaration d'inconstitutionnalité avant la date de l'abrogation de la disposition en cause ?
Il faut relever deux temps de réponse dans un important arrêt du Conseil d'Etat (CE, 1° et 6° s-s-r., 7 mai 2015, n° 370986, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A7162NHQ).
D'une part, au visa de l'article 62 de la Constitution (N° Lexbase : L0891AHH), il a été logiquement jugé qu'un acte pris sur le fondement de la disposition objet de la décision du Conseil constitutionnel l'a été sur le fondement de dispositions législatives déclarées contraires à la Constitution. Un requérant est donc fondé à soutenir un grief d'annulation à son encontre.
Mais, d'autre part, le Conseil d'Etat a lui-même modulé les conséquences de l'illégalité de l'acte attaqué. Il juge que "l'annulation rétroactive de l'arrêté attaqué serait à l'origine de graves incertitudes quant au statut et aux droits des salariés exerçant leur activité dans le cadre du portage salarial et serait susceptible de conduire, notamment en cas de licenciement, à de nombreux contentieux ; que, d'autre part, avant le 1er janvier 2015, tant les salariés exerçant leur activité dans le cadre du portage salarial que les entreprises qui les emploient ont pu estimer légitimement possible la conclusion de nouveaux contrats de travail en portage salarial ; qu'ainsi, une annulation rétroactive de l'arrêté attaqué aurait, dans les circonstances particulières de l'espèce, des conséquences manifestement excessives ; que, dès lors, compte tenu de ces effets et du motif de l'annulation prononcée, il y a lieu de prévoir que, sous réserve des actions contentieuses engagées à la date de la présente décision contre les actes pris sur son fondement, les effets de l'arrêté du 24 mai 2013 antérieurs au 1er janvier 2015 devront être regardés comme définitifs".
Après le pouvoir de modulation des effets dans le temps de ses décisions mis en action par le Conseil constitutionnel, on voit ainsi se déployer le pouvoir d'aménagement de l'illégalité par le Conseil d'Etat. Le second tend à atténuer le premier tout en devant nécessairement s'y insérer (effet "poupée russe"). La portée de la déclaration d'inconstitutionnalité prononcée par le Conseil constitutionnel se trouve restreinte, au moins ajustée, dans sa phase de concrétisation. La sécurité juridique y gagne compte tenu des circonstances particulières, c'est à peu près entendu. Au prix d'une double inconstitutionnalité non effectivement sanctionnée, celle visant les dispositions législatives censurées et celle tirée du non respect du report des effets de cette déclaration d'inconstitutionnalité. Cette superposition des validations juridictionnelles ne peut qu'inciter à poursuivre l'interrogation autour du contentieux de responsabilité.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:448856
Réf. : Loi n° 2015-994 du 17 août 2015, relative au dialogue social et à l'emploi (N° Lexbase : L2618KG3)
Lecture: 33 min
N8835BUR
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Sébastien Tournaux, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux
Le 10 Septembre 2015
I - Le regroupement d'institutions représentatives du personnel
La loi s'intéresse à différentes hypothèses de regroupement des institutions représentatives du personnel. Elle modifie, ainsi, les règles qui encadrent la délégation unique du personnel (A) mais permet aussi, dans les plus grandes entreprises, la fusion des différentes instances par voie conventionnelle (B). Enfin, elle autorise la tenue de réunions communes aux différentes IRP, à défaut de regroupement institutionnel (C).
A - La délégation unique du personnel (DUP)
Domaine de la DUP. L'article 13 de la loi n° 2015-994 du 17 août 2015, relative au dialogue social et à l'emploi (N° Lexbase : L2618KG3), modifie sensiblement le domaine de la délégation unique du personnel. Dans sa nouvelle rédaction, l'article L. 2326-1 du Code du travail (N° Lexbase : L5569KGD) permet à l'employeur d'instituer une DUP dans les entreprises de moins de 300 salariés (contre 200 avant la loi). L'étude d'impact accompagnant le projet de loi justifie ce changement de seuil par la faiblesse de la représentation du personnel dans les petites entreprises et par un espoir d'impact sur l'emploi en repoussant l'effet de seuil (employeurs qui rechignent à embaucher pour franchir la barre des 199 salariés) (1). Ces arguments sont toutefois peu convaincants. Si la faiblesse de la représentation des salariés dans les petites entreprises est une réalité statistique, ce n'est pas en raison du seuil d'effectif de la DUP mais des difficultés de trouver des salariés souhaitant s'investir dans ces fonctions à ces échelles. Quant à l'effet de seuil, si tant est qu'il soit véritablement nuisible à l'emploi, il sera seulement décalé à 300 salariés, si bien que les effets pervers dénoncés sont simplement déplacés. On peut, en réalité, voir dans cet élargissement du domaine de la DUP, une mesure subsidiaire à la fusion des IRP dans les TPE qui avait un temps été avancée mais n'avait pas abouti à un consensus entre partenaires sociaux.
Alors que l'ancien dispositif réunissait la délégation du personnel et le comité d'entreprise, le texte intègre, désormais, le CHSCT à la délégation unique. Contrairement à ce qui est permis dans les entreprises de plus de 300 salariés (2), aucune modularité des institutions réunies n'est prévue : soit la DUP recouvre l'ensemble des institutions, soit elle ne peut être mise en place (3). Le dispositif est ainsi plus simple, même si, compte tenu de l'importance des questions d'hygiène, santé et sécurité dans certains secteurs d'activité, il n'aurait pas semblé déraisonnable de laisser le choix d'une intégration ou non du CHSCT à la DUP. Le poids des différentes compétences requises risque, en outre, d'être difficile à supporter pour ces représentants salariés aux casquettes multiples.
Mise en place d'une DUP. Les règles d'institution d'une DUP sont aménagées pour prendre en compte l'intégration du CHSCT. La DUP est toujours instituée par l'employeur, mais si un CHSCT préexistait, il devra être consulté. La DUP peut être mise en place au moment du renouvellement du CE comme avant la loi, mais également au moment du renouvellement du CHSCT. La règle de prorogation ou réduction du mandat des élus des institutions intégrées à la DUP est étendue aux élus du CHSCT.
La loi s'intéresse à la situation dans laquelle une DUP est instituée dans une entreprise à établissements multiples. L'idée est de renforcer la concordance des institutions au niveau de l'entreprise et des établissements, d'éviter qu'une DUP soit instituée au niveau de l'entreprise mais que subsistent des délégués du personnel ou des comités d'établissements dans les établissements distincts (4). Ainsi, l'article L. 2326-1 du Code du travail dispose, désormais, que "lorsque l'employeur met en place une délégation unique du personnel au niveau d'une entreprise comportant plusieurs établissements, une délégation unique du personnel est mise en place au sein de chaque établissement distinct, au sens de l'article L. 2327-1 (N° Lexbase : L9883H8K)".
Cette dernière référence, qui renvoie à la distinction entre comité central d'entreprise et établissements distincts dans les entreprises à établissements multiples, n'est pas anodine. Elle devrait impliquer qu'il ne soit plus nécessaire de prendre en compte les subtilités de la définition relative de l'établissement distinct (5), selon qu'il s'agit d'intégrer à la DUP le comité d'établissement, le CHSCT ou les deux (6). Dans tous les cas, la mise en place de la DUP dépendra donc de la définition de l'établissement distinct habituellement retenue pour la mise en place d'un comité d'établissement (7).
Composition de la DUP. Les membres de la DUP sont élus selon les modalités employées pour l'élection des délégués du personnel et des membres du CE (8) si bien qu'en mettant en place une DUP, l'employeur est dispensé de la procédure assez lourde de désignation des membres du CHSCT (9).
La loi crée un curieux article L. 2326-2-1 du Code du travail (N° Lexbase : L5413KGL) qui prévoit que le nombre de représentants sera fixé par décret d'application et qu'un "accord conclu entre l'employeur et les organisations syndicales mentionnées aux articles L. 2314-3 (N° Lexbase : L5796I33) et L. 2324-4 (N° Lexbase : L5799I38) peut augmenter le nombre de représentants du personnel constituant la délégation unique du personnel". Ce texte suscite l'interrogation car il renvoie au protocole d'accord préélectoral le soin d'augmenter le nombre de représentants. Jusqu'ici, la Chambre sociale de la Cour de cassation admettait cette amélioration du nombre de représentants par accord collectif "classique" (10) ou par accord préélectoral (11). Réserver ces améliorations aux seuls accords préélectoraux revient à exiger une majorité renforcée sur un point qui ne devrait guère soulever de réticences des organisations syndicales, puisqu'il améliore la représentation du personnel de l'entreprise. Il y a, toutefois, un aspect pratique très fort, puisque l'augmentation du nombre d'élus n'exigera pas la négociation d'un accord distinct du protocole d'accord préélectoral, lequel est presque toujours conclu.
Une autre règle prétorienne est peut-être remise en cause par le jeu de cette disposition nouvelle. En l'absence de texte relatif à l'amélioration conventionnelle du nombre de membres de la DUP, la Chambre sociale acceptait de comparer le nombre de représentants de la DUP, établi par décret, avec le nombre de représentants élus au comité d'entreprise ou à la délégation du personnel, admis par accord collectif (12). Si ce nombre conventionnel était supérieur aux dispositions réglementaires, les dispositions conventionnelles s'appliquaient à la délégation unique. Une interprétation restrictive du nouvel article L. 2326-2-1 du Code du travail (N° Lexbase : L5413KGL) pourrait, désormais, exiger qu'une disposition spécifique de l'accord collectif vise le nombre de membres de la délégation unique sans qu'il soit possible de comparer avec le nombre de membres de la délégation du personnel ou d'élus au comité d'entreprise. Cette interprétation n'aurait, toutefois, de sens, qu'à la condition que continue d'être admis qu'un accord collectif de branche ou d'entreprise "classique" puisse comporter des stipulations améliorant le nombre de représentants de la DUP. Si l'ordre public social qui gouverne encore le droit du travail incite à le penser, la précision du texte en faveur des protocoles d'accords préélectoraux pourrait s'y opposer.
La loi, par la création d'un article L. 2326-4 (N° Lexbase : L5414KGM), dote la délégation unique du personnel d'un secrétaire et d'un secrétaire adjoint (13). La présence d'un secrétaire est nécessaire pour une instance qui assume les missions du comité d'entreprise et du CHSCT, qui doit donc établir un ordre du jour et dresser des procès-verbaux. L'ajout d'un adjoint est plus innovant. On peut y voir deux justifications. D'abord, la DUP regroupe deux instances qui disposaient chacune d'un secrétaire (CE et CHSCT). Il peut sembler logique de maintenir un secrétariat bicéphale pour répondre aux multiples fonctions de la DUP (14). Ensuite, l'existence d'un adjoint permet d'éviter les situations de vacance du poste de secrétariat dans l'institution. Cet argument justifierait, toutefois, que la présence d'un adjoint soit étendue à l'ensemble des institutions représentatives dotées d'un secrétaire, extension à laquelle la loi ne procède pas.
Pour la DUP, comme pour l'ensemble des autres institutions réformées par la loi "Rebsamen", l'article L. 2326-5, 7° du Code du travail (N° Lexbase : L5415KGN) maintient la participation des suppléants aux réunions avec voix consultative. Cela n'allait pas de soi puisque le projet de loi envisageait de les en exclure (15). La présence des suppléants est probablement essentielle, même s'il est indéniable qu'elle a un coût pour l'entreprise. Les suppléants ne peuvent exercer convenablement leurs fonctions, lorsqu'ils sont appelés à remplacer un titulaire, qu'à la condition d'avoir pu suivre les débats antérieurs et, d'une manière plus générale, d'avoir pu pratiquer le fonctionnement de l'instance à laquelle ils ont été élus.
Attributions de la DUP. "Dans le cadre de la délégation unique du personnel, les délégués du personnel, le comité d'entreprise et le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail conservent l'ensemble de leurs attributions". En ces termes, l'article L. 2326-3 du Code du travail (N° Lexbase : L5566KGA) garantit donc le maintien de l'ensemble des missions qui seraient exercées par les institutions représentatives du personnel sans DUP. En parallèle, les institutions réunies conservent leurs modes de fonctionnement respectifs, mais la loi y apporte quelques aménagements.
La DUP devra être réunie au moins une fois tous les deux mois, sachant qu'au moins quatre réunions annuelles devront porter sur des sujets relevant des attributions du CHSCT. Si le rythme des réunions du CHSCT est donc préservé (16), ceux de la délégation du personnel (17) et des comités d'entreprise lorsque l'effectif dépassait 150 salariés sont, en revanche, réduits (18).
Comme cela existait déjà pour le comité d'entreprise (19), les consultations rendues obligatoires par dispositions légales, réglementaires ou conventionnelles sont inscrites de plein droit à l'ordre du jour de la réunion de la DUP. La loi impose la communication de l'ordre du jour aux membres ayant qualité pour siéger, "huit jours au moins avant la séance". Le choix de ce délai de huit jours est énigmatique et manque de cohérence avec les délais prévus pour d'autres instances. Ainsi, le délai de communication est de trois jours pour le comité d'entreprise (20) mais de quinze jours pour le CHSCT (21). Une règle différente est encore prévue en cas de fusion conventionnelle des institutions représentatives du personnel, dans les entreprises de 300 salariés et plus, où c'est l'accord collectif qui devra établir le délai de communication de l'ordre du jour (22). La réduction du délai de quinze à huit jours pour les attributions relevant du CHSCT est-elle pertinente alors, précisément, que les membres de la DUP auront à traiter, en plus des questions de santé et de sécurité, celles relevant des attributions de la délégation du personnel et du comité d'entreprise ? De telles divergences de délais sont-elles bien justifiées à l'heure où l'on exhorte le Code du travail à davantage de simplicité ?
Une véritable simplification intervient, en revanche, par l'effet du 4° de l'article L. 2326-5 du Code du travail (N° Lexbase : L5415KGN). Ce texte prévoit, en effet, que si une question inscrite à l'ordre du jour relève à la fois des attributions du comité d'entreprise, et du CHSCT, un avis unique de la DUP est recueilli, à condition, toutefois, que l'ensemble des personnes intéressées aient bien été convoquées à la réunion. Une règle similaire est prévue par le 5° du texte lorsqu'une expertise porte à la fois sur des sujets relevant du comité d'entreprise, et du CHSCT. Les applications potentielles de ces avis et expertises uniques sont nombreuses, par exemple à propos d'un projet important d'aménagement des conditions de travail, de la mise en place ou de la modification d'un règlement intérieur, etc.. A elles seules, ces deux mesures pourraient fortement inciter à la mise en place de délégations uniques du personnel dans des entreprises qui pouvaient, jusque-là, y être réticentes, en raison, précisément, du maintien systématique, et parfois difficile, à manier des attributions respectives de chaque institution (23).
Moyens de la DUP. Le régime des heures de délégation des membres de la DUP est sensiblement remanié.
Les volumes horaires seront aménagés par décret afin de prendre en compte l'inclusion du CHSCT dans la DUP. L'article L. 2326-6 du Code du travail (N° Lexbase : L5416KGP) prévoit surtout deux mesures qui donnent un peu de souplesse à l'utilisation de ces heures par les représentants.
D'abord, le texte prévoit que le temps de délégation "peut être utilisé cumulativement dans la limite de douze mois". Cette formule, assez obscure, semble impliquer qu'un représentant puisse bénéficier d'une sorte de report du temps non utilisé au cours d'un mois, report dont il ne peut bénéficier que dans les douze mois suivant, et à condition que cela ne le conduise pas "à disposer, dans le mois, de plus d'une fois et demie le crédit d'heures de délégation dont il bénéficie". Cette formule est relativement bien adaptée au nouveau rythme bimestriel des réunions, le besoin en heures de délégation pouvant être plus important les mois au cours desquels se tient une réunion.
Ensuite, le texte prévoit que les membres titulaires peuvent "répartir entre eux et avec les membres suppléants" le crédit d'heures de délégation. Ils doivent en informer l'employeur et cela ne peut, à nouveau, conduire à ce qu'ils bénéficient de plus d'une fois et demie du nombre d'heure dont bénéficie normalement un titulaire. Ce système permet une pondération de l'investissement des représentants du personnel qui peuvent, à certaines périodes et pour différentes raisons professionnelles ou personnelles, moins s'impliquer ou, au contraire, s'investir davantage dans leurs fonctions. Cela constitue également une reconnaissance du rôle important que jouent parfois les suppléants dans la préparation des dossiers et qui, jusqu'ici, étaient contraints de l'assumer sur leurs temps de repos.
Le 3° de l'article L. 2326-6 du Code du travail (N° Lexbase : L5416KGP) comporte, à nouveau, une étrange disposition, relative à l'articulation entre les dispositions législatives et le tissu conventionnel : "un accord de branche ou d'entreprise peut comporter des dispositions plus favorables que celles mentionnées au présent article". Alors que l'on enseigne aux étudiants en droit que, sauf domaine relevant de l'ordre public absolu (ce qui n'est pas le cas des moyens attribués aux représentants du personnel), les accords collectifs de travail peuvent toujours améliorer les dispositions légales existantes, ce texte semble parfaitement superflu. Il est même, dans un sens, assez contestable, car il renverse le principe. Prévoir dans la loi que l'on peut déroger in melius à telle ou telle disposition signifiera-t-il bientôt, a contrario, qu'il soit interdit de déroger in melius aux autres dispositions ? Déjà très complexes, les rapports entre la loi et l'accord collectif ne sortent pas simplifiés de ce type de dispositions...
Suppression de la DUP. Les nouveaux articles L. 2326-7 (N° Lexbase : L5417KGQ), L. 2326-8 (N° Lexbase : L5418KGR) et L. 2326-9 (N° Lexbase : L5419KGS) du Code du travail s'intéressent enfin à la suppression de la DUP.
Le premier texte permet à l'employeur de décider, après avis de la DUP, de ne pas la renouveler à l'échéance des mandats. Il doit, dans ce cas de figure, organiser sans délai des élections des délégués du personnel, du comité d'entreprise et du CHSCT, les mandats étant prorogés jusqu'à la mise en place effective des institutions. C'est donc un véritable droit de retour à un fonctionnement à instances multiples qui est ouvert à l'employeur, ce qui n'est pas illogique, puisqu'il pouvait seul -après avis- instituer la DUP. Il s'agit, en somme, d'une application du parallélisme des formes.
Le deuxième texte envisage l'hypothèse dans laquelle l'effectif de l'entreprise passe en-deçà de cinquante salariés, si bien que les conditions d'effectif à l'existence d'un comité d'entreprise et d'un CHSCT ne sont plus remplies. Le texte renvoie à la nouvelle procédure applicable au comité d'entreprise lorsque l'effectif tombe sous cinquante salariés et dispense donc l'employeur d'obtenir l'autorisation de l'administration du travail (24).
Le troisième texte concerne l'hypothèse d'un dépassement du seuil de 300 salariés. La Chambre sociale avait jugé, dans un arrêt rendu en 2004, que le dépassement de ce seuil impliquait de procéder à des élections sans attendre la fin des mandats en cours si la DUP n'a pas été mise en place dans tous les établissements distincts (25). Le nouveau texte prévoit clairement le maintien des mandats jusqu'à leur terme. Après l'échéance, il peut être procédé à un regroupement des institutions si un accord le prévoit, aux élections des différentes institutions, dans le cas contraire.
B - L'instance commune conventionnelle
L'article 14 de la loi créée un nouveau titre IX qui s'intègre au livre III de la deuxième partie du Code du travail et qui s'intitule "Regroupement par accord des institutions représentatives du personnel". L'objectif de ce texte est de permettre, dans les entreprises de 300 salariés et plus, la création par voie d'accord collectif d'une instance unique de représentation.
Conditions du regroupement. L'article L. 2391-1 du Code du travail (N° Lexbase : L5420KGT) pose les bases de la mise en place de l'instance commune. Elle ne pourra être instituée que dans les entreprises comptant au moins 300 salariés et prend donc le relais de la DUP, réservée aux entreprises de taille inférieure.
L'instance commune ne pourra être mise en place que sur la base d'un accord collectif de travail conclu par un ou plusieurs syndicats représentatifs majoritaires (majorité des suffrages exprimés) lors des dernières élections professionnelles, sur le modèle exact de la conclusion des accords de maintien de l'emploi (26). Cette condition de majorité stricte était nécessaire compte tenu du caractère controversé de cette instance unique, qui a constitué l'un des points d'achoppement des négociations avortées ayant précédé le débat législatif. Le critère majoritaire aurait pu être encore renforcé en exigeant que l'instance ne puisse être mise en place que par protocole d'accord préélectoral. Ce choix, renforçant encore la légitimité de l'instance commune, aurait d'ailleurs été cohérent avec les règles encadrant la DUP, qui ne peuvent être aménagées que par ce protocole (27). Il en résulte, à nouveau, une différence de régime selon que l'entreprise compte plus ou moins de 300 salariés. Peut-être le législateur craignait-il que la double majorité exigée pour l'accord préélectoral entrave trop fortement le développement de l'instance unique ? L'avenir dira si la majorité simple permet vraiment son épanouissement.
Le texte ne précise pas le type d'accord collectif pouvant mettre en place une instance commune. A l'évidence, un accord collectif d'entreprise le permet. Faute d'accord au niveau de l'entreprise, l'article L. 2391-3 (N° Lexbase : L5422KGW) autorise la création d'une instance commune par accord d'établissement. De la même manière, l'article L. 2391-4 (N° Lexbase : L5423KGX) autorise la mise en place d'une instance commune au sein d'une unité économique et sociale.
Configuration de l'instance commune. Une grande souplesse est laissée s'agissant de la configuration de l'instance commune. Celle-ci pourra regrouper la délégation du personnel, le comité d'entreprise et le CHSCT ou seulement deux parmi les trois instances.
La formulation de l'article L. 2391-3 ("en l'absence" d'accord d'entreprise) aurait pu laisser penser que, comme pour la DUP, une concordance entre entreprise et établissement devait être respectée si une instance commune était mise en place au niveau de l'entreprise. Ce sentiment s'évanouit, toutefois, à la lecture de l'article L. 2391-2 (N° Lexbase : L5421KGU) qui prévoit clairement que, s'il existe des établissements distincts dans l'entreprise, l'instance peut être mise en place au niveau d'un ou plusieurs établissements et selon des modalités de regroupement qui peuvent varier d'un établissement à un autre. La même modularité est admise au sein d'une UES.
Ces possibilités d'aménagements horizontaux (en fonction des IRP) et verticaux (en fonction du niveau de représentation) permettent une grande modularité de l'instance commune. Dans un établissement où les risques santé et sécurité sont développés, le CHSCT pourra rester indépendant de l'instance alors que, dans un autre établissement au sein duquel se trouvent les services de direction, c'est le comité d'établissement qui pourrait conserver légitimement son autonomie.
Mise en place de l'instance commune. Les modalités de mise en place de l'instance commune ne sont pas laissées à la discrétion des signataires de l'accord. En effet, l'article L. 2391-1, alinéa 3, du Code du travail (N° Lexbase : L5420KGT) prévoit que la mise en place de l'instance "a lieu lors de la constitution de l'une des trois institutions représentatives mentionnées au premier alinéa ou lors du renouvellement de l'une d'entre elles".
C'est à l'accord, en revanche, qu'il appartiendra de faire le choix entre une réduction des mandats des DP et du CE ou une prorogation des mandats du CHSCT pour les faire coïncider avec la date de mise en place choisie. Cette disposition peut, d'ailleurs, quasiment être qualifiée de transitoire, puisque la loi calque la durée du mandat des élus au CHSCT sur celle des élus du CE et des DP (28).
Composition de l'instance commune. L'accord déterminera le nombre d'élus titulaires et suppléants, lequel ne pourra être inférieur à un minimum fixé par décret. Leur élection se déroulera selon les règles applicables aux élections des membres du CE si l'instance intègre cette institution, selon les règles applicables à l'élection des délégués du personnel dans le cas contraire. Comme avec la DUP, les règles complexes d'élection des membres du CHSCT sont donc toujours écartées.
L'article L. 2392-2 du Code du travail (N° Lexbase : L5425KGZ) s'intéresse au cas des représentants syndicaux au comité d'entreprise qui "assistent aux réunions de l'instance portant sur les attributions dévolues au comité d'entreprise" (29). Le texte aurait pu saisir l'occasion pour permettre aux représentants syndicaux d'assister, avec un même rôle consultatif, aux réunions portant sur les attributions du CHSCT. Des représentants syndicaux peuvent déjà être membres d'un CHSCT, soit par usage, soit parce qu'un accord collectif de travail le prévoit (30). Il n'est d'ailleurs pas exclu que, comme cela était déjà le cas pour le CHSCT seul, l'accord créant l'instance commune puisse donner une place aux représentants syndicaux lors de la réunion de l'instance sur les questions d'hygiène, de santé et de sécurité (31).
Fonctionnement de l'instance commune. C'est à l'accord collectif qui crée l'instance commune d'en déterminer les modalités de fonctionnement. L'article L. 2393-1 du Code du travail (N° Lexbase : L5427KG4) dresse une liste des clauses que cet accord peut stipuler. La liste n'est pas limitative (32), pas davantage qu'elle n'est impérative puisque l'article L. 2393-3 (N° Lexbase : L5429KG8) dispose qu'à défaut de stipulations "sur ces sujets", les règles de fonctionnement de l'instance sont, pour partie, établies par décret, et pour partie, reprises des règles légales de fonctionnement du comité d'entreprise et du CHSCT.
Les signataires de l'accord sont donc incités à négocier le nombre minimal de réunion, nombre qui ne peut être inférieur à une réunion tous les deux mois ; les modalités d'établissement et de communication de l'ordre du jour ; le rôle respectif des titulaires et des suppléants ; le nombre d'heures de délégation et de jours de formation qui ne peuvent être inférieurs à des minima fixé par décret ; la composition et le fonctionnement d'une éventuelle commission hygiène, sécurité et conditions de travail à laquelle peuvent être confiées tout ou partie des attributions du CHSCT.
L'article L. 2393-2 du Code du travail (N° Lexbase : L5428KG7) prévoit encore que l'accord "peut" prévoir la mise en place des commissions habituellement intégrées au comité d'entreprise (commission économique, commission formation, commission information et aide au logement, commission égalité professionnelle). Seule la commission des marchés est obligatoire si les conditions prévues par l'article L. 2325-34-1 du Code du travail (N° Lexbase : L6276IZH) sont remplies. Il ne faut toutefois pas s'y tromper : à défaut de stipulations conventionnelles sur ces questions, donc de création de commissions par l'accord, le droit commun du comité d'entreprise retrouve son empire et les commissions seront obligatoires si les seuils d'effectifs qui les rendent impératives sont atteints.
Suppression de l'instance commune. L'article L. 2394-1 du Code du travail (N° Lexbase : L5430KG9) aménage les règles classiques de dénonciation des accords collectifs de travail. La dénonciation de l'accord qui avait créé l'instance commune prend effet dès l'échéance du préavis, sans maintien pendant douze mois. L'employeur doit procéder, dès la fin du préavis, à l'organisation des élections professionnelles.
Approche globale. L'articulation entre les dispositions législatives et réglementaires qui fixent des minima ou qui deviennent dérogatoires et les stipulations conventionnelles qui sont incitées à prévoir telle ou telle règle, est à nouveau bien curieuse, et témoigne, une fois de plus, du malaise dans les rapports entre la loi et l'accord collectif. Il aurait été tellement plus simple de prévoir légalement l'ensemble des règles de composition et de fonctionnement de l'instance unique tout en admettant qu'un accord collectif puisse les améliorer... Sans doute cela aurait semblé plus dirigiste, mais n'est-ce pas qu'une question d'apparence ?
C - Les réunions communes aux différentes instances de représentation
A défaut de DUP ou d'instance commune conventionnelle, la loi ouvre l'opportunité d'organiser des réunions communes à plusieurs institutions représentatives du personnel lorsque cela est pertinent.
L'article 17 crée, en effet, un article L. 23-101-1 du Code du travail (N° Lexbase : L5436KGG) (33) qui autorise l'employeur à "organiser des réunions communes" de plusieurs institutions représentatives du personnel parmi celles visées par le livre III du titre II (délégation du personnel, comité d'entreprise ou d'établissement, comité de groupe, comité d'entreprise européen, comité de la société européenne, comité de la société coopérative européenne, CHSCT), liste à laquelle est ajoutée l'instance de coordination des CHSCT lorsqu'il en a été créé une. La condition de recours à cette réunion commune est sommaire : il suffit qu'un projet nécessite l'information ou la consultation de plusieurs des institutions visées.
On pense immédiatement aux hypothèses dans lesquelles le comité d'entreprise et le CHSCT doivent être informés et/ou consultés sur des questions identiques (aménagement des conditions de travail, règlement intérieur, etc.), mais bien d'autres configurations sont envisageables. Il est ainsi parfaitement possible d'imaginer une réunion commune du comité central d'entreprise et des comités d'établissements dont l'avis est requis sur un projet. Sur le même schéma, une réunion commune entre l'instance de coordination et un ou plusieurs CHSCT semble tout à fait admissible. Toujours dans un souci de limitation du nombre de réunions, la réunion commune pourra comporter un ordre du jour hybride, prévoyant bien sûr le recueil de l'avis commun, mais aussi, des "points complémentaires selon les règles propres à chaque institution".
La recherche d'une limitation du nombre de réunions est légitime, tant parce que celles-ci se sont multipliées dans les grandes structures que parce qu'elles peuvent donner lieu à des avis contradictoires qu'il est parfois difficile de concilier et qui font naître des ressentiments chez les représentants dont l'avis n'est pas pris en considération. Toutefois, la conséquence pourrait être pire que le mal qu'elle cherche à guérir. Selon la configuration de l'entreprise, ces réunions communes peuvent amener à rassembler de nombreux représentants du personnel qui éprouveront de plus grandes difficultés à s'exprimer au cours des débats. Quoique le recours à la technique de la visioconférence soit nécessaire pour ne pas anéantir l'intérêt de recourir à ces réunions communes (34), leur dématérialisation potentielle accroît encore le risque qu'un véritable débat ait du mal à s'instaurer.
II - Le fonctionnement des institutions représentatives du personnel
A - Articulation des compétences dans les entreprises à établissements multiples
Articulation CCE/comité d'établissement. L'article 15 de la loi du 17 août 2015 intègre au Code du travail des dispositions destinées à encadrer l'articulation des compétences entre les différents niveaux de représentation dans les entreprises à établissements multiples. Il s'agit essentiellement de clarifier les attributions du comité central d'entreprise (CCE) et des comités d'établissement d'une part, de l'instance de coordination du CHSCT et des CHSCT, d'autre part.
L'article L. 2327-2 du Code du travail (N° Lexbase : L5573KGI) est complété par un troisième alinéa qui prévoit que le CCE est "seul consulté sur les projets décidés au niveau de l'entreprise qui ne comportent pas de mesures d'adaptation spécifiques à un ou plusieurs établissements" et "sur les projets décidés au niveau de l'entreprise, lorsque leurs éventuelles mesures de mise en oeuvre, qui feront ultérieurement l'objet d'une consultation spécifique au niveau approprié, ne sont pas encore définies". En parallèle, l'article L. 2327-15 (N° Lexbase : L5572KGH) ajoute aux attributions générales du comité d'établissement le droit d'être "consulté sur les mesures d'adaptation des projets décidés au niveau de l'entreprise spécifiques à l'établissement et qui relèvent de la compétence du chef de cet établissement".
Ce faisant, la loi codifie la jurisprudence de la Chambre sociale de la Cour de cassation qui jugeait déjà que la répartition des compétences dépendait des pouvoirs de décision des chefs d'établissement (35) et réservait le cas de la double consultation des deux niveaux aux projets d'établissement ayant une incidence sur l'entreprise ou à la mise en oeuvre de la décision arrêtée au niveau de l'entreprise nécessitant l'élaboration de dispositions particulières, relevant normalement du chef d'établissement (36).
La loi ajoute, toutefois, deux règles de fonctionnement qui devraient améliorer ces articulations. D'abord, le comité central d'entreprise est désormais formellement soumis aux règles de délai applicables au rendu de ses avis et aux conséquences de l'absence d'avis. Surtout, l'article L. 2327-15 (N° Lexbase : L5572KGH), dans sa nouvelle rédaction, prévoit que l'avis rendu par les comités d'établissement est transmis au comité central d'entreprise dans des délais qui seront fixés par décret, ce qui implique nécessairement que les comités d'établissement soient consultés avant le comité central d'entreprise. On comprend mal pourquoi choisir une consultation préalable des comités d'établissement alors qu'un choix inverse (CCE consulté en premier) avait été fait s'agissant de la consultation relative au plan de sauvegarde de l'emploi, par la loi du 13 juin 2013 (37).
Articulation instance de coordination/CHSCT. Des clarifications sont également apportées à l'articulation des attributions des CHSCT et de l'instance de coordination éventuelle. Alors que cela n'était jusqu'ici qu'une simple faculté, l'instance de coordination devient seule compétente pour organiser le recours à une expertise en cas de risque grave ou de projet important, modifiant les conditions de sécurité ou de travail commun à plusieurs établissements. Elle a désormais l'obligation de rendre un avis, ce qui règle une ambiguïté de l'ancien texte qui pouvait mener à une double consultation de l'instance de coordination et des CHSCT.
Les doubles consultations ne sont, toutefois, pas totalement exclues. L'instance de coordination est seule consultée sur les mesures d'adaptation du projet communes à plusieurs établissements, et les CHSCT sont consultés sur les éventuelles mesures d'adaptation du projet spécifiques à leur établissement et qui relèvent de la compétence du chef d'établissement (38). En cas de double avis, celui de chaque CHSCT est transmis à l'instance de coordination qui se prononcera donc dans un second temps (39). L'articulation est cette fois cohérente avec celle appliquée aux CCE et aux comités d'établissements.
B - Recours à la visioconférence
Réunions des IRP par visioconférence. L'article 17 de la loi prévoit, pour la quasi-totalité des institutions représentatives du personnel, la possibilité d'organiser les réunions par visioconférence. Cela concernera précisément le comité d'entreprise ou d'établissement (C. trav., art. L. 2325-5-1 N° Lexbase : L5432KGB), le comité central d'entreprise (C. trav., art. L. 2327-13-1 N° Lexbase : L5433KGC), le comité de groupe (C. trav., art. L. 2334-2 N° Lexbase : L5582KGT), le comité d'entreprise européen (C. trav., art. L. 2341-12 N° Lexbase : L5434KGD), le comité de la société européenne (C. trav., art. L. 2353-27-1 N° Lexbase : L5435KGE), le CHSCT (C. trav., art. L. 4614-11-1 N° Lexbase : L5438KGI), l'instance de coordination des CHSCT (C. trav., art. L. 4616-6 N° Lexbase : L5439KGK) et, enfin, l'éventuelle réunion commune à plusieurs institutions créée par la loi (C. trav., art. L. 23-101-2, N° Lexbase : L5437KGH).
Les modalités de recours à la visioconférence sont établies de manière similaire par chaque texte. Son usage résultera d'un accord entre les membres de l'institution et l'employeur, ce qui va multiplier les accords atypiques, puisque ces institutions ne sont pas habilitées à conclure des accords collectifs. Si aucun accord n'est trouvé, l'employeur pourra tout de même utiliser la visioconférence, mais dans la limite de trois réunions par institution et par année civile. Un décret devra établir les modalités du vote à bulletin secret lors du recours à la visioconférence. Il s'agit là d'une véritable libéralisation du recours à la visioconférence, tant en comparaison des règles imposées jusqu'ici par le juge que des règles légales ou réglementaires applicables à d'autres types de réunion, hors droit du travail.
La Chambre sociale exigeait, en effet, jusqu'ici, que les participants à la réunion n'aient pas refusé le recours à la visioconférence, refus qui n'aura donc plus aucun effet pour, au maximum, trois réunions par an (40). Elle acceptait le recours à la visioconférence à la condition qu'il ne soit pas procédé à un vote à bulletin secret et qu'aucune des questions posées à l'ordre du jour ne requière une telle modalité de vote (41).
L'usage de la visioconférence est déjà répandu en dehors du droit du travail, s'agissant des réunions d'organes dirigeants de sociétés anonymes, par exemple (42), ou des réunions de comités techniques dans les administrations (43) ou les entreprises publiques (44). Les textes accompagnent, cependant, toujours le recours à la visioconférence de conditions autrement plus restrictives que celles du Code du travail qui, finalement, ne porte d'intérêt qu'au respect du vote à bulletin secret. Ainsi, par exemple, l'article 57 du décret n° 85-603 du 10 juin 1985, relatif à l'hygiène et à la sécurité du travail ainsi qu'à la médecine professionnelle et préventive dans la fonction publique territoriale (N° Lexbase : L1018G89), exige que le recours à la visioconférence soit "exceptionnel" et qu'il soit justifié par "les circonstances".
Indéniablement, la visioconférence peut permettre de réaliser de substantielles économies de temps et de coût de trajet, en particulier dans les entreprises éclatées sur un vaste territoire. Elle a, toutefois, pour contrepartie une dématérialisation souvent jugée peu propice à l'épanouissement des débats. N'aurait-il pas été plus équilibré de poser une condition liée à l'étendue géographique des sites de l'entreprise pour imposer le recours à la visioconférence trois fois par an ?
Enregistrement des débats. Dans le domaine de l'usage des TIC, l'article L. 2325-20 du Code du travail (N° Lexbase : L5583KGU), dont le champ est cette fois limité au seul comité d'entreprise, prévoit que "les conditions dans lesquelles il peut être recouru à l'enregistrement ou à la sténographie des séances du comité" seront établies par décret. Ces procédés, fréquents en pratique, étaient déjà admis à la condition d'être institués par usage ou par accord collectif (45). Leur utilisation sera donc plus généralement admise, ce qui est souhaitable et permet une retranscription sincère des débats dans le procès-verbal de séance (46). On ne peut que regretter que, contrairement à la visioconférence, l'usage de ces procédés ne soit pas étendu aux réunions des autres institutions représentatives du personnel...
C - Informations et consultations du CE
Regroupement des informations-consultations dites "récurrentes". L'imposant -et indigeste- article 18 de la loi du 17 août 2015 réforme les dispositions du Code du travail applicables aux informations et consultations du comité d'entreprise. La quasi-totalité des articles L. 2323-1 (N° Lexbase : L2720H9M) à L. 2323-76 est remaniée. Le plan de la section 1 ("Attributions économiques") du chapitre III du titre II du livre 3 de la deuxième partie du Code est entièrement refondu, subdivisé en sept sous-sections (47). Que doit-on en retenir ?
La loi regroupe, d'abord, la plupart des informations-consultations périodiques du comité d'entreprises (annuelles et trimestrielles) en trois informations-consultations annuelles, l'une portant sur "les orientations stratégiques de l'entreprise", la seconde sur "la situation économique et financière de l'entreprise" et la troisième sur "la politique sociale de l'entreprise, les conditions de travail et l'emploi" (48). Le contenu de ces différentes thématiques est respectivement détaillé dans les sous-sections 2 (orientations stratégiques de l'entreprise), 3 (situation économique et financière) et 4 (politique sociale de l'entreprise, conditions de travail et emploi).
La première regroupe les informations-consultations relatives aux orientations stratégiques de l'entreprise auxquelles sont ajoutées les consultations sur la GPEC et sur les orientations de la formation professionnelle. L'article L. 2323-11 (N° Lexbase : L5635KGS) prévoit que cette consultation peut être confiée par accord de groupe au comité de groupe. Si c'est, à notre connaissance, la première fois que la loi envisage de confier un rôle consultatif au comité de groupe, de nombreux accords de groupe avaient déjà pris cette orientation (49). La deuxième regroupe les anciennes informations-consultations périodiques relatives à la situation économique et financière, auxquelles la loi ajoute la consultation sur l'utilisation du CICE. La troisième portera, enfin, sur l'évolution des emplois et des qualifications, le programme pluriannuel de formation, l'apprentissage, l'accueil des stagiaires, les conditions de travail, la durée de travail, l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, les modalités d'exercice du droit d'expression et la politique sociale.
Les modalités de ces consultations récurrentes (50), le contenu des informations récurrentes délivrées (51) et le nombre de réunions annuelles (52) peuvent être définies par un accord collectif de travail "classique" (C. trav., art. L. 2323-7 N° Lexbase : L2737H9A). Cet accord collectif ou, à défaut, un accord conclu entre le comité d'entreprise et l'employeur, détermine également les délais dans lesquels les avis du comité doivent être rendus (53). L'article L. 2323-35 du Code du travail (N° Lexbase : L6407IZC) ajoute que le comité d'entreprise pourra avoir recours à un expert aux frais de l'entreprise préalablement aux consultations relatives à la situation économique et financière, d'une part, sur la politique sociale et les conditions de travail, d'autre part. En contrepartie, il ne peut plus formellement être recouru à un expert-comptable pour l'analyse des documents comptables, cette analyse pouvant être menée au travers des deux expertises créées.
Quelques informations trimestrielles sont toutefois maintenues, pour les entreprises comptant plus de 300 salariés, sur l'évolution générale des commandes et l'exécution des programmes de production, les éventuels retards de paiement de cotisations sociales par l'entreprise et le nombre de contrats de mission conclus avec une entreprise de travail temporaire (C. trav., art. L. 2323-60 N° Lexbase : L2882H9M).
Informations ponctuelles. Les informations ponctuelles sont maintenues. Il en est même créé une nouvelle alors que d'autres sont supprimées.
Est ainsi créée une consultation "en cas de problème ponctuel" sur les conditions de travail, sur l'organisation du travail, sur les technologies, sur les conditions d'emploi, sur l'organisation du temps de travail, des qualifications ou sur la rémunération (C. trav., art. L. 2323-46 N° Lexbase : L3225IME). Ces questions relevaient, avant la loi, d'une consultation périodique pour les seuls "problèmes généraux".
Sont, en revanche, supprimées, les hypothèses de consultation du comité d'entreprise en cas de projet de conclusion, de révision ou de dénonciation d'un accord collectif de travail (C. trav., art. L. 2323-2 N° Lexbase : L2722H9P), y compris s'il s'agit de conclure un accord d'intéressement (C. trav., art. L. 3312-7 N° Lexbase : L1085H93). Le législateur revient, là, sur près de vingt années d'interprétation constante de la Chambre sociale de la Cour de cassation (54) au nom de la plus grande clarté de distinction des fonctions des élus et des représentants syndicaux (55). L'argument laisse l'observateur sceptique quand, dans le même temps, la loi donne à la négociation collective d'entreprise et donc, entre autres, aux syndicats de l'entreprise, le pouvoir d'aménager les règles de fonctionnement et de consultation du comité...
Expansion du rôle de la base de données économiques et sociales (BDES). Les informations périodiques du comité d'entreprise, par remise de rapports ou de bilan, avaient subsisté après la mise en place de la BDES, à la suite de la loi du 13 juin 2013. La loi "Rebsamen" réforme donc ce système d'information, supprime l'obligation de remise des rapports et bilans (bilan social, rapport de situation comparée hommes/femmes, rapport sur la situation économique, etc.) pour ne laisser subsister que la BDES, qui sera, toutefois, abondée des mêmes informations que celles qui résultaient des bilans et rapports supprimés (56).
Les informations remises au CHSCT viendront, elles aussi, abonder la base de donnée (C. trav., art. L. 2323-9 N° Lexbase : L2743H9H) qui intègre, en outre, une nouvelle catégorie d'informations relatives à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes (C. trav., art. L. 2323-8, 1° bis N° Lexbase : L2739H9C).
On se souviendra que le bilan social annuel pouvait être librement consulté, à sa demande, par un salarié de l'entreprise. Pour maintenir cette possibilité, malgré la disparition formelle du bilan social, l'article L. 2323-24 du Code du travail (N° Lexbase : L2787H94) conserve l'obligation de mettre à disposition le bilan social aux salariés qui en font la demande. Cette mise à disposition peut être techniquement complexe et impliquera que la BDES comporte une partie distincte afin de recevoir les informations qui composaient le bilan social. Le bilan doit également être tenu à la disposition de l'inspection du travail.
D - Mesures spécifiques au CHSCT
Conditions de mise en place d'un CHSCT. Prenant acte d'une jurisprudence de la Chambre sociale de la Cour de cassation rendue en 2014 (57), l'article L. 4611-1 du Code du travail (N° Lexbase : L5576KGM) prévoit désormais que "les entreprises d'au moins cinquante salariés mettent en place un comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail dans leurs établissements d'au moins cinquante salariés et, lorsqu'elles sont constituées uniquement d'établissements de moins de cinquante salariés, dans au moins l'un d'entre eux".
Ainsi, dans une entreprise de plus de cinquante salariés, mais dont aucun des établissements ne dépasse ce seuil, un CHSCT devra tout de même être institué dans un des établissements, et couvrira l'ensemble des salariés de l'entreprise. Dans les entreprises de plus de cinquante salariés, dans lesquelles certains établissements distincts seulement atteignaient le seuil de cinquante salariés, tous les salariés des établissements, en-deçà de ce seuil, seront rattachés au CHSCT d'un autre établissement. Dès lors que l'effectif global de l'entreprise dépasse cinquante salariés, tous les salariés seront donc, désormais, rattachés à un CHSCT, sans restriction liée à l'existence d'établissements distincts.
Mandat des élus au CHSCT. Par une voie détournée et un procédé alambiqué, la loi porte la durée du mandat des membres du CHSCT de 2 à 4 ans. L'article R. 4613-5 du Code du travail (N° Lexbase : L8983H9L) dispose, pour le moment, que ce mandat a une durée de deux années. Le nouvel article L. 4613-1 du Code du travail (N° Lexbase : L5579KGQ) dispose, toutefois, que le mandat des élus du CHSCT "prend fin avec celle du mandat des membres élus du comité d'entreprise les ayant désignés", donc après quatre ans, ce qui imposera l'abrogation ou la modification du texte réglementaire évoqué. S'il peut parfois être reproché à l'allongement de la durée des mandats des représentants du personnel de n'avoir d'autre objectif que l'économie d'un scrutin, il en va autrement dans ce cas de figure. La technicité des compétences requises pour siéger au CHSCT justifie l'acquisition d'une plus grande expérience par les élus, qui gagneront donc à rester en place pour quatre années. A cela s'ajoute que la composition du collège désignatif étant fortement susceptible d'être identique, les élections biennales pouvaient souvent mener à des reconductions pure et simple. La simplification procédurale qui découle de l'allongement du mandat est donc pertinente.
Fonctionnement du CHSCT. Le texte apporte, enfin, quelques aménagements au fonctionnement du CHSCT.
Un nouvel article L. 4612-8 du Code du travail (N° Lexbase : L5581KGS) introduit les dispositions législatives relatives aux consultations obligatoires du CHSCT, et prévoit que le comité et l'instance de coordination "disposent d'un délai d'examen suffisant leur permettant d'exercer utilement leurs attributions en fonction de la nature et de l'importance des questions qui leur sont soumises" (58). Un accord collectif d'entreprise conclu avec les syndicats ou, à défaut, un accord atypique conclu avec les membres du CHSCT ou de l'instance de coordination fixe les délais dans lesquels les avis sont rendus et le délai dans lequel le CHSCT communique son avis au comité d'entreprise lorsque les deux instances doivent être consultées. Cette mesure légalise la position de la Chambre sociale de la Cour de cassation qui jugeait déjà que l'avis du CHSCT devait précéder celui du CE, ce qui semble logique au vu de la compétence plus étroite du premier, qui permet d'éclairer les attributions plus vastes du second (59). Ce type d'articulation devrait, cependant, tendre à se raréfier, si toutefois les différentes opportunités de réunions communes étudiées précédemment trouvent grâce aux yeux des entreprises.
L'article L. 4614-2 du Code du travail (N° Lexbase : L5578KGP) prévoit la rédaction d'un règlement intérieur du CHSCT qui "détermine [...] les modalités de son fonctionnement et l'organisation de ses travaux". L'usage du présent de l'indicatif pourrait laisser penser que la mise en place de ce règlement intérieur est impérative, ce qui n'est pas tout à fait certain. En effet, l'article L. 2325-2 (N° Lexbase : L9792H88), qui prévoit la mise en place d'un règlement intérieur du comité d'entreprise, est rédigé en termes similaires et son caractère impératif est contesté (60). Une autre question pourrait faire débat, celle de l'articulation de l'accord entre l'employeur et le CHSCT, qui détermine les délais pour rendre les avis et le règlement intérieur. L'accord en question n'est pas un accord collectif mais un accord atypique. Il implique, toutefois, l'accord de l'employeur. Le texte ne prévoit pas si l'employeur peut, ou non, prendre part au vote sur l'adoption du règlement intérieur (61). Quoiqu'il en soit, même si l'employeur devait être admis à participer au scrutin, son vote pourrait difficilement être assimilé à une manifestation de volonté destinée à former un accord, fût-il atypique. Il faudra donc cumuler la rédaction d'un règlement intérieur et d'un accord.
Enfin, il faut relever que l'article L. 2323-8 du Code du travail (N° Lexbase : L2739H9C) donne désormais accès à la base de données économique et sociales aux membres du CHSCT.
(1) Etude d'impact, pp. 75 et 81.
(2) V. infra.
(3) Les dispositions transitoires, sises à la fin de l'article 13, prévoient tout de même la possibilité de maintenir une DUP préexistante et un CHSCT distinct pendant deux cycles électoraux de ce comité après celui en cours, soit presque six ans si l'élection a eu lieu peu de temps avant l'entrée en vigueur de la loi.
(4) Cette concordance était déjà exigée du Conseil d'Etat et de la Chambre sociale de la Cour de cassation : v. CE, 1° et 4° s-s-r., 8 septembre 1995, n° 160301, publié aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A5561ANB) ; Cass. soc., 14 décembre 1995, n° 94-60.578 (N° Lexbase : A9631AAX), Dr. soc., 1996, p. 201, obs. M. Cohen ; RJS, 1996, p. 63, note J. Savatier.
(5) V. G. Auzero, E. Dockès, Droit du travail, D., 29ème éd., 2015, pp. 1079 et s..
(6) Le cadre de mise en place d'un CHSCT dans un établissement peut être identique à celui du comité d'établissement, mais peut aussi s'en distinguer en fonction des secteurs d'activité, v. Cass. soc., 29 janvier 2003, n° 01-60.802, FS-P+B (N° Lexbase : A8237A4T).
(7) Critères : implantation géographique distincte ; caractère de stabilité ; activité spécifique ; direction autonome ; CE 1° et 2° s-s-r., 6 mars 2002, n° 230225, Inédit aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A2671AYL).
(8) C. trav., art. L. 2324-3 (N° Lexbase : L5798I37).
(9) Scrutin indirect par un collège désignatif.
(10) Cass. soc., 14 décembre 1995, n° 95-60.043, publié (N° Lexbase : A4998CHL).
(11) Cass. soc., 26 juin 1996, n° 95-60.895 (N° Lexbase : A9654AAS). Cette décision pouvait, toutefois, laisser penser à une restriction aux seuls protocoles d'accords préélectoraux : "que le nombre des délégués du personnel qui constituent la délégation unique est fixé par décret en Conseil d'Etat, et que ce nombre ne peut être augmenté que par protocole d'accord préélectoral signé par toutes les organisations syndicales intéressées".
(12) Cass. soc., 27 mai 1999, n° 98-60.310, inédit (N° Lexbase : A1571C4X).
(13) La désignation d'un secrétaire adjoint est une pratique déjà courante dans les grands comités d'entreprise, v. M. Cohen, L. Millet, Le droit des comités d'entreprise et des comités de groupes, LGDJ, 10ème éd., 2013, p. 402.
(14) Le nouvel article L. 2326-5, 2° du Code du travail (N° Lexbase : L5415KGN) va dans ce sens en disposant que "le secrétaire et le secrétaire adjoint [...] exercent les fonctions dévolues au secrétaire du comité d'entreprise et au secrétaire du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail".
(15) V. Etude d'impact, préc., p. 102.
(16) C. trav., art. L. 4614-7 (N° Lexbase : L1802H9M).
(17) C. trav., art. L. 2315-8 (N° Lexbase : L2684H9B).
(18) C. trav., art. L. 2325-14, dans son ancienne rédaction (N° Lexbase : L6271IS3). A noter que le nouveau texte, issu de la présente loi, rehausse ce seuil de 150 salariés, si bien qu'il n'y a finalement pas de distinction, dans les entreprises de moins de 300 salariés, selon qu'il existe, ou non, une DUP.
(19) C. trav., art. L. 2327-14 (N° Lexbase : L9908H8H). La règle est également étendue à l'établissement de l'ordre du jour du CHSCT, cf. infra.
(20) C. trav., art. L. 2325-16 (N° Lexbase : L9820H89).
(21) C. trav., art. R. 4614-3 (N° Lexbase : L2404IXC), sauf urgence.
(22) C. trav., art. L. 2393-1 (N° Lexbase : L5427KG4), cf. infra.
(23) V., par ex., la consultation de la délégation au cours d'une réunion consacrée aux attributions du comité d'entreprise sur une question relevant de la compétence de la délégation du personnel, avis considéré comme n'étant pas valable, Cass. soc., 10 décembre 2014, n° 13-12.529, F-D (N° Lexbase : A6124M7X).
(24) C. trav., art. L. 2322-7 (N° Lexbase : L5718KGU).
(25) Cass. soc., 17 mars 2004, n° 02-60.579, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A5881DBG) et les obs. de G. Auzero, Cadre de la mise en place de la délégation unique du personnel et conséquences du franchissement du seuil de 200 salariés, Lexbase Hebdo n° 114 du 1er avril 2004 - édition sociale (N° Lexbase : N1050ABI). Cette jurisprudence trouverait, toutefois, difficilement à s'appliquer depuis que la Chambre sociale -et la présente loi- imposent la concordance entre entreprise et établissement, cf. supra.
(26) C. trav., art. L. 5124-5 (N° Lexbase : L0649IXC).
(27) Cf. supra.
(28) C. trav., art. L. 4613-1 (N° Lexbase : L5579KGQ) ; cf. infra.
(29) Une mesure similaire prévoit la présence des personnes figurant sur la liste dressée par l'article L. 4613-2 (N° Lexbase : L5745KGU) pour les réunions relatives aux attributions du CHSCT.
(30) Par ex., Cass. soc., 14 février 2007, n° 06-60.162, F-D (N° Lexbase : A2274DUR).
(31) Toutefois, l'article L. 4611-7 du Code du travail (N° Lexbase : L1733H93) légitime clairement la faculté de prévoir une représentation syndicale au CHSCT, texte qui n'a pas d'équivalent dans le titre consacré à l'instance commune conventionnelle.
(32) En raison du recours à l'adverbe "notamment".
(33) Doit-on encore s'étonner, avec un tel soin porté à la numérotation des articles, que le Code du travail soit jugé illisible...
(34) C. trav., art. L. 23-101-2 (N° Lexbase : L5437KGH).
(35) Cass. soc., 5 juillet 2006, n° 04-18.814, FS-P+B (N° Lexbase : A4325DQA), Bull. civ. V, n° 239 ; Cass. soc., 13 octobre 2011, n° 09-13.110, FS-P+B (N° Lexbase : A8619GBT) ; JCP éd. S, 2011, 1143, note L. Drai.
(36) Cass. soc., 25 juin 2006, n° 00-20.939, publié (N° Lexbase : A0106AZX), Bull. civ. V, n° 217.
(37) C. trav., art. L. 1233-36 (N° Lexbase : L0705IXE) : "le ou les comités d'établissement tiennent leurs réunions après celles du comité central d'entreprise tenues en application de l'article L. 1233-30 (N° Lexbase : L0709IXK)".
(38) C. trav., art. L. 4616-1 (N° Lexbase : L5571KGG).
(39) C. trav., art. L. 4616-3 (N° Lexbase : L5570KGE).
(40) Cass. soc., 26 octobre 2011, n° 10-20.918, F-P+B, sur le second moyen (N° Lexbase : A0631HZE).
(41) Ibid.. Le Conseil d'Etat adoptait, toutefois, une position plus souple et acceptait le vote à bulletin secret sur chaque site où se déroulait la visioconférence, v. CE 4° s-s, 9 septembre 2010, n° 327250, Inédit aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A9692E8H).
(42) C. com., art. L. 225-37 (N° Lexbase : L3625IPX).
(43) Décret n° 2011-184 du 15 février 2011, relatif aux comités techniques dans les administrations et les établissements publics de l'Etat (N° Lexbase : L4035IP7), art. 42.
(44) Voies navigables de France, C. transp., art. R. 4312-45 (N° Lexbase : L5133I4U) ; La Poste, décret n° 2011-1063 du 7 septembre 2011, relatif aux comités techniques de La Poste (N° Lexbase : L0501IRY), art. 33.
(45) M. Cohen, L. Millet, préc., p. 373.
(46) L'article L. 2325-20 (N° Lexbase : L5583KGU) légalise le rôle de rédacteur du PV du secrétaire du CE (v. C. trav., art. R. 2325-3 N° Lexbase : L0203IAR) et le contraint à un délai de transmission du PV à l'employeur.
(47) En lieu et place des dix sous-sections préexistantes...
(48) C. trav., art. L. 2323-6 (N° Lexbase : L2734H97).
(49) M. Gadrat, Le contenu des accords de groupe, Dr. soc., 2010, p. 651, spéc. n° 15.
(50) A l'exception de celles relevant des orientations stratégiques.
(51) A l'exception des documents comptables.
(52) Sans que ce nombre puisse être inférieur à six.
(53) La loi crée un renvoi réciproque entre l'article L. 2323-3 (N° Lexbase : L0659IXP) et l'article L. 2323-7 (N° Lexbase : L2737H9A) qui aboutit à une sorte de "boucle sans fin"...
(54) Cass. soc., 5 mai 1998, n° 96-13.498 (N° Lexbase : A2677AC7) ; Les grands arrêts du droit du travail, 4ème éd., n° 159.
(55) Etude d'impact, préc., p. 112.
(56) V. notamment C. trav., art. L. 2323-20 (N° Lexbase : L2775H9N) qui intègre la consultation du CE sur le bilan social à la consultation annuelle.
(57) Cass. soc., 19 février 2014, n° 13-12.207, FS-P+B+R (N° Lexbase : A7572ME8) ; RJS, 2014, n° 407.
(58) Comp. pour le comité d'entreprise, C. trav., art. L. 2323-3 (N° Lexbase : L0659IXP).
(59) Cass. soc., 4 juillet 2012, n° 11-19.678, FS-P+B (N° Lexbase : A4761IQE) ; Cass. soc., 10 juillet 2013, n° 12-17.196, FS-P+B (N° Lexbase : A8894KIA) et nos obs., La consultation concurrente du comité d'entreprise et des CHSCT, Lexbase Hebdo n° 539 du 12 septembre 2013 - édition sociale (N° Lexbase : N8432BTH).
(60) M. Cohen, L. Millet, préc., p. 407.
(61) Le troisième alinéa de l'article L. 4614-2 (N° Lexbase : L5578KGP) issu de la loi prévoit, seulement que "le président de participe pas au vote lorsqu'il consulte les membres élus du comité en tant que délégation du personnel". L'adoption du règlement intérieur n'est pas une consultation.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:448835
Réf. : Décret n° 2015-930 du 29 juillet 2015, relatif à l'égal accès des femmes et des hommes aux instances de gouvernance des organismes nationaux de Sécurité sociale (N° Lexbase : L2595KDH)
Lecture: 1 min
N8821BUA
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
Le 10 Septembre 2015
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:448821
Réf. : Décret n° 2015-1119 du 4 septembre 2015, autorisant les traitements de données à caractère personnel mis en Suvre par les organismes gestionnaires du RSI et de la MSA pour la gestion de la relation avec leurs ressortissants (N° Lexbase : L2523KHW)
Lecture: 1 min
N8838BUU
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
Le 10 Septembre 2015
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:448838
Réf. : Cass. civ. 3, 8 juillet 2015, n° 13-27.246, FS-P+B (N° Lexbase : A7794NMM)
Lecture: 9 min
N8908BUH
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Christine Lebel, Maître de conférences HDR (CRJFC, EA 3225), UFR SJEPG (Université de Franche-Comté)
Le 10 Septembre 2015
Sur le pourvoi rédigé par la société, la troisième chambre civile de la Cour de cassation, dans un arrêt du 8 juillet 2015, précise qu'en application de l'article 1844 du Code civil (N° Lexbase : L2020ABG), seuls les associés ont le droit de participer aux décisions collectives de la société. A défaut d'avoir obtenu l'agrément dans les conditions prévues par les statuts, ils ne peuvent se prévaloir d'un agrément tacite. N'ayant pas la qualité d'associés, ils ne peuvent pas prendre part à l'assemblée générale, ni à la désignation du gérant de la société. Ayant relevé ces indications, la cour d'appel en a exactement déduit que l'assemblée générale, qui s'était irrégulièrement tenue, devait être déclarée nulle ainsi que la désignation du gérant. Le pourvoi est rejeté.
Ainsi l'arrêt du 3 juillet 2015 permet de rappeler la situation de l'héritier de l'associé-gérant d'une société civile et plus généralement en application des règles de droit commun des sociétés (I). Lorsqu'en application des statuts, les successeurs doivent être agréés, l'agrément ne peut leur être tacitement donné (II). Par conséquent, lorsque la procédure statutaire n'a pas été respectée, les résolutions prises dans le cadre d'une assemblée générale irrégulièrement convoquée sont nulles (III)
I - Décès de l'associé-gérant et sort de ses droits sociaux
La date de la fin de vie juridique de la société, personne morale, est, en principe, connue avec précision car les associés fondateurs ont prévu, lors de la constitution, un terme sous la forme d'une date ou d'une durée ou bien la durée légale maximale. Cette durée peut être modifiée au cours de la vie sociale par une décision de dissolution anticipée, la survenance d'une cause de dissolution légale (4) ou un évènement prévu par les statuts. A l'opposé, la durée de la société peut être prorogée au-delà de la durée initialement prévue (5).
Il en va autrement pour l'associé, personne physique, car son décès est, en principe, un événement futur dont la survenance est difficilement prévisible. En outre, en dépit des prévisions faites par les associés fondateurs lors de la rédaction des statuts, le décès de l'associé, qui est également gérant de la société, peut faire naître un conflit entre les associés survivants et les héritiers de l'associé défunt. Le sort des droits sociaux de l'associé décédé ouvre une aire de jeux pour les praticiens du droit : l'application conjuguée du droit des sociétés (règles communes et règles spéciales à certaines formes sociales) et du droit patrimonial de la famille (droit des successions et le cas échéant, droit des couples).
En l'espèce, la survie de la société n'était pas en cause, dans la mesure où les statuts prévoyaient qu'en cas de décès d'un associé, la société continuait avec les héritiers ou ayants-droit de l'associé décédé ou, éventuellement, avec le conjoint commun en biens (6), à condition d'avoir été agréés par les associés survivants. Ainsi, par application de l'article 1870 du Code civil (N° Lexbase : L2067AB8), les associés fondateurs ont convenu de faire "survivre" la personne morale au décès de la personne physique associée. On relèvera, toutefois, que les statuts distinguent entre le conjoint commun en biens des autres conjoints, notamment lorsque les époux ont choisi un régime séparatiste pour gérer leur situation matrimoniale.
Le décès de l'associé provoque une dissociation entre les droits financiers et les droits politiques de ses droits sociaux. En effet, sous réserve du règlement définitif de la succession de l'associé décédé, les droits financiers sont transmis de plein droit aux héritiers et ayants-droit du défunt (7). Ainsi, ces derniers ont vocation à participer à la répartition des bénéfices dans les conditions prévues par les statuts. Cette solution a été affirmée à plusieurs reprises par la Cour de cassation tant pour les formes de sociétés spécifiques aux professions libérales (8), que pour les sociétés agricoles (9) ou bien encore pour les sociétés en nom collectif (10). Ils ont également droit à la valeur liquidative des droits sociaux (11). Ainsi, ils sont créanciers de la société, sans pour autant avoir la qualité d'associé qui suppose la détention des droits politiques attachés aux droits sociaux dont le défunt était propriétaire.
C'est tout spécialement à propos du décès de l'associé que la dissolution entre le "titre" et la "finance" des droits sociaux, et, en l'espèce, des parts sociales, produit des conséquences importantes. En principe, et à l'exception de la société anonyme, la qualité d'associé ne se transmet pas par voie successorale. Plus précisément, pour certaines formes de société, la transmission est de plein droit pour les héritiers et ayants-droit dans le silence des statuts. En l'espèce, la transmission des parts sociales est conditionnée par l'agrément des successeurs de l'associé décédé, conformément à une disposition statutaire. Par conséquent, pour la période comprise entre le décès de l'associé et la décision de l'assemblée générale composée par les seuls associés survivants, les héritiers n'ont pas la qualité d'associé. Ils ont droit à la perception des bénéfices dont la distribution est décidée lors de l'assemblée générale annuelle approuvant les comptes sociaux. Ils ont également droit à l'information et à la communication des documents sociaux pendant cette période (12). Le droit à l'information semble totalement justifié, dans la mesure où la transmission des droits financiers peut entraîner l'obligation de payer certaines dettes sociales (13), et ce même s'ils n'ont pas la qualité d'associé.
II - L'agrément tacite impossible
En droit des sociétés, on peut rencontrer, à propos des successeurs de l'associé décédé, deux hypothèses : soit ces derniers obtiennent de plein droit la qualité d'associé du seul fait du décès et de l'absence de renonciation à sa succession, soit les successeurs doivent être agréés par les associés survivants. Dans ce dernier cas, tant que l'assemblée générale composée des associés survivants n'a pas statué sur le sort des droits sociaux de l'associé décédé, ses successeurs ne peuvent prétendre avoir le titre d'associé. Pour cette même raison, ils ne peuvent participer aux assemblées générales.
En l'espèce, l'associé décédé avait également la qualité de gérant. A défaut de représentation légale de la personne morale, l'assemblée générale ne pouvait être convoquée afin de délibérer sur l'agrément des successeurs de l'associé décédé. Cette solution est la pure logique institutionnelle du droit des sociétés. Par conséquent, les associés survivants doivent saisir le tribunal en vue de demander la désignation d'un administrateur provisoire dont l'étendue de la mission serait précisée dans l'ordonnance le désignant.
Ainsi, l'un des associés survivants avait obtenu du tribunal la désignation d'un mandataire avec mission d'administrer la SCI et de convoquer l'assemblée générale de la société après la dévolution de la succession de l'associé décédé afin qu'elle statue sur la désignation d'un nouveau gérant. En exécution de cette décision de justice, l'administrateur provisoire a convoqué l'assemblée générale de la SCI en vue de faire désigner un nouveau gérant.
Or, le sort des parts sociales de l'associé décédé n'était pas réglé car le successeur n'avait pas été formellement agréé. Pour cette raison, l'un des associés survivants a prétendu que la délibération désignant le nouveau gérant de la société était nulle car l'assemblée générale de la société s'était tenue irrégulièrement. Pour sa défense, le successeur désigné en qualité de nouveau gérant prétendait bénéficier d'un agrément tacite, obtenu par l'assignation qui lui avait été délivrée pour solliciter en justice, la désignation d'un administrateur provisoire. Les juges du fond ont écarté cet argument en considérant que le successeur de l'associé décédé ne peut se "prévaloir d'un agrément tacite". Cette analyse est confirmée par la Cour de cassation qui rappelle, dans l'arrêt du 3 juillet 2015, que les héritiers n'ayant pas obtenu l'agrément dans les conditions prévues par les statuts, ne peuvent se prévaloir d'un agrément tacite et ne sont pas associés de la société.
Dans ces conditions, l'agrément peut être défini comme étant l'autorisation donnée par l'assemblée générale de la société composée par les seuls associés survivants, aux successeurs de l'associé décédé, de participer à la vie sociale en qualité d'associé. L'agrément prend alors la forme d'une décision formelle, à savoir le vote de l'assemblée générale composée des associés survivants. A défaut de précision statutaire en ce sens, l'agrément ne peut être tacitement donné aux successeurs de l'associé décédé. L'assemblée n'ayant pas été constituée dans ces conditions et ayant délibéré avec des personnes non associés, les juges n'avaient pas d'autre solution que de prononcer la nullité de la désignation du nouveau gérant.
III - Les conséquences institutionnelles du non-respect de la procédure d'agrément
Les conséquences institutionnelles du non-respect de la procédure d'agrément sont de deux ordres. Elles portent, dans un premier temps, sur la validité de la convocation et des délibérations prises par l'assemblée générale. Puis, dans un second temps, elles concernent la désignation du représentant légal de la personne morale.
L'alinéa premier de l'article 1844 du Code civil dispose que "tout associé a le droit de participer aux décisions collectives". Il n'est pas possible de déroger à cette disposition, qui constitue alors une règle impérative (14). Par conséquent, tous les associés doivent être convoqués aux assemblées générales de la société, mais seulement ces derniers. Dans ces conditions, les successeurs non agréés, dès lors que les statuts de la SCI prévoient formellement une procédure d'agrément, ne répondent pas à cette exigence. Ils ne doivent pas être convoqués et ne peuvent siéger lors de l'assemblée générale. Une cour d'appel avait précédemment considéré qu'un héritier n'ayant pas sollicité son agrément à la date de l'assemblée générale, n'a pas à être convoqué et ne peut pas participer au vote (15). Dans la présente affaire, la Cour de cassation rejette le pourvoi au motif que la cour d'appel avait constaté que les héritiers de l'associé décédé n'avaient pas obtenu d'agrément et, par conséquent, n'étaient pas associés de la SCI. Dès lors, ils ne pouvaient prendre part à l'assemblée générale et à l'élection du gérant.
Ainsi, l'assemblée générale litigieuse avait été convoquée et s'était tenue dans des conditions irrégulières dans la mesure où les successeurs non agréés ont été convoqués et ont pris part au vote des délibérations. En application de l'article 1844-10, alinéa 3, du Code civil (N° Lexbase : L2030ABS), la nullité de la délibération litigieuse a été prononcée par la cour d'appel, et il ne pouvait en être autrement. En effet, les juges du font n'ont fait que tirer les conséquences juridiques de leurs propres constatations, comme le souligne la Cour de cassation. Autrement formulé, les délibérations votées par des personnes n'ayant pas la qualité d'associé encourent la nullité. La désignation du gérant n'ayant pas valablement été adoptée, celle-ci est nulle.
Dans ces conditions, les associés survivants doivent saisir à nouveau le tribunal aux fins de désignation d'un mandataire chargé de représenter la société et de convoquer l'assemblée générale. En outre, la mission de ce dernier doit être précisée. En effet, et comme l'a justement rappelé la cour d'appel, le nouveau gérant ne peut être désigné avant l'agrément des successeurs de l'associé décédé. Par conséquent, l'assemblée générale doit être convoquée pour agréer ces derniers, puis, pour désigner le nouveau gérant. Peut-on en conclure que l'agrément doit impérativement être voté avant la désignation du nouveau représentant légal ? La logique institutionnelle conduit à répondre par l'affirmative sans pour autant être la conséquence de l'application littérale des dispositions légales. En l'espèce, le candidat à la gérance n'étant pas l'un des associés survivants, il ne pouvait en aller autrement : pragmatisme oblige !
(1) P. Catala, Le sort des parts sociales au décès de l'associé, Etudes de droit commercial à la mémoire d'Henri Cabrillac, 1968, p. 59 et s. ; G. Paisant, Des actions et des parts sociales dans le droit patrimonial de la famille, Thèse Poitiers, 1978 ; J. Derrupé, Un trou législatif, le choix du successeur de l'associé décédé, Mélanges en l'hommage à A. Breton et F. Derrida, Dalloz, 1991, p. 72 et s. ; B. Saintourens, L'héritier de l'associé décédé, Mélanges B. Bouloc, Dalloz, 2006, p. 1015 et s. ; nos obs., L'associé décédé, ses héritiers et la société, Journal des sociétés n° spécial 124, novembre 2014, p. 28 et s..
(2) Société civile : nullité des délibérations auxquelles a participé l'héritier non agréé d'un associé, Lexbase Hebdo n° 433 du 23 juillet 2015 - édition affaires (N° Lexbase : N8608BUD).
(3) CA Colmar, 1ère ch. civ., sect A., 2 octobre 2013, n° 12/01824 (N° Lexbase : A1060KM9).
(4) C. civ., art 1844-7 (N° Lexbase : L7356IZH).
(5) C. civ., art 1844-6 (N° Lexbase : L2026ABN).
(6) Article 11 des statuts cité par CA Colmar 2 octobre 2013, préc..
(7) Les textes mériteraient d'être précisés car, formellement, seule la situation de l'héritier est envisagée. B. Saintourens, L'héritier de l'associé décédé, préc. note 1 ; B. Saintourens, L'attractivité renforcée de la SARL par l'ordonnance n° 2004-274 du 25 mars 2014, Rev. sociétés, 2004, p. 207, spéc. n° 22.
(8) Cass. civ. 1, 17 décembre 2009, n° 08-19.895, FS-P+B (N° Lexbase : A7136EPY), Dr. sociétés, 2010, comm. 45, note H. Hovasse, Defrénois, 2010, p. 741, note B. Thuiller, D. Gibirila, Le défaut de qualité et l'intérêt de l'associé retiré d'une SCP de notaires à agir en nullité d'une assemblée générale postérieure à son départ, Lexbase Hebdo n° 379 du 21 janvier 2010 - édition privée (N° Lexbase : N9595BMC) ; Cass. civ. 1, 16 septembre 2010, n° 09-68.720, F-D (N° Lexbase : A5912E9T), Dr. sociétés, 2010, comm. 224, note H. Hovasse ; Cass. civ. 1, 9 juin 2011, n° 09-69.923, F-P+B+I (N° Lexbase : A4266HT8), Dr sociétés, 2011, comm. 149, note H. Hovasse, D. Gibirila, La cession de ses parts par l'associé d'une SCP de notaires dans les six mois de la publication de l'arrêté prononçant sa démission d'office, Lexbase Hebdo n° 258 du 7 juillet 2011 - édition affaires (N° Lexbase : N6804BSS) ; Cass. civ. 1, 12 juillet 2012, n° 11-18.453, FS-P+B+I (N° Lexbase : A8348IQA), Dr. sociétés, 2012, comm.. 180, note H. Hovasse, D., 2012, p. 2786, obs. A. Lienhard, RTDCom., 2012, obs. 577, obs. M.-H. Monsèrié-Bon, Bull. Joly Sociétés, 2012, p. 880, note D. Gallois-Cochet, Defrénois, 2012, p. 1074, note A. Rabreau, nos obs., Le décès de l'associé de société civile professionnelle, Lexbase Hebdo n° 310 du 27 septembre 2012 - édition affaires (N° Lexbase : N3673BT9) ; CA Colmar, 5 février 2014, n° A 13/00222 (N° Lexbase : A7867MDQ), Dr. sociétés, 2014, comm. 86, obs. M. Roussille.
(9) Cass. com., 29 septembre 2009, n° 08-16.368, F-P+B (N° Lexbase : A5844ELZ), Bull. civ. IV, n° 119, RD rur., 2010, comm. 3, nos obs., Dr. sociétés, 2009, comm. 221, note R. Mortier, Rev. sociétés, 2010, p. 42, note B. Saintourens, RTDCom., 2010, p. 42, obs. Cl. Champaud et D. Danet, et p. 161, obs. M.-H. Monsèrié-Bon, D., 2010, p. 2805, obs. A. Rabreau, Bull. Joly Sociétés, 2010, p. 5, note J.-J. Barbièri, J.-B. Lenhof, Force respective des statuts d'un GAEC et des dispositions des articles 1870-1 et 1134 du Code civil, Lexbase Hebdo n° 371 du 12 novembre 2009 - édition privée (N° Lexbase : N3713BMH) ; Cass. com., 25 mars 2014, n° 12-23.487, FS-D (N° Lexbase : A4717KNZ), RD rur. 2014, comm. 190, note J. Cayron ; Cass. com., 6 novembre 2012, n° 11-25.058, F-D (N° Lexbase : A6817IWE), Dr. sociétés 2013, comm. 3, note H. Hovasse, nos obs., Lorsque le conjoint de l'associé n'a pas la qualité d'associé !, Lexbase Hebdo n° 320 du 13 décembre 2012 - édition affaires (N° Lexbase : N4943BTA).
(10) Cass. com., 21 octobre 1997, n° 95-16. 231 (N° Lexbase : A0047AUB), Dr. sociétés, 1998, n° 33, obs. D. Vidal, Bull. Joly Sociétés, 1997, p. 50, note J.-P. Garçon.
(11) D. Gibirila, Rép. Dalloz sociétés, V° Nom collectif (société en), spéc. n° 328.
(12) CA Colmar, 5 février 2014, n° A 13/00222, préc. et les obs. préc. note 8 ; CA Paris, 14ème ch., 7 janvier 2009, n° 08/14713 (N° Lexbase : A1999EDE), Bull. Joly Sociétés, 2009, p. 859, note J.-P. Garçon.
(13) Nos obs., L'associé décédé, ses héritiers et la société, préc. note 1.
(14) C. civ., art. 1844, al. 4 (N° Lexbase : L2020ABG) ; R. Kaddouch, L'irréductible droit de vote de l'associé, JCP éd. E, 2008, 1549.
(15) CA Paris, Pôle 2, 1ère ch., 13 mars 2013, n° 12/06788 (N° Lexbase : A6132I9Y), Dr. sociétés, 2013, comm. 199, obs. H. Hovasse.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:448908
Réf. : Cass. crim., 1er septembre 2015, n° 14-84.353, F-P+B (N° Lexbase : A4872NNR)
Lecture: 1 min
N8902BUA
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
Le 11 Septembre 2015
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:448902