La lettre juridique n°616 du 11 juin 2015

La lettre juridique - Édition n°616

Éditorial

Le droit selon Star Trek : un cosmos juridique pas si lointain

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 11 Juin 2015


Le 3 juin 2015 s'est déroulée, sous l'égide du Club des juristes, la cérémonie de remise du prix "Olivier Debouzy", prix de l'agitateur des idées juridiques, au Cercle de l'Union Interalliée à Paris. Ce 5ème prix a été attribué à l'ouvrage Le droit selon Star Trek, de Fabrice Defferrard, publié aux éditions Mare & Martin -livre, en revanche, que nous nous sommes procuré, bien avant le buzz !-.

Pour sûr, Fabrice Defferrard, Maître de conférences à l'Université de Reims, Directeur de l'Institut d'Etudes Judiciaires et qui enseigne également à La Sorbonne, pouvait paraître "agité" pour s'embarquer dans une analyse juridique de l'Univers "Trekkien". D'abord, le sceptique était en droit de poser la question de l'intérêt d'une telle analyse, mais surtout -mais on en peut connaître la réponse avant de s'être posé la question- celle de sa pertinence au regard d'un sujet d'analyse relevant, de prime abord, du pur divertissement. Ensuite, la question du "coup de pub" taraude les esprits chagrins, qui cherchent à décrédibiliser inexorablement le projet, et ce faisant son issu, l'ouvrage : le droit selon Star Trek ? Et pourquoi pas le droit selon la Petite maison dans la prairie, ou selon Game of Throne ?! Enfin, quand bien même les 750 épisodes et les 12 films de la franchise seraient les catalyseurs d'un système juridique : la belle affaire ! Quelle influence ou quel écho peut bien avoir une telle organisation de droit dans nos sociétés actuelles ?

A toutes ces questions, sous l'égide des chaires nord-américaines "Droit et littérature", l'auteur trekkie répond de manière brillante, passionnée, enjouée, mais surtout juridique et pédagogique pour arriver à une conclusion évidente, après dissection de cinquante années de filmographie exhaustive : toute l'action de Star Trek repose sur une organisation, des principes fondamentaux, des libertés fondamentales relevant du droit international, certes adaptées à l'univers interplanétaire, mais issues d'une transposition troublante et volontaire. Le souhait de l'auteur de la série, Gene Roddenberry, était clairement d'édifier, dans son oeuvre, une société idéale, fondée sur la reconnaissance suprême de l'individu, sujet de droit, proche de celle aujourd'hui en vigueur dans nombre de pays occidentaux.

L'approche de Fabrice Defferrard est, dès lors, des plus classiques au regard d'un manuel d'introduction au droit. L'ouvrage est composé de quatre parties : les sources de droit ; les droits de la personnalité ; les liens de droits ; et la justice. Et, étonnamment -ou non, pour les fans de la série, adeptes des comic coms et autres conventions trekkiennes-, pas moins d'une centaine d'épisodes et certains des douze films permettent d'établir les fondements cohérents de cette société interplanétaire qui fait largement écho à nos sociétés, elles, planétaires, au droit international, aux droits fondamentaux et aux libertés fondamentales ; sans, et c'est là le tour de force, un anthropomorphisme exagéré, un fédéralo-centrisme consistant à ne faire que la transposition des normes onusiennes, notamment, à l'univers de Star Trek et à sa Fédération des Planètes Unies.

La première partie du livre est consacrée à la source fondamentale, droit objectif par excellence, qui innerve la série depuis cinquante ans donc : la Directive première qui interdit les voyageurs de l'espace, les officiers de Starfleet à bord de l'USS Enterprise, pour les connaisseurs, d'interférer dans les affaires (l'évolution naturelle) des civilisations qu'ils rencontrent, en vertu d'un principe absolu : celui de l'égalité des droits de tous les systèmes planétaires. Nous n'allons pas faire, ici, une fiche exégétique de l'ouvrage, mais, avec brio, l'auteur démontre que la somme des épisodes constitue un recueil de jurisprudence à part entière, au gré des interprétations de cette norme impérative, entraînant une obligation négative, mais parfois positive, pour qu'elle soit respectée ; et dont, même si elle ne constitue qu'une obligation de moyens au regard des péripéties de l'aventure, toute violation flagrante, peut entraîner un effet papillon, voire le chaos, et doit être sévèrement sanctionnée : c'est le cas dans le dernier opus cinématographique (Into darkness) dans lequel l'infatigable capitaine Kirk perd le commandement de son vaisseau pour avoir modifié le cours de la vie d'une planète et avoir interféré dans l'évolution scientifique de ses habitants. Toute règle, même suprême a ses exceptions (la Directive oméga), mais surtout le pouvoir prétorien du capitaine peut "contourner" cette norme pour de motifs "principiels" ou humanitaires. L'auteur ne s'en cache pas : il a compulsé plusieurs traités d'interprétation de la norme internationale et conclue à l'assimilation réelle des méthodes interprétatives proposée par la Doctrine internationale par les scénaristes de la série.

La deuxième partie du livre est, encore, plus technique ; encore plus proche de nos interrogations quotidiennes. La dynamique des droits de la personnalité met en scène l'ensemble des questions à résonance contemporaine : qu'est ce qu'un sujet de droit (à propos des droits revendiqués par l'androïde Data, par des machines mobiles intelligentes et douées de conscience, les Exocomps, par le produit d'une fusion organique accidentelle entre un Vulcain et un Talexien...) ? Des questions qui renvoient au statut de l'embryon, hier, de l'animal, aujourd'hui, du cyber-robot demain -et nous avons déjà écrit, à la suite de Maître Alain Bensoussan, sur la question-. Cette deuxième partie de l'ouvrage revient ensuite sur ce qui pourrait être l'épitaphe au fronton de la série : Pluralité, Altérité et Dignité. Ces trois caractéristiques du monde trekkien sont fondées sur plusieurs principes bien connus du droit international et du droit français en particulier : l'égalité entre les individus, entre les sexes ; l'interdiction des discriminations à raison des origines ou de la naissance, du handicap ; le droit à la vie, l'interdiction de la peine de mort, le droit à disposer librement de son corps, le droit à la vie privée, l'interdiction de l'esclavage, ou encore l'interdiction des manipulations génétiques. Oui ! Il y a tout cela dans Star Trek ; et à force d'exemples, l'auteur aborde chacune de ces notions avec le concours de la Doctrine (française le plus souvent) et des philosophes (Aristote, Cicéron, Kant, Tocqueville, Rawls...).

La troisième partie du livre s'intéresse à l'infinie diversité des liens de droit. Là, Fabrice Defferrard montre comment la qualité du lien de droit dépend de la reconnaissance de l'individualité, de la "juste distance" entre les personnes qui incarnent ce lien. Ainsi la série recèle la pluralité des liens communément rencontrés dans nos sociétés : lien statutaire, lien de citoyenneté, lien familial, lien filial, lien amoureux et lien amical ; chacun d'entre eux créant un ensemble d'obligations et de droits à charge ou au bénéfice des protagonistes de l'astronef comme de la station spatiale Deep Space 9. Et, assez logiquement d'ailleurs, cette diversité des liens de droit suppose bien l'altérité : c'est pourquoi sont condamnées toutes fusions, notamment mentales. Il s'agit là d'un élément important de la série fondé sur un choc civilisationnel entre, d'une part, la Fédération des Planètes Unies, regroupant les humanoïdes, reconnaissant la personne comme individu à part entière, et les Borgs, civilisation de la fusion eugénique et génocidaire, niant dès lors tout lien de droit.

La quatrième partie du cosmos juridique ainsi décrit par l'auteur a trait aux frontières d'une justice pénale équitable. Nombre d'épisodes, de toutes générations, reviennent sur la notion de procès équitable, sur le concept d'équité lui-même. Et, c'est le procès lui-même qui règle, bien souvent, les conflits normes, les questionnements juridiques auxquels sont confrontés les héros de la série. Si les principes d'indépendance et d'impartialité sont tout relatif, tout simplement pour des contraintes scénaristiques, les juges devant être eux-mêmes choisis parmi les héros de cet Univers clos, les auteurs de la série ne badinent pas avec celui du contradictoire et avec le droit à la preuve. L'application du principe de la légalité des délits et des peines peut même apparaître surprenante puisqu'elle exclue de sanctionner des extra-terrestres capables de manipuler les souvenirs... délit non prévu, certainement, par la charte ou les directives de la Fédération. La personnalité des peines y est également traitée face à l'arbitraire humanoïde, ainsi que les problématiques de la coaction, dans le cadre de la survivance de l'esprit symbiotique d'un criminel dans le corps d'un autre individu, et de l'iter criminis, dans la société des Maris qui condamne lourdement le simple fait... de penser volontairement à commettre des actes violents ! Fabrice Defferrard montre combien le respect de la présomption d'innocence n'est pas communément partagé par les civilisations rencontrées, ni les droits de la défense (droit au silence, le droit de non auto-incrimination, le droit à un recours...) : c'est l'exemple d'enseignes du Voyager qui sont définitivement condamnés pour des actes de terrorisme sur la planète Akritirian, alors que le capitaine Janeway a confondu les véritables responsables...

L'ouvrage ainsi primé permet, assurément, de faire un tour d'horizon des droits fondamentaux et des libertés qui jalonnent nos organisations nationales et internationales, toutes terrestres soient-elles, même s'ils sont interprétés et appliqués à des années et des années lumières de notre système... juridique.

"Espace, frontière de l'infini, vers laquelle voyage notre vaisseau spatial l'Enterprise. Sa mission de cinq ans : explorer de nouveaux mondes étranges, découvrir de nouvelles vies, d'autres civilisations et au mépris du danger, avancer vers l'inconnu" : soit ! Mais bien armé d'un corpus de "bonnes règles" qui ne s'usent pas à force de s'en servir durant cinquante années de diffusion et de rediffusions.

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Avocats/Institutions représentatives

[Questions à...] Barreau de Paris - Elections au Bâtonnat 2016 : rencontre avec Laurent Martinet et Marie-Alix Canu-Bernard

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par Anne-Laure Blouet Patin, Directrice de la Rédaction

Le 11 Juin 2015

Les élections pour désigner le nouveau Bâtonnier du barreau de Paris se tiendront les 23 et 25 juin 2015. Initialement prévue pour la fin d'année 2014, puis pour la fin de l'année 2015, la date de ces élections a été finalement fixée au 23 et 25 juin 2015 en raison d'une modification du décret de 1991 ramenant à au moins 6 mois la durée du dauphinat (décret n° 2014-1632 du 26 décembre 2014 N° Lexbase : L1524I7L, modifiant le décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, organisant la profession d'avocat N° Lexbase : L8168AID). A ce jour, les candidats à cette élection sont : Laurent Martinet et Marie-Alix Canu-Bernard, Benoît Chabert et Philip Cohen, David Gordon-Krief et Hubert de Flichy, Frédéric Sicard et Dominique Attias, Nicolas Lerègle et Nathalie Attias, Jean-Louis Bessis, Patrice Rembauville-Nicolle, Guy Fitoussi et Isabelle Dor. Lexbase Hebdo - édition professions vous propose, cette semaine, une rencontre avec le tandem Laurent Martinet et Marie-Alix Canu-Bernard. Lexbase : Laurent Martinet, vous êtes vice-Bâtonnier en exercice. Quelle est votre motivation à vous présenter pour cette élection ?

Laurent Martinet : Le choix de me présenter est le fruit de deux éléments : à la fois d'une rencontre et d'une réflexion.

La réflexion est liée au constat selon lequel si l'on veut entreprendre des choses pour cette profession, c'est possible et réalisable. Je l'ai testé et je le vis dans le cadre de mes fonctions. Vous pourriez croire que cette institution est un gros navire parfois difficile à faire évoluer mais en fin de compte pas du tout, il suffit de prendre les choses en main avec beaucoup de détermination. Dans le cadre de notre candidature avec Pierre-Olivier, vous vous souvenez que nous avions tout un ensemble d'obligations de résultat que nous avons toutes remplies. Bien sur, tout n'est pas parfait, mais pour imprimer et donner corps aux réformes, il faut du temps. Or le mandat de deux ans est très court. Je ne connais aucune institution professionnelle qui, en changeant de cap tous les deux ans, parvient à se moderniser. C'est tout simplement impossible.

Ensuite il y a eu une rencontre, avec Marie-Alix. Ce qui nous caractérise l'un et l'autre, c'est une très grande énergie, une forte détermination et une volonté d'agir. Marie-Alix et moi avons, en plus, pour vertu de représenter la profession dans ce qu'elle est, dans sa diversité, dans ses caractéristiques. Aujourd'hui il y a une quasi parité hommes-femmes et des exercices professionnels très différents. Et c'est l'alchimie de tout cela qui m'a fait me dire que c'était le moment d'agir au bénéfice des confrères.

Lexbase : Comment concilie-t-on aujourd'hui les fonctions que vous avez de vice-Bâtonnier, président de l'EFB, vice président du Conseil national des barreaux, avec votre campagne ?

Laurent Martinet : J'ai pris l'engagement, pour qu'il n'y ait aucune équivoque et aucune difficulté, avant même que la Commission en charge des élections ne me demande quoi que ce soit lorsque j'ai annoncé ma candidature au Conseil, d'abord de conserver mes fonctions parce que j'étais débiteur à l'endroit des confrères qui m'ont élu d'un mandat, d'une obligation d'action. Je n'entendais donc pas me départir de mes fonctions en raison des engagements pris à l'endroit de l'école, du CNB et puisque notre candidature s'inscrit également dans le cadre d'une continuité cela n'aurait eu aucun sens de s'inscrire dans une rupture. En revanche, pour éviter toute équivoque sur la question, j'ai annoncé, concomitamment, que je renonçais à tous les attributs, privilèges qui pouvaient être liés à mes fonctions de vice-Bâtonnier, en ce compris l'indemnité de vice-Bâtonnier, afin que l'on ne puisse pas considérer qu'elle servirait à financer ma campagne. De même, pour qu'il n'y ait pas de rupture d'égalité, je n'interviens plus en ma qualité de vice-Bâtonnier à aucune manifestation organisée par le barreau de Paris ou l'Ordre des avocats. En revanche, je conserve toute latitude à l'extérieur pour pouvoir m'exprimer donc je participe à des conférences, comme tout candidat est susceptible de donner des conférences. Tout cela sous le contrôle de la Commission en charge des finances et des élections.

Lexbase : Maître Canu-Bernard, quelle volonté vous a porté à candidater au Bâtonnat ?

Marie-Alix Canu-Bernard : L'idée m'est venue assez naturellement en fait, après avoir exercé mon mandat pendant trois ans au conseil de l'Ordre. J'ai réalisé qu'il y avait plein de chantiers à mener et que le champ de latitude était énorme. Initialement, je ne mesurais tout simplement pas à quoi servait l'Ordre. Je suis pénaliste et très franchement je ne connaissais pas du tout les instances ordinales. L'expérience du conseil de l'Ordre m'a donné envie de continuer à faire des choses pour les avocats. Et lorsque Laurent m'a proposé de l'accompagner dans cette aventure, il ne m'a fallu que quelques heures pour lui répondre "oui", tellement cela m'a paru absolument évident. Travailler avec un homme de parole qui place l'intérêt de la profession avant ses intérêts personnels, c'est rare. C'est d'ailleurs pour ses qualités et son bilan qu'il n'est jamais critiqué sur le fond !

Lexbase : Quels sont vos projets ? Qu'allez-vous faire pour le barreau de Paris ?

Laurent Martinet : Nous allons d'abord consolider l'existant, notamment sur la formation mise en place, avec toutes les conventions signées à l'étranger ; puis, sur la politique en matière de parité et d'égalité, que nous avons initiée sans fondement textuel puisque rien de tout cela n'existait. Ensuite nous allons nous servir également d'une chose très importante, -l'actuel Bâtonnat ayant mis en place une politique financière d'une orthodoxie incroyable qui fait qu'aujourd'hui l'Ordre est bénéficiaire-, pour nous permettre de mener une politique, sans obérer nos finances, très prospective et très audacieuse pour accompagner les confrères. Plus clairement, nous allons reconduire les mesures d'exonération. Nous allons aussi accompagner les confrères dans leur développement personnel avec le barreau entrepreneurial. Nous allons donc avoir une politique de présence et d'accompagnement des confrères qui sera extrêmement forte. Nous aurons également, car nous y sommes très attachés Marie-Alix et moi, une politique sociale forte à l'endroit du barreau. Je pense que le temps est venu de "l'avocat dans la cité", l'avocat des citoyens pour lutter contre l'exclusion, contre l'inégalité, contre la discrimination. Nous adhérerons à la "Charte de la diversité" que beaucoup d'entreprises ont signé. C'est dans notre projet.

Marie-Alix Canu-Bernard : Mon mode d'exercice, qui est un exercice très artisanal puisque j'exerce avec deux collaboratrices, fait que je suis très attachée aux petits cabinets et aux confrères qui travaillent seuls. Et ils sont très nombreux aujourd'hui mais souvent très seuls et je me rends compte que tout ceux que je croise sont isolés et donc faibles. Il n'est pas possible de faire une défense forte si l'avocat n'est pas fort. Et l'avocat ne peut être fort que s'il ressent son Ordre vraiment derrière lui : "un avocat fort, un Ordre protecteur". Je le vois dans la matière pénale : l'avocat est toujours suspect de tout, perquisitionné, écouté, cité en correctionnelle, et je parle de tous les avocats. Nous devons garder notre fierté d'être avocat, notre envie de défendre mais pour cela il ne faut pas que l'on soit seuls. Nous ne pourrons être forts qu'en étant unis les uns avec les autres et avec un Ordre derrière nous.

Laurent Martinet : Ce qu'on entend offrir à la profession, c'est un Ordre fort qui soit un véritable interlocuteur dans les défis de demain, notamment sur le périmètre du droit et les attaques que l'on subit en ce moment. Avant des voix dissonantes s'exprimaient et aujourd'hui c'est terminé. Il y a aussi une convergence de moyens. Le CNB vient d'être élu pour trois ans, et nous, nous serions élus pour un mandat de deux ans : il y a donc une identité parfaite en termes de temps, de mandat et d'action.

Nous allons mettre toute notre énergie sur le barreau entrepreneurial, sur tous ces débats très prospectifs, sur l'accompagnement des jeunes car il faut leur trouver des perspectives. C'est vraiment notre énergie, notre volonté et notre détermination que nous mettons au service de nos confrères avec un acquis que l'on peut nous reconnaître : toutes les idées que nous avons eues, nous les avons réalisées. Nous sommes les premiers à avoir remis en place le chantier de la formation, de la parité, etc..

Nous travaillons avec tout un ensemble de jeunes à qui nous avons demandé d'être extrêmement créatifs, en termes de visions prospectives sur ce que nous pouvons offrir à la profession aujourd'hui. C'est d'ailleurs pour ces raisons que nous sommes les seuls à proposer de réserver 4 places paritaires au conseil de l'Ordre pour les moins de 35 ans. Il faut des actes forts.

Et puis, nous allons porter un chantier qui est une vraie réalité : le déménagement du Palais aux Batignolles d'ici 2017. Nous nous devons, vis-à-vis des confrères, d'être présents, même si un tiers d'entre eux seulement côtoie le Palais.

Marie-Alix Canu-Bernard : Lors de notre premier "apéro de campagne" qui était tourné sur le pénal, nous avons élaboré un programme avec des propositions extrêmement complètes sur la matière pénale et le bureau pénal, qui repose aussi sur du lobbying, avec, notamment un mouvement à mettre en oeuvre vis-à-vis des pouvoirs publics sur l'accès au dossier, les perquisitions, la transposition des Directives européennes. Nous avons donc un programme pénal transversal qui est très précis et qui est en ligne sur notre site.

Laurent Martinet : Notre slogan est : "vous allez entendre parler de vous". Et même si nous l'avons déjà initié, il faut montrer que l'Ordre est vraiment au service des confrères. Nous avons essayé d'ouvrir l'Ordre le plus possible, nous avons mis en place une commission de transparence, une commission de contrôle des coûts, des conseils de l'Ordre ouverts, télévisés... Ce travail d'ouverture d'un Ordre au service exclusif des confrères doit donc être prolongé.

Lexbase : Quelles actions envisagez-vous concernant l'avocat en entreprise et la confidentialité ?

Laurent Martinet : Nous n'allons pas remettre ce chantier sur la table, clairement pas ! Si ce chantier doit revenir, il ne le peut que via la Chancellerie qui est notre autorité de tutelle. Si elle estime nécessaire de porter ce chantier, alors qu'elle le porte, qu'elle nous propose un texte. Dans ce cas, l'ensemble de la profession (CNB, barreau de paris et Conférence des Bâtonniers) y apportera réponse. Par ailleurs, nous avons convenu avec le CNB et la Conférence des Bâtonniers qu'il n'est pas absolument pas question de créer une nouvelle profession avec un legal privilege. Et il n'est pas non plus question de mettre en place un démembrement des fondamentaux de notre profession, notamment sur le secret et la confidentialité. Tout cela c'est vraiment l'ADN de notre profession et nous ne transigerons pas là-dessus.

Lexbase : Vous avez connu, durant vos fonctions de vice-Bâtonnier, les affres de la gouvernance entre le CNB et le barreau de Paris. En vos qualités de candidats, quel regard portez-vous sur la gouvernance de la profession ?

Marie-Alix Canu-Bernard : Concernant cette gouvernance je soutiens l'idée forte et intelligente de Jean Castelain de la création d'un Ordre national des avocats. Maintenant, la profession est-elle mûre pour cela ? Sans doute pas encore... Cet Ordre national ne pourra se faire que dans le cadre d'un consensus total avec le CNB et seulement une fois la confiance durablement renouée. Cette solution me semble aujourd'hui être la seule bonne solution, mais elle doit maintenant entrer dans les esprits et dans les moeurs. Elle doit devenir inéluctable et ne doit être en aucun cas un coup de force : elle doit s'imposer petit à petit, chacun devant se rendre compte que, finalement, c'est la seule issue possible...

Laurent Martinet : Sur la gouvernance, l'on peut dire que nous revenons de très loin... Aujourd'hui nous avons une stabilité qui existe entre les trois représentants des entités, une stabilité également entre les membres du bureau et je pense qu'il faut aussi que cette stabilité existe au sein de l'assemblée générale. Et pour cela il faut du temps. Donc oui, effectivement, un jour il faudra que l'on s'interroge sur la gouvernance de la profession, la gouvernance de notre Ordre, mais cela demande encore un peu de temps... Et comme le dit Marie-Alix, cela ne devra pas se faire en force car cela serait le meilleur moyen pour que l'on connaisse à nouveau d'une situation déjà vécue. Aujourd'hui, tous les éléments sont là pour s'interroger sur cette gouvernance mais laissons un peu de temps pour consolider ces travaux en assemblée générale, et après on pourra réfléchir. Pour l'instant c'est prématuré. Et puis nous avons des chantiers à mener sur l'expert-comptable, la parité, l'interprofessionnalité. Arrivons sur ces points à agréger une position unique et puis, le moment venu, nous reverrons ce chantier de gouvernance, mais sans animosité.

Lexbase : Quels sont vos projets pour les jeunes avocats ?

Marie-Alix Canu-Bernard : Nous essayons de voir comment les aider avec des propositions, là encore, extrêmement concrètes. Par exemple, pour les collaborateurs qui ne peuvent pas développer leur clientèle personnelle, nous avons réfléchi à deux choses. Nous nous sommes rendus compte que les jeunes s'installant tout de suite étaient isolés et seuls donc en risque. Ce d'autant que lorsqu'ils ont une question sur du judiciaire, du contentieux, du conseil, ils demandent à leurs amis, ce qui n'est pas forcément le plus adapté. Nous souhaitons donc mettre en place un lien avec les plus âgés, un groupe de tuteurs volontaires. Attention il faudra que ce soit une démarche volontaire de part et d'autre et en aucun cas cela ne saurait être une contrainte. L'idée serait de réintroduire, en quelque sorte, le patron bénévole car ceux qui ont l'expérience aiment transmettre. Dans le même ordre d'esprit, il faut remettre en place une facilité de la domiciliation qui est actuellement trop compliquée. Voici également une proposition précise pour aider jeunes et petites structures noyés dans les contingences matérielles, la création d'une plateforme, centralisant les offres de locaux par l'Ordre et tous les services de prestataires professionnels ainsi que la possibilité pour certains cabinets d'avoir accès à un vivier de jeunes confrères spécialisés pour des temps très brefs. C'est là que l'Ordre a un vrai rôle d'accompagnement à jouer et ce n'est pas une vague idée de principe.

Laurent Martinet : Dans le cadre de l'Université d'hiver du barreau de Paris, il y a eu un sondage mené par l'IFOP dont la conclusion est que les gens sont extrêmement fiers, en ce compris les jeunes, d'être avocats. C'est une profession qui attire énormément et ils sont très fiers d'être avocats. Nous avons donc cet actif, ce ciment qui est très positif pour la profession. Après il y a la réalité : nombres d'entre eux qui raccrochent la robe ; la moitié qui, au bout de cinq ans, rejoint l'entreprise. Ces réalités montrent clairement que l'Ordre, ou la profession, ne répond pas à leurs attentes, soit en termes de perspectives, de développement, ou de rémunération etc.. Et cela nous met face à tout un ensemble de chantiers où nous devons, de façon impérieuse, répondre aux attentes des jeunes. C'est pour cela que nous avons sollicité des jeunes pour être très prospectifs sur leurs attentes, sur comment les accompagner dans le cadre de la collaboration, en matière de rémunération, etc..

Nous envisageons aussi l'instauration d'un label, pour les cabinets qui mènent une politique de parité, d'égalité, de rémunération.

Nous aurons une politique extrêmement active à l'endroit des jeunes.

Il y aura dans cette campagne des idées très novatrices pour accompagner les jeunes, pour qu'ils se sentent fiers et trouvent des perspectives dans cette profession, pour que l'Ordre les accompagne dans des évolutions, vers des marchés nouveaux.

C'est le devoir impérieux de l'Ordre et ce sont les finances "prospères" qui vont être mises à profit pour justement offrir ces perspectives et accompagner les plus jeunes, pour qu'ils restent au sein de la profession, même si c'est bien aussi d'être dans l'entreprise. Nous ne voulons pas que les jeunes avocats se disent que l'entreprise est la solution et que c'est ce qui leur permettrait d'éviter cette disparité de rémunération, de pouvoir prendre leur congé paternité. Ce que nous voulons dire aux jeunes c'est que, s'il y a des points ou des aspects sur lesquels ils estiment fondamental d'être accompagnés, l'Ordre sera là et nous avons déjà montré notre capacité créative pour agréger plein de données nouvelles. Voyez l'exemple du congé de paternité : la profession l'a refusé, le barreau de Paris l'a voté.

Ce sont toutes ces idées que nous devons porter et que nous porterons pour que les jeunes soient, non seulement, fiers de la profession dans laquelle ils rentrent, ce qui est déjà le cas, mais encore qu'ils y restent et y trouvent des perspectives d'évolution.

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Contrat de travail

[Jurisprudence] Transfert conventionnel : pas de solidarité des dettes entre les entreprises successives

Réf. : Cass. soc., 27 mai 2015, n° 14-11.155, FS-P+B+R (N° Lexbase : A8154NIT)

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par Sébastien Tournaux, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux

Le 11 Juin 2015

Le maintien des contrats de travail en cas de changement dans la situation juridique de l'employeur est un dispositif tout à fait exceptionnel en ce qu'il porte atteinte, à plusieurs égards, au droit commun des contrats. Compte tenu de ce caractère exceptionnel, la Chambre sociale de la Cour de cassation a toujours cherché à interpréter strictement les règles légales, ce qui se traduit notamment par le refus de les transposer aux cas où le transfert du contrat de travail survient par application d'un accord collectif de travail, en particulier en cas de perte de marché. C'est cette conception étroite qui est réaffirmée par un arrêt rendu le 27 mai 2015, rendu à propos d'une indemnité de requalification, dont la charge ne peut peser sur l'entreprise entrante faute que l'accord collectif prévoyant le transfert ne l'envisage (I). Cohérente avec sa propre jurisprudence, la Chambre sociale n'ignore pas, pour autant, les ouvertures permises par le droit de l'Union européenne en la matière et accepte donc que les effets du transfert soient amplifiés par voie conventionnelle, une telle issue semblant pourtant assez hypothétique (II).
Résumé

Le nouveau prestataire n'est pas tenu des obligations qui incombaient à l'ancien au moment du transfert du contrat de travail lorsque la poursuite du contrat de travail résulte de la seule application de dispositions conventionnelles qui ne le prévoient pas.

Commentaire

I - Perte de marché, transfert conventionnel et indemnité de requalification

Distinction entre transfert légal et transfert conventionnel. De manière constante depuis 1985, la Cour de cassation juge que la seule perte d'un marché ne caractérise pas le transfert d'une entité économique autonome et ne peut, par conséquent, donner lieu au maintien des contrats de travail auprès du nouveau prestataire (1). Cette règle, régulièrement réaffirmée (2), peut toutefois être contredite par accord collectif de travail dans le cadre de ce que l'on nomme généralement les hypothèses de transfert conventionnel ou d'application volontaire de l'article L. 1224-1 du Code du travail (N° Lexbase : L0840H9Y) (3).

Le régime applicable au transfert conventionnel d'entreprise diffère sensiblement de celui appliqué au transfert légal. Si, en effet, l'article L. 1224-1 du Code du travail emporte le maintien automatique et obligatoire du contrat de travail auprès de l'entreprise entrante (4), le transfert résultant de l'application d'une convention collective de travail ne s'opère pas de plein droit et ne s'impose donc pas au salarié (5). Il s'agit, selon les termes employés par la Chambre sociale de la Cour de cassation, d'une novation du contrat de travail qui exige, par conséquent, l'accord exprès du salarié (6).

Les conséquences du transfert conventionnel. Outre la faculté laissée au salarié de refuser le transfert, ce sont encore les conséquences du transfert des contrats de travail qui sont aménagées.

En cas de transfert légal, l'article L. 1224-2 du Code du travail (N° Lexbase : L0842H93) dispose que, "le nouvel employeur est tenu, à l'égard des salariés dont les contrats de travail subsistent, aux obligations qui incombaient à l'ancien employeur à la date de la modification". Le nouvel employeur sera, ainsi, tenu des dettes de salaire dont l'entreprise sortante était débitrice (7), de l'indemnité de congés payés correspondante aux périodes travaillées pour le compte de l'entreprise sortante (8) et même d'une indemnité de requalification due en raison de contrats de travail irréguliers conclus par celle-ci (9). Sont, en revanche, exclues les créances nées de la rupture du contrat de travail antérieure au transfert.

L'article L. 1224-2 du Code du travail ajoute, toutefois, que ce transfert des obligations incombant à l'ancien employeur est exclu en cas de "substitution d'employeurs intervenue sans qu'il y ait eu de convention entre ceux-ci". Cette exclusion, qui couvre probablement un domaine plus vaste (10), concerne surtout la perte de marché à l'occasion de laquelle il n'est pas possible d'identifier de lien contractuel entre l'entreprise sortante et le prestataire entrant (11). Des arrêts anciens et relativement rares jugeaient seulement que l'indemnité de congés payés était mise à la charge du nouveau prestataire alors qu'une partie de cette charge aurait dû peser sur l'entreprise sortante (12).

La rareté du contentieux relatif aux effets du transfert conventionnel et la nouveauté de la solution rendue à propos du sort de l'indemnité de requalification dans cette situation, justifiaient qu'une attention particulière soit portée à la décision présentée.

L'espèce. Une salariée avait été recrutée par contrat de travail à durée déterminée puis par contrat à durée indéterminée dans une entreprise de nettoyage. La société employeur perdait, quelques temps plus tard, le marché auquel la salariée était affectée. Conformément à l'article 7 de l'annexe de la Convention collective nationale des entreprises de propreté et de services associés (N° Lexbase : X0704AES), le contrat de travail de la salariée a été transféré à l'entreprise ayant repris le marché. Près de quatre années plus tard, la salariée a été licenciée pour inaptitude. Elle a saisi le juge prud'homal d'une demande de requalification des contrats de travail à durée déterminée en contrat à durée indéterminée.

La cour d'appel de Montpellier a accepté la requalification. Conformément à la jurisprudence traditionnelle de la Chambre sociale en cas de transfert légal, les juges d'appel ont considéré que "l'obligation au paiement d'une indemnité de requalification d'un contrat à durée déterminée naît dès la conclusion de ce contrat en méconnaissance des exigences légales" (13). Ils ont ajouté qu' "en application des dispositions conventionnelles sur les conditions de garantie de l'emploi et continuité du contrat de travail du personnel en cas de changement de prestataire", le nouvel employeur était tenu à l'égard des salariés dont le contrat lui avait été transféré des "obligations qui incombaient à l'ancien employeur". L'entreprise entrante a été condamnée à verser l'indemnité de requalification à la salariée.

Par un arrêt rendu le 27 mai 2015, la Chambre sociale de la Cour de cassation casse cette décision au visa des articles 7 à 7.7 de la Convention collective nationale des entreprises de propreté et de services associés du 26 juillet 2011, ensemble les articles L. 1224-1 (N° Lexbase : L0840H9Y) et L. 1224-2 (N° Lexbase : L0842H93) du Code du travail. En statuant de la sorte, alors que "la poursuite du contrat de travail résultait de la seule application des dispositions conventionnelles susvisées, lesquelles ne prévoient pas que le nouveau prestataire est tenu des obligations qui incombaient à l'ancien au moment du transfert du contrat de travail", la cour d'appel a violé les dispositions conventionnelles et fait une fausse application des dispositions légales.

II - Perte de marché et aménagements conventionnels des effets du transfert

L'inapplication de l'article L. 1224-2 aux transferts conventionnels. Même s'il s'agit du premier enseignement à retirer de cette décision, c'est sans grande surprise que l'on peut relever que la Chambre sociale maintient les hypothèses de perte de marché et de transfert conventionnel en dehors du cadre d'application de l'article L. 1224-2 du Code du travail. La solution se comprend parfaitement au regard de deux principes importants du droit commun des contrats, celui de l'effet relatif des conventions, d'une part, celui de l'impossibilité de présumer l'existence d'une solidarité des dettes, d'autre part.

D'abord, la règle qui impose au cessionnaire d'une entreprise le maintien des contrats de travail constitue un cas de cession légale de contrat qui, en tant que tel, porte atteinte au principe de l'effet relatif et doit donc, comme toute exception, être interprétée strictement. Le régime légal de cette cession du contrat de travail doit être strictement réservé aux cas prévus par le législateur, ce qui explique tout aussi bien l'absence d'automaticité du transfert en cas d'application volontaire ou conventionnelle que le refoulement du régime juridique accompagnant la cession légale.

Ensuite, la règle posée par l'article L. 1224-2 du Code du travail est généralement entendue comme créant une solidarité entre le sortant et l'entrant. Or, la solidarité ne se présume point, elle ne peut exister qu'à la condition que la loi l'impose ou que les deux débiteurs émettent la volonté d'être solidairement tenus (14). Le transfert conventionnel du contrat de travail ne permet pas de caractériser l'existence d'une solidarité passive entre les entreprises successives.

L'aménagement conventionnel des obligations mise à la charge du repreneur. Conformément à l'idée selon laquelle la solidarité peut être prévue par la loi ou par convention, la Chambre sociale laisse, toutefois, une porte entr'ouverte. En jugeant que les dispositions conventionnelles ne prévoyaient pas "que le nouveau prestataire est tenu des obligations qui incombaient à l'ancien au moment du transfert du contrat", la Chambre sociale semble, en effet, accepter que de telles dispositions conventionnelles puissent exister et produire effet.

Les conventions collectives de travail organisant le maintien des contrats de travail en cas de perte de marché pourraient donc parfaitement comporter des stipulations mettant à la charge du nouvel employeur un certain nombre de dettes pourtant nées, alors que le salarié était au service de l'entreprise sortante. Cette interprétation est, par ailleurs, conforme aux dispositions de la Directive 2001/23du Conseil du 12 mars 2001 (N° Lexbase : L8084AUX) dont l'article 8 dispose que le texte communautaire "ne porte pas atteinte au droit des Etats membres d'appliquer ou d'introduire des dispositions législatives, réglementaires et administratives plus favorables aux travailleurs ou de favoriser ou de permettre des conventions collectives ou des accords conclus entre partenaires sociaux plus favorables aux travailleurs" (15). Le texte européen prime, ici, clairement sur les dispositions légales du Code civil qui devrait conduire à exclure toute solidarité, celle-ci n'étant pas prévue par la loi ou les débiteurs solidaires eux-mêmes.

La formule prétorienne, relativement ouverte, pourrait théoriquement permettre l'instauration d'une solidarité globale ou la ventilation des obligations, certaines étant affectées d'une solidarité quand d'autres resteraient à la charge exclusive du sortant. Concrètement, toutefois, la tâche des partenaires sociaux pourrait être bien délicate dans ce dernier cas, puisqu'il serait nécessaire de détailler quelles obligations seraient affectées par la solidarité.

A cela s'ajoute que les conventions actuellement en vigueur ne semblent pas être favorables à créer de telles solidarités, le poids du transfert des contrats étant déjà vécu comme une contrainte importante pour l'entreprise entrante. Pour reprendre l'exemple des entreprises de propreté, la Convention collective nationale ne met à la charge du nouvel employeur que l'octroi de congés annuels déjà indemnisés par l'entreprise sortante (16). La question est envisagée de manière similaire par la Convention collective des entreprises de prévention et de sécurité du 15 février 1985 (17). Cette position, plus restrictive que celle qu'adoptait la Chambre sociale à la fin des années 1970, devrait donc l'emporter sur la jurisprudence ancienne (18).

La primauté donnée au droit de l'Union ne semble donc pas devoir emporter de conséquences immédiates importantes mais pourrait éventuellement avoir une influence sur de futures négociations.


(1) Ass. plén., 15 novembre 1985, n° 82-40301, publié (N° Lexbase : A1163AAC) ; Dr. soc., 1986, p. 1, concl., G. Picca.
(2) Cass. soc., 20 décembre 2006, n° 04-19.829, FS-P+B (N° Lexbase : A0829DTU).
(3) Les secteurs d'activité les plus souvent concernés sont ceux des entreprises de propreté, des entreprises de sécurité et de surveillance ou des entreprises de restauration collective.
(4) L'article L. 1224-1 du Code du travail (N° Lexbase : L0840H9Y) est d'ordre public absolu, les conventions collectives ou des conventions particulières entre les parties ne peuvent y déroger pour écarter le transfert du contrat de travail : v. Cass. soc., 13 juin 1990, n° 86-45.216, publié (N° Lexbase : A4230ACN). Toute clause contraire est réputée non écrite : v. Cass. mixte, 7 juillet 2006, n° 07-14.788, P+B+R+I (N° Lexbase : A4285DQR).
(5) Cass. soc., 2 décembre 2009, n° 08-43.722, FS-P+B (N° Lexbase : A3521EP4).
(6) Cass. soc., 3 mars 2010, deux arrêts, n° 08-41.600, FS-P+B+R (N° Lexbase : A6512ESY) et n° 08-40.895, FS-P+B+R (N° Lexbase : A6509ESU) et nos obs., Le rôle de l'inspection du travail redéfini en matière de transfert conventionnel du contrat de travail, Lexbase Hebdo n° 387 du 18 mars 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N5911BNA) ; Dr. soc., 2010, p. 606, note Y. Struillou.
(7) Par ex., une dette de salaire relative à une prime : Cass. soc., 8 novembre 1988, n° 85-43.067 (N° Lexbase : A3685AAQ) ; Cass. soc., 14 mai 1997, n° 94-45.109 (N° Lexbase : A1667ACQ).
(8) Cass. soc., 6 février 1996, n° 92-45.013 (N° Lexbase : A6488AYX).
(9) Cass. soc., 7 novembre 2006, n° 05-41.723, FS-P+B (N° Lexbase : A5400DSS) ; Dr. soc., 2007, p. 246, obs. A. Mazeaud ; Cass. soc., 16 mars 2011, n° 09-69.945, FS-P+B (N° Lexbase : A1597HDI).
(10) Le lien conventionnel qui permet l'exclusion est toutefois entendu de manière large, puisqu'il est admis qu'un lien indirect, par le jeu d'une chaîne de contrat, suffise à le caractériser, comme cela est, par exemple, le cas en matière de succession de contrats de location-gérance, les deux locataires n'étant pas liés l'un à l'autre : v. Cass. soc., 24 septembre 2002, n° 00-44.939, FS-P (N° Lexbase : A4856AZU).
(11) Cass. soc., 18 novembre 1992, n° 89-42.281 (N° Lexbase : A4979ABZ).
(12) Cass. soc., 8 novembre 1978, n° 77-40.896, publié (N° Lexbase : A6707CGI).
(13) Cass. soc., 7 novembre 2006, n° 05-41.723, FS-P+B, préc..
(14) C. civ., art. 1202 (N° Lexbase : L1304ABW).
(15) Nous soulignons.
(16) Convention collective nationale des entreprises de propreté et de services associés, art. 2, II-C (N° Lexbase : X0704AES) : "l'entreprise entrante devra accorder aux salariés qui en font la demande la période d'absence correspondant au nombre de jours de congés acquis déjà indemnisés par l'entreprise sortante, conformément aux dispositions prévues à l'article 3-III".
(17) Convention collective des entreprises de prévention et de sécurité du 15 février 1985 (N° Lexbase : X0720AEE), art. 3-2 de l'annexe relative à la reprise du personnel : "la possibilité est donnée au personnel repris de prendre des congés sans solde, à concurrence du nombre de jours de congés qui lui ont été versés par l'entreprise sortante lorsque aucun accord de transfert des congés n'est intervenu dans les conditions prévues à l'article 3.1.".
(18) Cass. soc., 8 novembre 1978, n° 77-40.896, publié, préc..

Décision

Cass. soc., 27 mai 2015, n° 14-11.155, FS-P+B+R (N° Lexbase : A8154NIT).

Cassation (CA Montpellier, 27 novembre 2013).

Textes visés : Convention collective nationale des entreprises de propreté et de services associés, art. 7 à 7.7 (N° Lexbase : X0704AES) ; C. trav., art. L. 1224-1 (N° Lexbase : L0840H9Y) et L. 1224-2 (N° Lexbase : L0842H93).

Mots-clés : transfert conventionnel ; perte de marché ; obligation à la charge de l'entreprise entrante ; indemnité de requalification.

Lien base : (N° Lexbase : E8882ESR).

newsid:447842

Discrimination et harcèlement

[Brèves] Transmission d'une QPC relative à l'article L. 3141-9 du Code du travail relatif à l'attribution de jours de congés supplémentaires aux femmes ayant des enfants à charge

Réf. : CA Orléans, 4 juin 2015, n° 15/01015 (N° Lexbase : A0212NK3)

Lecture: 1 min

N7862BUQ

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Le 12 Juin 2015

Est transmise à la Cour de cassation une QPC relative à l'article L. 3141-9 du Code du travail (N° Lexbase : L0560H9M) pour savoir si les dispositions de cet article portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution (N° Lexbase : L7403HHN), par les dispositions de l'article 157 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (N° Lexbase : L2459IPR), et par la Directive 76/207/CEE relative à l'égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de travail (N° Lexbase : L9232AUH). Telle est la solution dégagée par la cour d'appel dans un arrêt rendu le 4 juin 2015 (CA Orléans, 4 juin 2015, n° 15/01015 N° Lexbase : A0212NK3).
Dans cette affaire, M. X a demandé à son employeur le bénéficie de congés payés supplémentaires accordés aux femmes salariées ayant des enfants à charge sur le fondement de l'article L. 3141-9 du Code du travail. Ce dernier ayant refusé de lui accorder ces jours, le salarié a donc saisi le conseil des prud'hommes. Débouté de ses demandes par le conseil, il a donc fait appel de la décision.
Pour transmettre la question à la Cour de cassation, la cour d'appel décide qu'elle présente un caractère sérieux car l'article L. 3141-9 du Code du travail apparaît en contradiction avec les principes d'égalité et de non discrimination qui ont valeur constitutionnelle et avec les dispositions de l'article 157 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ainsi qu'avec la Directive 76/207/CEE relative à l'égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de travail. De plus, la combinaison de cet article avec les dispositions de la loi n° 2013-404, ouvrant le mariage aux couples de personnes du mêmes sexe (N° Lexbase : L7926IWH), est de nature à créer, dans l'application de l'article L. 3141-9 du Code du travail, des situations distinctes également contraires aux principes d'égalité et de non-discrimination (cf. l’Ouvrage "Droit du travail" N° Lexbase : E5347EXC).

newsid:447862

Droit des étrangers

[Brèves] Contrôle du juge de l'excès de pouvoir sur le degré de la menace pour l'ordre public d'une personne faisant l'objet d'une mesure d'expulsion

Réf. : CE 2° et 7° s-s-r., 5 juin 2015, n° 378130, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A2004NKG)

Lecture: 1 min

N7845BU4

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Le 12 Juin 2015

Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, lorsqu'il est saisi d'un moyen en ce sens à l'appui d'un recours dirigé contre le refus d'abroger une mesure d'expulsion, de rechercher si les faits sur lesquels l'autorité administrative s'est fondée pour estimer que la présence en France de l'intéressé constituait toujours, à la date à laquelle elle s'est prononcée, une menace pour l'ordre public de nature à justifier légalement que la mesure d'expulsion ne soit pas abrogée. Ainsi statue le Conseil d'Etat dans un arrêt rendu le 5 juin 2015 (CE 2° et 7° s-s-r., 5 juin 2015, n° 378130, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A2004NKG). La cour administrative d'appel de Paris, pour rejeter les conclusions de M. X tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de la décision du 16 décembre 2009 refusant l'abrogation de l'arrêté d'expulsion pris à son endroit le 26 juillet 2001, ainsi que les refus d'abrogation réputés être intervenus périodiquement en vertu de l'article L. 524-2 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (N° Lexbase : L5798G4I), s'est bornée à rechercher si l'appréciation par laquelle le ministre de l'Intérieur avait estimé que l'évolution de la menace à l'ordre public que constituait la présence en France de l'intéressé ne justifiait pas l'abrogation de la mesure prise à son encontre n'était pas entachée d'erreur manifeste (CAA Paris, 2ème ch., 18 février 2014, n° 13PA01897 N° Lexbase : A4943MPR). En statuant ainsi, la cour a donc commis une erreur de droit (cf. l’Ouvrage "Droit des étrangers" N° Lexbase : E3880EYD).

newsid:447845

Entreprises en difficulté

[Brèves] Action en réparation des préjudices des salariés licenciés du fait de crédits ruineux octroyés par une banque : pas de monopole du commissaire à l'exécution du plan

Réf. : Cass. com., 2 juin 2015, n° 13-24.714, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A8367NIQ)

Lecture: 2 min

N7745BUE

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Le 11 Juin 2015

L'action en réparation des préjudices invoqués par les salariés licenciés (perte pour l'avenir des rémunérations et atteinte à leurs chances de retrouver un emploi) du fait de crédits ruineux octroyés par une banque, étrangère à la protection et à la reconstitution du gage commun des créanciers, ne relève pas du monopole du commissaire à l'exécution du plan. Tel est le principe énoncé par la Chambre commerciale de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 2 juin 2015 bénéficiant de la plus large publicité (Cass. com., 2 juin 2015, n° 13-24.714, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A8367NIQ). En l'espèce, pour favoriser la restructuration d'un groupe, une banque a mis en place un montage financier. Après le redressement judiciaire de la filiale française du groupe, un plan de cession partielle a été arrêté, prévoyant le licenciement de 600 salariés. Les commissaires à l'exécution du plan ont assigné la banque en responsabilité pour octroi de crédits ruineux et 109 des salariés licenciés sont intervenus volontairement à l'instance en réparation de leurs préjudices consécutifs à la perte de leur emploi, soit la perte pour l'avenir des rémunérations qu'ils auraient pu percevoir et l'atteinte à leur droit de voir leurs chances de retrouver un emploi optimisées, faute d'avoir pu bénéficier de formations qualifiantes. La cour d'appel de Paris (CA Paris, Pôle 5, 6ème ch., 18 juillet 2013, n° 11/09868 N° Lexbase : A9635KIP) déclare irrecevable l'intervention volontaire des salariés au motif que les préjudices allégués sont inhérents à la procédure collective, dont ils sont la conséquence directe, et qu'ils sont subis indistinctement et collectivement par tous les créanciers. Mais énonçant le principe précité, la Cour régulatrice censure l'arrêt d'appel au visa des articles L. 621-39 du Code de commerce (N° Lexbase : L6891AI3), dans sa rédaction antérieure à la loi de sauvegarde des entreprises (N° Lexbase : L5150HGT), et 1382 du Code civil (N° Lexbase : L1488ABQ). Cette solution jurisprudentielle semble devoir être reconduite sous l'empire des dispositions actuelles dès lors que le principe de représentation monopolistique des créanciers est repris et que les exceptions à ce principe, dont celle ici dégagée, trouvent à s'appliquer identiquement, mais doit être circonscrite aux conditions de mise en jeu de la responsabilité du fait des concours consentis désormais posées par l'article L. 650-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L3503ICQ). Par ailleurs, la Cour casse l'arrêt d'appel au visa de l'article 31 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1169H43) en ce que, pour déclarer irrecevable l'intervention volontaire des salariés, il a retenu que leur préjudice a déjà été réparé par l'allocation d'indemnités de rupture, par un autre arrêt, devenu irrévocable, de la cour d'appel de Paris, alors que l'intérêt à agir n'est pas subordonné à la démonstration préalable du bien fondé de l'action (cf. l’Ouvrage "Entreprises en difficulté" N° Lexbase : E5035EUZ).

newsid:447745

Fiscalité des entreprises

[Jurisprudence] Renvoi d'une QPC concernant les modalités d'exercice de l'option permettant l'exonération d'IS des SIIC - Conclusions du Rapporteur public

Réf. : CE 3° et 8° s-s-r., 29 avril 2015, n° 388069, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A3388NHX)

Lecture: 13 min

N7793BU8

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par Vincent Daumas, Maître des Requêtes au Conseil d'Etat et Rapporteur public à la 3ème sous-section

Le 11 Juin 2015

Le Conseil d'Etat, dans un arrêt rendu le 29 avril 2015, a décidé de renvoyer devant le Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité concernant les dispositions de l'article 208 C ter du CGI (N° Lexbase : L3714ICK), aux termes desquelles certains biens et droits sont éligibles, postérieurement à l'exercice de l'option prévue dans cas, à l'exonération d'IS applicable aux SIIC (CE 3° et 8° s-s-r., 29 avril 2015, n° 388069, inédit au recueil Lebon). Lexbase Hebdo - édition fiscale vous propose de retrouver les conclusions anonymisées du Rapporteur public sur cet arrêt, Vincent Daumas, Maître des Requêtes au Conseil d'Etat. 1. La présente question prioritaire de constitutionnalité conduira à se pencher, pour la première fois, sur le régime fiscal particulier applicable aux résultats des sociétés d'investissements immobiliers cotées (SIIC)

Ce régime a été introduit dans le CGI, principalement au II de son article 208 C (N° Lexbase : L4715I7R), par la loi de finances pour 2003 (1). Il permet à des sociétés remplissant certaines conditions de bénéficier d'une exonération d'impôt sur les sociétés pour la fraction de leurs bénéfices provenant de leur activité immobilière, à raison notamment des loyers qu'elles perçoivent et des plus-values immobilières qu'elles réalisent. L'option d'une société pour ce régime SIIC emporte cessation d'entreprise en application du deuxième alinéa du 2 de l'article 221 du CGI (N° Lexbase : L9906IWS). Ainsi cette option déclenche, en contrepartie de la sortie des actifs immobiliers de la société du régime d'imposition de droit commun et de leur entrée concomitante dans un régime d'exonération, l'imposition immédiate des plus-values latentes attachées à ces éléments d'actif. C'est la raison pour laquelle cette imposition est aussi couramment appelée "exit tax".

L'imposition des plus-values latentes découlant de l'exercice de l'option s'effectue au taux réduit prévu au IV de l'article 219 du CGI (N° Lexbase : L9744I3B) et selon des modalités précisées au 2 de l'article 1663 du même code (N° Lexbase : L0676IHI). Aux termes de ces dernières dispositions, l'impôt sur les sociétés dû n'est pas exigible immédiatement pour sa totalité : par exception, il est exigible le 15 décembre de l'année d'option pour le quart de son montant, le solde étant versé par fractions égales au plus tard le 15 décembre de chacune des trois années qui suivent le premier paiement. Ainsi, en cas d'option pour le régime SIIC, l'imposition des plus-values latentes est immédiatement établie, selon le taux applicable lors de l'option, mais son paiement est fractionné sur quatre ans.

Ces dispositions ont été complétées par la loi de finances pour 2005 (2), qui a mis en place, aux articles 208 C bis (N° Lexbase : L4717I7T) et 208 C ter du CGI, un régime complémentaire permettant la prise en compte des mouvements affectant le patrimoine des sociétés ayant déjà opté pour le régime SIIC. Ainsi, l'article 208 C ter prévoit que lorsque, postérieurement à l'exercice de l'option, des actifs de la société ayant opté deviennent éligibles à l'exonération prévue au 1er alinéa du II de l'article 208 C du CGI, cette société doit réintégrer à son résultat fiscal soumis à l'impôt sur les sociétés une somme correspondant à la plus-value calculée par différence entre la valeur réelle de ces biens à cette date et leur valeur fiscale (il s'agit, là aussi, d'imposer les plus-values latentes).

Les modalités d'imposition de ces plus-values ne sont pas exactement les mêmes que celles retenues pour les plus-values imposées lors de l'option, et c'est là tout le sujet de la QPC soumise au cas présent. Le taux applicable est également celui prévu au IV de l'article 219. Mais l'article 208 C ter dispose que la réintégration des plus-values latentes au résultat soumis à l'IS "est effectuée par parts égales sur une période de quatre ans". Ainsi, alors qu'en cas d'option, l'imposition des plus-values latentes est établie immédiatement et son paiement fractionné sur quatre ans, celle des plus-values latentes attachées aux éléments d'actif qui deviennent éligibles au régime SIIC après exercice de l'option est établie en quatre fois (là aussi sur une période de quatre ans). Dans le premier cas, seul le paiement de l'impôt est fractionné. Dans le second, ce qui est fractionné, ce sont les plus-values elles-mêmes, dont le montant est réintégré en quatre fois dans l'assiette de l'impôt.

2. La société requérante, qui appartient à un groupe, a fait l'expérience de cette différence entre les modalités d'imposition des plus-values prévues, respectivement, aux articles 208 C et 208 C ter du CGI

Cette société a opté pour le régime SIIC avec effet au 1er janvier 2003. Les plus-values latentes imposées à cette occasion en application de l'article 208 C l'ont été au taux de 16,5 % alors prévu par le IV de l'article 219 du CGI. Puis, en 2007, elle a participé à plusieurs opérations de fusion-absorption qui ont rendu éligibles au régime SIIC un certain nombre d'éléments intégrés à son actif. Par application de l'article 208 C ter, les plus-values latentes attachées à ces éléments d'actif devaient être soumises à l'IS. La société a alors liquidé cet impôt au taux de 16,5 % qui était encore prévu par le IV de l'article 219 et elle l'a payé en quatre fois, entre 2007 et 2010. A la suite d'un contrôle fiscal, l'administration a remis en cause cette façon de faire et, notamment, le taux applicable : elle a estimé que la société aurait dû réintégrer les plus-values en quatre fois et, dès lors que la loi de finances pour 2009 avait porté le taux prévu au IV de l'article 219 du CGI à 19 % (3), que c'est ce dernier taux qui devait s'appliquer à la réintégration des deux dernières fractions des plus-values imposables.

La société requérante a contesté les impositions supplémentaires découlant de cette rectification du taux applicable devant le tribunal administratif de Montreuil. A cette occasion, elle a soumis au tribunal une QPC portant sur les dispositions de l'article 208 C ter du CGI. C'est cette question que le tribunal a transmise.

3. Il convient d'examiner au regard des conditions posées par l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 (N° Lexbase : L0276AI3)

Les deux premières sont remplies : il ne fait aucun doute que les dispositions législatives critiquées sont applicables au litige ; elles n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel (à vrai dire, celui-ci ne les a jamais examinées) (4).

Au regard de la troisième condition, la question n'est pas nouvelle, au sens où elle soulèverait des griefs tirés d'atteinte à des règles ou principes constitutionnels dont le Conseil constitutionnel n'aurait pas encore fait application. La société se prévaut en effet, d'une part, du principe d'égalité devant la loi et devant les charges publiques, d'autre part, de la protection des effets qui peuvent être légitimement attendus de situations légalement acquises, qui découle de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen (DDHC) (N° Lexbase : L1363A9D). Si ce second principe a été moins abondamment illustré que le premier dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel, celui-ci a tout de même eu l'occasion d'en préciser les implications.

L'essentiel du débat porte donc sur le caractère sérieux de la question posée.

3.1. Ce caractère sérieux ne découle pas de l'invocation de l'article 16 de la DDHC.

La société se prévaut des développements récents de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, qui a vu dans la garantie des droits prévue par l'article 16 un principe de protection des attentes légitimes suscitées par le législateur. Le Conseil constitutionnel juge depuis longtemps que le législateur peut toujours modifier des textes antérieurs ou abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d'autres dispositions, à condition de ne pas priver de garanties légales des exigences constitutionnelles. A cet égard, le juge constitutionnel a précisé récemment que le législateur ne peut, sans motif d'intérêt général suffisant, ni porter atteinte aux situations légalement acquises ni remettre en cause les effets qui peuvent légitimement être attendus de telles situations. Sur ce point sa décision fondatrice n° 2013-682 DC du 19 décembre 2013, considérant 14 (N° Lexbase : A6536KRI). Depuis lors nous avons dénombré quatre autres décisions reprenant identiquement ce considérant de principe (5).

Parmi ces décisions, la société met plus particulièrement en avant les décisions n° 2013-682 DC et n° 2014-435 QPC, intervenues toutes deux en matière fiscale. Dans la première, le Conseil constitutionnel a émis une réserve d'interprétation destinée à protéger les attentes légitimes qu'avait fait naître le législateur en prévoyant l'application de taux de prélèvements sociaux "historiques" aux produits issus de certains contrats d'assurance-vie. Dans la seconde, le Conseil constitutionnel a jugé contraire à l'article 16 de la DDHC l'assujettissement à la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus des revenus de capitaux mobiliers perçus en 2011 et soumis à des prélèvements libératoires de l'impôt sur le revenu.

Mais à la différence de celles qui étaient en cause dans ces précédents, les dispositions législatives critiquées par la présente QPC ne peuvent être lues comme ayant fait naître la moindre attente légitime qui découlerait d'une situation légalement acquise. L'article 208 C ter du CGI ne prévoit nullement que les plus-values latentes des actifs immobiliers devenant éligibles au régime d'exonération des SIIC devraient être imposées selon un taux figé ou défini à l'avance ou selon des modalités qui excluraient que le taux applicable puisse être revu à la hausse. Au contraire, il en découle clairement que l'étalement des plus-values sur quatre ans, en quatre fractions égales, implique l'imposition de chacune de ces quotes-parts selon le taux en vigueur au titre de l'année considérée. Il n'y a donc de situation légalement acquise, au regard du taux applicable à l'imposition de ces quatre fractions de plus-values, qu'à l'échéance des quatre années sur lesquelles leur imposition est étalée.

3.2. Il convient d'hésiter un peu plus, en revanche, au regard du grief tiré d'une méconnaissance du principe d'égalité.

L'argumentation présentée au soutien de la QPC est en substance la suivante. Lorsqu'elle entre dans le régime d'exonération SIIC, une société connaît, dès l'exercice de l'option pour ce régime, le montant global de l'imposition qu'elle devra acquitter sur les plus-values latentes, et dont le paiement sera réparti par quart sur une période de quatre ans. En revanche, lorsqu'elle est soumise aux dispositions de l'article 208 C ter, la société n'est pas en mesure de déterminer avec certitude le montant global de ses impositions au titre des plus-values latentes réintégrées sur quatre ans à son résultat fiscal, ce montant étant fonction de l'évolution du taux prévu au IV de l'article 219 du CGI sur cette période de quatre ans. La société requérante y voit une différence de traitement qui n'est justifiée ni par une différence de situation, ni par un motif d'intérêt général.

3.2.1. Il faut indiquer tout d'abord qu'il y a bien différence de traitement.

En défense à la QPC, le ministre des Finances a raison de souligner que la différence entre les deux régimes d'imposition n'a de conséquences concrètes que dans l'hypothèse d'une modification du taux d'imposition prévu au IV de l'article 219 du CGI. On ne peut pas pour autant en déduire que l'argumentation de la société reviendrait à critiquer la constitutionnalité de l'article 208 C ter au regard d'une hypothèse particulière d'application de ces dispositions. Les modalités d'imposition des plus-values latentes prévues par cet article diffèrent in abstracto de celles prévues à l'entrée dans le régime SIIC et cela nous semble suffisant pour constater l'existence d'une différence de traitement.

3.2.2. En revanche, il ne faut pas suivre la société lorsqu'elle affirme que cette différence de traitement ne correspondrait à aucune différence de situation.

Certes, comme elle le fait valoir, le sujet soumis à l'impôt est le même : il s'agit toujours d'une société remplissant les conditions pour bénéficier du régime de faveur des SIIC. Elle a également raison de souligner que les éléments d'actif auxquels sont attachées les plus-values latentes imposées sont identiques : l'article 208 C ter reprend sur ce point l'énumération faite au premier alinéa du II de l'article 208 C (6). Et la société a encore raison lorsqu'elle soutient que l'objet des deux régimes d'imposition est le même : il s'agit de tirer les conséquences du passage de ces éléments d'actif d'un régime d'imposition à un régime d'exonération en procédant à la taxation de la matière imposable mais non encore imposée qui s'y attache (les plus-values latentes).

Toutefois, les deux régimes d'imposition que la société prétend comparer répondent à deux cas de figure bien distincts. Le premier est applicable lorsqu'une société susceptible de bénéficier du régime SIIC décide d'opter pour ce régime. Cette option, dont l'article 208 C précise qu'elle est irrévocable (7), répond à un choix que la société fait au vu de considérations en principe exclusivement fiscales, puisqu'il s'agit, à un instant donné et toutes choses égales par ailleurs, de basculer d'un régime d'imposition à un autre. Au contraire, le régime de l'article 208 C ter s'applique nécessairement, sans que la société ayant opté dispose d'une faculté de choix à cet égard, lorsque des éléments de son actif deviennent éligibles au régime SIIC. L'application de ce second régime ne dépend pas de considérations exclusivement ni même principalement fiscales, mais des événements affectant l'actif de la société ayant opté notamment, mais pas seulement, sa participation à des opérations de fusion-absorption.

Dès lors, on peut comprendre que le législateur ait prévu que, lorsque la société opte pour le régime SIIC, le montant global de l'imposition due à raison des plus-values latentes soit immédiatement arrêté. Cette option procédant, comme il a été dit, d'un choix essentiellement fiscal, il peut sembler légitime que le contribuable qui l'exerce soit mis en mesure d'apprécier exactement les conséquences fiscales qui en découlent. A l'inverse, une fois l'option exercée, lorsque trouve à s'appliquer le régime de l'article 208 C ter, il peut paraître plus anodin que toutes les modalités d'imposition des plus-values latentes ne soient pas connues à l'avance. L'application de ce régime ne procédant pas de considérations essentiellement fiscales, mais de la vie et de l'activité mêmes de la société, il est plus facile de s'accommoder de l'incertitude qui affecte le taux applicable aux fractions de ces plus-values dont l'imposition est étalée.

Il convient d'ajouter que le législateur s'est peut-être inspiré, lorsqu'il a adopté les dispositions de l'article 208 C ter, des modalités d'imposition des plus-values dégagées lors de l'apport d'éléments amortissables de l'actif, telles que prévues dans le cadre du régime fiscal de faveur des fusions (8). Le d du 3 de l'article 210 A du CGI (N° Lexbase : L9521ITS) dispose, en effet, que la société absorbante doit réintégrer ces plus-values dans ses bénéfices imposables, cette réintégration étant effectuée par parts égales sur une période fixée en principe à quinze ou cinq ans. Le législateur avait ces dispositions parfaitement en tête lorsqu'il a adopté l'article 208 C ter, puisqu'il a fixé dans le même mouvement, à l'article 208 C bis, la manière dont peuvent se combiner le régime SIIC et le régime de faveur des fusions.

On ne peut guère en dire plus quant aux motivations qui ont conduit le législateur à prévoir des modalités différentes d'imposition des plus-values latentes lors de l'option pour le régime SIIC d'une part et lorsque des éléments de l'actif de la société ayant opté deviennent éligibles à ce régime d'autre part. En raison de leur brièveté, les travaux préparatoires de la loi de finances pour 2005 ne sont d'aucun secours à cet égard (9). Il en résulte seulement que le législateur entendait "compléter" le régime fiscal des SIIC en instituant "un régime de neutralité spécifique pour les opérations de restructuration patrimoniale des sociétés immobilières cotées".

Quoiqu'il en soit, la différence de traitement dénoncée par la société répond, contrairement à ce qu'elle soutient, à une différence de situation.

3.2.3. Reste toutefois que, pour juger cette différence de traitement conforme au principe d'égalité, il faut encore affirmer qu'elle est en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit (voir, pour une illustration récente, la décision n° 2014-415 QPC du 26 septembre 2014, cons. 6 N° Lexbase : A0926MXL). Et c'est là qu'il faudrait conserver une hésitation.

Alors que le législateur, en adoptant l'article 208 C ter, a entendu compléter le régime de faveur des SIIC, pourquoi n'a-t-il pas prévu des modalités d'imposition identiques des plus-values latentes, qu'il s'agisse de celles imposées lors de l'option pour l'entrée dans le régime de faveur ou de celles imposées lorsque, postérieurement à l'exercice de l'option, des éléments d'actif deviennent éligibles à ce régime ?

Le législateur, comme il a été dit, a peut-être été influencé par les modalités d'imposition des plus-values d'apport applicables dans le régime de faveur des fusions. Mais rien n'indique, dans les maigres travaux préparatoires de la loi de finances pour 2005, qu'il aurait voulu adopter des modalités d'imposition qui s'en rapprochent.

Dans ces conditions, s'il semble facile d'affirmer que la différence de traitement critiquée par la société n'est pas dénuée de rapport avec l'objet de la loi, il paraît moins évident d'expliquer qu'elle est en rapport direct avec cet objet. Devant ce léger doute difficile à surmonter, la sagesse invite à regarder la QPC comme sérieuse pour laisser le Conseil constitutionnel trancher lui-même la question.

3.2.4. Il faut terminer en indiquant que, si la société requérante se prévaut tout à la fois du principe d'égalité devant la loi et devant les charges publiques, elle ne développe aucune argumentation sur ce second terrain. Les dispositions critiquées ne paraissent en tout état de cause pas critiquables à cet égard : d'une part, le législateur a utilisé des critères objectifs et rationnels qui ne sont pas inappropriés au regard de son objectif d'instaurer un régime fiscal de neutralité pour les opérations de restructuration patrimoniale affectant les sociétés ayant opté en faveur du régime SIIC ; d'autre part, il ne faut y voir aucune rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.

Par ces motifs, il convient de conclure au renvoi de la QPC au Conseil constitutionnel.


(1) Loi n° 2002-1575 du 30 décembre 2002, de finances pour 2003, art. 11 (N° Lexbase : L9371A8L).
(2) Loi n° 2004-1484 du 30 décembre 2004, de finances pour 2005, art. 26 (N° Lexbase : L5203GUA).
(3) Loi n° 2008-1425 du 27 décembre 2008, de finances pour 2009, art. 25, II (N° Lexbase : L3783IC4).
(4) A la différence de celles instituant le régime de faveur ouvert sur option aux SIIC, issues de l'article 11 de la loi de finances pour 2003 : voir Cons. const., 27 décembre 2002, décision n° 2002-464 DC, cons. 27 à 38 (N° Lexbase : A2081DIW).
(5) Cons. const., 29 décembre 2013, décision n° 2013-685 DC, cons. 38 (N° Lexbase : A9152KSR) ; Cons. const., 28 mars 2014, décision n° 2014-386 QPC, cons. 15 (N° Lexbase : A9893MHU) ; Cons. const., 5 décembre 2014, décision n° 2014-435 QPC, cons. 5 (N° Lexbase : A8231M4M) ; Cons. const., 18 décembre 2014, décision n° 2014-706 DC, cons. 9 (N° Lexbase : A7888M7B).
(6) A l'exception des participations dans des filiales soumises au régime SIIC.
(7) CGI, art. 208 C, III, dernier alinéa.
(8) Dispositions qui ne trouvent à s'appliquer qu'en cas de fusion réalisée à la valeur réelle, puisque si c'est la valeur comptable qui est retenue, il n'y a par construction aucune plus-value d'apport.
(9) L'article 26 de la loi est issu d'un amendement présenté en cours de discussion par Philippe Marini au nom de la commission des finances du Sénat, lors de l'examen en première lecture du projet de loi (séance du 29 novembre 2004, examen des articles additionnels après l'article 13). Le texte voté a été repris sans modification par la commission mixte paritaire qui a été ensuite réunie.

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[Jurisprudence] La recevabilité de la tierce-opposition de la caution ou l'abandon de la représentation mutuelle des coobligés solidaires

Réf. : Cass. com., 5 mai 2015, n° 14-16.644, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A4479NHD)

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par Dimitri Nemtchenko, Doctorant à l'IRDAP (Institut de recherche en droit des affaires et du patrimoine) - Faculté de droit de Bordeaux

Le 11 Juin 2015

Si le développement contemporain du droit des sûretés suscite un contentieux pléthorique en raison notamment des nouveaux mécanismes que le droit positif a consacré, le fonctionnement des sûretés les plus traditionnelles n'engendre pas moins de difficultés. Ne serait-ce que depuis le début de l'année 2015, le régime du cautionnement a en effet été utilement précisé à l'occasion de plusieurs décisions significatives. Outre l'arrêt rendu en Chambre mixte le 27 février 2015 (1), la Chambre commerciale a rendu, le 5 mai 2015, une importante décision, dont les faits dépassaient largement le cadre du droit des sûretés pour rejoindre celui de la procédure civile, de l'arbitrage et, plus encore, des libertés fondamentales.
En l'espèce, à l'occasion d'une cession de droits sociaux, le cédant consent au profit du cessionnaire une convention de garantie de passif et une convention de gestion de procès, chacune de ces conventions contenant une clause compromissoire. La société mère de la filiale débitrice se porte caution des engagements de cette dernière, le contrat de cautionnement étant quant à lui dépourvu de clause compromissoire. A la suite de la mise en jeu de la garantie de passif, le cédant est condamné, par une sentence arbitrale, à régler une somme au cessionnaire. Après avoir été assignée en paiement au fond, la caution assigne alors en retour le créancier devant les juridictions étatiques afin d'être déclarée recevable dans la tierce-opposition qu'elle forme à l'encontre de la sentence arbitrale. Les juridictions du fond, de première instance comme d'appel (CA Paris, 20 février 2014, n° 10/25264 N° Lexbase : A5770MEG), déclarent la caution irrecevable à introduire une telle voie de recours.
A travers le pourvoi qu'elle forme, fondé sur un moyen unique divisé en cinq branches, la caution soulève, en substance, la question de son droit à un recours effectif : étrangère à la clause compromissoire à laquelle elle n'a jamais consenti, elle estime ne pas avoir à en subir les conséquences. En lui interdisant ce recours contre la sentence arbitrale opposant le débiteur principal au créancier, les juridictions du fond auraient violé l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (N° Lexbase : L7558AIR), les articles 582 (N° Lexbase : L6739H7Q), 583 (N° Lexbase : L6740H7R), 1481 (N° Lexbase : L6446H7U dans sa rédaction applicable à la cause) du Code de procédure civile, ainsi que les articles 1200 (N° Lexbase : L1302ABT) et 1208 (N° Lexbase : L1310AB7) du Code civil (2).
Plus précisément, le problème soulevé devant la Chambre commerciale de la Cour de cassation consistait en la possibilité, ou non, pour une caution de former une tierce-opposition à l'encontre d'une sentence arbitrale fixant le montant de la dette du débiteur principal à l'égard du créancier. La solution de la Cour est aussi inattendue qu'elle suscite l'adhésion. Au visa des articles 6 § 1 de la CESDH ainsi que de l'article 1481 du Code de procédure civile alors applicable, elle retient que "le droit effectif au juge implique que la caution solidaire, qui n'a pas été partie à l'instance arbitrale, soit recevable à former tierce opposition à l'encontre de la sentence arbitrale déterminant le montant de la dette du débiteur principal à l'égard du créancier". La décision des juges du second degré est cassée, mais seulement en ce qu'elle a déclaré irrecevable la tierce-opposition formée par la caution.

Par ces termes, la Haute juridiction opère un revirement notable en abandonnant la théorie de la représentation mutuelle des coobligés solidaires, alors pourtant consacrée de longue date en jurisprudence (3). Il semblerait, en effet, que la solution ne soit pas circonscrite à cette espèce, dans la mesure où elle présente au contraire tous les atours d'un arrêt de principe : la généralité des termes de l'attendu décisoire, la présence d'un double visa et la cassation partielle de l'arrêt d'appel. En témoigne également la large diffusion que la Cour de cassation entend donner à sa décision, notamment par les honneurs d'une publication au Rapport.

Afin de témoigner de l'importance du présent arrêt, il est nécessaire de revenir sur les fondements de la théorie de la représentation mutuelle désormais écartée par la Cour (I) avant d'apprécier ce pour quoi son abandon contribue à une amélioration notable de la situation des cautions solidaires (II). Il conviendra d'aborder, dans un dernier temps, la portée de ce revirement (III).

I - L'éviction nécessaire d'un "folklore juridique" (4)

La théorie de la représentation mutuelle des coobligés solidaires est une construction prétorienne solidement ancrée. Selon cette théorie, les coobligés solidaires, qu'ils soient codébiteurs ou cautions, sont supposés se représenter mutuellement dans les rapports qu'ils entretiennent avec leur créancier : chacun est censé disposer du pouvoir d'agir au nom et pour le compte de l'autre coobligé. En apparence, la théorie est séduisante : il est évident que les coobligés ont des intérêts convergents sinon communs, justifiant par exemple qu'ils ne puissent chacun introduire une instance sur un fondement identique. Le recours à la représentation mutuelle des coobligés solidaires permettrait, en effet, d'éviter les hypothèses de litispendance et plus encore de contrariété de jugements. Par ailleurs, et de manière plus prosaïque, elle constitue un avantage indéniable pour le créancier en ce qu'elle limite les voies de recours auxquelles ses débiteurs peuvent prétendre.

Cependant, la jurisprudence n'a pas davantage tiré toutes les conséquences de cette théorie qu'elle n'a proposé de fondement convaincant (5).

Concernant les fondements de la représentation mutuelle, il est avancé en doctrine que cette théorie s'annonce comme une explication des effets secondaires de la solidarité passive. Certaines dispositions du Code civil prévoient, en effet, que les actes accomplis à l'endroit d'un codébiteur produiront effet à l'égard de l'autre codébiteur (6). Sur le fondement de quelques dispositions légales éparses, la jurisprudence a procédé à des extensions notables de l'idée de représentation mutuelle (7) au point d'en faire un principe de la solidarité passive. Toutefois, l'idée selon laquelle les effets secondaires de la solidarité passive justifieraient une représentation mutuelle des coobligés ne convainc pas dans la mesure où aucun texte n'affirme clairement l'existence d'un mandat tacite entre coobligés (8). Par ailleurs, on a pu expliquer la théorie par le recours à la notion de communauté d'intérêts (9) -notion sur laquelle s'est fondée la cour d'appel dans cette espèce et que la troisième branche du moyen critique : les intérêts communs que les coobligés partagent justifieraient qu'ils se représentent mutuellement et tacitement-. Si l'explication fait sens lorsqu'elle concerne deux codébiteurs, elle manque de pertinence lorsqu'on l'applique à une caution : celle-ci, contrairement à un codébiteur, n'est tenue que d'une obligation à la dette et non d'une contribution à la dette. Elle ne tire aucun intérêt personnel à payer une dette qui n'est pas la sienne, ce qui permet de comprendre l'existence des recours dont elle dispose, avant comme après (10) paiement. La proximité éventuelle entre la caution et le débiteur permet, certes, de renforcer l'idée d'une communauté d'intérêts, mais elle n'explique pas, pour autant, le prétendu mandat qu'ils se seraient mutuellement donnés. L'abandon de ce fondement déjà opéré par la deuxième chambre civile est alors à approuver (11).

Au-delà du fondement, les conséquences de la représentation mutuelle des coobligés solidaires sont une preuve supplémentaire de l'inadéquation de cette théorie. La jurisprudence a en effet dégagé de nombreux infléchissements à la représentation tacite remettant en cause la valeur de ce prétendu principe. Plusieurs décisions témoignent ainsi de ce que la représentation joue exclusivement dans des hypothèses favorables aux coobligés solidaires : dès lors que le recours à cette théorie a pour conséquences d'aggraver le sort de l'un ou plusieurs des coobligés, la Cour de cassation l'évince (12). L'application à géométrie variable de ce qui se présente comme un principe ne peut que laisser dubitatif quant à sa pertinence. Plus précisément, le recours à la représentation mutuelle a permis à la jurisprudence d'évincer les codébiteurs et cautions solidaires de la possibilité de former une tierce-opposition à l'encontre d'une décision rendue entre un codébiteur et le créancier -les décisions des juridictions du fond sont, en l'espèce, dans ce sens-. Or cette éviction connaît également des tempéraments : la fraude du codébiteur partie à l'instance (13) ou la possibilité pour celui qui est tiers à cette instance de faire valoir un "moyen propre" (14) sont les deux exceptions sur le fondement desquelles une tierce-opposition est recevable. Ces deux exceptions sont ici rappelées par la cour d'appel : "aucune fraude n'est véritablement alléguée dans la mise en oeuvre du cautionnement" et la caution "n'invoque aucun moyen qui lui serait personnel que la société [débitrice principale] n'aurait pas pu elle-même faire valoir".

Indépendamment des difficultés que l'expression "moyen propre" suscitent (15), la position de principe qui consiste à interdire les coobligés solidaires d'introduire une tierce-opposition dans de telles circonstances est condamnable. Sa mise à l'écart par la Chambre commerciale est aussi novatrice que salutaire.

Novatrice car, à notre connaissance, il n'existe pas de décision antérieure rendue par la Haute juridiction s'affranchissant de l'idée de représentation mutuelle. Certes la Chambre commerciale ne condamne pas explicitement cette théorie, mais on peut déduire de la formulation de l'attendu décisoire, silencieuse quant à la représentation mutuelle, qu'elle n'entend pas s'y référer plus avant (16).

Salutaire, car les exceptions que la Cour de cassation avait jusqu'alors tolérées étaient bien insuffisantes. La perpétuation du principe en application duquel la caution solidaire ne pouvait ni introduire une voie de recours réservées aux parties, puisqu'elle était tiers à l'instance, ni introduire une voie de recours ouvertes aux tiers, puisque le coobligé solidaire la "représentait", aboutissait en définitive à nier à la caution solidaire toute voie de recours possible (17). La contrariété d'une telle situation avec le droit fondamental de l'accès au juge est inévitable, ce que le moyen au pourvoi a naturellement souligné. La reconnaissance par la Cour de cassation d'une telle contrariété participe, entre autres causes, de l'amélioration de la situation de la caution solidaire.

II - L'amélioration notable de la situation de la caution solidaire

L'amélioration de la situation de la caution solidaire résulte d'une nouvelle lecture, plus respectueuse, des dispositions relatives à la tierce-opposition (A), particulièrement dans l'hypothèse où cette voie est formée à l'encontre d'une sentence arbitrale. En déclarant recevable la tierce-opposition, le droit fondamental de l'accès au juge est ainsi préservé au profit de la caution solidaire (B).

A - Une solution conforme à l'esprit de la tierce-opposition

La tierce-opposition est une voie de recours extraordinaire consistant, selon l'article 582 du Code de procédure civile "à faire rétracter ou réformer un jugement au profit du tiers qui l'attaque". Par ailleurs, l'article 1481 du même code, dans sa rédaction applicable au litige, prévoit que "la sentence arbitrale [...] peut être frappée de tierce-opposition devant la juridiction qui eût été compétente à défaut d'arbitrage, sous réserve des dispositions de l'article 588 (alinéa 1)". Le seul rapprochement de ces deux dispositions suffirait à conclure que la caution solidaire, dans le cas d'espèce ici commenté, soit recevable à introduire une tierce-opposition. Ce serait ne pas tenir compte des spécificités de la clause compromissoire et de la procédure d'arbitrage sur lesquelles il est impératif de revenir.

La clause compromissoire est par principe inopposable à ceux qui n'en sont pas convenus : il n'y a là qu'une application évidente de l'article 1165 du Code civil (N° Lexbase : L1267ABK). Incluse dans un contrat principal, elle ne saurait alors être invoquée par un tiers (18), notamment la caution (19). La jurisprudence a cependant eu l'occasion d'étendre ou de transmettre la portée d'une telle clause (20) : entre autres exemples, la clause compromissoire consentie par une société mère a pu être étendue au profit de ses filiales (21). La situation rappelle celle du présent arrêt : la caution est la société mère de la filiale, débitrice principale, et la même personne a signé les deux engagements, mais sur le fondement de deux mandats différents. La Cour de cassation n'opère cependant aucune extension, et doit être approuvée en ce sens : la proximité entre la caution et le débiteur principal ou l'identité des signataires du contrat principal et de sa garantie ne sauraient faire oublier que ladite garantie résulte d'un contrat à part entière, d'un engagement qui, s'il est certes accessoire, n'en est pas moins distinct, extérieur au contrat principal (22). Plus encore, la gravité intrinsèque de l'engagement d'une caution ne saurait s'accommoder d'une extension aussi hasardeuse, quand bien même le recours à la théorie de la ratification permettrait de l'expliquer (23). Par conséquent, la clause compromissoire ne saurait être imposée à une personne qui n'y a jamais consenti. De la même manière, la sentence arbitrale à laquelle la caution n'est pas partie ne peut lui être imposée. Cette sentence produit certes des effets à l'égard de la caution, car elle lui est opposable. Pour autant, la caution n'est pas partie à l'instance : l'autorité de la chose jugée est limitée aux parties à l'instance arbitrale. La caution doit pouvoir contester ce qui, dans cette sentence, lui cause un préjudice ou est susceptible de lui en causer un à l'avenir : la voie de recours extraordinaire que constitue la tierce-opposition doit ainsi lui être ouverte (24). En lui autorisant l'introduction d'un tel recours, la chambre commerciale assure à la caution solidaire l'effectivité de son droit au juge.

B - Une solution assurant à la caution solidaire un recours effectif

Le pourvoi posait la question de savoir si l'impossibilité pour la caution solidaire de former une tierce-opposition contre le jugement rendu entre le débiteur principal et le créancier était ou non conforme à l'article 6 § 1 de la CESDH. Plus exactement, il s'agissait de déterminer si, dans les hypothèses similaires à celle de l'arrêt, le fait de limiter la tierce-opposition de la caution à l'hypothèse d'une fraude ou à la revendication d'un "moyen propre" est conforme au droit d'accès de la caution au juge (25) ?

Plusieurs décisions préalables permettent de pressentir la décision de la Cour sur ce point : l'ouverture de la tierce-opposition sur le fondement de l'article 6 § 1 CESDH n'est en effet pas une solution inédite (26). Plus encore que sa prévisibilité, la nécessité de l'ouverture d'un tel recours est manifeste : peut-on vraisemblablement croire qu'un débiteur principal cherchera à défendre les intérêts de la caution lorsque l'engagement de cette dernière a justement pour but de pallier l'insuffisance du premier ? Quid d'une instance introduite par le débiteur et que la caution aurait très bien pu ignorer jusqu'à son existence même ? Les exceptions limitatives par lesquelles la caution pouvait former un recours sont aussi lacunaires que délétères : une caution pouvait très bien, hors ces situations d'exception, être amenée à payer une dette pour laquelle elle n'aurait jamais été invitée à en discuter le principe, le montant, etc. L'hypothèse d'un recours après paiement mentionné par la cour d'appel n'est qu'un expédient, une consolation bien maigre pour la caution dans la mesure où il sera presque systématiquement voué à l'échec ; par ailleurs, il ne répare en rien la violation de l'accès au juge au détriment de la caution, puisqu'il ne lui permet pas de remettre en cause ce qui a été décidé à son encontre. Le droit au juge, visé par la Cour, est un fondement adéquat qu'il convient d'approuver sans réserve.

La pertinence de la solution se révèle également à la lumière de la spécificité de la procédure d'arbitrage. Ce mode de justice dont le fondement est contractuel ne permet pas à un tiers d'intervenir à l'instance, quelle que soit la voie (27). Ce même tiers ne peut (du reste ne pouvait) davantage former une tierce-opposition (28). Par sa singularité, la procédure arbitrale met en évidence l'atteinte commise à l'encontre des tiers intéressés à l'instance dans leur droit effectif d'accès au juge : une caution ne pouvait jusqu'alors que subir l'objet de la sentence, sans rien ne pouvoir faire (29). Le particularisme de l'arbitrage rendait plus pressant encore le revirement ainsi opéré par la Cour de cassation.

Reste à déterminer si cette solution améliorant le sort de la caution est réservée à ce mode de justice particulier ou si, au contraire, elle doit être comprise comme s'appliquant par extension aux instances judiciaires.

III - La portée du revirement

La formulation de l'attendu décisoire de la Cour de cassation ne permet pas d'affirmer avec certitude le champ d'application de la solution. Naturellement circonscrite par les éléments de faits du litige, elle semble à première vue limitée à l'hypothèse de l'arbitrage -interprétation corroborée par la nature contractuelle de cette procédure-. Il n'est toutefois pas inconcevable que la solution puisse ultérieurement être reprise et appliquée à une instance judiciaire. Certes la sévérité avec laquelle les tiers à une instance arbitrale sont traités justifierait que la solution ne dépasse pas ce cadre, mais la réduction de la recevabilité de la tierce-opposition aux cas de fraude ou d'invocation d'un "moyen propre" est par trop excessive et contraire au droit à un recours effectif. La large diffusion de la présente décision autorise l'optimisme : il reste à souhaiter que les autres formations de la Cour de cassation comme les juridictions du fond emboîtent le pas de la Chambre commerciale et étendent aux juridictions étatiques une solution de bon sens (30).

Quant au cautionnement stricto sensu, la solution est tout aussi satisfaisante. Alors que la jurisprudence, dans un mouvement uniforme d'hypertrophie des exceptions purement personnelles (31), réduit à la portion congrue les exceptions que la caution peut opposer, l'arrêt du 5 mai 2015 offre à cette dernière une planche de salut. Du point de vue de la technique juridique, la solution est incontestable : le cautionnement est certes un engagement accessoire, mais il est aussi et surtout un engagement subsidiaire. La généralisation de la clause de solidarité a pour conséquence de masquer ce deuxième aspect au profit du premier : une caution solidaire, malgré le fait qu'elle ne paye rien d'autre que ce à quoi le débiteur est tenu, contracte toutefois un engagement de nature conditionnelle, la condition étant ici la défaillance du débiteur. Le revirement ainsi opéré permet de rappeler cette caractéristique essentielle du cautionnement : la caution est un débiteur de second rang qui n'a pas à supporter, autant que faire se peut, le poids d'une dette qui lui est étrangère. Lui permettre de former une tierce-opposition contre une décision rendue entre le créancier et le débiteur principal permet de rappeler la dimension subsidiaire de son engagement, et se conjugue parfaitement avec sa dimension accessoire. En effet, en abandonnant la théorie de la représentation mutuelle des coobligés solidaires, la Cour de cassation autorise la caution à faire valoir des exceptions que le débiteur aurait omises, soit les exceptions inhérentes à la dette : l'invocation de ces exceptions, désormais plus largement ouverte, est une conséquence directe de ce caractère accessoire.

Du point de vue de la politique juridique, la solution n'est pas moins heureuse. D'aucuns déploreront vraisemblablement l'atteinte à la fonction même du cautionnement, c'est-à-dire assurer une chance de paiement supplémentaire au créancier. Or, l'opération de cautionnement étant par nature une opération tripartite, la définition de son régime procède de la juste mesure des intérêts de chacun. Le présent arrêt, s'il altère quelque peu cette fonction de garantie, n'en est pas moins une solution de tempérance, qui concilie harmonieusement des intérêts antagonistes. Sans offrir une échappatoire à la caution qui ruinerait le principe même de son engagement, la Cour de cassation rappelle opportunément que le cautionnement est une charge lourde pour qui s'y engage, confinant à l'endettement : ce n'est pas un moyen pour le créancier d'asservir un second débiteur à la satisfaction inconditionnelle de ses intérêts.

Un dernier point mérite d'être soulevé relativement à la portée de cet arrêt. La solution concerne ici une caution solidaire, dont on a pu démontrer la singularité de l'engagement : doit-on comprendre que la solution aura également vocation à s'appliquer aux codébiteurs solidaires ? La réponse semble devoir être négative si l'on retient une interprétation littérale de l'attendu décisoire, lequel vise directement la caution solidaire. Il est toutefois permis d'envisager une application extensive de la solution aux codébiteurs solidaires. Certes, un codébiteur trouve un intérêt certain à la dette qu'il contracte, mais cet aspect n'est pas le plus déterminant. Indépendamment de cet intérêt, les coobligés ne se représentent aucunement, sauf convention contraire : ils ne disposent d'aucun pouvoir l'un envers l'autre, qu'il soit d'origine légale, conventionnelle ou judiciaire. La prétendue représentation mutuelle des coobligés solidaires résulte d'une confusion entre les effets de la solidarité et ceux de la représentation : si pour une même dette, plusieurs personnes sont tenues au tout, cela n'implique pas qu'elles agissent tacitement au nom et pour le compte de leur pairs. La théorie de la représentation mutuelle des coobligés solidaires doit donc être définitivement abandonnée : plutôt que de profiter exclusivement aux cautions, il est à espérer que la Cour de cassation l'étende aux codébiteurs.

Sans préjuger d'une extension bienvenue de la solution, le revirement opéré par l'arrêt du 5 mai 2015 de la Chambre commerciale de la Cour de cassation suscite immanquablement l'adhésion.


(1) Cass. mixte, 27 février 2015, n° 13-13.709, P+B+R+I (N° Lexbase : A3426NCU) ; G. Piette, Les effets envers les cofidéjusseurs de la décharge d'une caution pour engagement disproportionné, Lexbase Hebdo n° 417 du 26 mars 2015 - édition affaires (N° Lexbase : N6558BUG).
(2) La première branche est relative à la question prioritaire de constitutionnalité qui a été préalablement posée par le demandeur au pourvoi. N'ayant pas été transmise au Conseil constitutionnel (Cass. QPC, 27 novembre 2014, 27 novembre 2014, n° 14-16.644, F-D N° Lexbase : A5357M48), il n'est pas nécessaire d'en faire état.
(3) Cass. civ., 1er décembre 1885, DP, 1886.1.251, S.1886.1.55. Voir également H. Capitant, F. Terré et Y. Lequette, Les grands arrêts de la jurisprudence civile française, Dalloz, 12ème éd., t. 2, n° 257.
(4) L'expression est empruntée à D. Veaux et P. Veaux-Fournerie, La représentation mutuelle des coobligés, in Etudes dédiées à Alex Weill, Dalloz-Litec, 1983, p. 547 et s..
(5) La théorie, par son imperfection et ses retombées délétères sur les coobligés solidaires, n'a pas manqué d'essuyer les feux d'une contestation doctrinale unanime. Pour la plus véhémente d'entre elles, voir l'article mentionné en note précédente. Voir également : Ph. Simler, Ph. Delebecque, Droit civil : les sûretés, la publicité foncière, Précis Dalloz, 6ème éd., 2012, p. 177 et s. ; M. Cabrillac, C. Mouly, S. Cabrillac, Ph. Petel, Droit des sûretés, LexisNexis, 9ème éd., 2010, n° 391 et n° 462 ; J. Héron, T. Le Bars, Droit judiciaire privé, 3ème éd., n° 887 ; P. Simler, Cautionnement, garanties autonomes, garanties indemnitaires, LexisNexis, 4ème éd., 2008, n° 543 et s..
(6) V. pour exemple, les articles 1205 (N° Lexbase : L1307ABZ), 1206 (N° Lexbase : L1308AB3), 1207 (N° Lexbase : L1309AB4) et 1208 (N° Lexbase : L1310AB7) du Code civil.
(7) V. not., Cass. civ. 3, 20 juillet 1989, n° 88-12.676 (N° Lexbase : A8639AYM).
(8) Pour prolonger l'argument : si cette théorie était véritablement fondée, le législateur, constatant l'ancienneté et la récurrence d'une telle construction prétorienne, n'aurait-il pas fini par la consacrer ?
(9) Voir J. Théron, De la communauté d'intérêts, RTDCiv., 2009, p. 19-38.
(10) Prévus respectivement aux articles 2309 (N° Lexbase : L1208HIL) et 2305 (N° Lexbase : L1203HIE) du Code civil.
(11) Cass. civ. 2, 8 juillet 2004, n° 02-14.385, FS-P+B (N° Lexbase : A0215DDC) et Cass. civ. 2, 2 décembre 2010, n° 09-68.094, FS-P+B (N° Lexbase : A4675GM4) selon lequel : "la communauté d'intérêts ne suffit pas à caractériser la représentation".
(12) Cass. civ. 1, 27 octobre 1969, n° 68-11.254 (N° Lexbase : A9851ITZ), selon lequel "si le mandat que les débiteurs solidaires sont censés se donner entre eux ne saurait avoir pour effet de nuire à leur situation respective, il leur permet, en revanche, de l'améliorer" ; Cass. com., 8 juin 1993, n° 91-17.329, inédit (N° Lexbase : A7140CP7) et Cass. com., 28 mars 2006, n° 04-12.197, FS-P+B+R (N° Lexbase : A8547DNU), arrêts relatifs aux effets d'une transaction à l'égard d'un codébiteur solidaire. La représentation jouerait ad conservandam vel minuendam obligationem.
(13) Cass. com., 14 février 1990, n° 88-17.815 (N° Lexbase : A3933AH7) et Cass. civ. 1, 10 décembre 1991, n° 90-16.587, publié (N° Lexbase : A9782CGE).
(14) Cass. com., 4 octobre 1983, n° 82-12.415, publié (N° Lexbase : A0774CGR)
(15) Sans que l'on puisse hiérarchiser l'une ou l'autre des interprétations retenues, la jurisprudence retient comme "moyen propre", tantôt une exception qui serait purement personnelle au coobligé tiers à l'instance, tantôt une exception que le coobligé partie à l'instance a omis de faire valoir.
(16) D'autant plus que le moyen au pourvoi fait essentiellement grief aux juridictions du fond de s'être fondées sur cette théorie pour refuser à la caution solidaire la voie de la tierce opposition.
(17) Parmi les différents motifs de sa décision, la cour d'appel avançait que "la caution qui estimerait que le débiteur principal aurait insuffisamment défendu ses droits face au créancier garanti, pourrait toujours rechercher la responsabilité du débiteur principal vis-à-vis d'elle". Il convient de souligner ici le manque de persuasion d'un tel motif, que la Cour de cassation relève sans y souscrire. Autoriser un tel recours à la caution ne répare pas l'atteinte au droit à un recours effectif qu'elle subit : le fondement du recours n'est pas le même (il ne s'agit pas de discuter du montant de la dette, mais de la responsabilité du coobligé qui a insuffisamment fait valoir ses droits) et son exercice sera le plus souvent voué à l'échec (si la caution a été assignée en paiement, alors que son engagement est par nature subsidiaire, il y a fort à parier que le débiteur principal soit insolvable).
(18) Cass. com., 15 novembre 1978, n° 76-15.145, publié (N° Lexbase : A6174CH7).
(19) Cass. com., 22 novembre 1977, n° 76-13.145, publié (N° Lexbase : A6196CIC).
(20) V. à ce sujet : E. Loquin, Différences et convergences dans le régime de la transmission et de l'extension de la clause compromissoire devant les juridictions françaises, Gaz. Pal., 6 juin 2002, n° 157.
(21) Cass. civ., 1, 27 mars 2007, n° 04-20.842, FS-P+B+I (N° Lexbase : A7902DU9).
(22) Il convient ici d'écarter les arguments fondés sur la nature du lien d'obligation dans le cautionnement, en vertu desquels le cautionnement engendre une unité de dette et une pluralité de liens d'obligations. La première prenant le pas sur la seconde, serait alors justifié l'extension de la clause compromissoire consentie par le débiteur principal à la caution. Cette solution procède d'une vision exagérément abstraite du cautionnement et ne tient pas compte d'une réalité pourtant tangible : si la caution s'engage à payer la dette du débiteur principal, elle le fait au moyen d'un engagement qui s'en distingue clairement. L'extension ne se justifie donc pas davantage par ce biais.
(23) Sur ce point, v. E. Loquin, De la transmission et de l'extension de la clause compromissoire : un "grand arrêt" de la première chambre civile de la Cour de cassation, RTDCiv., 2007, p. 677.
(24) En ce sens, et récemment : Cass. com., 23 septembre 2014, n° 13-22.624, F-D (N° Lexbase : A3251MXP).
(25) Pour un examen rapide de la consistance du droit au juge, voir l'arrêt suivant : CEDH, 22 juin 2006, Req. n° 423/03 (N° Lexbase : A9614DPR), considérant 41 à 51.
(26) Cass. com., 19 décembre 2006, n° 05-14.816, FS-P+B+I+R (N° Lexbase : A9941DSY) et Cass. com., 30 juin 2009, n° 08-11.902, FS-P+B+R (N° Lexbase : A5782EIY). Ces arrêts avaient eux-mêmes suivi la voie tracée par la troisième chambre civile un peu plus tôt : Cass. civ. 3, 22 octobre 2003, n° 02-10.926, FS-P+B (N° Lexbase : A9423C9U) et Cass. Civ. 3, 23 février 2005, n° 03-20.110, FS-P+B (N° Lexbase : A8728DGD).
(27) Sur ce point : B. Moreau, A. Beregoi, R. Descours-Karmitz, P. E. Mallet, A. Leleu, Arbitrage commercial, in Répertoire Dalloz de droit commercial, spéc. n° 243 et 244.
(28) Ibid, n° 413 à 418. Pour un exemple en jurisprudence : CA Agen, 14 décembre 2005, Banque et Droit, septembre-octobre 2006. 70, obs. N. Rontchevsky.
(29) Hormis l'hypothèse, admise également dans ce cadre, d'une fraude ou d'un "moyen propre" que le débiteur ne saurait faire valoir. Au sujet de l'incohérence de cette situation, où toutes les voies de recours sont fermées à la caution, voir les observations de C. Legros relatives à l'arrêt CA Paris, 8 mars 2001, in Revue de l'arbitrage, 2001, p. 567.
(30) Ce d'autant plus que, dans cette espèce, la société débitrice était une filiale à 100 % de la caution, société mère. Or malgré cette étroite proximité, la Cour de cassation ne retient pas l'extension de la clause compromissoire et ouvre la voie de la tierce-opposition : à plus forte raison pourra-t-elle réitérer cette solution, lorsque caution et débiteur entretiendront des liens plus distendus.
(31) Pour ne citer qu'un exemple, probablement le plus saillant : Cass. mixte, 8 juin 2007, n° 03-15.602, P+B+R+I (N° Lexbase : A5464DWB).

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Procédure administrative

[Brèves] Demande d'intervention du juge du référé "mesures utiles" : le litige doit relever de la compétence de la juridiction administrative

Réf. : CE 9° et 10° s-s-r., 5 juin 2015, n° 389178, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A2040NKR)

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Le 13 Juin 2015

Les mesures sollicitées sur le fondement de l'article L. 521-3 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3059ALU) ne doivent pas être manifestement insusceptibles de se rattacher à un litige relevant de la compétence de la juridiction administrative, relève le Conseil d'Etat dans un arrêt rendu le 5 juin 2015 (CE 9° et 10° s-s-r., 5 juin 2015, n° 389178, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A2040NKR). Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif de Lille que M. X a demandé qu'il soit enjoint au conseil supérieur de la mutualité de lui communiquer différentes pièces relatives à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Artois pour lui permettre de contester la capacité à agir de cette caisse dans une instance engagée devant la cour d'appel de Douai contre un jugement du tribunal des affaires de Sécurité sociale d'Arras. Le juge des référés n'a commis aucune erreur de droit en jugeant qu'une telle demande, manifestement insusceptible de se rattacher à un litige relevant de la juridiction administrative, était portée devant une juridiction incompétente pour en connaître. Dès lors, les conclusions de M. X doivent être rejetées .

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Procédure administrative

[Jurisprudence] La faculté pour le juge de liquider une astreinte à l'encontre d'une personne privée occupant irrégulièrement le domaine public ne méconnaît pas le droit au respect des biens

Réf. : CE 3° et 8° s-s-r., 6 mai 2015, n° 377487, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A5838NHP)

Lecture: 16 min

N7620BUR

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par Christophe De Bernardinis, Maître de conférences à l'Université de Lorraine et Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Procédure administrative"

Le 11 Juin 2015

Dans un arrêt rendu le 6 mai 2015, le Conseil d'Etat a dit pour droit que la faculté pour le juge de liquider une astreinte à l'encontre d'une personne privée occupant irrégulièrement le domaine public ne méconnaît pas le droit au respect des biens. Le législateur a mis en place d'importants dispositifs visant à combattre les travers d'une administration récalcitrante à exécuter les décisions du juge administratif (1), mais il n'a pas précisé le régime de l'astreinte adressée à l'administré, personne privée. Or, l'une des particularités du régime de la contravention de grande voirie est, contrairement au contentieux administratif classique essentiellement dirigé contre une administration qui défend, d'adresser les astreintes à ces administrés personnes privées, l'administration étant la requérante. Le régime des astreintes ainsi prononcées varie alors selon la qualité du contrevenant, la qualité publique ou privée étant primordiale pour rendre compte de la variation des fondements des pouvoirs du juge de l'astreinte. Les astreintes adressées aux personnes privées échappent ainsi à la loi et au champ d'application des articles L. 911-1 et suivants du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3329ALU) et n'ont jamais fait l'objet d'une approche spéciale de la part du juge. Néanmoins, dans le silence de la loi, le Conseil d'Etat a récemment rendu toute une série de décisions relatives aux astreintes en matière d'occupation illégale des dépendances soumises au régime de la grande voirie. Ces décisions ont conforté l'évolution jurisprudentielle et législative qui tend à conférer au juge un rôle toujours plus actif pour veiller au respect effectif et concret de ces décisions, évolution qui est encore ici confirmée dans l'arrêt rapporté.

Il ressort des pièces du dossier que la cour administrative d'appel de Marseille a condamné le requérant, personne privée, par un arrêt devenu définitif en date du 27 février 2006, à remettre en état les lieux qu'il occupait sur le domaine public maritime à Bonifacio, sous astreinte de 75 euros par jour de retard à l'issue d'un délai de deux mois à compter de la notification du jugement. L'appontement, l'escalier et la cale de mise à l'eau de sa propriété empiétaient sur le domaine public maritime. Un premier jugement du tribunal administratif de Bastia en date du 12 avril 2012 a ensuite condamné le requérant à payer la somme de 88 575 euros au titre de la liquidation de cette astreinte pour la période du 12 juin 2008 au 7 septembre 2011. Un second jugement de ce même tribunal, en date du 18 juillet 2013, l'a condamné à payer la somme de 43 425 euros au même titre pour la période du 8 septembre 2011 au 9 avril 2013. Enfin, la cour administrative d'appel de Marseille, à nouveau saisie, a rejeté l'appel du requérant contre le premier jugement et ramené l'astreinte prononcée par le second jugement à la somme de 11 580 euros. Par un pourvoi en cassation, le requérant demande l'annulation de l'arrêt et le règlement de l'affaire au fond.

La cour administrative d'appel a jugé qu'étaient notamment inopérants, dans l'instance relative à la liquidation de l'astreinte, les moyens tirés de ce que le domaine public n'aurait fait l'objet d'aucune délimitation et de ce que le requérant n'aurait pas construit l'appontement litigieux et n'en serait pas propriétaire. A travers son pourvoi, le requérant met notamment en avant le fait que la faculté pour le juge administratif de liquider une astreinte à l'encontre d'une personne privée occupant irrégulièrement le domaine public ne soit pas prévue par la loi méconnaîtrait l'article 1er du premier Protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (N° Lexbase : L1625AZ9) reconnaissant un droit général au respect des biens (2) et un droit spécifique contre la privation de propriété (3). L'alinéa 2 de cet article disposant que ces droits consacrés "ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes".

En réponse, le Conseil d'Etat reprend d'abord la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), selon laquelle les stipulations de l'article 1er du premier Protocole, "en mentionnant 'les conditions prévues par la loi', visent à la fois le droit écrit et le droit non écrit, et exigent seulement que ce droit soit, d'une part, suffisamment accessible et, d'autre part suffisamment précis et prévisible pour que le citoyen, en s'entourant le cas échéant de conseils éclairés, soit à même de prévoir, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences de nature à découler d'un acte déterminé". Il rappelle ensuite que "la faculté d'assortir sa décision d'une astreinte, en application d'un principe général, est employée de manière constante, depuis plusieurs décennies, par le juge administratif statuant en matière d'occupation irrégulière du domaine public" et, qu'ainsi, "la personne faisant l'objet d'une action contentieuse devant le juge administratif pour occupation irrégulière du domaine public est en mesure de prévoir que ce juge peut assortir l'injonction de libérer les lieux d'une astreinte, qui sera en principe liquidée si, à l'issue du délai fixé par le jugement, celui-ci n'a pas été entièrement exécuté".

Il n'y a donc pas en ce sens méconnaissance de l'article 1er du premier Protocole en l'espèce. La décision s'inscrit ainsi en bonne ligne dans la logique des jurisprudences précédentes confirmant le fait que le pouvoir du juge des astreintes adressées aux personnes privées contrevenantes relève d'un principe général du droit qui vise à conforter la plénitude de la mission du juge. La faculté pour le juge de liquider une astreinte à l'encontre d'une personne privée occupant irrégulièrement le domaine public faisant partie intégrante de ce pouvoir relève également de ce principe général du droit (I). L'absence de base légale liée à cette faculté ne méconnaissant pas le droit au respect des biens tel qu'il est consacré par l'article 1er du premier Protocole (II).

I - Une faculté pour le juge de liquider une astreinte à l'encontre d'une personne privée reconnue comme un principe général du droit

La décision d'espèce a d'abord mis en avant que "la faculté reconnue aux juges de prononcer une astreinte à l'encontre de personnes privées en vue de l'exécution de leurs décisions, dont découle celle de liquider cette astreinte lorsque la personne se refuse [...] a le caractère d'un principe général". Les pouvoirs du juge administratif en matière d'astreintes prononcées à l'encontre d'une personne privée ont, en effet, fait l'objet dernièrement d'un certain nombre de décisions de la part du Conseil d'Etat dans le domaine des contraventions de grande voirie. Ces décisions ont confirmé l'application d'un principe général du droit en la matière qui se manifeste à travers le prononcé même des astreintes (A) mais aussi à travers le large pouvoir d'appréciation du juge pour liquider l'astreinte (B).

A - Un principe général du droit qui se manifeste dans le prononcé même des astreintes

La reconnaissance d'un principe général du droit en la matière ne fait plus l'objet d'ambiguïtés depuis la décision "Voies navigables de France" du 5 février 2014 (4). Ce principe n'est pas une nouveauté et avait même déjà été mentionné dans l'affaire "Barre et Honnet" (5) où le Conseil d'Etat avait, lui-même, jugé que la faculté reconnue aux juges d'assortir d'une astreinte les injonctions qu'ils adressent aux parties en vue de l'exécution de leurs décisions avait le caractère d'un principe général du droit. Il avait, en effet, été dégagé lors du contrôle de légalité d'un acte réglementaire organisant les pouvoirs du juge judiciaire et il était donc possible de penser que ce principe ne s'appliquait pas au juge administratif.

Il n'existait, même avant la loi n° 80-539 du 16 juillet 1980, relative aux astreintes prononcées en matière administrative et à l'exécution des jugements par les personnes morales de droit public (N° Lexbase : L3531HD7), aucun obstacle à ce que le juge administratif condamne une personne privée à une astreinte, à l'exception de celles chargées d'une mission de service public, qui peuvent être assimilées à une administration (6). Compte tenu de la nature du contentieux administratif, il n'avait certes pas l'occasion de le faire très fréquemment, mais il le faisait, notamment, en matière de contraventions de grande voirie (7). Du reste, même après l'adoption de la loi du 16 juillet 1980, il ne vise pas nécessairement cette loi pour condamner une personne privée à une astreinte, notamment, une fois encore, en matière de contraventions de grande voirie (8). Ainsi, en matière de contraventions de grande voirie, et sauf à ce que l'auteur de celle-ci soit une personne publique ou une personne privée gestionnaire de service public, c'est en vertu de ses pouvoirs généraux et non des dispositions du Code de justice administrative que le juge administratif pouvait prononcer des astreintes, mais sans qu'il y ait de véritable principe général du droit.

Puis petit à petit, il a discrètement relancé le débat. Il a ainsi jugé que s'il l'estimait opportun, le juge pouvait repousser la date d'effet de l'astreinte, sans pour autant accorder au contrevenant un délai pour évacuer les lieux (9), puis il s'est, notamment, prononcé sur le pouvoir d'appréciation du juge de l'astreinte en ne l'estimant pas lié par la demande de l'administration, le juge pouvant ainsi prononcer une astreinte même si le requérant n'avait pas présenté de conclusions en ce sens (10). Cela revenait implicitement à reconnaître au juge la faculté de prononcer une astreinte mais pas encore forcément dans le cadre d'un principe général du droit. La décision "Voies navigables de France" du 5 février 2014 confirme le pouvoir discrétionnaire d'astreindre du juge des contraventions de grande voirie mais elle fait surtout de ce pouvoir l'une des manifestations d'un principe général du droit "selon lequel les juges [judiciaire et administratif] ont la faculté de prononcer une astreinte en vue de l'exécution de leurs décisions". En conséquence, le juge tranche la question de la répartition du montant de l'astreinte en écartant logiquement l'application de l'article L. 911-8 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L8525DGT) (lequel autorise à ne pas verser la totalité du montant de l'astreinte à la victime) lorsque le défendeur est une personne privée.

B - Un principe général du droit qui se manifeste dans le large pouvoir d'appréciation du juge dans la liquidation de l'astreinte

Lorsqu'il a prononcé une astreinte dont il a fixé le point de départ, le juge administratif doit se prononcer sur la liquidation de l'astreinte, en cas d'inexécution totale ou partielle ou d'exécution tardive. Comme en matière de prononcé de l'astreinte, le juge conserve un très large pouvoir d'appréciation et n'est pas tenu de liquider l'astreinte. Le juge peut ainsi se livrer à une appréciation souveraine des faits de la cause en refusant de faire usage, à la demande du défendeur, de son pouvoir de modération du taux de cette astreinte (11). De même, lorsque le juge a prononcé une astreinte à l'encontre d'une administration qui n'a pas totalement exécuté une décision juridictionnelle, il peut majorer ultérieurement le taux de l'astreinte si l'administration persiste à ne pas exécuter cette décision (12). Enfin, la renonciation d'un requérant à obtenir le versement des sommes devant résulter, le cas échéant, de la liquidation d'une astreinte ne fait pas obstacle à ce que, dès lors que les conditions en sont réunies, le Conseil d'État prononce la liquidation définitive de l'astreinte qu'il a prononcée (13).

Dans une décision "Voies navigables de France 2" (14) en date du 15 octobre 2014, le juge a mis en avant le fait qu'il peut aussi, le cas échéant, modérer l'astreinte provisoire ou la supprimer, même en cas d'inexécution de la décision juridictionnelle. Ce pouvoir de modération du juge trouve presque toujours à s'appliquer puisque, pour ne pas se lier pour l'avenir, les juridictions administratives préfèrent fixer des astreintes provisoires qui, contrairement aux astreintes définitives, peuvent être révisées voire supprimées au moment de leur liquidation. Il peut notamment la supprimer pour le passé et l'avenir, lorsque la personne qui a obtenu le bénéfice de l'astreinte n'a pas pris de mesure en vue de faire exécuter la décision d'injonction et ne manifeste pas l'intention de la faire exécuter. Il en est de même lorsque les parties se sont engagées dans une démarche contractuelle révélant que la partie bénéficiaire de l'astreinte n'entend pas poursuivre l'exécution de la décision juridictionnelle, sous réserve qu'il ne ressorte pas des pièces du dossier qui lui est soumis qu'à la date de sa décision, la situation que l'injonction et l'astreinte avaient pour objet de faire cesser porterait gravement atteinte à un intérêt public ou ferait peser un danger sur la sécurité des personnes ou des biens.

Cette décision confirme que le juge peut modérer les astreintes provisoires en diminuant leur montant pour tenir compte de la diligence du contrevenant et elle valide surtout la possibilité de supprimer l'astreinte alors même que la décision n'a pas été exécutée. Cependant, cette possibilité de modération ne peut être mise en oeuvre que lorsque la situation que l'astreinte doit faire cesser ne porte pas "gravement atteinte à un intérêt public" et ne fait pas "peser un danger sur la sécurité des personnes ou des biens". Au final et quoi qu'il en soit, cette solution laisse à penser que l'obligation de poursuivre le contrevenant est largement aménagée dans ses effets et laisse une grande marge de manoeuvre au juge administratif, ce qui peut poser problème au regard de l'absence de base légale d'un tel pouvoir sachant que l'article 1er du premier Protocole légitime les atteintes au droit aux biens, comme c'est le cas en l'espèce à travers ce pouvoir de liquidation de l'astreinte, à la présence de base légale.

II - Une faculté pour le juge de liquider une astreinte à l'encontre d'une personne privée dont l'absence de base légale ne méconnaît pas le droit au respect des biens

Au regard de l'ancienne jurisprudence précitée "Barre et Honnet" de 1974, le pouvoir d'astreindre des juges s'exerçait dans le cadre des lois et règlements. Il y était notamment précisé qu'il revenait au législateur d'étendre ou de restreindre les limites de cette faculté et non pas au juge comme c'est le cas en l'espèce. Pour le Conseil d'Etat, en l'espèce, la qualification de principe général permet d'user de cette faculté sans le texte et, le cas échéant, d'office. L'argument concernant l'atteinte aux dispositions constitutionnelles tenant notamment à l'exigence de séparation des pouvoirs est ainsi rejeté (15). Reste l'atteinte supposée au droit garanti par l'article 1er du premier Protocole, l'article et les notions y figurant, notamment celle tenant à l'exigence de base légale, font l'objet d'une appréciation autonome de la part du juge européen (A). Celle-ci a été reprise par le juge en l'espèce mais il aurait pu avoir une interprétation différente, notamment en tenant compte de la dernière jurisprudence en date de la Cour européenne des droits de l'homme (B).

A - Une interprétation autonome de l'exigence de base légale reprise par le Conseil d'Etat

L'article 1er du premier Protocole comprend formellement deux alinéas. Le premier alinéa consacre un droit général au respect des biens et un droit spécifique contre la privation de propriété. Le second alinéa ne sert pas à consacrer d'autres droits de l'Homme spécifiques mais, au contraire, à sauvegarder les droits que possède l'Etat en matière de réglementation économique et de perception des impôts, contributions et amendes. Cette article a, néanmoins, fait l'objet d'une réécriture jurisprudentielle qui a consisté à relier le principe général du droit au respect des biens au principe de proportionnalité et à le faire servir à protéger non plus deux, mais trois droits spécifiques : le droit à une protection contre la privation du droit de propriété auquel sont venus s'ajouter le droit à une protection contre une réglementation excessive de l'usage des biens et un droit subsidiaire et ramasse-tout contre les atteintes à la substance du droit de propriété (16).

Cette interprétation a puissamment renforcé la position européenne des propriétaires en transformant leurs contraintes en droit à tel point que l'article a été appliqué dans bien d'autres domaines aboutissant à une étonnante extension de la notion de biens (17) et à une consécration jurisprudentielle d'un droit de construire. Cette notion de biens telle que définit par l'article 1er du premier Protocole jouit, de plus, d'une autonomie qui lui a été expressément reconnue par le juge européen et qui lui a permis de placer sous protection européenne des intérêts patrimoniaux que nul n'aurait songé à qualifier de "biens" (18). Un des concepts amplificateurs les plus propices à cette extension est le concept d'espérance légitime qui va jusqu'à permettre d'accorder cette qualification à une créance d'origine délictuelle qui n'a encore été ni constatée, ni liquidée (19).

En ce qui concerne la notion d'espèce à savoir celle de la nécessité d'une "base légale" à toute atteinte au droit aux biens, il faut savoir que le Conseil constitutionnel (20) et le droit de l'Union européenne (21) réduisent cette exigence à la présence d'une loi, tandis que la Cour européenne des droits de l'Homme a une conception plus vaste de cette condition. La notion de "loi" est ici entendue de manière plus large qu'elle ne l'est en droit interne. Elle signifie que toute mesure privative doit reposer sur une base légale écrite ou non écrite, de nature législative ou réglementaire (22). Cela lui permet d'englober tous les systèmes juridiques européens. Mais, la seule existence d'une "loi" ne suffit pas : celle-ci doit être accessible, intelligible et prévisible (23). Tel n'est pas le cas d'une expropriation indirecte prévue par une jurisprudence insuffisamment claire et abondante (24) ou d'une expropriation de fait reposant sur un fondement vague (25). Il en est de même d'une disposition du Code général des impôts qui fonde une mesure de préemption arbitraire, sélective et non prévisible (26).

Le Conseil d'Etat reprend en l'espèce l'argumentation du juge européen en soulignant que la jurisprudence européenne n'exige pas une loi et qu'en mentionnant "les conditions prévues par la loi", elle vise "à la fois le droit écrit et le droit non écrit" et exige seulement que ce droit soit seulement, d'une part, "suffisamment accessible" et, d'autre part, "suffisamment précis et prévisible pour que le citoyen, en s'entourant le cas échéant de conseils éclairés, soit à même de prévoir, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences de nature à découler d'un acte déterminé". C'est le cas en l'espèce dans la mesure où la faculté d'assortir la décision d'une astreinte "est employée de manière constante depuis plusieurs décennies par le juge administratif statuant en matière d'occupation irrégulière du domaine public" et que la personne se défendant est "en mesure de prévoir que ce juge peut assortir l'injonction de libérer les lieux d'une astreinte".

B - Une interprétation néanmoins discutable au regard des dernières évolutions de la jurisprudence européenne

La solution développée en l'espèce a le mérite de protéger indirectement le domaine public et va dans la logique qui prévalait jusque là devant le juge européen qui a notamment admis la compatibilité du régime domanial français avec les exigences européennes de l'article 1er du premier Protocole. Si, au départ, la Cour européenne des droits de l'Homme a pu être susceptible d'encourager l'occupation illégale des propriétés publiques, la jurisprudence ultérieure a plutôt été de nature à rassurer les partisans d'une protection étendue de la propriété publique.

Ainsi, la Cour a pu juger, en premier lieu, que, même si un particulier occupe irrégulièrement un terrain, "la tolérance des autorités de l'Etat" peut conduire à lui reconnaître "un intérêt patrimonial relatif à son habitation" suffisant pour constituer "un bien" au sens de l'article 1er du premier Protocole (27). Or, la jurisprudence nationale considère que l'occupant sans titre du domaine public ne saurait brandir l'article premier comme un bouclier contre des mesures d'expulsion ou de démolition (28) et que l'occupant régulier du domaine public lui-même ne peut utilement l'invoquer (29).

Puis, en second lieu, le juge européen est quelque peu revenu sur cette jurisprudence aux termes de deux décisions du 29 mars 2010. La Cour européenne a ainsi jugé, à propos de deux résidences secondaires, édifiées irrégulièrement sur le domaine public maritime dans le Morbihan, mais occupées paisiblement et avec l'accord de l'administration depuis trente et cinquante ans, que "le temps écoulé a fait naître l'existence d'un intérêt patrimonial du requérant à jouir de la maison, lequel était suffisamment reconnu et important pour constituer un 'bien' au sens de [l'article 1er du premier Protocole], mais que les autorités n'avaient en l'espèce pas porté atteinte à cet intérêt en exigeant des occupants qu'ils quittent leurs habitations et les détruisent sans indemnité" (30). Les deux décisions ont amené par elles-mêmes une protection plus étendue de la propriété publique mais elles ont fait l'objet d'appréciations particulièrement critiques de la part de la doctrine. Manifestant "beaucoup de liberté avec la rigueur juridique" (31), elles auraient conduit à consacrer une solution "inique" (32), "inéquitable et particulièrement injuste" (33).

Le juge européen a pu statuer tout récemment dans une affaire assez liée à celle des maisons du Morbihan et tourne quelque peu le dos à cette jurisprudence de 2010. Etait en cause une société requérante qui acheta par un acte de vente notarié un complexe immobilier et productif dans une lagune de la province de Venise. Elle y exploitait une forme particulière d'élevage piscicole. A trois reprises, en 1989, 1991 et 1994, la direction provinciale de l'administration des finances intima à la requérante de quitter la propriété, au motif que cette dernière appartenait en réalité au domaine public maritime. Par la suite la requérante saisit les tribunaux internes afin d'obtenir la reconnaissance de sa qualité alléguée de propriétaire de la propriété. Sa demande fut rejetée par le tribunal, qui jugea que celle-ci appartenait au domaine de l'Etat et que la requérante était, en conséquence, redevable envers l'administration, pour l'occupation sans titre de cette vallée, d'une indemnité particulièrement conséquente dont le montant devrait être fixé à l'issue d'une procédure séparée. Cette décision fut confirmée en appel et en cassation.

Pour la Cour, il s'agit d'une "ingérence" au regard du droit du requérant au respect de ses biens, qu'il convient d'analyser comme constitutive d'une "privation de propriété". Si ladite ingérence n'est pas en tant que telle, étrangère à des considérations d'intérêt général, en revanche, à l'inverse de 2010, l'ingérence, effectuée sans indemnisation et en imposant à la requérante des charges supplémentaires, était manifestement non proportionnée au but légitime poursuivi. Ainsi, l'Etat n'a pas ménagé un juste équilibre entre les intérêts publics et privés en jeu et la requérante a dû supporter une charge excessive et exorbitante. La solution semble ainsi plus équitable et plus juste que celle de 2010 et montre comment le juge européen peut assurer une protection effective du droit pour chacun au respect de ses biens face aux prétentions de l'Etat qui peuvent parfois se révéler abusives.

Le Conseil d'Etat a suivi la jurisprudence européenne concernant, en l'espèce, l'interprétation des "conditions prévues par la loi" et rejeté en conséquence le pourvoi du requérant, mais il aurait pu s'en éloigner en s'inspirant de la jurisprudence plus protectrice ainsi mise en place récemment par la Cour. De façon plus pragmatique, il va néanmoins plus loin que le juge de Strasbourg dans la mesure où celui-ci n'a jamais mis en avant l'existence d'un mécanisme d'astreinte, sa jurisprudence se concentrant sur l'exécution effective des jugements rendus. La seule obligation processuelle nettement affirmée est celle d'une possibilité de réparation du préjudice subi du fait du retard d'exécution. En confirmant l'existence d'un principe général du droit dans son pouvoir de liquidation de l'astreinte, il dépasse la jurisprudence européenne. Loin d'être affirmée comme une simple modalité, l'astreinte semble, au contraire, devoir faire partie intégrante de l'office du juge administratif et c'est, au final, une conclusion qui s'impose d'elle-même.


(1) Cf. loi n° 80-539 du 16 juillet 1980, relative aux astreintes prononcées en matière administrative et à l'exécution des jugements par les personnes morales de droit public (N° Lexbase : L3531HD7) (JO, 17 juillet 1980, p. 1799), et loi n° 95-125 du 8 février 1995, relative à l'organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative (N° Lexbase : L1139ATD) (JO, 9 février 1995, p. 2175), qui ont été codifiées aux articles L. 911-1 (N° Lexbase : L3329ALU) à L. 911-10 du Code de justice administrative.
(2) "Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens".
(3) "Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international".
(4) CE 3° et 8° s-s-r., 5 février 2014, n° 364561, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A9270MDP), JCP éd. A, 2014, n° 2197, note C. Chamard-Heim, AJDA, 2014, p. 1171, note N. Ach. Lire nos obs., Le développement de l'exercice libéral du juge de la contravention de grande voirie en matière de liquidation d'astreinte, Lexbase Hebdo n° 325 du 27 mars 2014 - édition publique (N° Lexbase : A9270MDP).
(5) CE, 10 mai 1974, Barre et Honnet, Rec. CE, p. 276, AJDA, 1974, p. 525, chron. M. Franc et M. Boyon.
(6) CE, Sect., 17 octobre 1986, n° 63472 (N° Lexbase : A4822AMK), Rec. CE, p. 234, concl. M. Roux.
(7) Voir, notamment, CE, Sect., 3 février 1978, n° 01008 (N° Lexbase : A2058B7D), Rec. CE, p. 48, concl. M. Gentot.
(8) CE, Sect., 1er février 1985, n° 51749 (N° Lexbase : A3745AMN), Rec. CE, Tables, p. 627 ou CE 2° et 6° s-s-r., 24 juillet 1987, n° 44897 (N° Lexbase : A3384APZ), Rec. CE, p. 280.
(9) CE, 10 décembre 1999, n° 179628 (N° Lexbase : A4954AXR), RDI, 2000, p. 157, chron. Lavialle et Vallée.
(10) CE 3° et 8° s-s-r., 25 septembre 2013, n° 354677 (N° Lexbase : A9649KLX), Rec. CE, Tables, p. 801, AJDA, 2014, p. 290, note Duroy.
(11) CE, 15 mars 2004, n° 259803, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A6151DBG), p. 840.
(12) CE, 22 mars 1999, n° 145048 (N° Lexbase : A4318AX9), Rec. CE, Tables, p. 968.
(13) CE, 16 février 2000, n° 147650 (N° Lexbase : A9208AG7), Rec. CE, p. 1178.
(14) CE 3° et 8° s-s-r., 15 octobre 2014, n° 338746, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A6647MYT).
(15) Cons. const., décision n° 2014-455 QPC du 6 mars 2015 (N° Lexbase : A7734NCG) (possibilité de verser une partie de l'astreinte prononcée par le juge administratif au budget de l'Etat), JO, 8 mars 2015, p. 4313. La décision déclare conforme à la Constitution l'article L. 911-8 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L8525DGT) qui permet au juge d'affecter une partie de l'astreinte au budget de l'Etat. Le Conseil constitutionnel a non seulement précisé les modalités d'utilisation de cette disposition, mais a surtout affirmé sa jurisprudence sur le droit à l'exécution des décisions de justice. Il appartient au juge de veiller au respect de ce droit et l'astreinte constitue à cet effet un outil privilégié attaché à son office.
(16) Cf. CEDH, 23 septembre 1982, Req. 7151/75 et 7152/75 (N° Lexbase : A5103AYN) in GACEDH, 6ème éd., PUF, 2011, n° 67.
(17) On peut citer parmi ces domaines autres que la construction : les oeuvres d'art, les noms de domaine, la chasse, la propriété intellectuelle....
(18) Cette autonomie lui a été reconnue par l'arrêt CEDH, 23 janvier 1995, Req. 15375/89 (N° Lexbase : A6648AW7).
(19) L'arrêt à l'origine du concept concernait directement le droit de la construction : CEDH, 29 novembre 1991, Req. 12742/87 (N° Lexbase : A6412AWE).
(20) La compétence du législateur en matière de privation de la propriété ressort de l'article 17 de la DDHC (N° Lexbase : L1364A9E) ("légalement constatée") et surtout de l'article 34 de la Constitution (N° Lexbase : L0860AHC) qui donne compétence au législateur pour fixer les règles concernant le régime de la propriété et les nationalisations d'entreprises. Une loi doit donc être à la source de la mesure privative de propriété et celle-ci doit satisfaire, comme toutes les autres, aux exigences constitutionnelles d'accessibilité et d'intelligibilité. Le législateur est tenu d'exercer pleinement sa compétence. Il ne peut pas renvoyer à une autre autorité certains éléments d'appréciation de la privation de propriété. Un établissement public ne peut donc pas instaurer lui-même une servitude administrative. Le pouvoir réglementaire ne peut intervenir que si l'habilitation législative qui lui est donnée est suffisamment précise. Par ailleurs, le législateur doit intervenir pour fixer les garanties légales préservant le droit de propriété ; à défaut, il méconnaît l'étendue de sa compétence.
(21) La Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (N° Lexbase : L8117ANX) contient la même exigence, puisque son article 17 énonce que les cas et les conditions de privations de propriété doivent être prévues par la loi.
(22) CEDH, 25 mars 1999, Req. 31107/96 (N° Lexbase : A7053AW7), § 58.
(23) CEDH, 5 janvier 2000, Req. 33202/96 (N° Lexbase : A6718AWQ).
(24) CEDH, 27 mai 2010,  Req. 11765/05 (N° Lexbase : A5682EXQ).
(25) CEDH, 24 juin 1993, Req. 14556/89.
(26) CEDH, 22 septembre1994, Req. 13616/88 (N° Lexbase : A5109AYU), § 42.
(27) CEDH, 30 novembre 2004, Req. 48939/99 (N° Lexbase : A0928DE4).
(28) Par ex., CAA Bordeaux, 1ère ch., 12 novembre 2009, n° 09BX00559, inédit au recueil Lebon ([LXB=]).
(29) Par ex., CE 3° et 8° s-s-r., 14 avril 2008, n° 298810 (N° Lexbase : A9507D7A), Rec. CE, p. 735.
(30) CEDH, 29 mars 2010, Req. 34078/02 (N° Lexbase : A2355EUR) et Req. 34044/02 (N° Lexbase : A2354EUQ).
(31) Cf. note sous l'arrêt, N. Foulquier, in RDI, 2010, p. 389.
(32) Cf. note sous l'arrêt, S. Manson, in RDP, 2010, p. 1451.
(33) Cf. note sous l'arrêt, M. Canedo-Paris in AJDA, 2010, p. 1311.

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Procédure civile

[Brèves] Absence de calendrier de procédure : les parties peuvent invoquer de nouveaux moyens et conclure jusqu'à la clôture de l'instruction

Réf. : Cass. civ. 2, 4 juin 2015, n° 14-10.548, F-P+B (N° Lexbase : A2279NKM)

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N7789BUZ

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Le 11 Juin 2015

En l'absence de calendrier de procédure fixé par le conseiller de la mise en état, à l'occasion de l'examen de l'affaire auquel il procède après l'expiration des délais pour conclure et communiquer les pièces, les parties peuvent, jusqu'à la clôture de l'instruction, invoquer de nouveaux moyens et conclure à nouveau. Telle est la précision apportée par un arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, rendu le 4 juin 2015 (Cass. civ. 2, 4 juin 2015, n° 14-10.548, F-P+B N° Lexbase : A2279NKM). Dans cette affaire, Mme A. est décédée laissant pour lui succéder Mme C., MM. A. et D.. En raison du désaccord entre les héritiers sur l'évaluation des biens immobiliers composant la succession, Mme C. a fait assigner ses frères devant un tribunal de grande instance. Un jugement a ordonné l'ouverture des opérations de comptes, liquidation et partage et fixé la valeur des divers biens composant la succession. Mme C., ayant relevé appel de ce jugement par déclaration du 13 décembre 2012, a conclu le 11 mars 2013 au soutien de son appel puis le 12 juillet 2013 en réponse aux conclusions d'intimés et d'appel incident déposées par MM. A. et D., le 13 mai 2013. Elle a de nouveau conclu les 27 et 30 septembre 2013. Pour déclarer irrecevables les écritures déposées par Mme C. les 27 et 30 septembre 2013, les juges d'appel (CA Aix-en-Provence, 12 novembre 2013, n° 12/23460 N° Lexbase : A3641KPK) ont retenu que l'article 912, alinéa 2, du Code de procédure civile (N° Lexbase : L0366ITQ) prévoit expressément que ce n'est que dans l'hypothèse où l'affaire nécessite de nouvelles conclusions que le conseiller de la mise en état en fixe le calendrier, après avoir recueilli l'avis des parties et que, n'ayant pas répondu au conseiller de la mise en état qui demandait aux parties si elles sollicitaient un calendrier en vue d'un nouvel échange de conclusions, Mme C. n'avait plus la possibilité de prendre de nouvelles écritures après l'échange de conclusions prévu par les articles 908 (N° Lexbase : L0162IPP) à 910 du Code de procédure civile. Enonçant le principe susmentionné, la Cour de cassation censure l'arrêt ainsi rendu sous le visa de l'article 912 du Code de procédure civile précité (cf. l’Ouvrage "Procédure civile" N° Lexbase : E5675EYT).

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Procédure civile

[Jurisprudence] Le recours contre une décision fixant la rémunération d'un expert judiciaire peut être formé par une lettre simple

Réf. : Cass. civ. 2, 21 mai 2015, n° 14-18.767, F-P+B (N° Lexbase : A5413NIC)

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N7772BUE

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par Emmanuel Raskin, Avocat au barreau de Paris, cabinet SEFJ, Chargé d'enseignement à l'Université Paris V, Président de la Commission nationale "Procédure" de l'ACE

Le 11 Juin 2015

Sous le visa des articles 714, alinéa 2 (N° Lexbase : L6919H7E), 715 (N° Lexbase : L6922H7I) et 724 (N° Lexbase : L6929H7R) du Code de procédure civile, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, par un arrêt du 21 mai 2015, vient de préciser très clairement le principe selon lequel il résulte de ces textes que le recours contre une décision du juge fixant la rémunération d'un expert est formé, dans le délai d'un mois, par la remise ou l'envoi au greffe de la cour d'appel d'une note exposant les motifs, une lettre simple suffisant pour former ce recours, la loi ne prévoyant pas l'envoi sous la forme recommandée avec demande d'avis de réception. L'arrêt commenté est un arrêt de cassation.

Il convient de revenir sur la procédure ayant abouti à cette décision.

Mme X a formé le 24 juin 2013 un recours contre la décision, qui lui a été notifiée le 4 juin 2013, fixant à une certaine somme la rémunération de M. Y, expert désigné par le tribunal de grande instance. Le premier président de la cour d'appel de Toulouse a rendu une ordonnance le 12 février 2014 jugeant le recours formé par Mme X irrecevable car formulé par lettre simple et non par une lettre recommandée avec demande d'avis de réception "comme il est requis", selon les termes de ladite ordonnance. Mme X régularisa un pourvoi en cassation qui ne pouvait que prospérer.  La décision attaquée fut cassée en toutes ses dispositions et l'affaire fut renvoyée devant le premier président de la cour d'appel de Bordeaux, la cause et les parties ayant été remises dans l'état où elles se trouvaient avant l'ordonnance ainsi cassée.

I - La procédure en matière de taxation des honoraires de l'expert judiciaire

Selon l'article 282, alinéa 5, du Code de procédure civile (N° Lexbase : L7734IUY), le dépôt par l'expert de son rapport est accompagné de sa demande de rémunération, dont il adresse un exemplaire aux parties par tout moyen permettant d'en établir la réception. S'il y a lieu, celles-ci adressent à l'expert et à la juridiction ou, le cas échéant, au juge chargé de contrôler les mesures d'instruction, leurs observations écrites sur cette demande dans un délai de quinze jours à compter de sa réception.

Au-delà, l'article 284 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L7735IUZ) précise que, passé le délai précité, le juge fixe la rémunération de l'expert en fonction notamment des diligences accomplies, du respect des délais impartis et de la qualité du travail fourni.

Il autorise l'expert à se faire remettre jusqu'à due concurrence les sommes consignées au greffe. Il ordonne, selon le cas, soit le versement des sommes complémentaires dues à l'expert en indiquant la ou les parties qui en ont la charge, soit la restitution des sommes consignées en excédent.

Lorsque le juge envisage de fixer la rémunération de l'expert à un montant inférieur au montant demandé, il doit au préalable inviter l'expert à formuler ses observations. Le juge délivre à l'expert un titre exécutoire. L'expert est tenu de justifier tous les éléments de sa facture, si le juge lui en fait la demande et/ou si les parties en contestent le montant. Au demeurant, l'expert n'adresse jamais sa facture aux parties, par interdiction de l'article 248 du code précité (N° Lexbase : L1760H4X).

L'expert dresse un mémoire de ses honoraires et frais qu'il adresse au juge en lui demandant de procéder à sa taxation.

Si le juge considère que les sommes demandées par l'expert sont justifiées, il délivre à l'expert une ordonnance de taxation, assortie de l'exécution provisoire dans le cas d'une expertise.

II - Un formalisme de recevabilité du recours à l'encontre de l'ordonnance de taxe simple en apparence

En vertu de l'article 724 du Code de procédure civile, les décisions mentionnées aux articles 255 (N° Lexbase : L1775H4I), 262 (N° Lexbase : L1792H47) et 284, émanant d'un magistrat d'une juridiction de première instance ou de la cour d'appel, peuvent être frappées de recours devant le premier président de la cour d'appel dans les conditions prévues aux articles 714, alinéa 2, et 715 à 718 (N° Lexbase : L0422ITS).

L'article 724 est le seul article consacré aux contestations relatives à la rémunération des techniciens (chapitre V du titre 18ème "Les frais et les dépens").

Si la décision émane du premier président de la cour d'appel, elle peut être modifiée dans les mêmes conditions par celui-ci. Le recours et le délai pour l'exercer ne sont pas suspensifs d'exécution. Le recours doit, à peine d'irrecevabilité, être dirigé contre toutes les parties et contre le technicien s'il n'est pas formé par celui-ci.

L'expert va notifier l'ordonnance de taxation aux parties et leur rappellera les articles du Code de procédure civile relatifs à la possibilité d'un recours qui leur reste ouvert (cette formalité est obligatoire et nécessite l'écrit).

L'article 715 précise que le recours est formé par la remise ou l'envoi au secrétariat-greffe de la cour d'appel, d'une note exposant les motifs du recours.

A peine d'irrecevabilité du recours, copie de cette note est simultanément envoyée à toutes les parties au litige principal. L'article précité n'exige, cependant, aucun autre formalisme s'agissant du recours : la remise au secrétariat greffe ne pose pas de difficulté.

L'envoi, en revanche, peut en poser une d'un point de vue probatoire : comment prouver que le recours a bien été envoyé, non seulement dans le délai légal d'un mois, mais également simultanément à toutes les parties au litige principal ?

L'article 715 ne prévoit pas de notification par la voie recommandée avec demande d'accusé de réception. Pourtant, le non-respect du délai de recours est sanctionné par son irrecevabilité.

Il en est de même du non-respect de la condition de simultanéité, la fin de non-recevoir étant même d'ordre public, étant ici précisé que le recours doit également être adressé simultanément à l'expert.

La deuxième chambre civile adopte une position tendant à faire respecter la lettre du texte : "le premier président, qui a ajouté à la loi une condition qu'elle ne prévoit pas, a violé les textes sus-visés".

La forme recommandée avec demande d'accusé de réception n'est pas requise.

Cela semble effectivement curieux car les difficultés de preuve ne vont pas tarir s'agissant surtout de la simultanéité de l'envoi à toutes les parties au litige principal.

Devrait-on se fier tout bonnement à la date qui figurera sur la copie de la lettre d'envoi alors qu'elle pourrait très bien ne pas correspondre à la réalité ?

Les destinataires conserveront-ils l'enveloppe contenant le recours afin de vérifier le cachet y apposé ?

Cela est peu probable, surtout s'ils sont opposés à l'auteur du recours. La problématique devient donc inévitablement probatoire. Il convient, en effet, de souligner que si l'on ne justifie pas du respect du délai de procédure que constitue le délai de recours et de la condition de la simultanéité de l'envoi du recours à l'expert et aux autres parties prévues par l'article 715, alinéa 2, l'irrecevabilité du recours est encourue.

Pour éviter de longs débats sur ce terrain probatoire et aboutir in fine à l'irrecevabilité du recours pour défaut de preuve du respect des conditions posées, il eût été préférable que le texte ajoute la forme recommandée avec demande d'avis de réception, sauf à considérer que la date figurant sur la lettre simple fait foi de la date d'envoi, auquel cas l'alinéa 2 de l'article 715 n'aura plus grand intérêt...

Quoiqu'il en soit, en l'état dura lex, sed lex.


(1) Cass. civ. 2, 20 novembre 2003, n° 01-14.910, FS-P+B (N° Lexbase : A1954DAM), D., 2003, IR, 3009.
(2) Cass. civ. 2, 20 décembre 2007, n° 06-20.324, F-P+B (N° Lexbase : A1250D3P), Bull. civ., II, n° 272.

newsid:447772

Procédures fiscales

[Brèves] Une créance sur l'Etat détenue par une société ne constitue pas une garantie

Réf. : CE 9° et 10° s-s-r., 5 juin 2015, n° 386793, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A2030NKE)

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Le 12 Juin 2015

La détention d'une créance sur l'Etat, correspondant à un crédit d'impôt restituable, ne saurait valoir consignation au sens et pour l'application de l'article L. 279 du LPF (N° Lexbase : L3890IRI), relatif au sursis de paiement. Tel est le principe retenu par le Conseil d'Etat dans un arrêt rendu le 5 juin 2015 (CE 9° et 10° s-s-r., 5 juin 2015, n° 386793, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A2030NKE). En l'espèce, une société (requérante) a été assujettie à des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés. Elle les a contestées en assortissant sa réclamation d'une demande de sursis de paiement en application des dispositions de l'article L. 277 du LPF (N° Lexbase : L4684ICH). Le comptable public ayant refusé les garanties proposées, la société a, en application de l'article L. 279 du LPF, saisi le juge des référés du tribunal administratif de Lyon (TA Lyon, 4 novembre 2014, n° 1407956) qui, par une ordonnance, a rejeté sa demande comme irrecevable faute d'avoir consigné auprès du comptable, à un compte d'attente, une somme égale au dixième des impôts contestés. La société a alors soutenu qu'elle était titulaire d'une créance sur l'Etat, au titre du crédit d'impôt recherche, d'un montant de 1 890 269 euros et que cette créance valait consignation à hauteur du dixième des impositions contestées, soit 803 484 euros. Néanmoins, les juges du fond ont écarté cette argumentation en relevant, notamment, que la société n'alléguait pas être au nombre des entreprises mentionnées au II de l'article 199 ter B du CGI (N° Lexbase : L1695IZS) pouvant obtenir le remboursement immédiat de leur créance. Le Conseil d'Etat n'a pas suivi les juges du fond et a annulé l'ordonnance en question car, dans les faits, la société avait fait sa demande de restitution en tant que "PME au sens du droit communautaire", catégorie qui renvoie aux entreprises visées à l'article 199 ter B du CGI. Toutefois, au cas présent, la société requérante n'avait pas consigné auprès du comptable, selon l'une des formes prévues par l'article L. 279 du LPF, une somme égale au dixième des impôts contestés. Par conséquent, la circonstance, invoquée par la société devant le juge des référés, tirée de ce qu'elle serait titulaire d'une créance sur l'Etat au titre du crédit d'impôt recherche ne pouvait conduire à regarder sa demande comme recevable .

newsid:447781

Responsabilité médicale

[Brèves] Affaire "Vincent Lambert" : la décision d'arrêt de l'alimentation et de l'hydratation artificielle ne viole pas la CESDH

Réf. : CEDH, 5 juin 2015, Req. n° 46043/14 (N° Lexbase : A1981NKL)

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Le 11 Juin 2015

La loi n° 2005-370 du 22 avril 2005 (N° Lexbase : L2540G8L) a défini le cadre dans lequel un médecin peut prendre une décision de limiter ou d'arrêter un traitement qui traduirait une obstination déraisonnable, et ce, que le patient soit ou non en fin de vie. L'affaire "Vincent Lambert" illustre les difficultés d'application de la loi à des personnes, qui comme lui, sont maintenus en vie au moyen d'une alimentation et d'une hydratation artificielle. Tout l'enjeu du débat, consistait à déterminer si de tels soins pouvaient s'apparentaient à un traitement traduisant une obstination déraisonnable, et dans l'affirmative, s'ils devaient faire l'objet d'un arrêt. Dans un arrêt rendu le 24 juin 2014, le Conseil d'Etat (CE, 24 juin 2014, n° 375081 N° Lexbase : A6298MRP) avait jugé légale la décision des médecins de mettre fin à l'alimentation et à l'hydratation artificielle de M. Lambert. Si la CEDH avait rendu le même jour une décision ordonnant la suspension de l'exécution en attendant sa décision, elle a décidé aux termes d'un arrêt rendu le 5 juin 2015 (CEDH, 5 juin 2015, Req. n° 46043/14 N° Lexbase : A1981NKL), que l'arrêt du traitement ne violait, ni le droit à la vie protégé par l'article 2 de la CEDSH (N° Lexbase : L4753AQ4), ni l'article 3 (N° Lexbase : L4764AQI), relatif à l'interdiction des traitements inhumains et dégradants, ni même l'article 8 (N° Lexbase : L4798AQR), relatif au droit au respect de la vie privée et familiale. En l'espèce, M. Lambert, victime d'un accident de la route, a subit un grave traumatisme crânien qui le rendit tétraplégique et entièrement dépendant. Les soignants ayant cru percevoir chez le patient des signes d'opposition aux soins et à la toilette, engagèrent la procédure collégiale prévue par la loi "Léonetti", et visant à l'arrêt de l'hydratation et de l'alimentation artificielle. Invoquant l'article 2 de la CESDH, relatif au droit à la vie, les parents et les frères du patient considéraient que l'arrêt de l'alimentation et de l'hydratation artificielles était contraire aux obligations de l'Etat sur cette question. Ils soulevaient le manque de clarté de la loi et contestaient le processus ayant abouti à la décision d'arrêt des soins. En outre, invoquant l'article 3 de la CEDSH, ils estimaient que la privation de nourriture et d'hydratation constitue un mauvais traitement constitutif de torture. Enfin, invoquant l'article 8, ils soutenaient que les observations orales rapportées de M. Lambert sur les conditions éventuelles de sa fin de vie ne pouvaientt être retenues, car étant trop générales. A ce titre, ils soutenaient que l'arrêt de son alimentation s'analysait en une atteinte de son intégrité physique, ainsi qu'une ingérence dans leur droit au respect de leur vie familiale avec leur fils et frère. A tort selon la Cour européenne qui conclut que la décision interne litigieuse ne viole pas la CESDH .

newsid:447759

Rupture du contrat de travail

[Brèves] Calcul du minimum de l'indemnité de rupture conventionnelle : précisions relatives à son champ d'application

Réf. : Cass. soc., 3 juin 2015, n° 13-26.799, FS-P+B+R (N° Lexbase : A2216NKB)

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Le 12 Juin 2015

L'article L. 1237-13 du Code du travail (N° Lexbase : L8385IAS), relatif à l'indemnité de rupture conventionnelle, se réfère aux seules dispositions de l'article L. 1234-9 (N° Lexbase : L8135IAK) du même code relatif à l'indemnité de licenciement, de sorte que le calcul du minimum de l'indemnité est celui prévu par les articles R. 1234-1 (N° Lexbase : L2354IAG) et R. 1234-2 (N° Lexbase : L0417IB3) de ce code, et non celui prévu pour les journalistes à l'article L. 7112-3 du Code du travail (N° Lexbase : L3086H98). Telle est la solution dégagée par la Chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 3 juin 2015 (Cass. soc., 3 juin 2015, n° 13-26.799, FS-P+B+R N° Lexbase : A2216NKB).
En l'espèce, M. X a été engagé le 22 juillet 1985 par la société Y en qualité de rédacteur en chef adjoint, journaliste. Au dernier état de la relation de travail, il occupait les fonctions de rédacteur en chef du service politique économique et social de France 3, devenue France télévisions. Les parties ont, le 23 mars 2010, conclu une convention de rupture du contrat de travail, homologuée par l'autorité administrative. Le salarié a saisi la juridiction prud'homale de demandes tendant à ce que la rupture conventionnelle produise les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Pour accueillir les demandes du salarié relatives à la rupture du contrat de travail, la cour d'appel (CA Paris, Pôle 6, 6ème ch., 23 octobre 2013, n° 11/12386 N° Lexbase : A3173KNT) retient, d'une part, que l'avenant n° 4 du 18 mai 2009 à l'accord national interprofessionnel sur la modernisation du marché du travail du 11 janvier 2008 n'est pas applicable au litige, que les articles L. 1234-9, R. 1234-1 et R. 1234-2 du Code du travail ne fixent pas un mode de calcul unique de l'indemnité de licenciement mais un mode de calcul minimum auquel il peut être dérogé, et que l'indemnité de licenciement du journaliste prévue à l'article L. 7112-3 du Code du travail constitue une indemnité de licenciement, au sens de l'article L. 1234-9 du Code du travail auquel la convention de rupture ne pouvait pas déroger par application des dispositions de l'article L. 1237-13 du même code. D'autre part, elle retient que l'indemnité spécifique de rupture conventionnelle est l'un des éléments substantiels de la rupture conventionnelle, de sorte que le salarié ne peut y renoncer et que l'intéressé ayant perçu une indemnité inférieure à l'indemnité de licenciement qui lui était due, la convention de rupture n'est pas valide et produit les effets d'un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse. A la suite de cet arrêt, le salarié s'est pourvu en cassation.
En énonçant la règle susvisée, la Haute juridiction casse l'arrêt au visa des articles L. 1237-13, L. 1234-9, R. 1234-1 et R. 1234-2 du Code du travail (cf. l’Ouvrage "Droit du travail" N° Lexbase : E0210E7W).

newsid:447813

Sociétés

[Brèves] Administrateurs et membres du conseil de surveillance salariés : temps nécessaire pour exercer leur mandat et modalités de leur formation au sein de la société

Réf. : Décret n° 2015-606 du 3 juin 2015 (N° Lexbase : L7527I8B)

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N7760BUX

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Le 11 Juin 2015

Les articles L. 225-30-1 (N° Lexbase : L0617IX7) et L. 225-30-2 (N° Lexbase : L0618IX8) du Code de commerce, créés par l'article 9 de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 (N° Lexbase : L0394IXU), prévoient l'obligation pour certaines sociétés anonymes et en commandite par actions de désigner au sein de leur conseil d'administration ou de leur conseil de surveillance un ou deux administrateurs représentant les salariés. Un décret, publié au Journal officiel du 5 juin 2015, fixe le temps nécessaire à ces administrateurs pour exercer leur mission et détermine les modalités de leur formation (décret n° 2015-606 du 3 juin 2015 N° Lexbase : L7527I8B). Ainsi est-il prévu que ces administrateurs disposent d'un temps de préparation qui ne peut être inférieur à quinze heures ni supérieur à la moitié de la durée légale de travail mensuel par réunion du conseil d'administration ou du comité considéré. Le conseil d'administration le détermine en tenant compte de l'importance de la société, de ses effectifs et de son rôle économique et, le cas échéant, de l'objet de la réunion. Le temps consacré à l'exercice de leur mandat par les administrateurs élus par les salariés ou désignés est considéré comme temps de travail effectif et rémunéré comme tel à l'échéance normale. Leur formation doit leur assurer l'acquisition et le perfectionnement des connaissances et techniques nécessaires à l'exercice de leur mandat. Elle porte principalement sur le rôle et le fonctionnement du conseil d'administration, les droits et obligations des administrateurs et leur responsabilité ainsi que sur l'organisation et les activités de la société. Le conseil d'administration détermine, pour la durée du mandat, le contenu du programme de formation après avis des administrateurs concernés. Par ailleurs, le temps consacré à la formation est déterminé par le conseil d'administration, sans pouvoir être inférieur à vingt heures par an, au cours du mandat. Ce temps est pris sur le temps de travail effectif et rémunéré comme tel à l'échéance normale. Un accord d'entreprise ou, selon le cas, de groupe peut comporter des dispositions plus favorables. Il est aussi prévu que le conseil d'administration, après avis des administrateurs concernés, détermine le ou les organismes ou centres de formation chargés de dispenser la formation. L'organisme ou le centre de formation délivre, à la fin de la formation, une attestation d'assiduité que l'intéressé remet à son employeur. Le coût de la formation, y compris les frais de déplacement au titre de celle-ci, sont à la charge de la société et ne sont pas pris en compte dans le calcul des sommes consacrées à la formation continue. Ces dispositions sont applicables aux membres représentant les salariés au conseil de surveillance (cf. l’Ouvrage "Droit des sociétés" N° Lexbase : E3825EYC).

newsid:447760

Taxe sur la valeur ajoutée (TVA)

[Brèves] Confirmation de la responsabilité solidaire de l'associée d'une société de fait n'ayant pas participé à une infraction visant à éluder la TVA

Réf. : CE 9° et 10° s-s-r., 5 juin 2015, n° 369859, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A1993NKZ)

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Le 16 Juin 2015

Il résulte du régime juridique des sociétés en participation, défini aux articles 1871 (N° Lexbase : L2069ABA) et suivants du Code civil et étendu aux sociétés créées de fait par l'article 1873 du même code (N° Lexbase : L2074ABG), que les impositions dont une société de fait est redevable ne peuvent être mises à la charge que de ses associés connus de l'administration fiscale. Lorsque des droits supplémentaires de TVA doivent être mis à la charge d'une telle société, l'administration peut, sans que les stipulations des statuts de la société ne puissent, le cas échéant, lui être utilement opposés, soit établir un avis de mise en recouvrement portant sur la totalité de l'imposition dont la société est redevable en le libellant au nom d'un seul associé connu d'elle, soit établir des avis de mise en recouvrement libellés au nom de chacun des associés connus d'elle, à proportion de ses droits dans la société. Ainsi, dans les deux cas, l'administration peut, en l'absence de paiement par l'associé au nom duquel l'avis de mise en recouvrement a été libellé, en poursuivre le recouvrement auprès des autres associés connus d'elle, sans préjudice d'éventuelles actions de ceux-ci, devant l'autorité judiciaire, contre leurs associés demeurés ou non inconnus de l'administration. Telle est la solution retenue par le Conseil d'Etat dans un arrêt rendu le 5 juin 2015 (CE 9° et 10° s-s-r., 5 juin 2015, n° 369859, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A1993NKZ). En l'espèce, deux contribuables ont constitué entre elles une société de fait dont une (la requérante) était la gérante de droit et a été déclarée à l'administration fiscale. A la suite d'une vérification de comptabilité, il s'est avéré qu'une fraction du chiffre d'affaires de la société, qui avait été détournée par le mari de l'autre gérante de fait de la société, n'avait pas été soumise à la TVA. L'administration a alors mis à la charge de la requérante les droits supplémentaires de TVA. Le Conseil d'Etat a jugé dans le sens de l'administration en affirmant que ces droits supplémentaires de TVA, dont la société était redevable, pouvaient être mis à la charge de la requérante en sa qualité d'associée d'une société de fait déclarée à l'administration fiscale. En effet, l'administration pouvait soumettre à la TVA les sommes détournées par le gérant de fait de la société, dès lors qu'elles provenaient de prestations de services effectuées dans le cadre de l'exploitation et constituaient des recettes de celle-ci. Par conséquent, après avoir relevé que les sommes ainsi détournées constituaient des recettes de la société de fait, la cour administrative d'appel (CAA Nancy, 14 mai 2013, n° 11NC00530 N° Lexbase : A6373KDE), qui n'avait pas à rechercher si l'auteur de ces détournements était associé de la société, a pu, sans erreur de droit, juger que les sommes en cause devaient être soumises à la taxe .

newsid:447785