La lettre juridique n°604 du 12 mars 2015

La lettre juridique - Édition n°604

Éditorial

Causa, causa, causam, causae, causae, causa : en tout état de cause, la disparition de la cause n'est pas si entendue que cela !

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 17 Mars 2015


"Enfin !" poufferont les plus sceptiques ; "Déjà !" loueront les plus enthousiastes. Le projet d'ordonnance portant réforme du droit de contrat a fuité ; il est désormais soumis à la consultation publique jusqu'à fin avril 2015 : c'est dire le court laps de temps qui sera accordé aux non initiés pour annoter ledit projet et porter la contradiction. Il faut dire que l'affaire n'aura que trop duré : 10 ans d'avant-projets de réforme pour les plus optimistes, 200 ans de vie tortueuse, interprétative et contrastée pour les plus critiques. Au final, un projet d'ordonnance de 2015, datant en réalité... de 2013 ; un projet d'ordonnance de 2015 qui reprend, pour beaucoup, les innovations initiées en 2009, voire 2006. Le problème n'était ni l'étendue, ni les motifs inspirant la réforme, mais avant tout la méthode. Parlementaire ou non : la loi du 16 février 2015, relative à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures aura tranché par une départementalisation, relative, de la réforme du droit des contrats. Le Conseil constitutionnel aura beau avoir été saisi, la sanction tomba le 22 février dernier : la loi d'habilitation est suffisamment précise pour permettre de légiférer en la matière par voie d'ordonnance (sous-entendu, le Gouvernement sait où il va, le sujet est ma foi trop complexe et peu susciter l'inertie : la procédure de l'article 38 est un bon compromis si l'on veut que la réforme voit un jour... le jour).

Ceci étant écrit, nous laisserons à d'autres beaucoup plus légitimes et avertis que nous le soin de détailler le texte présenté quelques heures après la décision du Conseil constitutionnel. De toute manière, "Toutes les Sorbonne sont empoisonnées de réfutations", écrivait Alain dans La cause des livres. Nous n'apporterons ainsi, qu'on veuille bien nous le permettre, que deux pierres à l'édifice contradictoire de cette réforme -étant entendu que le fait que le droit français des contrats soit plus concurrentiel est un axiome (c'est-à-dire une vérité invérifiable, indémontrable, mais sur laquelle est basé notre raisonnement ; ici la nécessité d'une réforme et d'une modernisation dit-on).

Première pierre : le projet d'ordonnance fait oeuvre d'une pédagogie hors pair ! On peut certainement se satisfaire d'un volet de définitions des notions tirées du vocabulaire juridique de Cornu sans doute, que tout étudiant en droit doit connaître sur le bout des doigts. Le droit prétorien y est intégré pour une grande part ; et le projet prend même le risque de contrarier quelques jurisprudences constantes (au chapitre des promesses unilatérales, du pacte de préférence, de la réticence dolosive ou de la théorie de l'imprévision, par exemple). L'objet du nouveau corpus, proposé à la consultation tout de même, emporte le plus souvent l'adhésion, fruit de la réflexion approfondie des Professeurs Catala et Terré, pour ne citer que les noms des rapporteurs principaux. Il semble que l'on se profile donc vers un droit commun des contrats plus intelligible, insistant sur le consensualisme comme sur la responsabilité des contractants affublés d'une somme d'obligations plus nombreuses avec la complexité des contrats en cause. Qu'il nous soit permis de poser une seule question : à l'heure où l'on sait, avec 200 ans de recul, que le droit des contrats n'a pas empêché l'émergence d'un droit commercial dérogatoire, d'un droit de la consommation très encadrant et d'un droit de la concurrence empreint d'ordre public commercial, quid de la nécessité de réformer un droit commun des contrats, quand l'écueil principal est qu'il n'est pas suffisamment concurrentiel, justement, pas assez attractif sur le terrain... des affaires ? Autrement dit, l'effort de clarification, l'effort de définition, de conceptualisation n'aurait-il pas mieux valu en droit spécial des contrats ? Pour faire oeuvre de pédagogie et sécuriser les contrats d'affaire, n'aurait-il pas mieux valu chapitrer, définir et décrire ou reprendre le régime des contrats spéciaux les plus courants (bail, vente...), comme les plus modernes (vente électronique, crowdfunding...) ou les plus complexes (contrats de distribution...), dans un ensemble individualisé, plutôt que détailler des principes généraux qui devront de tout manière être une nouvelle fois... soumis à l'interprétation de la Cour de cassation ?

Seconde pierre : la disparition de la cause. Jugée obsolète, la cause relève de la langue morte dont la déclinaison ne devrait plus donner lieu qu'à une chansonnette, comme la Rosa, rosa, rosam de Brel. C'est, dit-on, la grande innovation de cette réforme. On retire la cause des conditions de formation du contrat ; du moins expressément : parce que le projet énumère plusieurs motifs (pour ne pas dire causes) qui justifient la nullité des contrats lorsqu'ils contreviennent à l'ordre public par leur but, en cas de contrepartie illusoire ou dérisoire au moment de leur formation, étant précisé que la clause qui prive de sa substance l'obligation essentielle du débiteur est réputée non écrite... Il faut dire que si certains sont amateurs de latin : "Personne ne doit être juge de sa propre cause, parce qu'on ne peut être juge et partie", pour justifier une disparition expresse de la cause dans la formation du contrat ; d'autres renvoyaient aux Hellènes, tels Démocrite : "Les mêmes causes qui nous procurent des biens peuvent également nous causer des maux, tout en nous offrant le moyen de les éviter" ; autrement dit, il aurait été envisageable que pour la clarté du contrat, voire pour éviter toute erreur interprétative magistrale, on impose que soit exprimée la cause du contrat... Les auteurs du projet auront limité la casse.

La cause est morte... Vive la Cause !

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Accident du travail - Maladies professionnelles (AT/MP)

[Brèves] Salarié remplissant les conditions d'adhésion relatives à l'ACAATA : droit à la réparation d'un préjudice spécifique d'anxiété, qu'il ait ou non adhéré à ce régime légal

Réf. : Cass. soc., 3 mars 2015, n° 13-20.486, FP-P+B+R (N° Lexbase : A9056NCE)

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N6392BUB

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Le 17 Mars 2015

Un salarié remplissant les conditions d'adhésion prévues par l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 (N° Lexbase : L5411AS9) et l'arrêté ministériel, a droit, qu'il ait ou non adhéré à ce régime légal, à la réparation d'un préjudice spécifique d'anxiété. Telle est la solution dégagée par la Chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 3 mars 2015 (Cass. soc., 3 mars 2015, n° 13-20.486, FP-P+B+R N° Lexbase : A9056NCE).
En l'espèce, la salariée a été engagée par la société S. sur le site de Saint-Priest. Par arrêté ministériel du 3 juillet 2000, ce site a été inscrit sur la liste des établissements ouvrant droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (ACAATA) pour la période de 1916 à 1994. La salariée a saisi la juridiction prud'homale pour obtenir le paiement de dommages-intérêts en réparation de son préjudice d'anxiété lié au risque de contracter une maladie professionnelle.
Pour la débouter de sa demande, la cour d'appel retient que, se plaçant hors du champ de la législation sur les risques professionnels, l'intéressée doit rapporter la preuve de la réalité et de l'étendue des préjudices que lui a causé le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité ; que la seule inscription de la société sur la liste des établissements ayant exposé leurs salariés à l'amiante ne permet pas de présumer l'existence du préjudice d'anxiété et du préjudice découlant du bouleversement des conditions d'existence, qu'aucun élément factuel ne conduit à établir un lien automatique et nécessaire entre l'exposition à l'amiante et un ressenti anxieux, que ni le document émanant du service médical de l'assurance maladie Rhône-Alpes, ni l'enquête psychologique menée en Normandie ne permettent de reconnaître obligatoirement un préjudice d'anxiété aux salariés exposés, que l'intéressée qui a été employée en qualité de magasinier et qui n'a pas perçu l'ACAATA ne justifie pas d'un suivi pulmonaire mais uniquement être suivie depuis plusieurs années pour un syndrome anxieux compliqué de tachycardie, et enfin, qu'elle ne produit pas de certificat d'exposition à l'amiante. La salariée s'est alors pourvue en cassation.
En énonçant la règle susvisée, la Haute juridiction casse l'arrêt d'appel au visa de l'article L. 4121-1 du Code du travail (N° Lexbase : L3097INZ), ensemble l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 (cf. l’Ouvrage "Droit de la protection sociale" N° Lexbase : E3186ET8).

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Accident du travail - Maladies professionnelles (AT/MP)

[Brèves] Droit à la réparation du préjudice d'anxiété en raison de l'exposition à l'amiante uniquement au profit des salariés remplissant les conditions prévues par l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 et l'arrêté ministériel

Réf. : Cass. soc., 3 mars 2015, n° 13-26.175, FP-P+B+R (N° Lexbase : A9022NC7)

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N6394BUD

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Le 17 Mars 2015

La réparation du préjudice d'anxiété n'est admise, pour les salariés exposés à l'amiante, qu'au profit de ceux remplissant les conditions prévues par l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 (N° Lexbase : L5411AS9) et l'arrêté ministériel, le juge ne pouvant indemniser des salariés dont l'entreprise n'est pas mentionnée à l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998, au motif que le salarié a été directement exposé à l'amiante et sans que la preuve ne soit rapportée, par l'employeur, que toutes les mesures nécessaires ont été prises pour protéger de manière collective et individuelle, le personnel exposé aux poussières d'amiante, dans le respect des dispositions de l'article 4 du décret du 17 août 1977. Telle est la solution dégagée par la Chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 3 mars 2015 (Cass. soc., 3 mars 2015, n° 13-26.175, FP-P+B+R N° Lexbase : A9022NC7).
En l'espèce, M. G., agent de la société EDF-GDF du 11 septembre 1967 au 1er février 2002, exerçait les fonctions de plombier. Affecté à Marseille, du mois de février 1970 au mois d'avril 1979, au poste de plombier chef-ouvrier, en charge de la découpe des joints de gaz et estimant avoir été exposé à l'amiante, il a saisi la juridiction prud'homale afin d'obtenir des dommages-intérêts en réparation d'un préjudice d'anxiété.
Pour condamner l'employeur à payer au salarié une certaine somme en réparation de son préjudice d'anxiété, la cour d'appel (CA Aix-en-Provence, 12 septembre 2013, n° 12/23506 N° Lexbase : A0485KLK) retient que peu importe que les deux sociétés en cause ne soient pas mentionnées à l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998, dès lors que le salarié a été directement exposé à l'amiante du mois de février 1970 au mois d'avril 1979, sans que la preuve ne soit rapportée, par l'employeur et que toutes les mesures nécessaires ont été prises pour protéger de manière collective et individuelle, le personnel exposé aux poussières d'amiante, dans le respect des dispositions de l'article 4 du décret du 17 août 1977. L'employeur s'est alors pourvu en cassation.
En énonçant la règle susvisée, la Haute juridiction casse l'arrêt d'appel au visa de l'article L. 4121-1 du Code du travail (N° Lexbase : L3097INZ), ensemble l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 (cf. l’Ouvrage "Droit de la protection sociale" N° Lexbase : E3186ET8).

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Assurances

[Chronique] Chronique de droit des assurances - Mars 2015

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N6340BUD

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par Didier Krajeski, Professeur à l'Université de Toulouse

Le 17 Mars 2015

Lexbase Hebdo - édition privée vous propose de retrouver la chronique mensuelle de droit des assurances de Didier Krajeski, Professeur à l'Université de Toulouse. Deux arrêts ont retenu l'attention de l'auteur. Le premier rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, le 11 décembre 2014, précise que si l'assuré a la possibilité d'étendre le champ des activités couvertes par le contrat d'assurance de responsabilité, c'est à la condition de les déclarer (Cass. civ. 2, 11 décembre 2014, n° 13-21.511, F-D). Le second arrêt, rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation, le 6 janvier 2015, énonce, quant à lui, que le demandeur ayant fait délivrer une assignation en son seul nom personnel, alors qu'il n'était plus propriétaire du bien sinistré, la prescription était acquise lorsque l'acquéreur est intervenu à l'instance (Cass. com., 6 janvier 2015, n° 12-26.545, F-D). I - Etendue de la garantie
  • L'assuré a la possibilité d'étendre le champ des activités couvertes par le contrat d'assurance de responsabilité, mais à condition de les déclarer (Cass. civ. 2, 11 décembre 2014, n° 13-21.511, F-D N° Lexbase : A5966M74)

Ainsi résumée, la solution qui ressort de l'arrêt de la Cour de cassation ne fait que souligner un principe évident propre aux assurances de responsabilité. Ce principe est d'ailleurs régulièrement rappelé par la Cour de cassation (1). Il l'avait déjà été dans la présente affaire avec une formule beaucoup plus tranchée, mais il faut dire que la Cour de cassation rendait alors un arrêt de cassation : "l'assureur accorde sa garantie lorsque la responsabilité civile de l'assuré est engagée au cours ou à l'occasion des activités déclarées lors de la souscription du contrat" (2).

Un certain nombre de circonstances propres à l'espèce vont cependant venir compliquer le litige. L'assurance de responsabilité souscrite l'a été par un propriétaire pour couvrir l'activité de "propriétaire non occupant de bâtiments donnés en location pour entreposage de produits divers" et pour le compte du locataire pour l'activité d'"importateur et négociant de jouets en peluches". Le litige prend sa source dans le fait que le sinistre est né de la destruction par un incendie d'un entrepôt à peine construit dans lequel un préposé du locataire se livrait à l'installation d'étagères avec un fer à souder. L'activité d'installation n'étant pas couverte par le contrat, les juges finissent pas décider que la garantie n'est pas due. A priori, l'hypothèse ne souffre pas de complication, l'assuré a excédé le cadre des activités pour lesquelles il est assuré, il se trouve donc obligé d'assumer sur son patrimoine la totalité du dommage causé. La solution est une mise en garde pour ceux qui considèrent que l'assurance de responsabilité civile a vocation à couvrir assez largement les activités de la personne assurée. Il n'en est rien, comme pour tout risque, et si l'on laisse de côté la question des assurances obligatoires, les parties définissent librement les événements garantis. Rien n'est dû au-delà.

L'affaire se complique cependant d'une question d'interprétation du contrat. Les conditions générales du contrat prévoyaient en effet que "l'assureur garantit les conséquences pécuniaires de la responsabilité civile que l'assuré peut encourir en raison de dommages corporels, matériels et immatériels consécutifs ou non, causés à des tiers et survenant du fait des activités déclarées par l'assuré et exercées librement par lui ou pour son compte par des sous-traitants", ce qui est un rappel du principe ci-dessus. Les conditions particulières prévoyaient, elles, que "les activités déclarées sont mentionnées à titre indicatif et non limitatif". On comprend tout de suite l'opportunité qu'a pu voir l'assuré pour compte dans la comparaison des deux formules. Il reprochait, dans son pourvoi, à la cour d'appel de ne pas avoir fait prévaloir les conditions particulières sur les conditions générales. On ne peut le suivre sur ce point.

La logique d'interprétation du contrat consiste d'abord à tenter de trouver un sens cohérent aux clauses présentant une ambigüité avant de les opposer (3). Dès lors on comprend que les juges aient voulu voir dans cet ensemble l'expression de l'idée que le contrat ne couvre que les activités déclarées par l'assuré, mais que ce dernier a la possibilité de demander que de nouvelles activités soient temporairement (comme ici l'installation), ou plus durablement, couvertes par le contrat. Une telle interprétation a déjà été adoptée dans un cas similaire (4).

On peut apprécier dans la motivation de la solution des juges du fond, largement reproduite dans l'arrêt de la Cour de cassation, la prudence amenant à préciser que le négoce de peluches n'impliquait pas directement ou indirectement l'usage d'un tel outillage. Il convient, en effet, de rappeler que la jurisprudence estime que le contrat d'assurance de responsabilité couvre l'activité déclarée et toutes les activités qui s'y rattachent (5). Dans notre affaire, les juges du fond s'étaient opposés sur cette activité d'installation sans lien a priori avec celle d'importateur et négociant mais, dans le cas précis, nécessaire à la mise en oeuvre de l'activité. La sagesse commande certainement cette solution aboutissant à considérer que la garantie n'est pas due dans la mesure où l'activité à l'origine du dommage est radicalement différente de celle que l'assureur a accepté de garantir. Il ne faut pas tromper la prévision contractuelle.

La question, on le sait, ouvre sur une casuistique sans fin dans la mesure où il faudra, au besoin, déterminer les tâches matérielles ou intellectuelles qui découlent logiquement ou non de l'activité principale garantie. On peut tout de même souligner que, généralement, le contrat d'assurance couvre non seulement l'activité de l'assuré mais des événements assez courants survenant à l'occasion de ces activités et engageant sa responsabilité.

Le problème ne se pose réellement que pour les activités sortant de l'ordinaire, comme en l'espèce, ou lorsque l'assuré anticipe un peu trop sur une diversification de ses activités. Dans ce dernier cas, on peut être amené à se demander si l'assureur et les intermédiaires ont correctement accompli leur devoir de conseiller l'assuré (6).

II - Procédure

  • Le demandeur ayant fait délivrer une assignation en son seul nom personnel alors qu'il n'était plus propriétaire du bien sinistré, lorsque l'acquéreur est intervenu à l'instance la prescription était acquise (Cass. com., 6 janvier 2015, n° 12-26.545, F-D N° Lexbase : A0714M9C)

Au mois de janvier 2009, une tempête endommage le bien appartenant à une personne. Elle fait une demande d'indemnisation à laquelle l'assureur ne répond pas de façon satisfaisante. L'assuré vend le bien en mars 2009 à une société dont il est associé et gérant. Le vendeur assigne l'assureur au mois de septembre 2009. L'assureur fait appel de la décision rendue au mois de mars 2009. La société ayant acquis le bien intervient volontairement à l'instance au mois d'août 2011. La cour d'appel estime que son action est irrecevable. La Cour de cassation rejette le pourvoi en considérant que lorsque l'acquéreur est intervenu à l'instance, la prescription était acquise.

L'assuré vendeur étant en même temps gérant de la société acquéreuse du bien, il tentait de jouer sur la confusion possible des qualités par le biais de l'article L. 223-18 du Code de commerce (N° Lexbase : L0906I7P). Les juges estiment cependant que l'assignation a été délivrée en son nom personnel. De ce fait, il ne remplissait plus les conditions exigées par l'article 31 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1169H43). On sait que, dans cette hypothèse, une régularisation est possible si la personne ayant qualité pour agir intervient à l'instance (7). La société est, en l'espèce, intervenue volontairement en appel, mais trop tard dans la mesure où le délai de prescription biennal est écoulé (il expirait en janvier 2011). Cette solution a déjà été adoptée par la Cour de cassation : "l'action, engagée dans le délai de prescription par une personne n'ayant pas qualité pour agir, ne peut être régularisée en application de l'article 126 du nouveau Code de procédure civile, alinéas 1er et 2, que par l'intervention de la personne ayant cette qualité avant l'expiration du délai de prescription ; qu'en aucun cas la régularisation n'est possible après l'expiration du délai de prescription, et ce même si la personne ayant qualité pour agir acquiert cette qualité après la forclusion" (8). L'assignation n'interrompt donc pas le délai de prescription si la personne qui assigne n'a pas qualité pour agir.

Fondée au regard des principes du droit de la procédure civile, on peut se demander si la solution aurait pu être la même en application des règles du droit des assurances. Le contentieux se limitant à la première matière, on ne peut ici que conjecturer. Dans l'hypothèse, la personne morale tient ses droits de l'acquisition d'un bien, or on sait dans ce cas que l'article L. 121-10 du Code des assurances (N° Lexbase : L0086AAG) prévoit un transfert de la police avec le bien assuré lui-même. Cependant, il est classiquement admis que le vendeur conserve le droit à indemnité pour les sinistres antérieurs à la vente (9). La solution avantageait le requérant en l'espèce. La jurisprudence n'a cependant pas toujours appliqué cet effet avec rigueur, accordant parfois le droit à indemnité aux acquéreurs du bien (10). Par ailleurs, elle considère que "la continuation de plein droit de l'assurance au profit de l'acquéreur de la chose assurée permet à celui-ci d'invoquer les fautes commises par l'assureur à l'égard du souscripteur lors de la négociation du contrat et qui ont causé le dommage dont l'acquéreur recherche la réparation ; qu'en retenant qu'en cas de vente de l'objet assuré, l'assurance continuait au profit de l'acquéreur et, avec elle, les actions en responsabilité contractuelle en dérivant, la cour d'appel a fait une exacte application de l'article L. 121-10 du Code des assurances" (11). Sur cette question, on lira avec beaucoup d'intérêt les remarques du commentateur de la décision qui marque la différence entre le transfert des droits et actions attachées au contrat et l'absence de transfert du droit à indemnité pour un sinistre antérieur au transfert dans la mesure où, dans ce cas, c'est bien le patrimoine du vendeur (propriétaire au moment du sinistre) qui subit, a priori, la perte (12).

Doit-on déduire de la présente solution que la Cour de cassation favorise l'idée d'une transmission large des droits à l'acquéreur des biens assurés ? Rien n'est moins sûr. Il vaut certainement mieux s'en tenir aux enseignements de l'arrêt en matière de procédure.


(1) V. notamment : Cass. civ. 1, 4 juillet 2000, n° 98-10.977 (N° Lexbase : A5421AWP), RGDA, 2000, 899, note L. Fonlladosa. Cass. civ. 1, 5 février 2002, n° 99-14.934 (N° Lexbase : A9175AX4), RGDA, 2002, 396, note A. Favre-Rochex. Cass. com., 23 octobre 2012, n° 11-23.577 (N° Lexbase : A0468IWA), RGDA, 2013, 402, note M. Asselain.
(2) Cass. civ. 2, 14 janvier 2010, n° 09-12.290 (N° Lexbase : A3124EQR).
(3) J. Bigot, V. Heuzé, J. Kullmann, L. Mayaux, R. Schultz, K. Sontag, Le contrat d'assurance, LGDJ, 2014, 875.
(4) Cass. civ. 3, 19 novembre 1997, n° 96-12.739 (N° Lexbase : A2303CXL).
(5) V. notamment : Cass. civ. 3, 21 janvier 2015, n° 13-25.268, FS-P+B (N° Lexbase : A2647NAB) (à paraître au bulletin) : "l'activité de constructeur de maisons individuelles inclut la réalisation de travaux selon marchés".
(6) Cass. civ. 1, 4 février 2003, n° 00-15.204 (N° Lexbase : A9178A4P), RCA, 2003, comm. 157.
(7) C. pr. civ., art. 126 (N° Lexbase : L1423H4H).
(8) Cass. com., 24 septembre 2003, n° 00-11.010 (N° Lexbase : A6149C9M), Bull. civ. IV, n° 143 ; Joly, 2003, 1265, note P. Cagnoli.
(9) Cass. civ. 2, 7 avril 2011, n° 10-17.426 (N° Lexbase : A3614HN8), RGDA, 2011, 1111, note J. Bigot.
(10) Cass. civ. 2, 4 novembre 2010, n° 09-71.677 (N° Lexbase : A5669GDC), RGDA, 2011, 202, note S. Abravanel-Jolly.
(11) Cass. civ. 1, 9 mai 2001, n° 98-20.107 (N° Lexbase : A4307ATP), RGDA, 2001, 1051, note D. Langé.
(12) La situation est cependant plus compliquée quand le sinistre a un effet retard et qu'il manifeste ses conséquences après la vente. L'hypothèse se présente parfois en matière de conséquences de catastrophes naturelles ce qui explique peut-être les solutions rendues en la matière (notamment l'arrêt du 4 novembre 2010 cité).

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Avocats/Périmètre du droit

[Jurisprudence] Cession de clientèle d'avocat et obligation de non-concurrence

Réf. : CA Paris, Pôle 2, 1ère ch., 21 janvier 2015, n° 736/213809 (N° Lexbase : A6366M9N) ; CA Rennes, 27 janvier 2015, n° 13/09002 (N° Lexbase : A4244NAG)

Lecture: 14 min

N6176BUB

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par Bastien Brignon, Maître de conférences HDR à l'Université d'Aix-Marseille, Membre du Centre de droit économique (EA 4224) et du Centre de droit du sport d'Aix-Marseille

Le 17 Mars 2015

Longtemps interdites car considérées comme hors du commerce en vertu de l'article 1128 du Code civil (N° Lexbase : L1692H4G), les cessions de clientèle civile sont aujourd'hui parfaitement valables, à condition toutefois de préserver le libre choix du client ou du patient, et ce, depuis un très important revirement de jurisprudence opéré par un arrêt du 7 novembre 2000 (1), maintes fois confirmé (2), avec parfois même une référence expresse au fonds d'exercice libéral (3), voire l'esquisse d'une définition dudit fonds qui comprendrait ainsi la clientèle civile, les matériels et locaux professionnels (4). Et elles le sont pleinement puisque la jurisprudence valide aujourd'hui aussi bien les présentations de clientèle civile, que les cessions de clientèles civiles ou les cessions de fonds d'exercice libéral. S'agissant des cessions de clientèle civile, le terme développé par la pratique est plutôt celui de convention de successeur à titre onéreux dite de présentation à la clientèle (ou à la "patientèle" dans le secteur de la santé).

Concernant les cessions de clientèles civiles, le contentieux se noue aujourd'hui plutôt autour des clauses de garantie ou des clauses de non-concurrence dont les cédants deviennent naturellement débiteurs. Les cédants sont en effet tenus, et c'est logique, de ne pas reprendre la clientèle qu'ils vendent. Le problème vient de ce que ces clauses sont par nature discutables car, compte tenu de la volatilité du client ou du patient, et surtout de son libre choix, il est difficile d'obliger une personne à changer d'avocat ou de médecin, sauf départ à la retraite du professionnel libéral.

Deux arrêts particulièrement intéressants, rendus l'un par la cour d'appel de Paris (CA Paris, Pôle 2, 1ère ch., 21 janvier 2015, n° 736/213809), l'autre par la cour d'appel de Rennes (CA Rennes, 27 janvier 2015, n° 13/09002), permettent de faire le point sur les obligations de non-concurrence pesant sur des avocats cédants, dont les comportements étaient contestés par les cessionnaires.

Dans le premier arrêt, il n'y avait pas de clause de non-concurrence à la charge des avocats sortants, mais ceux-ci étaient assignés en responsabilité sur le fondement d'une action en concurrence déloyale, la déloyauté n'étant au final pas reconnue (I). Dans le second, une clause de non-concurrence était, en revanche, bel et bien stipulée et l'avocat cédant avait eu un comportement tellement grave que la clause avait joué pleinement, les juges rennais reconnaissant sa responsabilité contractuelle (II).

I - L'action en concurrence déloyale

Plus précisément, dans l'arrêt du 21 janvier 2015, un cabinet d'avocats reprochait des actes de concurrence déloyale à l'un de ses anciens associés et à l'une de ses anciennes collaboratrices ayant quitté ledit cabinet pour en intégrer un autre, qui se trouvait être le concurrent direct, en particulier parce qu'un projet de rapprochement entre les deux structures avait échoué.

La cour d'appel de Paris rejette les accusations de concurrence déloyale. Pour l'essentiel, elle énonce, qu'il résulte de nombreux courriels adressés aux associés que tant l'avocat associé que l'avocate collaboratrice n'adhéraient pas ou plus au mode de fonctionnement de la structure et qu'ils se plaignaient de ne pas être traités correctement, d'autant que des questions déontologiques s'étaient élevées relatives à la mise en place de règles de corporate governance, les propositions de l'avocat associé n'étant pas examinées aux réunions d'associés. Pour la cour, cette insatisfaction explique leur souhait de quitter le cabinet pour en rejoindre un autre dont ils savaient qu'il recherchait des associés et qu'il y avait pour eux une opportunité d'obtenir d'autres conditions d'association et de travail. Et, en l'absence d'une baisse de facturation et d'une désorganisation avérée des services, aucun élément ne permet d'établir que le cabinet, ayant accueilli l'avocat associé et plusieurs collaborateurs, ait commis des manoeuvres déloyales pour obtenir leur arrivée au sein de son entité. Aucune preuve de ce que cette intégration de personnes venant de ce cabinet concurrent ait eu pour but de lui nuire ou de le désorganiser n'étant apportée, les juges du fond rejettent l'action en concurrence déloyale introduite par le cabinet dont les avocats étaient partis.

L'action en concurrence déloyale tend à faire sanctionner des actes contraires à la loyauté commerciale. La profession d'avocat est libérale et indépendante, et chaque avocat a le libre choix de sa structure d'exercice : il a donc la liberté d'en changer sans avoir à rendre compte des motifs qui le déterminent. L'exercice professionnel se caractérise par un intuitu personae entre l'avocat et son client mais aussi entre un associé et ses collaborateurs, ce dont il résulte que le départ d'un associé peut entraîner celui concomitant de ses collaborateurs. Et, un tel départ est de nature à être suivi de la perte d'un client choisissant de continuer à travailler avec l'avocat retrayant dans son nouveau cabinet ; ceci ne peut être prohibé, la liberté des affaires empêchant que la clientèle puisse faire l'objet d'un droit privatif. Toutefois, cette liberté a des limites liées au respect du principe de loyauté et il ne faut pas que le débauchage soit accompagné de manoeuvres aboutissant à la désorganisation du cabinet privé de certains de ses associés et collaborateurs. Voilà les principes essentiels rappelés par les juges parisiens (5).

La liberté du commerce et de l'industrie prévaut également chez les avocats. L'installation est libre. L'association est libre. Le départ est libre. La captation de clientèle est autorisée. Elle est même saine, à tout le moins si les procédés utilisés restent loyaux. Et visiblement au cas d'espèce les avocats sortants ne s'étaient rendus coupables d'aucune manoeuvre déloyale.

Le critère souvent retenu, en particulier par la Chambre sociale de la Cour de cassation, est celui de la désorganisation. Soyons clairs : le départ d'un avocat crée souvent une désorganisation (6) ou plutôt nécessite une réorganisation, une redistribution des cartes. En l'occurrence, la restructuration avait été assez importante car il s'agissait d'un grand cabinet M. et nombre d'avocats dans chacun des départements concernés étaient partis (pour rejoindre le cabinet L.). Mais elle n'avait pas non plus été insurmontable puisqu'en l'espace d'une année le cabinet M. avait réussi à recomposer ses équipes.

En somme, il n'y avait pas eu de désorganisation fautive, de désorganisation autre que la désorganisation classique, habituelle, liée aux départs. Il est vrai que les avocats sortants étaient partis avec des clients. Mais ces deniers les avaient en réalité naturellement suivis. D'autant que l'on ne peut pas reprocher aux clients de suivre tel ou tel avocat et ce, au regard de la relation de confiance qui peut se nouer entre eux.

La désorganisation se mesure souvent à la baisse du chiffre d'affaires. Or, ici, le départ des avocats intéressés ne s'était pas accompagné d'une telle baisse. Ceux-ci s'étaient séparés professionnellement car ils ne s'entendaient plus. Pour autant, il n'y avait eu aucune manoeuvre déloyale, aucune désorganisation fautive. Encore une fois, l'avocat est libre de s'associer ou de sortir d'une association.

La liberté du commerce et de l'industrie, la liberté d'entreprendre, la liberté d'installation est même plus forte chez les avocats que chez les commerçants. Car l'avocat, qu'il soit salarié, collaborateur ou associé, qu'il soit installé seul ou qu'il exerce en société, qu'il soit dans une SCP ou une SEL ou une AARPI ou autre forme de groupement, qu'il soit associé/partner junior ou senior, est, dans toutes ces hypothèses, indépendant. Bien entendu, lorsque des moyens sont mis en commun, lorsque des clients ou des bénéfices sont partagés, il faut composer avec le groupe. Mais l'avocat n'en reste pas moins indépendant.

II - La clause de non-concurrence

Dans l'arrêt du 27 janvier 2015 (7), il s'agissait d'un avocat du barreau de Rennes associé d'une SELARL qui s'était engagé en 2006 à céder, à terme, ses parts, et, en conséquence, ne plus exercer la profession d'avocat, ni avoir une activité entrant en concurrence avec la SELARL, pour une durée de deux ans. L'affaire était assez compliquée. Elle impliquait plusieurs protocoles de cession successifs, mais aussi une scission du cabinet cédé, en raison d'une mésentente entre associés. De nombreux tiers étaient intervenus, notamment un expert-comptable et un détective privé.

En 2009, le cessionnaire désormais associé de la SELARL et les autres actionnaires scindèrent la société d'avocats en deux cabinets, le cédant étant tenu au respect de ses engagements non-concurrentiels par protocole de médiation devant le Bâtonnier. Cédant et cessionnaire avaient constitué ensemble une société de participation financière des professions libérales (SPFPL), qui avait acquis 200 parts de la SELARL. Le cessionnaire avait ensuite transféré ses parts de SPFPL à une EURL dont il était l'associé et avait été nommé cogérant de la SELARL. En raison de difficultés entre associés, plusieurs protocoles successifs avaient été annulés, puis remplacé les précédents. Le cessionnaire, qui s'était rendu compte que certains des clients du cabinet étaient encore conseillés par le cédant, avait saisi le Bâtonnier d'une demande d'indemnisation à l'encontre du cédant. Le Bâtonnier avait statué sur ses demandes, l'en déboutant en considérant que l'avocat cédant avait exécuté les obligations mises à sa charge par le dernier protocole d'accord signé entre les parties. Aux termes du dernier en date, signé sous l'égide du Bâtonnier et après expertise, le prix du retrait de l'avocat cédant de la SELARL avait été fixé. Le cédant s'était engagé à présenter ses clients au cessionnaire dès la signature du protocole, à cesser son activité d'avocat dès le paiement du prix et à respecter pendant deux ans, une obligation de non-concurrence en s'interdisant "sous une forme ou sous une autre, directement ou indirectement de conseiller, d'assister ou de représenter des clients du cabinet".

L'avocat cessionnaire avait fait appel. Il agissait en son nom propre, au nom de la SPFPL, ainsi qu'au nom de la SELARL. La cour a considéré que le cessionnaire, en son nom propre, était dépourvu d'intérêt et de qualité à agir en réparation du préjudice causé par les fautes commises par le cédant, seule la SELARL ayant subi un préjudice. En revanche, l'avocat, en son nom propre, pouvait solliciter l'indemnisation du préjudice moral, d'image et de notoriété causé par l'attitude de son confrère. En effet, le cédant ayant contourné son obligation de non-concurrence, notamment en constituant une société dont il était le seul actionnaire, devenue administratrice de plusieurs sociétés clientes de la SELARL, l'avocat cessionnaire, créancier d'une obligation de présentation de clientèle et de loyauté du cédant intenta une action visant à la réparation de son préjudice des suites du non-respect par le cédant de son obligation de non-concurrence.

La cour a relevé qu'alors qu'il s'était engagé à cesser son activité d'avocat, le cédant était toujours inscrit dans l'annuaire des avocats de Rennes postérieurement à la conclusion du protocole d'accord. Il a même continué à exercer au sein du cabinet, comme en témoigne un état de frais indiquant qu'il a perçu des rémunérations sur la période considérée. Il ne pouvait s'agir, comme l'affirmait le cédant, de remboursements de compte courant d'associé. La cour a jugé que ces éléments corroboraient ceux qui figuraient dans l'enquête privée réalisée à la demande du cessionnaire, qui faisait apparaître que le cédant était présent dans les locaux d'un cabinet d'avocats et assistait à des rendez-vous d'affaires en compagnie d'un collaborateur. La cour a noté, par ailleurs, que le cédant a créé une société de conseil, dont il était le seul associé et qui était présidée par son épouse. Cette société conseillait plusieurs sociétés, qui avaient, avant la cession, été facturées comme clientes de la SELARL d'avocats. Ces sociétés avaient fourni des attestations indiquant qu'elles ne souhaitaient pas travailler avec le cédant.

L'avocat cédant avait par conséquence conservé une partie de la clientèle cédée. Il avait en effet continué à suivre des clients du cabinet en cours et finalisé des dossiers "à fort enjeu financier" après la cession, sans l'autorisation du cessionnaire. Il a continué son activité d'avocat et conseillé d'anciens clients, contrairement aux engagements souscrits dans le protocole d'accord. Pour la cour d'appel, le cédant avait commis des manquements graves et répétés à son obligation de non-concurrence souscrite au bénéfice du cessionnaire. Bien que la cour conclut aux manquements graves et répétés de la part de l'avocat cédant, elle ordonne une expertise pour déterminer le quantum de la réparation afin d'évaluer les conséquences financières de ces manquements et les préjudices subis, à la fois par la SELARL et par le cédant, en son nom propre (8).

On retiendra donc de l'arrêt du 27 janvier 2015 que la continuation de l'activité d'avocat sans l'autorisation expresse du cessionnaire, doublée d'un maintien étroit des relations d'affaires entre le cédant et ses anciens clients, par le biais d'une société, spécialement créée à cette fin, lui permettant d'entrer comme administrateur dans plusieurs des sociétés clientes et ainsi d'exercer de manière directe ou indirecte une activité de conseil et d'assistance à ces sociétés, constituent une violation de la clause de non-concurrence inscrite dans un accord de cession de parts d'un cabinet d'avocats.

On retiendra aussi et surtout que la cour a considéré que l'obligation de présentation de la clientèle n'emportait pas celle du maintien de la clientèle, le cédant devait cependant remplir loyalement les obligations qu'il avait souscrites. Tel n'était pas le cas en l'espèce certes. Pour autant, et de manière générale et objective, il ne peut pas être imposé au cédant de garantir au cessionnaire la rentabilité de l'opération, à travers ici le maintien de la clientèle.

III - Les clauses de garantie

Au-delà des clauses de non-concurrence dont les avocats cédants peuvent être débiteurs, et au-delà également des actions en concurrence déloyale dont les avocats sortants peuvent faire l'objet, en l'absence de clause de non-concurrence, toute la question est en réalité de savoir si les avocats, ou plus largement les professions libérales, peuvent stipuler dans leurs cessions des clauses de garantie, à l'instar par exemple des conventions de garantie de passif et d'actif dans les cessions de droits sociaux en matière commerciale.

Selon la Cour de cassation, tantôt ces clauses de garantie sont valables (9), tantôt elles ne le sont pas (10).

Il nous semble que le droit de présentation de clientèle, et les clauses qui en découlent, dont celles de garantie, ne sont pas intrinsèquement illicites. Encore faut-il, cependant, que soit préservé le libre choix du client ou du patient.

Au nom de la sécurité juridique, il faut donner plein effet aux cessions de clientèle civile en permettant aux parties de stipuler des clauses de garantie, rapprochant en cela un peu plus les cessions des clientèles civiles des cessions de clientèles commerciales. Clauses de garantie qu'il faut absolument respecter en vertu de l'intangibilité des conventions posée à l'alinéa 1er de l'article 1134 du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC).

Cela étant, le principe reste et demeure du libre choix du client. La clause de garantie ne sera validée qu'à condition de respecter ce principe, la Cour de cassation, invalidant à juste titre une clause ne respectant cette liberté du client. Il y a ainsi deux niveaux d'analyse. D'abord, la clause n'est valable qu'autant qu'elle respecte le libre choix des clients. Ensuite, même valable, la clause peut tomber en cas de faute lourde du créancier de la garantie.

Voilà qui rappelle à certains égards la faute lourde (jurisprudences "Chronopost" - Cass. com., 9 juillet 2002, n° 99-12.554, FP-P N° Lexbase : A0766AZE et "Faurecia" - Cass. com., 29 juin 2010, n° 09-11.841, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A5360E3W), seule encline avec le dol à faire tomber les clauses limitatives ou élusives de responsabilité, le tout au regard de l'obligation essentielle du contrat.

Par extension, peut-on se poser la question de savoir si la faute lourde est constitutive ou pas de la violation du principe du libre choix du client ? Pas vraiment car autant la potentielle faute lourde est à imputer au créancier de la clause (cessionnaire), autant la potentielle violation du libre choix du client est à imputer au débiteur de la clause (cédant). Si l'on admettait la question, on admettrait que la faute lourde du cessionnaire puisse se réaliser à travers la violation du principe du libre choix du client alors que tout au contraire le cessionnaire aspire à ce que la clause soit pleinement respectée, à ce qu'il puisse pleinement jouir de la clientèle. Si l'on admettait la question, on admettrait une sorte de transfert de la créance au profit du cédant qui lui seul est tenu de respecter le libre choix des clients. La faute lourde n'est là que pour ruiner les effets de la clause, nullement pour qualifier une éventuelle violation de la liberté des clients de choisir leur professionnel.

Toujours est-il que la cession de clientèle civile se détache ainsi de la cession de clientèle commerciale et témoigne d'une réelle spécificité, matérialisée par le respect du principe de liberté du client.

Les clauses de garantie de clientèle civile ne sont pas par objet des clauses de respect de clientèle, mais plutôt des clauses de non-concurrence. Elles en produisent néanmoins les effets, et sont valables qu'autant qu'elles respectent la liberté de choix des clients. Tant et si bien que sans le remettre en cause, elles influent nécessairement sur le principe de libre choix du client, de manière un peu paradoxale. Alors que ces clauses sont validées au regard du principe du libre choix des clients, elles aboutissent au final à empêcher le cédant d'accepter de recevoir ses anciens clients cédés à son successeur, et donc les clients eux-mêmes d'être totalement libres.

Le paradoxe est saisissant : nonobstant le droit de présentation, la clientèle présentée reste libre de choisir le professionnel auquel elle souhaite confier ses intérêts ; le professionnel qui présente sa clientèle à un confrère ne peut être tenu des conséquences de cette "défection" alors que la clientèle reste libre du choix du professionnel avec lequel elle souhaite travailler.

Malgré les dernières évolutions jurisprudentielles tendant à rapprocher le fonds libéral du fonds de commerce, la distinction entre commerce et activité libérale demeure forte. N'oublions pas qu'elle a des racines assez anciennes. Sous l'Ancien droit par exemple et même au-delà de la Révolution industrielle, les "Arts libéraux" étaient opposés aux services mercantiles. Ainsi, le service de l'Homme d'art était-il considéré comme inestimable. Il devait, en conséquence, être récompensé par des honoraires, et non rémunéré par un salaire.

On pourrait encore citer un arrêt du 4 février 2015 relatif à une clause de non-réinstallation pesant sur une infirmière libérale membre d'une société civile de moyens établie à Villenave d'Ornon qui s'était engagée à ne pas s'installer à son compte, pendant deux ans, dans cette commune. Or, elle s'était finalement établie dans une ville limitrophe, toute la difficulté provenant du fait qu'elle avait rendu visite à de nombreux patients situés dans ladite commune. Le pourvoi se fondait sur les dispositions de l'article R. 4312-8 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L9765GTT), lequel énonce que "l'infirmier ou l'infirmière doit respecter le droit du patient de s'adresser au professionnel de santé de son choix". De même, l'article suivant affirme que "l'infirmier ou l'infirmière ne peut aliéner son indépendance professionnelle sous quelque forme que ce soit". Dès lors qu'était en jeu une liberté garantie, l'interprétation stricte de la clause de non-réinstallation s'imposait. Partant, la Cour de cassation a logiquement pu considérer que "les clauses de non-réinstallation conclues entre professionnels de santé, susceptibles de porter atteinte tant à la liberté d'exercice de la profession qu'à la liberté de choix des patients, sont d'interprétation stricte et ne peuvent être étendues au-delà de leurs prévisions". D'où la censure des juges du fond pour ne pas avoir caractérisé, "de la part de [l'infirmière] qui n'avait pas ouvert son cabinet dans l'une des communes entrant dans les prévisions de la clause litigieuse, d'élément de nature à démontrer l'existence d'un détournement de patientèle" (14).

On le voit, les clauses de non-concurrence, les clauses de garantie, les clauses de non-réinstallation, les actions en concurrence déloyale dont désormais partie intégrante du paysage des cessions de clientèles civiles ou des cessions de patientèles, avec tout le contentieux et, en même temps, toute la sécurité qu'elles apportent. Tel est le prix à payer, un peu cher parfois, de la patrimonialisation de ces clientèles, nécessaires et inévitables, mais porteuse de conflits. Gageons que les avantages dépassent les inconvénients.


(1) Cass. civ. 1, 7 novembre 2000, n° 98-17.731 (N° Lexbase : A7780AHM), Bull. civ. I, n° 283 ; RTDCiv. 2001, p. 130, obs. J. Mestre et B. Fages et p. 167, obs. T. Revet ; JCP éd. G, 2001, II, 10452, note F. Vialla (du même auteur V., Les contrats portant sur le fonds libéral, Résolution du Conseil national des barreaux, D., 2005, p. 1500) ; JCP E, 2001, p. 419, note G. Loiseau ; Contrats, conc., consom., 2001, 18, note L. Leveneur ; Defrénois, 2001, 431, note R. Libchaber ; D., 2002, somm., p. 930, obs. O. Tournafond ; RD sanit. soc. 2001, 317, note G. Mémeteau ; M.-C. Chemtob, Cession de clientèle médicale : licéité sous réserve du respect de la liberté de choix du patient, Contrats, conc., consom. 2001, chron. 7 ; J.-J. Daigre, Une révolution pour les professions libérales : la consécration du fonds libéral, JCP éd. N, 2001, 1235 ; Y. Serra, L'opération de cession de clientèle civile après l'arrêt du 7 novembre 2000 : dorénavant, on fera comme d'habitude, D., 2002, p. 2295.
(2) Cass. civ. 1, 19 novembre 2002, n° 00-18.339, FS-P (N° Lexbase : A0474A4C), Bull. civ. I, n° 277, JCP éd. G., 2003, IV, 1058, D., 2003, p. 1590, note S. Mirabail. - Cass. com., 24 septembre 2003, n° 00-10.355, F-D (N° Lexbase : A6146C9I) - Cass. com., 19 février 2002, n° 98-18.606 (N° Lexbase : A0206AYB), RJPF 2002-5/25, obs. F. Vauvillé. - Cass. civ. 1, 19 mars 2002, n° 99-18.425 (N° Lexbase : A3001AYS). - Cass. civ. 1, 2 mai 2001, n° 99-11.336 (N° Lexbase : A3498ATQ), Bull. civ. 2001, I, n° 110 ; JCP éd. G, 2002, II, 10062, note O. Barret ; JCP éd. G, 2002, I, 103, n° 11, obs. Ph. Simler ; D., 2002, p. 759, note W. Dross ; RJPF novembre 2001, p. 33, obs. F. Vauvillé ; G. Chabot, Le fonds libéral en droit patrimonial de la famille, LPA 26 mars 2002, n° 61, p. 4 ; Cass. civ. 1, 20 janvier 2004, n° 00-15.313, F-D (N° Lexbase : A8602DAT), Defrénois, 2004, 442, obs. J.-L. Aubert - Cass. civ. 1, 30 juin 2004, n° 99-20.286, F-P (N° Lexbase : A9187DCA), Bull. civ. I, n° 195, JCP éd. G, 2004, IV, 2796, Contrats, conc., consom. 2004, 135, note L. Leveneur ; Cass. civ. 1, 16 janvier 2007, n° 04-20.711, FS-P+B (N° Lexbase : A6133DTC), Bull. civ. I, n° 24 ; RLDC 2007/36, n° 2435, obs. S. Doireau.
(3) Cass. civ. 1, 19 février 2002, n° 99-21.085 (N° Lexbase : A0512AYM), RJPF 2002-5/25, obs. F. Vauvillé ; Cass. civ. 1, 19 mars 2002, n° 99-18.425 (N° Lexbase : A3001AYS).
(4) Cass. civ. 1, 2 mai 2001, n° 99-11.336 (N° Lexbase : A3498ATQ), Bull. civ. 2001, I, n° 110 ; JCP G 2002, II, 10062, note O. Barret ; JCP éd. G 2002, I, 103, n° 11, obs. Ph. Simler ; D. 2002, p. 759, note W. Dross ; RJPF novembre 2001, p. 33, obs. F. Vauvillé ; G. Chabot, Le fonds libéral en droit patrimonial de la famille, LPA, 26 mars 2002, n° 61, p. 4.
(5) Encyclopédie "La profession d'avocat" (N° Lexbase : E9280ETU).
(6) ou alors un soulagement, de part et d'autre.
(7) D. actu. avocat, 13 février 2015, obs. A. Portmann.
(8) Encyclopédie "La profession d'avocat" (N° Lexbase : E3552E4C).
(9) Cass. civ. 1, 10 avril 2013, n° 12-15.168, F-D (N° Lexbase : A0783KCY), Contrats, conc., consom. 2013, comm., 153, note L. Leveneur ; RTDCiv. 2013, p. 369, obs. H. Barbier. Dans cette espèce, par un acte notarié de 2007, un expert-comptable cède, moyennant une certaine somme payable pour partie comptant et pour partie à terme, un droit dit "de présentation de clientèle" à une société exerçant la même profession, avec une clause de garantie de clientèle aux termes de laquelle "en cas de défection de tout ou partie de la clientèle présentée, pour quelque cause que ce soit, autre que la faute lourde de la société A., M. X. remboursera à première demande de ladite société la partie du droit de présentation associée aux honoraires récurrents annuels HT figurant sur la liste annexée aux présentes. Cette obligation de garantie expirera une année après le règlement de l'indemnité prévue au présent acte payée comptant et à terme". Invoquant une telle défection d'une partie de la clientèle, la société cessionnaire demande le remboursement prévu par la clause. La cour d'appel le lui refuse au motif que "le professionnel qui présente sa clientèle à un confrère ne peut être tenu des conséquences de cette défection alors que la clientèle reste libre de choix du professionnel avec lequel elle souhaite travailler". L'arrêt est cassé au visa de l'article 1134 du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC) pour avoir refusé de faire jouer la clause dans les hypothèses de départ spontané, sans avoir constaté que celle-ci portait atteinte à la liberté de choix des clients et alors que les parties elles-mêmes n'en avaient limité le jeu que pour les départs de clients causés par une faute autre que lourde du cessionnaire.
(10) Cass. civ. 1, 14 novembre 2012, n° 11-16.439, FS-P+B+I (N° Lexbase : A8662IWQ), D., 2012, p. 2747 ; RTDCiv. 2013, p. 113, obs. B. Fages. A propos d'une convention emportant cession de clientèle notariale, la Cour de cassation avait invalidé une clause qui obligeait le notaire cédant à reverser dix années durant au cessionnaire les rémunérations perçues de la part des clients qui avaient suivi le cédant dans sa nouvelle étude. Les juges y avaient vu en effet une privation de la liberté de choix de cette clientèle car elle "soumettait le cédant à une pression sévère de nature, sinon à refuser de prêter son ministère, du moins à tenter de convaincre le client de choisir un autre notaire".
(11) Cass. civ 1, 14 novembre 2012, précité.
(12) Obs. H. Barbier, précité, citant Cass. soc., 15 février 2012, n° 10-21.328, F-D (N° Lexbase : A8662ICS). Sur le même registre, on pourrait considérer qu'elles sont des clauses de garantie d'éviction ou de garantie du fait personnel que connaît le droit de la vente (C. civ., art. 1626 N° Lexbase : L1728ABM et 1628 N° Lexbase : L1730ABP).
(13) A. Supiot, Les nouveaux visages de la subordination, Dr. soc., 2000, p. 131 s., spéc. p. 132.
(14) Cass. civ. 1, 4 février 2015, FS-P+B, n° 13-26.452 (N° Lexbase : A2462NBS), D. actu., 13 février 2015, N. Kilgusle.

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[Jurisprudence] Cession de clientèle d'avocat et obligation de non-concurrence

Réf. : CA Paris, Pôle 2, 1ère ch., 21 janvier 2015, n° 736/213809 (N° Lexbase : A6366M9N) ; CA Rennes, 27 janvier 2015, n° 13/09002 (N° Lexbase : A4244NAG)

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N6176BUB

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par Bastien Brignon, Maître de conférences HDR à l'Université d'Aix-Marseille, Membre du Centre de droit économique (EA 4224) et du Centre de droit du sport d'Aix-Marseille

Le 17 Mars 2015

Longtemps interdites car considérées comme hors du commerce en vertu de l'article 1128 du Code civil (N° Lexbase : L1692H4G), les cessions de clientèle civile sont aujourd'hui parfaitement valables, à condition toutefois de préserver le libre choix du client ou du patient, et ce, depuis un très important revirement de jurisprudence opéré par un arrêt du 7 novembre 2000 (1), maintes fois confirmé (2), avec parfois même une référence expresse au fonds d'exercice libéral (3), voire l'esquisse d'une définition dudit fonds qui comprendrait ainsi la clientèle civile, les matériels et locaux professionnels (4). Et elles le sont pleinement puisque la jurisprudence valide aujourd'hui aussi bien les présentations de clientèle civile, que les cessions de clientèles civiles ou les cessions de fonds d'exercice libéral. S'agissant des cessions de clientèle civile, le terme développé par la pratique est plutôt celui de convention de successeur à titre onéreux dite de présentation à la clientèle (ou à la "patientèle" dans le secteur de la santé).

Concernant les cessions de clientèles civiles, le contentieux se noue aujourd'hui plutôt autour des clauses de garantie ou des clauses de non-concurrence dont les cédants deviennent naturellement débiteurs. Les cédants sont en effet tenus, et c'est logique, de ne pas reprendre la clientèle qu'ils vendent. Le problème vient de ce que ces clauses sont par nature discutables car, compte tenu de la volatilité du client ou du patient, et surtout de son libre choix, il est difficile d'obliger une personne à changer d'avocat ou de médecin, sauf départ à la retraite du professionnel libéral.

Deux arrêts particulièrement intéressants, rendus l'un par la cour d'appel de Paris (CA Paris, Pôle 2, 1ère ch., 21 janvier 2015, n° 736/213809), l'autre par la cour d'appel de Rennes (CA Rennes, 27 janvier 2015, n° 13/09002), permettent de faire le point sur les obligations de non-concurrence pesant sur des avocats cédants, dont les comportements étaient contestés par les cessionnaires.

Dans le premier arrêt, il n'y avait pas de clause de non-concurrence à la charge des avocats sortants, mais ceux-ci étaient assignés en responsabilité sur le fondement d'une action en concurrence déloyale, la déloyauté n'étant au final pas reconnue (I). Dans le second, une clause de non-concurrence était, en revanche, bel et bien stipulée et l'avocat cédant avait eu un comportement tellement grave que la clause avait joué pleinement, les juges rennais reconnaissant sa responsabilité contractuelle (II).

I - L'action en concurrence déloyale

Plus précisément, dans l'arrêt du 21 janvier 2015, un cabinet d'avocats reprochait des actes de concurrence déloyale à l'un de ses anciens associés et à l'une de ses anciennes collaboratrices ayant quitté ledit cabinet pour en intégrer un autre, qui se trouvait être le concurrent direct, en particulier parce qu'un projet de rapprochement entre les deux structures avait échoué.

La cour d'appel de Paris rejette les accusations de concurrence déloyale. Pour l'essentiel, elle énonce, qu'il résulte de nombreux courriels adressés aux associés que tant l'avocat associé que l'avocate collaboratrice n'adhéraient pas ou plus au mode de fonctionnement de la structure et qu'ils se plaignaient de ne pas être traités correctement, d'autant que des questions déontologiques s'étaient élevées relatives à la mise en place de règles de corporate governance, les propositions de l'avocat associé n'étant pas examinées aux réunions d'associés. Pour la cour, cette insatisfaction explique leur souhait de quitter le cabinet pour en rejoindre un autre dont ils savaient qu'il recherchait des associés et qu'il y avait pour eux une opportunité d'obtenir d'autres conditions d'association et de travail. Et, en l'absence d'une baisse de facturation et d'une désorganisation avérée des services, aucun élément ne permet d'établir que le cabinet, ayant accueilli l'avocat associé et plusieurs collaborateurs, ait commis des manoeuvres déloyales pour obtenir leur arrivée au sein de son entité. Aucune preuve de ce que cette intégration de personnes venant de ce cabinet concurrent ait eu pour but de lui nuire ou de le désorganiser n'étant apportée, les juges du fond rejettent l'action en concurrence déloyale introduite par le cabinet dont les avocats étaient partis.

L'action en concurrence déloyale tend à faire sanctionner des actes contraires à la loyauté commerciale. La profession d'avocat est libérale et indépendante, et chaque avocat a le libre choix de sa structure d'exercice : il a donc la liberté d'en changer sans avoir à rendre compte des motifs qui le déterminent. L'exercice professionnel se caractérise par un intuitu personae entre l'avocat et son client mais aussi entre un associé et ses collaborateurs, ce dont il résulte que le départ d'un associé peut entraîner celui concomitant de ses collaborateurs. Et, un tel départ est de nature à être suivi de la perte d'un client choisissant de continuer à travailler avec l'avocat retrayant dans son nouveau cabinet ; ceci ne peut être prohibé, la liberté des affaires empêchant que la clientèle puisse faire l'objet d'un droit privatif. Toutefois, cette liberté a des limites liées au respect du principe de loyauté et il ne faut pas que le débauchage soit accompagné de manoeuvres aboutissant à la désorganisation du cabinet privé de certains de ses associés et collaborateurs. Voilà les principes essentiels rappelés par les juges parisiens (5).

La liberté du commerce et de l'industrie prévaut également chez les avocats. L'installation est libre. L'association est libre. Le départ est libre. La captation de clientèle est autorisée. Elle est même saine, à tout le moins si les procédés utilisés restent loyaux. Et visiblement au cas d'espèce les avocats sortants ne s'étaient rendus coupables d'aucune manoeuvre déloyale.

Le critère souvent retenu, en particulier par la Chambre sociale de la Cour de cassation, est celui de la désorganisation. Soyons clairs : le départ d'un avocat crée souvent une désorganisation (6) ou plutôt nécessite une réorganisation, une redistribution des cartes. En l'occurrence, la restructuration avait été assez importante car il s'agissait d'un grand cabinet M. et nombre d'avocats dans chacun des départements concernés étaient partis (pour rejoindre le cabinet L.). Mais elle n'avait pas non plus été insurmontable puisqu'en l'espace d'une année le cabinet M. avait réussi à recomposer ses équipes.

En somme, il n'y avait pas eu de désorganisation fautive, de désorganisation autre que la désorganisation classique, habituelle, liée aux départs. Il est vrai que les avocats sortants étaient partis avec des clients. Mais ces deniers les avaient en réalité naturellement suivis. D'autant que l'on ne peut pas reprocher aux clients de suivre tel ou tel avocat et ce, au regard de la relation de confiance qui peut se nouer entre eux.

La désorganisation se mesure souvent à la baisse du chiffre d'affaires. Or, ici, le départ des avocats intéressés ne s'était pas accompagné d'une telle baisse. Ceux-ci s'étaient séparés professionnellement car ils ne s'entendaient plus. Pour autant, il n'y avait eu aucune manoeuvre déloyale, aucune désorganisation fautive. Encore une fois, l'avocat est libre de s'associer ou de sortir d'une association.

La liberté du commerce et de l'industrie, la liberté d'entreprendre, la liberté d'installation est même plus forte chez les avocats que chez les commerçants. Car l'avocat, qu'il soit salarié, collaborateur ou associé, qu'il soit installé seul ou qu'il exerce en société, qu'il soit dans une SCP ou une SEL ou une AARPI ou autre forme de groupement, qu'il soit associé/partner junior ou senior, est, dans toutes ces hypothèses, indépendant. Bien entendu, lorsque des moyens sont mis en commun, lorsque des clients ou des bénéfices sont partagés, il faut composer avec le groupe. Mais l'avocat n'en reste pas moins indépendant.

II - La clause de non-concurrence

Dans l'arrêt du 27 janvier 2015 (7), il s'agissait d'un avocat du barreau de Rennes associé d'une SELARL qui s'était engagé en 2006 à céder, à terme, ses parts, et, en conséquence, ne plus exercer la profession d'avocat, ni avoir une activité entrant en concurrence avec la SELARL, pour une durée de deux ans. L'affaire était assez compliquée. Elle impliquait plusieurs protocoles de cession successifs, mais aussi une scission du cabinet cédé, en raison d'une mésentente entre associés. De nombreux tiers étaient intervenus, notamment un expert-comptable et un détective privé.

En 2009, le cessionnaire désormais associé de la SELARL et les autres actionnaires scindèrent la société d'avocats en deux cabinets, le cédant étant tenu au respect de ses engagements non-concurrentiels par protocole de médiation devant le Bâtonnier. Cédant et cessionnaire avaient constitué ensemble une société de participation financière des professions libérales (SPFPL), qui avait acquis 200 parts de la SELARL. Le cessionnaire avait ensuite transféré ses parts de SPFPL à une EURL dont il était l'associé et avait été nommé cogérant de la SELARL. En raison de difficultés entre associés, plusieurs protocoles successifs avaient été annulés, puis remplacé les précédents. Le cessionnaire, qui s'était rendu compte que certains des clients du cabinet étaient encore conseillés par le cédant, avait saisi le Bâtonnier d'une demande d'indemnisation à l'encontre du cédant. Le Bâtonnier avait statué sur ses demandes, l'en déboutant en considérant que l'avocat cédant avait exécuté les obligations mises à sa charge par le dernier protocole d'accord signé entre les parties. Aux termes du dernier en date, signé sous l'égide du Bâtonnier et après expertise, le prix du retrait de l'avocat cédant de la SELARL avait été fixé. Le cédant s'était engagé à présenter ses clients au cessionnaire dès la signature du protocole, à cesser son activité d'avocat dès le paiement du prix et à respecter pendant deux ans, une obligation de non-concurrence en s'interdisant "sous une forme ou sous une autre, directement ou indirectement de conseiller, d'assister ou de représenter des clients du cabinet".

L'avocat cessionnaire avait fait appel. Il agissait en son nom propre, au nom de la SPFPL, ainsi qu'au nom de la SELARL. La cour a considéré que le cessionnaire, en son nom propre, était dépourvu d'intérêt et de qualité à agir en réparation du préjudice causé par les fautes commises par le cédant, seule la SELARL ayant subi un préjudice. En revanche, l'avocat, en son nom propre, pouvait solliciter l'indemnisation du préjudice moral, d'image et de notoriété causé par l'attitude de son confrère. En effet, le cédant ayant contourné son obligation de non-concurrence, notamment en constituant une société dont il était le seul actionnaire, devenue administratrice de plusieurs sociétés clientes de la SELARL, l'avocat cessionnaire, créancier d'une obligation de présentation de clientèle et de loyauté du cédant intenta une action visant à la réparation de son préjudice des suites du non-respect par le cédant de son obligation de non-concurrence.

La cour a relevé qu'alors qu'il s'était engagé à cesser son activité d'avocat, le cédant était toujours inscrit dans l'annuaire des avocats de Rennes postérieurement à la conclusion du protocole d'accord. Il a même continué à exercer au sein du cabinet, comme en témoigne un état de frais indiquant qu'il a perçu des rémunérations sur la période considérée. Il ne pouvait s'agir, comme l'affirmait le cédant, de remboursements de compte courant d'associé. La cour a jugé que ces éléments corroboraient ceux qui figuraient dans l'enquête privée réalisée à la demande du cessionnaire, qui faisait apparaître que le cédant était présent dans les locaux d'un cabinet d'avocats et assistait à des rendez-vous d'affaires en compagnie d'un collaborateur. La cour a noté, par ailleurs, que le cédant a créé une société de conseil, dont il était le seul associé et qui était présidée par son épouse. Cette société conseillait plusieurs sociétés, qui avaient, avant la cession, été facturées comme clientes de la SELARL d'avocats. Ces sociétés avaient fourni des attestations indiquant qu'elles ne souhaitaient pas travailler avec le cédant.

L'avocat cédant avait par conséquence conservé une partie de la clientèle cédée. Il avait en effet continué à suivre des clients du cabinet en cours et finalisé des dossiers "à fort enjeu financier" après la cession, sans l'autorisation du cessionnaire. Il a continué son activité d'avocat et conseillé d'anciens clients, contrairement aux engagements souscrits dans le protocole d'accord. Pour la cour d'appel, le cédant avait commis des manquements graves et répétés à son obligation de non-concurrence souscrite au bénéfice du cessionnaire. Bien que la cour conclut aux manquements graves et répétés de la part de l'avocat cédant, elle ordonne une expertise pour déterminer le quantum de la réparation afin d'évaluer les conséquences financières de ces manquements et les préjudices subis, à la fois par la SELARL et par le cédant, en son nom propre (8).

On retiendra donc de l'arrêt du 27 janvier 2015 que la continuation de l'activité d'avocat sans l'autorisation expresse du cessionnaire, doublée d'un maintien étroit des relations d'affaires entre le cédant et ses anciens clients, par le biais d'une société, spécialement créée à cette fin, lui permettant d'entrer comme administrateur dans plusieurs des sociétés clientes et ainsi d'exercer de manière directe ou indirecte une activité de conseil et d'assistance à ces sociétés, constituent une violation de la clause de non-concurrence inscrite dans un accord de cession de parts d'un cabinet d'avocats.

On retiendra aussi et surtout que la cour a considéré que l'obligation de présentation de la clientèle n'emportait pas celle du maintien de la clientèle, le cédant devait cependant remplir loyalement les obligations qu'il avait souscrites. Tel n'était pas le cas en l'espèce certes. Pour autant, et de manière générale et objective, il ne peut pas être imposé au cédant de garantir au cessionnaire la rentabilité de l'opération, à travers ici le maintien de la clientèle.

III - Les clauses de garantie

Au-delà des clauses de non-concurrence dont les avocats cédants peuvent être débiteurs, et au-delà également des actions en concurrence déloyale dont les avocats sortants peuvent faire l'objet, en l'absence de clause de non-concurrence, toute la question est en réalité de savoir si les avocats, ou plus largement les professions libérales, peuvent stipuler dans leurs cessions des clauses de garantie, à l'instar par exemple des conventions de garantie de passif et d'actif dans les cessions de droits sociaux en matière commerciale.

Selon la Cour de cassation, tantôt ces clauses de garantie sont valables (9), tantôt elles ne le sont pas (10).

Il nous semble que le droit de présentation de clientèle, et les clauses qui en découlent, dont celles de garantie, ne sont pas intrinsèquement illicites. Encore faut-il, cependant, que soit préservé le libre choix du client ou du patient.

Au nom de la sécurité juridique, il faut donner plein effet aux cessions de clientèle civile en permettant aux parties de stipuler des clauses de garantie, rapprochant en cela un peu plus les cessions des clientèles civiles des cessions de clientèles commerciales. Clauses de garantie qu'il faut absolument respecter en vertu de l'intangibilité des conventions posée à l'alinéa 1er de l'article 1134 du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC).

Cela étant, le principe reste et demeure du libre choix du client. La clause de garantie ne sera validée qu'à condition de respecter ce principe, la Cour de cassation, invalidant à juste titre une clause ne respectant cette liberté du client. Il y a ainsi deux niveaux d'analyse. D'abord, la clause n'est valable qu'autant qu'elle respecte le libre choix des clients. Ensuite, même valable, la clause peut tomber en cas de faute lourde du créancier de la garantie.

Voilà qui rappelle à certains égards la faute lourde (jurisprudences "Chronopost" - Cass. com., 9 juillet 2002, n° 99-12.554, FP-P N° Lexbase : A0766AZE et "Faurecia" - Cass. com., 29 juin 2010, n° 09-11.841, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A5360E3W), seule encline avec le dol à faire tomber les clauses limitatives ou élusives de responsabilité, le tout au regard de l'obligation essentielle du contrat.

Par extension, peut-on se poser la question de savoir si la faute lourde est constitutive ou pas de la violation du principe du libre choix du client ? Pas vraiment car autant la potentielle faute lourde est à imputer au créancier de la clause (cessionnaire), autant la potentielle violation du libre choix du client est à imputer au débiteur de la clause (cédant). Si l'on admettait la question, on admettrait que la faute lourde du cessionnaire puisse se réaliser à travers la violation du principe du libre choix du client alors que tout au contraire le cessionnaire aspire à ce que la clause soit pleinement respectée, à ce qu'il puisse pleinement jouir de la clientèle. Si l'on admettait la question, on admettrait une sorte de transfert de la créance au profit du cédant qui lui seul est tenu de respecter le libre choix des clients. La faute lourde n'est là que pour ruiner les effets de la clause, nullement pour qualifier une éventuelle violation de la liberté des clients de choisir leur professionnel.

Toujours est-il que la cession de clientèle civile se détache ainsi de la cession de clientèle commerciale et témoigne d'une réelle spécificité, matérialisée par le respect du principe de liberté du client.

Les clauses de garantie de clientèle civile ne sont pas par objet des clauses de respect de clientèle, mais plutôt des clauses de non-concurrence. Elles en produisent néanmoins les effets, et sont valables qu'autant qu'elles respectent la liberté de choix des clients. Tant et si bien que sans le remettre en cause, elles influent nécessairement sur le principe de libre choix du client, de manière un peu paradoxale. Alors que ces clauses sont validées au regard du principe du libre choix des clients, elles aboutissent au final à empêcher le cédant d'accepter de recevoir ses anciens clients cédés à son successeur, et donc les clients eux-mêmes d'être totalement libres.

Le paradoxe est saisissant : nonobstant le droit de présentation, la clientèle présentée reste libre de choisir le professionnel auquel elle souhaite confier ses intérêts ; le professionnel qui présente sa clientèle à un confrère ne peut être tenu des conséquences de cette "défection" alors que la clientèle reste libre du choix du professionnel avec lequel elle souhaite travailler.

Malgré les dernières évolutions jurisprudentielles tendant à rapprocher le fonds libéral du fonds de commerce, la distinction entre commerce et activité libérale demeure forte. N'oublions pas qu'elle a des racines assez anciennes. Sous l'Ancien droit par exemple et même au-delà de la Révolution industrielle, les "Arts libéraux" étaient opposés aux services mercantiles. Ainsi, le service de l'Homme d'art était-il considéré comme inestimable. Il devait, en conséquence, être récompensé par des honoraires, et non rémunéré par un salaire.

On pourrait encore citer un arrêt du 4 février 2015 relatif à une clause de non-réinstallation pesant sur une infirmière libérale membre d'une société civile de moyens établie à Villenave d'Ornon qui s'était engagée à ne pas s'installer à son compte, pendant deux ans, dans cette commune. Or, elle s'était finalement établie dans une ville limitrophe, toute la difficulté provenant du fait qu'elle avait rendu visite à de nombreux patients situés dans ladite commune. Le pourvoi se fondait sur les dispositions de l'article R. 4312-8 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L9765GTT), lequel énonce que "l'infirmier ou l'infirmière doit respecter le droit du patient de s'adresser au professionnel de santé de son choix". De même, l'article suivant affirme que "l'infirmier ou l'infirmière ne peut aliéner son indépendance professionnelle sous quelque forme que ce soit". Dès lors qu'était en jeu une liberté garantie, l'interprétation stricte de la clause de non-réinstallation s'imposait. Partant, la Cour de cassation a logiquement pu considérer que "les clauses de non-réinstallation conclues entre professionnels de santé, susceptibles de porter atteinte tant à la liberté d'exercice de la profession qu'à la liberté de choix des patients, sont d'interprétation stricte et ne peuvent être étendues au-delà de leurs prévisions". D'où la censure des juges du fond pour ne pas avoir caractérisé, "de la part de [l'infirmière] qui n'avait pas ouvert son cabinet dans l'une des communes entrant dans les prévisions de la clause litigieuse, d'élément de nature à démontrer l'existence d'un détournement de patientèle" (14).

On le voit, les clauses de non-concurrence, les clauses de garantie, les clauses de non-réinstallation, les actions en concurrence déloyale dont désormais partie intégrante du paysage des cessions de clientèles civiles ou des cessions de patientèles, avec tout le contentieux et, en même temps, toute la sécurité qu'elles apportent. Tel est le prix à payer, un peu cher parfois, de la patrimonialisation de ces clientèles, nécessaires et inévitables, mais porteuse de conflits. Gageons que les avantages dépassent les inconvénients.


(1) Cass. civ. 1, 7 novembre 2000, n° 98-17.731 (N° Lexbase : A7780AHM), Bull. civ. I, n° 283 ; RTDCiv. 2001, p. 130, obs. J. Mestre et B. Fages et p. 167, obs. T. Revet ; JCP éd. G, 2001, II, 10452, note F. Vialla (du même auteur V., Les contrats portant sur le fonds libéral, Résolution du Conseil national des barreaux, D., 2005, p. 1500) ; JCP E, 2001, p. 419, note G. Loiseau ; Contrats, conc., consom., 2001, 18, note L. Leveneur ; Defrénois, 2001, 431, note R. Libchaber ; D., 2002, somm., p. 930, obs. O. Tournafond ; RD sanit. soc. 2001, 317, note G. Mémeteau ; M.-C. Chemtob, Cession de clientèle médicale : licéité sous réserve du respect de la liberté de choix du patient, Contrats, conc., consom. 2001, chron. 7 ; J.-J. Daigre, Une révolution pour les professions libérales : la consécration du fonds libéral, JCP éd. N, 2001, 1235 ; Y. Serra, L'opération de cession de clientèle civile après l'arrêt du 7 novembre 2000 : dorénavant, on fera comme d'habitude, D., 2002, p. 2295.
(2) Cass. civ. 1, 19 novembre 2002, n° 00-18.339, FS-P (N° Lexbase : A0474A4C), Bull. civ. I, n° 277, JCP éd. G., 2003, IV, 1058, D., 2003, p. 1590, note S. Mirabail. - Cass. com., 24 septembre 2003, n° 00-10.355, F-D (N° Lexbase : A6146C9I) - Cass. com., 19 février 2002, n° 98-18.606 (N° Lexbase : A0206AYB), RJPF 2002-5/25, obs. F. Vauvillé. - Cass. civ. 1, 19 mars 2002, n° 99-18.425 (N° Lexbase : A3001AYS). - Cass. civ. 1, 2 mai 2001, n° 99-11.336 (N° Lexbase : A3498ATQ), Bull. civ. 2001, I, n° 110 ; JCP éd. G, 2002, II, 10062, note O. Barret ; JCP éd. G, 2002, I, 103, n° 11, obs. Ph. Simler ; D., 2002, p. 759, note W. Dross ; RJPF novembre 2001, p. 33, obs. F. Vauvillé ; G. Chabot, Le fonds libéral en droit patrimonial de la famille, LPA 26 mars 2002, n° 61, p. 4 ; Cass. civ. 1, 20 janvier 2004, n° 00-15.313, F-D (N° Lexbase : A8602DAT), Defrénois, 2004, 442, obs. J.-L. Aubert - Cass. civ. 1, 30 juin 2004, n° 99-20.286, F-P (N° Lexbase : A9187DCA), Bull. civ. I, n° 195, JCP éd. G, 2004, IV, 2796, Contrats, conc., consom. 2004, 135, note L. Leveneur ; Cass. civ. 1, 16 janvier 2007, n° 04-20.711, FS-P+B (N° Lexbase : A6133DTC), Bull. civ. I, n° 24 ; RLDC 2007/36, n° 2435, obs. S. Doireau.
(3) Cass. civ. 1, 19 février 2002, n° 99-21.085 (N° Lexbase : A0512AYM), RJPF 2002-5/25, obs. F. Vauvillé ; Cass. civ. 1, 19 mars 2002, n° 99-18.425 (N° Lexbase : A3001AYS).
(4) Cass. civ. 1, 2 mai 2001, n° 99-11.336 (N° Lexbase : A3498ATQ), Bull. civ. 2001, I, n° 110 ; JCP G 2002, II, 10062, note O. Barret ; JCP éd. G 2002, I, 103, n° 11, obs. Ph. Simler ; D. 2002, p. 759, note W. Dross ; RJPF novembre 2001, p. 33, obs. F. Vauvillé ; G. Chabot, Le fonds libéral en droit patrimonial de la famille, LPA, 26 mars 2002, n° 61, p. 4.
(5) Encyclopédie "La profession d'avocat" (N° Lexbase : E9280ETU).
(6) ou alors un soulagement, de part et d'autre.
(7) D. actu. avocat, 13 février 2015, obs. A. Portmann.
(8) Encyclopédie "La profession d'avocat" (N° Lexbase : E3552E4C).
(9) Cass. civ. 1, 10 avril 2013, n° 12-15.168, F-D (N° Lexbase : A0783KCY), Contrats, conc., consom. 2013, comm., 153, note L. Leveneur ; RTDCiv. 2013, p. 369, obs. H. Barbier. Dans cette espèce, par un acte notarié de 2007, un expert-comptable cède, moyennant une certaine somme payable pour partie comptant et pour partie à terme, un droit dit "de présentation de clientèle" à une société exerçant la même profession, avec une clause de garantie de clientèle aux termes de laquelle "en cas de défection de tout ou partie de la clientèle présentée, pour quelque cause que ce soit, autre que la faute lourde de la société A., M. X. remboursera à première demande de ladite société la partie du droit de présentation associée aux honoraires récurrents annuels HT figurant sur la liste annexée aux présentes. Cette obligation de garantie expirera une année après le règlement de l'indemnité prévue au présent acte payée comptant et à terme". Invoquant une telle défection d'une partie de la clientèle, la société cessionnaire demande le remboursement prévu par la clause. La cour d'appel le lui refuse au motif que "le professionnel qui présente sa clientèle à un confrère ne peut être tenu des conséquences de cette défection alors que la clientèle reste libre de choix du professionnel avec lequel elle souhaite travailler". L'arrêt est cassé au visa de l'article 1134 du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC) pour avoir refusé de faire jouer la clause dans les hypothèses de départ spontané, sans avoir constaté que celle-ci portait atteinte à la liberté de choix des clients et alors que les parties elles-mêmes n'en avaient limité le jeu que pour les départs de clients causés par une faute autre que lourde du cessionnaire.
(10) Cass. civ. 1, 14 novembre 2012, n° 11-16.439, FS-P+B+I (N° Lexbase : A8662IWQ), D., 2012, p. 2747 ; RTDCiv. 2013, p. 113, obs. B. Fages. A propos d'une convention emportant cession de clientèle notariale, la Cour de cassation avait invalidé une clause qui obligeait le notaire cédant à reverser dix années durant au cessionnaire les rémunérations perçues de la part des clients qui avaient suivi le cédant dans sa nouvelle étude. Les juges y avaient vu en effet une privation de la liberté de choix de cette clientèle car elle "soumettait le cédant à une pression sévère de nature, sinon à refuser de prêter son ministère, du moins à tenter de convaincre le client de choisir un autre notaire".
(11) Cass. civ 1, 14 novembre 2012, précité.
(12) Obs. H. Barbier, précité, citant Cass. soc., 15 février 2012, n° 10-21.328, F-D (N° Lexbase : A8662ICS). Sur le même registre, on pourrait considérer qu'elles sont des clauses de garantie d'éviction ou de garantie du fait personnel que connaît le droit de la vente (C. civ., art. 1626 N° Lexbase : L1728ABM et 1628 N° Lexbase : L1730ABP).
(13) A. Supiot, Les nouveaux visages de la subordination, Dr. soc., 2000, p. 131 s., spéc. p. 132.
(14) Cass. civ. 1, 4 février 2015, FS-P+B, n° 13-26.452 (N° Lexbase : A2462NBS), D. actu., 13 février 2015, N. Kilgusle.

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Droit financier

[Brèves] Délit d'initié : obligation de divulguer l'information même en l'absence de certitude sur son influence sur le cours des instruments financiers

Réf. : CJUE, 11 mars 2015, aff. C-628/13 (N° Lexbase : A0297NDD)

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Le 19 Mars 2015

Pour prévenir tout délit d'initié, une information doit être divulguée au public même si son détenteur ne sait pas quelle influence précise elle aura sur le cours des instruments financiers. Tel est le sens d'un arrêt rendu par la CJUE le 11 mars 2015 (CJUE, 11 mars 2015, aff. C-628/13 N° Lexbase : A0297NDD). Dans l'affaire au principal, dans le cadre d'une enquête sur les conditions de montée au capital de Saint-Gobain par Wendel, l'AMF a conclu que Wendel avait, dès l'origine, la volonté de prendre une participation significative dans le capital de Saint-Gobain. Reprochant à Wendel de n'avoir divulgué au public ni les principales caractéristiques de l'opération financière destinée à l'acquisition de cette participation, ni l'information privilégiée consistant en la mise en place de l'opération financière en cause, Wendel et le président de son directoire se sont vu infliger chacun une amende de 1,5 million d'euros. Alors que les initiés estimaient que l'information sur l'opération financière en cause n'avait pas à être rendue publique, car elle n'était pas suffisamment précise pour que l'on puisse en tirer une conclusion quant à son effet possible, à la hausse ou à la baisse, sur le cours des actions, l'AMF rétorquait qu'il est indifférent, pour la qualification du caractère précis de l'information, de savoir si une opération financière s'exerce dans un sens déterminé, le plus important étant qu'un effet soit attendu sur le cours des actions. La Cour de cassation a donc posé une question préjudicielle sur ce sujet (Cass. com., 26 novembre 2013, n° 12-21.361, FS-P+B N° Lexbase : A4751KQZ ; lire N° Lexbase : N9677BTL). La CJUE déclare qu'il ne ressort pas du libellé des Directives 2003/6 (N° Lexbase : L8022BBQ) et 2003/124 (N° Lexbase : L0340DMK) que les informations à caractère précis viseraient uniquement celles qui permettent de déterminer dans quel sens le cours des instruments financiers concernés est susceptible de varier. Seules les informations vagues ou générales qui ne permettent de tirer aucune conclusion quant à leur effet possible sur le cours des instruments financiers concernés peuvent être considérées comme étant non précises. La Cour souligne, à cet égard, qu'un investisseur raisonnable est susceptible de fonder sa décision d'investissement sur des informations qui ne lui permettent pas forcément d'anticiper dans un sens déterminé la variation du cours des instruments financiers concernés. En outre, la complexité accrue des marchés financiers rend particulièrement difficile une estimation exacte du sens dans lequel les cours des instruments financiers peuvent varier. Si une information ne pouvait être considérée comme précise qu'à la condition qu'elle permette de déterminer le sens de variation du cours des instruments financiers concernés, le détenteur de l'information pourrait prétexter l'existence d'une incertitude à cet égard pour s'abstenir de rendre publiques certaines informations et ainsi en tirer profit au détriment des autres intervenants sur le marché.

newsid:446405

Concurrence

[Brèves] Contestation de la demande d'informations faite par l'Autorité de la concurrence dans le cadre de l'instruction relative à des pratiques anticoncurrentielles : incompétence du juge administratif

Réf. : CE 3° et 8° s-s-r., 6 mars 2015, n° 381711, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A9185NC8)

Lecture: 2 min

N6380BUT

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Le 17 Mars 2015

La juridiction administrative n'est pas compétente pour connaître de la requête tendant à voir annuler pour excès de pouvoir la demande d'informations et de communication de divers documents, adressée par les rapporteurs permanents de l'Autorité de la concurrence à une société dans le cadre de l'instruction, relative à des pratiques anticoncurrentielles prohibées par l'article L. 420-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L6583AIN). Tel est le sens d'un arrêt rendu le 6 mars 2015 par le Conseil d'Etat (CE 3° et 8° s-s-r., 6 mars 2015, n° 381711, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A9185NC8). En l'espèce, dans le cadre de l'instruction relative à des pratiques anticoncurrentielles prohibées par l'article L. 420-1 du Code de commerce, dans lesquelles une société serait impliquée, des rapporteurs permanents de l'Autorité de la concurrence ont adressé le 23 avril 2014 un courriel à cette société pour lui demander des informations et la communication de divers documents. Après que cette société eut refusé de donner suite à cette demande, les mêmes rapporteurs permanents l'ont réitérée par une lettre du 15 mai 2014. Cette lettre mentionnait, en outre, qu'à défaut d'obtempérer dans les délais impartis, la société s'exposerait à l'application des sanctions pour obstruction à l'instruction prévues au V de l'article L. 464-2 du Code de commerce (N° Lexbase : L4967IUI). La société a alors demandé au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir la demande d'informations du 23 avril 2014 et la lettre du 15 mai 2014. Le Conseil d'Etat rejette cette demande comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître. Il retient que les demandes contestées par la société lui ont été adressées dans le cadre de l'instruction d'une affaire relative à des pratiques anticoncurrentielle, de sorte que ces demandes, qui ne sont pas susceptibles de faire grief par elles-mêmes à la société indépendamment de la procédure suivie devant l'Autorité de la concurrence dans laquelle elles s'inscrivent, ne peuvent être regardées comme des actes détachables de cette procédure susceptibles de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir. En outre, si, faute d'avoir répondu, la société fait l'objet des sanctions prévues au V de l'article L. 464-2 du Code de commerce, il résulte des dispositions précitées de l'article L. 464-8 du même code (N° Lexbase : L4973IUQ) qu'elle peut les contester devant le juge judiciaire. La juridiction administrative n'est donc pas compétente pour connaître de cette requête.

newsid:446380

Contrats administratifs

[Jurisprudence] "Béziers III" : la possibilité de résiliation d'une convention passée entre deux personnes publiques n'est pas absolue

Réf. : CE 3° et 8° s-s-r., 27 février 2015, n° 357028, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A5134NC7)

Lecture: 8 min

N6339BUC

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par Sébastien Ellie, conseiller au tribunal administratif de Poitiers

Le 17 Mars 2015

Dans un arrêt rendu le 27 février 2015, le Conseil d'Etat a dit pour droit qu'une convention passée entre deux personnes publiques ne peut faire l'objet d'une résiliation unilatérale que si un motif d'intérêt général le justifie, notamment en cas de bouleversement de l'équilibre de la convention ou de disparition de sa cause. En revanche, la seule apparition, au cours de l'exécution de la convention, d'un déséquilibre dans les relations entre les parties n'est pas de nature à justifier une telle résiliation. L'épilogue ( ?) d'un litige par lequel les juges du Palais-Royal auront considérablement fait progresser la jurisprudence administrative relative à la nullité et à la résiliation du contrat administratif. I - L'objet du litige

Cette affaire constitue le point final du contentieux opposant la commune de Béziers à la commune de Villeneuve-lès-Béziers, ayant donné lieu à deux importants arrêts du Conseil d'Etat, le premier sur l'office du juge dans le cadre d'un litige opposant les parties à un contrat administratif, dit "Béziers I" (1), le second sur l'office du juge dans le cadre d'un litige relatif à une décision de résiliation d'un contrat administratif, dit "Béziers II" (2).

Les deux communes avaient décidé de transférer les activités économiques au sein d'une zone située sur le territoire de la commune de Villeneuve-lès-Béziers. Afin de tenir compte de la diminution des recettes perçues par la commune de Béziers à la suite de ce transfert, les communes ont conclu une convention par laquelle la ville de Villeneuve-lès-Béziers devait reverser une partie du produit de la taxe professionnelle à la ville de Béziers, calculée au regard de cette perte de recettes, mais aussi des investissements et des prestations réalisés par la commune de Béziers.

La commune de Villeneuve-lès-Béziers a décidé de prononcer la résiliation unilatérale de la convention, estimant qu'elle ne répondait plus à l'intérêt de la Ville. La Ville de Béziers a alors engagé deux recours : l'un contre la décision de résiliation elle-même, l'autre tendant à obtenir le versement d'une indemnité, liée d'une part aux sommes non versées depuis la résiliation de la convention (près de 600 000 euros), d'autre part à des dommages et intérêts (45 000 euros). La décision commentée vient clore le contentieux indemnitaire, le Conseil d'Etat condamnant la commune de Villeneuve-lès-Béziers à verser à la commune de Béziers la somme de 591 103,78 euros, outre les intérêts et la capitalisation des intérêts.

II - L'application par le Conseil d'Etat du principe selon lequel la résiliation unilatérale du contrat doit répondre à un motif d'intérêt général à un contrat passé entre deux personnes publiques

L'arrêt est intéressant car il porte sur un contrat passé entre deux personnes publiques, de sorte que les parties étaient placées sur un pied d'égalité, à la différence des hypothèses classiques faisant intervenir une personne publique et une personne privée cocontractante, l'équilibre du contrat administratif étant construit sur le principe de l'inégalité des parties.

La commune de Villeneuve-lès-Béziers soutenait que l'équilibre de la convention était bouleversé et que le contrat avait perdu sa cause, dès lors que les équipements primaires étaient amortis et que la commune de Béziers n'assurait plus, à la date de la résiliation, aucune prestation sur la zone et, d'autre part, qu'aucun accord entre les parties n'avait pu être trouvé pour réexaminer le contenu de la convention.

Un contrat est dépourvu de cause lorsqu'il ne peut permettre "d'atteindre le résultat que les parties ou l'une d'entre elles avait en vue en le souscrivant. Il s'agit là d'une lacune congénitale, si l'on peut parler ainsi de l'absence d'un élément constitutif du contrat" (3). La cause d'une obligation est la contrepartie de celle-ci, c'est-à-dire l'exécution de l'obligation par l'autre partie. C'est aussi, dans une approche plus subjective, le mobile qui a déterminé les contractants.

L'absence de cause (4) ou une cause illicite (5) peut conduire à la nullité (6) du contrat (7). De telles hypothèses sont extrêmement rares en matière de contrat administratif.

Le Conseil d'Etat écarte ce moyen après avoir relevé que le versement auquel s'était engagée la commune de Villeneuve-lès-Béziers avait pour contrepartie la renonciation de la commune de Béziers à percevoir une taxe sur des entreprises, renonciation demeurée inchangée à la date de la résiliation.

La question du bouleversement de l'équilibre de la convention renvoie à la théorie de l'imprévision.

Comme la jurisprudence civile (8), le Conseil d'Etat retient que le contrat est la loi des parties (9).

La jurisprudence relative à la théorie de l'imprévision rappelle ce principe fondamental, avant de prendre en considération le fait que la poursuite de l'intérêt général par un contrat administratif impose des pouvoirs et des sujétions exorbitants du droit commun.

A ce titre, le bouleversement de l'équilibre du contrat, qui constitue le fondement de la théorie de l'imprévision (10) et de la force majeure (11), est susceptible dans les hypothèses "classiques" faisant intervenir une personne publique et un cocontractant privé de conduire au versement d'une indemnité d'imprévision (12). Le Conseil d'Etat juge ainsi qu'une "indemnité au titre de l'imprévision suppose un déficit d'exploitation qui soit la conséquence directe d'un événement imprévisible, indépendant de l'action du cocontractant de l'administration, ayant entraîné un bouleversement de l'économie du contrat" (13). Cette indemnité est la contrepartie du fait que le cocontractant ne peut pas cesser d'exécuter le contrat lorsque des événements extérieurs et imprévisibles ont bouleversé son équilibre économique, afin d'assurer la continuité du service public (14).

Un tel bouleversement de l'équilibre du contrat peut également conduire à la résiliation de la convention pour motif d'intérêt général (15), la fin anticipée du contrat par résiliation ne faisant pas, à elle seule, obstacle à l'octroi d'une indemnité pour imprévision (16). En toute hypothèse, la responsabilité contractuelle sans faute de la collectivité publique cocontractante au titre de l'imprévision, qui procède d'une cause juridique distincte de la responsabilité contractuelle pour faute et n'est pas d'ordre public, peut alors être engagée (17).

Ces principes sont applicables aux contrats conclus entre deux personnes publiques, le Conseil d'Etat ayant déjà jugé que "la circonstance qu'un contrat soit conclu entre deux personnes publiques ne fait pas obstacle au pouvoir de chacune de ces personnes publiques de résilier unilatéralement le contrat pour un motif d'intérêt général" (18).

Le Conseil d'Etat rappelle, dans l'affaire commentée, que si un véritable bouleversement de l'équilibre du contrat peut constituer un motif d'intérêt général justifiant la résiliation du contrat, il n'en va pas de même de l'apparition d'un simple déséquilibre dans les relations entre les parties. Il s'assure également, dans le cadre particulier d'un contrat conclu entre deux personnes publiques, de la meilleure conciliation des différents intérêts publics en présence.

Il considère ainsi que la circonstance que les équipements primaires de la zone aient été amortis ne permet pas de caractériser un bouleversement de l'équilibre de la convention, dès lors que cette situation était nécessairement connue à la date de la conclusion de la convention, pour une durée indéterminée. Il en va de même de la cessation des prestations de la commune de Béziers sur la zone, la convention ne comportant aucune précision sur ce point. Dans la mesure où, et c'est le point essentiel dans cette affaire, la commune de Béziers a continué à renoncer à percevoir des recettes de taxe professionnelle, aucun bouleversement de l'économie du contrat n'a pu être caractérisé.

Dès lors que la résiliation unilatérale du contrat n'est pas motivée par un but d'intérêt général suffisant, au regard de l'ensemble des intérêts publics concernés, la responsabilité contractuelle de la commune de Villeneuve-lès-Béziers est engagée pour faute. En effet, ce n'est pas parce que l'administration dispose du pouvoir unilatéral de résilier un contrat administratif qu'elle peut l'utiliser de manière illégale.

L'arrêt du Conseil d'Etat s'inscrit ainsi dans une série d'arrêts récents ayant pour objet de concilier principe de légalité et sécurité juridique, cette dernière reposant notamment sur la volonté des parties (19), mais aussi sur la prise en compte de la continuité du service public (20).

Le Conseil d'Etat tend, entre ces deux bornes, à favoriser un nouvel équilibre dans les relations contractuelles, que le contrat soit conclu entre une personne publique et privée ou entre deux personnes publiques.

A titre d'illustration, il est de principe que les exigences de l'intérêt général et plus précisément de la continuité du service public interdisent au cocontractant de prononcer lui-même la résiliation du contrat en cas d'inexécution de ses obligations par la personne publique (21). Mais le Conseil d'Etat a récemment admis la possibilité pour les parties de prévoir, dans un contrat qui n'a pas pour objet l'exécution même du service public, les conditions auxquelles le cocontractant de la personne publique peut résilier le contrat en cas de méconnaissance par cette dernière de ses obligations contractuelles, sous certaines conditions tenant notamment à ce que la personne publique soit mise en mesure de s'opposer à la rupture des relations contractuelles pour un motif d'intérêt général, tiré notamment des exigences du service public (22).

S'agissant des contrats conclus entre deux personnes publiques, le Conseil d'Etat a admis la possibilité pour le juge de moduler les clauses indemnitaires, en particulier si l'indemnisation de résiliation revêt un caractère manifestement disproportionné, les deux personnes publiques étant également protégées par ce principe, contrairement aux personnes privées qui peuvent notamment se voir verser une indemnisation inférieure au montant du préjudice subi (23).

III - Les autres apports de l'arrêt

Le Conseil d'Etat rappelle tout d'abord qu'aucun principe régissant le fonctionnement du service public n'impose que le contrat soit nécessairement conclu à durée déterminée. En effet, d'une façon générale, seuls les contrats qui sont soumis à une procédure préalable de publicité et de mise en concurrence ne peuvent être conclus pour une durée indéterminée ou faire l'objet d'une clause de tacite reconduction (24). Les autres contrats ne sont pas soumis à cette exigence (25). Tout particulièrement, une convention conclue entre deux personnes publiques pour organiser leurs services publics, et n'entrant pas dans le champ de la commande publique, peut ne pas comporter de terme déterminé (26).

La Haute juridiction précise également quels sont les vices qui sont insusceptibles de conduire le juge à écarter le contrat, dans la mesure où ils ne sauraient caractériser un vice d'une particulière gravité relatif aux conditions dans lesquelles la personne publique a donné son consentement. Il s'agit de la retranscription incomplète de la délibération autorisant la commune à signer le contrat, de l'absence de signature de la délibération par l'ensemble des conseillers municipaux présents sans mention de la cause de leur empêchement, de la signature d'un conseiller municipal absent, de l'absence de signature du maire sur le tampon relatif à l'affichage de la délibération.

Dans le même sens, le Conseil d'Etat confirme que l'absence de transmission au préfet de la délibération autorisant le maire à signer un contrat constitue un vice affectant les conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, mais qui ne saurait être regardé comme d'une gravité telle que le juge doive écarter le contrat, au regard de l'exigence de loyauté des relations contractuelles.

Le Conseil d'Etat réaffirme également le principe de primauté de la responsabilité contractuelle sur les autres régimes de responsabilité (quasi-contractuel et quasi-délictuel en l'espèce), dès lors que le juge du contrat doit exercer son office d'abord et avant tout dans le cadre du contrat (27). Pour reprendre les termes du commissaire du Gouvernement Corneille, "dès l'instant où le plaignant est non un tiers mais une partie à un contrat passé avec l'auteur du dommage, la faute contractuelle absorbe la faute délictuelle" (28).

Enfin, le Conseil d'Etat précise que la capitalisation des intérêts (29) ne peut être demandée avant qu'une année d'intérêt soit due, ce qui implique que toute demande prématurée n'est pas prise en compte. Il convient dès lors d'être vigilant quant à la date à laquelle les intérêts sont dus pour au moins une année, afin de formuler la demande de capitalisation des intérêts à compter de cette date.


(1) CE, Sect., 28 décembre 2009, n° 304802, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A0493EQC).
(2) CE, Sect., 21 mars 2011, n° 304806, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A5712HIE).
(3) Conclusions de M. Theis sur l'arrêt CE, 29 janvier 1947, Michaux, Rec. p. 35.
(4) CE 2° et 7° s-s-r., 26 septembre 2007, n° 259809, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A5993DYM) ; CE, 12 novembre 1948, Compagnie des messageries maritimes, Rec. p. 428).
(5) CE, 25 novembre 1921, Savonneries Henri Olive, RDP, 1922 p. 107.
(6) Depuis l'arrêt "Béziers I", à l'annulation.
(7) CE 2° et 7° s-s-r., 15 février 2008, n° 279045, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A9129D4U).
(8) Cass. civ., 6 mars 1876, Canal de Craponne.
(9) Voir CE, 12 décembre 1902, Dame Orcibal et Sieur Leclère, Rec. p. 750, rappelant, tel que prévu par l'article 1134 du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC), que "les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites ".
(10) CE, 30 mars 1916, Compagnie générale d'éclairage de Bordeaux, Rec. p. 125.
(11) CE, 9 décembre 1932, Compagnie des tramways de Cherbourg.
(12) CE 2° et 7° s-s-r., 5 juin 2013, n° 352917, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A3368KGT).
(13) CE, 20 mai 1994, n° 066377, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A0732ASW).
(14) CE, Sect., 5 novembre 1982, n° 19413 (N° Lexbase : A9613AKA), Rec. p. 381.
(15) CE 5° et 7° s-s-r., 14 juin 2000, n° 184722, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A9265AGA) ; CE 2° et 7° s-s-r., 24 novembre 2008, n° 290540, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A4460EBS).
(16) CE 2° et 7° s-s-r., 10 février 2010, n° 301116, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A7543ERS).
(17) CE 4° et 5° s-s-r., 11 juillet 2014, n° 359980, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A7892MUT).
(18) CE 2° et 7° s-s-r., 4 juin 2014, n° 368895, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A3067MQN) ; CE 2° et 7° s-s-r., 21 décembre 2007, n° 293260, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A1521D3Q).
(19) Voir, sur la volonté de maintenir les contrats dès lors qu'ils ne sont pas entachés d'une illégalité d'une particulière gravité : les arrêts "Béziers I et II" précités, ainsi que CE, Sect., 4 avril 2014, n° 358994, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A6449MIP) ; CE 2° et 7° s-s-r., 21 février 2011, n° 337349, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A7022GZ4).
(20) Voir CE, Ass., 21 décembre 2012, n° 342788, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A1341IZP).
(21) CE 1° et 4° s-s-r., 7 janvier 1976, n° 92888, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A4754B79), p. 11.
(22) CE 2° et 7° s-s-r., 8 octobre 2014, n° 370644, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A0011MY3).
(23) CE 2° et 7° s-s-r., 4 mai 2011, n° 334280, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A0953HQD) ; CE 2° et 7° s-s-r., 22 juin 2012, n° 348676, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A5185IPQ) ; CAA Nantes, 11 avril 2014, n° 12NT00053 (N° Lexbase : A9535NC7).
(24) Il s'agit des contrats dont la loi prévoit qu'ils sont conclus pour une durée déterminée : voir, pour les principes : CE, Ass., 8 avril 2009, n° 271737, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A9541EE4) ; pour une délégation de service public : CE 9° et 10° s-s-r., 23 mai 2011, n° 314715, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A5812HS3), vice toutefois insusceptible de conduire à écarter le contrat dans le cadre d'un recours "Béziers I".
(25) Voir, pour un contrat portant occupation du domaine public : CE 3° et 8° s-s-r., 5 février 2009, n° 305021, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A9334ECP).
(26) CE 2° et 7° s-s-r., 24 novembre 2008, n° 290540, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A4460EBS).
(27) CE 3° et 5° s-s-r., 1er décembre 1976, n° 98946, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A1417B7M).
(28) Conclusions sur CE, 22 décembre 1922, Lassus, Rec. p. 984.
(29) Voir CE, Sect., 13 décembre 2002, n° 203429, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A6742C9L).

newsid:446339

Droit des étrangers

[Brèves] Conditions de suspension du délai de remise d'un demandeur d'asile à l'Etat responsable de sa demande

Réf. : CE, référé, 4 mars 2015, n° 388180, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A9190NCD)

Lecture: 1 min

N6364BUA

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Le 17 Mars 2015

La présentation, sur le fondement du III de l'article L. 512-1 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (N° Lexbase : L7203IQT), d'un recours dirigé contre un arrêté ordonnant la remise d'un demandeur d'asile aux autorités de l'Etat responsable de l'examen de sa demande doit être regardée comme interrompant le délai de six mois prévu à l'article 29 du Règlement "Dublin III" du 26 juin 2013 (Règlement (UE) n° 604/2013 N° Lexbase : L3872IZG). Ainsi statue le Conseil d'Etat dans une ordonnance rendue le 4 mars 2015 (CE, référé, 4 mars 2015, n° 388180, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A9190NCD). L'arrêté du 28 octobre 2014 par lequel le préfet de la Haute-Garonne a ordonné la remise de M. X, demandeur d'asile, aux autorités espagnoles, ainsi que son placement en rétention administrative est intervenu moins de six mois à compter de la décision du 4 juin 2014 par laquelle l'Espagne a donné son accord pour sa réadmission, dans le délai d'exécution du transfert fixé par l'article 29 du Règlement "Dublin III". Ce délai a été interrompu par l'introduction, par l'intéressé, d'un recours contre cet arrêté, présenté sur le fondement du III de l'article L. 512-1 précité. Ce délai n'a pas recommencé à courir, dès lors que l'arrêté du 28 octobre 2014 a été annulé par un jugement du 30 octobre 2014 et que l'appel, introduit à son encontre par le préfet de la Haute-Garonne, est pendant devant la cour administrative d'appel de Bordeaux. Il s'ensuit qu'en délivrant, à titre conservatoire, à M. X, qui se prévalait à tort de l'expiration de ce délai de six mois au soutien de sa demande d'examen, par la France, de sa demande d'asile, des convocations dites "Dublin III", le préfet de la Haute-Garonne n'a commis aucune illégalité manifeste .

newsid:446364

Droit des personnes

[Brèves] Inconventionnalité de la législation subordonnant l'autorisation de changement de sexe d'un transsexuel à une stérilisation préalable obligatoire

Réf. : CEDH, 10 mars 2015, req. n° 14793/08 (N° Lexbase : A9533NC3)

Lecture: 1 min

N6358BUZ

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Le 17 Mars 2015

La législation subordonnant le processus de changement de sexe d'une personne souffrant du syndrome de transsexualisme à une opération de stérilisation préalable et obligatoire, méconnaît l'intégrité physique de l'intéressé et viole l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales relative au droit au respect de la vie privée (N° Lexbase : L4798AQR). Tel est le principe posé par l'arrêt de la Cour européenne des droits de l'Homme du 10 mars 2015 (CEDH, 10 mars 2015, req. n° 14793/08 N° Lexbase : A9533NC3). En l'espèce, M. Y., ressortissant turc, inscrit à la date d'introduction de la requête sur le registre d'état civil comme étant de sexe féminin, a pris conscience de son appartenance au sexe masculin, en contradiction avec son sexe anatomique. Le requérant a donc saisit les juridictions nationales turques en vue de se faire autoriser la pratique d'une opération de changement de sexe. Alors qu'un premier rapport psychiatrique estimait que d'un point de vue psychologique, M. Y. devait mener une vie avec une identité masculine, un autre a relevé le syndrome du transsexualisme. Dans la mesure où ces deux rapports ne répondaient pas à la question de savoir si le changement de sexe s'imposait pour la préservation de la santé mentale du demandeur et si celui-ci n'était pas dans l'incapacité de procréer, l'autorisation de changement de sexe fût refusée. Invoquant une atteinte au droit au respect de sa vie privée, le requérant se prévaut de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme, en raison de l'exigence biologique de stérilité reproductive posée par le droit civil turque et imposant une opération de stérilisation volontaire. La CEDH, rappelant le principe énoncé, réitère sa position sur la faculté offerte aux transsexuels de jouir pleinement de leur droit au développement personnel et à leur intégrité physique et morale. Dès lors, le respect dû à l'intégrité physique s'oppose à ce que l'intéressé se soumette à un traitement l'obligeant à une stérilisation définitive, a fortiori lorsque l'incapacité de procréer doit être établie avant le processus physique de changement de sexe .

newsid:446358

Fiscalité des entreprises

[Brèves] Conformité à la Constitution de la contribution exceptionnelle sur l'impôt sur les sociétés

Réf. : Cons. const., 6 mars 2015, n° 2014-456 QPC (N° Lexbase : A7735NCH)

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N6330BUY

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Le 17 Mars 2015

Le Conseil constitutionnel, dans un arrêt rendu le 6 mars 2015, a jugé conforme à la Constitution les dispositions de l'article 235 ter ZAA du CGI (N° Lexbase : L3964I39) relatives au périmètre du chiffre d'affaires retenu comme seuil d'assujettissement à la contribution exceptionnelle sur l'impôt sur les sociétés dans le cas d'une société mère d'un groupe fiscalement intégré (Cons. const., 6 mars 2015, n° 2014-456 QPC N° Lexbase : A7735NCH). Le Conseil constitutionnel a été saisi le 23 décembre 2014 par le Conseil d'Etat (CE 3° et 8° s-s-r., 23 décembre 2014, n° 385320, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A4853M8A), d'une question prioritaire de constitutionnalité posée pour une société. L'article 235 ter ZAA du CGI prévoit que, dans ce cas, le chiffre d'affaires à prendre en compte pour apprécier si le seuil d'assujettissement à la contribution exceptionnelle sur l'impôt sur les sociétés est atteint s'entend de la somme des chiffres d'affaires de chacune des sociétés membres de ce groupe. La société requérante soutenait que cette disposition méconnaissait le principe d'égalité. Néanmoins, le Conseil constitutionnel n'a pas suivi cette requête. En effet, avec l'article 235 ter ZAA du CGI, le législateur a fixé des conditions d'assujettissement spécifiques pour les sociétés membres de groupes fiscalement intégrés. D'une part, la contribution est due par la société mère et, d'autre part, le chiffre d'affaires de la société mère s'entend de la somme des chiffres d'affaires de chacune des sociétés membres de ce groupe. Le Sages ont relevé que le législateur a ainsi entendu tenir compte de ce que la société mère est seule redevable de l'impôt sur les sociétés dû par l'ensemble des sociétés du groupe. Ils ont alors jugé que le seuil d'assujettissement retenu par le législateur est fondé sur un critère objectif et rationnel en rapport avec l'objectif poursuivi. Par ailleurs, ces règles d'assujettissement, quelle que soit la nature de l'activité de certaines des sociétés du groupe, ne font pas peser sur la société mère une charge excessive au regard de ses facultés contributives et n'entraînent pas de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques .

newsid:446330

Fiscalité du patrimoine

[Jurisprudence] Sort des créances à terme en matière de droits de mutation à titre gratuit et d'ISF

Réf. : Cons. const., 15 janvier 2015, décision n° 2014-436 QPC (N° Lexbase : A1942M9S)

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N6029BUT

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par Frédéric Douet, Professeur à l'Université de Bourgogne

Le 17 Mars 2015

En vertu de l'article 760 (al. 2) du CGI (N° Lexbase : L5758I7E), l'impôt est liquidé d'après la déclaration estimative des parties en présence d'une créance à terme dont le débiteur se trouve en état de faillite, de procédure de sauvegarde, de redressement, de liquidation judiciaires ou de déconfiture. Dans ce cas de figure, l'alinéa 3 du même article prévoit que le créancier est tenu de déclarer toute somme supplémentaire recouvrée postérieurement à l'évaluation en sus de celle-ci. L'imposition supplémentaire qui en résulte n'est ainsi pas soumise à la condition que la créance ait été sous-évaluée à la date du fait générateur de l'impôt. Le contribuable n'est ainsi pas en mesure d'apporter la preuve de ce que la capacité du débiteur de payer une somme excédant la valeur à laquelle la créance avait été évaluée résulte de circonstances postérieures au fait générateur de l'impôt. Ce dispositif institue en conséquence des modalités de fixation de l'assiette de l'impôt qui sont sans rapport avec l'appréciation des facultés contributives des contribuables assujettis à l'impôt et, pour cette raison, méconnaît le principe d'égalité devant les charges publiques. 1 - Pour le calcul des droits de mutation à titre gratuit, les biens transmis sont en principe évalués à leur valeur vénale au jour du fait générateur de l'impôt (CGI, art. 666 N° Lexbase : L7724HLN). Par exception, le législateur a prévu des bases légales d'évaluation à l'égard de certains biens (v. plus particulièrement sur cette question : F. Douet, Précis de droit fiscal de la famille, LexisNexis, 14ème éd., 2015, n° 2128 et s.). Les créances à termes font l'objet de l'une de ces bases légales d'évaluation (CGI, art. 760).

2 - L'assiette de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) est déterminée suivant les règles applicables en matière de droits de succession (CGI, art. 885 S N° Lexbase : L9263HZ4). En principe, les biens composant l'assiette de cet impôt doivent donc être évalués à leur valeur vénale au jour du fait générateur de celui-ci, c'est-à-dire au 1er janvier de l'année d'imposition (CGI, art. 885 E N° Lexbase : L8780HLR). Par exception, des bases légales d'évaluation existent à l'égard de certains biens. Certaines sont communes aux droits de mutation à titre gratuit et à l'ISF et d'autres spécifiques à celui-ci (v. plus particulièrement sur cette question : F. Douet, Précis de droit fiscal de la famille, LexisNexis, préc., n° 1910 et s.). Les règles prévues à l'égard des créances à terme font partie de la première catégorie.

3 - Avant que le Conseil constitutionnel ne déclare son troisième alinéa contraire à la Constitution, l'article 760 du CGI disposait :

"Pour les créances à terme, le droit est perçu sur le capital exprimé dans l'acte et qui en fait l'objet. Toutefois, les droits de mutation à titre gratuit sont liquidés d'après la déclaration estimative des parties en ce qui concerne les créances dont le débiteur se trouve en état de faillite, de procédure de sauvegarde, de redressement ou liquidation judiciaires ou de déconfiture au moment de l'acte de donation ou de l'ouverture de la succession.

Toute somme recouvrée sur le débiteur de la créance postérieurement à l'évaluation et en sus de celle-ci, doit faire l'objet d'une déclaration. Sont applicables à ces déclarations les principes qui régissent les déclarations de mutation par décès en général, notamment au point de vue des délais, des pénalités et de la prescription, l'exigibilité de l'impôt étant seulement reportée au jour du recouvrement de tout ou partie de la créance transmise".

4 - L'article 760 du CGI édicte un principe (alinéa 1er) qui (comme tout bon principe) est tempéré par une exception (alinéa 2), exception qui elle-même était assortie d'un tempérament (alinéa 3).

5 - Indépendamment de leur date d'échéance, les créances à termes doivent en principe être évaluées à leur valeur nominale et non à leur valeur estimative, et ce, quelles que soient les incertitudes qui peuvent peser sur leur recouvrement (CGI, art. 760, al. 1er).

6 - Par exception, les créances à terme peuvent être évaluées d'après la déclaration estimative du contribuable (CGI, art. 760, alinéa 2). Pour cela, encore faut-il être en mesure d'apporter la preuve que leur débiteur se trouve (au jour du fait générateur de l'impôt) en état de faillite, de procédure de sauvegarde, de redressement, liquidation judiciaires ou de déconfiture.

7 - Par exception à l'exception, en cas d'évaluation d'une créance à terme sur la base de la déclaration estimative du contribuable, celui-ci était tenu de déclarer toute somme qu'il pouvait ensuite recouvrer en plus (CGI, art. 760, al. 3). Cette déclaration donnait lieu à un supplément d'impôt.

8 - Dans sa décision du 15 janvier 2015, le Conseil constitutionnel a déclaré les deux premiers alinéas de l'article 760 conforment à la Constitution, mais pas le troisième.

9 - En premier lieu, pour la détermination de l'assiette des droits de mutation à titre gratuit et de l'ISF, la valeur réelle d'une créance dépend à la fois de sa valeur nominale et de la probabilité de son recouvrement (cons. 7). L'article 760, alinéa 1er, du CGI conduit à opérer une distinction entre les créances exigibles et les créances à terme. Les premières peuvent être évaluées à leur valeur estimative et non à leur valeur nominale lorsque leur créancier est en mesure d'apporter la preuve qu'il est exposé à des difficultés de recouvrement. A l'inverse, les créances à termes doivent en principe être toujours prises en compte à concurrence de leur valeur nominale et non de leur valeur estimative. S'agissant de cette distinction, le raisonnement du Conseil constitutionnel s'articule en deux temps :

- la différence entre les créances à terme et les créances exigibles serait fondée sur "un critère objectif et rationnel en lien avec l'objectif de permettre l'appréciation de la valeur de ces créances" (cons. 7) ;

- le principe d'égalité devant les charges publiques n'impose pas "que l'évaluation des créances à terme productives d'intérêts soit soumise à des règles différentes de celles qui ne le sont pas" (cons. 8).

10 - En deuxième lieu, le législateur a entendu prendre en compte l'incidence, sur la valeur des créances à termes, des difficultés auxquelles leurs créanciers peuvent être exposés en présence de débiteurs en état de faillite, de procédure de sauvegarde, de redressement, de liquidation judiciaire ou de déconfiture (cons. 9). Dans ces différents cas de figure, l'assiette de l'impôt est déterminée (par exception au principe de l'imposition des créances à terme sur leur valeur nominale) d'après la déclaration estimative des parties.

Le deuxième alinéa de l'article 760 du CGI invite à distinguer suivant que le débiteur de la créance à terme est un professionnel faisant l'objet de l'une des procédures collectives de traitement des difficultés des entreprises ou un particulier qui a du mal à honorer ses obligations. Sur ce point, le Conseil constitutionnel retient que le principe d'égalité n'impose pas que la loi fiscale soumette aux mêmes règles les créances à terme détenues à l'encontre de ces deux catégories de débiteurs (cons. 11).

S'agissant des particuliers, il faut souligner que l'article 760, alinéa 2, du CGI se réfère à la notion de "déconfiture". Celle-ci est "l'état du débiteur non commerçant dont le passif surpasse l'actif et qui se trouve dans l'impossibilité de satisfaire intégralement tous ses créanciers lorsque ceux-ci ont cessé de lui faire crédit" (Cass. civ. 1, 19 décembre 1973, n° 72-13.236, inédit au bulletin N° Lexbase : A2457CXB). La "déconfiture" est visée par les articles 483 (N° Lexbase : L8469HWL), 1276 (N° Lexbase : L1386ABX), 1613 (N° Lexbase : L1713AB3), 1860 (N° Lexbase : L2057ABS), 1913 (N° Lexbase : L2138ABS), 2003 (N° Lexbase : L1764IE3) et 2309 (N° Lexbase : L1208HIL) du Code civil. Depuis la loi du 31 décembre 1989 (loi n° 89-1010, relative à la prévention et au règlement des difficultés liées au surendettement des particuliers et des familles N° Lexbase : L2053A4S, JORF 2 janvier 1990, p. 18 et s.), un débiteur de bonne foi dans l'impossibilité de faire face à l'ensemble de ses dettes échues ou à échoir peut engager une procédure de surendettement (C. cons., art. L. 330-1 N° Lexbase : L6173IXW et s.). La loi du 1er août 2003 prévoit qu'un débiteur se trouvant dans une situation irrémédiablement compromise peut faire l'objet d'une mesure de rétablissement personnel avec ou sans liquidation judiciaire (loi n° 2003-710, d'orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine N° Lexbase : L3558BLD, art. 35 et s.).

11 - En troisième et dernier lieu, en cas d'évaluation d'une créance à terme sur la base de la déclaration estimative du contribuable (v. supra n° 10), le troisième alinéa de l'article 760 du CGI prévoyait que son créancier devait déclarer toute somme qu'il pouvait ensuite recouvrer en plus. Cette déclaration entraînait le paiement d'un supplément d'ISF ou de droits de mutation à titre gratuit. Le Conseil constitutionnel relève (cons. 12) :

- que l'imposition supplémentaire n'était pas subordonnée à une sous-évaluation de la créance à la date du fait générateur de l'impôt ;

- et que le contribuable n'avait pas la possibilité d'y échapper en démontrant que la capacité du débiteur de la créance à terme de s'acquitter d'une somme supérieure à celle à laquelle cette créance avait été évaluée résultait de circonstances postérieures au fait générateur de l'impôt.

Le troisième alinéa de l'article 760 du CGI instituait des modalités de détermination de l'assiette de l'impôt sans rapport avec l'appréciation des facultés contributives des contribuables. Cet alinéa méconnaissait le principe d'égalité devant les charges publiques, méconnaissance qui le rendait inconstitutionnel.

En présence d'une créance à terme correctement évaluée (c'est-à-dire en fonction de la capacité réelle de son débiteur à s'en acquitter), le fait d'exiger le paiement d'un supplément d'impôt en cas d'amélioration de cette capacité revenait à prendre en considération des circonstances postérieures au fait générateur de cet impôt. Le troisième alinéa de l'article 760 du CGI dérogeait donc à la règle selon laquelle les biens doivent être évalués à leur valeur vénale au moment du fait générateur de l'impôt. En vertu de cette règle, la variation de valeur d'un bien postérieurement au fait générateur de l'impôt n'a donc pas d'incidence sur la détermination de l'assiette de cet impôt. Il n'est alors pas possible d'obtenir une restitution de droits de succession lorsque la valeur vénale d'un bien assujetti à ces droits diminue postérieurement au décès du défunt (dans le même sens : Rép. min. n° 45265 à M. Leboeuf, JOAN Q, 1er juillet 2014, p. 5499 N° Lexbase : L9443I7U). Inversement, l'augmentation de la valeur vénale d'un bien, postérieurement à ce décès, ne donne pas lieu à un supplément de droits de succession.

De plus, le mécanisme de l'article 760, alinéa 3, du CGI ne jouait qu'au profit de l'administration fiscale en cas d'amélioration de la situation du débiteur de la créance à terme postérieurement au fait générateur de l'impôt. Par contre, la détérioration de cette situation ne permettait pas au contribuable d'obtenir une restitution d'ISF ou de droits de mutation à titre gratuit.

12 - La déclaration d'inconstitutionnalité du troisième alinéa de l'article 760 du CGI a pris effet à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel, soit à compter du 17 janvier 2015. Cette déclaration est applicable à toutes les affaires non jugées définitivement à cette date (cons. 15).

13 - Depuis cette déclaration d'inconstitutionnalité, si l'administration fiscale entend contester la déclaration estimative des parties effectuée en présence de débiteurs en état de faillite, de procédure de sauvegarde, de redressement, de liquidation judiciaire ou de déconfiture (CGI, art. 760, al. 2, v. supra n° 10), elle peut seulement soutenir que cette évaluation était, à la date du fait générateur de l'impôt, inférieure à la valeur probable de recouvrement de la créance à terme à cette date.

14 - L'évaluation des comptes courants détenus dans les sociétés en difficulté diffère suivant que le compte est ou non bloqué :

- un compte courant non bloqué doit être évalué à la valeur pour laquelle il peut être recouvré en fonction de la situation financière de la société (Cass. com., 23 février 1999, n° 96-19.587 N° Lexbase : A8851AGW) ;

- un compte courant bloqué s'analyse en une créance à terme au sens de l'article 760 du CGI (en ce sens : BOI-PAT-ISF-30-50-10-20140121, § 210 N° Lexbase : X5996ALN). Lorsque la société qui détient ce compte se trouve en état de redressement ou de liquidation judiciaire à la date du fait générateur de l'impôt, l'alinéa 2 de cet article permet de le valoriser à concurrence de sa valeur probable de recouvrement. Depuis la décision du Conseil constitutionnel du 15 janvier 2015, n'a plus lieu d'être le passage du BoFip - Impôts qui indique que "si les sommes recouvrées sont ensuite supérieures à celles déclarées, les déclarations doivent être régularisées en conséquence" (BOI-PAT-ISF-30-50-10-20140121, § 210, préc.).

newsid:446029

Procédure administrative

[Brèves] Conformité la Constitution de la possibilité de verser une partie de l'astreinte prononcée par le juge administratif au budget de l'Etat

Réf. : Cons. const., décision n° 2014-455 QPC du 6 mars 2015 (N° Lexbase : A7734NCG)

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N6369BUG

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Le 17 Mars 2015

La possibilité de verser une partie de l'astreinte prononcée par le juge administratif au budget de l'Etat est conforme à la Constitution, énonce le Conseil constitutionnel saisi d'une QPC relative à l'article L. 911-8 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L8525DGT), dans une décision rendue le 19 décembre 2014 (Cons. const., décision n° 2014-455 QPC du 6 mars 2015 N° Lexbase : A7734NCG). L'article L. 911-8 précité prévoit que la juridiction peut décider qu'une part de l'astreinte prononcée à l'encontre d'une personne morale de droit public ou d'un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public afin d'assurer l'exécution de ses décisions ne sera pas versée au requérant et que cette part est affectée au budget de l'Etat. Les Sages ont considéré que l'article L. 911-8 ne méconnaît pas le droit à un recours juridictionnel effectif protégé par l'article 16 de la Déclaration de 1789 (N° Lexbase : L1363A9D). En effet, lorsque la juridiction décide de prononcer, à titre provisoire ou définitif, une astreinte à l'égard de l'Etat, les articles L. 911-3 (N° Lexbase : L3331ALX) et suivants du Code de justice administrative lui permettent de fixer librement le taux de celle-ci afin qu'il soit de nature à assurer l'exécution de la décision juridictionnelle inexécutée. En outre, la faculté ouverte à la juridiction, par les dispositions contestées, de réduire le montant de l'astreinte effectivement mise à la charge de l'Etat, s'exerce postérieurement à la liquidation de l'astreinte et relève du seul pouvoir d'appréciation du juge aux mêmes fins d'assurer l'exécution de la décision juridictionnelle. Le respect des exigences découlant de l'article 16 de la Déclaration de 1789 est garanti par le pouvoir d'appréciation ainsi reconnu au juge depuis le prononcé de l'astreinte jusqu'à son versement postérieur à la liquidation (cf. l’Ouvrage "Procédure administrative" N° Lexbase : E4794EXT).

newsid:446369

Procédures fiscales

[Brèves] Invocabilité de la non-conformité de la règle de droit à une règle de droit supérieure

Réf. : CE 3° et 8° s-s-r., 6 mars 2015, n° 373038, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A9170NCM)

Lecture: 2 min

N6332BU3

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Le 17 Mars 2015

Des impositions peuvent faire l'objet d'une action en restitution sur le fondement des articles 119 bis (N° Lexbase : L4671I77) et 158 bis (N° Lexbase : L2613HLD) du CGI si elles ont été acquittées postérieurement au 1er janvier de la troisième année précédant celle où cette décision juridictionnelle est intervenue, sans qu'y fasse obstacle la circonstance que le fait générateur de ces impositions soit antérieur à cette date. Tel est le principe retenu par le Conseil d'Etat dans un arrêt rendu le 6 mars 2015 (CE 3° et 8° s-s-r., 6 mars 2015, n° 373038, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A9170NCM). Au cas présent, une société établie en Italie a perçu des dividendes de sa filiale établie en France. En 2003, en vertu du 2 de l'article 119 bis du CGI, une retenue à la source au taux de 25 % a été opérée sur ces dividendes. Le 4 septembre 2003, la société a, sur le fondement de l'article 10, paragraphe 2, point b et paragraphe 3, point b de la Convention signée le 5 octobre 1989 entre la France et l'Italie (N° Lexbase : L6706BHT), demandé que le taux de la retenue à la source soit limité à 15 % et que la moitié de l'avoir fiscal afférent à ces dividendes lui soit reversée. La cour administrative d'appel a refusé ces demandes (CAA Paris, 27 juin 2013, n° 12PA00725, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A1728MPP). Néanmoins, le Conseil d'Etat a fait droit à la demande de la société requérante s'agissant de la restitution de la retenue à la source. En effet, l'article L. 190 du LPF (N° Lexbase : L9530IYM) ouvre un nouveau délai de réclamation contre des impositions devenues définitives dans le cas particulier où une décision juridictionnelle a révélé la non-conformité à une règle de droit supérieure de la règle de droit fondant ces impositions. Ainsi, la réclamation de la société du 18 décembre 2008, qui tendait à la restitution de la retenue à la source opérée en 2003 au motif qu'un arrêt de la CJCE de 2006 avait révélé la non-conformité de la retenue à la source au droit communautaire (CJCE, 14 décembre 2006, aff. C-170/05 N° Lexbase : A8816DSC), n'était pas tardive dès lors que le fait générateur de la retenue à la source était la distribution de dividendes effectuée en 2002 .

newsid:446332

Propriété intellectuelle

[Jurisprudence] Une personne morale ne saurait être qualifiée d'auteur

Réf. : Cass. civ. 1, 15 janvier 2015, n° 13-23.566, F-P+B (N° Lexbase : A4599M99)

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N6312BUC

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par Fabienne Fajgenbaum et Thibault Lachacinski, Avocats à la cour

Le 17 Mars 2015

Une personne morale ne peut avoir la qualité d'auteur. Tel est l'enseignement de l'arrêt rendu le 15 janvier 2015 par la première chambre civile de la Cour de cassation, au visa de l'article L.113-1 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L3337ADX). Appelée à recevoir les honneurs d'une publication au Bulletin, cette décision apparaît des plus orthodoxes. L'incompatibilité des notions d'auteur et de personne morale (1) avait déjà été soulignée dans une précédente décision rendue le 19 février 1991 par cette même première chambre civile (2). La doctrine se prononce également très majoritairement en ce sens (3). L'arrêt du 15 janvier 2015 n'en représente pas moins une excellente occasion de rappeler certains principes fondamentaux du droit d'auteur. I - Sur la distinction entre qualité d'auteur et titulaire des droits d'auteur

Le législateur français n'a pas pris la peine de proposer une définition de la notion d'auteur. Cela étant, l'article L.111-1 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L2838HPS) dispose que "l'auteur d'une oeuvre de l'esprit jouit sur cette oeuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous". Il s'en infère que la qualité d'auteur est dévolue à celui qui crée, les notions d'auteur et d'acte de création étant intimement liées (conception personnaliste) (4). En toute logique, seule une personne physique peut donc se voir attribuer la qualité d'auteur, faute pour une personne morale d'être en mesure d'un quelconque acte de création ("la personne morale, dépourvue d'incarnation physique, ne peut pas créer une oeuvre" (5)). L'analyse de la jurisprudence française, qui circonscrit l'éligibilité à la protection du droit d'auteur aux seules oeuvres de l'esprit portant "l'empreinte de la personnalité" de leur auteur (6), tend au même résultat.

Il convient, toutefois, de ne pas confondre les notions d'auteur et de titulaire des droits d'auteur. Cette distinction est fondamentale. Certes, lors de l'acte de création, les qualités d'auteur et de titulaire des droits sur l'oeuvre pèsent, en principe, simultanément sur la tête du créateur. Il n'en reste pas moins que, par la suite, les droits patrimoniaux d'auteur pourront être librement cédés à des tiers, sans que cette transmission ne prive de quelque façon que ce soit le créateur de sa qualité d'auteur.

La situation est naturellement différente pour la personne morale. Faute d'être l'auteur des oeuvres de l'esprit, elle ne saurait être investie à titre originaire des droits d'auteur afférents ; cela étant, la personne morale reste bien évidemment libre de se faire céder ces droits patrimoniaux par la suite, afin d'en organiser l'exploitation.

Ce principe fermement établi connaît, néanmoins, une exception notable s'agissant de l'oeuvre collective (7), laquelle est définie par l'article L.113-2 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L3338ADY) comme l'oeuvre "créée sur l'initiative d'une personne physique ou morale qui l'édite, la publie et la divulgue sous sa direction et son nom et dans laquelle la contribution personnelle des divers auteurs participant à son élaboration se fond dans l'ensemble en vue duquel elle est conçue, sans qu'il soit possible d'attribuer à chacun d'eux un droit distinct sur l'ensemble réalisé". L'on sait que la jurisprudence se montre relativement réticente à l'égard de cette figure juridique en décalage idéologique avec les grands principes qui irriguent par ailleurs le droit d'auteur (8). De façon tout à fait exceptionnelle, l'article L.113-5 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L3341AD4) permet en effet à une personne morale d'être investie dès l'origine de l'ensemble des droits d'auteur sur l'oeuvre, pour autant que celle-ci ait été divulguée sous son nom.

Mentionnons également la présomption prétorienne de titularité des droits (9) : "l'exploitation non équivoque d'une oeuvre par une personne physique ou morale, sous son nom et en l'absence de revendication du ou des auteurs, fait présumer à l'égard du tiers recherché pour contrefaçon, que cette personne est titulaire sur l'oeuvre, qu'elle soit ou non collective, du droit de propriété incorporelle de l'auteur" (10). A défaut d'actes d'exploitation paisibles et non équivoques, la personne morale devra justifier des conditions dans lesquelles elle a été investie de droits patrimoniaux de l'auteur (11).

II - Un arrêt conforme aux principes du droit d'auteur

L'affaire ayant donné lieu à l'arrêt du 15 janvier 2015 concernait deux logiciels consacrés au tracé de l'analyse céphalométrique et à l'aide au diagnostic médical. De façon classique, le litige portait sur la nature juridique de ces logiciels et la titularité des droits d'auteur afférents, que se disputaient la société Tridim (pour le compte de laquelle les logiciels avaient été développés) et les sociétés Orthalis et Orqual (ayant notamment participé à leur développement).

La lecture des motifs de l'arrêt (cassé) du 28 mai 2013 (12) laisse à penser que la cour d'appel de Rennes avait voulu retenir l'existence d'oeuvres collectives. En effet, si les dispositions de l'article L.113-5 n'y sont jamais visées, elle précise que "la conception du logiciel était prévue pour être collective" et s'attache manifestement à établir que l'ensemble des travaux effectués l'avait été au profit de la société Tridim (13), conformément au critère d'intégration verticale propre à l'oeuvre collective. Curieusement, la cour d'appel s'est, en revanche, dispensée de démontrer que les logiciels avaient été divulgués sous son nom.

Quoi qu'il en soit, après avoir reproduit les dispositions de l'article L. 113-1 du Code de la propriété intellectuelle ("la qualité d'auteur appartient, sauf preuve contraire, à celui ou à ceux sous le nom de qui l'oeuvre est divulguée"), l'arrêt du 28 mai 2013 a jugé que la société Tridim était le seul auteur des logiciels en cause. Cette analyse a été très justement censurée par la Cour de cassation, rappelant qu'une personne morale ne peut pas bénéficier de la qualité d'auteur. Les mesures interdisant (sous astreinte) les sociétés Orthalis et Orqual de "se présenter comme propriétaires ou auteurs de ces deux logiciels" apparaissent tout aussi maladroites.

Soulignons d'emblée que la société Tridim n'a, semble-t-il, jamais prétendu bénéficier de la qualité d'auteur des logiciels mais, de façon plus orthodoxe, s'est bornée à revendiquer "la propriété et le droit d'auteur de ces logiciels" (14). Les mesures d'interdiction sollicitées par l'appelante semblaient quant à elles porter sur la seule revendication de la "propriété" des logiciels.

Quoi qu'il en soit, la cour d'appel de Rennes semble surtout avoir été victime d'une erreur de fondement textuel. Il est en effet constant que les dispositions de l'article L. 113-1 visé dans son arrêt (présomption de qualité d'auteur au bénéfice des auteurs personnes physiques) n'étaient pas en cause dans la présente espèce. A l'inverse, celles de l'article L. 113-5 organisant le régime juridique de l'oeuvre collective ne sont citées nulle part. Pour mémoire, le second alinéa de ce texte dispose que la personne physique ou morale sous le nom de laquelle l'oeuvre est divulguée "est investie des droits de l'auteur". La cour d'appel a donc tenté de se mettre dans les pas d'un fondement textuel qui n'était pas le bon. Si elle avait jugé que la société Tridim était investie des droits de l'auteur sur les logiciels en cause, plutôt que de retenir sa qualité de "seul auteur", son arrêt n'aurait vraisemblablement pas encouru la censure (sur ce point) de la Cour de cassation.

L'arrêt du 15 janvier 2015 vient donc rappeler que si, de façon exceptionnelle, une personne morale peut être investie dès l'origine de l'ensemble des droits sur une oeuvre, elle n'en acquiert pas pour autant la qualité d'auteur. Les notions d'auteur et de titulaire des droits d'auteur recoupent deux réalités juridiques distinctes, qui ne sauraient être confondues. Dès lors, si la société Tridim pouvait être reconnue comme titulaire des droits sur les logiciels, elle n'en était en toute hypothèse pas l'auteur. Bien plus, si la société Orqual n'était pas autorisée à se présenter comme auteur, ce n'était pas parce que cette qualité était dévolue à la société Tridim mais bien parce que, personne morale, elle est intrinsèquement inapte à être qualifiée comme telle ab initio.

Ainsi qu'il l'a été vu, la distinction entre qualité d'auteur et titularité des droits d'auteur est admise sans réserve par la jurisprudence. En pratique néanmoins, l'on constate un certain flou dans le choix du visa des décisions. S'agissant notamment de la présomption prétorienne de titularité précitée, de nombreuses juridictions continuent à renvoyer aux dispositions de l'article L. 113-1 (15), alors que celles-ci ont exclusivement trait à la présomption de qualité d'auteur des personnes physiques et ne sont donc nullement transposables à la question de la titularité des droits (16). Cela a été magistralement souligné par la cour d'appel de Paris aux termes d'un arrêt du 12 octobre 2012, ayant rappelé que "cet article instaure, certes, une présomption légale mais au profit du seul auteur, personne physique, dont le nom est porté à la connaissance du public lors de la divulgation de l'oeuvre ; il s'agit d'une présomption simple dont une personne morale ne peut revendiquer le bénéfice puisqu'elle n'a pas la qualité d'auteur" (17). La troisième chambre, troisième section, du tribunal de grande instance de Paris souligne quant à elle régulièrement qu'il "est constant que la présomption attachée à la première divulgation énoncée par l'article L. 113-1 du Code de la propriété intellectuelle ne concerne que la seule qualité d'auteur et nullement celle de titulaire des droits patrimoniaux" (18). Il n'est plus qu'à souhaiter que la sagesse de ces juridictions fasse désormais florès.

***

Derrière l'apparente limpidité de l'arrêt de cassation du 15 janvier 2015, se cachait en fait une affaire plus complexe qu'il n'y paraissait, ouvrant la voie à de nombreuses questions (d'ailleurs reprises dans les moyens du pourvoi) concernant la notion même d'oeuvre collective et la dévolution des droits d'auteur afférents. La Haute Cour prononce finalement (à juste titre) la cassation sur le premier moyen qui lui était proposé, à raison de la confusion entre les notions d'auteur et de titulaire des droits d'auteur. Il appartiendra donc à la cour d'appel de Paris, saisie sur renvoi, de répondre aux intéressantes problématiques posées par le régime juridique des oeuvres collectives. A suivre...


(1) Rappelé dans une réponse ministérielle du 26 septembre 2013 (QE n° 07861 de M. Jean Louis Masson, JO Sénat 8 août 2013 p. 2310, réponse publ. 26 septembre 2013 p. 2818, 14ème législature N° Lexbase : L0831I8B), qui précise toutefois de façon malheureuse que l'auteur est "en principe" une personne physique.
(2) Au visa l'article 8 de la loi n° 57-298 du 11 mars 1957, par la suite codifié à l'article L. 113-1 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L3337ADX) : Cass. civ. 1, 19 février 1991, n° 89-14.402, publié (N° Lexbase : A4484AHK). A noter toutefois que dans un arrêt du 3 avril 2002 (Cass. civ. 1, 3 avril 2002, n° 00-13.139, FS-P N° Lexbase : A4276AYZ), la première chambre civile avait approuvé une cour d'appel d'avoir jugé que "la qualité et les droits d'auteur" sur une oeuvre collective appartenaient à la société Larousse.
(3) P.-Y. Gautier, Propriété littéraire et artistique, PUF, 9ème éd., 2015, n° 209 ; Ch. Caron, Droit d'auteur et droits voisins, Litec, 2ème éd., 2009, n° 196 ; F. Pollaud-Dulian, Le droit d'auteur, Economica, 2005, n° 248. En sens inverse : F. Fouilland, CCE, n° 12, décembre 2008, Etude 24 ; très nuancé, M. Vivant et J-M. Bruguière, Droit d'auteur et droits voisins, Précis Dalloz, 2ème éd., 2012, n° 281 et 286.
(4) Ce lien est si fort qu'il ne saurait être brisé, conformément aux dispositions de l'article L. 121-1 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L3346ADB "Le droit de l'auteur au respect de son nom et de sa qualité est inaliénable" : Cass. civ. 1, 4 avril 1991, n° 89-15.637 N° Lexbase : A4553AH4 ; cf. également Cass. civ. 1, 6 mai 2003, n° 01-02.237, FS-P N° Lexbase : A8234BSR).
(5) TGI Paris, 3ème ch., 5 décembre 2014, n° 13/01744 (N° Lexbase : A3361M7M) ; TGI Paris, 3ème ch., 24 octobre 2014, n° 12/12389 (N° Lexbase : A1920M3I).
(6) A titre d'exemples, Cass. civ. 1, 10 décembre 2014, n° 10-19.923, F-D (N° Lexbase : A6114M7L) ; Cass. civ. 1, 20 mars 2014, n° 12-18.518, FS-P+B (N° Lexbase : A7370MHG) ; Cass. civ. 1, 22 janvier 2014, n° 11-24.273, F-D (N° Lexbase : A9782MCB).
(7) Par exemple, Cass. com., 5 novembre 1985, n° 83-15.017 (N° Lexbase : A4336AAT) ; Cass. civ. 1, 19 février 1991, préc..
(8) Il s'agit en effet de récompenser le promoteur, sans les investissements duquel l'oeuvre n'aurait pas pu être créée.
(9) Instituée par l'arrêt fondateur "Aéro" : Cass. civ. 1, 24 mars 1993, n° 91-16.543 (N° Lexbase : A3694ACS).
(10) Cass. civ. 1, 10 juillet 2014, n° 13-16.465, F-D (N° Lexbase : A3997MUL) ; cf. également, TGI Paris, 3ème ch., 5 décembre 2014, préc. et TGI Paris, 3ème ch., 24 octobre 2014, préc. ; CA Paris, Pôle 5, 1ère ch., 23 septembre 2014, n° 12/22790 (N° Lexbase : A4185MXB) ; CA Paris, Pôle 5, 1ère ch., 4 décembre 2013, n° 12/12464 (N° Lexbase : A7097KQW).
(11) Pour des exemples : CA Paris, Pôle 5, 2ème ch., 7 novembre 2014, n° 13/22350 (N° Lexbase : A8609MZU) et CA Paris, Pôle 5, 2ème ch., 9 mai 2014, n° 13/16155 (N° Lexbase : A8901MKU).
(12) CA Rennes, 28 mai 2013, n° 11/05770 (N° Lexbase : A2366KED) infirmant le jugement rendu le 12 juillet 2011 par le tribunal de grande instance de Rennes).
(13) "Il apparaît ainsi que le développement du logiciel Tridim est le fruit du travail de ses associés, aidé d'une prestation à titre onéreux de la société Orthalis" ; de plus, dans son exposé du litige, la Cour rappelle que les demandes de la société Tridim visent notamment à voir dire et juger que les logiciels en cause "peuvent incontestablement recevoir la qualification d'oeuvre collective".
(14) Cf. exposé du litige de l'arrêt de la cour d'appel de Rennes du 28 mai 2013, pages 4 et 5.
(15) Il est vrai que le visa de l'article L. 113-5 (N° Lexbase : L3341AD4), certes moins artificiel car ayant trait à la présomption de titularité, n'en reste pas moins quelque peu artificiel : cf. CA Nancy, 28 octobre 2014, n° 13/02018 (N° Lexbase : A5128MZX) ; Cass civ. 1, 10 juillet 2014, n° 13-16.465, F-D (N° Lexbase : A3997MUL); TGI Paris, 3ème ch., 10 juillet 2014, n° 12/10839 (N° Lexbase : A7675MW8) ; Cass. civ. 1, 28 novembre 2012, n° 11-20.531, F-D (N° Lexbase : A8620IXK) ; CA Toulouse, 20 novembre 2012, n° 11/01876 (N° Lexbase : A2161IXC). En définitive, l'article L. 111-1 (N° Lexbase : L2838HPS) fait figure de fondement textuel le moins inadapté, du fait de ses termes particulièrement généraux (en ce sens, Cass. civ. 1, 10 avril 2013, n° 12-12.886, F-P+B+I N° Lexbase : A0817KCA).
(16) A titre d'exemples : TGI Paris, 3ème ch., 4ème sect. 30 octobre 2014,n° 13/11452 (N° Lexbase : A1941M3B) ; TGI Paris, 3ème ch., 4ème sect., 11 septembre 2014, n° 13/07769 (N° Lexbase : A7733MWC) ; CA Versailles, 28 février 2013, n° 11/04495 (N° Lexbase : A9042IT3) ; CA Douai, 30 novembre 2012, n° 11/05422 (N° Lexbase : A8235IXB) ; TGI Paris, 3ème ch., 1ère sect., 22 novembre 2011, n° 09/15210 (N° Lexbase : A3798H4G).
(17) CA Paris, Pôle 5, 2ème ch., 12 octobre 2012, n° 11/19924 (N° Lexbase : A3026IUM), Propriété Intellectuelle n° 46, page 75, comm. A. Lucas ; également CA Paris, Pôle 5, 2ème ch., 25 juin 2011, n° 10/08404 (N° Lexbase : A4848HU4).
(18) A titre d'exemples : TGI Paris, 3ème ch., 4 octobre 2014, n° 11/09489 (N° Lexbase : A3040ML8) ; TGI Paris, 3ème ch., 29 août 2014, n° 12/16151 (N° Lexbase : A7718MWR) ; TGI Paris, 3ème ch., 20 décembre 2013, n° 13/06239 (N° Lexbase : A7239KTB) ; TGI Paris, 3ème ch., 29 novembre 2013, n° 11/06307 (N° Lexbase : A2964KR9) ; cette formule est manifestement reprise d'un précédent arrêt rendu par la cour d'appel de Paris le 2 octobre 2009 (CA Paris, Pôle 5, 2ème ch., 2 octobre 2009, n° 08/12456 N° Lexbase : A4291EQY).

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Protection sociale

[Jurisprudence] Modulation de la jurisprudence constitutionnelle dans le temps, contrat en cours et clauses de désignation

Réf. : Cass. soc., 11 février 2015, n° 14-13.538, FS-P+B (N° Lexbase : A4480NBK)

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par Julien Bourdoiseau, Maître de conférences HDR à la Faculté de droit de Tours, Conseil scientifique cabinet Excetio avocats

Le 17 Mars 2015

L'arrêt rendu le 11 février 2015 par la Chambre sociale de la Cour de cassation apporte une nouvelle pierre au droit de la protection sociale complémentaire et au droit des clauses de désignation en particulier. La lecture du dispositif donne à penser que "rien n'est (décidément) plus proche du vrai que le faux" (A. Einstein). En l'espèce, la société X contracte auprès d'un organisme d'assurance complémentaire une couverture garantissant à ses salariés le remboursement des frais de soins de santé. Partant, elle refuse de s'affilier au régime géré par AG2R prévoyance. Cette dernière soutient que l'adhésion au régime est obligatoire. Pour cause, au terme d'une convention collective nationale, AG2R prévoyance est désignée pour gérer le régime de remboursement complémentaire obligatoire des frais de santé des salariés entrant dans le champ d'application. Et la convention d'imposer à toutes les entreprises concernées de souscrire les garanties à compter du 1er janvier 2007. Partant, AG2R prévoyance entend obtenir en justice la régularisation de l'adhésion et le paiement d'un rappel de cotisations. Saisie, la cour d'appel de Chambéry rejette les demandes de l'assureur et réforme le jugement. AG2R se pourvoit en cassation. La décision de la cour régulatrice est rendue sur fond de tension dialectique à l'origine de laquelle le Conseil constitutionnel a partie liée. Il importe de dire quelques mots de l'une de ses décisions avant d'aller plus loin dans l'analyse.
Résumé

Considérant que les clauses de désignation des organismes d'assurance complémentaire portent une atteinte trop grande aux libertés d'entreprendre et de contracter des employeurs, le Conseil constitutionnel neutralise l'article L. 912-1 du Code de la Sécurité sociale.

Soucieux de pas trahir les attentes légitimes des parties, le Conseil module dans le temps les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité.

La Cour de cassation s'applique, en l'espère, à préciser le sens de la décision rendue rue Montpensier. Ce faisant, elle laisse perdurer nombre de clauses litigieuses. Son interprétation ne s'imposait pas à l'évidence.

A l'occasion du contrôle de constitutionnalité de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, relative à la sécurisation de l'emploi (N° Lexbase : L0394IXU), le Conseil décide que l'article L. 912-1 du Code de la Sécurité sociale (dans sa rédaction alors applicable N° Lexbase : L5837ADK) n'est pas conforme aux droits et libertés que la Constitution garantit (décision n° 2013-672 DC du 13 juin 2013 N° Lexbase : A4712KGM). Le considérant n° 11 est explicite. La disposition critiquée méconnaît la liberté contractuelle et la liberté d'entreprendre, au sens de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789 (N° Lexbase : L1368A9K). Aucune entreprise appartenant à une même branche professionnelle ne saurait donc se voir imposer le choix de l'organisme de prévoyance chargé d'assurer une protection complémentaire, ni un contrat au contenu totalement prédéfini. Le Conseil aurait pu en rester là. Rétrospectivement, la sécurité juridique s'en serait trouvée moins malmenée. Il est décidé que la déclaration d'inconstitutionnalité "n'est toutefois pas applicable aux contrats pris sur ce fondement, en cours lors de cette publication [i.e. 16 juin 2013], et liant les entreprises à celles qui sont régies par le code des assurances, aux institutions relevant tu titre III du Code de la Sécurité sociale et au mutuelles relevant du Code de la mutualité" (cons. 14. ; V. égal. en ce sens : Cons. const., décision n° 2013-349 QPC, du 18 octobre 2013 N° Lexbase : A0316KNZ).

La cour d'appel (CA Chambéry, 7 janvier 2014, n° 12/02382 N° Lexbase : A0021KTX) constate que l'appelante n'est pas liée avec AG2R prévoyance. Faute de contrat en cours, les juges du fond considèrent qu'il n'y a pas lieu de faire survivre la loi ancienne, en l'occurrence l'article L. 912-1 du Code de la Sécurité sociale qui a été maintenu un temps dans l'arsenal législatif pour ne pas trahir les attentes légitimes des parties. L'entreprise n'était donc pas tenue de s'affilier au régime géré par AG2R prévoyance ni n'était débitrice des cotisations afférentes.

La Chambre sociale de la Cour de cassation ne partage pas l'analyse et casse l'arrêt pour violation de la loi. Les contrat en cours sont en vérité " les actes à caractère de conventions ou d'accords collectifs ayant procédé à la désignation d'organismes assureurs pour les besoins du fonctionnement des dispositifs de mutualisation que les partenaires sociaux ont entendu mettre en place, voire les actes contractuels signés par eux avec les organismes assureurs en vue de lier ces derniers et de préciser les stipulations du texte conventionnel de branche et ses modalités de mise en oeuvre effective".

Revenons, en premier lieu, sur ce que dit la Cour de cassation (I). Chose faite, nous nous attarderons, en second lieu, sur ce que la Cour régulatrice ne dit pas (II).

Commentaire

I - Le dit

La Cour de cassation affirme que les contrats que le Conseil constitutionnel a nécessairement eu à l'esprit en modulant, dans le temps, les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité de l'article L. 912-1 du Code de la Sécurité sociale, sont les accords de branches, ceux-là même qui accordent les garanties collectives de prévoyance et contiennent la clause de désignation. En l'espèce, la convention collective nationale étant en cours, il importait alors à l'entreprise de s'affilier au régime dont la gestion avait été confiée par les partenaires sociaux à AG2R prévoyance. Aussi, la déclaration d'inconstitutionnalité est-elle dénuée de tout effet, et ce, tant que l'accord est censé durer. C'est dire que les clauses de désignation ont encore de beaux jours devant elles. Il ne suffit que d'imaginer que la convention ou l'accord collectif soit tacitement reconduit...Pour le dire autrement, c'est la survivance du droit tel qu'il était avant la décision du Conseil constitutionnel qui est consacrée. C'est le sens du visa de l'article L. 912-1 du Code de la Sécurité sociale et de l'avenant n° 83 à la Convention collective nationale de la boulangerie et boulangerie-pâtisserie du 19 mars 1976 (N° Lexbase : X0661AE9).

Qu'on partage ou non l'interprétation que la Cour de cassation a donnée du considérant 14, il reste qu'elle est conforme à celle que son homologue a retenue en septembre 2013. De ce strict point de vue, il faut se féliciter que les opérateurs n'aient pas à subir les affres du dualisme juridictionnel. Au terme de toute une série d'arguments, la Haute juridiction administrative considère, pour sa part, que "l'interprétation qui ne prêterait pour objet au considérant 14 que de réserver l'application des seuls actes contractuels conclu entre les entreprises et le ou le(s) organismes assureur(s) ne donnerait donc qu'une faible portée utile à cette énonciation de la décision du Conseil constitutionnel relative à son application dans le temps" (CE, Avis 26 septembre 2013, n° 387895 N° Lexbase : A0301NDI, n° 18).

Il sera fait remarquer qu'il est plutôt audacieux de retenir une interprétation qui laisse perdurer une atteinte frontale aux droits et libertés que la Constitution garantit, atteinte qui décidait précisément le Conseil constitutionnel à neutraliser l'article L. 912-1 du Code de la Sécurité sociale (v. égal. en ce sens : V. Roulet, note sous CA Paris, Pôle 6, 2ème ch., 16 octobre 2014, n° 12/17007 N° Lexbase : A5158MYP, Les cahiers sociaux, n° 269, décembre 2014). Pour mémoire, l'ANI du 11 janvier 2013 disposait que "les partenaires sociaux de la branche laisseront aux entreprises la liberté de retenir le ou les assureurs de leur choix" (art. 1er in Généralisation de la couverture complémentaire des frais de santé). Ceci pour dire que les cours régulatrices auraient valablement pu limiter le jeu résiduel des clauses de désignation. Concrètement, cela aurait consisté à laisser libres de contracter avec l'assureur collectif de leur choix les entreprises non encore liées avec l'assureur désigné (contra J. Barthélémy, Institut de protection sociale européenne, Validité des clauses de désignation - l'apport décisif de la Cour de cassation, 16 février 2015). Politiquement, cela aurait néanmoins consisté à laisser du champ à la liberté du souscripteur du contrat collectif au détriment de la solidarité garantie par les partenaires sociaux. Ceci pour dire encore que l'arrêt aurait gagné en intelligibilité à être moins lapidaire. Le visa de l'article 62 de la Constitution du 4 octobre 1958 (N° Lexbase : L1328A93), aux termes duquel "les décisions du Conseil constitutionnel [...] s'imposent à toutes les autorités juridictionnelles", fussent-elles interprétées par les cours régulatrices (pourrait-on ajouter), pourrait ne pas suffire à convaincre la cour d'appel de renvoi... C'est que l'arrêt ne dit pas tout.

II - Le non dit

La Cour de cassation prend soin d'indiquer que les contrats en cours sont ceux "ayant procédé à la désignation d'organismes assureurs pour les besoins du fonctionnement des dispositifs de mutualisation que les partenaires sociaux ont entendu mettre en place". La solidarité, partant l'intérêt général, sourdent. Cette dernière considération n'a pourtant pas suffi au Conseil constitutionnel pour justifier les atteintes portées par les clauses de désignation aux libertés d'entreprendre et de contracter. Le commentaire autorisé du secrétariat général du Conseil l'atteste (pp. 15 et 16). La Cour de cassation décide, pourtant, de faire sienne la jurisprudence contra constitutionem de la Cour de justice de l'Union européenne. C'est un choix. Il lui appartenait, alors, de s'assurer que les conditions posées à la validité d'un pareil dispositif étaient réunies en l'espèce. Il s'agissait en l'occurrence de vérifier si AG2R prévoyance était ou non chargée de la gestion d'un service d'intérêt économique général, au sens de l'article 106 § 2 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (N° Lexbase : L2403IPP) (CJUE, 3 mars 2011, aff. C-437/09, point 73 N° Lexbase : A8049G3I). Or, en l'espèce, rien n'est dit sur le degré de solidarité élevé ou non du régime de remboursement complémentaire de frais de soins de santé géré par l'organisme (CJUE, op. cit., points 47 à 52).

Pour terminer, la Cour de cassation considère que "les contrats en cours sont aussi [...] (possiblement) les actes contractuels signés par les partenaires sociaux avec les organismes assureurs en vue de lier ces derniers et de préciser les stipulations du texte conventionnel de branche et ses modalités de mise en oeuvre effective". Le considérant est pour le moins elliptique.

Il semble que la Cour ait à l'esprit les actes juridiques qui constituent autant de conventions cadre aux conditions desquelles les bénéficiaires peuvent conclure : sortes de stipulations de contrat pour autrui qui ne disent pas leur nom. A la question de savoir qui sont les bénéficiaires, la Cour de cassation est taisante. L'intérêt d'assurance s'appréciant dans le chef du bénéficiaire de la prestation d'assurance (y compris en matière d'assurance de personnes) (1), on imagine que se sont les salariés pour le compte desquels "les actes contractuels" ont été signés par les partenaires sociaux. Ce sont pourtant les employeurs qui souscrivent les contrats d'assurance collective...

Puisse alors la cour de renvoi parvenir à démêler le vrai du faux.


(1) V. en ce sens les développements de M. Leduc in H. Groutel, F. Leduc, Ph. Pierre, M. Asselain, Traité du contrat d'assurance terrestre, préf. G. Durry, Litec, 2008, n° 113 et s. (l'identification du contrat d'assurance), spéc. n° 135.

Décision

Cass. soc., 11 février 2015, n° 14-13.538, FS-P+B (N° Lexbase : A4480NBK).

Cassation (CA Chambéry, 7 janvier 2014, n° 12/02382 N° Lexbase : A0021KTX).

Textes concernés : CSS, L. 912-1 ( alors applicable N° Lexbase : L5837ADK).

Mots-clés : protection sociale complémentaire ; clause de désignation ; contrats en cours ; convention ou accord collectifs ; modulation dans le temps des décisions du Conseil constitutionnel ; neutralisation.

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