La lettre juridique n°625 du 17 septembre 2015

La lettre juridique - Édition n°625

Éditorial

La déontologie au XXIème siècle : pour quoi faire ?

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N8932BUD

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 17 Septembre 2015


"Toute activité orientée selon l'éthique peut être subordonnée à deux maximes totalement différentes et irréductiblement opposées : l'éthique de responsabilité ou l'éthique de conviction", à lire Max Weber, dans Le savant et le politique. "Lorsque les conséquences d'un acte fait par pure conviction sont fâcheuses, le partisan de cette éthique n'attribuera pas la responsabilité à l'agent, mais au monde, à la sottise des hommes ou encore à la volonté de Dieu qui a créé les hommes ainsi. Au contraire le partisan de l'éthique de responsabilité comptera justement avec les défaillances communes de l'homme [...] et il estimera ne pas pouvoir se décharger sur les autres des conséquences de sa propre action pour autant qu'il aura pu les prévoir", poursuit l'auteur.

Même si cela ne veut pas dire que l'éthique de conviction est identique à l'absence de responsabilité et l'éthique de responsabilité à l'absence de conviction, c'est tout de même à cette alternative que tentent d'échapper les déontologies professionnelles, pour que l'activité professionnelle puisse paraître vertueuse, c'est-à-dire entre deux "vices", pour paraphraser Aristote.

Même si le terme de "déontologie" est plutôt récent, né justement avec le rétablissement des Ordres des avocats, la question de l'éthique professionnelle est aussi vieille que celle de l'éthique intellectuelle. En effet, le corporatisme -décrié parfois aujourd'hui-, dont l'une des caractéristiques principales est bien de réunir au sein d'une guilde, d'un Ordre, des professionnels régis par un même corpus juridique -et peut-être même avant tout éthique-, se développe à mesure que se fondent les premiers grands regroupements urbains : il y a donc près de 4 000 ans ! Organiser une profession autours de règles permettant d'assurer la compétence, d'asseoir la probité et de conforter la dignité, n'est donc pas chose nouvelle.

Au point de voir se multiplier, à travers les âges, autant de Livres des métiers, que de Codes de déontologie et de Codes de bonne conduite ou de bonnes pratiques, dans tous les domaines d'activité -essentiellement libérale- où il est pressant d'établir la confiance avec le commanditaire, hier, le consommateur, aujourd'hui.

La donne a-t-elle changé, en cette ère numérique, pour que la déontologie ne soit plus perçue comme une digue contre les écueils que craignait Weber, mais, tout au plus, comme "la chose des parties", entendez un corpus éthico-juridique dont la fin est la bonne organisation de la profession ? Alors que cette "bonne organisation" des professions ne constitue, à travers la déontologie ou l'éthique professionnelle, qu'un moyen, au service d'un fin bien plus importante : l'éthique intellectuelle, elle-même ; et donc le bonheur et la joie selon, rien de moins, qu'Aristote -toujours- et Kant -encore-.

"L'uberisation" de la société, la fin des monopoles, des périmètres et autres "protections" dites corporatistes, vus comme des donjons par les pouvoirs publics, quand on croyait qu'ils étaient des remparts pour la sécurité et la confiance, condamnent-elles les déontologies professionnelles aux oubliettes ?

Clairement, le développement d'activités, de prestations de services proches, dans leur existence -pas nécessairement dans leur essence justement-, sur internet ou par l'intermédiaires "d'intermittents", de celles dévolues, dans les règles de l'art, tradionnellement aux professionnels, pose la question de l'utilité d'avoir, puis de respecter et de faire respecter, par des procédures disciplinaires, une déontologie. C'est qu'il faut se convaincre chaque jour qu'il est "vertueux" et donc "source de joie et de bonheur" que de respecter un Code de déontologie, quand le quidam pratique une activité de même nature, sans le cadre éthique qu'il conviendrait d'avoir. En dehors de l'aspect anti-concurrentiel d'une telle pratique, il faut bien comprendre que c'est, in fine, l'éthique intellectuelle, et donc la protection du consommateur qui est, ici, en jeu.

La déontologie n'est pas un donjon corporatiste, mais bien un rempart contre les "incursions immorales" de néo-professionnels au détriment de la sécurité des consommateurs : elle est garante de la liberté, parce qu'indispensable au véritable choix et à la dignité d'une profession.

En effet, dans l'Ethique à Nicomaque, Aristote souligne que le véritable choix doit être un désir délibératif et qu'il faut par là même qu'à la fois la règle soit vraie et le désir droit, si le choix est bon, et qu'il y ait identité entre ce que la règle affirme et ce que le désir poursuit. "Le principe de l'action morale est ainsi le libre choix (principe étant ici le point d'origine du mouvement et non la fin où il tend) et celui du choix est le désir et la règle dirigée vers quelque fin. C'est pourquoi le choix ne peut exister ni sans intellect et pensée, ni sans une disposition morale, la bonne conduite et son contraire dans le domaine de l'action n'existant pas sans pensée et sans caractère". Ou encore "dans l'action, ce qu'on fait : est une fin au sens absolu, car la vie vertueuse est une fin, et le désir a cette fin pour objet". Pour le philosophe grec, il ne peut y avoir de pensée fondée sur un véritable choix, la liberté, que si elle s'inscrit dans un cadre vertueux, disons moral. Or, c'est ce "véritable choix" qui constitue l'essence de la prestation de service que proposent le plus souvent ces professionnels... libéraux : un choix éclairé et éthique au regard des principes essentiels que se donne une profession.

Dans son Ethique, Spinoza va plus loin encore en conjuguant déterminisme absolu et libre-artbitre et en montrant que passions et "idées inadéquates" doivent céder devant la puissance de l'entendement.

Enfin, pour Kant, l'éthique est la dignité de l'Homme ! "La moralité est l'idée de la volonté de tout être raisonnable conçue comme volonté instituant une législation universelle" : telle est la fin vers laquelle doit tendre tout moyen.

Il n'est donc pas de choix véritable, de liberté d'agir, sans éthique, d'abord intellectuelle et, pour certaines activités, naturellement professionnelle. Penser la relation médicale, juridique, journalistique, et aujourd'hui immobilière, à la suite de la publication, le 30 août 2015, d'un Code de déontologie applicable à certaines personnes exerçant les activités de transaction et de gestion des immeubles et des fonds de commerce, ne peut se concevoir sans offrir aux clients, consommateurs, les garanties nécessaires à l'établissement d'une relation de confiance, au regard de la profusion hétéroclite, dispersée et disparate de l'offre de prestations de services.

Pour Weber, "aucune éthique au monde ne peut nous dire non plus à quel moment et dans quelle mesure une fin moralement bonne justifie les moyens et les conséquences moralement dangereuses" : c'est sans doute un début de réponse qu'apportent les déontologies professionnelles.

newsid:448932

Assurances

[Brèves] Assurance vie : le bénéfice d'un contrat d'assurance vie ne se transmet pas aux héritiers du bénéficiaire en cas de prédécès de ce dernier

Réf. : Cass. civ. 2, 10 septembre 2015, n° 14-20.017, F-P+B (N° Lexbase : A9471NN4)

Lecture: 2 min

N8983BUA

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Le 18 Septembre 2015

Si l'attribution à titre gratuit du bénéfice d'une assurance sur la vie à une personne déterminée devient irrévocable par l'acceptation du bénéficiaire, cette attribution est présumée faite sous la condition de l'existence du bénéficiaire à l'époque de l'exigibilité du capital ou de la rente garantie, à moins que le contraire ne résulte des termes d'une clause de représentation ; à défaut, elle est caduque et le capital ou la rente garantie font partie du patrimoine ou de la succession du contractant. Telle est la précision apportée par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, dans un arrêt rendu le 10 septembre 2015, au visa des articles L. 132-9 (N° Lexbase : L7215IC9) et L. 132-11 (N° Lexbase : L0140AAG) du Code des assurances. Autrement dit, le bénéfice d'un contrat d'assurance vie ne peut se transmettre aux héritiers du bénéficiaire en cas de prédécès de ce dernier, quand bien même l'aurait-il accepté, sauf clause de représentation du bénéficiaire décédé (Cass. civ. 2, 10 septembre 2015, n° 14-20.017, F-P+B N° Lexbase : A9471NN4). En l'espèce, Mme R. avait souscrit six contrats d'assurance sur la vie au bénéfice de son frère ; celui-ci était décédé le 4 janvier 2005 ; par avenants du 17 mars 2005, elle avait désigné en qualité de bénéficiaires, à parts égales, la fille de celui-ci, et le fils de son autre frère, antérieurement décédé ; elle était décédée le 21 décembre 2005 en laissant pour seuls héritiers sa nièce et son neveu précités. A la demande de la nièce, un jugement avait prononcé la nullité de ces avenants pour insanité d'esprit de leur signataire et dit que celle-ci était la seule bénéficiaire des six contrats. Pour confirmer ce jugement, condamner le neveu à restituer à sa cousine une somme de 195 131,18 euros et rejeter la demande tendant à voir dire que le contrat devait revenir à la succession faute de comporter une clause de représentation, la cour d'appel avait retenu que le bénéficiaire avait accepté le bénéfice de ce contrat par lettre recommandée du 5 avril 2002 ce dont la compagnie d'assurance lui en avait accusé réception le 19 avril 2002, le souscripteur en étant avisé, que conformément à l'article L. 132-9 du Code des assurances, la stipulation en vertu de laquelle le bénéfice de l'assurance est attribué à un bénéficiaire déterminé devient irrévocable et que, dès lors, malgré le décès du bénéficiaire intervenu avant celui du souscripteur, le bénéfice de ce contrat était entré dans le patrimoine de la fille unique du bénéficiaire. L'arrêt est censuré par la Cour suprême qui, après avoir énoncé la règle précitée, retient qu'en statuant ainsi, alors que la désignation du bénéficiaire était devenue caduque à la suite de son décès quand bien même l'avait-il acceptée, la cour d'appel qui n'avait pas relevé l'existence d'une clause de représentation du bénéficiaire décédé, a violé les articles L. 132-9 et L. 132-11 du Code des assurances.

newsid:448983

Avocats

[Brèves] Non renvoi de la QPC portant sur la procédure disciplinaire propre aux avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation

Réf. : Cass. civ. 1, 1er septembre 2015, n° 15-50.062, FS-P+B (N° Lexbase : A3751NNA)

Lecture: 1 min

N8816BU3

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Le 17 Septembre 2015

"L'article 22 de la loi du 31 décembre 1971(N° Lexbase : L6343AGZ), en tant qu'il exclut les avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation de la procédure disciplinaire applicable aux avocats, est-il conforme aux exigences d'égalité, d'indépendance et d'impartialité que requièrent les articles 6 et 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen (N° Lexbase : L6813BHS) de 1789 ?". Telle était la QPC posée à la Cour de cassation que cette dernière, par un arrêt rendu le 1er septembre 2015, n'a pas transmise au Conseil constitutionnel (Cass. civ. 1, 1er septembre 2015, n° 15-50.062, FS-P+B N° Lexbase : A3751NNA). En effet, la Haute juridiction estime, en premier lieu, que la question, ne portant pas sur l'interprétation d'une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n'aurait pas encore eu l'occasion de faire application, n'est pas nouvelle. En second lieu, la question posée ne présente pas un caractère sérieux en ce que les règles spécifiques régissant les avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, qui sont regroupés en un Ordre national, spécialisés au sens de la Directive 98/5/CE du 16 février 1998 (N° Lexbase : L8300AUX) et soumis à des règles déontologiques ainsi qu'à une procédure disciplinaire édictées par l'ordonnance du 10 septembre 1817, ne portent atteinte ni au principe d'égalité devant la justice, qui ne s'oppose pas à ce que des situations différentes soient réglées de façon différente, ni aux droits de la défense, les attributions disciplinaires du conseil de l'Ordre n'étant pas, en elles-mêmes, contraires aux exigences d'indépendance et d'impartialité de l'organe disciplinaire (cf. l’Ouvrage "La profession d'avocat" N° Lexbase : E9180ET8).

newsid:448816

Avocats/Déontologie

[Jurisprudence] Perquisitions et saisie de documents en cabinet d'avocat : pas de violation du droit à la vie privée si les garanties procédurales sont respectées

Réf. : CEDH, 3 septembre 2015, Req. n° 27013/10 (N° Lexbase : A3761NNM)

Lecture: 5 min

N9017BUI

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par Thierry Vallat, Avocat au barreau de Paris

Le 17 Septembre 2015

L'arrêt "Sérvulo c/ Portugal" qui vient d être rendu par la Cour européenne des droits de l'Homme le 3 septembre 2015 peut plonger le lecteur dans les affres de la perplexité. En ces temps où les cabinets d'avocats ne constituent plus un sanctuaire inviolable et sont régulièrement visités par les magistrats et les officiers de police judiciaire, la question se pose, en effet, des saisies qui y sont pratiquées, notamment des données informatiques contenues dans les matériels informatiques. La solution de la décision de la CEDH selon laquelle de telles saisies de données informatiques ne violeraient pas le droit à la vie privée interroge donc les défenseurs du secret professionnel sur les garanties de son respect. I - Quels étaient les faits ?

Soupçonnant des faits de corruption, de prise illégale d'intérêts et de blanchiment d'argent lors de l'achat de deux sous-marins par le Gouvernement portugais à un consortium allemand, le Département central d'enquête et action pénale (DCIAP) ouvrit une enquête à l'encontre de plusieurs ressortissants portugais et allemands, dont un avocat ayant travaillé pour le compte de la société requérante.

Le DCIAP saisit alors le juge du Tribunal central d'instruction criminelle (TCIC) afin d'obtenir l'autorisation de perquisitionner, entre autres, dans les locaux professionnels de la société d'avocats S. et de saisir tout document pertinent pour l'enquête.

Le juge d'instruction du TCIC délivra alors des mandats permettant notamment la saisie de données informatiques sur la base d'une liste de 35 mots clés en lien avec l'enquête comprenant, entre autres, le nom de sociétés ou de banques en lien avec l'enquête, ou encore des mots tels que "contreparties" ou "financement".

Environ 90 000 documents sur support papier et informatisés et près de 30 000 mails furent saisis.

Les opérations de perquisition ont été réalisées sous le contrôle du juge d'instruction, dans un rôle assimilable à notre juge de la liberté et de la détention (JLD) et assisté d'experts en informatique.

L'un des avocats perquisitionnés fut mis en examen le jour même, permettant ainsi la saisie de documents couverts pourtant par le secret professionnel.

Les avocats formèrent opposition devant le président de la cour d'appel de Lisbonne, affirmant que ces mots clés étaient couramment utilisés par leur cabinet d'avocats, et conduiraient ainsi à une saisie disproportionnée de documents sans rapport avec l'enquête et couverts par le secret professionnel.

Le juge d'instruction du TCIC accepta l'opposition et ordonna la mise sous scellés, sans consultation, et la transmission de tous les documents saisis au président de la cour d'appel afin que celui-ci se prononce sur la validité de l'invocation du secret professionnel.

Le vice-président de la cour d'appel rejeta, cependant, la réclamation des requérants et ordonna la transmission des documents au juge d'instruction.

Lors du visionnage des fichiers informatiques, le juge d'instruction du TCIC ordonna la suppression de 850 fichiers présentant des informations de caractère personnel ou couverts par le secret professionnel, conformément à la législation nationale. Le Département classa finalement l'enquête sans suite et toutes les personnes mises en examen furent acquittées.

Tels étaient les faits ayant conduit les avocats à saisir la Haute Cour européenne afin de sanctionner, non la perquisition en soi, mais pour ce qu'ils considéraient être une violation caractérisée des dispositions relatives au secret professionnel, notamment par l'intermédiaire d'une saisie informatique utilisant une base de mots-clés trop large et la jonction de données saisies avec une autre procédure sans rapport avec l'enquête judiciaire qui les concernait.

II - Ingérence en cabinet d'avocat : violation ou non de l'article 8 ?

La Cour européenne des droits de l'Homme considère traditionnellement que la saisie globale de données électroniques dans le cadre d'une enquête pénale constitue une violation de l'article 8 de la CESDH (N° Lexbase : L4798AQR) (CEDH, 3 juillet 2012, Req. 30457/06, disponible en anglais).

Néanmoins, une ingérence en cabinet d'avocats sera permise si elle est prévue par la loi (CEDH, 27 septembre 2005, Req. 50882/99, disponible en anglais), poursuit un but légitime et est nécessaire dans une société démocratique (CEDH, 7 juin 2007, Req. 71362/01 N° Lexbase : A0450NPD).

Notamment la CEDH veille, s'agissant du cas particulier d'un cabinet d'avocats, à ce que la présence d'un observateur indépendant soit effective afin que des documents couverts par le secret professionnel ne puissent être soustraits (CEDH, 16 décembre 1992, Req. 72/1991, série A, n° 251-B N° Lexbase : A6532AWT).

La Cour a donc considéré que l'ingérence au cabinet "Sérvulo" était prévue par la loi portugaise et que le but était légitime, puisque les mandats de perquisition reposaient sur des motifs plausibles de soupçon, même si "l étendue des mandats de perquisition et de saisie apparaissaient larges".

Elle a également considéré que la présence du juge d'instruction au cours des opérations litigieuses constituait bien la garantie d'un observateur indépendant et que le contrôle effectué par ce dernier avait été renforcé par l'examen du vice-président de la cour d'appel qui avait ainsi constitué un recours adéquat et effectif audit contrôle.

Restait la difficulté de non-restitution des fichiers informatiques et courriels et leur utilisation en dehors de la procédure concernant l'avocat perquisitionné : la Cour relève qu'il n'y avait pas eu d utilisation abusive des données informatiques saisies, la loi portugaise permettant l'utilisation de messages électroniques appartenant au dossier d'une procédure pénale dans le cadre d une autre procédure sous couvert d une autorisation du juge et que ces garanties avaient été respectées en l'espèce.

Dès lors, les garanties procédurales mises en oeuvre ont été considérées comme compensant l'étendue des mandats de perquisition : il n'y avait donc pas eu de violation de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme dans cette affaire.

Cette affaire laisse néanmoins un goût amer en ce que, s'il est vrai que l'intervention du juge, observateur indépendant, serait le socle du respect du secret professionnel, il s'est agi en l'espèce d'un véritable détournement de procédure, pourtant légitimé par la CEDH.

L'opinion dissidente du juge Saragoça Da Matta (seule voix contraire contre 6 voix pour), jointe opportunément en annexe de l'arrêt, est éclairante et rappelle à cet égard que le motif originel de la perquisition était la circonstance "qu'aucun document n'avait été retrouvé au ministère de la Défense". Cela signifiait que la violation du secret professionnel trouvait son origine dans une irrégularité commise par l'Etat lui-même dans sa procédure administrative !

Pour ce juge dissident surtout, la perquisition n'aurait pas dû pouvoir permettre la saisie d'un aussi grand nombre de documents ; l'étendue du mandat étant trop large, sur la base de mots clés communs propres à l'activité des avocats d'affaires.

Au final, la CEDH a été sourde à cette opinion et a validé les opérations, réaffirmant sa jurisprudence antérieure, mais jetant à notre sens le manteau de Noé sur une procédure pas si indiscutable.

Cette décision "Sérvulo c/ Portugal" est bien sûr transposable en France et on rappellera que la mise en oeuvre des saisies a pu poser dans notre pays certaines difficultés ayant donné lieu, encore récemment, à l'arrêt de la Chambre criminelle du 25 juin 2013 (Cass. crim., 25 juin 2013, n° 12-88.021, FS-P+B N° Lexbase : A3071KIL).

Les règles spécifiques édictées par l'article 56-1 de notre Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3557IGT) imposent la présence d'un magistrat et du Bâtonnier ou de son délégué, ce dernier étant le garant du respect du secret professionnel des avocats et est érigé en organe de contrôle de la régularité des perquisitions et des saisies disposant d un droit exclusif, partagé avec le magistrat investigateur, de consultation des documents se trouvant sur les lieux perquisitionnés et pouvant s'opposer à toute saisie qu'il estimerait irrégulière.

La protection du secret professionnel de l'avocat doit donc impérativement pouvoir se concilier avec les pouvoirs d'investigation et d'efficacité de l'enquête : il est impératif que notre juge des libertés et de la détention dispose à ce titre pleinement d'un rôle décisif et central, celui que l'arrêt de la Chambre criminelle du 8 août 2007 (Cass. crim., 8 août 2007, n° 07-84.252, F-P+F N° Lexbase : A0577DYZ) lui a clairement confirmé, dans une affaire analogue à celle objet de la décision "Sérvulo c/ Portugal".

newsid:449017

Avocats/Déontologie

[Brèves] Perquisition et saisie de documents en cabinet d'avocats : pas d'atteinte au droit au respect de la vie privée si les garanties procédurales permettant de protéger le secret sont respectées

Réf. : CEDH, 3 septembre 2015, req. n° 27013/10 (N° Lexbase : A3761NNM)

Lecture: 2 min

N8817BU4

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Le 17 Septembre 2015

La perquisition suivie de la saisie de documents informatiques et de messages électroniques dans un cabinet d'avocats ne porte pas atteinte au droit au respect de la vie privée si elle est compensée par des garanties procédurales permettant de prévenir les abus ou l'arbitraire et de protéger le secret professionnel des avocats. Telle est la solution dégagée par la Cour européenne des droits de l'Homme dans un arrêt rendu le 3 septembre 2015 (CEDH, 3 septembre 2015, req. n° 27013/10 N° Lexbase : A3761NNM). En l'espèce, dans le cadre d'une enquête de faits de corruption, prise illégale d'intérêts et blanchiment d'argent, des perquisitions ont été menées, entre autres, dans les locaux professionnels de la société d'avocats S. et autorisation a été donnée par le juge de saisir tout document pertinent pour l'enquête. Le juge d'instruction délivra alors des mandats permettant notamment la saisie de données informatiques sur la base d'une liste de 35 mots clés en lien avec l'enquête. Avant le début des perquisitions, les requérants formèrent opposition devant le président de la cour d'appel de Lisbonne, affirmant que ces mots clés étaient couramment utilisés par leur cabinet d'avocats, et conduiraient ainsi à une saisie disproportionnée de documents sans rapport avec l'enquête et couverts par le secret professionnel. Le juge d'instruction accepta l'opposition et ordonna la mise sous scellés, sans consultation, et la transmission de tous les documents saisis au président de la cour d'appel afin que celui-ci se prononce sur la validité de l'invocation du secret professionnel. Ce dernier rejeta cependant la réclamation des requérants et ordonna la transmission des documents au juge d'instruction. Lors du visionnage des fichiers informatiques, le juge d'instruction ordonna la suppression de 850 fichiers présentant des informations de caractère personnel ou couverts par le secret professionnel, conformément à la législation nationale. L'enquête fut finalement classée sans suite. Les requérants ont donc saisi la CEDH invoquant l'article 8 de la CESDH (N° Lexbase : L4798AQR). Dans son arrêt, la Cour relève que toutes les garanties procédurales prévues par le statut de l'Ordre des avocats ont été respectées : les requérants étaient bien présents au moment des opérations de perquisition, ainsi qu'un représentant de l'Ordre des avocats ; à la suite de la réclamation des requérants, les documents saisis ont été mis sous scellés et transmis au président de la cour d'appel, constituant par là même un recours adéquat et effectif, complémentaire au contrôle effectué par le juge d'instruction pour compenser l'étendue du mandat de perquisition. Dès lors, la Cour estime ainsi qu'en dépit de l'étendue des mandats de perquisition et de saisie, les garanties offertes aux requérants pour prévenir les abus, l'arbitraire et les atteintes au secret professionnel des avocats ont été adéquates et suffisantes (cf. l’Ouvrage "La profession d'avocat" N° Lexbase : E0170E7G).

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Bancaire/Sûretés

[Brèves] L'aval d'un effet de commerce irrégulier en raison d'un vice de forme est lui-même nul et ne vaut pas promesse de porte fort

Réf. : Cass. com., 8 septembre 2015 n° 14-14.208, FS-P+B+I (N° Lexbase : A5967NNC)

Lecture: 2 min

N8912BUM

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Le 17 Septembre 2015

L'aval d'un effet de commerce irrégulier en raison d'un vice de forme est lui-même nul et ne vaut pas promesse de porte fort. Tel est le principe énoncé par la Chambre commerciale de la Cour de cassation dans un arrêt du 8 septembre 2015 (Cass. com., 8 septembre 2015 n° 14-14.208, FS-P+B+I N° Lexbase : A5967NNC). En l'espèce, après avoir procédé à l'ouverture d'un compte courant au nom d'une société, une banque lui a consenti une facilité de caisse par découvert en compte courant et une ligne de crédit de trésorerie permanente, qualifiée de crédit de campagne, de 100 000 euros sous la forme d'un effet de commerce à échéance à un mois, à chaque fois renouvelé. Après avoir dénoncé les conventions liant les parties et clôturé le compte de la société, la banque a assigné la représentante de la société, en sa qualité d'avaliste, en paiement du dernier effet émis par la société. La cour d'appel conclut à la validité de l'engagement de la garante et à sa condamnation à payer à la banque la somme de 100 000 euros (CA Paris, Pôle 5, 6ème ch., 9 janvier 2014, n° 12/10185 N° Lexbase : A1340KTS ; lire N° Lexbase : N0473BU3). Elle relève que l'effet litigieux, qui ne comportait aucune signature du tireur, ne valait pas lettre de change et qu'il n'y avait pas d'aval cambiaire valable de cet effet. Mais, elle retient que la mention manuscrite d'aval accompagnée de sa signature a été apposée par la garante, qui est la gérante de la société, pour obtenir le renouvellement du crédit de campagne accordé à sa société par la banque et en déduit qu'il constitue un engagement personnel de sa part, par lequel elle a promis à la banque que la société paierait sa dette à l'échéance convenue. Elle s'est ainsi portée fort de l'engagement pris par la société et cet engagement, pris par le dirigeant de l'entreprise, n'était soumis à aucun formalisme particulier. Par conséquent, pour la cour d'appel, la société n'ayant pas réglé ladite somme, le résultat promis par la garante n'a pas été obtenu, de sorte que cette dernière, qui s'est engagée personnellement à ce que la société paierait sa dette, doit indemniser la banque de sa créance impayée. Mais, énonçant le principe précité, la Cour de cassation censure l'arrêt d'appel au visa des articles L. 512-1 (N° Lexbase : L6735AIB) et L. 512-2 (N° Lexbase : L6736AIC) du Code de commerce, ensemble l'article 1120 du Code civil (N° Lexbase : L1208ABD ; cf. les Ouvrages "Droit bancaire" N° Lexbase : E5681AUX et "Droit des sûretés" N° Lexbase : E8827AGZ).

newsid:448912

Contrats et obligations

[Doctrine] Le projet de généralisation des clauses abusives : réflexions en droit des contrats spéciaux

Lecture: 7 min

N8927BU8

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par Gaël Piette, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux, Directeur scientifique des Encyclopédies "Droit des sûretés" et "Droit des contrats spéciaux"

Le 17 Septembre 2015

Il est des gestations plus longues que d'autres. Pour s'en tenir aux mammifères, elle dure un mois chez le lapin, et six à huit semaines chez la chauve-souris. Il est classique de dire que l'éléphant, avec une gestation de vingt à vingt-deux mois, est le mammifère dont la gestation est la plus longue. En réalité, le mammifère dont la gestation dure le plus longtemps est le législateur français. Il suffit de songer qu'en septembre 2015, cela fait dix ans que l'avant-projet de réforme du droit des obligations, dit avant-projet "Catala", a été remis à la Chancellerie. Le regretté Pierre Catala n'aura d'ailleurs pas eu le plaisir de voir la réforme aboutir.
Depuis quelques mois, le pouvoir exécutif semble vouloir aller plus vite sur la question, au point de souhaiter légiférer par voie d'ordonnance (1). Le contenu de ce projet est relativement décevant. Après les codifications à droit constant, qui d'ailleurs ne le sont jamais véritablement comme l'a démontré dernièrement le Code des transports, le droit français va connaître la "recodification à droit constant" : réorganisation des textes (au point que l'article 1134 traitera de l'erreur sur les motifs, ou l'article 1382 de la preuve par présomption judiciaire (2)), consécration de jurisprudences établies, etc.. Parmi les rares innovations (3), certaines n'ont pas fini de faire couler de l'encre : ouverture du droit français à la théorie de l'imprévision (art. 1196 du projet), suppression de la subrogation conventionnelle ex parte creditoris, ou encore généralisation des clauses abusives (art. 1169).
C'est à ce dernier point que la présente étude se consacre, en examinant l'impact de la généralisation de cette technique pour l'instant purement consumériste dans tous les contrats. Si le projet d'ordonnance est adopté en l'état, si donc l'article 1169 devient de droit positif, la prohibition des clauses dites abusives ne sera plus limitée aux contrats conclus entre un professionnel et un consommateur (B to C), mais aura vocation à s'appliquer également aux contrats conclus entre professionnels (B to B) et aux contrats conclus entre particuliers. En effet, ce texte dispose que :
"Une clause qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat peut être supprimée par le juge à la demande du contractant au détriment duquel elle est stipulée.
L'appréciation du déséquilibre significatif ne porte ni sur la définition de l'objet du contrat ni sur l'adéquation du prix à la prestation". La généralisation des clauses abusives présente des difficultés tant par la lettre même de l'article 1169 du projet d'ordonnance (I) que par sa confrontation au droit des contrats spéciaux (II).

I - Les difficultés intrinsèques à l'article 1169 du projet

L'article 1169 du projet ne cache pas son inspiration. Son alinéa 2 ("L'appréciation du déséquilibre significatif ne porte ni sur la définition de l'objet du contrat ni sur l'adéquation du prix à la prestation") constitue une reprise de l'alinéa 7 de l'article L. 132-1 du Code de la consommation (N° Lexbase : L6710IMH), qui prohibe les clauses abusives dans les contrats conclus entre un professionnel et un consommateur ou un non-professionnel.

Pourtant, l'article 1169 du projet contient deux différences notables avec l'article L. 132-1, qui suscitent certaines interrogations.

D'une part, l'article 1169 vise la "clause qui crée un déséquilibre significatif" entre les droits et obligations des parties, tandis que l'article L. 132-1 envisage les "clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer [...] un déséquilibre significatif" entre les droits et obligations des parties.

La différence peut sembler ténue. Pourtant, elle est bien réelle. Au contraire du projet, dans le Code de la consommation, il n'est pas nécessaire que la clause crée effectivement un déséquilibre significatif, puisqu'elle peut avoir simplement pour objet de le créer. Le projet de réforme, lui, ne s'intéresse qu'à la clause qui crée un tel déséquilibre. Un pénaliste écrirait ici que le texte ne réprime que l'infraction réussie, et non la tentative...

Il en résulte un affaiblissement de la situation du contractant victime de la clause. En effet, il lui appartiendra de rapporter la preuve de l'existence du déséquilibre significatif entre ses droits et obligations, et ceux de son cocontractant.

D'autre part, la sanction retenue par l'article 1169 du projet est très différente de celle prévue par l'article L. 132-1. Ce dernier, en son alinéa 6, répute les clauses abusives non écrites, tandis que l'article 1169 permet au juge de "supprimer" la clause. Si l'on laisse de côté les interrogations que fait naître l'usage du verbe "supprimer", bien peu juridique, il convient de voir en cette sanction une nullité.

Or, la nullité et le réputé non écrit sont deux sanctions juridiques fortement dissemblables. La différence majeure réside dans l'idée que la nullité, en droit français, est nécessairement judiciaire, c'est-à-dire prononcée par le juge. Le réputé non écrit, au contraire, ne nécessite pas d'intervention judiciaire. Ainsi, sur le fondement de l'article 1169, le contractant victime d'une clause qui crée un déséquilibre significatif sera dans l'obligation de saisir un juge pour la faire déclarer nulle. Le même contractant qui pourrait invoquer le fondement de l'article L. 132-1 n'aura qu'à faire comme si la clause n'existait pas.

Enfin, comment ne pas souligner l'imprécision du vocabulaire utilisé ? Qu'est-ce qu'un déséquilibre significatif ? Certes, la notion est connue du droit français, par l'article L. 132-1 du Code de la consommation, l'article L. 442-6 du Code de commerce (N° Lexbase : L1769KGM) et l'article L. 313-14-1 du Code de l'action sociale et des familles (N° Lexbase : L7547IGM) (4). Pour autant, qui peut prétendre savoir précisément ce qu'est un déséquilibre significatif ? La notion est d'autant plus délicate à cerner que le déséquilibre ne porte pas sur des quantités (cf. l'alinéa 2 de l'article 1169 du projet), mais sur des droits et obligations. Il ne s'agit donc pas de comparer des données quantitativement appréciables, mais des éléments beaucoup plus difficilement estimables.

Il est, en outre, possible de se demander si le juge pourra se référer à l'intégralité du contrat. Le texte ne semble pas l'y inviter, envisageant la seule clause qui crée un déséquilibre significatif. Il semble néanmoins judicieux de prendre le contrat dans son ensemble : une clause peut avantager significativement une partie, mais être contrebalancée par une autre clause qui procure un avantage en sens inverse. L'emploi du verbe "pouvoir" (la clause "peut être supprimée par le juge") devrait permettre une telle pratique.

Il s'agit ainsi une fois encore d'une notion floue, conférant au juge un large pouvoir d'appréciation. Cela en satisfera certains, et en inquiètera d'autres...

II - La difficile confrontation de l'article 1169 au droit des contrats spéciaux

Puisque l'article 1169 s'est très clairement inspiré de l'article L. 132-1 du Code de la consommation, il peut être utile, pour identifier les cas possibles de clauses abusives, de se référer aux listes que fournit ce code, dans ses articles R. 132-1 (N° Lexbase : L0488IDG) et suivants. Les deux premiers de ces textes égrènent chacun une liste de clauses irréfragablement ou simplement présumées abusives (liste "noire" et liste "grise").

La lecture de ces textes révèle que certaines clauses, perçues comme abusives dans les relations entre professionnel et consommateur (ou non-professionnel), sont relativement fréquentes dans les relations entre professionnels. Quelques exemples suffiront à s'en convaincre.

Le 3° de l'article R. 132-1 dispose qu'est irréfragablement présumée abusive la clause qui réserve "au professionnel le droit de modifier unilatéralement les clauses du contrat relatives à sa durée, aux caractéristiques ou au prix du bien à livrer ou du service à rendre". De telles clauses sont relativement courantes dans les relations entre professionnels, notamment dans les contrats cadre. Depuis les grandes avancées jurisprudentielles des années 1990, le droit français est beaucoup plus souple en ce qui concerne la détermination du prix dans les relations d'affaires (5). En particulier, est valable la clause dite "prix catalogue", clause faisant référence au tarif en vigueur au jour des commandes à intervenir. Or, une telle clause permet bien à l'un des contractants de modifier unilatéralement le prix du bien à livrer...

Le 6° de l'article R. 132-1 voit une clause abusive dans celle qui supprime ou réduit "le droit à réparation du préjudice subi par le non-professionnel ou le consommateur en cas de manquement par le professionnel à l'une quelconque de ses obligations". Cette disposition interdit ainsi les clauses limitatives ou élusives de responsabilité dans les contrats de consommation. Il est évident qu'elle ne saurait être étendue aux contrats conclus entre professionnels. Les clauses limitatives de responsabilité y sont fréquentes (6). La possibilité de limiter sa responsabilité est souvent un procédé incitatif pour l'entrepreneur, un vecteur d'initiative économique.

Le 7° de l'article R. 132-2 (N° Lexbase : L0512IDC) présume simplement abusive la clause qui stipule "une date indicative d'exécution du contrat, hors les cas où la loi l'autorise". Justifiée dans les contrats de consommation, cette disposition serait gênante dans les contrats entre professionnels si elle venait à s'y appliquer. Certaines opérations sont soumises à des particularités qui rendent délicate la détermination d'une date précise d'exécution de l'obligation. Il suffit de songer, à titre d'exemple, au contrat d'affrètement maritime. Dans un tel contrat, le fréteur assume, entre autres, une obligation de mise à disposition du navire affrété. Mais, en raison des aléas de la navigation maritime, il lui est difficile de savoir avec précision à quelle date le navire convenu sera revenu de sa précédente expédition, et donc à quelle date il sera disponible. Pour s'accorder davantage de souplesse, nombre de fréteurs stipulent un estimated time arrival, c'est-à-dire une date estimée d'arrivée. Une telle stipulation a pour effet d'admettre un certain retard dans la présentation du navire, tant que ce retard demeure raisonnable (7). Une telle clause, fort usitée en pratique, serait menacée si l'article R. 132-2, 7°, du Code de la consommation était généralisé. Il convient d'ailleurs de remarquer que l'estimated time arrival est généralement contrebalancé par la stipulation, dans la charte-partie, d'une cancelling date, qui permet à l'affréteur de résilier le contrat d'affrètement lorsque le navire n'est pas présenté avant cette date (8). La plupart des chartes types contiennent une cancelling clause (clause 9 de la Gencon, clause 6 de la Synacomex 2000, par exemple).

Enfin, le 10° de l'article R. 132-2 considère comme abusive la clause qui supprime ou entrave "l'exercice d'actions en justice ou des voies de recours par le consommateur, notamment en obligeant le consommateur à saisir exclusivement une juridiction d'arbitrage non couverte par des dispositions légales ou à passer exclusivement par un mode alternatif de règlement des litiges". Ici encore, l'idée est justifiée en matière de relations B to C, mais difficilement transposable aux relations B to B. De nombreux secteurs d'activité économique ont fréquemment recours à l'arbitrage, autant à l'occasion de relations internes que dans les relations internationales (contrats de distribution, contrats maritimes, propriété intellectuelle, etc.). La clause compromissoire serait-elle menacée si l'article 1169 du projet était adopté ? Nous ne le pensons, et surtout nous ne l'espérons, pas. Mais il conviendra de rester vigilant sur ce point.

Même en dehors des listes fournies par les textes consuméristes, certaines clauses prisées de la pratique risquent fort de devenir douteuses si l'article 1169 du projet aboutit. Il en est ainsi, par exemple, de la clause d'exclusion de la garantie des vices cachés dans la vente immobilière. Un professionnel ne peut s'exonérer de la garantie lorsqu'il contracte avec un particulier. En revanche, un particulier peut parfaitement s'exonérer de la garantie de l'article 1641 du Code civil (N° Lexbase : L1743AB8) lorsqu'il vend son immeuble. Cette clause est même très répandue. Mais ne crée-t-elle pas un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties ? Il en est de même, par exemple, de la clause de fret acquis à tout événement, qui oblige l'affréteur ou le chargeur à payer le fret quoiqu'il arrive, même lorsque la marchandise n'a pas été acheminée à bon port (pour cause de naufrage du navire, par exemple), ou encore des clauses attributives de juridiction. Ces diverses clauses sont très fréquentes entre professionnels, et seraient directement menacées par l'article 1169 du projet.

Ces diverses illustrations montrent à quel point l'article 1169 du projet de réforme du droit des obligations peut s'avérer dangereux. Le droit de la consommation est un droit éminemment spécifique, dont les mécanismes ne peuvent pas toujours être étendus aux autres relations contractuelles. Les relations d'affaires, en particulier, n'ont pas besoin d'une législation sur les clauses abusives autre que celle figurant à l'article L. 442-6 du Code de commerce. L'introduction des clauses abusives dans les relations B to B présente un risque : inquiéter les opérateurs du commerce international, et donc réduire l'attractivité du droit français (9).

Le texte projeté est au final une manifestation supplémentaire de l'aphorisme selon lequel l'enfer est pavé de bonnes intentions.


(1) Habilitation pour ce faire lui a été donnée par le législateur : loi n° 2015-177 du 16 février 2015, art. 8 (N° Lexbase : L9386I7R).
(2) L'article 1384 projeté est consacré au serment. Il y a fort à parier que ce texte suscitera beaucoup moins de jurisprudence que l'actuel article 1384 (N° Lexbase : L1490ABS)...
(3) Pour un panorama pratique et rapide, v. not. Ph. Delebecque, La réforme du droit des contrats, du pour et du contre, Gazette CAMP n° 37, p. 1.
(4) En faisant remarquer que ce dernier texte restreint le déséquilibre, en envisageant seulement le "déséquilibre financier significatif".
(5) Ass. Plén., 1er décembre 1995, n° 91-15.999 (N° Lexbase : A5967AHH), n° 91-15.578 (N° Lexbase : A1731AAD), n° 91-19.653 (N° Lexbase : A5344ABK) et n° 93-13.688 (N° Lexbase : A8251AB9) ; JCP éd. G, 1995, II, 22565, concl. Jéol et note J. Ghestin ; D., 1996, 13, concl. Jéol et note L. Aynès.
(6) Quand la limitation ne résulte pas de la loi elle-même, comme par exemple pour le propriétaire de navire : Convention de Londres du 19 novembre 1976, sur la limitation de la responsabilité en matière de créances maritimes, et C. transports, art. L. 5121-3 (N° Lexbase : L7236INC).
(7) CAMP, sentence n° 1070 du 15 novembre 2002, DMF, 2003, p. 388.
(8) P. Bonassies et Ch. Scapel, Traité de droit maritime, LGDJ, 2ème éd., 2010, n° 767.
(9) En ce sens, v. Ph. Stoffel-Munck, Les clauses abusives, on attendait Grouchy..., Droit & Patrimoine, octobre 2014, p. 56.

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Fiscalité des particuliers

[Brèves] Possibilité pour un seul parent de bénéficier de l'intégralité des parts fiscales apportées par les enfants en cas de résidence alternée

Réf. : Cass. civ. 1, 9 septembre 2015, n° 14-23.687, F-P+B (N° Lexbase : A9365NN8)

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N8957BUB

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Le 18 Septembre 2015

En cas de garde d'enfants en résidence alternée, un seul des parents peut bénéficier de l'intégralité des parts fiscales apportées par les enfants s'il apporte la preuve qu'il subvient aux besoins des enfants de façon plus importante que l'autre parent. Telle est la solution retenue par la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 9 septembre 2015 (Cass. civ. 1, 9 septembre 2015, n° 14-23.687, F-P+B N° Lexbase : A9365NN8). En l'espèce, un couple vivant séparément a deux enfants qu'ils prennent en charge en alternance. Selon l'article 194 du CGI (N° Lexbase : L5575H9D), en cas de résidence alternée au domicile de chacun des parents et sauf disposition contraire dans la convention homologuée par le juge, la décision judiciaire ou, le cas échéant, l'accord entre les parents, les enfants mineurs sont réputés être à la charge égale de l'un et de l'autre parent. Cette présomption peut être écartée s'il est justifié que l'un d'entre eux assume la charge principale des enfants. Ainsi, la législation fiscale prévoit qu'en cas de résidence alternée, chacun des parents se voit rattacher la moitié des parts fiscales apportées par les enfants. Le père, ayant des revenus et un patrimoine supérieurs à la mère lui permettant d'assumer la charge principale des enfants, prétendait de ce fait pouvoir bénéficier de l'intégralité des parts fiscales apportées par les enfants. Il s'est alors vu débouter de cette demande (CA Colmar, 24 juin 2014, n° 13/02870 N° Lexbase : A8699MRM). Cependant, pour les Hauts magistrats, en faisant de la présomption de répartition de la charge effective des enfants prévue par l'article 194 du CGI une présomption irréfragable commandant impérativement la répartition des parts fiscales par moitié en cas de résidence alternée, quand cette présomption n'est qu'une présomption simple que le juge peut parfaitement écarter lorsqu'il y est invité, la cour d'appel a méconnu l'étendue de ses attributions et violé les termes de l'article 194 du CGI en les méconnaissant .

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Impôts locaux

[Brèves] TFPB : appréciation du caractère industriel des entrepôts de stockage de marchandises

Réf. : CAA Lyon, 27 août 2015, n° 14LY01270, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A9761NNT)

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N8960BUE

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Le 22 Septembre 2015

Revêtent un caractère industriel, au sens de l'article 1499 du CGI (N° Lexbase : L0268HMU), relatif à la détermination de la valeur locative des biens passibles de la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) pour les immobilisations industrielles, les établissements dont l'activité nécessite d'importants moyens techniques, non seulement lorsque cette activité consiste dans la fabrication ou la transformation de biens corporels mobiliers, mais aussi lorsque le rôle des installations techniques, matériels et outillages mis en oeuvre, fût-ce pour les besoins d'une autre activité, est prépondérant. Il en est notamment ainsi des entrepôts de stockage de marchandises, dans l'hypothèse où cette dernière condition, alternative, se trouve satisfaite, et sans qu'il soit alors besoin de rechercher si les biens et produits stockés seraient, ou non, utilisés pour une activité industrielle. Telle est la solution retenue par la cour administrative d'appel de Lyon dans un arrêt rendu le 27 août 2015 (CAA Lyon, 27 août 2015, n° 14LY01270, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A9761NNT). En l'espèce, une société qui exploite des installations de stockage sur le territoire d'une commune a fait l'objet d'une vérification de comptabilité à l'issue de laquelle l'administration a rehaussé ses bases d'imposition à la TFPB, en évaluant la valeur locative de ces installations selon les dispositions de l'article 1499 du CGI. Les juges lyonnais ont alors donné raison à l'administration. En effet, la société requérante dispose dans la commune, pour une activité de stockage et de redistribution de produits afin d'assurer l'approvisionnement de supermarchés rattachés à cet établissement, d'une surface de 18 800 m2. Pour assurer le fonctionnement de cette plate-forme logistique, elle dispose également de différents moyens techniques importants ainsi qu'un système informatique développé. Dès lors, alors même que certaines opérations seraient réalisées manuellement dans cet établissement par un personnel affecté aux opérations de manutention, et que le montant total des installations techniques, matériels et outillages, ne représenterait que 23,16 % du montant total des immobilisations utilisées pour l'activité développée dans cet établissement, compte tenu de la nature de l'activité de l'établissement, les moyens techniques et informatiques mis en oeuvre doivent être regardés comme présentant un caractère important et ayant un rôle prépondérant pour assurer cette activité, laquelle ne pourrait être exercée dans les mêmes conditions en l'absence de tels moyens. Par conséquent, les établissements en cause présentent un caractère industriel au sens des dispositions de l'article 1499 du CGI et c'est à bon droit que l'administration s'est fondée sur ces dispositions pour déterminer la base d'imposition à la TFPB dont la société requérante était redevable .

newsid:448960

Marchés publics

[Brèves] Caractère administratif des marchés passés en application du Code des marchés publics : principe non applicable aux marchés ayant été conclus avant le 14 décembre 2001

Réf. : Cass. civ. 1, 10 septembre 2015, n° 14-19.879, F-P+B (N° Lexbase : A9393NN9)

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N9011BUB

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Le 18 Septembre 2015

Le principe selon lequel les litiges relatifs à la passation, à l'exécution et au règlement de contrats pris en application du Code des marchés publics, passés avec une personne morale de droit public pour répondre aux besoins de celle-ci en matière de travaux, de fournitures ou de services relèvent de la compétence des juridictions administratives, ne peut trouver à s'appliquer à des contrats conclus avant la promulgation de la loi n° 2001-1168 du 11 décembre 2001, portant mesures urgentes de réformes à caractère économique et financier (N° Lexbase : L0256AWE). Ainsi statue la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 10 septembre 2015 (Cass. civ. 1, 10 septembre 2015, n° 14-19.879, F-P+B N° Lexbase : A9393NN9). L'article 2 de la loi précitée énonce que les marchés passés en application du Code des marchés publics ont le caractère de contrats administratifs. Si ce texte détermine la compétence de la juridiction administrative pour connaître des litiges relatifs à la passation, à l'exécution et au règlement de contrats pris en application du Code des marchés publics à compter de la date de son entrée en vigueur, y compris pour les contrats en cours, à l'exception de ceux déjà portés devant le juge judiciaire, il n'est pas applicable aux contrats ayant produit tous leurs effets avant cette date. Les juges du fond ont relevé que les travaux réalisés en exécution des marchés litigieux, lesquels étaient soumis au Code des marchés publics dans sa rédaction alors en vigueur, ont été réceptionnés le 21 avril 2000. Il en résulte que l'article 2 de la loi précitée ne pouvait recevoir application, la réception ayant mis fin aux rapports contractuels nés desdits marchés (cf. l’Ouvrage "Marchés publics" N° Lexbase : E1141EUS).

newsid:449011

Notaires

[Brèves] Défaut d'annexion de la procuration à la copie exécutoire d'un acte notarié : le caractère exécutoire reste encore intact !

Réf. : Cass. civ. 1, 10 septembre 2015, n° 14-13.237, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A8671NNH)

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N8965BUL

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Le 17 Septembre 2015

Il ressort des dispositions combinées des articles 21 et 34 du décret n° 71-941 du 26 novembre 1971 relatif aux actes établis par les notaires (N° Lexbase : L8530HBK), dans leur rédaction issue du décret n° 2005-973 du 10 août 2005 applicable en la cause (N° Lexbase : L2859HBI), ensemble l'article 1er de la loi n° 76-519 du 15 juin 1976 (N° Lexbase : L1800DNY), que, si l'acte notarié doit comporter les procurations en annexe, à moins qu'elles ne soient déposées aux minutes du notaire rédacteur de l'acte, ces exigences ne visent pas la copie exécutoire qu'en délivre celui-ci. Telle est la règle dégagée par la première chambre civile de la Cour de cassation, dans un arrêt rendu le 10 septembre 2015 (Cass. civ. 1, 10 septembre 2015, n° 14-13.237, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A8671NNH). En l'espèce, un établissement bancaire avait, en vertu d'un acte notarié de prêt reçu le 20 juin 2006 par M. B., notaire associé, fait pratiquer une saisie-attribution au préjudice de M. et Mme M. qui avaient contesté le caractère exécutoire du titre servant de fondement à cette mesure. Pour déclarer la saisie-attribution nulle et de nul effet et en ordonner la mainlevée, la cour d'appel de Colmar avait retenu que la procuration en vertu de laquelle M. et Mme M. avaient été représentés à l'acte notarié de prêt, n'était pas annexée à la copie exécutoire produite par l'établissement bancaire, en contravention aux prescriptions de l'article 21 du décret du 26 novembre 1971 (CA Colmar, 27 janvier 2014, n° A 12/03532 N° Lexbase : A0439MDM). A tort, selon la Cour régulatrice, qui énonce la solution précitée. En tout état de cause, la Cour de cassation rappelle, dans ce même arrêt, la solution jurisprudentielle désormais bien établie, selon laquelle l'inobservation de l'obligation, pour le notaire, de faire figurer les procurations en annexe de l'acte notarié ne fait pas perdre à l'acte son caractère authentique, partant, son caractère exécutoire (Cass. mixte, 21 décembre 2012, n° 11-28.688 N° Lexbase : A6208IZX et n° 12-15.063 N° Lexbase : A7073IZY, P+B+R+I ; lire N° Lexbase : N5430BTB ; et plus récemment : Cass. civ. 1, 2 juillet 2014, n° 13-19.626, F-P+B (N° Lexbase : A2769MTQ).

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Pénal

[Le point sur...] La lutte contre la corruption internationale : bilan et perspectives

Lecture: 10 min

N8813BUX

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par Jérôme Simon, Magistrat, Chef de la mission de lutte contre la corruption et la cybercriminalité

Le 17 Septembre 2015

Si la lutte contre la corruption d'agent public national est un impératif de politique pénale ancien, puisque déjà inscrite dans le Code pénal napoléonien de 1810, la lutte contre la corruption d'agent public étranger n'a, quant à elle, fait l'objet d'une attention particulière du législateur français qu'à partir de 2000, avec la transposition en droit interne des prescriptions de la Convention sur la lutte contre la corruption dans les transactions internationales adoptée en 1997 par les pays de l'OCDE sous l'impulsion des Etats-Unis. Ce n'est, toutefois, que plusieurs années plus tard que les pouvoirs publics français ont réellement commencé à appréhender l'ampleur de ce phénomène, à l'aune notamment des multiples poursuites diligentées par les autorités américaines de ce chef à l'encontre de grandes sociétés françaises. Si les réformes réalisées ces dernières années en France dans le champ de la détection, des investigations et de la répression de la corruption internationale constituent indiscutablement un signal encourageant, celles-ci doivent encore être complétées par un arsenal juridique dédié à la question de la prévention de la corruption au sein des entreprises. I - Une prise en compte récente de la problématique de la corruption internationale par les législations des Etats membres de l'OCDE sous l'impulsion des Etats-Unis

Si l'Histoire retient du scandale du Watergate qu'il provoqua la démission d'un président des Etats-Unis, l'on ignore en général l'une de ses multiples ramifications qui pourtant, aujourd'hui encore, témoigne de la façon dont de nombreuses multinationales conduisent leurs affaires.

Outre l'affaire d'espionnage politique qui mena en 1974 à la démission du président Richard Nixon, les travaux de la commission d'enquête sénatoriale mirent, en effet, en lumière l'existence au sein de plusieurs grandes entreprises américaines de caisses noires ("Slush Funds") destinées à financer de manière illicite la vie politique américaine.

Intrigué par ces révélations, Stanley Sporkin, alors membre de la "Securities and Exchange Commission" (SEC), l'instance de régulation de la vie économique américaine, fit diligenter des investigations par ses services pour déterminer quelles pouvaient être les autres utilisations de ces caisses noires.

Ces investigations lui permirent de découvrir que ces fonds avaient également été utilisés par plusieurs centaines d'entreprises américaines afin de verser des pots de vin à des fonctionnaires ou à des élus étrangers dans le cadre de procédures de marchés publics truquées, faits qui à l'époque n'étaient pas pénalement répréhensibles puisque seuls étaient sanctionnés les faits de corruption de fonctionnaire ou d'élu américain.

Le résultat des travaux menés par la SEC, ainsi qu'un retentissant scandale révélé à la même époque concernant la vente dans des conditions douteuses d'appareils aéronautiques par Lockheed en Europe de l'Ouest et au Japon, poussèrent le législateur américain à adopter en 1977 le "Foreign Corrupt Practices Act" (FCPA) incriminant la corruption active d'agent public étranger.

Le champ d'application de ce texte devait par la suite être élargi par le "International Anti-Bribery Act" de 1998, texte prévoyant que des entreprises étrangères devraient également pouvoir faire l'objet de poursuites sur le fondement du FCPA.

Dans le reste du monde, et plus particulièrement en Europe de l'Ouest, les Etats continuaient, toutefois, à tolérer, voire parfois à inciter sur le plan fiscal (1), le versement par leurs entreprises de pots de vins à des fonctionnaires ou élus étrangers à l'occasion de négociations portant sur des contrats ou des marchés à l'étranger.

Sous l'impulsion des Etats-Unis -qui souhaitaient que leurs partenaires commerciaux soient assujettis à une législation calquée sur le modèle du FCPA- le Comité d'investissement de l'OCDE créait en mai 1994 le groupe de travail intergouvernemental sur la corruption dans le cadre des transactions commerciales internationales (ou "Working Group on Bribery in International Business").

Ce groupe de travail était à l'origine de l'adoption, en 1994, puis en 1997, de recommandations spécifiques portant sur la lutte contre la corruption dans les transactions commerciales internationales.

Ces recommandations étaient suivies par la signature à Paris le 17 décembre 1997 de la Convention sur la lutte contre la corruption d'agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales. Aux termes de cette Convention, les pays signataires (2) s'engageaient à établir des normes juridiquement contraignantes tendant à faire de la corruption active d'agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales une infraction pénale et à prévoir un certain nombre de mesures visant à mettre en oeuvre efficacement cette infraction, notamment en matière de responsabilité des personnes morales, de compétence juridictionnelle, d'entraide judiciaire, ou de suivi des normes comptables.

En France, la ratification de cette Convention était autorisée par le Parlement en mai 1999 et était suivie par l'adoption de la loi du 30 juin 2000 introduisant explicitement en droit français l'incrimination de corruption d'agents publics étrangers ou appartenant à des organisations publiques internationales lors de transactions commerciales internationales (3).

Après une dizaine d'années d'observation, les Etats-Unis estimaient, toutefois, qu'en dépit de la signature de ladite Convention et de sa transposition par les Etats membres de l'OCDE, les efforts déployés par ses principaux partenaires commerciaux restaient encore insuffisants.

Ce constat menait les services du "Department of Justice" (DOJ) à la mise en place d'une politique pénale particulièrement proactive en lien avec la SEC, politique se traduisant par le prononcé de sanctions financières tant à l'encontre des multinationales d'implantation américaine qu'à l'encontre de leurs concurrentes étrangères.

C'est ainsi, par exemple, que le groupe allemand de construction électrique Siemens était condamné en 2008 par la justice américaine à une amende record de 800 millions de dollars pour avoir versé des pots de vins afin d'obtenir des contrats en Amérique latine et au Moyen Orient.

Les sociétés françaises Technip, Alcatel-Lucent, Total et Alstom allaient, quant à elles, faire l'objet, tour à tour, entre 2010 et 2014, de sanctions financières portant sur des montants allant de 137 à 772 millions de dollars (4).

II - Une réelle prise en compte par la France de la nécessité de réprimer la corruption internationale depuis la fin des années 2000

C'est dans ce contexte que la France -consciente de son retard et inquiète de l'activisme américain à l'égard de ses entreprises- a initié ces dernières années des réformes d'envergure destinées à mieux détecter, enquêter et sanctionner ce type de faits.

En matière de détection, les lois du 13 novembre 2007 (5) et du 6 décembre 2013 (6) ont tout d'abord considérablement renforcé le dispositif de protection des lanceurs d'alerte afin de permettre à tout salarié ou fonctionnaire acquérant la connaissance de faits de corruption de pouvoir les dénoncer aux pouvoirs publics sans craintes de représailles au sein de son entreprise ou de son administration. Par ailleurs, la loi du 6 décembre 2013 a consacré la possibilité pour les associations anticorruption de se constituer partie civile, quand bien même elles ne seraient pas directement victimes des faits de corruption en cause, ce afin de mieux associer la société civile dans la détection des faits de corruption notamment internationale (7).

Cette réforme va de pair avec la facilitation du déclenchement des enquêtes puisque dans le même temps, le législateur français a abrogé les dispositions du Code pénal qui posaient le principe du monopole des poursuites réservé au Parquet en matière de corruption d'agent public étranger (8).

En parallèle, les pouvoirs publics ont développé plusieurs actions destinées à sensibiliser ses agents ou les professionnels concernés. Il peut notamment être fait état à ce titre de la diffusion par le ministère de la Justice d'une circulaire clarifiant l'obligation pesant sur les commissaires aux comptes de révéler à l'autorité judiciaire les faits délictueux -y compris de corruption- dont ils auraient connaissance dans l'exercice de leur mission de certification des entreprises (9).

A par ailleurs été conjointement rédigé par le Service central de prévention de la corruption (SCPC) et par la cellule de renseignement financier française (TRACFIN) un "Guide d'aide à la détection des opérations financières susceptibles d'être liées à la corruption".

En matière d'investigations, à l'instar des réformes introduites en 2004 pour lutter plus efficacement contre la criminalité organisée, le législateur a souhaité autoriser en 2007 l'autorité judiciaire à recourir à certaines techniques spéciales d'enquête en matière de corruption y compris internationale : la surveillance des biens et des personnes, la sonorisation, voire l'infiltration.

Ont, par ailleurs, été créées en 2013 deux nouvelles autorités chargées spécifiquement des enquêtes en cette matière : l'office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF) (10) et le procureur de la République financier.

En matière de répression enfin, la loi de 2013 a considérablement augmenté le quantum des peines d'amende encourues en matière de corruption d'agent public étranger.

Ce quantum a ainsi été porté de 150 000 euros à 1 000 000 d'euros pour les personnes physiques et de 750 000 euros à 5 000 000 d'euros pour les personnes morales (C. pén., art. 435-1 N° Lexbase : L9487IYZ et 435-3 N° Lexbase : L9486IYY).

La réforme de 2013 prévoit, par ailleurs, que le juge aura désormais la possibilité de porter le montant de l'amende encourue au double du produit tiré de l'infraction pour les personnes physiques et au décuple du produit tiré de l'infraction pour les personnes morales.

En pratique toutefois, et en dépit d'une circulaire de politique pénale spécifique sur la question invitant les Parquets à la plus grande réactivité (11), les résultats restent à ce jour assez modestes.

En effet, depuis 2000, seules cinq affaires ont donné lieu en France à des condamnations définitives du chef de corruption d'agent public étranger concernant en tout et pour tout sept personnes physiques et aucune personne morale, chiffre qui reste très en deçà sur le plan statistique des résultats obtenus à ce jour par des pays comme les Etats-Unis ou l'Allemagne par exemple (12).

A noter que le nombre de procédures diligentées en France du chef de corruption d'agent public étranger a toutefois fortement augmenté ces dernières années (+ 24 entre 2012 et 2014 soit une augmentation de 75 % en deux ans) (13).

Le développement important du nombre des affaires en cours est la traduction dans les faits des efforts menés ces dernières années par les pouvoirs publics pour lutter plus efficacement contre la corruption internationale.

Gageons que -portées par le nouvel OCLCIFF et le nouveau procureur de la République financier- ces affaires puissent aboutir dans les années qui viennent à des condamnations substantielles devant les tribunaux.

III - Refondre les règles prudentielles en matière de corruption internationale en introduisant en droit positif une obligation générale de prévention de la corruption

La corruption internationale étant un phénomène complexe et en mutation constante, il convient de poursuivre la réflexion afin de continuer à adapter nos dispositifs juridiques aux enjeux qu'elle pose.

L'efficacité de la lutte contre la corruption internationale implique, en effet, tant une volonté politique qu'une responsabilisation des acteurs économiques. Ainsi, devrait dorénavant être prise en compte la question de la prévention de ce phénomène par la consécration en droit positif de lignes directrices destinées à guider les entreprises dans l'élaboration de leurs programmes internes de conformité ("Compliance") anti-corruption.

L'objet de ces lignes directrices devrait être d'inciter les entreprises françaises déployant une activité commerciale internationale à mettre en place des procédures internes de détection des comportements frauduleux, afin de prévenir les velléités de corruption et de favoriser le cas échéant leur signalement aux autorités judiciaires.

Cette réflexion fait écho à l'existence de dispositifs similaires chez nombre de nos partenaires étrangers notamment anglo-saxon, suisses et italiens qui ont déjà mis en oeuvre des législations dans ce domaine, législations qui trouvent d'ores et déjà à s'appliquer aux grandes entreprises françaises compte tenu de leur présence sur la scène mondiale.

La législation britannique dite du "UKBA" (14) prévoit ainsi une infraction pénale dite de "Failure of commercial organisations to prevent bribery" selon laquelle il y a infraction en cas de défaut de prévention suffisante de faits de corruption de la part de n'importe quelle personne associée à une entreprise, si ces faits permettent à ladite entreprise d'obtenir un avantage quelconque.

Le "UKBA adequate procedures guidance" publié en 2011 par le ministère de la Justice britannique pose les lignes directrices d'application de cette obligation. La loi britannique prévoit qu'à défaut de justifier de l'existence de procédures mettant en oeuvre ces lignes directrices, l'entreprise est alors susceptible d'engager sa responsabilité pénale, et ainsi de s'exposer à des amendes illimitées, si une personne qui lui est associée corrompt une autre personne.

De même, la législation suisse prévoit que la responsabilité d'une entreprise peut être engagée en raison d'un manque d'organisation et de mesures de prévention de l'infraction de corruption.

Ainsi, en vertu de l'article 102, alinéa 2, du Code pénal suisse, il est prévu que l'entreprise qui n'aura "pas pris toutes les mesures d'organisation raisonnables et nécessaires pour empêcher" la corruption d'agents publics ou de particuliers pourra être poursuivie pénalement et punie d'une amende pouvant atteindre 5 000 000 CHF (4 100 000 euros). Cette responsabilité existe indépendamment du fait qu'une personne physique puisse ou non être considérée comme responsable.

Ces obligations se traduisent donc par une responsabilité de plein droit de l'entreprise, sauf si elle démontre avoir pris toutes les mesures de nature à empêcher que le risque ne se réalise ou que l'infraction ne soit commise.

La loi italienne prévoit quant à elle qu'une société peut se dégager de sa responsabilité pénale si elle démontre avoir adopté des normes et procédures internes ("Modello") en matière de prévention de corruption et qu'elle a désigné un organe de supervision en charge du suivi du respect de ces normes ("Organismo di Vigilanza"). Pour pouvoir s'exonérer, les entreprises doivent donc démontrer avoir mis en place une organisation (procédures et processus) de nature à prévenir les risques et à s'assurer du respect des règles auxquelles elles sont soumises, dans leur activité. En d'autres termes, elles doivent démontrer avoir mis en place des programmes de conformité (15).

Enfin, dans le même ordre d'idée, il est prévu aux Etats-Unis que la mise en place d'un programme de conformité, sous réserve de son caractère effectif, peut permettre à l'entreprise poursuivie de bénéficier d'une modération des charges potentielles (16).

L'introduction d'une telle obligation en droit positif français apparaît aujourd'hui hautement souhaitable afin de redonner de la crédibilité au système juridique français dans un contexte où les entreprises françaises déploient leurs activités commerciales dans un marché globalisé où les anglo-saxons veillent désormais à ce que toutes les entreprises soient astreintes au même "Level playing field".

Toutefois, afin de s'assurer de l'effectivité du respect de celle-ci, une entité dédiée devrait être créée et être dotée des moyens d'assurer cette mission.

Cette nouvelle "agence anticorruption", à composition interministérielle, devrait être composée d'experts en mesure d'apprécier si les entreprises assujetties à cette obligation ont réellement mis en place des procédures de nature à prévenir les faits de corruption en leur sein ou pour leur compte, et que les mesures mises en avant ne sont pas de simples mesures d'affichage ("Window dressing").

La création d'une telle obligation générale de prévention anticorruption et d'une entité dédiée chargée de s'assurer de son respect s'impose afin que les pouvoirs publics français puissent reprendre la main sur le contrôle des pratiques commerciales de nos entreprises à l'étranger et ainsi ne plus laisser ce champ libre aux seules autorités américaines du DOJ et de la SEC.


(1) Plusieurs pays -dont la France- pratiquaient alors la déductibilité fiscale des commissions versées dans le cadre de contrats internationaux, ce qui donnait lieu à la pratique dite du "confessionnal" permettant à une entreprise de solliciter l'accord préalable d'un service spécialisé du ministère des Finances pour déduire ce qu'il convenait alors d'appeler ses "frais commerciaux".
(2) La Convention a été signée par les 34 pays membres de l'OCDE ainsi que par 7 pays non membres : l'Afrique du Sud, l'Argentine, le Brésil, la Bulgarie, la Colombie, la Lettonie et la Russie.
(3) Loi n° 2000-595 du 30 juin 2000, modifiant le Code pénal et le Code de procédure pénale relative à la lutte contre la corruption (N° Lexbase : L0648AIT).
(4) Siemens (Allemagne) : 800 millions de dollars en 2008 ; Alstom (France) : 772 millions de dollars en 2014 ; KBR /Halliburton (Etats-Unis) : 579 millions de dollars en 2009 ; BAE (Royaume Uni) : 400 millions de dollars en 2010 ; Total SA (France) : 398 millions de dollars en 2013 ; Alcoa (Etats-Unis) : 384 millions de dollars en 2014 ; ENI SpA. Snamprogetti Netherlands BV (Italie & Pays-Bas) : 365 millions de dollars en 2010 ; Technip SA (France) : 338 millions de dollars en 2010 ; JGC Corporation (Japon) : 218,8 millions de dollars en 2011 ; Daimler AG (Allemagne) : 185 millions de dollars en 2010 : Alcatel-Lucent (France) : 137 millions de dollars en 2010 ; Magyar Telekom & Deutsche Telekom (Hongrie & Allemagne) : 95 millions de dollars en 2011 (source : The FCPA Blog).
(5) Loi n° 2007-1598 du 13 novembre 2007, relative à la lutte contre la corruption (N° Lexbase : L2607H3X).
(6) Loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013, relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière (N° Lexbase : L6136IYW) et loi organique n° 2013-1115 du 6 décembre 2013, relative au procureur de la République financier (N° Lexbase : L6139IYZ).
(7) C. pr. pén., nouvel art. 2-23 (N° Lexbase : L9413IYB).
(8) C. pén., anc. art. 435-6 et 435-11.
(9) Circulaire du 18 avril 2014, relative à l'obligation de révélation des faits délictueux des commissaires aux comptes (N° Lexbase : L1307I3S).
(10) Décret n° 2013-960 du 25 octobre 2013, portant création d'un office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (N° Lexbase : L4792IY7).
(11) Circulaire du 9 février 2012 présentant de nouvelles dispositions pénales en matière de corruption internationale, et rappelant des orientations de politique pénale.
(12) Ainsi selon le "2013 Data on Enforcement of the Anti-Bribery Convention" de l'OCDE , à la date du 31 décembre 2013, 58 personnes physiques et 32 personnes morales aux Etats-Unis et 40 personnes physiques et 7 personnes morales en Allemagne ont d'ores et déjà fait l'objet de sanctions du chef de corruption internationale dans ces pays.
(13) OCDE -France : Rapport de suivi écrit de phase 3 et -Décembre 2014- p.8.
(14) "Bribery Act" 2010 (2010 c 23) - section 7.
(15) Décret-loi n° 231 /2001 du 8 juin 2001, art. 6 (1) (a) , 6 (2) et 7.
(16) Joint FCPA Guidance élaboré par la SEC et le DOJ en 2012, p.56.

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Procédure administrative

[Doctrine] Les nouveaux pouvoirs du juge administratif dans le contrôle de légalité des décisions individuelles

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par Christophe De Bernardinis, Maître de conférences à l'Université de Lorraine et Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Procédure administrative"

Le 17 Septembre 2015

"Il est comme cette étoile temporaire des Gémeaux, que nous voyons dans le ciel, et dont l'exaltation lumineuse a peut-être disparu déjà depuis des centaines d'années, tellement elle est loin de nous. Nous l'admirons encore, et il n'est déjà plus, ou, du moins, il n'est plus qu'une pièce de musée, un objet d'art délicat, une merveille de l'archéologie juridique" (1). Cette phrase mythique du doyen Hauriou, reprise maintes et maintes fois par la doctrine (permettez-moi de ne pas faire exception), montre que la question de l'évolution et de l'avenir du recours pour excès de pouvoir a depuis toujours suscité les interrogations. Mais plus que des interrogations, la question donne surtout l'impression de ne pouvoir être un jour totalement épuisée. Des décisions récentes du Conseil d'Etat montrent que celle-ci demeure ainsi très actuelle allant jusqu'à aboutir à une réflexion plus aboutie sur ce que doit être aujourd'hui le contentieux de la légalité. C'est l'avènement d'une conception moins abstraite de la justice administrative, de moins en moins tournée vers la défense de l'intérêt général et de plus en plus préoccupée vers la reconnaissance et la promotion des droits individuels, qui explique la tendance générale à l'accroissement du contrôle juridictionnel des actes administratifs au cours des dernières décennies. En matière de responsabilité de la puissance publique, cette évolution s'est traduite par un recul progressif de la faute lourde (2). Cette exigence d'une faute qualifiée était liée à la difficulté du service assuré. Elle se justifiait par des considérations d'intérêt général et plus précisément par le fait que la crainte d'être trop facilement condamnée en cas de dommage pouvait inciter l'administration à ne pas agir. La faute lourde constituait la marge de tolérance consentie à l'administration, au nom de l'intérêt général, pour mener à bien ses missions les plus difficiles sans nécessairement devoir répondre de ses erreurs en deçà d'un certain seuil de gravité. Derrière la volonté de protéger plus efficacement les intérêts des victimes, cet argument est désormais passé au second plan.

Dans le domaine de l'excès de pouvoir, cette évolution s'est concrétisée par l'affaiblissement du pouvoir discrétionnaire des autorités administratives suite à la mise en pratique d'un contrôle de légalité plus poussé notamment lorsque sont en jeu des libertés et des droits fondamentaux. C'est dans les années 1820 que le juge a soumis à son contrôle les "actes de pure administration" ou encore, le terme étant synonyme, les "actes discrétionnaires" (3) tout en promettant de ne pas affecter la marge de "discrétionnalité" qui caractérise ces actes. Le champ de la "discrétionnalité" existe, dans un premier temps, au regard de la légalité (4) puis se resserre, dans un second temps, autour des faits. Mais s'il appartient au juge de l'excès de pouvoir de s'assurer du respect de la règle de droit, la façon dont l'administration s'est emparée des faits pour appliquer la règle doit échapper à son contrôle, sans quoi le juge s'érigerait en administrateur. C'est autour de cette distinction entre le fait et le droit que s'est bâti le recours pour excès de pouvoir tout comme la cassation mais, progressivement et contrairement à sa promesse initiale, le juge de l'excès de pouvoir a pris possession des faits, il a examiné leur qualification alors que le Conseil d'Etat s'emparait de l'examen de la matérialité ou l'exactitude des faits tout en ne s'immisçant pas dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire. Chaque avancée s'est, cependant, opérée très prudemment. Si le juge de cassation contrôle de manière trop pointilleuse les faits, il se transforme en un juge du fond mais reste juge alors que si le juge de l'excès de pouvoir s'accapare une pleine maîtrise des faits, cela le conduit à sortir de son rôle, à n'être plus juge mais administrateur, le risque est ainsi plus important.

Le contexte est aujourd'hui totalement différent puisque, au contraire, toute forme d'autolimitation du juge est combattue par les requérants, la doctrine, le Conseil constitutionnel, les Cours européennes ou encore par le législateur. La question de l'examen des faits n'est pas devenue anodine mais les faits ne sont plus considérés comme échappant, par nature, au contrôle du juge de l'excès de pouvoir ce qui ouvre de nouvelles perspectives. On observe cette évolution à la fois dans le contrôle des actes réglementaires comme dans celui des actes individuels. On peut citer, à titre d'exemple dans le cadre des actes réglementaires, les cas où le Conseil d'Etat, alors qu'il était saisi d'un recours en annulation de dispositions d'un décret réglementaire, a préféré maintenir en vigueur l'acte administratif en corrigeant lui-même l'illégalité dont il était affecté (5). D'usage exceptionnel, cette technique n'en est pas moins un témoignage de ce que peut s'autoriser concrètement le juge aujourd'hui.

Dans le cadre des actes individuels, on peut citer l'exemple des sanctions prononcées par l'administration. Le juge administratif s'est, longtemps, beaucoup plus intéressé à l'intérêt général qu'à la personne sanctionnée. On admettait une protection moindre dans la mesure où cela se faisait au bénéfice d'une plus grande efficacité de l'administration. S'il vérifiait minutieusement les faits et le droit, il ne s'intéressait que, de loin, à la gravité de la sanction. Cette "justice qui se retient" (6) est devenu, cependant, de plus en plus difficile à justifier favorisant le passage du contrôle restreint, traditionnellement opéré par le juge dans ce domaine, à un contrôle normal, beaucoup plus exigeant.

L'exercice de ce nouveau contrôle est, ainsi, apparu d'abord plus conforme à la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui affirme que le principe de proportionnalité, qui découle de la nécessité des peines, s'applique à toute sanction ayant le caractère d'une punition, qu'elle soit juridictionnelle ou administrative (7). Un contrôle entier serait également plus conforme à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme qui exige, par exemple, que les sanctions administratives ou disciplinaires puissent être déférées à un organe judiciaire de "pleine juridiction" (8) sachant que l'expression reste quelque peu malheureuse et qu'il faudrait, plutôt, parler de "recours de pleine légalité" (9). Quoi qu'il en soit, lorsqu'elle statue en matière pénale (10), la Cour de Strasbourg précise que cela suppose "le pouvoir de réformer la décision en tous points, en fait comme en droit" (11) allant même jusqu'à examiner si le juge national a pu "vérifier l'adéquation de la sanction à l'infraction commise et le cas échéant [aurait] pu remplacer la sanction" (12). Si la Cour se montre parfois moins exigeante en matière civile sur le degré de contrôle du juge national, il lui arrive quand même de rappeler l'exigence de "pouvoir réformer en tout point la décision critiquée" (13), ce qui peut apporter une certaine confusion sur les exigences requises (14).

Enfin, le législateur, lui-même, a tendu vers l'application d'un contrôle plus poussé. Il a préconisé notamment un contrôle normal de l'adéquation de la sanction aux faits reprochés pour les salariés du secteur privé en vertu de l'article L. 1333-2 du Code du travail (N° Lexbase : L1873H9A) (15). Il a précisé, de même, avec beaucoup de soin, par exemple, que les recours contre les sanctions prises par des autorités administratives indépendantes ou autorités de régulation n'étaient plus des recours pour excès de pouvoir mais des recours de plein contentieux (16). Enfin, des propositions de loi ont été déposées en vue, par exemple, de réformer le Code de justice administrative en posant le principe selon lequel : "les recours contre les décisions individuelles relèvent du plein contentieux" (17).

Ce contentieux des sanctions prononcées par l'administration est ainsi le témoin privilégié de la nouvelle étendue et du degré d'exigence plus élevé du contrôle de légalité opéré aujourd'hui par le juge, qu'il agisse, à cet égard, en qualité de juge du fond ou en qualité de juge de cassation (I). Ce nouveau contrôle se traduit par des effets plus concrets sur la protection des requérants et l'augmentation conséquente d'un contentieux plus subjectif au détriment du contentieux objectif opéré traditionnellement dans le cadre de l'excès de pouvoir même si, au final, la doctrine reste partagée sur les effets réels de cette augmentation des pouvoirs ainsi consenti par le juge administratif en la matière (II).

I - Un contrôle de légalité au degré d'exigence plus élevé

Lorsque le juge administratif contrôle la qualification juridique des faits, il est toujours inspiré par la nécessité de trouver un équilibre entre le fait d'assurer un contrôle de légalité efficace de l'activité administrative et la volonté de laisser une certaine marge de manoeuvre à l'administration dans son action. Le juge opère en ce sens traditionnellement un contrôle restreint quand l'administration dispose d'un pouvoir discrétionnaire et un contrôle plus poussé, dit normal, quand elle n'a pas de marge de manoeuvre. Si cet équilibre est classique, cela ne l'empêche pas, aujourd'hui, de quelque peu le dépasser en poussant plus loin son contrôle du pouvoir discrétionnaire qu'il agisse en qualité de juge de l'excès de pouvoir où la progression du contrôle normal opéré par le juge de l'excès de pouvoir est clairement confirmé (A), ou qu'il agisse en qualité de juge de cassation où il met en place, depuis peu, un nouveau degré de contrôle dans la qualification juridique des faits, une sorte de contrôle de l'erreur manifeste mais réservé au juge de cassation (B).

A - La confirmation de la progression du contrôle normal opéré par le juge de l'excès de pouvoir

Ni les origines, ni les missions premières du juge administratif ne garantissaient qu'ils deviennent, un jour, un juge des droits et libertés. C'est le double mouvement de constitutionnalisation et d'européanisation des libertés publiques qui a permis au juge administratif de faire évoluer son office. Dans le domaine de l'excès de pouvoir, cela s'est notamment traduit par une substitution du contrôle normal au contrôle restreint qu'on a pu observer dans beaucoup de domaines de la jurisprudence administrative. Il en va ainsi, pour des exemples récents, du contrôle exercé sur l'adéquation entre la qualification et l'expérience professionnelle du demandeur d'un visa de travailleur salarié et l'emploi proposé (18), sur les contraintes techniques d'un marché public si elles sont accusées de porter atteinte aux principes d'égalité des candidats et de libre accès aux marchés publics (19), sur l'existence de l'intérêt légitime à changer de nom dans le cadre de la procédure de l'article 61 du Code civil (N° Lexbase : L3182ABH) (20), sur la décision prononçant l'expulsion d'un étranger pour cause de menace grave à l'ordre public (21), ou encore sur la décision de délimitation de l'aire géographique d'une appellation d'origine contrôlée (22).

Le contentieux le plus marquant est, encore une fois, celui des sanctions prononcées par l'administration. Le domaine des sanctions administratives a connu l'évolution la plus radicale dans la mesure où il y a eu un transfert des recours les concernant dans le contentieux de pleine juridiction. C'est le législateur, comme on a pu le voir, qui a d'abord insisté sur ce fait mais c'est le juge qui a, surtout, lui-même, déterminé son office dans le silence des textes. Depuis la décision "Société ATOM" (23), les sanctions "que l'administration inflige à un administré" sont soumises à un recours de pleine juridiction. Cette solution a été appliquée aux sanctions administratives prononcées par Pôle Emploi en matière de revenu de remplacement des demandeurs d'emploi (24) ou encore aux sanctions de retrait de points d'un permis de conduire (25). Les évolutions récentes témoignent ainsi d'une application extensive de la logique "ATOM" : sont ainsi soumises, par exemple, à un recours de plein contentieux les décisions de retrait de carte de séjour des résidents (26). Saisi d'une contestation portant sur une mesure prise par l'Autorité de la concurrence sur le fondement du IV de l'article L. 430-8 du Code de commerce (N° Lexbase : L2038KGL), qui revêt le caractère d'une sanction, le Conseil d'Etat se prononce également comme juge de plein contentieux (27).

Si le Conseil d'Etat refuse d'appliquer la jurisprudence "Société ATOM" aux sanctions disciplinaires dont le contentieux appartient toujours à l'excès de pouvoir, le contrôle normal du juge y est progressivement substitué au contrôle restreint en ce qui concerne le choix de la mesure infligée (28). C'est le cas pour les sanctions prises contre les élèves des établissements scolaires publics (29), de celles prononcées par les ordres professionnels (30), ou encore les fédérations sportives (31). C'est aussi le cas pour des contentieux analogues aux contentieux disciplinaires comme celui de la révocation d'un maire (32), des sanctions infligées à un magistrat judiciaire, qu'il soit du parquet (33) ou du siège (34) ou à un conseiller des prud'hommes (35). Les fonctionnaires se retrouvaient seuls, avec les détenus (36) et les militaires (37) à voir leurs sanctions privées d'un entier contrôle. Il n'y a plus désormais que les militaires qui font partie, seuls, de cette catégorie (38), puisque le contrôle normal a, enfin, été appliqué au contrôle des sanctions disciplinaires infligées aux fonctionnaires (39), et, très récemment, aux détenus (40). Il en ressort un rapprochement conséquent du contrôle mené par le juge des sanctions disciplinaires, juge de l'excès de pouvoir, et par le juge des sanctions administratives lorsqu'il est juge de plein contentieux, à défaut d'avoir des pouvoirs similaires.

B - La confirmation de la mise en place d'un contrôle de l'erreur manifeste dans la qualification juridique des faits par le juge de cassation

Jusqu'à récemment, les questions relevant du contrôle de l'erreur manifeste d'appréciation relevaient, pour le juge de cassation et sauf dénaturation, de l'appréciation souveraine des juges du fond (41). En application de cette jurisprudence, le Conseil d'Etat a toujours laissé aux juges du fond le soin d'apprécier souverainement le choix de la sanction. Cela a été, très tôt, affirmé à propos des peines infligées par les juridictions ordinales à propos d'une sanction infligée à un chirurgien dentiste (42) ou, plus tard, à des médecins (43) et, plus récemment, à propos de sanctions infligées à des agents publics (44). Cette solution a, toutefois, été écartée, en 2010, pour le contrôle d'une sanction infligée à un magistrat du siège par le Conseil supérieur de la magistrature en sa qualité de juridiction administrative spécialisée, le juge de cassation choisissant d'exercer un contrôle de la qualification juridique sur le choix de la sanction (45). Cette solution se fondait, avant tout, sur la garantie constitutionnelle d'indépendance des magistrats du siège et, déjà, sur un souci de parallélisme avec le tout nouveau contrôle entier alors récemment exercé sur les sanctions infligées aux magistrats du parquet (46). Réservée au sort particulier des magistrats du siège, cette décision ne devait, a priori, pas être suivie dans d'autres domaines mais le rapporteur public sur l'affaire soulignait déjà les possibles effets de contagion que pouvait avoir cette solution sur d'autres catégories de personnes bénéficiant d'une garantie constitutionnelle équivalente d'indépendance comme les juges administratifs ou les enseignants chercheurs.

Le juge de cassation est finalement allé encore plus loin en étendant son contrôle dans le cadre d'une sanction disciplinaire prononcée, non seulement, contre un médecin (47) mais aussi contre un fonctionnaire (48). Trois arguments l'incitaient à agir dans ce sens. Le premier de ces arguments tenait à ce qu'il prolonge le mouvement mis en place devant les juges du fond pour plus de cohérence d'ensemble (49) : si le juge du fond contrôle davantage, le juge de cassation devrait aussi contrôler davantage le juge du fond (50). Le second tenait à la nature de la décision en cause, à savoir une sanction. Le passage au contrôle entier devant les juges du fond permet la création prétorienne d'une "loi répressive" implicite qui fixe des bornes pour chaque type de manquement. Le juge de cassation doit en contrôler le respect pour une cohérence d'ensemble des juridictions dans leur pratique répressive. Le rôle d'unificateur de la pratique des juridictions est essentiel en ce domaine (51). Le troisième argument tiendrait au fait qu'un tel contrôle serait plus conforme aux exigences de la CESDH puisque la Cour a déjà pu juger, en 1995 déjà, que lorsque le Conseil d'Etat statue en cassation sur les décisions disciplinaires des ordres professionnels, "il ne peut passer pour un 'organe judiciaire de pleine juridiction' notamment parce qu'il n'a pas le pouvoir d'apprécier la proportionnalité entre la faute et la sanction" (52).

Cependant, si le juge a choisi de franchir le pas et si, autrement dit, la question ne relève plus de l'appréciation souveraine des juges du fond, elle n'a pas, pour autant, basculé dans le champ d'un strict contrôle de la qualification juridique. Le rapporteur public sur l'affaire "Bonnemaison" proposait de juger que l'appréciation portée par le juge du fond sur le caractère proportionné ou disproportionné de la sanction soit une qualification juridique que le juge de cassation contrôle entièrement (53). Il n'a pas été suivi sur ce point, le Conseil d'Etat indiquant "qu'il appartient au juge de cassation de vérifier que la sanction retenue n'est pas hors de proportion avec la faute commise et qu'elle a pu dès lors être légalement prise". Comme peuvent le relever Jean Lessi et Louis Dutheillet de Lamothe, "le choix des termes marque clairement la volonté de la formation de jugement de ne pas suivre son rapporteur public" (54) mais simplement de pratiquer un contrôle intermédiaire entre dénaturation et qualification juridique ou, pour reprendre les propos de Xavier Domino dans ses conclusions sur l'affaire "La Poste", "un contrôle de l'erreur manifeste dans la qualification juridique des faits opérée par le juge du fond" (55). Les premières applications de ce nouveau contrôle ont confirmé la formulation employée dans l'affaire "Bonnemaison", soit pour estimer que la sanction "a pu" être légalement prise (56), soir pour l'annuler (57).

Le contrôle opéré par le juge administratif en sa qualité de juge de l'excès de pouvoir comme en sa qualité de juge de cassation est donc exercée avec une plus grande intensité, reste à savoir si ses effets ne sont pas que théoriques et si les justiciables profitent concrètement de ce nouveau contrôle.

II - Un contrôle de légalité aux effets plus concrets

A la question de savoir si l'approfondissement du contrôle juridictionnel des actes administratifs, tel que décrit précédemment, apporte une protection accrue des administrés, une réponse positive pourrait sembler évidente. Mieux vaut pour un administré, un agent public sanctionné ou une victime d'une sanction disciplinaire que le juge vérifie avec un degré d'exigence accru l'adéquation de la sanction retenue à la gravité de la faute commise. Mieux vaut, de même, que le juge de cassation contrôle davantage les juges du fond. Cependant, avec un peu plus de recul, on peut être circonspect sur cette supposée protection accrue ce qui est le cas de la majorité de la doctrine qui y voit, tout au mieux, une protection a priori égale des administrés (A). Il reste, cependant, qu'on ne peut nier une certaine avancée en la matière tenant notamment à la nature particulière des contrôles ainsi opérés par le juge de l'excès de pouvoir et par le juge de cassation offrant ainsi, au final, une protection a posteriori accrue des administrés (B).

A - Une protection a priori égale des administrés

La doctrine reste quelque peu dubitative quant à la soi-disant protection accrue des administrés offerte par les nouveaux contrôles opérés par le juge en sa qualité de juge de l'excès de pouvoir ou en sa qualité de juge de cassation. Ainsi, à propos d'abord du contrôle normal nouvellement opéré, Charles Vautrot-Schwarz parle ainsi du "maintien d'un contrôle frustre de la proportionnalité" (58) ou d'une "simple valse des étiquettes" (59). Pour Didier Jean-Pierre, "malgré l'intensification du degré de contrôle, nous avons la tentation de penser que concrètement rien ne va véritablement changer" (60). Les deux auteurs s'accordant sur l'idée selon laquelle c'est un contrôle de l'absence de disproportion qui est maintenue alors que la proportionnalité imposerait de rechercher une stricte adéquation. Si le contrôle juridictionnel s'opère, depuis l'arrêt "Dahan", sur la qualification juridique de la sanction retenue, la vérification de la qualification n'est plus limitée à la disproportion manifeste mais à l'absence de disproportion entre la sanction et la faute. Tout se passe comme si le contrôle normal et le contrôle restreint étaient interchangeables (61). Depuis l'arrêt "Dahan", c'est la sanction disproportionnée qui est désormais sanctionnée par l'annulation et on aboutit au même résultat que si l'annulation concernait une sanction manifestement disproportionnée.

En réalité, si le Conseil d'Etat développe son contrôle en la matière, il ne formalise pas les exigences du principe de proportionnalité ou les modalités de son contrôle et, même s'il était amené à agir en ce sens, il ne pourrait définir l'exacte proportion de la sanction, le contrôle de la stricte proportionnalité restant impossible à effectuer dans le cadre notamment des sanctions administratives ou disciplinaires (62). Fabrice Melleray s'est, quant à lui, livré à une analyse de la jurisprudence post "Dahan" confirmant, dans la majeure partie des cas, que la modification du degré de contrôle est sans incidence sur le sens de la décision juridictionnelle puisque beaucoup de décisions confirment les jugements ayant rejetés les recours en annulation contre les sanctions (63). On doit néanmoins relever que les premiers jugements de tribunaux appliquant les standards de la jurisprudence "Dahan" ayant été rendus début 2014, le printemps 2015 a vu se réduire le nombre des arrêts d'appel infirmatifs pour laisser fleurir, corrélativement, ceux qui confirment l'annulation de sanctions disciplinaires jugées disproportionnées.

Ces arrêts montrent, cependant, que l'utilisation des nouveaux pouvoirs du juge peut, dans certains cas, prêter à discussion. C'est le cas d'une espèce où le ministre a contesté, en appel et en vain, l'annulation d'une sanction d'exclusion définitive du service infligée à un agent stagiaire qui avait mis sa qualité d'agent de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes en avant et instrumentalisé son administration pour régler un différend privé. En relevant que la faute tenait essentiellement à un manque d'expérience et à une très courte formation aux principes déontologiques, la cour adopte une vision particulièrement indulgente de la responsabilité disciplinaire de ce fonctionnaire stagiaire (64). La solution de la Cour est logique mais ces arguments interrogent, l'approfondissement du contrôle l'amenant sur un terrain glissant.

Enfin, il faut relever aussi, toujours dans le cadre de l'excès de pouvoir, que la jurisprudence "Dahan" a été transposée au contrôle des "avis décisoires" des conseils de discipline de recours de la fonction publique territoriale (65). L'avis de ces conseils peut être contesté devant le juge parce qu'il lie l'autorité territoriale qui ne peut pas légalement prononcer une sanction plus sévère que celle qu'il a préconisée. Cette règle était particulièrement protectrice des intérêts des agents et le juge annulait régulièrement de tels avis dans le cadre de l'erreur manifeste. L'élévation du degré de contrôle en la matière n'aura qu'une incidence symbolique (66).

Dans le cadre des nouveaux pouvoirs du juge de cassation, le contrôle exercé n'est plus binaire mais ternaire. Alors que les juges du fond exercent un double contrôle entier (sur le caractère fautif des faits reprochés et sur la proportionnalité de la sanction), le contrôle opéré par le juge de cassation s'effectue en trois temps successifs. Sur la matérialité des faits, le Conseil d'Etat s'en tient à la dénaturation. Le contrôle du caractère fautif devient, ensuite, un contrôle de la qualification juridique des faits. Enfin, le juge de cassation vérifie si la solution retenue par les juges du fond n'est pas "hors de proportion" avec les fautes commises. Cette appréciation peut se révéler plus que délicate et l'augmentation des pouvoirs du juge pas forcément joué en faveur des administrés dans la mesure où, comme peut le noter Xavier Domino, "il en va de ce millefeuille de contrôle comme des millefeuilles en pâtisserie : pour qu'il reste digeste, il faut qu'il soit bien exécuté et que les couches successives soient bien montées pour que l'ensemble se tienne" (67).

B - Une protection a posteriori accrue des administrés

Dans un domaine de compétence liée, le passage d'un contrôle restreint à un contrôle entier implique simplement un contrôle plus étroit du juge parce que l'administration se contente d'apprécier les conditions posées par les textes et d'en tirer les conséquences légales. Dans un domaine de compétence discrétionnaire, l'application d'un contrôle entier dans certains domaines donne le pouvoir au juge de redéfinir les bornes du pouvoir discrétionnaire et d'ainsi amener une protection accrue des administrés. En effet, en matière de sanction disciplinaire, et bien souvent en matière de sanction administrative, le passage d'un contrôle retreint à un contrôle entier sur le choix de la sanction constitue plus qu'un approfondissement du contrôle du juge, il en change la nature.

Comme l'a souligné Remi Keller dans ses conclusions sur l'affaire "Dahan", le contrôle entier du juge de l'excès de pouvoir constitue l'un des moyens de réinvestir le juge du contrôle de l'exercice du pouvoir répressif dans un domaine où il s'en tient encore à un contrôle de l'excès de pouvoir et où à un contrôle de plein contentieux lui permettant de réformer la sanction (68). Le juge définit lui-même les bornes du choix de l'administration fixant ainsi une sorte de "loi répressive implicite", tout en préservant les prérogatives de l'administration (69). Cette "loi répressive implicite" permet de pallier la mise en place d'un principe entier de légalité en la matière tel qu'il est pratiqué dans la sphère pénale et amène forcément à protéger de manière accrue les administrés tout en laissant, on le répète, une marge de manoeuvre à l'administration.

Le contrôle entier sur la proportionnalité de la sanction disciplinaire ou administrative présente, en effet, une double particularité. En premier lieu, il n'y a pas de critère objectif, aucun barème établi par avance, le juge ne se limitera pas à préciser l'interprétation d'un critère ou d'une notion, il fera oeuvre créatrice. Un système répressif associe normalement à chaque faute une sanction maximale correspondante, voire une sanction minimale. Ce n'est pas le cas dans le cadre des sanctions disciplinaires ou administratives où l'autorité investie du pouvoir répressif a le choix de la sanction sans avoir à établir une correspondance entre la faute et la sanction. Il existe en général une hiérarchie des sanctions mais pas de gradation a priori de la gravité des manquements, ni correspondance entre les manquements et la sanction maximale qu'ils peuvent justifier (70). En second lieu, le contrôle de la proportion de la sanction n'est pas un contrôle bijectif, à une faute peuvent correspondre plusieurs sanctions, il n'y a pas une seule sanction légale pour réprimer une faute donnée. Le juge, pour reprendre les termes de Remi Keller, ne fait que vérifier que la sanction se situe entre les deux bornes de la proportionnalité. Il ne s'agirait pas d'exercer "un contrôle vétilleux" (71) mais de "resserrer les bornes de la légalité" (72) tout en maintenant l'idée d'une marge d'appréciation à l'administration. Cette double particularité donne un relief particulier au contrôle exercé par le juge.

Ce mouvement de réappropriation du prononcé de la sanction est prolongé d'ailleurs par le nouveau contrôle opéré par le juge de cassation. La transformation de l'office du juge du fond des sanctions disciplinaires a créé un puissant appel d'air en faveur d'un contrôle approfondi du juge de cassation qui n'est plus très loin d'un quasi-troisième degré de juridiction du litige. Le juge de cassation contrôle entièrement la matérialité du fait, la qualification fautive du comportement de la personne sanctionnée et effectue, désormais, de façon poussée le choix de la sanction infligée. Comme le notent Jean Lessi et Louis Dutheillet de Lamothe, "la seule chose qui échappe à son entier contrôle, ce sont les appréciations qu'il est parfois nécessaire de porter sur les faits au-delà de leur matérialité et avant la question de savoir s'ils constituent une faute" (73) et, dans ces conditions, "la distanciation du contrôle de cassation par rapport au contrôle du juge du fond n'est plus, dans cette matière, qu'interstitielle" (74) . Encore une fois, la proximité entre les modalités et degrés de contrôle du recours pour excès de pouvoir et du recours en cassation est criante. Les juges du Palais Royal ont fait le choix logique d'une asymétrie entre le contrôle au fond et celui de cassation tout en gardant un examen plus approfondi pour la notion de "faute", puisque c'est d'elle que dépend la possibilité ou non de sanctionner. Ce faisant, le Conseil d'Etat cherche à maintenir un équilibre entre l'extension du contrôle bénéficiant au justiciable et la nécessaire marge d'appréciation des juges du fond.

Il y aurait, au final, une protection accrue des administrés, un souhait de rendre plus équilibrée la répression disciplinaire ou administrative et une volonté de donner au contrôle de légalité des effets plus concrets. Il reste, cependant, à espérer que le contrôle du juge de l'excès de pouvoir qui consiste à s'assurer que la sanction n'est pas "disproportionnée" et celui du juge de cassation qui s'assure qu'elle n'est pas "hors de proportion" ne soit pas davantage lié à "une opération de communication et d'euro-compatibilité" (75) qu'à une volonté d'étendre le contrôle bénéficiant aux justiciables.

On peut reprendre, à cet égard, le constat maintes et maintes fois utilisée par la doctrine fait par le professeur Chapus : "Le droit administratif évolue aujourd'hui plus nettement qu'hier vers un droit des libertés publiques. Cependant que la juridiction administrative tend à répondre à la façon dont elle est communément conçue : une juridiction des droits de l'Homme" (76). Cette logique est, en ce sens, naturellement liée à la présentation, récurrente depuis Hauriou, de la fin du recours pour excès de pouvoir dans la littérature administrative. On pourrait ainsi à nouveau se rappeler certains de ces propos : "Notre contentieux administratif est mûr maintenant pour la jonction dans la même instance des conclusions à fin d'annulation et des conclusions à fin de réparation et de restitution ; son évolution est aussi avancée que celle du contentieux civil ; il est mûr pour un droit général d'action, qui se présentera en principe comme un recours contentieux ordinaire. Dès lors, il ne faut pas s'étonner de voir le recours pour excès de pouvoir perdre graduellement le caractère objectif qu'il a eu à un si grand degré, pour prendre le caractère subjectif du recours de pleine juridiction" (77).


(1) M. Hauriou, Recevabilité de la tierce opposition contre une décision sur recours pour excès de pouvoir, note sous CE, 29 novembre 1912, Boussuge et autres, S., 1914, 3, p. 33, Revue générale du droit on line, 2014, n° 14239.
(2) Le recul de la faute lourde s'observe principalement dans quatre domaines : les activités médicales et chirurgicales (CE, Ass., 10 avril 1992, n° 79027 N° Lexbase : A6530ARB, Rec. CE, p. 171, AJDA, 1992, p. 355, concl. Legal, RFDA, 1992, p. 571, concl. Legal, JCP éd. G, 1992, II, n° 21881, note J. Moreau), les activités de police (par ex., pour la mise en cause des services de lutte contre l'incendie : CE, 29 avril 1998, n° 164012 N° Lexbase : A7279ASE, Rec. CE, p. 185, D., 1998, p. 535, note G. Lebreton, RDP, 1998, p. 1001, note X. Prétot), les activités des établissements pénitentiaires (CE, 23 mai 2003, n° 244663 N° Lexbase : A9460C7I, Rec. CE, p. 240, AJDA, 2004, p. 157, note N. Albert, DA, 2003, p. 207, note M. Lombard, JCP éd. A, 2003, n° 1718, note C. Broyelle et n° 1751, note J. Moreau) et les activités des services fiscaux (CE, Sect., 21 mars 2011, n° 306225 N° Lexbase : A5714HIH, JCP éd. A, 2011, n° 2185, note L. Erstein, AJDA, 2011, p. 1278, note F. Barque, RJEP, 2011, p. 30, note M. Collet).
(3) Si on prend comme point de départ l'arrêt "Landrin" (CE, 4 mai 1826, Landrin, Recueil général des arrêts du Conseil d'Etat, p. 256). La doctrine n'étant pas cependant unanime sur ce point : cf., par ex. J.-L. Mestre, L'arrêt 'Landrin', acte de naissance du recours pour excès de pouvoir ?, RDFA, 2003, p. 2011.
(4) La violation de la loi ne constituant pas initialement un cas d'ouverture.
(5) CE, 25 mars 2002, n° 224055 (N° Lexbase : A5014AYD), Rec. CE, p. 110 ou, plus récemment, CE, 4 décembre 2013, n° 357839 (N° Lexbase : A8525KQS), Tables CE.
(6) Selon les termes employées par le rapporteur public Remi Keller sur CE, Ass., 13 novembre 2013, n° 347704 (N° Lexbase : A2475KPD), Rec. CE, RDFA, 2013, p. 1175 et suivantes.
(7) Cf. par exemple : Cons. const., décision n° 86-215 DC du 3 septembre 1986 (N° Lexbase : A8141ACI), Rec. CC, p. 130, JO, 5 septembre 1986, p. 10788, ou Cons. const., décision n° 87-237 du 30 décembre 1987 (N° Lexbase : A8160AC9), Rec. CC, p. 63, JO, 31 décembre 1987, p. 15761.
(8) CEDH, 10 février 1983, Req. 7299/75 (N° Lexbase : A3824AU8), § 29.
(9) Selon l'expression employée par M. Melchior, La notion de compétence de pleine juridiction en matière civile dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme, Mélanges Jacques Velu, Bruylant, Bruxelles, 1992, p. 1327 et suivantes.
(10) La distinction entre la matière pénale et la matière civile dépend, selon la Cour, de la nature des manquements et de la gravité de la sanction.
(11) Cf. par exemple : CEDH, 23 octobre 1995, Req. 15963/90 (N° Lexbase : A9541NNP), § 44.
(12) CEDH, 27 décembre 2011, Req. 43509/08 (N° Lexbase : A6270HYU), § 65 à propos d'une amende à caractère pénal infligée par le Conseil d'Etat italien.
(13) CEDH, 7 juin 2012, Req. 4837/06 (N° Lexbase : A6665IN8), § 55, à propos d'un contentieux fiscal qui ne fait pas partie de la matière pénale et relève donc de la matière civile.
(14) Cf. en ce sens, R. Tinière, La notion de 'pleine juridiction' au sens de la Convention européenne des droits de l'homme et l'office du juge administratif , RFDA 2009, p. 729 et suivantes ou R. Keller, Le contrôle normal des sanctions disciplinaires par le juge de l'excès de pouvoir, conclusions précitées sur CE, Ass., 13 novembre 2013, n° 347704, préc..
(15) Pour une application, voir, en ce sens, Cass., soc., 14 novembre 2000, n° 98-45.309 (N° Lexbase : A7869AHW), Droit social, 2001, p. 207, obs. J. Savatier.
(16) On peut citer, à titre d'exemple, les recours contre les sanctions infligées par le CSA (loi n° 86-1067 modifiée du 30 septembre 1986 N° Lexbase : L8240AGB, art. 42-8 et 48-8, JO, 1er octobre 1986, p. 11755) relative à la liberté de communication), par l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (C. postes et com. électr., art. L. 5-3 N° Lexbase : L2801HH9 et L. 36-11 4° N° Lexbase : L7478IZY), par la Commission de régulation de l'énergie (loi n° 2000-108 du 10 février 2000, art. 40-7 N° Lexbase : L4327A3N, JO, 11 février 2000, p. 2143) relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité), ou encore par l'Autorité des marchés financiers (C. mon. fin., art. art. R. 621-45 N° Lexbase : L9694IQ4).
(17) Proposition de loi au Sénat n° 806 déposée par Mme Hélène Lipietz visant à intégrer, après l'article L. 11 (N° Lexbase : L2618ALK), un article L. 12 au Code de justice administrative ainsi rédigé : "les recours contre les décisions individuelles relèvent du plein contentieux, à l'exclusion des décisions relatives à l'attribution des diplômes, titres et décorations et des expulsions des ressortissants étrangers" (enregistré à la présidence du sénat le 24 juillet 2013).
(18) CE, 30 décembre 2010, n° 335170, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A6955GNW).
(19) CE, 2 octobre 2013, n° 368900, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A3427KMU).
(20) CE, 31 janvier 2014, n° 362444, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A9264MDH), AJDA, 2014, p. 253, obs. J.-M. Pastro et p. 444, chron. A. Bretonneau et J. Lessi, RFDA, 2014, p. 387, concl. Domino.
(21) CE, 12 février 2014, n° 365644, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A1261MEG).
(22) CE, 10 février 2014, n° 356113, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A3801MEI).
(23) CE, Ass., 16 février 2009, n° 274000 (N° Lexbase : A2581EDX), Rec. CE, p. 25, concl. Legras, JCP éd. A, 2009, n° 2089, note D. Bailleul, RFDA, 2009, p. 259, concl. Legras.
(24) CE, 23 février 2011, n° 332837 (N° Lexbase : A1891G9W), Rec. CE, Tables.
(25) CE, avis, 9 juillet 2010, n° 336556 (N° Lexbase : A1398E4K), Rec. CE, p. 287, AJDA, 2010, p. 2162, note D. Ginocchi.
(26) CE, 10 juin 2009, n° 318898, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A0573EI3).
(27) CE, Ass., 21 décembre 2012, n° 353856, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A1355IZ9), RFDA, 2013, p. 55, concl. Daumas.
(28) Le juge exerce déjà depuis très longue date un contrôle dit "normal" sur l'exactitude matérielle des faits reprochés (CE, 4 février 1916, Camino), l'erreur de droit (CE, 29 mars 1901, Sauvé) sur le caractère fautif des faits reprochés (CE, 4 avril 1914, Gomel) ou encore sur le détournement de pouvoir (CE, 16 novembre 1900, Maugras).
(29) CE, 27 novembre 1996, n° 170207 et n° 170208 (N° Lexbase : A1841APU), Rec. CE, p. 461, RFDA, 1997, p. 151, note C. Durand-Prinborgne.
(30) CE, Sect., 22 juin 2007, n° 272650 (N° Lexbase : A8587DWX), Rec. CE, p. 263, concl. Guyomar, RDFA, 2007, p. 1199, concl. Guyomar.
(31) CE, 2 mars 2010, n° 324439 (N° Lexbase : A6450ESP), Rec. CE, Tables, p. 925, AJDA, 2010, p. 664, chron. S.-J. Lieber et D. Botteghi.
(32) CE, 2 mars 2010, n° 328843 (N° Lexbase : A1656ETI), Rec. CE, p. 65, AJDA, 2010, p. 664, chron. S.-J. Lieber et D. Botteghi.
(33) CE, 27 mai 2009, n° 310493 (N° Lexbase : A3389EHY), Rec. CE, p. 207.
(34) CE, 30 juin 2010, n° 325319 (N° Lexbase : A6043E39), Rec. CE, Tables, p. 934.
(35) CE, 20 mai 2011, n° 332451, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A0326HSU).
(36) CE, 20 mai 2011, n° 326084 (N° Lexbase : A0317HSK), Rec. CE, p. 246, AJDA, 2011, p. 1364, chron. X. Domino et A. Bretonneau.
(37) CE, 12 janvier 2011, n° 338461 (N° Lexbase : A7698GPS), Rec. CE, p. 3, AJDA, 2011, p. 623, note E. Aubin.
(38) A cependant mettre en parallèle avec les dernières avancées en la matière du juge européen qui a reconnu que l'interdiction absolue des syndicats au sein de l'armée française est contraire aux règles et principes définis dans la CESDH.Cf. A ce sujet : L.-M. Le Rouzic, Vers la fin du cantonnement juridiques des militaires ?, AJDA, 2015, p. 204 à propos des arrêts CEDH, 2 octobre 2014, Req. 10609/10 (N° Lexbase : A4682MXP) et 32191/09 (N° Lexbase : A4684MXR).
(39) CE, Ass., 13 novembre 2013, n° 347704, préc., Rec. CE, p. 279, JCP éd. A, 2014, n° 2076, note F. Melleray, n° 2093, note D. Jean-Pierre et n° 2241, note D. Bailleul, JCP éd. G, 2014, note Ch. Vautrot-Schwarz, DA, 2014, comm. n° 11, note A. Duranthon, RFDA, 2013, p. 1175, concl. R. Keller, AJDA, 2013, p. 2432, chron. A. Bretonneau et J. Lessi, D., 2013, p. 2699, obs. De Montecler. Cette nouvelle jurisprudence a notamment été confirmée à la procédure particulière existant dans la fonction publique territoriale à propos du contrôle du juge sur l'avis du conseil de discipline de recours : CE, 16 février 2015, n° 369831, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A0272NC3).
(40) CE, 1er juin 2015, n° 380449, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A9222NIE), JCP éd. A, 2015, n° 519, act., veille E. Langelier. A mettre en lien avec CEDH, 21 mai 2015, Req. 50494/12 (N° Lexbase : A2396NIL), où le système français de détention a été sanctionné par la Cour parce qu'il n'offrait aucun recours à un détenu de la prison de Nouméa contestant des conditions de détention particulièrement insalubres.
(41) CE, Sect., 18 novembre 1994, n° 136941 (N° Lexbase : A3661ASE), Rec. CE, p. 505, AJDA, 1995, p. 109, chron. L. Touvet et J.-H. Stahl, RFDA, 1995, concl. Du Marais.
(42) CE, 30 juin 1980, n° 11675 (N° Lexbase : A7921AI9), Rec. CE, Tables, p. 854.
(43) CE, 20 mai 1981, n° 24539 (N° Lexbase : A7527AKY), Rec. CE, Tables, p. 887 ; CE, 30 mai 2011, n° 339496 (N° Lexbase : A0413HTH), Rec. CE, Tables, p. 1108. Il a été jugé de même pour une radiation prononcée par la chambre de discipline de la compagnie nationale des conseils en brevets d'invention : CE, 9 décembre 1988, n° 56858 (N° Lexbase : A7887APS), Rec. CE, p. 436.
(44) CE, 21 juin 2000, n° 179218 (N° Lexbase : A0644AWR), Rec. CE, Tables, p. 1200.
(45) CE, 30 juin 2010, n° 325319, préc..
(46) CE, 27 mai 2009, n° 310493, préc..
(47) CE, 30 décembre 2014, n° 381245 (N° Lexbase : A8359M84), Rec. CE avec les conclusions, RFDA, 2015, p. 67, concl. Keller, D., 2015, p. 81, obs. F. Vialla, AJDA, 2015, p. 749, chron. J. Lessi et L. Dutheillet de Lamothe.
(48) CE, 27 février 2015, n° 376598 et n° 381828, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A5178NCR), AJDA, 2015, p. 1047, concl. Domino.
(49) C'était ce que proposait le rapporteur public Remi Keller concluant sur les affaires "Dahan" (RFDA, 2013, p. 1175 et suiv.) et "Bonnemaison" (RFDA, 2015, p. 67 et suiv.).
(50) En sens contraire, J. Lessi et L. Dutheillet de Lamothe dans leur chronique précitée sur CE, 30 décembre 2014, n° 381245 où, "si le juge de cassation veut rester le juge du droit et ne pas devenir un troisième degré de juridiction du litige, la détermination de la forme et du montant de la sanction se rattachent à des questions d'espèce qui n'intéressent pas en principe le juge de cassation".
(51) Cf. pour l'ensemble de ce second argument, J. Lessi et L. Dutheillet de Lamothe dans leur chronique précitée sur CE, 30 décembre 2014, n° 381245.
(52) CEDH, 31 août 1995, Req. 18160/91 (N° Lexbase : A9542NNQ), §34.
(53) Cf. conclusions précitées sur CE, 30 décembre 2014, n° 381245.
(54) Cf. chronique précitée sur CE, 30 décembre 2014, n° 381245.
(55) Cf. conclusions précitées sur CE, 27 février 2015, n° 376598 et n°381828, préc..
(56) CE, 27 février 2015, La Poste, req. n°376598 et n°381828 précité ou CE, 21 janvier 2015, n° 370069.
(57) CE, 27 mars 2015, n° 365550, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A6840NE3).
(58) Note C. Vautrot Schwarz précitée sur CE, Ass., 13 novembre 2013, n° 347704.
(59) Note Fabrice Melleray précitée sur CE, Ass., 13 novembre 2013, Dahan, req. n° 347704.
(60) Note Didier Jean-Pierre sur CE, Ass., 13 novembre 2013, Dahan, req. n° 347704.
(61) Cf. En ce sens Charles Vautrot Schwarz précitée sur CE, Ass., 13 novembre 2013, Dahan, req. n° 347704.
(62) Ibid.
(63) Cf. par exemple : CAA Paris, 1ère ch., 25 novembre 2013, n° 12PA04251 (N° Lexbase : A2915MPN) ; CAA Nantes, 4ème ch., 6 juin 2014, n° 12NT02628 (N° Lexbase : A6815MS9) ; CAA Bordeaux, 6ème ch., 14 octobre 2014, n° 13BX00746 (N° Lexbase : A8095MYH).
(64) CAA Marseille, 29 janvier 2015, n° 14MA03029.
(65) Cf. CE, 16 février 2015, n° 369831, préc. ; CAA Douai, 3ème ch., 23 janvier 2014, n° 13DA00721 (N° Lexbase : A3963MPH) ; CAA Nancy, 3ème ch., 25 septembre 2014, n° 14NC00121 (N° Lexbase : A3696MX8).
(66) Cf. F. Melleray, De l'erreur manifeste d'appréciation au contrôle entier dans le contentieux de la répression disciplinaire, préc..
(67) Cf. conclusions précitées sur CE, 27 février 2015, n° 376598 et n° 381828, préc..
(68) Cf. conclusions précitées sur CE, 30 décembre 2014, n° 381245, préc..
(69) Voir, en ce sens, J. Lessi et L. Dutheillet de Lamothe dans leur chronique précitée sur CE, 30 décembre 2014, n° 381245, préc..
(70) Ibid.
(71) Cf. conclusions précitées sur CE, Ass., 13 novembre 2013, n° 347704, préc..
(72) Ibid.
(73) J. Lessi et L. Dutheillet de Lamothe dans leur chronique précitée sur CE, 30 décembre 2014, Bonnemaison, n° 381245, préc..
(74) Ibid.
(75) En ce sens, D. Jean-Pierre, Harcèlement sexuel, choix de la sanction disciplinaire et contrôle du juge administratif, JCP éd. A, 2014, n° 2093.
(76) R. Chapus, L'administration et son juge. Ce qui change in L'administration et son juge, PUF, 1999, p. 15.
(77) M. Hauriou, Recevabilité de la tierce opposition contre une décision sur recours pour excès de pouvoir, note sous CE, 29 novembre 1912, Boussuge et autres, préc..

newsid:448919

QPC

[Brèves] Non-renvoi d'une QPC dirigée contre une disposition législative se bornant à tirer les conséquences nécessaires de dispositions précises et inconditionnelles d'une Directive européenne

Réf. : CE 9° et 10° s-s-r., 14 septembre 2015, n° 389806, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A0446NP9)

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N9014BUE

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Le 19 Septembre 2015

En l'absence de mise en cause d'une règle ou d'un principe inhérent à l'identité constitutionnelle de la France, il n'appartient pas au Conseil d'Etat de renvoyer au Conseil constitutionnel une QPC soulevée sur des dispositions législatives qui se bornent à tirer les conséquences nécessaires de dispositions précises et inconditionnelles d'une Directive de l'Union européenne, estiment les juges du Palais Royal dans une décision rendue le 14 septembre 2015 (CE 9° et 10° s-s-r., 14 septembre 2015, n° 389806, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A0446NP9). Les dispositions de l'article L. 342-1 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L3495ADS), dont la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit est contestée, se bornent à tirer les conséquences nécessaires des dispositions précises et inconditionnelles de la Directive 96/9/CE du 11 mars 1996, concernant la protection juridique des bases de données (N° Lexbase : L7808AUQ), sans mettre en cause une règle ou un principe inhérent à l'identité constitutionnelle de la France. Il n'y a, dès lors, pas lieu de transmettre au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée.

newsid:449014

Rupture du contrat de travail

[Jurisprudence] Rupture conventionnelle : confirmation du caractère exceptionnel de la nullité de la convention de rupture

Réf. : Cass. soc., 8 juillet 2015, n° 14-10.139, FS-P+B (N° Lexbase : A7439NMH)

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N8937BUK

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par Gilles Auzero, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux

Le 17 Septembre 2015

Aux termes de l'article L. 1237-11 du Code du travail (N° Lexbase : L8512IAI), la rupture conventionnelle résulte d'une convention signée par les parties au contrat de travail, soumise aux dispositions subséquemment énoncées par la loi, "destinées à garantir la liberté du consentement des parties". Sur le fondement de ce texte, il pourrait être tentant de considérer que la méconnaissance de l'une ou l'autre de ces exigences légales doit inéluctablement entraîner la nullité de la convention de rupture. Ce n'est, cependant, pas ainsi que l'entend la Cour de cassation, qui considère qu'une telle nullité ne peut intervenir en dehors des conditions du droit commun. Confirmation en est, une nouvelle fois, donnée dans un arrêt rendu le 8 juillet 2015, dans lequel la Chambre sociale affirme que la stipulation par les deux parties d'une indemnité dont le montant est inférieur à celle prévue par l'article L. 1237-13 du Code du travail (N° Lexbase : L8385IAS) et l'erreur commune de date fixée par les parties antérieurement au lendemain de l'homologation n'entraînent pas, en elles-mêmes, la nullité de la convention de rupture.
Résumé

Si la stipulation par les deux parties d'une indemnité dont le montant est inférieur à celle prévue par l'article L. 1237-13 du Code du travail, et si l'erreur commune de date fixée par les parties antérieurement au lendemain de l'homologation n'entraînent pas, en elles-mêmes, la nullité de la convention de rupture, il appartient à la cour d'appel, saisie de demandes en annulation et en paiement de sommes, non pas de procéder à un double donné acte dépourvu de portée, mais, par application de ce texte, de rectifier la date de la rupture et de procéder, en cas de montant insuffisant de l'indemnité de rupture conventionnelle, à une condamnation pécuniaire.

Observations

I - Le formalisme de la convention de rupture

Les exigences légales. Lorsqu'il a institué la rupture conventionnelle du contrat de travail, le législateur a pris soin de la soumettre à un certain nombre d'exigences "destinées à garantir la liberté du consentement des parties" (C. trav., art. L. 1237-11, al. 2). Outre que l'on devine sans peine que c'est la liberté du consentement du salarié qui ait, d'abord, été visée, les exigences en cause tendent à assurer que ce consentement est donné, non seulement de manière libre, mais aussi éclairée. Il en résulte que le consentement des parties à la rupture conventionnelle ne peut être donné qu'au terme d'un processus encadré, marqué d'un formalisme informatif certain.

Parmi les différentes étapes qui, en application de la loi, jalonnent la procédure conduisant à la rupture conventionnelle du contrat de travail, figure en bonne place la rédaction d'une convention de rupture. En application de l'article L. 1237-13 du Code du travail, cet acte juridique définit les conditions de la rupture, notamment le montant de l'indemnité spécifique de rupture conventionnelle qui ne peut être inférieur à celui de l'indemnité prévue à l'article L. 1234-9 (N° Lexbase : L8135IAK). La convention doit aussi fixer la date de rupture du contrat de travail, qui ne peut intervenir avant le lendemain du jour de l'homologation.

On constate, ce faisant, que le législateur a laissé une certaine marge de manoeuvre aux parties à la convention de rupture, qu'il s'agisse de la détermination du montant de l'indemnité ou de la date de rupture. Il n'en demeure pas moins qu'elles sont tenues au respect d'exigences minimales qui, précisément, avaient été méconnues dans l'affaire ayant conduit à l'arrêt rapporté.

L'affaire. Après avoir été mis à la disposition de la société Snecma dans le cadre de contrats de mission, M. X avait été engagé, le 7 juillet 1975, par cette société en qualité d'ajusteur-monteur, avec reprise d'ancienneté au 21 avril 1975. A la suite de deux refus d'homologation d'une rupture conventionnelle, les parties avaient signé, le 26 juillet 2010, une troisième convention de rupture du contrat de travail fixant la date de rupture au 6 août 2010. Celle-ci avait été homologuée par l'autorité administrative le 9 août 2010. Le salarié a, postérieurement, saisi la juridiction prud'homale.

Pour débouter le salarié de l'ensemble de ses demandes relatives à la rupture du contrat de travail, l'arrêt attaqué a retenu, d'une part, que diverses primes ayant pu être omises dans le cadre de la convention de rupture du mois d'août 2010, il convenait de donner acte à l'employeur de ce qu'il serait redevable d'une somme à titre de complément d'indemnité de rupture conventionnelle, et, d'autre part, que le formulaire homologué le 9 août 2010 maintenant la rupture au 6 août 2010, il y avait lieu de donner acte à cet employeur de ce qu'il allait régulariser la rupture au 10 août 2010, lendemain du jour de l'homologation.

Cette décision est censurée par la Cour de cassation au visa des articles 455 (N° Lexbase : L6565H7B) et 12 (N° Lexbase : L1127H4I) du Code de procédure civile. Ainsi que l'affirme la Chambre sociale, "en statuant ainsi, par des motifs dubitatifs et inopérants, alors que si la stipulation par les deux parties d'une indemnité dont le montant est inférieur à celle prévue par l'article L. 1237-13 du Code du travail et si l'erreur commune de date fixée par les parties antérieurement au lendemain de l'homologation n'entraînent pas, en elles-mêmes, la nullité de la convention de rupture, la cour d'appel, saisie de demandes en annulation et en paiement de sommes, à qui il appartenait, non pas de procéder à un double donné acte dépourvu de portée, mais, par application de ce texte, de rectifier la date de la rupture et de procéder, en cas de montant insuffisant de l'indemnité de rupture conventionnelle, à une condamnation pécuniaire, a, méconnaissant son office, violé les textes susvisés".

La solution retenue ne surprend guère. Confirmant une jurisprudence désormais bien établie relativement aux hypothèses de nullité de la convention de rupture, elle apporte des précisions sur l'office du juge en la matière.

II - Absence de nullité et office du juge

Le rejet de la nullité. Le premier enseignement de l'arrêt sous examen tient dans l'affirmation que ni la stipulation d'une indemnité inférieure à celle prévue par la loi, ni l'erreur commise dans la date de rupture ne peuvent conduire à la nullité de la convention de rupture. Cela ne saurait surprendre. Ainsi que nous l'avons indiqué précédemment, la Cour de cassation considère que la nullité de la convention de rupture ne peut intervenir en dehors des conditions du droit commun (1), c'est-à-dire les conditions requises par le Code civil pour la validité des actes juridiques. Pour le dire autrement, la nullité ne sera prononcée que si, principalement, le consentement des parties et, singulièrement du salarié, n'a pas été donné de manière libre et éclairée.

S'agissant du caractère éclairé du consentement du salarié qui, seul, nous intéresse ici (2), il conduit à revenir sur le formalisme prescrit par la loi en matière de rupture conventionnelle. Le non-respect de celui-ci peut être cause de nullité de la convention de rupture à la condition que la formalité omise ait, effectivement, empêché le salarié de manifester un consentement éclairé (3). C'est ce que signifie la Cour de cassation en énonçant que la minoration de l'indemnité et l'erreur dans la date n'entraînent pas, "en elles-mêmes", la nullité de la convention. Sans doute en irait-il différemment en cas d'omission pure et simple de ces mentions. Mais, il y a là une hypothèse d'école, étant observé que l'on peine à imaginer que la convention franchisse alors la barrière de l'homologation.

Il est vrai que, s'agissant de la stipulation d'une indemnité de rupture inférieure aux exigences légales, un doute avait pu naître quant au fait qu'elle soit de nature à entraîner la nullité de la convention de rupture, à la lecture d'un arrêt rendu le 10 décembre 2014. Dans cette décision la Cour de cassation avait, en effet, considéré que l'absence de demande en annulation de la rupture conventionnelle, et partant, d'invocation de moyens au soutien d'une telle demande, n'interdit pas à un salarié d'exiger le respect par l'employeur des dispositions de l'article L. 1237-13 du Code du travail, relatives au montant minimal de l'indemnité spécifique d'une telle rupture (4). La décision sous examen lève tout doute quant à la position de la Cour de cassation qui pouvait, au demeurant, se deviner au regard de sa jurisprudence antérieure (5).

L'office du juge. Les juges du fond avaient adopté une bien curieuse position en donnant acte à l'employeur, d'une part, de ce qu'il serait redevable d'une somme à titre de complément d'indemnité de rupture conventionnelle et, d'autre part, de ce qu'il allait régulariser la rupture au 10 août 2010 soit, en conformité avec la loi, au lendemain du jour de l'homologation.

Le jugement de donner acte peut être défini comme le "jugement qui fait état, à la demande d'une partie (ou des deux) et comme venant d'elle(s) d'une constatation, ou d'une déclaration (donner acte d'une réserve, d'une affirmation, d'une concession, d'un accord, etc.)" (6). Ce n'était certainement pas ce qu'avait demandé le salarié qui attendait des juges qu'ils tranchent le litige, conformément aux règles de droit applicables.

Aussi ne peut-on qu'approuver la Cour de cassation, lorsqu'elle affirme que, par application de l'article L. 1237-13 du Code du travail, qui ne souffre guère d'interprétation à cet égard, il appartenait aux juges du fond de rectifier la date de rupture et de procéder à une condamnation pécuniaire de l'employeur afin que le montant de l'indemnité de rupture soit en adéquation avec les exigences légales.


(1) Cass. soc., 29 janvier 2014, n° 12-27.594, FS-P+B (N° Lexbase : A2279MDR) ; RDT, 2014, p. 255, note G. Auzero ; JCP éd. S, 2014, 1078, avec l'art. de G. Loiseau.
(2) Pour ce qui est du caractère libre, qui renvoie, pour l'essentiel, au vice de violence, v. G. Auzero et E. Dockès, Droit du travail, Précis D., 29ème éd., 2015, § 401 et la jurisprudence citée.
(3) C'est ce qui explique que la convention doit être annulée lorsque un exemplaire de l'écrit la matérialisant n'a pas été remis au salarié (Cass. soc. 6 février 2013, n° 11-27.000, FS-P+B+R N° Lexbase : A5796I7S ; Bull. civ. V, n° 29). Seule la détention de cet écrit permet au salarié de bien mesurer son engagement et, le cas échéant, d'exercer son droit de rétractation.
(4) Cass. soc., 10 décembre 2014, n° 13-22.134, FS-P+B (N° Lexbase : A6058M7I).
(5) V. en ce sens, nos obs. ss. Cass. soc., 3 juin 2015, n° 13-26.799, FS-P+B+R (N° Lexbase : A2216NKB) ; RDT, 2015, p. 458.
(6) Voc. Jur. G. Cornu, v° Jugement de donner acte.

Décision

Cass. soc., 8 juillet 2015, n° 14-10.139, FS-P+B (N° Lexbase : A7439NMH).

Cassation partielle (CA Paris, pôle 6, 1ère ch., 6 novembre 2013).

Textes visés : C. proc. civ., art. 455 (N° Lexbase : L6565H7B) et 12 (N° Lexbase : L1127H4I).

Mots-clefs : rupture conventionnelle ; convention de rupture ; erreur dans la date de rupture ; minoration de l'indemnité de rupture ; absence de nullité ; office du juge.

Lien base : (N° Lexbase : E0210E7W).

newsid:448937

Protection sociale

[Brèves] Refus confirmé par un Etat membre d'octroyer des prestations d'assistance sociale à un citoyen de l'Union séjournant sur le territoire de cet Etat dans le cadre d'une recherche d'emploi

Réf. : CJUE, 15 septembre 2015, aff. C-67/14, Nazifa Alimanovic (N° Lexbase : A9760NNS)

Lecture: 2 min

N8972BUT

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Le 18 Septembre 2015

Le fait de refuser aux citoyens de l'Union, dont le séjour sur le territoire d'un Etat membre d'accueil est seulement justifié par la recherche d'un emploi, le bénéfice de certaines "prestations spéciales en espèces à caractère non contributif", également constitutives d'une "prestation d'assistance sociale", n'est pas contraire au principe d'égalité de traitement. Telle est la solution retenue par la Cour de justice de l'Union européenne dans un arrêt rendu le 15 septembre 2015 (CJUE, 15 septembre 2015, aff. C-67/14 N° Lexbase : A9760NNS).
En l'espèce, Mme X et ses trois enfants, de nationalité suédoise, se sont installés en Allemagne en mai 2010. N'exerçant pas d'activité professionnelle depuis le mois de mai 2011, Mme X et ses enfants se sont vus octroyés des prestations d'assurance de base jusqu'au 31 mai 2012, à savoir, pour Mme X et sa fille A, des allocations de subsistance pour chômeurs de longue durée, et, pour des deux autres enfants, des allocations sociales pour bénéficiaires inaptes à travailler. En mai 2012, le Jobcenter Berlin Neukölln, autorité compétente, a cessé de payer les prestations. La famille X a donc contesté cette décision devant la juridiction allemande. La cour fédérale du contentieux social (Bundessozialgericht) a donc saisi la Cour de l'Union afin de savoir si une telle exclusion est légitime en ce qui concerne des citoyens de l'Union que se sont rendus sur le territoire d'un Etat membre d'accueil pour y chercher du travail et y ont déjà travaillé pendant un certain temps, alors que ces prestations sont garanties aux ressortissants de l'Etat membre d'accueil qui se trouvent dans la même situation.
En énonçant le principe susvisé, la Cour de justice de l'Union européenne décide que les citoyens de l'Union, se rendant dans un Etat membre pour y chercher du travail, peuvent être exclus des prestations d'assurance de base. La Cour de justice, dans un arrêt rendu le 11 novembre 2014 (CJUE, 11 novembre 2014, aff. C-333/13 N° Lexbase : A9992MZ4), a récemment constaté qu'une telle exclusion est légitime pour les ressortissants d'un Etat membre qui arrive sur le territoire d'un Etat membre sans volonté d'y trouver un emploi. Dans notre espèce, la Cour rappelle les deux possibilités pour conférer un droit au séjour pour les demandeurs d'emploi : la première, si le citoyen de l'Union se trouve en situation de chômage involontaire après avoir travailler moins de un an et s'il est enregistré en tant que demandeur d'emploi, il conserve le statut de travailleur et le droit de séjour pendant au moins six mois ; la seconde, s'il n'a pas encore travaillé ou lorsque la période de six mois est expirée, et s'il est enregistré en tant que demandeur d'emploi, il peut demeurer sur le territoire de cet Etat membre mais ce dernier peut lui refuser toute prestation d'assistance sociale.

newsid:448972

Sociétés

[En librairie] La cinquième édition de l'ouvrage Droit des sociétés du Professeur Deen Gibirila est parue

Lecture: 1 min

N8926BU7

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Le 17 Septembre 2015

La cinquième édition de l'ouvrage Droit des sociétés du Professeur Deen Gibirila est parue aux éditions Ellipses (collection "100 % Droit") en juillet 2015.
Cette nouvelle édition de ce manuel de droit des sociétés retrace fidèlement l'évolution jurisprudentielle, les controverses doctrinales, et les réformes législatives, notamment dernièrement :
- la loi n° 2014-1545 du 20 décembre 2014, relative à la simplification de la vie des entreprises et portant diverses dispositions de simplification et de clarification du droit et des procédures administratives (N° Lexbase : L0720I7S) ;
- le décret n° 2015-545, du 18 mai 2015 (N° Lexbase : L6362I87), pris en application de l'ordonnance n° 2014-863 du 31 juillet 2014, relative au droit des sociétés (N° Lexbase : L1321I4P).
Ce livre traite des questions relatives aux sociétés civiles et commerciales, aux groupements d'intérêt économique et aux groupes de sociétés. Il détaille les modalités pratiques de la création, du fonctionnement et des mutations des entreprises sociétaires. Après une partie préliminaire qui conduit le lecteur à "faire connaissance" avec le droit des sociétés, sont présentées les règles communes à toutes les sociétés et les règles spécifiques à chacune des sociétés.
L'ouvrage s'adresse prioritairement aux étudiants des facultés de droit. Il vise également les étudiants en administration et communication, en sciences économiques et en gestion, les élèves des IUT, des écoles de commerce et de gestion. Deen Gibirila est professeur à la Faculté de droit et science politique de Toulouse. Il est l'auteur de nombreux écrits relatifs au droit des affaires dans plusieurs revues et encyclopédies juridiques, principalement dans la revue Lexbase Hebdo - édition affaires, dont il est le directeur scientifique, et le Journal des sociétés où il assure la direction scientifique d'études collectives consacrées au droit des affaires.

D. Gibirila, Droit des sociétés, 5ème éd., 2015, éd. Ellipses, 512 pages, 34 euros.

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Sociétés

[Brèves] SA non cotées : abaissement du nombre minimal d'actionnaires de 7 à 2

Réf. : Ordonnance n° 2015-1127 du 10 septembre 2015, portant réduction du nombre minimal d'actionnaires dans les sociétés anonymes non cotées (N° Lexbase : L3146KHY)

Lecture: 2 min

N8917BUS

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Le 17 Septembre 2015

L'article 23 de la loi n° 2014-1545 du 20 décembre 2014, relative à la simplification de la vie des entreprises (N° Lexbase : L0720I7S), a habilité le Gouvernement à légiférer par ordonnance afin, notamment, de diminuer le nombre minimal d'actionnaires dans les sociétés anonymes non cotées et d'adapter en conséquence les règles d'administration, de fonctionnement et de contrôle de ces sociétés, sans remettre en cause les compétences et les règles de composition, d'organisation et de fonctionnement de leurs organes. Tel est l'objet d'une ordonnance publiée au Journal officiel du 11 septembre 2015 (ordonnance n° 2015-1127 du 10 septembre 2015, portant réduction du nombre minimal d'actionnaires dans les sociétés anonymes non cotées N° Lexbase : L3146KHY). Avant ce texte, les sociétés anonymes devaient, en application de l'article L. 225-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L5872AIC), réunir au minimum sept actionnaires. Tout intéressé peut saisir le tribunal de commerce, en application de l'article L. 225-247 du même code (N° Lexbase : L6118AIG), d'une demande de dissolution de la société lorsque le nombre des actionnaires est inférieur à sept depuis plus d'un an. Le juge peut néanmoins accorder à la société un délai de six mois maximum pour régulariser la situation. Aussi, l'article 1er de l'ordonnance modifie l'article L. 225-1 du Code de commerce en précisant que le nombre d'associés est au minimum de deux pour la constitution d'une société anonyme non cotée. Le nombre minimum de sept associés est maintenu pour les sociétés cotées. L'article 1er opère, en conséquence, les coordinations nécessaires dans le code de commerce. L'article 2 procède aux modifications induites par la modification de l'article L. 225-1 précité dans le Code de la construction et de l'habitation, le Code de l'urbanisme, le Code général des collectivités territoriales, ainsi que dans la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990, relative à l'exercice sous forme de sociétés des professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé et aux sociétés de participations financières de professions libérales (N° Lexbase : L3046AIN), et l'ordonnance n° 2014-948 du 20 août 2014, relative à la gouvernance et aux opérations sur le capital des sociétés à participation publique (N° Lexbase : L0763I4Z ; cf. l’Ouvrage "Droit des sociétés" N° Lexbase : E6628AUZ).

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Taxe sur la valeur ajoutée (TVA)

[Chronique] Chronique de TVA - Septembre 2015

Lecture: 17 min

N8968BUP

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par Laurence Vapaille, Maître de conférences à l'Université d'Evry-Val-d'Essonne

Le 17 Septembre 2015

L'actualité en matière de TVA est toujours aussi intense et la présente chronique est uniquement dédiée à des décisions des juges de l'Union européenne. Bien qu'il ne s'agisse pas de décisions de principe, pour autant, chacune d'elles apportent des précisions intéressantes sur des points parfois peu abordés dans le cadre de la jurisprudence de la CJUE. La première des affaires commentées concerne la TVA portant sur des opérations immobilières, plus particulièrement la notion d'activité économique (CJUE, 9 juillet 2015, aff. C-331/14). La seconde décision aborde aussi un domaine particulier, celui des assurances. Or, la 6ème Directive-TVA (Directive 77/388/CEE du Conseil du 17 mai 1977 N° Lexbase : L9279AU9) ne définissant pas la notion d'opération d'assurance, la CJUE doit remédier à cette absence de définition en fonction des litiges qui lui sont soumis (CJUE, 16 juillet 2015, aff. C-584/13). Enfin, la dernière décision commentée permet de rappeler des notions essentielles et fondamentales du régime de la TVA telle que la prestation de services (CJUE, 3 septembre 2015, aff. C-463/14).
  • Précisions sur la notion d'activité économique dans le cadre de la TVA immobilière (CJUE, 9 juillet 2015, aff. C-331/14 N° Lexbase : A7910NMW ; pour la France, cf. l’Ouvrage "Droit fiscal" N° Lexbase : E8529EQX et le BoFip - Impôts N° Lexbase : X4868ALU)

La décision commentée permet de définir plus avant la notion d'assujetti qui repose principalement sur l'exercice ou non d'une activité économique en matière de vente de terrains à bâtir et plus généralement de la vente d'immeuble. Cette décision présente un intérêt certain au regard du droit français qui a considérablement évolué depuis la réforme de la TVA immobilière (1).

Les faits de cette espèce sont simples. Un contribuable a acquis entre 1998 et 2002 sept parcelles de terrains : deux à titre privé auprès d'une personne physique et cinq dans le cadre de son activité d'entrepreneur d'une société commerciale. Pour ces différentes acquisitions, il n'a pas payé la TVA. Entre 2001 et 2003, il a obtenu les autorisations administratives pour construire un centre commercial sur ces terrains. En 2003, l'entrepreneur a affecté les 5 terrains acquis d'une société commerciale au patrimoine de son entreprise ; les deux autres terrains sont restés dans son patrimoine privé. Enfin, en 2004, il a cédé le centre commercial ainsi que la totalité des parcelles. S'agissant des parcelles affectées à son entreprise et de la construction érigée sur ces terrains, la vente a été soumise à TVA. Mais pour les terrains relevant de son patrimoine privé ainsi que le bâtiment élevé sur ces parcelles, leur vente n'a pas été soumise à la TVA.

En 2004, l'administration fiscale slovène a réclamé le paiement de la TVA due au titre de la vente des deux parcelles appartenant au patrimoine privé car relevant de l'activité économique du contribuable en tant qu'entrepreneur. Au contraire ce dernier a fait valoir que c'étaient des opérations patrimoniales exclues du champ d'application de la TVA. Après différentes décisions de justice, la dernière juridiction en charge du litige a décidé de s'adresser à la CJUE afin de savoir si une personne qui, acquérant des terrains à titre privé sur lesquels elle fait construire un bien inscrit en tant qu'actif au bilan de son entreprise, puis les revend ainsi que la construction, est considérée comme effectuant une opération de gestion de patrimoine privé (opération patrimoniale) ou une opération relevant d'une activité économique au sens du droit de l'UE et à ce titre soumise à TVA.

Les faits de cette espèce sont soumis à la 6ème Directive-TVA car antérieurs à la Directive actuellement en vigueur. Plus précisément, la question préjudicielle porte sur l'interprétation de l'article 2, point 1 et de l'article 4, paragraphe 1 de la Directive du 17 mai 1977. Ces articles ont été repris dans la Directive du 28 novembre 2006 (2).

L'article 2, point 1 énonce que pour qu'une opération soit soumise à la TVA, elle doit être effectué "à titre onéreux [...] par un assujetti agissant en tant que tel" (3). A contrario, si l'assujetti agit à titre particulier, les opérations qu'il réalise dans ce cadre ne sont pas soumises à la TVA. La difficulté soulevée par cette décision ne porte pas tant sur la définition de l'assujetti mais sur la notion d'activité économique. Cette notion est définie à l'article 4, paragraphe 2 de la Directive du 17 mai 1977 (4) ; elle comprend "toutes les activités de producteur, de commerçant ou de prestataires de services, y compris les activités extractives, agricoles et celles des professions libérales ou assimilées. Est notamment considérée comme une activité économique une opération comportant l'exploitation d'un bien corporel ou incorporel en d'en retirer des recettes ayant un caractère de permanence".

La notion d'activité économique constitue la summa divisio (5) permettant d'établir la ligne de démarcation entre les opérations réalisées, d'une part, par des personnes non assujetties agissant en dehors d'une activité économique pour leur besoins privés et, d'autre part, les assujettis agissant dans le cadre de leur activité économique (6). Sur cette notion, la jurisprudence de la Cour de justice n'est pas très abondante et essentiellement relative aux biens d'investissement mais elle révèle la grande latitude laissée à l'intéressé. Soit il peut affecter le bien à son patrimoine privé, soit l'affecter à son entreprise, soit encore l'intégrer dans le patrimoine de son entreprise à concurrence de l'utilisation professionnelle effective dudit bien.

La seule affectation d'un bien au patrimoine privé ne permet pas d'en déduire ipso facto que sa vente ne sera pas soumise à la TVA ; si cette cession est réalisée dans le cadre de l'activité économique du cédant, elle est imposable à la TVA. Il ressort de cette position de la CJUE qu'il est nécessaire de prendre en compte différents éléments caractérisant l'opération afin de déterminer à quel titre (gestion patrimoniale ou activité économique) a été effectuée la vente du bien.

En vue d'établir la distinction entre l'administration du patrimoine privé et l'accomplissement d'une activité économique, la CJUE met en oeuvre la méthode du faisceau d'indices. Dans l'espèce commentée, elle énonce trois éléments qui lui permettent de considérer que le contribuable a bien agi en tant qu'entrepreneur lors de la vente des deux parcelles qu'il avait acquis à titre privé :
- acquisition des différents terrains durant une brève période (4 ans, de 1998 à 2002) ;
- l'ensemble des terrains acquis était nécessaire au projet de construction du centre commercial, notamment une partie du centre commercial a été bâti sur les parcelles acquises à titre privé ;
- enfin, ces sept terrains ont fait l'objet de travaux destinés à les valoriser.

Il ressort de ces éléments que si deux des sept terrains n'ont pas été inscrits à l'actif de l'entreprise, et donc acquis dans un cadre privé, par la suite, ils n'ont pas été traités différemment des autres parcelles ; la totalité des terrains était destiné à la réalisation d'une opération s'inscrivant dans le cadre de l'accomplissement de l'activité économique de l'intéressé.

Cette décision vient confirmer un arrêt du 15 septembre 2011 (7) par lequel la CJUE avait considéré qu'il importait de rechercher si le vendeur avait entrepris "des démarches actives de commercialisation foncière en mobilisant des moyens similaires à ceux déployés par un producteur, un commerçant ou un prestataire de services". Les juges de l'UE privilégient un critère mettant en oeuvre la comparaison entre ce qui a été est effectué par l'intéressé, dans le cadre de cette vente, et les moyens mis en oeuvre par un entrepreneur dans l'accomplissement de son activité économique. Cette comparaison doit permettre la réelle application du principe de neutralité de la TVA. En effet, si un entrepreneur prétexte que certains biens relèvent de son patrimoine privé et donc que les opérations y afférentes ne sont pas soumises à TVA alors même qu'ils font partie d'un ensemble de biens (terrains et construction) qui participent sans distinction à une opération économique imposable à la TVA, on aboutit à une inégalité de traitement face à un assujetti ayant inscrits à l'actif de son entreprise la totalité des biens utiles à une opération similaire.

En droit français, la TVA portant sur les immeubles a été l'objet d'une réforme d'envergure aux termes de l'article 16 de la loi de finances rectificative pour 2010 (8). Les deux principaux objectifs de cette réforme législative étaient de rendre le régime de TVA immobilière conforme avec le droit de l'Union européenne et de le simplifier (9). Cette réforme a fait entrer dans le champ d'application de la TVA de droit commun l'ensemble des livraisons de terrains réalisés à titre onéreux ; seules les opérations réalisées en dehors d'une activité économique ne sont donc pas soumises à la TVA sauf exceptions. Ainsi, l'affaire commentée permet de préciser la notion d'activité économique dans le cadre des investissements immobiliers.

Les décisions des juges de l'UE à propos de l'exonération des opérations d'assurance en matière de TVA sont relativement rares. Or, la notion d'opérations d'assurance ne fait l'objet d'aucune définition contenue par un texte de l'UE. Le rôle de la CJUE quant à l'interprétation de cette notion est donc majeur.

Selon les termes de l'article 13, B, sous a) de la Directive 77/388/CEE, "sans préjudice d'autres dispositions communautaires, les Etats membres exonèrent, dans les conditions qu'ils fixent en vue d'assurer l'application correcte et simple des exonérations (...) et de prévenir toute, fraude, évasion et abus éventuels : les opérations d'assurance et de réassurance, y compris les services afférents à ces opérations effectuées par les courtiers et les intermédiaires d'assurance".

Cette exonération a été reprise à l'identique dans le cadre de la Directive du 28 novembre 2006 (10). En droit français, l'exonération est énoncée par le 2° de l'article 261 C du CGI (N° Lexbase : L5732IXL).

Non seulement cette notion n'a pas été définie légalement, mais les fondements de cette exonération ne sont pas connus. Les travaux préparatoires de la Directive du 17 mai 1977 mentionnent que cette exonération de TVA appliquée aux opérations d'assurance est justifiée "pour des raisons de politique générale commune aux Etats membres" (11).

Face à ce silence, la Cour de justice a dû faire oeuvre de définition. La définition qu'elle donne, confirmée dans plusieurs décisions, est la suivante : une "opération d'assurance se caractérise, de façon généralement admise, par le fait que l'assureur se charge, moyennant le paiement préalable d'une prime, de procurer à l'assuré, en cas de réalisation du risque couvert, la prestation convenue lors de la conclusion du contrat" (12). Cependant, cette définition ne permet pas de répondre à l'ensemble des questions qui peuvent se poser dans le domaine des assurances et l'arrêt commenté en est l'illustration.

Les faits évoqués dans cette décision sont relativement simples. Une société italienne a pour activité de proposer des prestations de garanties en cas de survenance de pannes sur des véhicules d'occasion. Certains revendeurs de voitures d'occasion peuvent proposer à leurs acheteurs une garantie complémentaire en vue de couvrir certaines pannes qui viendraient à survenir durant la période couverte par cette garantie. En cas de panne couverte par cette garantie, l'acquéreur de la voiture d'occasion s'adresse à un garage librement choisi qui établit un devis pour la réparation de cette panne. Ce devis est adressé à la société italienne. Si cette dernière valide le devis, le garage effectue les réparations qui sont prises en charge par la société. Cette dernière est elle-même assurée auprès d'une autre société contre les pertes qui pourraient résulter de son activité de prestations de garantie relatives à la réparation de voitures d'occasion.

La société italienne a considéré que les prestations effectuées dans le cadre de son activité relevaient du régime normal de TVA et y étaient assujetties. L'administration fiscale française a, au contraire, considéré que ces opérations ne ressortaient pas du régime de la TVA mais étaient exonérées en tant qu'opérations d'assurance soumises à la taxe sur les conventions d'assurance (CGI, art. 991 N° Lexbase : L9295HLT). Dans le même temps, la DGFIP a estimé que l'assurance prise pour le compte de la société italienne auprès de l'autre société était soumise à la taxe sur les assurances au taux de 18 % tel que prévu pour les assurances automobiles par le 5° bis de l'article 1001 du CGI (N° Lexbase : L3250IZE). Les deux sociétés ont vu leur réclamation rejetée par l'administration fiscale. Elles ont ensuite porté leur litige devant le tribunal de grande instance de Lyon, puis la cour d'appel de Lyon (13), enfin suite au pourvoi intenté devant la Cour de cassation, cette dernière a posé une question préjudicielle à la CJUE afin de savoir si "la prestation consistant, pour un opérateur économique indépendant du revendeur de véhicules d'occasion, et moyennant le versement d'une somme forfaitaire, à garantir la panne mécanique susceptible d'affecter certaines pièces du véhicule entre dans la catégorie des opérations d'assurance exonérées de TVA ou, au contraire, entre la catégorie des prestations de services ?" (14).

Dans le cadre de cette chronique, seul sera commenté le litige relatif à la qualification d'opération d'assurance ou non des prestations réalisées par la société italienne à l'égard des acheteurs d'automobiles d'occasion car la question préjudicielle n'a été posée qu'à l'égard de ce problème de droit. Le litige à propos de l'autre société n'entraîne aucune question afférente à l'interprétation du droit de l'UE.

Les différents arguments soulevés par la société italienne permettent d'aborder plusieurs éléments à prendre en considération pour retenir ou non la qualification d'opération d'assurance au sens du droit de l'Union européenne.

Le premier porte sur l'existence d'un lien contractuel entre l'entreprise italienne et les acheteurs de véhicules d'occasion. Selon cette société, il n'existe qu'une relation contractuelle qu'entre les revendeurs de voitures d'occasion et elle. En revanche, la CJUE considère que l'assureur est un "opérateur économique indépendant du revendeur" et "l'assuré est l'acheteur du véhicule" (15). La CJUE confirme la nécessité d'une relation juridique directe entre l'assureur et l'assuré ; l'opération d'assurance "implique par nature l'existence d'une relation contractuelle entre le prestataire du service d'assurance et la personne dont les risques sont couverts par l'assurance, l'assuré" (16). La Cour examine les différentes possibilités de relations entre la société italienne, le revendeur et l'acheteur de véhicules automobiles, pour conclure que, quelle que soit l'hypothèse contractuelle, elle est incluse dans la définition de l'opération d'assurance.

Dans le sens d'une qualification de la prestation de garantie en tant qu'opération d'assurance, la CJUE a considéré que le paiement d'une somme forfaitaire en paiement de la prestation de garantie offerte par la société italienne pouvait être analysé comme le paiement d'une prime d'assurance. En l'espèce, le paiement de cette prime libère complètement l'assuré du risque couvert par l'assurance. En effet, si le coût de réparation de la panne est supérieur au montant de la somme forfaitaire, l'acquéreur du véhicule n'est pas tenu de régler la différence. De même, si la réparation est d'un montant inférieur ou si aucune réparation n'a été effectuée, la somme forfaitaire ne sera pas remboursée à l'acheteur du véhicule d'occasion. La société italienne répartit le risque assuré de manière à ce que les primes payées par tous les acquéreurs de véhicules d'occasion couvrent le coût de réparation des voitures effectivement en panne (17). Les arguments avancés par la société pour justifier que cette somme forfaitaire ne correspond pas au paiement d'une prime d'assurance concernent l'organisation interne de l'activité de l'entreprise. Dès lors, ils ne peuvent être pris en considération car la qualification d'opération d'assurance d'une prestation de services ne peut reposer sur des choix de fonctionnement d'une entreprise.

Enfin, la société italienne considère que, même si la prestation de garantie est qualifiée d'opération d'assurance du fait de son caractère accessoire à une opération elle-même soumise à TVA, elle doit aussi être soumise à cette imposition. Il est constant que chaque prestation doit être considérée comme distincte et indépendante. Cependant, ce principe connaît des exceptions notamment si les prestations en cause sont très étroitement liées et forment en réalité une seule opération (18). De même si une prestation ne constitue que l'accessoire d'une prestation principale (19). En l'espèce, la société italienne défend cette perspective. Cependant, la CJUE rappelle qu'en matière d'assurance elle a déjà jugé que nécessairement "toute opération d'assurance présente, par sa nature, un lien avec le bien qu'elle a pour objet de couvrir" (20). Si ce lien était pris en considération, l'exonération des opérations d'assurance perdrait toute sa substance car à moins d'assurer un bien qui n'est pas soumis à TVA, toutes les opérations d'assurance seraient, au terme d'une telle logique, soumises à la TVA. Sur le caractère accessoire ou non d'une prestation, la Cour de justice a précisé qu'une prestation ne revêt un caractère accessoire lorsqu'elle ne constitue pas pour la clientèle en fin en soi mais le moyen de bénéficier dans les meilleures conditions du service principal. Or, en l'espèce, la CJUE dénie ce caractère à la garantie offerte par la société italienne.

En conclusion, la décision commentée met en lumière l'importance du travail d'interprétation effectué par la CJUE dans le cadre de la définition de l'opération d'assurance. Cependant, quelle que soit la grande qualité de l'oeuvre jurisprudentielle, il n'en reste pas moins qu'elle ne peut se dérouler qu'en fonction des affaires soumises à l'appréciation de la CJUE.

  • Imposition à la TVA de contrats d'abonnement pour la fourniture de services de conseil (CJUE, 3 septembre 2015, aff. C-463/14 N° Lexbase : A3757NNH ; pour la France, cf. l’Ouvrage "Droit fiscal" N° Lexbase : E0353AAC et le BoFip - Impôts N° Lexbase : X9390ALD)

La décision commentée est relative à la définition d'un élément fondamental du régime de TVA : la prestation de services. Pour rappel, la Directive 2006/112/CE, à son article 24, 1, énonce qu'"est considérée comme prestation de services' toute opération qui ne constitue pas une livraison de biens". C'est une définition "négative" de la prestation de services par comparaison avec la livraison de biens qui est définie de manière "positive" (21). Pour autant, la définition légale de la prestation de services soulève peu de litiges. L'affaire jugée par la CJUE le 3 septembre présente l'intérêt de permettre à la CJUE de s'exprimer sur une notion rarement en litige mais essentielle au régime de la TVA et des principes applicables en la matière.

Les faits sont les suivants. Une société bulgare a pour principales activités l'agriculture, l'horticulture, l'élevage et des activités auxiliaires. Le 1er août 2011, cette entreprise a conclu des contrats d'abonnement, portant sur des conseils avec quatre sociétés, qui ont pris fin le 5 mars 2012. Aux termes de ces contrats, les prestataires s'engageaient à se tenir à la disposition de la société bulgare pour la conseiller ou assister à des réunions, lui fournir une personne compétente en cas de besoin pour la conseiller, lui apporter la documentation utile pour la défense de ses intérêts. Ces services étaient fournis les jours ouvrables de 9 à 18 heures ainsi que les autres jours en cas de besoin. Enfin, les prestataires s'engageaient à ne pas conclure de contrats similaires avec des tiers ayant des intérêts opposés à ceux de l'entreprise bulgare.

A la suite d'un contrôle fiscal, l'administration bulgare a considéré que la société ne pouvait bénéficier du droit à déduction pour les prestations de services incluses dans ces contrats. Elle a estimé que la preuve quant "au type, à la quantité et à la nature des services fournis" (22) n'était pas rapportée et qu'il n'était pas possible de connaître le nombre d'heures réellement effectuées par les prestataires, ni les modalités selon lesquelles le prix des services rendus était déterminé.

La société bénéficiaire a contesté cette décision qui a été confirmée par l'administration fiscale bulgare puis a porté son désaccord devant la juridiction. Cette dernière a posé deux questions à la CJUE. La première, et principale, est relative au contrat d'abonnement, à savoir s'il constitue une prestation de services selon les dispositions de la Directive 2006/112/CE. La seconde découlant d'une réponse positive à la première porte sur la date à laquelle interviennent le fait générateur et l'exigibilité.

La prestation de services peut correspondre à l'obligation de faire ou de ne pas faire (23), engagements qui figurent dans les contrats puisque les sociétés s'engagent à être disponibles pour conseiller la société cliente et ne pas conclure de contrats similaires avec des tiers ayant des intérêts opposés à ceux de la société bulgare. Les Directives successives ont énoncé un "champ d'application très large à la TVA" (24). Cette étendue du champ d'application est en étroite corrélation avec la nature même de la TVA, imposition générale, et des principes qui la gouvernent : simplicité et neutralité (25). Or, une définition restrictive de la prestation de services aurait pour effet de les remettre en cause. Corrélativement, les exceptions à l'imposition des prestations de services doivent être interprétées de manière stricte. Eu égard à cette définition extensive, la fourniture de conseils ainsi que l'obligation de ne pas faire, telle définie par les contrats d'abonnement, sont des prestations de services dans le cadre du régime de la TVA.

Pour autant était aussi en jeu la question de l'existence d'un lien direct entre le client et le prestataire. La nécessité d'un lien direct est une condition posée par la jurisprudence de la Cour de justice. La notion de lien direct est en relation avec le caractère onéreux ou non d'une prestation de services qui suppose l'existence d'un lien direct entre l'opération et la contrepartie reçue par l'assujetti (26). Cette condition du lien direct implique qu'une "prestation n'est taxable que s'il existe entre le prestataire et le bénéficiaire un rapport juridique au cours duquel les prestations réciproques sont échangées, la rétribution perçue par le prestataire constituant la contre-valeur effective du service fourni au bénéficiaire" (27). En l'espèce, la prestation de services consistait à pouvoir fournir des conseils dès que le client le demandait par la mise à disposition des prestataires auprès de la société cliente. Cette disponibilité existait même si la cliente ne faisait pas appel aux prestataires et était rémunérée par un prix forfaitaire effectué dans le cadre de ces contrats d'abonnement.

L'administration fiscale bulgare avait notamment refusé le droit à déduction au motif que le paiement effectué par la société ne permettait pas de déterminer les prestations réellement effectuées. Selon son interprétation, le paiement forfaitaire mettait en cause la réalité du lien direct entre le prestataire et le bénéficiaire. Cette question était déjà apparue dans deux affaires qui ne concernaient pas les prestations de conseils mais des domaines plus restreints. Dans une décision de 2002 (28), il s'agissait de la mise à disposition d'installations de golf en contrepartie d'un prix forfaitaire. Pour une affaire de 2014 (29), était en cause le versement d'un "forfait soins" versé à un établissement d'hébergement des personnes âgées dépendantes. Cependant, si dans ces deux affaires les prestations de services n'étaient pas similaires, leur point commun portait sur les modalités de paiement par le biais d'un prix forfaitaire.

Dans la droite ligne de ces décisions antérieures, la CJUE a maintenu dans le champ d'application de la TVA les prestations dont la contrepartie est un prix forfaitaire. Il n'est pas nécessaire (en vue d'établir un lien direct et donc le caractère onéreux d'une opération) que le paiement se rapporte à une prestation "individualisée et ponctuelle" (30). Si le paiement forfaitaire n'impliquait pas de lien direct cela aurait pour conséquence de "permettre à la quasi-totalité des prestataires d'échapper à la TVA en recourant à des prix forfaitaires" (31). Or, précisément, en ne soumettant pas ces prestations, réglées au moyen d'un prix forfaitaire, à la TVA, le champ d'application en serait considérablement réduit venant ainsi en contradiction au principe de neutralité. Le choix d'un paiement forfaitaire ne peut permettre l'exclusion de certaines opérations qui seraient imposables en cas de modalités de paiement autres que le forfait. Les modalités de paiement qui relèvent du choix du prestataire et/ou du client ne peuvent valablement remettre en cause la qualification de certaines opérations dans le cadre de la TVA.

Ayant répondu positivement à la première question de savoir si les prestations en cause dans cette affaire étaient taxables à la TVA, la CJUE s'est prononcée sur la date de l'exigibilité et du fait générateur. On peut remarquer qu'elle ne cite aucune décision à l'appui de son raisonnement. Elle rappelle les textes applicables desquels elle déduit que le fait générateur et l'exigibilité interviennent à la fin de la période déterminée pour laquelle le paiement a été convenu. Dans le cadre d'un contrat d'abonnement, il n'est pas utile de prendre en compte les modalités de ce contrat à savoir si le prestataire a été sollicité ou non et en cas d'intervention de sa part, quel a été le nombre d'interventions.


(1) Loi n° 2010-237 du 9 mars 2010, de finances rectificative pour 2010 (N° Lexbase : L6232IGW) : JO, 10 mars 2010, p. 4746.
(2) Directive 2006/112/CE du Conseil relative au système commun de TVA, 28 novembre 2008 (N° Lexbase : L7664HTZ) : JOUE, 11 décembre 2006, L. 347/23.
(3) Les mêmes termes sont inscrits à l'article 2, 1, a de la Directive du 28 novembre 2006.
(4) La même définition de l'activité économique est énoncée au 1 de l'article 9 de la Directive du 28 novembre 2006.
(5) E. Kornprobst, J. Schmidt, Fiscalité immobilière, 2013, 12ème éd., LexisNexis, coll. Litec fiscal, 832 pages, p. 236.
(6) Sur la notion d'activité économique, la littérature doctrinale est rare, on peut citer : A. Daniel-Thézard, TVA : du nouveau à propos de la notion d'activité économique : DF, 2001, n° 19-20, pp. 781-785.
(7) CJUE, 15 septembre 2011, aff. C-180/10 et C-181/10 (N° Lexbase : A7298HXL) : RJF, 12/11, n° 1403 ; DF, 2011, n° 48, comm. 608, note W. Stemmer, La France peut-elle encore soumettre à la TVA la revente d'un immeuble neuf acquis en VEFA par un non-assujetti ?".
(8) Loi n° 2010-237, op. cit..
(9) DF, 2010, n° 12, comm. 247.
(10) Directive 2006/112/CE du Conseil relative au système commun de la TVA, art. 135, 1, a.
(11) Proposition de 6ème Directive présentée le 20 juin 1973 (COM(73) 950 final, p. 16) citée par M. Guichard et W. Stemmer, Assurances : le dommage TVA : DF, 2005, n° 29, Etudes 28, § 3. Dans le même sens, cf. M. Guichard, Assurances : le risque TVA : DF, 2002, n° 46, ét. 37, § 19 et suivants.
(12) On peut citer par exemple : pt. 17, CJCE, 25 février 1999, aff. C-349/96 (N° Lexbase : A7318AHI) : Rec. I-999, RJF, 4/99, n° 512 ; pt. 37, CJCE, 8 mars 2001, aff. C-240/99 (N° Lexbase : A0280AWB) : Rec. I-1964 ; pt. 39, CJCE, 20 novembre 2003, aff. C-8/01 (N° Lexbase : A1841DAG) : Rec. I-13741, DF, 2004, n° 5, n° 191, obs. M. Guichard et W. Stemmer ; pt. 58, CJUE, 17 janvier 2013, aff. C-224/11 (N° Lexbase : A2943I3E) ; RJF, 4/13, n° 449.
(13) Sur l'affaire commentée : CA Lyon, 22 septembre 2011, n° 10/03515 (N° Lexbase : A5088HY4) et CA Lyon, 22 septembre 2011, n° 10/03658 (N° Lexbase : A5090HY8).
(14) Pt. 24.
(15) Pt. 39.
(16) Pt. 41, CJCE, 8 mars 2001, aff. C-240/99, ..
(17) Pt. 30, Conclusions de l'Avocat général S. Maciej présentées le 4 février 2015.
(18) Pt. 27, CJUE, 2 décembre 2010, aff. C-276/09 (N° Lexbase : A4112GMA) ; Pt. 22, CJCE, 29 mars 2007, aff. C-111/05 (N° Lexbase : A7809DUR) ; Pt. 22, CJCE, 27 octobre 2005, aff. C-41/04 (N° Lexbase : A0986DL4) : Rec. I-9433.
(19) CJCE, 22 octobre 1998, aff. C-308/96 et C-94/97 (N° Lexbase : A7502AHC) : Rec. I-6248 ; RJF, 12/98, n° 1521 ; CJCE 25 février 1999, aff. C- 349/96 : Rec. I-999 ; DF, 1999, n° 17-18, p. 590 ; RJF, 4/99, n° 512 ; CJCE, 21 février 2008, aff. C-425/06 (N° Lexbase : A0006D7D) ; RJF, 6/08, n° 765 ; DF, 2008, n° 23, comm. 366.
(20) Pt. 51. Dans le même sens : pt. 36, CJUE, 17 janvier 2013, aff. C-224/11.
(21) Directive 2006/112/CE, art. 14, 1 : "est considéré comme livraison de biens', le transfert du pouvoir de disposer d'un bien corporel comme un propriétaire".
(22) Pt. 22.
(23) Directive 2006/112/CE, art. 25, b.
(24) Pt. 33. Dans le même sens, par exemple, pt. 22 : CJCE, 14 décembre 2006, aff. C-401/05 (N° Lexbase : A8826DSP) : DF, 2007, n° 50, comm. 1050.
(25) Directive 2006/112/CE, art. 5 : "Un système de TVA atteint la plus grande simplicité et la plus grande neutralité lorsque la taxe est perçue d'une manière aussi générale que possible et que son champ d'application englobe tous les stades de la production et de la distribution ainsi que le domaine des prestations de services".
(26) CJCE, 8 mars 1988, aff. C-102/86 (N° Lexbase : A7336AH8) : DF, 1989, n° 15, comm. 815 ; RJF, 8-9/88, n° 971.
(27) Pt. 35. Pour rappel, cette définition a été mise en oeuvre notamment : CJCE, 3 mars 1994, aff. C-16/93 (N° Lexbase : A7246AHT) : DF, 1995, n° 11, comm. 525, concl. O. Lenz. Elle est toujours d'actualité : CJUE, 3 mai 2012, aff. C-520/10 (N° Lexbase : A5063IKQ), comm. 282, note A.-L. Mosbrucker.
(28) CJCE, 21 mars 2002, aff. C-174/00 (N° Lexbase : A2920AYS) : RJF, 6/02, n° 736 ; DF, 2002, n° 21, comm. 441.
(29) CJUE, 27 mars 2014, aff. C-151/13 (N° Lexbase : A9826MHE) : RJF, 6/14, n° 648 ; DF, 2014, n° 17-18, comm. 292, note Y. Sérandour.
(30) Pt. 38.
(31) Pt. 41, CJCE, 21 mars 2002, aff. C-174/00, op. cit..

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Temps de travail

[Brèves] Temps de déplacement des employés entre le domicile et les sites du premier et du dernier clients désignés par l'employeur : temps de travail au sens du droit de l'Union européenne

Réf. : CJUE, 10 septembre 2015, aff. C-266/14 (N° Lexbase : A7149NN4)

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N8916BUR

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Le 17 Septembre 2015

Lorsque les travailleurs n'ont pas de lieu de travail fixe ou habituel, constitue du "temps de travail", au sens de l'article 2, point 1, de la Directive 2003/88 (N° Lexbase : L5806DLM), le temps de déplacement que ces travailleurs consacrent aux déplacements quotidiens entre leur domicile et les sites du premier et du dernier clients désignés par leur employeur. Telle est la solution dégagée par la Cour de justice de l'Union européenne dans un arrêt rendu le 10 septembre 2015 (CJUE, 10 septembre 2015, aff. C-266/14 N° Lexbase : A7149NN4).
En l'espèce, une entreprise espagnole exerce, dans la plupart des provinces espagnoles, une activité d'installation et de maintenance de systèmes de sécurité permettant de détecter les intrusions et de prévenir les cambriolages. Les employés travaillent dans des maisons privées et dans des établissements industriels et commerciaux situés dans la zone territoriale à laquelle ils sont affectés et disposent chacun d'un véhicule de fonction, au moyen duquel ils se déplacent chaque jour entre leur domicile et leurs lieux de mission. Or, l'entreprise ne décompte pas, comme faisant partie du temps de travail, le temps de déplacement domicile-clients, considérant ainsi qu'il s'agit de temps de repos.
La juridiction espagnole a posé une question préjudicielle à la CJUE tendant à savoir si l'article 2 de la Directive 2003/88 doit être interprété en ce sens que, lorsqu'un travailleur qui n'a pas un lieu de travail fixe, mais doit se déplacer chaque jour de son domicile au siège d'un client de l'entreprise différent chaque jour et rentrer chez lui depuis le siège d'un autre client différent lui aussi (selon un itinéraire ou une liste que l'entreprise lui communique la veille) dans les limites d'une zone géographique plus ou moins grande dans les conditions du litige au principal, le temps que ce travailleur consacré à se déplacer en début et en fin de journée de travail doit être considéré comme du "temps de travail", au sens de l'article 2 de la Directive ou, au contraire, doit être considéré comme une "période de repos".
En énonçant la règle susvisée, la CJUE répond à la question préjudicielle qui lui était posée (cf. l’Ouvrage "Droit du travail" N° Lexbase : E0291ETX).

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