La lettre juridique n°623 du 3 septembre 2015

La lettre juridique - Édition n°623

Éditorial

"Macron I" sur orbite : tempête dans l'azimut

Lecture: 5 min

N8712BU9

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/25968486-edition-n-623-du-03-09-2015#article-448712
Copier

par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 03 Septembre 2015


Déposée, amendée, adoptée, censurée, publiée, tout cela en sept mois : le marathon de la loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques -loi de la République mais qui restera, ou non d'ailleurs, dans les annales comme la loi "Macron"-, a touché à sa fin le 7 août dernier.

En 490 avant notre ère, il s'agissait pour Darius de mater la rébellion démocratique athénienne ; aujourd'hui l'estocade est lancée par le Souverain -au sens machiavélien du terme- au nom de cette liberté revendiquée par les Grecs d'antan : c'est à n'y plus rien y comprendre, si ce n'est que, comme à l'issue de la fameuse bataille médique, il faudra rapidement se porter sur le flanc gauche en prévision d'une loi "Macron II", déjà dans les galères gouvernementales, et annoncée comme encore plus "belliqueuse".

On a beaucoup glosé sur cette loi, ces derniers mois ; mais assurément pas sur la libéralisation des lignes d'autocar, les accords de maintien dans l'emploi, la relance de l'investissement productif ou encore l'encadrement des retraites chapeaux. Les crispations, voire les farouches oppositions et manifestations, ont concerné les domaines les plus sensibles que sont le travail les soirs et dimanches, le plafonnement des indemnités de licenciement abusif et, bien entendu, la déréglementation des professions réglementées.

Sans entrer dans le détail de chacune de ces mesures, détail que nos prochaines éditions ne manqueront pas de présenter et d'analyser -cf. les éditions sociale et affaires spécialement consacrées à la loi cette semaine-, il n'est pas inutile de se plonger dans la téléologie d'une telle loi vilipendée à chaque encablure de son parcours. Pour son porteur, et néanmoins ministre de l'Economie, "la France a aujourd'hui trois maladies' : la défiance, d'abord, les Français ayant de moins en moins confiance en leur avenir économique ; la complexité, ensuite : le poids des lois et des règlements est devenu insupportable pour l'économie, les petites entreprises ; les corporatismes, enfin : ils entravent notre capacité à nous transformer. Il faut donc faire confiance et laisser ceux qui sont sur le terrain, au plus près de la réalité, faire les choix qui les concernent. Il faut également simplifier, drastiquement : la complexité et l'opacité sont toujours une protection pour les plus riches et les mieux intégrés, alors que les plus fragiles et les personnes en dehors du système en sont les premières victimes. Il faut enfin retrouver le sens de l'intérêt général".

Rapidement et sans susciter plus avant la polémique, on ne peut pas dire que l'adoption de la loi, après 400 heures de débat, et le vote de 2 300 amendements, "à coup de 49-3" soit le meilleur argument contre la défiance, même économique : cette procédure a le vice de montrer l'absence de consensus et d'entente politiques et sociaux sur un sujet pourtant fédérateur, la reprise et la croissance économique ; elle gage même d'une certaine insécurité juridique en cas d'alternance prochaine. La chose n'est pas nouvelle dans un pays bilatéralisé, mais la mise en jeu de la responsabilité gouvernementale par trois fois a surtout montré un fractionnement de la société contraire à l'objectif principal affiché, à savoir l'intérêt général. Par ailleurs, il n'est pas certain qu'ajouter une énième loi de près de 300 articles qui demanderont autant de décrets et d'arrêtés d'application dans les prochains mois, et dont les dispositions sont d'effet tantôt immédiat, tantôt différé, tantôt conditionné, favorise la décompléxification juridique ainsi prônée. Quant au corporatisme ? "Tout corporatisme [...] encourage la rigidité, décourage la responsabilité individuelle et risque d'aggraver les erreurs en les dissimulant" : ce n'est ni de Jaurès, ni de Blum, mais de Margaret Thatcher (sic !). Si l'on veut bien refuser l'amalgame avec le corporatisme fasciste des années noires et brunes, et si l'on veut bien ne pas confondre corporation et lobby, on peine à comprendre en quoi le regroupement de différents corps de métier au sein d'institutions défendant leurs intérêts présente un danger, même d'immobilisme. Auquel cas, c'est la représentation syndicale qu'il conviendrait de remettre en cause ; or l'on sait la nécessité, pour la structuration et l'équilibre de la société, des syndicats, comme du reste des corporations. La Révolution française avait certes souhaité anéantir les corporations médiévales par trop puissantes et indépendantes du pouvoir libertaire en place, mais la loi "Le Chapelier" ne dura qu'un temps, et l'Empire ne pouvait que reconstituer les Corps et en prendre la tête, pour asseoir son hégémonie comme ses idées civilistes du reste.

Il demeure que l'inspiration libérale, vecteur de concurrence, innerve profondément le texte, d'où l'incompréhension de certains (nombreux) au regard de la défense de l'intérêt général comme des plus faibles. D'autant que l'on peut admettre que placer sur le même plan l'ouverture des professions réglementées du droit, du commerce de détail, et des liaisons par autocars, puisse susciter l'ire des professionnels concernés. Les enjeux économiques et sociaux ne sont assurément pas les mêmes. Changer la donne sur l'échiquier professionnel contre l'immobilisme est sans doute un facteur d'innovation, donc de croissance, mais il conviendrait tout de même de ne pas changer par trop et brutalement les règles du jeu, sinon c'est une toute autre partie qui s'engage. Quant à la simplification des procédures concernant le permis de conduire, les grands projets d'aménagement, les procédures collectives, les prud'hommes, l'actionnariat salarié et le changement de banque : on peine à penser que se joue là le développement économique du pays.

Alors, on pensait, parce que présentée comme telle, la loi révolutionnaire ; comme on pressentait un retoquage des principales dispositions polémiques par le Conseil constitutionnel. Ne lisait-on pas sur les réseaux sociaux que "la loi Macron' contient tellement de cavaliers législatifs que c'est plus un jockey club qu'une loi" ! De censures, il n'y en eu que dix-huit (sur trois cents articles) et, hormis celle relative au plafonnement indemnitaire, toutes furent mineures -parce qu'adoptées par des procédures contraires à la Constitution-. Le 5 août, les Sages censuraient, par exemple, l'article 69 qui visait à clarifier certaines dispositions du Code des transports relatives aux services privés de recrutement et de placement des gens de mer et à permettre de mettre en oeuvre la convention du travail maritime de l'OIT ; l'article 132 qui entendait revoir l'ordre de numérotation des chaînes de la TNT ; l'article 202 qui mettait à la disposition du public les informations sur la composition et la conception des emballages par les éco-organismes ; l'article 225 qui prévoyait d'assouplir la loi "Evin" en autorisant la publicité pour l'alcool ; ou l'article 227 qui précisait que tous les citoyens devaient recevoir les documents expédiés par des représentants élus même lorsque les boîtes aux lettres arboraient un autocollant "stop pub" ! On est loin des oubliettes de la "taxe carbone", en 2010.

Finalement, l'absence de censure majeure du texte devrait plus inquiéter les acteurs économiques et sociaux que les rassurer : en fait de loi progressiste et innovante, la majorité des dispositions fleure bon l'anecdote quand il ne s'agit pas d'un accessoire de la croissance. Seules les professions réglementées sont clouées au pilori : sans doute eu regard à leur péché originel : une naissance sous une régime autocratique ou fascisant, car, l'on ne voit pas en quoi désorganiser des professions réglementées qui cohabitent et remplissent leur part du maillage juridique et social puisse libérer la croissance et sécuriser les justiciables.

newsid:448712

Assurances

[Textes] Les modifications concernant les assurances apportées par la loi "Macron"

Réf. : Loi n° 2015-990 du 6 août 2015, pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques (N° Lexbase : L4876KEC)

Lecture: 5 min

N8720BUI

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/25968486-edition-n-623-du-03-09-2015#article-448720
Copier

par Didier Krajeski, Professeur à l'Université de Toulouse

Le 03 Septembre 2015

L'assurance est forcément concernée par la loi n° 2015-990 du 6 août 2015, pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, dite "loi Macron", pour au moins deux raisons. La première tient à l'ampleur du domaine abordé par le texte dont l'objectif, affiché dans le titre, est ambitieux. La deuxième est la présence du mécanisme de l'assurance dans de nombreux secteurs d'activités sous différentes formes. Il aurait été étonnant que la réforme ne la touche pas. Néanmoins, les modifications sont essentiellement des ajustements et la plupart proviennent d'amendements. Dans un ensemble assez disparate, on remarque que les dispositions adoptées viennent modifier quelques institutions du droit des assurances et quelques formes d'assurance.

Dans un ensemble de dispositions venant modifier le Code de la route, l'article 21 de la loi du 6 août 2015 vient apporter une précision dans l'article L. 212-1 du Code des assurances sur l'intervention du bureau central de tarification en précisant qu'il est "tenu de statuer sur les demandes qui lui sont adressées". En vertu de la réglementation, le rôle du bureau central de tarification est de fixer la prime d'assurance (et une franchise) moyennant laquelle l'assureur, qui a exprimé un refus d'assurance, devra couvrir le risque, dès lors que la demande d'assurance entre dans le cadre de l'obligation légale (1). Autrement dit, il contribue à la souscription d'une assurance obligatoire en fixant l'un de ses éléments essentiels. Nul doute que l'obligation posée par le texte ait pour objectif de contribuer à une meilleure couverture du risque en matière de circulation automobile en imposant au bureau central de tarification d'y prendre sa part même dans les cas les plus compliqués. L'adoption de ce texte montre, en effet, que le législateur a souhaité résoudre une difficulté propre à l'assurance des véhicules terrestres à moteur, comme le souligne l'auteur de l'amendement. Certaines catégories de conducteurs (les jeunes notamment) peinent encore à trouver une assurance et le bureau central de tarification ne semble pas jouer son rôle dans ce cas. La précision apportée doit donc être vue comme un rappel à l'ordre. Un équilibre des obligations se crée entre les parties en présence qui doivent apporter les informations nécessaires pour que le bureau central de tarification puisse statuer (2) et l'obligation de le faire pour ce dernier. La modification appelle cependant une réserve qui provient de la spécificité du bureau central de tarification : il est un et plusieurs. Il faut comprendre que c'est une institution qui a vocation à intervenir pour les différentes obligations d'assurance avec, à chaque fois, une composition spécifique (catastrophes naturelles, C. ass., art. L. 125-6 N° Lexbase : L6244DI4 ; véhicules terrestres à moteur, C. ass., art. L. 212-1 ; remontée mécanique, C. ass., art. L. 220-5 N° Lexbase : L0297AAA ; travaux de construction, C. ass., art. L. 243-2 N° Lexbase : L1826KGQ ; assurance de responsabilité médicale, C. ass., art. L. 252-1 N° Lexbase : L6710A7N). On conçoit mal que sa façon de procéder diffère selon les assurances concernées, or la précision apportée ne vaut que pour les assurances des véhicules terrestres à moteur. Mais comme cela a été souligné dans la discussion, l'obligation de statuer est sous-entendue dans la façon dont le bureau central de tarification est réglementé.

L'article 107 de la loi du 6 août 2015 procède à un ajustement matériel dans le Code des assurances en supprimant dans l'article L. 324-1 un renvoi au Code de commerce qui n'avait plus de sens après les modifications opérées par la loi dans ce code. L'article 136 de la loi modifie l'article L. 512-1 du Code des assurances. Il vise à élargir l'origine des membres de l'organisme chargé de la tenue du registre des intermédiaires. Alors qu'il regroupait les professions de l'assurance, il doit désormais s'ouvrir au domaine de la banque et de la finance. Cette disposition marque l'évolution des professions d'intermédiaires dans ces domaines d'activité.

Les dispositions de la loi du 6 août 2015 viennent ici intervenir dans des domaines bien différents avec des objectifs variés. Les modifications concernent, d'abord, l'assurance des travaux de construction et, ensuite, l'assurance vie.

L'article 95 de la loi vient renforcer l'information des consommateurs relativement à l'existence de l'assurance de responsabilité obligatoire. On voit donc que l'assurance des véhicules terrestres à moteur n'est pas la seule à poser des difficultés. Concernant l'assurance des travaux de construction, le législateur passe à une exigence supérieure. Dans l'article L. 241-1 du Code des assurances, il crée une obligation un peu plus impérative à la charge des assujettis à l'obligation d'assurance. Il ne s'agit plus d'être en mesure de justifier de la souscription du contrat d'assurance lors de l'ouverture du chantier. Il faut purement et simplement le justifier. La loi n'en reste cependant pas à cette pétition de principe. Elle vient, dans l'article L. 243-2, modifier les règles relatives aux attestations d'assurance qui sont le moyen de justifier de la souscription. Désormais, un arrêté du ministre de l'Economie viendra fixer un modèle d'attestation d'assurance comprenant des mentions minimales. Ces attestations devront être jointes "aux devis et factures des professionnels assurés".

Dans un titre consacré à l'investissement, l'article 137 de la loi du 6 août 2015 vient apporter des modifications à l'assurance vie dans l'article L. 131-1 du Code des assurances. Cet article prévoit des dispositions particulières pour les contrats en unités de compte (3). Jusqu'à présent, le contractant ou le bénéficiaire pouvait opter pour la remise de titres ou de parts à la place du règlement en espèce. Cependant, il devait s'agir de titres ou de parts négociables et ne conférant pas "directement le droit de vote à l'assemblée générale des actionnaires d'une société inscrite à la cote officielle d'une bourse de valeurs". Cette possibilité n'a pas été supprimée, elle est complétée par deux autres qui marquent la possibilité d'intégrer des titres non côtés dans ces contrats. Le contractant peut opter, avec l'accord de l'assureur, pour la remise de titres ou de parts non négociés sur un marché réglementé, notamment de parts de fonds communs de placement à risques ou non négociables, au moment du rachat des engagements exprimés en unité de compte d'un contrat. Il le fait à tout moment et de façon irrévocable. Un bénéficiaire peut exercer une telle option de façon irrévocable. L'exercice de cette option ne vaut pas acceptation du bénéfice au sens de l'article L. 132-9 du Code des assurances. Pressentant les effets d'aubaine qu'un tel dispositif pouvait créer auprès des assurés, le législateur a créé un garde-fou pour éviter les fraudes : "ce paiement en titres ou en parts non négociables ou non négociés sur un marché réglementé ne peut s'opérer qu'avec des titres ou des parts qui ne confèrent pas de droit de vote et qu'à la condition que le contractant, son conjoint, leurs ascendants, leurs descendants ou leurs frères et soeurs n'aient pas détenu, directement ou indirectement, au cours des cinq années précédant le paiement, des titres ou des parts de la même entité que ceux remis par l'assureur". Une dernière possibilité est offerte au contractant ou au bénéficiaire : opter irrévocablement pour la remise des parts ou actions de fonds d'investissements alternatifs relevant de la première possibilité dans les conditions prévues pour la seconde.

Pour favoriser leur effectivité, ces mesures sont applicables aux contrats souscrits à compter de l'entrée en vigueur de la loi et aux contrats en cours. Le caractère irrévocable des options exercées va nécessairement renforcer le devoir de conseil relativement à ces possibilités.

newsid:448720

Avocats

[Textes] Loi "Macron" : les incidences des nouvelles dispositions sur la profession d'avocat

Réf. : Loi n° 2015-990 du 6 août 2015, pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques (N° Lexbase : L4876KEC)

Lecture: 17 min

N8811BUU

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/25968486-edition-n-623-du-03-09-2015#article-448811
Copier

par Aziber Seid Algadi, Docteur en droit, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition professions

Le 15 Septembre 2015

Projet ambitieux, trop ambitieux, le texte initialement présenté par le ministre de l'Economie (1) est arrivé devant le Conseil constitutionnel amputé de toutes parts. Plusieurs dispositions concernant les avocats ont été supprimées au fil des multiples amendements. Ainsi en est-il par exemple de la véritable révolution qu'aurait pu constituer l'institution de l'avocat en entreprise. La loi n° 2015-990 du 6 août 2015, pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques (N° Lexbase : L4876KEC), publiée au Journal officiel du 7 août 2015 a été soumise à la censure du Conseil constitutionnel qui s'est prononcé par une décision du 5 août 2015 validant l'essentiel des dispositions prévues (décision n° 2015-715 DC du 5 août 2015 N° Lexbase : A1083NNG). Le nouveau texte impacte plusieurs aspects de la profession d'avocat qu'il convient d'aborder successivement. I - Champ d'exercice des avocats

A - Elargissement du champ de la postulation pour les avocats

La postulation est schématiquement présentée comme l'obligation pour tout justiciable de faire appel à un avocat "postulant" devant le tribunal de grande instance où a lieu le procès, pour le défendre. Elle est la "représentation appliquée à des hypothèses limitées où la partie ne peut légalement être admise elle-même à faire valoir ses droits et où la loi prévoit que cette représentation sera confiée à un [avocat]" (2).

Il convient de rappeler que les dispositions juridiques antérieures prévoient que les avocats "exercent exclusivement devant le tribunal de grande instance dans le ressort duquel ils ont établi leur résidence professionnelle et devant la cour d'appel dont ce tribunal dépend les activités antérieurement dévolues au ministère obligatoire des avoués près les tribunaux de grande instance et les cours d'appel. Toutefois, les avocats exercent ces activités devant tous les tribunaux de grande instance près desquels leur barreau est constitué" (loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, art. 5 N° Lexbase : L6343AGZ (3)).

Par conséquent, il appartenait à tout avocat saisi de se conformer aux règles de sa profession en orientant ses clients vers un avocat postulant s'il ne l'est pas lui-même (CA Lyon, 15 mars 2012, n° 11/06118 N° Lexbase : A8530IEN) (4). En effet, les juges ont souvent déclaré irrecevable le pourvoi formé par un avocat qui n'exerce pas près de la juridiction qui a statué et qui n'est pas muni d'un pouvoir spécial à cette fin (5).

La nouvelle loi vient modifier les dispositions existantes en matière de postulation d'avocats.

La modification entreprise part du constat d'une réalité. Lorsqu'un avocat d'un barreau extérieur, même distant de quelques dizaines de kilomètres, intervient pour plaider devant un TGI qui n'est pas le sien, il est tenu de faire appel à un "avocat local" pour accomplir des actes de procédures. Il en résulte un double règlement pour le client qui doit payer l'avocat plaidant pour le fond de l'affaire et l'avocat postulant pour le suivi de la procédure. Ce dernier est rémunéré sur la base d'un tarif local réglementé, qui repose sur un système de droits fixes et de droits proportionnels, calculés sur le montant, non pas du litige défini in fine par le juge, mais des demandes formulées en amont, qui sont potentiellement élevées (6).

Le nouveau texte élargit la territorialité de la postulation des avocats au ressort des cours d'appel. Il modifie ainsi l'article 5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, et prévoit désormais que "les avocats exercent leur ministère et peuvent plaider sans limitation territoriale devant toutes les juridictions et organismes juridictionnels ou disciplinaires [...]. Ils peuvent postuler devant l'ensemble des tribunaux de grande instance du ressort de la cour d'appel au sein de laquelle ils ont établi leur résidence professionnelle et devant ladite cour d'appel".

Aussi, rajoute ledit article, "l'association ou la société peut postuler auprès de l'ensemble des tribunaux de grande instance du ressort de la cour d'appel au sein de laquelle un de ses membres est établi et devant ladite cour d'appel, par le ministère d'un avocat inscrit au barreau établi près l'un de ces tribunaux".

Ainsi, les avocats peuvent désormais postuler devant l'ensemble des tribunaux de grande instance du ressort de cour d'appel dans lequel ils ont établi leur résidence professionnelle et devant ladite cour. La loi ne prévoit donc pas de supprimer la postulation mais de l'élargir (7).

Sont, cependant, toujours prévues les exceptions à la multipostulation dans certains domaines prévues par l'article 1er de la loi du 31 décembre 1971. Ainsi, cette multipostulation n'est pas applicable aux procédures de saisie immobilière (8), de partage et de licitation, au titre de l'aide juridictionnelle, dans les instances où les avocats ne seraient pas maîtres de l'affaire chargés également d'assurer la plaidoirie.

L'exception, dans le texte initial, prévoyant l'exclusion des actions et procédures fondées sur les articles 1792 à 1799-1 du Code civil, dans le cadre des actions et procédures relatives à un cautionnement, fondées sur les articles 2288 à 2320 du Code civil, dans le cadre des actions et procédures relatives à la réparation d'un dommage, n'a pas été retenue.

Le régime de la multipostulation est conservé en Ile de France. Le nouvel article 5-1 de la loi du 31 décembre 1971 précise que les avocats des barreaux de Paris, Bobigny, Créteil et Nanterre peuvent postuler auprès de la cour d'appel de Paris quand ils ont postulé devant l'un des tribunaux de grande instance du ressort, et auprès de la cour d'appel de Versailles quand ils ont postulé devant le tribunal de grande instance de Nanterre.

En revanche, la multipostulation devant les tribunaux de grande instance de Bordeaux et de Libourne, d'une part, et de Nîmes et d'Alès, d'autre part, pour les avocats inscrits au barreau de l'un de ces tribunaux est supprimée.

L'élargissement du champ de la postulation a fait l'objet de vives controverses. En effet, le Conseil national des barreaux, notamment, a fait état d'une perte de plusieurs millions d'euros pour cette profession, déjà parmi les plus paupérisées des professions juridiques, puisque, pour les 60 000 avocats de France, le revenu médian est de l'ordre de 3 000 euros. Il en résulte que 30 000 en gagnent moins. Le monopole des avocats dans leur ressort est dès lors bien entamé, et mécaniquement, s'ensuit une question d'indemnisation. Or, celle-ci n'est pas abordée par ce texte qui n'en dit rien, alors qu'il s'agit de supprimer par la loi, ou en tout cas de modifier substantiellement, un monopole (9). Ainsi, les avocats se concentreraient autour des cours d'appel et la désertification juridique progresserait ailleurs.

En réalité, cet assouplissement de la postulation obligatoire n'empêchera pas les avocats de faire appel à un avocat installé près d'un TGI dont ne relève pas son barreau pour économiser les déplacements longs aux audiences de procédures. Par ailleurs, il y aura toujours un besoin d'avocats de proximité pour nombre de domaines comme le droit de la famille, le droit commercial ou le droit pénal.

B - Suppression de la tarification de la postulation

Alors que l'article 10 de la loi du 31 décembre 1971, dans sa version antérieure, prévoyait que la tarification de la postulation et des actes de procédure était régie par les dispositions sur la procédure civile (8), désormais, les honoraires de postulation, de consultation, d'assistance, de conseil, de rédaction d'actes juridiques sous seing privé et de plaidoirie sont fixés en accord avec le client.

Les honoraires de postulation seront donc fixés comme les autres honoraires.

Cette réécriture de l'alinéa 1er de l'article 10 de la loi du 31 décembre 1971 revient à supprimer tarification de la postulation -du moins au sein du ressort d'une même cour d'appel!- et s'impose au regard de l'élargissement du périmètre de la postulation. Toutefois, dans la mesure où l'élargissement de la postulation est limité au seul ressort de la cour d'appel, tout recours à un avocat au-delà de cette limite impliquera forcément une tarification intégrée cette fois-ci à la convention et toute contestation y relative sera désormais de la compétence du Bâtonnier.

Pour finir sur ce point, il convient de souligner que l'article 50 de la loi "Macron" prévoit également des tarifs réglementées pour les droits et émoluments des avocats en matière de saisie immobilière, de partage, de licitation et de sûretés judiciaires mentionnées à l'article 10 de la loi du 31 décembre 1971.

Les députés, saisissant le Conseil constitutionnel, avaient argué de ce que cet article 51 cause une atteinte disproportionnée à l'objectif qu'il s'efforce, en d'autres parties de la loi, d'atteindre néanmoins (c'est-à-dire assurer un accès plus facile à la justice et aux professionnels du droit) puisque les territoires les plus enclavés risque de voir partir les avocats au bénéfice des villes plus importantes, plus attractives. Les délais d'intervention des avocats risquent en conséquence de se trouver rallongés. De nombreux citoyens se trouveraient alors privés d'accès au droit, et notamment les plus fragiles d'entre eux qui bénéficient de l'aide juridictionnelle. Ce n'est pas l'avis du Conseil constitutionnel, qui, dans sa décision du 5 aout 2015, a validé les dispositions relatives au nouveau périmètre de la postulation, jugeant qu'elles n'affectent pas les conditions d'accès au service public de la justice et ne méconnaissent ni le principe d'égalité devant la justice, ni l'objectif de bonne administration de la justice.

Les dispositions portant extension de la postulation au ressort de cour d'appel entreront en vigueur dans 12 mois, soit le 8 août 2016. Quant à la suppression du tarif de la postulation, elle est d'application immédiate, dès le 8 août 2015.

C - Ouverture et obligation d'un bureau secondaire

L'avocat peut établir un ou plusieurs bureaux secondaires, après déclaration au conseil de l'Ordre du barreau auquel il appartient.

Lorsque le bureau secondaire est situé dans le ressort d'un barreau différent de celui où est établie sa résidence professionnelle, l'avocat doit en outre demander l'autorisation du conseil de l'Ordre du barreau dans le ressort duquel il envisage d'établir un bureau secondaire.

Le nouveau texte raccourcit le délai durant lequel le conseil de l'Ordre doit statuer sur la demande. Celui-ci est désormais d'un mois à compter de la réception de la demande et non plus de trois comme auparavant. A défaut, l'autorisation est réputée accordée. L'autorisation ne peut être refusée que pour des motifs tirés des conditions d'exercice de la profession dans le bureau secondaire (loi du 31 décembre 1971, nouvel art. 8-1).

L'avocat, disposant d'un bureau secondaire, doit également y exercer une activité effective et satisfaire à ses obligations en matière d'aide à l'accès au droit, d 'aide à l'intervention de l'avocat dans les procédures non juridictionnelles et de commission d'office au sein du barreau dans le ressort duquel est établie sa résidence professionnelle et au sein du barreau dans le ressort duquel il dispose d'un bureau secondaire.

Ces nouvelles dispositions sont entrées en vigueur le 8 août 2015.

D - Facilitation de l'installation des avocats aux Conseils

Avant la loi "Macron", un associé d'une SCP d'avocats aux Conseils qui souhaitait quitter la structure à laquelle il appartenait était contraint, s'il veut continuer à exercer, de trouver un office individuel ou en société susceptible de l'accueillir : il ne peut donc pas s'installer librement et doit s'en remettre à l'Ordre des avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation pour trouver une issue. La loi "Macron " dispose désormais que l'Autorité de la concurrence rend au ministre de la Justice, qui en est le garant, un avis sur la liberté d'installation des avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation. Elle fait, à cet effet, toutes les recommandations en vue d'améliorer l'accès aux offices d'avocat aux Conseils dans la perspective d'augmenter le nombre de ces offices et d'établir une égalité d'accès entre hommes et femmes.

Cette disposition implique que, si l'Autorité de la concurrence suggère de créer de nouveaux offices et que le ministre ne les crée pas, celui qui demandera un office l'aura de plein droit (9).

Au vu des besoins identifiés par l'Autorité de la concurrence, lorsque le demandeur remplit les conditions de nationalité, d'aptitude, d'honorabilité d'expérience et d'assurance requises pour l'exercice de la profession, le ministre de le Justice le nomme titulaire de l'office d'avocat au Conseil d'Etat et de la Cour de cassation crée. Un décret devrait préciser les conditions d'application de cette disposition (loi n° 2015-990 du 6 août 2015, art. 57).

Seules peuvent accéder à cette profession les personnes ayant subi avec succès un examen d'aptitude prévu par ce même décret.

Le Conseil constitutionnel, statuant sur l'article 57, relatif à l'installation des avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, a retenu, dans sa décision du 5 août 2015, que prévoir un mécanisme de recommandation et d'avis de l'Autorité de la concurrence concernant la création de nouveaux offices pour cette profession n'est pas contraire à la Constitution dans la mesure où la décision de l'Autorité de la concurrence ne lie pas le ministre de la Justice qui demeure libre de refuser une demande de nomination.

Par ailleurs, dès lors que, conformément aux règles de droit commun, s'il résulte de la création d'un office d'avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation un préjudice anormal et spécial pour le titulaire d'un office existant, il sera loisible à ce dernier d'en demander réparation sur le fondement du principe constitutionnel d'égalité devant les charges publiques, les dispositions de la loi, qui ne prévoient aucun mécanisme d'indemnisation en cas de préjudice résultant de la création d'un nouvel office pour les titulaires des offices existants, ne portent atteinte ni à la garantie des droits, ni au principe d'égalité devant les charges publiques.

Enfin, à la critique des députés faisant état d'une rupture d'égalité entre les avocats aux Conseils titularisés dans un office existant qui doivent inclure le droit de présentation dans leurs coûts et les avocats titularisés dans un nouvel office pour lesquels aucun droit de présentation ne pèsera sur les coûts et qui bénéficieront d'un avantage concurrentiel évident, le Conseil constitutionnel a relevé que le législateur a entendu traiter différemment des situations différentes et qu'il n'en résulte pas d'atteinte au principe d'égalité devant la loi.

II - Convention d'honoraires et autres droits et émoluments

A - Caractère obligatoire de la convention d'honoraires

L'établissement d'une convention d'honoraires est la pratique courante de plusieurs cabinets d'avocats. Toutefois, elle n'était pas obligatoire. L'article 10 de la loi du 31 décembre 1971 précisait simplement qu'"à défaut de convention entre l'avocat et son client, l'honoraire est fixé selon les usages [...]".

Les honoraires d'avocats étaient par conséquent souvent contestés pour leur imprécision, leur complexité ou leur surévaluation.

La nouvelle loi prévoit désormais que "sauf en cas d'urgence ou de force majeure, ou lorsqu'il intervient au titre de l'aide juridictionnelle totale ou de la troisième partie de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, relative à l'aide juridique (N° Lexbase : L8607BBE), l'avocat conclut par écrit avec son client une convention d'honoraires qui précise, notamment, le montant ou le mode de détermination des honoraires couvrant les diligences prévisibles et leur évolution possible, ainsi que les divers frais et débours envisagés".

La convention d'honoraires, qui n'était que facultative, sauf pour les procédures de divorce (10) ou en cas d'aide juridictionnelle partielle (11), devient désormais obligatoire et pour toutes les matières à l'exception des cas où l'avocat intervient au titre de l'aide juridictionnelle totale, en cas d'urgence ou de force majeure ou encore dans le cadre de l'assistance en matière de procédures non juridictionnelles.

Sur un plan pratique, il est possible d'envisager une convention cadre détaillée pour ensuite, dossier par dossier, pouvoir conclure une convention écrite "allégée", c'est-à-dire réduite aux seules conditions particulières.

Ainsi, la rédaction de la convention d'honoraires obligera l'avocat, qui pourra se prévaloir d'un accord écrit clair et précis pour réclamer le règlement de ses frais et honoraires lorsque le client s'y refuse.

Ceux-ci tiennent compte, selon les usages, de la situation de fortune du client, de la difficulté de l'affaire, des frais exposés par l'avocat, de sa notoriété et des diligences de celui-ci. Toute fixation d'honoraires qui ne le serait qu'en fonction du résultat judiciaire est interdite. En revanche, est licite la convention qui outre la rémunération des prestations effectuées, prévoit la fixation d'un honoraire complémentaire en fonction du résultat obtenu ou du service rendu.

En l'absence de convention écrite, l'avocat prend le risque de ne pouvoir s'opposer à une absence de couverture de ses honoraires. Toutefois, il pourra toujours saisir le Bâtonnier pour le règlement de sa mission en justifiant des actes accomplis.

Au même titre que les avocats à la cour, les avocats aux Conseils sont désormais tenus d'établir par écrit une convention d'honoraires avec le client.

Ces nouvelles dispositions sont applicables dès le 8 août 2015.

B - Droit et émoluments en matière de saisie immobilière, de partage, de licitation et de suretés judiciaires

Les droits et émoluments de l'avocat en matière de saisie immobilière, de partage, de licitation et de sûretés judiciaires mentionnés à l'article 10 de la loi du 31 décembre 1971 étaient régis par les dispositions sur la procédure civile.

Désormais, ces droits et émoluments sont régis par les articles L. 444-1 ([LXB=L1585KGS ]) et suivants du Code de commerce.

Ainsi, sauf disposition contraire, lorsqu'un professionnel est autorisé à exercer une activité dont la rémunération est soumise à un tarif propre à une autre catégorie d'auxiliaire de justice ou d'officier public ou ministériel, sa rémunération est arrêtée conformément aux règles dudit tarif. Les prestations accomplies par les personnes mentionnées au deuxième alinéa de l'article L. 811-2 (N° Lexbase : L3342ICR) et au premier alinéa du II de l'article L. 812-2 (N° Lexbase : L3354IC9) du Code de commerce sont rémunérées conformément aux tarifs réglementés applicables aux administrateurs et mandataires judiciaires.

Aussi, les prestations que les avocats accomplissent en concurrence avec celles, non soumises à un tarif, d'autres professionnels ne sont pas soumises à un tarif réglementé. Ainsi, les honoraires rémunérant ces prestations tiennent compte, selon les usages, de la situation de fortune du client, de la difficulté de l'affaire, des frais exposés par les professionnels concernés, de leur notoriété et des diligences de ceux-ci. Les professionnels concernés concluent par écrit avec leur client une convention d'honoraires, qui précise, notamment, le montant ou le mode de détermination des honoraires couvrant les diligences prévisibles, ainsi que les divers frais et débours envisagés.

Il est à noter que lesdits tarifs prennent en compte les coûts pertinents du service rendu et une rémunération raisonnable, définie sur la base de critères objectifs (C. com., art. L. 444-2 N° Lexbase : L1586KGT).

Le tarif de chaque prestation est arrêté conjointement par les ministres de la Justice et de l'Economie.

Un décret en Conseil d'Etat, pris après avis de l'Autorité de la concurrence, viendra préciser les modes d'évaluation des coûts pertinents et de la rémunération raisonnable. En attendant, la procédure de taxation demeure soumise aux articles 695 ([LXB=L9796IRA ]) à 721 du Code de procédure civile.

C - Contrôle de l'autorité administrative

Malgré la réticence des avocats, une disposition admettant le contrôle de la DGCCRF sur les conventions d'honoraires a été introduite à la suite de l'article 10 de la loi du 31 décembre 1971. Cependant, pour rassurer ces derniers il a été précisé que, lorsque l'autorité administrative chargée de la concurrence et de la consommation fait usage des pouvoirs mentionnés au 1° du III bis de l'article L. 141-1 du Code de la consommation (N° Lexbase : L0987I7P), elle en informe le Bâtonnier du barreau concerné par écrit, au moins trois jours avant. Cette disposition de la nouvelle loi permet ainsi d'assurer le secret professionnel de l'avocat (loi n° 2015-990 du 6 août 2015, art. 51).

Le contrôle sera donc limité au seul constat de l'existence matérielle de la convention.

La loi "Macron" introduit également un article 15-1 à l'ordonnance du 10 septembre 1817, précisant que l'autorité administrative est également habilitée à exercer un contrôle sur l'établissement effectif de la convention d'honoraires des avocats aux Conseils en informant au préalable le président du conseil de l'Ordre des avocats aux Conseils (loi n° 2015-990 du 6 août 2015, art. 58).

Il est à noter que, dans leur saisine du Conseil constitutionnel, les députés requérant ont estimé que lesdites dispositions portaient atteinte au secret professionnel des avocats et aux droits de la défense. A tort, car le Conseil constitutionnel les a validé au motif que les opérations de vérification sont menées dans le respect du secret professionnel.

Ces dispositions sont d'application immédiate.

III - Adaptation des SEL et SPFPL au régime de l'interprofessionnalité juridique ou judiciaire

La loi "Macron" modifie également les règles relatives au SEL et SPFPL. Ainsi le nouvel article 6 de la loi du 31 décembre 1990 (N° Lexbase : L4876KEC) dispose que la majorité du capital et des droits de vote des SEL et SPFPL d'avocat peut être détenue par toute personne physique ou morale qui exerce la profession d'avocat ou l'un quelconque des professions juridiques ou judiciaires, qu'elles soient établies en France ou légalement établie dans un autre Etat membre ou partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou dans la Confédération suisse (loi n°2015-990, art. 63).

Pour les SEL, lorsque la détention est celle de personnes exerçant une autre profession juridique ou judiciaire que la profession d'avocat, il est fait obligation à la SEL d'avoir parmi ses associés, une personne exerçant la profession d'avocat.

Les mêmes règles sont applicables pour la détention de la majorité du capital et des droits de vote de la SEL par une SPFPL.

Alors que l'ancien article 13 de la loi du 31 décembre 1990 réservait les mandats sociaux aux avocats en exercice au sein d'une SEL, la nouvelle loi dispose que cet article n'est pas applicable si plus de la moitié du capital et des droits de vote de la SEL est détenue par des personnes physiques ou morales exerçant la profession d'avocat qu'elles soient établies en France ou dans un Etat membre de l'UE ou partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou dans la Confédération suisse. Lesdites dispositions sont également écartées si plus de la moitié du capital et des droits de vote de la SEL est détenue par de telles personnes physiques ou morales exerçant l'une des quelconques professions juridiques ou judiciaires. Le conseil d'administration ou de surveillance de la société doit au moins comprendre un avocat en exercice au sein de la société.

Il en est de même pour les dispositions réservant aux avocats en exercice au sein de la SEL des prérogatives pour les droits de vote double, l'agrément des cessions d'actions et la qualité d'associé commandité de la SELCA.

Par ailleurs, l'objet social des SPFPL mono-professionnelles est élargi et celles -ci peuvent également exercer toute autre activité sous d'être destinée exclusivement aux sociétés ou groupements dont elles détiennent des participations.

Concernant les SPFPL interprofessionnelles, elles peuvent désormais avoir pour objet, outre la détention de parts et d'actions de sociétés de professionnels du droit, du chiffre et de conseil en propriété industrielle, la participation à tout groupement étranger ayant pour objet l'exercice de l'une ou plusieurs de ces professions.

Aussi, lorsque la SPFPL a pour objet la détention de parts ou d'actions de sociétés ayant pour objet l'exercice de plusieurs professions juridiques ou judiciaires, le capital social et les droits de vote peuvent être détenus par toute personne exerçant une ou plusieurs des professions juridiques ou judiciaires.

IV - Action de groupe et compte CARPA

Dans le cadre de l'action de groupe, instituée par le décret n° 2014-1081 du 24 septembre 2014, relatif à l'action de groupe en matière de consommation (N° Lexbase : L2782I4S), l'association peut faire appel à un avocat. L'article L. 423-6 du Code de la consommation (N° Lexbase : L1777KGW) disposait que "toute somme reçue par l'association au titre de l'indemnisation des consommateurs lésés est immédiatement versée en compte de dépôt à la Caisse des dépôts et consignations".

Complétant cet article, la loi "Macron" vient préciser que ce dépôt peut également se faire sur un compte ouvert, par l'avocat auquel elle a fait appel en application de l'article L. 423-9 (N° Lexbase : L7597IZE), auprès de la caisse des règlements pécuniaires des avocats du barreau dont il dépend (cf. loi n° 2015-996, art. 42).

La faculté est ainsi laissée à l'association de faire son choix.

Cette disposition permet de rappeler que, si un avocat ne peut manier de fonds, pour une association, que par le truchement de son compte CARPA, ce client peut toujours demander à ce que les fonds lui soient directement remis.


(1) Cf. A.-L. Blouet-Patin, Professions réglementées : nouvelle version du projet "Macron" et réformes conséquentes !, Lexbase Hebdo n° 182 du 20 novembre 2014 - édition professions (N° Lexbase : N4656BUY) ; cf. également Le fil info spécial loi "Macron" du barreau de Paris qui présente de façon succincte ce que le nouveau texte va changer non seulement pour les avocats, mais aussi pour les autres professions juridiques réglementées. Voir, sur les professions réglementées, Loi "Macron" : les incidences sur les professions réglementées, Lexbase Hebdo n° 623 du 3 septembre 2015 - édition professions (N° Lexbase : N8734BUZ).
(2) H. Ader et A. Damien, Règles de la profession d'avocat, Dalloz, 2010.
(3) Exception est faite pour la multipostulation en région parisienne où les avocats inscrits au barreau de l'un des TGI de Paris, Bobigny, Créteil et Nanterre peuvent postuler auprès de chacune de ces juridictions .
(4) Cf. également Cass. crim., 6 mai 2014, n° 13-86.824, F-P+B+I (N° Lexbase : A8150MK3) où les juges déclarent irrecevable le pourvoi formé par un avocat qui n'exerce pas près de la juridiction qui a statué et qui n'est pas muni d'un pouvoir spécial à cette fin.
(5) Toutefois, une régularisation est possible : Cass. civ. 2, 23 octobre 2003, n° 01-17.806 (N° Lexbase : A9382C9D).
(6) Dossier de presse sur la loi pour la croissance et l'activité, décembre 2014.
(7) Un amendement visant à supprimer cet article, au motif que les avocats se concentreraient autour des cours d'appel et la désertification juridique progresserait ailleurs, n'a pas été adopté.
(8) Cf. sur ce sujet, T. Vallat, Honoraires de postulation des avocats : ils ne relèvent pas du décret du 27 novembre 1991, Lexbase Hebdo n ° n°197 du 2 juillet 2015 - édition professions (N° Lexbase : N8140BUZ).
(9) Interview d' Helène Farge in www.lenouveleconomiste.fr, 25 février 2015.
(10) Cf. article 10 de la loi du 31 décembre 1971 et, pour un cas de sanction de convention en la matière, voir, J. Bouëssel du Bourg, Conséquence de l'absence de convention d'honoraires dans une procédure de divorce, Lexbase Hebdo n° 191 du 2 avril 2015 - édition professions (N° Lexbase : N6658BU7).
(11) Loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, art. 35 (N° Lexbase : L8607BBE).

newsid:448811

Avocats

[Brèves] Le droit au secret des échanges et correspondances des avocats et au secret des sources des journalistes n'est garanti par aucune disposition constitutionnelle

Réf. : Cons. const., décision n° 2015-478 QPC, du 24 juillet 2015 (N° Lexbase : A9644NM7)

Lecture: 2 min

N8649BUU

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/25968486-edition-n-623-du-03-09-2015#article-448649
Copier

Le 03 Septembre 2015

Aucune disposition constitutionnelle ne consacre spécifiquement un droit au secret des échanges et correspondances des avocats et un droit au secret des sources des journalistes. Tel est ce que l'on peut retenir de la décision rendue le 24 juillet 2015 par le Conseil constitutionnel (Cons. const., décision n° 2015-478 QPC, 24 juillet 2015 N° Lexbase : A9644NM7). Le Conseil constitutionnel avait été saisi le 5 juin 2015 d'une QPC relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit, des articles L. 246-1 (N° Lexbase : L0336IZH) à L. 246-5 du Code de la sécurité intérieure, relatifs aux règles qui régissent l'accès aux données de connexion par l'autorité administrative (CE 9° et 10° s-s-r., 5 juin 2015, n° 388134 N° Lexbase : A2035NKL). Il est à noter que ces dispositions ont été modifiées par la loi relative au renseignement (loi n° 2015-912 du 24 juillet 2015 N° Lexbase : L9309KBE), mais resteront applicables jusqu'à l'adoption des mesures réglementaires prévues par l'article 26 de la loi précitée. Les associations requérantes soutenaient, entre autres, que le législateur, en ne prévoyant pas des garanties spécifiques de nature à protéger l'accès aux données de connexion des avocats et des journalistes, a méconnu l'étendue de sa compétence dans des conditions portant atteinte au droit au respect de la vie privée, à la liberté d'expression et de communication, ainsi qu'aux droits de la défense et au droit à un procès équitable, au droit au secret des échanges et correspondances des avocats et au droit au secret des sources des journalistes. Dans sa décision, le Conseil constitutionnel a d'abord jugé que, dans la mesure où les dispositions contestées instituent une procédure de réquisition administrative de données de connexion excluant l'accès au contenu des correspondances, elles ne sauraient méconnaître le droit au secret des correspondances et la liberté d'expression. Par ailleurs, le Conseil constitutionnel a rappelé, dans son considérant 16, qu'il incombe au législateur d'assurer la conciliation entre, d'une part, la prévention des atteintes à l'ordre public et des infractions, nécessaire à la sauvegarde de droits et de principes de valeur constitutionnelle, et, d'autre part, l'exercice des droits et des libertés constitutionnellement garantis. Et si au nombre de ces derniers figurent le droit au respect de la vie privée et le secret des correspondances, la liberté d'expression, les droits de la défense et le droit à un procès équitable, aucune disposition constitutionnelle ne consacre, en revanche, spécifiquement un droit au secret des échanges et correspondances des avocats et un droit au secret des sources des journalistes. Partant, le grief tiré de ce que le législateur aurait insuffisamment exercé sa compétence en ne prévoyant pas des garanties spécifiques pour protéger le secret professionnel des avocats et journalistes doit être écarté (cf. l’Ouvrage "La profession d'avocat" N° Lexbase : E6382ETK et N° Lexbase : E6616ET9).

newsid:448649

Collectivités territoriales

[Brèves] Publication de la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République

Réf. : Loi n° 2015-991 du 7 août 2015, portant nouvelle organisation territoriale de la République (N° Lexbase : L1379KG8)

Lecture: 2 min

N8788BUZ

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/25968486-edition-n-623-du-03-09-2015#article-448788
Copier

Le 04 Septembre 2015

La loi n° 2015-991 du 7 août 2015, portant nouvelle organisation territoriale de la République (N° Lexbase : L1379KG8), a été publiée au Journal officiel du 8 août 2015, après avoir été validée par les Sages (Cons. const., décision n° 2015-717 DC du 6 août 2015 N° Lexbase : A1146NNR), à l'exception de la disposition fixant la répartition des sièges au sein du conseil de la futur métropole du Grand Paris qui verra le jour le 1er janvier 2016, qui aurait eu pour effet de surreprésenter le conseil de Paris au sein de cette instance. Elle est considérée comme le troisième acte de la décentralisation, après les lois de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles du 27 janvier 2014 (loi n° 2014-58 N° Lexbase : L3048IZW) et relative à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral du 16 janvier 2015 (loi n° 2015-29 N° Lexbase : L5611I7X). Dans la foulée de l'objectif initial du texte qui visait le renforcement du rôle des régions, celles-ci deviennent la collectivité en charge des transports hors des agglomérations, y compris les transports scolaires. Les aides aux entreprises, ainsi que la coordination des politiques de l'emploi seront aussi de leur ressort. Le seuil des intercommunalités est fixé à 15 000 habitants ; toutefois, ce seuil est adapté, sans pouvoir être inférieur à 5 000 habitants pour les EPCI à fiscalité propre. La loi du 7 août 2015 crée également le nouveau plan régional de prévention et de gestion des déchets, qui fixe une limite aux capacités annuelles d'élimination des déchets non dangereux non inertes, qui ne peut être supérieure à une valeur établie par décret en Conseil d'Etat. Cette valeur peut varier selon les collectivités territoriales. Cette limite s'applique lors de la création de toute nouvelle installation d'élimination des déchets non dangereux non inertes, lors de l'extension de capacité d'une installation existante, ou lors d'une modification substantielle de la nature des déchets admis dans une telle installation. En matière d'urbanisme, la commune nouvelle compétente en matière de PLU ou de document en tenant lieu peut décider d'achever toute procédure d'élaboration ou d'évolution d'un PLU ou de document en tenant lieu applicable sur le territoire des anciennes communes qui aurait été engagée avant la date de création de la commune nouvelle. Enfin, la commune nouvelle se substitue de plein droit aux anciennes communes dans tous les actes et délibérations afférents aux procédures engagées avant la date de sa création.

newsid:448788

Commercial

[Brèves] Loi "Macron" : dispositions relatives à la cession de fonds de commerce

Réf. : Loi n° 2015-990 du 6 août 2015, pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques (N° Lexbase : L4876KEC)

Lecture: 2 min

N8767BUA

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/25968486-edition-n-623-du-03-09-2015#article-448767
Copier

Le 03 Septembre 2015

L'article 107 de la loi "Macron", publiée au Journal officiel du 7 août 2015, apporte plusieurs simplifications en matière de cession de fonds de commerce (loi n° 2015-990 du 6 août 2015, pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques N° Lexbase : L4876KEC). Ainsi, le délai d'inscription du privilège du vendeur du fonds est allongé : il est désormais de trente jours suivant la date de l'acte de vente, et non plus dans la quinzaine de la date de l'acte (C. com., art. L. 141-6, nouv. N° Lexbase : L1852KGP). Le délai de l'inscription du nantissement du fonds de commerce est identiquement réduit : elle doit être prise, à peine de nullité du nantissement, dans les trente jours suivant la date de l'acte constitutif (C. com., art. L. 142-4, nouv. N° Lexbase : L1841KGB). L'obligation de publier la cession dans un journal d'annonces légales (C. com., art. L. 141-12, nouv. N° Lexbase : L1851KGN et C. com., art. L. 141-18, abrogé N° Lexbase : L5683AIC) et l'obligation d'enregistrer l'acte de cession lorsque celui est reçu par acte notarié (C. com., art. L. 141-13 N° Lexbase : L1850KGM) sont supprimées. Les créanciers du vendeur peuvent, en outre, désormais, former opposition au paiement du prix par lettre recommandée avec demande d'avis de réception (C. com., art. L. 141-14 N° Lexbase : L1849KGL), l'acte extrajudiciaire n'étant plus la seule forme requise par le texte. Le droit de surenchère est également supprimé (C. com., art. L. 141-19, nouv. N° Lexbase : L1845KGG). Quant à la demande par le vendeur de la mainlevée de l'opposition en cas d'irrégularité ou, à défaut, de son cantonnement, elle ne doit plus être présentée obligatoirement devant le président du tribunal de grande instance statuant en référé, les textes prévoyant désormais qu'il se pourvoit devant le président du tribunal statuant en référé (C. com., art. L. 141-15, nouv. N° Lexbase : L1848KGK et L. 141-16 N° Lexbase : L1847KGI). De même, en cas d'adjudication du fonds à la demande du vendeur ou du créancier gagiste inscrits sur un fonds de commerce, l'ancien article L. 143-7 du Code de commerce prévoyait qu'"il est statué, s'il y a lieu, sur les moyens de nullité de la procédure de vente antérieure à l'adjudication, et sur les dépens, par le président du tribunal de grande instance de l'arrondissement où s'exploite le fonds". Désormais le texte vise seulement "le président du tribunal" (C. com., art. L. 143-7, nouv. N° Lexbase : L1840KGA).

newsid:448767

Consommation

[Brèves] Loi "Macron" : dispositions de droit de la consommation

Réf. : Loi n° 2015-990 du 6 août 2015, pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques (N° Lexbase : L4876KEC)

Lecture: 2 min

N8765BU8

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/25968486-edition-n-623-du-03-09-2015#article-448765
Copier

Le 03 Septembre 2015

La loi "Macron", publiée au Journal officiel du 7 août 2015, contient un certain nombre de dispositions relatives au droit de la consommation (loi n° 2015-990 du 6 août 2015, pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques N° Lexbase : L4876KEC). Ainsi l'article 40 prévoit, désormais, que l'action en suppression des clauses illicites ou abusives s'applique aux contrats "en cours ou non" (C. consom., art. L. 141-1 N° Lexbase : L5869KGH, L. 421-2 N° Lexbase : L1775KGT et L. 421-6 N° Lexbase : L1774KGS). L'article 41 instaure, par ailleurs, la possibilité pour une association de consommateurs, à l'occasion d'une action portée devant les juridictions civiles et ayant pour objet la réparation d'un préjudice subi par un ou plusieurs consommateurs à raison de faits non constitutifs d'une infraction pénale, d'agir conjointement ou d'intervenir pour obtenir réparation de tout fait portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif des consommateurs et demander, le cas échéant, la suppression des clauses illicites ou abusives (C. consom., art. L. 421-7 N° Lexbase : L1776KGU). Le double affichage des prix de vente et d'usage (loi n° 2014-344 du 17 mars 2014, relative à la consommation, art. 4 N° Lexbase : L7504IZX), qui n'était qu'une simple disposition expérimentale, est pérennisé tout en restant facultatif, puisque le nouvel article 4 de la loi "Hamon" prévoit désormais que "les vendeurs de produits peuvent pratiquer l'affichage d'un double prix pour un même bien : un prix de vente et un prix d'usage défini au second alinéa du présent article". La loi crée, en outre, une obligation d'information en matière de mise en relation par voie électronique (C. consom., art. L. 111-5-1 N° Lexbase : L1616KGX). Ainsi, toute personne mettant en relation par voie électronique des parties en vue de la vente d'un bien, de la fourniture d'un service ou de l'échange ou du partage d'un bien ou d'un service est tenue d'une obligation d'information loyale, claire et transparente sur les conditions générales d'utilisation du service d'intermédiation et sur les modalités de référencement, de classement et de déréférencement des offres mises en ligne. Des informations complémentaires doivent également être fournies selon que la mise en relation concerne uniquement des consommateurs avec des non-professionnels ou des consommateurs et des professionnels. Le contenu de ces informations et leurs modalités de communication sont fixés par décret et tout manquement à cette obligation est passible d'une amende administrative dont le montant ne peut excéder 75 000 euros pour une personne physique et 375 000 euros pour une personne morale (C. consom., art. L. 116-6-1 N° Lexbase : L1617KGY). Le non-respect de leurs obligations d'information par les comparateurs de prix sur internet est sanctionné identiquement, alors que, antérieurement à la loi "Macron", ils n'encouraient qu'une amende de 3 000 euros pour une personne physique et 15 000 euros pour une personne morale.

newsid:448765

Contrôle fiscal

[Brèves] Inopérance devant le juge de l'impôt d'un moyen contestant une procédure de visite domiciliaire et de saisie ouverte devant la juridiction judiciaire

Réf. : CE 9° et 10° s-s-r., 27 juillet 2015, n° 367151, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A0740NNQ)

Lecture: 2 min

N8696BUM

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/25968486-edition-n-623-du-03-09-2015#article-448696
Copier

Le 04 Septembre 2015

Il résulte des dispositions des articles L. 16 B du LPF (N° Lexbase : L2641IX4) et 164 de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008, de modernisation de l'économie (N° Lexbase : L7358IAR), d'une part, qu'une société, dûment informée par l'administration du recours ouvert devant la juridiction judiciaire, ne peut utilement critiquer devant le juge de l'impôt l'objectif et le déroulement des visites ayant donné lieu à une autorisation de l'autorité judiciaire et menées sous son contrôle, d'autre part, que la décision de recourir à la procédure de visite et de saisie prévue par les dispositions de l'article L. 16 B du LPF ne peut être utilement contestée devant le juge de l'impôt. Ainsi, le moyen tiré de ce que le recours à ces dispositions aurait reposé sur un détournement de procédure est inopérant. Telle est la solution retenue par le Conseil d'Etat dans un arrêt rendu le 27 juillet 2015 (CE 9° et 10° s-s-r., 27 juillet 2015, n° 367151, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A0740NNQ). En l'espèce, la société requérante a porté en charges déductibles des dépenses de publicité et de communication, de 2002 à 2004, que lui avait refacturées une autre société. S'agissant de la procédure d'imposition, les dispositions précitées ouvrent aux personnes soumises à des visites domiciliaires la faculté de saisir le premier président de la cour d'appel d'un appel de l'ordonnance autorisant la visite des agents de l'administration fiscale ainsi que d'un recours contre le déroulement de ces opérations. Egalement, l'article 164 de la loi du 4 août 2008 comporte des dispositions transitoires destinées à ouvrir un recours similaire contre l'ordonnance du juge des libertés et de la détention rendue dans des procédures de visite et de saisie achevées avant l'entrée en vigueur de la loi du 4 août 2008. Par conséquent, au cas présent, selon les termes de la solution dégagée par les Hauts magistrats, les moyens du pourvoi tirés de ce que la cour administrative d'appel (CAA Paris, 24 janvier 2013, n° 11PA01556, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A9065I8A) aurait, en répondant au moyen tiré de ce que le recours aux dispositions aurait reposé sur un détournement de procédure, commis une erreur de droit et entaché son arrêt d'insuffisance et de contradiction de motifs ne peuvent qu'être écartés .

newsid:448696

Droit des étrangers

[Brèves] Publication de la loi relative à la réforme du droit d'asile

Réf. : Loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015, relative à la réforme du droit d'asile (N° Lexbase : L9673KCA)

Lecture: 2 min

N8790BU4

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/25968486-edition-n-623-du-03-09-2015#article-448790
Copier

Le 07 Septembre 2015

La loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015, relative à la réforme du droit d'asile (N° Lexbase : L9673KCA), a été publiée au Journal officiel du 30 juillet 2015. Concernant la réforme en matière d'accueil, l'hébergement peut être refusé dans le cadre d'une demande de réexamen ou si la personne n'a pas sollicité l'asile dans un délai de 120 jours après être entrée et s'être maintenue en France irrégulièrement. L'allocation pour demandeur d'asile, versée par l'Office français de l'immigration et de l'intégration, remplace l'allocation temporaire d'attente, versée par Pôle Emploi. Si aucune décision n'a été prise par l'OFPRA dans un délai de neuf mois, le demandeur a accès au marché du travail (C. entr. séj. étrang. et asile, art. L. 744-11 N° Lexbase : L6598KDQ), contre douze mois auparavant. En matière de procédure, la demande d'asile manifestement infondée autorise le ministre chargé de l'Immigration à refuser l'entrée, mais il doit auparavant saisir l'OFPRA pour avis et se trouve en compétence liée lorsque ce dernier estime que la demande d'asile n'est pas manifestement infondée. Par ailleurs, pour se mettre en conformité avec les textes européens, la loi abandonne toute distinction entre demandeurs admis au séjour et demandeurs non admis au séjour. En outre, en réaction aux jurisprudences de la CJUE et de la CEDH, la loi supprime tout caractère automatique du maintien en rétention du demandeur d'asile et de l'examen en procédure prioritaire, désormais intitulée "procédure accélérée". Il est désormais possible d'introduire un recours suspensif devant le tribunal administratif contre la mesure de placement et, désormais aussi, contre la mesure de maintien en rétention en raison du dépôt d'une demande d'asile. Devant l'OFPRA, la procédure prioritaire fait place à la procédure accélérée. La durée pour statuer devrait être fixée à quinze jours, comme sous l'empire de la procédure dite prioritaire. La loi prévoit enfin des droits plus importants pour les personnes protégées. Ainsi, le bénéfice du parcours d'accueil (accompagnement personnalisé pour l'accès à l'emploi et au logement), jusqu'alors réservé au réfugié, est étendu au bénéficiaire de la protection subsidiaire. La loi consacre aussi la possibilité, pour le réfugié reconnu, comme pour le bénéficiaire de la protection subsidiaire, de demander le bénéfice de la réunification familiale, sans condition de durée préalable de séjour régulier (lire N° Lexbase : N8741BUB).

newsid:448790

Droit des étrangers

[Doctrine] La "réforme" du droit d'asile

Réf. : Loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015, relative à la réforme du droit d'asile (N° Lexbase : L9673KCA)

Lecture: 31 min

N8741BUB

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/25968486-edition-n-623-du-03-09-2015#article-448741
Copier

par Caroline Lantero, Maître de conférences en droit public, EA4232, Avocate associée, JudisConseil, codirectrice scientifique de l'Encyclopédie "Droit des étrangers"

Le 08 Septembre 2015

La réforme du droit d'asile était attendue tant par ceux qui en appellent à la maîtrise des "flux migratoires" (de toutes sortes, en ce compris les mouvements de réfugiés), qu'aux protecteurs des libertés formulant le voeu du respect du droit d'asile et de la garantie des droits des personnes ayant besoin d'une protection internationale. Au coeur du projet ayant abouti à la publication de la loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015, relative à la réforme du droit d'asile (N° Lexbase : L9673KCA), le discours est majoritairement celui d'une réforme d'un "système à bout de souffle" (1), prenant notamment acte du rapport "Touraine-Letard" (2) remis au ministre de l'Intérieur le 28 novembre 2013 et pointant les nombreux dysfonctionnements du système français de l'asile, au premier rang desquels la lenteur des procédures et la saturation des dispositifs matériels d'accueil des demandeurs. En tout état de cause, une réforme était nécessaire afin de transposer les nouvelles Directives dites du "paquet asile" de juin 2013 : la Directive "Procédures" (3) et la Directive "Accueil" (4). Elle a également été l'occasion d'inscrire dans la loi elle-même plusieurs dispositions de la Directive "Qualification" de 2011 (5), déjà appliquées (6) mais pas encore inscrites dans le Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, quelques dispositions du Règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 (N° Lexbase : L9626A9E), dit Règlement "Dublin" (bien que d'applicabilité directe) et plusieurs dispositions directement d'origine jurisprudentielle (Conseil d'Etat, Conseil constitutionnel, CEDH et CJUE). Peu de marge de manoeuvre juridique ou d'ambition, en réalité, dans cette entreprise de toilettage de la loi et dans ce mécanisme de transposition des Directives européennes.

Politiquement, les prophètes de l'asphyxie ont souligné l'augmentation du nombre de la demande d'asile et alimenté le discours du détournement de l'asile à des fins d'immigration. Dès les toutes premières phrases de l'exposé des motifs du projet de loi, le ton est donné : l'usage du système de l'asile s'est "perverti au fil de ces dernières années", il est en "dérive" en raison d'un "recours abusif à la procédure d'asile", il incite par lui-même aux "demandes abusives", il "crée une incitation au détournement de la procédure d'asile à des fins migratoires", etc.. Les débats parlementaires ont donné l'occasion aux plus "asphyxiés" d'émettre de nombreuses propositions juridiquement déconcertantes qui n'ont toutefois pas résisté à la discussion. Parmi elles, la clôture du dossier d'examen de la demande d'asile lorsque le demandeur a quitté son lieu d'hébergement, la compétence liée de l'OFPRA pour retirer le statut de réfugié ou la protection subsidiaire, la réduction du délai de recours de quinze à sept jours contre une décision de transfert "Dublin", ou encore la décision définitive de rejet de la demande d'asile valant obligation de quitter le territoire français (OQTF) avec interdiction de se maintenir sur le territoire à un autre titre que l'asile.

Certes, le processus législatif s'est inscrit dans un contexte migratoire sans précédent depuis la seconde Guerre Mondiale, en raison d'une très forte augmentation de la demande de protection (notamment syrienne et érythréenne) dans les pays de l'Union européenne. Une augmentation de 44 % en 2014 (sauf pour la France avec une baisse de 5 %) (7) et une augmentation de 68 % pour les cinq premiers mois de l'année 2015 (8). Mais les travaux parlementaires se sont aussi inscrits dans un contexte de "crise des réfugiés", avec la multiplication des drames et des morts, principalement en mer.

On ne peut que s'interroger sur l'inutile discours de fermeté (voire de fermeture) ressenti à la lecture du projet de loi et des débats qui ont suivi dès lors que la marge de manoeuvre laissée au législateur était, en réalité, assez étroite. De plus, et tout en souscrivant aux critiques émises à l'encontre du régime d'asile européen commun qui s'éloigne de l'esprit et la lettre de la Convention de Genève de 1951 (9) et ne propose d'ailleurs aucun outil cohérent pour répondre à la "crise des réfugiés" (10), les Directives "refondues" du "paquet asile" apportent un léger "souffle" de protection dans la législation française. Ainsi, la loi adoptée est globalement plus protectrice qu'avant.

La loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015, relative à la réforme du droit d'asile, n'est pas une réforme "en profondeur" du système d'asile français comme elle était revendiquée. Il s'agit, d'abord et avant tout, d'une loi de transposition, dont la présentation synthétique pourrait d'ailleurs s'articuler autour des intitulés des Directives "Qualification", "Accueil" et "Procédures". Certaines dispositions sont entrées en vigueur avec effet rétroactif pour les demandes enregistrées à compter du 20 juillet 2015 (date limite de transposition de certaines dispositions des Directives) (11). D'autres sont entrées en vigueur le 31 juillet 2015 (au lendemain de la publication de la loi), d'autres enfin, les plus nombreuses, entreront en vigueur dès que les décrets en Conseil d'Etat seront pris, et au plus tard le 1er novembre 2015.

Afin de suivre le parcours du demandeur de protection, la présente contribution est articulée autour de la réforme en matière d'accueil (I), en matière de procédure (II) et en matière de protection (III). Les développements qui suivent soulignent les éléments principaux de nouveauté, qu'ils soient simplement issus de la transposition, qu'ils soient mal transposés, ou qu'ils s'inscrivent en marge des textes européens.

I - Des conditions d'accueil plus étoffées mais plus directives

Un nouveau chapitre (12) est consacré aux "conditions d'accueil des demandeurs d'asile" et donne un rôle central à l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), chargé de centraliser l'organisation, la gestion et le contrôle du dispositif national d'accueil.

La mise en place d'un guichet unique à la préfecture, où sera présent un représentant de l'OFII est l'une des grandes nouveautés de la loi mais soulève inévitablement quelques inquiétudes quant à l'importance du rôle de cet Office, qui est un établissement public sous tutelle du ministère de l'Intérieur, notamment en ce qu'il doit évaluer la vulnérabilité des demandeurs.

Dès que la demande d'asile est enregistrée (cf. infra), l'OFII doit proposer les prestations d'accueil et les allocations prévues par la Directive "Accueil", à savoir logement, nourriture, habillement et allocation de subsistance. L'OFII doit procéder à un entretien personnel à des fins d'"évaluation des besoins" du demandeur d'asile et en tenant particulièrement compte de la situation spécifique des personnes vulnérables (mineurs, mineurs non accompagnés, personnes en situation de handicap, personnes âgées, femmes enceintes, parents isolés accompagnés d'enfants mineurs, victimes de la traite des êtres humains, personnes atteintes de maladies graves, personnes souffrant de troubles mentaux et personnes qui ont subi des tortures, des viols ou d'autres formes graves de violence psychologique, physique ou sexuelle, telles que des mutilations sexuelles féminines), comme l'indique l'article L. 744-6 (N° Lexbase : L6611KD9). Ces dispositions sont applicables pour les demandes enregistrées à compter du 20 juillet 2015.

La loi précise que cet examen de vulnérabilité ne préjuge en rien de l'appréciation que fera l'OFPRA qui, lui-même, conduira un tel examen. Un double scrutin de la vulnérabilité est donc mis en place, ce qui peut faire craindre un effet pervers s'agissant du traitement de ceux qui n'auront pas été considérés comme vulnérables. Au-delà du problème de compétences sanitaires et sociales des agents de l'OFII (bien que la loi prévoit qu'ils reçoivent une "formation spécifique"), certains redoutent un effet de tri (13).

Il est important de relever que le bénéfice d'un hébergement et d'une allocation sont ouverts à tous les demandeurs d'asile, qu'ils relèvent de la procédure de droit commun, de la procédure accélérée, ou de la mise en oeuvre du Règlement "Dublin"... à condition d'en accepter les conditions.

A - L'hébergement

Les conditions et la durée d'hébergement sont prévues dans les dispositions des articles L. 744-1 (N° Lexbase : L6616KDE) et suivants du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Les nouvelles dispositions impliquent nécessairement d'augmenter les capacités d'accueil, ce qui est conforme aux garanties d'accueil exigées par la Directive "Accueil". Mais l'hébergement devient également ouvertement très directif, pour ne pas dire contraignant. Il est évident qu'il a aussi vocation à garder sous contrôle (de l'OFII) la situation géographique des demandeurs de protection.

Dans le cadre d'un schéma national d'accueil des demandeurs d'asile, arrêté par le ministre de l'Intérieur, et de schémas régionaux établis par les préfets, l'OFII prend toutes les décisions d'admission (mais aussi les décisions de sortie et de changement de lieu) dans un lieu d'hébergement pour demandeurs d'asile. Il coordonne toutes les admissions au moyen d'un traitement automatisé de celles-ci, pour tous les lieux d'hébergement (CADA ou autres), étant précisé que l'admission doit être acceptée par le demandeur d'asile après qu'il a été informé des conséquences de l'acceptation ou du refus de l'hébergement proposé. En cas de refus, le demandeur ne peut se prévaloir du droit à un logement opposable prévu par les dispositions du Code de l'action sociale et des familles, ni bénéficier de l'allocation de subsistance.

L'hébergement peut être refusé dans le cadre d'une demande de réexamen ou si la personne n'a pas sollicité l'asile dans un délai de 120 jours après être entrée et s'être maintenue en France irrégulièrement. L'hébergement peut également être suspendu si le demandeur d'asile l'abandonne ou ne respecte pas ses obligations dans le cadre de l'instruction de la demande d'asile. Enfin, l'hébergement peut être retiré en cas d'informations mensongères du demandeur d'asile sur sa situation financière ou sur sa situation familiale (ces raisons ne sont pas prévues dans la Directive "Accueil"), et en cas de "comportement violent" ou de "manquements graves au règlement du lieu d'hébergement".

La décision de refus, de suspension ou de retrait doit être écrite, motivée et prise après que le demandeur a été mis en mesure de présenter ses observations écrites.

En dehors de ces situations, l'hébergement prend normalement fin avec la décision définitive sur la demande de protection (admission ou rejet), ou avec le transfert effectif de la personne vers l'Etat responsable de la demande d'asile, mais il pourra être prolongé "à titre exceptionnel et temporaire" dans des conditions qui seront fixées par décret.

Si la personne doit quitter le lieu d'hébergement et qu'elle ne le fait pas malgré une mise en demeure, elle sera regardée comme un occupant sans titre et l'autorité administrative pourra solliciter le juge des référés "mesures utiles" (14).

B - L'allocation pour demandeur d'asile

L'allocation pour demandeur d'asile (ADA), versée par l'OFII, remplace l'allocation temporaire d'attente (ATA), versée par Pôle Emploi (15).

Conditionnée à l'acceptation des conditions matérielles d'accueil proposées, l'ADA est ouverte à tous jusqu'à la décision définitive sur la demande d'asile ou jusqu'au transfert effectif du demandeur vers un autre Etat membre en application du Règlement "Dublin".

Cette allocation sera évaluée en fonction des ressources, de l'âge du demandeur et de son mode d'hébergement. Son montant et le barème d'évaluation doivent être fixés par décret.

C - L'accès au travail

Alors que l'article 15 de la Directive "Accueil" prescrit un accès effectif au marché du travail "dans un délai maximal de neuf mois", la loi se livre à une transposition très libre en disposant que, si aucune décision n'a été prise par l'OFPRA dans un délai de neuf mois, le demandeur a accès au marché du travail (C. entr. séj. étrang. et asile, art. L. 744-11 N° Lexbase : L6598KDQ). Certes, le délai était auparavant de douze mois, mais cela reste directement contraire à la Directive, et ne garantit, en tout état de cause, aucun droit au travail.

II - Des procédures assorties de garanties mais plus rationalisées

Le présent développement ne suit pas nécessairement la rédaction de la loi mais plutôt le parcours du demandeur.

A - La procédure d'asile à la frontière

Elle est désormais prévue, par les dispositions des articles L. 213-8-1 (N° Lexbase : L2557KD3) et L. 213-8-2 (N° Lexbase : L2558KD4), que le ministre chargé de l'Immigration reste compétent pour refuser l'entrée du demandeur en France et pour décider de son placement en zone d'attente lorsque la demande d'asile relève de la compétence d'un autre Etat membre de l'UE (Règlement "Dublin") ou lorsqu'elle est irrecevable (cf. infra).

La "demande d'asile manifestement infondée", bien connue de la pratique, intègre le droit positif français accompagnée d'une définition, elle aussi, bien connue des organismes de détermination du statut, mais dont les contours restent très flous. Il s'agit d'une demande "manifestement dénuée de pertinence" ou "manifestement dépourvue de crédibilité". Dans un tel cas, le ministre chargé de l'Immigration est également habilité à refuser l'entrée, mais il doit auparavant saisir l'OFPRA pour avis et se trouve en compétence liée lorsque ce dernier estime que la demande d'asile n'est pas manifestement infondée. Il n'est plus en compétence liée lorsque l'étranger peut représenter une "menace grave pour l'ordre public". L'appréciation du ministre chargé de l'Immigration est alors souveraine et sans contrôle.

Des garanties sont insérées à l'article L. 221-1 (N° Lexbase : L2584KD3), conformément aux Directives européennes, afin de préserver les personnes particulièrement vulnérables et les mineurs (c'est-à-dire de mettre un terme au maintien en zone d'attente) en autorisant leur entrée en France au titre de l'asile.

L'étranger autorisé à entrer en France au titre de l'asile se voit délivrer une attestation de demande d'asile et un visa de régularisation de huit jours.

B - A la préfecture

Pour se mettre en conformité avec la Directive "Procédures", la loi abandonne toute distinction entre demandeurs admis au séjour et demandeurs non admis au séjour. Jusqu'alors, les premiers pouvaient séjourner librement et déposer leur demande d'asile devant l'OFPRA selon la procédure de droit commun. Les seconds étaient placés en procédure prioritaire, avec des conditions d'accueil limitées (aide médicale, allocation temporaire d'attente). Il existe désormais une procédure d'enregistrement et non plus d'admission (1), suivie d'un examen "Dublin" (2), et la consécration d'un droit au maintien (qui, attention, n'est pas un droit au séjour) sur le territoire le temps de l'examen de la demande d'asile (3) (16).

1 - Une procédure d'enregistrement

Aux termes de la nouvelle rédaction de l'article L. 741-1 (N° Lexbase : L6640KDB), applicable depuis le 31 juillet 2015, et sauf pour les demandes d'asile à la frontière ou en rétention, le préfet enregistre la demande d'asile (au plus tard trois jours après la demande, dix jours maximum en cas de nombreuses demandes simultanées) et délivre une attestation de demande d'asile (selon des modalités et pour une durée de validité à définir par le pouvoir réglementaire), y compris au demandeur susceptible d'être "dubliné", ce qui est alors dûment précisé sur l'attestation. Le préfet doit donc seulement pouvoir identifier la personne concernée, l'exigence d'une domiciliation ayant, par ailleurs, disparu. L'étendue du pouvoir d'appréciation du préfet sur la demande d'asile a été considérablement réduite. La mise en oeuvre et le respect pratique des délais d'enregistrement fixés par la loi restent en question.

2 - Une procédure de détermination de l'Etat responsable de l'examen de la demande d'asile encadrée

La loi insère dans les articles L. 742-1 (N° Lexbase : L6651KDP) et suivants du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile les prescriptions du Règlement "Dublin" relatif à la détermination de l'Etat responsable de la demande d'asile (17), lequel est d'applicabilité directe et ne nécessitait pas de mesure de transposition mais commandait toutefois une modification législative de taille afin de confirmer la garantie d'un recours "effectif" contre la décision de transfert. Les guillemets sont nécessaires compte tenu des délais prévus.

Désormais, les articles L. 741-4 (N° Lexbase : L6637KD8) et L. 741-5 prévoient qu'un recours suspensif (mais exclusif de tout autre) peut être introduit dans un délai de quinze jours contre la décision de transfert, devant le tribunal administratif, qui doit lui-même statuer dans un délai de quinze jours. En cas de mesure d'éloignement (placement en rétention ou assignation à résidence), le délai de recours, lui aussi suspensif, est toujours de quarante-huit heures, et le juge doit toujours statuer en soixante-douze heures.

3 - La fin de l'admission au séjour et l'avènement du droit au maintien sur le territoire

Le contentieux du refus d'admission au séjour disparaît donc quasiment puisque seul un contentieux des décisions de transfert "Dublin" est désormais susceptible de naître. Aux termes d'un nouveau chapitre du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile "Droit au maintien sur le territoire français" (articles L. 743-1 N° Lexbase : L6612KDA et suivants), le demandeur d'asile a le "droit de se maintenir sur le territoire français jusqu'à la notification de la décision de l'office ou, si un recours a été formé, jusqu'à la notification de la décision de la Cour nationale du droit d'asile". Là encore, il s'agissait de se mettre en conformité avec les dispositions de la Directive "Procédures".

Désormais, le préfet n'est plus en mesure de refuser l'admission au séjour pour des raisons autres que l'application du Règlement "Dublin", raisons telles que le "pays d'origine sûr", la "menace grave pour l'ordre public" ou la demande d'asile "frauduleuse" ou "abusive".

C - Procédure d'asile en rétention

La loi insère dans le Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile un chapitre inédit consacré aux "demandes d'asile en rétention" (Livre V, Titre V, Chapitre IV). En réaction aux jurisprudences de la CJUE (19) et de la CEDH (20) et en conformité avec la Directive "Accueil" (21), la loi supprime tout caractère automatique du maintien en rétention du demandeur d'asile et de l'examen en procédure prioritaire, désormais intitulée "procédure accélérée". L'OFPRA est donc libre d'apprécier si l'examen mérite d'être conduit selon la procédure "normale" et, dans ce cas, il est immédiatement mis fin à la rétention. Sinon, la procédure accélérée s'applique et l'OFPRA doit statuer dans un délai de quatre-vingt seize heures (C. entr. séj. étrang. et asile, art. L. 556-1 N° Lexbase : L2559KD7).

La nouveauté la plus remarquable, dictée par la Directive "procédures", est la possibilité d'introduire un recours suspensif devant le tribunal administratif contre la mesure de placement et, désormais aussi, contre la mesure de maintien en rétention en raison du dépôt d'une demande d'asile (C. entr. séj. étrang. et asile, art. L. 556-1), ainsi qu'un recours suspensif devant la CNDA contre l'éventuelle décision de rejet de l'OFPRA (voir l'article L. 743-1 sur lequel nous reviendrons). Aucun éloignement ne peut être mis à exécution tant que les juges n'ont pas statué.

En pratique toutefois, l'articulation du contentieux en rétention administrative soulève de grandes difficultés qui alimentent la critique aux termes de laquelle un recours suspensif n'est pas nécessairement un recours effectif. Plus problématique, cette articulation est totalement dépourvue de sens (22).

En premier lieu, il faut toujours saisir le juge administratif dans un délai incroyablement bref de quarante-huit heures alors qu'il n'y a ni avocat, ni interprète dans les centres de rétention. Or, un recours a idéalement vocation à être recevable et si possible favorablement accueilli, ce qui nécessite quelque travail. En deuxième lieu, le juge administratif doit statuer dans un délai de soixante-douze heures à compter de la notification de la décision -nécessairement de rejet- de l'OFPRA, ce qui implique donc d'attendre que l'OFPRA statue (quatre-vingt seize heures, soit quatre jours), d'attendre l'acheminement de la notification, puis d'attendre la décision du juge administratif (soixante-douze heures, soit trois jours). La loi précise que le juge administratif peut, le cas échéant, statuer par une seule décision sur la requête dirigée contre le placement et la requête dirigée contre le maintien. Mais, et en troisième lieu, le juge des libertés et de la détention sera dans tous les cas déjà intervenu cinq jours après le placement en rétention (C. entr. séj. étrang. et asile, art. L. 552-1 N° Lexbase : L5079IQ8 et suivants) et la décision judiciaire s'imposera à la décision administrative, privant d'objet le recours introduit devant le tribunal administratif. Quid ?

D - Devant l'OFPRA

Le titre II (l'OFPRA) du livre VII (Le droit d'asile) est probablement celui qui connaît le plus de modifications. Quelques précisions sont apportées aux missions de l'OFPRA, qui a désormais l'obligation légale (non assortie de sanction) d'établir un rapport annuel (ce qu'il faisait déjà), et à son organisation avec un conseil d'administration qui doit désormais respecter la parité homme-femme. La définition du pays d'origine sûr telle que fixée par la Directive "procédure" est en outre insérée à l'article L. 722-1 (N° Lexbase : L9209H3H) et les modalités d'établissement de la liste des pays sûrs sont encadrées.

L'indépendance de l'OFPRA est consacrée à travers plusieurs dispositions (23), ce qui était attendu et logique et qui est donc globalement salué. Ce qui explique encore plus mal les velléités de lier sa compétence en matière de retrait ou de refus du statut de réfugié ou de la protection subsidiaire.

Mais l'essentiel des nouveautés réside dans le chapitre relatif à l'"examen des demandes d'asile" (24), étant précisé que l'OFPRA reste incompétent pour connaître d'une demande d'asile relevant de la responsabilité d'un autre Etat en application du Règlement "Dublin".

1 - La procédure accélérée

La procédure prioritaire fait place à la mieux nommée procédure accélérée (C. entr. séj. étrang. et asile, art. L. 723-2 N° Lexbase : L2578KDT). La durée pour statuer devrait être fixée à quinze jours, comme sous l'empire de la procédure dite prioritaire (25). Il revient au pouvoir réglementaire de la fixer. Dans le projet de loi, le voeu formulé pour obtenir une décision définitive (comprenant un recours devant la CNDA) est de trois mois.

Elle est automatiquement mise en oeuvre pour les demandeurs provenant d'un pays considéré comme pays d'origine sûr et pour les demandes de réexamen qui ne sont pas irrecevables.

Elle est facultativement mise en oeuvre, par l'OFPRA, lorsque la demande lui paraît frauduleuse (faux documents, fausses informations, fausse identité, demandes multiples, etc.), lorsque le demandeur ne soulève "que des questions sans pertinence" au regard de la demande d'asile formulée ou lorsque le demandeur fait à l'OFPRA des "déclarations manifestement incohérentes et contradictoires, manifestement fausses ou peu plausibles".

L'OFPRA doit également statuer en procédure accélérée lorsque le préfet aura constaté (il retrouve ici ses pouvoirs relatifs à feue l'admission au séjour) : que le demandeur refuse de donner ses empreintes digitales et de se conformer au Règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 (N° Lexbase : L9350I43), dit Règlement "Eurodac" ; qu'il présente de faux documents, fournit de fausses indications, présente plusieurs demandes sous plusieurs identités, etc. ; qu'il est entré et s'est maintenu irrégulièrement en France sans présenter de demande d'asile dans un délai de cent vingt jours à compter de son entrée en France ; qu'il ne présente une demande d'asile que pour faire échec à une mesure d'éloignement ou ; que sa présence constitue une menace grave pour l'ordre public.

Les mineurs peuvent également faire l'objet d'une procédure accélérée s'ils ont refusé de se conformer au Règlement "Eurodac" ou si leur présence constitue une menace grave pour l'ordre public.

Pour lui réserver un pouvoir d'appréciation et sauvegarder son indépendance, la loi prévoit que l'OFPRA conserve, dans tous les cas, l'obligation de procéder à un examen individuel et peut décider de reclasser la demande en procédure "normale". La décision (de statuer ou de ne pas statuer en procédure accélérée) n'est pas détachable de sa décision sur la protection et ne peut être contestée que devant la CNDA avec ladite décision.

L'OFPRA peut également définir des modalités particulières d'examen en procédure accélérée ou refuser de statuer en procédure accélérée, en tenant compte, conformément encore aux dispositions de la Directive "Procédures", de la situation particulière du demandeur et/ou de l'évaluation de vulnérabilité à laquelle aura procédé l'OFII (C. entr. séj. étrang. et asile, art. L. 744-6 N° Lexbase : L6611KD9).

2 - L'instruction et les garanties procédurales

Aux termes de la loi, le délai d'instruction dans le cadre de la procédure "normale" a vocation à ne pas dépasser neuf mois (contre dix-huit en moyenne actuellement) pour aboutir à une décision définitive. Quelle que soit la procédure suivie, un certain nombre de garanties procédurales ont été précisées en application de la Directive "Procédures", mais aussi de la Directive "Qualification".

Pour l'instruction de la demande de protection, le principe d'une coopération entre le demandeur et l'OFPRA est posé. Le premier doit tout mettre en oeuvre pour étayer sa demande, et les modalités d'évaluation des craintes et risques invoqués sont précisées pour le second, qui statue toujours au terme d'une instruction unique pour les demandes de statut de réfugié et les demandes de protection subsidiaire (C. entr. séj. étrang. et asile, art. L. 723-4).

L'OFPRA peut désormais solliciter un examen médical, qui sera réalisé par un médecin désigné par arrêté conjoint des ministres chargés de l'Asile et de la Santé, mais qui peut être refusé par le demandeur (C. entr. séj. étrang. et asile, art. L. 723-5 (26)). Secret médical oblige, les officiers de protection ne connaîtront pas les résultats mais seront seulement destinataires d'un certificat médical synthétique qui risque de ne rien apporter à l'instruction. La loi précise que le refus de l'intéressé de se soumettre à un examen médical "ne fait pas obstacle à ce que l'office statue sur sa demande". Concrètement donc, pas de décision de clôture ou d'irrecevabilité. Mais quid de la portée du refus sur l'instruction de la demande ?

Aux termes du nouvel article L. 723-6 (N° Lexbase : L2553KDW), une convocation à un entretien individuel demeure obligatoire et la dispense ne peut désormais avoir lieu que si l'OFPRA s'apprête à reconnaître la qualité de réfugié à partir des seuls éléments en sa possession, ou si le demandeur ne peut se présenter à l'entretien pour des raisons médicales "durables et indépendantes de sa volonté". Auparavant, la dispense de convocation était également justifiée lorsque la demande paraissait "manifestement infondée" ou lorsque les circonstances dans le pays d'origine motivaient un retrait du statut. Cet entretien doit permettre au demandeur d'être entendu isolément des membres de sa famille, dans la langue de son choix, le cas échéant par un agent du sexe de son choix en présence d'un interprète du sexe de son choix. L'innovation majeure (qui est une transposition de la Directive "Procédures") réside dans la possibilité de se faire accompagner par un avocat, ou d'un représentant d'une association habilitée à cet effet. Cette disposition est d'ores et déjà entrée en vigueur (le 20 juillet 2015) mais, compte tenu de la jeunesse du dispositif, il est difficile d'en tirer aujourd'hui le moindre commencement de bilan. L'articulation du rôle des associations et de celui des avocats, et l'absence de prise en charge de l'intervention de ces derniers au titre de l'aide juridictionnelle soulèvent notamment des difficultés qu'il va falloir surmonter (27).

L'entretien doit être transcrit et communiqué au demandeur (C. entr. séj. étrang. et asile, art. L. 723-7 N° Lexbase : L2554KDX et article 17 de la Directive "Procédures") selon des modalités qui seront fixées par décret en Conseil d'Etat.

Enfin, l'OFPRA doit veiller à ne faire courir aucun risque au demandeur dans sa recherche ou dans la communication d'informations (C. entr. séj. étrang. et asile, art. L. 723-10 N° Lexbase : L2550KDS).

Notons enfin que, si l'OFPRA envisage de faire cesser la protection, il doit également le faire dans le respect de certaines garanties (introduites aux articles L. 724-1 N° Lexbase : L2550KDS et suivants) : information écrite et motivation de l'engagement de la procédure, personne mise en mesure de présenter par écrit ses observations, possibilité d'un entretien (mais pas obligation), et notification par écrit de la décision avec motivation et mention des voies et délais de recours.

3 - La rationalisation des procédures : irrecevabilité, clôture et réexamen.

Il convient de relever l'introduction de la notion de demande irrecevable (article 33 de la Directive "Procédures") inscrite dans un nouvel article L. 723-11 (N° Lexbase : L2561KD9) et qui permet à l'OFPRA de prendre une décision (écrite et motivée) d'irrecevabilité lorsque le demandeur est déjà protégé par un autre Etat, au titre de l'asile (28) ou à tout autre titre (29), ou lorsqu'elle lui paraît s'imposer dans le cadre d'une demande de réexamen (C. entr. séj. étrang. et asile, art. L. 723-16 N° Lexbase : L2556KDZ).

De même, par transposition des articles 27 et 28 de la Directive "Procédures", la demande d'examen peut désormais faire l'objet d'une clôture (écrite et motivée), lorsque le demandeur l'aura retirée (ce qui semble bien logique) (C. entr. séj. étrang. et asile, art. L. 723-12 N° Lexbase : L2562KDA), ou lorsque l'OFPRA l'aura décidé, c'est-à-dire : lorsque la demande n'a pas été introduite dans les délais, lorsque le demandeur refuse de fournir des informations essentielles, lorsqu'il n'informe pas "dans un délai raisonnable" de son lieu de résidence et adresse pour être contacté (C. entr. séj. étrang. et asile, art. L. 723-13 N° Lexbase : L2563KDB). La domiciliation redevient donc obligatoire à ce stade de la procédure. Le dossier pourra être rouvert sur demande du candidat à la protection dans les neuf mois suivant la clôture et une telle demande de réouverture est un préalable obligatoire à toute contestation de clôture devant les juridictions administratives de droit commun. Faute de demande dans les neuf mois suivant la clôture, celle-ci est définitive et toute nouvelle demande est considérée comme une demande de réexamen.

Enfin, le régime applicable aux demandes de réexamen, présenté dans le projet de loi comme permettant d'en juguler les abus (30) est, là encore, une stricte transposition de la Directive "Procédures" (art. 40). Jusqu'alors prévue dans les dispositions réglementaires du CESEDA (31), la procédure de réexamen est désormais inscrite dans la partie législative (32). Si des éléments nouveaux sont présentés par le demandeur d'asile, l'OFPRA devra réexaminer sa demande en procédant préalablement à un examen préliminaire, qui peut être dispensé d'entretien et qui peut conduire l'Office à prendre une décision d'irrecevabilité.

E - Devant la CNDA

Il convient de souligner la réforme emblématique de la procédure d'asile : tous les recours introduits devant la CNDA sont désormais suspensifs, quelle que soit la procédure (de droit commun ou accélérée), et quelle que soit la situation du demandeur (asile à la frontière ou en rétention).

Parallèlement, un délai pour statuer est fixé à cinq mois (C. entr. séj. étrang. et asile, art. L. 731-2 N° Lexbase : L6629KDU). Et, si la formation collégiale est le principe et que la loi maintient la possibilité de statuer par ordonnance (C. entr. séj. étrang. et asile, art. L. 733-2 N° Lexbase : L6633KDZ), une nouvelle formation "juge unique" apparaît, constituée par un magistrat qui ne sera pas nécessairement un magistrat permanent mais qui aura alors "au moins" six mois d'expérience en formation collégiale (C. entr. séj. étrang. et asile, art. L. 732-1 N° Lexbase : L6631KDX). Les recours contre les décisions de l'OFPRA prises à l'issue d'une procédure accélérée, et les recours contre les décisions d'irrecevabilité pourront désormais être instruits par un juge unique, qui devra statuer en cinq semaines. Efficacité...

Une modification de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, relative à l'aide juridique (N° Lexbase : L8607BBE) est également apportée. D'abord pour, enfin, remplacer le terme "commission des recours des réfugiés" par celui de "Cour nationale du droit d'asile", mais aussi (à l'article 9-4) pour limiter à quinze jours après la notification de la décision de l'OFPRA, la possibilité de déposer une demande d'aide juridictionnelle (AJ) préalable. Ce délai était auparavant d'un mois. Si cela n'est pas fait, la demande d'AJ doit être déposée, au plus tard, avec le recours motivé dans le délai de recours (fixé à un mois). En pratique, les demandeurs devront être très réactifs sur la demande d'AJ et être en mesure de récupérer le plus rapidement possible les plis de l'OFPRA (rappelons qu'un recommandé qui n'est pas retiré dans le délai de quinze jours est considéré comme notifié à la date de la première présentation).

Quelques modifications organisationnelles et sémantiques sont également insérées dans le Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et relevons que, pour la première fois, il est inscrit noir sur blanc dans la loi que la CNDA est un juge de plein contentieux qui statue donc "au vu des circonstances de fait dont elle a connaissance au moment où elle se prononce" (33), mais qui peut, conformément à la jurisprudence dégagée par le Conseil d'Etat (34), annuler la décision de l'OFPRA et lui renvoyer l'examen de la demande en l'absence d'un examen individuel et/ou en l'absence (non justifiée) d'un entretien (C. entr. séj. étrang. et asile, art. L. 733-5 N° Lexbase : L6593KDK).

La loi consacre enfin la possibilité d'audience à huis clos de droit sur demande du requérant (C. entr. séj. étrang. et asile, art. L. 733-1-1 N° Lexbase : L6591KDH).

III - Des droits plus importants pour les personnes protégées, à condition de l'être

A - La qualification des personnes protégées

1 - Le réfugié et le bénéficiaire de la protection subsidiaire

Le titre premier du livre consacré au droit d'asile dans le Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, jusque-là sobrement intitulé "Généralités", s'appelle désormais "Conditions d'octroi de l'asile", ce qui n'est pas très heureux. On accorde ou octroie l'asile uniquement à l'individu "persécuté en raison de son action en faveur de la liberté". Il s'agit alors de l'asile constitutionnel inscrit dans le Préambule de 1946. Mais s'agissant de la protection internationale instituée par la Convention de Genève de 1951, on reconnaît (ou non) la qualité de réfugié, dont le statut n'est pas détachable. Ni on ne la distribue, ni on ne l'octroie, ni on ne l'accorde. Le titre tout entier fait désormais de la protection une faveur et non un droit.

Dans ce titre, peu de dispositions sont véritablement nouvelles, la loi se bornant à reprendre les dispositions de la Directive "Qualification" de 2011. Elle intègre donc les définitions européennes relatives aux motifs de persécution (en ce compris le genre et l'orientation sexuelle) et codifie également les clauses classiques d'exclusion et de cessation du statut.

Sont véritablement nouvelles les dispositions de l'article L. 711-6 (N° Lexbase : L2531KD4) permettant de refuser ou de retirer le statut lorsqu'il y a "des raisons sérieuses de considérer que la présence en France de la personne concernée constitue une menace grave pour la sûreté de l'Etat" ou lorsque "la personne concernée a été condamnée en dernier ressort en France soit pour un crime, soit pour un délit constituant un acte de terrorisme ou puni de dix ans d'emprisonnement, et sa présence constitue une menace grave pour la société".

Pour le bénéficiaire de la protection subsidiaire, on constate un même toilettage de la loi au regard de la Directive "Qualification" et l'insertion d'une clause de refus ou de retrait identique à celle du statut de réfugié s'agissant de la menace grave qu'il pourrait constituer pour la France.

Et de manière générale désormais, l'OFPRA devra transmettre au Procureur de la République tout renseignement utile ayant conduit au rejet d'une demande de protection (réfugié, protection subsidiaire ou apatride) (C. entr. séj. étrang. et asile, art. L. 722-3 N° Lexbase : L2577KDS).

Ces nouvelles clauses doublement valables pour le "refus" ou le "retrait" du statut constituent une transposition erronée de la Directive "Qualification". Absentes de la Convention de Genève, leur contenu n'est prévu dans la Directive "Qualification" (article 14) que s'agissant de révoquer, de refuser de renouveler le statut ou d'y mettre fin. Elles ne devraient pas constituer une clause de refus initial. L'ordre d'examen fixé par la Convention de Genève est très clair : il convient d'abord d'examiner les clauses d'inclusion, puis les clauses d'exclusion du statut. Il n'existe pas de disqualification automatique.

Inversement, l'autorité judiciaire communiquera à l'OFPRA ou à la CNDA tout élément "de nature à faire suspecter" que la personne relève d'une clause d'exclusion (C. entr. séj. étrang. et asile, art. L. 713-5 N° Lexbase : L2534KD9) ou que sa demande d'asile ou de statut d'apatride revêt un caractère frauduleux (C. entr. séj. étrang. et asile, art. L. 711-6 N° Lexbase : L2531KD4).

2 - Le statut d'apatride

Le statut de l'apatride fait enfin son entrée autonome dans le Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans un nouveau titre (C. entr. séj. étrang. et asile, art. L. 812-1 N° Lexbase : L2536KDB à L. 812-8). Si l'OFPRA, comme le "A" de son acronyme l'indique, a toujours eu la charge de protéger les apatrides, le statut de ces derniers n'était régi que par la Convention de New York du 28 septembre 1954 (N° Lexbase : L6795BH7), aux termes de laquelle est apatride "toute personne qu'aucun Etat ne considère comme son ressortissant par application de sa législation", sans que la loi française ne lui donne une définition (même pas par renvoi à ladite Convention de New York) ou une procédure de détermination du statut. Le Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile renvoie désormais au texte international et à une procédure de reconnaissance de ce statut qui a vocation à être régie par décret en Conseil d'Etat.

B - Le contenu de la protection

1 - Un titre

Pas de changement sur le fait que la reconnaissance du statut de réfugié autorise toujours la personne à solliciter une carte de résident, et que la personne qui bénéficie de la protection subsidiaire peut toujours solliciter une carte de séjour "vie privée et familiale". Dans l'attente, l'une comme l'autre de ces personnes protégées se voient remettre une autorisation de séjour de six mois renouvelable (C. entr. séj. étrang. et asile, art. L. 311-5-1 N° Lexbase : L6595KDM et L. 311-5-2 N° Lexbase : L6596KDN), qui leur permet d'exercer la profession de leur choix. Ces dispositions, jusqu'alors réglementaires, sont désormais légales. La loi prévoit en outre que la carte de séjour de la personne bénéficiaire de la protection subsidiaire soit renouvelable pour une durée de deux ans, et non plus un an (C. entr. séj. étrang. et asile, art. art. L. 313-13 N° Lexbase : L6678KDP).

La reconnaissance du statut d'apatride ouvre droit à une carte de séjour "vie privée et familiale" d'une durée d'un an (C. entr. séj. étrang. et asile, art. L. 313-11 N° Lexbase : L2575KDQ) ou une carte de résident s'il justifie de trois années de résidence régulière en France (C. entr. séj. étrang. et asile, art. L. 314-11 N° Lexbase : L6677KDN).

2 - Un parcours d'accueil et d'intégration

A condition d'avoir signé le "contrat d'accueil et d'intégration" issu de la loi "Besson" de 2011 (35), le bénéfice du parcours d'accueil (accompagnement personnalisé pour l'accès à l'emploi et au logement), jusqu'alors réservé au réfugié, est étendu au bénéficiaire de la protection subsidiaire (C. entr. séj. étrang. et asile, art. L. 751-1 N° Lexbase : L6680KDR).

Ils peuvent notamment bénéficier, sur décision de l'OFII, et en participant à leurs frais, d'un hébergement en centre provisoire d'hébergement (36), lequel doit proposer un accompagnement linguistique, social, professionnel et juridique en vue de leur intégration (C. act. soc. fam., art. L. 349-1 N° Lexbase : L6586KDB et suivants).

3 - Un droit à la réunification familiale

La loi consacre la possibilité, pour le réfugié reconnu, comme pour le bénéficiaire de la protection subsidiaire, de demander le bénéfice de la réunification familiale, sans condition de durée préalable de séjour régulier, de ressources ou de logement et en simplifiant les règles de preuve du lien familial, pour obtention du visa, lequel doit être délivré "dans les meilleurs délais", ce qui peut laisser craindre en pratique une inertie -non sanctionnée- des autorités consulaires (C. entr. séj. étrang. et asile, art. L. 752-1 N° Lexbase : L6601KDT). Ce bénéfice ne s'appliquera pas au demandeur qui ne se conforme pas aux règles de "la vie familiale en France" (polygamie notamment (37)) et aux membres de la famille dont la présence peut constituer une menace en France, ou qui ont été eux-mêmes agents de persécution, ce que la jurisprudence française appliquait déjà (38).

S'agissant du mineur non accompagné, vis-à-vis duquel la loi précise que toute décision doit tenir compte de son intérêt supérieur, des recherches doivent être entreprises pour rechercher ses parents proches et, en tout état de cause, pour lui assurer une représentation légale (C. entr. séj. étrang. et asile, art. L. 752-2 N° Lexbase : L6602KDU).

L'article L. 752-3 (N° Lexbase : L6603KDW) entre, lui, dans des détails biologiques d'un pragmatisme réfrigérant s'agissant des filles mineures invoquant un risque de mutilation sexuelle. Relayant et encadrant une pratique de l'OFPRA (39), la loi prévoit qu'un examen médical doit constater l'absence initiale de mutilation et doit ensuite avoir lieu tous les trois ans (l'exigence était en pratique annuelle jusqu'alors) et jusqu'à la majorité de la jeune fille, pour vérifier qu'elle n'a toujours pas subi de mutilation sexuelle. Les dispositions précisent qu'"aucun constat de mutilation ne peut entraîner, à lui seul, la cessation de la protection accordée". Notons que, si le risque est réalisé, cela veut dire qu'il se réalise en France, ce qui n'est pas constitutif d'une clause de cessation du statut, mais cela veut également dire que le risque n'existe plus. Dès lors, si le risque n'existe plus, il peut être mis fin à la protection sur demande des parents...

4 - Un droit de voyager

Dès qu'ils sont titulaires de leur titre de séjour respectif et "à moins que des raisons impérieuses de sécurité nationale ou d'ordre public ne s'y opposent", les réfugiés et les bénéficiaires de la protection subsidiaire, ainsi que leurs enfants, peuvent désormais voyager hors du territoire français. En toute logique, ils ne doivent pas se rendre dans le pays de persécution ou de menaces, car ils seraient regardés comme renonçant à se prévaloir de la protection de la France (C. entr. séj. étrang. et asile, art. L. 753-1 N° Lexbase : L6604KDX et suivants).

Les réfugiés et apatrides pouvaient déjà bénéficier d'un titre de voyage (40), mais il n'existait aucune base légale à ce droit. C'est désormais le cas, en conformité avec la Directive "Qualification" et la Convention de Genève, et le droit est étendu aux bénéficiaires de la protection subsidiaire.

Conclusion

Pour l'essentiel, il s'agit d'une réforme des modalités du parcours du demandeur d'asile, et non d'une réforme du droit d'asile, lequel demeure malmené, en ce compris par des Directives européennes qui ne le garantissent qu'a minima, mais qui sont quand même plus protectrices que la législation française. La loi de 2015 est une loi de consensus, qui n'a d'ailleurs pas été déférée au Conseil constitutionnel, et qui ne diffère pas vraiment des législations précédentes, voire en valide les acquis. Le Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile est considérablement modifié, amendé et complété. C'est indiscutable. Mais il n'y a là aucune réforme "en profondeur" du droit d'asile.

D'après les pouvoirs publics, une telle réforme devrait parvenir à "sauvegarder la vocation de l'asile" et parvenir -par un phénomène qui ne peut à notre sens que relever de l'incantation- à préserver les personnes ayant besoin de précaution tout en écartant celles qui n'en auraient pas besoin.

Ainsi, et en rappelant qu'elle apporte globalement des modifications dans le sens de la protection, il s'agit d'une réforme sans grande envergure et qui s'arrête à la métropole. A l'image de la loi, la présentation proposée a négligé la problématique de l'outre-mer, ce qui contribue de manière fautive à en faire une "sous-France" en matière de droit d'asile (jeu de mots assumé). Ces lignes conclusives sont donc dédiées aux candidats à la protection se trouvant :

- en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et à Wallis-et-Futuna, où le dispositif national d'accueil ne s'appliquera pas (41) ;
- à Mayotte, où il n'y aura ni CADA ni ADA (42), ni recours suspensif devant la CNDA en cas de demande d'asile en rétention (43) ;
- en Guadeloupe, en Guyane, à Saint-Martin et Saint-Barthélemy, également exclues de la réforme sur le caractère suspensif du recours devant la CNDA en cas de demande d'asile en rétention (44).


(1) Espace Presse du Sénat, Droit d'asile : réformer un système à bout de souffle.
(2) V. Létard et J.-F. Touraine, La réforme du droit d'asile, La documentation française, novembre 2013, 82 p.
(3) Directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale (N° Lexbase : L9263IXD).
(4) Directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale (N° Lexbase : L9264IXE).
(5) Directive 2011/95/UE du Parlement Européen et du Conseil du 13 décembre 2011, concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d'une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection (refonte) (N° Lexbase : L8922IRU), Directive dite "Qualification".
(6) Non sans que la France eût été mise en demeure par la Commission européenne le 27 janvier 2014.
(7) Communiqué de presse 53/2015, Eurostat, 20 mars 2015.
(8) Chiffre avancé par le Bureau européen en matière d'asile lors de la présentation de son rapport annuel 2014 au Parlement européen en juillet 2015.
(9) Voir par ex. M.-L. Basilien-Gainche, Regard critique sur le régime d'asile européen commun. La persistance d'une conception restrictive de la protection, Europe, février 2014, n° 2.
(10) Henri Labayle, Agenda européen pour les migrations et protection des réfugiés : "l'Europe n'est pas à la hauteur", Groupe de recherche Espace Sécurité, liberté, justice (GDRELSJ), 3 juillet 2015.
(11) Une circulaire a été publiée afin de donner les instructions utiles à la période transitoire (circ. min., NOR: INTK1517035J du 13 juillet 2015, mise en oeuvre de la réforme de l'asile N° Lexbase : L0546KHP).
(12) Du titre IV : "Droit au séjour des demandeurs d'asile" du Livre VII du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile rebaptisé "Accès à la procédure et conditions d'accueil des demandeurs d'asile".
(13) CFDA, Analyse du projet de loi relatif à la réforme du droit d'asile, avril 2015, 18 p.
(14) CJA, art. L. 521-3 (N° Lexbase : L3059ALU).
(15) Qui ne disparaît pas complètement et restera en vigueur "pour une durée déterminée" pour les bénéficiaires de la protection subsidiaire et les apatrides.
(16) L'entrée en vigueur de ces dispositions est conditionnée à un décret pris en Conseil d'Etat qui interviendra au plus tard le 1er novembre 2015.
(17) Règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats (N° Lexbase : L3872IZG), dit "Dublin 3".
(18) L'entrée en vigueur de ces dispositions sera fixée par décret au plus tard au 1er novembre 2015.
(19) CJUE, 30 mai 2013, aff. C-534/11 (N° Lexbase : A0405KG4).
(20) CEDH, 20 septembre 2007, Req. 45223/05 (N° Lexbase : A3708DYY) ; CEDH, 2 février 2012, Req. 9152/09 (N° Lexbase : A9424IBN) ; CEDH, 6 juin 2013, Req. 50094/10 (N° Lexbase : A1524KGK).
(21) Articles 8 à 11. A noter que des mesures provisoires avaient été prises pour prendre acte des jurisprudences de la CEDH et de la CJUE et de la Directive avec une "note d'information du 5 décembre 2013 relative aux demandes d'asile présentées par des étrangers placés en rétention administrative en vue de leur éloignement. Suites à donner à la jurisprudence de la CEDH et de la CJUE" diffusée en janvier 2014 (BO Min. de l'Int., 15 janvier 2014 -Intérieur 2014-1 p. 1).
(22) Sur le point de départ des difficultés, voir CE 9° et 10° s-s-r., 30 juillet 2014, n° 375430, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A7947MUU), dans lequel le Conseil d'Etat a annulé la note du 5 décembre 2013 du ministre de l'Intérieur ayant vocation à mettre en oeuvre un dispositif transitoire dans l'attente de la loi sur la réforme du droit d'asile, AJDA, 2014, p. 1630, JCP éd. A, 2014, act. 679, veille L. Erstein.
(23) Site du Premier ministre, Asile : Le projet de loi consacre l'indépendance de décision de l'Ofpra, c'est une grande et belle avancée, entretien avec P. Brice, directeur général de l'OFPRA, actualités, 16 décembre 2014.
(24) Attention, l'entrée en vigueur de ces dispositions sera fixée par décret au plus tard au 1er novembre 2015.
(25) C. entr. séj. étrang. et asile, art. R. 723-3 (N° Lexbase : L0301IBR).
(26) Article 18 de la Directive "Procédures".
(27) C. Fleuriot, Le casse-tête de l'accompagnement des demandeurs d'asile devant l'OFPRA, Dalloz Actualité, 31 juillet 2015.
(28) Cf. CE, Ass., 13 novembre 2013, n° 349735, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A2476KPE), bien que dans cet arrêt, le Conseil d'Etat réservait une exception si l'individu démontrait que l'Etat d'accueil n'assure pas effectivement sa protection.
(29) Contra CE 9° et 10° s-s-r., 12 mars 2014, n° 345188, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A9154MG7), lire nos obs., Lexbase Hebdo n° 328 du 17 avril 2014 - édition publique (N° Lexbase : N1798BU7), dans lequel le Conseil d'Etat estimait qu'une protection au titre de la Convention de l'OUA ne disqualifiait pas à une protection au titre de la Convention de Genève.
(30) Aux termes du projet de loi : apporter "une réponse aux demandes de réexamen manifestement dilatoires et formées dans le seul but de prolonger le maintien en France".
(31) C. entr. séj. étrang. et asile, art. R. 723-3 (N° Lexbase : L0301IBR).
(32) Les conditions et les délais d'instruction des demandes de réexamen seront toutefois régis par décret.
(33) Cf. CE, Sect., 8 janvier 1982, n° 24948 (N° Lexbase : A2020ALE), Rec p. 9.
(34) CE 2° et 7° s-s-r., 10 octobre 2013, n° 362798, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A7254KMM), AJDA, 2013. 1997.
(35) C. entr. séj. étrang. et asile, art. L. 311-9 (N° Lexbase : L5031IQE).
(36) Jusqu'alors, il s'agissait de centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS).
(37) C. entr. séj. étrang. et asile, art. L. 314-5 (N° Lexbase : L1269HPP).
(38) CNDA, 15 octobre 2010, M. M, n° 08016600i.
(39) V. CFDA, De la protection à la suspicion l'exigence annuelle du certificat de non excision, octobre 2012, 9 p. ; et G. Cholet, Droit d'asile : Le Conseil d'Etat aux prises avec les mutilations génitales féminines [PDF] in Lettre "Actualités Droits-Libertés" du CREDOF, 18 février 2013.
(40) CGI, art. 953 (N° Lexbase : L0515IRI).
(41) Faute de retranscription de la réforme dans les ordonnances spécifiques régissant l'asile pour ces collectivités.
(42) C. entr. séj. étrang. et asile, art. L. 761-1 (N° Lexbase : L6689KD4).
(43) C. entr. séj. étrang. et asile, art. L. 556-2 (N° Lexbase : L2560KD8).
(44) C. entr. séj. étrang. et asile, art. L. 556-2 (N° Lexbase : L2560KD8).

newsid:448741

Fiscal général

[Doctrine] Ubérisation de la société et droit fiscal

Lecture: 20 min

N8725BUP

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/25968486-edition-n-623-du-03-09-2015#article-448725
Copier

par Thibaut Massart, Codirecteur du Master 221 Fiscalité de l'entreprise de l'Université Paris-Dauphine et Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition fiscale

Le 03 Septembre 2015

Uber est mort, vive Uber ! Même si le site UberPop a été suspendu en France, personne ne doute que l'Ubérisation de la société est un phénomène qui ne s'arrêtera pas. D'ailleurs, le site Uber est toujours opérationnel et propose son service de voitures de transports avec chauffeur (VTC). Un nouveau site, UberX, vient même d'être lancé à Nice afin d'offrir le même service, mais pour un prix encore plus attractif, la différence de prix avec le service berline s'expliquant par la catégorie moins luxueuse du véhicule. Le site UberPop était financièrement encore plus intéressant pour les consommateurs puisqu'il permettait à de simples particuliers de s'improviser chauffeurs de taxi avec leurs voitures de tous les jours. Si les chauffeurs de taxi professionnels ont remporté une manche en contraignant la société Uber à suspendre UberPop, ce conflit a révélé l'émergence d'un nouveau modèle économique que certains ont justement baptisé l'Ubérisation de la société. Le premier facteur de cette évolution profonde est la crise économique qui a amené les citoyens à rechercher de nouveaux revenus pour compenser la hausse des impôts et la stagnation des salaires et des pensions de retraite.

Chacun a pu rapidement mesurer qu'il possédait un capital et des compétences susceptibles d'être monnayés. Ainsi, le propriétaire d'une voiture qui prend conscience que son véhicule reste 95 % de son temps au garage peut avoir intérêt à la rentabiliser en le louant pour de courtes périodes. De même, une chambre inutilisée en raison du départ des enfants est également susceptible d'être louée pour de courts séjours. Une cuisinière qui prépare de bons petits plats pour sa famille est également en mesure d'augmenter les portions afin d'en vendre une partie. Le simple propriétaire d'un marteau peut même le mettre en location ! Et s'il possède des compétences en bricolage, il peut même offrir ses bons offices en plus ! Tout le monde ou presque se trouve ainsi en mesure d'offrir des biens et/ou des services. Mais encore faut-il trouver la personne prête à acheter cette prestation.

C'est ici qu'internet entre en jeu avec des sites facilitant justement la rencontre de l'offre et de la demande. Avec l'hyperconnectivité de la société, le recours à internet est devenu familier pour l'ensemble de la population, sans même parler de la génération récente des "digital natives". De nombreux sites ont déjà vu le jour, tous se spécialisant dans un domaine particulier. UberPop a pu d'ailleurs être présenté comme un "covoiturage" occasionnel et de courte distance quand Blablacar propose des trajets de moyenne et longue distance, et ID-Vroom se positionne sur le domicile-travail, avec un usage régulier.

Aujourd'hui, les sites pullulent. Ils s'appellent Uber, Airbnb, KissKissBankBank, BlaBlaCar, SuperMarmite.com ou Drivy et forment l'avant-garde d'une horde de start-ups qui bouscule la "vieille" économie. Le petit dernier s'appelle Jwebi qui signifie "mon courrier" en dialecte tunisien. Ce site se propose de concurrencer la Poste et autres Fedex en partant d'un principe simple : tout voyageur peut parfaitement se transformer en transporteur de colis. Il suffit que ce voyageur indique son trajet sur le site et qu'un client lui confie un envoi moyennant quelques euros. Même en partant ou en revenant de vacances, vous pouvez ainsi gagner de l'argent !

Comme ces "workers on tap" ("main-d'oeuvre à la demande") sont susceptibles d'avoir des revenus complémentaires, ils intéressent nécessairement l'administration fiscale qui y voit forcément une nouvelle base taxable. Ce qui n'est pas du tout du goût de ces particuliers micro-entrepreneurs qui cherchent généralement à échapper à toute réglementation tant juridique que fiscale. L'administration fiscale se montre d'autant plus hostile vis-à-vis de ces nouveaux "barbares" que les plateformes internet ont, elles-mêmes, souvent recours à de judicieux montages pour échapper à toute imposition. Ainsi Uber n'a jamais payé d'impôt sur les bénéfices en France, où il ne déclare qu'une fraction de ses revenus réels, grâce un montage d'optimisation fiscale passant par les Pays-Bas, les Bermudes et le Delaware. On comprend dans ces conditions que l'Etat ne soit nullement enclin à favoriser l'essor de cette nouvelle économie qu'il considère comme destructrice d'emplois salariés et de recettes fiscales.

Si les risques de travail au noir et d'évasion fiscale sont incontestables, il ne faut cependant nullement oublier que l'ère numérique et le big data fournissent des armes sans précédent pour l'administration fiscale. Avec une totale centralisation des paiements sur le serveur d'Uber, la traçabilité des transactions est par exemple sans commune mesure avec celle des espèces exigées par les taxis professionnels qui refusent souvent tout autre mode de paiement. Le développement des transactions sur internet favorise ainsi le travail de l'administration qui développe ses propres outils informatiques pour détecter les fraudes. Mieux, le droit fiscal, considéré à juste titre comme particulièrement abscons, pourrait enfin devenir plus accessible à l'ensemble des contribuables par l'émergence de nouveaux sites d'information et de conseils fiscaux.

Si l'Ubérisation semble, a priori, jouer contre l'impôt (I), ce nouveau modèle économique présente incontestablement une aubaine au profit de l'impôt (II).

I - L'Ubérisation contre l'impôt

Les opposants à l'Ubérisation soulignent les risques de fraude et d'évasion fiscales. Il est vrai que les "workers on demand" ont une tendance naturelle à ne pas déclarer les revenus de leurs activités complémentaires. Ils bénéficient généralement du flou artistique qui entoure leur situation au regard de la législation fiscale (A). Au niveau des sites eux-mêmes, la tentation de l'optimisation fiscale est patente, car ces nouvelles sociétés multinationales savent assurément jouer avec les conventions fiscales internationales (B).

A - La tentation de la fraude

La législation fiscale semble, a priori, claire avec les personnes physiques agissant pour leur propre compte et accomplissant à titre habituel et dans un but lucratif des opérations de caractère industriel, commercial, artisanal, agricole, ou encore libéral. Les revenus sont imposés selon le régime applicable à l'activité, à savoir selon la nature des prestations fournies ou des marchandises produites ou vendues. En fonction de l'activité et du chiffre d'affaires, il existe un régime pour les micro-entreprises ou un régime réel simplifié pour les petites entreprises. S'y ajoute des règles particulières pour les auto-entrepreneurs. Rappelons que ce statut mis en place depuis le 1er janvier 2009 est une simplification des formalités administratives et un allègement des charges sociales, fiscales et administratives. Ce statut inclut un régime de micro-social et un régime micro-fiscal lorsque le chiffre d'affaires est inférieur pour une année civile complète à 82 200 euros (HT) pour une activité d'achat/revente, ou à 32 900 euros (HT) pour une activité de prestations de services. Le régime micro BIC ou micro BNC est très simple pour l'auto-entrepreneur qui a opté pour le versement libératoire de l'impôt sur le revenu. Il déclare son chiffre d'affaires dans le formulaire prévu à cet effet et calcule lui-même son impôt, en appliquant un taux correspondant à son activité au chiffre d'affaires ou aux recettes réalisés au cours du trimestre ou du mois précédent. Le taux est seulement de 1 % pour les ventes, 1,70 % pour les prestations BIC et 2,20 % pour les prestations BNC. L'auto-entrepreneur règle la somme correspondante auprès de son centre de paiement RSI ou de son Urssaf. Une fois ce règlement effectué, les revenus de son activité sont libérés de l'impôt. Il doit seulement indiquer le montant du chiffre d'affaires ou des recettes ainsi que, le cas échéant, le montant des plus-values sur sa déclaration d'impôt sur le revenu n° 2042 complémentaire (2042 C). Cette information ne donne pas lieu à une imposition supplémentaire contrairement au régime "ordinaire" des micro-entreprises. Toutefois, le montant du chiffre d'affaires ou des recettes est intégré au revenu imposable du foyer et sert seulement à déterminer la tranche d'imposition du foyer fiscal. L'auto-entrepreneur bénéficie également de la franchise en base de TVA.

Si ce régime est particulièrement simple et avantageux, on notera que le législateur a récemment durci le régime de l'auto-entrepreneur.

D'abord, l'immatriculation au registre du commerce et des sociétés (RCS) ou au répertoire des métiers est devenue obligatoire. Bien que l'auto-entrepreneur soit exonéré des frais d'immatriculation, il est soumis à la taxe pour frais de chambre de commerce et de chambre de métiers. De plus, l'auto-entrepreneur qui crée une activité artisanale doit effectuer le stage préalable à l'installation (SPI) dans une chambre de métiers. Enfin, l'auto-entrepreneur ne peut opter pour le versement libératoire de l'impôt sur le revenu qu'à la condition que le revenu de son foyer fiscal n'ait pas dépassé 26 631 euros par part de quotient familial en 2013, soit 26 631 euros pour une personne seule, 53 262 euros pour un couple, ou encore 79 893 euros pour un couple avec deux enfants.

Mais il convient surtout de souligner que certaines activités ne peuvent pas être exercées par un auto-entrepreneur. Il en est ainsi du transport de personnes, car il est nécessaire d'avoir une assurance particulière et une autorisation de transport de personnes, c'est-à-dire être détenteur d'une capacité de transport de personnes (moins de 9 places) ou posséder une carte professionnelle VTC. Dans ces conditions, le développement d'UberPop dont les chauffeurs n'étaient pas des professionnels, mais de simples particuliers, ne pouvait que favoriser le travail au noir.

Il convient également de mentionner que la location de matériel ou la location de biens de consommation durables ne peut être exercée dans le cadre du statut de l'auto-entrepreneur. Les loueurs de voitures qui ont recours au site Drivy sont ainsi dans un flou fiscal, attesté par la page d'aide du site. A la question "Dois-je déclarer mes revenus ?", le site se contente de répondre laconiquement : "Nous vous conseillons de prendre contact avec votre administration fiscale, qui répondra au mieux à votre demande". Là encore, la tentation du travail dissimulé devient irrésistible. D'autant que le discours des sites est particulièrement curieux lorsqu'il s'agit de fiscalité.

Ainsi Drivy estime que les particuliers qui louent occasionnellement leurs voitures par l'intermédiaire du site ne sont pas soumis au régime des BIC, car ces particuliers ne réaliseraient aucun bénéfice. Drivy affirme, en effet, qu'une voiture coûte en moyenne 5 700 euros par an à posséder et entretenir, c'est-à-dire beaucoup plus que ce qu'encaissent leurs propriétaires. En louant, les particuliers chercheraient uniquement à réduire leur budget auto, à payer une partie de l'entretien et de l'assurance, et non à créer une véritable entreprise. Les sommes encaissées par le propriétaire du véhicule correspondraient à un partage des frais et non à un bénéfice.

Cette approche, qui invite ouvertement les loueurs occasionnels à ne pas déclarer leurs recettes, est parfaitement contestable sur un plan fiscal.

D'abord, le coût annuel de la voiture devrait être proratisé à la seule période de location puisque le propriétaire utilise son véhicule à des fins personnelles le reste du temps. Ensuite et surtout, le régime du micro BIC prévoit bien un système de "charges déductibles", sous forme d'un abattement forfaitaire pour frais professionnels de 71 % pour les activités d'achat-revente ou 50 % pour les autres activités et les locations meublées.

Les revenus provenant de l'exercice d'une activité commerciale, industrielle ou artisanale ne sont considérés, au regard de l'impôt sur le revenu, comme des bénéfices industriels et commerciaux que s'ils sont réalisés à titre professionnel.

Si la profession est une activité habituelle et rémunérée (1), la condition d'habitude n'est pas nécessairement liée à la répétition fréquente des mêmes opérations. Des actes de commerce peu nombreux, mais périodiques, et même des actes de commerce isolés, mais dont l'exécution porterait sur une période d'assez longue durée, n'en ont pas moins un caractère professionnel (2). On notera d'ailleurs que celui qui loue une partie de son habitation principale à titre de chambres d'hôte, ce qui est le cas sur Airbnb, Cybevasion ou encore Sejourning, n'est exonéré des BIC que si les revenus tirés de cette location ne dépassent pas 760 euros par an, ce qui est un seuil particulièrement bas.

Ensuite, on rappellera que le statut de l'auto-entrepreneur a justement été créé pour permettre aux salariés du secteur privé, aux fonctionnaires, aux retraités ou encore aux étudiants de développer une activité lucrative complémentaire ou occasionnelle.

Enfin, il convient d'indiquer que l'article 92 du CGI (N° Lexbase : L1704IZ7) permet de soumettre à l'impôt sur le revenu, au titre des bénéfices non commerciaux, tous les bénéfices ou profits provenant d'occupations ou d'opérations lucratives à la condition que les sommes perçues ne soient pas rattachables à une autre catégorie de revenus. Cet article permet aussi d'appréhender un certain nombre de revenus non dénommés et de profits divers, parfois accidentels ou occasionnels, sous réserve que la source de ces profits ou revenus soit susceptible de renouvellement.

Il en ressort qu'il n'existe aucune raison sérieuse que les nouveaux "workers on demand" échappent à toute imposition. Même si le nouveau barème de l'impôt sur le revenu pourrait accréditer l'idée que le Gouvernement ne souhaite pas fiscaliser ces activités complémentaires, on rappellera que c'est ce même Gouvernement qui a décidé de refiscaliser les heures supplémentaires. Il y a donc tout lieu de considérer que, par principe, ces nouveaux revenus sont soumis à l'impôt, sous réserve naturellement d'éventuelles franchises que le législateur devrait préciser pour chaque activité.

La situation est, en revanche, plus complexe pour l'imposition des plateformes internet elles-mêmes.

B - La tentation de l'optimisation fiscale

Il ne fait aucun doute que les nouvelles entreprises de l'internet représentent un poids économique considérable.

La capitalisation boursière de Google est équivalente au PIB de l'Argentine avec plus de 377 milliards de dollars. Celle d'Amazon est équivalente au PIB du Koweit avec 200 milliards de dollars.

Les valorisations sont également prodigieuses pour les sociétés de la nouvelle économie. La société Uber a ainsi une capitalisation boursière de plus de 41 milliards de dollars, ce qui correspond à celle de la société France Télécom Orange. Or la société Uber a très peu d'actifs matériels et très peu de salariés puisque ce sont les utilisateurs du site qui détiennent les véhicules et fournissent la main d'oeuvre. Ainsi, Uber n'a que 1 500 employés quand France Télécom Orange en a 165 000.

C'est d'ailleurs l'une des caractéristiques communes à toutes ces nouvelles entreprises : une forte valorisation boursière, mais avec très peu d'actifs tangibles et de salariés. Airbnb (locations immobilières) a ainsi une capitalisation boursière de 13 milliards de dollars, ce qui est l'équivalent de celle de la société Peugeot alors qu'Airbnb n'a que 600 employés lorsque Peugeot en compte 190 000. Airbnb est propriétaire d'une immense plateforme, mais d'aucune chambre alors que son concurrent Accor a la même valorisation boursière, mais avec 3 700 hôtels et 300 fois plus de personnel. Avec une croissance de plus de 30 % par an, le marché de la location et de l'échange d'appartement est assurément en plein essor.

Le principe de cette nouvelle économie est donc basé sur une règle simple : "beaucoup de capital numérique, peu d'emplois stratégiques". Alors que les entreprises traditionnelles sont contraintes de proposer des tarifs suffisants pour couvrir le coût de leur personnel et de leurs infrastructures, les entreprises nouvelles se contentent de prélever un courtage en assurant des prix très bas.

La forte valorisation de ces sociétés traduit néanmoins leur grande profitabilité. Mais comme elles ont peu de substance et qu'elles interviennent dans différents pays, elles peuvent, en toute légalité, pratiquer l'optimisation fiscale.

La situation d'Uber est représentative de cette planification fiscale agressive.

Cette société américaine affirme avoir 8 millions d'utilisateurs dans 250 villes à travers le monde, ce qui correspond à 1 million de courses quotidiennes. Rien que pour la ville de New-York, les recettes mensuelles des VTC Uber seraient de 26 millions de dollars.

Uber possède une filiale en France, Uber France SAS. Mais celle-ci ne déclare à l'administration française qu'un chiffre d'affaires ridicule de 1,8 million d'euros en 2013. Soit une infime fraction des recettes réalisées par les VTC Uber en France. L'explication est la suivante. La filiale française est uniquement chargée "de la relation avec les partenaires [les chauffeurs...], de la promotion de la marque, et du support marketing", indiquent ses comptes. La filiale française ne facture ainsi aucune course. C'est une filiale néerlandaise, Uber BV, qui se charge d'encaisser les courses puis de reverser une partie de l'argent perçu directement aux VTC français, ainsi qu'une petite partie (approximativement 10 %) à la filiale française. Comme la filiale française ne reçoit qu'une faible part des recettes, elle est même déficitaire et ne paie aucun impôt en France.

En revanche, la filiale néerlandaise devrait, a priori, réaliser des bénéfices puisque Uber BV récupère une commission de 20 % sur les courses qu'elle encaisse. En réalité la filiale néerlandaise paye une importante redevance pour avoir le droit d'utiliser les brevets d'Uber. Cette redevance est perçue par une autre filiale d'Uber immatriculée aux Bermudes. Intérêt : cette gigantesque redevance n'est pas imposée aux Bermudes puisque l'impôt sur les sociétés y est nul, mais n'est pas imposée non plus aux Pays-Bas qui ne pratiquent aucune retenue à la source. Soulignons qu'il en aurait été très différemment si la redevance était versée directement par la filiale française vers les Bermudes puisque la France applique une retenue à la source de 33,3 % aux versements effectués vers un pays n'ayant pas conclu avec la France de convention fiscale. Cette retenue aurait même été de 75 % si les Bermudes n'avaient pas été retirées en 2014 de la liste des Etats et territoires non coopératifs. Les Pays-Bas ont cette particularité de ne pratiquer aucune retenue à la source sur les redevances qui quittent leur territoire, ce qui leur vaut le qualificatif d'état tunnel.

Le paiement de cette redevance réduit quasiment à néant les bénéfices de la filiale néerlandaise, et donc l'impôt sur les bénéfices acquitté auprès de l'administration fiscale néerlandaise. A en croire ses comptes, la marge opérationnelle d'Uber BV serait plafonnée à 1 %. Avec un tel système, et même si l'impôt sur les bénéfices est de 25 % aux Pays-Bas, la charge d'impôt sur les bénéfices d'Uber BV ne devrait donc pas dépasser 0,25 % de son chiffre d'affaires.

La redevance revient ensuite aux Etats-Unis en passant par l'Etat du Delaware, sorte de petit paradis fiscal interne des Etats-Unis. Depuis 1996 un dispositif fiscal permet, en cochant une case dans un imprimé spécial (d'où le nom de "check the box"), à des sociétés non commerciales de n'imposer les bénéfices que lorsqu'ils sont remontés dans la société mère sous la forme de versement de dividendes. La filiale aux Bermudes étant une société étrangère non commerciale a vraisemblablement choisi la procédure "check the box", comme la plupart des sociétés multinationales utilisant ce schéma, pour en définitive ne payer aucun impôt sur les sociétés dans aucun pays. Si Uber souhaite verser des dividendes à ses actionnaires, il lui suffira de s'endetter, comme l'a fait par exemple Apple, alors même que les profits accumulés à l'étranger sont considérables.

On soulignera cependant que la société Uber ne peut échapper à la TVA acquittée aux Pays-Bas, puis rapatriée en France, conformément aux règles de TVA intracommunautaires.

La plupart des sites de la nouvelle économie dite collaborative utilisent des montages fiscaux similaires à celui d'Uber.

Dans ces conditions, l'on comprend que les pouvoirs publics cherchent des moyens d'éviter l'érosion des bases taxables.

Mais c'est ici que l'Ubérisation de l'économie, parce qu'elle informatise les transactions, offre des moyens de contrôle sans précédent pour l'administration fiscale. Loin de jouer contre l'impôt, la nouvelle économie pourrait au contraire considérablement renforcer la collecte de l'impôt.

II - L'Ubérisation au service de l'impôt

Si les nouvelles entreprises de l'internet présentent des risques évidents pour les finances publiques, une analyse plus précise révèle au contraire que l'Ubérisation de la société pourrait considérablement faciliter le travail des inspecteurs des impôts (A). Mieux, le domaine du conseil fiscal pourrait également être la prochaine cible de ces sociétés qui n'hésitent pas à s'attaquer à des marchés pourtant très réglementés. Ce sont lors les contribuables qui pourraient profiter de l'essor de ces entreprises d'un nouveau genre (B).

A - L'Ubérisation au service de l'administration fiscale

Si l'administration fiscale souhaite éviter une érosion des bases taxables, il lui faut à la fois lutter contre la planification fiscale agressive des sites, mais aussi et surtout contre la fraude fiscale des utilisateurs de ces sites. En effet, comme ces entreprises ne se livrent en fait qu'à des activités de courtage, leurs chiffres d'affaires ne correspondent qu'à un modique pourcentage de la transaction. Or, il convient de soumettre à l'impôt l'intégralité de cette transaction qui rémunère à la fois le site et le particulier prestataire.

Avec une totale centralisation des paiements sur les serveurs de l'entreprise, la traçabilité des transactions est sans commune mesure avec celle des espèces exigées par des "professionnels" qui refusent tout autre mode de paiement. Encore faudrait-il bien entendu que le fichier de ces transactions soit communiqué à l'administration fiscale.

Tel fut l'objet d'un amendement sur la fiscalité de la location de voiture entre particuliers déposé pour la loi de finances pour 2014 (loi n° 2013-1278 du 29 décembre 2013, de finances pour 2014 N° Lexbase : L7405IYW) par le député Charles de Courson (amendement n° II-CF94).

L'amendement prévoyait que la location entre particuliers relève du régime des bénéfices industriels et commerciaux (BIC) et que les sites de mise en relation entre particuliers, à l'instar de Drivy, transmettent à l'administration fiscale l'ensemble des transactions réalisées. L'amendement allait même au-delà de cette transmission d'informations puisque les sites devenaient solidaires du paiement de l'impôt sur le revenu à la charge des particuliers loueurs. Il faut avouer que cette solidarité était certainement excessive dans la mesure où l'activité réelle du site réside seulement dans le courtage. C'est d'ailleurs certainement pour cette raison que cet amendement a été retiré le 6 novembre 2013. Mais les élus qui soutenaient l'amendement ont annoncé leur intention de revenir à la charge en incluant d'autres formes de partage payant entre particuliers.

Nous aurons ainsi probablement dans quelques semaines ou dans quelques mois de nouvelles initiatives législatives de ce type. D'autant que l'explosion quantitative des données numériques a invité les administrations fiscales à créer de nouveaux outils d'utilisation de ces données. En effet, les différentes administrations fiscales ont rapidement vu dans l'utilisation de données massives récoltées auprès des contribuables un dispositif efficace de lutte contre la fraude fiscale. En particulier, s'agissant de la TVA, l'utilisation de données multiples retraçant le comportement d'un ou plusieurs contribuables simultanément permettrait de déceler plus efficacement les montages de fraude dite "carrousel". Plusieurs pays européens se sont tournés vers l'utilisation des données massives collectées auprès des contribuables par l'administration fiscale, mais également par les autres services publics pour déceler et anticiper les fraudes "carrousel". L'objectif est de pouvoir intervenir rapidement avant la disparition de la société dite "taxi". L'administration française n'est pas en reste puisque dès les années 1980, l'utilisation d'algorithmes permettait d'analyser les déclarations de revenus de particuliers. Mais ce n'est que récemment, en mars 2014, que l'Etat français s'est doté des outils permettant d'utiliser des données massives des contribuables français, professionnels et particuliers, afin de lutter efficacement contre la fraude fiscale. La direction générale des finances publiques a ainsi lancé le projet baptisé "ciblage de la fraude et valorisation des requêtes" (CFVR), premier traitement de données basé sur la technique de data-mining en matière de fraude fiscale. Le CFVR se base sur l'exploitation des données stockées au sein de la base dénommée "EDEN" (entrepôt de données dédié aux études fiscales nationales). Ce nouvel EDEN pour l'administration fiscale risque fort de virer à l'enfer pour les utilisateurs des plateformes de mise en relation dès lors que les start-ups seront tenues d'alimenter la base de données avec l'ensemble des transactions qu'elles favorisent entre particuliers.

On soulignera d'ailleurs que la loi "ALUR" (accès au logement et urbanisme rénové), adoptée en mars 2014 (la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 N° Lexbase : L8342IZY), oblige les propriétaires qui louent sur Airbnb à demander une autorisation à la mairie quand il ne s'agit pas de leur résidence principale. Selon un communiqué de la mairie de Paris du 25 août 2015, Airbnb se serait même engagée à verser la taxe de séjour directement à la municipalité à partir du 1er octobre 2015. Airbnb se transforme ainsi déjà en collecteur d'impôt...

Néanmoins, l'Ubérisation de la société est également susceptible de profiter aux particuliers qui pourraient être mieux informés sur leur situation fiscale grâce à des plateformes de mise en relation avec des conseillers fiscaux, car les nouvelles sociétés n'ont peur de rien et sont prêtes à affronter les marchés les plus fermés et les plus réglementés.

B - L'Ubérisation au service des contribuables

Il n'y a pas que les chauffeurs de taxi, les hôteliers et les loueurs de véhicules qui craignent l'arrivée des nouvelles sociétés de l'internet. Il y a aussi les avocats et les notaires.

En effet, depuis peu sont apparus de nombreux services juridiques sur internet. Le site Testamento propose par exemple une aide pour rédiger son testament olographe. Pour quelques euros de plus, le site s'engage même à inscrire le testament au fichier central des dispositions des dernières volontés et de le conserver à vie chez un notaire.

D'autres sites, tel DemanderJustice.com, proposent une aide en ligne aux justiciables, facturée moins d'une centaine d'euros, afin de préparer leur dossier de saisine du tribunal d'instance, du juge de proximité ou du conseil des prud'hommes (juridictions devant lesquelles l'assistance d'un avocat n'est pas toujours obligatoire). Face à cette concurrence qu'il juge déloyale, l'Ordre des avocats porte régulièrement plainte pour "exercice illégal du droit" contre ceux qu'il appelle les "pirates" ou les "braconniers" du droit. Le dirigeant du site DemanderJustice.com a ainsi fait l'objet de poursuites, du chef d'exercice illégal de la profession d'avocat. Il est vrai que la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 (N° Lexbase : L6343AGZ) encadre les activités de consultation juridique, de rédaction d'acte sous seing privé et de représentation en justice. Cette loi prévoit même des sanctions pénales pour ceux qui enfreignent ces règles. Or, contre toute attente, le dirigeant poursuivi a été relaxé par un jugement du tribunal correctionnel du 13 mars 2014. Même si le ministère public a fait appel de la décision, il s'agit d'un sérieux revers pour l'Ordre des avocats de Paris et le Conseil national des barreaux (3).

D'autres plateformes de communication vers l'internaute suscitent moins de critiques, car elles sont favorables aux avocats en leur permettant d'attirer les clients qui cherchent un conseil juridique. Par exemple, le site Legavox est une plateforme gratuite permettant à l'avocat de créer un blog gratuitement et à l'internaute d'avoir une information juridique ou fiscale gratuite par la même occasion. Lorsque l'internaute désire une consultation en ligne, la plateforme lui offre la possibilité de poser une question sur un forum. Mais il a également la possibilité d'avoir une consultation payante par un avocat, via un service de paiement en ligne. On soulignera cependant que cette plateforme n'est pas uniquement dédiée aux avocats, mais est en réalité ouvert à tous les juristes ou "apprentis" juristes.

Le site CaptainContrat est particulièrement intéressant, car il offre aux utilisateurs une aide à la rédaction de contrats. Des solutions logicielles basées sur des algorithmes de génération documentaire permettent aux utilisateurs de ne pas avoir recours à un avocat et d'accomplir de façon autonome un certain nombre de démarches juridiques et administratives : création d'entreprises, recrutement de salariés, recouvrement de factures impayées, protection des marques, etc.. Mais, si l'utilisateur le désire, il peut être mis en relation avec un avocat qui l'aidera de ses démarches. Plusieurs avocats sont ainsi référencés et le site ne fait alors que les mettre en relation des clients potentiels. On soulignera que si ces avocats sont tous relativement jeunes, ils ont des profils tout à fait intéressants (certains sont inscrits au barreau de Paris et au barreau de New-York !) et exercent souvent dans des cabinets renommés.

A l'heure du cyberdroit (4), assisterons-nous à l'arrivée prochaine d'un "CaptainFiscal" ?

Cette évolution est quasiment certaine. Car même si les services fiscaux assurent parfaitement leur mission d'information du public avec des sites comme impot-gouv.fr ou service-public.fr, le maquis du droit fiscal impose souvent le recours à des conseillers professionnels. Or, l'activité de conseil fiscal, qui n'est qu'une variante du conseil juridique, ne peut selon la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, qu'être dispensée, à titre principal, par des avocats ou des notaires, sans compter naturellement les incontournables professeurs de droit. Mais on soulignera également que les experts-comptables peuvent, depuis l'ordonnance n° 2014-443 du 30 avril 2014 (N° Lexbase : L0913I39), "assister, dans leurs démarches déclaratives à finalité fiscale, sociale et administrative, les personnes physiques qui leur ont confié les éléments justificatifs et comptables nécessaires auxdites démarches". Il n'y a pas que la guerre entre la nouvelle économie et l'économie traditionnelle, il y a aussi et toujours cette guerre larvée entre le Chiffre et le Droit.


(1) G. Cornu, Vocabulaire juridique, PUF, 9ème éd., v° Profession ; J. Savatier, Contribution à une étude juridique de la profession, in Dix ans de conférences d'agrégation. Etudes de droit commercial offertes à J. Hamel, Dalloz, 1961, p. 3 et s..
(2) Rép. Min. Gerbaud, JO Sénat, 6 septembre 2007, p. 1575, n° 00094. On notera également qu'il a déjà été jugé qu'un contribuable qui, au cours d'une année, s'est livré à des opérations de vente et d'échange portant sur plusieurs véhicules automobiles ainsi qu'à la revente de divers matériels, étant précisé que ces opérations ont revêtu un caractère répétitif et n'ont pas été conclues avec un même acheteur, a entrepris une activité commerciale soumise au BIC (CE, 3 avril 1957, n° 30552, RO, p. 323).
(3) F. Girard de Barros, Service en ligne de résolution de litiges et association de consommateurs : tomber de Charybde en Scylla, Lexbase Hebdo n° 605 du 19 mars 2015 - édition Lettre juridique (N° Lexbase : N6496BU7).
(4) Cette année, le 22ème colloque de la Saint-Yves organisé par les avocats de Saint Brieuc s'intitulait "l'accès au droit : l'évolution vers le cyberdroit" (C. Feral-Schuhl, Avocats : gardiens du Droit et précurseurs du futur, Les Annonces de la Seine, 22 juillet 2015, n° 27, p. 23).

newsid:448725

Licenciement

[Brèves] Publication au Journal officiel de la loi "Macron" : le Conseil constitutionnel retoque préalablement l'encadrement du montant de l'indemnité prononcée par le conseil de prud'hommes en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse

Réf. : Loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques (N° Lexbase : L4876KEC) ; Cons. const., décision n° 2015-715 DC du 5 août 2015 (N° Lexbase : A1083NNG)

Lecture: 2 min

N8662BUD

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/25968486-edition-n-623-du-03-09-2015#article-448662
Copier

Le 03 Septembre 2015

Publiée au Journal officiel du 7 août 2015, la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques (N° Lexbase : L4876KEC), dite loi "Macron" est entrée en vigueur après que le Conseil constitutionnel se soit pronnoncé sur sa conformité à la Constitution.
Concernant le droit du travail, seul l'article 266 de la loi "Macron" instituant un dispositif d'encadrement de l'indemnité octroyée par le juge au salarié licencié sans cause réelle et sérieuse en fonction des critères d'ancienneté du salarié dans l'entreprise et des effectifs de l'entreprise a été déclaré non-conforme à la Constitution dans une décision rendue le 5 août 2015 par le Conseil constitutionnel (Cons. const., décision n° 2015-715 DC du 5 août 2015 N° Lexbase : A1083NNG).
Pour rappel, l'article 266 de la loi "Macron" était relatif à l'encadrement du montant de l'indemnité prononcée par le conseil de prud'hommes en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse. Le 1° du paragraphe I de l'article 266 modifiait l'article L. 1235-3 du Code du travail (N° Lexbase : L1342H9L) pour encadrer l'indemnité octroyée par le juge au salarié licencié sans cause réelle et sérieuse en réparation de la seule absence de cause réelle et sérieuse. Il prévoyait des minima et maxima d'indemnisation, exprimés en mois de salaires, qui varient en fonction, d'une part, de l'ancienneté du salarié dans l'entreprise et, d'autre part, des effectifs de l'entreprise. A cet égard, le législateur avait distingué entre les entreprises selon qu'elles emploient moins de vingt salariés, de vingt à deux cent quatre-vingt-dix-neuf salariés, ou trois cents salariés et plus.
Les députés requérants soutenaient que ces dispositions instituaient, en méconnaissance du principe d'égalité devant la loi, une différence de traitement injustifiée entre les salariés licenciés sans cause réelle et sérieuse en fonction de la taille de l'entreprise.
Le Conseil constitutionnel a précisé que si le législateur pouvait, afin de favoriser l'emploi en levant les freins à l'embauche, plafonner l'indemnité due au salarié licencié sans cause réelle et sérieuse, il devait retenir des critères présentant un lien avec le préjudice subi par le salarié. Si le critère de l'ancienneté dans l'entreprise est ainsi en adéquation avec l'objet de la loi, tel n'était pas le cas du critère des effectifs de l'entreprise, de sorte que le Conseil constitutionnel a, en conséquence, censuré l'article 266 pour méconnaissance du principe d'égalité devant la loi (cf. l’Ouvrage "Droit du travail" N° Lexbase : E2820ETM).

newsid:448662

Recouvrement de l'impôt

[Brèves] Annulation d'un titre de perception malgré une incompatibilité communautaire

Réf. : CE 3° et 8° s-s-r., 22 juillet 2015, n° 367567, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A9784NMC)

Lecture: 2 min

N8706BUY

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/25968486-edition-n-623-du-03-09-2015#article-448706
Copier

Le 10 Septembre 2015

En principe, l'Etat ne peut mettre en recouvrement une créance sans indiquer, soit dans le titre de perception lui-même, soit par une référence précise à un document joint à ce titre ou précédemment adressé au débiteur, les bases et les éléments de calcul sur lesquels il s'est fondé pour déterminer le montant de la créance. Ainsi, même si le titre de perception est relatif à l'article 44 septies du CGI (N° Lexbase : L4650I7D), qui a été déclaré incompatible avec le marché commun par la Commission européenne, ce dernier ne permettant pas à la société requérante de connaître les modalités de calcul de la créance de l'Etat, il peut alors être annulé. Telle est la solution dégagée par le Conseil d'Etat dans un arrêt rendu le 22 juillet 2015 (CE 3° et 8° s-s-r., 22 juillet 2015, n° 367567, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A9784NMC). En l'espèce, une société a bénéficié, en 1998, de l'exonération d'impôt sur les sociétés en faveur de la reprise d'entreprises en difficulté prévue à l'article 44 septies du CGI. Néanmoins, par une décision 2004/343/CE du 16 décembre 2003, la Commission européenne a déclaré que les exonérations octroyées en application de cet article, autres que celles qui remplissent les conditions d'octroi des aides de minimis et des aides à finalité régionale, constituaient des aides d'Etat illégales et a ordonné la récupération sans délai des aides versées. Le trésorier-payeur général a alors émis à l'encontre de la société requérante un titre de perception d'un montant correspondant aux cotisations d'impôt sur les sociétés et de contribution additionnelle à l'impôt sur les sociétés dont la société avait été exonérée en application de l'article 44 septies du CGI, diminuées des aides de minimis et des aides à finalité régionale dont elle pouvait bénéficier. Toutefois, le Conseil d'Etat n'a pas suivi l'administration fiscale. En effet, au cas présent, le titre de perception litigieux ne satisfaisait pas aux exigences de motivation précitées. Cependant, ce vice peut être régularisé par l'émission d'un nouveau titre de perception. Ainsi, les dispositions de l'article 14, paragraphe 3, du Règlement (CE) n° 659/1999/CE du 22 mars 1999 (N° Lexbase : L4215AUN), qui impliquent de concilier le respect des procédures prévues par le droit national avec l'exigence de permettre l'exécution effective et immédiate de la décision de la Commission, ne font pas obstacle à l'annulation du titre de perception litigieux .

newsid:448706

Social général

[Doctrine] Simplifier le droit du travail - ou comment vider le tonneau des Danaïdes

Lecture: 13 min

N8714BUB

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/25968486-edition-n-623-du-03-09-2015#article-448714
Copier

par Christophe Radé, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

Le 07 Septembre 2015

L'été 2015 aura livré aux juristes du travail deux textes très attendus, censés redonner de la vigueur aux entreprises étouffées par un droit du travail devenu illisible, inefficace et injuste : la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques (N° Lexbase : L4876KEC), dite loi "Macron", et la loi n° 2015-994 du 17 août 2015, relative au dialogue social et à l'emploi (N° Lexbase : L2618KG3), dite loi "Rebsamen". Un premier constat s'impose à la lecture de ces deux textes : leur volume ! 308 articles et 116 pages de Journal officiel, pour la loi "Macron", 62 articles et 45 pages pour la loi "Rebsamen". Une seconde observation saute aux yeux, comme un paradoxe, un défi à l'entendement : ces deux textes sont censés simplifier le droit du travail ! Les images se bousculent alors, celle d'un législateur schizophrène, complexifiant d'une main et simplifiant de l'autre, ou celle d'une malédiction frappant les Danaïdes jugées et précipitées dans le Tartare, et condamnées à remplir éternellement des jarres percées... La complexité serait-elle, dès lors, inhérente au droit du travail, et la simplicité impossible à réaliser ? Sans doute pas. Aujourd'hui, et c'est la condition première pour qu'une véritable entreprise de simplification du droit du travail puisse opérer, la nécessité de simplifier semble généralement admise (I). Même si la mise en oeuvre pêche, les voies de cette simplification semblent également se dessiner (II).
I - La simplification du droit du travail comme nécessité

Un objectif affiché. La lecture de l'exposé des motifs des deux textes adoptés pendant l'été (les lois "Macron" et "Rebsamen") montre à quel point le Gouvernement s'inscrit dans la recherche actuelle de simplification du droit, démarche dont il est aisé de mesurer la portée symbolique en observant l'intitulé des douze lois et sept ordonnances publiées ces dernières années visant explicitement cet objectif (1).

La simplification dans la loi "Macron". S'agissant de la loi "Macron", la complexité du droit est visée dès la première phrase de l'exposé des motifs comme l'ennemi à abattre : "pour renouer avec une croissance durable, l'économie française doit être modernisée et les freins à l'activité levés. Pour atteindre ces objectifs, la loi pour l'activité et la croissance vise à assurer la confiance, à simplifier les règles qui entravent l'activité économique et à renforcer les capacités de créer, d'innover et de produire des Français et en particulier de la jeunesse". Et c'est logiquement que la simplicité constitue la mère des vertus législatives : c'est la "levée des obstacles réglementaires qui limitent l'offre de logements neufs intermédiaires" qui pourra "favoriser la mobilité" et fluidifier le marché immobilier ; c'est l'adoption "des mesures de simplification réduisant les délais d'attribution des permis de construire et des projets d'aménagement" qui va relancer le secteur du bâtiment ; c'est en simplifiant encore et en accélérant "les procédures applicables aux projets industriels et [en rendant] [...] plus lisible et plus stable l'environnement législatif" que l'on va "stimuler l'innovation et l'investissement". La loi se propose également de "simplifier" les conditions d'ouverture de bureaux secondaires des avocats ; le recours au salariat dans les offices publics et ministériels ; le dispositif des ventes judiciaires de meubles ; les domaines d'intervention du professionnel de l'expertise comptable en matière administrative, économique, fiscale et sociale des entreprises ou des particuliers ; la création de structures associant des professionnels du droit et de l'expertise-comptable ; les règles relatives à la société d'exercice libéral et à la société de participations financières de professions libérales ; l'harmonisation des conditions de dispense de recours à l'architecte et le fait de donner cette possibilité à toutes les exploitations agricoles, quelle que soit leur forme de société ; la procédure d'autorisation pour l'implantation de la fibre optique dans les parties communes d'un immeuble ; la procédure d'établissement des servitudes radioélectriques prévues par le CPCE ; les modalités d'imposition du gain d'acquisition des actions gratuites, égal à la valeur des actions gratuites au jour de leur acquisition, afin d'augmenter l'attractivité de ce dispositif ; le cadre juridique de l'intervention de l'Etat actionnaire ; les relations entre locataires et bailleurs ; l'architecture de la commande publique ; les procédures devant l'Autorité de la concurrence et l'amélioration de leur efficacité.

Le droit du travail ne pouvait, bien entendu, pas demeurer étranger à ce mouvement, et la loi "Macron" vise également à simplifier les dispositifs existants de l'épargne salariale ; les dispositions relatives au handicap, notamment la manière dont l'employeur peut s'acquitter partiellement de l'obligation d'emploi en accueillant des personnes handicapées pour des périodes de mise en situation en milieu professionnel ; des processus, notamment pour le reclassement à l'international ou le périmètre d'application de l'ordre des licenciements.

La simplification dans la loi "Rebsamen". Quoi que principalement destinée à améliorer la qualité du dialogue social, singulièrement dans les entreprises dépourvues de délégués syndicaux, la loi "Rebsamen" n'échappe pas non plus à l'exigence de simplification, celle-ci étant un gage d'une meilleure efficacité du dialogue social qui doit ainsi "gagner en densité et en richesse". Succombe également à la mode de la simplification le revenu de solidarité active, le fonctionnement des institutions représentatives du personnel, les obligations d'information de l'employeur, ou encore la prime d'activité.

Un désir de simplification très largement partagé. L'un des phénomènes marquant de ces derniers mois est certainement la conversion d'une partie de la doctrine travailliste aux vertus de la simplification (2).

Certes, il subsiste toujours une partie non négligeable de la population des juristes du travail, historiquement d'ailleurs pionnière dans la quête de simplification (3), qui voit dans la simplification du droit du travail le meilleur moyen de se débarrasser des contraintes normatives pesant sur les entreprises, confondant ainsi, à dessein, simplification et libéralisation (4), c'est-à-dire qui souhaitent un recul de l'ordre public au profit d'une plus grande liberté normative des partenaires sociaux et des contractants (5), voire qui rêvent de jeter le Code du travail au bûcher (6), ou aux orties (7).

Mais un constat semble aujourd'hui s'imposer, y compris à ceux qui considèrent que le droit du travail doit accorder aux salariés un haut niveau de protection : c'est celui d'un Code du travail devenu illisible, opaque (8), qui finit par se retourner contre ceux-là même qu'il est censé protéger (9). La simplification devient alors le gage d'une meilleure efficacité d'un droit du travail véritablement protecteur de ses destinataires naturels, une qualité recherchée de la norme quelle qu'elle soit.

Certes, il est impossible, et pour tout dire, illusoire, de prétendre que le droit du travail pourrait se résumer en quelques grands principes dont l'application pourrait être laissée à la sagesse du juge (10), renouant ainsi avec l'utopie codificatrice des années postrévolutionnaires lorsque Cambacérès travaillait à un Code civil minimaliste (11). Même les auteurs qui militent aujourd'hui pour un Code simplifié renvoient au pouvoir réglementaire, ou aux partenaires sociaux, pour le détail de règles (12). La complexité de l'activité économique, les spécificités des branches, des entreprises, des traditions locales, imposent, en effet, de nombreuses distinctions et exceptions aux principes, qui ne peuvent être négligées, sauf à se contenter de normes tellement générales qu'elles en deviendraient impuissantes à saisir le réel, laissant au juge le soin d'en préciser le contenu concret, ce qui conduirait à la pire des situations en termes de prévisibilité, d'absence de contrôle démocratique et d'égalité devant la norme (13).

Des efforts jusque-là vains. La recherche de simplification implique des efforts à tous les niveaux, de la conception de la norme à son application. Or, le moins que l'on puisse observer est que les lois actuelles, qui ont pourtant fait de la simplification leur étendard, sont bien loin de satisfaire à leurs propres exigences. Pour ne prendre l'exemple que des deux derniers textes mis en circulation, qu'observe-t-on ?

Sur un plan simplement quantitatif tout d'abord, ces textes, censés dénoncer la complexité du droit positif pour y trouver remède, semblent totalement incapables de remplacer l'existant, a minima : 116 pages au Journal officiel pour la loi "Macron", 45 pages pour la loi "Rebsamen".

En entrant un peu plus dans le détail des textes, et pour ne s'intéresser qu'aux aspects relatifs au droit du travail, les dispositions ajoutent la plupart du temps à l'existant, sans substituer de nouveaux régimes plus simples ; il suffira, pour s'en convaincre, d'observer les modifications apportées aux nombreuses dispositions concernant l'épargne salariale ou au travail de nuit ou dominical, le texte ajoutant de nouvelles couches au mille-feuilles législatif en créant un travail en soirée, aux côtés du travail de nuit, ou en créant de nouvelles zones de dérogations au principe du repos dominical, qu'il s'agisse des zones de tourisme international, ou des gares.

L'examen de la loi "Rebsamen" ne nous enseigne pas autre chose. Après l'échec notable des élections organisées dans les branches, dont la moitié, au moins, des entreprises comprennent un effectif inférieur à onze salariés (14), le Gouvernement persiste et signe avec la mise en place de "commissions paritaires régionales interprofessionnelles pour les salariés et les employeurs des entreprises de moins de onze salariés", dans le cadre d'un titre XI, ajouté au livre III de la deuxième partie du Code du travail, créant, ainsi, une numérotation des articles à 5 chiffres, sans compter les sous-sections et autres paragraphes... L'examen des attributions de ces nouvelles instances laisse perplexe : il s'agit, selon les propres termes de l'article L. 23-113-1 du Code du travail (N° Lexbase : L5386KGL) d'informer et de conseiller, de débattre, de rendre des avis, de faciliter la résolution des conflits individuels ou collectifs, ou de faire des propositions... Et voici qu'apparaissent de nouveaux salariés protégés, dont le licenciement devra être autorisé par l'autorité administrative, une nouvelle infraction pénale, la rupture sans autorisation, des nouveaux droits à remboursement... Et que dire des dispositions sur la carrière des élus et des représentants syndicaux ...

Sur un plan qualitatif, maintenant, on pouvait croire que la simplification allait passer par la mise en oeuvre de dispositifs simples, commandés par des notions explicites et compréhensibles pour des justiciables et non sujettes aux interprétations les plus variables et inattendues. Or, le législateur semble prendre un malin plaisir à créer de nouvelles "notions juridiques" aux contours toujours aussi flous et qui prétendent rendre compte d'une pseudo réalité économique ou sociale, comme les anciennes PUCE ou les nouvelles "zones touristiques internationales", définies légalement par le "rayonnement international de ces zones, [...] l'affluence exceptionnelle de touristes résidant hors de France et l'importance de leurs achats" (15).

La simplification serait-elle alors un voeu pieu, une ligne d'horizon que le juriste du travail serait condamné à ne jamais pouvoir atteindre ? Espérons tout le contraire et envisageons quelques pistes.

II - La simplification du droit du travail comme réalité

Légiférer moins souvent. La première, et non la moindre, des solutions consiste à légiférer moins, et moins souvent. Les acteurs ont besoin de temps pour s'approprier les réformes, pour les comprendre, les mettre en oeuvre, ajuster les pratiques, et des changements incessants dans l'état du droit créent un sentiment d'insécurité peu compatible avec le besoin de stabilité. Si l'on prend l'exemple du dialogue social dans l'entreprise, et singulièrement celui de la négociation dans les entreprises dépourvues de délégué syndical, la succession des réformes est édifiante et les changements opérés par le législateur à la marge. La loi n° 2008-789 du 20 août 2008, portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail (N° Lexbase : L7392IAZ) permettait de négocier avec des représentants élus du personnel sous condition d'un effectif de moins de 200 salariés. Cette condition étant supprimée par la loi "Rebsamen" du 17 août 2015 ; il n'y a donc eu aucun changement pour 99 % des entreprises françaises déjà visées par le dispositif. La loi du 20 août 2008 permettait la négociation avec des représentants élus, portant sur des droits dont la mise en oeuvre était légalement subordonnée à la conclusion d'un accord collectif : c'est toujours le cas. Elle imposait la validation par une commission paritaire de branche : c'est toujours le cas ; seul change le sens du silence conservé par la commission, qui vaut désormais rejet. Elle permettait la négociation par des salariés mandatés par des organisations syndicales représentatives dans la branche. C'est toujours le cas, même si cette possibilité passe en tête des modalités dérogatoires, en remplacement de l'ancienne hypothèse du mandatement. La loi impose simplement que ce mandatement soit accordé à des salariés élus, émane des syndicats représentatifs dans la branche, ce qui était en pratique le cas dans la plupart des hypothèses auparavant, et ouvre la négociation à toutes les questions (16). Ces changements sont, on en conviendra, purement techniques, la loi permettant aux salariés élus de négocier, sous contrôle syndical, selon des modalités qui ne sont que faiblement différentes. Fallait-il, dans ces conditions, réformer la négociation d'entreprise sans délégué syndical ? Ne fallait-il pas plutôt simplifier le dispositif en ouvrant sans condition la négociation aux délégués du personnel, sous le contrôle de la branche ?

Prenons un autre exemple, tiré du travail de nuit et du repos dominical. La loi du 20 août 2008, dans son autre volet, avait fixé une période de travail de nuit, à laquelle la loi "Macron" du 6 août 2015 apporte de simples correctifs, sans véritable réforme de fond, sans véritable projet de société différent, c'est-à-dire sans avoir véritablement tranché la question politique. La loi prévoyait quatre types de dérogations au principe du repos dominical (permanentes de droit, conventionnelles, préfectorales et municipales), ce qui était déjà assez complexe à comprendre pour le citoyen moyen ; le Code du travail en prévoit désormais cinq, et ajoute les dérogations sur un fondement géographique, dont le régime est d'une complexité accrue (17), sans compter la multiplication des dimanches objet de dérogations municipales. Le régime est désormais totalement opaque pour le public qui ne comprend plus si, en France, aujourd'hui, le dimanche est un jour où l'on peut ou non, travailler... Mais le législateur le sait-il encore lui-même ?

Limiter le rôle de la loi aux principes fondamentaux. L'article 34 de la Constitution (N° Lexbase : L1294A9S) a choisi, s'agissant du droit du travail, de confier au législateur le soin d'en déterminer les principes fondamentaux, et au Gouvernement de fixer le détail des règles. Malheureusement, ce principe de répartition des compétences n'est pas sanctionné par le Conseil constitutionnel qui permet au Parlement de se répandre en réformes pléthoriques, bien au-delà de sa compétence constitutionnelle, sous prétexte que le Premier ministre peut toujours utiliser la procédure du déclassement s'il veut reprendre la main sur des terres indûment occupées par le législateur. Un retour aux sources constitutionnelles du droit du travail s'impose donc, ce qui se traduirait, par la force des choses, par une simplification des lois, de retour dans leur berceau (18).

Autolimiter le travail parlementaire. L'examen des conditions dans lesquelles la loi "Macron" a été adoptée montre à quel point le travail parlementaire peut être perverti par des querelles partisanes et l'intervention des lobbies. Comment ne pas songer à cet amendement ajouté à la va-vite au projet de loi le 9 juillet dernier, alors que le Gouvernement s'apprêtait à faire voter le texte sans vote, dans le cadre du "49-3" utilisé à trois reprises, d'ailleurs, durant la procédure, à l'initiative du sénateur de Moselle, Gérard Longuet, autorisant le projet d'enfouissement des déchets radioactifs CIGEO (Centre industriel de stockage géologique) situé à Bure (Meuse). Fort heureusement, et comme on pouvait s'y attendre, ce cavalier parlementaire a été censuré, avec 16 autres articles de la loi, par le Conseil constitutionnel, en raison de la violation de l'article 45 de la Constitution (N° Lexbase : L1306A9A) qui subordonne la recevabilité des amendements à l'existence d'un "lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis" (19). Il serait donc souhaitable que les parlementaires eux-mêmes acceptent de se concentrer sur la discussion des principes fondamentaux des réformes, loin des milliers d'amendements déposés pour faire barrage aux réformes et qui encombrent la procédure législative et qui, lorsqu'ils sont adoptés, défigurent les textes et contribuent à les rendre illisibles.

Améliorer la qualité juridique des textes. En ramenant les textes à l'énoncé des principes fondamentaux qui structurent les réformes, le législateur devrait, logiquement, s'en tenir à des notions bien connues du droit, et devrait, en toute hypothèse s'appuyer sur des définitions déjà bien éprouvées. Le retour à des standards permettrait également aux destinataires des normes, salariés et employeurs, mais également à tous ceux qui sont chargés de son application, administration du travail comme tribunaux, de mieux comprendre les objectifs poursuivis par le législateur, et sans doute d'interpréter les textes en fonction de ces objectifs. La loi devrait également faire l'économie des précisions inutiles, des régimes inutilement alambiqués.

Reprenons le cas des modifications apportées par la loi "Macron" au régime du travail de nuit et du dimanche qui nous semble typique. Le Code du travail prévoit, en effet, une faculté de dérogation préfectorale "lorsqu'il est établi que le repos simultané, le dimanche, de tous les salariés d'un établissement serait préjudiciable au public ou compromettrait le fonctionnement normal de cet établissement". La condition de fond pour la dérogation est exprimée clairement, l'objectif poursuivi (intérêt de l'entreprise ou du public) clairement établi. Jusqu'à présent, l'article L. 3132-21, ancien, du Code du travail (N° Lexbase : L0474H9G) disposait simplement que les dérogations devaient être accordées pour une durée limitée, sans autre précision. La loi "Macron" modifie le texte et ajoute une procédure bien plus complexe, qui devra être renouvelée au moins tous les trois ans, et qui suppose, désormais, l'avis de six acteurs locaux (20). Le texte prévoit également une dérogation à la procédure en cas d'urgence et lorsque les dérogations ne concernent pas plus de trois dimanches par année...

La loi crée une cinquième catégorie de dérogations, "sur un fondement géographique", et vise ainsi une nouvelle ère, la "zone touristique internationale"... Pourquoi internationale ? A partir de quel taux d''étrangers la zone sera-t-elle internationale ? Le texte de l'article L. 3132-24 vise "l'importance des achats" de ces touristes résidant "hors de France"... Importance absolue (2 000, 3 000 euros par jour ?), relative (plus que les touristes français ?) ? Et pourquoi les touristes français ne devraient pas avoir, en tant que touristes, les mêmes possibilités commerciales le dimanche ? La lecture de ce texte est d'ailleurs trompeuse car l'article suivant, l'article L. 3132-25 (N° Lexbase : L2091KGK), permet la même dérogation, selon les mêmes modalités, pour les mêmes établissements "situés dans les zones touristiques caractérisées par une affluence particulièrement importante de touristes"... Il n'est alors plus question de tourisme international pour déroger au repos dominical... Alors pourquoi distinguer deux types de zones si c'est pour les soumettre au même régime ? La réponse se trouve ailleurs, dans les dispositions relatives au travail de nuit et en soirée, qui ne bénéficieront aux zones de tourisme que si celui-ci est international (21). Tout ceci est-il bien raisonnable ... ?

Donner des consignes d'interprétation aux acteurs. La sobriété qui doit être de mise dans l'exposé des normes, devrait s'accompagner d'indications données aux acteurs sur la meilleure manière d'appliquer ou d'interpréter les normes, ce qui permettrait de rendre la détermination de la portée pratique de ces normes plus prévisible. Ainsi, et pour reprendre l'exemple du régime du repos dominical, les exceptions prévues par la loi devraient d'abord être définies de manière générale, selon les objectifs poursuivis par le législateur, en renvoyant au pouvoir réglementaire et/ou aux partenaires sociaux le soin d'en fixer le détail.


(1) Une recherche dans Légifrance montre que vingt-cinq lois ont fait référence, dans leur intitulé, à l'objectif de simplification, depuis la loi du 11 octobre 1940, relative à la simplification des procédures d'expropriation pour l'exécution d'urgence des travaux destinés à lutter contre le chômage jusqu'à la plus récente, la loi n° 2015-177 du 16 février 2015, relative à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures (N° Lexbase : L9386I7R).
(2) La plus spectaculaire est certainement celle d'Antoine Lyon-Caen, qui publie avec Robert Badinter un ouvrage commun, intitulé Le travail et la loi, Fayard, 2015, 77 pages, qui s'inscrit résolument dans cette mouvance.
(3) Lire notamment B. Teyssié, Propos autour d'un projet d'autodafé, in faut-il brûler le Code du travail ? ; Montpellier 25 avril 1986, Dr. soc., 1986, p. 559, v., in fine, n° 19, p. 561.
(4) C'est d'ailleurs pour cette raison que l'entreprise de recodification du Code du travail, initiée à partir de la fin de l'année 2004 dans le cadre d'une loi de simplification du droit (loi n° 2004-1343 du 9 décembre 2004 de simplification du droit N° Lexbase : L4734GUU), a été si mal reçue par toute une frange des juristes qui ont cru voir dans cette initiative la volonté de porter atteinte aux intérêts des travailleurs : lire parmi tant d'attaques, celle d'E. Dockès, La décodification du droit du travail, Dr. soc., 2007, p. 388, et notre réponse, Le nouveau Code du travail et la doctrine : l'art et la manière, Dr. soc., 2007, p. 513.
(5) Dernièrement, B. Teyssié, Droit du travail, droit des affaires, vie des affaires, Dr. soc., 2015, p. 193.
(6) Colloque préc..
(7) J.-Ch. Le Feuvre, Faut-il jeter le Code du travail aux orties ?, Eyrolles, 2012, p. 155.
(8) Lire déjà G. Borenfreund, Le droit du travail en mal de transparence ?, Dr. soc., 1996, p. 461.
(9) En ce sens, les propos de R. Badinter et A. Lyon dans leur ouvrage commun, Le travail et la loi, Fayard, 2015, 77 pages, sp. p. 11 : "Et le droit du travail ainsi mythifié joue contre les travailleurs qu'il est censé protéger".
(10) En ce sens, P. Lokiec, Il faut sauver le droit du travail, O. Jacob, février 2015, 163 p., singulièrement dans son introduction, p. 16-17.
(11) Le premier projet de Cambacérès était constitué de 695 articles, le deuxième de 287, le troisième de 1104.
(12) Ainsi R. Badinter et A. Lyon-Caen, préc..
(13) Il faut écarter la tentation d'un "Code du travail pour les nuls", selon l'expression de Pascal Lokiec.
(14) Elections qui se sont déroulées du 28 novembre au 12 décembre 2012, avec un taux de participation d'environ 10 %.
(15) C. trav., art. L. 3132-24, nouveau (N° Lexbase : L2084KGB).
(16) C. trav., art. L. 2232-21, nouveau (N° Lexbase : L5837IEW).
(17) C. trav., art. L. 3132-24 à L. 3132-25-6, nouveaux.
(18) C'est le sens d'ailleurs de la démarche de Robert Badinter et d'Antoine Lyon-Caen dans leur ouvrage, préc..
(19) On pourrait même se demander dans quelle mesure le Gouvernement n'accepte pas ce genre de pratiques, dans le cadre de petites manoeuvres politiciennes, en sachant pertinemment que ces textes ne passeront pas le cap du contrôle de constitutionnalité, mais uniquement pour s'accorder les bonnes grâces de tel ou tel parlementaire, représentant tel ou tel groupe d'intérêts... ?
(20) Le conseil municipal, l'organe délibérant de l'établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre dont la commune est membre, la chambre de commerce et d'industrie, la chambre de métiers et de l'artisanat, les organisations professionnelles d'employeurs et les organisations syndicales de salariés intéressées de la commune !
(21) C. trav., art. L. 3122-29-1 (N° Lexbase : L1647KG4).

newsid:448714

Social général

[Brèves] Publication de la loi "Rebsamen" portant sur le dialogue social et l'emploi après validation par le Conseil constitutionnel

Réf. : Loi n° 2015-994 du 17 août 2015, relative au dialogue social et à l'emploi (N° Lexbase : L2618KG3) ; Cons. const., décision n° 2015-720 DC du 13 août 2015 (N° Lexbase : A2666NN3)

Lecture: 2 min

N8668BUL

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/25968486-edition-n-623-du-03-09-2015#article-448668
Copier

Le 03 Septembre 2015

Publiée au Journal officiel du 18 août 2015, la loi n° 2015-994 du 17 août 2015, relative au dialogue social et à l'emploi (N° Lexbase : L2618KG3), dite loi "Rebsamen", est entrée en vigueur après validation, le 13 août 2015, par le Conseil constitutionnel (Cons. const., décision n° 2015-720 DC du 13 août 2015 N° Lexbase : A2666NN3). Les Sages ont en effet décidé que seul l'article 45 de la loi relatif à la recevabilité des amendements déposés en première lecture était contraire à la Constitution. Organisée en plusieurs volets, la loi prévoit d'importantes mesures sociales. Dans son premier volet, portant sur la modernisation et le renforcement du dialogue social au sein de l'entreprise, elle crée des commissions paritaires régionales et un droit universel à la représentation pour les salariés des très petites entreprises. Ces commissions ont vocation à représenter tous les salariés et les employeurs, en dehors de ceux qui sont ou seront couverts par des commissions créées par accord de branche. Au sein de ce même volet, il est prévu une meilleure protection des représentants du personnel contre plusieurs formes de discrimination ; l'expérience acquise pendant les mandats pourra désormais être reconnue ; et, en matière de rémunération, pour les représentants du personnel dont les heures de délégation dépassent 30 % de leur temps de travail, il est garanti au salarié de bénéficier, au cours de son mandat, d'une augmentation au moins égale à la moyenne des augmentations individuelles perçues pendant cette période par des salariés relevant de la même catégorie professionnelle et dont l'ancienneté est comparable. Le premier volet prévoit aussi une représentation équilibrée des hommes et des femmes sur les listes électorales des élections professionnelles et l'extension de la possible mise en place d'une délégation unique du personnel pour les entreprises de moins de trois cent salariés en y intégrant le CHSCT.
Le deuxième volet est consacré au régime d'assurance chômage des intermittents du spectacle en associant les partenaires sociaux des professions concernées à la négociation de ce régime.
Le troisième volet, portant sur la sécurisation des parcours et du retour à l'emploi, évoque la création d'un compte personnel d'activité au 1er janvier 2017 qui rassemblera les principaux droits sociaux attachés à l'exercice d'une activité. Par ailleurs, il redéfinit et clarifie le rôle de l'Association nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA) dans le service public de l'emploi. Par ce troisième volet, il est permis une adaptation de la durée du contrat de professionnalisation et de la durée des actions de professionnalisation aux besoins des demandeurs d'emplois de longue durée.
Pour finir, le quatrième volet voit l'instauration d'une nouvelle prestation, la prime d'activité, rassemblant le revenu de solidarité active et la prime pour l'emploi toujours à destination des travailleurs modestes.

newsid:448668

Sociétés

[Textes] Les incidences de la loi "Macron" sur le régime juridique des sociétés anonymes

Réf. : Loi n° 2015-990 du 6 août 2015, pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques (N° Lexbase : L4876KEC)

Lecture: 14 min

N8718BUG

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/25968486-edition-n-623-du-03-09-2015#article-448718
Copier

par Dominique Vidal, Professeur émérite, CREDECO GREDEG UMR 7321 CNRS/UNS

Le 04 Septembre 2015

La loi "Macron" ne pouvait manquer de prendre soin des grandes entreprises, croissance et activité obligent. Dans cet esprit, elle aménage principalement le statut des dirigeants sociaux des grandes sociétés (II). Par ailleurs, elle apporte une nouvelle dérogation au domaine des obligations de déclencher une offre publique d'achat (III). On examinera cependant au préalable ses quelques dispositions applicables à toutes les sociétés anonymes (I). I - Rapport à l'assemblée dans toutes les sociétés anonymes

L'article L. 225-102-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L3164KGB) ajoute certaines prescriptions au rapport général qu'en application de l'article L. 225-102 (N° Lexbase : L1900KGH) le conseil d'administration ou le directoire doit, dans toutes les sociétés anonymes, présenter à l'assemblée générale annuelle des actionnaires.

En particulier, le troisième alinéa vise l'information que le rapport doit fournir sur les rémunérations et avantages des dirigeants sociaux.

La loi "Macron" dispose (art. 229-5°) que le troisième alinéa de l'article L. 225-102-1 est ainsi modifié ": a) la troisième phrase est complétée par les mots : notamment les engagements de retraite et autres avantages viagers' ; b) après le mot : 'doit', la fin de l'avant-dernière phrase est ainsi rédigée : 'dans des conditions et selon des modalités fixées par décret, indiquer les modalités précises de détermination de ces engagements et contenir, pour chaque mandataire social, une estimation du montant des rentes qui seraient potentiellement versées au titre de ces engagements et des charges afférentes'".

La première modification ne relève que de l'interprétation d'une disposition existante ; on est certain désormais que les rémunérations, indemnités ou avantages susceptibles d'être dus postérieurement aux fonctions visent les engagements de retraite et autres avantages viagers.

La seconde modification est, en revanche, plus importante, au point qu'elle pourrait donner lieu en pratique à une réelle mutation du régime de ces dispositions. Une chose était, en effet, de limiter l'information aux modalités de détermination des engagements ce qui pouvait, aux yeux des actionnaires en général, conserver un certain caractère abstrait ; tout à fait autre chose sera désormais de fournir l'information éminemment concrète, pour chaque mandataire social, de l'estimation du montant de ses rentes.

Voyeurisme financier ou transparence légitime ? En tout état de cause, l'article 229-II, alinéa 3, précise que ces dispositions sont applicables aux exercices ouverts à compter du 1er janvier 2015.

II - Statut des dirigeants des SA dont les titres sont inscrits sur un marché financier réglementé

Dans de telles sociétés, la loi réduit dans certains cas le nombre de mandats sociaux que peut détenir une même personne physique (A). Elle accentue le régime d'information sur certains avantages accordés aux dirigeants sociaux (B).

A - Modification du nombre maximum de mandats sociaux dans les sociétés cotées

1° - Contenu de la modification

Dans l'intérêt des entreprises, le droit de la société anonyme veille à sauvegarder la disponibilité des personnes physiques qui y exercent d'importantes responsabilités. On observe à cet effet deux types de limitations du nombre de mandats que peut détenir une même personne physique.

Le premier concerne la mission exécutive de directeur général (C. com., art. L. 225-54-1 N° Lexbase : L2184AT3), ou bien de membre d'un directoire ou de directeur général unique (C. com., art. L. 225-67 N° Lexbase : L5938AIR). La limitation est fixée à l'unité, sauf les exceptions prévues par le texte, que la loi "Macron" ne modifie pas. Le second concerne les mandats de membres d'un organe collégial, conseil d'administration (C. com., art. L. 225-21 N° Lexbase : L5892AI3) ou conseil de surveillance (C. com., art. L. 225-77 N° Lexbase : L5948AI7).

Les deux limitations ne s'ajoutent pas ; elles se confondent dans le sens où, s'il est vrai que la personne physique qui exerce une fonction de directeur général peut exercer par ailleurs des mandats de membres d'un conseil d'administration ou de surveillance, sa première fonction compte en quelque sorte pour un mandat (C. com., art. L. 225-94-1 N° Lexbase : L2027KG8). Un directeur général ne peut être que quatre fois administrateur ou membre du conseil de surveillance dans une autre société.

Rappelons, en effet, que pour l'application de ces dispositions, l'exercice de la direction générale par un administrateur est décompté pour un seul mandat (C. com., art. L.225-94-1, alinéa 1er, in fine), cas où il peut donc être cinq fois administrateur. Ajoutons qu'il est raisonnable d'étendre cette dernière solution aux mandats de membre d'un conseil de surveillance.

Avant la loi "Macron", ce nombre global est donc fixé à cinq. Ce nombre de cinq demeure en vigueur en droit commun de la SA, c'est-à-dire aux SA dont les titres ne sont pas inscrits sur un marché financier.

En revanche, le nombre est désormais réduit à trois dès lors que le dirigeant exerce des mandats dans certaines SA dont les titres sont inscrits sur un marché financier. Sur le plan des principes, la modification est une bonne solution : la grande entreprise ou la très grande entreprise dont le plus souvent une telle SA est le support juridique mérite en effet un exceptionnel dévouement de la part de ses dirigeants. Mais la mise en pratique pourrait soulever quelques incertitudes.

L'article 211-I de la loi "Macron" complète ainsi le premier alinéa de l'article L. 225-94-1 du Code de commerce : ce nombre est réduit à trois pour les mandats sociaux exercés au sein de sociétés dont les titres sont admis à la négociation sur un marché réglementé par les personnes exerçant un mandat de directeur général, de membre du directoire ou de directeur général unique dans une société dont les titres sont admis aux négociations sur un marché réglementé et qui emploie au moins cinq mille salariés permanents dans la société et ses filiales, directes ou indirectes, dont le siège social est fixé sur le territoire français, ou au moins 10 000 salariés permanents dans la société et ses filiales, directes ou indirectes, dont le siège social est fixé sur le territoire français et à l'étranger.

Une première hypothèse sera d'application évidente : un mandat de directeur général et deux mandats à un conseil épuisent le maximum autorisé si les trois sociétés ont leurs titres inscrits sur un marché financier.

D'autres situations appellent précision ou interprétation. Une même personne pourrait-elle détenir plus de trois (et au maximum cinq) mandats d'administration ou de surveillance dans des sociétés anonymes dont les titres sont inscrits sur un marché financier dès lors qu'elle n'est pas en même temps par ailleurs directeur général ou directeur général délégué ou membre d'un directoire ?

La lettre semble bien ne pas l'interdire. Le texte ne vise en effet que les mandats d'administration ou de surveillance "détenus par" un directeur général, un directeur général délégué ou le membre d'un directoire. Tel n'est pas le cas de celui qui détient cinq mandats sans être directeur. Il n'est pas certain cependant que l'esprit de la loi en soit satisfait.

Dans le même ordre d'idées, qu'en est-il si les mandats sont exercés dans des sociétés des deux catégories, certaines dont les titres sont, et certaines autres dont les titres ne sont pas admis à la négociation sur un marché financier réglementé ? Faudra-t-il compter un maximum de trois pour les premières seulement, et pourra-t-on admettre deux autres mandats dans des SA non inscrites ?

Si on se réfère strictement à la lettre du texte, cela semble possible, dans la mesure où il prescrit pour la limitation au nombre de trois deux conditions cumulatives ; dès lors, un mandat d'administrateur dans une SA non inscrite pourrait y échapper. Mais la ratio legis n'est-elle pas de limiter les engagements centrifuges et chronophages du directeur général d'une grande société ?

Une solution stricte ne serait donc pas nécessairement infondée, surtout que subsiste par ailleurs la dérogation de l'article L. 225-94-1 alinéa 2, en faveur des mandats exercés dans les filiales.

Bien plus, l'article 211, 2° de la loi "Macron" ajoute une nouvelle dérogation en la forme d'un troisième alinéa nouveau de l'article L. 225-94-1 du Code de commerce :
"Après le deuxième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé : Par dérogation au deuxième alinéa, ne sont pas pris en compte les mandats d'administrateur ou de membre de conseil de surveillance exercés par le directeur général, les membres du directoire ou le directeur général unique des sociétés dont l'activité principale est d'acquérir et de gérer des participations, au sens de l'article L. 233-2 (N° Lexbase : L6305AID), dans les sociétés qui constituent des participations'".

Dérogation légitime et justifiée, qui peut contribuer à renvoyer à une interprétation stricte du principe.

Ainsi, outre la question de l'évaluation des effectifs, en particulier du nombre de 10 000 "salariés permanents dans la société et ses filiales, directes ou indirectes, dont le siège social est fixé sur le territoire français et à l'étranger" le domaine d'application de la réduction au nombre de trois pourrait connaître quelques zones de flou. La question sera d'autant plus sensible que la mise en oeuvre devrait être rigoureuse et la sanction d'une sévérité inédite.

2° - Mise en oeuvre et sanction

L'article 211-II de la loi "Macron" dispose que les directeurs généraux, les membres du directoire et les directeurs généraux uniques disposent d'un délai d'un an à compter de la date de publication de la présente loi pour se mettre en conformité avec le premier alinéa de l'article L. 225-94-1 du Code de commerce, dans sa rédaction résultant du I du présent article. A défaut, ils sont réputés démissionnaires de tous leurs mandats.

A titre de comparaison, rappelons que l'article L. 225-21, alinéa 4, du Code de commerce (N° Lexbase : L5892AI3) dispose que toute personne physique qui se trouve en infraction (au maximum de cinq mandats d'administration ou de surveillance) doit se démettre de l'un de ses mandats dans les trois mois. A l'expiration de ce délai, elle est réputée être démise soit de son nouveau mandat, soit du mandat ne remplissant plus les conditions requises. Cela signifie qu'elle conserve les autres mandats.

La sanction de la loi "Macron", en substance la perte de tous [nous soulignons] les mandats est donc radicale ; elle est sans doute excessive ; on verra dans quelle mesure elle peut être dangereuse, et à quel type de contentieux elle peut conduire.

B - Renforcement de la réglementation de certains avantages

1° - Contenu des modifications

a) Information sur les avantages du contrat de travail d'un dirigeant

Dans les sociétés dont les titres sont admis à la négociation sur un marché réglementé, en cas de nomination aux fonctions de président, de directeur général ou de directeur général délégué (C. com., art. L. 225-22-1 N° Lexbase : L2060KGE), ou aux fonctions de membre du directoire (C. com., art. L. 225-79-1 N° Lexbase : L2059KGD) d'une personne liée par un contrat de travail à la société, ou à une société contrôlée ou à celle qui la contrôle, les dispositions dudit contrat qui correspondent, le cas échéant, à des éléments de rémunération, des indemnités ou des avantages dus ou susceptibles d'être dus à raison de la cessation ou du changement de ces fonctions, ou postérieurement à celles-ci, sont soumises au régime de l'article L. 225-42-1 (N° Lexbase : L2058KGC SA de type classique) ou de l'article L. 225-90-1 (N° Lexbase : L2057KGB SA avec directoire). Ces deux derniers textes renvoient au régime du contrôle des conventions réglementées.

Ce sont bien les avantages attachés au contrat de travail qui sont ainsi visés. Cette disposition est justifiée par la nécessité d'une meilleure "transparence" de telles rémunérations ou avantages dans les sociétés cotées, à raison d'une exigence d'information renforcée du marché financier.

La loi "Macron" conserve ce dispositif. Elle en élargit le domaine d'application. L'article 229 de la loi "Macron" ajoute, aux articles L. 225-22-1 et L. 225-79-1, les engagements de retraite à prestations définies répondant aux caractéristiques des régimes mentionnés à l'article L. 137-11 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L1283I7N) pour la période d'exercice du mandat social. Corrélativement, le même ajout affecte les articles L. 225-42-1 et L. 225-90-1.

b) Limitation des prestations de retraite d'un dirigeant

La structure des articles L. 225-42-1 et L. 225-90-1 ne présente pas seulement un aspect d'information ; elle présente aussi des dispositions d'interdiction portant sur les éléments de rémunération des dirigeants sociaux, indemnités et avantages dont le bénéfice n'est pas subordonné au respect de conditions liées aux performances du bénéficiaire, appréciées au regard de celles de la société (alinéa 2). Avant la loi "Macron", l'alinéa 6 de ces deux textes disposait que les engagements de retraite ne sont soumis qu'au premier alinéa, c'est-à-dire au seul régime d'information.

Désormais, ils seront également soumis aux dispositions de l'alinéa 2 ci-dessus. En effet, l'article 229-I, 2°, b) de la loi dispose que les engagements de retraite à prestations définies répondant aux caractéristiques des régimes mentionnés à l'article L. 137-11 du Code de la Sécurité sociale sont supprimés de l'alinéa 6. L'article 229-I, 4° fait évidemment de même pour l'article L. 225-90-1 dans les sociétés à directoire. Ne subsistent donc à l'alinéa 6 que les clauses de non-concurrence.

c) Interdiction de certains droits conditionnels octroyés aux dirigeants sociaux

Le domaine de l'alinéa 2 est encore élargi, car d'autres prestations sont interdites si elles ne sont pas subordonnées au respect de conditions liées aux performances du bénéficiaire, appréciées au regard de celles de la société.

Ainsi, l'article 229-I, 3°, a) de la loi "Macron" dispose que les mots "et avantages" sont remplacés par les mots "avantages et droits conditionnels octroyés au président, au directeur général ou aux directeurs généraux délégués au titre d'engagements de retraite mentionnés au premier alinéa du présent article". L'article 229-I, 4° fait de même pour les sociétés à directoire.

d) Réglementation des droits conditionnels non interdits

L'article 229, 3°, b) et l'article 229, 4°, b) ajoutent aux articles L. 225-42-1 et L. 225-90-1, trois alinéas qui instituent une réglementation des droits conditionnels qui ne sont pas interdits par l'alinéa 2 de ces textes, dont les alinéas nouveaux 7 à 9 sont ainsi les suivants.

Le conseil d'administration vérifie annuellement, avant la tenue de l'assemblée générale ordinaire appelée à statuer sur les comptes du dernier exercice clos, le respect des conditions prévues et détermine l'accroissement, au titre dudit exercice, des droits conditionnels bénéficiant au président, au directeur général ou aux directeurs généraux délégués au titre des régimes à prestations définies mentionnés à l'article L. 137-11 du Code de la Sécurité sociale.

Les droits conditionnels mentionnés au septième alinéa du présent article ne peuvent augmenter annuellement d'un montant supérieur à 3 % de la rémunération annuelle servant de référence au calcul de la rente versée dans le cadre de ces régimes.

Aucun droit conditionnel au titre de l'activité de président, de directeur général ou de directeur général délégué ne peut être octroyé s'il ne remplit pas les conditions fixées aux septième et avant-dernier alinéas.

2° - Date d'entrée en vigueur de ces modifications

L'article 229-II règle le régime de l'entrée en vigueur de ces nouvelles dispositions en visant deux types d'événements postérieurs à la publication de la loi : soit la prise d'un engagement, soit la nomination ou le renouvellement d'un dirigeant.

L'article 229-II, alinéa 1er, dispose que les 1° à 4° du I du présent article sont applicables aux engagements de retraite à prestations définies répondant aux caractéristiques des régimes mentionnés à l'article L. 137-11 du Code de la Sécurité sociale pris par l'entreprise à compter de la publication de la présente loi au bénéfice d'un président, d'un directeur général, d'un directeur général délégué ou d'un membre du directoire.

L'article 229-II, alinéa 2, ajoute que les mêmes 1° à 4° sont également applicables aux engagements de retraite répondant aux caractéristiques des régimes mentionnés au même article L. 137-11 bénéficiant au président, au directeur général, au directeur général délégué ou au membre du directoire nommé ou renouvelé après la publication de la présente loi, à compter de la nomination ou du renouvellement.

III - Dérogation à l'obligation de déposer une offre publique sur un marché financier

La loi "Macron" apporte une dérogation à l'obligation de déclencher une offre publique d'achat.

On sait qu'il est logique d'imposer le déclenchement d'une offre publique à un opérateur qui prend dans une société des participations d'une manière significative et croissante. Il s'agit en effet d'éviter que des actionnaires d'une société visée par une telle prise de contrôle "rampante" passent à côté d'une chance de bénéficier de la bonification du cours qui résulterait d'une offre publique d'achat.

C'est ainsi que le Règlement général de l'AMF fixe les conditions dans lesquelles toute personne physique ou morale, agissant seule ou de concert et venant à détenir, directement ou indirectement, trois dixième du capital ou des droits de vote d'une société française dont les titres sont inscrits sur un marché réglementé est tenue d'en informer immédiatement l'AMF et de déposer un projet d'offre. La sanction du défaut de dépôt d'offre est la privation du droit de vote correspondant à la fraction du capital excédant le seuil de déclenchement.

Les articles 194 et 195 de la loi "Macron" apportent une dérogation à cette obligation dans le cas où le pourcentage détenu entre le 3 avril 2014 et le 31 décembre 2018 est continuellement inférieur ou égal à celui détenu au 2 avril 2014.

Ainsi, l'article 194 dispose que le premier alinéa du V de l'article 7 de la loi n° 2014-384 du 29 mars 2014, visant à reconquérir l'économie réelle (N° Lexbase : L9440IZN), est ainsi rédigé :
"V. - Par dérogation au I de l'article L. 433-3 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L9611IZY), le règlement général de l'Autorité des marchés financiers fixe les conditions dans lesquelles toute personne physique ou morale, actionnaire d'une société dont le siège social est établi en France et dont les actions sont admises aux négociations sur un marché réglementé d'un Etat membre de l'Union européenne ou d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen, agissant seule ou de concert au sens de l'article L. 233-10 du Code de commerce (N° Lexbase : L2305INP), qui détenait au 2 avril 2014, directement ou indirectement, plus des trois dixièmes du capital ou des droits de vote et qui, par le bénéfice de l'attribution de droits de vote double résultant de l'application du dernier alinéa de l'article L. 225-123 du même code (N° Lexbase : L9613IZ3), dans sa rédaction résultant du I du présent article, vient à détenir avant le 31 décembre 2018 plus des trois dixièmes des droits de vote ou qui, en moins de douze mois consécutifs, augmente sa détention en droits de vote, comprise entre les trois dixièmes et la moitié des droits de vote, de plus d'un centième, n'est pas tenue de déposer un projet d'offre publique en vue d'acquérir une quantité déterminée des titres de la société, à la condition que le pourcentage de droits de vote détenus entre le 3 avril 2014 et le 31 décembre 2018 soit continuellement inférieur ou égal au pourcentage de droits de vote détenus au 2 avril 2014".

Cette dérogation est raisonnable ; elle ne porte pas atteinte au principe de l'obligation de déclencher une offre, tout en évitant que la société participante ne soit "piégée" par une fluctuation du niveau de sa participation qui ne résulterait pas, en définitive, d'une volonté délibérée de monter en régime dans la société cible.

Corrélativement, l'article 195 procède à un aménagement rédactionnel consécutif : au 2° du II de l'article L. 433-1-2 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L1979KGE), les mots "dépôt du projet d'offre, augmenté d'un centième du capital ou des droits de vote de la société" sont remplacés par les mots "franchissement du seuil d'un centième du capital ou des droits de vote mentionné au premier alinéa du I de l'article L. 433-3 du présent code" et la référence "du même article L. 233-10" est remplacée par la référence "de l'article L. 233-10 du Code de commerce".


Le Professeur Dominique Vidal a accepté de communiquer son adresse e-mail : d.vidal@arbitragecommercial.com

newsid:448718