La lettre juridique n°599 du 29 janvier 2015

La lettre juridique - Édition n°599

Éditorial

Le secret des affaires et le mythe fictionnel de la nullité rétroactive

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N5702BUQ

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 17 Mars 2015


On sait que l'actualité jurisprudentielle oblige souvent le politique même le plus weberien à (sur)réagir, le conduisant parfois à l'adoption de "lois émotionnelles", quand le reste de l'activité législative ne relève pas de la simple transposition communautaire. Mais, il arrive également que cette même actualité accompagne la réflexion de nos législateurs, lorsqu'ils examinent un projet ou une proposition de loi, afin de les alerter sur les imperfections, éventuelles, de la norme en discussion. Tel est le cas de cet arrêt du 16 décembre 2014, dans lequel la cour d'appel de Paris, rappelant que le demandeur aux mesures d'instruction in futurum de l'article 145 du Code de procédure civile doit justifier d'indices suffisants pour rendre crédibles les soupçons allégués de concurrence déloyale, rétracte une ordonnance qui avait ordonné la saisie et la copie des informations de nature commerciale, comptable et financière chez une société concurrente, en vue de faire la preuve d'un détournement de clientèle. La cour prononce donc la rétractation de l'ordonnance du premier juge qui a ordonné la mesure litigieuse et, en conséquence, la nullité subséquente des opérations de saisie effectuées en exécution de celle-ci ; elle ordonne, également, la restitution, dans le délai de huit jours, des pièces saisies, outre l'interdiction d'en conserver copie (sic).

On ne discutera pas le caractère fictionnel de la nullité procédurale, qui, éliminant de l'ordre juridique les actes incompatibles avec une bonne administration de la justice, veut que, comme en matière contractuelle, sa rétroactivité conduise les parties, ici le demandeur et le défendeur, dans la situation dans laquelle ils étaient avant la mesure d'instruction ; ce qui, naturellement, en matière de saisie, entraîne la restitution des documents en cause et l'absence d'effet, dans l'appréciation judiciaire s'entend, du contenu de ces documents bel et imparfaitement saisis. Le "mythe" de la nullité en droit atteint son paroxysme avec l'interdiction de conserver copie des documents ainsi illégalement saisis : à l'ère numérique, tout cela relève du voeu pieux. Fraus omnia corrumpit : la belle affaire ! Lorsque le mal est fait et qu'on ne peut pas, en matière d'information, revenir dessus. La "machine à explorer le temps" est, en matière juridique, plus que grippée. Mais, faut-il le rappeler, celle de H. G. Wells allait vers le futur, sans risque d'effet papillon !

L'affaire pourrait s'avérer parfaitement théorique si elle n'avait pas trait au droit de la concurrence, celui-là même percuté de plein fouet par un amendement au projet de loi pour la croissance et l'activité visant à introduire, formellement, la notion de "secret des affaires" dans le droit français. Au-delà de la question des "lanceurs d'alertes" et des journalistes, c'est le droit de la preuve au service des droits de la défense qui s'en trouve nécessairement affecté.

Jusqu'à présent, bon gré mal gré, lorsque l'on soupçonnait une pratique concurrentielle déloyale, l'on pouvait requérir une ordonnance de saisie de divers documents comptables, commerciaux, financiers, etc., de son concurrent pour avoir la preuve d'un tel forfait. L'action était fondée sur l'article 145 du Code de procédure civile aux termes duquel, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé. On comprend assez vite que le référé probatoire puisse constituer un moyen de s'approprier abusivement, par la voie judiciaire, des informations économiques confidentielles d'un concurrent. La seule entrave à une telle dérive demeurait, alors, le contrôle du motif légitime de la mesure d'instruction envisagée.

Mais, comme le faisaient remarquer pertinemment les rapporteurs de la proposition de loi visant à sanctionner la violation du secret des affaires, n° 3985, déposée le 22 novembre 2011, qui inspira la proposition de loi n° 2139 et l'amendement récemment adopté dans le cadre des discussions sur le projet de loi "Macron", actuellement devant le Parlement, "selon la jurisprudence de la Cour de cassation, le secret des affaires ne constitue pas en lui-même un obstacle à l'application des dispositions de l'article 145 du Code de procédure civile, dès lors que les mesures ordonnées procèdent d'un motif légitime et sont nécessaires à la protection des droits de la partie qui les a sollicitées. Il résulte de cette jurisprudence que le moyen tiré d'un risque de violation du secret des affaires ne constitue pas un obstacle autonome à la mise en oeuvre d'une mesure d'instruction in futurum. Ce n'est qu'une donnée que le juge doit intégrer dans son appréciation de la légitimité du motif invoqué". Et, c'est à juste titre, que "le rapport du groupe de travail interministériel sur le secret des affaires présidé par M. Claude Mathon, avocat général à la Cour de cassation, considérant cette protection du secret des affaires insuffisante dans le cadre de la procédure civile, recommand[e] de mettre en place un mécanisme protecteur, s'inspirant de celui applicable aux procédures relevant de l'Autorité de la concurrence" ; tout en reconnaissant "qu'une telle réforme des règles applicables en matière de procédure civile et, sans doute, pénale et de contentieux administratif, soulève des enjeux délicats au regard des principes du contradictoire et de l'égalité des armes". Etablir un economic espionage act à la française n'est donc pas chose aisée.

C'est la synthèse du moins voulue à travers l'introduction des futurs articles L. 151-1 et suivants du Code de commerce (les deux bords de l'hémicycle y étant favorable). Outre une définition du secret des affaires, tant attendue ("Est protégée au titre du secret des affaires, indépendamment de son incorporation à un support, toute information : 1° qui ne présente pas un caractère public en ce qu'elle n'est pas, en elle-même ou dans l'assemblage de ses éléments, généralement connue ou aisément accessible à une personne agissant dans un secteur ou un domaine d'activité traitant habituellement de ce genre d'information ; 2° qui, notamment en ce qu'elle est dénuée de caractère public, s'analyse comme un élément à part entière du potentiel scientifique et technique, des positions stratégiques, des intérêts commerciaux et financiers ou de la capacité concurrentielle de son détenteur et revêt en conséquence une valeur économique ; 3° qui fait l'objet de mesures de protection raisonnables, compte tenu de sa valeur économique et des circonstances, pour en conserver le caractère non public"), l'amendement prévoit, notamment, dans un futur article L. 151-3, que le tribunal ne peut ordonner les mesures demandées que si les éléments de preuve, raisonnablement accessibles au demandeur, rendent vraisemblable l'atteinte à un secret des affaires ou le risque d'une telle atteinte. Il peut interdire la réalisation ou la poursuite des actes dont il est prétendu qu'ils portent atteinte ou risquent de porter atteinte à un secret des affaires, la subordonner à la constitution de garanties destinées à assurer l'indemnisation éventuelle du demandeur ou ordonner la saisie ou la remise entre les mains d'un tiers de tout produit ou support soupçonné de permettre l'atteinte au secret des affaires ou d'en résulter. Autrement dit, le secret des affaires n'empêchera pas le recours à une mesure d'instruction urgente pour prévenir, singulièrement, une pratique concurrentielle déloyale, mais encadrera plus spécifiquement cette mesure lorsqu'elle susceptible de porter atteinte au secret des affaires, pour garantir le défendeur de tout dévoiement judiciaire à visée d'espionnage ; garantie que ni la rétractation de l'ordonnance de référé probatoire, ni la restitution des documents saisis accompagnée d'une interdiction de copie ne sont à même d'apporter. Et, il en ira ainsi, d'autant qu'à la seule action en responsabilité délictuelle que peut intenter le défendeur à l'encontre du demandeur indélicat, s'adjoindra les prescriptions de l'article L. 151 5, selon lequel, à titre de réparation, le tribunal pourra accorder à la victime de l'atteinte des dommages et intérêts ; ceux-ci compensant les conséquences économiques négatives, dont le manque à gagner et la perte, subies par la personne lésée du fait de l'atteinte, ainsi que le préjudice moral qui lui a été causé par celle-ci.

"Trébucher peut prévenir une chute" prodigue Thomas Fuller : mais "notre raison, déjà si insuffisante pour prévenir nos malheurs, l'est encore davantage pour nous en consoler" alerte Choderlos de Laclos. Du moins considérera-t-on que le secret des affaires, bien que singulièrement protégé, n'empêchera ni l'instruction de mesures probatoires, ni, plus globalement, la dénonciation de pratiques concurrentielles déloyales.

Comme le souligne le philosophe Roger Pol-Droit, "sans le secret des affaires, c'en serait fini de l'industrie, des services, de l'économie". La plupart des autres Etats industrialisés l'ont bien compris, qui se sont dotés de législations protectrices dans ce domaine, que ce soit aux Etats-Unis ou chez nos partenaires européens. Cette singularité française doit s'achever. Sans naïveté, ni paranoïa.

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Accident du travail - Maladies professionnelles (AT/MP)

[Jurisprudence] Perte de droits à la retraite et CPH : revirement

Réf. : Cass. mixte, 9 janvier 2015, n° 13-12.310, P+B+R+I (N° Lexbase : A0773M9I)

Lecture: 7 min

N5727BUN

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par Julien Bourdoiseau Maître de conférences HDR à la Faculté de droit de Tours, Conseil scientifique cabinet Exceptio avocats

Le 17 Mars 2015

Le droit de l'indemnisation des accidents du travail et des maladies professionnelles est l'objet de critiques récurrentes en raison du sacrifice qui est imposé aux salariés victimes. C'est que les dommages subis par l'accidenté du travail sont indemnisés forfaitairement tandis que, pour ne prendre que deux exemples parmi de nombre autres, ceux soufferts par l'accidenté médical ou l'accidenté de la circulation non conducteur sont intégralement compensés. Rien n'y fait. Interrogé par voie d'exception sur la conformité du dispositif aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel considère "que le plafonnement de l'indemnité destinée à compenser la perte de salaire résultant de l'incapacité n'institue pas une restriction disproportionnée aux droits des victimes d'accident du travail ou de maladie professionnelle" (Cons. const. 18 juin 2010, décision n° 2010-8 QPC, cons. 17 N° Lexbase : A9572EZK). Et la Cour de cassation de dire pour sa part que "les dispositions des articles L. 451-1 (N° Lexbase : L4467ADS), L. 452-1 (N° Lexbase : L5300ADN) et L. 452-3 (N° Lexbase : L5302ADQ) du Code de la Sécurité sociale, qui interdisent à la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle imputable à la faute inexcusable de l'employeur, d'exercer contre celui-ci une action en réparation conformément au droit commun et prévoient une réparation spécifique des préjudices causés, n'engendrent pas une discrimination prohibée par l'article 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (N° Lexbase : L4747AQU) et l'article 1er du Protocole additionnel n° 1, à la Convention, du seul fait que la victime ne peut obtenir une réparation intégrale de son préjudice" (Cass. civ. 2, 11 juillet 2013, n° 12-15.402, FS-P+B N° Lexbase : A8826KIQ). Ceci rappelé, et considérant au surplus que les décisions du Conseil constitutionnel "s'imposent (...) à toutes les autorités administratives et juridictionnelles" (Constitution du 4 octobre 1958, art. 68 N° Lexbase : L1334A9B), il aurait fallu beaucoup d'audace à la Cour de cassation pour pouvoir se prononcer différemment. Il n'est pas exclu que cette dernière considération ait pu peser dans l'exhortation qui clôt le communiqué signalant l'arrêt rendu par la chambre mixte le 9 janvier 2015 : "Une intervention législative permettant aux victimes d'accident du travail de bénéficier d'une réparation intégrale demeure néanmoins souhaitable et a été à plusieurs reprises soulignée par la Cour de cassation" (voir notamment en ce sens, La documentation française, rapport d'activité pour 1995, pp. 13, 14). Mais l'art de la conjecture est un exercice périlleux. En l'espèce, un salarié fait une chute de plusieurs mètres sur son lieu de travail. Le caractère professionnel de l'accident est reconnu par la caisse primaire d'assurance maladie. Le taux de l'incapacité permanente est fixé à 15 %. Six mois plus tard, le salarié victime est licencié pour inaptitude physique et impossibilité de reclassement. Saisie, la cour d'appel de Rennes (CA Rennes, 19 décembre 2012, n° 09/08770 N° Lexbase : A4052IZ4) retient la faute inexcusable de l'employeur, majore la rente allouée au taux maximum, mais déboute la victime de sa demande au titre de la perte de droits à la retraite.

Contrairement à l'analyse qui est faite par les juges du fond, l'auteur du pourvoi soutient en substance que ladite perte n'est pas un chef de dommage couvert par le livre IV du Code de la Sécurité sociale, qu'elle peut donc faire l'objet d'une demande d'indemnisation complémentaire.

La question posée par le pourvoi est simple, à tout le moins à formuler. Elle consiste à se demander ce que compense précisément la rente majorée à raison de la faute inexcusable de l'employeur. La réponse, qui est débattue en doctrine, est acquise en jurisprudence.

Dans la mesure où la perte des droits à la retraite est nécessairement indemnisée par application du livre IV du Code de la Sécurité sociale (I), la perte subie ne saurait donner lieu, par voie de conséquence, à une réparation distincte (II). C'est dire qu'elle est jugée suffisante.


Résumé

Si l'article L. 452-3 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L5302ADQ), tel qu'interprété par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2010-8 QPC du 18 juin 2010, dispose qu'en cas de faute inexcusable, la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle peut demander à l'employeur, devant la juridiction de Sécurité sociale, la réparation de chefs de préjudice autres que ceux énumérés par le texte précité, c'est à la condition que ces préjudices ne soient pas déjà couverts par le livre IV du Code de la Sécurité sociale, comme c'est le cas de la perte des droits à la retraite.

I - La perte des droits à la retraite nécessairement indemnisée !

Le principe de l'indemnisation est solennellement réaffirmé en l'espèce : "la perte de droits à la retraite est couverte par la rente majorée". Et la Cour de cassation de préciser que ladite rente répare "notamment [l'adverbe donne à penser] les pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle résultant de l'incapacité permanente partielle subsistant au jour de la consolidation".

Cette solution est acquise en jurisprudence depuis près de cinq ans. On la doit à un arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation rendu le 11 juin 2009 (Cass. civ. 2, 11 juin 2009, n° 07-21.768, FS+P+B+R+I N° Lexbase : A0512EIS) (1). Elle a été réaffirmée depuis (Cass. civ. 2, 28 février 2013, n° 11-21.015, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A8812I8U).

Ceci étant rappelé, le sens de l'arrêt sous étude ne s'impose pas au lecteur. C'est qu'on ne trouve pas affirmé, à tout le moins pas formellement, que la rente majorée indemnise la perte des droits à la retraite. La solution ne surprend pourtant pas. On la doit à la nomenclature des préjudices corporels -nomenclature dite "Dintilhac"- à laquelle la Chambre mixte renvoie par prétérition. La définition de l'incidence professionnelle doit retenir l'attention. Ce chef de préjudice patrimonial à caractère définitif a pour objet d'indemniser non la perte de revenus liée à l'invalidité permanente de la victime, mais les incidences périphériques du dommage touchant à la sphère professionnelle, en l'occurrence la perte de retraite. Ceci posé, la Cour de cassation aurait été bien imprudente de s'aventurer à retenir une définition originale de la rente.

L'indemnisation de tous les retentissements de l'accident du travail imputables à la faute inexcusable de l'employeur a été rendue possible par une décision du Conseil constitutionnel. Il faut bien voir que jusqu'à la décision QPC du 18 juin 2010, cette faute qualifiée autorisait certes le salarié victime à demander la majoration de sa rente (CSS, art. L. 452-2 N° Lexbase : L7113IUY) et la compensation de quelques postes de préjudice patrimoniaux et extrapatrimoniaux (CSS, art. L. 452-3 N° Lexbase : L5302ADQ). Mais c'était tout. On doit au Conseil constitutionnel d'avoir considéré qu'en "présence d'une faute inexcusable de l'employeur, les dispositions de l'article L. 452-3 du Code de la Sécurité sociale, ne sauraient toutefois, sans porter une atteinte disproportionnée au droit des victimes d'actes fautifs, faire obstacle à ce que ces mêmes personnes, devant les mêmes juridictions, puissent demander à l'employeur réparation de l'ensemble des dommages non couverts par le livre IV du Code de la Sécurité sociale" (cons. 18). A l'évidence, le Conseil écartait le caractère limitatif des chefs de dommage réparables. La Cour de cassation s'est appliquée à le redire (Cass. civ. 2, 30 juin 2011, n° 10-19.475, FS+P+B+R N° Lexbase : A6615HUK ; Cass. soc., 16 novembre 1988, n° 87-12.800 N° Lexbase : A3693ABE). Il restait encore à s'entendre sur ce que sont "des dommages non couverts" par le droit des risques professionnels et, par voie de conséquence, à déterminer l'étendue de la réparation.

Le quantum de la réparation allouée au salarié victime d'un accident de travail interdit que l'intéressé soit replacé dans la situation qui aurait été la sienne si la faute inexcusable dommageable n'avait pas été commise. Le principe est certes acquis depuis la loi du 9 avril 1898. Mais, par faveur pour le salarié victime, il aurait pu être considéré que tous les dommages non totalement couverts pouvaient être compensés. Cette interprétation aurait fondé la victime à échapper, par la bande en quelque sorte, à l'indemnisation forfaitaire. Saisie de la question, la deuxième chambre civile refuse de franchir le Rubicon (Cass. civ. 2, 4 avril 2012, n° 11-18.014, FS+P+B+I N° Lexbase : A1272IIX). Elle est à présent confortée dans son analyse par l'arrêt rendu en chambre mixte : l'indemnisation ne saurait jamais être intégrale, à tout le moins pas à l'initiative du juge. La perte des droits à la retraite subie par le salarié victime étant indemnisée à raison de l'allocation d'une rente, elle ne saurait donner lieu à une réparation distincte. En disant cela, la Cour de cassation se conforme à la jurisprudence du Conseil constitutionnel et à la volonté du législateur. Est-ce à dire que la perte des droits à la retraite serait suffisamment indemnisée ?

II - Une perte des droits à la retraite suffisamment indemnisée ?

La cause proche de la perte subie -le licenciement pour inaptitude et l'impossibilité de reclassement- est reléguée au second plan en l'espèce. Il n'en a pas toujours été ainsi.

La Chambre sociale de la Cour de cassation décide, dans un arrêt du 26 octobre 2011 (Cass. soc., 26 octobre 2011, n° 10-20.991, FS-P+B N° Lexbase : A0636HZL), que le salarié a le droit de demander à la juridiction prud'homale une indemnité réparant la perte des droits à la retraite et ce toutes les fois que le licenciement est prononcé en raison d'une inaptitude consécutive à un accident du travail jugé imputable à une faute inexcusable de l'employeur. Le renvoi devant une Chambre mixte s'imposait.

Désireuse manifestement de conjurer le mauvais sort que le droit des risques professionnel continue de réserver au salarié victime, la Chambre sociale offrait à cette dernière la possibilité de demander la compensation de chefs de préjudice singuliers jugés alors (en opportunité) irréductibles à la perte des gains professionnels ou à l'incidence professionnelle. En se prononçant de la sorte, le juge était sur sa ligne. Pour mémoire, il décidait dans le courant de l'année 2006 : "lorsqu'un salarié a été licencié en raison d'une inaptitude consécutive à une maladie professionnelle qui a été jugée imputable à une faute inexcusable de l'employeur, il a droit à une indemnité réparant la perte de son emploi due à cette faute de l'employeur". Et d'ajouter "que les juges du fond apprécient souverainement les éléments à prendre en compte pour fixer le montant de cette indemnisation à laquelle ne fait pas obstacle la réparation spécifique afférente à la maladie professionnelle ayant pour origine la faute inexcusable de l'employeur" (Cass. soc., 17 mai 2006, n° 04-47.455 N° Lexbase : A3947DPU, voir également en ce sens, Cass. soc., 26 janvier 2011, n° 09-41.342 N° Lexbase : A8489GQH, et Cass. soc., 23 septembre 2014, n° 13-17.212 N° Lexbase : A3132MXB).

L'arrêt sous étude met un terme à cette jurisprudence. Alors que le pourvoi ne l'y invitait pas, la chambre mixte de la Cour de cassation décide que la perte des droits à la retraite est couverte de manière forfaitaire par la rente majorée quant bien même serait-elle consécutive à un licenciement du salarié pour inaptitude. Autant dire que la jurisprudence indemnisant la perte d'emploi consécutive à un accident du travail ou une maladie professionnelle risque par voie de conséquence de vaciller. L'attention est de mise.

S'agissant de la cause plus lointaine de la perte subie -la faute inexcusable dommageable- il sera fait remarquer que son appréciation devrait à l'avenir relever des seuls tribunaux des affaires de Sécurité sociale. La Cour de cassation considère en ce sens qu'en cas de faute inexcusable, la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle peut demander à l'employeur, devant la juridiction de Sécurité sociale, la réparation de chefs de préjudice autres que ceux énumérés à l'article L. 452-3 du Code de la Sécurité sociale. Ce faisant, la chambre mixte paraît manifester, au passage, son intention de mettre un terme aux difficultés nées du traitement complexe des demandes d'indemnisation des salariés victimes de la survenance d'un risque professionnel portées successivement devant la juridiction de Sécurité sociale et la juridiction prud'homale.


(1) Vu les articles 29 et 31 de la loi du 5 juillet 1985 (N° Lexbase : L7887AG9) et les articles L. 434-1 (N° Lexbase : L5263ADB) et L. 434-2 (N° Lexbase : L7111IUW) du Code de la Sécurité sociale, ensemble le principe de la réparation intégrale : "Attendu qu'il résulte du dernier de ces textes que la rente versée à la victime d'un accident du travail indemnise, d'une part, les pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité et, d'autre part, le déficit fonctionnel permanent ; qu'en l'absence de perte de gains professionnels ou d'incidence professionnelle, cette rente indemnise nécessairement le poste de préjudice personnel du déficit fonctionnel permanent [...]".

Décision

Cass. mixte, 9 janvier 2015, n° 13-12.310, P+B+R+I (N° Lexbase : A0773M9I)

Textes concernés : CSS, art. L. 452-3 (N° Lexbase : L5302ADQ)

Mots clés : faute inexcusable ; indemnisation accidents du travail et maladies professionnelles ; perte des droits à la retraite.

Liens Base : (N° Lexbase : E3157ET4), (N° Lexbase : E1768EP8)

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Avocats/Institutions représentatives

[Focus] Voeux à la presse du barreau de Paris : "Il y a un temps pour tout"

Lecture: 4 min

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par Anne-Laure Blouet Patin, Directrice de la Rédaction

Le 17 Mars 2015

Le 15 janvier 2015, le barreau de Paris présentait ses voeux à la presse dans une période extrêmement difficile comme l'a, d'emblée, annoncé le Bâtonnier Pierre-Olivier Sur. Mais cette période a une vertu : celle de rassembler. L'objectif affiché du Bâtonnier pour 2015 est de rassembler Paris et la province et faire en sorte que tout ce qui a pu être dit ou lu dans la presse en fin d'année relève de la "petite histoire" ; de rassembler avocats et magistrats dans une unité totale. Bref, 2015 sera l'année de la grande unité. Pierre-Olivier Sur souhaite "oublier" les 36 perquisitions en cabinets d'avocats en 2014 où "rien d'essentiel n'a été saisi" ; "oublier" les fadettes qui n'auront servi à rien ; "oublier" les fuites dans la presse sur des affaires en cours. Depuis les attentats qui ont frappé la France la semaine du 7 janvier 2015 il est, selon lui, nécessaire de se rassembler. Et fondamental aussi de savoir se taire ; le barreau de Paris a, à cet égard, imposé le silence aux avocats et notamment à ceux qui commençaient à parler au nom des terroristes ; le barreau de Paris a veillé à expliqué aux 12 secrétaires de la Conférence comment défendre un terroriste ; et le Bâtonnier a lourdement insisté sur la reconstruction à opérer : depuis dix ans il dénonce le fait "que dans les prisons entrent souvent des clients normaux qui ressortent fondamentalistes" ; il déplore qu'il n'y ait pas assez d'imams dans les prisons pour éviter cette dérive.

Il a ensuite évoqué la réforme à venir sur les écoutes téléphoniques et insiste pour dire que, plus que jamais, l'impératif de sécurité nationale ne doit pas s'imposer au détriment des libertés individuelles. Il est possible d'être efficace sans être liberticide ; liberté et sécurité peuvent marcher ensemble dès lors qu'il y a un cadre et ce cadre c'est le juge. Le barreau de Paris ne souhaite pas un Patriot Act à la française car pour son Bâtonnier il serait "dommage que la formidable mobilisation des Français pour la liberté d'expression et la défense des valeurs de la République aient finalement pour seule conséquence d'avantage d'écoutes des journalistes, des avocats...".

Sur le contenu de la réforme à proprement parler, Pierre-Olivier Sur préconise le contrôle de mesures portant atteinte aux libertés publiques par un juge indépendant. Il souhaiterait également que la rédaction du deuxième alinéa de l'article 100-7 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L5915DYQ), qui autorise les écoutes téléphoniques sur les lignes tant professionnelles que privées d'un avocat pour peu que le Bâtonnier ait été informé de l'écoute par le juge d'instruction, soit modifié pour transformer la notification de l'opération au Bâtonnier en un débat contradictoire avec le juge des libertés et de la détention avant que ce dernier ne prenne la décision de placement sur écoutes d'un avocat.

Sur le même ton, le vice-Bâtonnier, Laurent Martinet, est revenu sur le projet de loi "Macron". Concernant les points qui fâchent les avocats, Laurent Martinet a précisé, à propos de la postulation, que, même si Paris était favorable à sa suppression, le barreau comprenait l'importance qu'elle pouvait revêtir pour maintenir un maillage territorial et de fait s'en remet au CNB et s'alignera sur la position dégagée.

En matière d'ouverture capitalistique, le vice-Bâtonnier a rappelé qu'il ne devra pas être autorisé l'accès aux capitaux des cabinets d'avocats par des tiers qui ne relèveraient pas des professions juridiques.

Sur l'avocat en entreprise, le barreau de Paris souligne qu'il n'intervient qu'en qualité de contributeur, d'interlocuteur sur ce sujet et que c'est le Gouvernement qui a "remis sur la table" ce sujet et non l'Ordre parisien. Ainsi, pour Laurent Martinet, le barreau avait le choix "entre laisser le Gouvernement travailler seul avec d'autres que les avocats pour concevoir son projet ou coopérer et agir pour défendre les intérêts de la profession" [NDLR : le même jour, soit le 15 janvier 2015, les députés ont supprimé en commission dans le projet de loi "Macron" la création d'un nouveau statut d'avocat en entreprise, malgré les réticences du ministre de l'Economie. Le rapporteur général Richard Ferrand (PS) a estimé que ce statut risquait de mettre en péril l'indépendance de l'avocat, qui est dans son "ADN"].

Enfin le vice-Bâtonnier s'est exprimé sur le périmètre de l'action de groupe. De nombreux amendements ont été déposés, sur l'initiative de l'Ordre, pour introduire l'avocat dans l'action de groupe. Et, le 14 janvier 2015, a été adopté celui qui prévoit que dans le cadre de la procédure de l'action de groupe, lorsque l'association de défense des consommateurs fait le choix d'être assistée par un avocat, les sommes reçues au titre de l'indemnisation des consommateurs lésés seront déposées sur le compte CARPA de l'avocat.

Laurent Martinet a annoncé la création pour juillet 2015 d'une nouvelle plateforme internet, destinée aux particuliers, et qui servira d'interface à des actions collectives en justice contre une société. Concrètement ce site permettra aux avocats parisiens de recueillir et de gérer de façon sécurisée un grand nombre de mandants de la part de clients victimes. Il ne s'agira pas d'action de groupe, puisque ce domaine est réservé aux associations de consommateurs agrées, mais d'actions distinctes pour chaque particulier même si elles seront toutes conçues sur un modèle identique.

Le barreau de Paris a donc affiché une volonté de voir et d'avoir une profession unie. L'arrivée d'un nouveau bureau au Conseil national des barreaux, sous la présidence du Bâtonnier Pascal Eydoux, devrait permettre de repartir sur des bases plus saines et osons le dire plus constructives dans l'intérêt global de la profession.

"Il y a un temps pour tout [...]

Un temps pour jeter des pierres, et un temps pour en ramasser [...]".

newsid:445538

Consommation

[Brèves] Sur les conditions de licéité des loteries publicitaires

Réf. : Cass. com., 20 janvier 2015, n° 13-28.521, F-P+B (N° Lexbase : A2674NAB)

Lecture: 2 min

N5732BUT

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Le 17 Mars 2015

Les opérations publicitaires réalisées par voie d'écrit qui tendent à faire naître l'espérance d'un gain, acquis par voie de tirage au sort, ne peuvent être pratiquées que si elles n'imposent aux participants aucune contrepartie financière, ni dépense sous quelque forme que ce soit. Tel n'est pas le cas de la publicité pour un jeu dont l'accès est gratuit mais offrant la possibilité de continuer moyennant une participation financière. Tel est le sens d'un arrêt rendu le 20 janvier 2015 par la Chambre commerciale de la Cour de cassation (Cass. com., 20 janvier 2015, n° 13-28.521, F-P+B N° Lexbase : A2674NAB). En l'espèce l'administration a saisi, dans des bars, des machines automatiques de jeux fonctionnant à l'aide de monnayeurs. Les agents de l'administration ont estimé que ces appareils étaient exploités dans le cadre de maisons de jeux, après avoir découvert que, courant 2005 et jusqu'au 16 avril 2006, le propriétaire des machines y avait proposé des jeux concours organisés par une association. Après classement sans suite, par le procureur de la République, des procès-verbaux d'infractions qui lui avaient été transmis et restitution des appareils, le propriétaire des machines a saisi le tribunal de grande instance afin que l'administration soit condamnée à lui verser des dommages-intérêts pour saisie mal fondée. La cour d'appel de Montpellier a accueilli cette demande (CA Montpellier, 10 octobre 2013, n° 11/04576 N° Lexbase : A5024KMZ). Elle constate que l'information concernant l'existence des championnats organisés par l'association a été faite par voie d'affiches annonçant les gains mis en jeu et que l'accès au championnat et au jeu proposé se faisait sans obligation d'achat, au moyen de trois parties gratuites. Ainsi, selon les juges d'appel, il importe peu qu'après l'épuisement de ces dernières, les participants aient eu la possibilité de continuer le championnat moyennant une participation financière dès lors que l'accès au jeu était gratuit pour tous, de sorte que l'infraction à la loi du 21 mai 1836 n'est pas, selon la cour d'appel, caractérisée. Mais, saisie d'un pourvoi par l'administration, la Chambre commerciale, énonçant le principe précité, censure l'arrêt d'appel au visa des articles L. 241, alinéa 1er, du LPF (N° Lexbase : L8313AEM), L. 121-36, alinéa 1er, du Code de la consommation (N° Lexbase : L0981I7H) et 1er de la loi du 21 mai 1836 alors en vigueur.

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Construction

[Brèves] CCMI : détermination de la qualité de constructeur et modalités d'exercice de l'action en garantie contre l'assureur

Réf. : Cass. civ. 3, 21 janvier 2015, n° 13-25.268, FS-P+B (N° Lexbase : A2647NAB)

Lecture: 2 min

N5687BU8

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Le 17 Mars 2015

S'il est établit que le marchand de biens ne dispose pas de compétence notoire en matière de construction et est déchargé de toute responsabilité, le constructeur de maisons individuelles responsable est en revanche fondé à appelé en garantie son assureur au titre des désordres constatés. Tels sont les apports de l'arrêt rendu par la troisième chambre civile de la Cour de cassation le 21 janvier 2015 (Cass. civ. 3, 21 janvier 2015, n° 13-25.268, FS-P+B N° Lexbase : A2647NAB). En l'espèce, M. P. a confié à la société S., assurée auprès de la société C., un marché de travaux portant sur le gros oeuvre et le second oeuvre d'une maison d'habitation, se réservant la réalisation des cloisons et des travaux d'isolation des murs périphériques. Le constructeur a sous-traité à la société E., assurée auprès de la société M., les prestations de maçonnerie. Les acheteurs du bien, les consorts D., se plaignant d'humidité en partie basse des cloisons, ont, après expertise, assigné en indemnisation M. P., le constructeur, et les assureurs ont été appelés en garantie. Condamné à garantir M. P., la société S. se pourvoit en cassation au motif que la qualité de constructeur de l'ouvrage attribuée à la personne qui exécute des travaux de construction d'un immeuble et le revend, pouvait concernée M. P. en raison de son implication dans la conception et l'exécution du lot. En condamnant la société S. à garantir M. P. au motif qu'il ne disposait pas de compétences notoires en matière de construction, la cour d'appel aurait violé l'article 1147 du Code civil (N° Lexbase : L1248ABT). En outre, la pose des cloisons à partir du dallage par M. P. ayant facilité la dégradation des cloisons, serait constitutive d'une faute à l'origine du dommage au sens de l'article 1792 du Code civil (N° Lexbase : L1920ABQ). Cette argumentation est rejeté par la Haute juridiction aux motifs, que la faute de M. P. dans la réalisation des cloisons, n'étant pas la cause directe des désordres, n'est pas établit. En outre, la Cour rappelle que l'exercice d'une profession de marchand de biens ne confère pas de compétence notoire en matière de construction et que M. P. n'avait pu s'assurer ni de la réalisation du drainage, ni de la conformité aux règles de l'art du vide sanitaire. En revanche, la mise hors de cause de l'assureur du constructeur au motif que la garantie de responsabilité décennale souscrite pour les opérations de construction neuve de maisons individuelle n'était pas applicable à des marchés de travaux, fait l'objet d'une cassation partielle. L'activité de constructeur de maisons individuelles incluant la réalisation de travaux selon marchés, la cour d'appel a violé les articles L. 241-1 (N° Lexbase : L7811I3P), L. 243-8 (N° Lexbase : L6703G97) et A. 243-1 (N° Lexbase : L9756IE3) du Code des assurances (cf. l’Ouvrage "Contrats spéciaux" N° Lexbase : E2950EYW).

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Contrat de travail

[Brèves] Paiement de la contrepartie financière au prorata de la durée d'exécution de l'obligation de non-concurrence : la cessation d'activité ultérieure de l'employeur n'a pas pour effet de décharger le salarié de son obligation de non-concurrence

Réf. : Cass. soc., 21 janvier 2015, n° 13-26.374, FS-P+B (N° Lexbase : A2694NAZ)

Lecture: 1 min

N5719BUD

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Le 17 Mars 2015

La clause de non-concurrence prenant effet à compter de la rupture du contrat de travail, la cessation d'activité ultérieure de l'employeur n'a pas pour effet de décharger le salarié de son obligation de non-concurrence. Telle est la solution dégagée par la Chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 21 janvier 2015 (Cass. soc., 21 janvier 2015, n° 13-26.374, FS-P+B N° Lexbase : A2694NAZ).
En l'espèce, Mme S. a été engagée le 4 mai 2010 en qualité de vendeuse par M. L., exploitant un commerce de chaussures. Son contrat de travail comportait une clause de non-concurrence d'une durée de trois ans en contrepartie de laquelle l'intéressée percevait, après la cessation effective de son contrat, et pendant toute la durée de cette interdiction, une indemnité égale à 25 % de la moyenne mensuelle du salaire perçu au cours de ses trois derniers mois de présence dans l'entreprise. La salariée a saisi la juridiction prud'homale de diverses demandes. Par jugement du 27 septembre 2011, le tribunal de commerce a prononcé la liquidation judiciaire de M. L..
La cour d'appel (CA Bourges, 7 décembre 2012, n° 12/00215 N° Lexbase : A5465IY3) déboute la salariée de sa demande en paiement de la contrepartie financière à l'obligation de non-concurrence. Après avoir relevé que le contrat de travail avait pris fin le 20 avril 2011, elle retient que l'intéressée calcule l'indemnité qui lui serait due sur trois années. La présente décision intervenant seulement un an après, et l'employeur ayant fait l'objet d'un jugement de liquidation judiciaire le 27 septembre 2011, elle en conclue que la salariée n'est plus tenue à une quelconque obligation de non-concurrence à l'égard d'une entreprise qui n'existe plus. La salariée se pourvoit alors pourvue en cassation.
En énonçant la règle susvisée, la Haute juridiction casse l'arrêt au visa de l'article 1134 du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC) (cf. l’Ouvrage "Droit du travail" N° Lexbase : E5187EXE).

newsid:445719

Expropriation

[Chronique] Chronique de droit de l'expropriation - Janvier 2015

Lecture: 11 min

N5651BUT

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par Pierre Tifine, Professeur à l'Université de Lorraine et directeur adjoint de l'Institut de recherches sur l'évolution de la Nation et de l'Etat (IRENEE), Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition publique

Le 17 Mars 2015

Lexbase Hebdo - édition publique vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique d'actualité de droit de l'expropriation rédigée par Pierre Tifine, Professeur à l'Université de Lorraine et directeur adjoint de l'Institut de recherches sur l'évolution de la Nation et de l'Etat (IRENEE). Cette chronique se penchera, tout d'abord, sur l'ordonnance n° 2014-1345 du 6 novembre 2014, relative à la partie législative du Code de l'expropriation pour cause d'utilité publique (N° Lexbase : L7867I47), qui revoit en profondeur la structure de ce code. Elle se penchera ensuite sur un arrêt rendu le 3 décembre 2014 par lequel le Conseil d'Etat analyse les rapports entre procédures de référé suspension et droit de l'expropriation (CE 1° et 6° s-s-r., 3 décembre 2014, n° 369522, mentionné aux tables du recueil Lebon). Enfin, sera présenté un arrêt de la Cour suprême du 18 novembre 2014 qui pose le principe de l'absence de droit à indemnité pour éviction d'un fonds de commerce exploité en vertu d'une autorisation de voirie (Cass. civ. 3, 18 novembre 2014, n° 14-16.280, FS-P+B).
  • Parution de l'ordonnance n° 2014-1345 du 6 novembre 2014, relative à la partie législative du Code de l'expropriation pour cause d'utilité publique : pas de révolution mais une amélioration

1. L'ordonnance n° 2014-1345 du 6 novembre 2014, relative à la partie législative du Code de l'expropriation pour cause d'utilité publique (1), procède à une recodification de la partie législative du Code de l'expropriation. Dans un souci premier de lisibilité, ce texte réorganise les règles issues du décret n° 77-392 du 28 mars 1977, portant codification des textes réglementaires et concernant l'expropriation pour cause d'utilité publique (2), qui avaient été modifiées à de très nombreuses reprises.

2. Le nouveau Code de l'expropriation est entré en vigueur le 1er janvier 2015. Toutefois, des mesures transitoires sont prévues par l'article 7 de l'ordonnance. Ainsi, les enquêtes publiques ouvertes en application des dispositions de l'ancien Code de l'expropriation, en cours au jour de l'entrée en vigueur de l'ordonnance, restent régies par les dispositions de l'ancien Code de l'expropriation jusqu'à leur clôture. La même règle s'applique aux déclarations d'utilité publique rendues en application des anciennes dispositions et en cours de validité, et cela, jusqu'à leur échéance. Enfin, les contentieux administratifs et judiciaires engagés sur le fondement de l'ancien code, en cours au jour de l'entrée en vigueur de l'ordonnance, demeurent régis par les anciennes règles, jusqu'à dessaisissement de la juridiction saisie.

3. La structure du Code de l'expropriation a été revue du fond en comble. Elle est désormais découpée en six livres, qui suivent de façon plus linéaire que dans le cadre des dispositions anciennement en vigueur les différentes phases de la procédure d'expropriation. Le premier livre s'intitule "l'utilité publique" mais il couvre, en réalité, toute la phase administrative de la procédure d'expropriation : l'enquête publique, la déclaration d'utilité publique et l'arrêté de cessibilité. Les livres II et III sont consacrés à la phase judiciaire. Ils traitent respectivement du "transfert judiciaire et de la prise de possession" (livre II) et de "l'indemnisation" (livre III). Le livre IV concerne "les suites de l'expropriation". Il inclut désormais les dispositions du titre II de la loi n° 70-612 du 10 juillet 1970, tendant à faciliter la suppression de l'habitat insalubre (N° Lexbase : L2048A4M) (3), dite loi "Vivien". Le livre V est consacré aux "procédures spéciales" et le livre VI aux "dispositions relatives à l'outre-mer".

Il faut relever que certains chapitres ne comportent pas de dispositions législatives. C'est le cas, notamment, s'agissant du commissaire du Gouvernement. L'existence de ces chapitres se justifie néanmoins par le fait que la partie réglementaire suit le même plan que la partie législative.

Il est à noter que cet ensemble est précédé par un article L. 1 (N° Lexbase : L7928I4E) qui donne une définition du cadre général de la procédure d'expropriation, inspirée en grande partie de la rédaction de l'article 17 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen du 26 août 1789 (N° Lexbase : L1364A9E) : "l'expropriation, en tout ou partie, d'immeubles ou de droits réels immobiliers ne peut être prononcée qu'à la condition qu'elle réponde à une utilité publique préalablement et formellement constatée à la suite d'une enquête et qu'il ait été procédé, contradictoirement, à la détermination des parcelles à exproprier ainsi qu'à la recherche des propriétaires, des titulaires de droits réels et des autres personnes intéressées. Elle donne lieu à une juste et préalable indemnité".

Dans le même souci de clarification, les articles L. 110-1 (N° Lexbase : L7929I4G) et L. 110-2 (N° Lexbase : L7930I4H) distinguent expressément les trois catégories d'enquêtes publiques préalables à la déclaration d'utilité publique, ce qui n'était pas le cas dans le précédent code :

- les enquêtes préalables à une déclaration d'utilité publique qui relèvent du Code de l'expropriation ;
- les enquêtes préalables à une déclaration d'utilité publique qui relèvent du Code de l'environnement parce qu'elles portent sur une opération susceptible d'affecter l'environnement au sens de l'article L. 123-2 de ce code (N° Lexbase : L0895I7B) ;
- les enquêtes publiques qui ne sont pas préalables à une déclaration d'utilité publique et qui sont prévues par d'autres textes.

4. Si le nouveau code opère un toilettage bienvenu de dispositions devenues difficilement lisibles, il introduit, en revanche, très peu d'éléments nouveaux. Il s'agit pour l'essentiel d'une codification à droit constant. Toutefois, l'article relatif aux indemnités alternatives a été reformulé conformément à la jurisprudence de la troisième chambre civile de la Cour de cassation (4). Ainsi, selon l'article L. 311-8 (N° Lexbase : L7984I4H), lorsqu'il existe "une contestation sérieuse sur le fond du droit ou sur la qualité des réclamants et toutes les fois qu'il s'élève des difficultés étrangères à la fixation du montant de l'indemnité", le juge "fixe, indépendamment de ces contestations et difficultés, autant d'indemnités alternatives qu'il y a d'hypothèses envisageables, et renvoie les parties à se pourvoir devant qui de droit".

5. Cette nouvelle partie législative du Code de l'expropriation a été ultérieurement complétée par le décret n° 2014-1635 du 26 décembre 2014, relatif à la partie réglementaire du Code de l'expropriation pour cause d'utilité publique (N° Lexbase : L1511I74) (5).

  • Procédures de référé suspension et droit de l'expropriation (CE 1° et 6° s-s-r., 3 décembre 2014, n° 369522, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A9062M4E)

1. Dans un arrêt n° 369522 du 5 décembre 2014, le Conseil d'Etat apporte un certain nombre de précisions relatives à l'application des procédures de référé concernant les différents actes susceptibles d'intervenir dans le cadre de la phase administrative de la procédure d'expropriation.

Dans la présente affaire, les requérants demandaient l'annulation de l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Melun rejetant leurs demandes tendant à la suspension d'une déclaration d'utilité publique, d'un arrêté de cessibilité et de la délibération d'un conseil municipal demandant au préfet l'ouverture de la procédure d'expropriation.

2. La question de la suspension de la délibération du conseil municipal peut être rapidement écartée. Dans un arrêt du 18 décembre 1996, "Association La Butte-Pinson et autres" (6), le Conseil d'Etat avait certes considéré qu'une telle délibération était susceptible d'être déférée au juge de l'excès de pouvoir, ce qui impliquait nécessairement que sa suspension pouvait être également demandée au juge des référés. Toutefois cette décision semble être demeurée isolée et il ne fait plus de doute, aujourd'hui, qu'elle constitue une mesure préparatoire à la déclaration publique (7). Elle ne peut donc pas faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir, pas plus que d'une demande de suspension, ce que confirme l'arrêt rapporté.

3. S'agissant, ensuite, du recours dirigé contre l'ordonnance rejetant la suspension de la déclaration d'utilité publique litigieuse, les juges relèvent, que par un jugement du 11 décembre 2013, postérieur à l'introduction du pourvoi, le tribunal administratif de Melun a annulé l'arrêté préfectoral contesté. Il en déduit, en conséquence, que les conclusions du pourvoi dirigées contre ce point précis de l'ordonnance du 29 mai 2013 sont devenues sans objet.

4. Si ces deux premiers points n'appellent pas de commentaires particuliers, il en va tout autrement concernant la question de savoir si les requérants pouvaient dans une requête unique fonder leur demande de suspension de l'arrêté de cessibilité à la fois sur l'article L. 521-1 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3057ALS) et sur l'article L. 123-16 du Code de l'environnement (N° Lexbase : L1278IS7).

Il faut ici rappeler que l'article L. 123-16, dont les dispositions sont reprises par l'article L. 554-12 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L8031IME), aménage un régime dérogatoire de suspension des décisions administratives en cas de conclusions défavorables du commissaire enquêteur ou de la commission d'enquête, en cas d'absence d'enquête publique ou en cas d'absence d'étude d'impact. A la différence du régime de suspension de droit commun des décisions administratives, organisé par l'article L. 521-1 du Code de justice administrative, la condition d'urgence n'est pas requise. En effet, seule l'existence d'un moyen de nature à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision est exigée (8).

Jusqu'à présent, le juge administratif se montrait très réticent à admettre le dépôt de deux types de conclusions au sein d'une même requête en référé. Ainsi, est irrecevable une requête unique fondée à la fois sur le référé suspension et le référé liberté visé par l'article L. 521-2 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3058ALT) (9). La même solution s'applique en cas de présentation simultanée dans une même requête d'un référé suspension et d'un référé provision de l'article R. 541-1 du même code (N° Lexbase : L2548AQG) (10), ou encore d'un référé suspension et d'un référé précontractuel (11).

Dans la présente affaire, le Conseil d'Etat prend le contre-pied de cette jurisprudence puisqu'il admet la recevabilité d'une requête unique fondée à la fois sur les articles L. 521-1 du Code de justice administrative et sur l'article L. 123-16 du Code de l'environnement.

Pour autant, cette solution n'est pas particulièrement surprenante, et elle ne remet pas en cause la jurisprudence susmentionnée concernant la présentation simultanée d'un référé suspension et d'autres types de référés. Elle semble, en effet, devoir s'expliquer par la proximité des procédures visées en l'espèce dont les conditions se recoupent partiellement. En effet, l'article L. 123-16 du Code de l'environnement ne fait rien d'autre qu'établir un régime dérogatoire de référé suspension.

5. Sur le fond, les juges censurent l'ordonnance du jugé des référés du tribunal administratif de Melun qui avait estimé que la condition d'urgence nécessaire à l'obtention d'une mesure de suspension n'était pas remplie. Le Conseil d'Etat considère, en effet, que cette condition est présumée remplie "eu égard à l'objet d'un arrêté de cessibilité, à ses effets pour les propriétaires concernés et à la brièveté du délai susceptible de s'écouler entre sa transmission au juge de l'expropriation, pouvant intervenir à tout moment, et l'ordonnance de ce dernier envoyant l'expropriant en possession". Ce n'est que lorsque l'expropriant justifie de circonstances particulières, "en particulier si un intérêt public s'attache à la réalisation rapide du projet qui a donné lieu à l'expropriation" que cette présomption d'urgence pourra être renversée. Il est à noter que cette solution s'inspire de celle retenue en cas de référé suspension contre un permis de construire (12) ou un permis d'aménagement (13). Elle tranche, en revanche, avec la solution qui avait été notamment retenue par le juge des référés du tribunal administratif d'Orléans, concernant une demande de suspension d'un arrêté de cessibilité, à l'occasion d'une ordonnance "Galteau" du 19 février 2001 (14).

  • Absence de droit à indemnité pour éviction d'un fonds de commerce exploité en vertu d'une autorisation de voirie (Cass. civ. 3, 18 novembre 2014, n° 14-16.280, FS-P+B N° Lexbase : A9421M3C)

L'article L. 13-13 du Code de l'expropriation (N° Lexbase : L2935HLB) précise que "les indemnités allouées doivent couvrir l'intégralité du préjudice direct, matériel et certain, causé par l'expropriation". L'article L. 13-14, alinéa 1er (N° Lexbase : L2936HLC), prévoit, quant à lui, que "la juridiction fixe le montant des indemnités d'après la consistance des biens à la date de l'ordonnance portant transfert de propriété".

Dans l'arrêt rapporté, la société requérante demande à la Cour de cassation de transmettre au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité. Elle estime que les dispositions précitées, telles qu'elles sont interprétées par la jurisprudence, seraient contraires à l'article 17 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen du 26 août 1789, en ce qu'elles excluent un droit à indemnité pour éviction d'un fonds de commerce exploité sur le terrain exproprié en bordure de la voie publique en vertu d'une autorisation de voirie.

L'autorisation est devenue caduque au jour de l'ordonnance d'expropriation, et il est plus que probable qu'elle n'a pas été reconduite en raison de l'imminence des travaux déclarés d'utilité publique pour lesquels l'expropriation du bien est poursuivie. Dès lors que, selon l'article 13-4, alinéa 1er, la consistance des biens est appréciée à la date de l'ordonnance, toute indemnisation du titulaire du fonds de commerce est exclue. En tout cas, c'est l'interprétation des textes qui a été retenue à plusieurs reprises par la Cour de cassation. Certes, celle-ci a déjà accepté d'indemniser l'exploitant d'un gisement qui ne bénéficiait d'aucune autorisation mais qui exerçait son activité depuis plus de vingt ans sans que l'administration s'y soit opposée, dans une zone du plan d'occupation des sols où les carrières étaient autorisées (15). Mais lorsqu'il s'agit d'une autorisation qui n'a pas été renouvelée eu égard à l'imminence des travaux, les juges rejettent le principe d'une indemnisation du titulaire du fonds de commerce (16).

Cette solution est fondée sur l'idée selon laquelle le préjudice n'est réparable que s'il porte sur des droits reconnus par la loi. Or, tel n'est pas le cas concernant le préjudice allégué par des personnes qui, à la date de l'ordonnance, ne disposent plus d'une autorisation administrative régulière leur permettant d'exploiter un fonds de commerce. Tout au plus pourrait on considérer qu'elles ont subi un préjudice indirect du fait de l'expropriation, puisque c'est bien parce qu'une opération déclarée d'utilité publique fait l'objet de travaux imminent que l'autorisation de voirie n'a pas été renouvelée. Mais il s'agit ici d'un préjudice "indirect" qui ne répond pas aux conditions visées par l'article L. 13-13 du Code de l'expropriation. C'est ce qui a été clairement énoncé par la Cour de cassation dans un arrêt du 15 juin 1977 (17) dans lequel ont peut lire que "la disparition [du] fonds de commerce ne se rattachait pas directement à l'expropriation intervenue postérieurement".

C'est parce qu'elle a conscience de ces difficultés que la société requérante demande à la Cour de cassation de transmettre deux questions prioritaires de constitutionnalité, l'une visant l'article L. 13-13 du Code de l'expropriation, l'autre visant l'article L. 13-14 alinéa 1er du même code. Ce sont en effet les dispositions combinées de ces deux articles qui font obstacle à l'indemnisation du préjudice subi par le requérant.

S'agissant de l'article L. 13-13, selon lequel les indemnités allouées à raison d'une expropriation pour cause d'utilité publique "doivent couvrir l'intégralité du préjudice direct, matériel et certain, causé par l'expropriation", les juges rappellent que ces dispositions ont déjà été déclarées conformes à la Constitution dans le cadre de la procédure de question prioritaire de constitutionnalité et que la société requérante n'a pas allégué de changement de circonstances (18). Certes, cette décision ne visait pas au premier chef le caractère "direct" du préjudice visé, puisqu'il concernait le caractère "matériel" de ce préjudice, et l'exclusion par voie de conséquence de la réparation du préjudice moral subi par l'exproprié. Ceci n'avait toutefois pas empêché le Conseil constitutionnel d'affirmer que le "caractère intégral de la réparation matérielle implique que l'indemnisation prenne en compte non seulement la valeur vénale du bien exproprié mais aussi les conséquences matérielles dommageables qui sont en relation directe avec l'expropriation". Le Conseil constitutionnel reconnaissait ainsi la conformité à la Constitution de l'article L. 13-13 dans son ensemble.

Concernant maintenant les dispositions de l'article L. 13-14, aliéna 1er, les juges considèrent que leur constitutionnalité ne peut pas être sérieusement contestée dès lors que la question posée ne critique pas la fixation par cet article "de la date d'appréciation, au jour de l'ordonnance portant transfert de propriété, en l'absence de dol, de la consistance physique et juridique du bien". Il faut bien constater, en effet, que ne sont pas ces dispositions qui posent des difficultés, mais leur combinaison avec celles de l'article L. 13-13 qui aboutissent à ne pas réparer le préjudice subi en cas d'éviction d'un fonds de commerce exploité en vertu d'une autorisation de voirie.


(1) JO, 11 novembre 2014.
(2) JO, 14 avril 1977.
(3) JO, 12 juillet 1970.
(4) Cass. civ. 3, 4 janvier 1990, n° 88-70.195, publié (N° Lexbase : A4256AH4), Bull. civ. III, 1990, n° 2, Gaz. Pal., 1990, 1, p. 13, JCP éd. G, 1990, IV, 83 ; Cass. civ. 3, 7 février 1990, n° 88-70.300, inédit (N° Lexbase : A9230CN8), Gaz. Pal., 1990, n° 157-158, pan., p. 90, AJPI, 1990, p. 618, obs. A. B.
(5) JO, 28 décembre 2014.
(6) CE 6° et 2° s-s-r., 18 décembre 1996, n° 136017, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A2129APK), AJDI, 1997, p. 915, note R. Hostiou.
(7) V. également pour une délibération d'une personne privée demandant au préfet de déclencher la procédure d'expropriation, CE 1° et 6° s-s-r., 30 décembre 2013, n° 355556, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A9409KSB), Dr. rur., 2014, comm. 47, concl. A. Lallet et nos obs..
(8) Rappelons, toutefois, que même si cette condition est remplie le juge peut refuser d'accorder la suspension de la décision contestée dès lors qu'une telle suspension porterait à l'intérêt général "une atteinte d'une particulière gravité" (CE, Sect., 16 avril 2012, n° 355792, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A8472IIM), Dr. adm., 2012, 59, note F. Melleray.
(9) CE, Sect., 28 février 2001, n° 230112, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A9116AR3), p. 111, RFDA, 2001, p. 390, concl. D. Chauvaux.
(10) CE référé, 8 décembre 2004, n° 274877, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A1026D3E), p. 810.
(11) CE 5° et 7° s-s-r., 29 juillet 2002, n° 243686, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A3002AZ9), AJDA, 2002, p. 926, note J.-D. Dreyfus.
(12) CE 5° et 7° s-s-r., 27 juillet 2001, n° 230231, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A5472AU9), BJDU, 2001, p. 381, concl. D. Chauvaux, RD imm., 2001, p. 542, chron. P. Soler-Couteaux.
(13) CE 3°et 8° s-s-r., 3 juillet 2009, n° 321634, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A5660EIH), p.992, AJDA 209, p.1345, BJDU, 2009, p. 285, concl. E. Geffray.
(14) AJDA, 2001, p. 780, note R. Hostiou.
(15) Cass. civ. 3, 7 mai 1996, n° 95-70.089, inédit (N° Lexbase : A1236CPH), AJPI, 1996, p. 1026, obs. A. Lévy, JCP éd. G, 1996, I, 3954, obs. A. Bernard.
(16) Cass. civ. 3, 15 juin 1977, n° 76-70.305, publié (N° Lexbase : A9841AGL), Bull. civ. III, 1977, n° 266 ; Cass. civ. 3, 25 février 1998, n° 97-70.004 (N° Lexbase : A9841AGL), AJDI, 1998, p. 939, note A. Lévy ; Cass. civ. 3, 31 octobre 2001, n° 00-70.176, inédit (N° Lexbase : A9906AWS), AJDI, 2002, p. 234, obs. C. Morel, RD imm., 2002, p. 533, obs. C. Morel.
(17) Préc..
(18) Cons. const., décision n° 2010-87 QPC du 21 janvier 2011 (N° Lexbase : A1520GQD), AJDA, 2011. 447, note R. Hostiou, AJCT, 2011. 132 ; AJDI, 2011. 111, chron. S. Gilbert, AJDI, 2012, p. 93, chron. S. Gilbert D. 2011, p. 2127, chron. G. Forest, et p. 2298, obs. B. Mallet-Bricout et N. Reboul-Maupin.

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Fiscalité des entreprises

[Brèves] Caractère déductible ou non des frais de promotion de produits pharmaceutiques

Réf. : CE 9° et 10° s-s-r., 23 janvier 2015, n° 369214, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A9891M99)

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N5676BUR

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Le 17 Mars 2015

Le dépassement du taux moyen de dépenses par rapport à un chiffre d'affaires constaté pour un secteur économique considéré ne caractérise pas une gestion anormale s'agissant de frais de promotion de produits pharmaceutiques. Telle est la solution retenue par le Conseil d'Etat dans un arrêt rendu le 23 janvier 2015 (CE 9° et 10° s-s-r., 23 janvier 2015, n° 369214, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A9891M99). En l'espèce, une société, qui a pour activité le négoce de produits pharmaceutiques et parapharmaceutiques, a fait l'objet d'un contrôle. L'administration a, par la suite, réintégré dans les bénéfices imposables divers frais dont elle a regardé l'engagement comme constitutif d'actes anormaux de gestion et a réduit à due concurrence les déficits déclarés au titre des exercices 1999 et 2000. Les juges du fond (CAA Paris, 11 avril 2013, n° 11PA00847, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A4575KCG), après avoir relevé les risques auxquels se serait, selon ces derniers, exposée la société requérante en engageant des dépenses de promotion importantes en faveur d'un médicament, ont jugé que la prise en charge par la société des frais de promotion de ce produit pour une part excédant 12 % du chiffre d'affaires imputable à ce médicament, soit le taux moyen des frais de promotion des entreprises du secteur pharmaceutique, ne relevait pas d'une gestion commerciale normale. Toutefois, selon le Conseil d'Etat, il n'appartient pas à l'administration de se prononcer sur l'opportunité des choix arrêtés par une entreprise pour sa gestion. Dès lors, la cour administrative d'appel a méconnu ce principe en regardant comme ne relevant pas d'une gestion commerciale normale le choix, par la société, de l'ampleur de la campagne de lancement et de promotion d'un produit, en se fondant, notamment, sur le dépassement du taux moyen de ces dépenses par rapport au chiffre d'affaires constaté pour le secteur économique considéré. En outre, le Conseil d'Etat ajoute qu'il appartient à l'administration d'apporter la preuve des faits sur lesquels elle se fonde pour estimer qu'une dépense engagée par une entreprise, établie par cette dernière dans sa nature et son montant, ne relève pas d'une gestion commerciale normale. Néanmoins en l'espèce, la cour administrative d'appel avait, à tort, indiqué qu'en raison d'une absence de justifications de l'importance des dépenses de promotion en faveur du médicament engagées au-delà du montant regardé par l'administration comme relevant d'une gestion commerciale normale, la société ne pouvait prétendre à la déduction des charges en question .

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Fiscalité des particuliers

[Jurisprudence] La rétroactivité fiscale : derniers petits pas avant le grand saut ?

Réf. : Cons. const., décision n° 2014-435 QPC du 5 décembre 2014 (N° Lexbase : A8231M4M)

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N5695BUH

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par Thibaut Massart, Professeur, Directeur du Master 2 fiscalité de l'entreprise de l'Université Paris-Dauphine, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition fiscale

Le 17 Mars 2015

1 - La décision du Conseil constitutionnel en date du 5 décembre 2014 (n° 2014-435 QPC) marque une étape importante dans l'encadrement de la rétroactivité des lois fiscales (1). Selon le Conseil, la protection constitutionnelle ne concerne plus seulement les "situations légalement acquises", mais aussi les "effets qui peuvent légitimement être attendus de telles situations". En l'espèce la contribution exceptionnelle sur le hauts revenus, entrée en vigueur à compter de l'imposition des revenus de 2011, ne peut donc pas s'appliquer aux revenus de capitaux mobiliers de 2011 soumis au prélèvement libératoire de l'impôt sur le revenu, dans la mesure où les contribuables ayant perçu en 2011 des revenus soumis à ces prélèvements libératoires pouvaient légitimement attendre de l'application de ce régime légal d'imposition d'être, sous réserve de l'acquittement des autres impôts alors existants, libérés de l'impôt au titre de ces revenus. A travers cette décision, le Conseil entend résolument limiter les marges de manoeuvre du législateur lorsqu'il souhaite remettre en cause les effets que les contribuables peuvent légitimement attendre de l'application de certains régimes favorables, à l'instar du régime des prélèvements libératoires. 2 - Dans cette affaire, une personne physique a été soumise, au titre des revenus qu'il a perçus en 2011, à l'impôt sur le revenu et à la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus (CEHR). C'est l'article 2 de la loi n° 2011-1977 du 28 décembre 2011, de finances pour 2012 (N° Lexbase : L4993IRD), qui a institué cette CEHR à la charge des contribuables passibles de l'impôt sur le revenu (CGI, art. 223 sexies N° Lexbase : L1152ITT). Cette contribution s'applique à partir d'un revenu fiscal de référence (RFR). Or, l'assiette du RFR est plus large que celle de l'impôt sur le revenu, car le RFR s'entend "du montant net des revenus et plus-values retenus pour l'établissement de l'impôt sur le revenu, majoré de certaines charges déductibles du revenu imposable constituant des dépenses d'ordre personnel, de certains revenus et profits exonérés d'impôt sur le revenu ou faisant l'objet d'un report ou d'un sursis d'imposition, de certains abattements appliqués pour la détermination du revenu catégoriel et des revenus et profits soumis aux prélèvements ou versements libératoires" (CGI, art. 1417 N° Lexbase : L4049I3D). Ainsi, le RFR intègre tous les revenus (de placements financiers, de plus-values) soumis sur option ou de plein droit à un prélèvement libératoire.

Le 7 janvier 2014, le contribuable a demandé à l'administration fiscale la restitution de sa cotisation de CEHR en soutenant que l'application des dispositions de l'article 223 sexies du CGI au titre de l'année 2011 mettait en cause de manière rétroactive le caractère libératoire des prélèvements forfaitaires déjà acquittés sur les revenus du patrimoine. Le 17 janvier 2014, l'administration fiscale a rejeté sa réclamation.

3 - Le 11 février 2014, le contribuable a saisi le tribunal administratif (TA) de Cergy-Pontoise d'une requête tendant à la restitution de la cotisation de CEHR à laquelle il a été assujetti au titre de l'année 2011. A cette occasion, il a demandé au TA de transmettre au Conseil d'Etat une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l'article 223 sexies du CGI. Par un jugement du 4 juillet 2014, le TA a décidé de transmettre cette QPC au Conseil d'Etat (TA Cergy-Pontoise, 4 juillet 2014, n° 1401466 N° Lexbase : A2312MYB).

4 - Dans sa décision en date du 2 octobre 2014 (CE 3° et 8° s-s-r., 2 octobre 2014, n° 382284, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A7807MXG), le Conseil d'Etat a précisé qu'en contestant la conformité à la Constitution des dispositions de l'article 223 sexies du CGI "en tant qu'elles sont applicables aux revenus de capitaux mobiliers perçus par les contribuables au cours de l'année 2011 et au titre desquels ceux-ci ont acquitté un prélèvement forfaitaire libératoire, le requérant doit être regardé comme mettant en cause, non l'article 223 sexies lui-même, mais le III de l'article 2 de la loi de finances pour 2012 en vertu duquel les nouvelles dispositions de l'article 223 sexies sont applicables à compter de l'imposition des revenus de l'année 2011". Il a donc décidé de renvoyer au Conseil constitutionnel la QPC portant sur les dispositions du paragraphe III de l'article 2 de la loi de finances pour 2012. La question posée au Conseil concernait ainsi uniquement le caractère rétroactif de la loi instaurant le CEHR.

5 - Le requérant soutenait qu'en assujettissant à la CEHR des revenus qui avaient supporté, antérieurement à la publication de la loi du 28 décembre 2011, un prélèvement forfaitaire libératoire au titre de l'imposition des revenus, les dispositions du paragraphe III de l'article 2 de cette loi méconnaissaient la garantie des droits proclamée par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789 (N° Lexbase : L1363A9D). En outre, il faisait valoir que ces dispositions ignoraient le principe d'égalité devant la loi.

6 - Si le Conseil constitutionnel juge que la disposition contestée prévoyant l'application rétroactive de la contribution sur les très hauts revenus aux revenus de capitaux mobiliers perçus par les contribuables au cours de l'année 2011 est conforme à la Constitution, il soulève cependant une réserve d'interprétation. En effet, en incluant dans l'assiette de la CEHR les revenus perçus en 2011 et n'ayant pas fait l'objet d'un prélèvement libératoire de l'impôt sur le revenu, le législateur n'a pas méconnu la garantie des droits proclamée par l'article 16 de la Déclaration de 1789. En revanche, le Conseil relève que la CEHR était rendue applicable aux revenus perçus en 2011 et soumis aux prélèvements libératoires. Or, les contribuables ayant perçu en 2011 des revenus soumis à ces prélèvements libératoires pouvaient légitimement attendre de l'application de ce régime légal d'imposition d'être, sous réserve de l'acquittement des autres impôts alors existants, libérés de l'impôt au titre de ces revenus. Par là même, le législateur a remis en cause les effets qui pouvaient légitimement être attendus par les contribuables de l'application du régime des prélèvements libératoires.

Pour le Conseil, la volonté du législateur d'augmenter les recettes fiscales ne constitue d'ailleurs pas un motif d'intérêt général suffisant pour mettre en cause les effets qui pouvaient légitimement être attendus d'une imposition à laquelle le législateur avait conféré un caractère libératoire pour l'année 2011.

7 - Au cas présent, le Conseil constitutionnel s'insère dans une série de décisions visant à restreindre la rétroactivité des dispositions fiscales (2). Ce mouvement progressif entamé par le Conseil constitutionnel depuis 1998 (3) obéit à la méthode des petits pas, traditionnelle en jurisprudence. Nous assistons cependant à une accélération de cette évolution, au moment même où le législateur s'interroge sur l'opportunité d'accomplir un grand saut en matière de rétroactivité fiscale. En effet, le ministre des Finances vient de présenter le 1er décembre 2014 une Charte sur la nouvelle gouvernance fiscale (4). Dans ce document figurent de nouvelles directives visant à sécuriser l'environnement fiscal des entreprises. En particulier, la "grande rétroactivité fiscale" serait fortement encadrée, tandis que la "petite rétroactivité fiscale", également qualifiée de rétrospectivité, serait radicalement abolie. Est-ce enfin le grand saut tant attendu, la fin de la rétroactivité fiscale ? Aucune date n'est malheureusement précisée pour l'application effective des nouveaux principes posés par la Charte. Aussi, la lente oeuvre de la jurisprudence est des plus salutaires pour maintenir une pression constante sur le Gouvernement et le Parlement.

Même si le Conseil constitutionnel semble faire un pas chassé en matière de "petite rétroactivité fiscale" (II), sa jurisprudence progresse d'un pas assuré pour limiter la "grande rétroactivité fiscale" (I).

I - Un petit pas assuré contre la "grande rétroactivité fiscale"

8 - Le Conseil constitutionnel a développé une jurisprudence a priori bien établie à propos de la "grande rétroactivité fiscale". Cette "grande rétroactivité fiscale" n'est autre que la rétroactivité juridique des normes fiscales. Elle désigne le fait qu'une loi fiscale dispose non seulement pour l'avenir, mais également pour le passé. La loi fiscale "juridiquement" rétroactive s'applique à des faits générateurs d'imposition qui sont déjà intervenus quand elle entre en vigueur. Dans cette catégorie de rétroactivité, on trouve par exemple les lois de validation qui ont pour objet de valider de manière rétroactive une disposition remise en cause par le juge. Se rattachent également à cette catégorie les lois interprétatives qui visent à clarifier le sens d'une disposition déjà en vigueur et présentent, de fait, au même titre qu'une décision juridictionnelle, un caractère rétroactif. Enfin, figurent dans cette catégorie les lois rétroactives remontant jusqu'à la date de l'annonce d'un dispositif antérieur au vote de la loi.

9 - En ce qui concerne la "grande rétroactivité fiscale", l'article 2 du Code civil (N° Lexbase : L2227AB4) pose certes le principe selon lequel la loi ne dispose que pour l'avenir ; elle n'a pas d'effet rétroactif. Toutefois, la simple valeur législative du principe de non rétroactivité, confirmée par le Conseil constitutionnel, ne permet pas de l'imposer au législateur. Le Conseil constitutionnel juge qu'il est loisible au législateur d'adopter des dispositions fiscales rétroactives dès lors qu'il ne prive pas de garanties légales des exigences constitutionnelles, que le législateur ne peut porter aux situations légalement acquises une atteinte qui ne serait pas justifiée par un motif d'intérêt général suffisant. Ainsi, dans sa décision n° 2005-530 DC du 29 décembre 2005, sur la loi de finances pour 2006, le Conseil a jugé "qu'il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, de modifier des textes antérieurs ou d'abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d'autres dispositions ; que, ce faisant, il ne saurait toutefois priver de garanties légales des exigences constitutionnelles ; qu'en particulier, il méconnaîtrait la garantie des droits proclamés par l'article 16 de la Déclaration de 1789 s'il portait aux situations légalement acquises une atteinte qui ne soit justifiée par un motif d'intérêt général suffisant".

10 - La décision du 5 décembre 2014 renforce la protection constitutionnelle des contribuables, car ce ne sont plus seulement les situations légalement acquises qui sont protégées, mais aussi les effets qui peuvent légitimement être attendus de telles situations. Cette évolution traduit la volonté du Conseil constitutionnel de se mettre au diapason des nouvelles normes internationales en matière de rétroactivité des lois fiscales.

A - La protection constitutionnelle sous la pression internationale

11 - Le législateur ayant une fâcheuse tendance à abuser de la rétroactivité des dispositions fiscales, les contribuables se sont tournés vers les juges et les Sages. S'est ainsi développée une jurisprudence de plus en plus abondante émanant tout à la fois de la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH), de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), du Conseil constitutionnel et du Conseil d'Etat. C'est précisément à partir de la CEDH qu'est né un nouveau principe en matière de rétroactivité des normes fiscales (5).

12 - L'article 1er du Premier protocole additionnel à la CESDH (N° Lexbase : L1625AZ9), intitulé "protection de la propriété", dispose, que "toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes". Il s'agit d'une disposition pour le moins elliptique qui garantit "en substance le droit de propriété" tout en autorisant expressément les Etats à prélever des impôts. A la lecture de ce texte, il pourrait être soutenu que les Etats sont totalement libres de déterminer leurs politiques fiscales dans la mesure où certains auteurs n'hésitent pas à affirmer qu'il "n'y a pas de société libre sans impôt, car l'impôt est, en définitive, la sauvegarde de la propriété privée" (6).

13 - En réalité, la Cour EDH adopte une autre interprétation de l'article 1er du Premier protocole en posant que la faculté de prélever des impôts se présente comme une exception à un principe général, celui du droit fondamental au respect de la propriété. En conséquence, une loi fiscale, dès lors qu'elle porte atteinte au droit de propriété, n'est conforme à la Convention EDH qu'à la condition de ménager un juste équilibre entre l'atteinte portée à ces droits et les impérieux motifs d'intérêt général susceptibles de la justifier. Encore faut-il cependant préalablement identifier un bien et démontrer que la loi incriminée porte atteinte à la propriété de ce bien.

14 - Or, la Cour EDH a développé une conception très large de la notion de bien en y incluant "l'espérance légitime d'obtenir une somme d'argent" (7). En effet, si l'article 1er du Premier protocole évoque le "droit au respect de ses biens", il ne définit nullement ce qu'est un bien. La Cour EDH a pu en profiter pour développer une notion originale qui bouscule les classifications traditionnelles assises sur la distinction entre les droits réels et les droits personnels. Elle a développé une conception très extensive de la notion de bien et en a fait une notion volontairement autonome par rapport aux qualifications internes. La Cour pose son propre critère de protection de l'intérêt pour qu'il accède au rang de droit, et donc de bien, peu important qu'il soit en contrariété avec le droit interne, et ignoré par la Convention. Cette construction aboutit à faire rentrer dans la catégorie de biens les créances certaines, mais aussi les créances qui constituent une "espérance légitime pour celui qui les détient".

15 - Il est ainsi aujourd'hui admis qu'une créance fiscale constitue un bien au sens de l'article 1er du Premier protocole (8), y compris lorsqu'elle n'est pas certaine (9). La Cour qualifie de bien la créance qui n'a été ni constatée ni liquidée par une décision judiciaire lorsque celui qui la détient a une "espérance légitime" de voir cette créance se concrétiser.

Si une loi supprime cet espoir légitime d'obtenir une créance, elle porte atteinte à la propriété d'un bien au sens de l'article 1er du Premier protocole.

Le Conseil d'Etat, admettant l'action correctrice de la CEDH, et désireux de prévenir autant que possible les divergences d'interprétation, adopte une lecture similaire (10).

16 - Alors qu'il souhaite emboiter le pas de cette marche en avant, le Conseil constitutionnel se heurte à une difficulté technique tenant à sa compétence d'attribution. En effet, le Conseil ne peut exercer que les seules compétences qui lui sont expressément attribuées par la Constitution. En vertu de l'article 61 de la Constitution (N° Lexbase : L0890AHG), le Conseil doit seulement vérifier que la disposition législative contestée est conforme ou non à la Constitution ou porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit. Le contrôle de la loi par référence directe aux normes internationales (le "contrôle de conventionalité") et à l'ordre juridique communautaire n'est pas admis. Or, l'on assiste aujourd'hui à une montée en puissance des contrôles externes, notamment celui de la Cour européenne des droits de l'Homme et celui de la Cour de justice de l'Union européenne, dans des domaines nouveaux qui, jusqu'à présent, relevaient des seules juridictions nationales. Il ne fait aucun doute que le rapprochement et l'intégration progressive des législations protectrices des droits et libertés dans les Etats de l'Union européenne et les Etats membres du Conseil de l'Europe imposeront, à un moment ou à un autre, la question de la place des Constitutions nationales dans le droit positif. Tirant les conséquences de la montée en puissance de l'ordre juridique communautaire, le Conseil constitutionnel a d'ailleurs récemment contribué à sa reconnaissance dans la Constitution (11). Toutefois, si le Conseil constitutionnel désire également se rapprocher de la jurisprudence de la Cour EDH en matière de loi fiscale rétroactive, il préfère conserver son indépendance vis-à-vis des normes internationales. Et tout l'art du Conseil consiste à adapter en droit français des principes nés en droit international (12).

17 - C'est dans ce contexte que la décision du 5 décembre 2014 confirme l'évolution de la jurisprudence du Conseil relative à la garantie des droits en reconnaissant une protection constitutionnelle non seulement aux "situations légalement acquises", mais aussi aux "effets qui peuvent légitimement être attendus de telles situations". La notion d'espérance légitime n'est pas loin, même si le terme est remplacé par celui "attente légitime", et même si la notion de bien est également évacuée du raisonnement mené par les Sages.

B - La protection constitutionnelle des attentes légitimes du contribuable

18 - Dans le cinquième considérant de la décision du 5 décembre 2014, le Conseil constitutionnel affirme : "Considérant qu'il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, de modifier des textes antérieurs ou d'abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d'autres dispositions ; que, ce faisant, il ne saurait toutefois priver de garanties légales des exigences constitutionnelles ; qu'en particulier, il ne saurait, sans motif d'intérêt général suffisant, ni porter atteinte aux situations légalement acquises ni remettre en cause les effets qui peuvent légitimement être attendus de telles situations".

19 - Une telle extension peut se justifier dès lors que l'on cherche à déterminer ce qu'est une situation juridique acquise. Il semble que deux hypothèses se présentent. Dans la première, la situation juridique peut être considérée comme une situation acquise dès que l'Etat a une dette contre le contribuable. Or, l'Etat a une dette contre le contribuable dès qu'il existe un fait générateur de l'impôt, c'est-à-dire un acte juridique ou l'événement qui fait naitre la dette fiscale. Mais il existe aussi une autre hypothèse, celle où le contribuable qui possède une créance contre l'Etat, par exemple avec un crédit d'impôt. Ces deux hypothèses se rejoignent dès lors que l'on considère qu'un contribuable ayant été imposé possède contre l'Etat une créance particulière correspondant à l'espérance légitime ou à l'attente légitime de ne plus être imposé.

20 - Cette extension a d'ailleurs déjà été entreprise par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2013-682 DC du 19 décembre 2013 (N° Lexbase : A6536KRI). On notera d'ailleurs que le cinquième considérant de la décision du 5 décembre 2014 reprend au mot près le quatorzième considérant de la décision du 19 décembre 2013. Soulignons également que, dans cette dernière affaire, les parlementaires requérants faisaient valoir que les dispositions de l'article 8 de la LFSS pour 2014 (loi n° 2013-1203 du 23 décembre 2013 N° Lexbase : L6939IYN) relatives à la modification des taux de prélèvements sociaux applicables aux produits de certains contrats d'assurance-vie instauraient une imposition rétroactive, méconnaissant par là même les exigences de l'article 16 de la Déclaration de 1789. En effet, avant l'entrée en vigueur de l'article 8 de la LFSS pour 2014, les produits d'épargne non soumis à l'IR étaient soumis à des taux "historiques" annuels. Plus précisément, l'assiette taxable était divisée en fractions selon les périodes d'acquisition des produits, avec application à chaque fraction du taux des prélèvements sociaux en vigueur lors de la période correspondante. Or, le Conseil constitutionnel a relevé que les dispositions contestées entendaient mettre fin à l'application des taux "historiques" de prélèvements sociaux à certains produits de placement pour lesquels le contribuable avait respecté une certaine durée de conservation prévue par le législateur. Le Conseil constitutionnel en a déduit que "les contribuables ayant respecté cette durée de conservation pouvaient légitimement attendre l'application d'un régime particulier d'imposition lié au respect de cette durée légale". Le Conseil constitutionnel avait donc formulé une réserve selon laquelle le législateur ne saurait remettre en cause l'application des taux "historiques" de prélèvements sociaux pour les produits acquis ou constatés pendant la durée légale de détention du contrat d'assurance-vie.

21 - Dans la décision du 5 décembre 2014, la difficulté provenait des revenus soumis à prélèvement libératoire. En effet, le Conseil constitutionnel relève que le paragraphe I de l'article 2 de la loi du 28 décembre 2011 est applicable à compter de l'imposition des revenus de l'année 2011, et que le A du paragraphe III du même article a pour objet d'inclure dans l'assiette de la CEHR tant les revenus entrant dans l'assiette de l'impôt sur le revenu que les autres revenus entrant dans la définition du revenu fiscal de référence, et, notamment, les revenus de capitaux mobiliers pour lesquels les prélèvements libératoires de l'impôt sur le revenu prévus au paragraphe I de l'article 117 quater (N° Lexbase : L0091IWB) et au paragraphe I de l'article 125 A (N° Lexbase : L9928IWM) du CGI dans leur rédaction applicable en 2011 ont été opérés au cours de cette année 2011 (cons. 7).

22 - Cette question des prélèvements libératoires n'était pas nouvelle. Lors de la loi de finances pour 2013 (loi n° 2012-1509 du 29 décembre 2012 N° Lexbase : L7971IUR), le paragraphe IV de l'article 9 transformait a posteriori un prélèvement libératoire de l'IR en simple acompte sur la cotisation d'IR. Il faut se souvenir de la passe d'armes lors des débats parlementaires (13) entre Gilles Carrez, président de la commission des finances et Jérôme Cahuzac, alors ministre délégué au Budget, à propos de cette "innovation" fiscale. Gilles Carrez soutenait qu'il lui semblait délicat de revenir sur un impôt payé, à moins de porter atteinte au droit des biens. Jérôme Cahuzac lui rétorquait qu'il fallait distinguer les taux forfaitaires libératoires et les taux forfaitaires non libératoires. Mais saisi par un groupe de parlementaires, le Conseil constitutionnel avait donné raison à Gilles Carrez et censuré la disposition litigieuse (14).

23 - La situation était différente avec la CEHR, car cette contribution exceptionnelle ne remettait pas en cause le fait que les revenus soumis à ce prélèvement libératoire étaient effectivement libérés de l'IR au titre de l'année 2011 : ils se voyaient seulement soumis à une nouvelle imposition, non encore instituée par le législateur à la date à laquelle ces revenus étaient soumis au prélèvement libératoire.

Le problème était donc celui de revenus soumis à prélèvement libératoire et pour lesquels les contribuables pouvaient légitimement attendre de l'application de ce régime légal d'imposition d'être libérés de l'impôt au titre de ces revenus.

Mais, de manière très curieuse, le neuvième considérant de la décision du 5 décembre 2014 n'est pas exactement formulé de cette manière. Il est indiqué que les contribuables "pouvaient légitimement attendre de l'application de ce régime légal d'imposition d'être, sous réserve de l'acquittement des autres impôts alors existants, libérés de l'impôt au titre de ces revenus".

En effet, même en optant pour un prélèvement libératoire de l'IR, les contribuables ne s'étaient pas pour autant libérés de toute autre imposition existante pesant sur ces revenus. Ils devaient également s'acquitter de la CSG, de la CRDS et des autres contributions sociales portant sur les revenus du patrimoine et les produits de placement. Ils ne pouvaient ainsi prétendre qu'en optant pour le prélèvement libératoire, ils étaient entièrement libérés de toute imposition. La décision du Conseil constitutionnel est ainsi d'autant plus remarquable que l'attente légitime des contribuables ayant opté pour le prélèvement libératoire ne portait pas sur le montant de la créance fiscale qui était très incertaine au moment de l'option, mais uniquement sur l'espoir qu'aucun impôt nouveau ne serait créé.

Le Conseil a donc jugé "qu'en appliquant cette nouvelle contribution aux revenus ayant fait l'objet de ces prélèvements libératoires de l'impôt sur le revenu, le législateur a remis en cause les effets qui pouvaient légitimement être attendus par les contribuables de l'application du régime des prélèvements libératoires" (cons. 9). Une telle remise en cause des effets pouvant être légitimement attendus de l'application du régime des prélèvements libératoires n'était susceptible, en toute hypothèse, d'être relevée qu'au titre des revenus soumis à prélèvement libératoire pour l'année 2011, antérieurement à l'instauration, par la loi du 28 décembre 2011 de finances pour 2012, de la CEHR. A l'inverse, les contribuables optant pour le prélèvement libératoire de l'IR au titre de certains revenus pour l'année 2012 ne pouvaient qu'attendre légitimement que ces prélèvements seraient libératoires puisqu'ils devaient s'acquitter des autres impositions existantes pesant sur ces revenus à cette date, dont la CEHR nouvellement instituée.

24 - Conformément à son approche traditionnelle, dès lors que le Conseil constitutionnel constate qu'une disposition législative porte atteinte aux exigences résultant de l'article 16 de la Déclaration de 1789, le Conseil devait vérifier si un motif d'intérêt général suffisant justifiait cette atteinte.

De jurisprudence constante, le Conseil considère que la volonté du législateur d'augmenter les recettes fiscales ne constituait pas un tel motif (cons. 10) (15). De façon similaire au raisonnement retenu dans sa décision n° 2013-682 DC du 19 décembre 2013, le Conseil a formulé une réserve d'interprétation: "les mots : à compter de l'imposition des revenus de l'année 2011 et' figurant à la première phrase du A du paragraphe III de l'article 2 de la loi du 28 décembre 2011 ne sauraient, sans porter une atteinte injustifiée à la garantie des droits proclamée par l'article 16 de la Déclaration de 1789, être interprétés comme permettant d'inclure dans l'assiette de la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus due au titre des revenus de l'année 2011 les revenus de capitaux mobiliers soumis aux prélèvements libératoires de l'impôt sur le revenu prévus au paragraphe I de l'article 117 quater et au paragraphe I de l'article 125 A du code général des impôts" (cons. 10). En faisant référence aux prélèvements libératoires prévus au paragraphe I de l'article 117 quater et au paragraphe I de l'article 125 A du CGI (et non aux revenus mentionnés à ces articles), le Conseil émet donc une réserve qui s'applique non seulement aux revenus mentionnés à ces articles, mais par exemple également aux revenus mentionnés à l'article 125-0 A du CGI (N° Lexbase : L4643I74), dès lors que ceux-ci font l'objet, en vertu du paragraphe II de cet article, du prélèvement libératoire prévu au paragraphe I de l'article 125 A (16).

25 - Si cette décision marque un pas volontaire contre la grande rétroactivité fiscale, elle déçoit en matière de petite rétroactivité.

II - Un grand pas chassé contre la petite rétroactivité fiscale

26 - Le Conseil constitutionnel semble distinguer deux formes de rétroactivités avec une grande et une petite. En réalité, il n'existe pas deux formes de rétroactivité, mais trois.

Pour reprendre la classification retenue par le rapport Maître Bruno Gibert en 2004 intitulé "Améliorer la sécurité du droit fiscal pour renforcer l'attractivité du territoire", trois types de rétroactivité pourraient effectivement être identifiés : la rétroactivité juridique, la rétroactivité économique et la rétrospectivité de la loi de finances.

La rétroactivité "juridique" n'est autre que la grande rétroactivité.

La rétroactivité peut être qualifiée d'économique dans l'hypothèse où la loi, même si elle ne dispose pas pour le passé, mais seulement pour l'avenir, est susceptible de modifier le traitement fiscal d'opérations en cours. Ainsi, l'abrogation anticipée d'une exonération fiscale ou d'un régime fiscal favorable, lorsqu'elle n'entraîne pas de rappel de taxe, n'est pas juridiquement rétroactive, mais produit des effets analogues à ceux d'un dispositif juridiquement rétroactif dans la mesure où elle modifie les fondements des calculs microéconomiques d'emploi, de production et d'investissement que des contribuables ont effectués dans le passé.

Enfin, la "petite rétroactivité fiscale" concerne les dispositions des lois de finances applicables à l'impôt sur le revenu et à l'impôt sur les sociétés. Ces dispositions présentent juridiquement un effet rétrospectif et non à proprement parler rétroactif dans la mesure où elles s'appliquent à des impositions dont le fait générateur intervient postérieurement à la publication de la loi de finances. En effet, le fait générateur de l'impôt est réputé être fixé, en matière d'IS, au jour de la clôture de l'exercice et, en matière d'IR, au dernier jour de l'année civile de réalisation ou de mise à disposition des revenus. Le fait générateur de l'impôt intervient donc toujours le 31 décembre pour les personnes physiques et le plus généralement également pour les personnes morales soumises à l'IS, puisque la plupart des sociétés clôturent leur exercice à la fin de l'année civile. Les dispositions fiscales adoptées en fin d'année, généralement dans la loi de finances pour l'année suivante, n'ont pas juridiquement d'effet rétroactif, dès lors que, publiées en principe entre le 28 et le 30 décembre, elles entrent en vigueur un instant de raison avant le jour auquel est fixé le fait générateur de l'impôt. La doctrine a également qualifié cette caractéristique d'application des lois de finances dans le temps de "petite rétroactivité" (17). Soulignons que certains auteurs rangent cette petite rétroactivité parmi les rétroactivités économiques puisqu'il n'y a pas à proprement parler de rétroactivité de la loi de finances (18).

27 - De ce fait, le Conseil constitutionnel adopte une approche radicalement différente entre la "grande" et la "petite" rétroactivité fiscale.

En cas de "grande" rétroactivité, la disposition législative fiscale est, en principe, contraire à la Constitution, sauf si elle ne porte pas atteinte à une situation juridique acquise ou à une attente légitime du contribuable, ou est justifiée par un motif d'intérêt général suffisant.

Quant à la "petite" rétroactivité, elle est par principe conforme la Constitution, sans exception.

La décision du 5 décembre 2014 confirme la conformité constitutionnelle de la petite rétroactivité fiscale, alors même que cette dernière est au coeur d'une violente tourmente.

A - La conformité constitutionnelle de la petite rétroactivité fiscale

28 - Dans sa décision n° 2012-662 DC du 29 décembre 2012, le Conseil constitutionnel a confirmé sa jurisprudence selon laquelle la "petite rétroactivité" fiscale ne porte atteinte à aucune exigence constitutionnelle. Le Conseil estime que cette "petite rétroactivité" est inhérente à des impositions acquittées en année N+1 sur des revenus ou des produits réalisés en année N. Par suite, il juge que la modification, en fin d'année N, des règles applicables aux impôts qui seront dus en N+1 au titre des revenus perçus au cours de l'année N, ne porte pas atteinte à des situations légalement acquises.

29 - Dans sa décision du 5 décembre 2014, le Conseil constitutionnel analyse les dispositions du paragraphe I de l'article 2 de la loi du 28 décembre 2011, qui ont pour objet d'instituer une CEHR pour relever que cette contribution s'applique tant à des revenus ayant fait l'objet d'un prélèvement libératoire qu'à des revenus n'ayant pas fait l'objet d'un tel prélèvement.

Or, pour les revenus n'ayant pas fait l'objet d'un prélèvement libératoire, la situation ressemble à une petite rétroactivité fiscale. En effet, la CEHR "est déclarée, contrôlée et recouvrée selon les mêmes règles et sous les mêmes garanties et sanctions qu'en matière d'impôt sur le revenu". Le Bulletin officiel des Finances publiques précise que "l'assiette de la contribution est déterminée par les services de la Direction générale des finances publiques, l'année qui suit celle de la perception des revenus, à partir des éléments figurant sur la déclaration d'ensemble des revenus".

Le Conseil constitutionnel en déduit "qu'en incluant dans l'assiette de la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus les revenus perçus en 2011 et n'ayant pas fait l'objet d'un prélèvement libératoire de l'impôt sur le revenu, le législateur n'a pas méconnu la garantie des droits proclamée par l'article 16 de la Déclaration de 1789" (cons. 8). Il en résulte que "les dispositions contestées, qui ne sont contraires ni au principe d'égalité ni à aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution" (cons. 11). En définitive, le Conseil a jugé, sous la réserve énoncée au considérant 10, les mots : "à compter de l'imposition des revenus de l'année 2011 et" figurant à la première phrase du A du paragraphe III de l'article 2 de la loi 28 décembre 2011 de finances pour 2012 conformes à la Constitution.

30 - Par là même, le Conseil conforte sa jurisprudence antérieure qui prône la conformité constitutionnelle et inconditionnelle de la "petite rétroactivité fiscale". Or, cette dernière fait justement l'objet de toutes les critiques.

B - La petite rétroactivité fiscale au coeur de la tourmente

31 - L'application dans le temps de la loi fiscale est évidemment déroutante pour les contribuables, puisque ces derniers ont assez naturellement tendance à considérer que ce sont les dispositions en vigueur à la date de réalisation effective du revenu qui doivent être prises en considération pour déterminer le régime fiscal qui leur sera applicable.

Cette situation entraîne au moins deux effets pervers. D'une part, elle altère l'esprit d'entreprise des contribuables : si l'environnement juridique de l'entreprise ou du patrimoine devient instable, toute prévision tend à devenir impossible et les agents économiques ne sont plus encouragés à développer leurs activités. Lorsqu'une entreprise souhaite investir, elle doit décider dans un environnement économique déjà incertain. Ajouter une incertitude fiscale rend la décision encore plus difficile à prendre.

D'autre part, l'utilisation intempestive de la rétroactivité affaiblit la crédibilité et l'efficacité de la politique fiscale. En effet, les contribuables sont moins réceptifs aux incitations fiscales de l'Etat dès lors que celles-ci peuvent être effacées ou remises en cause après quelques années. Il sera souligné par comparaison que le Luxembourg n'a changé ses règles fiscales que deux fois en 10 ans, et ce dans un sens généralement favorable aux entreprises. En France, les entreprises subissent une forte instabilité législative couplée à une rétroactivité des plus préjudiciables.

32 - Le législateur est parfaitement conscient du manque d'attractivité économique du territoire qui en résulte.

Plusieurs rapports, en 2004 sous la plume de Bruno Gibert (19), puis en 2008 sous celle d'Olivier Fouquet (20), avaient parfaitement mis en exergue les effets néfastes de la rétroactivité de la loi fiscale. Ces rapports proposaient différentes réformes destinées à améliorer la sécurité juridique en matière fiscale pour renforcer l'attractivité de la France.

Plusieurs propositions de loi organique ont d'ailleurs été soumises au Parlement afin de limiter la rétroactivité en matière fiscale. Malheureusement, aucune n'a été adoptée. Dernièrement, le 6 juin 2013, l'Assemblée nationale a rejeté deux propositions de loi visant à encadrer la rétroactivité des lois fiscales (proposition n° 567 du 19 juin 2012 et proposition n° 568 du 19 juin 2012). La première proposition était une loi constitutionnelle, la seconde une loi organique, déposées par plusieurs députés de l'opposition en décembre 2012.

Ni les changements de majorité politique, ni même l'accession à des fonctions politiques de tout premier plan des promoteurs de ces textes n'ont conduit à une remise en cause de la rétroactivité, petite ou grande, de la loi fiscale.

Dans ce paysage lunaire, l'annonce d'une Charte sur la nouvelle gouvernance fiscale par le ministre des Finances le 1er décembre 2014 se présente comme un signal positif (21). En effet, si cette Charte n'interdit pas les mesures fiscales rétroactives, elle vise tout de même à les encadrer et à mettre un terme à la petite rétroactivité. Ce document n'a malheureusement qu'une valeur juridique très limitée, et nous sommes très loin d'une loi organique.

33 - La frilosité du législateur à adopter de grands principes s'explique par le tiraillement auquel il se trouve confronté.

Interrogé sur la question de la rétroactivité des lois fiscales, Gilles Carrez vient de préciser au cours d'une conférence organisée en janvier 2015 à l'Université Paris II que la rétroactivité est parfois indispensable pour le législateur (22). Il en serait ainsi en matière immobilière où, pour ne pas paralyser le marché, la loi serait applicable, non à la date de sa promulgation, mais à la date de l'annonce de la réforme par le Gouvernement. La création de niches fiscales imposerait également une certaine rapidité, et, par conséquent, la mise en place de la mesure avant même son vote par les assemblées parlementaires. D'après le rapport Gibert précité, les dispositions fiscales rétroactives seraient en effet loin d'être systématiquement défavorables au contribuable puisque sur les 308 dispositions rétroactives répertoriées entre 1982 et 1999, 211 ont été favorables aux contribuables. La rétroactivité jouerait donc au bénéfice direct du contribuable dans près de 70 % des cas.

En dehors de ces situations, le législateur éviterait d'adopter des mesures rétroactives pour ne pas pénaliser l'initiative économique. Mais Gilles Carrez reconnait que le législateur est tout de même souvent tenté de prendre, pour des raisons purement budgétaires, des mesures qui rapportent immédiatement des recettes supplémentaires pour les caisses de l'Etat. La "petite" rétroactivité serait donc loin d'être enterrée. D'autant que cette hausse des recettes engendrée par la "petite" rétroactivité ne serait en réalité qu'une illusion qui pousserait le législateur à pratiquer une forme de cavalerie. En effet, l'impôt sur les sociétés dû au titre d'un exercice est payé pendant cet exercice sous forme d'acomptes. L'année suivante, l'entreprise paye la hausse de l'impôt de l'année précédente et subit une hausse des acomptes. Il y a donc pour l'année N+1 un doublement du surcroit de recettes qui disparaît dès l'année N+2. Devant cette "perte" de recettes, le législateur serait alors tenté de promulguer de nouvelles mesures rétrospectives, d'autant que les entreprises mettraient 18 mois pour s'adapter aux évolutions fiscales et modifier leur stratégie.

34 - Il convient de souligner que le Conseil d'Etat, dont la jurisprudence est à l'origine même de la petite rétroactivité (23), vient précisément d'écarter cette "petite" rétroactivité de la loi de finances au nom de l'espérance légitime dans un arrêt du 9 mai 2012 (24). Il s'agit d'une décision dont l'importance est confirmée par la résurgence de la formation de plénière fiscale. Comme le souligne Julien Boucher dans ses conclusions, il serait aisé d'estimer que, dans le cas particulier des lois rétrospectives, le fait générateur n'étant pas intervenu, les mesures ne peuvent pas être regardées comme constituant une base suffisante permettant de fonder une espérance légitime de bénéficier des règles d'assiette de l'IS existant au cours de l'année, mais abrogées antérieurement à la survenance du fait générateur. Pourtant, le Conseil d'Etat a admis l'espérance légitime, relevant que le dispositif était fixé dès l'entrée en application de la loi et que la volonté du législateur de le maintenir sur une période déterminée était clairement définie. Cette décision ne constituait qu'une remise en cause très circonscrite de la théorie de la petite rétroactivité. Elle illustrait, néanmoins, de manière remarquable, la fonction régulatrice du juge de l'impôt : là où ni les propositions soumises au législateur ni les nombreux rapports émanant de personnalités qualifiées n'avaient en définitive abouti à corriger certains des excès de la "petite" rétroactivité, le juge de l'impôt pouvait atténuer la brutalité de cette théorie dans les cas les plus choquants, en particulier ceux dans lesquels le législateur a lui-même conféré une certaine stabilité aux dispositifs fiscaux en leur fixant une durée limitée dans le temps (25).

35 - Au final, davantage que la lutte contre la rétroactivité fiscale, les agents économiques attendent surtout une stabilité des règles fiscales. En décembre 2014, le Président de la République française a promis une pause fiscale pour l'année à venir. Une telle annonce est du coup susceptible de créer une attente légitime chez les contribuables. Or, le Conseil constitutionnel, par la décision du 5 décembre 2014, vient précisément de juger que les attentes légitimes des contribuables doivent être constitutionnellement protégées...


(1) Dr. fisc., 2014, n° 50, act. 616 ; lire aussi les commentaires sur le site du Conseil constitutionnel.
(2) Cons. const., 29 décembre 2012, décision n° 2012-661 DC (N° Lexbase : A6287IZU) ; Cons. const., 29 décembre 2012, décision n° 2012-662 DC (N° Lexbase : A6288IZW) ; Cons. cont., 29 décembre 2005, décision n° 2005-530 DC (N° Lexbase : A1204DMK) ; Cons. const., 18 décembre 2001, décision n° 2001-453 DC (N° Lexbase : A6598AXN).
(3) Cons. const., 18 décembre 1998, décision n° 98-404 DC (N° Lexbase : A8750AC3).
(4) Dr. fisc., 2014, n° 50, act. 623, voir aussi Charte sur la nouvelle gouvernance fiscale du 1er décembre 2014.
(5) E. J. Van Brustem, Les lois rétroactives et la Convention EDH - à la recherche de l'équilibre entre l'espérance légitime du contribuable et l'ingérence du législateur en raison d'impérieux motifs d'intérêt général : Dr. fisc., 2009, n° 25, étude 373.
(6) P. Beltrame, La fiscalité en France, Hachette, 18ème éd., p. 141.
(7) CEDH, 6 octobre 2005, Req. n° 11810/03 (N° Lexbase : A6794DKT) ; CEDH, 6 octobre 2005, Req. n° 1513/03 (N° Lexbase : A6795DKU) : Rec. CEDH 2005, IX ; JCP A, 2006, 1021, obs. C. Gauthier ; JCP G, 2006, II, 10 061, note A. Zollinger ; JCP G, 2006, 1 109, chron. F. Sudre ; JCP G, 2007, 1 137, obs. C Byk.
(8) CEDH, 23 octobre 1990, Req. n° 11581/85 (N° Lexbase : A6337AWM) : Rec. CEDH, 1990, A-187 ; CE, Ass. Plén., 3° s-s., 12 avril 2002, n° 239693, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A6303AY4) : Dr. fisc., 2002, n° 26, comm. 555, concl. F. Séners, note B. Boutemy et E. Meier ; RJF, 2002, n° 673, chron. L. Olléon, p. 447 ; BDCF, 2002, n° 83, concl. F. Séners ; RJF, 6/2002, n° 673, chron. L. Olléon, p. 447 ; BGFE, 2002, n° 3, p. 11, obs. J.-L. Pierre.
(9) CEDH, 20 novembre 1995, Req. n° 17849/91 (N° Lexbase : A8772IMT) : Rec. CEDH, 1995, série A, n° 332 ; RTD civ., 1996, p. 1018, obs. J.-P. Marguénaud.
(10) CE, 3° et 8° s-s-r., 19 novembre 2008, n° 292948, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A3127EBG) : Dr. fisc., 2009, n° 6 comm. 179, concl. N. Escaut, note P. Fumenier ; RJF, 2/2009, n° 186 ; BDCF, 2/2009, n° 25, concl. N. Escaut ; A. Marionneau, L'introduction de la notion d'espérance légitime en droit fiscal, Dr. fisc., 2014, n° 47, 631.
(11) Dans une décision du 30 novembre 2006 (Cons. const., 30 novembre 2006, décision n° 2006-543 DC N° Lexbase : A7578DSH), le Conseil constitutionnel a accompli un pas décisif fondé sur l'idée que "La République participe aux Communautés européennes et à l'Union européenne, constituées d'Etats qui ont choisi librement, en vertu des traités qui les ont instituées, d'exercer en commun certaines de leurs compétences" et que dès lors, "la transposition en droit interne d'une directive communautaire résulte d'une exigence constitutionnelle".
(12) F. Martinet, Conseil d'Etat et Cour de cassation, juges de l'impôt : étude comparative (introduction générale et premier volet) - La fiscalité européenne et constitutionnelle, ou "la théorie des lasagnes", Dr. fisc., 2012, n° 42, 480.
(13) Séance du 19 octobre 2012, Assemblée nationale.
(14) Cons. const., 29 décembre 2012, décision n° 2012-662 DC.
(15) Cons. const., 19 décembre 2013, décision n° 2013-682 DC (N° Lexbase : A6536KRI) ; Cons. const., 29 décembre 2012, décision n° 2012-661 DC.
(16) V. Commentaire de la décision sur le site du Conseil constitutionnel.
(17) F. Douet, Les lois fiscales rétrospectives, Petites affiches, 23 octobre 1996, n° 128, p. 5.
(18) Voir aussi O. Negrin, L'application dans le temps des textes fiscaux, Thèse Aix-marseille III, 1997 ; A. Lievre-Graveraux, La rétroactivité de la loi fiscale : une nécessité en matière de procédures, Thèse Paris II, 2003.
(19) B. Gibert, Améliorer la sécurité du droit fiscal pour renforcer l'attractivité du territoire, septembre 2004, La documentation française.
(20) O. Fouquet, J. Burguburu, D. Lubek et S. Guillemain, Améliorer la sécurité juridique des relations entre l'administration fiscale et les contribuables : une nouvelle approche (rapport au ministre du Budget, des comptes publics et de la fonction publique, juin 2008) : Dr. fisc., 2008, n° 27, 403.
(21) Dr. fisc., 2014, n° 50, act. 623, voir aussi La finance au service de l'économie.
(22) Les assises du droit et de la compétitivité, 9 janvier 2015.
(23) CE, Ass. plén., 5 janvier 1962, Req. n° 46798, Rec. Lebon, p. 7, D.F., 1962, n° 7 comm. 173 et 181, JCP, 1962, II. 12 567, concl. Poussière, AJDA, 1962, p. 507 et s., note R. Drago ; CE, Ass. plén., 18 mars 1988, req. n° 73693 (N° Lexbase : A6595APX), Rec. Lebon, p. 126 et s., DF, 1988, n° 41 comm. 1883, concl. B. Martin Laprade, RJF, 5/88, n° 627 chron., M. Liébert-Champagne, p. 303 et s..
(24) CE 3°, 8°, 9° et 10° s-s-r., 9 mai 2012, n° 308996, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A1790ILU) : Dr. fisc., 2012, n° 26, comm. 355, note S. Vailhen ; RJF, 7/2012, n° 786, concl. J. Boucher, p. 595 ; nos obs., L'espérance légitime d'obtenir un crédit d'impôt ne peut être remise en cause par une loi rétroactive motivée par le désir de lutter contre les "effets d'aubaine" que ce crédit offrait aux entreprises, Lexbase Hebdo n° 488 du 7 juin 2012 - édition fiscale (N° Lexbase : N2237BTZ).
(25) S. Austry, La petite rétroactivité est-elle compatible avec la Convention européenne des droits de l'Homme ?, FR, 28/12, n° 786 ; Option finance, 18 juin 2012.

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Fiscalité internationale

[Brèves] Conformité à la Constitution de dispositions concernant spécifiquement des entités implantées dans un Etat ou territoire non coopératif

Réf. : Cons. const., 20 janvier 2015, décision n° 2014-437 QPC (N° Lexbase : A4823M9I)

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N5645BUM

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Le 17 Mars 2015

Le Conseil constitutionnel a jugé, le 20 janvier 2015, qu'en adoptant des dispositions relatives au cas d'exclusion du régime des sociétés mères de la quote-part de revenus provenant de l'activité d'un établissement stable situé dans un Etat ou territoire non coopératif (ETNC), et au durcissement du régime d'imposition des plus-values de cession de titres de sociétés implantées dans un ETNC, le législateur a entendu lutter contre les "paradis fiscaux" et poursuivre un but de lutte contre la fraude fiscale. La différence de traitement qui en résulte pour une société établie dans un ETNC ne méconnaît pas le principe d'égalité devant la loi (Cons. const., 20 janvier 2015, décision n° 2014-437 QPC N° Lexbase : A4823M9I). En effet, pour rappel, d'une part, l'article 145 du CGI (N° Lexbase : L9522ITT) est relatif aux conditions requises pour bénéficier, sur option, du régime fiscal des sociétés mères. Les dispositions du j) du 6 de cet article 145 excluent du bénéfice de ce régime les produits des titres d'une société établie dans un ETNC au sens de l'article 238-0 A du CGI (N° Lexbase : L3333IGK). D'autre part, les dispositions du c) du 2 de l'article 39 duodecies (N° Lexbase : L5787I3Q) et du a sexies 0 ter du paragraphe I de l'article 219 (N° Lexbase : L1390IZI) du CGI excluent l'application du régime des plus ou moins-values à long terme aux plus-values provenant de la cession de titres des sociétés établies dans un tel ETNC. Le Conseil constitutionnel a ainsi déclaré ces dispositions conformes à la Constitution. Par ailleurs, les Sages de la rue Montpensier ont émis une réserve en relevant que les dispositions contestées ne sauraient, sans porter une atteinte disproportionnée au principe d'égalité devant les charges publiques, faire obstacle à ce que, à l'instar de ce que le législateur a prévu pour d'autres dispositifs fiscaux applicables aux opérations réalisées dans un ETNC, le contribuable puisse être admis à apporter la preuve de ce que la prise de participation dans une société établie dans un ETNC correspond à des opérations réelles qui n'ont ni pour objet, ni pour effet de permettre, dans un but de fraude fiscale, la localisation de bénéfices dans un tel Etat ou territoire .

newsid:445645

Fonction publique

[Brèves] Fonctionnaire territorial dont l'emploi a été supprimé : mise à disposition du centre de gestion après l'expiration d'un délai d'une année

Réf. : CE 2° et 7° s-s-r., 19 janvier 2015, n° 375283, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A9902M9M)

Lecture: 1 min

N5745BUC

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Le 17 Mars 2015

Si l'article 97 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984, portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale (N° Lexbase : L7448AGX), prévoit, en cas de suppression d'emploi, que le fonctionnaire, en cas d'impossibilité de reclassement, est maintenu en surnombre dans la collectivité ou l'établissement pendant un an puis repris en charge par le centre de gestion, le moyen tiré de l'illégalité de la décision de suppression d'emploi est opérant contre la décision de mise à disposition du centre de gestion. Telle est la solution d'une décision rendue par le Conseil d'Etat le 19 janvier 2015 (CE 2° et 7° s-s-r., 19 janvier 2015, n° 375283, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A9902M9M). L'arrêté du 24 septembre 2012 par lequel, sur le fondement de l'article 97 précité, le maire d'une commune a mis Mme X à disposition du centre de gestion de la fonction publique territoriale de Seine-et-Marne, trouve sa base légale dans la délibération du 27 septembre 2011 du conseil municipal qui a supprimé l'emploi d'adjoint d'animation de deuxième classe occupé par l'intéressée. En jugeant que l'intéressée ne pouvait utilement exciper de l'illégalité de cette délibération du 27 septembre 2011 au soutien de sa demande d'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté du 24 septembre 2012, le tribunal administratif de Melun a donc entaché son jugement d'une erreur de droit (cf. l’Ouvrage "Fonction publique" N° Lexbase : E0678EUN).

newsid:445745

Hygiène et sécurité

[Brèves] Annulation de la décision de l'inspection du travail infirmant l'avis d'inaptitude émis par le médecin du travail sur recours de la salariée concernée pour non-respect de la procédure contradictoire applicable à l'égard de l'employeur

Réf. : CE 4° et 5° s-s-r., 21 janvier 2015, n° 365124, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A9887M93)

Lecture: 2 min

N5721BUG

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Le 17 Mars 2015

La décision de l'inspecteur du travail infirmant l'avis d'inaptitude émis par le médecin du travail et déclarant un salarié apte, sous certaines réserves, à occuper son emploi, et qui n'a pas été prise sur une demande de l'employeur mais sur recours du salarié doit, compte tenu de la portée que lui donne l'article L. 4624-1 du Code du travail (N° Lexbase : L1874H9B), être regardée comme imposant des sujétions dans l'exécution du contrat de travail et ne peut dès lors intervenir, en application de l'article 24 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 (N° Lexbase : L0420AIE), qu'après que l'employeur eut été mis à même de présenter ses observations. Telle est la solution dégagée par le Conseil d'Etat dans un arrêt rendu le 21 janvier 2014 (CE 4° et 5° s-s-r., 21 janvier 2015, n° 365124, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A9887M93).
En l'espèce, par une décision du 8 septembre 2008 confirmée le 12 janvier 2009 par le ministre du Travail, l'inspecteur du travail a infirmé, sur recours de Mme A., salariée de la société, les avis émis par le médecin du travail les 26 septembre et 12 octobre 2007 la déclarant inapte à un poste de caissière employée libre-service et apte à un poste de travail de bureau ou d'accueil. Par la même décision, l'inspecteur du travail a, après avoir recueilli l'avis du médecin inspecteur du travail, déclaré Mme A. apte au poste qu'elle occupait antérieurement à l'accident de trajet dont elle a été victime, celui de caissière employée libre-service, sous réserve d'un aménagement ergonomique pour la manutention des charges supérieures à dix kilos et de l'absence de travail au froid de façon prolongée. Le tribunal administratif a rejeté la demande de la société tendant à l'annulation de la décision de l'inspecteur du travail du 8 septembre 2008 et de la décision confirmative du ministre du Travail du 12 janvier 2009. Par un arrêt du 13 novembre 2012, la cour administrative d'appel (CAA Marseille, 13 novembre 2012, n° 10MA04253 N° Lexbase : A6110IYX) a rejeté la requête de la société tendant à l'annulation du jugement. Cette dernière s'est alors pourvue en cassation.
En énonçant la règle susvisée, le Conseil d'Etat annule l'arrêt de la cour administrative d'appel (cf. l’Ouvrage "Droit du travail" N° Lexbase : E3272ETD).

newsid:445721

Marchés publics

[Brèves] La notification du décompte général incombe au maître d'ouvrage

Réf. : CE 2° et 7° s-s-r., 19 janvier 2015, n° 374659, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A9901M9L)

Lecture: 1 min

N5748BUG

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Le 17 Mars 2015

Si, aux termes de l'article 13.42 du cahier des clauses administratives générales (CCAG) applicable aux marchés publics de travaux, approuvé par le décret n° 76-87 du 21 janvier 1976 (N° Lexbase : L4632GU4), "le décompte général signé par la personne responsable du marché doit être notifié à l'entrepreneur par ordre de service [...]", ces dispositions n'imposent pas que le décompte général soit notifié par le maître d'oeuvre. Telle est la solution d'une décision rendue par le Conseil d'Etat le 19 janvier 2015 (CE 2° et 7° s-s-r., 19 janvier 2015, n° 374659, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A9901M9L). Dès lors, la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit en jugeant irrégulière une notification du décompte général, signé par le maître d'oeuvre, mais notifiée par le maître d'ouvrage .

newsid:445748

Pénal

[Brèves] Office du juge des libertés et de la détention dans sa mission de contrôle de l'admission en soins psychiatriques : les précisions de la Cour de cassation

Réf. : Cass. avis, 19 janvier 2015, n° 15001 (N° Lexbase : A4945M9Z)

Lecture: 2 min

N5647BUP

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Le 17 Mars 2015

Dans l'hypothèse où le représentant de l'Etat, qui a prononcé une mesure de soins psychiatriques sans consentement décide du transfert de la personne dans un établissement situé dans un autre département, seul le représentant de l'Etat dans le département où est situé l'établissement d'accueil a qualité, après le transfert, pour saisir le juge des libertés et de la détention en application de l'article L. 3211-12-1 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L2999IYQ). Aussi, le juge des libertés est tenu de statuer sur toute décision d'admission en soins psychiatriques sans consentement sous la forme d'une hospitalisation complète décidée par le représentant de l'Etat dans le département. Une telle décision justifie, par sa nature et ses effets, distincts de ceux d'une hospitalisation complète à la demande d'un tiers, une nouvelle saisine du juge des libertés et de la détention dans les brefs délais prévus par l'article précité. Telles sont les réponses apportées par la Cour de cassation dans un avis du 19 janvier 2015 (Cass. avis, 19 janvier 2015, n° 15001 N° Lexbase : A4945M9Z). En l'espèce, le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Rouen, à la suite d'un arrêt du Conseil d'Etat (CE 1° et 6° s-s-r., 13 mars 2013, n° 342704, mentionné dans les tables du recueil Lebon N° Lexbase : A9899I9I), a demandé l'avis de la Cour de cassation sur la détermination du préfet compétent pour saisir le juge des libertés et de la détention quand le préfet qui a prononcé une mesure de soins psychiatriques sans consentement à l'égard d'une personne a ordonné son transfert dans un établissement situé dans un autre département. Aussi, a-t-il posé une seconde question relative à la nécessité d'une nouvelle saisine systématique du juge des libertés et de la détention lorsqu'une décision d'admission en soins psychiatriques sans consentement décidée par le préfet, sur le fondement de l'article L. 3213-1 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L3005IYX), intervenait dans la continuité d'une précédente admission décidée par le directeur d'un établissement de soins, à la demande d'un tiers ou pour péril imminent. La Cour de cassation lui donne les réponses sus rappelées .

newsid:445647

Procédure civile

[Jurisprudence] Quelle recevabilité du pourvoi en cassation dirigé contre le jugement fixant la date d'adjudication en application de l'article R. 322-19 Code des procédures civiles d'exécution ?

Réf. : Cass. civ. 2, 8 janvier 2015, n° 14-10.205, F-P+B (N° Lexbase : A0756M9U)

Lecture: 6 min

N5730BUR

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par Guillaume Lécuyer, Avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, docteur en droit

Le 17 Mars 2015

Lorsque le juge de l'exécution, après avoir reporté l'audience d'adjudication, fixe, une fois intervenue en appel la confirmation de son jugement d'orientation, la date de l'audience d'adjudication, le pourvoi n'est pas recevable. C'est l'apport de l'arrêt commenté, rendu le 8 janvier 2015, par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation.

L'exercice des voies de recours contre le jugement d'orientation de la procédure de saisie immobilière a donné lieu récemment à plusieurs précisions de la part de la Cour de cassation.

On sait que cette question avait fait l'objet du décret n° 2009-160 du 12 février 2009 (N° Lexbase : L9187ICA), modifiant l'article 52 du décret n° 2006-936 du 27 juillet 2006, relatif aux procédures de saisie immobilière et de distribution du prix de l'immeuble (N° Lexbase : L3872HKM), aujourd'hui codifié à l'article R. 322-19 du Code des procédures civiles d'exécution (N° Lexbase : L2438ITH).

Jusqu'alors, la voie de recours était l'appel, jugé dans les conditions de droit commun.

Ce dispositif avait soulevé des objections compte tenu de ce que les parties pouvaient se retrouver à l'audience d'adjudication sans que l'appel ait été tranché, le requérant ayant à choisir entre deux maux : solliciter la vente avec le risque que le jugement d'orientation soit infirmé ; attendre et être confronté à la caducité du commandement de payer (sur ce point, A. Leborgne in Droit et pratique des voies d'exécution, Dalloz Action 2012/2013, n° 1364, 114).

Désormais, cette voie de recours est formée, instruite et jugée selon la procédure à jour fixe (C. proc. civ. exécution, art. R. 322-19, al. 1er). Gare donc à bien suivre cette procédure !

Après avoir déclaré irrecevable l'appel formé selon la procédure ordinaire (Cass. civ. 2, 22 février 2012, n° 10-24.410, FS-P+B N° Lexbase : A3205ID3, Bull. civ. II, n° 37 ; Procédures 2012, Comm. 146, obs. Perrot ; RD banc. fin., 2012, Comm. 94, obs. Piedelièvre), la Cour de cassation vient de sanctionner une cour d'appel qui avait jugé l'appel selon la procédure à bref délai (Cass. civ. 2, 16 octobre 2014, n° 13-24.634, F-P+B N° Lexbase : A6634MYD), procédure applicable aux appels des jugements rendus sur saisie immobilière à l'exception des appels des jugements d'orientation (C. proc. civ. exécution, art. R. 311-7 [LXB= L2393ITS]).

Autre apport de la réforme de 2009, l'institution d'une procédure de renvoi ad hoc en cas d'appel du jugement d'orientation.

Afin de neutraliser le risque lié à l'appel du jugement d'orientation, ordonnant la vente par adjudication, il est désormais prévu un délai d'un mois pour statuer, délai qui n'est cependant qu'une invitation du juge à la célérité (Cass. civ. 2, 8 juillet 2010, n° 09-15.051, F-P+B N° Lexbase : A6779E4T, Bull. civ. II, n° 139). L'article R. 322-19, alinéa 2, du Code des procédures civiles d'exécution ajoute que, dans l'hypothèse où il n'aurait pas été statué sur l'appel dans ce délai, le juge de l'exécution peut, à la demande du créancier poursuivant, reporter la date de l'audience de vente forcée. Mais cette fois-ci l'appel n'est pas ouvert (pour une application : Cass. civ., 2, 22 septembre 2011, n° 11-10.119, F-P+B N° Lexbase : A1214HYM, Bull. civ. II, n° 172, D., 2012, 1509, obs. Leborgne ; D., 2012, 644, obs. O.-L. Bouvier.)

Serait-ce alors le pourvoi en cassation ? Il faut distinguer.

Lorsque le jugement se borne à ordonner le report de l'audience d'adjudication, il apparaît que le pourvoi en cassation est recevable, faute d'appel (Cass. civ. 2, 22 septembre 2011, précité).

Mais lorsque le juge de l'exécution, après avoir reporté l'audience d'adjudication, fixe, une fois intervenue en appel la confirmation de son jugement d'orientation, la date de l'audience d'adjudication, le pourvoi n'est pas recevable.

Deux raisons pouvaient faire douter de l'ouverture du recours en cassation.

Nul n'ignore que la circonstance que les textes ne prévoient pas expressément de recours en cassation n'est pas un obstacle à sa reconnaissance, bien au contraire. Mais encore faut-il que le jugement considéré relève de la classe des décisions juridictionnelles susceptibles d'un pourvoi. Si la fermeture de l'appel confère au jugement de report d'audience d'adjudication la qualité de décision en dernier ressort, celui-ci doit revêtir d'autres qualités.

Parmi celles-ci, le jugement doit avoir un caractère juridictionnel et être susceptible d'un pourvoi immédiat.

En premier lieu, le jugement fixant l'audience d'adjudication a-t-il un caractère juridictionnel ?

On peut s'interroger légitimement sur ce point. En effet, une telle décision s'apparente à une mesure d'administration judiciaire, insusceptible de tout recours (C. pr. civ., art. 537 N° Lexbase : L6687H7S), puisqu'elle relève de la bonne administration de la justice.

De ce point de vue, elle n'apparaît pas distincte d'une mesure de réouverture des débats ou d'une décision de fixation d'audience pour lesquelles la Cour de cassation estime qu'il n'y a pas de recours ouvert (par ex. : respectivement Cass. civ. 2, 5 janvier 1972, n° 70-11471 N° Lexbase : A1196CGE, Bull. civ. II, n° 2 ; Cass. civ. 2, 22 juin 1988, N° Lexbase : A6590CYQ, Bull. civ. II, n° 150). Or, la décision commentée évoque très fortement cette analyse du jugement de fixation d'audience de l'adjudication dont il est dit qu'il est pris dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice. D'autant que, il faut insister, la question de l'adjudication n'a pas été tranchée par elle, seule l'ayant été la date à laquelle elle interviendra.

En second lieu, le jugement de report d'audience d'adjudication met-il fin à l'instance ou tranche-t-il une partie du principal ?

Le pourvoi, comme l'appel, n'est pas ouvert contre les jugements qui, statuant sur une exception de procédure ou une fin de non-recevoir, ne mettent pas fin à l'instance ou qui ne tranchent pas une partie du principal, ainsi que le prévoient les articles 606 (N° Lexbase : L6763H7M) et 607 (N° Lexbase : L6764H7N) du Code de procédure civile. Dans ce cas, le pourvoi est ouvert mais il est différé : la déclaration de pourvoi doit intervenir avec celle dirigée contre la décision sur le fond ou en tout cas dans le délai du dépôt du mémoire ampliatif (C. pr. civ., art. 608 N° Lexbase : L7850I4I).

Même s'il ne vise pas ces dispositions du Code de procédure civile, l'arrêt commenté indique toutefois clairement que "le jugement par lequel le juge de l'exécution, après avoir reporté, en vue d'une bonne administration de la justice, la date de l'audience d'adjudication dans l'attente de l'arrêt de la cour d'appel, se borne à fixer la date de l'audience à laquelle il sera procédé à la vente forcée du bien confirmée en appel, [...] ne met pas fin à l'instance et ne tranche aucune partie du principal".

Cette solution doit être rapprochée de deux décisions d'irrecevabilité de pourvois, dirigés contre des jugements du juge de l'exécution qui, ayant refusé de constater la vente amiable, avaient décidé la poursuite de la procédure d'exécution (Cass. civ. 2, 6 décembre 2012, n° 11-26.683, FS-P+B N° Lexbase : A5575IY7, Bull. civ. II, n° 199 ; Procédures 2013, comm. 42, obs. Perrot, D., 2013, 1574, obs. Leborgne ; Cass. civ. 2, 11 juillet 2013, n° 12-19.703, F-D N° Lexbase : A8851KIN). La Cour de cassation a estimé au visa des articles 606, 607 et 608 du Code de procédure civile que "le jugement, qui a ordonné la poursuite de la procédure d'exécution, n'a pas tranché une partie du principal ni mis fin à l'instance". Ainsi motivée, la position de la Cour de cassation apparaît, comme le relevait le regretté Perrot, parfaitement orthodoxe. Et elle revient à admettre, en creux, le caractère juridictionnel du jugement.

L'arrêt commenté suscite dès lors deux interrogations.

D'une part, l'ambivalence sur la cause d'irrecevabilité du pourvoi est loin d'être neutre. Si le jugement est analysé comme une simple mesure d'administration judiciaire, aucun pourvoi n'est recevable à quel que stade que ce soit de la procédure. Dans l'hypothèse où son caractère juridictionnel est reconnu, le pourvoi est simplement différé et devra être formé avec le jugement sur le fond. Reste que, dans les hypothèses entrevues, ce pourvoi différé risque de rester un voeux pieu s'il doit être formé avec le pourvoi dirigé contre le jugement d'adjudication qui, ont le sait, n'est, en principe, pas recevable dès lors qu'il n'a pas de caractère juridictionnel (Cass. civ. 2, 19 novembre 2009, n° 08-70.024, P+B N° Lexbase : A7596ENN, Bull. civ. II, n° 266).

D'autre part, la motivation de l'arrêt commenté, bien que rendue dans un cas de figure où le jugement d'adjudication avait été confirmé, ne conduit-elle pas, mutatis mutandis à faire douter de la recevabilité du pourvoi contre le jugement de report de l'audience d'adjudication ?

newsid:445730

Propriété intellectuelle

[Brèves] Pas d'atteinte aux marques notoires, par l'usage, à l'identique ou par imitation, des marques comme mots-clés par un moteur de recherche

Réf. : Cass. com., 20 janvier 2015, n° 11-28.567, FS-P+B (N° Lexbase : A2605NAQ)

Lecture: 2 min

N5734BUW

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Le 17 Mars 2015

L'insertion, à titre de raccourci, d'un mot-clé renvoyant l'internaute à une page de résultats affichée par un moteur de recherche, puis sa suppression, ne caractérisent pas un rôle actif, de nature à confier au prestataire de service la connaissance et le contrôle des données stockées par les annonceurs. En outre, conformément à la jurisprudence communautaire (CJUE, 23 mars 2010, aff. C-236/08 N° Lexbase : A8389ETU), le prestataire d'un service de référencement sur internet, qui stocke en tant que mot-clé un signe identique à une marque et organise l'affichage d'annonces à partir de celui-ci, ne fait pas un usage de ce signe au sens de l'article 5, paragraphes 1 et 2, de la Directive 89/104/CE (N° Lexbase : L9827AUI). Tel est le sens d'un arrêt rendu le 20 janvier 2015 par la Chambre commerciale de la Cour de cassation (Cass. com., 20 janvier 2015, n° 11-28.567, FS-P+B N° Lexbase : A2605NAQ). En l'espèce, la SNCF titulaire, notamment, de huit marques semi-figuratives, ayant fait constater qu'un site utilisait ses marques à titre de mots-clés afin de diriger, par l'affichage de liens commerciaux, le consommateur vers des sites concurrents proposant des produits et services identiques ou similaires aux siens, a assigné la locataire des serveurs sur lesquels est hébergé le site litigieux ainsi que le dirigeant de cette dernière et réservataire du nom de domaine, pour atteintes aux marques notoires et pratique commerciale trompeuse. Enonçant la solution précitée, la Cour retient donc que la cour d'appel ne pouvait juger que les défendeurs ne peuvent bénéficier du régime de responsabilité limitée instauré par l'article 6, I, 2, de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 (N° Lexbase : L2600DZC) au simple motif que le prestataire ne s'est pas borné à stocker des informations de nature publicitaire mais qu'il a inséré, de façon délibérée, dans sa page d'accueil, le mot-clé SNCF, lequel dirigeait l'internaute vers des liens concurrents, et qu'il avait l'accès et la maîtrise des mots-clés dans la mesure où il a pu supprimer cette mention en exécution de la décision de première instance. En outre, rappelant la solution précitée dégagée par la CJUE dans l'affaire "Google c/Vuitton" en 2010, la Cour de cassation censure également l'arrêt d'appel en ce qu'il a condamné les défendeurs pour atteinte aux marques notoires, par l'usage, à l'identique ou par imitation, des marques de la SNCF comme mots-clés par le moteur de recherche qui générait l'affichage de liens commerciaux dirigeant les internautes en priorité vers des sites concurrents. Enfin, la Cour censure également l'arrêt d'appel au visa de l'article L. 121-1 du Code de la consommation (N° Lexbase : L7808IZ9) en ce qu'il a retenu les défendeurs coupables d'une pratique commerciale trompeuse.

newsid:445734

Transport

[Chronique] Chronique de droit des transports - Janvier 2015

Lecture: 9 min

N5659BU7

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par Christophe Paulin, Professeur de droit, Directeur du Master de droit des transports, Université Toulouse I Capitole

Le 17 Mars 2015

Lexbase Hebdo - édition affaires vous propose de retrouver, cette semaine, la chronique de droit des transports de Christophe Paulin, Professeur de droit, Directeur du Master de droit des transports, Université Toulouse I Capitole, retraçant l'essentiel de l'actualité juridique rendue en la matière. L'auteur revient, tout d'abord, sur un arrêt rendu par la Cour de cassation le 18 novembre 2014, qui est la première décision de la Haute juridiction en matière faute inexcusable, à la suite de la loi du 8 décembre 2009 (Cass. com., 18 novembre 2014, n° 13-23.194, F-P+B). Il aborde ensuite la question récurrente de la charge des opérations accessoires en matière de transports à travers deux arrêts de la Chambre commerciale du 16 décembre 2014 (Cass. com., 16 décembre 2014, deux arrêts n° 13-23.342, F-D et n° 13-25.929, F-D). Est ensuite mentionné un nouvel arrêt de la Cour de la cassation du 13 janvier 2015 mettant aux prises les sociétés Gefco et Frigo 7 et qui apporte une précisions sur les personnes pouvant se porter parties civiles dans le cadre de l'action fondée sur l'article L. 3241-5, alinéa 2, du Code des transports (Cass. com., 13 janvier 2015, n° 13-21.886, F-D. Enfin, est commenté dans cette chronique un arrêt rendu par la Chambre commerciale le 15 janvier 2015 qui, en matière de transports aériens de voyageurs, fait application de la jurisprudence communautaire (Cass. civ. 1, 15 janvier 2015, n° 13-25.351, F-P+B)
  • Faute inexcusable : première décision (Cass. com., 18 novembre 2014, n° 13-23.194, F-P+B [LXB=A9318M3] ; cf. l’Ouvrage "Responsabilité civile" N° Lexbase : E0490EXG)

La responsabilité du transporteur de marchandise obéit à un régime spécifique, puisqu'il bénéficie d'une limitation légale de réparation, qui peut être écartée par la commission d'une faute spécifique. Il s'agit de la faute intentionnelle et, généralement, de la faute inexcusable. Jusqu'à la loi du 8 décembre 2009 (loi n° 2009-1503, relative à l'organisation et à la régulation des transports ferroviaires et portant diverses dispositions relatives aux transports N° Lexbase : L0264IGU), la faute lourde du transporteur le privait, pour les transports terrestres nationaux, de la limitation d'indemnisation. L'article L. 133-8 du Code de commerce (N° Lexbase : L0524IGI) dispose, désormais, que "seule est équipollente au dol la faute inexcusable du voiturier ou du commissionnaire de transport". La faute inexcusable succède donc à la faute lourde, ce qui devrait atténuer le contentieux en la matière. En effet, autant les arrêts portant sur la faute lourde sont nombreux, autant son rares ceux concernant la faute inexcusable, qui constitue pourtant une cause générale de déchéance du transporteur.

Aussi doit on souligner la première application faite par l'arrêt rapporté, publié au Bulletin, rendu par la Chambre commerciale le 18 novembre 2014, qui, si elle n'apporte pas de précision déterminante sur cette notion, en rappelle néanmoins l'appréciation rigoureuse. En l'espèce, la réponse à un appel d'offres, confié à un expressiste, est arrivée en retard. La faute inexcusable du transporteur était invoquée pour échapper à la limitation d'indemnisation établie par le contrat type général. Les juges d'appel retenaient, pour caractériser la faute lourde, le manquement du prestataire à une obligation essentielle, d'autant plus avéré qu'il n'avait rien fait pour procéder à la livraison dans les temps (CA Poitiers, 14 mai 2013, n° 12/03567 N° Lexbase : A2372KD9).

L'arrêt est cassé, au visa des articles 1150 du Code civil (N° Lexbase : L1251ABX sur le principe de prévisibilité du dommage) et L. 133-8 du Code de commerce, de tels motifs ne suffisant pas à caractériser une faute inexcusable. La Chambre commerciale de la Cour de cassation rappelle ainsi que, exigeant un comportement délibéré impliquant la conscience du dommage et son acceptation téméraire, la faute inexcusable doit être précisément caractérisée par les juges du fond.

C'est une question récurrente dans le contrat de transport que de déterminer qui a la charge d'une opération accessoire au déplacement de la marchandise. Deux arrêts rendus par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 16 décembre 2014 démontrent la permanence de ce type de litige.

Dans la première affaire (n° 13-23.342), un moteur d'avion est confié à un transporteur. Le destinataire refuse de le réceptionner, au motif que le défaut d'arrimage de l'appareil a provoqué des lésions. D'où la question de savoir si l'arrimage incombait à l'expéditeur ou au transporteur.

Dans la seconde affaire (n° 13-25.929), une marchandise est endommagée par un préposé du transporteur alors qu'il l'a remet au destinataire venu en prendre livraison. La responsabilité du transporteur est-elle soumise au contrat type régissant l'opération de transport ?

Dans les deux cas, il s'agit de définir le périmètre du contrat de transport, au regard des obligations qui y sont rattachées. On rappellera, d'abord, que les contrats types contiennent des dispositions qui permettent souvent de régler cette difficulté. Par exemple, le contrat type général attribue les opérations accessoires de chargement, déchargement, calage, arrimage à l'expéditeur ou au transporteur en fonction du poids de l'envoi. Pour diverses raisons, cependant, le contrat type peut n'être d'aucun secours. Par exemple, alors qu'il règle les relations entre le donneur d'ordre et le transporteur, le litige peut concerner, comme dans la première espèce (n° 13-23.342), l'expéditeur et le client de celui-ci, qui lui avait confié la préparation et le conditionnement de la marchandise. Il revient alors aux juges de trancher, comme le font ici les juges du fond (CA Paris, Pôle 5, 1ère ch., 7 juin 2013, n° 11/21591 N° Lexbase : A2748KGU) avec l'approbation de la Cour de cassation : "ayant retenu que la société [T.] était chargée du conditionnement du moteur pour son transport, sa manutention et son chargement, l'arrêt en déduit exactement que la société [T.] était chargée de l'arrimage des marchandises". Naturellement, lorsqu'il est applicable, le contrat type ne donne qu'une solution abstraite qu'il faudra concrétiser en se référant à l'accord des parties. Ainsi, comme l'énonce la Cour dans le second arrêt rapporté (n° 13-25.929), lorsqu'elles ont prévu que la livraison se ferait dans les locaux du transporteur, la remise de la marchandise au destinataire par un préposé de celui-ci entre bien dans l'exécution du contrat de transport, de sorte que le contrat type régit tant le principe de responsabilité du transporteur que la limitation de celle-ci.

Dans les bonnes séries, une nouvelle année commence avec une nouvelle saison. La saga "Gefco c/ Frigo 7 Locatex" a débuté en 2009, alors que le tribunal de commerce de Nanterre condamnait le commissionnaire Gefco à payer 1, 5 million d'euros au transporteur Frigo 7 au titre de l'indexation du prix du transport sur le coût du carburant. L'intrigue est nouée, les personnages sont posés. Les rebondissements s'enchaînent au fil des épisodes : appel, condamnation supplémentaire de 9 millions d'euros au titre de la rupture brutale (CA Versailles, 12ème ch., sect. 2, 6 mai 2010, n° 09/05024 N° Lexbase : A5929E84), cassation, deus ex machina (le contrat type sous traitance). Haletants, nous avions laissés nos héros en septembre 2014, face à l'arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation qui rejetait l'ultime tentative de Frigo 7 d'obtenir satisfaction (Cass. com., 23 septembre 2014, n° 12-27.387, FS-P+B N° Lexbase : A3394MXY ; cf. nos obs. in Chronique de droit des transports - Octobre 2014, Lexbase Hebdo n° 396 du 2 octobre 2014 N° Lexbase : N3910BUD). Comme dans toute bonne intrigue, tous les personnages étaient attachants et l'on regrettait que la dernière saison soit sans doute l'ultime, Frigo 7 ayant manifestement épuisé toutes les solutions et finissant, comme il se doit dans les grandes sagas, liquidé par un funeste destin...

Quelle heureuse surprise alors pour l'afficionado de voir 2015 débuter par un nouvel épisode, certes bref mais intense, de son feuilleton judiciaire préféré, à travers l'arrêt rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 13 janvier 2015. Frigo 7 résiste et attaque encore. Tel est le thème. Son arme ? La prohibition du prix abusivement bas en matière de transport. Il est vrai que la réglementation du transport lui offre tout un arsenal, un peu comme dans Matrix. Un mouvement de cape et il s'empare de l'article 23-I de la loi du 1er février 1995 (loi n° 95-96, concernant les clauses abusives et la présentation des contrats et régissant diverses activités d'ordre économique et commercial N° Lexbase : L2605DY7), qui interdit tant au transporteur qu'au donneur d'ordre de rémunérer la prestation de transport par un prix qui ne correspond pas au coût de l'opération (devenu C. transports, art. L. 3241-5, al. 2 N° Lexbase : L7621INL). Texte d'application délicate, eu égard à sa médiocre rédaction, mais, on le voit bien dans les jeux vidéo, les armes d'expert infligent les plus graves dégâts. Ici, c'est 90 000 points de vie en moins, d'aucun dirons 90 000 euros d'amende.

Bien menée, l'attaque a pourtant échouée, principalement sur des questions de preuve. Le scénariste ajoute, cependant, une explication peu convaincante, estimant que, si les transporteurs évincés en raison du prix sont habilités à user de l'arme en question, il n'en va pas de même du transporteur retenu. La Cour confirmant l'arrêt d'appel (CA Versailles, 11 juin 2013, n° 12/05017 N° Lexbase : A4365KGR), énonce, en effet, que l'action pénale fondée sur l'article 23-I de la loi n° 95-96 du 1er février 1995, devenu L. 3241-5, alinéa 2, du Code des transports, étant engagée par le ministère public, le ministre chargé de l'Economie ou son représentant, le transporteur public routier de marchandises évincé en raison d'un prix trop bas peut se porter partie civile, ce texte de nature pénale n'autorise pas le transporteur retenu à se porter partie civile. Admettons, mais le spectateur n'est guère convaincu par cette affirmation qui revient à ce que la victime d'une pratique ne peut la dénoncer. Ne boudons pas notre plaisir de voir ce nouvel épisode et bonne année à tous ses héros !

  • Transport aérien de voyageurs : application par la France de la jurisprudence communautaire (Cass. civ. 1, 15 janvier 2015, n° 13-25.351, F-P+B N° Lexbase : A4661M9I ; cf. l’Ouvrage "Responsabilité civile" N° Lexbase : E0498EXQ)

Les droits des voyageurs aériens ont été considérablement renforcés par le Règlement européen n° 261/2004 du 11 février 2004, établissant des règles communes en matière d'indemnisation et d'assistance des passagers en cas de refus d'embarquement et d'annulation ou de retard important d'un vol (N° Lexbase : L0330DYU). Le texte est inspiré par une philosophie nettement consumériste. Il confère aux passagers des vols au départ ou à destination d'un Etat membre divers droits à assistance et indemnisation, en cas d'annulation d'un vol, de retard ou de "surbooking".

La jurisprudence communautaire et nationale a largement contribué à préciser et enrichir le texte, qu'il s'agisse de son domaine ou des conditions d'existence et d'exercice des droits des passagers. Parmi ces nombreuses décisions, deux arrêts de la CJUE sont particulièrement notables, par l'application extensive qu'ils adoptent du texte : les arrêts "Sturgeon" (CJCE, 19 novembre 2009, aff. C-402/07 N° Lexbase : A6589END) et "Nelson" (CJUE, 23 octobre 2012, aff. C-581/10 N° Lexbase : A7627IUZ), dont la première chambre civile de la Cour de cassation fait application dans son arrêt rendu le 15 janvier 2015.

En l'espèce, un couple effectue un trajet Paris-Miami, réalisé par la société Corsair. Le vol accusant un retard de 6 heures à l'arrivée, les passagers assignent le transporteur en réparation, sur le fondement de l'article 7 § 1 du Règlement du 11 février 2004. L'article en question précise le montant des différents droits à indemnisation et se lit donc par référence aux textes établissant le principe même d'une indemnité. Faisant alors une application littérale du texte, la juridiction de proximité se référait à l'article 6 du Règlement, visant le retard. Cet article ne prévoyant pas de droit à indemnisation, le juge déboutait les époux de leur demande.

La référence à l'article 6 du Règlement était cependant inexacte : il ne concerne, en effet, que le retard du vol au départ et non le retard à l'arrivée, qui n'est pas traité par le règlement. En tout état de cause, il ne pouvait établir ni l'existence, ni l'absence d'un droit à indemnisation des passagers.

C'était en effet sur l'audacieuse jurisprudence de la Cour de justice qu'il fallait se fonder. Le 19 novembre 2009, la CJUE rend l'arrêt "Sturgeon", précité, concernant l'interprétation de la notion d'annulation d'un vol au sens du Règlement. En effet, outre le retard au départ, le texte communautaire traite, dans l'article 5, de l'annulation d'un vol et établit en cette hypothèse un droit du passager à indemnisation, en renvoyant à l'article 7. La Cour dit alors pour droit que "Les articles 5, 6 et 7 du Règlement n° 261/2004 doivent être interprétés en ce sens que les passagers de vols retardés peuvent être assimilés aux passagers de vols annulés aux fins de l'application du droit à indemnisation et qu'ils peuvent ainsi invoquer le droit à indemnisation prévu à l'article 7 de ce Règlement lorsqu'ils subissent, en raison d'un vol retardé, une perte de temps égale ou supérieure à trois heure".

Cette position est ultérieurement confirmée par l'arrêt "Nelson" du 23 octobre 2012.

Pour la Cour de cassation, il aurait donc fallu que le juge de proximité fasse application de cette jurisprudence et non de l'article du Règlement visant le retard. En l'espèce, toutefois, les faits ne permettent pas de déterminer si l'application de la jurisprudence communautaire était pertinente. En effet, aux termes de celle-ci, l'assimilation d'un retard à l'arrivée à une annulation de vol suppose que la personne subisse à l'origine un vol retardé au sens du Règlement, c'est-à-dire que le retard à l'arrivé soit consécutif à un retard au départ, visé par le Règlement. Telle était la situation des arrêts "Sturgeon" et "Nelson". A défaut d'un retard au départ, l'indemnisation n'avait pas lieu d'être fondée sur le Règlement européen, par assimilation à une annulation de vol, mais uniquement sur les dispositions de la Convention internationale régissant la responsabilité du transporteur aérien, en l'occurrence la Convention de Montréal du 28 mai 1999 (N° Lexbase : L1209IUC).

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