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N5825BUB
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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication
Le 17 Mars 2015
Ainsi, dans un arrêt du 7 février 2013, la Cour EDH rappelait encore sa jurisprudence prétorienne aux termes de laquelle (§ 50) l'article 1er du premier protocole ne garantit pas le droit d'acquérir des biens. Cependant, la notion de "biens" peut recouvrir tant des "biens actuels" que des valeurs patrimoniales, y compris des créances, en vertu desquelles le requérant peut prétendre avoir au moins une "espérance légitime" d'obtenir la jouissance effective d'un droit de propriété. L'espérance légitime doit reposer sur une "base suffisante en droit interne". De même, la notion de "biens" peut s'étendre à une prestation donnée dont les intéressés ont été privés en vertu d'une condition d'octroi discriminatoire. En revanche, l'espoir de voir reconnaître la survivance d'un ancien droit de propriété, qu'il est depuis bien longtemps impossible d'exercer effectivement, ne peut être considéré comme un "bien", et il en va de même d'une créance conditionnelle s'éteignant du fait de la non-réalisation de la condition.
C'est cette jurisprudence, maniant les concepts d'"espérance légitime" et de "proportionnalité de l'atteinte au droit propriété", qui a été intégrée progressivement dans notre droit interne, tant par les juridictions suprêmes que par le Conseil constitutionnel. La chose se fit sans trop de difficulté : la frontière de l'"espérance légitime" et de la "sécurité juridique" et plus tard de la "confiance légitime" étant ténue.
Naturellement, pour l'application de cette "pièce maîtresse" de la protection du droit au respect des biens, comme la qualifie Jean-Baptiste Walter, dans sa thèse sur le sujet, parue en décembre 2011, les regards se sont d'abord portés sur le droit fiscal. La rétroactivité des lois de finances est un sujet intarissable de la doctrine (cf. l'excellent article de Thibault Massart, publié la semaine dernière dans nos colonnes) ; et cette rétroactivité, "petite" ou "grande" selon la classification désormais communément admise, se heurte bien entendu au concept, désormais juridique, d'"espérance légitime". En supprimant rétroactivement ou en intensifiant les conditions requises pour la mise en oeuvre d'une "niche fiscale", tout autant qu'en instaurant toujours rétroactivement un nouvel impôt sur un revenu que l'on espérait légitimement libéré de tout imposition, du moins supplémentaire, la loi déroge donc au droit fondamental que constitue le droit de propriété. On sait que la seule nécessité ou simple volonté d'augmenter les recettes fiscales n'est pas un argument suffisant pour justifier une atteinte proportionnée à ce droit fondamental, aussi la "grande" rétroactivité de la loi fiscale est-elle appelée à être limitée, quand la "petite" rétroactivité devrait tout bonnement disparaître pour peu que les politiques souhaitent restaurer les principes de sécurité juridique et de consentement à l'impôt. En déclarant le caractère rétroactif de la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus non conforme à la Constitution, la décision des Sages de la rue de Montpensier, rendue le 5 décembre 2014, sur le sujet est révélatrice de l'importance de l'espérance légitime en droit interne ; "le seul bien de ceux qui n'en ont plus" disait Bussy-Rabutin.
Le Conseil d'Etat a donc suivi la ligne constitutionnelle en décidant, notamment le 9 mai 2012, que l'espérance légitime d'obtenir un crédit d'impôt ne peut être remise en cause par une loi rétroactive motivée par le désir de lutter contre les "effets d'aubaine" que ce crédit offrait aux entreprises ; ce qui, dans le respect de la jurisprudence de la Cour EDH, ne l'a pas empêché de déclarer conforme au premier protocole additionnel le dispositif de suppression de l'avoir fiscal pour les personnes autres que les personnes physiques pour les crédits d'impôt utilisables à compter du 1er janvier 2005 (2 juin 2010) et les modalités déclaratives de l'exit tax (12 juillet 2013).
Mais, la matière fiscale n'est pas la seule impactée par le concept d'"espérance légitime". La Cour EDH a pu ainsi l'appliquer, notamment, en droit de la construction en estimant que l'Etat avait violé ses engagements contractuels en ne garantissant pas à des propriétaires l'exercice effectif des droits de construire sur les terrains qu'ils ont conservés (18 novembre 2010), comme la Cour de cassation le fit en droit des affaires, a contrario, lorsque la Chambre commerciale décide que l'abrogation, avec effet immédiat, des extensions sanction par la loi de sauvegarde des entreprises ne prive pas la personne morale débitrice d'une espérance légitime de créance, pouvant présenter le caractère d'un bien (17 mai 2011).
Reste que le droit social tend lui aussi à agréger cet "aliment de notre âme, toujours mêlé du poison de la crainte", selon Voltaire, tant, par exemple, pour demander au juge du fond de vérifier si l'application rétroactive d'une loi respecte un juste équilibre entre les exigences de l'intérêt général et les impératifs de sauvegarde du droit au respect des biens, lorsqu'elle prive rétroactivement les salariés du droit d'obtenir le paiement de rappels de salaires prévus par un accord collectif en vue d'assurer la garantie du maintien de leur rémunération mensuelle en vigueur à la date de la réduction collective du temps de travail (24 novembre 2010) ; que lorsque la Chambre sociale, toujours, estime qu'une salariée doit obtenir le paiement de sommes au titre des temps de responsabilité de surveillance nocturne assumés en chambre de veille pour des périodes antérieures à l'entrée en vigueur de la loi du 19 janvier 2000, sur le fondement de l'article 1er du premier protocole, dans la mesure où caractérise un bien l'intérêt patrimonial qui constitue une "espérance légitime" de pouvoir obtenir le paiement de rappels de salaires au titre de ces temps de responsabilité de surveillance nocturne (21 mars 2012). Mais là encore, il s'agit de confronter la rétroactivité d'une loi aux principes de "sécurité juridique", de "confiance légitime" et dernièrement d'"espérance légitime".
Aussi, l'originalité d'un arrêt du 21 janvier 2015 provient du fait que, sans le nommer, le concept d'"espérance légitime" irrigue les esprits quand la Chambre sociale décide que la clause de non-concurrence prenant effet à compter de la rupture du contrat de travail, la cessation d'activité ultérieure de l'employeur n'a pas pour effet de décharger le salarié de son obligation de non-concurrence ; et, en conséquence, la contrepartie financière de cette clause doit toujours lui être versée. Chacun admettra sans peine que la mise en oeuvre d'une clause de non-concurrence n'a d'intérêt que pour autant qu'une situation de concurrence puisse exister. Produisant ses effets dans le temps, on peut légitimement penser que la disparition radicale de toute concurrence éventuelle, du fait tout simplement de la liquidation de l'entreprise créancière de l'obligation de non-concurrence, prive de cause la clause elle-même. Une fois n'est pas coutume, l'accessoire, c'est-à-dire la contrepartie financière, ne suivant pas le principal, l'indemnisation est toujours due, du fait, sans doute car le concept n'est ici pas évoqué, d'une espérance légitime du salarié à percevoir cette contrepartie jusqu'au terme de la clause de non-concurrence (pour peu que le salarié ait, en plus, pris ses dispositions, assuré une réorientation professionnelle notamment). On admettra que la solution n'allait pas de soi ; et d'ailleurs la cour d'appel s'y était trompée au point de voir son arrêt cassé. Dans cette affaire, le risque de perte d'un revenu n'était pas consécutif à une loi rétroactive, mais à la caducité factuelle de la clause faisant naître son versement. Or, cette caducité n'a pas d'effet rétroactif contrairement à une éventuelle nullité de la clause. Donc, techniquement parlant, le concept d'"espérance légitime", bien protégé par le droit de propriété, n'aurait pas lieu d'être attenté pour autant que la caducité prévaudrait pour l'avenir. Mais, les Hauts magistrats ne l'ont pas entendu de cette oreille, et ont préféré accorder à la clause de non-concurrence tous ces effets dans le temps sans se référer à une quelconque "espérance légitime" ici bien encombrante. Mais peut-on véritablement faire l'impasse au regard de la jurisprudence passée ?
"De ses origines sentimentales, l'espérance (légitime) apporte au droit cette sensibilité qui renforce son effectivité", introduit encore Jean-Baptiste Walter. Mais, quelle est l'efficacité du droit lorsqu'il enjoint le versement, dans le temps, d'une indemnité qui n'est plus assujettie au respect d'une obligation réelle à la charge de son créancier ?
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Réf. : Cass. crim., 14 janvier 2015, n° 13-85.868, F-D (N° Lexbase : A4631M9E)
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N5811BUR
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par Gaëlle Deharo, Professeur, Laureate International Universtities (ESCE), Centre de recherche sur la justice et le procès, Université Paris 1
Le 17 Mars 2015
Par un premier attendu, la Cour de cassation rapporte la solution des juges du fond exposant deux conditions nécessaires pour établir le délit d'exercice illégal de la profession d'avocat (I) : le prévenu est dépourvu du titre d'avocat et il exerce des activités réservées à cette profession.
Le deuxième attendu traduit le contrôle réalisé par la Cour de cassation sur la qualification retenue par les juges. D'une part, elle vérifie que le prévenu ne tirait pas d'une disposition spéciale une légitimité pour exercer l'activité litigieuse. D'autre part, la Cour rappelle que la condition d'habitude n'est pas un élément constitutif du délit (II).
I - Les éléments constitutifs de l'infraction
Selon le premier attendu de la décision rapportée, le délit est établi lorsque les actes relevant du ministère de l'avocat (A) sont accomplis par une personne dépourvue du titre (B).
A - Les actes relevant du ministère de l'avocat
L'exercice illégal de la profession d'avocat est prévu et réprimé par les articles 4 et 72 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971. Au terme de la première disposition, "nul ne peut, s'il n'est avocat, assister ou représenter les parties, postuler et plaider devant les juridictions et les organismes juridictionnels ou disciplinaires de quelque nature que ce soit, sous réserve des dispositions régissant les avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation". L'alinéa deuxième précise que "ces dispositions ne font pas obstacle à l'application des dispositions législatives ou réglementaires spéciales en vigueur à la date de publication de la présente loi". Cette disposition est complétée par l'article 72 de la même loi aux termes de laquelle "sera puni des peines prévues à l'article 433-17 du Code pénal (N° Lexbase : L9633IEI) quiconque aura, n'étant par régulièrement inscrit au barreau, exercé une ou plusieurs des activités réservées au ministère des avocats dans les conditions prévues à l'article 4, sous réserve des conventions internationales". A l'opposé, l'exercice d'activité ne relevant de la sphère protégée des avocats ne permet pas de caractériser l'infraction (2).
La formulation de l'article 4 interdit l'accomplissement, même unique, des actes visés (3) : le délit est donc caractérisé dès le premier acte. Les termes de l'article 72 ne formulent pas de liste aussi précise mais sanctionnent l'exercice d'une ou plusieurs activités réservées (4). Il existe donc entre les deux textes une évolution sémantique de l'"acte", isolé et ponctuel, vers l'"activité", plus diffuse et continue.
B - Le défaut de la qualité d'avocat
A défaut de titre d'avocat, l'exercice des "actes" et "activités" visés par les articles 4 et 72 de la loi du 31 décembre 1971 caractérise l'infraction d'exercice illégal de la profession d'avocat. En conséquence, il faut, mais il suffit, que le prévenu ait été dépourvu de la qualité d'avocat au moment où il a accompli les actes litigieux (5), fut-ce par une radiation temporaire.
Tel était bien le cas en l'espèce : l'avocat avait été radié du barreau de Paris sans obtenir une nouvelle inscription auprès d'un autre barreau. C'est donc dépourvu de la qualité d'avocat qu'il s'était présenté devant le conseil de prud'hommes aux côtés de l'une des parties. Pourtant, il n'entendait visiblement pas rester simple spectateur : il ressortait clairement des éléments de la procédure (6) qu'il avait usé de la qualité d'avocat (7) et entendait agir comme tel.
Relevant que le prévenu avait représenté sa cliente et utilisé le titre d"avocat" les juges du fond avaient déclaré le prévenu coupable d'avoir "sans être régulièrement inscrit au barreau, assisté des parties, postulé ou plaidé devant le Conseil de prud'hommes". Cette solution était critiquée par le pourvoi qui arguait que le délit d'exercice illégal de la profession d'avocat suppose qu'une personne qui n'est pas régulièrement inscrite au barreau "exerce habituellement une activité réservée au ministère des avocats". Cette démonstration est rejetée par la Cour de cassation.
II - Le rejet de la condition d'habitude par la Cour de cassation
Alors que la cour d'appel avait caractérisé le délit en invoquant les actes de l'article 4 pour caractériser l'infraction, le pourvoi s'appuyait, quant à lui, sur les termes de l'article 72 auxquels il ajoutait la condition d'habitude pour réfuter la qualification du délit.
Selon une jurisprudence ancienne, la condition d'habitude n'est pas un élément constitutif de l'infraction (8). La règle est reprise en l'espèce rapportée, mais elle n'est formulée qu'après que la cour ait constaté que le prévenu ne présentait aucune des qualités requises par l'article R. 1453-2 du Code du travail (A). Il faut en effet tenir compte des spécificités rédactionnelles des textes dérogatoires à l'article 4 de la loi du 31 décembre 1971 : si la condition d'habitude n'est pas un élément constitutif de l'infraction, il semble néanmoins qu'elle permette d'établir l'élément matériel de l'infraction dans certaines circonstances (B).
A - Le rejet de la condition d'habitude dans les domaines réservés
Selon l'article R. 1453-2 du Code du travail, "les personnes habilitées à assister ou à représenter les parties sont :
1° Les salariés ou les employeurs appartenant à une même branche d'activité ;
2° Les délégués permanents ou non permanents des organisations d'employeurs et de salariés ;
3° Le conjoint, le partenaire lié par un pacte civil de solidarité ;
4° Les avocats ;
L'employeur peut également se faire assister ou représenter par un membre de l'entreprise ou de l'établissement".
Le texte expose donc une liste limitative des personnes susceptibles d'intervenir pour assister ou représenter la partie à l'audience. Différentes catégories "d'habilitation" apparaissent aux côtés des avocats qui ne sont cités qu'en quatrième et dernière position.
Dans l'espèce rapportée, le prévenu aurait pu intervenir sur le fondement de sa qualité d'avocat. Mais il en a été privé par la radiation prononcée par l'ordre des avocats du barreau de Paris. Il ne présentait aucune qualité pour fonder son intervention sur l'une des trois autres hypothèses.
Il en résulte que l'infraction est caractérisée du seul fait que l'individu ait pénétré le périmètre réservé aux avocats. Car c'est bien en cette qualité qu'il s'était présenté et entendait intervenir, comme cela est relevé par les juges du fond et rapporté par la Cour de cassation. C'est la raison pour laquelle l'infraction est caractérisée sans qu'il soit nécessaire d'établir le caractère "habituel" de l'exercice de la profession d'avocat. Le délit est établi par le premier acte d'assistance ou de représentation dès lors que celui-ci relève du domaine protégé des avocats.
B - Le rôle de l'habitude dans la qualification du délit en l'absence de monopole des avocats
La solution de l'espèce rapportée aurait elle été différente si l'audience s'était déroulée devant le tribunal de commerce ? L'article 853 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L0828H4G) dispose que "les parties se défendent elles mêmes. Elles ont la faculté de se faire assister ou représenter par toute personne de leur choix. Le représentant, s'il n'est avocat, doit justifier d'un pouvoir spécial". Il ne s'agit plus de personnes "habilitées", à la différence de l'article R. 1453-2 du Code du travail, et la personne dépourvue du titre d'avocat n'a pas à entrer dans une catégorie définie par le texte. Suffit-il pour autant qu'elle dispose d'un pouvoir spécial pour échapper à la condamnation ?
Dépourvue de la qualité d'avocat, l'individu ne commet pas l'infraction d'exercice illégal de la profession d'avocat : l'article 853, en effet, constitue une hypothèse dérogatoire prévue par le deuxième alinéa de l'article 4 de la loi du 31 décembre 1971. La commission d'un fait unique ne suffit donc pas à caractériser le délit. Qu'en est-il cependant lorsque les interventions sont réalisées à titre habituel ? La jurisprudence parait admettre que la faculté pour une partie de se faire assister ou représenter devant le tribunal de commerce par une personne de son choix ne peut avoir pour effet de déroger au principe suivant lequel seuls les avocats peuvent assurer ces fonctions à titre habituel. En conséquence, dans l'hypothèse où la possibilité d'assister ou représenter une partie est largement ouverte, la condition d'habitude serait restaurée et permettrait de caractériser l'infraction (9). A cet égard, la Cour de cassation a précisé que le caractère habituel de l'exercice de l'activité reprochée au prévenu n'est pas établi par la succession, dans une seule et même procédure, de deux interventions lorsque la deuxième est la suite logique de la première (10).
(1) Cass. crim., 5 février 2013, n° 12-81.155, FS-P+B (N° Lexbase : A6410I7K).
(2) TGI Paris, 30ème ch., 13 mars 2014, n° 13248000496 (N° Lexbase : A9855MHH), JCP éd. G., 2014, 578, note Bléry et Teboul.
(3) Cass. crim., 21 février 2006, n° 05-84.899, FS-D (N° Lexbase : A7743NAZ).
(4) Cass. crim., 23 janvier 2001, n° 00-83.192 (N° Lexbase : A9294CYU) ; Cass. crim., 18 janvier 2000, n° 98-88.210 (N° Lexbase : A2311CWI).
(5) V. par. ex. Cass. crim., 9 mars 1999, n° 98-84.283 (N° Lexbase : A2006CQD) ; Cass. crim., 13 mars 1996, n° 95-80.223 (N° Lexbase : A4545CS7) ; Cass. crim., 9 juin 1993, n° 92-85.563 (N° Lexbase : A3162CQ8) ; Cass. crim., 18 décembre 1978, n° 76-90.006 (N° Lexbase : A0744CIE).
(6) V. déjà Cass. crim., 5 février 2013, préc., sur la mention de l'assistance en qualité d'avocat dans une ordonnance de référé.
(7) V. également Cass. crim., 18 décembre 1996, n° 96-81.178 (N° Lexbase : A7278CWH).
(8) Cass. crim., 18 décembre 1978, n° 76-90.006 (N° Lexbase : A0744CIE).
(9) Cass. crim., 1er février 2000, n° 99-83.372 (N° Lexbase : A6334CEC).
(10) Cass. crim., 21 octobre 2008, n° 08-82.436, F-PF (N° Lexbase : A1728EBM).
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Réf. : CA Rennes, 27 janvier 2015, n° 13/09002 (N° Lexbase : A4244NAG)
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N5884BUH
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Le 17 Mars 2015
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Réf. : CA Rennes, 27 janvier 2015, n° 13/01566 (N° Lexbase : A5284NAX)
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N5882BUE
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Le 17 Mars 2015
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Réf. : Cass. crim., 14 janvier 2015, n° 13-85.868, F-D (N° Lexbase : A4631M9E)
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N5811BUR
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par Gaëlle Deharo, Professeur, Laureate International Universtities (ESCE), Centre de recherche sur la justice et le procès, Université Paris 1
Le 17 Mars 2015
Par un premier attendu, la Cour de cassation rapporte la solution des juges du fond exposant deux conditions nécessaires pour établir le délit d'exercice illégal de la profession d'avocat (I) : le prévenu est dépourvu du titre d'avocat et il exerce des activités réservées à cette profession.
Le deuxième attendu traduit le contrôle réalisé par la Cour de cassation sur la qualification retenue par les juges. D'une part, elle vérifie que le prévenu ne tirait pas d'une disposition spéciale une légitimité pour exercer l'activité litigieuse. D'autre part, la Cour rappelle que la condition d'habitude n'est pas un élément constitutif du délit (II).
I - Les éléments constitutifs de l'infraction
Selon le premier attendu de la décision rapportée, le délit est établi lorsque les actes relevant du ministère de l'avocat (A) sont accomplis par une personne dépourvue du titre (B).
A - Les actes relevant du ministère de l'avocat
L'exercice illégal de la profession d'avocat est prévu et réprimé par les articles 4 et 72 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971. Au terme de la première disposition, "nul ne peut, s'il n'est avocat, assister ou représenter les parties, postuler et plaider devant les juridictions et les organismes juridictionnels ou disciplinaires de quelque nature que ce soit, sous réserve des dispositions régissant les avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation". L'alinéa deuxième précise que "ces dispositions ne font pas obstacle à l'application des dispositions législatives ou réglementaires spéciales en vigueur à la date de publication de la présente loi". Cette disposition est complétée par l'article 72 de la même loi aux termes de laquelle "sera puni des peines prévues à l'article 433-17 du Code pénal (N° Lexbase : L9633IEI) quiconque aura, n'étant par régulièrement inscrit au barreau, exercé une ou plusieurs des activités réservées au ministère des avocats dans les conditions prévues à l'article 4, sous réserve des conventions internationales". A l'opposé, l'exercice d'activité ne relevant de la sphère protégée des avocats ne permet pas de caractériser l'infraction (2).
La formulation de l'article 4 interdit l'accomplissement, même unique, des actes visés (3) : le délit est donc caractérisé dès le premier acte. Les termes de l'article 72 ne formulent pas de liste aussi précise mais sanctionnent l'exercice d'une ou plusieurs activités réservées (4). Il existe donc entre les deux textes une évolution sémantique de l'"acte", isolé et ponctuel, vers l'"activité", plus diffuse et continue.
B - Le défaut de la qualité d'avocat
A défaut de titre d'avocat, l'exercice des "actes" et "activités" visés par les articles 4 et 72 de la loi du 31 décembre 1971 caractérise l'infraction d'exercice illégal de la profession d'avocat. En conséquence, il faut, mais il suffit, que le prévenu ait été dépourvu de la qualité d'avocat au moment où il a accompli les actes litigieux (5), fut-ce par une radiation temporaire.
Tel était bien le cas en l'espèce : l'avocat avait été radié du barreau de Paris sans obtenir une nouvelle inscription auprès d'un autre barreau. C'est donc dépourvu de la qualité d'avocat qu'il s'était présenté devant le conseil de prud'hommes aux côtés de l'une des parties. Pourtant, il n'entendait visiblement pas rester simple spectateur : il ressortait clairement des éléments de la procédure (6) qu'il avait usé de la qualité d'avocat (7) et entendait agir comme tel.
Relevant que le prévenu avait représenté sa cliente et utilisé le titre d"avocat" les juges du fond avaient déclaré le prévenu coupable d'avoir "sans être régulièrement inscrit au barreau, assisté des parties, postulé ou plaidé devant le Conseil de prud'hommes". Cette solution était critiquée par le pourvoi qui arguait que le délit d'exercice illégal de la profession d'avocat suppose qu'une personne qui n'est pas régulièrement inscrite au barreau "exerce habituellement une activité réservée au ministère des avocats". Cette démonstration est rejetée par la Cour de cassation.
II - Le rejet de la condition d'habitude par la Cour de cassation
Alors que la cour d'appel avait caractérisé le délit en invoquant les actes de l'article 4 pour caractériser l'infraction, le pourvoi s'appuyait, quant à lui, sur les termes de l'article 72 auxquels il ajoutait la condition d'habitude pour réfuter la qualification du délit.
Selon une jurisprudence ancienne, la condition d'habitude n'est pas un élément constitutif de l'infraction (8). La règle est reprise en l'espèce rapportée, mais elle n'est formulée qu'après que la cour ait constaté que le prévenu ne présentait aucune des qualités requises par l'article R. 1453-2 du Code du travail (A). Il faut en effet tenir compte des spécificités rédactionnelles des textes dérogatoires à l'article 4 de la loi du 31 décembre 1971 : si la condition d'habitude n'est pas un élément constitutif de l'infraction, il semble néanmoins qu'elle permette d'établir l'élément matériel de l'infraction dans certaines circonstances (B).
A - Le rejet de la condition d'habitude dans les domaines réservés
Selon l'article R. 1453-2 du Code du travail, "les personnes habilitées à assister ou à représenter les parties sont :
1° Les salariés ou les employeurs appartenant à une même branche d'activité ;
2° Les délégués permanents ou non permanents des organisations d'employeurs et de salariés ;
3° Le conjoint, le partenaire lié par un pacte civil de solidarité ;
4° Les avocats ;
L'employeur peut également se faire assister ou représenter par un membre de l'entreprise ou de l'établissement".
Le texte expose donc une liste limitative des personnes susceptibles d'intervenir pour assister ou représenter la partie à l'audience. Différentes catégories "d'habilitation" apparaissent aux côtés des avocats qui ne sont cités qu'en quatrième et dernière position.
Dans l'espèce rapportée, le prévenu aurait pu intervenir sur le fondement de sa qualité d'avocat. Mais il en a été privé par la radiation prononcée par l'ordre des avocats du barreau de Paris. Il ne présentait aucune qualité pour fonder son intervention sur l'une des trois autres hypothèses.
Il en résulte que l'infraction est caractérisée du seul fait que l'individu ait pénétré le périmètre réservé aux avocats. Car c'est bien en cette qualité qu'il s'était présenté et entendait intervenir, comme cela est relevé par les juges du fond et rapporté par la Cour de cassation. C'est la raison pour laquelle l'infraction est caractérisée sans qu'il soit nécessaire d'établir le caractère "habituel" de l'exercice de la profession d'avocat. Le délit est établi par le premier acte d'assistance ou de représentation dès lors que celui-ci relève du domaine protégé des avocats.
B - Le rôle de l'habitude dans la qualification du délit en l'absence de monopole des avocats
La solution de l'espèce rapportée aurait elle été différente si l'audience s'était déroulée devant le tribunal de commerce ? L'article 853 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L0828H4G) dispose que "les parties se défendent elles mêmes. Elles ont la faculté de se faire assister ou représenter par toute personne de leur choix. Le représentant, s'il n'est avocat, doit justifier d'un pouvoir spécial". Il ne s'agit plus de personnes "habilitées", à la différence de l'article R. 1453-2 du Code du travail, et la personne dépourvue du titre d'avocat n'a pas à entrer dans une catégorie définie par le texte. Suffit-il pour autant qu'elle dispose d'un pouvoir spécial pour échapper à la condamnation ?
Dépourvue de la qualité d'avocat, l'individu ne commet pas l'infraction d'exercice illégal de la profession d'avocat : l'article 853, en effet, constitue une hypothèse dérogatoire prévue par le deuxième alinéa de l'article 4 de la loi du 31 décembre 1971. La commission d'un fait unique ne suffit donc pas à caractériser le délit. Qu'en est-il cependant lorsque les interventions sont réalisées à titre habituel ? La jurisprudence parait admettre que la faculté pour une partie de se faire assister ou représenter devant le tribunal de commerce par une personne de son choix ne peut avoir pour effet de déroger au principe suivant lequel seuls les avocats peuvent assurer ces fonctions à titre habituel. En conséquence, dans l'hypothèse où la possibilité d'assister ou représenter une partie est largement ouverte, la condition d'habitude serait restaurée et permettrait de caractériser l'infraction (9). A cet égard, la Cour de cassation a précisé que le caractère habituel de l'exercice de l'activité reprochée au prévenu n'est pas établi par la succession, dans une seule et même procédure, de deux interventions lorsque la deuxième est la suite logique de la première (10).
(1) Cass. crim., 5 février 2013, n° 12-81.155, FS-P+B (N° Lexbase : A6410I7K).
(2) TGI Paris, 30ème ch., 13 mars 2014, n° 13248000496 (N° Lexbase : A9855MHH), JCP éd. G., 2014, 578, note Bléry et Teboul.
(3) Cass. crim., 21 février 2006, n° 05-84.899, FS-D (N° Lexbase : A7743NAZ).
(4) Cass. crim., 23 janvier 2001, n° 00-83.192 (N° Lexbase : A9294CYU) ; Cass. crim., 18 janvier 2000, n° 98-88.210 (N° Lexbase : A2311CWI).
(5) V. par. ex. Cass. crim., 9 mars 1999, n° 98-84.283 (N° Lexbase : A2006CQD) ; Cass. crim., 13 mars 1996, n° 95-80.223 (N° Lexbase : A4545CS7) ; Cass. crim., 9 juin 1993, n° 92-85.563 (N° Lexbase : A3162CQ8) ; Cass. crim., 18 décembre 1978, n° 76-90.006 (N° Lexbase : A0744CIE).
(6) V. déjà Cass. crim., 5 février 2013, préc., sur la mention de l'assistance en qualité d'avocat dans une ordonnance de référé.
(7) V. également Cass. crim., 18 décembre 1996, n° 96-81.178 (N° Lexbase : A7278CWH).
(8) Cass. crim., 18 décembre 1978, n° 76-90.006 (N° Lexbase : A0744CIE).
(9) Cass. crim., 1er février 2000, n° 99-83.372 (N° Lexbase : A6334CEC).
(10) Cass. crim., 21 octobre 2008, n° 08-82.436, F-PF (N° Lexbase : A1728EBM).
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Réf. : CE 1° et 6° s-s-r., 26 janvier 2015, n° 368847, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A6901NAT)
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N5859BUK
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Le 17 Mars 2015
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Réf. : Projet de loi relatif à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures
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N5769BU9
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Le 17 Mars 2015
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Réf. : Cass. soc., 27 janvier 2015, n° 13-22.179, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A3401NA9)
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N5806BUL
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par Christophe Radé, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale
Le 17 Mars 2015
Résumé
Les différences de traitement entre catégories professionnelles opérées par voie de conventions ou d'accords collectifs, négociés et signés par des organisations syndicales représentatives, investies de la défense des droits et intérêts des salariés et à l'habilitation desquelles ces derniers participent directement par leur vote, sont présumées justifiées de sorte qu'il appartient à celui qui les conteste de démontrer qu'elles sont étrangères à toute considération de nature professionnelle. |
I - Un double revirement concernant la légitimité des différences conventionnelles de traitement entre cadres et non-cadres
Le revirement probatoire. Suivant en cela les solutions qui prévalent en matière de discriminations, la jurisprudence avait favorisé, ces dernières années, les actions des salariés se plaignant de différences de traitement introduites par les partenaires sociaux entre cadres et non-cadres. Le salarié qui s'estimait victime d'une différence injuste de traitement devait simplement rapporter l'existence d'éléments de fait laissant supposer qu'il en était ainsi, à charge pour l'employeur de prouver, soit que le salarié n'était pas dans la même situation que celui ou ceux avec lequel ou lesquels il se comparait, soit qu'en dépit de l'identité des situations, l'accord avait une raison valable de distinguer en raison de l'appartenance à telle ou telle catégorie professionnelle (2).
L'application de cette méthode de raisonnement avait été critiquée dans la mesure où elle avait été imposée par le droit communautaire pour favoriser les victimes de discriminations, qui sont des différences de traitement particulièrement graves justifiant pleinement cet avantage probatoire conféré à la victime, mais non pour les simples atteintes au principe d'égalité de traitement, étrangères à toute idée de discrimination, et dont le spectre est beaucoup plus large.
L'affaire SYNTEC. Cette nouvelle affaire concernant six dispositions de la convention de la branche SYNTEC, relatives au préavis de rupture du contrat de travail (article 15), au montant de l'indemnité de licenciement (article 19), au paiement du travail de nuit, du dimanche et des jours fériés (article 37), à l'incapacité temporaire de travail (article 43), aux moyens de transport (article 59) et aux voyages et transports, étant précisé que, sauf pour ce qui concerne le travail de nuits, des dimanches et jours fériés, les autres dispositions réservaient aux cadres et ingénieurs des avantages plus importants qu'aux ETAM. Tout en cherchant à s'inscrire dans le cadre méthodologique défini par la Cour de cassation, le tribunal de grande instance de Paris avait relevé que "les partenaires sociaux sont libres d'envisager différemment la situation des IC et des ETAM en prévoyant notamment des avantages différents pour les uns et pour les autres, l'opportunité d'instaurer de telles différences relevant de leurs prérogatives" (3). La cour d'appel de Paris l'avait suivi sur cette voie (4), et la question était donc clairement posée à la Haute juridiction de l'intensité de son contrôle face à une norme conventionnelle négociée et conclue par des acteurs légitimes et investis par le législateur du pouvoir de déterminer les règles applicables aux relations professionnelles.
Ce revirement est donc d'autant plus spectaculaire que, dans cette affaire, le tribunal de grande instance de Paris (5) avait pris soin de s'inscrire dans le cadre méthodologique imposé depuis les arrêts du 8 juin 2011, tout comme après lui la cour d'appel de Paris qui avait retenu les mêmes arguments, ce qui aurait, nous semble-t-il, permis à la Cour de cassation de rejeter les pourvois sans être tenue de revirer sa jurisprudence ; le changement de critère n'en est donc à ce titre que plus fort de signification sur les intentions de la Haute juridiction.
Le revirement. C'est donc sur ce premier point qu'intervient le revirement. Non seulement la Haute juridiction abandonne le recours à ce qui s'apparentait à une présomption de non-justification, mais elle affirme même l'existence d'une présomption exactement inverse en faveur des distinctions opérées par l'accord collectif, dont la légitimité devra désormais être présumée, à charge, pour le salarié demandeur, de rapporter la preuve contraire.
Le renversement de cette présomption, qui passe, en quelque sorte, d'un bord à l'autre, est justifié, selon la Cour de cassation, par trois éléments qui se rattachent d'ailleurs à deux principes constitutionnels : les accords sont signés par des "organisations syndicales représentatives" "investies de la défense des droits et intérêts des salariés", ce qui constitue une modalité d'exercice du droit syndical voulue par le législateur lui-même, et ces organisations tirent leur légitimité du principe constitutionnel de participation, dont s'est inspirée la loi n° 2008-789 du 20 août 2008 (N° Lexbase : L7392IAZ) réformant la démocratie sociale, puisque la Cour précise que les salariés "participent directement par leur vote [...] à l'habilitation desquelles ces derniers participent directement par leur vote".
Le retour déguisé au droit commun de la preuve. Sur le fond, nous partageons pleinement l'analyse de la Cour, même si l'affirmation de la "présomption de légitimité" s'attachant désormais aux différences catégorielles conventionnelles, nous semble, avant tout, relever du symbole. Il suffisait, en effet, pour justifier la nouvelle solution, de s'en tenir au droit commun de la preuve, en indiquant que c'est à celui qui conteste la justification des différences de traitement qu'il appartient de prouver que cette justification est illégitime, ce qui conduit nécessairement à admettre que cette légitimité doit être considérée comme établie tant que la preuve contraire n'est pas apportée. Il s'agit donc, ni plus ni moins, que d'une application mécanique de la présomption favorable dont bénéficie tout défendeur au procès (présomption d'innocence, de bonne foi), et non de l'existence d'une quelconque règle spéciale qui voudrait que les accords collectifs bénéficient d'un quelconque traitement de faveur probatoire en raison de leur légitimité présumée.
En revanche, il est tout à fait exact de rappeler que ce retour au droit commun est d'autant plus nécessaire que la solution antérieure aboutissait à faire peser sur les accords une présomption de non-légitimité des différences de traitement, et ce, alors même que ces accords sont effectivement le fruit de la négociation collective et, en quelque sorte, les produits de la démocratie sociale, et qu'ils doivent donc, à ce titre, être présumés légitimes.
Les réformes des représentativités, syndicales et patronales, intervenues en 2008 et 2014, n'y sont évidemment pas étrangères, comme le souligne explicitement la Cour de cassation dans son arrêt. L'affirmation, toute symbolique, de la présomption de légitimité revêt donc une portée essentiellement symbolique, même si elle devrait conduire les juges à n'admettre la preuve contraire que lorsque celle-ci relève de l'évidence.
Le revirement substantiel. Cette inversion de la règle probatoire s'accompagne, dans cet arrêt, d'un changement spectaculaire du critère de justification, ce qui renforce, bien entendu, la portée du revirement.
Depuis les arrêts du 8 juin 2011 qui étaient eux-mêmes venus préciser les critères posés en 2009 dans le fameux arrêt "Pain" (6), la Chambre sociale de la Cour de cassation affirmait que "si la seule différence de catégorie professionnelle ne saurait en elle-même justifier, pour l'attribution d'un avantage, une différence de traitement, résultant d'un accord collectif, entre les salariés placés dans une situation identique au regard dudit avantage, cette différence devant reposer sur des raisons objectives dont le juge doit contrôler concrètement la réalité et la pertinence, repose sur une raison objective et pertinente la stipulation d'un accord collectif qui fonde une différence de traitement sur une différence de catégorie professionnelle, dès lors que cette différence de traitement a pour objet ou pour but de prendre en compte les spécificités de la situation des salariés relevant d'une catégorie déterminée, tenant notamment aux conditions d'exercice des fonctions, à l'évolution de carrière ou aux modalités de rémunération" (7).
Le moins que l'on puisse dire est que cette méthodologie n'avait pas convaincu tous ceux qui avaient, d'une manière ou d'autre, regretté l'évolution de la jurisprudence sur ce sujet, singulièrement en matière de conventions collectives où les juges étaient invités à vérifier, de manière minutieuse, la légitimité des différences de traitement introduites par les partenaires sociaux, sans pouvoir, toutefois, être autorisés à entrer dans les logiques de donnant-donnant, entre représentants des différentes catégories professionnelles, ni de l'équilibre général des accords signés (8), ce qui semblait bien déconnecté des réalités de la négociation collective où les tractations, et les compromis, semblent inhérents à l'exercice même. Comme l'indique très clairement le communiqué de presse qui accompagne la publication de la décision sur le site internet de la Cour de cassation, "dans le domaine du droit négocié, l'expérience a montré que cette exigence de justification se heurtait à des difficultés tenant notamment au fait qu'elle pesait le plus souvent sur un employeur pris individuellement alors qu'était en cause une convention ou un accord conclus au plan national".
Par ailleurs, la Haute juridiction a été visiblement sensible au paradoxe soulevé concernant le sort (très strict) réservé par la Cour de cassation aux partenaires sociaux, et celui (très favorable) réservé, par comparaison, au Parlement par le Conseil constitutionnel, lorsqu'il contrôle le respect du principe d'égalité devant la loi, et nous avions personnellement appelé au rapprochement des contrôles sur la base du mode allégé, pratiqué par le Conseil constitutionnel (9). C'est désormais chose faite : "les négociateurs sociaux, agissant par délégation de la loi, devaient disposer dans la mise en oeuvre du principe d'égalité de traitement d'une marge d'appréciation comparable à celle que le Conseil constitutionnel reconnaît au législateur". (10)
C'est donc, désormais, à un contrôle à la fois allégé et simplifié que devront se livrer les juges du fond lorsqu'ils seront saisis d'actions menées individuellement par des salariés qui voudraient bien bénéficier des avantages réservés à une catégorie professionnelle à laquelle ils n'appartiennent pas. Les juges devront vérifier si, comme le prétend le demandeur, les différences catégorielles sont, ou non, "étrangères à toute considération de nature professionnelle".
Le changement est d'importance et le juge n'aura plus à se livrer à une étude comparative des fonctions, des évolutions de carrière ou des modalités de rémunération ; il suffira désormais que les différences de traitement soient fondées -on ne saurait même plus dire "justifiées"- par des "considérations" professionnelles, pour qu'elles passent ce très léger contrôle de légalité qui n'exclura plus, en réalité, que le très hypothétique détournement de pouvoirs. Les partenaires sociaux disposeront donc d'une très grande marge de manoeuvre, à la fois dans le choix des motifs qui les conduisent à opérer des différences catégorielles, dès lors que ces motifs sont "professionnels" (11), mais aussi pour déterminer la mesure de ces différences, le juge n'étant pas (plus) invité à opérer, ici, un quelconque contrôle de proportionnalité.
II - Un revirement à la portée limitée
Limites internes. Il ne s'agit pas ici de nier la très grande portée, tant théorique que pratique, de la décision, et le revirement est incontestablement d'ampleur, même si sa portée concrète semble circonscrite.
On observera, en premier lieu, que ce revirement avait été précédé d'un certain nombre de décisions qui montraient que la doctrine de la Cour de cassation, concernant les différences conventionnelles de traitement entre cadres et non-cadres, avait commencé à évoluer ; d'assez nombreuses justifications avaient, en effet, été admises concernant, par exemple, le bénéfice d'indemnités de rupture majorées au bénéfice de cadres dirigeants, pour tenir compte de la plus grande précarité de leur situation au sein de l'entreprise, de leur niveau de responsabilités et du risque plus élevé de perdre leur emploi (12). On sait également que la Cour de cassation avait, en matière d'accords de protection sociale, franchi un cap important en considérant que les comparaisons entre salariés ne pouvaient plus se faire qu'au sein d'une même catégorie professionnelle, les cadres et les non-cadres n'étant pas traités historiquement de la même manière dans les régimes de retraite (13).
Incertitudes concernant la portée de la décision. En second lieu, le domaine de cette nouvelle jurisprudence est cantonné aux différences résultant d'accords et de conventions collectives, et ne concernera donc ni les usages, ni les engagements unilatéraux de l'employeur.
Une interrogation concerne le sort des plans de sauvegarde de l'emploi, dont on sait qu'ils ont été soumis au principe d'égalité de traitement (14). Lorsqu'ils auront adoptés à l'issue d'un accord majoritaire validé par l'autorité administrative, il semble plus que vraisemblable qu'ils devraient bénéficier du même traitement de faveur, dans la mesure où ils sont auréolés d'une légitimité renforcée et qu'ils ont été validés par l'autorité administrative (15). Mais lorsqu'ils auront été arrêtés unilatéralement par l'employeur, après information et consultation du comité d'entreprise et, le cas échéant, du CHSCT, puis homologués par l'autorité administrative, leur légitimité sera moindre puisqu'ils n'auront pas, en tout ou partie, fait l'objet d'un accord, ce qui pourrait justifier le maintien d'un contrôle normal du juge judiciaire sur la légitimité des différences. Mais ici, peut-être, pourrait-on considérer que le processus d'information-consultation, combiné à une homologation administrative qui s'étend au caractère suffisant des moyens mobilisés pour le plan, devrait logiquement s'étendre aussi au respect de l'égalité de traitement ; il sera d'ailleurs intéressant de connaître la position du Conseil d'Etat, lorsqu'il aura à connaître de recours dirigés contre les décisions de validation ou d'homologation, et singulièrement de l'intensité du contrôle qu'il envisagera alors de mettre en oeuvre.
Il convient également de s'interroger sur l'application de la solution à toutes les catégories professionnelles, au-delà des cadres, à la lecture du communiqué qui accompagne la publication de l'arrêt sur internet et dont on peut penser que chaque terme a été sous-pesé par son auteur (16). Une réserve, qui ne figure pas dans la décision elle-même, a, en effet, été "ajoutée", et le communiqué indique que la nouvelle solution vaudra "à tout le moins entre les catégories qui ont un support légal et entre lesquelles le législateur lui-même opère des différences", ce qui semble de nature à restreindre la portée de la décision (17). Si, bien entendu, les cadres sont principalement visés par cette décision, on peut s'interroger sur le sort réservé aux journalistes, aux itinérants non-cadres, aux ingénieurs, ces catégories professionnelles étant, d'une manière ou d'une autre, consacrées par le Code du travail, mais pour des raisons précises, tenant d'ailleurs souvent au droit électoral.
La raison d'être de cette hésitation sur la portée est relativement simple à justifier. La modestie du contrôle désormais imposé au juge tient au fait que la catégorie des cadres, en cause dans cette affaire, bénéficie d'un traitement de faveur par la volonté même du législateur, ce qui explique, d'ailleurs, l'alignement du contrôle exercé par le juge judiciaire sur celui du juge constitutionnel. Cette structuration du droit des relations professionnelles, autour de cette distinction entres cadres et non-cadres, s'impose donc, dans une certaine mesure, aux partenaires sociaux eux-mêmes et aux entreprises qui appliquent les accords négociés au niveau des branches, ou des professions ; comment, dans ces conditions, reprocher à un employeur en particulier une différence de traitement qui le dépasse historiquement, et juridiquement ? (18)
Le juge ne vérifiera donc le respect du principe d'égalité de traitement que lorsque la différence de traitement aura été introduite par les partenaires sociaux ou l'employeur dans l'exercice de leur pouvoir normatif. Voilà aussi pourquoi il paraissait légitime d'écarter l'application du principe d'égalité de traitement en matière de régimes de retraite cadres/non-cadres, puisque, comme l'avait relevé la Cour de cassation en 2013, les différences résultent de choix hérités de l'histoire qui s'imposent tant à l'employeur qu'aux partenaires sociaux eux-mêmes (19). On comprend alors mieux pourquoi la Cour de cassation pourrait être tentée de restreindre cette nouvelle jurisprudence aux seules différences de traitement entre des catégories légalement consacrées, sans nécessairement s'étendre à des catégories purement conventionnelles qui n'auraient pas la même légitimité légale.
Limites externes. La solution retenue dans cet arrêt concerne l'application du principe d'égalité de traitement et ne saurait remettre en cause les solutions qui prévalent en matière de discriminations. Ces règles ont, en effet, une assise communautaire et légale et sont soumises à un régime dérogatoire qu'il n'est pas dans le pouvoir de la Cour de cassation d'écarter. Dès lors qu'un salarié prétendra bénéficier d'un avantage qui lui est refusé par un accord pour un motif qu'il estime discriminatoire, alors non seulement cet avantage devra, pour cette seule raison, lui être accordé s'il remplit les autres conditions pour en bénéficier, mais il devra bénéficier du régime de la preuve prévu par l'article L. 1134-1 du Code du travail (N° Lexbase : L6054IAH).
Quid du principe "A travail égal, salaire égal" ? Reste à déterminer si cette nouvelle jurisprudence trouvera également à s'appliquer lorsque le salarié invoque la violation du principe "à travail égal, salaire égal".
La réponse nous semble devoir être positive lorsque le salarié met en cause une inégalité de rémunération résultant d'un accord collectif, car ici, la parenté avec le principe d'égalité de traitement est très forte (20). Il conviendra, toutefois, de réserver un sort particulier aux demandes concernant des inégalités femmes-hommes car il s'agit alors de discriminations sexistes qui doivent bénéficier des aménagements légaux favorables aux victimes.
En revanche, lorsqu'un salarié se plaint, non pas d'être mal traité par un texte, mais de se trouver mal traité, de fait, parce qu'il ne bénéficie pas d'avantages accordés à d'autres pour d'autres raisons, soit que son contrat de travail ne le prévoit pas, soit qu'il relève d'un établissement dans lequel aucun avantage comparable n'existe, soit toute simplement que l'employeur n'a pas voulu lui accorder un avantage (salaire d'embauche, promotion, progression de carrière, prime exceptionnelle, etc.), alors il nous semble que la méthodologie nouvelle ne trouvera pas à s'appliquer, notamment parce qu'aucune présomption de légitimité ne trouvera à s'appliquer pour justifier, a priori, les avantages réservés à certains. Les solutions admises antérieurement continueront alors logiquement à s'appliquer (21).
Décision
Cass. soc., 27 janvier 2015, n° 13-22.179, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A3401NA9) Rejet (CA Paris, Pôle 6, 2ème ch., 30 mai 2013, n° 11/23195 N° Lexbase : A3319KEN). Textes concernés : Principe d'égalité de traitement. Mots clef : égalité de traitement ; cadres ; différences de traitement ; office du juge. Lien base : (N° Lexbase : E2592ET8). |
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newsid:445806
Réf. : Cass. soc., 27 janvier 2015, trois arrêts, n° 13-22.179, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A3401NA9) ; n° 13-25.437, FS-P+B (N° Lexbase : A6934NA3) et n° 13-14.773, FS-P+B (N° Lexbase : A7024NAE)
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N5757BUR
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Le 17 Mars 2015
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Réf. : Cass. soc., 27 janvier 2015, n° 13-22.509, FS-P+B (N° Lexbase : A7186NAE)
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N5868BUU
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Le 17 Mars 2015
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Réf. : CE 2° et 7° s-s-r., 30 janvier 2015, n° 384545, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A6931NAX)
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N5827BUD
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Le 17 Mars 2015
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Réf. : Cass. com., 27 janvier 2015 n° 13-18.656, F-P+B (N° Lexbase : A7048NAB)
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N5849BU8
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Le 17 Mars 2015
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Réf. : CE 9° et 10° s-s-r., 23 janvier 2015, n° 362580, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A9877M9P)
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N5790BUY
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Le 17 Mars 2015
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Réf. : CE 3° et 8° s-s-r., 19 novembre 2014, n° 370564, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A9466M3Y)
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N5800BUD
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par Christian Louit, Professeur agrégé des Facultés de droit et Avocat
Le 17 Mars 2015
Dans sa décision n° 2012-661 DC, du 29 décembre 2012, le Conseil constitutionnel censurait ce dispositif au motif notamment que "le critère de la durée séparant la donation de la cession à titre onéreux des valeurs mobilières est à lui seul insuffisant pour présumer de façon irréfragable que la succession de ces deux opérations est intervenue à seule fin d'éluder le paiement de l'imposition des plus-values".
Il restait dans ces conditions à essayer, pour les services fiscaux, de démontrer, lorsque cela n'était pas évident, qu'en réalité, la cession était intervenue avant la donation. C'est ce que règle l'arrêt n° 370564 rendu le 19 novembre 2014 par le Conseil d'Etat, arrêt qui complète heureusement la jurisprudence antérieure.
I - Une jurisprudence désormais classique en matière de donation-cession : la non applicabilité de principe de la théorie de l'abus de droit
L'administration fiscale a, à différentes reprises, remis en cause comme constitutive d'un abus de droit une donation-cession (la donation comme la cession étant des opérations bien entendu réelles).
En effet, ainsi que le rappelle le Conseil d'Etat dans son arrêt du 9 avril 2014 (CE 9° et 10° s-s-r., 9 avril 2014, n° 353822, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A1044MKU) : "L'administration est fondée à écarter comme ne lui étant pas opposables certains actes passés par le contribuable, dès lors que ces actes ont un caractère fictif ou que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes à l'encontre des objectifs poursuivis par les auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales" (1).
Mais, ni dans l'arrêt du 9 avril 2014, ni dans celui du 30 décembre 2011 (CE 8° et 3° s-s-r., 30 décembre 2011, n° 330940, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A8311H8C), le Conseil d'Etat n'a accepté l'application de l'abus de droit aux donations-cessions en cause. La donation-cession ne peut avoir un objet exclusivement fiscal car "elle se compose d'un maillon, la donation, qui produit l'essentiel de ses effets sur le terrain civil et non pas fiscal". Ces deux arrêts mettent "par principe toute stratégie de donation-cession à l'abri du grief d'abus de droit par fraude à la loi" (2).
Aux termes de l'article 894 du Code civil (N° Lexbase : L0035HPY) : "La donation, dès lors qu'elle est réelle, voit le donateur se dépouiller actuellement et irrévocablement de la chose donnée en faveur du donataire, qui l'accepte". Elle ne peut donc être analysée comme n'ayant d'autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer l'impôt.
Différentes réserves ou atténuations apportées aux droits du donataire ne remettent a priori pas en cause, selon le juge, cette jurisprudence : par exemple l'interdiction d'aliéner et de nantir les titres (ou autres biens) pendant la vie des donateurs, l'usufruit conservé par ceux-ci, etc., et ceci contrairement à l'analyse faite par les services.
Restait dès lors aux services fiscaux à tenter de remettre en cause la date de la cession. C'est l'objet de l'arrêt du 19 novembre 2014.
II - Une jurisprudence prudente : l'inversion chronologique cession-donation
La donation est nécessairement préalable à la mutation à titre onéreux, cette dernière ne devant pas avoir été engagée lorsque la donation est consentie (avis du Comité de l'abus de droit fiscal, affaire n° 2013-45). Dans l'espèce tranchée le 19 novembre 2014 par le Conseil d'Etat, la donation est consentie par un couple au profit de leurs enfants, et enregistrée, le 17 octobre 2001. La cession réalisée avait, le lendemain, 18 octobre, été portée au registre des mouvements de titres de la société cédée.
Mais l'administration, au vu de certains éléments antérieurs aux opérations (cautionnement fourni par la société mère de l'acheteur, prêt obtenu correspondant au nombre et à la valeur des titres acquis), tentait de démontrer que la cession était intervenue avant la donation. Cela signifiait, en effet, pour elle, que les parties s'étaient engagées sur le nombre d'actions et sur leur prix avant le 17 octobre, date de la donation enregistrée.
La cession, qui n'avait d'ailleurs pas donné lieu à enregistrement, était parfaite dès lors qu'un accord sur la chose et le prix était intervenu (C. civ., art. 1583 N° Lexbase : L1669ABG) ; et la plus-value de cession était donc calculée en conséquence.
Sans remettre en cause le principe civiliste de l'article 1583, ce à quoi il faudra à l'avenir prendre garde, le Conseil d'Etat a cependant jugé qu'en l'espèce, cet accord sur la chose et le prix ne pouvait résulter d'un simple faisceau d'indices.
Deux remarques peuvent être faites pour conclure :
- dans le cas d'une promesse de vente comportant une condition suspensive, c'est à la date de réalisation de cette condition qu'il faut se placer pour déterminer le fait générateur d'imposition de la plus-value (CE 8° et 3° s-s-r., 28 mai 2014, n° 359911 N° Lexbase : A6339MPH) ;
- depuis l'entrée en vigueur de l'ordonnance 2004-604 du 24 juin 2004 (N° Lexbase : L5052DZ7), la jurisprudence du 19 novembre 2014 n'a plus d'intérêt pour les cessions d'actions non cotées. L'ordonnance étend, en effet, à ces dernières, la règle applicable aux actions cotées, selon laquelle le transfert de propriété résulte de l'inscription des valeurs mobilières au compte de l'acheteur.
L'accord sur la chose et le prix, auquel il convient de prendre garde, ne conserve d'intérêt que pour l'éventuelle détermination de la date de transfert de parts sociales. La jurisprudence développée est pour le moment plutôt favorable au contribuable.
(1) Ce qui correspond approximativement à la rédaction de l'article L. 64 du LPF telle qu'elle résulte d'une loi du 30 décembre 2008, article 35, I et IX (loi n° 2008-1443 du 30 décembre 2008, de finances rectificative pour 2008 N° Lexbase : L3784IC7).
(2) R. Mortier, La donation avant cession in extenso, Dr. Fiscal, n° 39, 25 septembre 2014, comm. 540.
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Réf. : Directive (UE) 2015/121 du Conseil, 27 janvier 2015, modifiant la Directive 2011/96/UE concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et aux filiales d'Etats membres différents (N° Lexbase : L6405I7D)
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N5793BU4
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Le 17 Mars 2015
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N5854BUD
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par Manuel Carius, Maître de conférences à l'Université de Poitiers et Avocat à la cour
Le 17 Mars 2015
Dans une précédente chronique de droit de la fonction publique, l'attention du lecteur avait été attirée sur un arrêt du Conseil d'Etat en date du 1er octobre 2014 (1), dont l'intérêt était de préciser les règles de preuve applicables à une demande d'annulation d'un refus d'accorder la protection fonctionnelle (loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, portant droits et obligations des fonctionnaires, art. 11 N° Lexbase : L6938AG3) à la suite de faits considérés par l'agent public comme relevant du harcèlement moral. Le fichage de cette décision portait essentiellement sur le contrôle exercé par le juge de cassation sur l'appréciation portée par les juges du fond sur les éléments produits par l'agent à l'appui de l'administration de la preuve du harcèlement moral lui-même. Néanmoins, nous avions pu avancer que cette décision marquait un rapprochement entre le contentieux indemnitaire visant à réparer les conséquences du harcèlement moral et celui tendant à contester une décision de refus de la protection fonctionnelle pour des faits de harcèlement. En effet, nous avions estimé que le régime spécifique de preuve du harcèlement moral, qui repose sur une présomption (2), se trouvait étendu à l'examen des refus d'accorder la protection fonctionnelle à l'agent se prétendant victime de harcèlement. L'arrêt du 23 décembre 2014 vient consacrer cette évolution.
Dans cette affaire, un enseignant-chercheur avait saisi la juridiction administrative afin d'être indemnisé des différents préjudices qu'il estimait avoir subis en raison du harcèlement moral dont il aurait été victime de la part de la direction de cette école. Sa demande a été rejetée en première instance comme en appel. C'est dans ces conditions que le Conseil d'Etat a été saisi d'un pourvoi. Après avoir rappelé les termes de l'article 6 quinquiés du titre I du statut général des fonctionnaires ("aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel"), le Conseil d'Etat considère que le harcèlement moral ne peut résulter de simples difficultés de communication entre le directeur et l'intéressé, qui ne se sont pas traduites par une dégradation de ses conditions de travail. Sur le fond, l'arrêt n'est pas novateur car l'on sait que la jurisprudence refuse de qualifier de harcèlement moral des faits qui n'excèdent pas les limites de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique (3). En revanche, s'agissant des règles qui gouvernent la charge de la preuve, le fichage de la décision fait clairement apparaître que le Conseil d'Etat a entendu soumettre la contestation des refus de protection fonctionnelle à la jurisprudence issue de la décision "Mme Montaut" du 11 juillet 2011 (4). On rappellera que le considérant de principe de cet arrêt expose "qu'il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement ; qu'il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement ; que la conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile". Désormais, comme le laissait présager la décision rendue le 1er octobre 2014, ce système de preuve prévaut également lorsque l'agent entend contester le refus opposé par l'administration dont il relève à une demande de protection fonctionnelle fondée sur de tels faits de harcèlement. Le Conseil d'Etat rejette le pourvoi, après avoir constaté que l'arrêt d'appel n'avait pas commis d'erreur de droit quant à la charge de la preuve et qu'il avait pu, sans dénaturation, considérer comme insuffisants les faits susceptibles de faire présumer le harcèlement.
Dans la fonction publique territoriale, les articles 36 et 37 du décret n° 2003-1306 du 23 décembre 2003, relatif au régime de retraite des fonctionnaires affiliés à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (N° Lexbase : L0974G8L), ouvre droit au bénéfice d'un complément de retraite, la rente viagère d'invalidité, au profit des fonctionnaires qui ont été mis dans l'impossibilité permanente de continuer leurs fonctions en raison d'infirmités résultant de blessures ou de maladies contractées ou aggravées, soit en service, soit en accomplissant un acte de dévouement dans un intérêt public, soit en exposant leurs jours pour sauver la vie d'une ou plusieurs personnes.
Un agent communal, affecté au sein d'une école primaire, a fait l'objet de brimades répétées dont le (ou les) auteur(s) n'ont jamais pu être identifiés, caractérisés, en particulier par des dégradations systématiquement commises dans les salles de classe après son passage pour les nettoyer. A la suite de ces agissements, et alors qu'elle n'avait manifesté jusque là aucun trouble d'ordre psychique ou comportemental, elle a été placée en congé de maladie en raison d'un état anxio-dépressif important et n'a, jusqu'à la délivrance de son brevet de pension, plus jamais réoccupé son emploi. Elle a sollicité le versement de la rente viagère d'invalidité auprès de la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL). Cette dernière le lui a refusé, notamment après qu'un un rapport d'expertise psychiatrique ait indiqué que le décalage entre la gravité de l'état dépressif présenté par l'intéressée et les difficultés qu'elle avait rencontrées dans son milieu professionnel témoignait de l'existence d'une "faille psychique" qui, jusqu'alors, ne s'était pas manifestée, tout en relevant que son état psychologique constitue une conséquence des agissements dont elle a été victime.
Saisi du refus de la CNRACL, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté la requête, au motif que le lien entre les faits survenus en service et l'impossibilité pour la requérante de continuer ses fonctions n'était pas à la fois direct et exclusif. Saisi d'un pourvoi contre ce jugement, le Conseil d'Etat le censure, pour erreur de droit. Les juges du fond ont, en effet, imposé à la requérante une condition d'exclusivité du lien de causalité qui n'est pas prescrite par les textes. Un lien de causalité direct et certain suffit pour obtenir le bénéfice de la rente viagère d'invalidité (5).
La décision du 19 janvier 2015 s'inscrit dans un mouvement plus large qui se refuse à exiger un lien de causalité exclusive dans la détermination de l'imputabilité au service des pathologies qui éloignent les agents du service. Ainsi, un arrêt du 23 octobre 2013 (6) a précisé que, lorsqu'un fonctionnaire territorial est mis à la retraite à raison d'une incapacité évaluée par un taux global d'invalidité résultant, d'une part, de blessures ou maladies contractées ou aggravées en service, et, d'autre part, de blessures ou maladies non imputables au service, le droit de cet agent à bénéficier de la rente viagère d'invalidité prévue par les dispositions de l'article 37 du décret du 26 décembre 2003 est subordonné à la condition que les blessures ou maladies contractées ou aggravées en service aient été de nature à entraîner, à elles seules ou non, la mise à la retraite de l'intéressé. De même, pour l'application des règles applicables aux congés de maladie, la condition d'exclusivité n'est pas requise (7). L'arrêt du 19 janvier 2015 rappelle, pour les fonctionnaires territoriaux, une règle qui prévaut déjà dans la fonction publique de l'Etat (8).
Ayant décidé d'évoquer et de statuer sur le fond, le Conseil d'Etat estime que le trouble anxio-dépressif qui a conduit l'agent à cesser définitivement le travail est la conséquence directe des faits survenus dans le service. Pour cela, l'arrêt prend cependant soin de faire référence à la gravité et au caractère exceptionnel des faits survenus dans l'exécution de son service ainsi qu'à l'absence de toute manifestation antérieure de la maladie dont souffre l'agent. Il ressort de cette rédaction qu'en présence d'une pluralité de causes, celle liée au service devra être importante, voire prépondérante, à défaut d'être exclusive.
La gestion des pathologies qui s'opposent au maintien des agents dans leur emploi constitue l'un des enjeux majeurs de la fonction publique. Outre l'obligation de pourvoir au reclassement des personnels définitivement devenus inaptes à l'exercice de leurs fonctions (9), la jurisprudence a rappelé "l'obligation qui incombe aux collectivités publiques de garantir leurs agents contre les risques qu'ils peuvent courir dans l'exercice de leurs fonctions" (10). De manière plus générale encore, l'article 23 du titre I du statut général de la fonction publique expose que "des conditions d'hygiène et de sécurité de nature à préserver leur santé et leur intégrité physique sont assurées aux fonctionnaires durant leur travail". Afin d'assurer le respect de ces principes, le pouvoir réglementaire a établi, dans certains corps, tel le ministère de l'Education nationale, des règles spécifiques. Le décret n° 2007-632 du 27 avril 2007, relatif à l'adaptation du poste de travail de certains personnels enseignants, d'éducation et d'orientation (N° Lexbase : L3727HXC), organise les modalités d'aménagement de poste ou d'affectation sur un poste adapté pour les enseignants du premier et second degrés de l'enseignement public, ainsi que les personnels d'éducation et d'orientation (11). Ces agents pourront solliciter le bénéfice de ce texte à chaque fois qu'ils seront confrontés à une altération de leur état de santé ayant des conséquences sur l'exercice de leurs fonctions.
La mise en oeuvre de ce texte suscite du contentieux. Dans un arrêt du 28 décembre 2012 (12), le Conseil d'Etat s'est prononcé sur les critères suivants lesquels l'administration doit examiner la demande d'affectation adaptée présentée par un agent. Après avoir rappelé que, selon l'article 8 du décret du 27 avril 2007 précité, ce dispositif à pour objectif de permettre à l'agent de recouvrer, au besoin par l'exercice d'une activité professionnelle différente, la capacité d'assurer la plénitude de ses fonctions ou de préparer une réorientation professionnelle, le juge a estimé que ces dispositions font seulement obligation à l'administration d'examiner la demande de l'agent, en tenant compte de son état de santé et du projet professionnel qu'il présente, et de rechercher si un poste adapté permettant à cet agent d'exercer à nouveau ses fonctions ou de préparer sa réorientation professionnelle peut lui être proposé. L'agent ne dispose donc pas d'un droit à être affecté sur un poste adapté qui se trouverait vacant. De plus, l'inaptitude définitive aux fonctions d'enseignant n'exclut pas l'agent du dispositif, dans la mesure où il conserve la possibilité d'occuper d'autres fonctions tout en demeurant au sein du même corps (13). Dans l'hypothèse d'un aménagement de poste, la latitude laissée à l'administration est moindre dès lors que l'article 63 du titre II du statut général des fonctionnaires (loi n° 84-16 du 11 janvier 1984, portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat N° Lexbase : L7077AG9) dispose que, "lorsque les fonctionnaires sont reconnus, par suite d'altération de leur état physique, inaptes à l'exercice de leurs fonctions, le poste de travail auquel ils sont affectés est adapté à leur état physique".
L'arrêt du 21 janvier 2015 vient, pour la première fois, à notre connaissance trancher un litige relatif au renouvellement de l'affectation d'un agent sur un poste adapté. Le décret de 2007 précise que cette affectation (dans tout service ou établissement relevant du ministre chargé de l'Education nationale ou du ministre chargé de l'Enseignement supérieur), qui sera la conséquence d'une demande expresse de l'agent, peut être de courte ou de longue durée en fonction de l'état de santé de l'agent. L'affectation de courte durée est prononcée pour une durée d'un an, renouvelable pour une durée égale, dans la limite maximale de trois ans. L'affectation de longue durée est prononcée pour une durée de quatre ans renouvelable. La demande d'affectation sur un poste adapté s'accompagne toujours, on l'a vu, de la présentation par le fonctionnaire, avec le concours des services académiques, d'un projet professionnel. Dans l'arrêt rapporté, une enseignante de lettres classiques contestait la décision du recteur de ne pas avoir procéder au renouvellement de son affectation sur un poste adapté au sein du CNRS, accordée pour une durée d'un an. Le Conseil d'Etat indique qu'il "appartient à l'autorité administrative compétente, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, de rechercher un poste de travail adapté à l'état de l'intéressé et d'apprécier si sa demande peut être satisfaite compte tenu des nécessités du service, qu'il s'agisse d'une première affectation ou de son renouvellement". Ainsi, contrairement à ce qu'avait jugé le tribunal administratif, le renouvellement de l'affectation adaptée ne constitue pas une "simple faculté", purement discrétionnaire. A l'instar de l'obligation de reclassement, l'administration a bien l'obligation de "rechercher" un poste de travail adapté, lorsque l'agent le demande, qu'il s'agisse d'une première demande (ce qui résulte de l'arrêt du 28 décembre 2012, précité) ou d'un renouvellement. Cependant, elle devra donc toujours se prononcer au vu de l'état de santé de l'agent et des nécessités du service (l'objectif de reconversion professionnelle jouant certainement un rôle important dans ce cadre), y compris au stade du renouvellement. Pour autant, l'agent ne dispose pas d'un droit au renouvellement de sa situation, la décision initiale n'étant pas créatrice de droit. De ce point de vue, on peut rapprocher la solution retenue de celle applicable au refus de renouvellement d'un détachement (14).
(1) CE 4° et 5° s-s-r., 1er octobre 2014, n° 366002, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A7784MXL), voir Chronique de droit de la fonction publique - Décembre 2014, Lexbase Hebdo n° 354 du 4 décembre 2014 - édition publique (N° Lexbase : N4853BUB), v. concl. F. Lambolez, AJFP, 2015/1 p. 27.
(2) CE, Sect, 11 juillet 2011, n° 321225, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A0246HWZ), p. 349.
(3) CE 2° et 7° s-s-r., 30 décembre 2011, n° 332366, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A6830IBL) ; CE 7° s-s., 18 juin 2014, n° 368512, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A6268MRL) ; CE 4° s-s., 2 mai 2012, n° 328802, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A6129IK9).
(4) CE, Sect, 11 juillet 2011, n° 321225, publié au recueil Lebon, préc..
(5) CE, Sect., 25 avril 1980, n° 09183, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A7144B84).
(6) CE 4° s-s., 23 octobre 2013, n° 346684, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A4422KN4) ; CE 9° et 10° s-s-r., 3 novembre 2006, n° 233178, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A4766DSC).
(7) CE 2° et 7° s-s-r., 22 avril 2005, n° 248767, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A9326DHU) ; CE 4° et 5° s-s-r., 23 septembre 2013, n° 353093, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A9648KLW).
(8) CE 9° et 10° s-s-r., 21 mars 2001, n° 207935, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A2191ATC).
(9) CE 7° et 5° s-s-r., 2 octobre 2002, n° 227868, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A9513AZD), p. 320.
(10) CE 4° et 5° s-s-r., 16 décembre 2013, n° 353798, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A7928KSG).
(11) Y compris lorsqu'ils sont affectés dans l'enseignement supérieur : TA Cergy-Pontoise, 20 novembre 2014, n° 1205021.
(12) CE 3° et 8° s-s-r., 28 décembre 2012, n° 350043, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A6861IZ7).
(13) CE 4° et 5° s-s-r., 15 novembre 2010, n° 330099, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A4274GKI), AJFP, 2011, p. 218, note R. Fontier.
(14) CE 7° et 10° s-s-r., 23 juillet 1993, n° 109672, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A0235ANZ).
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Réf. : Loi n° 2014-1545, 20 décembre 2014, relative à la simplification de la vie des entreprises et portant diverses dispositions de simplification et de clarification du droit et des procédures administratives, art. 48 (N° Lexbase : L0720I7S)
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par Frédérique Julienne, Maître de conférences - HDR, Faculté de droit de Bordeaux
Le 17 Mars 2015
La réintroduction de l'hypothèque rechargeable peut alors surprendre. Qu'est ce qui peut légitimer le retour d'une sûreté jugée dangereuse et inutile quelques temps auparavant ? On aurait pu penser que le législateur, afin de justifier cette volte-face, propose une sûreté renouvelée. Il n'en est rien puisqu'à la lecture du nouveau dispositif, il apparaît que le régime juridique de la sûreté reste identique. Le seul point qui change et qui semble, alors, expliquer cette réintroduction étonnante est un domaine d'application singulièrement réduit puisque, désormais, cette sûreté n'est envisageable que dans le cadre de relations professionnelles. La loi du 20 décembre 2014 consacre alors une sûreté dédiée aux professionnels (I) sans que cela induise une adaptation de son régime juridique (II).
I - Une sûreté dédiée aux professionnels
L'hypothèque rechargeable n'est plus une sûreté pouvant être utilisée par tout débiteur car selon la nouvelle rédaction de l'article 2422 du Code civil (N° Lexbase : L0926I7G) : "l'hypothèque constituée à des fins professionnelles par une personne physique ou morale peut être ultérieurement affectée à la garantie de créances professionnelles". Pour la première fois, le législateur s'attache à dédier aux seuls professionnels une sûreté introduite pourtant dans le droit commun des sûretés du Code civil. Uniquement envisageable pour les créances professionnelles, cette sûreté ne peut alors garantir que les crédits qui ont un lien direct avec l'activité principale du débiteur. Cette délimitation soulève alors la pertinence de la démarche consistant à chercher à catégoriser les sûretés en fonction de la qualité des débiteurs.
L'exclusion générale des consommateurs conforte l'idée que la technique du rechargement est perçue comme un procédé dangereux par le législateur. Cette analyse est discutable car le dispositif prévoit un garde-fou. Le rechargement n'est, en effet, envisageable que dans la limite de la fraction disponible de la somme prévue à l'acte constitutif. La prévision contractuelle des parties se trouve donc respectée. Du point de vue du débiteur, le risque pris n'est alors pas plus important que dans le cadre des autres sûretés réelles dont l'hypothèque classique qui est, quant à elle, largement utilisée par les non-professionnels. Par ailleurs, la protection du débiteur est assurée par le type de support écrit imposé, à savoir un acte authentique, qui suppose l'intervention et donc les conseils du professionnel qu'est le notaire. Par un souci de cohérence, le législateur devrait étendre sa logique à la fiducie-sûreté rechargeable qui transpose la technique du rechargement au patrimoine fiduciaire, tout aussi peu utilisée en pratique. Il devrait donc être considéré que la fiducie-sûreté rechargeable n'est ouverte que dans le cadre de créances professionnelles.
Notons que l'hypothèque rechargeable étant aujourd'hui exclue pour les consommateurs, son recours potentiel a été fortement restreint concernant la garantie de crédit à la consommation. Cette hypothèse de recours avait pourtant été utilisée comme argument pour justifier son introduction initiale. Le risque avait été alors dénoncé de voir le logement des ménages engagé de manière excessive pour garantir des crédits à la consommation puisque l'hypothèque rechargeable avait vocation à s'appliquer à tous les immeubles dont le logement familial (3). La protection des ménages avait cependant était prise en considération puisque certains crédits à la consommation, estimés les plus risqués comme le crédit revolving, ne pouvaient pas être garantis par ce type de sûreté réelle.
II - Une sûreté au régime inchangé
Si le domaine d'application de l'hypothèque rechargeable a été redéfini, son régime juridique est resté quant à lui, identique. Le fait que cette sûreté soit aujourd'hui uniquement ouverte pour garantir les créances professionnelles n'a induit aucune adaptation de son régime juridique tel qu'il avait été initialement fixé par l'ordonnance du 23 mars 2006 (4).
La seule petite modification que nous pouvons relever est le complément apporté au dernier alinéa sur la portée de l'ordre public du dispositif législatif "sans préjudice du second alinéa de l'article 1424 (N° Lexbase : L2300IBS), le présent article est d'ordre public et toute clause contraire à celui-ci est réputée non écrite". Cette précision conforte la faculté, qui était déjà acquise sous l'empire du droit antérieur, pour un créancier, de céder son rang d'inscription à un autre créancier prévue à l'article 1424 du Code civil. Le point de rédaction qui avait soulevé un problème d'interprétation lors de l'introduction initiale de l'article n'a pas été modifié. Il s'agissait de la possibilité de rechargement "encore que le premier créancier n'a pas été payé". La controverse portait sur la question de savoir si le rechargement n'était possible que si le premier créancier était totalement désintéressé. L'intérêt technique du procédé suppose une réponse négative : l'affectation peut s'opérer au fur et à mesure du remboursement.
Le nouveau cantonnement de cette sûreté aux professionnels aurait pu justifier de repenser le régime juridique de l'hypothèque rechargeable en termes de souplesse. On peut s'interroger sur la pertinence d'avoir maintenu la portée d'ordre public du régime juridique au détriment de la liberté contractuelle.
Le retour de l'hypothèque rechargeable laisse supposer que, pour le législateur, il s'agit au final d'une sûreté efficace conciliant, à la fois, les intérêts des créanciers et des débiteurs. Globalement, elle se trouve soumise au régime classique de l'hypothèque conventionnelle. Toutefois, le caractère attractif de cette sûreté repose sur les implications liées au rechargement au bénéfice du créancier initial ou d'autres créanciers et qui présente le double avantage de ne pas donner lieu à une taxation et de permettre aux créanciers ultérieurs de profiter de l'ordre d'inscription du créancier originel. Cette technique offre, dès lors, la possibilité d'éviter la lourdeur et les frais de l'inscription d'une nouvelle hypothèque pour garantir des dettes futures. L'avenir permettra de déterminer si, dans la pratique, les professionnels vont développer le recours à cette sûreté qui leur est désormais réservée.
(1) Loi n° 2014-344 du 17 mars 2014, relative à la consommation (N° Lexbase : L7504IZX). Cf. Numéro spécial, Lexbase Hebdo n° 378 du 17 avril 2014 - édition affaires, en particulier G. Piette, Numéro spécial "Loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation" : propos introductifs (N° Lexbase : N1807BUH), qui "regrette" la disparition de l'hypothèque rechargeable.
(2) C. civ., art. 2372-1 (N° Lexbase : L2551IE9) et s. et art. 2488-1 (N° Lexbase : L2497IE9) et s..
(3) Rapport de l'inspection générale des finances sur l'hypothèque et le crédit hypothécaire, novembre 2004. Ce danger était limité dans les faits au vu de l'obligation imposée aux établissements bancaires d'évaluer préalablement la solvabilité des emprunteurs : L'hypothèque rechargeable : rétablissement pour les professionnels par la loi du 20 décembre 2014, D., 2015, 69.
(4) M. Dagot, L'hypothèque rechargeable, Coll. Carré Droit, Litec, 2006 ; O. Salvat, De quelques singularités de l'hypothèque rechargeable JCP éd. N, 2012, 1299.
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N5759BUT
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par Kaltoum Gachi, Avocat au barreau de Paris, Docteur en droit, Chargée d'enseignement à l'Université Paris II
Le 17 Mars 2015
Procédé largement intrusif, les sonorisations sont régies par les articles 706-96 (N° Lexbase : L9744HEM) à 706-102 du Code de procédure pénale. Aux termes de l'alinéa 1er de l'article 706-96, "lorsque les nécessités de l'information concernant un crime ou un délit entrant dans le champ d'application de l'article 706-73 (N° Lexbase : L4136I4X) l'exigent, le juge d'instruction peut, après avis du procureur de la République, autoriser par ordonnance motivée les officiers et agents de police judiciaire commis sur commission rogatoire à mettre en place un dispositif technique ayant pour objet, sans le consentement des intéressés, la captation, la fixation, la transmission et l'enregistrement de paroles prononcées par une ou plusieurs personnes à titre privé ou confidentiel, dans des lieux ou véhicules privés ou publics, ou de l'image d'une ou plusieurs personnes se trouvant dans un lieu privé. Ces opérations sont effectuées sous l'autorité et le contrôle du juge d'instruction".
Il est naturellement revenu à la jurisprudence de contrôler le procédé, la Chambre criminelle se montrant plutôt scrupuleuse quant au respect des conditions requises par la loi et n'hésitant pas à interpréter les exigences légales de manière rigoureuse.
Le présent arrêt en constitue une illustration.
En l'espèce, après la disparition, au mois de décembre 1997, à Papeete, d'un journaliste, et la clôture d'une première information, demeurée infructueuse, visant à en connaître les circonstances, une nouvelle instruction avait été ouverte à la suite des déclarations d'une personne qui avait indiqué qu'il avait assisté à l'enlèvement du journaliste et mettait en cause plusieurs individus. Par ordonnance du 29 mai 2013, le juge d'instruction avait alors autorisé, sur le fondement des articles 706-96 et suivants du Code de procédure pénale, la mise en place, pour une durée de deux mois, d'un dispositif de sonorisation du domicile de l'un de ces personnes et délivré, le même jour, commission rogatoire au commandant de la gendarmerie afin d'exécuter cette mesure.
Une personne, mise en examen des chefs d'enlèvement et séquestration, et meurtre, en bande organisée, avait alors demandé à la chambre de l'instruction d'annuler les pièces par lesquelles le juge d'instruction avait ordonné la mise en place d'un dispositif de sonorisation à son domicile ainsi que la transcription des enregistrements.
La chambre de l'instruction a fait droit à cette requête en relevant que la seule référence abstraite, dans l'ordonnance du juge d'instruction, aux "nécessités de l'information" ne répondait pas à l'exigence de motivation posée par l'article 706-96 du Code de procédure pénale, et que le juge d'instruction devait, par une motivation concrète se rapportant aux circonstances de l'affaire, préciser les raisons pour lesquelles il était conduit à la mise en place d'un dispositif de sonorisation aux domiciles de deux personnes.
Un pourvoi en cassation était formé par les parties civiles. A l'appui de ce pourvoi, elles faisaient valoir que si le juge d'instruction doit autoriser la mise en place du procédé par ordonnance motivée, cette motivation n'est soumise à aucun formalisme particulier. Elles estimaient encore que cette motivation peut résulter de la seule référence à l'infraction recherchée et qu'en l'espèce, l'ordonnance mentionnait bien l'infraction recherchée ainsi que les autres éléments précisés par l'article 706-96 du Code de procédure pénale et était donc motivée conformément aux dispositions légales. Il était également rappelé que ces opérations "sont effectuées sous l'autorité et le contrôle du juge d'instruction" et que le législateur avait ainsi placé ces opérations sous le contrôle du magistrat qui les a autorisées. Or, selon le pourvoi, en déduisant cependant la nullité du dispositif de sonorisation du fait qu'aucun contrôle réel et effectif de la mesure n'avait pu être exercé en l'absence de motivation de l'ordonnance, tandis que le juge d'instruction connaît nécessairement les motifs de cette mesure qu'il a lui-même ordonnée et est à même d'en contrôler la mise en oeuvre, la chambre de l'instruction s'est prononcée par des motifs inopérants et n'a pas justifié sa décision. Enfin, il était soutenu que la nullité ne peut pas être prononcée en l'absence de grief et qu'en l'espèce, l'intéressé n'avait émis aucune observation ou contestation de sorte qu'il en résultait qu'aucune atteinte n'avait été portée à ses intérêts.
La Chambre criminelle était donc interrogée sur l'exigence de la motivation imposée au juge d'instruction en matière de sonorisations. Plus précisément, cette motivation peut-elle se borner à faire état des "nécessités de l'instruction" ?
Sans surprise, l'arrêt commenté approuve la chambre de l'instruction d'avoir exigé une motivation concrète, la Chambre criminelle prenant le soin de préciser que l'ordonnance, prévue par l'article 706-96 du Code de procédure pénale, par laquelle le juge d'instruction autorise les officiers de police judiciaire agissant sur commission rogatoire à mettre en place un dispositif technique de captation et d'enregistrement des paroles prononcées à titre privé ou confidentiel "doit être motivée au regard des éléments précis et circonstanciés résultant de la procédure, et que l'absence d'une telle motivation de cette atteinte à la vie privée, qui interdit tout contrôle réel et effectif de la mesure, fait grief aux personnes dont les propos ont été captés et enregistrés".
Cette solution justifiée est doublement intéressante en venant qualifier le procédé de sonorisations d'"atteinte à la vie privée" (I), ce qui -pour être évident- présente le mérite d'être rappelé très clairement. Si un encadrement général des sonorisations est prévu par la loi, le présent arrêt vient préciser que la motivation attendue du juge d'instruction doit l'être au regard des éléments précis et circonstanciés résultant des éléments de la procédure, à peine de nullité (II).
I - Une atteinte à la vie privée encadrée
Que les sonorisations soient attentatoires à la vie privée est constant mais que cela soit affirmé nettement doit être souligné, la Chambre criminelle qualifiant elle-même, après la chambre de l'instruction, le procédé d'"atteinte à la vie privée" (A), ce qui justifie que le procédé soit entouré de certaines garanties (B).
A - Un procédé attentatoire à la vie privée
Si les écoutes téléphoniques constituent également une atteinte à la vie privée, les sonorisations sont largement plus intrusives.
Alors que les écoutes téléphoniques régies par les articles 100 (N° Lexbase : L4316AZU) et suivants du Code de procédure pénale (C. pr. pén., art. 706-95 N° Lexbase : L7518IP7, pour la criminalité organisée) consistent en l'interception, l'enregistrement et la transcription des correspondances émises par voie de télécommunications, les sonorisations consistent en la captation des paroles par la pose de micros. L'atteinte à la vie privée est donc plus prégnante puisque qu'elle permet d'appréhender l'ensemble des paroles des personnes se trouvant à un endroit déterminé.
Dès lors, les sonorisations, comme les écoutes téléphoniques, sont soumises aux exigences de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L4798AQR). C'est d'ailleurs sous l'inspiration et la pression de la Cour européenne des droits de l'Homme que la loi du 9 mars 2004 a prévu des dispositions spécifiques à la sonorisation dans le Code de procédure pénale (CEDH, 31 mai 2005, Req. 59842/00 N° Lexbase : A4709DIA ; CEDH, 20 décembre 2005, Req. 71611/01 N° Lexbase : A0365DMH). Le processus a été le même en matière d'écoutes téléphoniques. En effet, la France avait été condamnée par la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH, 24 avril 1990, Req. 4/1989/164/220 N° Lexbase : A6324AW7, D., 1990, 353, note Pradel ; Gaz. Pal., 1990, 1, 249, note Zdrojewski, C. et L. Pettiti). Il était reproché au droit français, écrit ou non écrit, de ne pas indiquer avec assez de clarté l'étendue et les modalités d'exercice du pouvoir d'appréciation des autorités dans ce domaine. C'est à la suite de ce constat que la France s'est dotée, par l'adoption de la loi n° 91-646 du 10 juillet 1991, relative au secret des correspondances émises par la voie des télécommunications (N° Lexbase : L7789H3U), d'un système législatif régissant les écoutes téléphoniques.
La Cour européenne des droits de l'Homme avait déjà considéré qu'une opération de sonorisation constituait une "ingérence" dans les droits de l'intéressé au titre de l'article 8, § 1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L4798AQR) (CEDH, 12 mai 2000, Req. 35394/97 N° Lexbase : A1272IZ7).
Le présent arrêt s'inscrit dans le droit fil de la jurisprudence européenne en énonçant que "l'absence d'une telle motivation de cette atteinte à la vie privée, qui interdit tout contrôle réel et effectif de la mesure, fait grief aux personnes dont les propos ont été captés et enregistrés". On peut noter que la chambre de l'instruction avait qualifié le procédé "d'atteinte à l'intimité de la vie privée". La formule de la Cour de cassation est plus proche de celle figurant à l'article 8 de la Convention européenne, l'intimité -plus stricte- renvoyant à l'infraction prévue à l'article 226-1 du Code pénal (N° Lexbase : L2092AMG).
B - Un encadrement rigoureux
Placé sous le contrôle du juge d'instruction, les sonorisations ne sont possibles qu'en matière de criminalité organisée et à la condition qu'une information judiciaire soit ouverte. Elles font obligatoirement intervenir, dans les situations les plus délicates, le juge des libertés et de la détention. Ainsi, si les sonorisations doivent être mises en place sur un lieu d'habitation et que l'opération doit intervenir hors des heures prévues à l'article 59 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L4444DGP), l'autorisation est délivrée par le juge des libertés et de la détention saisi à cette fin par le juge d'instruction.
De plus, le champ d'application des sonorisations est plus circonscrit que celui des écoutes téléphoniques. En particulier, la mise en place du dispositif technique mentionné au premier alinéa ne peut concerner les domiciles et cabinets des avocats, les locaux d'une entreprise de presse et le cabinet d'un médecin, notaire, huissier ni être mise en oeuvre dans le véhicule, le bureau ou le domicile des députés et sénateurs.
La Chambre criminelle se montre traditionnellement exigeante quant au respect de ces conditions.
Ainsi, par exemple, elle a jugé qu'il résulte des articles 706-96 et suivants du Code de procédure pénale que le juge d'instruction qui décide de faire procéder à la mise en place d'un dispositif technique ayant pour objet, sans le consentement des intéressés, la captation, fixation, transmission et enregistrement de paroles prononcées par une ou plusieurs personnes, à titre privé ou confidentiel, ou de l'image de personnes se trouvant dans un lieu privé, doit, non seulement rendre une ordonnance motivée autorisant ces opérations, mais également délivrer une commission rogatoire spéciale aux officiers de police judiciaire qu'il désigne pour y procéder (Cass. crim., 13 février 2008, n° 07-87.458, F-P+F N° Lexbase : A0684D7H, Bull. crim., n° 40).
Certes, la Cour de cassation a jugé que le recueil de l'avis du ministère public n'est soumis à aucun formalisme particulier, et aucune disposition légale ne fait obstacle, lorsque des opérations de fixation d'images et de sonorisation sont simultanément ordonnées, à la délivrance d'une commission rogatoire spéciale commune, désignant les mêmes OPJ pour exécuter ces mesures (Cass. crim., 23 janvier 2013, n° 12-85.059, FS-P+B N° Lexbase : A8792I3Z). Toutefois, cette solution n'altère pas la position globalement stricte quant à l'appréciation des conditions prévues par le législateur. La loi ne précise pas ce qu'il faut entendre par ordonnance "motivée" du juge d'instruction. Ce point fait ici l'objet de précisions essentielles.
II - Une motivation concrète et sévèrement sanctionnée
La Chambre criminelle, qui a rejeté le pourvoi, approuve la chambre de l'instruction d'avoir tout à la fois exigé une motivation concrète (A) et annulé l'ordonnance litigieuse (B).
A - Une motivation au regard des éléments précis et circonstanciés
La mise en place d'une sonorisation suppose que, cumulativement, soient prise une ordonnance motivée et délivrée une commission rogatoire spéciale, conformément aux dispositions de l'article 706-96 du Code de procédure pénale (Cass. crim., 13 février 2008, n° 07-87.458, Bull. crim., n° 40).
En matière d'écoutes téléphoniques, la formule "lorsque les nécessités de l'instruction l'exigent" avait agité une partie de la doctrine lors de l'entrée en vigueur de la loi (V. not. Pradel, Un exemple de restauration de la légalité criminelle : le régime des interceptions de correspondances émises par la voie des télécommunications -commentaire de la loi n° 91-646 du 10 juillet 1991, D., 1992, Chron., 49).
En matière de sonorisations, la Chambre criminelle avait tenté de préciser ce qu'il allait entendre par "ordonnance motivée" (Cass. crim., 27 février 2008, n° 07-88.275, F-P+F N° Lexbase : A4130D74, Bull. crim., n° 53 ; D., 2008, AJ pénal, 991 ; AJ pénal 2008, 284, obs. Leblois-Happe ; RSC, 2008, 659, obs. Buisson). Dans cette affaire, les demandeurs aux pourvois soutenaient que la sonorisation envisagée supposait une autorisation du juge d'instruction portant sur le principe même de la sonorisation et une autorisation du juge des libertés et de la détention portant sur l'installation nocturne du dispositif. Pour eux, l'autorisation ne pouvait résulter que d'une ordonnance motivée ayant pour seul objet de permettre la sonorisation et non pas d'une ordonnance du juge d'instruction saisissant le juge des libertés et de la détention aux fins d'autorisation d'une mise en place nocturne, d'autant que ladite ordonnance ne faisait qu'envisager la sonorisation et ne prévoyait aucune durée d'exécution. La Chambre criminelle avait alors fait droit à cette argumentation et cassé l'arrêt attaqué en censurant le fait de ne pas avoir, "en violation des dispositions impératives des articles 706-96 et 706-97 (N° Lexbase : L5778DYN) [...], rendu une ordonnance motivée autorisant [les opérations de sonorisation] et fixant leur durée".
Toutefois, la question restait entière de savoir ce qu'il fallait entendre par motivation.
Le présent arrêt y répond de manière particulièrement nette. En l'espèce, la motivation de l'ordonnance autorisant les sonorisations était la suivante : "attendu que les nécessités de l'information exigent qu'un dispositif technique ayant pour objet, sans le consentement des intéressés, la captation, la fixation, la transmission et l'enregistrement de paroles prononcées par une ou plusieurs personnes à titre privé ou confidentiel dans des lieux ou véhicules privés ou publics, soit mis en place". La chambre de l'instruction a considéré que cette motivation était trop générale en précisant "qu'il n'existe aucune autre motivation, ni dans l'ordonnance de soit communiqué au procureur de la République aux fins de réquisitions sur la mise en place de ce dispositif, ni dans ces réquisitions, ni dans la commission rogatoire délivrée à la suite de l'ordonnance" litigieuse. Elle a alors jugé que "la seule référence abstraite, dans l'ordonnance du juge d'instruction, aux nécessités de l'information' ne répond pas à l'exigence de motivation posée par l'article 706-96 du Code de procédure pénale, et que le juge d'instruction devait, par une motivation concrète se rapportant aux circonstances de l'affaire, préciser les raisons pour lesquelles il était conduit à la mise en place d'un dispositif de sonorisation aux domiciles de deux témoins".
La Chambre criminelle a entériné ces motifs en affirmant que cette ordonnance "doit être motivée au regard des éléments précis et circonstanciés résultant de la procédure".
Ces motifs sont instructifs à plusieurs points de vue. D'une part, on observera que la formule utilisée par la Chambre criminelle est strictement identique à celle prévue en matière de détention provisoire. Ainsi, l'article 144 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L9485IEZ) prévoit que "la détention provisoire ne peut être ordonnée ou prolongée que s'il est démontré, au regard des éléments précis et circonstanciés résultant de la procédure". Evidemment, les deux procédés ne sont pas comparables mais l'emprunt de cette formule légale révèle le niveau important d'exigence requis en matière de motivation de la décision de sonorisations. D'autre part, la chambre de l'instruction avait laissé ouverte la possibilité d'une motivation extérieure à l'ordonnance elle-même en se référant à l'ordonnance de soit-communiqué, aux réquisitions ou à la commission rogatoire délivrée à la suite de l'ordonnance, ce qui semble contestable tant la motivation devrait résulter de l'ordonnance elle-même. Pour autant, cet élément, souligné par la chambre de l'instruction mais qui n'est nullement évoqué par la Chambre criminelle, est sans doute destiné à renforcer le caractère particulièrement contestable de la mise en place du procédé où aucune des pièces évoquées ne comportait d'éléments de motivation.
B - La nullité encourue
La Chambre de l'instruction a considéré que "l'absence de motivation d'une telle atteinte à l'intimité de la vie privée fait nécessairement grief aux personnes dont les propos ont été captés et enregistrés dans ce contexte". Ce faisant, elle a considéré, sans équivoque, que la nullité encourue n'exigeait pas la démonstration d'un grief en annulant les pièces de la procédure qui autorisaient ce dispositif, celles qui rapportaient sa mise en place, ainsi que celles qui retranscrivaient les sonorisations du dispositif.
Mais la solution retenue est allée plus loin en faisant profiter de la nullité une autre personne qui n'était pourtant pas partie à la présente procédure. A cet égard, la chambre de l'instruction a jugé que "cette annulation touche de façon indivisible, puisqu'il s'agit des mêmes pièces, la mise en place du dispositif de sonorisation au domicile de M. B. [...] ainsi que les pièces subséquentes qui trouvent dans les actes annulés leur soutien nécessaire".
L'hypothèse est ici différente de celle qui avait été soumise à la Chambre criminelle, laquelle avait jugé que les personnes mises en examen qui ne sont titulaires d'aucun droit ni titre sur l'appartement sonorisé et dont les conversations n'ont pas été captées, ne sauraient prétendre avoir subi une atteinte à l'un des droits protégés par l'article 706-96 du Code de procédure pénale (Cass. crim., 26 juin 2013, n° 13-81.491, F-P+B N° Lexbase : A8541KI8). En l'espèce, le domicile de l'autre personne avait bien été sonorisé.
Aussi, il résulte de cet arrêt que la nullité est, non seulement "automatique", mais joue, en outre, erga omnes et peut donc intéresser des personnes qui n'ont pas contesté l'ordonnance litigieuse dès lors que la mise en place du dispositif trouve son fondement dans cette ordonnance. Le seul critère utilisé est celui de l'"indivisibilité" puisqu'il s'agit, comme l'indique la chambre de l'instruction, "des mêmes pièces". La solution, validée par la Chambre criminelle, est donc d'importance même si des précisions restent sans doute à apporter relativement à ce dernier critère.
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N5759BUT
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par Kaltoum Gachi, Avocat au barreau de Paris, Docteur en droit, Chargée d'enseignement à l'Université Paris II
Le 17 Mars 2015
Procédé largement intrusif, les sonorisations sont régies par les articles 706-96 (N° Lexbase : L9744HEM) à 706-102 du Code de procédure pénale. Aux termes de l'alinéa 1er de l'article 706-96, "lorsque les nécessités de l'information concernant un crime ou un délit entrant dans le champ d'application de l'article 706-73 (N° Lexbase : L4136I4X) l'exigent, le juge d'instruction peut, après avis du procureur de la République, autoriser par ordonnance motivée les officiers et agents de police judiciaire commis sur commission rogatoire à mettre en place un dispositif technique ayant pour objet, sans le consentement des intéressés, la captation, la fixation, la transmission et l'enregistrement de paroles prononcées par une ou plusieurs personnes à titre privé ou confidentiel, dans des lieux ou véhicules privés ou publics, ou de l'image d'une ou plusieurs personnes se trouvant dans un lieu privé. Ces opérations sont effectuées sous l'autorité et le contrôle du juge d'instruction".
Il est naturellement revenu à la jurisprudence de contrôler le procédé, la Chambre criminelle se montrant plutôt scrupuleuse quant au respect des conditions requises par la loi et n'hésitant pas à interpréter les exigences légales de manière rigoureuse.
Le présent arrêt en constitue une illustration.
En l'espèce, après la disparition, au mois de décembre 1997, à Papeete, d'un journaliste, et la clôture d'une première information, demeurée infructueuse, visant à en connaître les circonstances, une nouvelle instruction avait été ouverte à la suite des déclarations d'une personne qui avait indiqué qu'il avait assisté à l'enlèvement du journaliste et mettait en cause plusieurs individus. Par ordonnance du 29 mai 2013, le juge d'instruction avait alors autorisé, sur le fondement des articles 706-96 et suivants du Code de procédure pénale, la mise en place, pour une durée de deux mois, d'un dispositif de sonorisation du domicile de l'un de ces personnes et délivré, le même jour, commission rogatoire au commandant de la gendarmerie afin d'exécuter cette mesure.
Une personne, mise en examen des chefs d'enlèvement et séquestration, et meurtre, en bande organisée, avait alors demandé à la chambre de l'instruction d'annuler les pièces par lesquelles le juge d'instruction avait ordonné la mise en place d'un dispositif de sonorisation à son domicile ainsi que la transcription des enregistrements.
La chambre de l'instruction a fait droit à cette requête en relevant que la seule référence abstraite, dans l'ordonnance du juge d'instruction, aux "nécessités de l'information" ne répondait pas à l'exigence de motivation posée par l'article 706-96 du Code de procédure pénale, et que le juge d'instruction devait, par une motivation concrète se rapportant aux circonstances de l'affaire, préciser les raisons pour lesquelles il était conduit à la mise en place d'un dispositif de sonorisation aux domiciles de deux personnes.
Un pourvoi en cassation était formé par les parties civiles. A l'appui de ce pourvoi, elles faisaient valoir que si le juge d'instruction doit autoriser la mise en place du procédé par ordonnance motivée, cette motivation n'est soumise à aucun formalisme particulier. Elles estimaient encore que cette motivation peut résulter de la seule référence à l'infraction recherchée et qu'en l'espèce, l'ordonnance mentionnait bien l'infraction recherchée ainsi que les autres éléments précisés par l'article 706-96 du Code de procédure pénale et était donc motivée conformément aux dispositions légales. Il était également rappelé que ces opérations "sont effectuées sous l'autorité et le contrôle du juge d'instruction" et que le législateur avait ainsi placé ces opérations sous le contrôle du magistrat qui les a autorisées. Or, selon le pourvoi, en déduisant cependant la nullité du dispositif de sonorisation du fait qu'aucun contrôle réel et effectif de la mesure n'avait pu être exercé en l'absence de motivation de l'ordonnance, tandis que le juge d'instruction connaît nécessairement les motifs de cette mesure qu'il a lui-même ordonnée et est à même d'en contrôler la mise en oeuvre, la chambre de l'instruction s'est prononcée par des motifs inopérants et n'a pas justifié sa décision. Enfin, il était soutenu que la nullité ne peut pas être prononcée en l'absence de grief et qu'en l'espèce, l'intéressé n'avait émis aucune observation ou contestation de sorte qu'il en résultait qu'aucune atteinte n'avait été portée à ses intérêts.
La Chambre criminelle était donc interrogée sur l'exigence de la motivation imposée au juge d'instruction en matière de sonorisations. Plus précisément, cette motivation peut-elle se borner à faire état des "nécessités de l'instruction" ?
Sans surprise, l'arrêt commenté approuve la chambre de l'instruction d'avoir exigé une motivation concrète, la Chambre criminelle prenant le soin de préciser que l'ordonnance, prévue par l'article 706-96 du Code de procédure pénale, par laquelle le juge d'instruction autorise les officiers de police judiciaire agissant sur commission rogatoire à mettre en place un dispositif technique de captation et d'enregistrement des paroles prononcées à titre privé ou confidentiel "doit être motivée au regard des éléments précis et circonstanciés résultant de la procédure, et que l'absence d'une telle motivation de cette atteinte à la vie privée, qui interdit tout contrôle réel et effectif de la mesure, fait grief aux personnes dont les propos ont été captés et enregistrés".
Cette solution justifiée est doublement intéressante en venant qualifier le procédé de sonorisations d'"atteinte à la vie privée" (I), ce qui -pour être évident- présente le mérite d'être rappelé très clairement. Si un encadrement général des sonorisations est prévu par la loi, le présent arrêt vient préciser que la motivation attendue du juge d'instruction doit l'être au regard des éléments précis et circonstanciés résultant des éléments de la procédure, à peine de nullité (II).
I - Une atteinte à la vie privée encadrée
Que les sonorisations soient attentatoires à la vie privée est constant mais que cela soit affirmé nettement doit être souligné, la Chambre criminelle qualifiant elle-même, après la chambre de l'instruction, le procédé d'"atteinte à la vie privée" (A), ce qui justifie que le procédé soit entouré de certaines garanties (B).
A - Un procédé attentatoire à la vie privée
Si les écoutes téléphoniques constituent également une atteinte à la vie privée, les sonorisations sont largement plus intrusives.
Alors que les écoutes téléphoniques régies par les articles 100 (N° Lexbase : L4316AZU) et suivants du Code de procédure pénale (C. pr. pén., art. 706-95 N° Lexbase : L7518IP7, pour la criminalité organisée) consistent en l'interception, l'enregistrement et la transcription des correspondances émises par voie de télécommunications, les sonorisations consistent en la captation des paroles par la pose de micros. L'atteinte à la vie privée est donc plus prégnante puisque qu'elle permet d'appréhender l'ensemble des paroles des personnes se trouvant à un endroit déterminé.
Dès lors, les sonorisations, comme les écoutes téléphoniques, sont soumises aux exigences de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L4798AQR). C'est d'ailleurs sous l'inspiration et la pression de la Cour européenne des droits de l'Homme que la loi du 9 mars 2004 a prévu des dispositions spécifiques à la sonorisation dans le Code de procédure pénale (CEDH, 31 mai 2005, Req. 59842/00 N° Lexbase : A4709DIA ; CEDH, 20 décembre 2005, Req. 71611/01 N° Lexbase : A0365DMH). Le processus a été le même en matière d'écoutes téléphoniques. En effet, la France avait été condamnée par la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH, 24 avril 1990, Req. 4/1989/164/220 N° Lexbase : A6324AW7, D., 1990, 353, note Pradel ; Gaz. Pal., 1990, 1, 249, note Zdrojewski, C. et L. Pettiti). Il était reproché au droit français, écrit ou non écrit, de ne pas indiquer avec assez de clarté l'étendue et les modalités d'exercice du pouvoir d'appréciation des autorités dans ce domaine. C'est à la suite de ce constat que la France s'est dotée, par l'adoption de la loi n° 91-646 du 10 juillet 1991, relative au secret des correspondances émises par la voie des télécommunications (N° Lexbase : L7789H3U), d'un système législatif régissant les écoutes téléphoniques.
La Cour européenne des droits de l'Homme avait déjà considéré qu'une opération de sonorisation constituait une "ingérence" dans les droits de l'intéressé au titre de l'article 8, § 1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L4798AQR) (CEDH, 12 mai 2000, Req. 35394/97 N° Lexbase : A1272IZ7).
Le présent arrêt s'inscrit dans le droit fil de la jurisprudence européenne en énonçant que "l'absence d'une telle motivation de cette atteinte à la vie privée, qui interdit tout contrôle réel et effectif de la mesure, fait grief aux personnes dont les propos ont été captés et enregistrés". On peut noter que la chambre de l'instruction avait qualifié le procédé "d'atteinte à l'intimité de la vie privée". La formule de la Cour de cassation est plus proche de celle figurant à l'article 8 de la Convention européenne, l'intimité -plus stricte- renvoyant à l'infraction prévue à l'article 226-1 du Code pénal (N° Lexbase : L2092AMG).
B - Un encadrement rigoureux
Placé sous le contrôle du juge d'instruction, les sonorisations ne sont possibles qu'en matière de criminalité organisée et à la condition qu'une information judiciaire soit ouverte. Elles font obligatoirement intervenir, dans les situations les plus délicates, le juge des libertés et de la détention. Ainsi, si les sonorisations doivent être mises en place sur un lieu d'habitation et que l'opération doit intervenir hors des heures prévues à l'article 59 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L4444DGP), l'autorisation est délivrée par le juge des libertés et de la détention saisi à cette fin par le juge d'instruction.
De plus, le champ d'application des sonorisations est plus circonscrit que celui des écoutes téléphoniques. En particulier, la mise en place du dispositif technique mentionné au premier alinéa ne peut concerner les domiciles et cabinets des avocats, les locaux d'une entreprise de presse et le cabinet d'un médecin, notaire, huissier ni être mise en oeuvre dans le véhicule, le bureau ou le domicile des députés et sénateurs.
La Chambre criminelle se montre traditionnellement exigeante quant au respect de ces conditions.
Ainsi, par exemple, elle a jugé qu'il résulte des articles 706-96 et suivants du Code de procédure pénale que le juge d'instruction qui décide de faire procéder à la mise en place d'un dispositif technique ayant pour objet, sans le consentement des intéressés, la captation, fixation, transmission et enregistrement de paroles prononcées par une ou plusieurs personnes, à titre privé ou confidentiel, ou de l'image de personnes se trouvant dans un lieu privé, doit, non seulement rendre une ordonnance motivée autorisant ces opérations, mais également délivrer une commission rogatoire spéciale aux officiers de police judiciaire qu'il désigne pour y procéder (Cass. crim., 13 février 2008, n° 07-87.458, F-P+F N° Lexbase : A0684D7H, Bull. crim., n° 40).
Certes, la Cour de cassation a jugé que le recueil de l'avis du ministère public n'est soumis à aucun formalisme particulier, et aucune disposition légale ne fait obstacle, lorsque des opérations de fixation d'images et de sonorisation sont simultanément ordonnées, à la délivrance d'une commission rogatoire spéciale commune, désignant les mêmes OPJ pour exécuter ces mesures (Cass. crim., 23 janvier 2013, n° 12-85.059, FS-P+B N° Lexbase : A8792I3Z). Toutefois, cette solution n'altère pas la position globalement stricte quant à l'appréciation des conditions prévues par le législateur. La loi ne précise pas ce qu'il faut entendre par ordonnance "motivée" du juge d'instruction. Ce point fait ici l'objet de précisions essentielles.
II - Une motivation concrète et sévèrement sanctionnée
La Chambre criminelle, qui a rejeté le pourvoi, approuve la chambre de l'instruction d'avoir tout à la fois exigé une motivation concrète (A) et annulé l'ordonnance litigieuse (B).
A - Une motivation au regard des éléments précis et circonstanciés
La mise en place d'une sonorisation suppose que, cumulativement, soient prise une ordonnance motivée et délivrée une commission rogatoire spéciale, conformément aux dispositions de l'article 706-96 du Code de procédure pénale (Cass. crim., 13 février 2008, n° 07-87.458, Bull. crim., n° 40).
En matière d'écoutes téléphoniques, la formule "lorsque les nécessités de l'instruction l'exigent" avait agité une partie de la doctrine lors de l'entrée en vigueur de la loi (V. not. Pradel, Un exemple de restauration de la légalité criminelle : le régime des interceptions de correspondances émises par la voie des télécommunications -commentaire de la loi n° 91-646 du 10 juillet 1991, D., 1992, Chron., 49).
En matière de sonorisations, la Chambre criminelle avait tenté de préciser ce qu'il allait entendre par "ordonnance motivée" (Cass. crim., 27 février 2008, n° 07-88.275, F-P+F N° Lexbase : A4130D74, Bull. crim., n° 53 ; D., 2008, AJ pénal, 991 ; AJ pénal 2008, 284, obs. Leblois-Happe ; RSC, 2008, 659, obs. Buisson). Dans cette affaire, les demandeurs aux pourvois soutenaient que la sonorisation envisagée supposait une autorisation du juge d'instruction portant sur le principe même de la sonorisation et une autorisation du juge des libertés et de la détention portant sur l'installation nocturne du dispositif. Pour eux, l'autorisation ne pouvait résulter que d'une ordonnance motivée ayant pour seul objet de permettre la sonorisation et non pas d'une ordonnance du juge d'instruction saisissant le juge des libertés et de la détention aux fins d'autorisation d'une mise en place nocturne, d'autant que ladite ordonnance ne faisait qu'envisager la sonorisation et ne prévoyait aucune durée d'exécution. La Chambre criminelle avait alors fait droit à cette argumentation et cassé l'arrêt attaqué en censurant le fait de ne pas avoir, "en violation des dispositions impératives des articles 706-96 et 706-97 (N° Lexbase : L5778DYN) [...], rendu une ordonnance motivée autorisant [les opérations de sonorisation] et fixant leur durée".
Toutefois, la question restait entière de savoir ce qu'il fallait entendre par motivation.
Le présent arrêt y répond de manière particulièrement nette. En l'espèce, la motivation de l'ordonnance autorisant les sonorisations était la suivante : "attendu que les nécessités de l'information exigent qu'un dispositif technique ayant pour objet, sans le consentement des intéressés, la captation, la fixation, la transmission et l'enregistrement de paroles prononcées par une ou plusieurs personnes à titre privé ou confidentiel dans des lieux ou véhicules privés ou publics, soit mis en place". La chambre de l'instruction a considéré que cette motivation était trop générale en précisant "qu'il n'existe aucune autre motivation, ni dans l'ordonnance de soit communiqué au procureur de la République aux fins de réquisitions sur la mise en place de ce dispositif, ni dans ces réquisitions, ni dans la commission rogatoire délivrée à la suite de l'ordonnance" litigieuse. Elle a alors jugé que "la seule référence abstraite, dans l'ordonnance du juge d'instruction, aux nécessités de l'information' ne répond pas à l'exigence de motivation posée par l'article 706-96 du Code de procédure pénale, et que le juge d'instruction devait, par une motivation concrète se rapportant aux circonstances de l'affaire, préciser les raisons pour lesquelles il était conduit à la mise en place d'un dispositif de sonorisation aux domiciles de deux témoins".
La Chambre criminelle a entériné ces motifs en affirmant que cette ordonnance "doit être motivée au regard des éléments précis et circonstanciés résultant de la procédure".
Ces motifs sont instructifs à plusieurs points de vue. D'une part, on observera que la formule utilisée par la Chambre criminelle est strictement identique à celle prévue en matière de détention provisoire. Ainsi, l'article 144 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L9485IEZ) prévoit que "la détention provisoire ne peut être ordonnée ou prolongée que s'il est démontré, au regard des éléments précis et circonstanciés résultant de la procédure". Evidemment, les deux procédés ne sont pas comparables mais l'emprunt de cette formule légale révèle le niveau important d'exigence requis en matière de motivation de la décision de sonorisations. D'autre part, la chambre de l'instruction avait laissé ouverte la possibilité d'une motivation extérieure à l'ordonnance elle-même en se référant à l'ordonnance de soit-communiqué, aux réquisitions ou à la commission rogatoire délivrée à la suite de l'ordonnance, ce qui semble contestable tant la motivation devrait résulter de l'ordonnance elle-même. Pour autant, cet élément, souligné par la chambre de l'instruction mais qui n'est nullement évoqué par la Chambre criminelle, est sans doute destiné à renforcer le caractère particulièrement contestable de la mise en place du procédé où aucune des pièces évoquées ne comportait d'éléments de motivation.
B - La nullité encourue
La Chambre de l'instruction a considéré que "l'absence de motivation d'une telle atteinte à l'intimité de la vie privée fait nécessairement grief aux personnes dont les propos ont été captés et enregistrés dans ce contexte". Ce faisant, elle a considéré, sans équivoque, que la nullité encourue n'exigeait pas la démonstration d'un grief en annulant les pièces de la procédure qui autorisaient ce dispositif, celles qui rapportaient sa mise en place, ainsi que celles qui retranscrivaient les sonorisations du dispositif.
Mais la solution retenue est allée plus loin en faisant profiter de la nullité une autre personne qui n'était pourtant pas partie à la présente procédure. A cet égard, la chambre de l'instruction a jugé que "cette annulation touche de façon indivisible, puisqu'il s'agit des mêmes pièces, la mise en place du dispositif de sonorisation au domicile de M. B. [...] ainsi que les pièces subséquentes qui trouvent dans les actes annulés leur soutien nécessaire".
L'hypothèse est ici différente de celle qui avait été soumise à la Chambre criminelle, laquelle avait jugé que les personnes mises en examen qui ne sont titulaires d'aucun droit ni titre sur l'appartement sonorisé et dont les conversations n'ont pas été captées, ne sauraient prétendre avoir subi une atteinte à l'un des droits protégés par l'article 706-96 du Code de procédure pénale (Cass. crim., 26 juin 2013, n° 13-81.491, F-P+B N° Lexbase : A8541KI8). En l'espèce, le domicile de l'autre personne avait bien été sonorisé.
Aussi, il résulte de cet arrêt que la nullité est, non seulement "automatique", mais joue, en outre, erga omnes et peut donc intéresser des personnes qui n'ont pas contesté l'ordonnance litigieuse dès lors que la mise en place du dispositif trouve son fondement dans cette ordonnance. Le seul critère utilisé est celui de l'"indivisibilité" puisqu'il s'agit, comme l'indique la chambre de l'instruction, "des mêmes pièces". La solution, validée par la Chambre criminelle, est donc d'importance même si des précisions restent sans doute à apporter relativement à ce dernier critère.
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Réf. : Cons. const., décision n° 2014-446 QPC, du 29 janvier 2015 (N° Lexbase : A4677NAH)
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N5766BU4
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Le 17 Mars 2015
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Réf. : CE 1° et 6° s-s-r., 26 janvier 2015, n° 362019, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A6891NAH)
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Le 17 Mars 2015
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